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JOHNNORMAN

LesPiratesdeGor

AVENTURESFANTASTIQUES

Éditionsopta,24,ruedeMogador,Paris9e

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Titreoriginal:RaidersofGorTraduction:DanielLemoine©1971JohnNorman©1981NouvellesÉditionsOptapourlatraductionfrançaise

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JohnNormanoulesphantasmesdeJohnFrederickLange

Lorsque « Tarnsman of Gor » parut au mois de décembre 1966, dans la prestigieuse série descience-fiction et d’aventures fantastiquesdeBallantine (plus tard, le cycledeGordevait trouverunnouveléditeuravecDonaldWollheimetDAW-Books), riennesemblaitvouloir indiquerquece livreseraitlepremierd’unelonguesériequelesunscouvrentmaintenantdesarcasmes,lesautresderosesrouges comme le sang. En fait, les premiers livres de la série étaient passionnants, même s’ilsn’arrivaientpasàfaireoublierlesgrandschefs-d’œuvredela«Fantasy»comme,parexemple,lecycled’Atlan de JaneGaskell ou l’épopéemagique deDeryni deKatherineKurtz. Par la suite, au fil desaventures de Tarl Cabot puis de Jason Marshall, l’intérêt de ces romans, où le machisme le plusconventionnel s’opposait (ou se mariait) au masochisme féminin le plus débridé, commença des’émoussersansquelesuccèsdecesaventuresrocambolesquesnesedémentîtpourautant.

Je n’ai jamais cachéma préférence,même dans le domaine de l’heroic-fantasy, de la sword andsorcery et de la science-fantasy pour des auteurs plus nuancés :C.J.Cherryh,TanithLee,KatherineKurtz, Stephen R. Donaldson, James Branch Cabell, Evangeline Walton, Lord Dunsany, ThomasBurnettSwann,JohnMorressy,etc…

Cela dit, je crois qu’il faut reconnaître que les sept ou huit premiers volumes de la saga deGorétaient assez réussis dans le domaine bien spécifique de la science-fiction d’aventure.Mais plus lesromansdevenaientépais,plusilss’enfonçaientdanslesdéliressado-masochistesdel’auteur.

Laprogrammationdecetteœuvre,quicompte,àl’instantoùj’écrisceslignes,quinzevolumes,leseizièmedevantparaîtreaumoisdenovembre1981,meposeunproblèmepsychologique.Maissansvouloirentrerdanslesdétails,jedirai,defaçonhonteusementpragmatique,maissansambages,quejecontinueraidepublier lesvolumesde lasériedeGor tantquemes lecteursmeledemanderont.«Nocomment!»commedisentlesdiplomates!

Unmotsurl’auteur:JohnFrederickLange,quisigneJohnNorman,estprofesseurd’université.Ilest né en 1931. Les mauvaises langues, mais pas seulement elles, disent qu’il aime projeter sesphantasmeslesplusmaladifsdanssonœuvrelittéraireetqu’iln’hésitepasàpeindredanscertainslivresdesfemmesdeson(proche)entourage(universitaire).

Biendesauteursetcritiquesféminins(auxEtats-Unisetailleurs)maiségalementdesécrivainsdusexe que se plaît à magnifier Norman par opposition à l’autre dont le seul bonheur semble être lasoumission inconditionnelle aumâle, ont exprimé leur indignation et leurmépris devant cetteœuvresolipsiste et phallocratique qui fait de tous les (vrais) hommes des maîtres et de toutes les (vraies)femmesdesesclaves.

Pourconclure,unesimplecitationduderniervolumedeNormanparuauxÉtats-Unis,ROGUEOFGOR(unjolipalindrome!):

« Les femmes de la terre sont sevrées d’hommes véritables. Je ne puis te décrire (…) la

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frustration et lamisère qu’elles ressentent. Les hommes de la Terre ne sont pas des hommesdignes de ce nom. Peut-être l’ont-ils été, il y a bien longtemps de cela, dans une époque quiappartientmaintenantàl’histoire.

(…)»Lesfemelles,»dit-elle,«sontlapropriéténaturelled’hommessemblablesàceuxdeGor,

etnond’hommesàl’imagedeceuxdelaTerre.(…)»Qu’ajouteràcela?Sinonunconseil:«Femmesquimelisez,prenezunbilletpourGOR!»(?)

DanielWalther,juin1981.

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LAMARQUESANGLANTE

JEsentaislamer,ThassalaLuisantequi,selonlesmythes,n’aqu’unseulrivage.Passantlamainpar-dessusleborddemabarquederoseau,jeprisunpeud’eaudanslapaumeety

trempaileboutdelalangue.Thassanepouvaitplusêtreloin.Jeprislapagaietriangulaire,enboisdeTem,etpropulsaimapetiteembarcation,légèreetmince,

juste assez grande pour un seul passager. Elle était en roseaux du Vosk, longs, flexibles et creux,attachésavecdeslianesdesmarais.

Surma droite, environ unmètre sous l’eau, j’aperçus soudain l’éclair jaune etmobile du ventreécailleuxd’untharlariondesmaraisquiseretournaitaumomentdefrapper,probablementlacarpeduVoskou la tortuedesmarais.Aussitôt après, l’eauparut étincelerd’unemultituded’aiguillesdorées,dans le sillage du tharlarion des marais, à n’en pas douter sa horde de charognards, minusculestharlarionsd’eaud’environvingtcentimètresdelong,toutendentsetenqueue.

Unoiseauauxgrandesailesmembraneuses et couvertesd’écailles s’élevaau-dessusdes roseaux,surmagauche,poussant soncriet filantvers lecielbleu,dansunbattementd’ailes.Un instantplustard, il plongea à nouveau vers le sol et disparut dans les roseaux, les tiges vacillantes chargées despores, les gousses gonflées de graines des diverses plantes des marais côtiers de Gor. Une seulecréatureoseainsi,danslesmarais,sedécoupersurleciel:l’uldeproie,letharlarionvolant.

Ilétaitdifficiledevoiràplusd’unmètredevantsoi;parfois,jenevoyaispasmêmeau-delàdelaproue levée de ma petite embarcation, qui se frayait un chemin parmi les roseaux et les nombreuxrences.

C’étaitlequatrièmejourdelaSixièmeMainTransitoire,peuavantl’équinoxed’automnequi,danslecalendriergoréen,marqueledébutdeSe’Kara.DanslecalendrierdeKo-ro-baqui,commepresquetouteslescités,comptelesannéessuivantlaListedesAdministrateurs,ceserait laonzièmeannéedel’administrationdemonpère,MatthewCabot.Danslecalendrierd’Ar,pourceuxquecelaintéresserait,c’étaitlapremièreannéedelarestaurationdeMarlenus,UbardesUbars;toutefois,afindemettreunpeud’ordredanslachronologiegoréenne,onadmettaitengénéralquec’étaitl’an10119ConstataAr,c’est-à-diredelafondationd’Ar.

Mes armes se trouvaient dans la barque, avec une gourde d’eau ainsi qu’une boîte de fer-blanccontenantdupainetde laviandedeboskséchée.J’avais lacourteépéegoréennedanssonfourreau,monbouclier,moncasqueet,enveloppédansducuir,ungrandarcgoréenenboisdeKa-la-nasouple,lavigne jaune deGor, renforcé à chaque extrémité de corne de bosk comportant des entailles, avec sacordedechanvreentrelacédesoie,ainsiqu’unassortimentdeflèchescourtesetlonguesrangéesenun

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rouleau.Engénéral,lesGuerriersgoréensn’aimentguèrel’arcquelqu’ilsoit,maisilssontobligésdelerespecter.Celuiquej’avais,legrandarcdonc,estaussihautqu’unhommedegrandetaille;sondos,lapartielapluséloignéedel’archer,estplat;sonventre,quifaitfaceàl’archer,estrond;ilfaitenvironquatre centimètres de large et deux centimètres et demi d’épaisseur au centre ; il est extrêmementpuissantet ilfautêtretrèsfortpourletendreet lebander; incidemment,nombreuxsontceux,mêmeparmi lesGuerriers, qui sont incapablesmême de le tendre ; on peut tirer neuf flèches avant que lapremièreregagnelesol;deprès,ellespeuventtranspercerdepartenpartunepoutrededixcentimètresd’épaisseur;àdeuxcentsmètres,ellespeuventclouerunhommeàunmur;àquatrecentsmètres,ellespeuventtuerungrosboskenpleinecourse;onpeuttirerdix-neufflèchesenuneehngoréenne,laquelleéquivautàquatre-vingtssecondesterrestres;etonconsidèrequ’unarcheradroit,maispasexceptionnel,doit être capable de placer ces dix-neuf flèches dans une cible de la taille d’unhomme, à deux centcinquantemètres,chaqueimpactconstituantuneblessuremortelle.Néanmoins,cettearmeadegravesinconvénientset,engénéral,surGor,onluipréfèrel’arbalète,inférieureenprécision,enportéeetenpuissance de feu, avec son gros câble et ses plaques d’acier. On ne peut utiliser le grand arccorrectementquedeboutoubien,aumoins,àgenoux,cequiexposel’archer;ilestdifficiled’utiliserlegrandarc lorsqu’onesten selle ; iln’estpaspratiquedeprès, comme lorsqu’onsedéfendouque lecombatsedérouleàl’intérieurd’unbâtiment;etilestimpossibledeletenirprêt,chargécommeunearmeàfeu,contrairementàl’arbalète;l’arbalèteestl’armedel’assassinparexcellence[1];enoutre,iln’est pas inutile depréciser que,malgré le tempsnécessaire au chargementde l’arbalète, unhommefaible, disposant par exemple d’un crochet ou d’une manivelle, peut aisément y parvenir ; parconséquent,pourunindividucapabledetendreetbanderlegrandarc,unnombreinfinid’individussontcapables de bander l’arbalète ; enfin, de près, l’arbalète nécessite beaucoupmoins d’adresse que legrandarc.

Jesouris.Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi on considère communément que l’arbalète est plus

efficacequelegrandarc,endépitdufaitqu’elleluiestinférieureenprécision,enportéeetenpuissancedefeu.Bienmanœuvré,legrandarcestunearmebeaucoupplusdévastatricequesarivale,l’arbalète;mais raressontceuxquiont la forcedes’enservircorrectement ; j’étais fierdemonadressedans lemaniementdecettearme.

Jepagayaistranquillement,àgenouxsurlesroseauxdemonétroiteembarcation.C’estunearmedePaysan,merépétais-je;etjesourisànouveau.Tarll’Aîné,monmaîtred’armes,

m’en avait donné cette définition, de nombreuses années plus tôt, àKo-ro-ba,maCité, lesTours duMatin.Jeregardaisl’arclong,lourd,enveloppédansducuir,enboissoupledeKa-la-na,poséaufonddemabarquederoseau.

Jeris.Le grand arc était effectivement une arme de paysan ; ceux-ci le fabriquent et l’utilisent, parfois

avecbeaucoupd’efficacité.Cefaitlui-même,àsavoirquelegrandarcestunearmedepaysan,poussedenombreuxGoréens,surtoutceuxquinesaventpass’enservir,àlemépriser.Lesguerriersgoréens,généralement recrutésdans lesvilles, sontGuerrierspar le sangetpar lacaste ; enoutre, ils sontdeHauteCaste;lesPaysans,isolésdansleurschampsetleursvillages,appartiennentauxBassesCastes,etmêmeàlaplusbassedecelles-ci;enréalité,leshabitantsdesvillesconsidèrentlespaysanscommedesbrutes ignobles, ignares et superstitieuses, vénales et vicieuses, des culs-terreux, des animauxfouisseurs,desbêtesmalintentionnées,desindividusaumieuxrusésetlâches;pourtantjesavaisque,surlesoldeterrebattuedetouslescônesdepaillequiabritentlespaysansetleursfamilles,prèsdutrouréservéaufeu,setrouvaitunePierreduFoyer;lesPaysans,bienquemalconsidérésparlamajoritédesGoréens,senommenteux-mêmesfièrement:LeBœufsurlequelreposelaPierreduFoyer,etjecroisqu’ilsontraison.

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Ilestrare, incidemment,quelespaysansserventdanslesforcesarméesd’unecité;celaexpliqueégalementpourquoi leur arme, le grand arc, estmoins répandudans lesvilles et parmi lesGuerriersqu’ilnelemériterait.

À mon sens, le Goréen est souvent, mais pas toujours, lié par des accidents historiques ou destraditionsculturellesquisontsouvent,parlasuite,rationalisésafindeparaîtreplausibles.Parexemple,j’ai entendu dire que les Paysans utilisent le grand arc du simple fait qu’ils seraient incapables defabriquerdesarbalètes,commes’il leurétait impossibled’échanger leursmarchandisesoudevendreleursanimauxenvuedeseprocurerdesarbalètes,sitelétaitleurdésir.Enoutre,lelourdjavelotoulalanceàpointedebronzeetlacourteépéeàdoubletranchantsonttraditionnellementconsidéréscommelesseulesarmesvéritablementdignesducombattantgoréen,dumoinsdeceluiquiesteffectivementunvéritable combattant ; et, tout aussi traditionnellement, les archers, qui massacrent de loin, sanscombattre leur ennemi au corps à corps, par l’entremise de leurs traits rapides et presque invisibles,simpleséclatsdebois,semble-t-il,sontconsidéréscommeplutôtméprisablesetsetrouventpresqueàlafrontièredumondedescombattants ;dans lesépopéesgoréennes, incidemment, lemauvais, lorsqu’iln’appartientpasàunecasteinférieureetméprisable,estsouventunarcher;j’aientendudesGuerriersaffirmerqu’ilspréféreraientêtreempoisonnésparunefemmeplutôtquetuésparuneflèche.

Quant à moi, peut-être parce que je n’avais pas grandi sur Gor, mais sur Terre, je n’étais pas,heureusement,àmonavis,victimedetelspréjugés;jepouvaisutiliserlegrandarcsans,pourainsidire,faussehonteouremordsdeconscience,sansblessured’amour-propre;jesavaisquelegrandarcétaitunearmemagnifique;parconséquent,jelafismienne.

J’entendislecrid’unoiseau,unecinquantainedemètressurmagauche;onauraitditungautdesmarais,petitoiseauaquatiqueàcorneetpattespalmées,pourvud’unlargebecetdegrandesailes.Lesfillesdesmarais,enfantsdesRenciers,lechassentparfoisàl’aided’unbâtonqu’ellesutilisentcommeunjavelot.

Danscertainescités,PortKarnotamment,legrandarcestpresqueinconnu.Demême,iln’estguèrerépanduàAr,laplusgrandevilledelaGorcivilisée.IlestassezconnuàThentis,danslesMontagnesde Thentis, et à Ko-ro-ba, ma Cité, les Tours duMatin. Les cités divergent sur ce point. Mais, engénéral, l’arc est peu répandu.Les petits arcs droits, naturellementmoins puissants que le grand arcsont,enrevanche,assezcommuns,surGor,etonlesutilisesouventpourchasserlepetitgibier,telquelequalaeàlacrinièrebroussailleuseetauxpattesàtroisdoigts,letabukàunecorneoubienencorelesesclavesfugitifs.

J’entendis un autre oiseau, un autre gaut des marais, à une quarantaine de mètres, mais sur madroite,cettefois-ci.

L’après-midi était bien avancé ; c’était, à mon avis, la quatorzième ahn goréenne. Des nuagesd’insectesdérivaient iciet làparmi les roseaux,mais ilsnem’avaientpasgêné ; labellesaisonétaitpresqueterminéeet les insectessusceptiblesderendrel’existencedésagréablesereproduisaient,etseconcentraient,dansleszonesoùl’ontrouvaitdenombreuxlacsd’eaudouceetimmobile.Pourtant,jevisunegrossemouchezarlit,sansdanger,violette,mesurantenvironsoixantecentimètresdelong,avecsesquatreailes transparentes,d’àpeuprèsunmètred’envergure,quibourdonnaà lasurfacedel’eaupuis s’éleva et, sur ses pattes en formede pagaie, sautilla avec élégance sur l’eau.D’un côté demapagaie,jechassaiunesangsuequis’étaitaccrochéeauflancdemapetitebarquederoseau.

Grâce aux péniches, sur quatre cents pasangs, j’avais descendu le Vosk mais, à l’endroit où lepuissant Vosk se sépare et se divise en centaines de canaux dont les hauts-fonds changentcontinuellementdeplace,seperddanslesimmensesmarécagescôtiersdesondelta,sedirigeantversThassa la Luisante, la mer, j’avais abandonné les péniches et acheté, aux Renciers de la bordureorientaledudelta,desprovisionsetlapetiteembarcationderoseauquejepropulsaisparmilesroseauxetlesjoncs,lesrencessauvages.

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Jeremarquaiqu’unmorceaudecetissublanc,assezgrossier,fabriquéàpartirdelaplanteRep,étaitattachéàlatiged’undecesrences,justesouslatouffed’étaminesetlesétroitspétales.

J’approchaiafind’examinerlemorceaudetissu.Jeregardaiautourdemoietrestaiquelquesinstantssilencieux,immobile.Puisjedépassailaplante,

écartantlesautresrences.J’entendisdenouveaulecridugautdesmarais,maisderrièremoi.Personne n’avait voulume guider dans le delta du Vosk. Lesmariniers du Vosk ne veulent pas

engager leurs larges péniches à fond plat dans le delta. Les canaux duVosk, évidemment, changentd’unesaisonàl’autreet,leplussouvent,ledeltan’estqu’unmaraisdépourvudepiste,littéralementdescentainesdepasangscarrésdeterritoiresauvage.Endenombreuxendroits,iln’yapasassezd’eaupourque lesgrandespénichesà fondplatpuissentyaccéderet, surtout, il faudrait leurouvrirunpassage,mètreaprèsmètre,danslesbouquetsderoseauxetdejoncs,ainsiquedansl’enchevêtrementdeslianesdesmarais.Pourtant, la raisonessentiellequim’avait empêchéde trouverunguide,mêmeparmi lesRenciersdelabordureorientale,étaitqueledeltasetrouvaitthéoriquementsousladominationdePortKar,construiteensonsein,àunecentainedepasangsdelabordurenord-ouest,surlariveduGolfedeTamber,baiepeuprofondeau-delàdelaquelles’étendThassalaLuisante,lamer.

Port Kar, ville surpeuplée, nauséabonde, malsaine, est parfois appelée : le Tarn de la Mer. Engoréen,sonnomestsynonymedecruautéetdepiraterie.Lesflottesdenavires-tarnsdePortKarsontlefléau de Thassa, magnifiques galères à voile latine qui rançonnent le trafic de marchandises etd’esclavesdepuislesMontsTa-Thassa,dansl’hémisphèresuddeGor,jusqu’auxlacsgelésduNord;et,vers l’ouest, au-delà des terrasses de l’île de Cos et de Tyros la rocheuse, avec ses labyrinthes decavernesoùvitlevart.

Jesavaisqu’àPortKarhabitaituncertainSamos,Marchandd’EsclavesetagentdesPrêtres-Rois.J’étais dans le delta du Vosk et je faisais route vers Port Kar, seule cité goréenne à aimer les

étrangers,quoiqueseulslesexilés,lesmeurtriers,leshors-la-loi,lesvoleursetleshommesdemainsesoucientdegagnersonobscuritéetsescanaux.

JemesouvinsdeSamos, affalédans son fauteuildemarbre, à laCuruléenned’Ar, apparemmentindolent, mais indolent comme pourrait l’être un oiseau de proie rassasié. Sur l’épaule gauche,conformément à la tradition de saCité, il portait les cordes nouées dePortKar ; son vêtement étaitsimple,decouleursombreettisséserré;lacapucheavaitétérejetéeenarrière,révélantsagrossetêtelarge, ses cheveux blancs et courts ; son visage était rouge en raison du vent et du soleil, etprofondémentmarquéetridé,craquelécommeducuir;auxoreilles,ilportaitdeuxpetitsanneauxd’or;j’avaisperçuenluilepouvoir,l’expérience,l’intelligenceetlacruauté;j’avaissentienluilaprésencedu carnivore, provisoirement peu enclin à chasser et à tuer. Je n’avais guère envie de le rencontrer.Pourtant,desgensenquij’avaisconfiancedisaientqu’ilavaitbienservilesPrêtres-Rois.

Jen’étaispasparticulièrementsurprisd’avoirtrouvéunmorceaudetissudelaplanteRepattachéàunrence,carledeltaesthabité.L’hommenel’apascomplètementabandonnéauxtharlarions,auxulsetauxsangsues.Ilya,icietlà,presqueinvisibles,descommunautésfurtivesdeRenciersquitirentleursubsistancedudelta, théoriquement sous la suzerainetédePortKar.Lemorceaude tissuque j’avaisdécouvertétaitprobablementunsignedepistedestinéauxRenciers.

Ontiredurenceunesortedepapier.Laplanteelle-mêmepossèdeunelongueracined’unedizainedecentimètresd’épaisseurquicroît,horizontalement,souslasurfacedel’eau;depetitesracines,quiprennent naissance sur cette racine principale, plongent jusqu’au fond et plusieurs « tiges », jusqu’àdouze,s’élèventau-dessusd’elle,parfoisjusqu’àquatreoucinqmètres;ellescomportentunseulépiprotubérant.

Cetteplantesertdematièrepremièreàlafabricationdepapierderence,maiselleaégalementdenombreuxautresusages.Laracine,lourdeetfibreuse,sertàlafabricationd’outilsetd’ustensilesqu’il

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est possible de tailler dedans ; enoutre, séchée, elle constitueunbon combustible ; avec la tige, lesRenciers fabriquent des bateaux de rence, des voiles, des nattes, des cordes et une sorte de tissurugueux;enoutre,lasèveestcomestibleetconstitue,aveclepoisson,l’essentieldurégimealimentairedesRenciers;onpeutmangerlasèvecrueoucuite;deshommes,perdusdanslesmaraisetignorantque la sève est comestible, sontmorts de faim aumilieu d’une réserve pratiquement inépuisable denourriture.Detempsentemps,onutiliseégalementlasèvepourcalfaterlesembarcations,maisl’usagedelafilasseetdelarésine,recouvertesdegoudron,estplusrépandu.

Pourfaire lepapierderence,oncoupe la tigeenmincesbandes ; lesbandesprochesde lapartiecentrale de la plante sont particulièrement appréciées ; une couche de bandes est placéelongitudinalement,puisunecouchedebandespluscourtesestensuiteposéeperpendiculairementà lapremière;onfaitensuitetrempercesdeuxsurfacesdansl’eau,cequilibèredesfibresunesortedecollequi les fixe les unes aux autres ; on obtient ainsi une feuille rectangulaire ; ces feuilles sont ensuitebattuesetséchéesausoleil;puisonlespolit,généralementavecuncoquillageouunmorceaudecornedekailiauk;parfois,onutilisemêmelecôtéd’unedentdetharlarion.Ensuite,lesfeuillessontattachéeslesunesauxautres,cequiformedesrouleaux;ilyagénéralementvingtfeuillesparrouleau.Leplusbeaupapiersetrouveordinairementsurl’extérieurdurouleau,nonpourtromperleclientsurlaqualitédurouleaumaisparcequelepapierleplusdurabledoitsetrouversurl’extérieur,carc’estluiquisubiraleplusmauvaistraitementetseraplusexposéàl’usure.Ilyadiversgrainsdepapierderence,huitentout.LesRenciersvendent leurproductionauxborduresoccidentaleetorientaledudelta.Parfois, lesmarchandsde rence, sur d’étroites embarcations propulsées par des esclaves, entrent dans lesmaraispourynégocierdes transactions,partantgénéralementde labordureoccidentale,procheduGolfedeTamber.Incidemment,onn’écritpas,surGor,uniquementsurdupapierderence.Lepapierdelin,dontArproduitdegrandesquantités,est trèsutilisé ;enoutre, levélinet leparchemin, fabriquésdansdenombreusescités,sontégalementfréquents.

Jeremarquaialors,attachéàunetigederence,unautremorceaudetissublanc,plusgrandquelepremier.Jesupposaiqu’ils’agissaitd’unautresignedepiste.Jepoursuivismonchemin.Lescrisdesgautsdesmarais,unesortedesifflementchevrotant,semblaientplusfréquentsetunpeuplusproches.Jeregardaiderrièremoietsurlescôtés.Pourtant,cequin’avaitriend’étonnantenraisondesroseaux,desjoncsetdesrences,jenevispaslesoiseaux.

Il y avait alors seize jours que jeme trouvais dans le delta, dérivant et pagayant en direction deThassa.Jegoûtaiunenouvellefoisl’eauetsongoûtdeselmeparutplusfortencore.Enoutre,l’odeurpuissanteetpropredeThassaétaitnettementperceptible.

Heureux,jecontinuaid’avancer.Ilnerestaitplusbeaucoupd’eaudansmagourde,etilnemerestaitplusquecelle-là.Leboskséchédemaboîtemétalliqueet lepain,dupain jaunedeSa-Tarna, rassis,étaientpresqueterminés.

Jem’arrêtaicourtcar,attachéeàunrence,devantmoi,setrouvaitunebandedetissurouge.Jecomprisalorsquelesdeuxmorceauxdetissuquej’avaisrencontrésprécédemmentn’étaientpas

dessignesdepiste,maisdessignesindiquantunefrontière,desavertissements.J’avaispénétrédansunerégiondudeltaoùjen’étaispasbienvenu,dansunterritoireappartenantàunepetitecommunauté,deRenciers,àn’enpasdouter.

Les Renciers, malgré la valeur de leur production, la valeur des objets qu’ils se procurent enéchange,malgré la protectiondesmarais, les rences et le poissonqui leur fournissent amplement dequoisenourrir,n’ontpas lavie facile.Nonseulement ilscraignent le requindesmaraiset l’anguillecarnivore, qui fréquentent le delta inférieur, sans parler des diverses espèces de tharlarions d’eau,particulièrementagressifs,etdumonstrueuxuldeproie,aucristrident,maisilsdoiventégalementseméfier,par-dessustout,deshommeset,surtout,deshommesdePortKar.

Comme je l’ai dit, Port Kar prétend à la suzeraineté du delta. Par conséquent, il arrive que des

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bandesd’individusarmés,auservicedel’undesUbarsrivauxdePortKar,pénètrentdansledeltaenvue,commeilsdisent,defairelacollectedesimpôts.Letributexigé,lorsqu’ilsdécouvrentunepetitecommunauté,estgénéralementexagéréetcomportesouventtouslesobjetsdevaleurqu’ilestpossibledes’approprier;engénéral,onexigedegrossesquantitésdepapierderence,envuedelevendre,desjeunes hommes, en vue de les faire ramer sur les galères de commerce, et des jeunes femmes quideviendrontEsclavesdePlaisirdanslestavernesdePortKar.

J’examinailabanderougeattachéeàlatigederence.Letissuétaitcouleurdesang;j’avaispeudedoutesurcequ’ilsignifiait.Ilnefallaitpasquej’ailleplusloin.

Jepoussaimapetiteembarcationparmilesroseaux,dépassailesigne.IlmefallaitgagnerPortKar.Lescrisdesgautsdesmaraismesuivirent.

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LECRIDESGAUTSDESMARAIS

JEvis la jeunefemme,devantmoi,parunespaceentre lesroseaux,unecinquantainedemètresplusloin.

Presqueaumêmemoment,ellelevalatête,stupéfaite.Ellesetenaitsurunepetiteembarcationderence,pasplusgrandequemabarquederoseau,environ

deuxmètrescinquantedelongsursoixantecentimètresdelarge;lestiges,commedanslecasdemonembarcation,étaientattachéesavecdeslianesdesmarais;commelamienne,sabarqueavaitlaproueetlapoupelégèrementcourbes.

Elle avait à lamain le bâton courbe qui sert à chasser le gaut desmarais. Il ne s’agit pas d’unboomerang, ustensile qui ne serait paspratiqueparmi les joncs et les roseauxmais, naturellement, ilflottede sortequ’il estpossiblede le récupéreretde l’utiliser aussi longtempsqu’onveut.Certainesjeunesfemmessontextrêmementadroitesaveccettearmelégère.Elleassommel’oiseauquiestensuitesortidel’eauetattaché,vivant,dansl’embarcation.Plustard,surlesîlesderence,l’oiseauest tuéetcuit.

Jepropulsaimonembarcationendirectiondelasienne,maislentement.Puis,lalaissantdériver,jeposaimapagaiedeboisdeTementravers,laissantlesmainsdessus,etlaregardai.

Lescrisdesgautsdesmaraisnousentouraient. Jeconstataique lachasseavaitétébonne.Quatreoiseauxétaientattachésàl’arrièredesabarque.

Ellemedévisagea,maisneparutpasparticulièrementeffrayée.Elleavaitleregardclair;sescheveuxétaientblondfoncéetsesyeuxbleus;sesjambesétaientun

peucourtesetseschevillesunpeuépaisses;sesépaulesétaientpeut-êtreunpeutroplarges,maisjolies.Elle portait une courte robe, sans manches, de tissu de rence jaunâtre ; ses épaules étaient biendégagées,cequiaugmentaitsalibertédemouvement;sacourterobeétaitretenueenhautdescuissesparuneceintureafindenepas lagênerpendantsachasse.Sescheveuxétaientattachéssur lanuqueavecunebandedetissuviolet,dutissudeRepteint.Jecomprisqu’elleappartenaitàunecommunautéquiétaitencontact,dansunecertainemesure,directementouindirectement,avecdesGoréenscivilisés.Lerepestunematièreblanchâtre,fibreuse,provenantdesgrainescontenuesdanslesgoussesd’unpetitarbuste rougeâtre cultivé industriellement dans plusieurs régions, surtout sous Ar et au-dessus del’équateur;lerep,tissubonmarché,esttisséenusinedansdiversescités;ilestpossibledeleteindreet,commeilestbonmarchéetsolide,ilesttrèsrépandu,surtoutdanslesclassesinférieures.Lajeunefemmeétaitmanifestementlafilled’unrencier,partieàlachasseaugaut.Jesupposaiquel’îlederence,sur laquellede telles communautéshabitaient, se trouvait àproximité. Je supposai égalementque les

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signauxd’avertissementavaientétémisenplaceparsacommunauté.Elle se tenait bien droite dans la légère embarcation de rence qui oscillait légèrement, bougeant

presqueimperceptiblement,inconsciemmentlecorps,afindeconserverl’équilibre.Personnellement,ilm’étaitdifficilederesterdeboutdansunebarquederoseau.

Ellenelevapassonbâton,ellenetentapasdefuir,ellesecontentademeregarder,immobile.Ellen’avaitpasdepagaiemais,plantéedanslavase,prèsd’elle,sedressaitunelonguegaffeaveclaquelleellepropulsaitsonembarcation.

«Necrainsrien,»luidis-je.Elleneréponditpas.«Jeneteferaipasdemal,»repris-je.— « N’as-tu pas vu les signaux d’avertissement ? » s’enquit-elle, « les marques blanches et la

marquesanglante?»—«Jeneteveuxpasdemal,»repris-je,«etpasdavantageàtonpeuple.»Jesouris.«Ilneme

faut,devosmarais,quela largeurdemabarque,»expliquai-je,«etseulement le tempsnécessaireàmonpassage.»C’était laparaphrased’undicton trèsrépandusurGor,que lesvoyageursrécitaientàceux dont ils traversaient le territoire : Il ne me faut que l’envergure des ailes de mon tarn, quel’épaisseurdemontharlarion,que la largeurdemesépaules,etseulementpour le tempsnécessaireàmonpassage.

Engoréen,incidemment,lemêmemotsignifieàlafoisennemietétranger.—«Es-tudePortKar?»demanda-t-elle.—«Non,»répondis-je.—«QuelleesttaCitéd’origine?»s’enquit-elle.Iln’yavaitpasdesignedistinctifsurmesvêtements,nisurmoncasque,nisurmonbouclier.Le

RougedesGuerriers,quejeportais,étaitdécoloréparlesoleilettachéparleseldesmarais.«Tuesunhors-la-loi!»déclara-t-elle.Jenerépondispas.«Oùvas-tu?»demanda-t-elleànouveau.—«ÀPortKar,»répondis-je.—«Emparez-vousdelui!»cria-t-elle.Aussitôt, des cris s’élevèrent de tous côtés et, écartant les roseaux et les joncs, des dizaines de

barquesderenceattachéavecdeslianesdesmarais,apparurent,chacuned’entreellesétantpropulséepar un homme tandis qu’un autre se tenait à la proue, armé d’un javelot desmarais à deux ou troispointes.

Il n’aurait servi à rien de dégainer mon épée ou de me saisir d’une arme. Séparés de moi parquelquesmètresd’eau,mesennemisnerisquaientrienetpouvaientmetuersanslamoindredifficulté,projetantsurmoileursjavelotsàdeuxoutroispointes.

Lajeunefemmeposalesmainssurleshanches,rejetalatêteenarrièreetritdeplaisir.Onmepritmesarmes.Onmeretiramesvêtements.Onmejetaàplatventreaufonddemabarque.

Onmecroisalespoignetsdansledosetonlesattachaaussitôtavecunelianedesmarais;puisonmecroisaleschevillesetonlesattachaaussi,solidement,avecunelianedesmarais.

Lajeunefemmesautalégèrementsurmonembarcationets’immobilisa,unpieddechaquecôtédemon corps. On lui tendit la gaffe avec laquelle elle propulsait sa propre embarcation, laquelle futattachéeàunedecellesquiétaientsortiesdesroseauxetdesjoncs.Àl’aidedelagaffe,elleentrepritdepoussermabarquedanslesjoncs,lesautresembarcationsnousaccompagnant,ànoscôtésouderrièrenous.

Puis,àunmomentdonné,lajeunefemmearrêtalabarque,etlesautresfirentdemême.Elle,ainsiquedeuxautreshommes,rejetèrentlatêteenarrièreetpoussèrentunesortedesifflementchevrotant,le

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cridugautdesmarais.Toutautourdenous,descrissemblablesleurrépondirent,certainsn’étantqu’àquelquesmètresdenous.Bientôt,d’autresbarquesderence,auxextrémitéscourbes,nousrejoignirent.

LesRenciers,jeleconstatai,communiquaientaumoyendecessignaux,lesquelsressemblaientaucridesgautsdesmarais.

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3

HO-HAK

Les îles de rence, sur lesquelles les communautés de Renciers habitent, sont plutôt petites et fontrarementplusdesoixantemètressursoixante-quinzemètres.Ellessontentièrementconstituéesdetigesderencetresséesetflottentdanslesmarais.Généralement,ellesfontenvirontroismètresd’épaisseur,dont un mètre se trouve au-dessus de la surface de l’eau ; comme les tiges de rence se brisent etpourrissent,sousl’île,ontressed’autrescouches,forméesdenattesépaisses,quel’onposeàlasurface.Ainsi, sur une période de plusieurs mois, une couche donnée de rence, après avoir été la couchesupérieure,seraprogressivementsubmergée,descendantdeplusenplusbas,jusqu’aumomentoùelledeviendralacoucheinférieureet,commelescouchesprécédentes,semettraàpourriretàsedésagréger.Afind’empêcher l’îlededériver, ilyaengénéralplusieursattachesde lianesdesmarais, fixéesauxgrossesracinesderencedesenvirons.Ilestdangereuxd’entrerdansl’eaupourfixerlesattachesàcausedesprédateursquifréquentent lesmarais,mais leshommesaccomplissentcette tâcheengroupe, l’und’euxfixantl’attachetandisquelesautres,commeluisouslasurface,leprotègentaveclejavelotdesmaraisoubienfrappentsurdesmorceauxdemétaloudesbarresdeboisafindechasserou,aumoinsdedéconcerter et de dérouter, les visiteurs trop curieux et indésirables tels que le gros tharlarion desmarais,monstrequifaitparfoisneufmètresdelong,oulegrandrequindesmarais,àneufnageoires,sansoublier,bienentendu,lespetitstharlarionsd’eau,toutendentsetenqueue,quisejettentsurtoutcequibouge.

Lorsqu’onveutdéplacerl’île,onsecontentedecouperlesattachesetlacommunautésediviseendeuxgroupes : ceuxquimanœuvrent les longuesgaffeset ceuxqui,dansdepetitesembarcationsderence,dégagentlechemin.Presquetousceuxquimanœuvrentlesgaffesserassemblentauborddel’îlemais ilya, sur l’îleelle-même,quatreprofondspuits rectangulairesdans lesquelsonpeutégalementplongerdelonguesgaffesetquiconstituentdespointsd’appuisupplémentaires.Cespuitscentraux,quisontenfaitdestrousdansl’îleelle-même,luipermettentdesedéplacer,bienquelentementlorsqu’ilssontutilisésseuls,sansqueleshabitantss’exposentsurlesbords,oùilsconstitueraientuneciblefacilepour les projectiles de leurs ennemis. En cas de danger, les habitants se rassemblent derrière unepalissadederencetresséquientourelazoneoùsetrouventlespuits;danscecas,onabatlespetiteshuttes de rence pour empêcher l’ennemi de se cacher derrière, puis on entrepose la nourriture et lesréservesd’eau,quiproviennent engénéralde labordureorientaledudelta,où ilyade l’eaudouce,derrièrelapalissade;cetenclosrondconstituealors,aucentredel’île,uneplaceforteplusoumoinsdéfendable,surtoutcontre les javelotsdesautrescommunautésdeRenciers.Enrevanche, iln’estpastrèsefficacecontre l’attaquedeGuerriersbienorganisésetbienarmés, telsqueceuxdePortKar, et

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ceuxcontrequiilpourraitserévélereffectivementutile,lesautrescommunautésdeRenciers,passentrarement à l’attaque. J’avais entendu dire que les communautés deRenciers ne s’étaient pas battuesentreellesdepuisplusdecinquanteans;lescommunautésdeRenciersviventengénéralàl’écartlesunesdesautresetontassezàfaireavecles«collecteursd’impôt»dePortKarpouréprouverlebesoind’ennuyerleursvoisines.Incidemment, lorsquel’îleestenétatdesiège,desplongeurssortentparlespuitsettententdedégagerlecheminquel’îleemprunteradanssafuite;cesplongeurs,naturellement,sontsouventvictimesdesprédateursaquatiquesoubiendes javelotsdesennemispostésà lasurface.Parfois,l’îleestcomplètementabandonnée,lapopulationymettantlefeuets’enfuyantdanslesmarais,surdesbarquesderence.Ensuite,lorsqueleshabitantsconsidèrentqu’ilssonthorsdedanger,onréunitplusieurs embarcations, formant ainsi une plate-forme sur laquelle on tisse des tiges de rence, quiconstituerontledébutd’unenouvelleîle.

«Ainsi,»ditHo-Hakenmedévisageant,«tuvasàPortKar?»Ilétaitassissurlacoquillegéanted’unsorpduVosk,commesuruntrôneque,pourcesgens,elle

devaitêtre.J’étaisàgenouxdevant lui,nuetattaché.Deuxcordesdelianedesmarais,enplusdemesautres

liens,m’avaientétépasséesaucouetdeuxhommes,deboutàmescôtés,entenaientlesextrémités.Onnem’avaitdéliéleschevillesquepourmeconduire,parmileshurlementsdesfemmes,deshommesetdesenfants,devantletrônedeHo-Hak.Puisonm’avaitfaitagenouilleretonm’avaitànouveauliéleschevilles.

—«Oui,»répondis-je.«J’avaisl’intentiondemerendreàPortKar.»—«Nousn’aimonsguèrelesgensquiserendentàPortKar,»déclaraHo-Hak.Ho-Hakportaitaucouunlourdcollierdeferduquelpendaitunmorceaudechaîne.J’endéduisis

quelesRenciersnedisposaientpasdesoutilsaveclesquelsilauraitétépossibledeleretirer.Ho-Hakdevait leporterdepuisdenombreusesannées. Il s’agissaitmanifestementd’unesclave,probablementéchappédesgalèresdePortKar,quis’étaitenfuidanslesmaraisetavaitétérecueilliparlesRenciers.Aufildesannées,ilavaitacquisunepositiond’autorité.

—«JenesuispasdePortKar,»dis-je.—«QuelleesttaCitéd’origine?»demanda-t-il.Jenerépondispas.«Pourquoiterends-tuàPortKar?»s’enquitHo-Hak.Je ne répondis pas davantage. Il m’était impossible de dévoiler mon identité, à savoir que je

m’appelaisTarlCabot, etmamission, à savoir que j’étais au service desPrêtres-Rois. Je venais desSardaretjesavaisseulementqu’ilmefallaitgagnerPortKaretentrerencontactavecSamos,PremierMarchand d’Esclaves de Port Kar, Fléau de Thassa, et qui jouissait, disait-on, de la confiance desPrêtres-Rois.

«Tuesunhors-la-loi!»affirmaHo-Hak,commel’avaitfaitlajeunefemme,unpeuplustôt.Jehaussailesépaules.Ilétaitvraiquemonbouclieretmesvêtements,quel’onm’avaitretirés,neportaientaucuninsigne.Ho-HakregardamatuniquedeGuerrier,moncasqueetmonbouclier,monépéedanssonfourreau

et l’arc en bois de Ka-la-na souple, enveloppé dans du cuir, avec le rouleau de flèches longues etcourtes.Cesobjetsétaientposésentrenous.

L’oreille droite de Ho-Hak bougea. Ses oreilles étaient étranges, très grandes, avec des lobesextrêmementlongsquedespendentifslourdsetcompactstiraientencoreverslebas.Ilavaitétéesclave,manifestementet,manifestement,àenjugerparlecollier,lesgrossesmainsetlelargedos,avaitramésur les galères, mais c’était un esclave exceptionnel, un exotique d’élevage, que les Marchandsd’Esclavesnedestinaientcertainementpasaubancdesgalères.

LesMarchandsd’Esclavesproduisentdiverstypesd’«exotiques»,qu’ilfautdistinguerdesvariétés

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plus répandues d’Esclaves de Passion et d’Esclaves deCombat.On élève des exotiques pour toutessortesderaisonsetquelques-unesd’entreelles,malheureusement,selimitentàlacréationdespécimensbizarresetrares.Ho-Hakpouvaittrèsbienêtrel’und’eux.

—«Tuesunexotique,»luidis-je.Ho-Haktenditlesoreillesdansmadirection,maisilneparutpasvexé.Ilavaitlescheveuxbrunset

lesyeuxmarron;seslongscheveuxétaientattachéssurlanuqueavecunmorceaudetissuderence.Ilportaitunetuniquedetissuderence,dépourvuedemanches,commepresquetouslesRenciers.

—«Oui,»réponditHo-Hak.«J’appartenaisàuncollectionneur.»—«Jevois,»fis-je.—«Je luiai tordu lecouet jemesuisenfui,»expliquaHo-Hak.«Plus tard, j’aiétécapturéet

envoyéauxgalères.»—«Ettut’esànouveauéchappé,»dis-je.—«Pource faire,»précisaHo-Hak, lesyeux fixéssur sesgrossesmains, lourdesetpuissantes,

«j’aituésixhommes.»—«Ensuite,»poursuivis-je,«tuesvenudanslesmarais.»—«Oui,»répondit-il.«Ensuite,jesuisvenudanslesmarais.»Ilmeregarda,lesoreilleslégèrementtenduesversmoi.«Etj’aiapportédanslesmarais,»reprit-il,«lesouvenirdedouzeansdegalèresetlahainedetout

cequitoucheàPortKar.»PlusieursRenciers étaient rassemblés autourdenous, leshommesavec leurs javelotsdesmarais.

Toutprèsdemoi,setenaitlajeunefemmeblondequiavaitconstituél’élémentessentieldemacapture,jouant le rôle de l’appât, du leurre par lequel j’avais été attiré. Elle se tenait fièrement près demoi,droite, les épaules dégagées, le menton haut, comme le fait une femme libre près d’un esclavemisérable,nuet agenouillé. Je sentais sacuissecontrema joue.Lesquatreoiseauxqu’elleavaitprisdanslesmaraisétaientsuspendusàsonépaule;onleuravaittordulecouetilsétaientattachéslesunsauxautres,deuxdevantetdeuxderrière. Ilyavaitégalementd’autres femmeset, iciet là,parmi lesadultes,onvoyaitdesenfants.

—«OubienilestdePortKar,»affirma-t-elle,«oubienilavaitl’intentiond’êtredePortKarcariln’avaitmanifestementpasd’autreraisond’alleràPortKar.»

Ho-Hakrestaunlongmomentsilencieux.Ilavaitunegrossetêteetunvisagemassif,impassible.J’entendislecristridentd’untarskdomestiquequicouraitnonloindelà,sespattesglissantsurle

rencetressédel’îlecommesurunenatte.Unenfantlepoursuivaitencriant.Des gauts des marais domestiques pépiaient. Ils vivaient en liberté sur l’île, la quittant pour se

nourrir,puisyrevenantplustard.Ilestimpossiblededomestiquerlegautsauvage,mêmelorsqu’onlecapturetoutpetit;enrevanche,ilarrivequel’onrapportesurl’îledesœufsprisdanslesnidsflottantsdesgauts;curieusement,oninterditauxpetitsdevoirungautadultependantunesemaine,desortequel’île de rence devient leur foyer et qu’ils ne craignent pas les êtres humains ; ils vont et viennentlibrementdanslesmarais,volentetsenourrissent,maisilsreviennentinvariablement,etfréquemment,surl’îlederence,leurfoyer;toutefois,lorsquel’îlederence,pouruneraisonouuneautre,estdétruite,ilsretournentàl’étatsauvage;onpeutajouterque,domestiqués,illeurarrivesouventderevenirquandonlessiffleetqu’ilestpossibledelesprendredanslesmains.

Plusieurs individus manifestement importants se tenaient autour de nous et j’appris, finalement,qu’il s’agissait des chefs des îles de rence du voisinage.Une île de rence abrite généralement entrecinquante et soixante personnes. Les hommes de plusieurs îles avaient participé à ma capture. Engénéral, comme je l’ai peut-être déjà mentionné, ces communautés sont isolées, mais l’équinoxed’automne était proche et Se’Kara allait bientôt commencer. Pour les Renciers, le premier jour deSe’Kara, jour de l’équinoxe d’automne, est jour de fête. À cette époque, la récolte des rences est

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terminéeetdesstocksimportantsdepapierderence,lesrouleauxempiléslesunssurlesautrescommeduboisdechauffageetrecouvertsdenattesderence,sontprêts.

EntreSe’Karaet lesolsticed’hiver,quimarquelepremierjourdeSe’Var, lerenceseravenduouéchangé,leshabitantsletransportantàlaborduredudeltaoubienétantcontactéspardesmarchandsderencequipénètrentdanslesmarais,surdelonguesetétroitespénichespropulséespardesesclaves,afind’obtenirdemeilleursprix.

LepremierjourdeSe’Varestégalementunefêtequ’ilestutiledementionner,maislimitéeàchaqueîleindividuellement.Unefoislaproductiondel’annéevendue,lesîlesn’ontaucuneraisonderesterlesunes auprèsdes autres ; elles évitentmêmede se rassembler car elles constitueraient alorsune cibletentantepourles«collecteursd’impôt»dePortKar.Enréalité,jemerendiscomptequ’illeurétaittrèsdangereuxderesterlesunesauprèsdesautres,mêmeenSe’Kara.Lesstocksdepapierderencequisetrouventalorssurlesîlessont,eneux-mêmes,untrésor,quoique,manifestement,untrésorencombrant.

Maisj’avaisl’impressionquelasituationétaitexceptionnelle,carilyavaitbiencinqousixchefsd’île,autourdeHo-Hak.Ilestrarequ’untelnombred’îlesserassemble,mêmeàl’occasiondelafêtedeSe’Kara.Engénéral,ellesnesontquedeuxoutrois.Àcetteoccasion,onboitdelabièrederence,àbasedegrainesécraséesetdesèvederencequel’onfaitmacérer,bouillirpuisfermenter;onchante;onorganisedesjeux;onfaitdesconcoursetonsecourtisecar les jeunesgensdesîlesontrarementl’occasion de rencontrer ceux des autres communautés. Pourquoi les îles de rence étaient-elles aussinombreuses,danscetterégion,bienqueledébutdeSe’Karafûtproche?Lacaptured’unvoyageurdudeltane justifiaitcertainementpasun tel rassemblementet les îlesdevaientdéjàêtreensembleavantmonarrivée.

—«C’estunespion!»déclaraunhommequisetenaitprèsdeHo-Hak.Cethommeétaitgrandet,apparemment,puissant. Ilavaitun javelotdesmarais.Sur le front, ilportaitunbandeaudeperlesdesorpduVosk.

Jemedemandaicequ’ilyavaitàespionnersurlesîlesderence.Ho-Hakneréponditpas.AssissurlacoquilledesorpduVosk,ilregardaitlesarmes,lesmiennes,

poséesdevantlui.Jetiraisurleslianesdesmaraisquim’immobilisaient.—«Nebougepas,Esclave!»ordonnalajeunefemme,quisetenaitprèsdemoi.Aussitôt,lesdeuxbouclesdelianedesmaraisquim’entouraientlecousetendirent,avecvigueur,

tirantdansdeuxdirectionsopposées.Lajeunefemmemepritparlescheveuxetmebasculalatêteenarrière.«IlestdePortKar,»déclara-t-elleenmetirantlescheveux.«Oubienilavaitl’intentiond’êtrede

PortKar!»ElleregardaHo-Hakavecfureur,commesiellevoulaitqu’ilprennelaparole.Ho-Hakneréponditpasetneparutpasfaireattentionàlajeunefemme.Furieuse,ellemelâchalescheveux,repoussantbrutalementmatête.Ho-Hakparaissaitfascinéparl’arcenboisdeKa-la-nasouple,enveloppédanslecuir.Les femmes desRenciers, lorsqu’elles sont dans leursmarais, ne se voilent pas, contrairement à

l’immensemajoritédesGoréennes,surtoutdanslesvilles.Enoutre,ellessontparfaitementcapablesderécolter le rence,de lepréparer,dechasserpoursenourriret,dans l’ensemble,desurvivreseules, sielleslesouhaitent.RaressontlesactivitésdescommunautésdeRenciersqu’ellesnesontpasenmesurede réaliser aussi bien que les hommes. Leur intelligence et leur adressemanuelle sont extrêmementutilesauxcommunautés.Parconséquent,ellesn’hésitentguèreàparleretàs’exprimer.

Ho-Haktenditlamainetsortitl’arcdeboisdeKa-la-najauneetsoupledesonenveloppedecuir.Lerouleaudesflèches,courtesetlongues,sedéfitsurlacouchetresséequiconstituaitlasurfacedel’îlederence.

Quelqueshommesretinrentleursouffle.J’endéduisisqu’ilsavaientvudesarcsdroits,maisjamais

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degrandarc.Ho-Hakseleva.Certainshommesétaientpluspetitsquel’arclui-même.Ildonnal’arcàlajeunefemmeblonde,auxyeuxbleus,quiavaitétél’instrumentdemacapture.«Tends-le!»dit-il.Furieuse,ellesedébarrassadesgautsdesmaraisets’emparadel’arc.Elle prit l’arc dans lamain gauche et coinça l’extrémité inférieure contre l’intérieur de son pied

gauche, puis saisit la corde renforcéede soiedans lamaindroite.Elle tentade toutes ses forcesd’yparvenir.

Finalement,furieuse,ellerenditl’arcàHo-Hak.Ho-Hakmeregarda,sesgrandesoreilless’inclinantlégèrementversmoi.«C’estunarcdePaysan,n’est-cepas?»demanda-t-il.«Onl’appellelegrandarc,oul’arclong.»—«Exact,»répondis-je.—«Ilyabienlongtemps,»reprit-il,«dansunvillage,surlespremièrespentesdesMontagnesde

Thentis,j’aientenduunechansonquiparlaitdecetarc.»Jenerépondispas.Ildonnal’arcàsonvoisin,l’hommequiportaitaufrontunbandeaudeperlesdesorpduVosk.«Tends-le!»dit-il.L’individuconfiasonjavelotdesmaraisàsoncompagnonpuissetournaversl’arc.Il lepritavec

assurance.Puissonassurancedisparut.Sonvisagedevintrouge,puislesveinessaillirentsursonfrontetilpoussauncriderageavantderendrel’arcàHo-Hak.

Ho-Hakl’examinapuiscoinçal’extrémitécontrel’intérieurdesonpiedgauche,saisissantl’arcdanslamaingaucheetlacordedanslamaindroite.

Lesspectateurslaissèrentéchapperuncridestupeurlorsqu’iltenditl’arc.Jel’admirais.Ilétaitfort,trèsfort,carilavaittendul’arcsansà-coups;mêmesisaforceprovenait

desgalères,c’étaittoutdemêmedelaforce,etuneforcesplendide.—«Bravo!»dis-je.PuisHo-Hakprit,parmilesflèches,lebrassarddecuirqu’ilfixaàsonavant-brasgauche,afinque

la corde ne déchire pas la chair, puis le doigtier, lui aussi de cuir, dans lequel il glissa l’index et lemajeurdelamaindroite,afinquelacordenepénètrepasjusqu’àl’osdanslesdoigts.Ensuiteilprit,parmi les flèches éparpillées sur le cuir, une flèche longue et, sousmes yeux admiratifs, banda l’arcjusqu’àlapointeduprojectile.

Illeval’arc,pointantlaflècheversleciel,suivantunangled’environcinquantedegrés.Puislacordeclaqua,dansunsifflementbref,etlaflèchepartit.Lesspectateursmanifestèrentbruyammentleuradmirationetleurstupéfaction,carilsn’auraientpas

cruunetellechosepossible.Laflècheparutdisparaître,commesielles’étaitenfoncéedanslesnuages,etelletombatellement

loinquepersonnenelavit.Lesilencesefit.Ho-Hakdétenditl’arc.—«C’estaveccetarme,»dit-il,«quelesPaysansdéfendentleurpropriété.»Il regardasuccessivement tous lesvisages.Puis ilposa l’arc,prèsdes flèches, sur l’enveloppede

cuirétenduesurlacouchederencetresséquiconstituaitlasurfacedel’île.Ho-Hakmeregarda.«Sais-tuteservirdecetarc?»s’enquit-il.—«Oui,»répondis-je.—«Surveillez-lebien!»ordonnaHo-Hak.Lespointesdedeuxjavelotsdesmaraisseposèrentcontremondos.

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—«Ilnerisquepasdes’échapper!»affirmalajeunefemmeenglissantlesdoigtssouslesdeuxlianesquim’enserraientlecou.Jesentissesphalangessurlecôtédemoncou.Elletirasurlescordes.Ellem’irritait.Elleagissaitcommesiellem’avaitcapturéseule.

—«Es-tuPaysan?»s’enquitHo-Hak.—«Non,»répondis-je.«JesuisGuerrier.»—«Pourtant,»ditundeshommesquitenaientmescordes,«c’estunarcdepaysan.»—«JenesuispasPaysan,»affirmai-je.Ho-Haksetournaversl’hommequiportaitunbandeaudeperlesdesorpduVosk.—«Avecuntelarc,»luidit-il,«nouspourrionsvivrelibres,danslesmarais,sanscraindreceuxde

PortKar.»—«C’estunearmedepaysan,»réponditl’hommeaubandeau,luiquin’avaitpasétécapablede

tendrel’arc.—«Etalors?»demandaHo-Hak.—«Jesuis,»déclaral’homme,«Rencier.JenesuispasPaysan.»—«Moinonplus!»s’écrialajeunefemme.Lesautresmanifestèrentleurapprobation.—«Enoutre,»intervintunautrehomme,«nousn’avonspaslemétalnécessaireàlafabrication

despointesdeflèche,ni leboispourfairelesflèches,et iln’yapasdeKa-la-na,danslesmarais.Etnousn’avonspasdecordeassezrésistantepourbanderuntelarc.»

—«Etnousn’avonspasdecuir,»ajoutaunautre.—«Nouspourrionstuerdestharlarions,»fitremarquerHo-Hak,«et,ainsi,nousprocurerducuir.

Etnouspourrionspeut-êtrefaçonnerlesdentsdurequindesmaraisdesortequ’ellespuissentservirdepointesdeflèche.»

—«Nousn’avonsniKa-la-na,nicorde,niboisdeflèches,»insistaunautre.—«Nouspourrionsnous enprocurer, » affirmaHo-Hak. « Il y a des paysans, auxbordures du

delta,surtoutàl’est.»L’hommeaubandeau,quin’avaitpasputendrel’arc,rit.—«Toi,Ho-Hak,»dit-il,«tun’espasnéparmilesrences.»—«Non,»réponditHo-Hak.«C’estvrai.»— « Mais nous, nous ne sommes pas dans le même cas, » reprit l’homme. « Nous sommes

Renciers.»Ilyeutunmurmured’approbation,desgrognementsetquelquesmouvementsdivers.«NousnesommespasPaysans,»repritl’hommeaubandeau.«NoussommesRenciers.»Les spectateursmanifestèrent vigoureusement leur assentiment, il y eut desmurmures et des cris

d’approbation.Ho-HakrepritplacesursagrossecoquilledesorpduVosk,coquillequiluiservaitdetrônedansson

domaine,uneîlederencedansledeltaduVosk.—«Qu’allez-vousfairedemoi?»demandai-je.—«Torturons-lependantlafête,»suggéral’individuaubandeaudeperlesdesorpduVosk.LesoreillesdeHo-Haksecollèrentauxcôtésdesatête.Ilregardafroidementl’individu.—«NousnesommespasdePortKar!»affirma-t-il.L’hommeaubandeauhaussalesépaulesetregardaautourdelui.Ilconstataquesapropositionne

soulevaitguèred’enthousiasme.Cela,naturellement,luidéplut.Ilhaussaànouveaulesépaulesetfixalasurfacetresséedel’île.

—«Alors,»m’enquis-je,«quelseramonsort?»— «Nous ne t’avons pas demandé de venir, » déclaraHo-Hak. «Nous ne t’avons pas invité à

franchirlamarquesanglante.»

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—«Rendez-moimesaffaires,»proposai-je.«Jem’eniraietnevousennuieraiplus.»Ho-Haksourit.La jeune femme qui se tenait près de moi rit, tout comme l’homme au bandeau, qui avait été

incapabledetendrel’arc.D’autresrirentégalement.— « En général, » déclara Ho-Hak, « nous donnons le choix à ceux de Port Kar que nous

capturons.»—«Quelestcechoix?»m’enquis-je.—«Naturellement,nousallonst’attacherettejeterauxtharlarionsdesmarais,»ditHo-Hak.Jepâlis.«Lechoix,»repritHo-Hak,«estsimple.»Ilmedévisagea.«Oubiennoustejetonsvivantaux

tharlarionsdesmarais,oubien,situlesouhaites,noustetuonsavant.»Je tentaidésespérémentdedétendre les lianesdesmarais, envain.LesRenciers, impassibles,me

regardèrent. Je luttai contre les lianes pendant environ une ehn. Puis je renonçai. Les lianes étaientserrées.Jesavaisqu’ellesavaientétésolidementattachées.J’étaisentre leursmains.La jeunefemmequisetenaitprèsdemoirit,toutcommel’hommeaubandeauetplusieursautres.

«Onneretrouvejamaislecorps,»affirmaHo-Hak.Jeleregardai.«Jamais,»souligna-t-il.Jeluttaiànouveaucontremesliensmais,unenouvellefois,envain.—«Pourquoibénéficierait-ild’unemortaussidouce?»demandalajeunefemme.«IlestdePort

Kar,oubienilallaitapparteniràcettecité.»— « C’est exact, » renchérit l’individu au bandeau, qui avait été incapable de tendre l’arc.

«Torturons-leàl’occasiondelafête.»—«Non!»s’écrialajeunefemme.Ellemeregardaavecrage.«Gardons-le,plutôt,etfaisonsde

luiunesclavemisérable.»Ho-Haklaregarda.«N’est-cepaslàunevengeanceplusdouce?»siffla-t-elle.«Que,dépourvudetoutdroit,ilserve

debêtedesommeauxRenciers?»—«Jetons-leplutôtauxtharlarions,»insistal’hommeaubandeau,«ainsi,nousseronsdébarrassés

delui.»—«Jesuisconvaincue,»affirmalajeunefemmeblonde,«qu’ilvautmieuxl’humilier,etPortKar,

par lamêmeoccasion.Qu’il travailleetsoitbattu le jour,qu’ilsoitattaché lanuit.Sinous lefaisonstravaillercontinuellement,sinouslebattonsetl’enchaînons,ilcomprendraàquelpointnoushaïssonsPortKaretseshabitants.»

—«Pourquoi, » demandai-je à la jeune femmeblonde, « hais-tu tellement les habitants dePortKar?»

—«Tais-toi,Esclave!»cria-t-elle.Puis,ayantpassélesdoigtsentrelescordesetmoncou,ellefitpivoter sa main. Je ne pouvais plus ni avaler ma salive ni respirer. Les visages qui m’entouraientdevinrentnoirs.Jem’efforçaidenepasperdreconscience.

Puiselleretirasamain.Jereprispéniblementmonsouffle.Jevomissurlanatte.Ilyeutdescrisdedégoûtetdemépris.Les

pointesdesjavelotsdesmarais,dansmondos,sefirentplusinsistantes.—«Àmonavis,»persistal’hommeaubandeau,«ilfautlejeterauxtharlarionsd’eau.»—«Non»,fis-je,désespéré,«non!»Ho-Hakmedévisagea.Ilparaissaitsurpris.J’étaiségalementstupéfait.J’eusl’impressionden’avoirpasprononcécesparoles.Jememisàsuer.J’avaispeur.

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Ho-Hakmeregardaaveccuriosité.Sesgrandesoreillessetendirentversmoid’unairinquisiteur.Jenevoulaispasmourir.Jesecouailatête,cherchantàvoirclairement,cherchantmonsouffle,puisleregardaidanslesyeux.—«TuappartiensàlaCastedesGuerriers,»soulignaHo-Hak.—«Oui,»dis-je.«Oui,jesais.»Je me rendis compte que je désirais désespérément le respect de cet homme calme et puissant,

autrefoisesclave,assisenfacedemoisurletrône,cettecoquilledesorpgéantduVosk.—«Lesdentsdutharlarion,»dit-il,«sontacérées,Guerrier.»—«Jesais,»répondis-je.—«Situlesouhaites,»reprit-il,«noustetueronsavant.»—«Jeneveuxpasmourir,»dis-je.Je baissai la tête, brûlant de honte. J’eus, à ce moment, l’impression que je venais de me

déconsidéreràmespropresyeux,detrahirmesCodes,dedéshonorermaCité,Ko-ro-ba,desouillerlalamequejeportais.IlmefutimpossiblederegarderHo-Hakdanslesyeux.Àsesyeuxetauxmiens,jen’étaisplusqu’unesclave.

—«Tumedéçois,»constataHo-Hak.«JecroyaisquetuétaisGuerrier.»Ilmefutimpossiblederépondre.«Jecomprendsmaintenant,»repritHo-Hak,«quetueseffectivementdePortKar.»J’avaistellementhontequ’ilmefutimpossibledeleverlatête.J’eusl’impressionquejenepourrais

plusjamaisporterlatêtehaute.«Supplies-tud’êtreréduitenesclavage?»demandaHo-Hak.Laquestionétaitcruelle,maisjuste.JedévisageaiHo-Hak,leslarmesauxyeux.Sonlargevisagen’exprimaitquelemépris.Jebaissailatête.—«Oui,»répondis-je,«jesupplied’êtreréduitenesclavage.»Lesspectateursrirentavecbruitet,parmicesexplosionsdejoie, j’entendisleriredel’hommeau

bandeaudeperlesdesorpduVoskainsique,pluscruelencore,celuidela jeunefemmequisetenaitprèsdemoi,lacuissecontremajoue.

—«Esclave!»déclaraHo-Hak.—«Oui,»dis-je,«…Maître.»Cemot futamer.Mais l’esclavegoréenditMaîtreauxhommes

libresetMaîtresseauxfemmeslibresbienqu’iln’ait,engénéral,qu’unseulpropriétaire.Ilyeutunnouveléclatderire.—«Maintenant,»repritHo-Hak,«nousallonspeut-êtretejetertoutdemêmeauxtharlarions.»Jebaissailatête.Ilyeutunenouvelletempêtederires.Il me sembla, à ce moment-là, que je ne me souciais guère d’être livré aux tharlarions. J’eus

l’impressiond’avoirperduunbienplusprécieuxquelavie.Commentpourrais-jejamaismeregarderenface,oubienregarderlesautresenface?J’avaispréférél’humiliationdelaservitudeàlalibertéd’unemorthonorable.

J’avaisenviedevomir.J’avaishonte.Ilspouvaienteffectivementmejeterauxtharlarions.Selonlacoutumegoréenne, l’esclaveestunanimaletonpeutdisposerde luicommed’unanimal,suivant lescapricesdumaître, lorsqu’il le désire.Mais j’avais enviedevomir, j’avais honte et, en réalité, je nem’ensouciaispas.J’avaispréférél’humiliationdelaservitudeàlalibertéd’unemorthonorable.

«Quiveutunesclave?»demandaHo-Hak.—«Donne-le-moi,Ho-Hak!»lançaunevoix.C’étaitlavoixclaireetfortedelajeunefemmequi

setenaitprèsdemoi.Ilyeutun immenseéclatderireet lericanementméprisantde l’hommeaubandeaudeperlesde

sorpduVoskfutplusfortquelesautres.

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Bizarrement,jemesentaisminusculeprèsdelajeunefemme,j’avaisl’impressionden’êtrequ’unsimpleobjet.Commeellesetenaitdroite,commesoncorpsdressé,splendide,exprimaitlavigueuretlaliberté!Etcommel’animal,l’esclave,attaché,nu,àsespieds,étaitmisérableetpitoyable!

—«Ilestàtoi,»déclaraHo-Hak.Jebrûlaisdehonte.—«Apportezde lapâtederence!»cria la jeunefemme.«Déliez-lui leschevilles!Retirez les

cordesqu’ilaaucou!»Unefemmequittalesrangsdesspectateursavecdelapâtederenceetdeuxhommesdétachèrentles

lianesquim’emprisonnaientleschevillesetlecou.Mespoignetsrestèrentattachésderrièremondos.Lafemmeapprocha,portantdelapâtederencesursesmainsjointes.Grilléesurdespierresplates,

cettepâtedonneunesortedegâteau,quel’onsaupoudreengénéraldegrainesderence.«Ouvrelabouche,Esclave!»ordonnalajeunefemme.J’obéiset,pourlaplusgrandejoiedesspectateurs,ellememitdelapâtedanslabouche.«Mange,»dit-elle.«Avale!»Péniblement,prêtàvomir,j’obéis.«TaMaîtresset’afaitmanger,»déclara-t-elle.—«MaMaîtressem’afaitmanger,»dis-je.—«Commentt’appelles-tu,Esclave?»demanda-t-elle.—«Tarl,»répondis-je.Ellemefrappasauvagementsurlabouche,etmatêtefutprojetéesurlecôté.—«Lesesclavesn’ontpasdenom,»déclara-t-elle.—«Jen’aipasdenom,»dis-je.Ellepassaderrièremoi.—«Tesépaulessontlarges,»remarqua-t-elle.«Tuesfort,maisstupide.»Ellerit.«Jetebaptise:

Bosk,»déclara-t-elle.Lebosk est ungros ruminant placide, à cornes, des plaines deGor.LesPeuples desChariots en

possèdentd’immensestroupeaux,sousl’équateurgoréen,maisonenélèveégalementdanslesfermesduNordetlespaysansenpossèdentsouventquelques-uns.

—«Jem’appelleBosk,»dis-je.Lesriresretentirentànouveau.—«MonBosk,»conclut-elleenriant.—«J’auraiscru,»intervintl’hommeaubandeaudeperles,«quetuauraispréféréavoirunhomme

pouresclave,unhommefieretquinecraintpaslamort.»La jeune femmeplongea lesmainsdansmes cheveuxet basculama tête en arrière.Puis elleme

crachaauvisage.—«Lâcheetesclave!»siffla-t-elle.Jebaissailatête.Elleavaitraison.J’avaiseupeurdelamort.J’avaischoisilaservitude.Jen’étais

pasvéritablementunhomme.Jem’étaisdéconsidéré.—«Tuneméritesqued’êtrel’esclaved’unefemme,»déclaraHo-Hak.—«Sais-tucequejevaisfairedetoi?»demandalajeunefemme.—«Non,»répondis-je.Ellerit.—«Dansdeuxjours,»dit-elle,«pendantlafête,jevaisorganiserunconcoursréservéauxjeunes

femmes,ettuenserasleprix.»Celadéclenchaunetornadederireetdeshurlementsdejoie.Jebaissailatêteetlesépaulespuis,attaché,frémisdehonte.Lajeunefemmetournalestalons.

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«Suis-moi,Esclave!»dit-elleimpérieusement.Jeme levaipéniblementet, sous lesquolibetsdesRenciers, suivisen trébuchant la jeune femme,

ellequimepossédait,maMaîtresse.

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4

LAHUTTE

AGENOUILLÉà l’avantdelabarquedela jeunefemme,tandisque,deboutà l’arrière,ellepropulsaitson embarcation à la gaffe, je coupais des rences.La saison de la récolte était terminée,mais on encoupedepetitesquantités,pendant l’hiveret l’automne,que l’onconserve, surdes radeauxde rencecouverts,jusqu’auprintemps.Cesprovisionsderenceneserventpasàlafabricationdupapiermaisautressagedenattes,quel’onajouteàcellesquiconstituentlasurfacedesîles,etfournissentdelasève,dontlesRencierssenourrissent.

«Coupeàcetendroit!»ordonnalajeunefemmeendirigeantlabarqueversunbouquetderences.Onsaisitlatigedelaplantedelamaingaucheet,avecunpetitcouteauàlamecourbe,oncoupeen

diagonale,dehautenbas.Noustirionsunpetitradeauderencequiétaitdéjàbienchargé.Nouscoupionsdesplantesdepuislematin.Onétaitenfind’après-midi.Jecoupaiunenouvellefois,fistomberlatêteduveteuseetfleuriedansl’eau,puisjetailatigesurle

radeau,aveclesautres.Je percevais lesmouvements de la barque lorsque la jeune femme changeait de position pour la

maintenirenéquilibreetenplace.Jecoupaid’autrestiges.Ellen’avaitpasjugénécessairededonnerdesvêtementsàsonesclave.Autourdemoncou,elleavaitenrouléetattachéunmorceaudelianedesmarais.Jesavaisqu’ellesetenait,piedsnus,derrièremoi,vêtuedesacourtetunique,brun-jaune,detissude

rence, sansmanches, cequi lui donnait unemeilleure liberté demouvement.Elle portait unbraceletd’or.SescheveuxétaientattachéssurlanuqueavecunebandedetissudeReprouge.Elleavait,commelefontlesjeunesfemmesdanslesbarquesderence,attachésajupeenhautdescuisses,cequifacilitaitses mouvements et le maniement de la gaffe. J’étais terriblement conscient de sa présence. Seschevilles,plutôtépaisses,mesemblaientfortesetjolies,etsesjambesmeparaissaientsolidesetfines.Seshanchesétaientdouces,sonventresemblaitfaitpourlacaressed’unhomme,etsesseins,pleinsetmagnifiques, inaccessibles, tendaient le rude tissude rencede sa tuniqueavecunedouceur insolentecommesi,têtus,ilsvoulaientaffirmerqu’ilsnevoulaientpasrestercachés.

«Esclave!»cria-t-elle,«tuosesposerlesyeuxsurtaMaîtresse?»Jemedétournai.J’avaisfaim.Aumatin,avantl’aube,ellem’avaitmisdanslaboucheunepoignéedepâtederence.

Àmidi,dans lesmarais, sous le soleilbrûlantduzénith, elle avaitprisuneautrepoignéedepâtede

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rence dans le sac qu’elle portait à la ceinture, puisme l’avaitmise dans la bouche,me refusant unenouvelle fois la dignité deme nourrir moi-même. Bien que l’après-midi fût presque terminé et quej’eussefaim,jenevoulaispasluidemanderqu’ellemefasseencoremangerlapâtecontenuedanssonsac.

Je coupai une nouvelle tige de rence, retirai la tête duveteuse et fleurie, puis jetai la tige sur leradeau.

«Là-bas,»dit-elle,poussantlabarqueversunautreendroit.Elle n’avait guère pris la peine de me cacher sa beauté. En réalité, elle en profitait pour me

tourmenteretm’humilier,s’enservait,commed’unearme,pouraugmentermondésespoir.Aumatin,avantl’aube,ellem’avaitmislecollier.J’avaispassélanuitdehors,àquelquesdizainesdecentimètresdesapetitehutte,surl’îlederence,

lespoignetsattachésauxchevilles,lecouliéàunegaffeprofondémentenfoncéedanslerencedel’île.Avantl’aube,ellem’avaitéveilléd’uncoupdepied.«Debout,Esclave!»avait-elledit.Puis,aussinaturellementqu’ondétacheunanimal,sûred’elle,ellem’avaitlibéré.«Suis-moi,Esclave!»avait-elleordonné.Auborddel’îlederence,àl’endroitoùsabarque,commed’autresainsiqueplusieursradeaux,était

tiréesurlarive,elles’étaitarrêtéeettournéeversmoi.Ellem’avaitregardédanslesyeux.«Àgenoux!»avait-elleordonnédenouveau.J’avaisobéiet,ayantsortiunepoignéedepâtederencedesonsac,ellem’avaitfaitmanger.«Debout!»avait-elledit.J’avaisobéi.«Danslescités,»avait-ellerepris,«lesesclavesportentuncollier,n’est-cepas?»—«Oui,»avais-jerépondu.Puiselleavaitprisunmorceaudelianedesmaraissurleradeauderence.Ensuite,meregardantdanslesyeux,souriante,toutprèsdemoi,elleavaitpassélesbrasautourde

moncouet,avecinsolence,yavaitenrouléplusieursfoislaliane,l’attachantdevant.—«Maintenant,»avait-elledéclaré,«tuasuncollierd’esclave.»—«Oui,»avais-jerépondu,«j’aiuncollier.»—«Répète,»avait-ellepoursuivi,lesbrastoujoursautourdemoncou:«Jesuistonesclaveetje

portetoncollier.»J’avaisserrélespoings.Ellesetenaitàquelquescentimètresdemoi, lesbrasautourdemoncou,

m’affrontantduregard.—«Jesuistonesclaveetjeportetoncollier,»avais-jeprononcé.—«Maîtresse,»avait-elleinsisté.—«Maîtresse,»avais-jerépété.Elleavaitsouri.—«Jevois,»avait-ellerepris,provocante,«quetumetrouvesjolie.»C’étaitvrai.Puis,soudain,ellemefrappasauvagement.Jenepusreteniruncridedouleur.«Nemetouchejamais,Esclave!»avait-ellecrié.«Jesuisunefemmelibre.»Puiselleavaitlancé

d’unevoixsifflante:«Embrasse-moilespieds,Esclave!»Désespéré,àgenoux,j’avaisobéi.Elleavaitri.«Maintenant,mets la barque de rence à l’eau ! » avait-elle ordonné. « Et attache à l’arrière un

radeau pour le rence coupé, Esclave. Il faut que nous coupions le rence, aujourd’hui, et presse-toi,Esclave,presse-toi!»

Jecoupaiuneautretigederence,puis,aprèsenavoirséparélatêteduveteuse,lajetaisurleradeau

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derence.Puisuneautreetuneautreencore.Le soleil, bienque l’après-midi fûtpresque terminé, était encorechaud ; il y avaitde l’humidité,

dansledeltaduVosk,mesmainsmefaisaientmaletétaientcouvertesd’ampoules.«Situnem’obéispasentout,etimmédiatement,»avaitdéclarélajeunefemme,«jedemanderai

aux hommes de t’attacher et de te jeter aux tharlarions. Et on ne s’enfuit pas, dans lesmarais. Leshommes,armésdejavelotsdesmarais,teretrouveraient.Tuesmonesclave.»

«Là-bas,»indiqua-t-elle.«Coupe!»Elledirigeal’embarcationversunnouveaubouquetderenceetj’obéis.Elle avait raison, lorsqu’elle avait dit cela. Nu et sans armes, seul dans le delta, sans aide, sans

nourriture, il m’était impossible de fuir. Les hommes des îles de rence, par centaines, lancés à mapoursuite,netarderaientpasàmeretrouver,silestharlarionsnesechargeaientpasdemoiavant.

Mais, surtout, le désespoir habitait mon cœur. J’avais une image de moi-même, une imageorgueilleuse,etlapertedecetteimagemedésespérait.J’avaisvécusurunmensongepuis,àmesyeuxetàceuxdesautres,avaisétédécouvert.J’avaispréférél’humiliationdelaservitudeàlalibertéd’unemorthonorable.J’avaiscompriscequej’étais,enréalitéet,dansmoncœurindigne,celamedégoûtaittellement qu’il nem’importait plus guèredevivre oudemourir. J’acceptaismêmeavec indifférencemonexistencefutured’esclaveabject,exploitésuruneîlederence,souffre-douleurdesjeunesfillesetdes enfants, en but à la cruauté et aux quolibets des hommes. Je méritais manifestement un teltraitement.Commentaurais-jepuànouveauregarderleshommeslibresenfacequand,dansmoncœur,jenepouvaisplusmeregardermoi-même?

Ilfaisaittrèschaudetlalianedesmarais,autourdemoncou,brûlait.Lapeauétaitrouge,dessous,moiteàcausedelasueuretdelapoussière.Jeglissaiundoigtsouslecollierafindel’écarterunpeu.

«Netouchepaslecollier!»intervint-elle.Jeretiraimamain.«Coupeici!»ordonna-t-elleet,ànouveau,jecoupailerencepourmaMaîtresse.«Ilfaittrèschaud,»fit-elleremarquer.Jemeretournai.Elleavaitdesserrélaceinturequiretenaitsatuniqueetlarattachait,serrantmoins.Paruneétroite

fente,entrelesbordsdelatunique,jedécouvrissaperfection.Ellerit.«Coupe,Esclave!»Jemeremisautravail.«Tuesjoli,avectoncollier,»fit-elleremarquer.Je ne me retournai pas. C’était le genre de remarque qu’on adressait aux femmes réduites en

esclavage,auxpauvresfillesordinairescontraintesàlaservitude.Lecouteautranchaunetige,puisjecoupailatêteduveteuseetfleurieavantdejeterlatige,aveclesautres,surleradeau.

«Situretirestoncollier,»prévint-elle,«tuserasdétruit.»Jenerépondispas.«As-tuentendu?»demanda-t-elle.—«Oui,»répondis-je.—«Maîtresse,»insista-t-elle.—«Oui,»dis-je.«J’aientendu,Maîtresse.»—«Bien,»fit-elle,«JoliPetitEsclave.»Lecouteau tranchauneautre tige,puis jecoupai la têteduveteuseet fleurieavantde jeter la tige

dansleradeau.«JoliPetitEsclave,»répéta-t-elle.Jetremblaisdefureur.

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—«S’ilteplaît,»dis-je,«nemeparlepas.»—«Jeteparleraisij’enaienvie!»répliqua-t-elle,«JoliPetitEsclave.»Lafureurfitfrémirlecouteauquejetenaisàlamain.L’humiliationmefaisaittrembler,ainsiquela

dégradationquesesparolesm’imposaient.J’envisageaidebondiretdemesaisird’elle.«Coupelerence,JoliPetitEsclave!»Jemeretournai,tremblantderage,dehonte,etmeremisàtrancherlestiges.J’entendissonrire.Tigeaprèstigeetpileaprèspile,letempss’écoulaaurythmedemontravail.Lesoleilétaitbasetlesinsectesvolaientparmilesjoncs.L’eauluisaitdanslecrépuscule,formant

depetitscerclesétincelantsautourdestigesderence.Nousrestâmeslongtempssilencieux.«Puis-jeparler?»demandai-je.—«Oui,»m’accorda-t-elle.—«Commentsefait-il,»m’enquis-je,«qued’aussinombreusesîlesderencesoientactuellement

rassemblées?»Cettequestionmetracassait.—«LafêtedeSe’Karaestproche,»répondit-elle.Enfait,jesavaisquelafêtedesîlesderencecommenceraitlelendemain.—«Maispourquoiyena-t-ilautant?»insistai-je.«C’estcertainementexceptionnel.»—«Tuesbiencurieux,Esclave,»releva-t-elle.«Lacuriositénesiedpastoujoursauxesclaves.»Jenerépondispas.«Ho-Hak,»reprit-elle,«ademandéauxîlesduvoisinagedeseréunirenConseil.»—«Combienyena-t-il?»m’enquis-je.—«Cinq,»répondit-elle,«danscetterégion.Naturellement,ilyenad’autres,dansledelta.»—«QuelestlebutdeceConseil?»demandai-je.Ellenecraindraitpasdemeparler.Jen’étaisqu’unesclaveprisonnierdesmarais.—«Ilal’intentionderéaliserl’unitédesRenciers,»répondit-elleavecunsoupçondescepticisme

amusé.—«Pourpromouvoirleséchanges?»demandai-je.—«Dansunsens,»répondit-elle.«Ilseraitpeut-êtrebondefabriquerlemêmepapier,derécolter

encommunetmême,encasdenécessité,departagerlesrécolteset,naturellement,nousobtiendrionspeut-êtredemeilleursprixquelorsquenoustraitonsisolémentaveclesmarchandsderence.»

— « Les habitants de Port Kar, » fis-je remarquer, « n’apprécieront certainement pas cetteinitiative.»

Ellerit.—«Probablementpas,»admit-elle.—«Peut-être,»suggérai-je,«l’unitédesîlesleurpermettra-t-ellederésisterplusefficacementaux

fonctionnairesdePortKar.»—«Lesfonctionnaires?»fit-elle.«Ah,oui,lescollecteursd’impôt,aunomdesdiversUbarsqui

jouissentounejouissentpasd’unpouvoir,auseindelaCité.»—«Etcelanepermettrait-ilpasderésisterégalement,»ajoutai-je,«auxMarchandsd’Esclavesde

PortKar?»—«Peut-être, » fit-elle.Savoix était amère. «Ladifférence entre les collecteursd’impôt et les

Marchandsd’Esclavesn’estpastoujourstrèsclaire.»— « Dans certains cas, » suggérai-je, « les îles de rence auraient certainement intérêt à agir

conjointement.»—«Nous,Renciers,»déclara-t-elle,«sommesdesgens indépendants.Nousavonschacunnotre

île.»

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—«Tunecroispas,»relevai-je,«queleprojetdeHo-Hakaboutira.»—«Effectivement,»acquiesça-t-elle.«Jenelecroispas.»Elleavaitalorstournél’avantdelabarqueversl’îlederence,quisetrouvaitàunoudeuxpasangs

de là et, tandis que je coupais encore des tiges de-ci, de-là, elle propulsa l’embarcation dans cettedirection.

—«Puis-jeparler?»demandai-je.—«Oui,»répondit-elle.—«Tuportes aubrasdroit, »dis-je,«unbraceletd’or.Comment se fait-il que tuportesun tel

braceletalorsquetuhabitesuneîlederence?»—«Tunedoisplusparler!»ordonna-t-ellesuruntonirrité.Jemetus.«Entre!»dit-elleenmontrantlepetittrourondquipermettaitdepénétrerdanssahuttederence.Jefussurpris.Jecroyaisqu’elleallaitm’attacher,commelanuitprécédente,puismelieràunegaffe

enfoncéedanslerencedel’île,derrièrelahutte.Nousavionsramenélabarquederence,ainsiqueleradeau,jusqu’àlarivedel’île,surlaquellenous

les avions hissés. Ensuite, faisant de nombreux voyages, j’avais transporté le rence dans un endroitcouvert,oùonl’entreposait.

«Entre!»répéta-t-elle.Jememisàquatrepatteset,baissantlatête,meglissaidanslepetit trou,dontlesbordsderence

tressémegriffèrentlesépaules.Ellemesuivitàl’intérieur.Lahuttefaisaitdeuxmètrescinquantedelongsurunmètrecinquantede

large.Le toitn’étaitpasdistinctdesmursetsacourbenese trouvaitpasàplusd’unmètrevingtau-dessusdelasurfacedel’îlederence.Engénéral,onn’utilise lahuttederencequepourdormir.Ellefrotta l’un contre l’autre, au-dessusd’unbol de cuivre, unmorceaud’acier et un silex, les étincellestombantsurdespétalesderenceséchés.Unepetiteflammeapparutetelleyglissaunmorceaudetigederence,commeuneallumette.Lemorceaudetiges’enflammaetelleallumauneminusculelampeàhuiledetharlarion,poséedansunautreboldecuivre,peuprofond.Ellepoussalalampedansuncoin.

Sesraresobjetspersonnelssetrouvaientdanslahutte.Ilyavaitunballotdevêtementsetunepetiteboîted’objetsdivers. Ilyavaitdeuxbâtonsdechasse,contre lemur,prèsde l’endroitoùsanattederence tresséétait roulée. Ilyavaitunautrebol,deuxoutrois tasseset troisgourdes.Unpilonetunelouche, façonnésdansuneracinederence,se trouvaientdans lebol.Lecouteauà rence,avec lequelj’avaiscoupé les tiges,était restédans labarque. Ilyavaitégalement,dansuncoin,des rouleauxdelianesdesmarais.

«Demain,ceserajourdefête,»dit-elle.Elle me regarda. Dans la lumière de la minuscule lampe, je voyais le profil de son visage, ses

cheveuxetlecôtégauchedesoncorps.EllepassalesmainsderrièrelatêteetdéfitlamincebandedetissudeReppourpre.Nousétionsagenouillésfaceàface,àquelquescentimètresl’undel’autre.«Situmetouches,tumourras!»prévint-elle.Puisellerit.Elle dénoua le morceau de tissu puis secoua sa chevelure. Les cheveux se répandirent sur ses

épaules.« Jevais temettre en jeu,pendant la fête, »déclara-t-elle. «Tu serasunprixdestiné aux jeunes

femmes…JoliPetitEsclave.»Jeserrailespoings.«Tourne-toi!»fit-ellesèchement.J’obéisetelleritencore.«Croiselespoignets!»ordonna-t-elle.

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Jefiscequ’elledemandaitetellem’attachalespoignets,solidement,avecunmorceaudelianedesmarais.

«Voilà,JoliPetitEsclave,»dit-elle.Puiselleajouta:«Retourne-toi!»Jemetournaiverselle.«Ehbien,»fit-elle,«tuesvraimentuntrès,trèsjolipetitesclave.Lafillequitegagnera,pendant

lafête,aurabiendelachance.»Jenerépondispas.«Lepetitesclavea-t-ilfaim?»demanda-t-elleavecsollicitude.Jerefusaiderépondre.Elleritetsortitdesonsacdeuxpoignéesdepâtederencequ’ellemefourradanslabouche.Puis

ellegrignotaunegalettederence,lesyeuxfixéssurmoi,puisunpeudepoissonséchéqu’ellesortitdesonsac.Ensuite,ellepritunegrandegorgéed’eauaugoulotd’unegourdejauneetcourbepuis,l’ayantportéebrutalementàmabouche,mefitboire,avantdelaretirerpuisdemelaprésenterànouveau,enriant,afinquejepuisseétanchermasoif.Lorsquej’eusterminé,ellerebouchalagourdeetlaremitdansuncoin.

«Ilesttempsdedormir,»déclara-t-elle.«Ilfautquelejolipetitesclavedormecar,demain,ilseratrèsoccupé.Ilaurabeaucoupàfaire.»

D’ungeste,ellem’indiquaquejedevaismecouchersurleflancgauche,faceàelle.Ensuite,avecunautremorceaudelianedesmarais,ellem’attachaleschevilles.Elledéroulasanatte.Ellemeregardaetrit.Puis, devantmoi, elle détacha sa tunique et l’ouvrit. Sa beauté, qui était vraiment réelle, n’était

pratiquementpluscachée.Ellemeregardaànouveaupuis,avecstupéfaction,jelavis,avecdesgestescoulés,insolents,passer

latuniquepar-dessussatête.Elles’assitsurlanatteetmedévisagea.Elles’étaitdéshabilléedevantmoiaussinaturellementquesij’avaisétéunanimal.«Jevois,»dit-elle,«qu’ilfauttepunir.»Involontairement,instinctivement,jetentaidem’écartermais,dufaitquej’étaisattaché,celamefut

impossible.Ellemefrappasauvagement,quatrefois.Intérieurement,jehurlaidedouleur.Puis,s’étantassisesurlanatte,m’ayantoublié,elleentrepritderéparerunpetitsacderencetressé

quiétaitsuspendudansuncoin.Elleutilisaitdemincesbandesderencequ’ellecassaitetcoupaitaveclesdentsavantdelestresser.Elletravaillaitavecsoinetsérieux.

J’avaisétéunGuerrierdeKo-ro-ba.Puis, sur une île de rence du delta duVosk, j’avais appris que j’étais, au fond, ignoble et lâche,

indigneetpeureux,quejen’étaisqu’uncouard.J’avaisétéunGuerrierdeKo-ro-ba.J’étaisdevenul’esclaved’unefemme.«Puis-jeparler?»demandai-je.—«Oui,»répondit-ellesansleverlatête.—«LaMaîtresse,»dis-je,«nem’apasfaitl’honneurdemediresonnom.M’est-ildoncinterdit

deconnaîtrelenomdemaMaîtresse?»—«Telima,»fit-elleenterminantlatâchequ’elleavaitcommencée.Ellesuspenditànouveaule

sac dans un coin puis rangea les bandes de rence non utilisées au pied de sa natte. Ensuite, s’étantagenouilléesurlanatte,ellesepenchasurlapetitelampeposéeparterre,danssonboldecuivre.Avant

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desoufflerlaflamme,elledit:«Jem’appelleTelima.TaMaîtresses’appelleTelima.»Puisellesoufflalaflamme.Nousrestâmeslongtempsétendusdanslenoir.Puis j’entendis qu’elle roulait dansma direction. Je sentis qu’elle était allongée près demoi et,

appuyéesurlescoudes,meregardait.Sescheveuxm’effleurèrent.Puis,samainseposasurmonventre.«Dors-tu,JoliPetitEsclave?»demanda-t-elle.—«Non,»répondis-je.Puisjecriai,involontairement.—«Jeneferaipasdemalàmonjolipetitesclave,»dit-elle.—«Jet’enprie,»suppliai-je,«nemeparlepas.»—«Tais-toi!»ordonna-t-elle,«JoliPetitEsclave.»Puisellemetouchaànouveau.«Ah,ah,»fit-elle,«ilmesemblequel’esclavetrouvesaMaîtressejolie.»—«Oui,»répondis-je.—«Ah,ah,»ironisa-t-elle,«ilmesemblequel’esclaven’apasencorecomprislaleçon.»—«Jet’enprie,»suppliai-je,«nemefrappepasencore.»—«Peut-être,»fît-elle,«faut-ilpunirànouveaul’esclave.»—«Jet’enprie,»répétai-je,«nemefrappepasencore.»—«Metrouves-turéellementjolie?»s’enquit-elle.Elleavaitglisséundoigtsousmoncollierde

lianedesmaraisetmecaressaitmachinalementlecou.—«Oui,»soufflai-je,«oui.»—«Ignorerais-tu,»reprit-elleavecfroideuretinsolence,«quejesuisunefemmelibre?»Jenerépondispas.«Oserais-tuprétendreàtaMaîtresse,Esclave?»s’enquit-elle.—«Non,»répondis-je.«Non.»—«Pourquoi?»demanda-t-elle.—«Jesuisunesclave,»dis-je,«rienqu’unesclave.»—«C’estvrai,»reconnut-elle,«tun’esqu’unesclave.»Puis,soudain,m’ayantprislatêteentrelesmains,ellem’embrassasauvagementsurleslèvres.Jetentaidemedégager,maisjen’yparvinspas.Puiselle levala têteet,danslenoir, jeperçussesgestesetseslèvres,àquelquescentimètresdes

miennes.Desvaguesantagonistesdedésespoiretdedésirdéferlèrentsurmoi.Ellem’avaitpasséuneliane

desmaraisaucou,puisellel’avaitattachée,cecolliersymbolisantmaservitude.Elleavaitmislesbrasautourdemoncou,àl’aube,surlarivedel’îlederence.Ellem’avaitbattu.Jeluiavaisobéi, j’avaiscoupélerencepourelle,ellem’avaitnourricommeunanimal.Elles’étaitserviedesabeautépourmetorturer, me tourmenter, me tenter, avec une cruauté d’autant plus subtile que son attitude avait étéindifférenteetnaturelle.Jemerendiscomptequ’ellemefaisaitpeuretquej’avaisdésespérémentenvied’elle, bien qu’elle me fût infiniment supérieure. J’avais peur qu’elle me blesse, bien sûr, mais lesblessuresquejecraignaisleplusétaientcellesdesoninsolenceetdesonmépris,lesquellesétaientplushumiliantes que les liens et les coups. Et j’avais envie d’elle, car elle était belle et vigoureuse,séduisante,ravissante.J’étaisattaché.Jeneportais,endehorsdemesliens,qu’uncollierdelianedesmarais.Elleavaitsavivacité,salibertéetunbraceletd’or.

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Mais je craignais surtout, aussi incroyable que cela puisse paraître, qu’elleme refuse lamoindregentillesse, même un mot ou un geste, si je commettais l’erreur de la demander. Seul et réduit enesclavage, je me rendis compte que j’avais désespérément besoin d’un signe, même presqueimperceptible,susceptibledememontrerquej’étaisunhomme,unêtrehumain,ungestequipourraitindiquerquej’étais,dansunecertainemesure,dignederespectetdecompassion.Jecroisquesicettefemme orgueilleuse, devant qui je n’étais plus rien,maMaîtresse, avait pris la peine deme dire unsimplemotgentil,j’auraispleurédejoieetl’aurais,parlasuite,serviedemonpleingré.

Mais jecraignais, enquémandanthumblement sagentillesse,qu’elleme refuse,danscedomainecommeellel’avaitfaitdanslesautres,toutedignitéhumaine.Et,mêléàtoutceci,enrendantladouleurinsupportable,étaittapimondésir,l’appeldemonsangqu’elleavait,délibérément,embrasé.

Jesentis,dansl’obscurité,queseslèvresétaientàquelquescentimètresdesmiennes.Ellen’avaitpasdaignébouger.Horrifié,jesentismeslèvresselever,timidement,craintivement,verscellesdemabelleMaîtresse

puis,dansl’obscurité,lestoucher.«Esclave,»dit-elleavecmépris.Jelaissaitomberlatêtesurlerencetresséquiformaitleplancherdelahutte.—«Oui,»soupirai-je,«jesuisunesclave.»—«L’esclavedequi?»s’enquit-elle.—«CeluideTelima,»répondis-je.«Jesuistonesclave.»Ellerit.—«Demain,»déclara-t-elle,«tuserasl’enjeud’unconcoursréservéauxjeunesfemmes.»Jenerépondispas.«Dis:«Jesuiscontent.».Allez!»ordonna-t-elle.—«Jet’enprie,»suppliai-je.—«Dis-le,»insista-t-elle.—«Jesuiscontent,»soufflai-je.—«Maintenant,»reprit-elle,«dis:«Jesuisunjolipetitesclave.».Allez!»Mespoignetsetmeschevillestendirentleslianesdesmarais.Ellerit.«Netedébatspas,»dit-elle.«Enoutre,c’estinutile,»ajouta-t-elle.«Telimafaitdebonsnœuds.»C’étaitvrai.«Dis-le!»ordonna-t-elle.—«Jenepeuxpas,»gémis-je.—«Dis-le!»insista-t-elle.—«Je…Jesuisunjolipetitesclave,»soufflai-je.Jerejetailatêteenarrièreetpoussaiuncridedésespoir.J’entendissonrireprofond.Dansl’obscurité,jevoyaislescontoursdesatête,jesentaislacaresse

desescheveuxsurmonépaule.Seslèvresétaienttoujoursàquelquescentimètresdesmiennes.—«Maintenant,tuvasconnaîtreledestindesjolispetitsesclaves,»affirma-t-elle.Soudain,m’ayantprisparlescheveux,ellepressaseslèvressurlesmienneset,horrifié,jeconstatai

quemeslèvresrépondaientauxsiennes,maisjefusincapablederésisteràleurassaut,satêterepoussalamienne, sesdents s’enfoncèrentdansmes lèvreset je sentis legoûtdu sang,demonpropre sang,dansmabouche,puis,possessiveetinsolente,forçantsonpassage,salanguepénétradansmabouche,écartant la mienne ; ensuite, environ une ehn plus tard, ayant retiré sa langue, elle me mordit endiagonalesurlaboucheetleslèvresafinque,lelendemainmatin,lorsquejeseraismisenjeupendantlafête, mon visage porte la marque des dents de maMaîtresse, laquelle démontrerait qu’elle m’avaitconquis.

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J’étaisbrisé.J’avaisreçuleBaiserdelaMaîtresseàl’EsclaveMâle.«Tuexécuteraslesmouvementsquejet’indiquerai,»déclara-t-elle.Danslenoir,brisé,attaché,leslèvresenflées,sesparolesmefirenthorreur.Puisellememontaetjeservissonplaisir.

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5

LAFÊTE

«JEcroisque jevais tegagner ! »déclaraunemince jeune femmeauxcheveuxnoirsqui, aprèsm’avoirsaisilementon,repoussamatêteenarrièreafindemieuxcontemplermonvisage.Elleavaitlesyeux noirs, elle était élancée et vigoureuse. Ses jambes étaientmagnifiques,mises en valeur par satuniqueincroyablementcourte.

«C’estmoiquivaislegagner!»affirmauneautre,unegrandejeunefemmeblonde,auxyeuxgris,quiavaitàlamainuneboucledelianedesmarais.

Uneautrejeunefemme,brune,plutôtpetite,portantunfiletpliésurl’épaulegauche,dit:«Non,ilseraàmoi!»«Non,àmoi!»s’écriauneautre.«Àmoi!»intervinrentd’autres.Elles s’assemblèrent autour de moi, m’examinèrent, tournèrent autour de moi, me dévisagèrent

commeonfaitavecunanimalouunesclave.«Lesdents!»commandalapremièrejeunefemme,lafillebruneetmince.J’ouvrislaboucheafinqu’ellepuisseexaminermesdents.D’autresregardèrentégalement.Puiselletâtamesmuscles,mescuissesetmedonnaquelquesclaquessurlesflancs.«Robuste,»estimaunejeunefemme.—«Oui,»admituneautre,«maisilabeaucoupservi!»Elles rirent. Elles faisaient référence à ma bouche. Le côté droit était noir, coupé et enflé. Elle

portait,endiagonale,lamarquedesdentsdeTelima.—«Oui,»opinalapremièrejeunefemme,«ilabeaucoupservi.»—«Maisilestencoreutilisable,»relevauneautreenriant.— « Oui, » reconnut la première jeune femme, « il est encore utilisable. » Elle recula et me

considéra.«Oui,»dit-elleauxautres,«finalement,c’estunbonesclave,unexcellentesclave!»Ellesrirent.Puislajeunefemmeminces’approchademoi.J’étaisdebout,attaché,ledosàunegaffe.Lagaffe,profondémentenfoncéedanslerencedel’île,se

dressait dans une clairière proche du rivage. J’avais les poignets attachés derrière la gaffe avec unmorceaudelianedesmarais.Meschevillesétaientégalementattachéesàlagaffe.Deuxautresbouclesdelianedesmaraism’entouraientlecouetlataille.Surmatête,maMaîtresse,Telima,avaitposéunecouronnedefleursderencetressées.

La jeune femme mince, debout devant moi, suivit du doigt, paresseusement, la courbe de mon

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épaulegauche.Puis,duboutdudoigt,elle traça lapremière lettredumotgoréenKajirqui signifie :esclavemâle.

Ellemeregarda.«Aimerais-tuêtremonesclave?»demanda-t-elle.«Aimerais-tumeservir?»Jenerépondispas.«Jepourraismêmeêtregentilleavectoi,»ajouta-t-elle.Jedétournailatête.Ellerit.Puislesautresjeunesfemmesapprochèrentégalement,semoquantdemoi,medemandantsijene

préféraispaslesservir,elles.«Écartez-vous!»criaunevoixd’homme.C’étaitHo-Hak.« L’heure du concours est arrivée ! » cria une autre voix, et je reconnus celle de Telima, ma

Maîtresse.Elleportaitsonbraceletd’oretsescheveuxétaientattachésaveclabandedetissupourpre.Elleétait

vêtued’unecourte tunique.Elle était extrêmement satisfaited’elle-même, ce jour-là, et d’unebeautéextraordinaire.Ellemarchait,latêtehaute,commesilemondeluiappartenait.Elleavait,àlamain,unbâtondejet.

«Allons,pressons!»lançaHo-Hakenmontrantleborddel’îlederence.J’auraisvouluqueHo-Haksetournâtversmoi,meregardâtdanslesyeux.Jelerespectais,j’aurais

vouluqu’ilmeregardât,qu’ildaignâtreconnaîtrequej’existais.Maisilnemeregardapas,nemeremarquapaset,suiviparTelimaetlesautresjeunesfemmes,se

dirigeaversleborddel’îlederence.Jerestaiseul,attachéàlagaffe.Telimam’avaitéveilléàl’aube,puism’avaitdétachéafinquejepuisseparticiperauxpréparatifsde

lafête.Endébutdematinée,lesautresîlesderence,quatreentout,quiétaientamarréesdanslesenvirons,

furentpousséesverslanôtredesorteque,reliéespardesradeauxderenceplats,quijouaientlerôledeponts,etattachéeslesunesauxautres,ellesneformaientplus,pratiquement,qu’uneseulegrandeîle.

J’avaisparticipéà lamiseenplacedespontset j’avais tirésur le rivage lesbarquesderencedesRenciersvenusd’îles lointaines. J’avaiségalement transporté les lourdesmarmitesdebièrede rence,fourniesparlesdiversesîles,jusqu’àl’endroitoùauraitlieulefestin,ainsiquedeschapeletsdegourdesd’eau,desbrochettesdepoisson,desgautsembrochés,destarskstuésetdespaniersdesèvederence.

Puis, vers la huitième heure goréenne, Telima m’avait ordonné d’aller près de la gaffe, où ellem’avaitattachépuisposésurlatêtelaguirlandedefleursderence.

J’étaisrestéattachétoutelamatinée,subissantl’examen,lesregards,lescoupsetleshumiliationsdespassants.

Versladixièmeheure,lemidigoréen,lesRenciersmangèrentquelquesgalettesderenceparseméesdegraines,burentdel’eauetgrignotèrentdupoisson.Legrandfestinauraitlieulesoir.

Unpeuplustard,unpetitgarçons’étaitarrêtédevantmoietm’avaitregardé,unmorceaudegalettederenceàlamain.

«As-tufaim?»avait-ildemandé.—«Oui,»avais-jerépondu.Illevalemorceaudegalettederenceversmoi,afinquejepuissemordrededansetmanger.«Merci,»dis-je.Maisilétaitrestélà,àmeregarder.Puissamèreseprécipitaverslui,luidonnauneclaqueet,avec

forcecris,l’entraîna.

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LesRenciersoccupèrentdiversement lamatinée.Leshommes tinrentconseilavecHo-Haket ilyeutdesdiscussions,desdisputes,descrismême.Lesfemmesmariéess’occupèrentdelapréparationdufestin. Les jeunes gens et les jeunes filles formèrent deux lignes opposées et s’invectivèrentjoyeusement. Et, de temps en temps, l’un d’eux, garçon ou fille, courait jusqu’à la ligne opposée ettouchaitquelqu’unavantderejoindresabaseenriant.Onselançaitdesobjetsetons’injuriait,parjeu,d’uneligneàl’autre.Lesenfantsjouaienttousensemble,lesgarçonsavecdesfiletsetdesjavelotsderoseau,lesfillesavecdespoupéesderenceetlesadolescentsorganisantdesconcoursdebâtondejet.

AprèslaréunionduConseil,l’hommeaubandeaudeperlesvintmeregarder.C’étaitceluiquiavaitétéincapabledetendrel’arc.

Ilportait,surl’épaulegauche,unegrandeécharpedesoieblancheetcelameparutétrange.Ilnem’adressapas laparole,mais il ritetpoursuivit sonchemin. Jedétournai la tête,brûlantde

honte.Ladouzièmeheuregoréenneavaitsonné,midiétaitlargementdépassé.Lesjeunesfemmesquiallaientessayerdemegagnerm’avaientexaminé.Ho-Hak,accompagnédeTelima,lesavaitconduitessurleslieuxdescompétitions.L’essentieldecelles-ci sedéroulaitdans lesmarais.De l’endroitoù j’étaisattaché,par-dessus les

huttes de rence, j’en suivis vaguement le déroulement. Il y eut beaucoup de rires et de cris,d’applaudissements et d’acclamations. Il y eut des courses de barques de rence, des concours deprécisiondanslemaniementdelapetiteembarcation,descompétitionsaufiletetaubâtondejet.Cefutvéritablementlafête.

Finalement,aprèsenvironuneheure,legroupecomprenantlesjeunesfemmes,lesspectateursetlesarbitrestournasesbarquesversl’île,puisaccostaetlesembarcationsfurentamarréesàlarivederencetressé.

Ensuite,legroupetoutentiersedirigeaversmagaffe,àl’exceptiondeHo-Hak,quisedirigeaversungrouped’hommesquitaillaientdesracinesderenceendiscutant,del’autrecôtédel’île.

Lesjeunesfemmes,quiétaientunequarantaineouunecinquantaine,s’assemblèrentautourdemoi,puisseregardèrentenriantetengloussant.

Jelesregardai,pleindedésespoir.«Tuasétégagné!»annonçaTelima.Lesjeunesfemmess’observèrentsansriendire,maisriantetsepoussantducoude.Impuissant,jetiraisurleslianesdesmarais.«Quit’agagné?»demandaTelima.Lesjeunesfemmesricanèrent.Puis,lajeunefemmebrune,auxjambeslonguesetminces,provocantes,vinttoutprèsdemoi.«Ilestpossible,»souffla-t-elle,«quetusoismonesclave.»—«Suis-jetonesclave?»demandai-je.—«Tuespeut-êtreàmoi,»meglissaàl’oreillelagrandefilleblondeauxyeuxgris.Elleposasur

monbrasuneboucledelianedesmarais.—«Dequisuis-jel’esclave?»m’écriai-je.Lesjeunesfemmessepressèrentautourdemoi,metouchèrent,mecaressèrentcommeleferaitune

Maîtresse,memurmurèrentàl’oreillequejeleurappartenaispeut-être,quejedevaislesservir.«Dequisuis-jel’esclave?»m’écriai-je,désespéré.—«Tulesauras,»déclaraTelima,«pendantlefestin,quandlafêtebattrasonplein!»Lesjeunesfemmes,etleshommesquisetenaientderrièreelles,rirent.JerestaisansréactiontandisqueTelimamedétachait.«Neretirepaslaguirlandedefleurs!»dit-elle.

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Puis je restai immobile près de la gaffe, seulement vêtu du collier de liane des marais qu’ellem’avaitpasséaucouetdelaguirlandedefleursderence.

—«Quedois-jefaire?»demandai-je.—«Vaaiderlesfemmesàpréparerlefestin!»ordonna-t-elle.Toutesriaientlorsquejem’éloignai.«Attends!»cria-t-elle.Jem’arrêtai.«Pendant le festin, » déclara-t-elle, « tu nous serviras, naturellement. »Elle rit. «Et, comme tu

ignoreslaquelled’entrenousesttaMaîtresse,tunousservirastoutescommesitunousappartenais.Ettunousservirasbien.SicellequiesttaMaîtressen’estpasentièrementsatisfaite,tuserascertainementtrèssévèrementpuni!»

Ilyeutd’autreséclatsderire.«Maintenant,va,»conclut-elle,«etaidelesfemmesàpréparerlerepas!»Jemetournaiverselle.—«Qui,»suppliai-je,«estmaMaîtresse?»— « Tu le sauras pendant le festin ! » répliqua-t-elle avec colère. « Au plus fort de la fête.

Maintenant,vaaiderlesfemmesàpréparerlefestin…Esclave!»Jefisdemi-touret,souslesrires,allaiaiderlesfemmes.Lanuitétaittrèsavancéeetlafêteétaitpresqueterminée.Des torches,morceaux de lianes desmarais imprégnés d’huile et enroulés autour des pointes de

javelotsfichésdanslerencetressédel’île,éclairaientlanuitdesmarais.Les hommes étaient assis en cercle, les jambes croisées, et les femmes, agenouillées suivant la

coutumegoréenne,avaientprisplaceàl’intérieurducercle.Ilyavaitquelquesenfants,àlapériphérieducercle,maislamajoritéd’entreeuxétaientendormissurlerence.Onavaitbeaucoupparléetchanté.JecomprisquelesRenciers,lorsqu’ilsn’habitaientpaslamêmeîle,serencontraientrarement.

Avant le festin, j’avais aidé les femmes, vidant le poisson et préparant lesgautsdesmarais, puisj’avais tourné les broches, où rôtissaient les tarsks, au-dessus de feux de racines de rence séchées,brûlantdansdes récipientsmétalliquesmontés surdes structures surélevéesdont lespieds reposaientégalementsurdesplaquesmétalliques.

Pendant presque tout le festin, j’avais servi, notamment les jeunes femmes qui avaient concourupourmegagneretdontune,j’ignoraislaquelle,m’avaiteffectivementgagné.

J’avaisportédesbolsdepoisson séchécoupéenpetitsmorceaux,desplateauxchargésde tarsksrôtisetdegautsrôtis,desgalettesderenceetdelabouillie,desgourdes,qu’ilfallaitremplirsouvent,debièrederence.

Puis,parmilesapplaudissementsdesRenciers,Telimasedirigeaversmoi.«Aupoteau!»dit-elle.J’avaisvulepoteau.Iln’étaitguèredifférentdeceluiauquelj’avaisétéattachéunpeuplustôt.Ily

avaituneclairièrecirculaire,entrelesconvives,d’environdouzemètresdediamètre,autourdelaquelleétaientforméslescercles.Lepoteau,dépourvud’écorce,mince,profondémentenfoncédanslerencedel’île,sedressaitexactementaucentredelaclairière,entouréparlescerclesdesRenciers.

Jemedirigeaiverslepoteauetm’immobilisaiprèsdelui.Ellemesaisitlesmainset,avecunmorceaudelianedesmarais,lesattachaderrièrelepoteau.Puis,

commeellel’avaitfaitaumatin,ellem’yattachaégalementlespiedsetensuite,égalementcommeellel’avaitfaitaumatin,ellem’entouralatailleetlecou.Puis,jetantlaguirlandedefleursderencequejeportais,ellelaremplaçaparuneguirlandefraîche.

Tandisqu’ellem’attachaitainsi,lesRencierschantaientenclaquantdesmains.

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Ellereculaetrit.Jevis,danslafoule,Ho-Hakquifrappaitdanssesmainsetchantait,commelesautres,ycompris

l’hommeaubandeauenperlesdesorpduVosk,celuiquiavaitétéincapabledetendrel’arc.Puis,soudain,lafoulesetut.Lesilencesefit.Alors,s’élevaunbattementdetambourquidevintdeplusenpluspuissant,unhommefrappantavec

deuxbâtons sur une racine de rence évidée et, aussi soudainement que le chant et les battements demains,letamboursetut.

Ensuite,stupéfait,jevislesjeunesfemmes,poussantdescrisaigusetriant,cellesquiprotestaientétantpousséesettirées,seleveretpénétrerdanslaclairière.

Lesjeunesgensmanifestèrentbruyammentleurjoie.Uneoudeuxjeunesfilles,rieuses,tentèrentdes’échapper,maislesjeuneshommeslesrattrapèrent

etlespoussèrentdanslaclairière.Puislesjeunesfemmes,vigoureuses,lesyeuxbrillants,respirantprofondément,leursbrasnusornés

de bracelets de perles ou de cuivremartelé à l’occasion de la fête, s’immobilisèrent aumilieu de laclairière.

Lesjeunesgenscrièrentetbattirentdesmains.Je constatai que de nombreux jeunes garçons, beaux, au visage volontaire, ne pouvaient quitter

Telimadesyeux.Jeremarquaiqu’elleétaitlaseuleàporterunbraceletd’or.Ellenefaisaitguèreattentionauxjeunesgens.LescommunautésdeRenciersviventengénéralisolées.Lesjeunesserencontrentrarement,saufau

seind’unemêmecommunauté.Jemesouvinsdesdeuxlignesdejeunesgarçonsetdejeunesfillesquis’étaientinvectivées,enriantetencriant,danslamatinée.

Puis, l’homme au tambour en racine de rence évidée se mit à jouer et d’autres musiciens sejoignirentàlui:uneflûtederoseau,despetitsmorceauxdemétalenfiléssurunfildefer,etunbâtoncreuséd’encochessurlequelonfrotteunecuillerfaçonnéedansuneracinederence.

Ce futTelimaquicommençademarteler le rence tresséquiconstituait la surfacede l’îleavec letalondroit,lesbraslevésau-dessusdelatêteetlesyeuxfermés.

Puis lesautres jeunes femmes l’imitèrentde sorteque,bientôt, laplus timideelle-mêmesuivit lepérimètreducercleentapantdespieds.LesdansesdesRencièressont,àmaconnaissance,uniquessurGor.Ellessontparfoisunpeusauvagesmaisellescomportentégalement,paradoxalementpeut-être,desaspects statiques, stylisés, desmouvements qui évoquent le jet du filet, lamanœuvre de la gaffe, letressagedurenceoulachasseaugaut.Mais,tandisquejeregardais,parmilescrisdesjeunesgens,ladansedevintmoinsstylisée,plusuniversellementféminine,decetteféminitécommuneàlamaîtressedemaisonalcooliqued’unebanlieueurbainedelaTerreetàl’esclavecouvertedebijouxdePortKar,ne futplusque ladansede femmesquiontenvied’hommesetvontavoirdeshommes.Stupéfait, jeconstataique les jeunes femmes lesplus timideselles-mêmes, cellesqu’il avait fallupousserdans lecercleetmêmecellesquiavaient tentédes’enfuir, tournoyaientfollement, lesmainstenduesvers lestroislunesdeGor.

Lasolitudeestsouventcruelle,surlesîlesderence,etlafêten’alieuqu’unefoisl’an.Lesinvectivesdesjeunesgens,pendantlamatinée,etl’exhibitiondesjeunesfemmes,lesoir,car,en

fait, dans les mouvements de la danse, toutes les femmes sont pratiquement mises à nu, jouentprobablementunrôlecrucialdanslaviedesRenciers,rôlecomparableauxrendez-vousetàlacourdel’environnementpluscivilisédemaTerrenatale.

L’entréedesjeunesfemmesdanslecerclemarquelafindel’enfance.Soudain,devantmoi,lesmainsau-dessusdelatête,sedressalamincejeunefemmebrune,cellequi

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avaitde longues jambesmerveilleusementbelles, vêtued’unecourte tuniquede rence ; ses chevillesétaient tellement proches l’une de l’autre qu’elles auraient pu être enchaînées ; puis elle posa lespoignets l’un contre l’autre, paumes vers l’extérieur, au-dessus de la tête, comme si elle portait desmenottesd’esclave.

Puisellejeta:«Esclave!»avantdemecracherauvisageetdepivotersurelle-même,s’éloignant.JemedemandaisielleétaitdevenuemanouvelleMaîtresse.Puisuneautrejeunefemme,lagrandejeunefemmeblondeàlaboucledelianedesmarais,sedressa

devantmoi,avecdesmouvementsdouloureusementlents,commesilamusiquen’altéraitquedetempsentempssarespirationetlesbattementsdesoncœur.

«Jesuispeut-être,»fit-elle,«taMaîtresse.»Puis, comme l’autre, elle me cracha au visage et s’éloigna, avec élégance, enveloppée dans la

flammedelamusique.L’uneaprèsl’autre,lesjeunesfemmesdansèrentdevantmoietautourdemoi,feignantdes’offrirà

moi,riantdeleurpouvoir,puismecrachèrentauvisageavantdes’éloigner.LesRenciersriaientetcriaient,acclamaientlesjeunesfemmes.Mais,pourl’essentiel,onm’ignora,toutcommelepoteauauquelj’étaisattaché.Leplussouvent,bienqu’elleseussentprisletempsdem’humilier,lesjeunesfemmesdansèrentleur

beautéàl’intentiondesjeuneshommesducercle,afindesefairedésirer,afindeséduire.Unpeuplustard,unejeunefemmequittalecercle,latêterejetéeenarrière,larespirationprofonde

et,àpeineavait-ellefranchilecerclederenciersqu’unjeunehommelasuivitpuislarejoignitunpeuplus loin. Pendant environ une ehn, ils restèrent face à face, immobiles dans l’obscurité, puis, avecdouceur,lajeunefemmeneprotestantpas,ilétenditsonfiletsurelleetl’attiraplusloin.Ensemble,ilsdisparurentdanslenoir,traversantunpontderadeauxconduisantàuneîleéloignéedufeu,delafoule,dubruitetdeladanse.

Ensuite,quelquesehnsplus tard,uneautre jeunefemmequitta lecercle, fut rejointeparun jeunehommequil’enveloppadanssonfiletetl’entraîna,prixconsentant,danslesecretdesahutte.

Ladansedevintplusfrénétique.Lesjeunesfemmestournoyaientfollement,lesspectateursbattaientdesmains,lamusiquedevenait

plussauvage,plusbarbare,plusendiablée.Et,soudain,Telimadansadevantmoi.Jelaissaiéchapperuncritantsabeautémestupéfiait.J’eus l’impressionden’avoir jamaisvude femmeaussibelleet,devantmoi, simpleesclave,elle

dansaavecinsolenceetmépris.Ellelevaitlesbrasau-dessusdelatêteet,toutendansant,souriaitetmeregardait fixement. Ce soir-là, sa beauté me blessa plus douloureusement, plus cruellement, que lespoignardsd’unTortionnaire.Elledansaitleméprisetlessarcasmesquejeluiinspirais.Ellefitnaîtreenmoidesagoniesdedésirmais,danssesyeux,jelusquejen’étaispourellequ’unobjetd’amusementetdemépris.

Puisellemelibéra.«Vadanslahutte!»ordonna-t-elle.Jerestai,immobile,prèsdupoteau.Nous étions pris dans des torrents de musique barbare, les cris et les applaudissements, les

tourbillons,lesbonds,lescontorsionsdesjeunesfemmesdontlecorpsbrûlaitdelapassiondeladanse.«Oui,»déclara-t-elle,«tum’appartiens.»Ellemecrachaauvisage.«Vadanslahutte!»répéta-t-elle.Jem’éloignai,entrébuchant,dupoteau,mefrayantunchemindanslafouledesdanseuses,dansle

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cercle des spectateurs déchaînés qui criaient et battaient desmains, puismedirigeai vers la hutte deTelima.

Jem’arrêtaidevant,dansl’obscurité.J’essuyaisasalive,surmonvisage.Puis,m’étantmisàquatrepattes,baissantlatête,j’entraidanslahutte.Dehors, retentissaient les acclamations et les applaudissements, les cris des jeunes femmes qui

dansaientsouslestroislunesdeGor.Jem’assisdanslenoir,latêteentrelesmains.Jerestailongtempsassisdansl’obscurité.PuisTelimaentra,avecl’assurancedelapropriétairedelahutte,commesijen’étaispaslà.«Allumelalampe!»ordonna-t-elle.J’obéis,maladroitdanslenoir,frottantl’aciercontrelesilex,etlesétincellestouchèrentlespétales

derencecontenusdanslepetitbol.Danscetteminusculeflamme,j’introduisisunmorceaudetigederenceprovenantd’unpaquetdecelles-ci,puisj’allumailaminusculelampeàhuiledetharlarionposéedanssonboldecuivre.Jeremislemorceaudetigederence,commej’avaisvuTelimalefaire,danslepetitboldepétalesoù,commelespétalesenflammés,ilnetardapasàs’éteindre.Laflammevacillantedelalampeàhuiledetharlarionéclairal’intérieurdelahutted’unelumièrejaunâtre.

Telimamangeaitunegalettederence.Elleavaitlaboucheàmoitiépleine.Ellemeregardait.«Cesoir,»dit-elle,«jenet’attacheraipas.»Serrantlademi-galettederenceentrelesdents,elledéroulasanattepuis,commeellel’avaitfaitla

veilleausoir,détachasatuniqueetlaretira.Puisellelajetadansuncoindelahutte,sursagauche,prèsdesespieds.Assisesurlanatte,ellemangealerestedesagalettederence.Puiselles’essuyalaboucheavecl’avant-brasetsefrottalesmainsl’unecontrel’autrepoursedébarrasserdesmiettes.

Ensuite,elledétachasescheveuxetlessecoua.Puiselles’allongeasurlanatte,faceàmoi,appuyéesurlecoudedroit.Songenougaucheétaitlevé.

Ellemeregarda.«Sersmonplaisir!»ordonna-t-elle.—«Non,»répondis-je.Ellemeregardaavecstupéfaction.Au même moment, dehors, retentit le cri sauvage, strident, terrifié, d’une jeune femme, et la

musique s’arrêta soudain. Puis j’entendis des cris, des hurlements de terreur, des pas précipités, letintementdesarmes.

«LesMarchandsd’Esclaves!»hurlait-on.«LesMarchandsd’Esclaves!»

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LESMARCHANDSD’ESCLAVES

J’ÉTAISsortidelahutte.Maréactionavaitétéinstantanée,commecelled’unGuerrierentraîné,etm’avaitprisdecourt.Lajeunefemmemesuivitpresqueimmédiatement.Danslanuit,jevisdestorchesquisedéplaçaientàlapériphériedel’île.Un enfant passa devant moi en courant. Le cercle de la danse était vide. Solitaire, le poteau

dépourvud’écorcesedressaitaumilieuducercle.Unefemmehurlaitparmi les reliefsdu festin.Lestorches des marais brûlaient aussi tranquillement que de coutume. Il y avait des cris. J’entendis leclaquement des armes sur les boucliers. Deux hommes, des Renciers, nous dépassèrent en courant.J’entendislecraquementd’unjavelotdesmaraiscontrelemétal.Unhomme,unRencier,sedirigeaversnousàreculons,en titubantcommeun ivrogne.Puis ilpivotasur lui-mêmeet jevis,aumilieudesapoitrine, l’empennage d’un carreau d’arbalète. Il s’abattit presque à nos pieds, les doigts crispés surl’empennage,lesgenouxremontésjusqu’aumenton.Plusloin,unenfantpleurait.

Danslalumièrevacillantedestorches,derrièreelles,danslesmarais,j’aperçuslesprouescourbesdeplusieurspénichesdesmarais,decellesquelesesclavespropulsentàlarame.

Telimasecouvritlevisageaveclesmains,lesyeuxfous,etpoussaunpuissanthurlementdeterreur.Mamainserefermasursonpoignetdroit, leserrantcommeunemenotted’esclave.Jel’entraînai,

malassuréesursesjambesethurlante,versl’autrecôtédel’île,versl’obscurité.MaisdesRenciersseprécipitaientdansnotredirection,hommes,femmesetenfantsqui,lesmains

tendues, trébuchaient et tombaient.Derrière eux, nous entendîmes les cris des hommes et vîmes lesmouvementsdesjavelots.

Nouscourûmesaveceuxversuneautrepartiedel’île.Puis,devantnous,danslenoir,retentitunetrompetteetnousnousarrêtâmes,indécis.Soudain,une

pluiedecarreauxd’arbalètes’abattit surnous. Ilyeutdeshurlements.Unhomme,surnotregauche,criaets’écroula.

Nous fîmesdemi-touret courûmesànouveau, trébuchantdans l’obscurité faiblementéclairéeparlestorches,surlesnattesderencetresséquiconstituaientlasurfacedel’île.

Derrière nous, retentissaient les trompettes et le choc des javelots sur les boucliers, les cris descombattants.

Puis,devantnous,unefemmes’immobilisaenhurlant,lebrastendu:«Ilsontdesfilets!»s’écria-t-elle.Onnouspoussaitverslesfilets.

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Jem’arrêtaietserraiTelimacontremoi.NousfûmesbousculéspardesRenciersenpleinecoursequisejetaientdanslesfilets.

«Arrêtez!»criai-je.«Arrêtez!Ilyadesfilets!Desfilets!»Maispresquetousnoscompagnons,désemparés,fuyantlestrompettesetlechocdesjavelotscontre

lesboucliers,sejetèrentfollementsurlesfiletsqui,tenuspardesesclaves,sedressèrentsoudaindevanteux. Il ne s’agissait pas de petits filets destinés à la capture d’individus, mais de grands filets,semblablesàunmur,quicoupaientlaretraite.Icietlà,entrelesmailles,deslancesécartaientceuxquiauraientvoululesdéchirer.Puislegrandfilet,tenupardesesclaves,semitàavancer.

Àl’autreextrémitédel’île,lemêmecriterrifiéretentit:«Desfilets!Desfilets!»Puis,tandisquenousnousbousculionsetcourions,icietlà,parminous,setrouvèrentdeshommes

dePortKar, desGuerriers, certains avec le casque, le bouclier, l’épée et le javelot, d’autres avecunbâtonetunpoignard,d’autresavecunfouetetunlasso,d’autresencoreavecunfilet,tousavecdelacorde.Parmieux,circulaientdesesclavesmunisdetorchesafinqu’ilspuissentvoircequ’ilsfaisaient.

JevisleRencieraubandeauenperlesdesorpduVosk,celuiquiavaitétéincapabledetendrel’arc.Ilportaitlagrandeécharpedesoieblancheentraversdutorse,attachéesurlahanchedroite.Prèsdelui,setenaitunGuerrierdePortKar,grandetbarbu,portantuncasqueorné,surlestempes,desdeuxfiletsd’ordesofficiers.LeRenciertendaitlebrasicietlà,donnantdesinstructions,d’unevoixpuissante,auxGuerriersdePortKar.Legrandofficierbarbu,l’épéetirée,setenait,silencieux,prèsdelui.

«C’estHenrak!»s’écriaTelima.«C’estHenrak!»C’étaitlapremièrefoisquej’entendaislenomdel’hommeaubandeau.Prèsdenous,unhommes’effondra,lecoupresquecomplètementtraverséparunjavelot.Henrakserrait,danssamain,unebourse,peut-êtrepleined’or.LebrasautourdesépaulesdeTelima,jem’éloignai,l’entraînant,etnousnousperdîmesparmiles

renciershurlants,leshommesetlesfemmesquicouraient.CertainsRenciers, armésde leurpetitbouclierde rence tressé, résistaient,mais leurs javelotsdes

maraisnepouvaientriencontrelesépéesd’acieretleslourdeslancesgoréennes.Lorsqu’ilsrésistaient,ils étaient taillés en pièces. La plupart d’entre eux, pris de panique, certains qu’ils ne pouvaient pasrésisteràdesGuerriersentraînés,fuyaientcommedesanimaux,poussantdescrisdeterreur,devantleschasseursdePortKar.

Unejeunefemmetrébucha,puisfuttraînéeparlescheveuxversunedesétroitespéniches.Elleavaitlespoignetsattachésdansledos.C’étaitcellequi,lematin,avaitunfiletsurl’épaule,unedecellesquis’étaientmoquéesdemoi,lorsquej’étaisattachéaupoteau,unedecellesquiavaitdanséleméprisquejeluiinspirais.Elleétaitdéjànue.

Jereculaiencore,parmilesrenciersquicouraientetsebousculaient,tramantànouveauTelimaparlepoignet.Ellehurlaitetcouraitentrébuchant.

Jeconstataiquelesfilets,desdeuxcôtésdel’île,avaientavancé,leslancespasséesentrelesmaillespoussantlesrenciersterrifiésdevanteux.

Nouscourûmesunenouvellefoisverslecentredel’île.Unejeunefemmehurla.C’était lagrandejeunefemmeblonde,auxyeuxgris,cellequi, lematin,

avaitunebouclede lianedesmaraisqu’ellem’avaitposéesur lebras,cellequiavaitdanséavecunelenteur douloureuse, pendant la fête, qui, comme les autres, m’avait manifesté son mépris en mecrachantauvisage.

Elle se débattit, prisonnière de deux lassos de cuir enroulés autour de sa taille et tenus par desGuerriers.Un autreGuerrier approcha, derrière elle et, en quatre coups de fouet sauvages, lacéra satunique de rence de sorte que la jeune femme tomba à genoux sur le rence tressé qui constituait lasurfacedel’île,hurlantdedouleur,suppliantleshommesdel’attacher.Onlajetaàplatventrepuisun

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Guerrierluiattachalespoignetstandisquel’autreluiliaitleschevilles.Une jeune femme nous heurta en hurlant. C’était la jeune femme brune et mince, élancée, aux

jambesmerveilleusementbelles.Jemesouvenaisbiend’elle.Elleavaitdansédevantmoi,leschevillestoutesproches l’unede l’autre,commesiellesavaientétéenchaînées, lesmainsau-dessusde la tête,paumes vers l’extérieur, comme si elle avait eu des menottes d’esclave, puis elle m’avait jeté :«Esclave!»,avantdemecracherauvisageetdes’éloigner.C’était,àmonavis,aprèsTelima,laplusinsolente et la plus désirable. Elle tournoya follement, poussant des hurlements, et disparut dansl’obscurité.Satuniquederenceétaitdéchiréesurl’épaule.

LebrasautourdeTelima,jeregardaid’uncôtéetdel’autre,cherchantuneissue.Toutautourdenous,leshommescriaient,lesfemmeshurlaient,lesenfantscouraientenpleurantet

partout,semblait-il,étaientleshommesdePortKaretleursesclavesquitenaientlestorches,lesquellesbrillaient comme des yeux de prédateur dans la nuit des marais. Un petit garçon nous dépassa encourant.C’était celui quim’avait donné unmorceau de galette de rence, lematin, tandis que j’étaisattachéaupoteau,celuiquesamèreavaitpunipourcetteraison.

J’entendisdescris,deshurlementset,entraînantTelimaparlamain,medirigeaiverseux.Là, dans la lumière des torches des marais, je vis Ho-Hak, pleurant de rage, hurlant, faisant

follementtournoyerunegaffeautourdelui.DenombreuxguerriersdePortKarétaientétendusautourde lui, la têtebriséeou lapoitrineenfoncée.À la limiteducercledécritparsagaffe,se tenaientunequinzainedeGuerriersdePortKar,l’épéetirée,lalumièredestorchesdesmaraisseréfléchissantsurleslames,l’encerclant,l’immobilisantàlapointedeleursarmes.Iln’auraitpasétéplusprisonnierentrelesmâchoiresdurequindesmaraisaulongcorpspourvudeneufnageoires.

«Quelcombattant!»s’écriaundesGuerriersdePortKar.Ho-Hak,ensueur, lesoufflecourt,précipité,sesgrandesoreillescolléescontrelatête,soncollier

métalliquedegalérien,auquelétaitsuspenduunmorceaudechaîne,aucou,serrant lagaffeentre lesmains,setenait,lesjambeslargementécartées,surlerence,engarde.

«Tharlarions!»cria-t-ilauxGuerriersdePortKar.Ilssemoquèrentdelui.Puisdeuxfilets,ronds,auxmaillessolidesetlestés,s’abattirentsurlui.Les Guerriers de Port Kar se jetèrent alors sur lui et l’assommèrent en le frappant avec les

pommeauxdeleursépéesetlesmanchesdeleurslances.Telimahurlaetjel’entraînai.Nouscourûmesànouveauparmilestorchesetleshommes.Nousarrivâmessurlarivedel’île.Danslesmarais,àquelquesmètresdenous,desbarquesderence

brûlaientsurl’eau.Iln’yavaitpersonnesurlarivedel’île.Dansl’eau,prisonnierdesmâchoiresd’untharlariondesmarais,unrencierhurlait.

«Ilyenadeux!»entendis-je.Nousnousretournâmes.QuatreGuerriers,armésdefiletsetdelances,couraientversnous.Nousprîmesànouveauladirectiondelalumière,destorches,ducentredel’île,deshurlementsdes

femmesetdeshommes.Près du poteau auquel j’avais été attaché, à quelquesmètres du cercle de la danse, de nombreux

renciers,hommesetfemmes,nus,gisaient,piedsetpoingsliés.Ensuite,onlesconduiraitauxpéniches.Detempsentemps,unGuerrieraugmentaitlebutin,traînantsapriseoubienlajetantsansménagementparmi lesautres.DeuxGuerriers, l’épéeà lamain,gardaientces renciers.UnScribe,deboutderrièreuneécritoire,enregistrait lescapturesdechaqueGuerrier.Parmicelles-ci, se trouvait lagrande jeunefemmeauxyeuxgris.Ellepleuraitettiraitsursesliens.Ellemeregarda.

«Ausecours!»criait-elle.«Ausecours!»J’entraînaiTelima.

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«Jeneveuxpasêtreesclave,»répétait-elle,«jeneveuxpasêtreesclave.»Jejetailatêtedecôtéaumomentoùlatorched’unesclavedesGuerriersdePortKarsifflaàmes

oreilles.Nousfûmesbousculésparunrencierensanglantéquis’éloignaentitubant.Unejeunefemmehurla.Puis je vis, dans la lumière des torches, agile comme le tabuk, courant désespérément, la jeune

femmebruneetmince,cellequiavaitdesjambesmerveilleusementbelles.UnGuerrierdePortKarlapoursuivait. Je vis le filet dense et lesté tourbillonner, puis je la vis tomber, prisonnière. Elle hurla,roulantsurelle-même,luttantcontrelefilet.PuisleGuerrierlajetaàplatventre,luiattacharapidementlespoignetset leschevilles.Avecsoncouteau,ilcoupasatuniquederenceet,sansmêmeprendrelapeinedeladébarrasserdufilet,lajetasursonépaule;ensuite,ilpritladirectiond’unepénicheàhauteprouequisetrouvaitdansl’ombre,auborddel’île.Ilnevoulaitpasrisquerdeperdreunetelleprise.

Jesupposaiquelajeunefemmenetarderaitpasàdanserànouveau,sansdouteavecleschevillesdélicieusementjointesetlesmainslevées,paumesversl’extérieur,au-dessusdelatête.Mais,alors,seschevilles seraient véritablement enchaînées et elle porterait effectivement des menottes ; elle seraitvéritablementenchaînée;elleauraitdesanneauxauxchevillesetauxpoignets;etellenetermineraitprobablementpassadanseencrachantauvisagedesonMaître,avantdepivotersurelle-mêmeetdes’éloigner.Elleseraitcertainementpresquemortedeterreuràl’idéequesadansepourraitluidéplaire.

«Là!»criaHenrak,l’écharpeblancheluibarrantletorse,entendantlebrasversnous.«Prenezlafille,jelaveux!»

Telimaleregardaavecterreur,secouantlatête.UnGuerriersejetasurnous.Quelques renciers, dans leur fuite, nous bousculèrent et nous séparèrent. Telima pivota sur elle-

mêmeetcourutversl’obscurité.Jetrébuchai,tombai,puismerelevai.Jeregardaidésespérémentautourdemoi.Je l’avaisperdue.Puisquelquechose,probablementunbâtonou lemanched’un javelot,mefrappaà la tête et je tombai sur le rence tresséqui constituait la surfacede l’île. Jememis àquatrepattesetsecouailatête.Jesaignais.UnGuerrierdePortKar,danslalumièredelatorched’unesclave,attachait une jeune femme, non loin de moi. Ce n’était pas Telima. D’autres hommes passèrent encourant.Puisunenfant.PuisunautreGuerrierdePortKar,suivid’unesclaveavecunetorche.Surmadroite,unhommefutsoudainprisdansunfilet,cria,maisdeuxGuerrierssejetèrentsurlui,lerouèrentdecoupsetentreprirentdel’attacher.

JecourusdansladirectionoùTelimaavaitdisparu.J’entendisunhurlement.Soudain,devantmoi,dansl’obscurité,sedressaunGuerrierdePortKar.Ilvoulutmefrapperavec

sonépéeàdoubletranchant.S’ilavaitsuquej’étaisunGuerriermoiaussi,ilneseseraitpasserviaussimaladroitementdesalame.Jeluisaisislepoignetetlebrisai.Ilhurladedouleur.Jem’emparaidesonépée.Un autre combattant voulutme frapper avec son javelot.De lamain gauche, je le lui arrachaitandisque,delamaindroite,jefaisaisdécrireunarcrapide,oblique,dehautenbas,àmalame.Celle-ci lui trancha la gorge et je me retrouvai en garde. Il tomba sur le rence tressé, perdit son casque,baignantdanssonsang.C’étaituncoupélémentaire,undespremiersquel’onenseigneauGuerrier.

L’esclavequitenaitlatorchemeregarda,puisreculaets’enfuit.Soudain, je sentisqu’ilyavaitun filet au-dessusdema tête. Jem’accroupiset, levant l’épéeau-

dessusdematêteenluifaisantdécrireungrandcercle,ledétournaiavantqu’ilaitpus’abattresurmoi.Unhomme jura.Puis il se jeta surmoi, lepoignard levé.Ma lameavaitpartiellementcoupé le filet,maiselleétaitprisededans.Jeluiprislepoignetdanslamaingaucheet,deladroite,bienquemonépéefût prise dans le filet, lui passai ma lame à travers le corps. Un javelot, projeté dans ma direction,s’emmêladans le filetoùmonépéeétaitdéjàprise.J’abandonnaiaussitôt l’arme.L’hommequiavait

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jeté le javelotn’avaitpasencore tirésonépéedesonfourreauque j’étaisdéjàsur lui.Je luibrisai lanuque.

Je fisdemi-touretcourusànouveauvers l’obscurité,vers l’endroitoùTelimaavaitdisparuetoùj’avaisentenduunhurlementdefemme.

«Libère-moi!»entendis-je.Danslenoir,jedécouvrisunejeunefemmenue,piedsetpoingsliés.«Libère-moi!»cria-t-elle.«Libère-moi!»Jel’assis.Cen’étaitpasTelima.Malgréseslarmes,jelarejetaisurlerencetressé.Puis,surmagauche,àunevingtainedemètres,j’aperçusunetorcheisolée.Jecourusdanscettedirection.C’étaitTelima.Elleétaitàplatventre.Onluiavaitdéjàsolidementattaché lespoignetsdans ledos.UnGuerrier

étaitaccroupiprèsdeseschevilles.Enquelquesgestesrapides,illesluilia.Jemesaisisdelui,lefispivotersurlui-mêmeetluiécrasailevisaged’uncoupdepoing.Crachant

sesdents,levisageenbouillie,iltentadetirersonépée.Jelelevai,àboutdebras,au-dessusdelatête,et le jetai, hurlant, dans lagueulebéanted’un tharlariondesmarais, lesquels étaient nombreux, à cemoment,prèsdesrivesdel’île.Ilsavaientabondammentfestoyé,pendantcettenuit,etcen’étaitpasterminé.

L’esclavequiportaitlatorches’enfuitenhurlant.Telimas’étaittournéesurlecôtéetmeregardait.«Jeneveuxpasêtreesclave,»dit-elleenpleurant.Dansquelquesinstants,lesguerriersseraientsurnous.Jelaprisdansmesbras.«Jeneveuxpasêtreesclave,»répéta-t-elle,«jeneveuxpasêtreesclave.»—«Tais-toi!»ordonnai-je.Je regardai autour de moi. Pour le moment, nous étions seuls. Puis, sur ma gauche, la nuit

s’embrasa.Unedesîlesderencedugroupes’étaitenflammée.D’uncôté,ilyavaitlemarais,avecsesrequinsetsestharlarions.Icietlà,surl’eau,àl’écartdel’îleenflammes,j’aperçuslesformesnoiresdesbarquesderencequi,

avantl’assaut,avaientétémisesàl’eauetbrûléespourempêcherleshabitantsdesîlesdes’échapper.Del’autrecôté,ilyavaitlalumièredestorches,lescrisdeshommes,lesMarchandsd’Esclavesde

PortKar.Auloin,j’aperçus,surundespontsderadeauxservantautransportdurence,undeceuxquej’avais

contribuéàmettreenplace lematinmême,des renciers,hommeset femmes,nus,que l’onpoussait,souslamenacedeslances,versnotreîle.Onleuravaitattachélespoignetsdansledosetonleuravaitpasséunecordeaucou.

Puisuneautreîlepritfeu,auloin,surladroite.Danslazoneéclairée,descrisetdesbruitsdecourseprécipitéeretentirent.Lesguerriersarrivaient.Lesradeaux,lesponts,medis-je.Lesradeaux.PortantTelimadansmesbras,jegagnailapériphériedel’îlesansrencontrerpersonne.Cettezone

avait été nettoyée plus tôt, grâce au filet tendu par des esclaves. Il n’y avait pas de renciers et,probablement pour cette raison, pas de guerriers de Port Kar ; en revanche, plusieurs torches sedirigèrentvers l’endroitoùnousnous trouvionsun instantplus tôt ;puis les torchesseséparèrent, lamoitiéprenantàgaucheetl’autreàdroite,ladirectionquenousavionschoisie.

Quelqu’uncriaetjereconnuslavoixdeHenrak:«Prenezlafille!Jeveuxlafille!»J’arrivaiprèsd’unradeaufaisantpontàl’installationduquelj’avaisparticipé,peuaprèsl’aube.Je

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posaiTelimaaumilieuduradeau.Puis j’entreprisd’arracher lescordesderencequi le fixaientàdespiquetsenfoncésdanslerencedel’île.

Lestorchesvenaientversnous,deladroite,suivantlarivedel’île.Ilyavaithuitcordes,quatredechaquecôté.J’enavaisarrachésixlorsquej’entendisuncri:«Arrête!»L’îlevoisinebrûlaitdeplusenplusrapidementetdeplusenplusfurieusement,danslanuit,desorte

quetoutelazonenetarderaitpasàêtreilluminée.L’hommequiavaitcriéétaitseul,ils’agissaitprobablementd’ungardienpatrouillantdansunezone

théoriquementvide.Salancesefichaprèsdemoi,transperçantlerenceduradeau.Puisilsejetasurmoi,l’épéelevée.

Saproprelance,quejevenaisàpeined’arracher,luipassaautraversducorps.Jepivotaisurmoi-même.Personne,apparemment,nenousavaitvus.Jeglissai,majambes’enfonçadansl’eauet,soudain,unpetittharlariond’eaus’ensaisit,arrachant

unmorceaudechairavantdes’éloignerenbattantdelaqueue.Jeretiraiaussitôtmajambe,maisl’eauparut jaunir, car d’innombrables petits tharlarions d’eau s’étaient rassemblés près de la rive etj’entendis,derrièreeux,legrognementrauqued’ungrostharlariondesmarais,monstresquifontparfoisneufmètresdelongetpeuventpeserpluslourdquecenthommes.Derrièreeux,attendaitcertainementlerequindesmaraisgoréens,àneufnageoires,presquesemblableàuneanguille.

J’arrachai les deux dernières cordes puis déchirai du rence, au bord de l’île, que j’empilai sur leradeau,recouvrantainsiTelima.

Lestorchesétaientplusproches.Ayantencoreempilédurencesurleradeau,jel’éloignai,d’uncoupdepied,desîlesauxquellesil

avait été fixé. Jemeglissai sous le rence empilé sur le radeau, près de la jeune femme. Je lui posaifermementlamainsurlaboucheafinqu’ellesoitdansl’incapacitédecrier.Ellesedébattitunpeu,tirasurlesliensquil’immobilisaient.Sesyeux,effrayés,meregardaientfixement,au-dessusdemamain.

Lestorchespassèrent.Tranquillement,leradeaus’éloignadesîles.

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7

JEMEMETSENCHASSE

PERDUaumilieudesroseauxetdesjoncs,dansl’obscuritédesmarais,àunecentainedemètresdesîlesderence,dontdeuxbrûlaient,jeregardai,unecouronnedefleursderenceensanglantéessurlatête,en compagnie de Telima attachée, les mouvements des torches, j’écoutai les cris des hommes, leshurlementsdesfemmesetlesappelsdesenfants.

LeshommesdePortKaravaientmislefeuauxdeuxîles,encommençantparlesrives,afind’enchassertousceuxquiauraientpus’ycacher,soitencreusantdesabrisdanslerence,soitentrouvantrefuge dans les puits centraux, vers le pont conduisant à l’île centrale, sur laquelle se trouvaient lepoteau,prèsduquel s’étaitdéroulée ladanse, et lahuttedeTelima.Parconséquent, ceuxquiavaientréussià secacherdevaientchoisirentre le feu, lemaraisou le filetdesMarchandsd’Esclaves.Nousvîmesplusieurspersonness’élancersurlesponts,enhurlant,souslesfouetsdesGuerriersdePortKar,quilespoussèrentverslestorches.Puisoncoupalesamarresdesdeuxîlesembraséesquipartirentàladérivedanslesmarais.

Plustard,environuneahnavantl’aube,lesdeuxautresîlesreliéesàl’îlecentralefurentégalementincendiées et les fugitifs livrés aux filets et aux cordes des hommes de PortKar. Ensuite, on coupaégalementlesamarresdecesdeuxîlesquipartirent,àleurtour,àladérivedanslesmarais.

Lorsquelalamegrisedel’aubetouchaleseauxdesmarais,leshommesdePortKaravaientterminéleurtravail.

Lesesclaves,ayantéteintleurstorches,chargeaientlesétroitespénichesàhauteproue,enéquilibresurde longuesplanchesqui reliaient les embarcations au rence tresséde l’île.Certainsportaient desrouleauxdepapierderence,d’autreslebutinhumainduraid.J’enconclusquelepapierderenceavaitétépris sur lesquatre îles avant qu’on les incendie.Manifestement, on en chargeait tellementque latotaliténepouvaitpasprovenirdel’îlecentrale.Lepapierderenceétaitentreposéàl’avant,enpiles,commeduboisdechauffage,afinqu’ilnesoitpasendommagé.Lesesclaves,commedupoisson,furentjetésentrelesbancsdesrameursetàl’arrière,aupiedduchâteauarrière,lesunssurlesautres.Ilyavaitsix bateaux. On attacha une belle fille à la proue de chaque bateau afin que tout le monde puisseconstater,lorsdeleurretouràPortKar,queleraidavaitréussi.Jeconstataisanssurprisequelajeunefilleminceetbrune,auxjambesmerveilleusementbelles,étaitattachéeàlaproueduvaisseauamiraldelapetiteflottedepéniches.Jesupposaique,siTelimaavaitétéprise,cetteplaceluiseraitrevenue.Lesprouesdusecondetdutroisièmebateaus’ornaientdemesdeuxautrestortionnaires: la jeunefemmeblondeauxyeuxgrisetlafillebrunequiavaitunfiletsurl’épaule.

Tandisque lespéniches, sous l’effetduchargement, s’enfonçaientdans l’eau, je regardaiTelima.

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Elleétaitassiseprèsdemoi,attachée,monbraspasséautourdesépaules.Elle regardait fixement lespéniches,auloin.Sesyeuxparaissaientinexpressifs,vides.Ellem’appartenait.

Aucentredel’île,prèsdupoteau,setenaitunefouledeprisonnierspitoyables,serréslesunscontrelesautres.Lesdeuxgrandsfilets,attachés l’unà l’autre,étaientenroulésdeuxfoisautourdugroupe,immobilisant les prisonniers. Nombre d’entre eux, les doigts passés dans les mailles, regardaientl’extérieur.Desgardes,armésdelances,setenaientautourdufilet,donnantuncoupdetempsentempsafindefairetairelescaptifs.Àl’intérieurdufilet, ilyavaitdeshommes,desfemmesetdesenfants.D’autresgardes,armésd’arbalètes,setenaientunpeuàl’écart.Nonloindufilet,setenaitHenrak,quiportait toujours sonécharpeblancheen traversdu torse et serrait toujours, dans samain,unebourseprobablementremplied’or.Ils’entretenaitavecl’officierbarbudontlecasqueportaitdeuxfiletsd’or,surlestempes.Àl’intérieurdufilet,lesRenciersétaienthabillés.Ils’agissaitdesderniersprisonnierscapturés.Ilyenavaitenvironunecentaine.Onlesfitsortirunparundufilet, lesesclavesresserrantcelui-ciaussitôtaprès,puisonlesdéshabillaavantdeleurattacherlespoignetsetleschevilles.Ensuite,les esclaves responsables du chargement des péniches s’emparèrent des nouveaux esclaves et lesportèrentsurlespéniches,lesajoutantàceuxquis’ytrouvaientdéjà.

L’île était couverte de détritus et de débris : reliefs du festin, ruines de huttes détruites, boîtesbrisées,sacsderencedéchirés,javelotsdesmaraiscassés,gourdes,morceauxdelianesdesmarais,tigesderence,cadavres.

Deuxgautssauvagesatterrirentsurl’île,loindeshommesetdeleursprisonniers,puisentreprirentdepicorer,danslesruinesd’unehuttederence,probablementdesgrainesoudesmorceauxdegalettederence.

Un petit tarsk domestique, grognant et reniflant, trottinait sur les nattes de rence tressé quiconstituaientlasurfacedel’île.Unguerrier,quiportaituncasqueconique,appelal’animal.Illuigrattal’arrièredesoreillespuislejetadanslemarais.Ilyeutunmouvementrapide,dansl’eau,etildisparut.

Jevisunul,tharlarionailéqui,trèshaut,solitaire,volaitversl’est.Puis, enfin, les derniers esclaves furent attachés et chargés sur les péniches. Les esclaves des

hommes de Port Kar séparèrent alors les filets, les roulèrent, les plièrent, puis les rangèrent sur lespéniches.Ensuite, ils tirèrent les planches et prirent place sur les bancs de nageoù, sans lamoindreprotestation, ils se laissèrent enchaîner un par un. Les derniers à monter à bord furent Henrak, sonécharpeblancheluibarrantlapoitrine,etl’officierbarbu,dontlecasqueétaitorné,surlestempes,dedeux filets d’or. Je supposai que Henrak deviendrait un homme riche, à Port Kar. Les Marchandsd’EsclavesdePortKar,quinemanquentpasd’unecertainesagesse,asservissentrarementlesindividustelsqueHenrak,quilesontbienservis.S’ilslefaisaient,ilsauraientdumalàtrouverdesHenrak,danslesmarais.

Lapénichedesmaraisàhauteprouecomportedeuxancres:uneàl’avantetuneàl’arrière.Bientôt,tiréeschacunepardeuxguerriers,lesancresàtroisbranches,assezsemblablesàdesgrappins,sortirent,dégoulinantes,delavasedesmarais.Cesancres-grappins,incidemment,sontbeaucouppluslégèresquecellesdesgalèreslonguesoudesvaisseauxronds.

L’officier,deboutsurlepontarrièreduvaisseauamiral,levalebras.Surlespénichesdesmarais,iln’yapasdetambouretlesrameurssuiventlesindicationsduMaîtredeNage.Ilestassisunpeuau-dessusdesrameurs,maisplusbasqueleplancherduchâteauarrière.Commeilfaitfaceauxrameurs,ilregardelaprouedubateautandisqueceux-ci,naturellement,fontfaceàlapoupe.

L’officier,prèsdequisetenaitHenrak,baissalebras.LeMaîtredeNagecriaunordreetlesrames,dansunbruitdefrottement,glissèrenthorsdestolets.

Elless’immobilisèrentenposition,parallèlesàl’eau,lesoleilmatinalilluminantleursfacessupérieures.Je remarquai qu’elles n’étaient qu’à une trentaine de centimètres au-dessus de l’eau, tellement lapénicheétaitchargée.Puis,lorsqueleMaîtredeNagecriaànouveau,ellesplongèrenttoutesensemble

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dansl’eau;ensuite,lorsqu’ilcriaànouveau,lesramesglissèrentlentementdansl’eau,puispivotèrentetselevèrent,entraînantderrièreellesunfiletd’eausemblableàunechaîneargentée.

Lapéniche,profondémentenfoncéedansl’eau,s’éloignadel’île.Puis,parvenueàunecinquantainedemètresdecelle-ci,elletournalentementsurelle-même,tournantledosàl’île,endirectiondePortKar. J’entendis leMaître deNage crier à intervalles réguliers, sans presser ses hommes, chaque crimoinspuissantque leprécédent.Puis la secondepéniches’éloigna, tournasurelle-mêmeet suivit lapremière.Lesautressuivirenttouràtour.

Jememis debout sur le radeau de tiges de rence et regardai les péniches.Àmes pieds, à demirecouverteparlestigesderencequinousavaientdissimulés,gisaitTelima.Jeportailamainàmatêteetretirai laguirlandedefleursderencequ’onyavaitplacéeàl’occasiondelafête.Elleétait tachéedesang,enraisonducoupquej’avaisreçupendantleraid.JeregardaiTelima,quidétournalatête,puisjejetailaguirlandedefleursderenceensanglantéesdanslemarais.

J’étaisdeboutsur l’île.Je regardaisautourdemoi.À l’aidedequelques tiges,attachéesenfagot,

j’étaisparvenuàregagnerl’île.Pourrienaumonde,jen’auraisplongélebrasdansl’eau,surtoutdanscette zone, bien qu’elle parût plus dégagée. J’avais attaché le radeau à la rive de l’île. Telima étaittoujourscouchéedessus.

Jegravislarivecourbedel’îleetm’immobilisaiàl’endroitleplusélevé.Toutétaitsilencieux.Unetroupedegautssauvagess’envolèrent,décrivirentuncerclepuis,ayantconstatéquejeneleur

voulaispasdemal,revinrentsurl’île,maisdel’autrecôté.Jeregardailepoteauauquelj’avaisétéattaché,lesreliefsdufestin,leshuttesenruine,lesordureset

lesobjetsbrisés,éparpillésunpeupartout,lescadavres.Jeretournaiauradeau,prisTelimadansmesbras,laportaiaucentredel’îleoù,prèsdupoteau,jela

posaisurlerencetressé.Jemepenchaisurelleetelletentades’éloigner,maisjelaretournaietladétachai.«Affranchis-moi,»dis-je.Malassuréesursesjambes,elleselevaet,lesdoigtsgourds,défitlesnœudsducollierdelianedes

maraisquejeportaisaucou.—«Tueslibre,»souffla-t-elle.Jeluitournailedos.Ilrestaitcertainementàmanger,surl’île,neserait-cequedelasèvederence.

J’espéraisqu’ilyauraitdel’eau.J’aperçus les restes d’une tunique arrachée à un rencier, probablement avant de l’emmener. Je la

ramassaiet,aveclaceinture,l’attachaiautourdemataille.J’étaisrestéledosausoleilafindepouvoirsuivre,grâceauxombresprojetéessurlerencetressé,

lesmouvementsde la jeune femme.Par conséquent, je lavis ramasserun javelotdesmaraisdont lahampenefaisaitplusqu’unmètremaisdontlestroispointesétaientintactes.

Jemeretournaietlaregardai.Elle fut surprise. Puis, ayant levé le javelot des marais, elle s’accroupit, menaçante. Elle tourna

autourdemoi.Jerestai tranquillementdebout, tournant, lorsquecelaétaitnécessaire,afindeluifaireface.J’avais jugé ladistanceetsavaiscequ’elle tenteraitprobablementdefaire.Puis,avecuncriderage,ellefrappa,maisjeluiarrachailejavelot,ladésarmant,etlejetaiauloin.

Ellerecula,lamaindevantlabouche.«Netentepasdemetuerunenouvellefois,»dis-je.Ellesecoualatête.Jelaregardai.«J’aieul’impression,»repris-je,«lanuitdernière,quel’esclavagetefaisaittrèspeur.»

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Jeluifissigned’approcher.C’était seulement lorsque je l’avais détachée que j’avais remarqué, sur sa cuisse gauche, une

minusculemarque,impriméeauferrougedanssachair,ilyavaitbienlongtemps,unepetitelettreenécriturecursive,l’initialedeKajira,motqui,engoréen,signifie:femmeesclave.Auparavant,danslapetite hutte éclairée, elle s’était toujours arrangée pour me cacher ce côté ; pendant la journée, satunique dissimulait la marque ; pendant la nuit, dans l’obscurité et le tumulte, je ne l’avais pasremarquée;surle1radeau,elleavaitétécachéesouslestigesderencedontjel’avaisrecouverte.

Elles’étaitapprochéedemoi,commejeleluiavaisdemandé,ets’étaitarrêtée;àl’endroitoùellesetrouvait,j’auraispu,sijel’avaisvoulu,mesaisird’elle.

«Tuasétéesclave,»affirmai-je.Elletombaàgenoux,levisagedanslesmains,etpleura.«Maisjeprésume,»repris-je,«quetuesparvenueàt’échapper.»Elleacquiesça,enlarmes.—«Surdespoutresattachéeslesunesauxautres,»expliqua-t-elle,«quim’ontpermisdequitter

lescanauxetdepénétrerdanslesmarais.»On disait qu’aucune esclave ne s’était jamais échappée de Port Kar mais ce dicton, comme

beaucoupd’autres,étaitsansdouteexagéré.Néanmoins,l’évasiond’uneesclave,oud’unesclave,doitêtre extrêmement rare carPortKar et ses canaux sont protégés d’un côté par leGolfe deTamber etThassa laLuisante,etde l’autrepar lesmarais interminables,peuplésderequinsetde tharlarions.SiTelima n’avait pas appartenu à une communauté deRenciers, elle aurait probablement péri dans lesmarais.JesavaisqueHo-Haks’étaitégalementéchappédePortKar.Ilyenavaitcertainementd’autres.

—«Tudoisêtretrèscourageuse,»relevai-je.Ellelevasesyeux,rougisparleslarmes,versmoi.«Ettonmaître,»poursuivis-je,«tudevaisbeaucouplehaïr.»Sesyeuxlancèrentdeséclairs.«Quelétaittonnomd’esclave?»demandai-je.«Quelnomaimait-iltedonner?»Ellebaissalesyeux,secouantlatête.Ellerefusaitderépondre.«Ilt’appelait:JoliePetiteEsclave,»affirmai-je.Elle leva la tête, les yeux rougis par les larmes, et gémit. Puis elle fixa à nouveau le rence, les

épaulessecouéesparlessanglots.—«Oui,»fit-elle,«oui.»Jelaquittaietallaivoirplusloin.Jemedirigeaiverslesruinesdelahutte.Bienquelahutteelle-

même eût été détruite, je retrouvai l’essentiel de son contenu. Je découvris, avec une intensesatisfaction, une gourde d’eau à moitié pleine. Je pris également le sac de nourriture, celui qu’elleportaithabituellementàlaceinture.Avantdem’éloigner,jeremarquai,parmilerencebriséetlesobjetsdivers,lesdeuxbâtonsdejetainsiquelatuniquedetissuderencequ’elleavaitquittée,laveilleausoir,avantdem’ordonnerdeservirsonplaisir,aumomentoùnousavionsentenducrier:«LesMarchandsd’Esclaves ! ». Je la ramassai et l’emportai, avec le reste, près du poteauoù, à genoux, elle pleuraittoujours.

Jejetailatuniquedetissuderencedevantelle.Ellelaregarda,incrédule.Puisellemefixa,stupéfaite.«Habille-toi,»dis-je.—«Jenesuispastonesclave?»demanda-t-elle.—«Non,»répondis-je.Elleenfilalevêtement,serrantmaladroitementlaceinture.Jeluitendislagourded’eauetellebut.Je vidai le sac de nourriture : un peu de pâte de rence sèche, datant de l’avant-veille, quelques

morceauxdepoissonséché,unepartdegalettederence.

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Nouspartageâmeslanourriture.Elleneparlapas.Ellerestaàgenouxdevantmoi,quiétaisassislesjambescroisées.—«Resteras-tuavecmoi?»demanda-t-elle.—«Non,»répondis-je.—«Iras-tuàPortKar?»demanda-t-elle.—«Oui,»répondis-je.—«Maispourquoi?»s’enquit-elle.«JenecroispasquetusoisdePortKar.»—«J’aiaffairelà-bas,»dis-je.—«Puis-jetedemandertonnom?»—«Jem’appelleBosk,»répliquai-je.Sesyeuxs’emplirentdelarmes.Jen’avaispasderaisondeluidirequejem’appelaisTarlCabot.Monnomn’étaitpasinconnu,dans

certainescitésdeGor.IlétaitpréférablequepeudegenssachentqueTarlCabotserendaitàPortKar.J’avais l’intentiondeconstruireunradeauaveclerencedel’îleetdes lianesdesmarais.Il restait

desgaffes,surl’île.Ensuite,jeprendraislechemindePortKar.Lajeunefemmes’ensortirait.Elleétaitintelligente,courageuse,vigoureuse,belle,etelleavaitvéculongtempsdanslesmarais.Commemoi,elle construirait un radeau et prendrait une gaffe, puis elle s’enfoncerait dans le delta, où une autrecommunautédeRenciersl’accepteraitcertainement.

Je n’avais pas terminé le peu de nourriture que nous avions partagée queTelima s’était levée etexploraitl’île.Jemastiquailederniermorceaudepoisson.

Elleprituncadavreparlebrasetletraînaverslarive.Jemelevai,m’essuyant lesdoigtssur lemorceaude tuniquequejeportais,puismedirigeaivers

elle.«Quefais-tu?»demandai-je.—«NousappartenonsauMarais,»répondit-elleavecraideur.«LesRencierssontnésduMarais,

ilsdoiventretournerauMarais.»J’acquiesçai.Ellefitbasculerlecadavredansl’eau.Jevis,souslasurface,ungrostharlarionsedirigerverslui.Jel’aidaidanssatâche.Biensouventnousdûmesallerjusqu’àlarive.Puis,enfin,retournantunmorceaudenattedéchiquetéequiavaitconstituéleflancd’unehutte,je

découvrisunautrecadavre,celuid’unenfant.Jetombaiàgenouxprèsdeluietpleurai.Telimasetenaitprèsdemoi.«C’estledernier,»dit-elle.Jenerépondispas.«Ils’appelaitEechius,»reprit-elle.Elletenditlamainverslui,dansl’intentiondeleprendredanssesbras.J’écartaisonbras.«C’estunRencier,»déclara-t-elle.«IlestnéduMaraisetildoitretournerauMarais.»Jeprismoi-mêmel’enfantdansmesbrasetmedirigeaiverslarivedel’îlederence.Je regardai vers l’ouest, direction prise par les péniches lourdement chargées des Marchands

d’EsclavesdePortKar.J’embrassail’enfant.«Leconnaissais-tu?»demandaTelima.Jejetailecorpsdanslemarais.—«Oui,»répondis-je.«Ilaétébonpourmoi.»C’étaitlepetitgarçonquim’avaitdonnéunmorceaudegalettederencetandisquej’étaisattachéau

poteau,celuiquesamèreavaitpunipourcetteraison.

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JemetournaiversTelima.«Apporte-moimesarmes!»dis-je.Ellemeregarda.«Ilfaudralongtemps,n’est-cepas,»expliquai-je,«àdespénichesaussilourdementchargées,pour

atteindrePortKar?»—«Oui,»fit-elle,étonnée,«c’estvrai.»—«Apporte-moimesarmes!»répétai-je.—«IlyaplusdecentGuerriers,»fit-elled’unevoixsoudainmalassurée.—«Et,parmimesarmes,»précisai-je,«apporte-moilegrandarcetsesflèches.»Ellepoussauneexclamationdejoieets’éloignaencourant.Jeme tournaiànouveauvers l’ouest,directionprisepar lespéniches,et regardai lemarais,où le

silenceavaitreprissesdroits.Puis j’entrepris de ramasser du rence, arrachant, à la surface de l’île, de longues tiges, avec

lesquellesonpeutconstruireuneembarcation.

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CEQUIARRIVADANSLESMARAIS

J’AVAIS ramassé des tiges de rence etTelima, adroitement, avec des lianes desmarais, de sesmainsvigoureuses,avaitconstruitunebarque.

Pendantqu’elles’yemployait,j’avaisexaminémesarmes.Ellelesavaitdissimuléesdanslerence,loindesahutte,puisavaittressédurencepar-dessus.Elles

avaientétéàl’abri.J’avaisretrouvémonépée,cettelameàdoubletranchantd’aciergoréentrempé,quej’avaisportée

ausièged’Ar, ilyavaitbiendesannées,ainsiquesonfourreau;et lebouclierrond,encuirdeboskrenforcédecerclesdecuivre,avecsesdeuxpoignéesfixéespardesrivetsdefer;etlecasquesimple,dépourvud’insigne,sanscimier,defercourbe,avecsonouvertureenformedeY,dontl’intérieurétaitgarnidecuir.J’avaismêmeretrouvé,tachéeparleseldesmarais,latuniquedeGuerrierquim’avaitétéprisedanslesmaraiseux-mêmes,avantqu’onmeconduise,piedsetpoingsliés,devantHo-Hak.

Et il y avait, également, le grand arc de bois de Ka-la-na jaune et souple, renforcé, à chaqueextrémité, de corne de bosk portant des entailles, avec sa corde de chanvre entrelacé de soie et lerouleaudeflècheslonguesetcourtes.

Je comptai les flèches. Il y en avait soixante-dix, cinquante longues et vingt courtes. La flèchegoréenne longue mesure environ un mètre, la flèche courte fait environ quatre-vingts centimètres.Toutesdeuxontunepointemétalliqueet troisdemi-plumesàl’empennage,engénéraldesplumesdemouetteduVosk.Parmilesflèches,setrouvaientledoigtierdecuir,avecsesdeuxouverturesdestinéesà l’index et au majeur de la main droite, et le brassard de cuir protégeant l’avant-bras gauche desblessuresquepourraitéventuellementoccasionnerlacorde.

J’avaisdemandéàTelimadeconstruireunebarquesolide,pluslargequed’ordinaire,plusstable.Jen’étaispasRencieret,danstoutelamesuredupossible,j’avaisl’intentiondetirerdebout;enréalité,ilestdifficiledebanderl’arccorrectementlorsqu’onn’estpasdebout;cen’estpaslepetitarcdroitquel’onutilisepourchasserlepetitgibier,letabukoulesesclaves.

L’embarcation me plut et, seulement quelques ahns après avoir quitté notre cachette, dans lesmarais,etregagnél’île,Telima,àlagaffe,nousfitquitterlarive,dirigeantnotreembarcationdanslesillagedesétroitespénichesdesMarchandsd’EsclavesdePortKar.

Lesflèchessetrouvaientdevantmoi,étaléessurleurenveloppedecuirposéesurlestigesderencedenotreembarcation.

J’avais,àlamain,legrandarc.Jenel’avaispasencoretendu.

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LeMaîtredeNagedelasixièmepénicheétaitmanifestementencolère.Illuiavaitfallucesserdedirigerlesrameurs.

Les péniches, alignées devant lui, avaient ralenti puis s’étaient immobilisées, les rames à demirentrées,dansl’expectative.

Les petites barques de rence elles-mêmes ont parfois des difficultés à se frayer un chemin dansl’enchevêtrementderoseauxetdejoncsdudelta.

Une lourde barque de bois, appartenant au bateau amiral, s’était portée à l’avant.Deux esclaves,deboutàl’arrière,propulsaientàlagaffel’embarcationàfondplat.Àl’avant,setenaientdeuxautresesclaves armésdegaffe légères à l’extrémitédesquelles était fixéeune lame. Ilsdébroussaillaientunchenalpourlespéniches.Cechenaldoitêtreassezlargepourautoriserlamanœuvredesrames.

La sixièmepénichecommençaàdériverdoucementdans le sensduvent,décrivant lentementundemi-cercle,commeundoigttournantsurl’eau.

LeMaîtredeNagepoussauneexclamationderageetsetournaversl’hommedebarre,quitenaitlegouvernail.

L’hommedebarreétaitimmobileprèsdugouvernail.Ilavaitretirésoncasquecarilfaisaitchaud,àmidi,dansledelta.Desinsectestournoyaientautourdesatête,seprenaientdanssescheveux,sansqu’ilsedonnâtlapeinedeleschasser.

LeMaîtredeNage,furieux,gravitrapidementl’escalierduchâteauarrière,prit l’hommedebarreparlesépaules,lesecoua,puisvitsesyeux.

Illâchal’hommequis’effondra.LeMaître de Nage poussa un cri de terreur et appela les Guerriers, qui se rassemblèrent sur le

châteauarrière.LaflèchedugrandarcdeboisjaunedeKa-la-nasoupleavaittraversélatêtedel’hommepuisétait

retombée,unecentainedemètresplusloin,disparaissantdanslemarais.Àmon avis, à cemoment-là, les hommes de Port Kar n’avaient pas encore deviné la nature de

l’armequiavaittuéleurhommedebarre.Ilssavaientseulementqu’ilétaitvivantquelquesinstantsplustôt,puisqu’ilétaitmortetquesatête

portait deux blessures inexplicables ; profondes, opposées, cercles dépourvus de centre, constituanttoutesdeuxlapointeécarlated’untriangledesang.

Hésitants,tenaillésparlapeur,ilsregardèrentautourd’eux.Lemaraisétaitsilencieux.Ilsn’entendirent,auloin,quelecristridentdugautdesmarais.Ensilence,rapidement,aveclavigueuretl’adressedeceuxdesarace,Telima,profitantavecsûreté

detouteslesbrèchesouvertesdanslavégétationdesmarais,sansjamaislemoindrefauxmouvement,conduisitbientôtnotrepetiteembarcationdanslevoisinagedespéniches,ralentiesnonseulementparleurpoids,maiségalementpar lesobstaclesnaturelsdesmarais.Avecémerveillement, je laregardaisdirigernotrepetitebarque,sedéplaçantcontinuellement,restanttoujoursàl’abrideshautestouffesderoseaux et de joncs. Parfois, nous nous trouvions à quelques mètres des péniches. J’entendais lecraquementdesramesdanslestolets,lesappelsduMaîtredeNage,lesconversationsdesGuerriersaurepos,lesgémissementsdesesclavesattachés,bientôtréduitsausilenceparlefouetetlescoups.

Telimacontournaadroitementungrandenchevêtrementflottantdelianesdesmaraisquisebalança,suivantlesmouvementsdel’eau.

Nous dépassâmes la cinquième péniche, puis la quatrième et la troisième. J’entendis des appels,reprisd’unepénicheàl’autre,laconfusion.

Bientôt,cachésderrièrelesroseauxetlesjoncs,nousarrivâmesàlahauteurdelapremièreétroitepéniche à haute proue. C’était leur bateau amiral. Les Guerriers, grimpés sur les bancs de nage, aumilieudubâtiment,àl’arrièreetjusquesurlechâteauarrière,regardaientlalignedepéniches,essayant

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dedevinerlacausedescrisetdelaconfusion.Quelquesesclaves,enchaînésàleursbancs,tentaientdeseleverafindevoircequ’ilsepassait.Surlepetitpontavantdelapéniche,souslahauteprouecourbe,setenaientl’officieretHenrak,quiregardaientversl’arrière.L’officier,furieux,s’adressait,d’unevoixforte, auMaîtredeNage,qui étaitmonté sur lepont arrière et, lesmains sur le rebord, regardait lesautrespéniches.Surlahauteprouecourbe,àlaquelleétaitattachée,nue,lajeunefemmeminceetbrune,se tenaitunevigiequi,elleaussi, lamainau-dessusdesyeux, regardaitvers l’arrière.Sous laproue,danslabarque,lesesclavescessèrentdecouperlesjoncsetleslianesdesmaraisquiempêchaientlespénichesd’avancer.

J’étaisdeboutdansnotrepetiteembarcation,cachéparlesroseauxet lesjoncs.J’avaislesjambesécartées,mestalonsétaientalignésaveclacible;mespiedsetmoncorpsétaientperpendiculairesàlalignede lacible ;matêteétait tournéefranchementàgauche ; jebandai l’arc jusqu’à lapointede laflèche, de sorte que les trois demi-plumes demouette duVosk se trouvent tout contrema joue ; jerespiraiprofondémentetretinsmonsouffle,lesyeuxfixésau-delàdelapointedelaflèche;ilnedoitpasyavoirlemoindremouvement;puisjelâchailacorde.

Letrait,àcettedistance,luitraversacomplètementlecorpspuisdisparut,auloin,parmilesroseauxetlesjoncs.

L’hommenepoussapasuncri,maislajeunefemmeattachéeprèsdeluisemitàhurler.Lecorpstombabruyammentàl’eau.Lesesclavesdeboutdanslabarque,armésdeleursgaffes,poussèrentdescrisdeterreur.J’entendis

un bruit d’eau, de l’autre côté de la péniche, le rugissement d’un tharlarion desmarais qui émergeasoudain. L’homme n’avait pas crié. Il était certainement mort avant d’avoir atteint l’eau. La jeunefemmeattachéeàlaproue,toutefois,stupéfaite,hystérique,voyantl’agitationdestharlarionsd’eauqui,souselle,s’appropriaientchacununepartdecefestinimprévu,hurlaitsansdiscontinuer.Lesesclavesde la barque, frappant avec leurs gaffes armées de lames dans l’espoir d’éloigner les tharlarions, semirentégalementàcrier.Desappelsretentirentunpeupartout.L’officier,grandetbarbu,dontlecasqueportait, sur les tempes, deux filets d’or, suivi parHenrak, qui avait toujours son écharpe blanche entravers du torse, courut à la lisse. Telima, adroitement, s’éloigna parmi les roseaux, tournantsilencieusementnotrepetite embarcationvers la dernièrepéniche.Tandisquenousnousglissions ensilenceparmilavégétationdumarais,nousentendîmeslescrisangoissésdeshommesetleshurlementsdelajeunefemmeattachée,quel’onfittaired’uncoupdefouet.

«Coupez!Coupez!Coupez!»crial’officierauxesclavesdelabarqueet,aussitôt,presqueavecfrénésie,ilsentreprirentdehacherleslianesdesmaraisavecleursgaffeséquipéesdelames.

Pendant tout l’après-midi et toute la soirée, tel un sleen en chasse, en compagnie de Telima, jetournai tranquillement autour des péniches et, de temps en temps, lorsque l’envie m’en prenait, jelâchaisuntraitmeurtrierdugrandarc.

Je frappai d’abord les hommes de barre et, bientôt, personne n’osa plus monter sur le châteauarrière.

PuisdesGuerriersprirentplacedans labarqueafind’aider lesesclavesàcouper les lianeset lesjoncs, à dégager un chenal,mais cesGuerriers, à découvert, constituaient des proies faciles pour lesoiseauxdugrandarc.Onenvoyaalorsd’autresesclavesdanslabarqueenleurordonnantdecouperetdecouperencore.

Et,unefoislechemindégagé,lorsqu’unMaîtredeNageosaitprendresaplaceetdonnerlacadenceauxrameurs,untraitàpointemétalliqueluitraversaitlecœur.

Ensuite,personnen’osaplusprendrelaplaceduMaîtredeNage.Lorsquelanuittombasurlesmarais,leshommesdePortKarallumèrentdestorchessurlesflancs

despéniches.Mais,grâceàlalumièredecestorches,legrandarcremportaencoredenombreusesvictoires.

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Alorsonéteignitlestorcheset,danslenoir,terrorisés,leshommesdePortKarattendirent.Nousavionsfrappédetouscôtés,àdesmomentsdifférents.EtTelimaavaitsouventimitélecridu

gautdesmarais.LeshommesdePortKarsavaient,contrairementàmoi,que leshabitantsdumaraiscommuniquaientgrâceàcesignal.Lefait,toutàfaitsatisfaisantdemonpointdevue,queTelimasavaitsibienimitercetappelquelesoiseauxeux-mêmesluirépondaientsouvent,étaitcertainementbeaucoupmoinssatisfaisantdupointdevuedeshommesdePortKar.Dans lenoir, regardant sansvoir, il leurétaitimpossiblededistinguerungautdesmaraisd’unennemi.IlsdevaientsecroireencerclésparunetroupedeRencierspassésmaîtresdanslemaniementdugrandarc.Ilsavaientcomprisqu’ils’agissaitdugrandarclorsquej’avaisfrappélesecondhommedebarre,leclouantaugouvernail.

Detempsentemps, ilsrépondaientàmontiretdescarreauxd’arbalètetombaientdanslemarais,toutautourdenous,maissansnoustoucher.Engénéral,ilstombaienttrèsloindenotrepositionréellecar, dès que j’avais tiré, Telima gagnait un nouveau point stratégique d’où, une fois prêt, je pouvaischoisirunenouvellecibleet lâcherunautre trait ailé.Parfois, lesmouvementsd’un tharlarionouunenvoldegautsdesmarais,sanslemoindrelienavecnous,étaientàl’origined’unepluiedecarreauxquiseperdaient,ensifflant,danslemarais.

Danslenoir,nousterminâmeslesgalettesderencedontnousnousétionsmunissurl’îleetbûmes

del’eau.«Combiendeflèchestereste-t-il?»demanda-t-elle.—«Dix,»répondis-je.—«Cen’estpasassez,»fit-elleremarquer.—«C’estexact,»dis-je,«maisnousavonsl’avantagedelanuit.»J’avaiscoupéunelianedesmaraisetavaisfabriquéunesortedelasso.—«Quevas-tufaire?»demanda-t-elle.—«Conduis-moiprèsdelaquatrièmepéniche,»dis-je.Selonnosestimations,ilyavaitenvironcentGuerriers,surl’ensembledespéniches,guèreplusen

toutcas.Encomptantlesmortsetceuxquenousavionsvusedéplacerfurtivement,levantrarementlatête au-dessus du bordé, il devait rester environ une cinquantaine d’hommes répartis sur les sixpéniches.

Silencieusement,Telimapoussanotrepetiteembarcationverslaquatrièmepéniche.Presquetouslesguerriers,avions-nousremarqué,étaientrassembléssur lapremièreet ladernière

péniches.Les péniches, pendant l’après-midi, avaient été disposées en formation serrée, l’étrave de l’une

touchant la poupe de la précédente, et y étant attachée par des filins. Cela réduisait les risquesd’abordage d’une péniche isolée et permettait aux guerriers de défendre l’ensemble. Ils ignoraientcombien de Renciers se cachaient dans le marais. Cette disposition augmentait la mobilité de leursforces car les guerriers pourraient sauter du pont avant d’une péniche sur le château arrière de laprécédente, par exemple. Si l’abordage se produisait au centre de la ligne, les agresseurs seraientattaquéssurlesflancspardesguerriersvenusdespénichesvoisines.Cettedispositiontransformaitlespéniches,précédemmentisolées,enunfortlongetétroit,auxparoisdebois.

Cette technique de défense supposait que les agresseurs, probablement la population masculined’une ou deux communautés de Renciers, entre soixante-dix et quatre-vingts hommes, en tout,attaqueraientlapremièreouladernièrepéniches,desortequ’ilsnecombattraientquesurunseulfrontetnerisqueraientpasd’êtreprisàrevers.Ilétaittoutàfaitimprobablequel’onamène,danslabarque,desGuerrierschargésd’attaquerlesRencierspar-derrière;enoutre,mêmedanscecas,lesnombreusesembarcations des Renciers, agglutinés autour des péniches, les auraient certainement neutralisés etdétruits.

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Dans ces conditions, par conséquent, il était parfaitement naturel que l’officier, dont le casqueportait, sur les tempes,deux filetsd’or,aitconcentréseshommesauxdeuxextrémitésde la lignedepéniches.

Nous étions alors près de la coque de la quatrième péniche et nous y étions venus aussisilencieusementqu’unefleurderenceflottantsurl’eau.

Commejenedisposaispasd’unetroupenombreuse,ilmeparutjustedelaisserleshommesdePortKarcombattreàmaplace.

Debout contre la coque, tout près, dans ma petite embarcation de rence qui se balançait, je fisclaquerlalangue,petitbruitquinesignifiaitrienenlui-mêmemaisqui,decefait,danslenoir,seraitsurprenant,terrifiantmêmeparcequeincompréhensible.

J’entendisunerespirationprécipitéequim’indiqualapositiond’unhomme.Grâce àmon lasso de liane desmarais, je le fis basculer par-dessus bord, le précipitant dans le

marais,puislemaintinssousl’eaujusqu’aumomentoùjesentisqu’untharlarions’étaitemparédelui,l’emportant.

Lesesclavesenchaînésauxbancspoussèrentdescrisdeterreur.LesGuerriersseprécipitèrent,venantdesdeuxcôtésà la fois,vers l’endroitd’oùprovenaient les

crisdesesclaves.Danslenoir,ilsserencontrèrent,criant,brandissantleursarmes.Deuxhommes,ayantfaitunfauxpasensautantd’unepénicheàl’autre,tombèrentdanslemarais

avecdeshurlements.D’autrescrisretentirent.Quelqu’unréclamaunetorche.Telimanousécartadelacoquedelaquatrièmepéniche.Jeramassail’arcetmisenplace,surlacorde,unedesdixflèchesrestantes.Lorsquelatorchefutallumée,j’envoyaiuneflèchedanslecœurdel’hommequilatenaitetcelui-ci,

commesousl’effetd’uncoupdepoing,tournoyasurlui-mêmeettombapar-dessusbord,del’autrecôtédelapéniche.Unautrehomme,bousculéparsescamarades,criaettombaégalementpar-dessusbord.Ilyeutd’autreshurlements.

Ondemandaànouveaudestorches,maisaucunenes’alluma.Puisj’entendisletintementaveugle,déchaîné,desépées.Puisquelqu’uncria:«Ilssontàbord!Ilsontabordé!Combattez!»Telimas’étaitarrêtéeàunetrentainedemètresdespénichesetjemetenaisprêtàtireraucasoùon

auraitapportéuneautretorche.Celaneseproduisitpas.Deshommescoururentdansl’alléeséparantlesbancsdesrameurs.J’entendis de nouveaux cris de douleur, les hurlements terrifiés des esclaves qui tentaient de se

cachersousleursbancs.Unnouveaucorpstombaàl’eau.Quelqu’un, d’unevoix puissante, peut-être unofficier, ordonna à de nouveauxguerriers d’aller à

l’arrièreetderepousserlesagresseurs.Ducôtéopposé,uneautrevoixordonnaauxhommesd’allerà l’avant,commandantauxguerriers

d’attaquerleflancdesagresseurs.JedemandaiàTelimad’approcherànouveauet,ayantposémonarc,prismonépéed’acier.Lorsque

nousfûmescontrelacoquedelaquatrièmepéniche,jefrappaipar-dessuslebordé,plongeantmalamedansundescorpsmouvants,puislaretirant.

Ilyeutànouveaudescrisetletintementdel’acier.

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Inlassablement, sur la troisièmeet laquatrièmepéniches,nous fîmes cela, retournant chaque foisdanslemaraisetattendant,l’arcprêt.

Lorsquejejugeaique,surlespéniches,lescris,lesjuronsetlestintementsdel’aciersuffisaient,jedisàTelima:

«Maintenant,ilesttempsdedormir.»Ellemeregardaavecstupéfactionmais,obéissant,éloignalabarquederence.Jedétendislegrandarc.Lorsquelabarquederencefutcachée,àunecentainedemètresdespéniches,parmilesroseauxet

lesjoncs,jeluidemandaid’amarrernotreembarcation.Elleplantalagaffedanslavasedumaraisetyattachalabarque,avecunmorceaudelianedesmarais.

Danslenoir,jedevinaiqu’elles’étaitagenouilléesurlerencedenotreembarcation.—«Commentpeux-tudormirdansunmomentpareil?»demanda-t-elle.Nousécoutâmeslescrisetlesappels,letintementdesarmes,leshurlements,quinousparvenaient

au-dessusdeseauxtranquillesdumarais.—«Ilesttempsdedormir,»répétai-je.Puisj’ajoutai:«Approche!»Ellehésita,puisobéit.Jeprisunmorceaudelianedesmaraisetluiattachailespoignetsdansledos

puis,avecunautremorceaudeliane,jeluiliaileschevilles.Ensuite,jel’allongeaidanslalongueurdelabarque,latêtecontrelaprouecourbedel’embarcation.Avecunderniermorceaudeliane,endoubleetformantuneboucleautourdesoncou,attachéeensuiteàlaprouecourbe,jel’immobilisai.

Comme elle était intelligente et fière, elle comprit la raison de ces précautions, ne posa pas dequestion,neprotestapas.Elleétaitattachée,immobiliséeetréduiteausilence.

Quantàmoi,j’étaispleind’amertume.Moi,TarlCabot,commejemehaïssais,jenerespectaispluslesêtreshumainsetjeneleurfaisais

plusconfiance.J’avaisagiainsi,pendantcettejournée,ensouvenird’unenfantquiavaitétébonavecmoi,maisquin’existaitplus.Jesavaisquej’avaispréférél’humiliationdelaservitudeàlalibertéd’unemorthonorable.Jesavaisquej’étaisunlâche.J’avaistrahimesCodes.J’avaisgoûtéàl’humiliationetàladégradationet j’enétaisseul responsablecar jen’avaisété trahiqueparmoi-même.Jenepouvaisplusmevoirtelquej’avaisété.J’étaisunenfantetjevenaisdecomprendrecequ’estlanaturehumaine,jevenaisdedécouvrir,enmoi,unebêteécœurante,capabledelâcheté,d’indulgencevis-à-visdesoi-même,d’égoïsmeetdecruauté.Jen’étaisplusdigneduRougedesGuerriers,jen’étaisplusdignedeservirlaPierreduFoyerdemaCitéKo-ro-ba,lesToursduMatin;ilmesembla,àcetinstant,qu’iln’yavait que les vents et les puissances, les mouvements des corps, la pluie qui tombe, l’agitation desbacilles,lesbattementsdescœursetl’arrêtdecesbattements.Jemesentaisseul.

Puis,malgrélescrisetlesappels,jem’endormis.Madernièrepensée,avantladouceobscuritédusommeil, fut le souvenir que j’avais préféré l’humiliation de l’esclavage à la liberté d’une morthonorable,etquej’étaisseul.

Jem’éveillai,transidefroid,dansl’aubedesmarais,tandisqueleventmurmuraitparmilesjoncs

clairsemés, avec les appels des gauts des marais qui filaient entre les roseaux. Au loin, retentit lerugissementd’ungrostharlarion.Dansleciel,battantdeleursgrandesailesmembraneusesetcouvertesd’écailles, se dirigeant vers l’est, deux uls passèrent en poussant des cris aigus. Je restai quelquesinstantsimmobilesurlerence,regardantfixementlegrandcielgrisetvide.

Puisjememispéniblementàgenoux.Teliman’avaitpasbougé,naturellement,puisquejel’avaisattachéelaveilleausoir.Jeladéliaiet,sansunmot,péniblement,elles’étiraetsefrottalespoignetsainsiqueleschevilles.

Jeluidonnailamoitiédelanourritureetdel’eauquinousrestaient,puisnousmangeâmesensilence.Elleessuyalesmiettesdegalettederencequ’elleavaitautourdelaboucheavecledosdesamain

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gauche.«Ilneterestequeneufflèches,»constata-t-elle.—«Jecroisquecelan’aplusguèred’importance,»répondis-je.Ellemeregardaavecétonnement.«Allonsprèsdespéniches,»dis-je.Elledétachalabarquederencedelagaffequiluiavaitservid’amarreet,lentement,arrachalagaffe

delavasedesmarais.Ellenousconduisitprèsdespéniches.Ellessemblaientabandonnéesdanslalumièregrisedumatin.

Restanttoujoursàl’abridesbouquetsderoseauxetdejoncs,ellefitletourdessixpénichesattachéeslesunesauxautres.

Nousattendîmesenvironuneahn,puisjeluidisd’allerprèsdelasixièmepéniche.Je tendisànouveaulegrandarcetglissai lesneufflèchesdansmaceinture.Macourteépée,que

j’avaisportéeausièged’Ar,étaitdanssonfourreau,surmonépaulegauche.Nousapprochâmestrèslentement,dérivantpresque,duhautétambotsculptédelasixièmepéniche.Nousrestâmes làpendantplusieursehns.Puis,ensilence, je fissigneàTelimadefrotter lagaffe

contreleflancdelapéniche,entouchantàpeinelesplanches.Elleobéit.Iln’yeutpaslamoindreréaction.Ensuite,jeprismoncasque,dépourvud’insigneetdecimier,parmilesobjetsposéssurleradeaude

renceetlelevaiau-dessusdubordédelapéniche.Ilnesepassarien.Jen’entendisrien.JedemandaiàTelimadenouséloignerdelapénicheetlaregardaipendantquelquesehns,debout,le

grandarcpartiellementbandé,uneflèchesurlacorde.Jeluifisalorssigne,ensilence,desedirigerverslaprouedelasixièmepéniche.Unejeunefemme,

nue et pitoyable, était attachée à la proue mais, compte tenu de sa position, elle ne pouvait ni seretournerninousvoir.Jecroisqu’elleneserenditpascomptequenousétionslà.

Jeposail’arcsurlerencedelabarqueetretirailesflèchesglisséesdansmaceinture.Jeneprispasmonboucliercar,pourgrimper,ilm’auraitencombré.Jedissimulainéanmoinsmestraitssouslecasquecourbe,àl’ouvertureenformedeY,duGuerrier

goréen.Puis,lentement,sanslemoindrebruit,jemehissaijusqu’àlalisseet,lorsquemesyeuxfurentau-

dessus, examinai l’intérieur. Caché par l’arrière de la cinquième péniche, j’escaladai la proue de lasixièmeetmehissaiàbord.Jeregardaiautourdemoi.J’enétaislemaître.

«Pasunmot!»dis-jeàlajeunefemmeattachéeàlaproue.Ellefaillitcrier,terrifiée,ettentadeseretournerafindevoirquisetenaitderrièreelle,maiselleen

futincapable,dufaitqu’elleétaitattachée.Elleneditrien.Lesesclaves,enchaînésàleursbancs,hagards,lesyeuxdilatés,meregardèrent.«Pasunmot!»leurdis-je.Iln’yeutqu’untintementdechaînes.Les esclaves des îles de rence, entassés commedu poisson entre les bancs des rameurs, pieds et

poingsliés,faisaientfaceàl’arrièredubateau.«Quiestlà?»demandal’und’entreeux.—«Tais-toi!»répliquai-je.Jemepenchaipar-dessuslalisse,regardaiTelimapuisluifissignedemepassermonbouclieret,

malgréladifficulté,elleobéit.Jeregardaiànouveauautourdemoi.Puisjeposaileboucliercontrelebordéettendislebrasversle

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grandarcetsesneufflèches.Telimamelesdonna.Ensuite,jeluifissignedemonteràbordet,ayantsolidementattachél’embarcationàuntaquetsitué

justeàl’arrièredelaproue,ellemerejoignit.Elles’immobilisaprèsdemoi,surlepontdelasixièmepéniche.«Leurbarqueadisparu,»remarqua-t-elle.Jenerépondispas.J’avaisdéjàconstatéladisparitiondelabarque.Pourquelleautreraisonserais-je

venuaussitôtprèsdespéniches.Jedétendislegrandarcetledonnai,avecsesneufflèches,àTelima.Jeramassaimonbouclier.—«Suis-moi!»ordonnai-je.Je savais qu’elle ne pouvait pas tendre l’arc. Je savais également que,même si l’arme avait été

tendue,elleauraitétéincapabledelebanderplusqu’àmoitié,maisjesavaisaussique,mêmebandéauquart de sa puissance, à cette distance, la flèche pourrait pénétrer dansmon dos. Par conséquent, jedétendisl’arcavantdeleluiconfier.

Jelaregardai,impassiblementetlongtemps,maisellenebaissapaslatête,soutintsanscraintemonregard.

Jefisdemi-tour.Iln’yavaitaucunGuerrierdePortKarsurlasixièmepénichemais,lorsquejepassaidupontavant

delasixièmepénicheauchâteauarrièredelacinquième,jedécouvrisquelquescadavres.Quelques-unsavaient encore les flèches du grand arc. Mais, manifestement, beaucoup avaient succombé à desblessuresinfligéesparl’épéeoulalance.Enoutre,denombreuxautresavaientétéjetéspar-dessusborddansl’obscuritéetlaconfusion.

Jemontrailescadavresdeceuxquiavaientététuésparlesflèches.«Récupèrelesflèches!»ordonnai-jeàTelima.J’avais utilisé des flèches à pointe simple, qu’il est possible de retirer de la blessure. La pointe

simple entraîne une plus grande pénétration. Si j’avais utilisé des flèches à pointe large, ou bien lesflèches dentelées des Tuchuks, il aurait fallu, pour les retirer, les enfoncer complètement dans lablessureet lessortir,ensuite,de l’autrecôté, lesplumesendernier.Grâceàcetteméthode, ilest rarequ’onperdelapointedanslecorps.

Telima,uneparune,tandisquenouspassionsprèsdeceuxquiavaientsuccombéauxtraitsdugrandarc,arrachalesflèchesetlesajoutaàcellesqu’elleportaitdéjà.

Ainsi, armé de mon bouclier et de mon épée, le casque sur la tête, suivi de Telima, une jeuneRencière, quiportait legrandarc et ses flèches, dontbeaucoupétaient ensanglantéesdu fait qu’ellesavaientétéarrachéesauxcadavresdeshommesdePortKar,jepassaid’unepénicheàl’autre.

IlnerestaitpasunseulGuerrierdePortKarvivant.Les survivants s’étaient manifestement enfuis avec la barque. Dans le noir, probablement, ils

s’étaient précipités sur elle et, parmi les cris et le combat aveugle, ou bien ensuite, dans le silenceterrifiant qui constituait peut-être le prélude d’un nouvel assaut, avaient sauté par-dessus bord et,manœuvrantdésespérémentlagaffe,s’étaientenfuis.Ilétaitégalementpossiblequ’ilssesoientrenducompte,finalement,quelesagresseursn’étaientplusparmieuxoubienque,s’ilsyavaientété,ilsn’yétaientplus,maisn’aientpassouhaitéresterprisonniersdesmarais,oùilsauraientsuccombéàlasoifouauxtraitsdugrandarc jaune.Jeprésumaiquelabarquenepouvaitcontenirbeaucoupd’hommes,huitoudixaugrandmaximum.JenevoulaispassavoircommentceuxdePortKaravaientdécidéquiprendrait la fuite dans cette embarcation. J’étais certain que ceux qui avaient trouvé lamort sur lespénichess’étaientvu,parleurnaturemême,refuseruneplace.

Nousétionsalorssurlepontavantdelapremièrepéniche.

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«Ilssonttousmorts,»ditTelimad’unevoixpresquebrisée.«Ilssonttousmorts.»—«Retourneaupontarrière!»ordonnai-je.Elleobéit,portantlegrandarcetlesflèches.Deboutsurlepontavant,jeregardailemarais.Au-dessusdemoi, ledosà laprouecourbede lapéniche,étaitattachée la jeunefemmeminceet

brune, dont jeme souvenais si bien, celle qui avait des jambesmagnifiques.Elle était tout contre laproue, lespoignetscruellementattachésderrièrecelle-ci, égalementmaintenueenplacepardes lienspassés autour de ses chevilles, de sa taille et de son cou. Jeme souvins que j’étais ainsi attaché aupoteaulorsqu’elleavaitdansé,méprisante,devantmoi.

«Jevousenprie,»supplia-t-elle,essayantdetournerlatête,«dites-moiquivousêtes.»Jenerépondispas.Jefisdemi-tour,quittailepontavantetsuivisl’alléesituéeentrelesbancsdes

rameurs.Ellem’entenditpartir.Lesesclavesnebougèrentpaslorsquejepassaientreeux.Jegravislesmarchesduchâteauarrière.PuisjeregardaiTelimadanslesyeux.Ellemerenditmonregard,levisagejoyeux.«Merci,Guerrier,»souffla-t-elle.—«Apporte-moiunecorde!»ordonnai-je.Ellemeregarda.Jemontraiunrouleaudecordeposécontreleplat-bord,souslechâteauarrière,surmagauche.Elleposalegrandarcetsesflèchessurlechâteauarrière.Ellem’apportalerouleaudecorde.J’encoupaitroismorceaux.«Tourne-toietcroiselespoignets!»ordonnai-je.Aveclepremiermorceaudecorde,jeluiattachailespoignetsdansledos;ensuite,jelaprisdans

mesbraset laportaisur lasecondemarchede l’escalierconduisantauchâteauarrière,deuxmarchesplusbasquecellequisupportaitlesiègeduMaîtredeNage;ensuite,jeluiattachaileschevillesavecledeuxièmemorceaudecorde;avecletroisièmemorceau,jeconfectionnaiunelaissequejeluipassaiaucoupuisattachaiàunechevilled’amarragesituéeàbâborddelapéniche,àenvironcinqmètresdelapoupe.

Puis je m’assis en tailleur sur le château arrière. Je comptai les flèches. J’en avais vingt-cinq.Beaucoup de guerriers frappés par les flèches étaient tombés à l’eau ; d’autres avaient été jetés par-dessusbordparleurscamarades.Entout,survingt-cinqflèches,ilyavaitdix-huitflèchescourtestandisque les sept autres étaient des flèches longues. Je posai l’arc près demoi etmis les flèches sur lesplanchesduchâteauarrière.

Ensuitejemelevaietgagnai,passantd’unepénicheàl’autre,lasixièmepéniche.Comme précédemment, les esclaves enchaînés à leurs bancs, tournés vers l’arrière de chaque

péniche,nebougèrentpaslorsquejepassaiparmieux.«Donne-moidel’eau,»soufflaunrencier.Jepoursuivismoncheminsansrépondre.Enpassantd’unepénicheàl’autre,jecôtoyai,àchaqueproue,attachéeau-dessusdematête,liée,

unejeunefemmenue.Àlaprouedeladeuxièmepéniche,unpeuplusd’unmètreau-dessusduchâteauarrière de la première, c’était la grande jeune femme blonde, aux yeux gris, qui m’avait posé unmorceaudelianedesmaraiscontrelebras,celle-làmêmequiavaitdansédevantmoiavecunelenteurinsupportable.À la troisièmeproue, c’était la jeune femmebrune,plutôtpetite,qui avaitun filet surl’épaule.Jemesouvinsqu’elleavait,commelesautres,dansédevantmoietque,commelesautres,ellem’avaitcrachéauvisage.

Attachéescommeellesétaientauxprouescourbesdespéniches,cescaptivesnepouvaientvoirquelecieldesmarais.Ellesnepouvaientqu’entendremespas,lorsquejepassaiprèsd’elles,et,peut-être,le

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discretfrottementdemalamegoréenne,danssonfourreau.En revenant, passant d’une péniche à l’autre, je marchai également parmi les renciers attachés,

entasséscommedupoissonentrelesbancsdesrameurs.Jeportais le lourdcasquegoréen,quidissimulaitmes traits.Personnenereconnut leGuerrierqui

passaparmilesprisonniers.Moncasqueneportaitpasd’insigne.Ilétaitdépourvudecimier.Personneneparla.Iln’yeutpasmêmeuntintementdechaînes.Jen’entendisquelebruitdemes

pas,lesbruitsmatinauxdumaraisetlesfrottementsdemalamedanssonfourreau.Unefoisarrivésur lechâteauarrièrede lasixièmepéniche, jemeretournaiet regardai lesautres

péniches.Ellesm’appartenaient.Quelquepart,unenfantsemitàpleurer.Je gagnai le pont avant de la sixième péniche, détachai l’amarre de la barque de rence, puis

enjambailalisseetmelaissaiglisserdansl’embarcation.Jedégageailagaffe,enfoncéedanslavase,prèsd’elle,puis,deboutsurlepetitbateaulargeetsolide,construitparTelimaaveclestigesderencequej’avaisramassées,jeprisladirectiondelapremièrepéniche.

Lesesclaves,ceuxquiétaientenchaînésauxbancsetceuxquiétaiententassésparmieux,restèrentsilencieux.

J’attachailabarquederenceàlapremièrepéniche,grâceàunechevilled’amarragesituéeàtribord,justeàl’arrièredelaproue.

Ensuite, jemontai à bord et regagnai le château arrière ; là, jem’assis sur le siègeduMaître deNage.

Telima,attachée,piedsetpoingsliés,agenouilléesurladeuxièmemarchedel’escalierconduisantauchâteauarrière,meregarda.

«JedétestelesRenciers,»affirmai-je.—«Est-cepourcetteraison,»demanda-t-elle,«quetulesasarrachésauxhommesdePortKar?»Jelaregardaiaveccolère.—«Ilyavaitunenfant,»expliquai-je,«quiaétébonavecmoi.»—«Tuasfaittoutcela,»s’étonna-t-elle,«parcequ’unenfantaétébonavectoi?»—«Oui,»répondis-je.—«Pourtant,»reprit-elle,«maintenant,tuescruelavecunenfantattaché,quiafaimousoif.»Elleavaitraison.J’entendaisdespleursd’enfant.Jeconstataiqu’ilsvenaientdelasecondepéniche.Avecbrusquerie,jequittailesiègeduMaîtredeNage.—«Jevouspossèdetous,»affirmai-je,«etlesesclavesenchaînésauxbancségalement.Sijeveux,

jepeuxvousconduireàPortKar,tousautantquevousêtes,etvousvendre.Jesuisseul,maisarméetfort,alorsquevousêtesnombreux,maisenchaînésetattachés.Jesuislemaître,ici!»

—«L’enfant,»dit-elle,«estattaché.Ilamal.Ilaprobablementfaimetsoif.»Je pivotai sur moi-même et me dirigeai vers la seconde péniche. Je trouvai l’enfant, un garçon

d’environcinqans,blond,commebeaucoupdeRenciers,avecdesyeuxbleus.Jecoupaisesliensetleprisdansmesbras.

J’identifiaisamèreetcoupaiaussisesliens,luiordonnantdefairemangerl’enfantetdeluidonnerdel’eau.

Elle obéit et, ensuite, je leur dis d’aller sur le château arrière de la première péniche puis leurordonnaides’immobilisersurlepontdesrameurs,aupieddel’escalierconduisantauchâteauarrière,surmagauche,prèsduplat-bord,oùilmeseraitpossibledelessurveiller,oùilsnepourraientpastenterdelibérerd’autresrencierssanssefaireremarquer.

JereprismaplacesurlesiègeduMaîtredeNage.«Merci,»ditTelima.

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Jeneprispaslapeinederépondre.Dansmoncœur,ilyavaitdelahainevis-à-visdesRenciers,carilsavaientfaitdemoiunesclave.

Enoutre, ilsavaientétémesprofesseurs,m’avaientmontréàmoi-mêmetelquejenevoulaispasmeconnaître. Cela m’avait coûté l’idée abstraite que je prenais pour la réalité ; ils m’avaient arrachél’image complaisante, l’illusion, précieuse et chère, le reflet injustifié de suppositions et de désirs,jamaisexaminés,quejeprenaispourlaréalitédemapersonnalité.Ilsm’avaientarrachéàmoi-même.J’avaissuppliédedeveniresclave.J’avaispréférél’humiliationdelaservitudeàlalibertéd’unemorthonorable.Dans lesmarais du delta duVosk, j’avais perduTarlCabot. J’avais appris que j’étais, aufondducœur,dePortKar.

Jesortislalamegoréennedesonfourreauet,assissurlesiègeduMaîtredeNage,laposaisurmesgenoux.

«Ici,jesuisUbar,»déclarai-je.—«Oui,»reconnutTelima,«ici,tuesUbar.»Jeregardail’esclavedetribord,celuidupremierbanc,quiétaitPremierRameur.AssissurlesiègeduMaîtredeNage,jefaisaisfaceàlaprouedelapénichetandisquelui,assissur

unbancdenage,regardaitlapoupeetlesiègeduMaîtredeNage,quiétaitdevenumontrôned’Ubar,danscepetitpaysdebois,perduaumilieudesmaraisdudeltaduVosk.

Nousnousdévisageâmes.Sesdeuxchevillesétaientenchaînéesàunepoutrefixéeaupontde lapéniche,dans lesensde la

longueur ; lachaîne reliant lesdeuxanneauxpassait au traversde lapoutreelle-même,dansun trourondpercédanscettepoutreetrenforcéparuntubemétallique;lesesclavesdesbancssituésderrièreluiétaientenchaînéssuivantlemêmeprincipe.Naturellement,àbâbord,lesesclavesétaientenchaînéssuivantlamêmetechnique.

L’hommeétaitnu-piedsetvêtudehaillons.Sescheveuxétaientsalesetemmêlés ; ilsavaientétécoupésàlabaseducou.Aucou,ilportaituncolliermétallique.

«Maître?»demanda-t-il.Jeleregardaipendantquelquesinstants.Puisjedis:—«Depuiscombiendetempses-tuesclave?»Ilparutsurpris.—«Sixans,»répondit-il.—«Quefaisais-tu,avant?»m’enquis-je.—«J’étaispêcheurd’anguilles,»répondit-il.—«DansquelleCité?»—«L’îledeCos,»dit-il.Jeregardaiunautrehomme.—«Àquellecasteappartiens-tu?»demandai-je.—«ÀcelledesPaysans,»répondit-il fièrement.C’étaitunhommedegrandetaille,auxépaules

larges,auxcheveuxblondsetbroussailleux;sescheveuxétaientégalementcoupésàlabaseducou;ilportaitégalementuncolliermétallique.

—«Appartiens-tuàuneCité?»demandai-je.—«J’étaispropriétairedemaferme,»répondit-ilfièrement.—«UnePierreduFoyer?»demandai-je.—«Lamienne,»répondit-il,«dansmahutte.»—«PrèsdequelleCité,»m’enquis-je,«setrouvaittapropriété?»—«Prèsd’Ar,»répondit-il.—«JeconnaisAr,»dis-je.Je regardai lemarais. Puis jeme tournai à nouveauvers le pêcheur d’anguilles qui était Premier

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Rameur.«Étais-tubonpêcheur?»m’enquis-je.—«Oui,»répondit-il.Jeregardaiànouveaulegéantauxcheveuxblonds,quiappartenaitàlaCastedesPaysans.—«Oùsetrouvelaclédevoschaînes?»demandai-je.—«Elleest,»répondit-il,«danslebrasdusiègeduMaîtredeNage.»J’examinailebrasdusiègeetdécouvrisunepiècedeboiscoulissantequejemanœuvrai.Lacavité

ainsi découverte contenait quelques haillons, de la corde et, suspendue à un crochet, une lourde clémétallique.

Jeprislaclépuislibérailepêcheurd’anguillesetlepaysan.—«Vousêtesdeshommeslibres,»déclarai-je.Ilsrestèrentlongtemps,assis,àmeregarder.«Vousêtesdeshommeslibres,»répétai-je.«Vousn’êtesplusesclaves.»Soudain,avecungrandrire,legéantblond,lepaysan,selevad’unbond.Ilsefrappalapoitrine.—«Jem’appelleThurnock!»s’écria-t-il.«J’appartiensàlaCastedesPaysans.»—«Jeprésume,»dis-je,«quetuesunmaîtredugrandarc.»—«Thurnock,»répondit-il,«saitbanderlegrandarc.»—«Jem’endoutais,»fis-je.L’autrehommeselevatranquillementets’éloignadubanc.—«Jem’appelleClitus,»déclara-t-il.«JesuisPêcheur.Jesaisguiderlesbateauxsurlesétoiles.Je

saismanierlefiletetletrident.»—«Vousêteslibres,»dis-je.—«Jesuistonhomme!»s’écrialegéant.—«Moiaussi,»déclaralepêcheur.«Moiaussi,jesuistonhomme.»—«Cherchez,parmilesrenciers,»dis-je,«celuiquisenommeHo-Hak.»—«Trèsbien,»répondirent-ils.—«Etconduisez-ledevantmoi,»ajoutai-je.—«Trèsbien,»répondirent-ils.Jevoulaisqu’onmecourtise.Telima, agenouillée au-dessous de moi, une laisse autour du cou, attachée à une cheville

d’amarrage,meregarda.«CommentmonUbarva-t-ilsedistraireavecsescaptifs?»demanda-t-elle.—«JevaisvousvendreàPortKar,»dis-je.—«Naturellement,»fit-elleavecunsourire.«Tupeuxfairecequetuveuxdenous.»Jelaregardaiavecfureur.Jepointailalamedemacourteépéesursagorge.Ellegardalatêtehaute.Ellenereculapas.«Ai-jetellementdépluàmonUbar?»demanda-t-elle.Jeremisbrutalementlalamedanssonfourreau.Jelaprisparlesbrasetlasoulevai.Jelaregardaidanslesyeux.—«Jepourraistetuer,»déclarai-je.«Jetehais!»Commentaurais-jepuluidirequec’étaitàcaused’ellequej’avaisétédétruit,danslesmarais?Je

fussoudainenproieàunefureuraveugle.C’étaitellequim’avaitmontrémonignominieetmalâcheté,qui avait détruit l’image, la jetant dans la vase dumarais, cette image que j’avais, inconsidérément,pendantdenombreusesannées,considéréecommelasubstanceetlaréalitédemapersonnalité.J’avaisété vidé ; j’étais devenu un vide qui s’emplissait, peu à peu, des liquides noirs de la rancœur et del’humiliation,del’amertume,dudégoûtdesoi-même,delahainedesoi-même.

«Tum’asdétruit!»sifflai-jeavantdelajeteraupieddel’escalierconduisantauchâteauarrière.La

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femmeetl’enfantcrièrent.Telimaroulasurelle-mêmepuisfutbrutalementarrêtée,lesoufflepresquecoupé,parlalaissequ’elleavaitaucou.Ellerestaquelquesinstantsimmobileaupieddesmarches.Puiselleseremitpéniblementàgenoux.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.

Ellemeregarda.Ellesecoualatête.—«Tun’aspasétédétruit,»dit-elle,«monUbar.»Furieux,jereprismaplacesurlesiègeduMaîtredeNage.«Siquelqu’unaétédétruit,»reprit-elle,«c’estprobablementmoi.»—«Neparlepassansréfléchir!»ordonnai-je,furieux.«Tais-toi!»Ellebaissalatête.—«JesuisauxordresdemonUbar,»fit-elle.J’avaishontedel’avoirtraitéeavecbrutalité,maisjenevoulaispaslemontrer.Jesavais,dansmon

cœur,que jem’étaismoi-même trahi,que jen’avaispasétéà lahauteurdesCodesduGuerrier,quej’avaisdéshonorémaPierreduFoyeretlalamequejeportais.J’étaisseulcoupable.Ellen’yétaitpourrien. Mais j’avais besoin de faire porter à d’autres le poids de ma trahison et de ma lâcheté. Et,manifestement,sonméprisavaitétéplusnettementexpriméqueceluidesautres.Enoutre,elles’étaitmontréetrèscruelleetm’avaitsoumisàlaservitudelaplusabjecte.Surmabouche,àprésentnoireetenflée,elleavaitposéleBaiserdelaMaîtresse.

Jelachassaidemespensées.Thurnock, lePaysan,etClitus, lePêcheur,apparurent, traînantentreeuxHo-Hak,piedsetpoings

liés,quiportaitaucouunlourdcollierd’esclaveduquelpendaitunmorceaudechaîne.Ilslefirents’agenouillerdevantmoi,surlepontdesrameurs.Jequittaimoncasque.«J’étaissûrquec’étaittoi,»dit-il.Jenerépondispas.«IlyavaitplusdecentGuerriers,»ajoutaHo-Hak.—«Tuasbiencombattu,Ho-Hak,»dis-je,«surl’îlederence,arméseulementd’unegaffe.»— « Pas assez bien, » répondit-il amèrement. Il me regarda. Ses grandes oreilles se tendirent

légèrementversmoi.«Etais-tuseul?»demanda-t-il.—«Non,» répondis-je. Je tendis lementonversTelimaqui, la têtebaissée,était agenouilléeau

pieddesmarches.—«Tuasbienagi,femme,»ditHo-Hak.Ellelevalatête,lesyeuxpleinsdelarmes.Puiselleluisourit.«Commentsefait-il,»s’enquitHo-Hak,«quecellequit’aaidésoitattachéeetagenouilléeàtes

pieds?»—«Jeneluifaispasconfiance,»répondis-je,«pasplusqu’àvoustous.»—«Quevas-tufairedenous?»demandaHo-Hak.—«As-tupeurquejetejette,attaché,auxtharlarionsdumarais?»m’enquis-je.—«Non,»réponditHo-Hak.—«Tuesbrave,»dis-je. J’admirai soncalmeet sapuissance,bienqu’il fûtattaché,nu,devant

moi,àmamerci.Ho-Hakmeregarda.—«Cen’estpas,»dit-il,«quejesoisexceptionnellementbrave.C’estplutôtquejesuissûrquetu

nemejetteraspasauxtharlarions.»—«Pourquoienes-tusûr?»demandai-je.— « Celui qui peut combattre cent Guerriers, » déclara-t-il, « avec une jeune femme pour tout

soutien,n’agiraitpasainsi.»—«JevaisvousvendreàPortKar,tousautantquevousêtes!»criai-je.

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—«Peut-être,»fitHo-Hak,«maisjenelecroispas.»—«Maisjevousaiconquis, toiet tonpeuple,»dis-je,«ainsiquetouscesesclaves,afindeme

vengerdevous,quiavezfaitdemoiunesclave,etdem’enrichirenvousvendantàPortKar!»—«Jesuisconvaincuquecelan’estpasvrai,»affirmaHo-Hak.—«Ill’afaitpourEechius,»intervintTelima.—«Eechiusaététuésurl’île,»ditHo-Hak.—«Eechiusluiadonnéunmorceaudegalettederence,lorsqu’ilétaitattachéaupoteau,»expliqua

Telima.«C’estpourluiqu’ilafaittoutcela.»Ho-Hakmeconsidéra.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.—«Jetesuisreconnaissant,Guerrier,»dit-il.Jenecomprispaspourquoiilétaitémudelasorte.—«Emmenez-le!»ordonnai-jeàThurnocketClitusquientraînèrentHo-Haketlereconduisirent

surlasecondepéniche,parmilesesclavesattachés.J’étaisfurieux.Ho-Hakn’avaitpasimplorémapitié.Iln’avaitpascédé.Ils’étaitmontrédixfoismeilleurquemoi.JehaïssaislesRenciers,ettousleshommessauf,peut-être,lesdeuxquimeservaient.Ho-Hakétaitunesclaved’élevage,unexotiquehumiliéetdifforme,ilavaitramédansl’obscurité

nauséabondedescalesdesnaviresmarchandsdePortKaretpourtant,devantmoi,ils’étaitmontrédixfoisplusbravequemoi.

JelehaïssaisetjehaïssaislesRenciers.Jeregardailesesclavesenchaînésàleursbancs.Ilsétaienttous,malgréleurshaillons,leurscheveux

coupésetleurschaînes,bienqu’ilsfussentbattusetaffamés,plusbravesquemoi.Je n’étais plus digne de l’amour de deux femmes que j’avais connues : Telena qui avait

inconsidérémentconsentiàdevenirlaLibreCompagned’unindividuquis’étaitrévéléignobleetlâche,etVella,ElisabethCardwell,originairedelaTerre,quiavaitmalencontreusementaccordésonamouràunhommequineméritaitquesonméprisetsonironie.Enoutre, jen’étaisplusdignedel’estimedemonpère,MatthewCabot,AdministrateurdeKo-ro-ba,etdecelledemonmaîtred’armes,Tarll’Aîné,ou de celle demon ami,Torm, le petit Scribe. Je ne pourrais jamais plus regarder en face ceuxquej’avaisconnus:KrondeTharna,AndréasdeTor,KamchakdesTuchuks,ReliusetHo-Sorld’Ar,aucund’eux.Tousallaientmemépriser.

JeregardaiTelima.«Quevas-tufairedenous,monUbar?»demanda-t-elle.Semoquait-elledemoi?—«Vousm’avezmontré,»dis-je,«quejesuisdePortKar.»—«Peut-être,monUbar,as-tumalcompris?»—«Tais-toi!»ordonnai-je.Ellebaissalatête.—«Siquelqu’un,ici,estdePortKar,»souffla-t-elle,«c’estTelima.»Piquéauvifparsonironie,jebondissurelleetlafrappaidudosdelamain,rejetantsatêtesurle

côté.Jefushonteux,désespéré,maisrienn’auraitpumeconvaincredelemontrer.Jeregagnaimaplace.Sonvisageétaittachédesangàl’endroitoùsesdentsavaientcoupéseslèvres.Ellebaissaànouveaulatête.«S’ilyaquelqu’un,»répéta-t-elledansunsouffle,«c’estbienTelima.»—«Tais-toi!»criai-je.Ellelevalatête.

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—«Telima,»murmura-t-elle,«estàladispositiondesonUbar.»JemetournaiversThurnocketClitus.—«JevaisàPortKar,»dis-je.Thurnock croisa les bras sur sa poitrine massive et acquiesça. Clitus donna également son

assentiment.«Vousêteslibres,»leurfis-jeremarquer.«Riennevousobligeàm’accompagner.»—«Jetesuivrais,»déclaraThurnock,«jusquedanslesCitésdePoussière!»—«Moiaussi!»affirmaClitus.ThurnockavaitlesyeuxbleusetClituslesyeuxverts.Thurnockétaitimmense,avecdesbrasaussi

grosquelesramesdesgrandesgalères;Clitusétaitplusmince,maisilétaitPremierRameur;ildevaitêtrebeaucoupplusfortqu’ilneleparaissait.

—«Construisezunradeau,»dis-je,«assezgrandpourtransporterdel’eau,delanourriture,plusdedeuxhommesetcequenoustrouveronsnécessaired’emporter.»

Ilssemirentautravail.Assis,seul,surlesiègeduMaîtredeNage,jemeprislatêteentrelesmains.J’étaisUbar,surlespéniches,maisletrôneétaitamer.Jel’auraisdonnésansregretpourTarlCabot,

lemythe,lerêvequim’avaitétéarraché.Lorsquejemeredressai,j’étaisduretcruel.J’étaisseul,maisj’avaismonbras,sapuissanceetlalamegoréenne.Là,danscepaysdeboisperduaumilieudesmaraisdudelta,j’étaisUbar.Jeconnaissais,alorsquejel’avaisignoréejusque-là,lanaturehumaine.Dansladouleur,j’avaisfait

l’expériencedecequiétaitcachéenmoi.Etjecomprisàquelpointj’avaisétéstupided’épouserdescodes,d’avoirplacédesidéauxau-dessusdemoi.

Quepouvait-ilyavoirau-dessusdel’acierd’unelame?L’honneurn’était-ilpasuntrompe-l’œil,laloyautéetlecouragedesduperies,desillusionsàl’usage

designorants,unrêvedefou?Lesagen’était-ilpasceluiquiobserveattentivementetprendcequ’ilpeut,quandillepeut?Detelsfantômesnepouvaientconstituerlesmotivationsdusage.Iln’yavaitquel’or,lepouvoir,lecorpsdesfemmesetl’acierdesarmes.J’étaisfort.J’étaiscertainementcapabledemefaireuneplacedansunecitétellequePortKar.«Leradeauestprêt,»annonçaThumock, lecorps luisantdesueur,ens’essuyant le frontdeson

avant-brasmassif.—«Nous avons trouvéde l’eau et de lanourriture, » ajoutaClitus, « ainsi quedes armes et de

l’or.»—«Bien,»fis-je.—«Ilyabeaucoupdepapierderence,»repritThumock.«Veux-tuquenousenchargionsunpeu

àbord?»—«Non,»répondis-je.«Jeneveuxpasdepapierderence.»—«Etlesesclaves?»s’enquitThurnock.Jeregardailaprouedelapremièrepéniche,àlaquelleétaitattachéelamincejeunefemmebrune,

celle qui avait des jambes magnifiques. Ensuite, je regardai la deuxième proue, puis la troisième,auxquellesétaientattachéeslagrandejeunefemmeblondeauxyeuxgris,cellequiavaitunmorceaudelianedesmarais,etl’autrejeunefemmebrune,cellequiavaitunfiletsurl’épaule.Ellesavaientdansédevantmoiavecinsolenceetmépris.Ellesm’avaientcrachéauvisagealorsquej’étaisattachéetsansdéfense,puisellesavaientpivotésurelles-mêmesets’étaientéloignéesenriant.

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Jerisàmontour.Elless’étaientcondamnéeselles-mêmesauxchaînesetàlamarquedesesclaves.ThurnocketClitusmeregardaient.—«Amenezlesjeunesfemmesdeladeuxièmeetdelatroisièmeproues,»dis-je.UnlargesourireéclairalevisagedeThurnock.— « Ce sont des beautés, » dit-il, secouant sa grosse tête surmontée d’une chevelure blonde et

broussailleuse,coupéeàlabaseducou.«Desbeautés.»Ilsallèrentchercherlesesclaves.Jeme retournai, suivis lentement l’allée située entre les bancs des rameurs, puis gravis l’escalier

conduisantaupontavantdelapéniche.Lajeunefemme,attachéecontrelaprouecourbe,ledosàcelle-ci,m’entendit,maisellenepouvait

mevoir.Matête,alorsquejemetenaissurlepontavant,setrouvaitàunetrentainedecentimètresau-dessousdeseschevillesliées.Sespoignetsavaientétécruellementattachésdel’autrecôtédelaproue.

«Quiestlà?»demanda-t-elle.Jenerépondispas.«Jevousenprie,»fit-elle.«Quiestlà?»—«Tais-toi!»dis-je,«Esclave!»Ellelaissaéchapperuncridecrainte.D’unmouvementrapidedelalamegoréenne,jecoupailacordequiluientravaitleschevilles.Puis,deboutsurlalissedupontavant,lamaingauchesurlaproue,jecoupailacordepasséeautour

desoncou,puiscellequienserraitsataille.Ensuite,ayantremitmonépéeaufourreau,jelafisglisser,sansluiavoirdéliélespoignets,lelongdelaproue,jusqu’aumomentoùsespiedseurentpriscontactaveclalissesurlaquelle,prèsd’elle,jemetenais.

Jelafispivotersurelle-même.Ellemevit:laboucheenflée,lesyeux,etpoussaunhurlementdésespéré.«Oui,»fis-je,«c’estmoi.»Ensuite,cruellement,jeprissatêtedanslesmainsetappuyaimeslèvressurlessiennes.Jen’aijamaisvuunefemmeenproieàunetelleterreur.Sonmalheurmefitrire.Puis,méprisant,jedégainaimonépée.J’enposailapointesoussonmenton,l’obligeantàleverla

tête. Peu de temps auparavant, tandis que j’étais attaché au poteau, elle m’avait levé la tête afind’examinerdeplusprèslestraitsd’unesclave.

«Tuestrèsbelle,n’est-cepas?»commentai-je.Sesyeuxexprimaientlaterreur.Je fis descendre la pointe jusqu’à sa gorge et elle détourna la tête, fermant les yeux. Pendant

quelquesinstants, j’appuyai légèrementlapointedemonépéesursagorgedélicate,puis j’abaissai lalameetcoupailacordequiluiattachaitlespoignetsàlaproue.

Elletombaàquatrepattessurlepontavant.Jebondisetatterritdevantelle.Elle se redressa péniblement, à demi accroupie, à demi folle de terreur, courbatue du fait qu’elle

étaitrestéelongtempsattachéeàlaproue.Delapointedemonépée,jemontrailepont.Ellesecoualatête,pivotasurelle-même,courutàlalisseets’yaccrocha,regardantpar-dessus.Unénormetharlarion,ayantvusonrefletdansl’eau,bondithorsdumaraisenfaisantclaquerses

mâchoires,puisretombadansl’eau.Deuxoutroisautrestharlarionsallaientetvenaientsouselle.Ellerejetalatêteenarrièreethurla.Ellesetournaversmoi,secouantlatête.

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Leboutdemalamemontraitinexorablementlepont.«Jet’enprie,»gémit-elle.Lalamenebougeapas.Ellevints’immobiliserdevantmoipuistombaàgenoux,s’asseyantsurlestalons.Ellebaissalatête

et tendit lesbras, lespoignetscroisés,dansl’attitudesoumisedelafemellegoréenne.Jenel’attachaipasimmédiatementettournaiautourd’elle,l’examinantcommeuneprise.Jusque-là,jenem’étaispasvéritablementrenducompteàquelpointelleétaitbelleetdésirable.Enfin,aprèsavoirconstatéquejenem’étaispastrompésurlaqualité,jem’emparaidumorceaudecordequiavaitattachéseschevillesàlaproueetluiattachailespoignets.

Ellelevalatêteetmeregarda,sesyeux,suppliants,cherchantlesmiens.Jeluicrachaiauvisageetellebaissalatêtepuissemitàsangloter.Je pivotai sur moi-même, descendis du pont avant et me dirigeai, parmi les esclaves, vers les

marchesconduisantauchâteauarrière.Lajeunefemmemesuivitsansyavoirétéinvitée.Lorsque jeme retournai, je constatai qu’elle essuyaitmoncrachat sur sonvisage.Elle baissa ses

mainsliéesets’immobilisasurlesplanches,latêtebasse.JeprisànouveauplacesurlesiègeduMaîtredeNage.Lagrandejeunefemmeauxyeuxgrisetlapetitejeunefemmebrune,cellequiavaitunfilet,étaient

agenouilléesdevantlesiège,surlepontdesrameurs.Majeunefemmes’agenouillaprèsd’elles,latêtebasse.J’examinailesdeuxjeunesfemmes,lablondeetlabrune,puisregardaiThurnocketClitus.«Vousplaisent-elles?»demandai-je.—«Desbeautés,»ditThurnock.«Desbeautés.»Lesjeunesfemmesfrémirent.—«Oui,»fitClitus,«bienqu’ellesviennentd’uneîlederence,ellessevendraientcertainement

trèscher.»—«Jevousenprie,»soufflalajeunefemmeblonde.JeregardaiThurnocketClitus.—«Ellessontàvous,»déclarai-je.— « Ah ! » s’écria Thurnock. Puis il saisit un morceau de corde. « Soumets-toi ! » tonna-t-il,

s’adressantàlagrandejeunefemmeblondequi,terrifiée,bondissantpresque,baissalatêteettenditlesbras, lespoignetscroisés.Aussitôt,avecdesnœudsdepaysan,Thurnock lesattacha.Clitussebaissaavecsouplesseetramassaunmorceaudecorde.Ilsetournaverslajeunefemmebrune,dontlesyeuxexprimaientlahaine.

—«Soumets-toi,»fît-ild’unevoixcalme.Elleobéitdemauvaisegrâce.Puis,stupéfaite,ellelevalesyeuxverslui,lespoignetsattachés,ayant

perçulapuissancedesesmains.Jesourisintérieurement.J’avaisdéjàvucetteexpressiondansleregarddejeunesfemmes.Clitus,àmonavis,n’auraitpasdedifficultésaveclapetitejeunefemmebrune.

—«Qu’est-cequelesMaîtresvontfairedenous?»demandalajeunefemmemince,levantlatête.—«VousserezesclavesàPortKar,»répondis-je.—«Non!Non!»s’écrialajeunefemmemince.Lajeunefemmeblondesemitàhurleretl’autreàsangloter,posantlefrontsurlepont.—«Leradeauest-ilprêt?»demandai-je.—«Oui,»tonnaThurnock,«ill’est!»—«Nousl’avonsamarréprèsdelabarquederence,»précisaClitus,«àtribord,unpeuenarrière

delaprouedecettepéniche.»Je ramassai le long rouleau de corde dans lequel, plus tôt, j’avais coupé les trois morceaux qui

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m’avaientserviàattacherTelima.J’enpassaiuneextrémitéaucoudelajeunefemmemince.—«Commentt’appelles-tu?»demandai-je.—«Midice,»répondit-elle,«sicelaconvientauMaître.»—«Cenomnemedéplaîtpas,»dis-je.«Ilmeconviendra.»Jetrouvaiscenomplutôtjoli.Ilseprononçaitentroissyllabes,l’accentportantsurlapremière.PuisThurnockpritlacorde,dontj’avaisattachéuneextrémitéaucoudeMidiceet,sanslacouper,

fit une boucle qu’il passa au cou de la grande jeune femme blonde aux yeux gris, avant de tendrel’extrémitélibreàClitus,quifitsigneàlapetitejeunefemmebrunedeprendresaplacedanslachaîned’esclaves.

—«Commentt’appelles-tu?»rugitThurnock,s’adressantàlajeunefemmeblonde,quirecula.—«Thura,»répondit-elle,«sicelaconvientauMaître.»—«Thura!»s’écria-t-ilensetapantsurlescuisses.«Jem’appelleThurnock.»Cettecoïncidenceneparutpasimpressionnerfavorablementlajeunefemme.«J’appartiensàlaCastedesPaysans,»ajoutaThurnock.Elleleregardaavechorreur.—«SeulementàlaCastedesPaysans?»souffla-t-elle.—«LePaysan,»s’écriaThurnockd’unevoixtonitruantequiportatrèsloin,danslemarais,«estle

BœufsurlequelreposelaPierreduFoyer!»—«Mais,j’appartiensàlaCastedesRenciers,»gémit-elle.Onconsidère,engénéral,quelaCastedesRenciersestsupérieureàcelledesPaysans.—«Non,»rugitThurnock,«tun’esqu’uneesclave!»Lajeunefemmefonditenlarmes,désespérée,ettirasurlesliensdesespoignets.Clitusavaitdéjàattachélajeunefemmebruneàlachaîne,luiayantpasséuneboucleaucou,lereste

delacordetraînantsurlepont,derrièreelle.—«Commentt’appelles-tu?»luidemanda-t-il.Elleleregardad’unaircraintif.—«Ula,»répondit-elle,«sicelaconvientauMaître.»—«Jemefichedetonnom!»répliqua-t-il.Ellebaissalatête.Jemetournaiverslafemmeetl’enfant,quej’avaislibérésplustôtetquisetenaientprèsduplat-

bord.Telima, la corde au cou, pieds et poings liés au pied de l’escalier du château arrière, s’adressa à

moi:— « Si j’ai bien compris, » dit-elle, « tu vas nous conduire à Port Kar et nous vendre comme

esclaves?»—«Tais-toi!»ordonnai-je.—«Sicen’estpas lecas,»poursuivit-elle,« jeprésumeque tuvascouler lespénichesdans le

maraisafinquenoussoyonstousdévorésparlestharlarions?»Jelaregardaiavecirritation.Ellemesourit.«C’estcequetuferais,»conclut-elle,«situétaisdePortKar.»—«Tais-toi!»répétai-je.—«Trèsbien,»fit-elle,«monUbar.»Jemetournaiànouveauverslafemmeetl’enfant.—«Aprèsnotredépart,»dis-je,« libère les tiens.DisàHo-Hakque j’aiprisquelquesfemmes.

C’estpeudechoseencomparaisondecequ’ilm’afait.»—«UnUbar,»fitremarquerTelima,«nerendpasdecomptesetnedonnepasd’explications.»

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Jelaprisparlesbras,lasoulevaietlamaintinsainsi.Elleneparutpaseffrayée.«Cettefois,»fit-elle,«tuvaspeut-êtremejeterenhautdel’escalier?»—«Ondit,»commentaClitus,«quelesfillesdesRenciersontlaboucheaussigrandequeledelta

lui-même.»—«Onaraison,»répliquaTelima.Jelaremisàgenoux.Jemetournaiverslafemmeetl’enfant.—«Jevaiségalementlibérerlesesclavesdesbancs,»déclarai-je.—«Detelsesclavessontdangereux!»s’écrialafemme,lesregardantavecfrayeur.—«Tousleshommessontdangereux,»fis-je.Jeprislaclédeschaînesdesesclaves.Jelalançaiàl’und’eux.« Après notre départ et pas avant, » dis-je, « libère-toi et libère tes camarades, sur toutes les

péniches.»Ebahi,ilserralaclé,osantàpeinecroirequ’elleétaitentresesmains,laregardantfixement.—«Oui,»souffla-t-il.Lesesclaves,commeunseulhomme,meregardèrent.—«Ilestprobable,»repris-je,«quelesRenciersvousaiderontàsurvivredanslesmarais,sivous

lesouhaitez.Danslecascontraire,ilsvousguiderontverslaliberté,loindePortKar.»Lesesclavesnerépondirentpas.Jem’éloignai,dansl’intentiondepartir.«MonUbar,»entendis-je.JemeretournaietregardaiTelima.«Suis-jetonesclave?»demanda-t-elle.—«Jet’aiditsurl’île,»répondis-je,«quenon.»—«Alors,pourquoinemedétaches-tupas?»demanda-t-elle.Furieux,j’allaiprèsd’elle,glissaimalamegoréenneentresoncouetlaboucleetcoupailalaisse.

Puisjetranchailescordesquiluiimmobilisaientlespoignetsetleschevilles.Elleselevaets’étira.Songestemerenditfoudedésir.Ensuiteellebâilla,secoualatêteetsefrottalespoignets.«Jenesuispasunhomme,»dit-elle,«maisjesupposequ’unhommepeuttrouverMidiceassez

jolie.»Midice,attachéeentêtedelachaîne,levalatête.«Mais,»repritTelima,«Teliman’est-ellepasplusbellequeMidice?»Midice,àmagrandesurprise,frémitdecolèreet,bienqu’ellefûtattachéeeteûtlacordeaucou,se

tournaversTelima.Jesupposaiqu’elleseconsidéraitcommelaplusbellefilledesîlesderence.—«J’étaisàlapremièreproue,»déclara-t-elle.—«Sij’avaisétécapturée,»affirmaTelima,«c’estcertainementmoiquiauraisétéàlapremière

proue.»—«Non!»criaMidice.—«Maisjen’aipasétéassezstupidepourmelaisserprendreaufilet,»ajoutaTelima.LafureurrenditMidicemuette.—«Lorsquejet’airetrouvée,»fis-jeremarqueràTelima,«tuétaisàplatventre,piedsetpoings

liés.»Midicerejetalatêteenarrièreetrit.— « Quoi qu’il en soit, » déclara Telima, « je suis manifestement, dans tous les domaines,

supérieureàMidice.»

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MidicemontrasespoignetsattachésàTelima.—«Regarde ! » cria-t-elle. «C’estMidice qu’il a choisie commeesclave.Pas toi.Celamontre

laquelled’entrenousestlaplusbelle.»TelimaregardaMidiceavecirritation.—«Tuestropgrasse,»dis-jeàTelima.Midicerit.—«Quandj’étaistaMaîtresse,»fitTelimad’unairdégagé,«tunemetrouvaispastropgrasse.»—«Maintenant,»fis-je,«c’estmonavis.»Midiceritànouveau.—«Ilyalongtempsquejesais,»répliquaTelimaavecinsouciance,«qu’ilnefautjamaiscroire

leshommes.»—«Aussigrandequeledeltalui-même,»commentaClitus.Telimaentrepritd’examinerlestroisjeunesfemmes.—«Oui,»fit-elle,«c’estunbutinconvenable.»Elles’arrêtadevantMidice,quisetrouvaitentête

de la chaîne.Midice se tint très droite, dédaigneuse, tandis qu’elle l’examinait. Puis Telima, sous leregardhorrifiédeMidice,luitâtalebras,éprouvalafermetédesesflancsetdesescuisses.«Celle-ciestunpeumaigre,»conclut-elle.

—«Maître!»s’écriaMidice,s’adressantàmoi.—«Ouvrelabouche,Esclave!»ordonnaTelima.Les larmes aux yeux, Midice obéit et Telima l’examina, le plus naturellement du monde, lui

tournantlatêted’uncôtéetdel’autre.—«Maître!»protestaMidice,s’adressantàmoi.—«Uneesclave,»expliquai-je,«doitseplieràtouslesdésirsdespersonneslibres.»Telimarecula,dévisageaMidice.—«Oui,Midice,»fit-elle,«toutbienconsidéré,jecroisquetuferasuneexcellenteesclave.»Midicefonditenlarmes,tirantsurlesliensdesespoignets.—«Partons!»décidai-je.Jefisdemi-tour.Thurnockavaitdéjàplacémoncasque,monbouclier,ainsiquelegrandarcetles

flèches,surleradeau.—«Attends!»lançaTelima.Jemetournaiverselle.Avec stupéfaction, je la vis quitter sa tunique de rence puis se placer derrière la dernière jeune

femmedelachaîne,lapetiteUla.Ellesecoualatêteetsescheveuxserépandirentsursesépaules.«Jesuislaquatrièmecaptive,»déclara-t-elle.—«Non,»répondis-je,«certainementpas.»Ellemeregardaavecirritation.—«TuvasbienàPortKar,n’est-cepas?»s’enquit-elle.—«Oui,»répondis-je.—«Celatombebien,»déclara-t-elle,«moiaussi,jevaisàPortKar.»—«Non,»répondis-je,«iln’enestpasquestion.»—«Ajoute-moiàlachaîne,»fit-elle.«Jesuislaquatrièmecaptive.»—«Non,»dis-je,«certainementpas.»Ellemeregardaànouveaud’unairirrité.— « Très bien ! » fit-elle. Alors, furieuse mais d’un air dégagé, elle se dirigea vers moi puis,

lentement,sanstenircomptedemacolère,s’agenouilladevantmoi,assisesurlestalons,latêtebaissée,lesbrastendusetlespoignetscroisés.

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—«Tuesstupide,»déclarai-je.Ellelevalatêteetsourit.—«Tupeuxmelaisserici,situlesouhaites,»dit-elle.—«Cen’estpasdanslesCodes,»répondis-je.—«Jecroyais,»fit-elle,«quetunerespectaispluslesCodes?»—«Jedevraispeut-êtretetuer,»sifflai-je.—«SituétaisdePortKar,»dit-elle,«c’estcequetuferais.»—«Oubien,»poursuivis-je,«jepourraisteprendreett’apprendrelasignificationducollier.»—«Oui,»sourit-elle,«sansdoute.»—«Jeneveuxpasdetoi,»dis-je.—«Danscecas,tue-moi!»fit-elle.Jelaprisparlesbrasetlafisselever.—«Jedevraisteprendre,»dis-je,«ettebriser.»—«Oui,»répondit-elle,«jesupposequetulepourrais,situlesouhaitais.»Jelajetaiparterre,loindemoi.Ellemeregardaaveccolère,leslarmesauxyeux.«Jesuislaquatrièmecaptive!»siffla-t-elle.—«Prendsplacedanslachaîne,»ordonnai-je,«Esclave!»—«Oui,»répondit-elle,«…Maître.»Fièrement,biendroite,elles’immobilisaderrièrelapetitebrune,Ula,puis,lespoignetsliés,lacorde

aucou,ellefutajoutéeàlachaîneenqualitédequatrièmecaptive.JeregardaimonancienneMaîtresse,nue,attachéeàmachaîne.Jemerendiscomptequejen’étaispasmécontentdelaposséder.Ilyavaitdedoucesvengeances

quejedevaissatisfaireetqu’illuifaudraitsubir.Jeneluiavaispasdemandédedevenirmonesclave.Mais,pourune raison inconnue,elleavait fait sa soumission.Toute lahaineque jenourrissaisà sonégard bouillonna en moi, les mauvais traitements qu’elle m’avait fait subir, la dégradation et leshumiliationsauxquellesellem’avaitsoumis.Jeveilleraisàcequ’elleassumetouteslesconséquencesdesasoumission.Jeregrettaisseulementdenel’avoirpasdéshabilléeetbattuemoi-même,denepasavoirfaitd’elleuneesclavepitoyableaumomentmêmeoùnousavionsprispiedsurlespéniches.

Elleneparutpasparticulièrementtroubléeparlasituationdésagréablequiétaitlasienne.—«Pourquoinelalaisses-tupasici?»demandaMidice.—«Tais-toi,Esclave!»lançaTelima.—«Toiaussi,tuesesclave!»répliquaMidice.Puisellemeregarda.Ellerespiraprofondément,

sesyeuxétaientpleinsdelarmes.«Laisse-laici,»supplia-t-elle,«Je…Jeteserviraimieux.»Thurnockpartitd’ungrandéclatderire.Lagrandejeunefemmeblonde,auxyeuxgris,etlapetite

bruneretinrentleursouffle.—«Nousverrons,»laissaentendreTelima.—«Qu’as-tul’intentiondefaired’elle?»medemandaMidice.—«Tuesstupide,n’est-cepas?»fitTelimaàsonadresse.Midicemanifestabruyammentsacolère.—«Jeleserviraimieux!»s’écria-t-elle.—«Nousverrons,»répétaTelima.—«Ilnousfaudraquelqu’un,»intervintClitus,«pourfairelacuisine,lescoursesetleménage.»Telimaluijetaunregardnoir.—«Oui,»répondis-je,«c’estexact.»—«Telima,»fitTelima,«n’estpasuneservante.»—«EsclavedeCuisine,»déclarai-je.

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Ellerenifla.—«Àmon avis, » intervintThurnock avec un large sourire, « ce serait plutôt : la cuisine et la

natte.»Illuimanquaitunedent,enhautetàdroite.JeprisTelimaparlementonetladévisageai.—«Oui,»fis-je,«lacuisineetlanatte.»—«CommeveutleMaître,»répondit-elleavecunsourire.—«Jecrois,»fis-je,«quejevaistebaptiser:JoliePetiteEsclave.»Bizarrement,celaneparutniluidéplairenil’inquiéter.—«BelleEsclaveconviendraitmieux,»dit-elle.—«Tuesunejeunefemmeétrange,»dis-je,«Telima.»Ellehaussalesépaules.«Crois-tuquelavieserafacile,avecmoi?»demandai-je.Ellemeregardaavecfranchise.—«Non,»répondit-elle.—«JecroyaisquetunevoulaispasrevoirPortKar,»dis-je.—«Jetesuivrais,»répondit-elle,«mêmeàPortKar.»Jenecomprispas.—«Méfie-toidemoi,»dis-je.Ellemeregarda,maisneparutpaseffrayée.«JesuisdePortKar,»affirmai-je.Ellenebaissapaslesyeux.—«Nesommes-nouspastousdeux,»dit-elle,«dePortKar?»Jemesouvinsdelacruautédesaconduitevis-à-visdemoi.—«Oui,»répondis-je.«Jesuppose.»—«Alors,Maître,»conclut-elle,«rentronscheznous.»

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PORTKAR

JEregardaisladanseusequitournoyaitdanslecarrédesable,entrelestables,souslefouetdumaître,dansunetavernedePortKar.

«TonPaga,»ditlajeuneesclavenuequimeservait,menottesauxpoignets.«Ilestchaud,commetulesouhaitais.»

Jeleprissansmêmelaregarderetvidailegobelet.Elles’agenouillaprèsdelatablebasse,derrièrelaquellej’étaisassisentailleur.—«Encore,»fis-jeentendantlegobelet,sansdaignerluiaccorderunregard.—«Oui,Maître,»dit-elleenselevantavantdeprendrelegobelet.J’aimelePagachaud,ilfaiteffetplusrapidement.Ladansequelajeunefemmeprésentait,surlesable,s’appelle:laDanseduFouet.Elle portait un léger boléro ainsi qu’une ceinture faite de chaînes et de bijoux, à laquelle étaient

suspendues des gouttelettes de métal étincelant. Elle avait des anneaux aux chevilles ainsi que desmenottesd’esclave,égalementdécorésdependentifsenformedegouttelettesétincelantes;aucou,elleportaituncollierassorti.

Elledansaitsousdeslanternesdebateaususpenduesauplafonddelataverne,quisetrouvaitprèsdesdocksvoisinsduGrandArsenal.

J’entendaislesclaquementsdufouetetsescris.OnditquelesdanseusesdePortKarsontlesmeilleuresdeGor.Ellessonttrèsrecherchéesdansde

nombreuses cités de la planète. Elles sont esclaves jusqu’au bout des ongles, vicieuses, déloyales,rusées,séduisantes,sensuelles,dangereuses,désirables,terriblementdésirables.

«TonPaga,»ditlafillequimeservait.Jelepris,ànouveausanslaregarder.—«Va-t’en,Esclave,»dis-je.—«Oui,Maître,»fit-elleavantdes’éloignerdansuntintementdechaîne.JebusduPaga.Ainsi,j’étaisàPortKar.Quatre jours plus tôt, dans l’après-midi, aprèsdeux jours dans lesmarais, nous avions atteint les

canauxdelacité.Nousétionsarrivésàl’entréed’uncanalbordantledelta.Nous avions constaté que le canal était barré par de lourdes portes constituées d’épais barreaux

métalliques,àdemisubmergées.

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Telimaavaientregardélesportesavecfrayeur.«Quandj’aifuiPortKar,»avait-elledit,«cesportesn’existaientpas.»—«Aurais-tupufuir,»avais-jedemandé,«s’ilyavaiteudesportescommecelles-ci?»—«Non,»avait-ellesouffléd’unevoixblanche,«jen’auraispaspu.»Lesportess’étaientreferméesderrièrenous.Nosesclavesqui,enlarmes,manœuvraientlesgaffes,avaientengagéleradeaudanslecanal.Tandisquenouspassionssouslesfenêtresbordantlecanal,deshommes,detempsentemps,nous

proposèrentdesprix.Jeneleurenvouluspas.Ellesétaientbelles.Etellesmanœuvraientbienlagaffe,commeseulesles

fillesdumaraissaventlefaire.Nouspouvionsnousréjouirdenotreprise.Midice,Thura,Ula,Telima.Elles n’avaient plus la corde au cou mais nous avions enroulé cinq fois, autour de la gorge de

chacune,unmorceaudecordesymbolisant,provisoirement,lecollierd’esclave.Endehorsdecelaellesn’étaient pas, lorsque nous arrivâmes en ville, attachées, sauf par une longue corde enroulée à lachevilledroitedechacuneetlesreliantl’uneàl’autre.Telimaétaitdéjàmarquée,maislescuissesdeMidice,deThuraetd’Ulan’avaientpasconnulefer.

JeregardaisladanseusedePortKar.Lelendemain,nouspourrionsmarquerlesjeunesfemmesetacheterdescolliers.Ilyeutunpeudevacarmelorsqu’unindividupuissant,auvisageféroce,auxyeuxrapprochés,laid

etayantperduuneoreille,suividevingtmarinsassoiffés,entradanslataverne.«DuPaga!DuPaga!»crièrent-ils,renversantlestablesquileurconvenaient,chassantceuxquiles

occupaient,puislesredressantets’asseyantautour,tapantdessusetcriant.Enhâte,desesclavesallèrentlesservir.«C’estSurbus,»ditmonvoisinàsoncompagnon.L’individuauvisageféroce,barbu,auxyeuxrapprochés,quiavaitperduuneoreilleetsemblaitêtre

lechefdeshommes,s’emparad’uneesclave,luitordantlebras,puisl’entraînaversunealcôve.Jecrusqu’ils’agissaitdelajeunefemmequim’avaitservi,maisjen’enétaispascertain.

Uneautre jeune femmecourutvers lui, lui apportant ungobelet dePaga. Il prit legobelet d’unemain, l’engloutit d’un trait et emporta la jeune femmedont il s’était emparé, et qui hurlait, vers unealcôve.Ladanseuse s’était immobilisée sur le sable, terrifiée.D’autres individus, lescompagnonsdeSurbus,s’emparèrentdesesclavessurlesquellesilspurentmettrelamain,ainsiquesurlesbouteillesdePaga qu’ils trouvèrent, et entraînèrent leur butin vers les alcôves, en chassant parfois ceux qui lesoccupaient. Toutefois, lamajorité resta aux tables, donnant des coups de poing dessus et exigeant àboire.

JeconnaissaislenomdeSurbus.IlétaitcélèbreparmilescapitainespiratesdePortKar,FléaudeThassalaLuisante.

J’avalaiunenouvellegorgéedePagabrûlant.C’étaitvéritablementunpirate,unchasseur etunmarchandd’esclaves,unmeurtrier,un individu

crueletsanshonneur,ignoble,vraimentchezluiàPortKar.Jen’éprouvaispourluiquedudégoût.Puis,jemesouvinsdemonignominieàmoi,demacruauté,demalâcheté.J’étaiségalementchezmoi,àPortKar.J’avaisapprisque,souslapeaudeshommes,battaientdescœursdesleensetdetharlarions,queleur

moralitéetleursidéauxn’étaientquedesmanteauxdestinésàcacherleursgriffesetleursdents.Pourlapremièrefois,jecomprislaconvoitiseetl’égoïsme.Ilyadavantaged’honnêtetéàPortKar,medis-je,quedanstouteslesCitésdeGor.Enleursein,leshommesironisentpourcacherlesgriffesdeleurcœursous la prétention de leurs paroles. Là, dans cette Cité, et uniquement en son sein, les hommes nes’avilissent pas à feindre et bavarder. Ils connaissent, et admettent, les vérités noires de la nature

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humaine,ilssaventqu’iln’existe,auboutducompte,quel’or,lepouvoir,lecorpsdesfemmesetl’acierdes armes. Ils ne s’intéressent qu’à eux-mêmes. Ils se conduisent tels qu’ils sont, avec cruauté, sanspitié,commedeshommes,méprisants,prenantcequ’ilsdésirentlorsqu’ilsenontenvie.Etc’estàcetteCitéquej’appartenais,moiquiavaisperdumonhonneur,quiavaispréférél’humiliationdelaservitudeàlalibertéd’unemorthonorable.

JebusencoreunegorgéedePaga.Un hurlement retentit et une jeune femme sortit précipitamment, ensanglantée, de l’alcôve où

Surbus l’avaitentraînée,puiscourutentre les tables, tandisqu’il lapoursuivaiten titubantcommeunivrogne.

«Protégez-moi!»cria-t-elle,s’adressantàl’ensembledesconsommateurs.Maisceux-cisemirentàrireettentèrentdes’emparerd’elle.

Elleseprécipitaversmatableettombaàgenouxdevantmoi.Jeconstataialorsquec’étaitbiencellequim’avaitservi.

«Jet’enprie,»dit-elle,leslèvresfendues,«protège-moi.»Elletenditsespoignetsenchaînés.—«Non,»répondis-je.PuisSurbussejetasurelle,lapritparlescheveuxetlatiraenarrière.Ilmeregardad’unairméprisant.JebusunenouvellegorgéedePaga.Celanemeregardaitpas.Jevislesyeuxpleinsdelarmesdelajeunefemme,sesmainstendues,puis,hurlantdedouleur,elle

futentraînée,parlescheveux,versl’alcôve.Deshommesrirent.JeretournaiàmonPaga.«Tuasbienfait,»ditmonvoisin,unindividumalrasé.«C’étaitSurbus.»—«UnedesplusfineslamesdePortKar,»ajoutasoncompagnon.—«Ah?»fis-je.PortKar,PortKar laSordide, laMalsaine,FléaudeThassa laLuisante,Tarnde laMer, est une

masseimmenseetcompositedepropriétés,dontchacuneestpratiquementuneforteresseenelle-même,diviséeettraverséepardescentainesdecanaux.Elleest,enfait,entouréederemparts,bienqu’ellenepossèdepasderempartsausenspropreduterme.Lesbâtimentsquidonnentsurl’extérieur,soitsurledelta,soitsurleGolfedeTamber,possèdentunmurextérieurdépourvudefenêtresetfaisantplusd’unmètre d’épaisseur ; en outre ils sont surmontés, au niveau du toit, de parapets crénelés. Les canauxdonnantsurledeltaouleGolfedeTamberavaient,récemment,étébarrésaumoyendelourdesportesconstituéesdebarreauxmétalliques,àdemisubmergées.Nousétionsentrésdanslavilleparunedecesportes.ÀPortKar,incidemment,iln’yapasdetourstellesquecellesdesautrescitésseptentrionalesdeGor.LeshabitantsdePortKarn’ontpaslegoûtdestours.C’estlaseulecitédeGorquin’aitpasétéconstruitepardeshommeslibres,maispardesesclavessoumisaufouetdumaître.Engénéral,surGor,les esclaves n’ont pas le droit de construire, cette activité étant considérée comme un privilèged’hommelibre.

Politiquement,PortKarestunvéritablechaos;elleestgouvernéeparplusieursUbarsantagonistesqui ont chacun leurs partisans, qui cherchent tous à opprimer, à gouverner et à lever des impôts enfonction du pouvoir qu’ils détiennent. Théoriquement soumise à ces Ubars mais, dans les faits,pratiquementindépendante,ilexisteuneoligarchiedeprincesducommerce,deCapitaines,commeilsse nomment eux-mêmes, qui, dans le cadre d’un Conseil, financent et dirigent le Grand Arsenal,construisantetlouantvaisseauxetmatériel,contrôlantlaflottedugrain,laflottedel’huile,laflottedesesclavesetlesautres.

Samos, Premier Marchand d’Esclaves de Port Kar, agent présumé des Prêtres-Rois, était, je ne

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l’ignoraispas,membreduConseil.J’étaiscenséentrerencontactaveclui.Jenepouvaispluslefaire,naturellement.

Ilexistemême,àPortKar,uneCastedesVoleurs,laseuledetoutGor,qui,surlescanauxinférieursetàlapériphériedelaville,estextrêmementpuissante,carellen’hésitenidevantlechantagenidevantlaviolence.Onreconnaîtsesmembresà lacicatriceduVoleur,quiconstitue lamarquede leurcaste,minuscule marque au fer rouge, à trois branches, sous l’œil gauche, légèrement en arrière, sur lapommette.

On pourrait croire que Port Kar, divisée comme elle l’est, dépositaire des trônes de l’anarchie,constitueuneproiefacilepourl’impérialismeoulesreprésaillesdécidéesencommundesautrescités,mais cela n’est pas vrai. Lorsqu’ils sont menacés de l’extérieur, les hommes de Port Kar savent,désespérémentetaveclaméchancetédel’urtacculé,trèsbiensedéfendre.Enoutre,naturellement,ilest pratiquement impossible de faire traverser le delta duVosk à des groupes importants d’hommesarmésoubien,comptetenudelanaturedesmarais,delesravitailleretdelesentretenirpendanttouteladuréed’unsiège.

Ledeltalui-mêmeestlemeilleurrempartdePortKar.Laterrefermelaplusproche,endehorsdesbancsdesablequel’ontrouveparfoisdanslesmarais,

permettant d’accéder àPortKar, se trouve à une centaine de pasangs aunord. Je supposai que cetterégion aurait pu, théoriquement, être utilisée comme base de départ ; on aurait pu y rassembler lesprovisions et les embarcations de l’armée d’invasion, mais les perspectives militaires d’une telletentative n’étaient guère prometteuses. Elle se trouvait à des centaines de pasangs de toute citégoréenne, à l’exception, naturellement, de Port Kar. C’était un territoire exposé. Il était possible del’attaqueraumoyendetroupesdébarquéesàl’ouestparlesflottesdePortKar,àtraverslemaraislui-même,grâceauxpénichesdePortKar,oubienparl’estetlenord,suivantlepointdedébarquementdesforces de Port Kar. En outre, il était possible de l’attaquer par air grâce aux cavaleries de tarniersmercenairesdePortKar,quienentretenaitplusieurs.Jeconnaissaisundecescapitainesmercenaires,Ha-Keel, meurtrier, originaire d’Ar, que j’avais rencontré à Thuria, dans la Maison de Saphrar, unMarchand. Ha-Keel commandait mille hommes, tous tarniers. Et, même si une armée d’invasionréussissaitàpénétrerdanslesmarais, iln’étaitpascertainqu’elleparviendraitàatteindrelesmursdePortKar.Elleavaitdebonneschancesd’êtredétruitedans lesmarais.Et, si elleparvenait jusqu’auxmurs,riennepermettaitd’affirmerqu’elleseraitefficace.Ilétaitextrêmementfacile,comptetenudespénichesetdescavaleriesdetarnsdePortKar,decouperleslignesderavitaillementd’unetelleforce.

JebusencoreduPaga.Lesnouveauxclientsdelatavernefaisaientlafêtemaisl’ordreavaitété,dansunecertainemesure,

rétabli.Deux lanternesdevaisseauavaientétébrisées. IlyavaitdesmorceauxdeverreainsiqueduPaga,parterre,etunetableavaitétécassée.MaislesMusicienss’étaientremisàjoueret,danslecarrédesable,lajeunefemmedansaitdenouveau.MaiselleavaitrenoncéàlaDanseduFouet.Desesclavesnues,auxpoignetsenchaînés,couraienticietlà.Lepropriétaire,ensueur,portantuntablier,basculantunegrandebouteilledePagasursonsupport,remplissaitlesgobeletsdestinésauxconsommateurs.Detemps à autre, dans les alcôves, retentissait un cri qui provoquait les rires des clients. J’entendis leclaquementd’unfouetetleshurlementsd’unejeunefemme.

Jemedemandaisi,depuisquelescanauxétaientbarrés,lesesclavess’échappaientencoredePortKar.

Laterrefermelaplusprochesetrouvaitàunecentainedepasangsaunord,maisc’étaitunerégionexposéeet,icietlà,auborddudelta,sedressaientlesavant-postesdePortKarquiservaientdebaseauxchasseursd’esclavesetauxsleensdresséschargésdesurveillerlesabordsdumarais.

Lesleen,mammifèreàsixpattes,vicieux,auxgrandsyeuxetaucorpssinueux,comparableàunlézardcouvertdefourrure,estunchasseurinfatigable.Ilpeutflairerunepistevieilledeplusieursjours,

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la suivre sur des centaines de pasangs puis, une fois lâché, pour distraire les chasseurs, réduire savictimeenbouillie.

J’étaispersuadéquelesesclavesnepouvaientguères’évaderparlenord.Celalaissaitledelta,sesmaraisinterminables,lasoifetlestharlarionsquilesinfestaient.Ondresselessleensàsuivrelapistedesesclavesfugitifsetàlesdétruire.Engénéral,leurssenssonttrèsaiguisés.JemesouvinsquelesTuchuksdusudseservaientégalementdessleenspourtraquerlesesclaveset,

également,pourprotégerleurstroupeaux.J’étaisunpeuivreetmespenséesdevenaientincohérentes.Lamer,medis-je,lamer.Nepouvait-onattaquerPortKarparlamer?LamusiquedesMusicienssemitàbattredansmonsang,lancinante.JeregardailesfillesquiservaientlePaga.«DuPaga!»criai-jeetunefille,d’unedémarchelégère,vintmeservir.MaisseulesCosetTyrospossédaientdesflottescomparablesàcelledePortKar.Il y avait les îles du Nord, naturellement, et elles étaient nombreuses, mais petites, formant un

archipel, en forme de cimeterre, qui s’étendait au nord-ouest de Cos, laquelle se trouvait à environquatre cents pasangs à l’ouest de PortKar.Mais ces îles n’étaient pas unies et, en réalité, n’avaientsouvent, pour tout gouvernement, qu’unConseil de village.Elles ne possédaient, en général, qu’uneflottilledevaisseauxlégers.

Ladanseuse,danslecarrédesable,exécutaitlaDansedelaCeinture.Jel’avaisdéjàvue,àAr,danslaMaisondeCernus,unMarchandd’Esclaves.

Seules Cos et Tyros possédaient des flottes comparables à celle de Port Kar. Et, presque partradition,ellesnesesouciaientguèred’opposerleursflottesàlasienne.Manifestement,lesdeuxcampsconsidéraient qu’il y avait trop de risques ; manifestement, les deux camps se satisfaisaient de lasituation,stableetprofitable,deguerrelarvée,assortied’échangesetdecontrebande,quicaractérisaitdepuis très longtemps leurs relations.Les raids, impliquant quelques dizaines de vaisseaux, n’étaientpasrares,soitcontrelesnaviresdecommercedePortKar,soitsurlescôtesdeCosoudeTyros,maisaucuneactiond’envergure,impliquantlescentainesdegalèresdecesredoutablespuissancesmaritimesqu’étaientlesdeuxUbaratsinsulairesetPortKar,n’avaitétéentreprisedepuisunsiècle.

Non,medis-je,PortKarnerisquepasuneattaqueparmer.Puisjeriscarj’envisageaislachutedePortKaralorsquec’étaitmaCité.«DuPaga!»criai-je.Des tarniers,avec leurs flèchesenflammées,pourraient se révélergênants,mais ilsnesemblaient

pasenmesuredelamettregravementendifficulté,àmoinsqu’ilssoientdesmilliersetdesmilliersetArelle-même,ArlaGlorieuse,nedisposaitpasdelacavalerieaériennenécessaire.Etcomment,mêmedanscesconditions,PortKarpourrait-elle tomberpuisqu’ellesecomposed’unemassedepropriétés,véritablesforteressesqu’ilestpossiblededéfendrepièceàpièce,chacuneétantséparéedesautresparlesinnombrablescanauxquisillonnentlaville?

Non,medis-je,onpeuttenircentansdansPortKar.Et,mêmesielletombait,leshabitantspouvaientprendrelameret,lorsqu’ilslejugeraientopportun,

revenirpuisordonnerauxesclavesdeconstruire,dansledelta,uneciténomméePortKar.SurGor,medis-je,etpeut-êtresurtouteslesplanètes,ilyauratoujoursunPortKar.La danseuse me semblait séduisante et belle. Les filles de Port Kar, me dis-je, sont les plus

désirablesdeGor.Destarniers,medis-je,destarniers.Surmadroite,unetableavaitétérenverséeetdeuxhommesdel’équipagedeSurbussequerellaient

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etenvenaientauxpoings.D’autresdemandaientqu’onapportedesfouetsàlames.Jemesouvins,avecattendrissement,demontarn,lemonstrenoir,UbardesCieux.Jetendislamainetonremplitunenouvellefoismongobelet.Et jemesouvinségalement,avecamertume,d’ElisabethCardwell,VelladeGor,quim’avait tant

aidé dans la mission que j’avais remplie, à Ar, pour le compte des Prêtres-Rois. Tandis que nousregagnions les Sardar, j’avais longuement réfléchi à sa sécurité. Je ne pouvais certainement pasl’autoriser,alorsquejel’aimais,cequinem’étaitàprésentpluspossiblepuisquejen’étaisplusdigned’être aimé, à rester plus longtemps exposée aux dangers deGor. LesAutres, qui n’étaient pas desPrêtres-Roisetleurdisputaientcemonde,ainsiquelaTerre,laconnaissaientcertainementdéjà.Savieseraitcertainementmenacée.Elleavaitprisdegrandsrisques,enmacompagnieet,inconsidérément,jel’avais laissée faire.Enfin,ànotrearrivéedans lesSardar, je luiavaisannoncéque jedemanderaisàMisk,lePrêtre-Roi,delarenvoyersurTerre.

«Non!»s’était-elleécriée.— « Ma décision est prise, » avais-je déclaré. « Tu retourneras sur Terre, pour ton bien, dans

l’intérêtdetasécuritéetdetonbien-être.Ettun’aurasplusàredouterlespérilsdecetteplanète.»—«Maisc’estmaplanète!»s’était-elleécrié.«C’estlamienneautantquelatienne.Jel’aimeet

tunepeuxpasm’enchasser.»—«TuserasrenvoyéesurTerre!»avais-jeconfirmé.—«Mais,jet’aime!»avait-ellesouligné.—«Jesuisdésolé,»avais-jerépondu.«Ilnem’estpasfaciledefairecequejedoisfaire.»J’avais

les larmesauxyeux.« Il fautque tum’oublies,»avais-jepoursuivi,«et il fautque tuoubliescetteplanète.»

—«Tuneveuxpasdemoi!»s’était-elleécriéeànouveau.—«Cen’estpasvrai!»avais-jeaffirmé.«Jet’aime.»—«Tun’aspas ledroit,»avait-elle soutenu,«demechasserdecetteplanète.C’est lamienne

autantquelatienne!»Illuiseraitcertainementdifficiledequittercetteplanètemagnifique,claireetverte,maispérilleuse,

pour les villes de la Terre, de respirer son air, d’habiter un cube, d’être bousculée par ses foulesindifférentes,deretrouversagrisaillemercantile,soninsensibilitéetsonennui,maiscelavalaitmieux.Anonyme,elleyseraitàl’abri,feraitpeut-êtreunbonmariageethabiteraitpeut-êtreunegrandemaisonconfortable,auraitpeut-êtredupersonneletdesmachines.

«Tunem’enlèveraspascetteplanète!»avait-elledéclaréfermement.—«Madécisionestprise,»avais-jerépété.—«Tun’aspasledroit,»avait-elleinsisté,«deprendrecettedécisionàmaplace!»—«Jel’aifait!»avais-jerépliqué.«Jem’excuse.»Ellem’avaitdévisagé.«C’estfait,»avais-jerépété.«Demain,turetournerassurTerre.Tun’asplusrienàfaireici.»J’avaisvoulul’embrassermaiselleavaitdéjàfaitdemi-touret,sansunmot,étaitpartie.Mespenséesrevinrentaugrandoiseaudeselle,letarndeguerre,UbardesCieux.Ilavaittuédeshommesquiavaienttentédelemonter.Pourtant,cettenuit-là,ilavaitlaisséElisabethCardwell,quin’étaitpourtantqu’unejeunefemme,le

seller,puisill’avaitemportéeloindesSardar.Ilétaitrevenu,seul,quatrejoursplustard.Furieux,j’avaischassél’oiseau.Encherchantàlaprotéger,jel’avaisperdue.EtTelenaqui,biendesannéesplustôt,avaitétémaLibreCompagne,jel’avaiségalementperdue.J’avaisaimédeuxfemmes,etjelesavaisperdues.

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Stupidement,affalésurlatable,jepleurai.JebusencoreduPagaetfusprisdevertige.PortKar,apparemment,régnaitsurThassa.Sesmarinspouvaientcertainementtenirtêteàtousceuxquiauraienteul’intentionses’attaquerà

eux.C’étaitsansdoutelesmeilleursdeGor.La fureurm’envahit soudain, sous l’effetde l’alcool, enconstatantque leshabitantsdePortKar,

malgréleurdépravation,formaientunsuperbepeupledemarins.Mais,bientôt,jeris,carj’auraisdûenêtrefier.Carn’étais-jepas,moi-même,dePortKar?Ne pouvions-nous pas faire ce qui nous plaisait, prendre ce qui nous faisait envie, comme nous

avionsattachéetréduitenesclavagelesfillesderenciersquiavaientattirénotreattention?Jeris,carj’avaisenvisagélachutedePortKaralorsquec’étaitmaCité.Lesdeuxmarinsivressebattaientfurieusementaufouetàlames.Ilscombattaientdanslecarréde

sable,aumilieudestables.Ladanseusevêtued’unlégerboléroetd’uneceinturefaitedechaînesetdebijoux, à laquelle étaient suspendues des gouttelettes de métal étincelant, ainsi que les Musiciens,s’étaientéloignés.Lesconsommateurspariaient.

Lefouetàlamesestunearmedélicate,quel’onpeutmanœuvreravecéléganceetraffinement;iln’existe,àmaconnaissance,qu’àPortKar.

Aumilieudescris,sousles lanternesdebateau, jevisunmorceaudechair jaillirde la joued’unmarin.Ladanseuse,lesyeuxbrillantdeplaisir,lespoingsserrés,encourageaitundescombattants.

Maisleshommesétaientivres,trébuchaient,etleuragitationdésordonnéedéplaisaitàdenombreuxconsommateurs,quitrouvaientdéplorableunmaniementaussimaladroitd’unearmeaussisubtile.

Puis,undesdeuxcombattantstombaàquatrepattes,vomissantdusang.«Tue-le!»hurlaladanseuse.«Tue-le!»Maisl’autre, ivreetensanglanté,reculaentitubant, tournasurlui-mêmeettomba,inconscient,ce

quiprovoqua,danslasalle,unimmenseéclatderire.«Tue-le!»hurlaladanseuseauboléroetàlaceinturefaitedechaînesetdebijoux,àl’intentionde

l’hommeinconscient.«Tue-le!»Maisl’autrehomme,ensanglantéluiaussi,secouantlatête,avaitquitté,àquatrepattes,lecarréde

sableet,quelquesmètresplusloin,s’étaiteffondréentrelestables,aussiinconscientquelepremier.«Tue-le!»hurlaladanseuse,s’adressantaupremierhomme.«Tue-le!»Puisellepoussauncridedouleur, rejetant la têteenarrière, aumomentoù lescinqqueuesd’un

fouetgoréens’abattirentsursondos.«Danse,Esclave!»ordonnalepropriétaire,sonmaître.Terrifiée,elle regagna lecarrédesabledansun tintementdechaînes,debijouxetdegouttelettes

métalliques,puiss’yimmobilisa,leslarmesauxyeux,lesgenouxfléchis,lesbrasau-dessusdelatête.«Jouez!»crialepropriétaireàl’intentiondesMusiciens.Ilfitunenouvellefoisclaquersonfouet.Ilssemirentàjoueret,unefoisdeplus,lajeunefemmeseremitàdanser.Jelaregardaietregardai,également,lesvisagesassemblésdanscettepiècesurpeuplée,bruyanteet

maléclairée,pleined’hommesquiriaientetbuvaient.Touscesvisagesavaientquelquechosedebestial.Etmoi,telquej’étaisdevenu,j’étaisassisparmieux,auxmêmestables.Jeriaisaveceux.«DuPaga!»criai-je.Puisjepleurai,carj’avaisaimédeuxfemmesetlesavaisperdues.Et, tandisque je regardais, sur le carréde sabled’une tavernedePortKar, sousdes lanternesde

bateau,lesmouvementsducorpsd’uneesclave,lalumièresereflétantsurseschaînes,sesrubisetsesgouttelettesmétalliques,lacolères’emparalentementdemoi.

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Puisellefutentrelestables,balançantsoncorpsluisantetsensuel.Jemepromisdeneplusjamaisperdreunefemme.Lafemme,pensai-je,est,commeondit,uneesclave-née.Puisellefutdevantmatable.«Maître,»souffla-t-elle.Nosregardsserencontrèrent.Elleportait uncollier. J’étais libre.Sesvêtementsn’étaientqu’unornement.Aucôté, j’avaisune

épéed’acier.Aumomentoùnosregardsserencontrèrentjecomprisque,bienquefemme,elleauraitaimé,sielle

enavaiteulepouvoir,réduireleshommesenesclavagemais,aumêmemoment,elleavaitlu,dansmesyeux,queleshommesétaientlesplusforts,qu’ilsdétenaientlepouvoiretque,siquelqu’undevaitêtreréduitenesclavage,ceseraitelle.

—«Va-t’en,»dis-je,lalibérantdel’emprisedemavolonté.Ellepivotasurelle-même,furieuse,effrayée,etsedirigeaversuneautretable.Jelasuivisdesyeux.Voilà,medis-je,unevraiefemme.Jelaregardaibouger,remarquail’éclatdesornementsqu’elleportait,enécoutailetintement.Jel’observai,vicieuse,séduisante,souple,désirable,terriblementdésirable,possédée.Elleétaitaguichante,cettefilleàcollier,etbelle,maisjeriscarceschosesn’étaientpasàelle,mais

àsonmaîtrequi,quelquesinstantsplustôt, l’avaitfouettée,carellen’étaitqu’unefilleassujettieà laservitude,possédéeparunhomme,danstouslessensduterme.

Jeris.LeshommesdePortKar,medis-je,saventcommentilfauttraiterlesfemmes.LeshommesdePortKar,medis-je,saventgarderlesfemmes.Ilsenfontdesesclaves,etseulementdesesclaves.Ellesnevalentpasmieux.J’avaisaimédeuxfemmesetjelesavaisperdues.Jemepromisdenejamaisenperdreuneautre.Jemelevai,vacillantsousl’effetdel’alcool,etrenversailatabled’uncoupdepied.Jenemesouvienspasaussinettementqu’illefaudraitdecequiarrivapendantcettenuit,maisje

n’aipastoutoublié.«JesuisdePortKar!»criai-je.Jemesouviensquej’étaisincroyablementivre,furieux,désespéréetpleindehaine.Je jetai un tarsk d’argent, provenant de ce que nous avions pris sur les péniches desMarchands

d’Esclaves,aupropriétairedela tavernequimetendit,enéchange,uneénormebouteilledePaga,decellesquel’onmetsurlesupport,puisjesortisentitubantetsuivisl’étroitpassageparallèleaucanal,medirigeantverslelogementoùsetrouvaientmeshommes,ThurnocketClitus,ainsiquenosesclaves.

Jefrappaiviolemmentàlaporte.«DuPaga!»criai-je.«J’apporteduPaga!»Thurnockretiralabarrequibloquaitlaporteetouvrit.—«DuPaga!»cria-t-il,heureux,endécouvrantlagrandebouteille.Midice,stupéfaite, levalatête,à l’endroitoù,àgenoux,ellepolissait lesanneauxdecuirdemon

bouclier.Elleportait,aucou,cinqbouclesdecordequisymbolisaientsaservitude.Jeluiavaisdonnéunecourtetuniquedesoie,pluscourteencorequelatuniquederencequ’elleportait lorsqu’elleavaitdansé devantmoi, tandis que j’étais attaché au poteau, et qui lui avait été enlevée par les chasseursd’esclaves,aprèssacapture.

— « Bravo, Capitaine ! » lança Clitus sans quitter l’endroit où, assis, il travaillait sur son filet,renforçantlesnœudsunàun.Ilsouritenmontrantlabouteille.«UnpeudePaganemeferaitpasde

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mal, » reconnut-il. Il avait acheté le filet dans le courant de la matinée, ainsi que le trident, armestraditionnellesdespêcheursdelacôteouestetdesîlessituéesaularge.Àgenouxprèsdelui,préparantsonfil,cinqbouclesdecordeautourducou,setenaitUla,petiteetbrune.Elleportaitégalementunecourtetuniquedesoie.

Thura, lagrande jeune femmeblonde, auxyeuxgris, était àgenouxprèsd’un tasdecopeauxdebois.Thurnock,bienquenousfussionsàPortKar,s’étaitprocuréunmorceaudeboisdeKa-la-naetconfectionnaitungrandarc.Jesavaisqu’ils’étaitégalementprocurédesmorceauxdecornedebosk,ducuir,duchanvreetdelasoie.Dansdeuxoutroisjours,àmonavis,ilauraitégalementsonarc.Ilavaitdéjà commandé des pointes de flèche à un forgeron ; et, suivant ses instructions, dans l’après-midi,ThuraavaitabattuunemouetteduVoskafinquelestraitsqu’ilallaitfabriquer,soitavecduboisdeKa-la-na, soitavecceluiduTem,soitcorrectementempennés.Apparemment,elleavaitpassé lamajeurepartiedel’après-midietdelasoiréeàleregarderfabriquersonarc.Àmonarrivée,ellebaissalatêteetdit:

«Bonsoir,CapitainedemonMaître.»Elleavait,commelesautres,cinqbouclesdecordeaucouetunecourtetuniquedesoie.Jeconstatai

queThurnockluiavaitmisunefleurdanslescheveux,untalender.Agenouillée,elleleregardaetilluicaressarudementlescheveux,oùdescopeauxrestèrentaccrochés.Avecunsourire,ellebaissalatête.

—«Oùestl’EsclavedeCuisine?»criai-je.— « Ici,Maître, » dit Telima, d’une voixmauvaise, entrant dans la pièce et tombant à genoux

devantmoi.Aucou,elleportaitcinqbouclesdecordequifaisaientd’elleuneesclave.Elleseuleneportaitpasdesoie,carellen’étaitqu’EsclavedeCuisine.Satuniquedetissurepétait

déjàtachéedegraisse,dufaitqu’ellefaisaitlacuisine.Sescheveuxn’étaientpaspeignés,sesgenouxetsonvisageétaientcouvertsdepoussière.Sonvisageétaitfatigué,tachéetrougeenraisondelachaleurdégagéepar lesfeuxdelacuisine.Sesmainsétaientcouvertesd’ampoules,parcequ’elleavaitfait leménage,etbrûlées,parcequ’elleavaitfaitlacuisine,rougesparcequ’elleavaitfaitlavaisselle.JetiraiungrandplaisirduspectacledelafièreTelima,quiavaitétémaMaîtresse,enEsclavedeCuisine.

«Maître?»fit-elle.—«Prépareunfestin,»ordonnai-je,«Esclave!»—«Oui,Maître,»répondit-elle.—«Thurnock,»repris-je,«attachelesesclaves.»—«Oui,Capitaine!»rugit-il.Midiceseleva,timidement.Ellemitlesmainsdevantsabouche.—«Quevas-tufaire,Maître?»demanda-t-elle.—«Nousallons,»criai-je,«vousfairemarqueretvousacheterdescolliers!»Lestroisjeunesfemmesseregardèrentavecinquiétude.Déjà,Thurnocklesavaitattachéesl’uneàl’autreparlepoignetdroit.Avant de sortir, nous débouchâmes la grande bouteille de Paga puis Thurnock, Clitus et moi

trinquâmes et vidâmes un gobelet de feu brûlant. Puis nous forçâmes les jeunes femmes, quis’étranglèrentetsuffoquèrent,àviderégalementungobelet,qu’elless’efforcèrentd’ingurgiterdeleurmieux.JemesouviensdeMidice,debout,vêtuedesatuniquedesoie, lepoignetattaché,toussant, labouchepleinedePaga,meregardantavecterreur.

«Ensuite,»criai-je,«nousreviendronsetnousfestoierons!»Nous trinquâmes et bûmes à nouveau. Ensuite, tirant Midice, qui occupait la tête de la chaîne

d’esclaves,par l’extrémité librede lacorde, je franchis le seuil en titubant,descendis l’escalierpuis,accompagnéparlesautres,memisenquêted’unforgeron.

Jeneconserve,decettenuit,quedessouvenirsconfus,maisnousfinîmespartrouverunforgeron,

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fîmes marquer les jeunes femmes et achetâmes des colliers, des colliers à serrure, que nous fîmesconvenablementgraver.Lecollierd’Ulaportait : JESUISLAPROPRIÉTÉDECLITUS ;Thurnockavait faitgraversurlecollierdesonesclave:THURA,ESCLAVEDETHURNOCK;j’avaisfaitgraverdeuxcolliersunpourMidiceetunpourTelima;onylisaitsimplement:J’APPARTIENSÀBOSK.

JemesouviensdeMidice,quivenaitd’êtremarquée,metournantledos,appuyéecontremoitandisque, debout derrière elle, tout près, tenant le collier, je le lui passai au cou puis, avec fermeté, leverrouillai.

Tandisquenousétionsainsi,jel’embrassaidanslecou.Ellesetournaversmoi,lesyeuxpleinsdelarmes,touchantlabanded’acierbrillant.Elleavaitétémarquéeetelleavaitsansdouteencoremalàlacuisse,àl’endroitoùleferrougeavait

étéappliqué.Ellesavaitalorsqu’ellen’étaitqu’unanimal,uneesclave,etqu’elleavait,parconséquent,étémarquée.

Enoutre,elleportaitaucoulesymboleélégantdesaservitude.Elleavaitlesyeuxpleinsdelarmes,lorsqu’elletenditlesbrasversmoietjelaprisdansmesbras,la

soulevai, puis fis demi-tour et l’emportai vers notre logement. Tandis que je marchais, suivi deThurnock,quiportaitThura,etdeClitus,quiportaitUla,laquellepleuraitdanssesbras,Midiceposalatêtesurmonépaulegaucheetjesentisseslarmesautraversdematunique.

«Ilmesemble,»dis-je,«Midice,quejet’aigagnée.»—«Oui,»dit-elle.«Tum’asgagnée.Jesuistonesclave.»Jerejetailatêteenarrièreetris.Elle s’était moquée de moi, tandis que j’étais attaché au poteau. Mais elle était devenue mon

esclave.Ellepleurait.Cettenuit-là, les jeunes femmesdansnosbras,nous festoyâmes,vidantdenombreuxgobeletsde

Paga.Clitus, dès notre retour, était sorti, puis revenu avec quatre Musiciens aux yeux vagues, car ils

avaientétéarrachésàleursnattesaprèslavingtièmeheuremais,séduitsparletintementdedeuxtarsksd’argent,prêtsà jouer jusqu’àl’aube,sinécessaire.Ilsfurentbientôt ivreset,bienquecelan’eûtpasamélioréleurmusique,jeconstataiavecsatisfactionqu’ilsn’hésitèrentpasàsejoindreauxfestivités,àpartagernotrefestin.ClitusavaitégalementapportédeuxbouteillesdevindeKa-la-na,desanguilles,dufromagedeverretunsacd’olivesrougesdesplantationsdeTyros.

Nousapplaudîmessonretour.Telimaavaitpréparéuntarskrôti,farcidesulsetdepimentsdeTor.IlyavaitbeaucoupdepaindeSa-Tarna,jaune,engrossestranchesrondes.Nousfûmesservisparl’EsclavedeCuisine,Telima.ElleservitduPagaauxhommesetduvinde

Ka-la-naauxfemmes.Ellerompitlepain,coupalefromage,préparalesanguillesetdécoupaletarsk.Elleseprécipitade l’unà l’autre,ayantàpeine terminédeservir l’unqu’unautre l’appelaitdéjà, lesMusiciens également. Les jeunes femmes la commandaient également. Elle n’était qu’Esclave deCuisineetellesluiétaient,parconséquent,supérieures.Enoutre,jecomprisque,surlesîles,enraisondesabeauté,desonadresseetdesonarrogance,Teliman’étaitguèrepopulaire,desortequelesautresn’étaientpasfâchéesqu’ellesoitdevenueleuresclave,aumêmetitrequecelledeleursmaîtres.

J’étais assis en tailleur près d’une table basse, engloutissant du Paga, tandis queMidice, que jetenaisparlesépaules,agenouilléeprèsdemoi,m’embrassait.

Unefois,tandisqueTelimameservait,jelaprisparlepoignet.Ellemeregarda.«Commentsefait-il,»demandai-je,«qu’uneEsclavedeCuisinepossèdeunbraceletenor?»Midicelevalatêteetm’embrassadanslecou.—«DonnelebraceletàMidice,»fit-elled’unevoixcâline.

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LesyeuxdeTelimas’emplirentdelarmes.—«Plustard,peut-être,»répondis-jeàMidice,«sijesuiscontentdetoi.»Ellem’embrassa.—«Tuserascontentdemoi,Maître,»affirma-t-elle.PuisellejetaunregardméprisantàTelima.

«Sers-moiduvin,»ajouta-t-elle,«Esclave!»Midicem’embrassadenouveau,longuement,tenantmatêteentresesmains,tandisqueTelima,les

yeuxpleinsdelarmes,remplissaitsongobelet.De l’autre côté de la table,Ula, levant timidement les yeux, offrait ses lèvres àClitus. Il ne les

refusapas,ilss’embrassèrentetsecaressèrent.PuisThurnockpritThuradanssesbrasetposaseslèvressurlessiennes.Prisonnièredesesbraspuissants,ellesedébattit,poussauncriapparemmentdésespérépuisluicédaet,quelquesinstantsplustard,seslèvrescherchèrentavidementlessiennes.

«Maître,»ditMidice,meregardant,lesyeuxbrillants.— « Te souviens-tu, » fis-je sur le ton de la plaisanterie, « comme tu m’as fait souffrir, il y a

quelquesjours,alorsquej’étaisattachéaupoteau?»—«Maître?»dit-elle,soudainintimidée.—«As-tuoublié,»insistai-je,«commetuasdansédevantmoi?»Ellerecula.—«Jet’enprie,Maître,»souffla-t-elle,terrifiée.JemetournaiverslesMusiciens.—«Connaissez-vous,»demandai-je,«laDansed’Amourdel’EsclaveauCollierNeuf?»—«CelledePortKar?»s’enquitlechefdugroupe.—«Oui,»répondis-je.—«Naturellement,»fit-il.Jen’avaispasseulementachetélesmarquesetlescollierschezleforgeron.—«Debout!»tonnaThurnock,s’adressantàThuraet,terrifiée,elleselevad’unbond,lespieds

disparaissantdansunepiledevêtements.SurungestedeClitus,Ulaselevaégalementd’unbond.JepassailesmenottesàMidice,puisluientravaileschevilles.Jeluiarrachaiensuitesatuniquede

soie.Ellemeregardaavecterreur.Jelafisleveretm’immobilisaidevantelle.—«Jouez!»ordonnai-jeauxMusiciens.LaDanse d’Amour de l’Esclave auCollierNeuf comporte de nombreuses variations, suivant les

citésdeGor,maislethèmegénéralestquelajeunefemmedansesajoiedesavoirqu’elleserabientôtcouchéeentrelesbrasd’unmaîtrepuissant.

LesMusicienssemirentàjoueret,tandisqueClitusetThurnockfrappaientdansleursmains,UlaetThuradansèrentdevanteux.

«Danse!»ordonnai-jeàMidice.Terrifiée,lajeunefemmemince,auxjambesmagnifiques,leslarmesauxyeux,levalesbras.Midicedansadoncànouveau,leschevillesdélicieusementréuniesetlesmainsdosàdosau-dessus

delatête,lespaumesversl’extérieur.Mais,cettefois,seschevillesétaientvéritablemententravéesetsespoignetsvéritablementenchaînés;elleavait lesanneaux,reliésparunechaîne,dumaîtregoréen,auxpoignetsetauxchevilles;etj’étaisconvaincuqu’ellenetermineraitpassadanseenmecrachantauvisageavantdepivotersurelle-mêmeetdes’éloigner.

Elletremblait.«Trouve-moiséduisante,»supplia-t-elle.—«Nelafaispassouffrirainsi,»meditTelima.—«Toi,retourneàlacuisine,»ordonnai-je,«Esclave!»

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Telima tourna les talons et, vêtuede sa tuniquede rep tachée, sortit de lapièce, comme je le luiavaisordonné.

Lamusiquesefitplussauvage.«Oùsont,maintenant,»demandai-jeàMidice,«toninsolenceettonmépris?»—«Soisbon!»s’écria-t-elle,«soisbonavecMidice.»Lamusiquedevintencoreplussauvage.PuisUla,soudain,devantClitus,arrachalasoiequ’elleportaitetdansa,lesbrastendusverslui.Ilselevad’unbond,lapritdanssesbrasetl’emportadansunepiècevoisine.Jeris.Puis, avec stupéfaction, je vis Thura, bien qu’elle fût fille de Rencier, se dévoiler pareillement

devant l’immense Thurnock, bien qu’il ne fût que Paysan, et, avec un grand rire, il la souleva etl’emporta.

«Est-cequejedansepourmavie?»demandaMidiced’unevoixpitoyable.Jetiraimalamegoréenne.—«Oui,»répondis-je.«Exactement!»Etelledansamagnifiquement, toutes les fibresde soncorps superbe tenduesdans l’espoirdeme

plaire, ses yeux cherchant continuellement à lire dans les miens le sort que je lui réservais. Enfin,épuisée,elleselaissatomberàmespiedsetposalatêtesurmessandales.

—«Trouve-moiséduisante,»supplia-t-elle,«trouve-moiséduisante,monMaître.»J’avaiseumarevanche.Jeremismalameaufourreau.—«Allumelalamped’amour,»dis-je.Ellemeregardaavecreconnaissancemaislut,dansmesyeux,qu’ellen’avaitpasencoregagné.Tremblante,ellefrottamaladroitementl’aciercontrelesilexafind’enflammerlamoussecontenue

dansunbolpuis,unefoiscetteopérationréalisée,allumalalampeavecuncopeaudeboisdeKa-la-na.Jejetaimoi-mêmelesfourruresd’amourdansuncoin,prèsdel’anneaud’esclave.LesMusiciens,ayantreçuchacununtarskd’argent,sortirentdiscrètement.Uneahnplustard,unpeuplusd’uneahnavantl’aube,iln’yavaitpratiquementplusd’huiledansla

lamped’amour.Midiceétaitallongéecontremoi,dansmesbras.Ellemeregardaetmurmura:«Midices’est-ellebienconduite?LeMaîtreest-ilsatisfaitdeMidice?»—«Oui,»répondis-jeaveclassitude,regardantfixementleplafond.«JesuissatisfaitdeMidice.»Jemesentaisvide.Nousrestâmeslongtempssilencieux.Puiselledit:—«TuestrèssatisfaitdeMidice,n’est-cepas?»—«Oui,»répondis-je,«jesuistrèssatisfait.»—«MidiceestPremièreFille,n’est-cepas?»—«Oui,»répondis-je,«MidiceestPremièreFille.»Midicemeregardaetmurmura:—«Teliman’estqu’uneEsclavedeCuisine.Pourquoiaurait-elleunbraceletenor?»Je la dévisageai. Puis je me levai avec lassitude. J’enfilai ma tunique puis regardaiMidice qui,

couchée,lesjambespliées,nemequittaitpasdesyeux.Lalueurdelalampesereflétaitsursoncollier.Jebouclaileceinturonetlebaudrierdemalamegoréennedanssonfourreau.Jegagnailacuisine.Telimaétaitassiseaupieddumur,lesgenouxcontrelapoitrine,latêtebaissée.Ellelevalatêteet

meregarda.C’estàpeinesijelavoyais,danslalueurdesbraisesdufeu,quin’étaitplusqu’unréseau

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platdetachesrougesetnoires.Jeretirailebraceletenorqu’elleportaitaubras.Sesyeuxs’emplirentdelarmes,maiselleneprotestapas.Jeretirailacordequ’elleportaitaucouetsortissoncollierdemonsac.Jeleluimontrai.Danslafaiblelumière,ellelut:«J’appartiensàBosk.»—«J’ignoraisquetusavaislire,»dis-je.Midice,ThuraetUlaétaient,commec’estsouventlecas

desfillesdeRenciers,illettrées.Telimabaissalatête.Jeluimislecollier.Ellemeregarda.—«Ilyalongtempsquejen’aipasportéuncollierd’acier,»commenta-t-elle.Je me demandai comment, pendant son évasion ou bien après, sur les îles, elle avait retiré son

premiercollier.JemesouvinsqueHo-Hakportaittoujourslelourdcollierdesgalériens.LesRenciersnepossédaientpaslesoutilsgrâceauxquelsilauraitétépossibledeleretirer.Telima,quiétaitavisée,avaitsansdoutetrouvéetvolélaclédesoncollier.LecollierdeHo-Hakétaitrivéautourdesoncou.

—«Telima, »dis-je, pensant àHo-Hak, «pourquoiHo-Hak était-il tellement ému lorsquenousavonsparlédupetitEechius?»

Elleneréponditpas.«Illeconnaissait,naturellement,»dis-je,«puisqu’ilhabitaitl’île.»—«C’étaitsonpère,»ditTelima.—«Ah,»fis-je.Jeregardailebraceletenorquej’avaisàlamain.Jeleposaiparterrepuis,aveclesmenottesque

j’avaisretiréesàMidice,aprèsladanse,j’attachaiTelimaàl’anneaud’esclavescellédansleplancher.Jeluipassaiunemenotteaupoignetdroit,glissailachaînedansl’anneau,puisluipassail’autremenotteaupoignetgauche.Ensuite,jeramassailebraceletenoretl’examinai.

«Rares,»dis-je,«sontlesfillesdeRenciersquipossèdentunbraceletenor.»Telimaneréponditpas.«Repose-toi,»dis-je,«EsclavedeCuisine,cardemain,tuaurassansdoutebeaucoupdetravail.»À laportede lacuisine, jeme tournaiànouveauverselle.Nousnous regardâmes longtemps,en

silence.Puiselledemanda:—«LeMaîtreest-ilsatisfait?»Jenerépondispas.Dansl’autrepièce,jelançailebraceletenoràMidicequil’attrapaetselepassaaubrasavecuncri

dejoie,levantlebras,montrantlebracelet.«Nem’enchaînepas,»fit-ellesuruntonenjôleur.Mais,aveclachaînedontj’avaislibéréseschevilles,aprèsladanse,jel’attachai.Jefixaiunanneau

àl’anneaud’esclaveprèsduqueljem’étaisservid’elleetl’autreàsachevillegauche.—«Dors,Midice,»dis-je,lacouvrantaveclesfourruresd’amour.—«Maître?»fit-elle.—«Repose-toi,»dis-je.«Dors.»—«Es-tusatisfaitdemoi?»demanda-t-elle.—«Oui,»répondis-je.«Jesuissatisfait.»Puisjeluicaressailescheveux,écartantlesmèchesqui

luitombaientsurlefront.«Maintenant,dors,»répétai-je,«dors,jolieMidice.»Elleselovadanslesfourruresd’amour.Jesortisetdescendisl’escalier.

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Jemeretrouvaiseuldanslenoir.Ilrestaitenvironuneahnavantl’aube.Jeprisl’étroitcheminquisuivaitlecanal.Puis,soudain,tombantàquatrepattes,jevomisdansleseauxnoires.J’entendis,sousmoi,lesclapotisprovoquésparundesurtsgéantsdescanaux.Jevomisànouveau,puismeredressaietsecouailatête.J’avaisbutropdePaga.

Jesentaislamer,maisjenel’avaispasencorevue.Lesbâtimentsbordantlecanalétaientobscursmais,icietlà,prèsd’unefenêtre,brûlaitunetorche.

Je regardai les briques, les pierres, scrutai les ombres et les formes qui jouaient sur les murs desconstructionsdePortKar.

Lescrisaigusdedeuxurtsgéantssebattantdansl’eau,parmilesordures,retentirentauloin.Mapromenademeramenaàlataverneoùj’avaiscommencélanuit.J’étaisseuletdésespéré.J’avaisfroid.Iln’yavaitrienquivaillelapeine,niàPortKar,nisurtous

lesmondesdetouslessoleils.Jepoussailesportesdelataverne.LesMusiciensetladanseuseétaientpartis,probablementdepuislongtemps.Il n’y avait plus beaucoup de clients et ceux qui restaient semblaient incapables de bouger.

Quelques-unsétaientcouchésentreles tables, la tuniquecouvertedePaga.D’autres,enveloppésdansleurmanteaudemarin,étaientappuyéscontrelesmurs.Deuxoutroisétaientencoreassis,immobiles,àleur table,regardantfixementungobeletdePagaàmoitiévide.Lesfilles,à l’exceptiondecellesquiservaientencore,derrièrelesrideauxdesalcôves,devaientêtreenchaînéespourlanuit,probablementdansunepièceattenanteàlacuisine.Lepropriétaire,lorsquej’entrai,levalatête;derrièrelecomptoirsetrouvaitunegrandebouteilledePagasursonsupport.

Jeluidonnaiundisquedecuivreautarnetilbasculalabouteille.J’emportaimongobeletdePagaàunetablederrièrelaquellejem’assisentailleur.Jenevoulaispasboire.Jevoulaisseulementêtreseul.Jenevoulaismêmepasréfléchir.Jevoulais

simplementêtreseul.Dansunealcôve,unefillepleurait.Celam’irrita.Jenevoulaispasêtredérangé.Jemeprislatêteentrelesmainsetposailescoudessur

latable.JedétestaisPortKaret toutcequis’y rapportait.Et jemedétestais,car j’appartenaisàPortKar.

C’est ceque j’avais comprispendant cettenuit. Jamais jenepourraisoublier cettenuit.Tout cequecontenaitPortKarétaitpourrietdérisoire.Iln’yavaitriendebon,ensonsein.

Lerideaud’unealcôvefutbrutalementouvert.Surbus,CapitainedePortKar,apparutsur leseuilconique.Jeleregardaiavecdégoût,carjeleméprisais.Commeilétaitlaidavecsabarbesauvage,sesyeux rapprochéset sonvisage sansoreilleducôtédroit ! J’avaiségalemententenduparlerde lui. Jesavaisquec’étaitunpirate;etjesavaisquec’étaitunchasseurd’esclaves,unmeurtrieretunvoleur;jesavaisqu’ilétaitcruel,sanshonneur,ignoble,réellementdePortKar,etenleregardant,salaideuretsacorruptionnem’inspirèrentquedudégoût.

Ilportait,danslesbras,uneesclavenueetattachée.C’étaitcellequim’avaitservi,audébutdelanuit,avantl’arrivéedeSurbusetdesespirates.Jen’avaisguèrefaitattentionàelle.Elleétaitmaigreetpasparticulièrementjolie.Elleétaitblondeet,simessouvenirsétaientexacts,avaitlesyeuxbleus.Cen’étaitpasuneesclavedevaleur.Jenel’avaisguèreregardée.Jemesouvinsqu’ellem’avaitsuppliédelaprotégeretque,naturellement,j’avaisrefusé.

Surbusjetalafillesursonépauleetsedirigeaverslecomptoir.«Jenesuispassatisfaitd’elle,»déclara-t-il.—«Jem’excuse,NobleSurbus,»réponditlepropriétaire,«jevaislafairebattre.»—«Jenesuispassatisfaitd’elle!»criaSurbus.—«Veux-tuqu’ellesoitdétruite?»demandalepatron.

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—«Oui,»déclaraSurbus,«détruite!»—«Ellevaut,»ditlepatron,«cinqtarsksd’argent.»Desabourse,Surbussortitcinqtarsksd’argentqu’ilposaunàunsurlecomptoir.—«Jet’endonneraisix,»dis-jeaupropriétaire.Surbuspritunairmenaçant.—«Jel’aivenduecinq,»déclaralepropriétaire,«àceNobleCapitaine.Netemêlepasdecela,

Étranger,cethommeestSurbus.»Surbusrejetalatêteenarrièreetrit.—«Oui,»dit-il,«jesuisSurbus!»—«Jem’appelleBosk,»répondis-je,«BoskduMarais.»Surbusmedévisagea,puissemità rire. Il s’éloignaducomptoir, fitglisser la filledesonépaule

danssesbras.Jevisqu’elleétaitconscienteetqu’elleavaitlesyeuxrougesàforcedepleurer.Maiselleparaissaitengourdie,complètementdésespérée.

«Quevas-tufaired’elle?»demandai-je.—«Jevaislajeterauxurts,»réponditSurbus.—«Jet’enprie,»gémitlajeunefemme,«jet’enprie,Surbus!»—«Auxurts!»répétaSurbusavecunrire,laregardantd’unairméprisant.Ellefermalesyeux.Lesurtsgéants,aupelagesoyeuxetauxyeuxétincelants,quisenourrissentdesorduresque l’on

jette dans les canaux, ne dédaignent pas les corps, vivants ou morts, que l’on précipite dans leurdomaine.

«Auxurts!»ricanaSurbus.JedévisageaiSurbuslechasseurd’esclaves,lepirate,levoleur,lemeurtrier.Iln’yavaitabsolument

riendebonenlui.Ilnem’inspiraitquedelahaineetundégoûtinnommable,incontrôlable.—«Non,»fis-je.Ilmeregardaavecstupéfaction.«Non,»répétai-jeentirantmalamedesonfourreau.—«Elleestàmoi,»déclara-t-il.—«Surbus,»intervintlepropriétaire,«détruitsouventlesfillesquinel’ontpassatisfait.»Jelesregardai.—«Ellem’appartient,»ditSurbus.—«C’estvrai!»ditprécipitammentlepatron.«Tuasassistéàlavente.C’estsonesclave,ilpeut

enfairecequ’ilveut,ilapayéleprix.»—«Ellem’appartient,»répétaSurbus.«Dequeldroitt’interposes-tu?»—«Dudroitqu’ontleshabitantsdePortKar,»déclarai-je,«defairecequileurplaît.»Surbussedébarrassadelajeunefemmeet,dansunmouvementrapideetprécis,dégainasalame.—«Tuesstupide,Étranger,»dit lepropriétaire.«Surbuscompteparmilesmeilleures lamesde

PortKar.»Notreaffrontementfutbref.Puis,avecuncridehaineetd’exaltation,lalameparallèleausolafinqu’ellenerestepascoincée

entrelescôtesdesacible,jeluipassaimonépéeàtraverslecorps.D’uncoupdepied,jel’éloignaidemalameetretirail’aciersanglant.

Lepropriétairemeregardait,lesyeuxdilatés.«Quies-tu?»demanda-t-il.—«Bosk,»répondis-je,«BoskduMarais.»Plusieursclients,dérangésparletintementdel’acier,s’étaientéveillés.Lastupéfactionlesclouasurplace.

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Jefisdécrireundemi-cercleàmalame,prêtà lesaffronter.Aucund’euxnetentades’attaqueràmoi.

JedéchiraiunmorceaudelatuniquedeSurbusetyessuyaimalame.Ilétaitcouchésurledos,dusangluicoulaitdelabouche,ledevantdesatuniqueétaitcramoisietil

respiraitavecdifficulté.Je le regardai. J’avais appartenu à la Caste des Guerriers. Je compris qu’il ne vivrait plus très

longtemps.Jen’avaispaslemoindreregret.Iln’yavaitriendebon,enlui.J’allai près de l’esclave et coupai les cordes qui lui entravaient les chevilles et les poignets. Les

chaînesqu’elleportait,lorsqu’ellem’avaitserviduPagaetquandelleavaitdemandémaprotection,luiavaient été retirées, probablement dans l’alcôve, après mon départ, afin qu’elle soit en mesure des’acquittervis-à-visdeSurbus,CapitainedePortKar,desdevoirsd’uneesclave.Ils’agissaitd’entravesàlonguechaîne,réservéesauxesclaveschargéesduservice.

Je regardaiautourdemoi.Lepropriétairese tenaitderrière lecomptoir.Aucunconsommateurnes’étaitlevé,bienqu’ilsappartinssentpresquetousàl’équipagedeSurbus.

Jemetournaiverslui.Ilmeregardaitetsamain,faiblement,seleva.Sesyeuxexprimaientuneintensedouleur.Ilcrachait

dusang.Ilsemblaitvouloirparlermaisn’enavaitpluslaforce.Jedétournailesyeux.Jerengainaimalame.J’étaisheureuxqueSurbussoitmourant.Iln’yavaitriendebon,enlui.Jeme tournai vers l’esclave.Elle n’était pas belle.Elle étaitmaigre, avait le visagemince et les

épaules étroites. Ses yeux bleus étaient pâles. Ses cheveux étaient fins et raides. C’était une pauvreesclave.

Surpris, je la vis s’agenouiller près deSurbus et lui soutenir la tête. Ilme regardait. Il tenta unenouvellefoisdeparler.

«S’ilteplaît,»ditlajeunefemmeenmeregardantelleaussi,sanslâcherlatêtedumourant.Je les fixais sans comprendre. Il n’y avait rien de bon, en lui. Elle était peut-être folle. Ne

comprenait-ellepasqu’ill’auraitjetée,attachée,auxurtsducanal?Il leva la main, plus faiblement encore, la tendant vers moi. Ses yeux exprimaient une douleur

indicible.Seslèvresbougèrent,maisaucunsonnesortitdesabouche.Lajeunefemme,quinem’avaitpasquittédesyeux,dit:«S’ilteplaît,jenesuispasassezforte.»— «Que veut-il ? » demandai-je avec brusquerie. C’était un pirate, un chasseur d’esclaves, un

meurtrier,unvoleur.Iln’yavaitriendebon,enlui,absolumentrien,etilnem’inspiraitquedudégoût.—«Ilveutvoirlamer,»répondit-elle.Jenedisrien.«S’ilteplaît,»insista-t-elle,«jenesuispasassezforte.»Jemepenchai,passailebasdumourantautourdemoncou,lesoulevaiet,avecl’aidedelajeune

femme,traversailacuisinedelataverneetgravisl’étroitescalierconduisantsurletoitdubâtiment.Unefoisarrivés,nousnousassîmesprèsdubordet,soutenantSurbus,attendîmes.Ilfaisaitfroidet

humide.L’aubeétaitproche.Puislejourselevaet,au-dessusdesconstructionsdePortKar,derrièreellesetau-delàduGolfede

Tamber, boueux et peuprofond, dans lequel se jette leVosk, je vis, pour la première fois,Thassa laLuisante,lamer.

LamaindroitedeSurbusglissasursapoitrineetmetoucha.Ilhochalatête.Sonregardnemeparutnitristenidésespéré.Seslèvresbougèrent,maisilcrachadusang,toussa,seraiditpuis,satêteayant

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roulésurlecôté,ilnefutplusqu’unpoidsinerte,dansnosbras.Nousl’allongeâmessurletoit.«Qu’a-t-ildit?»demandai-je.Lajeunefemmemesourit.—«Merci,»répondit-elle.«Iladit:«Merci.».C’esttout.»Jemelevai,péniblement,etregardailamer,ThassalaLuisante.—«Elleesttrèsbelle,»dis-je.—«Oui,»fitlajeunefemme,«oui.»—«LeshommesdePortKaraiment-ilslamer?»demandai-je.—«Oui,»répondit-elle,«ilsl’aiment.»Jeregardailafille.—«Quevas-tufaire,maintenant?»demandai-je.«Oùiras-tu?»—«Jenesaispas,»répondit-elle.Ellebaissalatête.«Jevaism’enaller.»Jetendislebrasetluicaressailégèrementlajoue.—«Net’envapas,»dis-je.«Viensavecmoi.»Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.—«Merci,»souffla-t-elle.—«Commentt’appelles-tu?»demandai-je.—«Luma,»répondit-elle.SuivideLuma,l’esclave,jequittailetoitetdescendisl’escalierétroit.Danslacuisine,nousrencontrâmeslepropriétaire.—«Surbusestmort,»dis-je.Jesavaisquelecorpsseraitprécipitédanslecanal.PuisjemontrailecollierdeLuma.«Laclé,»fis-je.Lepropriétaireallachercherlaclépuisouvritlecollierquelajeunefemmeportaitaucou.Duboutdesdoigts,elletouchasoncouqui,peut-êtrepourlapremièrefoisdepuisdenombreuses

années,étaitnu.J’enachèteraisunautre,lemomentvenu,surlequeljeferaisgravermonnom.Noussortîmesdelacuisine.Danslagrandesalledelataverne,nousnousarrêtâmes.Jerepoussailajeunefemmederrièremoi.Debout,armés,entresoixanteetquatre-vingtshommesnousattendaient.Ils’agissaitdemarinsde

PortKar.Jereconnuscertainsd’entreeux.IlsétaientvenusavecSurbus,laveilleausoir.Ilsfaisaientpartiedeseséquipages.

Jedégainaimalame.L’un d’eux s’avança, un individu de grande taille, mince, jeune, mais dont le visage portait les

marquesdeThassa.Ilavaitlesyeuxgrisetdegrossesmainspuissantes.«Jem’appelleTab,»dit-il.«J’étaisleseconddeSurbus.»Jenerépondispas.Jemetenaissurmesgardes.«Luias-tufaitvoirlamer?»demandaTab.—«Oui,»répondis-je.—«Alors,»déclaraTab,«noussommesteshommes.»

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LECONSEILDESCAPITAINES

JEsiégeaisauConseildesCapitainesdePortKar.C’étaitlafindelaPremièreMainTransitoire,cellequisuitEn’Kara,celledel’équinoxedeprintemps.L’équinoxedeprintemps,àPortKarcommedanspresquetouteslescitésgoréennes,marqueledébutdelanouvelleannée.Selonlachronologied’Ar,onétaitentrédansl’année10120.Ilyavaitseptmoisgoréensquej’étaisàPortKar.

JesiégeaisàlaplacedeSurbusetpersonnen’avaitprotesté.Seshommesétaientdevenuslesmiens.Parconséquent,moi,TarlCabot,autrefoisGuerrierdeKo-ro-ba,lesToursduMatin,jesiégeaisau

ConseildesCapitaines,princesmarchandsetpirates,oligarchiedePortKarlaPerfide,FléaudeThassalaLuisante.

CeConseil,enfait,assuraitlastabilitéetl’administrationdePortKar.Ilétait,théoriquement,sousl’autoritédecinqUbarsquiserefusaientmutuellementtoutelégitimité:

Chung,Eteocles,Nigel,SulliusMaximus etHenriusSevarius, qui prétendait être le cinquièmede sadynastie.

LesUbarsétaientreprésentésauConseil,auquelilsappartenaientdufaitqu’ilsétaientCapitaines,par cinq trônes vides qui se dressaient devant les demi-cercles de chaises curules où siégeaient lesCapitaines.Prèsdechaquetrônevide,setrouvaitunechaiseoùprenaitplaceunScribequiparticipaitauxdébatsduConseilaunomdesonUbar.LesUbarsnevenaientjamaisenpersonneetsemontraientrarementcarilscraignaientlesassassinats.

UnScribe,assisderrièreunegrandetablesituéedevantlestrônesdesUbars,lisaitlecompterendudelaséanceprécédente.

En général, le Conseil se compose d’environ cent ou cent vingt Capitaines, parfois un peu plus,parfoisunpeumoins.

Pour être admis au Conseil, il faut posséder au moins cinq vaisseaux. Surbus n’était pas unCapitaineparticulièrementimportant,maisilpossédaituneflottedeseptvaisseauxqui,naturellement,m’appartenaitmaintenant.Lescinqvaisseaux,nécessairesà l’admissionauConseil,peuventêtre soitdesnaviresronds,pourvusdegrandescalesdestinéesàlamarchandise,soitdesnavireslongs,navires-béliers,naviresdeguerre.Cesdeuxtypesdevaisseauxsontessentiellementpropulsésàlarame,maisles navires ronds sont équipés d’un gréement plus lourd et permanent qui leur permet de déployerdavantagedetoile,dufaitqu’ilsontdeuxmâts.Lenavirerondn’est,naturellement,pasrond,maisilestcependantbeaucouppluslarge,parrapportàsalongueur,lerapportétant,approximativement,deunàsixalorsque,danslecasdesgalèresdeguerre,ilestdeunàhuit.

Ilfautpréciserquelesvaisseauxdoiventêtreaumoinsdeclassemoyenne.Danslecasdesnavires

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ronds,celasignifiequ’ilsdoiventêtrecapables,enunitésterrestres,detransporterapproximativemententre cent et cent cinquante tonnes dans leurs cales. Pour calculer ce chiffre, jeme suis basé sur lePoids, unité de mesure goréenne dépendant de la Pierre, laquelle pèse environ deux kilogrammesterrestres. Un Poids est égal à dix Pierres. Un navire rond de classe moyenne doit être capable detransporterentrecinqmilleetseptmillecinqcentsPoidsgoréens.LePoidsetlaPierre,incidemment,sont identiques dans toutes les cités de Gor, conformément à la Loi des Marchands, la seuleréglementation commune à toutes les cités. La « Pierre officielle », qui est, en réalité, un cylindremétallique, est déposée près desSardar.Quatre fois l’an, au cours des quatre foires qui se déroulentchaque année au pied des Sardar, on la sort, afin que lesMarchands puissent vérifier le poids de laPierrequ’ilsutilisent.LaPierredePortKar,confrontéerégulièrementàlaPierreofficielledesSardar,setrouvaitdansunbâtimentfortifiéduGrandArsenal,complexeadministrépardesagentsduConseildesCapitaines.

Laclassemoyenne,encequiconcernelesvaisseauxdeguerre,n’estpasdéterminéeparlacapacitédetransport,maisparlalongueuretlalargeurdelacoque;lenavirelong,ounaviredeguerredeclassemoyennefaitentrequatre-vingtsetcentvingtpiedsgoréensdelongetentredixetquinzepiedsgoréensdelarge.Lepiedgoréen,curieusement,estpresqueidentiqueaupiedterrestre.Ilestprobablequecesdeuxunitésdemesureontunlienaveclalongueurdupieddumâleadulte.Lepiedgoréenest,selonmoi,unpeupluslongquelepiedterrestre;comptetenudufaitqu’ilsecomposededixhortsdetroiscentimètres et demi chacun, le piedgoréenmesure, engros, trente-cinq centimètres.Toutefois, ilmesemble préférable, en règle générale, d’exprimer les dimensions enmètres. Néanmoins, dans ce casprécis, il me semble utile d’exprimer les dimensions des navires en pieds goréens car, dans latransformation, l’harmonie des proportions ne serait pas respectée. Comme dans le cas de la Pierreofficielle, ilexiste,danslesSardar,unebarremétalliquequidéterminelePiedduMarchand,ouPiedGoréen,commejel’aiappelé.LePiedduMarchanddePortKar,commesaPierre,setrouveauGrandArsenal,danslemêmebâtimentquelaPierre.

CommeleshommesdeSurbuss’étaientdéclarésmiens,j’avaishériténonseulementdesesnavires,maiségalementdesademeure,desesplacements,desestrésors,desonmatérieletdesesesclaves.Sademeure était un palais fortifié. Il se dressait à la limite orientale de Port Kar et tournait le dos auMarais;ils’ouvrait,aumoyend’unénormeportailmunidebarreaux,surlescanauxdelaville;danslacour,étaientamarréslesseptnavires;lorsqu’illeurfallaitgagnerThassa,onouvraitl’énormeportailetongagnaitlamer,àlarame,parlescanaux.

C’étaitunevéritableplaceforte,protégéed’uncôtéparlesmaraisetdel’autrepardesmurailles,leportailetlescanaux.

Lorsquej’étaisarrivéàPortKarencompagniedeClitus,deThurnocketdenosesclaves,nousnousétionsinstallésàproximitédecettedemeure.Enréalité,latavernelaplusprocheétaitcelleoùj’avaisrencontréSurbusetcroiséleferaveclui.

LeScribe,d’unevoixmonotone,lisaitlecompterendudelaséanceprécédente.Jeregardai,autourdemoi,lesdemi-cerclesdechaisescurulesetlescinqtrônes.BienqueleConseil

soit composé de cent à cent vingt Capitaines, il était rare que plus de soixante-dix ou quatre-vingtsd’entreeuxassistentauxséances,soitenpersonne,soitparprocuration.Nombred’entreeuxétaientenmeretd’autrespréféraientoccuperleurtempsautrement.

Surunechaise,àunequinzainedemètresdemoi,plusbasetplusprochedestrônesdesUbars,étaitassisunofficierquejereconnus.C’étaitceluiquiavaitattaquéles îlesderence,celuidont lecasqueportait deux filets d’or. Je n’avais pas rencontré, à Port Kar, Henrak, qui avait trahi les Renciers.J’ignoraiss’ilavaitounonpéridanslesmarais.

Je souris, intérieurement, en regardant la silhouette barbue, austère de l’officier, dont les longscheveuxétaientattachéssurlanuqueavecunlacetécarlate.

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Ils’appelaitLysias.Iln’étaitCapitainequedepuisquatremois,carilvenaitd’acheterlecinquièmenavireindispensable.Il était assez connu, à PortKar, du fait qu’il avait perdu, dans lesmarais, six péniches chargées

d’esclavesetlamajeurepartiedeseshommes.Onracontaitqu’ilsavaientétéattaquésparplusdemilleRenciers,probablementsoutenusparcinqcentsmercenaires,guerriersentraînés,etqu’ilsavaientbienfailli y perdre la vie. J’étais prêt à lui accorder cette partie du récit. Mais, malgré la supérioriténumérique incontestable de ses agresseurs, certains riaient dans son dos, car il était parti en grandéquipageetdevaits’estimerheureuxdenepasavoirperdulavie,dufaitqu’iln’étaitrentréqu’avecuneméchantebarqueetseulementunepoignéed’hommes.

Son casque avait toujours ses deux filets d’ormais il avait, en plus, une crête en poils de sleen,ornementréservéuniquementauxCapitaines.

Son cinquième navire lui avait été offert par l’Ubar Henrius Sevarius qui prétendait être lecinquièmede sadynastie.Ondisait qu’HenriusSevariusn’était qu’unenfant et que sonUbarat étaitadministré par son régent, Claudius, originaire de Tyros. On racontait que Lysias était client de laMaisondeSevariusdepuiscinqans,périodecorrespondantàlarégencedeClaudius,quiavaitprislepouvoiraprèsl’assassinatd’HenriusSevariusIV.

DenombreuxCapitaines,incidemment,étaientclientsd’unUbaroud’unautre.Encequimeconcerne,jen’avaispasl’intentiondedevenirleclientd’undesUbarsdePortKar.Je

nepensaispasavoirbesoindeleurpuissanceetnesouhaitaispasleuroffrirmesservices.JeremarquaiqueLysiasmeregardait.Sonvisageprituneexpressionsoucieuse.Peut-être m’avait-il vu, cette nuit-là, parmi les Renciers de l’île, mais il ne parvenait pas à

m’identifierformellementcarjesiégeaisauConseildesCapitainesdePortKar.Ildétournalesyeux.Je n’avais vu Samos, Premier Marchand d’Esclaves de Port Kar, qu’une fois, au Conseil des

Capitaines. C’était, disait-on, un agent des Prêtres-Rois. À l’origine, j’étais venu à Port Kar dansl’intentiondeprendrecontactavecluimaisj’avais,naturellement,décidédenepaslefaire.

Il nem’avait jamais vu, bien quemoi je l’aie vu, à la Curuléenne d’Ar, un peumoins d’un anauparavant.

Jem’étaisbiendébrouillé,depuisseptmoisquej’étaisàPortKar.J’enavaisterminéavecleservicedesPrêtres-Rois.D’autreslivreraientleurscombatsetrisqueraient

leurviepoureux.Mescombatsm’appartiendraientetjeneprendraisderisquesquedansmonpropreintérêt.

Pourlapremièrefoisdemavie,j’étaisriche.Jedécouvrisquejeneméprisaisnilepouvoirnilafortune.Quoid’autrepourraitmotiverl’hommeintelligent,endehorsducorpsdesesfemmes,decellesdont

ildécidaitdefairesesfemmesetquiledistrayaient?Àcette époque, je n’avais guèrede raisonsdeme respectermais j’avais appris, àmamanière, à

aimerlamer,cequin’estpasrarechezleshabitantsdePortKar.Jel’avaisvue,pourlapremièrefois,àl’aube,dutoitdelataverne,tenantdansmesbrasunhomme

quisemouraitd’uncoupd’épéequejeluiavaisporté.Jel’avaistrouvéebelle,àcetinstant,etcelanes’étaitpasdémenti.Lorsque Tab, jeune homme mince, aux yeux gris, qui avait été le second de Surbus, m’avait

demandécequejevoulaisqu’ilfasse,jel’avaisregardépuisavaisrépondu:«Apprends-moilaMer.»J’avais hissé mon drapeau sur Port Kar, car la Cité n’a pas de drapeau unique. Il y a les cinq

drapeauxdesUbarsetchaqueCapitainea lesien.Lemienreprésentaitune têtedebosknoiresurun

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fond de lignes verticales vertes et blanches. Les barres vertes symbolisaient le marais et, ainsi, cedrapeaudevintceluideBosk,unCapitainevenuduMarais.

J’avaisdécouvertavecsatisfactionqueLuma,quej’avaisarrachéeàSurbus,appartenaitàlaCastedesScribes.ElleétaitoriginairedeTor.

CommeelleappartenaitàlaCastedesScribes,ellesavait,naturellement,lireetécrire.«Sais-tutenirlescomptes?»luiavais-jedemandé.—«Oui,Maître,»avait-ellerépondu.Jel’avaisnomméechefcomptabledemaMaison.Tous les soirs, dans ma grande salle, devant le fauteuil du Maître, elle s’agenouillait, avec ses

tablettes, et faisait le compte rendu des affaires de la journée, exposant la progression des diversinvestissementsetplacements,ajoutantsouventdessuggestionsetdesrecommandationsconcernantlasuitedesopérations.

Jeconstataiquecettejeunefemmemaigreetdépourvuedecharmeétaitparfaitementàl’aisedansledomainedestransactionsfinancièrescomplexesd’unegrandeMaison.

C’étaituneesclavedegrandevaleur.Elleaugmentabeaucoupmafortune.Jeneluiautorisai,naturellement,qu’unvêtementtrèssimple,maisjepermisqu’ilsoitopaqueetdu

Bleu des Scribes. Il n’avait pas de manches et descendait juste au-dessus du genou. Son collier,toutefois,afinqu’ellenedeviennepasprétentieuse,étaitenacier.J’yavaisfaitgraver:J’APPARTIENSÀBOSK.

Certains hommes libres de laMaison, surtout les Scribes, n’aimaient pas voir une jeune femmeoccuperunposteaussiimportant.Parconséquent,j’avaisdemandéàLuma,lorsqu’elleécouteraitleursrapports ou leur donnerait ses instructions, de s’agenouiller devant eux, humblement, comme doit lefaireuneesclave.Celasatisfîtcertainsd’entreeux,maisd’autresnerenoncèrentpasàleurréprobation.Tous,àmonavis,craignaientquesonstylehabileetsonespritvifnedécouvrentdelégèreserreursdansleurscolonnesdechiffresetleurslivresdecompteset,enfait,ilsemblaitbienqu’ilyeneût.Jecroisqu’ilslacraignaientenraisondelaperfectiondesontravailetparcequeleCapitaine,BoskduMarais,lasoutenaitdetoutesonautorité.

MidicepossédaitunecentainedeSoieriesdePlaisir,desbaguesetdesperlesqu’ellepouvaitporterpar-dessussoncollierincrustédepierreries.

J’avaisdécouvertquelajeunefemmeminceetbrune,auxjambesmagnifiques,étaituneexcellenteesclave.

Unjour,jel’avaissurpriseàregarderTabetjel’avaisbattue.Jen’avaispastuémonsecond.J’avaistropbesoindelui.

ThurnocketClitussemblaientsatisfaitsdeThuraetd’Ula,quiportaientdessoiescoûteusesetdescollierseuxaussiincrustésdepierreries.Ilsavaienteuraisondedevenirmeshommes.Cettedécisionleuravaitpermisdebeaucoupprogresser.

En ce qui concernait Telima, je la laissai à la cuisine, avec les autres Esclaves deCuisine, et jedemandaiauMaîtredeCuisinedeluiconfierlestâcheslesplussimplesetlesplusdésagréables;jeluidemandaiégalementdelafairetravaillerdur.Toutefois,jespécifiaiqu’elledevraitêtreaffectéechaquesoir àma tableetmeservirmanourriture, afinque j’aiechaque soir leplaisirdeconstaterquemonancienneMaîtresse,fatiguéeparlestâchesdelajournée,saleetdécoiffée,vêtued’unetuniquedetissudeRep courte,misérable et tachée,me servait commeuneEsclave deCuisine quelconque.Après lerepas,elleserendaitàmonappartementoù,àquatrepattes,avecunebrosseetunseau,ellenettoyaitjusqu’aumomentoùl’EsclaveauFouet,chargédelasurveiller,étaitsatisfait.Puiselleretournaitàlacuisineetfaisaitletravaillaisséàsonintention,aprèsquoi,onl’enchaînaitpourlanuit.

En général, le soir, je dînais avecThurnock etClitus, accompagnés de leurs esclaves, etMidice.

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Parfois,Tabsejoignaitànous.LesCapitaines,ordinairement,nemangentpasavecleurshommes.Jem’intéressaiànouveauaudéroulementduConseildesCapitainesdePortKar.Unmarin,prétendumentéchappédeCos,parlaitdelapréparationd’uneimmenseflottedestinéeà

attaquerPortKar,flottequiseraitaugmentéedesforcesdeTyros.Ce récit n’était guère intéressant. Cos et Tyros, lorsqu’elles ne s’affrontaient pas, menaçaient

toujours de réunir leurs forces dans l’intention de détruire Port Kar. C’était une rumeur persistante,habituelleetbanale.Mais,depuisplusdecentans,lesflottesuniesdeCosetdeTyrosnes’étaientpasattaquéesàPortKaret, lorsde leurdernière tentative, ellesavaientétééparpilléeset chasséespar latempête.Comme je l’aimentionné, laguerreopposantCosetTyrosàPortKar se limitait,depuisdenombreusesannées,àdesengagementsdefaibleenvergurequin’impliquaientjamaisplusd’unedizainedegalères,d’uncôtécommedel’autre.Touteslespartiesétaientapparemmentparvenuesàunesorted’accord, accord qui avait presque reçu la sanction de la tradition et aux termes duquel elles étaientpresque perpétuellement en guerre sans jamais s’engager dans des opérations d’envergure. Le risqued’engageruneflotteétaitmanifestementconsidéré,partous,commetropimportant.Enoutre,lesraids,entrecoupésdecontrebandeetdecommerce,profitaientapparemmentàtoutlemonde.ÀCosetàTyrosaussi,couraientcertainementdesbruitsconcernantlapréparationd’uneflottedestinéeàlesattaquer.Lemarin,dépité,futcongédiéparunvoteduConseil.

Puis nous en vînmes à des sujets plus importants : le besoin de nouveaux docks couverts dansl’arsenal,danslesquelsilseraitpossiblederadouberdesgalèressupplémentaires,destinéesàlaflottedugraincar,sanscela,jamaisilneseraitpossibledepréparerlescentnaviresquidevraientprendrelarouteduNordavantlaSixièmeMainTransitoire.

Ilestpeut-êtreutiledepréciser,brièvement,lapuissancedePortKar,toutenfaisantremarquerquelesforcesdeCosetdeTyros,lesdeuxautresUbaratsimportantsdelaThassaconnue,sonttoutàfaitcomparables.

Leschiffressuivantss’appliquentauxnaviresdesclassesmoyenneetsupérieure.Les cinq Ubars de Port Kar, Chung, Eteocles, Nigel, Sullius Maximus et Henrius Sevarius,

contrôlent,entreeux,environquatrecentsnavires.LescentvingtCapitainesduConseildesCapitainesde Port Kar possèdent environ mille navires qui leur sont personnellement attachés. En outre, ilscontrôlent mille navires supplémentaires, en tant qu’administrateurs, par l’entremise du Conseil,notammentlaflottedugrain,laflottedel’huile,laflottedesesclavesetd’autres,ainsiquedenombreuxvaisseaux de patrouille, d’escorte et de guerre, environ six cents et que l’on désigne communémentcommeappartenantàl’Arsenal.Àcesnavires,viennents’ajouterenvirondeuxmillecinqcentsunitésappartenantauxmillecinqcentsoumillesixcentscapitainesmineursdelaCité,lesquelsnesontpasassezrichespoursiégerauConseildesCapitaines.Letotaldeschiffresquej’aimentionnéssemonteàenvironcinqmillecinqcentsvaisseaux,soustouteréservedufaitqueleschiffrescitésci-dessussonteux-mêmesdesapproximations.Commejel’aimentionnéplushaut,lesflottesdeCosetdeTyrossont,individuellement,àpeuprèscomparables.Toutefois,ilestvraiquetouscesvaisseauxnesontpasdesnaviresdeguerre.Selonmoi,ilyaenvirondeuxmillenavireslongs,lesnavires-béliers,lesnaviresdeguerre,appelésaussinavires-tarns.Toutefois,bienqu’ilsn’aientpasd’éperonetqu’ilssoientbeaucoupplus lentsetmoinsmaniablesque lesnavires longs, lesnaviresrondspeuvent jouerunrôledansunebataille navale car on peut installer, sur leur pont ainsi que sur leurs châteaux avant et arrière, desbalistes,descatapultesetdesonagresàchaînes,sansparlerdesarchers,l’ensemblepouvantproduireuntir de barrage extrêmement décourageant et meurtrier, principalement composé de javelots, de poixbouillante, degrossespierres et de carreauxd’arbalète. Incidemment, le vaisseauqui va à la bataillebaisse toujourssonmâtet rangelavoiledans lacale.Onrecouvresouvent lesbordéset lespontsdepeauxmouillées.

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Onvotalamiseenroutededouzenouveauxdockscouvertsdansl’enceintedel’arsenal,afinqueleprogramme de réparation de la flotte du grain puisse être mené à bien dans les délais. Le vote futunanime.

Lesujetdediscussionsuivantfutlerèglementd’unequerelleopposantlesfabricantsdevoilesauxfabricantsdecordesdel’arsenalconcernantlaProcessiondelaMer,fêteannuellequialieulepremierjour de En’Kara, le nouvel an goréen. Il y avait eu une émeute, cette année-là, les deux confrériesrevendiquant le droit de marcher en tête. Il fut décidé qu’elles marcheraient de front. Je sourisintérieurement.Jemedisqu’ilyauraitcertainementunenouvelleémeutel’annéesuivante.

Les rumeurs rapportéespar lemarin,concernant lespréparatifsdeguerredeCosetdeTyros,mevinrentunenouvellefoisàl’esprit,maisjeleschassai.

Laquestionsuivanteconcernait lademandeprésentéepar les fabricantsdepoulies,quidésiraienttoucherlemêmesalairehorairequelesfabricantsderames.Jevotaienfaveurdecettemesure,maisellenefutpasadoptée.

Prèsdemoi,unCapitaineironisa:« Donne aux fabricants de poulies le même salaire qu’aux fabricants de rames, et les scieurs

voudrontêtrepayéscommedesCharpentiers,etlesCharpentierscommedesArchitectes.»Incidemment,touslesouvriersqualifiésdel’arsenalsontdeshommeslibres.LeshabitantsdePort

Karautorisentlesesclavesàconstruireleursimmeubles,maisilsneleurpermettentpasdeconstruireleursbateaux.Lesalaired’unfabricantdevoiles,parexemple,estdequatredisquesdecuivreautarnparjour,celuid’unArchitectenaval,engagéparleConseildesCapitaines,peutallerjusqu’àundisqued’or au tarn par jour. La journée de travail dure en moyenne dix ahns, soit environ douze heuresterrestre. Toutefois, à l’arsenal, la journée de travail d’un homme libre est rarement surchargée. LesGoréens libresn’aimentpas sedépêcher.Engénéral,ons’arrêtedeuxahnspourdéjeuneretuneahnavantlafindelajournéeafindeboireunpeudePagaetdediscuter.Ilyaparfoisdeslicenciements,maisrarementcarletravailestabondant.Lesorganisations,commecelledesfabricantsdevoiles,quisont presque des corporations, mais pas des castes, perçoivent des cotisations, lesquelles servent àplusieursusages, telsque l’aideauxblessésouà leur famille, lesprêts, lepaiementdesmembresauchômageetdespensions.Cesorganisationsont,parfois,jouélerôledesyndicats.Jeprésumaisquelesfabricantsdevoiles,enmenaçantdedéserterl’arsenal,finiraientparobtenirl’augmentationdesalairequ’ils réclamaient. La répression brutale des organisations n’a jamais été dans les habitudes del’Arsenal.LeConseildesCapitainesrespecteceuxquiconstruisentetéquipentlesnavires.Enoutre,lessalaires sont tellement bas que l’organisation peut rarement se permettre une grève ; en général,l’Arsenal peut faire preuve de patience et décider de construire un navire dans un mois plutôtqu’immédiatement,alorsqu’onnepeutguèredéciderdenemangerquedansunmois,oubiendenepasmangerpendantunmois.Mais,surtout,lesouvriersdel’arsenalsontsatisfaitsd’ytravailleretnesontpasheureuxlorsqu’ilsnetravaillentpas.Bienqu’illeurarrivedemenacerdequitterl’arsenal,raressontceuxquiseraientprêtsàpasseràl’acte.Construiredemagnifiquesnaviresest,poureux,unvéritableplaisir.

Enfin, il n’est pas inutile dementionner que la société goréenne, dans l’ensemble, est, dans unelargemesure,prisonnièredelatraditionetquelasagessedesancêtresestrarementremiseenquestion;dans de telles sociétés, les individus ont, en général, un statut qui les satisfait et une place où ils sesententàl’aise;parconséquent,ilssontmoinsexposésauxconfusionssocialesinhérentesauxsociétésqui encouragent lamobilité et ont remplacé le prestige et la considération liés à la tradition par desvaleursmatérielles.Unesociétédanslaquelletoutlemondeestcenségagneretsetrouveplacédansdesconditionsoùlamajoriténepeutqu’échouerparaîtraitincompréhensible,irrationnelleàlamajoritédesGoréens. Je suppose que cela paraîtra étrange,mais les ouvriers de l’arsenal, aussi longtemps qu’ilsgagnentassezpourvivrecorrectement,s’intéressentdavantageàleurtravail,àl’exercicedeleurmétier,

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qu’à l’amélioration continuelle de leur statut économique.Cela ne signifie pas qu’ils refuseraient dedevenirriches;celamontreseulement,enfait,qu’ilneleurestjamaisvenuàl’idée,etc’estlecasdelamajoritédesGoréens,defairedelarecherchedelafortuneleuruniqueraisondevivre;commeilssontignorants, semble-t-il, ils s’intéressent davantage, comme la plupart des Goréens, à d’autres chosestellesque,commeje l’ai fait remarquerplushaut, la réalisationdemagnifiquesnavires.Jeneprendspasparti, jemecontentede rapporter les faits telsqu’ils sont. Jedoisajouter,naturellement,quecesfaiblesses, ou ces vertus, des ouvriers de l’arsenal sont, traditionnellement, vues d’un bonœil par leConseildesCapitaines ;sanselles, l’Arsenalnepourraitêtreaussiefficaceetéconomiquequ’il l’est.Encore une fois, je ne prends pas parti, je rapporte les faits tels qu’ils sont. En réalité, je n’ai pasd’opiniontrèsdéfinie.

Pourquoi,medemandai-je,CosetTyrosenvisageraient-ellesdelancerleursflottescontrePortKar?Qu’yavait-ildechangé?Mais jemesouvinsalorsqu’iln’yavait riendechangé.Cen’étaitqu’unerumeur,unedecellesquicouraient,apparemment,aumoinsunefoisl’anàPortKar.Ilétaitprobablequedesrumeurscomparablesétaientégalementsoumisesàl’examendesConseilsdeCosetdeTyros.Jemesouvinsquelerapportdumarinavaitétérejeté.

PuisTersites,Architectenavalfouetàdemiaveugle,unrouleaudeplansetdecalculsà lamain,insistapourseprésenterdevantleConseil.

Sur un ordre du Scribe assis derrière la longue table située devant les trônes des Ubars, deuxhommesfirentsortirTersitesdeforce.

Aucoursd’uneréunionprécédente,onluiavaitpermisdeprésentersesplansauConseil,maisilsétaient tellement fantastiques que personne ne les avait pris au sérieux. Il avait osé proposer deredessiner lenavire-tarnstandard. Ilvoulaitallonger laquille,ajouterunmâtdemisaine, installerdegrandesramesmanœuvréesparplusieurshommes,alorsqu’ilyavaitengénéralunhommeparrame;ilvoulaitégalementplacerl’éperonau-dessusdelalignedeflottaison.

J’auraisétécurieuxd’entendrelesargumentsavancésparTersitesàl’appuidecesrecommandationsmais, lorsqu’il était devenu évident que ses propositions étaient terriblement révolutionnaires et, jeprésume,absurdes,ilavaitétécontraint,sousleshuées,dequitterlasalleduConseil.

Jemesouvinsquelesmembreshurlaient:«Lesrameursnepourraientpasresterassispourmanœuvrerunetellerame.Veux-tuqu’ilsrament

debout?»«Unetellerameseraittropgrossepourqu’unhommepuisselatenir.»«Deuxmâtsetleursvoilesnepourraientpasêtreretirésrapidement,avantlabataille.»«Lenavireseramoinsrapide,sil’onallongelaquille.»«Siplusieurshommesmanœuvrentlamêmerame,certainsd’entreeuxnetravaillerontpas.»«Àquoisertunéperons’iln’estpassouslalignedeflottaison?»Onavaitpermis,cejour-là,àTersitesd’exposersesidéesauConseilparceque,bienqu’onlecrût

fou,ilavaitétéunArchitectehabile.Enréalité,lesgalèresdePortKar,cellesdelaclassemoyenneetdelaclassesupérieure,étaientéquipéesdelameslatérales,quiétaientl’inventiondeTersites.Ils’agitd’énormesquartiersdelune,enacier,fixés,devantlesrames,àlacoquedunavire.Unestratégietrèsrépandue,indépendammentdel’éperonnage,estladestructiondesrames;lenavire,quiasoudainementrentrésesrames,passelelongdelacoquedel’autre,dontlesramessonttoujourssorties,lescoupantetlesbrisant.Lagalèretouchéeestcommeunoiseauauxailescasséesetàlamercidel’éperondel’autrenavirequirevient,danslamusiquedesflûtesetlemartèlementdestambours,puiséperonneaumilieude la coque. On a remarqué que les récentes galères de Cos et de Tyros, ainsi que celles d’autrespuissancesmaritimes,sontégalementéquipéesdelameslatérales.

Onpeutajouterqu’ilavaitégalement,bienqu’iln’eneûtpasparlélorsdesoninterventiondevantlesmembresduConseil,proposéderemplacer lesdeuxgouvernails latérauxdesnavires-tarnsparun

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gouvernailuniquefixéàlapoupedesbâtiments,etqu’ils’étaitfaitlechampiondelavoilecarrée,depréférence à la belle voile latine des vaisseaux qui sillonnent Thassa. Peut-être cette dernièreproposition était-elle celle qui avait le plus déplu aux Capitaines de Port Kar. La voile latine,triangulaire,sursavergueinclinée,estincroyablementbelle.

Cinqansplustôt,Tersitesavaitétéchassédel’Arsenal.IlavaitprésentésesidéesàCosetàTyrosmais,làaussi,ilavaitétéreçupardessarcasmes.IlétaitrevenuàPortKarsansunsouetsansespoirderéintégrerl’Arsenal.Ondisaitqu’ilsenourrissaitdesdétritusdescanaux.IldépensaitdanslestaverneslapetitepensionqueluiversaientlesArchitectesnavals,auxquelsilavaitappartenu.JechassaiTersitesdemonesprit.

Depuis mon arrivée à Port Kar, j’avais fait cinq voyages. Quatre d’entre eux étaient de naturecommerciale.Aucunequerellenem’opposaitauxautresCapitaines.Commelebosk,jenecherchaispaslesennuismais,égalementcommelebosk,jenemedérobaispaslorsqu’ilsseprésentaient.Mesquatrevoyages commerciaux avaient eu pour but les îles franches, ou Iles Libres, de Thassa, ports libresadministréspar lesMarchands. Ilyavaitplusieurs îlesdece type.Troisd’entreelles,que je touchaisouvent, au cours demes voyages, s’appelaient Teletus, Tabor, qui portait le nom du tambour parcequ’elleluiressemblait,ausud,etScagnar,aunord,parmilesîlesseptentrionales.IlyavaitégalementFarnacium,HulnethetAsperiche.Ausud,jenesuispasalléàAnangoouàIandaet,auNord,jen’aijamaisvuHunjerouSkjern,àl’ouestdeTorvaldsland.Cesîles,ainsiquelesquelquesportslibresdelacôte,aunordetausuddel’équateurgoréen,telsqueLydius,Helmutsport,SchendietBazifavorisentlecommerceentreCos,Tyroset lecontinent,ainsiquesesvilles:Ko-ro-ba,Thentis,Tor,Ar,Thuriaetbeaucoupd’autres.

Pendant ces voyages, je transportai des cargaisons variées. Toutefois, pendant cette période, jen’achetai pasde cargaisondevaleur.Par conséquent, je ne transportai pas, au coursde cespremiersvoyages, de grandes quantités de métaux précieux ou de bijoux ; je ne transportai ni tapis, nimédicaments,nisoieries,nionguents,niparfums,niesclavesdevaleur,niépices,niboîtesdeselsdetablecolorés.Aucoursdecespremiersvoyages,jemecontentaid’outils,depierres,depoissonsetdefruitsséchés,derouleauxdetissudeRep,deboisdeTem,deTuretdeKa-la-na,decornesetdepeaux.Toutefois, il m’arriva de transporter une cargaison d’esclaves enchaînés ainsi qu’une cale pleine defourruresdesleensmarinsdesmersseptentrionales.Cettedernièrecargaisonfutlaplusprécieusequ’ilmefutdonnédetransporteraucoursdecespremiersvoyages.Jeréalisaiunbénéficeconsidérablesurlavente de ces cargaisons. Par deux fois, nous avions été repérés par les pirates de Tyros, dans leursnaviresvertsquiseconfondaientaveclamer,maisilsn’avaientpasdécidédenousattaquer.Nousenconclûmesque,ayantvuàquelpointnousétionsbassurl’eau,ilsavaientsupposéquenotrecargaisonétait sansvaleur et s’enétaient allés, espérant sansdoute trouvermieux. Il est inutiledeprendredesrisques,àmoinsd’êtrecomplètementdésespéré,pourunecargaisondegrumesoudepierres.

L’essentiel de mes hommes se composait de pirates et de coupe-jarrets.Manifestement, nombred’entre euxn’avaient pas l’intentionde se lancerdans le commercehonnête. Ils préféraient, de loin,attendreenmerlesgalèreschargéesd’esclavesdeTyrosoubienlesnavirespleinsdetrésorsdeCos.Maisjetuai,enunedouzainedecoups,deuxd’entreeux,quivoulaientdevenircapitainesàmaplaceetles autres, ayant réfléchi, décidèrent de confiner leur mécontentement à leurs beuveries et à leursréunions. Tous ceux qui ne souhaitaient plus travailler pourmoi reçurent l’autorisation de partir. JedemandaiàLumadeleslicencierenleuroctroyantunedemi-Pierred’or.Bizarrement,raresfurentceuxquiquittèrentmesnavires.Jecroisqu’ilsn’avaientpasenvied’abandonnerlapiraterie,toutefoisjesuispersuadéqu’ilsétaientfiersdeservirunhommedontondisait,aprèsl’incidentdelataverne,qu’ilétaitunedesplusfineslamesdePortKar.

«Quandvoguerons-nouscontrelesvaisseauxdeCosetdeTyros?»medemandaTab.—«CosetTyros,»répondis-je,«nenousontrienfait.»

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—«Celanedurerapas,»affirma-t-il.—«Alors,»dis-je,«nousvogueronscontreeux.»À terre,mes équipages étaient bruyants et tapageursmais, sur les navires, aussi étrangeque cela

puisseparaître,leshommesétaientsérieuxetdisciplinés.Jem’efforçaid’êtrejusteaveceux.Àterre,jenelesvoyaispasbeaucoup,carjepréféraismeteniràl’écart.Mais,naturellement,jelespayaisbienet,dansl’enceintedemademeure,connaissantleshommes,

jeveillaisàleurprocurerquelques-unesdesplusbellesesclavesdePortKar.J’avais acheté, quarante pièces d’or, la jeune danseuse de la taverne. Je l’avais baptisée Sandra,

commeunejeunefemmequej’aiconnuesurTerre.Jeluiavaismismoncollieret,aprèsm’êtreservid’elle,l’avaisdonnéeàmeshommesafinqu’ellesatisfasseleurssens.

Moncinquièmevoyagefutlepluspassionnantcarilsedéroulasurunegalèrelégèreetrapide.J’avaisvouluvoirCosetTyros.Les deux îles se trouvaient à quatre cents pasangs à l’ouest de Port Kar, Tyros étant située une

centainedepasangsausuddeCos.Tyrosestuneîleaccidentéeetmontagneuse.Elledoitsacélébritéàsescavernesdevartset,enfait,surcetteîle,levartdressé,créatureressemblantàunechauve-souris,delatailled’unchien,estunearme.Cosestégalementuneîlemontagneuse,plusmontagneusemêmequeTyrosmaiscomporte,à l’ouest,desplainescôtières.Cosadenombreuses terrassessur lesquellesoncultive lavigneTa.Unenuit, non loinde ses rivages, j’entendis le chantd’amourdupoissonvolantcosien,minusculeetmagnifique.C’estunpetitpoissontrèsdélicat ; ila,sur l’épinedorsale, troisouquatrepetitsdardsempoisonnés.Onditquec’estunpoissonvolantparcequ’ilestcapable,grâceàsesnageoirespectorales,debondirhorsdel’eau,surdecourtesdistances,engénérallorsqu’ilfuitlepetittharlariondemer,lequelestinsensibleauvenindesdards.Onl’appelleégalement:lepoissonchanteur,parceque,àlasaisondesamours,lemâleetlafemellesortentlatêtedel’eaupourémettreunesortedesifflement.Leurfoieestconsidérécommeunmetsdélicat.Jemesouvinsquej’enavaismangé,sansyprêterattention,pendantunbanquet,àThuria,chezunnomméSaphrar,quiavaitappartenuàlaCastedesMarchands.SaphrarétaitunparfumeuroriginairedeTyrosmais,ayantétéexilépourvol, ilavaitgagnéPortKarpuis,delà,Thuria.

Appuyéàlalissedelagalère,j’avaisécouté,sousleclairdelune,lessifflementsdespetitspoissonsamoureux.

Ilssemblaientminusculesetinnocents.«Leslunessontpleines,»avaitditTab.—«Oui,»avais-jerépondu.«Levezlesancres!»Ensilence,lesramestouchantàpeinel’eau,nousnousétionséloignésdeCos,quidisparutdansle

clairdelune.Pendantquejefaisaismescinqvoyages,messixautresnaviresétaientengagésdansdesopérations

commerciales semblables à celles que je réalisais. Je regagnais rarement Port Kar sans que Lumam’apprennequemafortuneavaitencoreaugmentépendantmonabsence.Jen’avaisfait,àcetteépoque,que les cinq voyages dont j’ai parlé. Pendant les deux mois précédents, je n’avais guère quitté mademeure,meconsacrantauxaffaires,àladirectionetàl’organisationdesvoyagesdesautres.Toutefois,jesavaisquejevogueraisànouveausurThassa.Onditqu’ilestimpossibledel’oublier.

J’avais un peu bousculé les pratiques en usage à Port Kar. Sur les quatre navires ronds que jepossédais,lesrameursétaientdeshommeslibresetnondesesclaves.Incidemment,lenaviredeguerre,lenavire long,n’a jamais été, àmaconnaissance,quece soit àPortKar, àCos, àTyrosouailleurs,propulsépardesesclaves;lemaniementdesramesdesnaviresdeguerregoréensesttoujoursconfiéàdeshommeslibres.J’affranchislesgalériensquienvalaientlapeineetbeaucoupd’entreeuxvoulurentrestersurmesnaviresetdevenirmeshommes.Ceuxquejenesouhaitaispas,pouruneraisonouune

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autre,affranchir, je lesvendisàd’autresCapitainesoubien leséchangeaicontredesgalériensdignesd’êtreaffranchis, lesquels acceptèrentde travaillerpourmoi,une fois affranchis.Lesplacesvidesdemesbancsfurent facilementcomblées.J’achetaisunhommefortsur lequaiduMarchéauxEsclavespuis,sansfairedephrases,l’affranchissais.Presquetoujours,l’hommemesuivaitjusqu’àmademeureet me demandait de l’engager. Non seulement ces hommes manœuvraient les rames avec une plusgrandeefficacité,mais jeme rendiscompteque, si l’occasion leurenétaitdonnée, ilsétaientprêtsàapprendrelemaniementdesarmes;parconséquent,j’engageaidesMaîtresd’Armes.C’estainsiquelesnaviresrondsdeBosk,leCapitainevenuduMarais,avecleurséquipagesd’hommeslibres,devinrentdesnaviresdangereuxet respectés.LesMarchandsdePortKarmedemandèrentde transporter leursmarchandises. Je préférais, toutefois, acheter et vendre mes propres cargaisons. D’autres Capitainesessayèrentégalementdemettredeséquipagesd’hommeslibressurquelques-unsdeleursnavires.

JereportaiunenouvellefoismonattentionsurlesdébatsduConseildesCapitaines.Ondiscutaitunemotionconcernantl’obtentiondenouvellescoupes,danslesforêtsduNord,afinde

procurerduboissupplémentaireàl’Arsenal.PortKarpossédaitdéjàplusieurscoupesdanslesforêtsduNord.L’ouvertured’unenouvellecoupedonnelieuàunecérémonie,avecproclamationetsonneriesdetrompettes.Ces coupes sont délimitées par des bornes et entourées de fossés destinés à empêcher lebétail et les rouliersnonautorisésd’entrer.Desgardiens surveillent les arbres, empêchant les coupesillégalesainsiquel’entréedestroupeauxet,chaqueannée,desinspecteurscomptabilisentetexaminentles arbres. Les gardiens, incidemment, sont également responsables de l’exploitation et del’améliorationdelaforêt.Ilss’occupentdel’éclaircissage,del’émondageetdel’entretiendufossé.Ilssontégalementchargésdeplieretdefaçonneruncertainnombredejeunesarbresafinqu’ilspoussentsuivantuneformedéterminée,etquiserventengénéralàl’armaturedesnavires,ainsiqu’àlaproueetàla poupe. Les arbres situés à l’extérieur de la coupe et appartenant à Port Kar portent le sceau del’Arsenal. L’emplacement de ces arbres est noté dans un livre laissé à la disposition duConseil desCapitaines.Les coupes sont, engénéral, situées auborddes rivières afin de faciliter le transport destroncsjusqu’àlamer.OnachèteégalementdesarbresauxPeuplesdelaForêt,quilesabattentenhiver,lorsqu’ilestpossibledelestransporterjusqu’àlamersurdestraîneaux.S’ilneigepeu,leprixduboisatendanceàmonter.PortKar, incidemment,dépendduboisvenuduNord.L’armaturedesgalères, lespoutres, leschamps, lesmontantset lacoqueelle-mêmesontenTur ;onutilise leKa-la-napour lescabestans et les têtes demâts, leTempour les gouvernails et les rames, et les arbres à aiguilles, lesconifères,pourlesmâts,lesespars,lescabinesetlesponts.

La motion concernant la nouvelle coupe fut adoptée. Je m’abstins de voter car je n’étais pasconvaincude lanécessitédecettenouvellecoupe. Jeprésumaisqu’elle l’était,mais jen’enétaispassûr;parconséquent,jem’abstins.

Mais, pourquoi Cos et Tyros attaqueraient-elles Port Kar ? Mais ce n’était qu’une rumeur, merépétai-je avec force, qu’une rumeur sans fondement. J’étais furieux. Une nouvelle fois, je mecontraignisàchassercettepensée.

J’avais alors lesmoyensd’acheterdeuxnouveauxnavires.Ce serait deuxgrosnavires rondsauxcales profondes et à grandes voiles. J’avais déjà, dans une large mesure, recruté les équipages. Jeprojetais de les envoyer à Ianda et à Torvaldsland. Ils seraient escortés par une galère de classemoyenne.Ilsmeprocureraient,j’enétaisconvaincu,denouvellesrichesses.

Jeprislemotquemetenditlejeunegarçonquis’immobilisasoudainprèsdemachaise.Ilavaitlescheveuxlongsetportaitunetuniquedesoierougeetjaune.Jeleconnaissaiscarc’étaitundespagesduConseil.

Lemot,plié,étaitferméparundisquedecirefondue.Lacireneportaitaucunsceau.J’ouvrislamissive.Lemessage était simple.On y lisait, en lettres d’imprimerie : JE DÉSIRE TE PARLER. Il était signé,

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égalementenlettresd’imprimerie:SAMOS.Jefroissailemorceaudepapier.«Quit’adonnécemessage?»demandai-jeaujeunegarçon.—«Unhomme,»répondit-il,«quejeneconnaispas.»JevisLysias,avecsoncasqueauxdeuxfiletsd’or,surmontédesacrêtedeCapitaine,enpoilsde

sleen,posésurlebrasdesachaisecurule.Ilmeregardaitaveccuriosité.J’ignoraissilemessageprovenaiteffectivementdeSamos.Si c’était le cas, il savait probablementqueTarlCabot était àPortKar.Mais, comment l’avait-il

appris?Etcommentavait-ilcomprisqueBosk,combattantetmarchand,étaitl’hommequiavaitétéunGuerrierdeKo-ro-ba,lesToursduMatin.

Ilvoulaitprobablementmevoir,afindemedemanderdemeremettreauservicedesPrêtres-Rois.MaisjeneservaispluslesPrêtres-Rois.Jeneservaisplusquemoi-même.J’étaisfurieux.J’ignoreraislemessage.Aumêmemoment,unhommeentraprécipitammentdanslaSalleduConseildesCapitaines.Sesyeuxexprimaientledésarroi.C’étaitHenrak,leRencieràl’écharpeblanche,quiavaittrahilessiens.«L’arsenal!»cria-t-il.«L’arsenalbrûle!»

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11

LACRÊTEENPOILSDESLEEN

LESCapitainesselevèrentd’unbond,enpoussantdescris.DeschaisesfurentrenverséesetdévalèrentlesgradinsdelaSalleduConseil.LeScribeassisderrièrelagrandetablesituéedevantlestrônesdesUbars se leva et se mit à crier. Des feuilles de papier se répandirent sur le sol. Les hommes seprécipitèrent vers l’immense double-porte donnant sur le hall qui conduisait à la place pavée situéedevant la Salle duConseil. Les pages vêtus de soie rouge et blanche couraient de-ci, de-là. L’encres’étaitrenverséesurlagrandetable.

PuisjevisqueLysias,dontlecasqueétaitornéd’unecrêteenpoilsdesleen,n’avaitpasquittésachaise.

Puis, je constatai que le Scribe qui se tenait normalement près du bras droit du trône inoccupéd’HenriusSevarius,lecinquième,avaitdisparu.

Dehors,auloin,au-delàdelagrandeporte,quiavaitétéouverte,retentissaientdescrisdepaniqueetlefracasdesarmes.

PuisjevisLysias,dontlescheveuxétaientattachéssurlanuqueparunlacetécarlate,selever.Ilmitsoncasque.Ildégainasonarme.Monacierjaillitégalementdesonfourreau.MaisLysias,l’armepointée,reculapuisfitdemi-tour,semitàcouriretsortitdelaSalleduConseil

paruneportelatérale.Jeregardaiautourdemoi.Unpetitincendies’étaitdéclarédansuncoin,unelampeayantétérenverséeaumomentoùtoutle

mondes’étaitprécipitéverslaporte.Ilyavaitdeschaisesrenverséesetdesmeublesbrisés.Leplancherétaitcouvertdepapiers.LeScribedelatablecentrale,cellequisetrouvaitdevantlestrônesdesUbars,semblaitpétrifié.D’autresScribeslerejoignirentets’immobilisèrentprèsdelui,seregardantlesunslesautres.Dans

uncoin,ledosaumur,setenaientplusieursjeunespages.Puis,titubant,couvertdesang,uncarreaud’arbalèteplantéaumilieudel’insignedesatuniquede

velours, un Capitaine entra en chancelant et tomba, s’accrochant au bras d’une chaise curule. Puis,derrière lui, par groupes de quatre ou cinq, poussant des cris, blessés, brandissant des armes parfoiscouvertesdesang,seruèrentlesCapitainesquienfurentcapables.

J’allaiprendrepositiondevantlestrônes.Jemontrai lepetit incendiequi s’étaitdéclaré,dansuncoin,à l’endroitoù lapetite lampes’était

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renversée.«Éteignezça!»ordonnai-jeàdeuxpageseffrayés.Jerengainaimonépée.Lesdeuxpagesobéirentimmédiatement.«PrendsleLivreduConseiletgarde-le!»dis-jeauScribequisetenaitderrièrelatable.—«Oui,Capitaine,»répondit-ilens’enemparant.Puis,renversantl’encre,éparpillantlespapierssurlesol,jesoulevailagrandetableau-dessusdema

tête.Ilyeutdescrisdestupéfaction.Jefisdemi-touret,portantlagrandetable,medirigeaiversladouble-portedonnantsurlehall.DesCapitaines,ledosàlasalle,combattaientettombaient,battantenretraite.C’étaientlesderniersCapitaines.Jelançailagrandetable,au-dessusdeleurstêtes,parlaporteouverte.Elle tombade tout sonénormepoids sur leshommes, armésdeboucliers etd’épée,qui faisaient

reculerlesCapitaines,lesécrasantdansunconcertdecrisd’horreur.Jevislesyeuxécarquillésdeterreur,danslesfentesdeleurscasques,deshommescoincéssousses

énormesmadriers.«Apportezdeschaisescurules!»ordonnai-jeauxCapitaines.Bien qu’il y eût de nombreux blessés, bien qu’ils fussent à peine capables de tenir debout, ils

allèrentvivementchercherdeschaisesqu’ilsjetèrentparlaporteouverte.Descarreauxd’arbalètetouchèrentleschaises,fendantlespiedsetlesdossiers.«D’autrestables!»criai-je.Deshommes,desScribesetdespages,arrivèrent,quatreàsixpar table,ajoutantcelles-ciànotre

barricade.Del’extérieur,deshommestentèrentd’escaladerlabarricadeetdel’enfoncer.Ausommet,ilstrouvèrentBosketsalameko-robained’aciertrempé.Quatrehommesreculèrententitubant,roulèrentsurlestablesetleschaises.Descarreauxd’arbalètemesifflèrentauxoreilles.Jerisetsautaid’unbondaupieddelabarricade,lesassaillantsn’essayantplusdel’escalader.«Pouvez-vous tenir cette porte ? » demandai-je auxCapitaines, auxScribes et aux pages qui se

trouvaientlà.—«Oui!»répondirent-ils.JemontrailaportelatéralequeLysiaset,trèsprobablement,leScribed’HenriusSevarius,avaient

empruntéepourquitter lasalle.Quelquespages, incidemment,etcertainsScribes,s’étaientégalementenfuisparcetteporte.

«Barrezcetteporte!»dis-jeàquatreCapitaines.Ilsseprécipitèrentaussitôtverslaporte,demandantàquelquesScribesetàquelquespagesdeles

aider.Quantàmoi,accompagnédedeuxCapitaines,jegagnailefonddelasalle,oùsetrouvaitunescalier

enspiralequipermettaitdegagnerletoitdelaSalleduConseil.Nousarrivâmesbientôtsurletoitincliné,àl’abridestourellesetduparapetdécoratifquilebordait.Delà,souslesoleildel’après-midifinissant,nousdécouvrîmeslafuméequis’élevaitau-dessusdes

quaisetdel’arsenal.«Iln’yaaucunnaviredeCosoudeTyros,dansleport,»relevaundesCapitainesquisetenaient

prèsdemoi.Jel’avaisremarqué.Jemontrailesquais.

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—«Cesquais,»demandai-je,«sont-ilsceuxdeChungetd’Eteocles?»—«Oui,»réponditunCapitaine.—«Etceux-ci,» repris-je,montrantd’autresquais, situésplusausud,«nesont-ilspasceuxde

NigeletdeSulliusMaximus?»Nousvoyionsdesnaviresenflammes.—«Oui,»réponditl’autreCapitaine.—«Manifestement,onsebat,là-bas,»fitremarquerlepremierCapitaine.—«Etsurtouslesquais,»précisalesecond.—«Ilsemble,»dis-je,«quelesétablissementsd’HenriusSevarius,protecteurduCapitaineLysias,

nesontpastouchés.»—«Effectivement,»fitlepremierCapitaine,lesdentsserrées.Enbas,danslesrues,nousentendîmesdestrompettes.Deshommescriaient.Nousaperçûmesdesdrapeauxportantl’insignedelaMaisondeSevarius.Leshommestentaientd’obtenirlesoutiendespassants.«HenriusSevarius,»criaient-ils,«UbardePortKar!»«SevariusseproclameUbar,»ditlepremierCapitaine.—«OubienClaudius,sonrégent,»rectifialesecond.UnautreCapitainenousrejoignit.—«Toutestcalme,enbas,»annonça-t-il.—«Regardez!»dis-jeentendantlebrasverslescanauxquiséparaientlesbâtiments.Lentement,

sans bruit, leurs rames plongeant rythmiquement dans l’eau, venant de directions différentes, desnavires-tarnssedirigeaientverslaSalleduConseil.

—«Etlà!»s’écriaunCapitaineentendantlebrasverslarue.Desarbalétriers fuyaient,en file indienne,contre lemurdes immeubles.Deshommesd’armesse

joignirentàeux.—«Apparemment,»soulignaundesCapitainesquisetenaientautourdemoi,«HenriusSevarius

n’estpasencoreUbardePortKar.»Del’autrecôtédelaplace,suruncanal,unnavire-bélierdetaillemoyennetentaitdes’amarrerentre

deux jetées pavées. Son mât et sa longue vergue étaient attachés au pont. Sa voile se trouvaitprobablementdanslacale.Tellessontlesgalèreslorsqu’ellestraversentlavilleoubiensepréparentàlabataille. Sur une ligne allant de la proue du navire au château arrière, protégeant les archers et leslanciers,undrapeauflottaitauvent.Ilétaitblanc,avecdeslignesverteset,surcefond,sedétachait,ennoir,unetêtedebosk.

Malgréladistance,jevisl’immenseThurnock,armédesonarcjaune,suivideClitus,avecsonfiletetsontrident,etdeTab,suivideseshommes,bondirdelaprouedunaviresurlespavésdelaplace,puiscourirsurlesgrandscarrésdecouleur,enperspective,verslaSalleduConseildesCapitaines.

—«Faitesuneestimation,»dis-je,«desdégâtscausésàl’arsenal.»—«Apparemment,»réponditunCapitaine,«cesontleshangarsàboisetlescalessèches.»—«Lesentrepôtsdepoixetderameségalement,»ditunautre.—«Oui,»fitlepremier,«effectivement.»—«Iln’yapasbeaucoupdevent,»fitremarquerletroisième.J’étaisassezsatisfait.J’étaispersuadéquelesouvriersdel’arsenal,quiétaientpresquedeuxmille,

pourraient, si l’occasion leur en était donnée, contrôler l’incendie. On a toujours eu peur du feu, àl’arsenal.Parconséquent,denombreuxentrepôts,ainsiquelesmagasinsetlesfonderies,sontenpierre,avec des toits d’ardoise ou de métal. Les constructions en bois, tels que les nombreux hangars etentrepôts,sontséparéslesunesdesautres.Ilya,àl’intérieurdel’arsenal,denombreuxendroitsoùontrouvedel’eauenabondance.Presquetouscesbassinsprèsdesquels,dansdescaissespeintesenrouge,

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sont entreposés d’innombrables sacs de cuir, sont expressément destinés à la lutte contre l’incendie.D’autres bassins sont tellement grands qu’une galère peut y tenir ; ces grands bassins font partie dusystème de canaux de l’arsenal, grâce auquel il est possible de transporter lesmatériaux lourds ; leréseaude canauxde l’arsenal s’ouvre, endeux endroits, sur les canauxde laCité et, endeux autresendroits, sur leGolfedeTamber,au-delàduquels’étendThassa laLuisante.Cesquatreendroitssontdéfendus par des portails à barreaux. Les grands bassins, que je viens dementionner, sont de deuxtypes : lespremiers,dépourvusde toit, serventaustockage, sous l’eau,età lamaturationduboisdeTur ; lesseconds,couverts,serventaugréementetà lacharpentesupérieuredesnaviresainsiqu’auxréparationsquinenécessitentpaslerecoursàdescalessèchescouvertes.

J’eusl’impressionqu’ilyavaitdéjàmoinsdefuméedanslequartierdel’arsenal.Les quais deChung, d’Eteocles, deNigel et de SulliusMaximus, à en juger par les brasiers qui

s’étaientétendus,enborduredemer,àl’ouestetausud,n’étaientpasdanslemêmecas.Jeprésumaiquel’incendiedel’arsenaln’avaitété,enfait,qu’unediversion.Ilavaitcertainementeu

pourobjectifd’attirerlesCapitainesdePortKardansl’embuscadepréparéeàleurintentiondevantlaSalle duConseil.HenriusSevarius n’avait certainement pas eu l’intention d’endommager gravementl’arsenal.UnefoisdevenuUbardePortKar,ilauraitconstituéunélémentfondamentaldesafortune,enfaitl’essentieldecelle-ci.

EncompagniedestroisCapitaines,deboutsurletoitenpentedelaSalleduConseil,jeregardailesnaviresbrûlerprèsdesquais.

—«Jevaisàl’arsenal,»décidai-je.JemetournaiversundesCapitaines:«DemandeauxScribesd’enquêteretd’évaluer l’étenduedesdégâts,oùqu’ils soient.DemandeégalementauxCapitainesdeprendrelecontrôlemilitairedelaCité.Ilfautdoublerlespatrouillesetétendreleurrayond’actiondecinquantepasangs.»

—«Mais,CosetTyrosontcertainement…»commençaundesCapitaines.—«Ilfautdoublerlespatrouillesetétendreleurrayond’actiondecinquantepasangs!»répétai-je.—«Ceserafait,»répondit-il.JemetournaiversunautreCapitaine.—«Cesoir,»dis-je,«leConseildoitseréunirunenouvellefois.»—«Jenepeuxpas…»protesta-t-il.—«Àlavingtièmeheure,»ajoutai-je.—«Jevaisenvoyerenvilledespagesmunisdetorches,»dit-il.Jeregardailaville,l’arsenal,lesquaisenfeu.— « Et exigez la présence de quatre Capitaines nommés Chung, Eteocles, Nigel et Sullius

Maximus,»déclarai-je.—«LesUbars!»s’écriaunCapitaine.— « Les Capitaines, » martelai-je. « Envoyez-leur un seul page, avec sa torche. Exigez leur

présenceentantqueCapitaines.»—«MaiscesontlesUbars,»soufflal’homme.Jetendislebrasverslesquaisenflammes.—«S’ilsneveulentpasvenir,»précisai-je,«dites-leurqu’ilsneserontplusCapitainesauxyeux

duConseil.»LesCapitainesmeregardèrent.«Maintenant,»ajoutai-je,«c’estleConseilquigouvernePortKar!»LesCapitainesseregardèrentethochèrentlatête.—«C’estvrai,»ditl’und’entreeux.Le pouvoir des Capitaines n’avait guère été entamé. Le coup de force destiné à les détruire, vif

comme la lame de l’assassin, avait échoué. S’étant réfugiée dans la Salle du Conseil et s’y étant

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barricadée,lamajoritéavaitsurvécu.D’autres,parchance,n’assistaientpasàlaréunion.Enoutre,lesnaviresdesCapitainesétaientgénéralementamarrésdanslacourintérieuredeleurdemeure,àl’abridemurs épais. Et ceux qui étaient amarrés aux quais n’avaient, apparemment, pas ou peu souffert.L’incendien’avaitfrappéquelesquaisdesUbars.

Je regardai le port puis, au-delàdes eauxboueusesduGolfedeTamber, l’immensité brillantedeThassa.

Périodiquement, presque tous les navires de Port Kar étaient en mer. C’était le cas de cinq desmiens.Deux étaient en ville, pour cause de ravitaillement. Les navires desCapitaines, à leur retour,garantiraient leur pouvoir, les équipages étant à la disposition des Capitaines. Toutefois, les Ubarsavaientcertainementdenombreuxnaviresenmer,maislesprétendantsàl’UbaratdePortKarlaissentgénéralement dans la Cité un pourcentage plus important de leur flotte que le ferait un Capitaineordinaire.Selonmoi,lapuissancedesquatreUbars:Chung,Eteocles,NigeletSulliusMaximus,avaitété, approximativement, diminuée demoitié. Si c’était le cas, ils devaient contrôler, en tout, environcentcinquantenavires,dontlamoitiéétaitenmer.J’étaisconvaincuquelesUbarsnes’uniraientpas.Enoutre,sinécessaire, leConseildesCapitainespourrait intercepteretsaisir leursnavires, lorsqu’ilsrentreraientauport.IlyavaitlongtempsquejepensaisquecinqUbarsàPortKar,etl’anarchielatentequirésultaitdecettedivisiondupouvoir,étaientpolitiquementintolérables,enraisondeleursrivalitésen extorsions, impôts et décretsmais, surtout, je pensais que cela allait à l’encontre demes intérêts.J’avais l’intention, à Port Kar, d’accumuler l’argent et le pouvoir. Commemes projets prenaient del’ampleur,jen’avaispasl’intentiondepâtirdufaitquejen’étaisleclientd’aucunUbar.Jenesouhaitaispaspayerlaprotectiond’unpuissant.Jepréféraismedéfendreseul.Parconséquent,jesouhaitaisqueleConseil disposedepouvoirs plus étendus. Ilme sembla, à cemoment-là, compte tenude l’échecducoupdeforced’HenriusSevariusetladiminutiondelapuissancedesautresUbars,quelemomentétaitbienchoisi.JeprésumaiqueleConseil,composédeCapitainesquisetrouvaientconfrontésauxmêmesproblèmes que moi, constituerait une structure politique au sein de laquelle mes ambitions et mesprojetspourraientprospérer.Théoriquementsoumisàlui,ilmeseraitpossible,entouteindépendance,d’augmenteràmaguiselapuissancedemaMaison,laMaisondeBoskdePortKar.

Encequimeconcernait,jesoutiendraisleConseil.J’étaispersuadéquejebénéficieraidel’appuid’hommessemblablesàmoi-même,soucieuxdeleurs

intérêts, ainsi que de celui des imbéciles, inévitablesmais utiles, qui abondaient à Port Kar commeailleurs et espéraient que leur Cité serait gouvernée dans un souci de justice et d’efficacité.Apparemment,lesintérêtsdesimbécilesetceuxdeshommesintelligents,pourunefois,convergeaient.

JemetournaiverslesCapitaines.—«Jevousverraiàlavingtièmeheure!»déclarai-je.Congédiés,ilss’enallèrent.Restéseulsurle toit, jeregardai lesincendies.Unhommetelquemoi,medis-je,devraitpouvoir

s’éleverdansunetelleCité,PortKarlaPerfide,PortKarlaMalsaine.Puis je quittai le toit et pris le chemin de l’arsenal, afin deme rendre compte parmoi-même de

l’étenduedesdégâts.Ladix-neuvièmeheureavaitsonné.Au-dessus de nous, dans la Salle duConseil desCapitaines, des bruits de pas résonnaient sur le

plancherdebois.Tous les Capitaines de Port Kar étaient venus à la réunion, à l’exception de ceux qui étaient

étroitementliésàlaMaisond’HenriusSevarius.OndisaitmêmequelesquatreUbars,Chung,Eteocles,NigeletSulliusMaximusavaientprisplace,

ouprendraientbientôtplace,surleurstrônes.

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L’hommeattachéauchevaletpoussaunhurlementdedouleur.C’étaitundeceuxquiavaientétécapturés.«Nous avons l’estimation des dégâts causés aux quais deChung, »m’informa unScribe enme

donnantundocument.JesavaisquelesquaisdeChungbrûlaientencoreetquel’incendieavaitgagné,aunord,lesquaislibressituésausuddel’arsenal.L’estimation,parconséquent,seraitincomplète.

JeregardaileScribe.«Noustecommuniqueronsdenouvellesestimationsdèsqu’ellesserontarrivées,»ajouta-t-il.J’acquiesçaietils’éloigna.Les incendies étaient pratiquement éteints, dans les propriétés d’Eteocles, deNigel et de Sullius

Maximus,quoiqu’undesentrepôtsdecedernier,quicontenaitdel’huiledetharlarion,fûttoujoursenflammes.L’odeuretlafuméequis’endégageaientpesaientsurlaville.Comptetenudecequejesavais,Chung avait été plus durement touché que les autres et avait perdu une trentaine de navires.Apparemment, la puissance desUbars n’avait peut-être pas été divisée par deux,mais elle avait étéconsidérablementréduite.Lesdégâtscausésàl’arsenal,quej’avaisvusdemespropresyeuxetàproposdesquelsj’avaislulesestimationsdesScribes,n’étaientpasparticulièrementgraves.Ilsserésumaientàladestructiond’un entrepôt couvert, contenant dubois deKa-la-na, et à la destructionpartielle d’unautre ; en outre, un petit entrepôt où l’on stockait la poix, avait également brûlé ; deux cales sèchesavaientétédétruitesetl’atelierdesfabricantsderames,prochedel’entrepôtcontenantlesrames,avaitétéendommagé;l’entrepôtlui-même,parchance,avaitéchappéàl’incendie.

Certainsdeceuxquiavaientalluméces incendiesavaientétéappréhendéset,dans la lumièredestorches,hurlaient,attachésauxchevalets,danslacavedelaSalleduConseildesCapitaines.Laplupartd’entre eux, toutefois, des arbalétriers ayant couvert leur retraite, s’étaient réfugiés dans la demeurefortifiéed’HenriusSevarius.

Lesdeuxesclavesquisetrouvaientprèsdemoisepenchèrentsurletreuilduchevalet.Ilyeutuncraquementdeboispuis lecliquetisde la rouedentéequiavançadequelquescrans,etunhurlementhorrible.

«Lespatrouilles ont-elles été doublées ? » demandai-je à unCapitainequi se trouvait auprès demoi.

—«Oui,»répondit-il,«etleurrayond’actionaétéaugmentédecinquantepasangs.»L’hommeattachéauchevalethurladenouveau.—«Quelleestlasituationmilitaire?»demandai-jeàunautreCapitaine.—«Leshommesd’HenriusSevarius,»répondit-il,«sesontréfugiésdanssademeure.Sesnavires

etsesquaissontbiendéfendus.LeshommesdesCapitainesmontentlagarde.D’autressontrestésenréserve.SilesforcesdeSevariustententunesortie,nousleuropposeronsnotreacier.»

—«Etlaville?»m’enquis-je.—«Elle ne s’est pas ralliée àSevarius, » répondit leCapitaine. «Dans les rues, on crie : «Le

pouvoirauConseil!».C’estcela.»—«Excellent,»commentai-je.UnScribes’immobilisaprèsdemoi.—«Un envoyé de laMaison de Sevarius demande l’autorisation de parler devant leConseil, »

annonça-t-il.—«S’agit-ild’unCapitaine?»m’enquis-je.—«Oui,»réponditleScribe.«C’estLysias.»Jesouris.—«Trèsbien,»dis-je.«Envoieunpageetunhommeavecunetorche,ainsiqu’uneescorte,afin

qu’ilnesefassepasassassinerdanslesrues.»LeScribeeutunsourireironique.

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—«Oui,Capitaine,»fit-il.UnCapitaine,quisetenaitprèsdemoi,secoualatête.—«Mais,SevariusestunUbar,»fit-ilremarquer.—«LeConseil,»déclarai-je,«examinerasesdemandes.»LeCapitainemeregardaetsourit:—«Bien,»fit-il,«bien.»Je fis signeauxesclaveschargésdu treuilde serrerunpeuplus le lourdengrenagedebois.Une

nouvellefois,ilyeutungrincementetlecliquetisdelarouedenté.L’hommeattachéauchevaletrejetaviolemmentlatêteenarrière,nehurlantplusqu’aveclesyeux.Encoreuncranetlesarticulationsdesbrasetdesjambessedéboîteraient.

—«Qu’as-tuappris?»demandai-jeauScribequi,munid’unetabletteetd’unstylet,setenaitprèsduchevalet.

—«Riendenouveau,»répondit-il.«IlsontétéengagésparHenriusSevarius,soitpourmassacrerlesCapitaines,soitpourincendierl’arsenaletlesquais.»LeScribemeregarda.«Cesoir,»ajouta-t-il,«SevariusdevaitêtreUbardePortKaretchacund’euxauraitreçuunePierred’or.»

—«CosetTyros?»m’enquis-je.LeScribeparutétonné.—«Ilsn’ontpasmentionnéCosetTyros,»déclara-t-il.Celamecontrariacarj’avaislesentimentquelecoupdeforcen’étaitpasseulementl’œuvred’un

desUbarsdePortKar.Jen’auraispasétésurprisd’apprendre,pendantlajournéeoulasoirée,quelesflottesdeCosetdeTyrosarrivaient.Est-ilpossible,medemandai-je,queCosetTyrosnesoientpasimpliquéesdanscecoupdeforce?

—«Quesais-tudeCosetdeTyros?»demandai-jeàl’épaveattachéesurlechevalet.C’étaitundesarbalétriersquiavaienttirésurlesCapitainesaumomentoùilssortaientdelaSalleduConseil.Ilavaitlesyeuxexorbités;unegrosseveinebattaitsursonfront;sesmainsetsespiedsétaientblancs;sespoignetsetseschevillessaignaient;soncorpsétaitcouvertd’unesueurgrasse;ilbaignaitdanssesexcréments.

—«Sevarius,»souffla-t-il,«Sevarius.»—«CosetTyrosn’ont-ellespasl’intentiond’attaquer?»demandai-je.—«Oui,oui!»s’écria-t-il.«Oui!»—«Et,»repris-je,«Ar,Ko-ro-ba,Treve,Thentis,Thuria,Tharna,Tor?»—«Oui,oui,oui,»gémit-il.—«Et,»insistai-je,«Teletus,Tabor,Scagnar?»—«Oui!Oui!»cria-t-il.— « Et, » poursuivis-je, « Farnacium, Hulneth, Asperiche ? Et Anango, Ianda, Hunjer, Skjern,

Torvaldsland?EtLydius,Helmutsport,SchendietBazi?»—«Oui!»cria-t-il.«Ellesvonttoutesattaquer!»—«EtPortKar?»criai-je.—«Oui!»hurla-t-il.«PortKaraussi!PortKaraussi!»Dégoûté,jefissigneauxesclavesdelibérerleprisonnier.Dans un grincement de cordes et de chaînes, l’engrenage se débloqua et l’homme attaché sur le

chevaletsemitàparlersansretenue,àprotester,àrire.Lorsquelesesclavesledétachèrent,ilavaitperduconnaissance.«Ilnepouvaitplusriennousapprendre,»fitunevoix,prèsdemoi.Onauraitditqu’unlarlvenait

deparler.Jemetournai.Devantmoi,levisageimpassible,setenaitunhommebienconnuàPortKar.

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—«Tun’étaispasàlaréunionduConseil,cetaprès-midi,»fis-jeremarquer.—«Non,»répondit-il.Semblableàunfauveàdemiassoupi,ilmeregarda.C’étaitunhomme imposant.À l’épaulegauche, ilportait lesdeuxcordesdePortKar.Onne les

porte,engénéral,qu’endehorsdelaCité.Sonvêtementétaitentissuépaisetcomportaitunecapuchequ’il avait rejetée en arrière. Son visage était large, lourd et très ridé ; comme celui de nombreuxhabitantsdePortKar,ilportaitlesmarquesdeThassa,ilétaitbrûléparleventetlesel;sesyeuxétaientgris;ilavaitlescheveuxblancsetcourts;ilportait,auxoreilles,deuxpetitsanneauxd’or.

Un larl changé en homme, conservant néanmoins les instincts du fauve, son courage et sonintelligence, aurait, àmon avis, beaucoup ressemblé àSamos,PremierMarchandd’Esclaves dePortKar.

—«Salut,NobleSamos,»dis-je.—«Salut,»répondit-il.Ilmesembla,àcetinstant,quecethommenepouvaitpasêtreauservicedesPrêtres-Rois.J’eusle

sentiment,avecunfrissonquejenetrahispas,qu’ilnepouvaitservirquelesAutres,quin’étaientpasdesPrêtres-Rois, cesAutresquihabitaientde lointainsmondesd’acier etqui, secrètementmaisaveccruauté,combattaientdansl’espoirdes’approprierGoretlaTerre.

Samos regarda autour de lui, s’arrêtant brièvement sur les chevalets auxquels de nombreuxprisonniersétaientencoreattachés.

Lalumièredestorchesproduisaitdesombresinquiétantes.«CosetTyrossont-ellesimpliquées?»demanda-t-il.—«Ceshommessontprêtsàavouern’importequoi,»répondis-jesèchement.—«Maisriennesemblevrai,»fit-il.—«Exactement,»dis-je.—«JesoupçonneCosetTyros,»fit-il,impassible,enmedévisageant.—«Moiaussi,»dis-je.—«Maisceshommesdemain,»reprit-il,«nesaventrien.»—«Apparemment,»fis-je.—«Révélerais-tutesplansàdetelsindividus?»demandaSamos.—«Non,»répondis-je.Ilhochalatêtepuiss’éloigna,maisilseravisaetparlasansseretourner.—«TuesceluiquisefaitappelerBosk,n’est-cepas?»—«C’estexact,»répondis-je.—«Ladéterminationdonttuasfaitpreuve,cetaprès-midi,estdigned’éloges,»dit-il.«LeConseil

tedoitbeaucoup.»Jenerépondispas.Puisilseretourna.«Sais-tuquiprésideleConseil?»demanda-t-il.—«Non,»répondis-je.—«C’estmoi,»déclaraSamosdePortKar.Jenedisrien.PuisSamoss’adressaauScribequisetenaitprèsduchevalet.Ilmontralesautreschevalets.«Enfermezceshommesetenchaînez-les!»ordonna-t-il.«Ilnousfaudrapeut-êtrelesinterrogerà

nouveaudemain.»—«Qu’as-tul’intentiondefaired’eux,ensuite?»demandai-je.—«Nosnaviresronds,»réponditSamos,«ontbesoinderameurs.»J’acquiesçai.

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Parconséquent,ilsdeviendraientesclaves.—«NobleSamos,»dis-je.—«Oui?»dit-il.Jemesouvinsdumessagequej’avaisreçuaumomentoùHenrakétaitentréprécipitammentdansla

SalleduConseil,encriantquel’arsenalétaitenflammes.J’avaisfourrélemessagedanslaboursequejeportaisàlaceinture.

— « Pendant l’après-midi, » demandai-je, « le Noble Samos m’a-t-il fait parvenir un messageindiquantqu’ilsouhaitaitmerencontrer?»

Samosmeregarda.—«Non,»répondit-il.Jebaissailatête.PuisSamos,quiprésidaitleConseildesCapitainesdePortKar,s’enalla.—«Samos,»m’appritundesScribes,«estarrivéàPortKarcettenuitmême,à ladix-huitième

heure,venantdeScagnar.»—«Jevois,»dis-je.Qui,medemandai-je,danscesconditions,estl’auteurdecemessage?Ilyavait,apparemment,à

PortKar,desgensquimeconnaissaient.Lavingtièmeheureétaitproche.Lysias,Capitaine,clientd’HenriusSevarius,s’adressaitauConseil.Ilsetenaitdevantlestrônesdes

Ubarsetmêmedevantlagrandetable,dontleplateauportaitdesentaillesduesauxcoupsd’épéeetdestrousauxbordsdéchiquetésdufaitque,dansl’après-midi,descarreauxd’arbalètel’avaienttranspercé.

LaSalleduConseil,cesoir-là,étaitsouslaprotectiondeshommesdesCapitaines,quipatrouillaientégalementsurlestoitsetlelongdesbergesdescanaux,surunpasang,danstouteslesdirections.

Lasalleétaitéclairéepardestorchesetdenombreusesbougiesposéessurdestablesinstalléesentreleschaisescurules.

Toutenparlant,Lysiasmarchaitdelongenlargedevantlatable,sonmanteauvirevoltantderrièreluietlecasque,ornéd’unecrêteenpoilsdesleen,danslecreuxdubras.

«Parconséquent,»conclutLysias,«jesuischargédeprononcervotreamnistie,aunomdel’UbardePortKar,HenriusSevarius.»

—«HenriusSevariusleCapitaine,»ditSamos,aunomduConseil,sansquittersachaisecurule,«conviendraitmieux.»

Lysiasbaissalatête.«Toutefois,»poursuivitSamossuruntonmesuré,«HenriusSevariusleCapitaineconstaterapeut-

êtrequeleConseiln’estpasaussienclinàlaclémencequ’ill’estlui-même.»Inquiet,Lysiasrelevalatête.—«Ilestpluspuissantquevoustous!»cria-t-il.PuisilsetournaverslesUbarsqui,entourésde

gardes,avaientprisplacesurleurstrônes.«Etmêmequevous!»ajouta-t-il.JeregardailesUbars,Chung,trapuetbrillant,Eteocles,auvisageminceetrusé,Nigel,grand,aux

cheveuxlongs,semblableàunseigneurdeTorvaldsland,SulliusMaximusqui,disait-on,écrivaitdelapoésieets’intéressaitdetrèsprèsauxpropriétésdesdiverspoisons.

—«Combiendenavirespossède-t-il?»s’enquitSamos.—«Centdeux!»réponditfièrementLysias.— «LesCapitaines duConseil, » fit sèchement Samos, « disposent d’unmillier de navires. En

outre, le Conseil est responsable de l’utilisation des navires de la Cité, ce qui représenteapproximativementunautremillierdevaisseaux,etsanscompterlesnaviresdeguerredel’Arsenal,cequifaitsixcentsdeplus…»

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Lysias, mécontent, s’immobilisa devant Samos, le casque dans le creux du bras, son manteautombantjusqu’àterre.

«LeConseilcommande,»conclutSamos,«environdeuxmillesixcentsnavires.»—«Ilyabeaucoupd’autresnavires!»criaLysias.—«Peut-être,»demandaSamos,«veux-tuparlerdeceuxdeChung,d’Eteocles,deNigeletde

SulliusMaximus?»UnriredésagréableretentitdanslaSalleduConseil.—«Non!»criaLysias.«Jeveuxparlerdeceuxdespetitscapitaines,quisontplusdedeuxmille

cinqcents.»—«Danslesrues,»ditSamos,«oncrie:«LepouvoirauConseil!».Lesais-tu?»—«ProclamezHenriusSevariusUbar, »ditLysiasd’unevoix sourde, «vous serez épargnés et

amnistiés.»—«C’estlàtaproposition?»s’enquitSamos.—«Oui,»réponditLysias.— «Maintenant écoute, » reprit Samos, « la proposition du Conseil : Henrius Sevarius et son

régent, Claudius, doivent déposer les armes et renoncer à leurs navires, à leurs hommes, à leursentrepôts, à leurs propriétés, à leurs biens puis se présenter, nus et enchaînés comme des esclaves,devantleConseilafinquecelui-cipuisselesjuger.»

Lysias, rigidede fureur, lamain sur le pommeaude son épée, resta immobile, silencieux, devantSamos,PremierMarchandd’EsclavesdePortKar.

«Peut-être,»poursuivitSamos,«lesépargnera-t-on,afinqu’ilspuissentramersurlesbancsd’unnavireronddelaCité.»

LesmembresduConseilmanifestèrentbruyammentleurapprobationetleurfureur,lepoinglevé.Lysiasregardaautourdelui.—«Jeréclamel’immunitédel’ambassadeur!»cria-t-il.—«Accordée, » répliqua Samos. Puis il se tourna vers un page. «Conduis leCapitaineLysias

jusqu’àlademeured’HenriusSevarius!»ordonna-t-il.—«Oui,NobleSamos,»réponditlejeunegarçon.Lysias,sursesgardes,lemanteauvirevoltantautourdelui,suivitlejeunegarçonets’enalla.Samosselevadevantsachaisecurule.«Est-il vrai, »demanda-t-il, «que, auxyeuxduConseil,HenriusSevariusn’est plusniUbarni

CapitainedePortKar?»—«C’estvrai!»crièrentlesCapitaines.«C’estvrai!»Personne,àmonavis,necriaplusfortquelesUbarsassissurleurstrônes.Quandletumulteeutcessé,SamossetournaverslestrônesdesquatreUbars.Ilsleregardaientavecinquiétude.—«GlorieuxCapitaines,»ditSamos.—«Ubars!»criaSulliusMaximus.—«Ubars,»répétaSamos,baissantlatête,avecunsourire.Lesquatrehommes:Chung,Eteocles,NigeletSulliusMaximus,secarrèrentsurleurstrônes.« Sachez, Ubars, » dit-il, « que Samos, PremierMarchand d’Esclaves de Port Kar, demande au

ConseildeprendreenmainlegouvernementdePortKar,sechargeantdespleinspouvoirs,enmatièredepolice,deréglementation,detaxation,dedroit,afférentsàcettecharge.»

—«Non!»s’écrièrentlesUbars,selevantd’unbond.—«Ceseralaguerrecivile!»criaEteocles.—«LepouvoirauConseil,»déclaraSamos,baissantlatête.—«LepouvoirauConseil!»crièrentlesCapitaines.

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Lespages,lesScribesetlespetitscapitaines,assemblésaufonddelasalleetsurlescôtés,crièrentégalement:

—«LepouvoirauConseil!»Immobilesurmachaisecurule,jesouris.—«Enoutre,»poursuivitSamos,«jedemandequeleConseilprononceladissolutiondetousles

liens unissant clients et protecteurs et n’autorise leur reconstitution que sur la base du consentementmutuel et aux termes d’un contrat accepté par les deux parties, dont un exemplaire sera remis auConseil.»

SulliusMaximuslevalepoingendirectiondeSamos.—«Tunenousdéposséderaspasdenotrepouvoir!»cria-t-il.—«Deplus,»continuaSamos,«ilfautqueleConseildécrètequetousceuxquin’appliqueront

passesrésolutionsouagirontcontreluis’exposerontàdespoursuitesdesapart.»Lesmembresdel’assembléeapplaudirentàtoutrompre.Chung,s’enveloppantdignementdanssonmanteau,suividesesgardesducorps,quittalaSalledu

Conseil.PuisNigel,dédaigneuxetd’unpasmesuré,soncasquesouslebras,s’enallaégalement.«JedemandemaintenantauScribe,»ditSamos,«deprocéderàl’appeldesCapitaines.»—«Antisthenes!»crialeScribe.—«Antisthenesacceptelespropositions,»annonçaunhommedutroisièmerang,assisàquelques

mètresdemoi.Furieux,avecuncriderage,Eteocles,lemanteautournoyant,lamainsurlepommeaudesonépée,

sedirigeaverslatable.Ildégainasonépéeetl’abattitsurlespapiersduScribe,lesclouantàlatable.—«VoicilepouvoirquisoumetPortKar!»cria-t-il.Lentement,Samosdégainasonarmeetlaposasursesgenoux.PresquetouslesCapitainesduConseildégainèrentleurarmeet,commeSamos,laposèrentsurleurs

genoux.Jesortiségalementmonarmeetmelevai,lesyeuxfixéssurEteocles.Ilmeregardapuis,avecuncridefureur,repritsalame,laremitbrutalementdanssonfourreau,et

partitàgrandspas.Jereprismaplace.Jeconstataique,sansunmot,presqueimpassible,SulliusMaximuss’étaitlevé.Unhomme,debout

derrièrelui,l’aidaàmettresonmanteau,ajustantl’agrafed’orsuivantsongoût.Unautrehommetenaitsoncasque.

SulliusMaximuss’arrêtadevantlatableduScribeetregardalesmembresduConseil.—«J’écriraiunpoème,»dit-il,«relatantlachutedesUbars.»Puisilsouritets’enalla.Jemedisquec’étaitleplusdangereuxdesUbars.Jerengainaimalame.—«Bejar!»crialeScribe.— « Bejar accepte les propositions de Samos, » dit un Capitaine à la peau mate et aux longs

cheveuxraides,quiétaitplacéaudeuxièmerang,légèrementsurmadroite.—«Bosk!»crialeScribe.—«Bosk,»dis-je,«s’abstient.»Samos,etdenombreuxautres,mejetèrentunbrefregard.—«Abstention,»enregistraleScribe.Jen’avaisaucuneraison,pourlemoment,decautionnerleprogrammedeSamosetduConseil.Il

me semblait indubitable que les propositions seraient adoptées. En outre, j’étais persuadé qu’elles

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serviraientmesintérêts.Mais,enm’abstenant,jenedévoilaisnimesintentionsnimesallégeances.Ilmesemblaquel’abstentionaugmenteraitmalibertédemanœuvre.Enoutre,medis-je,ilestencoretroptôtpourdevinersurquelleschaisescurulesseposerontlestarnsdupouvoir.

Commejel’avaisprévu,lespropositionssoumisesauConseilparSamosfurentadoptéesavecunemajorité écrasante. Il y eut quelques abstentions et quelques refus, peut-être de la part de ceux quicraignaientlepouvoirdesUbarsmais,dansl’ensemble,ladécisionfutclaire:lespouvoirsdévolusauxUbarsleurfurentretirésetleConseildesCapitainesdevintl’autoritésouverainedePortKar.

LaréunionduConseilseprolongeapendantunebonnepartiedelanuitetdenombreusesquestionsfurent abordées.Le jour n’était pas levé qu’on érigeait déjà desmurs autour de la demeure fortifiéed’Henrius Sevarius, tandis que des navires de l’arsenal bloquaient ses quais et que de nombreusespatrouillesétaientchargéesdesurveillerlesrésidencesetpossessionsdesquatreautresUbars.Plusieurscommissions furent constituées, en général présidées par des Scribes, mais soumises à l’autorité duConseil, et chargées de mener à bien diverses études, notamment sur les problèmes militaires etcommerciaux, concernant la Cité. Une de ces études concernait le recensement des navires et desCapitaines, grands et petits, ses résultats restant la propriété du Conseil. D’autres, dont les résultatsresteraient également confidentiels, avaientpourobjet ladéfensede laCité ainsique ses réservesdebois,degrain,desel,depierreetd’huiledetharlarion.Onenvisageaégalement,sansriendécidercettenuit-là,lesproblèmesdefiscalité,l’unificationetlarévisiondescodesdescinqUbars,laconstitutiondetribunauxduConseil,destinésà remplacerceuxdesUbars,et l’engagementd’unnombre respectabled’hommesd’armesquiseraientplacésdirectementsousl’autoritéduConseil,enfait,d’uneGardeduConseil.Untelcorps,ilfautlepréciser,disposantdepeud’hommesetdepouvoirslimités,existaitdéjàà l’arsenal.LaGardede l’Arsenalseraitprobablementrattachéeà laGardeduConseil,nouvellementconstituée, si celle-ci voyait le jour. Il est vrai, naturellement, que le Conseil contrôlait déjà denombreuxnaviresetéquipages,maisilnefautpasoublierquecesforcesétaientdenaturemaritime;leConseilavaitdéjàunemarine;lesévénementsdel’après-midiavaientmontréqu’illuifallaitégalementdisposerd’uneinfanteriepermanente,fidèleetcapabled’intervenirrapidement.Onnepourraitpeut-êtrepas toujours compter sur le ralliement deCapitaines prêts à défendre leConseil, comme cela s’étaitproduitdansl’après-midi.Enoutre,sileConseilvoulaitvéritablementgouvernerPortKar,commeilenavaitmanifesté l’intention, il lui fallaitabsolumentdisposerd’une forcemilitaireauseinmêmede laCité.

Ilseproduisit,pendantcetteréunionduConseil,unincidentquimérited’êtrerelaté.C’étaitpeuavant le leverdujouret la lumièregrisede l’aubedePortKarentraitpar lesfenêtres

hautes et étroites de la Salle du Conseil des Capitaines. J’avais sorti le message qui m’avaitprétendumentétéenvoyéparSamosdanslecourantdel’après-midietquecelui-ciavaitniém’avoirfaitparvenir.Presquesanslevouloir,jel’avaisbrûléàlaflammeminusculed’unebougiequisetrouvaitsurunetableprochedemoietn’étaitplusqu’uneflaquedecirefondueetclaire,puis,aveclapaumedelamain,j’avaisétouffélapetiteflamme.Lejourétaitlevé.

«Jesuispersuadé,»disaitSamos,«queCosetTyrossontimpliquéesdanslecoupdeforcetentéparlaMaisondeSevarius.»

Jen’auraispasétésurprisquecelafûtvrai.Desgrognementsd’assentimentaccueillirentsesparoles.Apparemment, ilsavaientégalementdes

soupçons.IlnesemblaitpascrédiblequeSevariusaitbougésansêtreassuré,dansunecertainemesure,dusoutiendesforcesdeCosetdeTyros.

«Encequimeconcerne,»poursuivitSamos,«jesuislasdelaguerrecontreCosetTyros.»LesCapitainesseregardèrent.«MaintenantqueleConseilrègnesurPortKar,»ditSamos,lespoingscrispéssurlesbrasdesa

chaisecurule,«neserait-ilpaspossibledefairelapaix?»

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Cesparolesmesurprirent.JevisunoudeuxCapitainesleverlatête,qu’ilsavaientposéesurlebrasdeleurchaisecurule.UnautreCapitaine,dit:—«IlyatoujourseulaguerreentrePortKaretCosetTyros.»Cesremarquesm’étonnaient,delapartdeSamos.J’étaiscurieuxdeconnaîtresesmotivations,ses

plans.—«Commevouslesavez,»repritSamosd’unevoixunie,«PortKarn’estpaslacitédeGorla

plusaimée,laplusrespectéeetlaplushonorée.»Cettedéclarationprovoquaunimmenseéclatderire.«N’avons-nouspasétémalcompris?»demanda-t-il.Unmurmured’amusementironiqueaccueillitcettequestion.Jesourisintérieurement.LesCitésde

Gor,medis-je,comprennenttrèsbienPortKar.«Considéreznotrecommerce,»poursuivit-il.«Neserait-ilpasplusimportantsilesautresCitésde

Gornoussavaientpacifiques?»Ilyeutunéclatderiretonitruantetleshommesmartelèrentlesbrasdeleurschaisescurules.Dans

la salle, tout lemonde était réveillé. Les pages et les Scribes eux-mêmes riaient et se donnaient descoupsdecoude.

Quandlesilencesefit,ilfutbrusquement,inopinément,rompuparlavoixdeBejar,leCapitaineàlapeaumateetauxlongscheveuxraides.Ilditsimplement,répondantàlaquestiondeSamos:

—«C’estvrai.»Puis,ungrandsilence s’abattit sur la salle. Ilmesemblaque tous lesCapitaines, sansexception,

retenaientleursoufflepourécouterlesparolesdeSamos.—«Jepropose,»ditSamos,«queleConseilprennecontactavecCosetTyrosenleuroffrantla

paix.»—«Non!»crièrentlesCapitainesassemblés.«Non!»Quandletumulteeutcessé,Samosajouta,d’unevoixdouce:—«Évidemment,notreoffreserarejetée.»LesCapitainesseregardèrentquelquesinstantssanscomprendre,puisilssourirentet,enfin,rirent

franchement.Je souris intérieurement. Samos était extrêmement rusé. Cette magnanimité de façade servirait

effectivement les intérêtsde l’Ubaratmaritime.Enoutre,onpourrait croirequePortKarn’étaitpluscomme avant, que la prise du pouvoir par le Conseil l’avait transformée. Et, y avait-il geste plussymbolique que cette mission de paix auprès de Cos et de Tyros, ses ennemies héréditaires ? Si laresponsabilitédelapoursuiteduconflitleurrevenaitnettement,leursalliéesenvisageraientpeut-êtrederéduireoudesupprimerlesoutienqu’ellesleurapportaient,etiraientpeut-êtremêmejusqu’àenfairebénéficierPortKar.Enoutre,ilnefallaitpasoublierlesportsetlescitésquin’avaientpasprisparti.IlseraitsansdoutepossibledelesdissuaderdedevenirlesalliésdeCosetdeTyros,peut-êtremêmedelesconvaincred’offrirleursservicesàPortKar.Quoiqu’ilensoit,dansunetelleéventualité,lesnaviresdePortKar seraient sansdoute, du jour au lendemain, les bienvenusdansdesports qui leur étaient,jusque-là,interdits.EtquisaitcombiendenaviresdecommerceferaientrouteversPortKarsiellesefaisaituneréputationdejusticeetd’honnêteté?L’idéedeSamos,selonlaquelleuntelgeste,delapartdePortKar,entraîneraitundéveloppementdesoncommerce,meparutexcellente.

—«Etsil’offredepaixétaitacceptée?»demandai-jeàSamos.LesCapitainesme regardèrent avec stupéfaction.Quelques-uns rirent.Mais lamajorité se tourna

versSamos.—«Celamesembleimprobable,»réponditSamosavecunsourire.LaplupartdesCapitaines,àcemoment-là,rirent.

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—«Mais,»insistai-je,«sicelaseproduisait?»Samos ricana, puis ses yeux gris et clairs rencontrèrent lesmiens,mais sans émotion. Il me fut

impossibledeliresoncœur.Puisilsouritetécartalesbras.—«Ehbien,»fit-il,«elleseraitacceptée.»—«Et,»demandai-je,«serons-nousfidèlesàcetteacceptation?Lapaixs’installera-t-elleentre

PortKaretCosetTyros?»—«Ilsera toujourspossible,»réponditSamosavecunsourire,«dediscuterdeceproblèmeau

coursd’uneprochaineréunionduConseil.»Cettedéclarationdéclenchaencorelesrires.«Lemoment est propice, » poursuivit Samos, « à ces propositions de paix.D’abord, leConseil

vientdeprendrelepouvoir.Ensuite,mesespionsm’ontapprisquelesUbarsdeCosetdeTyrosdoiventserencontrercettesemaine,àCos.»

Un murmure de colère courut parmi les Capitaines. Le voyage de l’Ubar de Tyros à Cos neprésageaitriendebonpourPortKar.Plusquejamais,ilsemblaitpossible,ouprobable,qu’ilyeûtuneconspirationdesdeuxUbaratsinsulairescontrePortKar.QuelleautreraisonlesUbarsauraient-ilseudeserencontrer?Ordinairement,ilsnes’appréciaientpasdavantagequ’ilsappréciaientPortKar.

—«Ehbien,»déclaraunCapitaine,«ilsdoiventprojeterdelancerleursflottescontrenous!»—«Peut-être,»ditSamos,«lesmembresd’unemissiondepaixenapprendraient-ilsdavantage?»LesCapitainesgrognèrentleurassentiment.—«Ettesespions,»dis-je,«quisemblentsibieninformés?S’illeurestpossibledeconnaîtreles

déplacementsdel’UbardeTyros,ildoitêtredifficiledeleurcacherlerassemblementdedeuxflottesaussipuissantesquecellesdeCosetdeTyros.»

LamaindeSamosglissainstinctivementverslepommeaudesonépée,maisillarefermalentementetposalepoingsurlebrasdesachaisecurule.

—«Tuparlesvite,»dit-il,«bienquetuappartiennesdepuispeuauConseildesCapitaines.»—«Plusvitequetunedaignesrépondre,apparemment,NobleSamos!»répliquai-je.JemedemandaisquelsintérêtsSamospouvaitbienavoiràCosetàTyros.Samosparlaaveclenteur.Jecomprisqu’iln’avaitpasenviedeparler.—«LesflottesdeCosetdeTyrosnesontpasencoreréunies,»dit-il.Jepoussaiunsoupirdesoulagement.PlusieursCapitainesretinrentleursouffle.«Non,ellesnesontpasencoreréunies,»répétaSamosensecouantlatête.S’ilétaitaucourant,medis-je,pourquoin’a-t-ilpasparléplustôt?— « Peut-être, » demandai-je, « Samos nous proposera-t-il de renoncer à nos patrouilles sur

Thassa?»Samossetournaversmoi;sonregardfutaussiglacéquel’aciergoréen.—«Non,»dit-il,«jeneferaipasunetelleproposition.»—«Excellent!»fis-je.LesCapitainesseregardèrent.—«Pasdeviolencedans leConseil ! » intervint leScribe assis derrière la tablequi se trouvait

devantlestrônesvidesdescinqUbars.—«Jesuismoinsattachéàlapiraterie,»dis-je,«quenombredemescollègues.Dufaitquema

prospéritéreposesurlecommerce,lapaixavecCosetTyrosserviraitmesintérêts.Ilnemesemblepasimpossiblequecesdeuxpuissancessoientlassesdelaguerre,commeleprétendSamos.Sicelaestvrai,ellesaccepterontpeut-êtreunepaixhonorable.Unetellepaix,sij’aibiencompris,ouvriraitlesportsdeCos,deTyros,etdeleursalliées,ainsiqued’autres,àmesnavireset,naturellement,auxvôtres.Lapaix,Capitaines,pourraitbienserévélerprofitable.»JemetournaiversSamos.«Etsil’onproposelapaixàCosetTyros,»dis-je,«jesouhaitequecesoitsansarrière-pensée.»

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Samosmelançaunregardbizarre.—«Ceseralecas,»affirma-t-il.LesCapitainess’entretinrentàvoixbasse.J’étaisstupéfait.«Bosk,»repritSamos,«s’estfaitl’avocatdelapaix.Ilfauttenircomptedecequ’iladit.Rares

sontceuxd’entrenousquinepréfèrentpasl’orausang.»Ilyeutquelquesrires.«Silapaixétaitsignée,»demandaSamosavecassurance,«quirefuseraitdelarespecter?»JeregardailesCapitainesunparun.Jeconstataiavecsurprisequ’aucund’entreeuxn’envisageait

deromprelapaix,siellesefaisait.Ilmesemblaalorsque,pourlapremièrefois,unepossibilitédepaixentrelestroisgrandsUbarats

maritimesvenaitdevoirlejour.Puis,soudain,j’eusconfianceenSamos.Je fusébahi,mais ilmesemblaitque l’assembléeétaitprêteà respecter lapaix,aucasoùellese

ferait.Laguerreduraitdepuistellementlongtemps!Personnenerit.Jerestaiimmobilesurmonimposantechaisecurule,celled’unCapitainedePortKar.JeregardaiSamos,cherchantàlecomprendre.C’étaitunhommeétrange,unlarl.Jenepouvaispas

leperceràjour.«Naturellement,»ditSamos,«notreoffredepaixserarejetée.»LesCapitainesseregardèrentenricanant.Jecomprisquej’étaisrevenuàPortKar.« Il faudraque l’undenousportenotreoffredepaixàCos,»poursuivitSamos,«où il lui sera

possiblederencontrerlesdeuxUbars.»Jen’écoutaisplusqu’àmoitié,maintenant.«Ilfaut,»continuaSamos,«quecesoitunCapitaineetqu’ilsoitmembredenotreConseil,afin

quel’authenticitédelapropositionsoitévidente.»Surcepoint,j’étaisd’accordaveclui.«Enoutre,»ditSamos,«ilfautqu’ilsesoitmontrécapabled’agiretsesoitattirélareconnaissance

duConseil.»Du bout de l’ongle, je grattai la cire, cassant les morceaux de papier noirci qui avaient été le

messagequej’avaisbrûléà laflammedelabougie.Lacireétaitdevenuejauneetdure.Lejourétaitcomplètementlevéetj’étaisfatigué.Lasallebaignaitdansunelumièregrise.

«Et,»continuaSamos,«ilfautqu’ilsacheparleretqu’ilsoitdignedereprésenterleConseil.»JemedemandaisiSamosétaitégalementfatigué.Àmonavis,ilparlaitpourneriendire.«Enoutre,»repritSamos,«ilseraitpréférablequ’ilnesoitpasconnuàCosetàTyros,qu’ilnese

soitpasopposéàellesetn’aitpasfaitcoulerleursangsurThassalaLuisante.»Soudain, je fuscomplètementréveillé,et inquiet.Puis jesouris.Samosn’étaitpasun imbécile. Il

présidaitleConseildesCapitaines.Ilm’avaitremarquéetvoulaitsedébarrasserdemoi.«Et cet homme, » conclutSamos, « c’estBosk…Lui qui vient duMarais. Il faut qu’il porte le

messagedepaixduConseilàCosetTyros.Ilfautquecesoitlui.»Seullesilenceluirépondit.Cesilencemefitplaisir. Jenecomprisqu’àcemoment-làque je jouissaisde laconsidérationdu

ConseildesCapitaines.Antisthenes,quivenaitentêtedelalistealphabétiquedesCapitaines,pritlaparole:— « À mon avis, il ne faudrait pas que ce soit un Capitaine, » dit-il. « Envoyer un Capitaine

équivautàlecondamneraubancdenagedesnaviresrondsdeCosetdeTyros.»Unmurmured’approbations’éleva.

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«Enoutre,»repritAntisthenes,«ilvaudraitmieuxnepasenvoyerunémissaireportant lesdeuxcordesdePortKar.Desmarchands,originairesd’autrescités,desvoyageursetdescapitaineseuxaussioriginairesd’autrescités,quenousconnaissons,seraientheureux,moyennantrétribution,desechargerdecettemission.»

—«Exactement,»renchérirentplusieursvoix.PuislesCapitainessetournèrentversmoi.Jesouris.—«Jesuis,naturellement,trèshonoré,»commençai-je,«dufaitqueleNobleSamosaitpenséà

moi, qu’il soit prêt àme nommer, alors que je suis sans doute leCapitaine le plus humble de cetteassemblée, à un poste d’une telle importance, qu’il veuille me confier la mission de porter lespropositionsdepaixdePortKartàsesennemieshéréditaires:CosetTyros.»

LesCapitainesseregardèrentenricanant.—«Donc,turefuses?»conclutSamos.— « Toutefois il me semble, » poursuivis-je, « qu’un honneur aussi insigne et un rôle aussi

importantdevraientreveniràunepersonnalitéplusaugustequemoiet,enréalité,auplusrespectabled’entrenous,afinqu’ilpuissenégocierd’égalàégalaveclespuissantsUbarsdeCosetdeTyros.»

—«Proposes-tuquelqu’un?»demandaleScribedelatablecentrale.—«Samos,»dis-je.Desriresfusèrentdanslasalle.—«Je te remerciede taproposition,»ditSamos,«mais ilmesemble imprudent, ences temps

difficiles, que le Président duConseil desCapitaines parte chercher la paix à l’étranger alors que laguerremenacecheznous.»

—«Ilaraison,»ditBejar.—«Alors,turefuses?»demandai-jeàSamos.—«Oui,»répondit-il,«jerefuse.»— « N’envoyons pas un Capitaine, » intervint Antisthenes. « Envoyons quelqu’un d’Ar ou de

Thentisenluidemandantd’êtrenotreporte-parole.»—«Antisthenes est sage, » soulignai-je, « et comprend bien les risques que comporte une telle

mission, mais les paroles que Samos a adressées au Conseil me semblent sensées et vraies, surtoutl’idéequecettemissiondoitêtreconfiéeàunCapitaine,carc’estleseulmoyendedémontrerlesérieuxdenosintentions,sinonàCosetàTyros,dumoinsàleursalliées,auxPortsetauxCitésindépendantsdesîlesetdescôtesdeThassalaLuisante,etégalementauxcommunautésinstalléesàl’intérieur,aveclesquellesnouspourrionségalementcommercerdavantage.»

—«Mais,»relevaBejar,«quipartira?»Ilyeutdesrires.Unefoislesilencerétabli,jedis:—«Moi,Bosk,jepourraisyaller.»LesCapitainesseregardèrent.—«N’as-tupasrefusé?»demandaSamos.—«Non,»répliquai-jeavecunsourire,«j’aiseulementfaitremarquerqu’uneaussilourdetâche

devraitreveniràunepersonnalitéplusdignedecethonneurquejenelesuis.»—«Neparspas,»ditAntisthenes.—«Quelesttonprix?»s’enquitSamos.—«Unegalère,»répondis-je,«unnavire-bélierdeclassesupérieure.»Jenepossédaisaucunnaviredecetype.—«Tul’auras,»décidaSamos.—«…situreviens,»marmonnaunCapitainesuruntonsinistre.

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—«Neparspas,»répétaAntisthenes.—«Ilbénéficiera,naturellement,»déclaraSamos,«del’immunitédiplomatique.»LesCapitainesneréagirentpas.Jesouris.—«Neparspas,CapitaineBosk,»insistaAntisthenes.J’avaisdéjàunplan.Siteln’avaitpasétélecas,jenemeseraispasportévolontaire.L’éventualité

delapaixmeséduisait,dufaitquej’étaisMarchand.S’ilétaitpossibledeconvaincreCosetTyrosdefairelapaix,etsicettepaixpersistait,mafortuneaugmenteraitdansdesproportionsconsidérables.CosetTyros,enelles-mêmes,représententdesmarchésimportants,sansparlerdeleursalliéesetdesportsoudescitésquisontliésàCosetTyrosoubienleursontfavorables.Enoutre,mêmesij’échouaisdansmamission,jeseraisplusriched’unegalère,unnavire-bélierdeclassesupérieure,l’armemaritimelaplus redoutabledeThassa laLuisante. Il y avait des risques, naturellement,mais je les avais pris enconsidération.Jenepartiraipassansavoirprismesprécautions.

—«Et,»dis-je,«j’exigeuneescortedecinqnavires-béliersdel’Arsenal,declassemoyenneousupérieure,dontjechoisiraimoi-mêmelescapitainesetleséquipages.»

—«Cesnavires,»demandaSamos,«rejoindront-ilsl’Arsenalunefoistamissionaccomplie?»—«Naturellement,»répondis-je.—«Tulesauras!»décidaSamos.Nousnousregardâmes.JemedemandaisiSamoscroyaitqu’ilsedébarrasseraitaussifacilementde

moi,quireprésentaisunemenacepourlui,PrésidentduConseil,auseinduConseildesCapitainesdePortKar.Oui,medis-je,illecroit.Jesourisintérieurement.Personnellement,j’étaisconvaincuqu’ilsetrompait.

—«Neparspas,CapitaineBosk,»répétaunefoisdeplus,Antisthenes.Jemelevai.—«CapitaineAntisthenes,»dis-je,«tasollicitudemetouche.»Jesecouai la têteetm’étirai.Puis jemetournaivers lesCapitainesdesgradins.«Continuezsans

moi,»dis-je.«Jeregagnemademeure.Lanuitaétélongueetjemanquedesommeil.»Jeramassaimonmanteauetmoncasque,ornéd’unecrêteenpoilsdesleen,puisquittailasalle.Dehors,jeretrouvaiThurnock,Clitusetnombredemeshommes.

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12

JEPÊCHEDANSLECANAL

ILétaittard,deuxjoursaprèslecoupdeforcemanquéd’HenriusSevarius.J’attendaisquemesnavires,etceuxdel’arsenal,soientprêtsàprendrelameràdestinationdeCos.Dufaitquej’étaisCapitaine,jesortaissouventenville,accompagnédeThurnock,deClitusetde

quelqueshommes.Jusqu’àlaconstitutiondelaGardeduConseil,lesCapitainesetleurshommesseraientresponsables

dumaintiendel’ordredanslaCité.Avantmême la fin de la session extraordinaire duConseil, la nuit du coupde forcemanqué, les

esclaves,souslesordresdeshommesdel’arsenal,avaiententreprisdeconstruiredesmursautourdesdiversespropriétésd’HenriusSevarius.Enoutre,desnaviresdel’arsenalbloquèrentl’accèsàsesquais.

Posté au sommet d’un de cesmurs, qui se dressait à une centaine demètre de la hautemurailleaveugled’unedesdemeuresd’HenriusSevarius, sonpalaisdisait-on,encompagniedeThurnock,deClitusetd’autres,danslaclartédestroislunesdeGor,jevisuneportedérobées’ouvrir.Àlabasedumur,quis’étendaitsurunevingtainedemètres,ilyavaituneétenduepavéequidonnaitdirectementsurlecanal,lequelfaisaitenvironvingt-cinqmètresdelarge;nousavionsfermélecanal,auxendroitsoùilpermettaitd’accéderà lameretà laCité,pardesportesmuniesdebarreaux.Dans laclartédes troislunesdeGor,nousvîmescinqhommesfranchirleseuildelapetiteportemétallique.Ilstransportaientquelquechosedansungrandsacfermé.

Lentement,ilssedirigèrentverslebordducanal.«Arrêtez,hommed’HenriusSevarius!»criai-je.«Arrêtez,traîtres!»« Plus vite ! » cria l’un d’entre eux. Je reconnus sa voix et sa silhouette.C’était Lysias, ami du

régent Claudius et client de l’UbarHenrius Sevarius. Un autre homme, inquiet, leva la tête. C’étaitHenrak,l’hommequiavaittrahilesRenciers.

«Vite!»lançai-jeàmeshommes.SuivideClitus,deThurnocketdesautres, jebondispar-dessus lemuret courusvers leborddu

canal.Leshommesavançaientrapidementafindejeterlesacdansleseauxnoires.Thurnocks’arrêta, le tempsdebandersongrandarc.Unhomme, touchéparuneflèche, tournoya

surlespavés,cassantletraitdanssachute.Lesautres,quiétaientarrivésaubordducanal,précipitèrentlesacdansl’eau.Uncarreaud’arbalètepassa,ensifflant,entreClitusetmoi.Lesquatrehommesrestantfirentdemi-touretpartirentencourantverslaporte.

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Avantqu’ilsaientpul’atteindre,legrandarcdeThurnockavaitencorefrappédeuxfois.SeulsLysiasetHenrakparvinrentàfranchirleseuil.UndeshommestouchésparThurnockétaitétendusur lespavés,àunequinzainedemètresde la

porte;l’autreétaitrecroquevillédansl’ombre,toutprèsdel’embrasure.«Uncouteau!»lançai-je.Onm’endonnaun.«Nefaispascela,Capitaine!»criaThurnock.Déjà,jepouvaisvoirlesmuseauxluisantsetmouillés,lesgrandsyeuxbrillantscommeducuirpoli,

desurtsquisedirigeaient,dansleseauxnoires,verslesac.Jeplongeaidansl’eauglacée,lecouteauentrelesdents.Lesac,pleind’eau,coulaitlorsquejel’atteignis.Jel’ouvrisavecmoncouteauetsaisisparlebrasle

corpsattachéquisetrouvaitàl’intérieur.Une flèche plongea dans l’eau, près de moi, et j’entendis le glapissement strident d’un urt des

canaux, aux pattes palmées. Il y eut des clapotis, des bruits demorsure et de déchirure, dans l’eau,lorsquelesautresurtsattaquèrentleurcongénèreblessé.

Ayantremislecouteauentremesdentsetsortileprisonnierdusac,jeluilevailatêteau-dessusdel’eau. Il était bâillonné et jevis sesyeux terrifiés, quelques centimètres au-dessusde l’eau fangeuse.C’étaitunjeunegarçondeseizeoudix-septans.

Jeletiraijusqu’àlariveducanaletundemeshommes,àplatventre,tenditlesbrasetlepritsouslesaisselles.

Puis je vis, au-dessus dema tête, l’éclair du filet deClitus et entendis le glapissement étonné etcontrariéd’unautreurt,puisClitusplongeaàplusieursreprisessontridentdansl’eaunoire.

Unedemesjambesfutprisedanslamâchoired’unurt,commeentreunetriplebanded’acier,etjefusentraînésousl’eau.J’enfonçailespoucesdanssesoreillesetl’obligeaiàlâcherprise.Lagueulesetendaitversmoi,cherchantàatteindremagorge.Jelâchail’animal,quifermalesmâchoires,puisjelefrappaiàlatête,meglissaiderrièrelui,lebrasgaucheenfermantsalargepoitrinecouvertedefourrure.Jeprislecouteauquej’avaisentrelesdentset,parfoishorsdel’eau,parfoisdessous,tournantàgrandbruitsurmoi-même,lefrappaiunedouzainedefois.

«Ilestmort!»criaClitus.Jelelâchaietl’éloignaid’uncoupdepied.Ildisparutsousl’eau,entraînépard’autresurts.Puisjesentis,derrièremoi,lefiletétendudeClitus,jetailebrasenarrièreetpassailesdoigtsentre

lesmailles. Ensanglanté et suffocant, tremblant de froid, onme sortit de l’eau.Un instant plus tard,frissonnant, soutenu par deux hommes d’armes, je fus conduit au pied du mur d’enceinte. Là, à lachaleur d’un feu de veille, je quittai mes vêtements et pris le manteau que me tendit Thurnock.Quelqu’unmedonnaunegourdedePagaetj’enbusunelonguegorgée.

Soudain,jememisàrire.«Pourquoiris-tu?»demandaunhommed’armes.—«Jesuisheureuxd’êtreenvie,»répondis-je.Leshommesrirent,eux-aussi.Thurnockmedonnauneclaquesurl’épaule.—«Nousaussi,Capitaine,noussommesheureux!»lança-t-il.—«Ettajambe?»demandaunhommed’armes.—«Cen’estrien,»répondis-je.JebusuneautregorgéedePaga.J’avais constaté que je pouvaisme servir de cette jambe.Elle avait été lacérée,mais les longues

entaillesauxbordsdéchiquetésn’étaientpasprofondes.LeMédecindemademeuremesoignerait.«Oùestlepoissonquenousavonsprisdanslecanal?»m’enquis-je.

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—«Suis-moi,»réponditunhommed’armesavecunsourireironique.Accompagné des autres, je le suivis vers un autre feu de veille qui brûlait une cinquantaine de

mètresplusloin.Là,recroquevilléaupieddumur,nu,enveloppédanslemanteaud’unhommed’armes,prèsdufeu,

setrouvaitlejeunegarçon.Onluiavaitretirélebâillonetonl’avaitdétaché.Ilnousregarda.Ilavaitlescheveuxblondsetlesyeuxbleus.Ilavaitpeur.

«Quies-tu?»demandaThurnock.Lejeunegarçon,effrayé,baissalatête.—«Commentt’appelles-tu?»demandaClitus.Lejeunegarçonneréponditpas.—«Ilméritedescoupsdebâton!»déclaraThumock.Lejeunehommeleregardaavecfiertéetcolère.«Ah!»fitThurnock.Lejeunehommesetournaversmoi.—«Ceshommessont-ilslestiens?»demanda-t-il.—«Oui,»répondis-je.—«Quelesttonnom?»demanda-t-il.—«Bosk,»répondis-je.—«CeluiduConseildesCapitaines?»—«Oui,»répondis-je.Pendantunbrefinstant,j’eusl’impressiondevoirunelueurdecraintedanssesyeuxbleus.«Quies-tu?»demandai-je.Ilbaissalatête.—«Jenesuisqu’unesclave,»répondit-il.—«Montre-moitesmains!»ordonnai-je.Ilobéitdemauvaisegrâce.Ellesétaientdoucesetlisses.«Est-ilmarqué?»demandai-jeàundeshommesd’armesquis’étaientoccupésdelui.—«Non,»répondit-il.—«Commentt’appelles-tu?»demandai-je.Ànouveau,ilbaissalatête.«Commenoust’avonssortiducanal,»repris-je,«nousallonst’appeler:Poisson.»Puisj’ajoutai:

«Et,commetuesunesclave,tuserasmarqué,tuporterasuncollierettuservirasdansmademeure.»Ilmeregardaaveccolère.Jefissigneàunhommed’armesdeleprendredanssesbrasetdel’emporter,cequ’ilfit.Puisjecongédiai tousleshommesquisetenaientautourdemoi,à l’exceptiondeThurnocketde

Clitus.Cejeunegarçon,medis-je,meserapeut-êtreutile.S’iltombaitentrelesmainsduConseil,ilserait

probablementtorturéetempalé,peut-êtrecondamnéàramersurunbancdesnaviresrondsdel’Arsenal.Dansmademeure,sonidentitéresteraitsecrète.Plustard,jetrouveraispeut-êtreunmoyendel’utiliser.Manifestement,ilneservaitàriendelelivrerauConseil.

«Qui est-ce ? » demandaThurnock, regardant le jeune garçon, enveloppé dans lemanteau d’unhommed’armes,quel’onemportaitdanslanuit.

—«C’estHenriusSevarius,»dis-je,«évidemment.»

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13

COMMENTBOSKDEVINTPIRATE

«QUEl’onpeignemesnaviresenvert!»avais-jeordonné.C’étaitpendantlaCinquièmeMainTransitoire,environquatremoisaprèslecoupdeforcemanqué

d’HenriusSevarius.Àcetteépoque,laCinquièmeMainTransitoire,oncraignaitterriblement,surThassa,ledrapeaude

Bosklepirate.Jevaisracontercommentcelaestarrivé.Environquatremoisplustôt,surmonnavire-bélierleplusrapide,accompagnédemesdeuxautres

navires-béliersetescortéparcinqnavires-béliersdel’Arsenal,declassesupérieure,j’étaisentrédanslevasteport,ceintdemurs,deTelnus,capitaledel’UbaratdeCos.Ilyaquatregrandesvilles,surCos,etTelnusestlaplusimportante.Lesautress’appellentSelnar,TemosetJad.

Jegagnailerivagedansunebarquequejerenvoyaiensuitesurmagalère.JemeprésenteraisseuldevantlestrônesdesUbarsdeCosetdeTyros.C’étaitcequejesouhaitaisetcelafaisaitpartiedemonplan.JemesouviensdemonentrevueaveclesUbars,dansl’immensesalledutrônedeCos.J’exposaidemonmieux,auxUbarsdeCosetdeTyros,lespropositionsduConseildesCapitaines

dePortKar,mefaisantl’avocatdel’ententeetdel’accroissementducommerceentrelesdeuxUbaratsetlaCitéperfidedudeltaduVosk,PortKar.

Tandisquejeparlais,l’UbardeCos,LuriusdeJad,etl’UbardeTyros,ChenbardeKasra,leSleende laMer, en visite officielle chez Lurius, restèrent immobiles et silencieux sur leurs trônes. Ils neposèrentaucunequestion. Ils secontentèrentdemeregarder.Kasraest lacapitaledeTyros ; iln’yaqu’uneseuleautregrandeville:Tentium.

Surlecôté,voiléedesoie,vêtuedesrobessomptueusesduCostumedeDissimulationetcouvertedebijoux,étaitassiseVivina,filledeChenbar.SaprésenceàCosn’étaitpasunecoïncidence.ElleavaitétéconduiteàCosafinqueLuriuspuisselavoiret,s’illatrouvaitjolie,enfairesacompagne.SoncorpsferaitlelienentrelesdeuxUbaratsinsulaires.Sonvoileétaitdiaphaneetjepusconstaterqu’elleétaittrèsbelle,bienqu’ellefûtégalementtrèsjeune.PuisjeregardaiLuriusdeJad,UbardeCos,corpulentettassésurlui-mêmequi,telungrossacdeviande,étalaitsagraisseentrelesdeuxbrasdesontrône.

Tellessont,medis-je,lesaffairesd’unÉtat.ChenbardeKasra,UbardeTyros,enrevanche,étaitunhomme mince, aux grands yeux et aux mains nerveuses. J’étais convaincu qu’il était extrêmementintelligentetrompuaumaniementdesarmes.Tyros,medis-je,aunUbarefficaceetdangereux.

LuriusetChenbarécoutèrentmondiscoursaveclaplusgrandepatience.

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Lorsquej’eusterminé,Chenbar,aprèsavoiradresséunregardàLurius,selevaetordonna:«Qu’onsaisissesesnavires!»—«Jecroisquevousnetarderezpasàconstater,»dis-je,«quemesnaviresontdéjàquittéleport

deTelnus.»Luriusselevad’unbond,labedainefrémissante.Ilmemontralepoing.—«Tharlarion!»cria-t-il.«TharlariondePortKar!»—«Jeprésume,»fis-jeavecunsourire,«quenosoffresdepaixsontrejetées?»Luriuscracha.—«Effectivement,»ditChenbar,quiavaitreprisplacesursontrône.—«Ehbien,jevaisprendrecongé,»dis-je.—«Jenecroispas,»fitChenbaravecunsourire.—«Enchaînez-le!»glapitLurius.Jelesregardai.—«Jedemande,»déclarai-je,«l’immunitédiplomatique.»—«Ellet’estrefusée!»hurlaLurius,dontlelourdvisagebouffiétaitécarlate.Je tendis lesbras,sur lescôtés,etdesmenottesfixéesà l’extrémitédechaînesserefermèrentsur

mespoignets.—«Nousvousavonsproposélapaix,»rappelai-je.—«Nousl’avonsrefusée!»hurlaLurius.J’entendisleriredelajeunefille,Vivina,quelascènesemblaitamuser.D’autrescourtisansrirent

également.Lurius,lesoufflecourt,secarraànouveausursontrône.«Qu’onl’envoierejoindrelesautresesclaves,»ordonnaLurius,«etqu’onlevendesurlequaidu

MarchéauxEsclaves!»Lajeunefilleritdeplusbelle.«Lorsquetuserasenchaînéaubancdenaged’unnavirerond,»persiflaLurius,«tutetrouveras

sansdoute,JoliCapitainedePortKar,moinsbraveetmoinsmalinqu’aujourd’hui!»—«Nousverrons,»dis-je,«Ubar.»Ontirasurleschaînesetjemeretournai,prêtàquitterlasalledutrône.—«Attends!»entendis-je.C’étaitlavoixdeChenbar.JemetournaiànouveauverslesUbars.Le plafond de la salle était très haut, au-dessus dema tête.Mes pieds reposaient sur de grandes

dalles.«Puis-jeteprésenter,»demandaChenbarenmontrantlajeunefillevoiléequiétaitassiseauprèsde

lui,«DameVivina?»—«JeneveuxpasêtreprésentéeàuntarskdePortKar!»sifflalajeunefille.—«Allons,machère,n’oublionspaslapolitesse,»fitChenbaravecunsourire.Elleselevaet,sapetitemaingantéedanscelledeChenbar,descenditlesmarchesdupiédestalsur

lequelsedressaientlestrônesdeLuriusetdeChenbar,puiselles’immobilisadevantmoi.«Puis-jeteprésenter,Capitaine,»repritChenbar,«DameVivina?»Ellebaissalatête,puislareleva.—«C’estunhonneur,»dis-je.—«Tharlarion!»lança-t-elle.La jeune fille fit demi-tour et fut reconduite, toujoursparChenbarquin’avaitpas lâché sapetite

maingantée,àsaplace.Lorsqu’ellefutassise,jereprislaparole:—«Votreextraordinairebeauté,GenteDame,»dis-je,«que,pardonnez-moi,votrevoilenecache

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guère,estmanifestementdignedel’UbardeCos…»Luriusricana.Lajeunefilles’autorisauntrèsbrefsourire.«Oubien,»ajoutai-je,«d’uncollieràPortKar.»Lurius se levad’unbond, lespoings serrés.La jeune fille, lesyeuxétincelants, écarlate sous son

voiledesoieblanche,selevaégalement.Ellememontradudoigt.—«Tuez-le!»cria-t-elle.Derrièremoi,deuxépéesjaillirentdeleursfourreaux.MaisChenbarriait.Ilfitsigneauxsoldatsderengainerleursarmes.Lurius,furieux,repritplacesur

sontrône.Lajeunefille,follederage,s’assitégalement.—«Tuseraisprobablementbeaucoupplusbelle,»dis-je,«sanscesvêtements!»—«Tue-le!»siffla-t-elle.—«Non,»fitChenbaravecunsourire.—«Jevoulaisseulementdire,» repris-je,«que tabeautémerappellecelledesesclavesnueset

enchaînéesquiserventdanslestavernesdePortKar.Nombred’entreellessontextrêmementbelles.»—«Tue-le!Tue-le!»supplia-t-elle.—«Non,non,»fitChenbaravecunsourire.—«Nemeparlepascommeàuneesclave!»jetalajeunefille.—«N’enes-tupasune?»demandai-je.—«Quelleimpudence!»hurla-t-elle.JetendislementonversLurius,répandusurletrônedel’UbardeCos.—«Jepossèdedesfemmes,»dis-je,«quisontpluslibresquetoi.»—«Tharlarion!»hurla-t-elle.«JevaisêtreUbara!»—«Jetesouhaited’êtreheureuse,GenteDame,»fis-je,baissantlatête.Elleétaitdansunefureurtellequ’elleneputrépondre.«Ici,»repris-je,«tuserasUbara.Dansmademeure,tuseraisEsclavedeCuisine.»—«Tue-le!»glapit-elle.—«Tais-toi!»ordonnaChenbar.Lajeunefilleobéit.«DameVivina,commetulesaissansdoute,estpromiseàLurius,UbardeCos,»déclaraChenbar.—«J’ignorais,»répondis-je,«quecettepromesseavaitétéfaite.»—«Cematin,»ditChenbar,«j’aidonnémaparole.»Luriusricana.Lajeunefillemeregardaitd’unairfurieux.Les spectateurs, poliment, se frappèrent l’épaule gauche avec le poing droit, manière goréenne

d’applaudir,quelesGuerriersn’observentpaspuisque,danscecas,ilsentrechoquentleursarmes.Chenbarsouritetlevalamain,faisanttairelesapplaudissements.«Cetteunion,»déclaraChenbar,«valiernosdeuxUbarats.Aprèslacérémonie,nosdeuxflottesse

réunirontetserendrontenvisiteofficielleàPortKar.»—«Jevois,»fis-je.—«Actuellement,nouspréparonsnosflottes,»ditChenbar.—«Quandlerassemblementaura-t-illieu?»demandai-je.—«AuxenvironsdelaSixièmeMainTransitoire,»répondit-il.—«Tun’espasavared’informations,»fis-jeremarquer.—«Ehbien,»répliquaChenbar,«noussommesentreamis.»—«Etesclaves!»ajoutalajeunefilleenmeregardant.—«Etesclaves,»répétai-jeenlaregardantdanslesyeux.Sesyeux,au-dessusduvoile,étincelaient.

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«Avez-vouspasséunaccord,»demandai-je,«avecHenriusSevarius,UbardePortKar?»Chenbarsourit.—«Nousnoussommesentendusavecsonrégent,Claudius,»répondit-il.—«EtHenriusSevariuslui-même?»demandai-je.—«Cen’estqu’unenfant,»déclaraChenbar.—«Mais,qu’enest-ildelui?»insistai-je.—«C’estunenfant,»réponditChenbar.«Iln’aaucunpouvoir.»—«Quiseshommessuivent-ils?»—«Claudius,»affirmaChenbar.—«Jevois,»fis-je.—«N’oubliepaslenomdeClaudius,Capitaine,»ditChenbar,«carilseraUbardePortKar.»—«CommeagentdeCosetdeTyros,»soulignai-je.—«Assurément,»ditChenbaravecunrire.— «Vous ignorez peut-être, » fis-je remarquer, « que Claudius et les diverses forces d’Henrius

Sevariusn’ontplusbeaucoupd’autoritéàPortKar.»—«Nos informationssontmeilleuresque tusembles lesupposer,» fitChenbaravecunsourire.

«Soisassuré,»ajouta-t-il,«quenousnelaisseronspasClaudiusdanscettesituation.»—«Tusembles,»relevai-je,«trèsaufaitdecequiseditetsefaitàPortKar.»—«Oui,»réponditChenbar.«Peut-êtreaimerais-tuconnaîtrenotreprincipalagentdeliaisonqui,

lemomentvenu,conduiranosflottesdansleportdePortKar?»—«Oui,»répondis-je,«effectivement.»Un homme sortit d’un groupe de dignitaires vêtus de robes, qui se tenaient près des trônes des

Ubars.Ils’était,jusque-là,tenudansl’ombre.Ilavaitdelongscheveuxbruns,attachéssurlanuqueavecunlacetécarlate.Ilportait,danslecreuxdubras,uncasqueornéd’unecrêteenpoilsdesleen,insignedesCapitaines

dePortKar.Enoutre,soncasqueportaitdeuxfiletsd’orsur les tempes.Unlongmanteauvirevoltaitderrièrelui.

Jem’attendaisàvoirSamos.—«Jem’appelleLysias,»dit-il.«Tutesouviensdemoi,Bosk?»Jesourisintérieurement.Accompagnéd’unepoignéed’hommes,ilavaitréussiàquitterlademeure

d’HenriusSevarius.Celaétaitarrivélelendemaindujouroùj’avaissortilejeunehommeducanal.Parlasuite,lespatrouillesavaientétérenforcées.Personnenes’échapperaitplus.

—«Oui,»répondis-je,«peut-êtreplusquetunepenses.»—«Queveux-tudire?»demanda-t-il.—«N’es-tupasceluiqui,dansledeltaduVosk,asuccombéàunearméeinnombrabledeRenciers,

puisadûabandonnersespéniches,sontrésordepapierderenceetsesesclaves?»—«Cethommeestdangereux,»ditLysiasàChenbar.«Jevousconseilledelefairetuer!»—«Non,non,»réponditChenbar,«nousallonslevendre,celanousrapportera.»Lajeunefille,DameVivina,rejetalatêteenarrièreetritjoyeusement.—«Ilestdangereux!»répétaLysias.Chenbarmeregarda.—«L’argentquenousrapporteratavente,»dit-il,«seraconsacréàlapréparationdenosflottes.

Celanereprésenterapasgrand-chosemais,ainsi,tuaurasl’impressiondenepasavoirététenuàl’écart,etd’avoirapportétacontribution,sipetitesoit-elle,àlavictoiredeCosetdeTyros.»

Jenerépondispas.«Enoutre,»repritChenbar,«jesuispersuadéquetuneseraspasledernierCapitainedePortKarà

manœuvrerlaramesurlesnaviresrondsdeCosetdeTyros.»

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—«Apparemment,»dis-je,«j’aibeaucoupàfaire.Puis-jemeretirer?»—«Unechoseencore,»fitChenbar.—«Laquelle?»m’enquis-je.—«Tuasoublié,»dit-il,«dedireaurevoiràDameVivina.»JeregardaiChenbar.«Ilestprobable,»reprit-il,«quetunelareverraspas.»Jemetournaiverselle.—«Jenefréquentepaslepontdenagedesnaviresronds!»déclara-t-elle.Desriresfusèrent.—«As-tudéjàvisitélacaled’unnavirerond?»m’enquis-je.—«Non,biensûr!»Engénéral, lesdamesdehautenaissanceoccupentdescabinessituéesdans lechâteauarrièredes

galères.—«Peut-être,»dis-je,«enauras-tuunjourl’occasion.»—«Queveux-tudire?»demanda-t-elle.—«C’estuneplaisanterie,»ditChendar.—«Quand,»demandai-je,«GenteDame,boiras-tulevinquiferadetoi laLibreCompagnede

Lurius,NobleUbardeCos?»—«Jerentreraid’abordàTyros,»répondit-elle,«oùjemepréparerai.Ensuite,avecdesnavires

chargésdetrésors,nousreviendronsàTelnusoùjeprendrailebrasdeLuriusetboiraiavecluilevindelaLibreCompagnie.»

—«Puis-jetesouhaiter,GenteDame,unvoyagesansencombreetagréable,ainsiquebeaucoupdebonheur?»

Ellehochalatêteetsourit.«Tuasparlédenavireschargésdetrésors,»rappelai-je.—«Naturellement,»répondit-elle.—«Ilsembledonc,»poursuivis-je,«quetoncorpsnesuffisepasauNobleLurius?»—«Tarsk!»cracha-t-elle.Chenbarrit.—«Emmenez-le!»criaLurius,penchéenavant,lespoingscrispéssurlesaccoudoirsdesontrône.Ontirasurleschaînesdemespoignets.—«Adieu,GenteDame,»dis-je.—«Adieu,Esclave!»répliqua-t-elle.Onmefitpivotersurmoi-mêmeetonmetira,sansménagements,horsdelasalledutrônedeCos.Quand, le lendemainmatin,enchaînéetsousbonnegarde,onmefit sortirdupalaisdeLuriusde

Jad,UbardeCos, les ruesétaientpratiquementdésertes. Ilavaitplu,pendant lanuitet, iciet là, ilyavait des flaques d’eau sur les pavés des rues.Des volets de bois, qui portaient encore lesmarquesnoiresduesàlapluie,fermaientlesboutiques.Ilyavaitpeudefenêtreséclairées.Jemesouviensquejevis,accroupieaupieddumurd’unbâtimentprochede lapoternedupalaisdeLurius,unesilhouettevêtued’uneétoffegrossière,quiavaitcommisl’erreurd’arrivertroptôtpourvendredeslégumes,dessulsetdestur-pah,devantlepalais.Elleparaissaitdormiretnenousvitprobablementpas.C’étaitunhomme imposant, vêtu de la tunique grossière des paysans. Près de lui, appuyé, contre le mur,enveloppé dans du cuir afin de le protéger de l’humidité, se trouvait un arc jaune, le grand arc desPaysans.Sescheveuxétaientblondsetbroussailleux.Jesourisenpassantdevantlui.

SurlequaiduMarchéauxEsclavesjefus,sanscérémonie,attachéaveclesautresesclaves.Àlahuitièmeheure,plusieurscapitainesdenaviresrondsétaientarrivésetmarchandaient,avecle

MaîtredesEsclaves,leprixdesrameurs.LeMaîtredesEsclaves,àmonavis,vendaitsamarchandise

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trop chère, si l’on considère que nous n’étions que du bétail destiné aux bancs des navires ronds.N’ayantaucuneintentionderecevoirdescoups,jem’abstinsdeleluifaireremarquer.Enoutre,ilavaitcertainementreçul’ordredevendreaumeilleurprix.Apparemment,Cospréparaitsaflotteetsontrésordevaitfairefaceàdegrossesdépenses.Lemoindredisquedecuivreautarn,medis-je,dansunetellesituation,comptenettementplusqu’entempsordinaire.Jefusunpeuirritélorsqu’onmepalpa,metâta,lorsqu’onmedemandademontrermesdentsmais,en toutehonnêteté,ceshumiliationsn’étaientpasplusdésagréablesquecellesquedurentsubirmescompagnonsdechaîne.Enoutrejen’étaispas,sil’onconsidèrequejemetrouvaissurlepointd’êtrevenduauxgalères,detropmauvaisehumeur.

Dans un coin, appuyé contre un gros poteau qui soutenait une partie de la structure du quai duMarché aux Esclaves, un pêcheur était assis en tailleur. Attentif, il réparait un filet étendu sur sesgenoux.Prèsdelui,étaitposéuntrident.Ilavaitdelongscheveuxnoirsetlesyeuxgris.

« Voyons si tu serres fort, » dit un capitaine. « Je ne veux, sur mes navires, que des esclavesvigoureux.»

Iltenditlamain.Quelquesinstantsplustard,ilimploraitmapitié.—«Arrête,Esclave!»crialeMaîtredesEsclavesenmedonnantuncoupdemanchedefouet.Jelâchailamainducapitaine,carjen’avaispasl’intentiondel’écraser.Chancelant,presquepliéendeux, ilmeregardaavecincrédulité, lamaincachéesoussonaisselle

gauche.—«Pardonne-moi,Maître,»dis-jeavecsollicitude.Ilpartit,entitubant,examinerd’autresesclaves.—«Siturecommences,»déclaraleMaîtredesEsclaves,«jetetrancherailagorge!»—«Jecrois,»répliquai-je,«quecelaneplairaitguèreàChenbaretLurius.»—«Peut-être,»fitleMaîtredesEsclavesenricanant.—«Combienvautcetesclave?»demandauncapitaine,unhommedehautetaille,àlapetitebarbe

extrêmementsoignée.—«Cinquantetasksd’argent,»réponditleMaîtredesEsclaves.—«C’esttropcher,»ditlecapitaine.J’étaisd’accordaveclui,maisilnemeparutpasprudentd’intervenir.—«C’estleprix,»déclaraleMaîtredesEsclaves.—«Trèsbien!»réponditlecapitaine,faisantsigneauScribequisetenaitprèsdelui,unebourse

pleinedepiècesenbandoulière,depayerleMaîtredesEsclaves.—«Puis-jedemander,»m’enquis-je,«comments’appellentmonMaîtreetsonnavire?»—«Jem’appelleTenrik,»répondit-il,«TenrikdeTemos.TonnavireseraleRenadeTemos.»—«Etquandpartirons-nous?»demandai-je.Ilrit.—«Esclave,»fit-il,«tuposesdesquestionsdepassager!»Jesouris.«Aveclamaréedusoir,»déclara-t-il.Jebaissailatête.—«Merci,Maître,»soufflai-je.Tenrik, suivi du Scribe, fit demi-tour et s’en alla. Je remarquai que le pêcheur avait terminé la

réparationdesonfiletetsepréparaitégalementàpartir.Ilpliasoigneusementlefiletetlejetasursonépaulegauche.Puisilramassasontridentdelamaindroiteet,sansunregardenarrière,quittalequaiduMarchéauxEsclaves.

LeMaîtredesEsclavesrecomptalescinquantetarsksd’argent.Jesecouailatête.

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«Tropcher,»fis-je.Ilhaussalesépaulesetricana.—«Dumomentquelamarchandisesevend,»déclara-t-il.—«Oui,»fis-je,«jesupposequetuasraison.»Jene fuspasdéçu lorsqu’onmeconduisit sur leRena.C’étaitbienunnavire rond. Jenotaiavec

satisfactionsalargeuretlaprofondeurdesaquille.C’étaitunnavirelent.Jenefisguèreattentionauxcroûtesdepain,auxoignonsetauxpoisquel’onnousfitmanger,je

n’avaispasl’intentiond’enmangerlongtemps.«Ramersurcenaviren’estpastâchefacile,tuverras,»déclaraleMaîtredeNageenattachantmes

chevillesenchaînéesàungrosanneau.—«Lesortdel’esclaveestmisérable,»répliquai-je.—«Enoutre,»ajouta-t-ilavecunrire,«jenesuispasunmaîtrefacile,tuverras.»—«Lesortdel’esclaveestvraimentmisérable,»pleurnichai-je.Iltournalaclédanslaserrure,sanscesserderire,puispivotasurlui-mêmeetgagnasaplace,faceà

nous,àl’arrièredupontdenage.Devant lui, comme c’était un grand navire, était assis le keleustes, homme puissant, chargé de

marquer la cadence, aux poignets entourés de cuir. Il marquerait la cadence en frappant, avec desmailletsdontl’extrémitéétaitenveloppéedansdesbandesdecuir,surunénormetambouràdessusdecuivre.

«Sortezlesrames!»crialeMaîtredeNage.Commelesautres,jefisglissermaramedansletolet.Au-dessusdenous,surlepontsupérieur,retentirentlescrisdesmarinsquilarguaientlesamarreset

poussaientlenavireàl’écartduquaiavecleslonguesgaffestraditionnelles.Onnedérouleraitlesvoilesattachéesauxverguesquelorsquelenavireauraitquittéleport.

J’entendislecraquementdesgrandsgouvernailslatérauxetperçuslemouvementdouxetvivantdesplanchescalfatéesdunavire.

Nousavionsquittélarive.Les yeux du navire, peints de chaque côté de la proue, étaient tournés vers l’entrée du port de

Telnus.LesnaviresdeGor,quelsquesoientleurclasseouleurtype,onttoujoursdesyeux,soitsurlatêtesurmontantlaproue,commedanslesnavires-tarns,soit,danslecasduRenaetdesnaviresrondsengénéral, des deux côtés de la proue.On les peint toujours juste avant de lancer le navire. Les yeuxsymbolisent la croyance desmarins goréens, suivant laquelle les navires sont des êtres vivants. Parconséquent,onleurdonnedesyeuxafinqu’ilspuissentsediriger.

«Préparezvosrames!»crialeMaîtredeNage.Lesramess’immobilisèrentàl’horizontale.«Ramez!»crialeMaîtredeNage.Lekeleustesfrappalegrandtambourdecuivreavecsonmailletenveloppédecuir.Toutesensemble,lesramesplongèrentdansl’eau,s’yenfoncèrent,larepoussèrent.Lespiedsbien

caléssurlerepose-pieds,jetiraimarame.Lentement,semblableàunoiseaudouxetgras,lourdetstable,lenaviresedirigeaversl’ouverture

flanquéededeuxtoursquipermetd’accéderauport,ceintdemurs,deTelnus,capitaledel’îledeCosetsiègedesonUbar.

Nousétionsenmerdepuisdeuxjours.Commelesautres,jemangeais,àmêmelagamelle,unedenosquatrerationsquotidiennesdepain,

d’oignonsetdepois.Uneoutred’eaucirculait.Lesramesétaientrentrées.

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Nousn’avionspasraméautantquenousaurionsdû.Nousavionseu,pendantdeuxjours,unventquin’étaittombéquelaveilleausoir.

Le Rena de Temos, comme presque tous les navires ronds, avait deux mâts inamovibles,contrairementauxgalèresdeguerre,quisontéquipéesd’unmâtescamotable.Legrandmâtsedressaitunpeuenavantdumilieudunavire, tandisquelemâtdemisainesetrouvaitunpeuàl’arrièredelaprouedunavire.Tousdeuxsupportaientdesvoileslatines,laverguedelavoiledemisaineétantàpeuprèsdeuxfoismoins longuequecellede lagrand-voile.Nousavionsétévite, si l’onconsidèrequ’ils’agissaitd’unnaviredetransport,maisleventétaittombé.

Cematin-là,nousavionsramépendantplusieursahns.Ilétaitenvironuneahndel’après-midi.«Jecroissavoir,»ditleMaîtredeNage,campédevantmoi,«quetuétaisCapitaine,àPortKar.»—«JesuisCapitaine,»répliquai-je.—«MaisàPortKar,»insista-t-il.—«Oui,»répondis-je,«jesuisCapitaineàPortKar.»—«MaisnousnesommespasàPortKar,»fit-ilremarquer.Jeleregardai.—«PortKar,»répondis-je,«estlàoùsonpouvoird’exerce.»Ilmedévisagea.«Jeconstate,»dis-je«queleventesttombé.»Ilblêmit.«Oui,»ajoutai-je.Aumêmemoment,leguetteurjuchédanslanacellesituéeausommetdugrandmâtsemitàcrier:«Deuxnaviresàbâbord!»«Sortezlesrames!»crialeMaîtredeNage,quiregagnasaplaceencourant.Je posaima gamelle de pain, d’oignons et de pois, la glissant sous le banc. Je pourrais en avoir

besoinplustard.Jefisglissermaramedansletoletetmetinsprêt.J’entendis,surlepont,despasprécipitésetdescris.LeCapitaineTenrikcriaaumarinchargédugouvernail:«Barreàtribord!»Legrosnaviresepenchasurtribord.Maisunautrecris’éleva,enprovenancedugrandmât:«Deuxautresnavirespartribord!»«Enavanttoute!»criaTenrik.«Hisseztoutelatoile!Cadencemaximum!»AussitôtqueleRenaeutreprissadirectiond’origine,leMaîtredeNagecria:«Ramez!»Puislesmailletsdukeleustess’abattirent,avecviolence,surletambourdecuivre.Deuxmarinsvenusdupontsupérieurs’emparèrentdefouetspendusderrièreleMaîtredeNage.Jesouris.Avecousanscoups,lesrameursnepouvaientsoutenirqu’unecadencedonnée.Etellenesuffirait

pas.Unautrecriretentitdanslanacellefixéeausommetdumât.«Deuxnaviresàl’arrière!»Leslourdsmailletsdecuirdukeleustesmartelèrentinlassablementletambourrecouvertdecuivre.Environunedemi-ahnplustard,Tenrikappelalavigie.L’hommeavaitunelorgnettesemblableàcelledesConstructeurs.«Distingues-tuleurdrapeau?»cria-t-il.

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—«Ilestblanc,»réponditlavigie,«avecdesbandesvertes.Ilya,surcefond,unetêtedebosk.»Unesclave,enchaînédevantmoi,seretournaetdemandadansunsouffle:«Commentt’appelles-tu,Capitaine?»—«Bosk,»répondis-jeentirantlarame.—«Aiii!»cria-t-il.«Rame!»hurlaleMaîtredeNage.Lesdeuxmarinsarmésdefouetsprirentrapidementpositionentrelesbancs,maisceuxquiyétaient

enchaînésramèrentsansfaiblir.«Ilsgagnentduterrain!»criaunmarin,surlepontsupérieur.«Plusvite!»ordonnaunautre.Maislekeleustesbattaitdéjàlacadencemaximum.Et,manifestement,cettecadencenepourraitêtre

soutenuelongtemps.Environunquartd’ahnplustard,j’entendiscequej’attendais.«Deuxautresnavires!»crialavigie.—«Où?»demandaTenrik.—«Droitdevant!»réponditlavigie.«Droitdevant!»«Barreàtribord!»ordonnaTenrik.«Levezlesrames!»crialeMaîtredeNage.«Ramesdebâbord!Ramez!»Nous levâmes nos rames, puis seules celles de bâbord entrèrent dans l’eau et furent tirées. En

quelquescoupsderame,lelourdRenaavaittournéd’environhuitunitésducompasgoréen.«Touteslesrames!»crialeMaîtredeNage.«Ramez!»«Quedevons-nousfaire?»demandal’esclavequisetrouvaitdevantmoi.—«Ramer,»répliquai-je.«Silence!»criaundesmarinsavantdenousfrapperavecsonfouet.Puis,stupidement, ilsentreprirentdeflagellerlesdosluisantsdesueurdesesclaves.Deuxd’entre

euxlâchèrentleurrameetlesrameslibrescassèrentlerythmedesautres.LeMaîtredeNageseprécipitaentrelesbancsetarrachalesfouetsauxmarins,leurordonnantde

regagnerlepontsupérieur.C’étaitunbonMaîtredeNage.Puisilcria:«Levezlesrames!Prêts!Ramez!»NousretrouvâmeslacadenceetleRenarepartit.«Plusvite!»criaunmarinàl’intentiondesrameurs.LeMaîtredeNageregardaseshommes.C’estàpeines’ilsparvenaientàtenirlacadence.«Diminuelacadencedecinqunités,»ditleMaîtredeNageaukeleustes.«Imbécile!»entendis-je.Puis,unofficierdescenditprécipitamment lesmarchesconduisant aupontdes rameurs, frappa le

MaîtredeNagequitombadesonsiège.«Cadencemaximum!»hurla-t-ilàl’intentiondukeleustes.Lerythmedelacadencemaximums’élevaànouveau.L’officier,avecuncriderage,pivotasurlui-mêmeetregagnalepontsupérieur.Cadencemaximum.Mais,moinsd’unehnplustard,deshommescédèrentetlesramess’entrechoquèrent.Néanmoins,

obéissantauxordres,lekeleustesbattaitlacadencemaximum.Puis, les battements du tambour cessèrent de correspondre aux mouvements des rames. Les

hommes,deplusenplusnombreux,étaient incapablesdesuivre lacadencedukeleustesetn’avaientpasdeguidecorrespondantàunrythmequ’ilspouvaientsoutenir.

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LeMaîtredeNage,levisageensanglanté,serelevapéniblement.« Levez les rames ! » cria-t-il. Puis, d’une voix lasse, il s’adressa au keleustes. «Dix unités de

moinsquelacadencemaximum.»NoussuivîmescettecadenceetleRenarepritsaroute.«Plusvite!»crial’officier,depuislepontsupérieur.«Plusvite!»—«Cen’estpasunnavire-tarn!»réponditleMaîtredeNage.—«Tumourras!»hurlal’officier.«Tumourras!»Tandisquelekeleustesmaintenaitlacadence,leMaîtredeNage,tremblant,laboucheensanglantée,

vintentrelesbancs.Ils’arrêtaprèsdemoi.Ilmeregarda.«Ici,c’estmoiquicommande,»dis-je.—«Jesais,»répondit-il.Àcemoment,l’officierdescenditànouveaul’escalierconduisantaupontdenage.Ilavaitlesyeux

fixes.Ilavaitdégainésonépée.«Oùest,»demanda-t-il,«leCapitainedePortKar?»—«Jesuisici,»répondis-je.—«Tuesceluiqu’onappelleBosk?»s’enquit-il.—«Oui,»fis-je.—«Jevaistetuer!»déclara-t-il.—«Àtaplace,»dis-je,«jeneferaispascela.»Samainhésita.« S’il m’arrivait quelque chose, » repris-je, « je crois que mes hommes ne seraient pas très

contents.»Samaintomba.«Détache-moi!»ordonnai-je.—«Oùestlaclé?»demanda-t-ilauMaîtredeNage.Une fois détaché, je quittaimonbanc.Les autres esclaves, stupéfaits, conservèrent néanmoins la

cadence.—«Ceuxquisontavecmoi,»dis-je,«jeleslibérerai.»Lesesclavesm’acclamèrent.«Ici,c’estmoiquicommande,»poursuivis-je.«Vousallezexécutermesordres.»Unenouvelleacclamationsaluacesparoles.Jetendislamainetl’officierydéposasonépée,lepommeauenpremier.Jeluifissignedeprendremarame.Furieux,ilobéit.«Ilsvontbrisernosrames!»criaquelqu’un,surlepontsupérieur.«Rentrezlesrames!»cria,instinctivement,leMaîtredeNage.Lesramesglissèrentàl’intérieur.«Sortezlesrames!»ordonnai-je.Lesramesglissèrentaussitôtà l’extérieuretsoudain,sur tribord,s’élevaungrandfracas,puis les

esclaves hurlèrent et les planches furent durement rabotées tandis que les rames cassaient et sefendaient, le tumulte, terribleetassourdissant, résonnantdans lacale.Desramesfurentarrachéesdestolets,d’autrescassèrentou furentàdemibrisées, lapartie intérieureétantprojetée,enarcdecercle,versl’avant,heurtantlesesclaves,s’écrasantcontrel’intérieurdelacoque.Quelqueshommes,lescôtesou un bras cassés, poussèrent des cris de douleur. Pendant un instant horrible, le navire penchadangereusement sur tribord et nous embarquâmesde l’eaupar les tolets,mais l’autrenavire, avec salameendemi-lune,passaetleRenaseredressa,tanguantdésespérément,durementtouché.

Demonpointdevue,labatailleétaitterminée.

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Jemetournaiversl’officier.«Prendslaclé,»ordonnai-je,«etlibèrelesesclaves!»Sur le pont supérieur, le Capitaine Tenrik ordonnait à ses hommes de prendre les armes afin de

repousserlesagresseurs.L’officier,obéissant,entrepritdelibérerlesesclaves.JemetournaiversleMaîtredeNage.«TuesunbonMaîtredeNage,»dis-je.«Mais,maintenant,ilfautsoignerlesblessés.»Ilsetournaversleshommesquiavaientététouchésparlesrames.Jetendislebrassousmonbanc.Là,cabossée,àmoitiérenversée,flottantsuruncentimètred’eau

quines’étaitpasencoreécouléedanslacale,setrouvaitmagamelledepain,d’oignonsetdepois.Jem’assissurmonbancetmangeai.Detempsentemps,levantlatête,jeregardaisparletroudutolet.LeRenaétaitencercléparhuit

naviresetdeuxlourdesgalèresdel’Arsenalprenaientplacecontresesflancs.Onn’avaitpaséchangéunseulprojectile.

Puis,surlepontsupérieur,leCapitaineTenrikcriaàseshommesdenepasrésister.Un instant plus tard, quelqu’un monta sur le Rena, puis deux autres marins le suivirent, enfin

d’autresabordèrent.Jeposaimagamelle,quiétaitvide.Puis,l’épéedel’officieràlamain,jegravisl’escalier.«Capitaine!»criaThurnock.Prèsdelui,souriants,setenaientClitusetTab.IlyeutdesacclamationssurlesnaviresdePortKarassemblés.Jelevaimalame,répondantàleur

salut.JemetournaiversleCapitaineTenrik.«Merci,»dis-je,«Capitaine.»Ilhochalatête.«Tum’asfaitl’impression»repris-je,«d’unexcellentcapitaine.»Ilmeregardaavecétonnement.«Ettonéquipagesemblecompétent,»poursuivisse,«etlenavireestunbonnavire.»—«Quevas-tufairedenous?»demanda-t-il.—«Ilfaudra,»répondis-je,«réparerleRena.Tutrouverasprobablement,àCosouàTyros,toutce

quiestnécessaireàleremettreenétat.»—«Noussommeslibres?»s’enquit-il,incrédule.—«Ceseraitbienmalrécompenserl’hospitalitéd’uncapitaine,»expliquai-je,«qued’êtreassez

rustrepourrefuserdeluirendresonnavire.»—«Merci,»répondit-il,«Bosk,CapitainedePortKar.»—«Lesesclaves,naturellement,»repris-je,«sontlibres.Nouslesemmenons.Tonéquipage,àla

voileouàlarame,sedébrouilleracertainement.»—«Nousn’auronspasdeproblèmes,»affirma-t-il.—«Conduisezlesanciensesclaves,qu’ilssoientounonblessés,surnosnavires.Dansmoinsd’une

ahn,jeveuxquenousfassionsrouteversPortKar.»Clitusdonnadesordresàmesmarins.«Capitaine!»appelaunevoix.Jemeretournaietdécouvris,prèsdemoi,leMaîtredeNage.—«Tuesdigne,»dis-je,«decommanderlesrameursd’unnavire-bélier.»—«J’étaistonennemi,»fit-ilremarquer.—«Situlesouhaites,»répondis-je,«sers-moi.»—«J’accepte,»dit-il,«avecjoie.»

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JemetournaiversThurnocketTab.—«J’aiapportélapaixàCosetTyros,»dis-je,«etjen’aiobtenu,enrécompense,queleschaînes

dugalérien.»—«Quand,»demandaTab,«attaquerons-nouslesnaviresdeCosetdeTyros?»Jeris.«Maintenant,»reprit-il,«CosetTyrost’ontportépréjudice.»—«Oui,»répondis-je.«Effectivement,etnouspouvonslesattaquer.»Des acclamations retentirent autour de nous car les marins trouvaient que les navires de Bosk

avaienttroplongtempsabandonnélameràceuxdeCosetdeTyros.—«LeBosk,»ditThurnockenriant,«estencolère.»—«Exactement,»répliquai-je.—«QueCosetTyrosprennentgarde!»tonnaThurnock.—«Oui,»dis-je,metournantverslecapitaine,«qu’ellesprennentgarde.»Lecapitainehochasèchementlatête.—«Qu’allons-nousfaire,maintenant,Capitaine?»demandaClitus.— « Rentrer à Port Kar, » répondis-je. « Si mes souvenirs sont exacts, une galère de classe

supérieurem’yattend,enrétributiondemamissionàCos.»—«C’estvrai,»ditThurnock.—«Etensuite,lorsquenousauronsregagnéPortKar?»s’enquitTab.Jeleregardaisansciller.—«Ensuite,»répondis-je,«jeferaipeindremesnaviresenvert.»Levertest,surThassa,lacouleurdespirates.Coques,voiles,ramesvertes,etmêmelescordages.

Danslesoleilquisereflètesurl’eau,levertestlacouleurlaplusdifficileàdistinguer,surThassalaLuisante.Unnavirevert,souslesoleil,estpratiquementinvisible.

—«Celaserafait!»s’écriaTab.Denouvellesacclamationsretentirentautourdenous.Constatantqueje tenais toujours l’épéedel’officier, je la jetaisur lepontdesrameurs,oùellese

plantaàsespieds.—«Tonépée,»fis-je.Puis,bondissantpar-dessuslalisseduRena,jegagnailepontdelalourdegalèredel’Arsenal.Meshommesmesuivirent,puisretirèrentlesgrappinsquireliaientnosnaviresauRena.C’estainsiquelesnaviresdeBosk,CapitainedePortKar,furentpeintsenvert.Unmoisplustard,équipésetpréparés,lesnavires-béliersdeBosk,unegalèrelégère,deuxdeclasse

moyenneetunedeclassesupérieure,frappèrentpourlapremièrefoissurThassa.Àlafindumoissuivant,ledrapeaudeBosk,hissésurunnavireoubiensurunautre,étaitconnude

IandaàTorvaldsland,dudeltaduVoskauxsallesdutrônedeCosetdeTyros.Ma richesse augmenta dans des proportions considérables et le nombre de navires dema flotte,

grâceauxunitéscapturées,devinttellementimportantqu’ilfûtbientôtimpossibledetouslesamarrerdans l’enceinte de ma demeure. Avec l’or acquis au fil de l’épée, j’achetai des quais et plusieursentrepôtsàlalisièreoccidentaledePortKar.Néanmoins,laplacememanquaitet,afindepalliercettedifficulté,jevendisdenombreuxnaviresronds,ainsiquelesnavireslongsdemauvaisequalité.

Mesnavires ronds, dans toute lamesuredupossible, furent réservés au commerce, généralementsuivant les instructions de Luma, l’esclave que j’avais nommée chef comptable ; quant aux navireslongs,jelesenvoyaiscontreCosetTyros,généralementpargroupesdedeuxoutrois;jecommandaispersonnellementuneflottedecinqnavires-béliersetsillonnaislamerenquêtedegrosgibier.

Maisjen’avaispasoubliélaflottechargéedetrésorsqui,partantdeTyros,prendraitlaroutedeCos

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avec desmétaux précieux et des bijoux destinés à ses coffres, ainsi qu’une jolie jeune fille,Vivina,chargéed’égayerlacouchedel’Ubar.

JeplaçaidesespionsàCos,àTyrosetdansdenombreuxautresports.Je crois que je connaissais les déplacements, les cargaisons et les horaires des navires des deux

Ubaratsinsulaires,ainsiqueceuxdeleursalliés,aussibien,sinonmieux,quelamajoritédesmembresdeleurGrandConseil.

Parconséquent,iln’étaitpassurprenantquemoi,Bosk,venuduMarais,encetteCinquièmeMainTransitoire de l’an 10120, depuis la Fondation d’Ar, quatre mois après le coup de force manquéd’HenriusSevarius,jemetiennesurlechâteauarrièredemonnavireamiral,leDorna,àlatêtedemaflotte,dix-huitnaviresquim’appartenaientetdouzeempruntésàl’Arsenal,surThassalaLuisante,àunendroitdonné,àunmomentdonné.

«Flotteàbâbord!»crialavigie.JemetournaiversTab.«Retirezlemât,»dis-je,«desonlogement.Attachez-le,avecsavergue,surlepont.Pliezlavoile.

Nousallonsàlabataille!»

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COMMENTBOSKDIRIGEALESOPÉRATIONSSURTHASSA

ILfautcomprendrequelenavirelui-mêmeestunearme.Le Dorna, navire-tarn, est représentatif de sa catégorie. Par conséquent, je vais le décrire

brièvement.Toutefoisilfautpréciser,enpassant,quediverstypesdenavires-bélierssillonnentThassaetquebeaucoup,par leursdimensions, leur ligne, leurgréementet ladispositiondesrames,sont trèsdifférents.Ladifférenceessentielle,àmonavis,résidedanslenombrederangsderames:un,deuxoutrois. LeDorna, comme presque tous les navires-tarns, n’a qu’un seul rang de rames ; pourtant, lapuissancedesesramesn’estpasinférieureàcelled’unetrirème;j’expliqueraibientôtpourquoi.

LeDorna,commepresquetouslesnavires-tarns,estunvaisseaulongetétroit,àfaibletirantd’eau.Ilestbordéàfranc-bordetlesplanchesdelacoquesontfixéesavecdesclousdebronzeetdefer;parendroits,onutiliseégalementdeschevillesdebois;lesplanches,suivantleurplace,fontentrecinqetquinzecentimètresd’épaisseur;enoutre,afindelerenforcerencasd’éperonnage,despréceintesdedixcentimètresd’épaisseursontfixéeslongitudinalementsursesflancs.Ildisposed’unseulmât,amovible,avecsalonguevergue.Lavoileestlatine.Salongueur,centvingt-huitpiedsgoréens,etsalargeur,seizepiedsgoréens,enfontunnaviredeclassesupérieure.Sonfranc-bord,entrelalignedeflottaisonetlepont,mesurecinqpiedsgoréens.Ilestlong,bassurl’eauetrapide.

Il a unequille droite cequi permet, compte tenude son faible tirant d’eau, de l’échouer, la nuit,lorsqu’onlesouhaite.Souvent,lesmarinsgoréens,lesoir,échouentleurnavire,organisentuntourdegarde,dressentlecamppuisreprennentlameraumatin.

L’éperonduDorna,massiveprojectionenformedebecdetarn,gainédemétal,setrouvejustesouslalignedeflottaison.Àl’arrièredel’éperon,afinqu’ilnepénètrepastropprofondémentdanslenavireennemi,yrestantcoincé,setrouve,enformedecrêtedetarndressée,lebouclier.Lenavirelui-mêmeestconstruitdetellesortequelapuissancecombinéedelaquille,del’étraveetdel’armaturesetrouveconcentréesurlebélier,ouéperon.Cetypedenavireconstituedonc,parlui-même,unearmevéritable.

Àcepropos,ilfautaussiquej’expliquequel’onemploieindifféremmentletermedenavire-tarnsil’onseréfèreàlaformeetnavire-béliersil’onseréfèreàl’usagemaisqu’ils’agit,enfait,purementetsimplementdumêmenavire.

La proue duDorna est concave, rejoignant, en pente douce, l’éperon. Sa poupe décrit un demi-cerclepresquecomplet.Deuxrames,ougouvernailslatéraux,ledirigent.Lapoupeelle-mêmeesthauteetévasée;elleestsculptéeenformedeplumes;toutefois,danslaréalité,lesplumesdelaqueued’un

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tarnseraientparallèlesàl’axe,etnonperpendiculaire;laprouedunavire,danssaconception,doittenircomptedel’éperonetdubouclier,toutefois,elleprendlaformed’unetêtedetarn.

Lesnavires-tarnssontpeintsdecouleursdiverses;leDorna,naturellement,étaitvert.Outre le château avant et le château arrière, leDorna avait deux tourellesmobiles d’environ six

mètres de haut. Il avait également, montés sur des socles pivotants, rembourrés avec du cuir, deuxcatapultes légères,deuxonagresàchaîneethuitbalistes.Ilétaitégalementéquipédelameslatérales.Ceslames,dontj’aidéjàparlé,sontfixéesdechaquecôtédelacoque,àl’arrièredelaproueetdevantlesrames.Ellesressemblentàdesdemi-lunesd’acieretsontrivéesàl’armaturedunavire.EllesontétéinventéesparTersitesdePortKar.Toutefois,onentrouvesurtouslesnavires-tarnsrécents,quellequesoitleurorigine.

Bienque la coqueduDorna fasse seize pieds goréens de large, le pont fait vingt et un pieds enraisondupontdenage,quisupportelestolets; lasuperstructuredupontdenageestlégèrementplushautequelepontlui-mêmeetpluslarged’environdeuxpiedsetdemigoréens,dechaquecôté;elleestsoutenuepar des prolongements des poutres de l’armature ; le pont denage est situé légèrement surl’avant ; l’extensionde la structuredupontdenagepermetnon seulementdedisposerdedavantaged’espace,maiségalement,enraisondesramesutilisées,d’obtenirunmeilleurbrasdelevier.

La taille et lepoidsdes ramesparaîtront sansdoute surprenantsmais, en fait, ce sontdes leviersmagnifiques et extrêmement efficaces. Les rames sont disposées par groupes de trois et il y a troishommessurlemêmebanc.Cesbancsnesontpasperpendiculairesàlacoque,maissituésenobliqueparrapportàelle,ledosauchâteauavantdunavire.Parconséquent,l’extrémitésituéesurl’intérieursetrouveplusàl’arrièrequel’extrémitésituéesurl’extérieur.Grâceàcettedisposition,touteslesramesd’un groupe peuvent être parallèles. Parfois, les trois rames ont lamême longueurmais, souvent, cen’est pas le cas. Sur leDorna, les rames n’avaient pas toutes la même longueur ; comme sur denombreuxnavires-tarns, ladifférencede longueurentre lesramesétaitd’environunpiedetdemi ; larameintérieureétaitlapluslongue;larameextérieureétaitlapluscourte.Engénéral,lesramespèsentunePierreparpied,c’est-à-direapproximativementdeuxkilosparpied.Engénéral,surunnavire-tarn,lalongueurdesramesestcompriseentrevingt-septettrentepiedsgoréens.Uneramegoréennedetrentepieds, cellequi se trouve sur l’intérieur,pèseapproximativement trentePierres, soit environ soixantekilos.Lalongueuretlepoidsdecesramesrendraientleurmanœuvremalaiséesiellesn’étaientpas,àl’extrémitésituéesurl’intérieur,lestéesauplomb.Parconséquent,n’étantpasobligédecompenserleurpoids,lesrameursnesontresponsablesquedeleurmaniement.Cettedisposition:unhommeparrame,lesramespargroupesdetroisetmontéessurunpontdenagequiautorisedesmouvementsamplesetélégants,estconsidéréecommetrèsefficacedanslesmarinesgoréennes.Elleestpresqueuniverselleencequiconcernelesnavires-béliers.Enoutre,lepontdenageestdécouvert,contrairementauxcalesdenagedesnaviresronds.Celapermetdedisposerdecombattantssupplémentaires:lesrameurs,lorsquecelas’avèrenécessaire.Ceux-ci,incidemment,tandisqu’ilsrament,sontprotégésparunbâtirenforcéfixésurlastructuredupontdenage.Touslesdeuxbancs,derrièrecebâti,estpostéunarcher.Touslestolets d’un groupe sont à environ trente centimètres l’un de l’autre et les groupes eux-mêmes, d’uncentreàl’autre,sontdistantsd’environunmètrecinquante.LeDornacomportaitvingtgroupesdetroisdechaquecôtéetemployait,parconséquent,centvingtrameurs.

Àpartirdelà,onpeutpeut-êtredevinerpourquoilapuissancedenaged’unnavire-bélieràunseulrangderamesestsouventcomparable,ousupérieure,àcelled’unnavireàdeuxoutroisrangsderames.Les problèmes essentiels ont trait au nombre et à la taille des rames qu’il est possible d’utiliser, enregarddelataillenécessaireàleurinstallation.L’utilisationdupontdenagedébordant,quipermetlamanœuvredegrandes rames, et l’installationdeplusieurs rameurs sur lemêmebanc, chaque rameurayantsarame,quiautoriseungaindeplaceconsidérable,nedoiventpasêtrenégligées.Sinousprenonsl’exempled’unnavireàtroisrangsderames,comportantcentvingtrameursentroisbancsdevingtde

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chaquecôté,jecroisqu’ilestévidentqu’ils’agiraitd’unnavirebeaucoupplusgrandetbeaucouppluslourdque le typeàunseul rang,avec troishommesparbanc,quicomporterait égalementcentvingtrameurs.Parconséquent,ilseraitégalementpluslent.Enoutre,cetexemplenetientpascomptedufaitque le pont de nage débordant permet d’utiliser des rames plus grandes. Naturellement, un grandnombredefacteursentrentenlignedecompteetonpourraitimaginerunnavireàtroisrangsderamessurlemodèledesnaviresàunrang,avectroishommesettroisramesparbanc,etainsidesuite,mais,sans tenir compte des problèmes de taille, nous pouvons nous contenter de faire remarquer, sanscommentairesupplémentaire,quelesnaviresdecombatquisillonnentThassasontpresquetousdecetype.Lesautresmodèles,bienqu’ilsexistent,nesemblentpas,pour lemomentdumoins,enmesured’inquiéter les navires bas, rapides, à un seul rang de rameurs. En ce qui concerne l’éperonnage, jesupposequ’unnavirepluslourdporteraituncouppluspuissant,maiscelaestcontestabledufaitquelenavire le plus léger se déplacerait probablement plus rapidement. En outre, naturellement, on adavantage de risques de se faire éperonner par un navire léger que par un navire lourd parce que lepremierestgénéralementplusrapideetplusmaniable.Lesnaviresàplusieursrangsderameursont,enoutre, d’autres inconvénients : les rameurs occupent de la place qui pourrait être dévolue auxmarchandises;denombreuxrameurs,sinontous,setrouventdanslacaleet,parconséquent,nepeuventparticiperaucombataussiaisémentquesicelan’étaitpaslecas;deplus,encasd’éperonnageoudenaufrage,ilestbeaucoupplusdangereuxdesetrouverdanslacale.Detoutemanière,quellesquesoientlesraisonsoulesjustifications,lenavire-tarnàunseulrang,catégorieàlaquelleappartenaitleDorna,estleplusrépandu.

J’avais,àmadisposition,trentenavires-tarns,dix-huitquim’appartenaientetdouzequim’avaientétéprêtésparl’Arsenal.Laflottetransportantletrésor,avecsonescorte,secomposaitdesoixante-dixnavires ; il y avait quarante navires-béliers et trente navires ronds.En ce qui concernait les navires-béliers,vingt-cinqétaientdeclassesupérieureetquinzedeclassemoyenne.Encequiconcernaitmesnavires-béliers,vingtétaientdeclassesupérieureetdixdeclassemoyenne.Aucunedesdeuxflottesnecomportaitdegalèreslégères.

J’avais pris le parti de ne jamais éperonner les navires ronds et j’avais pu constater que cettehabitudeétaitbienconnue.J’enavaismêmefaitrépandrelebruit,surlesMarchésauxEsclaves,pardeshommesàmoiquis’yrendaientsousprétexted’examinerlamarchandise.Manifestementd’unecaleàl’autre,aufildesmois,lebruitqueBosknecoulaitjamaisunnavirerondetque,lorsqu’ilenprenaitun,il libérait les esclaves, avait fait son chemin. Je crois que, sans cela, les actions que j’avaismenéescontrelesnaviresronds,aucoursdesmoisprécédents,n’auraientpasétéaussivictorieuses.Enoutre,j’avaisfaitcourirlebruitquejen’aimaispasdécouvrir,aprèsavoircapturéunnavirerond,desesclavesmaltraitésoutués.Parconséquent,ainsi,jerecrutaisdesalliéstacitesdanslescalesdesnaviresronds.Lesesclaves,désireuxqueleurnaviresoitcapturéparundemesvaisseaux,étaientpeuenclinsàramerde toutes leurs forces et leursmaîtres, sachant très bien que le navire pouvait être pris, hésitaient àtorturerouàtuerlesrameurs.Ilnerestaitplus,danscesconditions,quedeuxsolutionsauxcapitainesdeCosetdeTyros:embaucherdesrameurslibresoubienrenforcerleursescortesdenavires-béliers.C’estcettesecondesolution,plutôtonéreuse,queleshommesdeCosetdeTyroschoisissaient,presqueinvariablement.De toutemanière, quelles que soient les circonstances, la flotte transportant le trésorauraiteuuneescorteimportante,cequiétaiteffectivementlecas.

Leprixdesmarchandises, incidemment, transportées sur lesnaviresdeCos,deTyros etde leursalliées, en raison du coût de l’escorte supplémentaire, avait considérablement augmenté. Parconséquent,leursmarchandisesdevenaientdemoinsenmoinscompétitivessurlesmarchésdeThassa,cequimécontentaitleursnégociants.Enoutre,lestarifsdesassurancesrelativesàcescargaisons,mêmelorsqu’ellesétaientescortées,avaientégalementfaitunbond.

En raison de mon attitude vis-à-vis des navires ronds, j’étais persuadé que Cos et Tyros ne

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chercheraient pas à s’attaquer directement à ma flotte. Par conséquent, le rapport qui, dans desconditionsnormales,auraitétéinsupportablepuisqu’ilétaitdesoixante-dixcontretrente,seréduisait,àmonavis,àquarante,oubiencinquanteaupire,contretrente.Toutefois,àmonsens,iln’étaitpassaged’engagerunebatailledansdetellesconditions.Jen’avaispaslamoindreintentiondelefaire,àmoinsd’êtreopposéàuneforceégaleennombreoubien,depréférence,inférieure.L’élémentdéterminant,demon point de vue, n’était pas tant le nombre de navires engagés que le nombre de navires dont onpouvaitdisposeràunmomentdonné,àunendroitdonné.

Parconséquent,jemismonplanenapplication.Avecdouzenavires,jemedirigeaiverslaflottedutrésorparlesud-est.Bienquelesmâtsetlesvergueseussentétéattachéssurlepontetquelesvoileseussentétéserrées

danslacale,jedemandaiauxflûtistesetauxjoueursdetambours,quinesontpasraressurlesnavires-béliersquisillonnentThassa,dejouerunairmartial.

Ensuite,courageusement,lamusiquefilantàlasurfacedel’eau,lesramesàlamoitiédelacadencemaximum,nousnousdirigeâmes,surleseauxluisantes,verslagrandeflotte.

Commelesnavires-béliersdel’ennemin’avaientpasencorebaisséleurmât,ilsnetarderaientpasànousvoir.

DepuislechâteauarrièreduDorna,jevis,grâceàlalonguelunettedesConstructeurs,auloin,quelesnavires-béliersdel’ennemi,unparun,baissaientleurmât.Enoutre,j’entendisleurstrompettesdeguerre qui, portant d’un navire à l’autre, permettaient de diriger les mouvements de la flotte. Desdrapeaux, reprenant probablement lemessage des trompettes, furent hissés au sommet des châteauxarrière. Je ne pouvais pas encore distinguer les ponts, mais j’étais certain qu’une activité fébrile yrégnait.Lesarcherstendaientleursarmes;onsortaitcasques,armesetboucliersdescales.Onattisaitlesfeuxafindechaufferlespierresetlapoix;ondéliaitdesfaisceauxdejavelinesprèsdesbalistesetdespetitescatapultes.Onétendaitdespeauxmouilléessurlepont,lespavoisetlesbordés;ontiraitdesseauxd’eaudemer,destinésàlaluttecontrelesincendies,quel’ondisposaiticietlàsurlenavire.Endixehns,lespontsdesnaviresdelaflottedutrésorseraientvides,àl’exceptiondumatérieldeguerre,etlesouverturesseraientobturées.Naturellement,lesmêmespréparatifssedéroulaientsurmesnavires.

«Unquartdumaximum!»criai-jeauMaîtredeNage,quisetrouvaitendessousdemoi.Jenevoulaispasapprochertroprapidementdelaflotte.Laflottedutrésorn’auraitaucunmoyendesavoirquejeconnaissaissatailleetsacomposition.Deleurpointdevue,lapuissancedelaforcequejevenaisderencontrerdevaitm’étonner.J’écoutai,pendantunmoment,lesairsguerriersquejouaientmesflûtistesetmestambours.Puis, lorsquelesnaviresdupérimètredelaflottedutrésorsedirigèrentsurnous, jefissigneaux

musiciensdes’arrêter.Lorsqu’ilseurentobéi,j’entendislesflûtesetlestamboursdesnaviresennemis.JedemandaiauMaîtredeNaged’immobiliserlesrames.Jevoulaisfairecroirequejenesavaispassijedevaisattaquer,commesij’étaishésitantetétonné.Je fis signe àmon propre trompette de transmettre l’ordre d’immobiliser les rames.Un drapeau,

hisséausommetduchâteauarrière,répétalemessage.Par-dessus lamusique assourdie provenant des navires lointains, qui approchaient, j’entendis les

trompettesdeguerredel’ennemiet,grâceàlalunettedesConstructeurs,examinaisespavillons.Jeneconnaissaispasavecprécisionlescodesutilisésparlaflottedutrésor,toutefois,j’étaisconvaincuquenotre hésitation était signalée à toute la flotte ; puis j’entendis d’autres trompettes et vis les naviresrondss’écartertandisqued’autresnavires-tarnsseglissaiententreeux,sedirigeantsurnous.

JefermailalunettetélescopiquedesConstructeursetris.«Excellent!»m’écriai-je.Thurnock,prèsdemoi,quiavaitunedentenmoinsenhautetàdroite,ricana.

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«Timoniers,demi-tour!»lançai-je.«MaîtredeNage,demi-cadence!»Jeneprispas lapeine,conformémentauplan,de signalercettemanœuvreauxautresnavires. Je

voulais fairecroirequenous faisionsdemi-tourencatastrophe,quenousprenions la fuite. Jevoulaisfairecroireque les autresnaviresn’avaientplusqu’àdécider auvudenosmanœuvres, commesi lapeur et la confusion s’étaient intallées, de sorte que nous n’avions pas pris le temps de les avertir.J’entendisànouveaulestrompettes.Certainesappartenaientàlaflotteennemie.D’autres,notesbrèves,interrogations, demandes d’explications, provenaient de mes navires. Ils étaient bien commandés.J’écoutailesflûtesetlestamboursdesnavires-béliersdelaflottedutrésor.Unejaveline,dontlapointeétaitenduitedegoudronenflammé,tombadansl’eau,àunecentainedemètresdenous.

JetiraiànouveaulalunettedesConstructeurs.Jecomptaiunevingtainedenaviresqui,dansunevastecourbedestinéeànousencercler,venaient

surnous.Le Dorna avait fait demi-tour et, à demi-cadence, faisait route vers le sud-est, fuyant ses

poursuivants.Mesonzeautresnavires,dansundésordre intentionnel,prenaient lemêmecheminquemoi.

J’ordonnaiau trompetteet aumarinchargédesdrapeauxde leur signaler alors l’ordreofficieldefuite.

Cesdouzenavires, incidemment,étaient lesplus rapides. Ilparaissaitprobable,étantdonnénotreavance,quenouspourrionsresterdevantnospoursuivants,sinouslesouhaitions,oubienindéfinimentoubien,s’ilsétaientplusrapides,cedontjedoutais,pendantplusieursahns.

Nousavancionsalorsàdemi-cadence.Jevoulaisquelesautresaientenviedenouspoursuivre.Jeréussis.Une autre javeline à la pointe enduite de goudron enflammé tomba dans l’eau, cette fois à une

cinquantainedemètresdenotrechâteauarrière.Unquartd’ahnplustard,jecomptaitrentenavires-bélierslancésànotrepoursuite.S’ilyenavait

d’autres,jenelesvispas.Laflottedutrésor,quantàelle,avaitmisenpanne.Une javeline lancée par le navire de tête décrivit une courbe élégante, laissant derrière elle une

traînée de fumée, puis tomba à l’eau une quinzaine de mètres sur ma droite, à la hauteur de notrechâteauarrière.

Jesouris.«Troisquartdecadence!»commandai-jeauMaîtredeNage.Mesnavires,commesousl’emprisedelapanique,nefuyaientpasenformationmaiss’éparpillaient,

apparemment,surThassa.Chacund’euxavaitunoudeuxpoursuivants.Monnavire,qu’ilsavaientsansdouteidentifiécommelevaisseauamiral,dufaitqu’ilconduisaitlaformationd’origine,s’honoraitdecinq poursuivants. Au bout de deux ahns, augmentant parfois la cadence et, parfois, la diminuant,suivantquenoussouhaitionséviterd’êtreeffectivementrattrapésoubienquenousvoulionsencouragernos poursuivants, nous les avions dispersés en une longue file éparse, les espaces entre les naviresdonnantuneidéedeleurvitesserespective.

Àcemoment-là,naturellement, le restedemaflotte,dix-huitnavires-béliers,avaitattaqué,par lenord-ouest,laflottedutrésor,quin’étaitplusprotégéequepardixnavires-béliers.

Lefaitquel’onnousaitpoursuivisavecuntelacharnementm’étonnaitunpeu,maispasbeaucoup.J’avais hissé le pavillon de Bosk du Marais, carrément, certain que cette provocation les

encourageraitàselancerpromptementet impétueusement,àmapoursuite.Manifestement,àCosetàTyros,matêtevalaitunbonprix.Seulsmesurprenaientl’acharnementetlalongueurdelapoursuite.Jen’avaispascomprisàquelpointjecomptaispourleshommesdesdeuxUbaratsinsulaires.Jericanai.Apparemment,j’avaisdavantaged’importance,àleursyeux,quejenel’avaiscru.

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Àladouzièmeahn,lecommandantdupremiernavirelancéànotrepoursuitecompritsoitqu’ilétaittombédansunpiège,soitqu’ilavaitpeudechancesderattrapernosnavires.

«Levezlesrames!»ordonnai-je.Jeregardailenavire-tarns’immobiliserpuis,lesramesdebâbordétantentréesenaction,fairedemi-

tour.«Commentsontleshommes?»demandai-jeauMaîtredeNage.C’étaitleMaîtredeNageduRenadeTemos.—«Ilssontencorepleinsdeforce,»répondit-il.«Tun’asjamaisdemandélacadencemaximum.»—«Qu’ilssereposent,»dis-je.Surlenavirequis’étaitlancéànotrepoursuite,latrompetteetlesdrapeauxentrèrentenaction.Les

naviresqui se trouvaientderrière luiamorcèrent leurdemi-tour.Lesnavires situés sur ses flancs,quiavaientpeut-êtrevulesdrapeauxhisséssurseschâteauxavantetarrière,abandonnèrentégalementlapoursuite.D’autresétaienttroploinpourlesdistinguer,éparpilléssurThassa.

Dèsquej’eusconstatéquenotrepoursuivants’enretournait,jedonnaidesordres:«Demi-tour!»lançai-je.«Etcadencemaximum!»Lesrameurspoussèrentdescrisdejoie.J’étaisconvaincuqueleDornaétaitplusrapidequesonpoursuivant.Celui-cis’éloignait,probablementàdemi-cadence.Àmonavis,iln’auraitpasletempsdefaireunnouveaudemi-tour.Nousnetirâmesaucunprojectileetnedonnâmesaucunavertissement.L’éperonarméd’acierduDorna s’enfonçadans son château arrière, une trentainede centimètres

souslalignedeflottaison.«Enarrière!»crialeMaîtredeNageetleDorna,frémissantsousl’impact,recula.«Timoniers,passezàtribord!»criai-je.«Rameurs,cadencemaximum!»Lapoupedunavireennemiétaitdéjàsousl’eaulorsquenousledépassâmes.Descarreauxd’arbalètesefichèrentdanslebâtirenforcéquiprotégeaitmesrameurs.Iln’yeutpasd’autresprojectiles.Nousentendîmesdeshurlements,desavertissements.Il y avait encore quatre navires devant nous.Le plus proche ne se trouvait qu’à une centaine de

mètresdeceluiquenousvenionsdecouler.Lefracasduchocetlescrisdeshommesavaientporté,surl’eau.Lenavirequinousprécédaittentadefairedemi-tourmaisiln’avaitpasparcouruquatreunitésdu

compasgoréenquenotreéperonfrappaitlecôtéduchâteauarrière,déchirantlacoquepuissedégageanttandisquelesnaviresseheurtaient,puisleDornas’éloigna,libre,etsedirigeaverslapoupedunaviresuivant.

Les trompettes sonnèrent frénétiquement, derrièrenous, dans l’espoir d’avertir lenavirequinousprécédait.

Il voulut également faire demi-tour et nous le prîmes par le travers, l’éperon faisant éclater lesplanches épaisses sans la moindre difficulté puis, arrêté par le bouclier en forme de crête de tarn,s’immobilisaetrecula,selibérantavantdesediriger,commeuneflèche,verslesdeuxnaviressuivants.

Maislesdeuxnaviresquinousprécédaientavaientprisconsciencedudangeret,comptetenudeladistancequinousséparaitd’eux,leurscapitainesn’avaientpaslamoindreintentiondeprendrelerisqued’undemi-tour.Ilsfuyaientàlacadencemaximum.

«Demi-cadence!»dis-jeauMaîtredeNage.LeMaîtredeNagesourit,puispritpositionaucentredupontdesrameurs.Tandisquelacadencediminuait,jepointailalunettedesConstructeursetexaminail’horizon.Jenedistinguaipasbeaucoupdenavires,maispresquetousceuxquejevisétaientverts,lesmiens.

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J’aperçus également les épaves de deux navires-tarns ennemis. J’espérais, naturellement, que mesnaviresavaientréussiàattirerleurspoursuivantsplusloin.S’ilsparvenaientàentraînerleurschasseursà l’écart, le rapport de force, aumoment de l’engagement décisif, serait enma faveur. J’étais prêt àrenonceràunnavires’ilpouvaitdétournerdeuxoutroisvaisseauxennemisdelabataille,aucasoùilyaurait bataille. Et, naturellement, dès qu’ils auraient fait demi-tour, ces navires seraient vulnérables,puisque les miens étaient manifestement plus rapides. Sur les douze navires engagés dans cetteopération de diversion, cinq étaient mes plus rapides et sept comptaient parmi les plus rapides del’Arsenal.

Puis,jetournaimalunetteverslenavirequifuyaitdevantmoi.Commejem’yattendais,ilavaitprisuneavanceconfortablepuisquejeneprogressaisqu’àlamoitiédelacadencemaximum.Àmonavis,quatreoucinqehnsplustard,ilconsidéreraitquesonavanceluipermettaitdefairedemi-touretdenousattaquerdefront. Ilsupposerait,naturellement,quenousprogressionsà lacadencemaximum,dufaitque nous le poursuivions. Cette fois-là, debout au milieu des rameurs, mon Maître de Nage avaitponctuélui-mêmelacadence.

Quandjevislenavire-tarnquimeprécédaitleversesramesetamorcersondemi-tour,soncapitaineayantmanifestementjugéquesonavanceetsavitesseleluipermettaient,jecriaiauMaîtredeNage:

«Maintenant!»Aussitôt,deboutaumilieudupontdesrameurs,ilsemitàscanderlacadencemaximum.«Ramez!Ramez!Ramez!»LeDorna,lechâteauarrièrebassurl’eau,l’éperonpresquedressé,bondit,magnifique,impatientet

agressifcommeunsleenqu’onvientdelibérer.Nousprîmeslequatrièmenavireparletravers,commeletroisième.Avecbrusquerie,leDornasedégagea.Puis,uninstantplustard,nousétionslancésàlapoursuiteduderniernavire.Ilnemanifestaitpas

l’intentiondefairedemi-tour.Ilavaitbeaucoupd’avancesurnous.«Cadencemaximum!»lançaleMaîtredeNageàsonkeleustes,revenantseposterprèsdemoi,sur

lechâteauarrière.—«Pouvons-nouslerattraper?»demandai-je.—«Prête-moitalunette,»dit-il.J’obéis.—«Connais-tucenavire?»m’enquis-je.—«Non,»répondit-il.Ill’examinapendantplusd’uneehn,étudiantlamontéeetladescentedesrames,l’enverguredeleur

coup.Puisildéclara:«Oui,nouslepouvons.»Ilmerenditmalunette.Puisildescenditl’escalierconduisantaupontetpritplacesursonsiège.«Troisquartsdecadence!»lança-t-ilaukeleustes.Jeneposaipasdequestion.Jesavaisquec’étaitunbonMaîtredeNage.Detempsentemps,jeregardaislenavirequis’éloignaitdeplusenplus.Auboutd’environuneahnetdemie,lorsquejelevaiànouveaumalunette,jeconstataiqu’iln’était

guèreplusloinquelafoisprécédente.Meshommesramaienttoujoursvigoureusementauxtroisquartsdelacadencemaximum.

LeMaîtredeNagemerejoignitànouveausurlechâteauarrière.Cettefois,ilnemedemandapaslalunette.

«Ilacent trente-deuxrames,»dit-il,«mais ilestpluslourdetsalignen’estpasaussibelleque

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celleduDorna.»—«Apparemment,»dis-je,«illuiafalluréduirelacadence.»— « Il est aux trois quarts, maintenant, » répondit-il, « comme nous. On ne peut pas soutenir

longtempslacadencemaximum.Et,àtroisquarts,nouspouvonslerattraper.»—«Merci,»dis-je,«MaîtredeNage.»Ilregagnasonsiège.Manifestement, l’ennemi ne tarderait pas à constater qu’il ne pouvait pas nous distancer. Par

conséquent,tôtoutard,ilferaitdemi-touretnousattaqueraitdefront.« Un quart dumaximum ! » criai-je auMaître de Nage. Puis, quatre ehns plus tard, j’ajoutai :

«Levezlesrames!»J’avaisvuquel’ennemisepréparaitàfairedemi-tour.Les deux navires-tarns, le Dorna et l’autre, se faisaient face, immobiles, à l’exception des

mouvementsqueleurimprimaitThassa.Unecentainedemètreslesséparait.Commelesarmesprincipalesdunavire-béliersontl’éperonetleslameslatérales,c’estdefacequ’il

estleplusdangereux.Parconséquent,dansunetellesituation,lorsqu’iln’yaquedeuxnaviresenpleinemer,lesdeuxbâtiments,engénéral,décriventdelargescerclespartribord,sepoursuivantcommedessleensencolère,échangeantdesprojectiles,guettantl’occasiond’utiliserl’éperonetleslameslatérales.J’étaispersuadéqueleDorna, légèrementmoinslourd,pluseffiléetpourvud’unequillepluscourte,réagiraitplusrapidementauxgouvernailsetque,tôtoutard,lorsquelescerclesseresserreraient,illuiseraitpossibledefairedemi-touretdefrappersonadversaireàl’arrièreouparletravers.

Manifestement,lecommandantdel’autrenavireétaitparvenuàlamêmeconclusion.Ilavaittentéd’éviterl’affrontement.Maisiln’avaitpluslechoix.

Ilfitcequej’attendais.Sesramesplongèrentàlacadencemaximumetsonlourdnavire,lacrêtedel’éperonfendantl’eau

devantlaproueconcave,lebecdetarnjusteau-dessousdelalignedeflottaison,fonditsurnous.Jeris.J’avaistrompél’autrenavire.LeDorna,etsonMaîtredeNage,avaientfaitleurspreuves.«Timoniers,»lançai-je,«quatreunitésàtribord!»—«Oui,Capitaine!»répondirent-ils.« Maître de Nage, » repris-je, « nous avons rendez-vous avec la flotte du trésor de Cos et de

Tyros!»Ilmesourit.—«Oui,Capitaine!»répondit-il.Puisilsetournaverslekeleustes.«Cadencemaximum!»L’éperonde l’autrenavirenenous trouvapas.Lorsqu’ilplongeadansThassa,nousavionsquitté,

aveclavivacitédusleen,saligne,nousfilions,àunecentainedemètresparbâbord,etnouslaissâmesbientôtlenavirederrièrenous.Ilnepritmêmepaslapeinedenouslancerdesprojectiles.

Jeriais.JelevisprendreladirectiondeCos.Jel’avaisécartédelabataille,aucasoùilyauraitbataille.«Timoniers,»lançais-je,«faitesroutesurlaflottedutrésordeCosetdeTyros!»—«Oui,Capitaine!»répondirent-ils.«Demi-cadence!»dis-jeauMaîtredeNage.—«Oui,Capitaine!»répondit-il.Leschosess’étaientdérouléessuivantmesprévisions,encequiconcernaitlaflottedutrésor.Surles

quarante navires-tarns de son escorte, trente étaient tombés dans le piège et avaient poursuivi mesnavires,qui lesavaiententraînés loindesendroitscritiques.J’avais,personnellement,endommagéou

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détruitquatrenavires,etj’avaisécartélecinquièmeduthéâtredesopérations.Àmesurequemesonzenavires regagnaient, un àun, la flottedu trésor, les équipages racontèrent des événements similaires.Plusieursnaviresennemis,toutefois,s’étantdétournésdelapoursuite,avaientpuseregrouper,trèsloin,et cette flotte d’une dizaine de navires constituait cependant une menace possible. Elle n’avait pasencore rejoint la flotte du trésor. Les autres avaient été endommagés, détruits ou chassés. En ce quiconcernaitlaflottedutrésorelle-même,tandisquelaplusgrandepartiedesonescorteselançaitàlapoursuitedemesnavireschargésdel’opérationdediversion,lesdix-huitautresvaisseauxdemaflotteavaient fondu soudainement, silencieusement, sur les dix navires-tarns qui la protégeaient encore.Utilisant,presquesystématiquement,latactiquedutriangle,deuxnaviresattaquantletroisièmededeuxdirectionsdifférentes,desortequelavictimenepeutenaffronterqu’unseulàlafois,maflotteavaitdétruitenpeudetemps,moinsd’uneahn,septdesdixnavires-tarnsrestésaveclaflottedutrésor.Deuxavaient pu s’échapper et le dernier était resté bloqué aumilieu des navires ronds. Quelques naviresrondsavaienteu lebonsensdes’écartermais, sur les trentequecomptait la flotteà l’origine,vingt-deuxétaientencerclésparnosnavires.Etunautreyfutconduitparundemesnavires-béliersquil’avaitrencontréenrejoignantlaflotte.

Jen’étaisguèrepresséd’attaquerlesnaviresrondscapturés.Ilsm’appartenaient.Lesseptnaviresrondsquiavaientprislafuitem’intéressaientdavantage.Parconséquent,dèsqu’unnombresuffisantdenavireseutrejointlaflotte,j’organisailapoursuite

desnaviresrondsmanquants.Jecommuniquaiavecmesnaviresparl’entremisedelatrompetteetdesdrapeaux,lesmessagesétanttransmisdel’unàl’autre,jusqu’auxpluséloignés.J’envoyaidixnaviresenformationdechasse,espérantprendreaupiègequelques-unsdesseptnaviresrondsmanquants.Cinqdemesnaviresprirent ladirectiondeCos,car ilmesemblait trèsprobable,sinonraisonnable,que lamajoritédesnaviresrondsaitprislafuitedanscettedirection.J’envoyailescinqautresnaviresdansladirection opposée. Si, après deux jours, les recherches de ces navires se révélaient infructueuses, ilsavaientordrederegagnerdirectementPortKar.Celalaissait,aprèsleretourdesonzenavireschargésdela diversion, vingt navires aux côtés de la flotte du trésor, plus qu’il n’en fallait pour neutraliser lesnavires-tarnsennemissusceptiblesderevenir.

J’ordonnailaremiseenplacedumâtduDorna.Quandlemât,lavoileayantétéfixéeàlavergue,eutétéglissédanssonlogement,puisattachéàl’avant,àl’arrièreetparletravers,jemontaimoi-mêmedanslanacelle,munidelalunettedesConstructeurs.

J’examinaimesvingt-troisnaviresrondsetnefuspasmécontent.Lesnaviresronds,commelesnavires-béliers,sonttrèsdifférentslesunsdesautres.Mais,commeje

l’aipeut-êtredéjàmentionné,ilsontpresquetousdeuxmâtspermanentset,commesurlesnavires-tarnslesvoilessontlatines.Bienqu’ilsdisposentderames,généralementmanœuvréespardesesclaves,ilsserapprochentdavantageduvoilierque lesnavires-béliers. Ils sont tout à fait capablesdenaviguerparvent de travers, profitant aumaximumde leursvoiles latines, particulièrement adaptées à ce typedenavigation.Lenavire-bélier,enrevanche,adesdifficultésparventdetravers,malgrésavoilelatine,enraisondesalongueur,desafinesseetdesonfaibletirantd’eau.Parventdetravers, ilarrivesouventquelesramesoulepontdenageducôtéopposétouchentl’eau,cequiapoureffetdeleralentirdansdesproportionsconsidérablesetparfoisdebriserlesrames.Enoutre,iltientmoinsbienlamerquelenavirerond,dufaitqu’ilestplusbassurl’eau,desortequelepontestsouventbalayéparleslames,etqu’ilaun rapport longueur-largeurplusélevé,cequi le rendplus fragilequ’unnavire rond,pargrostemps.Dans laconstructiondesnavires,commedansdenombreuxdomaines, il faut fairedeschoix.L’essentiel, dans le cas d’un navire-tarn, n’est pas sa voile ou son comportement dans demauvaisesconditions.C’estsavitesseetsonaptitudeàdétruired’autresnavires.Cen’estpasunebarquemaisuncanoëdecourse;cen’estpasunbâton,c’estuneépée.Maisquandvientlamauvaisesaison,ilresteleplussouventauportalorsquelenavirerondpeutencoreeffectuerdessorties.

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Deboutdanslanacellequioscillaitausommetdumât,lalunettedesConstructeursrivéeàl’œil,jesouris.

Enfermée parmi les vingt-trois navires ronds, se trouvait une longue galère mauve, battant lepavillonmauvedeCos.C’étaitunnaviremagnifique.Et sonpavillonétaitbordéd’or, lepavillondel’amiral,quifaisaitdecevaisseaulenavireamiraldelaflottedutrésor.

JerefermailalunettedesConstructeurset,aumoyend’uneétroiteéchelledecordefixéeausommetdumâtetàunechevilled’amarrageprochedulogementdumât,toutenbas,descendis.

«Thurnock,»dis-je,«faishisserlespavillonsdeladivisionetdel’acquisition.»—«Oui,Capitaine!»répondit-il.Leshommes,rassembléssurlepontduDorna,manifestèrentbruyammentleurjoie.J’étaisconvaincuquelesnaviresrondsoffriraientpeuderésistance,etc’estcequiarriva.Ilyavait

diversesraisonsàcela.Ilsétaientprocheslesunsdesautresetnepouvaientmanœuvrer.Ilsétaientpluslents que les navires-béliers et, quelles que soient les conditions, ne pouvaient leur résister. Et lesrameurs,desesclaves,savaientparfaitementqu’ilsétaientencerclésparlaflottedeBoskduMarais.

Mes hommes se lancèrent donc à l’abordage des navires ronds, pratiquement sans rencontrer lamoindrerésistance.

Leséquipages libresdesnaviresrondsétaient,naturellement,beaucoupmoinsnombreuxquemeshommes.Lesnaviresronds,malgrélescentou,parfois,deuxcentcinquanteesclavesenchaînésdanslescales, ont rarement, sauf lorsqu’ils vont à la bataille, un équipage supérieur à vingt ou vingt-cinqhommes. En outre, le plus souvent, ces hommes ne sont que des marins et leurs officiers, non descombattants.LeDorna,enrevanche,avaitunéquipagededeuxcentquinzehommesquiconnaissaientpresquetouslemaniementdesarmes.

Uneahnplustard,jeposailepiedsurlaplanchereliantlalisseduDornaàcelledunavireamiraldelaflottedutrésor.Meshommesavaientdéjàsoumisl’équipagedubâtiment.

Jefusaccueilliparunehautesilhouettebarbue,vêtued’unmanteaumauve.«Jem’appelleRenciusHo-Bar,»ditl’homme,«deTelnus,AmiraldelaflottedutrésordeCoset

deTyros.»«Enchaînez-le!»ordonnai-jeàmeshommes.Ilmedévisageaavecfureur.JemetournaiversClitus,quiavaitdéjàvisitélenavire.«As-tul’inventairegénéraldelacargaison?»m’enquis-je.Il me tendit un registre à reliure d’or, scellé à la cire et portant le cachet de l’Ubar de Tyros,

Chenbar.Unpeuplusloin,meshommespassaientdesmenottesauxpoignetsetauxchevillesdel’amiral.Jebrisailesceaudecireetouvrisl’inventairedelacargaison.Ilétaitdesplussatisfaisants.De temps en temps, tandis que j’examinais l’inventaire, des acclamations s’élevaient, sur l’unou

l’autre navire rond, à mesure que les esclaves étaient libérés. Les marins libres, naturellement, ycompris lesofficiers, furent enchaînés.Sur lesbancsdesgalères, il n’yapasdedistinctionentre leshommesetlesofficiers.

«Amiral!»meditl’amiraldelaflottedutrésor.Jeme tournai vers le pavillonmauve, bordé d’or, le pavillon de l’amiral, suspendu à une drisse

tendueentrelachevilled’amarrageavantdroiteetlesommetduchâteauavant.«Descendezcepavillon,»dis-je,«etremplacez-leparceluideBoskduMarais!»—«Oui,Capitaine!»réponditThurnock.—«Amiral!»protestal’amiraldelaflottedutrésor,avecinsistance.—«Emmenez-le!»ordonnai-jeàmeshommes.

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Onl’entraînahorsdemavue.Jefermaileregistre.«Siceschiffressontexacts,»dis-jeàClitus,«cequiestcertainementlecas,noussommes,avec

lesCapitainesdePortKar,enpossessiond’untrésorimmense.»Ilrit.— « Il y amanifestement assez, » dit-il, « pour faire de nous les hommes les plus riches de la

planète,oupresque.»—«Leplussage,»dis-je,«seraitquecestrésorsserventàaugmenterlaflottedel’arsenaldePort

Kar.»—«Mais,»fit-il,«l’Arsenaldemande-t-iltellement?»Jeris.—«Lapartdel’Arsenal,»expliquai-je,«estdedix-huit trentièmes.»Maflottecomportaitdix-

huitnaviresdel’Arsenal.Jem’étaisréservé,enaccordavecleConseil,douzetrentièmesdubutin,esclavescompris.«Capitaine,»fitunevoix.—«Oui?»répondis-je.Unmarinsedirigeaversmoi.—«DameVivina,»annonça-t-il,«demandeàt’êtreprésentée.»—«Trèsbien,»répliquai-je,«dis-luiquejel’autoriseàseprésenteràmoi.»—«Oui,Capitaine!»répondit-il.J’ouvrisànouveaul’inventairedelacargaison.Lorsquejelevailatête,jeconstataiqueDameVivinasetenaitdevantmoidepuisunmoment.Enmedécouvrant,elleeutunmouvementderecul.Jesouris.Elle avait mis la main devant son voile. Ses yeux se dilatèrent. Elle portait un Costume de

Dissimulation,des robesfroufroutantesetmagnifiques,de tissusmauvesetdorés,desbrocartsetdessoies.Sonvoileétaitmauveetbordéd’or.

Puiselleretrouvasoncalmeetseprésenta,commelefaitunedamedehautenaissance.«Jem’appelleVivina,»dit-elle,«deKarsa,CitédeTyros.»J’acquiesçai.—«Appelle-moiBosk,»répliquai-je.«JesuisCapitaineàPortKar.»Derrièrelajeunefemme,vêtuesderobespresqueaussibellesquelasienne,setenaientdeuxautres

jeunesfillesdehautenaissance.—«Jeprésume,»dit-elle,«quejesuistaprisonnière?»Jenerépondispas.«Bienentendu,»reprit-elle,«turecevrasunchâtimentexemplairepourcequetuviensdefaire!»Jesouris.«Commetulesais,»poursuivit-elle,«jedoisdevenirlaLibreCompagnedeLurius,UbardeCos.

Parconséquent,marançonseraélevée.»JemontrailesdeuxjeunesfemmesquisetenaientderrièreVivina.—«Combiensont-elles?»demandai-jeàClitus.—«Quarante,»répondit-il.—«Ellesn’apparaissentpas,»fis-jeremarquer,«surl’inventairedelacargaison.»Clitusricana.Lesjeunesfemmesseregardèrentavecinquiétude.—«Mesdemoisellesdecompagnie,»déclaraVivina,«serontégalementsujettesàrançon.Mais

leurrançon,bienentendu,neserapasaussiélevéequelamienne.»

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Jeladévisageai.—«Qu’est-cequitepermetdesupposer,»demandai-je,«quetuserasrenduecontrerançon?»Stupéfaite,ellemeregardafixement.«Retiretonvoile!»ordonnai-je.—«Jamais!»hurla-t-elle.«Jamais!»—«Trèsbien,»répliquai-je.Puisjemeplongeaiànouveaudansl’inventairedelacargaison.—«Quevas-tufairedenous?»demanda-t-elle.JemetournaiversClitus.—«DameVivina,»déclarai-je,«ornera,naturellement,laprouedecenavire,lenavireamiralde

laflottedutrésor.»—«Non!»hurla-t-elle.—«Oui,Capitaine!»réponditClitus.Déjà,deuxhommesluitenaientlesbras.—«Emparez-vousdesesdamesdecompagnie,»ajoutai-je,«etattachez-les,toutes,auxprouesde

nosnavires,lesvingtplusbellessurnosnavires-tarns,quisontactuellementaveclaflotte,laplusbelleàlaproueduDorna,etlesvingtautresàlaprouedevingtnavirescapturés.»

—«Oui,Capitaine!»réponditClitus.Leshommessesaisirentdes jeunesfemmesquise tenaientderrièreVivinaetcelles-cipoussèrent

descrisdefrayeur.Jemeplongeaiunenouvellefoisdansl’inventairedelacargaison.—«Capitaine,»ditDameVivina.—«Oui?»répondis-je,levantlatêteetladévisageant.—«Je…»dit-elle.«Jevaisretirermonvoile.»—«Celaneserapasnécessaire,»affirmai-je.Jetendisl’inventairedelacargaisonàClitus,approchaidelajeunefilleetretirailesépinglesqui

retenaientsonvoile,découvrantsonvisage.—«Animal!»cria-t-elle.Jefissigneauxmarinsderetirerlesvoilesdesdeuxjeunesfemmesquisetenaientderrièreelle.Ellespleuraient.Ellesétaienttoutestrèsbelles.J’examinailevisagedeVivina,quiétaitremarquablementbeau.«Attache-laàlaproue!»ordonnai-jeàClitus.Jemedétournai,reprenantleregistredel’inventairedelacargaisonàClitusetm’yplongeantune

foisdeplus.Onemmenalesdeuxautresjeunesfemmes.Pendantcetemps,ondéshabillaitVivinaavantdel’attacheràlaproue.

Uneahnplustard,nousétionsprêtsàreprendreladirectiondePortKar.J’envoyaiquérirRenciusHo-Bar,deTelnus,enchaîné.

«JevaisrendreunnavirerondàCos,»déclarai-je.«Tuserasenchaînéauxbancsavecquelquesmarinscapturés.Enoutre, jetedonneraidixhommeslibres,sixmarins,deuxtimoniers,unmaîtredenageetunkeleusteschoisisparmilesprisonniers.Lestrésorsdunavireseront,naturellement,transféréssurunautrebâtimentetemportésàPortKar,carilsfontpartiedubutin.Enrevanche,tonnavireseracorrectementapprovisionnéetjesuisconvaincuquevousrallierezleportdeTelnusencinqjours.»

—«Tuesgénéreux,»ditl’amiralavecunairlugubre.—«Jeprésume,»poursuivis-je,«qu’àtonretouràTelnus,situdécidesdet’yrendre,tuferasun

compterenduraisonnablementcompletetexactdecequivientdesepasserici?»—«Manifestement,»réponditl’amiral,«onmeledemandera.»—«Afinquetesinformationssoientaussiexactesquepossible,sacheque,jusqu’àmaintenant,sept

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naviresm’ont échappé.Toutefois, je crois que je parviendrai à en récupérer quelques-uns.En cequiconcernelesnavires-tarns,j’enaicapturéun,tonnavireamiralet,selonlerapportdemescapitaines,dix-huitouvingtontétécoulésougravementendommagés.Celasignifiequ’ilreste,surThassa,entredixetdouzenaviresappartenantàlaflotte.»

Àcemoment-là,ausommetdumâtdemisained’unnavirerondtoutproche,oùj’avaispostéunevigie,retentituncri:

«Douzevoiles!Douzevoilesparletravers!»«Ah,»fis-je,«douzenavires,enfait.»—«Ilsvontcombattre,»affirmal’amiral.«Tun’aspasencoregagné.»— « Il est probable qu’ils vont baisser leurmât, » admis-je. «Mais je ne crois pas qu’ils vont

combattre.»Ilmeregarda,lespoingsserrésmalgrésesmenottes.«Thurnock,»dis-je,«ordonneàdix-septnaviresd’alleràlarencontredenosamis.Deuxdenos

naviresresterontdel’autrecôtédelaflottedutrésor.LeDorna,pourlemoment,resteraici.Lesdix-septnaviresnedoiventpasengagerlabatailleaussilongtempsqueleDornanelesaurapasrejointset,quelles que soient les circonstances, si la bataille s’engage, mes navires ne doivent en aucun cass’éloignerdeplusdequatrepasangsdelaflotte.»

—«Oui,Capitaine!»tonnaThurnockquifitdemi-touret,passantsurlaplanche,gagnalepontduDornapuissedirigeaverslerâtelierdesdrapeaux,protégéetsituésouslechâteauavant.

Bientôt,lesdrapeauxflottèrentsurlesdrisses.Mesnaviressepréparaientàlabataille.Dix-septd’entreeuxcontournèrentlaflotteoubienfirent

demi-tourafind’affronterlesagresseurs.LesrameursduDornasetenaientprêts,aucasoùjeviendraisà bord.D’autres, armés de haches, se tenaient prêts à couper les câbles qui attachaient leDorna aunavireamiral.

«Ilsbaissentleurmât!»crialavigie.Un quart d’ahn plus tard, mes navires étaient en ordre de bataille. La flotte ennemie, les douze

navires, se trouvait, selon la vigie, qui disposait d’une lunette des Constructeurs, à environ quatrepasangs.

Lorsqu’ilsseraientàdeuxpasangs,jeregagneraileDorna.Je fis détacher les jambes de l’amiral et, ensemble, depuis le château avant de son navire, nous

regardâmeslesvaisseauxquivenaientsurnous.«Crois-tu,»demandai-je,«qu’ilsviendrontàmoinsdedeuxpasangs?»—«Ilsvontcombattre!»répondit-il.DameVivina,surlepointd’êtreattachéeàlaproue,setenaitprèsdenous,souslasurveillanced’un

marin,etregardaitégalementlesnavires.Puis l’amiral poussa un cri de rage etVivina, lamain sur la poitrine, les yeux emplis d’horreur,

laissaéchapper:«Non,non!»Lesdouzenaviresavaientfaitdemi-touretprisladirectiondeCos.—«Emmènel’amiral!»dis-jeàThurnock.L’amiralfutemmené.JemetournaiversDameVivina.Nosregardsserencontrèrent.«Qu’onl’attacheàlaproue!»ordonnai-je.

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15

COMMENTBOSKRENTRA,TRIOMPHANT,APORTKAR

LEretouràPortKarfuteffectivementtriomphal.Jeportais lemauvede l’Amiral de laFlotte, bordéd’or auxmanches et aux lisières, ainsi qu’un

manteauassortietunlargechapeauàaigrettedorée.Je portais, au côté, une épée ornée de pierreries, ayant renoncé à celle que je portais depuis très

longtempsetaveclaquellej’avaisservilesPrêtres-Rois.PeuaprèsmonarrivéeàPortKar,j’avaismiscetteépéedecôtéetenavaisachetéd’autres.Ilmesemblaitquejen’avaisplusledroitdeportercetteépée.Elleavait tropdevaleur,etsonacierétait tropchargédesouvenirs.Ellemerappelaituneautrevie,celled’unimbécile,àlaquelle,ayantacquislasagesse,j’avaisrenoncé.Enoutre,etsurtout,avecsonpommeautoutsimpleetsalamedépourvuedegravures,elleneconvenaitpasàmaposition,celledenotabled’undespremiersportsdeGor.J’étaisBosk,individusimplemaisavisé,venuduMarais,quiavaitétonnéPortKar,éblouiet secoué lesCitésdeGorgrâceàsa ruseetàsa lame,puisgrâceàsafortuneetàsonpouvoir.

Mesdixnavireslancésàlapoursuitedesseptnaviresrondsmanquantsavaientréussiàenramenercinq,dontquatre,sanslemoindrediscernement,sedirigeaientdroitsurTelnus,principalportdeCos.Lemonde,medis-je,estpeupléd’imbéciles.Ilyalesimbécilesetilyalessageset,pourlapremièrefois,peut-être,jepouvaismecompterparmilesderniers.

Jemetenaisàlaprouedugrandnaviremauvequiavaitétélevaisseauamiraldelaflottedutrésor.Sur les toits et aux fenêtres des immeubles, une foule nombreusem’acclamait et, levant le bras, jerépondaisàsesapplaudissements.Lesnavires,enunefilemajestueuse,alignésderrièremoi,leDornaenpremier,suividesnavires-tarnspuisdesnaviresronds,àlarame,traversaientlentementlaville,parl’itinéraire triomphal que constituait le Grand Canal, passant même devant la Salle du Conseil desCapitaines.

Onavaitjetédesfleursdanslecanaletilentombaitsurlesnavires,jetéesparlesspectateurssurnotrepassage.

Lesapplaudissementsetlesacclamationsétaientassourdissants.J’avaisordonnéque,surmapartdutrésor,chaqueemployédel’arsenalrecevraitunepièced’oret

chaquecitoyenuntarskd’argent.Jelevailatêteverslesspectateurs,sourisetfissignedelamain.Prèsdemoi, joyaudemonbutin,exposéeà la foule,à seshuéesetà sesquolibets, attachéeà la

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proue par les pieds et poings liés et par le cou et la taille, commeune esclave ordinaire, se trouvaitDameVivina,quiauraitdûdevenirUbaradeCos.

Raressontceux,medis-je,quiontconnuunteltriomphe.Et,aussimesquinquecelapuisseparaître,j’avaishâtederetrouverMidice,monesclavepréférée,

afinqu’elleadmiremanouvelletenueetmestrésors.J’étaisenmesuredeluioffrirdesparuresetdesbijouxàrendreuneUbarajalouse.J’imaginaissansdifficultésesyeuxpleinsd’admiration,lorsqu’elleprendraitconsciencede lapuissancedesonMaître,sa joie, l’ardeurqu’ellemettrait,désormais,àmeservir.

J’étaistrèscontent.Commeilestfacile,medis-je,dedevenirvéritablementunhomme,puissantetimpitoyable,égoïste

etavide.Ilsuffitdechasserleshésitationsetlesentravesques’imposentlesfaiblesetlesimbéciles,etdesquelleseux-mêmesetleurdestinsontprisonniers.ÀPortKar,pourlapremièrefois,j’avaistrouvélaliberté.

Jesaluai la foule.Des fleurs tombaient toutautourdemoi. Je regardai la jeune filleattachéeà laproue,monbutin.J’acceptaislesacclamationsdelafouleendélire.

J’étaisBosk,jepouvaisagiràmaguise,jepouvaisprendrecequimefaisaitenvie.Jeriais.PortKaravait-elledéjàconnuunteltriomphe?Jeramenaiscinquante-huitnavires : levaisseauamiral,à laproueduquelétaitattachéeVivina, le

Dornaetlesvingt-neufautresnaviresdemaflotteet,commebutin,chargésderichessesquiauraientpuconstituerlarançondevillesentières,vingt-septdestrentenaviresrondsquiconstituaientlaflottedutrésordeCosetdeTyros.Et,attachéesàlaprouedesquarantepremiersnaviresqui,leDornaentête,suivaientlevaisseauamiral,setrouvaientquarantebeautésdehautenaissance,quiauraientdûdevenirles demoiselles de compagnie de l’Ubara de Cosmais n’étaient plus, comme elle, que des esclavespromisesauferrougeetaucollier.

Jesaluaidelamainlafouleendélire.«VoiciPortKar,»dis-jeàVivina.Elleneréponditpas.La foule déchaînée riait, hurlait, jetait des fleurs, et le vaisseau amiral, dont les rames frappaient

régulièrementl’eau,avançaitmajestueusement, lacrêtedesonéperonécartantlesfleursquiflottaientsurl’eauducanal,entrelesimmeubles.

Jemetenaistrèsdroit,sousledélugedefleurs,etsaluailafouledelamain.«Sijeteplaçaisdansunetaverne,»dis-je,«ilestprobablequedesmilliersd’entreeuxferaientla

queueàlaporte,dansl’espoird’êtreservisparuneesclavequiauraitdûdevenirUbaradeCos.»—«Tue-moiplutôt!»lança-t-elle.Sansluirépondre,jefissigneàlafoule.«Mesdemoisellesdecompagnie?»demanda-t-elle,auboutd’unmoment.—«Esclaves,»répondis-je.—«Moi?»demanda-t-elle.—«Esclave,»répétai-je.Ellefermalesyeux.Pendantlescinqjoursqu’ilnousavaitfallupourrevenirduthéâtredenotreexploitàPortKar,en

raison de la lenteur des navires ronds,Vivina et ses demoiselles de compagnie n’étaient pas restéesattachéesauxprouesdesnavires.Je lesyavais faitmettreensignedevictoirepuis,ànouveau,pournotreentréeàPortKar.

Jemesouvinsque,cesoir-là,trèstard,àlalumièredestorches,j’avaisfaitdétacherVivina,puismel’étaisfaitamener.

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Jel’avaisreçuedanslacabinedel’amiralquiétait,naturellement,surlevaisseauamiraldelaflottedutrésor.

«Simessouvenirssontexacts,»avais-jedit,assisaubureaudel’amiral,lenezdanssespapiers,« tu as dit, dans la salle du trônede l’Ubar deCos, que tu ne fréquentais pas les ponts denagedesnaviresronds?»

Ellem’avaitregardé.Ceuxdemeshommesquiétaientprésentsavaientri.Engénéral,lesdamesdehaut rangvoyagentdans lescabinesduchâteauarrièredesnavires rondsoudesnavires-béliers.Unecabineluxueusedecenavire,lenavireamiral,luiavait,naturellement,étéattribuée.

« Je t’ai demandé, ilme semble, » avais-je insisté, « si tu avais jamaisvisité la caled’unnavirerond?»

Elleneréponditpas.«Tuasréponduquecen’étaitpaslecas,sijemesouviensbien,»avais-jepoursuivi,«puisjet’ai

faitremarquerquetuenauraispeut-être,unjour,l’occasion.»—«Non!»s’était-elleécriée.«Jet’enprie,non!»Ensuite,jem’étaistournéversmeshommes.—«Conduisezcettedame,» leuravais-jeordonné,«sur leplusgrosnavire rond,celuidont les

rameurssontdesofficierscaptifsdelaflottedutrésor,etenchaînez-la,aveclesautrestrésors,danslacale!»

—«Jet’enprie,»avait-ellesupplié,«jet’enprie!»—«Jesuiscertainquecelateconviendraparfaitement,»avais-jeaffirmé.Elles’étaitredresséedetoutesataille.—«J’ensuisconvaincue,»avait-ellerépliqué.—«TupeuxconduireDameVivinaàsesappartements,»avais-jeditaumarinresponsabled’elle.—«Allons,jeunefille!»l’avait-ilconviée.FièrecommeuneUbara,elleavaitpivotésurelle-mêmeetl’avaitsuivi.Mais,avantdesortirdelacabine,surleseuil,elles’étaitretournée.—«Seuleslesesclaves,sijecomprendsbien,»avait-ellerelevé,«sontenchaînéesdanslacaledes

naviresronds?»—«Oui,»avais-jeconfirmé.Furieuse,elleavaitfaitdemi-touretsuivilemarin.Et,tandisquejetraversaisPortKarentriomphateur,jelaregardais.Jeconstataiqu’elleavaitànouveauouvertlesyeux.Attachéeàlaproue,ellepassaitlentementsousleshommes,lesfemmesetlesenfantsjuchéssurles

toits,quineseprivaientpasdelahueretdesemoquerd’elle.Jeramassaideuxtalenderstombéssurmonépauleetlesglissaisouslacordequiluiemprisonnaitle

cou.Cegesteplutàlafoule,quimanifestatumultueusementsajoie.«Non,»supplia-t-elle,«pasdetalenders.»—«Si,»répliquai-je,«destalenders!»Letalenderest,dansl’espritdesGoréens,associéàlabeautéetàlapassion.LesLibresCompagnes,

àl’occasiondelafêtedelaLibreCompagnie,portentsouventuneguirlandedetalenders.Parfois,lesesclavessoumisesmaistimides,semettentdestalendersdanslescheveuxafinquelemaîtrecomprennequ’ellessesontdonnéesàlui,qu’ellessontdevenuesEsclavesd’Amour.Glisserdestalenderssouslacordeentourantlecoud’unefilleattachéeàuneprouen’était,bienentendu,qu’uneraillerie,indiquantqu’elledeviendraitprobablementEsclavedePlaisir.

—«Quevas-tufairedemoi?»s’enquit-elle.—«Lorsque les trésorsaurontétévérifiés,contrôlésetévalués,cequidevraitprendrequatreou

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cinq semaines, » expliquai-je, « tes demoiselles de compagnie et toi-même, enchaînées comme desesclaves, seront exposées, ainsi que l’inventaire du trésor et des échantillons, devant le Conseil desCapitaines.»

—«Nousfaisonspartiedubutin?»demanda-t-elle.—«Oui,»répondis-je.—«Apparemment,Capitaine,»fit-elleremarquerd’unevoixglacée,«tuasencoreunbonmoisde

triomphedevanttoi.»—«Oui,»répondis-jeensaluantlafoule.«C’estvrai.»—«Queferas-tudenous, lorsquenousauronsétéexposéesdevantleConseildesCapitaines?»

s’enquit-elle.—«Iltefaudraattendrepourlesavoir,»déclarai-je.—«Jevois,»fit-elle.Puiselletournalatête.De nouvelles fleurs tombèrent, des acclamations retentirent, on hua et on injuria la jeune fille

prisonnière.Port Kar a-t-elle jamais vu un tel triomphe ? me demandai-je ; puis je répondis : Jamais,

probablement,et jesouris,car jesavaisquecen’étaitque lecommencement.L’apothéoseaurait lieuquatreoucinqsemainesplustard,lorsdesprésentationsofficiellesdevantleConseil,oùjerecevraislesplushautesdistinctions,entantquedigneCapitainedePortKar.

«VivePortKar!»criai-jeàlafoule.«VivePortKar!»crièrentlesspectateurs,«etviveBosk,AmiraldePortKar!»«ViveBosk!»crièrentmesgens.«ViveBosk,AmiraldePortKar!»Ilyavaitcinqsemainesquej’étaisrentréàPortKarentriomphateur.L’après-midimême, lesprésentationsofficielleset lescomptesde lavictoireetdubutin s’étaient

déroulésdanslaSalleduConseildesCapitaines.JemelevaiettendismongobeletdePaga,répondantausalutdemesgens.Lesgobeletss’entrechoquèrentetnousbûmes.Les distractions, les fêtes, les banquets et les honneurs se succédaient depuis cinq semaines. La

valeurdestrésorscapturésdépassaitlesestimationslesplusfolles,lescalculslesplusextravagantsdenos Scribes les plus cupides. Et, pendant l’après-midi, j’en avais vécu l’apothéose, dans la Salle duConseildesCapitaines,oùavaientétéofficiellementprésentéslesinventairesdubutinetdelavictoire,oùj’avaisreçulesélogesduConseilpourmesactes,ainsiquel’accoladelaplusconvoitée,celled’undigneCapitainedePortKar.

Denombreusesheuresplustard,aufestinorganiséenmonhonneur,jeportaisencoreaucoulelargeruban écarlate, avec son médaillon en or, frappé d’un navire-tarn à voile latine et des initiales, encursivegoréenne,duConseildesCapitainesdePortKar,endemi-cercledanslapartieinférieure.

JebusànouveauduPaga.J’étaiseffectivementunCapitainedignedePortKar.Je souris intérieurement.Tandis qu’onvidait unepar une les cales des navires ronds, évaluant et

enregistrantleurcontenu,descentainesd’hommes,dontl’immensemajoritém’étaitinconnue,avaientproposé de devenir mes clients. On m’avait proposé des dizaines d’affaires commerciales oufinancières. D’innombrables individus s’étaient présentés chez moi dans l’espoir de me vendre desplans,despropositionsoudesidées.MesgardesavaientmêmechasséTersites,l’Architectenavalfouetà demi aveugle qui tenait absolument à transformer les navires-tarns, comme s’il était possibled’améliorerdesnaviresaussibeaux,rapidesetefficaces.

Enoutre,tandisquejemelançaisdanslapiraterie,lapositionpolitiqueetmilitaireduConseil,auseinde laCité, s’était renforcée.Enpremier lieu, laGardeduConseil, dotéed’ununiformedistinct,

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avaitétéconstituéeettenaitlieu,enfait,depolicedelaCité.LaGardedel’Arsenal,toutefois,peut-êtreenraisondelatradition,restauncorpsdistinct,uniquementresponsabledel’arsenaletcompétentdanssonenceinte.Ensecond lieu, lesquatreUbars :Chung,Eteocles,NigeletSulliusMaximus,dont lespouvoirsavaientétéconsidérablementréduitsàlasuiteducoupdeforcemanquéd’HenriusSevarius,avaientapparemmentacceptélasuprématieduConseil.Detoutemanière,pourlapremièrefoisdepuisdenombreusesannées,iln’yavaitqu’unseulpouvoirsouverainàPortKar:leConseil.Parconséquent,ses décisions, et ses décisions seules, avaient force de loi. Une unification identique s’était,naturellement,imposéeauxinspectionsetauximpôts,auxamendesetàlaréglementation,auxcodesetauxtribunaux.Pourlapremièrefois,depuisdenombreusesannées,onpouvaitêtresûrquelaloiseraitla même sur les deux rives d’un canal donné. Un peu plus tôt, les forces d’Henrius Sevarius,commandéesparClaudius,originairedeTyros,avaientétéchassées,parlesforcesduConseil,detoutesleursplaces fortes,à l’exceptiond’uneseule,une immenseforteressedont lesmuraillessedressaientdansleGolfedeTamberlui-mêmeetquiabritait lesdouzenaviresdont ilpouvaitencoredisposer.Ilétaitprobablementpossibledeprendrecette forteressed’assaut,mais lespertesauraientétéénormes.ParconséquentleConseil,l’ayantentouréed’unedoublerangéedemurailles,surterre,etayantmisenplaceunblocusmaritime,grâceauxnaviresdel’Arsenal,choisitd’attendre.Letempspendantlequellaforteressepourraittenirdépendaitdel’importancedesaréserved’eaudouce,delaquantitédepoissonqui pourrait pénétrer dans sonport intérieur et de la quantité de farine entreposéedans ses tours.LeConseil,leplussouvent,netenaitpascomptedelaforteressedeSevarius.C’était,enfait,laprisondeceuxquisetrouvaientàl’intérieur.LeConseilcroyait,naturellement,qu’HenriusSevariuslui-même,lejeunegarçonquiétaitlevéritableUbar,s’ytrouvaitégalement.

Je levai la tête.Le jeuneesclave,Poisson, était sorti de la cuisine, tenant au-dessusde la têteungrandplatd’argentsurlequelsetrouvaituntarskrôti,fumantetcroustillant,luisantdanslalumièredestorches,unlarmadanslagueule,farciauxsuisetauxtur-pah.

Leshommescrièrent,luiordonnantdeveniràleurtable.C’était près de la dernière forteresse d’Henrius Sevarius qu’étaient sortis Lysias, Henrak et les

autres,chargésdusacqu’ilsavaientjetédanslecanal,sacduquelj’avaisfaitsortirlejeunegarçon.Poissonposaletarskrôtidevantleshommes.Ilétaitensueur.Ilneportaitqu’unesimpletuniquede

rep.Ilavait,aucou,uncollierplat.Jel’avaisfaitmarquerauferrouge.Les hommes le renvoyèrent, afin qu’il aille chercher un autre tarsk rôti sur la broche qu’il avait

tournée,lentement,pendanttoutl’après-midi.Ils’éloignaenhâte.Il n’avait pas accepté facilement sa condition d’esclave. LeMaître de Cuisine avait dû le battre

souvent.Un jour, alorsqu’il était esclavechezmoidepuis trois semaines, laportedema salled’audience

s’étaitouverteavecfracasetilétaitentréinopinément,lesoufflecourt,leMaîtredeCuisinearméd’ungrosbâtonsursestalons.

«Pardonne-moi!»s’étaitécriéleMaîtredeCuisine.—«Capitaine!»avaitlancélejeunegarçond’unevoiximpérieuse.LeMaître de Cuisine, furieux, l’avait empoigné par les cheveux et avait levé le bras, prêt à le

frapper.Jeluiavaisfaitsignedes’abstenir.LeMaîtredeCuisine,contrarié,s’étaitreculé.—«Queveux-tu?»avais-jedemandéaujeunegarçon.—«Tevoir,Capitaine,»avait-ilrépondu.—«Maître,»avaitrectifiéleMaîtredeCuisine.—«Capitaine,»avaitinsistélejeunegarçon.—«Normalement,»avais-jefaitremarqueraujeunegarçon,«l’EsclavedeCuisinequisouhaite

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s’entreteniravecsonMaîtrepasseparleMaîtredeCuisine.»—«Jesais,»avaitrépondulejeunegarçon.—«Pourquoinel’as-tupasfait,alors?»avais-jerelevé.—«Jel’aifait,»avaitrépliquélejeunegarçond’unairdedéfi,«denombreusesfois!»—«Et,»intervintleMaîtredeCuisine,«j’airefusé.»—«Quelleestsarequête?»avais-jedemandéauMaîtredeCuisine.—«Iln’apasvoulumeledire,»avaitsoulignécelui-ci.— « Comment, dans ces conditions, » avais-je fait remarquer au jeune garçon, « le Maître de

Cuisineaurait-ilpujugersil’audienceétaitounonnécessaire?»Lejeunegarçonbaissalatête.—«Jevoulaisteparlerseulàseul,»avait-illâché.Je n’y étais pas opposémais, bien entendu, en tant queMaître de laMaison, il me fallait tenir

comptedesprérogativesduMaîtredeCuisinequi,danssondomaine,estl’émanationdemonautorité.—«Situparles,»avais-jedoncdéclaré,«ceseradevantTellius.»Lejeunegarçon,lespoingsserrés,fixalesol.Puis,n’ytenantplus,ilavaitlevélatêteetsoufflé:—«Jevoudraisapprendrelesarmes.»Jefusstupéfait.Telliuslui-même,leMaîtredeCuisine,enrestasansvoix.«Jevoudraisapprendrelesarmes,»avaitrépétélejeunegarçon,avecplusd’assurance.—«Lesesclavesn’apprennentpaslesarmes,»avais-jesouligné.—«Teshommes,»dit-il,«Thurnock,Clitusetd’autres,ontpromisdem’apprendre,situleuren

donneslapermission.»Ilbaissalatête.L’absurditédecetteidéeprovoqualessarcasmesduMaîtredeCuisine.—«Tuferaismieux,»avait-illancé,«d’apprendreletravaildelacuisine!»—«Travaillerait-ilmal,àlacuisine?»m’étais-jeenquis.—«Oui!»avaitréponduleMaîtredeCuisine.«Ilestparesseux.Ilestlentetstupide.Ilfautle

battresouvent.»Lejeunegarçon,furieux,avaitrelevélatête.—«Jenesuispasstupide!»déclara-t-il.Jeleregardaid’unairabsent,commesijenel’avaispasreconnu.—«Commentt’appelles-tu?»avais-jedemandé.Ilm’avaitdévisagé.Puisilrépondit:—«Poisson.»Jelaissaicroirequesonnomvenaitdemerevenir.—«Oui,»fis-je,«Poisson.Cenomteplaît-il?»avais-jerelevé.—«Non,»répondit-il.—«Commentaimerais-tut’appeler,»demandai-je,«situavaislechoix?»—«Henrius,»répliqua-t-il.LeMaîtredeCuisineavaitri.—«C’estunnombienpompeuxpourunEsclavedeCuisine,»fis-jeremarquer.Lejeunegarçonseredressadetoutesataille.Je savais que Thurnock, Clitus et d’autres avaient de l’affection pour le jeune garçon. J’avais

entendudirequ’ils’échappaitsouventdelacuisinepourregarderlesnavires,dansleportintérieur,oubienleshommesàl’entraînement.LeMaîtredeCuisineavaiteufortàfaire,aveclui,jen’endoutaispasuninstant.Telliusavait,etméritait,toutemasympathie.

Jedévisageailejeunegarçon,sescheveuxblonds,sesyeuxbleus,francsetsuppliants.C’étaitunjeunehommemince,auxmembreslongs,quiseraitpeut-êtrecapabledemanierunelame,

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avecdel’entraînement.Seulesdeuxpersonnes,endehorsdemoi,connaissaientsavéritableidentité.Jesavaisquiilétait,de

mêmequeThurnocketClitus.Lejeunegarçon,poursapart,ignoraitquenoussavions.Enréalité,dufait que sa tête étaitmise à prix par leConseil, il avait de bonnes raisons de dissimuler sa véritableidentité.Pourtant,dansunsens,iln’avaitpasd’autreidentitévéritablequePoisson,jeuneesclave,carilavait été réduit en esclavage et l’esclave n’a d’autre identité que celle que sonmaître veut bien luidonner.Auxyeuxdelaloigoréenne,l’esclaveestunanimal;iln’aaucundroit;sonnom,maissavieégalement,dépendentdesonmaître;celui-cipeuts’endébarrasserouledétruireàtoutmoment,s’illesouhaite.

«L’esclavenomméPoisson,»avais-jeditauMaîtredeCuisine,«s’estprésentéàmoisansyavoirétéinvitéet,àmonavis,nes’estpasmontréassezrespectueuxvis-à-visduMaîtredeCuisine.»

Lejeunegarçon,luttantcontreleslarmes,nemequittaitpasdesyeux.«Parconséquent,»avais-jerepris,«ilserabattu.»Lejeunegarçon,lespoingsserrés,baissalatête.«Et,àpartirdedemain,»avais-jepoursuivi,«sisontravail,àlacuisine,donneentièresatisfaction,

etàcetteseulecondition,ilauraledroitd’apprendrelesarmesuneahnparjour.»—«Capitaine!»s’écrialejeunegarçon.—«Etcetteahndetravail,»avais-jeajouté,«devraêtrerécupéréelesoir.»—«Bien,Capitaine!»entérinaleMaîtredeCuisine.—«Jevaistravailler,Tellius,»avaitpromislejeunegarçon.«Jevaistravaillermieuxquetousles

autres!»—«Trèsbien,jeunehomme,»relevaTellius,«nousverrons.»Lejeunegarçons’étaittournéversmoi.—«Merci,»dit-il,«Capitaine.»—«Maître,»rectifiaTellius.—«Nepourrais-jepas,»demandalejeunegarçon,«t’appeler:Capitaine?»—«Situlesouhaites,»répondis-je.—«Merci,»dit-il,«Capitaine.»—«Tupeuxdisposer,Esclave,»déclarai-je.—«Oui,Capitaine!»répondit-il.Puisilavaitfaitdemi-tourets’étaitéloigné,suiviparleMaître

deCuisine.—«Esclave!»avais-jecrié.Lejeunegarçonpivotasurlui-même.«Situesadroitauxarmes,»dis-je,«jechangeraipeut-êtretonnom.»—«Merci,Capitaine,»répondit-il.—«Nouspourrionspeut-êtret’appelerPublius,»suggérai-je,«oubienTellius.»—«Épargnez-moicela,Capitaine!»s’écriaTellius.—«Ouencore,»repris-je,«Henrius.»—«Merci,Capitaine,»ditlejeunegarçon.—«Mais,»ajoutai-je,«pourporteruntelnom,quiestprestigieux,ilfaudraitêtretrèsadroitaux

armes.»—«Jeleserai!»s’écria-t-il.«Jeleserai!»Puislejeunegarçonseretournaetsortitencourantjoyeusement.LeMaîtredeCuisinem’avaitregardéavecunsourireironique.—«Jen’aijamaisvu,»déclara-t-il,«unesclaveaussipresséd’êtrebattu!»—«Moinonplus,»reconnus-je.Revenuaufestindemavictoire,jebusànouveauduPaga.J’aieu,medis-je,enautorisantlejeune

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garçonàapprendrelesarmes,unmomentdefaiblesse.Jen’avaispasl’intentiondemelaisseralleràd’autresmomentsidentiques.

Jeregardailejeunegarçonquiapportaitunautretarskrôti.Non,medis-je,jen’auraisjamaisdûêtreaussiindulgentavecunesclave.Jenem’autoriseraisplusdetelsmomentsdefaiblesse.Je tripotai le large ruban écarlate et le médaillon qui y était suspendu, lequel était frappé d’un

navire-tarnetdesinitialesduConseildesCapitainesdePortKar.J’étaisBosk,Pirate,AmiraldePortKar,probablementundeshommes lesplus richeset lesplus

puissantsdeGor.Non,jenemelaisseraisplusalleràdetelsmomentsdefaiblesse.Jetendismongobeletd’argentincrustéderubisàTelimaqui,deboutprèsdemonfauteuilimposant

commeuntrône,leremplit.Jenelaregardaipas.JeregardailatableoùThurnock,avecsonesclave,Thura,etClitusavecsonesclave,Ula,buvaient

et riaient.ThurnocketClitusétaientbons,mais ilsétaient stupides. Ilsétaient faibles. Jemesouvinsqu’ils s’étaientprisd’affectionpour le jeunegarçon,Poisson, etqu’ils l’avaient aidéà apprendre lesarmes.Detelshommesétaientfaibles.Ilsn’avaientpasl’étoffed’unCapitaine.

Jemecarraidansmongrandfauteuil,ungobeletdePagaàlamain,regardantlapièce.Elleétaitpleinedetablesetmesgensfestoyaient.Dansuncoin,desMusiciensjouaient.Ilyavait,devantmagrandetable,unespacedégagéoù,detempsentemps,pendantlasoirée,des

attractionsavaientétéprésentées,deschosessimplesqu’ilm’étaitmêmearrivédetrouverdistrayantes:des cracheurs de feu, des avaleurs de sabres, des jongleurs et des acrobates, des magiciens et desesclavesqui,montéssurlesépauleslesunsdesautres,sebattaientavecdesvessiesdetarskgonfléesetfixéesauboutd’unbâton.

«Buvons!»criai-je.Unenouvellefois,onlevalesgobeletsetontrinqua.Je regardai la longue tableet, toutaubout,àdroite,seulesurun longbanc,se tenaitLuma,mon

esclaveetchefcomptable.PauvreLuma,medis-je,maigreetsanscharme,avecsatuniquedeScribeetsoncollier.Commeellen’étaitpasàsaplace,dansunetaverne!Pourtant,ellesavaittenirlescomptesetdirigerlesaffairesd’unegrandeMaisonet,grâceàelle,mafortuneavaitbeaucoupaugmenté.Jeluidevaistellementque,cesoir-là, je luiavaispermisdeprendreplaceàlagrandetable.Aucunhommelibre, naturellement, n’accepta de s’asseoir près d’elle.Enoutre, soucieuxdene vexer nimes autresScribesnimesgens, je luiavaisfaitmettrelesmenottesetpasseraucouunechaînedontl’extrémitéétaitfixéeàlalourdetable.Etc’estainsiqueLuma,ellequiétaitpeut-êtreledeuxièmepersonnagedelaMaison, après sonmaître, avec nous et, pourtant, enchaînée, seule et à l’écart, prit part au festincélébrantmavictoire.

«DuPaga!»réclamai-je,tendantmongobelet.TelimameversaduPaga.«VoiciunChanteur!»lançaundemeshommes.Celam’irrita,maisjenem’occupaisguèredelasélectiondesattractionsqu’onmeprésentait.«C’estunexcellentChanteur,»ditTelima,derrièremoi.Soninterventionm’irrita,elleaussi.—«VachercherdesgrappesderaisinTaàlacuisine!»ordonnai-je.—«Jet’enprie,monUbar,»dit-elle,«permets-moiderester.»—«JenesuispastonUbar,»répliquai-je,«jesuistonMaître!»—«Jet’enprie,Maître,»pleurnicha-t-elle,«autoriseTelimaàrester.»—«Trèsbien,»fis-je.

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Lesilencesefit.L’hommeavaiteulesyeuxcrevés,parSulliusMaximus,disait-on,quicroyaitquelacécitéaméliore

la qualité des chants d’un Chanteur. SulliusMaximus, qui se piquait de poésie, était un homme degrandecultureetsonopinion,surde tellesquestions,étaitextrêmementrespectée.Quoiqu’ilensoit,quellequesoit lavérité, leChanteur,danssonobscurité,était seulavecseschansons. Iln’avaitplusqu’elles.

Jeleregardai.Ilportaitlesrobesdesacaste,celledesPoètes,etonignoraitdequelleCitéilvenait.Beaucoupde

Chanteursvontd’unendroità l’autre,échangeant leurschansonscontreduvinetde l’amour. J’avaisconnu,denombreusesannéesauparavant,unChanteurquis’appelaitAndréasdeTor.

Nousentendionslegrésillementdestorches,puisleChanteurcaressasalyre.Jechantelesièged’Ar,ArlaLuisante.Jechantelesjavelotsetlesmursd’Ar,ArlaGlorieuse.LeslonguesannéesdusiègedelaCité,Lesièged’Ar.LesspiresetlestoursD’Arl’indomptable,Jechante.Jen’avaispasenvied’écoutersachanson.JeregardaisfixementmongobeletdePaga.LeChanteur

continua.JechanteTalenaauxcheveuxnoirs,LafureurdeMarlenus,Ubard’Ar,D’ArlaGlorieuse.Jenevoulaispasécoutersachanson.Jeconstataiaveccolèrequelesautresétaientcaptivés,qu’ils

concentraienttouteleurattentionsurcesfadaises,lesbruitssortisdelabouched’unaveugle.EtjechanteceluiDontlachevelureétaitcelled’unlarlausoleil,Quiestvenuauxmursd’Ar,ArlaGlorieuse,Luiquis’appelaitTarldeBristol.Jejetaiuncoupd’œilàTelima,quisetenaitprèsdemongrandfauteuil.Sesyeuxétaientmouillés,

elle buvait la chanson. Ce n’est qu’une fille de rencier,me dis-je. Elle n’avait probablement jamaisécoutéunChanteur.J’eusenviedelarenvoyeràlacuisinemaisnelefispas.Elleavaitposélamainsurmonépaule.Jenemontraipasquejem’enétaisaperçu.

Et,tandisquelestorchesseconsumaientsurleurssupportsscellésauxmurs,leChanteurcontinua,évoquantPa-Kur,MaîtreAssassin,chefdeshordesquise jetèrentsurAraprès levoldesaPierreduFoyer ; il évoqua également les drapeaux et les casques noirs, les étendards levés, le soleil seréfléchissantsurlespointesdresséesdeslances,lestoursd’assautetlesactesdebravoure,lescatapultes

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de bois de Ka-la-na et de Tem, le tonnerre des tharlarions de guerre, le grondement rythmé destambours,lemugissementdestrompettes,lefracasdesarmes,lescrisdeshommes;etilévoqua,aussi,l’amourdeshommespourleurvilleet,stupidement,ignoranttoutdeshommes,ilcélébraleurbravoure,leurloyautéetleurcourage;et ilévoqualesduels;cesduelsquisedéroulèrentsurlesmursmêmesd’AretàlaGrandePorte;etlesduelsàmortdestarniersau-dessusdesspiresd’Ar;etunautreduel,qui eut lieu au sommet du Cylindre de Justice d’Ar, opposant Pa-Kur à celui qui, dans la chanson,s’appelaitTarldeBristol.

«PourquoimonUbarpleure-t-il?»demandaTelima.—«Tais-toi,Esclave!»ordonnai-je.D’ungestebrusque,j’écartaisamain,poséesurmonépaule.

Elleretiravivementlamain,commesiellevenaitdeserendrecomptequ’elleétaitlà.LeChanteuravaitterminé.«Chanteur!»criai-je,«ceTarldeBristolexiste-t-ilvraiment?»LeChanteur,surpris,setournaversmoi.—«Jenesaispas,»répondit-il.«Peut-êtren’existe-t-ilquedanslachanson.»Jeris.JetendismongobeletàTelimaqui,unefoisdeplus,leremplitdePaga.Jemelevai,tendismongobeletetmesgensm’imitèrent.—«Ilyal’oretl’acier!»criai-je.—«L’oretl’acier!»crièrentmesgens.Nousbûmes.—«Etleschansons!»ajoutaleChanteuraveugle.Lesilencesefit.JeregardaileChanteur.—«Oui,»fis-je,levantmongobeletdanssadirection,«etleschansons.»Mesgenspoussèrentdescrisdejoieetnousbûmesànouveau.Aprèsavoirreprismaplace,jedisauxesclaves:« Soignez bien leChanteur ! » Puis jeme tournai vers Luma, esclave et chef comptable dema

Maison,entravéeetenchaînéeàlatable,etajoutai,àsonintention:«Demain,avantd’êtrerenvoyé,leChanteurrecevradixpiècesd’or.»

—«Oui,Maître,»réponditlajeunefemme.—«Merci,Capitaine!»s’écrialeChanteur.Mesgenscélébrèrentbruyammentmagénérosité,beaucoupd’entreeuxsefrappantl’épaulegauche

aveclepoingdroit,manièregoréenned’applaudir.Deux esclaves aidèrent le Chanteur à descendre de la chaise haute où il s’était installé, puis le

conduisirentàunetablesituéeàl’autreextrémitédelasalle.JebusencoreduPaga.J’étaisfurieux.Tarl de Bristol n’existait que dans les chansons. Aucun homme vivant ne lui ressemblait. Il n’y

avait,enfindecompte,quel’oretl’acier,etpeut-êtrelecorpsdesfemmesetpeut-être,àlarigueur,leschansons,cessonsdépourvusdesensquisortentparfoisdelabouchedesaveugles.

J’étaisredevenuBoskduMarais,Pirate,AmiraldePortKar.Je tripotai lemédaillon d’or frappé d’un navire-tarn à voile latine et des initiales duConseil des

CapitainesdePortKar,endemi-cercledanslapartieinférieure.«Sandra!»criai-je.«Qu’onaillechercherSandra!»Lesconvivesacclamèrentcettedécision.Je regardai autour de moi. C’était un véritable festin de victoire. Toutefois, j’étais furieux que

Midice ne soit pas auprès de moi. Elle s’était sentie mal et avait demandé à rester dans mon

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appartement,permissionquejeluiavaisaccordée.Tabétaitégalementabsent.IlyeutuntintementdeclochettesetSandra,danseusedePortKarquej’avaisdécouvertedansla

taverne,puisachetée,principalementpourmeshommes,s’immobilisadevantmoi,sonMaître.Jelaregardaid’unairamusé.Commeellevoulaitmeplaire!EllevoulaitdevenirPremièreFille,maisjel’avaislaisséeauxhommes.Midice,magnifique,brune,

minceetauxjambesmagnifiques,étaitlaPremièreFilledemaMaison,monesclavepréférée.EtTabétaitmonPremierCapitaine.

Toutefois,Sandran’étaitpasinintéressante.Elleavait lespommetteshautes,desyeuxnoirsetétincelants,descheveuxde jaiscoiffésenhaut

chignon.Elleétaitenveloppéedansunlargemanteaudesoiejaune,opaqueetluisante.Aumomentoùelles’étaitapprochée,j’avaisentenduletintementdesclochettesfixéesàsespoignets,seschevillesetsoncollier.

Unpeudeconcurrence,medis-je,neferaitpasdemalàMidice.Parconséquent,jesourisàSandra.Ellemeregarda,ledésirdeplaireetleplaisiréclairantsonvisage.«Tupeuxdanser,Esclave!»dis-je.CeseraitlaDansedesSixCordes.Ellesedébarrassadesonmanteaudesoieetselaissatomberàgenouxdevantlagrandetableetle

fauteuil,entrelesautrestables,latêtebaissée.Elleportaitcinqmorceauxdemétal:soncollieretdesanneauxauxpoignetsetauxchevilles.Desclochettesd’esclaveétaientfixéesaucollieretauxanneaux.Elle leva la tête et me regarda. Les Musiciens se mirent à jouer. Six hommes, munis chacun d’unmorceaudecorde,sedirigèrentverselle.Lessixcordesfurentattachéesrespectivementàsespoignets,àseschevillesetautourdesataille;puis,chacuntenantl’autreextrémitédelacorde,lessixhommess’immobilisèrent près d’elle, trois de chaque côté. Elle était ainsi encerclée, chaque homme tenantl’extrémitéd’unedescordesquil’entravaient.

JeregardaiThura.Jemesouvinsque,surl’îlederence,elleavaitétécapturéegrâceàdesbouclessemblablesàcellesquienserraientlatailledeSandra.Thuraregardaitattentivement.

C’était,d’ailleurs,lecasdetouslesconvives.Puis,somptueusement,semblableàunechatte,commeunefemmequis’éveille,Sandra tendit les

bras.Ilyeutunéclatderire.Onauraitditqu’elleignoraitqu’elleétaitattachée.Lorsqu’ellevoulut ramener lesbras le longducorps, cela lui fut impossiblependantun trèsbref

instant et elle fronça les sourcils, contrariée, étonnée, puis fut autorisée à bouger comme elle lesouhaitait.

Jeris.Elleétaitsuperbe.Puis, toujours agenouillée, elle leva la main, la tête rejetée en arrière, avec insolence, vers sa

chevelure, afin d’en retirer une des épingles travaillées, dont la tête était sculptée dans une corne dekailiauk,quilaretenaient.

Ànouveau,lacorde,celledesonpoignetdroit,arrêtasamain,pendantunbrefinstant,àquelquescentimètresdesescheveux.

Ellefronçalessourcils.Ilyeutdesrires.Bientôt, tantôt sans entrave, tantôt empêchée d’agir immédiatement, elle eut retiré toutes les

épingles. Ses cheveux étaient beaux, souples, longs et noirs. Du fait qu’elle était à genoux, ils luitombaientsurleschevilles.

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Puis,àdeuxmains,ellelevasachevelureau-dessusdelatêtepuis,soudain,leshommesayanttirésurlescordesdesespoignets,lachevelureretomba,libreetsouple,sursondos.

Furieuse,désespérée,elletentaunenouvellefoisdeleversescheveuxau-dessusdelatête,maislescordes,luiécartantlesbras,l’enempêchèrent.Ellelutta.Lescordesl’obligeaientàgarderlescheveuxdéfaits.

Puis, comme prise de panique et de fureur, comme si elle venait de comprendre qu’elle étaitprisonnière,elleselevad’unbondettenta,aurythmedelamusique,d’échapperauxcordes.

LesdanseusesdePortKar,medis-je,sontlesplusbellesdeGor.Sombre et dorée, luisante, poussant des cris, tapant du pied, elle dansa, sa beauté entravée

transcendantlalumièredestorchesetletintementdesclochettes.Ellepivota,tournoya,bonditetparut,parinstants,presquelibremais,toujours,lescordescruelles

luirappelaientsaconditiondeprisonnière.Parfois,ellesejetaitsurundeshommes,maislesautresnelalaissaientpasallerjusqu’àlui,carellen’étaitqu’unebelleesclaveprisonnièred’unréseaudecordes.Ellesecontorsionna,cria,tentadesedébarrasserdescordes,maisellen’yparvintpas.

Finalement,petitàpetit,tandisqu’augmentaientsacrainteetsaterreur,leshommes,unpoingaprèsl’autre, tendirent les cordesqui la retenaientprisonnièrepuis, soudain, rapidement, l’attachèrent et lalevèrentau-dessusdeleurstêtes,esclavecaptive,présentantsoncorpsarquéetattachéauxconvives.

Ilyeutuntonnerred’acclamationsetnombreuxfurentceuxquisefrappèrentl’épauleaveclepoing.Elleavaitétévéritablementsuperbe.Puisleshommeslaportèrentjusqu’àmatableetmelaprésentèrent.«Uneesclave!»ditl’und’eux.—«Oui,»s’écrialadanseuse,«uneesclave!»Aprèsundernieraccord,lamusiquesetut.Lesapplaudissementsetlescrisétaientassourdissants.J’étaisparfaitementsatisfait.—«Détachez-la!»ordonnai-jeauxhommes.Ils obéirent et, rapidement, souple comme une chatte, elle se dirigea vers mon fauteuil et

s’agenouilla à mes pieds. Elle leva les yeux, le visage couvert de sueur, le souffle court, les yeuxétincelants.

«Toninterprétationn’étaitpasdépourvued’intérêt,»dis-je.Elleposalajouesurmongenou.«DuvindeKa-la-na!»criai-je.Onapportaunecoupe.Puisjelaprisparlescheveux,luitirailatêteenarrièreetluiversailevin

danslabouche,enrépandantunpeusursonvisageetsoncorps.Ellemeregarda,laboucheluisantedevin.—«T’ai-jeplu?»demanda-t-elle.—«Oui,»répondis-je.—«Nemerendspasàteshommes,»supplia-t-elle.«GardeSandrapourtoi.»—«Nousverrons,»répondis-je.—«SandraatrèsenviedeplaireauMaître,»reprit-elle.Petitemaligne,medis-je.«Tunet’esserviqu’unefoisdeSandra,»poursuivit-ellesuruntonboudeur.«Cen’estpasjuste.»

Ellelevalesyeux.«SandraestmeilleurequeMidice,»ajouta-t-elle.—«Midice,»fis-jeremarquer,«esttrèsbonne.»—«Sandraestmeilleure,»insista-t-elled’unevoixenjôleuse.«EssaieSandraettuverras.»—«Peut-être,»dis-je.Je luicaressairudement lescheveuxet l’autorisaiàresteràgenouxprèsdubrasdemonfauteuil.

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D’autresesclavesqui,entrelestables,faisaientleservice,luijetèrentdesregardsenvieuxethaineux.Commeunechattesatisfaite,elles’agenouillaprèsdemonfauteuil.

«L’or,Capitaine!»annonçaundesgardesdemontrésor.J’avaispréparéunesurpriseàl’intentiondemesgens,encettenuitdefestinetdevictoire.Ilmonta, péniblement, sur l’estradequi supportaitma table etmon fauteuil, un lourd sacde cuir

pleindedisquesd’orautarn,pesantledoubledupoids,frappésauxarmesdeCos,deTyros,d’Ar,dePortKaretmêmedelalointaineThentisoudelaCitéisoléedeTuria,toutauSud.Ilposalesacprèsdemon grand fauteuil. Rares furent ceux qui remarquèrent sa présence, à l’exception de ceux qui setrouvaientprèsdemoi.

«Allezchercherl’esclavedeTyros!»criai-je.Desriress’élevèrent.Jetendismongobelet,maispersonneneleremplitdePaga.Furieux,jeregardaiautourdemoi.J’appelaiuneesclavequipassait.«Oùestl’esclaveTelima?»demandai-je.—«Elleétaitlàilyauninstant,»réponditlafille.—«Elleestalléeauxcuisines,»précisauneautre.Jeneluiavaispasdonnélapermissiondepartir.—«JevaisteservirduPaga,»intervintSandra.—«Non!»répliquai-je,éloignantmongobelet.Puisjemetournaiversunedesesclaves.«Que

Telimasoitbattue,»ajoutai-je,«etenvoyéeici.Jeveuxêtreservi!»—«Oui,Maître,»ditlajeunefemmequis’éloignaencourant.Sandrabaissalatête,furieuse,boudeuse.—«Renonceàcetteattitude,»dis-je,«sinon,jeteferaibattre,toiaussi.»—«C’estseulement,Maître,»répondit-elle,«quej’aienviedeteservir.»Jeris.C’étaitvraimentunepetitemaligne.—«DuPaga?»m’enquis-je.Ellemeregarda,lesyeuxsoudainplusbrillants,leslèvreslégèrementouvertes.—«Non,»répondit-elle,«duvin.»—«Jevois,»fis-je.Ilyeutuntintementdechaîneset,souslesacclamationsdesconvives,DameVivinafutconduite

devantmoi.Ilyeutunmouvement,prèsdemoi,etjeconstataiqueTelimaavaitreprissaplace.Sesyeuxétaient

pleinsdelarmes.LebâtonduMaîtredeCuisineluiavaitprobablementlaisséquatreoucinqmarquessurledos.Samincetuniquederepnepouvaitguèrelaprotégerdescoupsdebâton.JeluitendismongobeletetelleleremplitdePaga.

JedévisageaiDameVivina.Touslesregardsétaienttournésverselle.Lesesclaveselles-mêmesavaientquittélescoinssombres

delasalleets’étaientrassembléesderrièrelestablesafindelaregarder.JeremarquaiPoisson,lejeuneesclave.

Jeregardailajeunefille.C’étaitlejoyaudemonbutin.Pendant l’après-midi, je l’avais présentée, en compagnie de ses demoiselles d’honneur, toutes

chargéesdechaînesd’esclave,aumêmetitrequedeséchantillonsdestrésorsdelaflottedutrésor,ainsiquelescomptess’yrapportant,auConseildesCapitainesdePortKar.Ellesétaientmagnifiques,dansleurs chaînes d’esclave en argent, les poignets attachés dans le dos avec des menottes en or,agenouilléescommedesEsclavesdePlaisirparmilesbijoux,l’or,lessoieriesetlestonneletsd’épices.CellequidevaitdevenirUbaradeCosn’étaitplusquebutinàPortKar.

«Bonsoir,DameVivina,»dis-je.

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—«Est-celàlenomquetuasdécidédemedonner?»demanda-t-elle.En fin d’après-midi, en revenant duConseil, je l’avais faitmarquer au fer rouge et lui avais fait

mettreuncollier.Deboutdevantmoi,outrelamarqueetlecollier,ellen’avaitquedesmenottesd’esclave.Elleétaittrèsbelle.—«Retire-luilesmenottes,»dis-jeàl’hommequil’avaitconduitedevantmoi.Ilobéit.«Détache-luilescheveux,»ajoutai-je.Ilobéit;sescheveuxserépandirentsursesépaulesetmeshommespoussèrentdescrisdejoie.«Àgenoux!»ordonnai-je.Elleobéit.«Tut’appellesVina,»déclarai-je.Ellebaissalatête,acceptantlenomquejevenaisdeluidonner.Puiselleseredressa.—«JeféliciteleMaître,»dit-elle.«Cenomconvientparfaitementàuneesclave.»—«Commentt’appelles-tu?»demandai-je.—«Vina,»répondit-elle.—«Quelleesttaqualité?»m’enquis-je.—«Esclave,»répondit-elle.—«Quellessonttesattributions,Esclave?»demandai-je.—«LeMaîtrenemel’apasencoredit,»répondit-elle.Je la regardai. J’avais également faitmarquer ses demoiselles de compagnie, après la réuniondu

ConseildesCapitaines.Ellesétaientenchaînéesdansmademeure.Jen’avaispasencoredécidécequejeferaisd’elles.Peut-êtrelesrépartirais-jeparmimesofficiersoulesdonnerais-jeàmeshommes.Ellespourraient servird’enjeuoubien jepourraisendonneruneen récompenseàceuxquimeserviraientbien, incitantainsi lesautresàsemontrerpluszélésencore. J’avaiségalementenvisagéd’ouvrirunetaverne,aucentredelaCité,laplussomptueusedePortKar,quejepourraisappeler:LaTavernedesQuaranteDemoiselles. Rares seraient, à Port Kar, ceux qui n’auraient pas envie de la fréquenter etd’êtreservispardesbeautésdehautenaissance,originairesdeTyros.

MaisjerevinsàVina,quiavaitétéDameVivina,promiseàl’UbardeCos,etn’étaitplusqu’uneesclavedelaMaisondeBosk,dePortKar.

—«Quelsvêtementsfaut-ilacheteràtonintention?»demandai-je.Ellemeregarda.«Sera-celatuniqued’uneservante?»fis-je.Elleneréponditpas.« Ou bien, » poursuivis-je, « dois-je faire apporter les clochettes, les soieries et les parfums de

l’EsclavedePlaisir?»Ellesourit.—«Jeprésume,»fit-elled’unevoixglacée,«quejedeviendraiEsclavedePlaisir?»Dusacposéprèsdemonfauteuil,celuiquiétaitpleind’or,jetiraiunpetitmorceaudetissurouléen

boule.Jelelançaiàlajeunefille.Ellel’attrapaetleregarda.«Non!»cria-t-elle.—«Habille-toi!»ordonnai-je.—«Non!Non!»hurla-t-elle,furieuse,selevantd’unbond.Ellepivotasurelle-mêmeetvouluts’enfuirmaismeshommesl’enempêchèrent.Elleseretourna,le

morceaudetissuàlamain.«Non!»criait-elle.«Non!»

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—«Habille-toi!»répétai-je.Furieuse,elleenfilalevêtement.Lesconvivesrirentàperdrehaleine.DameVivinasetenaitdevantmoi,vêtued’unetuniqued’EsclavedeCuisine.«ÀCos,»repris-je,«tuauraisétéUbara.Dansmademeure,tuserasEsclavedeCuisine.»Furieuse, rouge de honte, les poings serrés, vêtue de la courte tunique des Esclaves de Cuisine,

DameVivinasetenaitdevantnous.Touslesconvivesriaientàgorgedéployée.«MaîtredeCuisine!»criai-je.—«Mevoici,Capitaine,»réponditTellius,quisetenaitderrièrelestables.—«Approche!»criai-je.Ilvintdevantmatable.«Voici,»dis-jeenmontrantlajeunefille,«unenouvelleesclavepourlescuisines.»Ilritetl’examina,tournantautourd’elle,lebâtonàlamain.—«Elleesttrèsbelle,»fit-ilremarquer.—«Fais-latravaillersansrelâche,»dis-je.—«J’yveillerai,»promit-il.DameVivinameregardaaveccolère.—«Poisson!»criai-je.«Oùestl’esclavenomméPoisson?»—«Ici,»répondit-il.Puisils’avança,venantdederrièrelestablesoù,aveclesautresesclaves,depuisquelquetemps,il

regardaitlascène.Jemontrailajeunefille.—«Cetteesclaveteplaît-elle?»demandai-je.Ilmeregardasanscomprendre.—«Oui,»répondit-il.—«Bien,»fis-je.Puisjemetournaiverslajeunefille.«Tuplaisàl’esclavenomméPoisson,»

déclarai-je.«Parconséquent,ilpourraseservirdetoi.»—«Non!»cria-t-elle.«Non!Non!»—«Tupourras,»dis-jeaujeunehomme,«teservird’elle.»—«Non!»hurlalajeunefille.«Non,non,non,non!»Elletombaàgenouxdevantmoi,enlarmes,lesbrastendus.«Cen’estqu’unesclave,»pleurnicha-t-elle.«JedevaisêtreUbara.Ubara.»—«Tudevrasleservir!»déclarai-je.Ellesecachalevisagedanslesmainset,tasséesurelle-même,pleura.Tous les convives riaient. Je regardai autour demoi, tout à fait satisfait. Parmi tous ceux que je

regardai,seuleLumaneriaitpas.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.Celam’irrita.Demain,medis-je,jelaferaibattre.

Sandra,prèsdemoi,riaitjoyeusement.Jelacaressaiavecrudesse.Ellesemitàembrassermonbraset,delamaindroite,jelarepoussai.Mais,uninstantplustard,elleposalajouesurmonbrasgauche.

Lejeunegarçon,Poisson,regardaitlajeunefille,Vina,nonsanscompassion.Ilsétaienttousdeuxtrès jeunes. Il avait environdix-sept ans et elle, approximativement quinzeou seize.Puis il tendit lebras,lafitleveretlatournafaceàlui.

—«Jem’appellePoisson,»dit-il.—«Tun’esqu’unjeuneesclave!»s’écria-t-elle.Ellerefusaitdeleregarder.Ilglissalesdoigtssouslecollier,qu’ilsoulevalégèrementafind’obligerlajeunefilleàleverlatête.

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—«Commentt’appelles-tu?»s’enquit-il.—«DameVivinadeKasra!»s’écria-t-elle.—«Non,»répliqua-t-il.«Tun’esqu’uneesclave.»—«Non!»fit-elle,secouantvigoureusementlatête.—«Si,»insista-t-il,«etjesuiségalementunesclave.»Puis,à lasurprisegénérale, luiayantpris la têteentresesmains, il l’embrassa tendrementsur les

lèvres.Elleleregardafixement,lesyeuxpleinsdelarmes.Élevée,commeellel’avaitété,danslesappartementsréservésauxfemmesdehautenaissance,dans

lepalaisdeTyros,àKasra,c’étaitsansdoutelapremièrefoisqueleslèvresd’unhommetouchaientlessiennes. Elle s’attendait certainement à recevoir ce premier baiser vêtue des soies d’amourtourbillonnantesdelaLibreCompagnie,sousdeslampesd’amourenor,prèsdelacouchedel’UbardeCos;maisellenereçutpascebaiserdanslepalaisdemarbreblancdel’UbardeCos;ellenelereçutpas comme uneUbara des lèvres d’unUbar ; elle reçut ce baiser à PortKar, dans le repaire de sesennemis, dans la lueur barbare des torches, devant la table de sonmaître ; et elle ne portait pas lessoieries de la Libre Compagne et de l’Ubara, mais la tunique courte, misérable, d’une Esclave deCuisineetuncollierquifaisaitd’elleuneesclave;etleslèvresquitouchèrentlessiennesétaientcellesd’unesclave.

Àlasurprisegénérale,ellen’avaitpasrésistéaubaiserdujeunegarçon.Illuipritlesbras.«Jesuisunesclave,»déclara-t-il.Avecstupéfaction,nouslavîmes,abandonnéedetous,misérableetseule,leverleslèvresverslui,

trèstimidement,afinqu’ilpuisse,s’illesouhaitait,lesbaiserànouveau.Ill’embrassaunenouvellefois,tendrement.—«Moiaussi,jesuisuneesclave,»dit-elle.«Jem’appelleVina.»—«Tuesdigne,»affirma-t-il,luitenantlatêteentresesmains,«d’êtreUbara.»—«Ettoi,»souffla-t-elle,«Ubar.»—«Je suispersuadé,» intervins-je,«que tupréféreras lesbrasdePoisson,bienqu’ilnepuisse

t’offrirqu’unepaillassed’esclave,àceuxdugrosLurius,bienquelacouchedel’Ubarsoitcouvertedefourruresopulentes.»

Ellemeregarda,lesyeuxpleinsdelarmes.Puisjem’adressaiauMaîtredeCuisine.«Lesoir,»ordonnai-je,«enchaîne-lesensemble.»—«Uneseulecouverture?»demanda-t-il.—«Oui,»répondis-je.Lajeunefille,enlarmes,s’effondramaisPoisson,trèstendrement,lapritdanssesbrasetl’emporta.Jeris.Ettoutlemonderiait.Quellebonneplaisanteried’avoirréduitenesclavagelajeunefillequidevaitdevenirUbaradeCos,

del’avoiraffectéeauxcuisines,del’avoirdonnéeàunsimpleesclave.OnnetarderaitpasàracontercettehistoiredanstouslesportsdeThassa,danstouteslescitésdeGor.CosetTyros,ennemiesdemaCité,PortKar,perdraientlaface.Commeladéfaitedesennemisestdélicieuse!Commelepouvoir,lesuccèsetletriomphesontglorieux!

Jeplongeaimaladroitementlamaindanslesacdepiècesd’orposéprèsdemonfauteuiletensortisdespoignéesquejelançaidanslasalle.Jemelevaietjetaiundélugededisquesd’orautarnfrappésàAr,àTyros,àCos,àThentis,àThuriaetàPortKar.Leshommessemirent frénétiquementàquatrepattes,riantets’arrachantlespièces.Chacuned’entreellesfaisaitledoubledupoids.

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«DuPaga!»criai-je.PuisjetendismongobeletàTelimaquileremplit.JeregrettaisseulementqueMidiceetTabnesoientpasvenuspartagermontriomphe.Vacillant,jemetenaisàlatable.JerenversaiduPaga.«DuPaga !»criai-je.EtTelima remplitmongobelet. Jebusànouveau.Puisunenouvelle fois,

déchaîné,poussantdescris,hurlant,jelançaidespiècesauxquatrecoinsdelasalle,riantauspectacledeshommesquisebattaientetbondissaientpours’enemparer.

Jebusetcontinuaidelancerdespièces.Ilyavaitdesriresetdescrisdejoie.«ViveBosk!»criaquelqu’un.«ViveBosk,AmiraldePortKar!»Jejetaisfrénétiquementdespièces.Jebuvaissansdiscontinuer.—«Oui!»hurlai-je.«ViveBosk!»—«ViveBosk!»hurlèrentlesconvives.«ViveBosk,AmiraldePortKar!»—«Oui !»criai-je.«ViveBosk !ViveBosk,AmiraldePortKar !ViveBosk,AmiraldePort

Kar!»Uncride terreur retentit, surmadroite, et jeme tournai, fixant, à travers lesbrumesde l’alcool,

l’extrémité de la table. Luma, enchaînée à la table,menottes aux poignets,me regardait. Son visageexprimaitl’horreur.

—«Tonvisage,»s’écria-t-elle,«tonvisage!»Jelaregardaisanscomprendre.Lesilencesefitsoudain.«Non,»fit-ellesoudain,secouantlatête,«c’estfinimaintenant.»—«Qu’ya-t-il?»demandai-je.—«Tonvisage,»répondit-elle.—«Qu’a-t-il?»insistai-je.—«Cen’estrien,»répondit-elleenbaissantlatête.—«Qu’a-t-il?»hurlai-je.—«Pendantuninstant,»répondit-elle,«j’aicruquec’étaitlevisagedeSurbus.»Jepoussaiuncriderage,saisislagrandetableetlajetai,renversantlesplatsetlePaga,aupiedde

l’estrade.Sandrapoussauncriaiguets’enfuitencourant,lesbrastendusdevantelle,dansuntintementincongrudeclochettes.Luma,attachéeàlatableparlecou,futjetéeaupieddel’estrade,roulasurlatableettombasurlescarreauxdelasalle.Lesesclavess’enfuirentenhurlant.

Enragé,jesaisislesacd’or,cequ’ilenrestait,etlelançaidanslasalle,oùildéversaunepluied’oravantdes’écrasersurlescarreaux.

Puis,furieux,jefisdemi-touret,trébuchant,quittailasalle.«Amiral!»criaquelqu’un,derrièremoi.«Amiral!»Je serrai le médaillon, frappé d’un navire-tarn et des initiales du Conseil des Capitaines, que je

portaisaucou.Trébuchant,pleurantderage,jeprispéniblementladirectiondemesappartements.Derrièremoi,jenelaissaisqueconsternation.Furieux,jemehâtai,tombantetmecognantauxmurs.Puisj’ouvrisbrusquementlesportesdemesappartements.MidiceetTabseséparèrentvivement.Jepoussaiunhurlementderage,pivotaisurmoi-même,martelantlemuravecmespoingspuis,me

débarrassantdemonmanteau,metournaiverseux, levisage inondéde larmes, toutendégainantmalame.

«Pourtoi,Midice,»déclarai-je,«ceseralatortureetlepal!»—«Non!»s’écriaTab.«C’estmafaute.Jemesuisimposéàelle.»

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—«Non!Non!»criaMidice.«C’estmafaute.Mafaute!»—«La torture et le pal ! » répétai-je. Puis jeme tournai versTab. «Tu étais unbon capitaine,

Tab,»dis-je,«parconséquent,jenetelivreraipasauxTortionnaires.»J’agitaimalame.«Défends-toi!»

Tabhaussalesépaules.Ilnedégainapassonarme.—«Jesaisquetupeuxmetuer,»dit-il.—«Défends-toi!»hurlai-je.—«Trèsbien,»cédaTab.Etsalamesortitdesonfourreau.Midicesejetaàgenouxentrenous,enlarmes.—«Non!»cria-t-elle.«TueMidice!»—«Jevaistetuerlentement,soussesyeux,»dis-je,«ensuite,jelalivreraiauxTortionnaires.»—«TueMidice,»sanglotaitlajeunefemme.«Maislaisse-lepartir.Laisse-lepartir.»—«Pourquoim’as-tufaitcela?»criai-je,levisagecouvertdelarmes.«Pourquoi?Pourquoi?»—«Jel’aime,»sanglota-t-elle.«Jel’aime.»Jeris.—«Tunepeuxpasaimer,»répliquai-je,«tuesMidice.Tuesmesquine,cruelle,égoïsteetvaine.

Tunepeuxpasaimer.»—«Maisjel’aime,»souffla-t-elle,«jel’aime.»—«Nem’aimes-tupas?»demandai-jed’unevoixsuppliante.—«Non,»souffla-t-elle,leslarmesauxyeux.«Non.»—«Maisjet’aibeaucoupdonné,»sanglotai-je.«Net’ai-jepasdonnébeaucoupdeplaisir?»—«Oui,»répondit-elle.«Tum’asbeaucoupdonné.»—«Etnet’ai-jepas,»criai-je,«donnéduplaisir?»—«Oui,»dit-elle,«c’estvrai.»—«Alors,pourquoi?»hurlai-je.—«Jenet’aimepas,»fit-elle.—«Tum’aimes!»glapis-je.—«Non,»répondit-elle.«Jenet’aimepasetjenet’aijamaisaimé.»Jepleurai.Jerengainaimalame.—«Prends-la,»dis-jeàTab.«Elleestàtoi.»—«Jel’aime,»dit-il.—«Emmène-la!»hurlai-je.«Quittemonservice!Va-t’en!»—«Midice,»fitTabd’unevoixrauque.Elle courut à lui et il passa un bras autour d’elle. Puis ils firent demi-tour et sortirent, lui tenant

toujourssonépéenueàlamain.Jefislentementletourdelapiècepuism’assisauborddelacouchedepierre,surlesfourrures,et

meprislatêteentrelesmains.J’ignorecombiendetempsjerestaiainsi.Auboutd’unmoment,j’entendisunpetitbruitsurleseuildelapièce.Jelevailatête.Telimaétaitsurleseuil.Jelaregardai.«Viens-tulaverlescarreaux?»demandai-jesévèrement.Ellesourit.—«Jel’aifaitplustôt,»expliqua-t-elle,«afindepouvoirfaireleservice,pendantlefestin.»—«LeMaîtredeCuisinesait-ilquetuesici?»m’enquis-je.

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Ellesecoualatête.—«Non,»répondit-elle.—«Tuserasbattue!»déclarai-je.Jeconstataiqu’elleportaitànouveau,aubrasgauche,lebraceletenordontjemesouvenais,celui

quejeluiavaisprispourledonneràMidice.«Tuaslebracelet,»remarquai-je.—«Oui,»répondit-elle.—«D’oùvient-il?»m’enquis-je.—«DeMidice,»répondit-elle.—«Tul’asvolé!»déclarai-je.—«Non,»répliqua-t-elle.Jelaregardaidanslesyeux.«Midicemel’arendu,»expliqua-t-elle.—«Quand?»demandai-je.—«Ilyaplusd’unmois,»réponditTelima.—«Elles’estmontréegentilleavecuneEsclavedeCuisine,»dis-je.Telimasourit,leslarmesauxyeux.—«Oui,»fit-elle.—«Jenel’aipasvusurtoi,»relevai-je.—«Jel’aicachédansmapaillasse,»expliquaTelima.JeregardaiTelima.Ellesetenaitsurleseuil,plutôttimidement.Elleétaitnu-pieds.Elleportaitune

courtetunique,tachéeetmisérable.Unsimplecollierdemétalbrutluienserraitlecou.Maiselleavait,aubrasgauche,unbraceletenor.

—«Pourquoiportes-tulebraceletd’or?»m’enquis-je.—«C’esttoutcequej’ai,»répondit-elle.—«Pourquoiviens-tuiciàpareilleheure?»demandai-je.—«Midice,»dit-elle.Jegémis,meprislatêteentrelesmainsetpleurai.Telima,timidement,approcha.«Elleavaitdel’affectionpourtoi,»dit-elle.Jesecouailatête.«Cen’estpassafautesiellenet’aimepas,»soufflaTelima.—«Retourneauxcuisines,»sanglotai-je.«Va-t’en,sinonjevaistetuer!»Telimas’agenouillaàunmètredemoi.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.«Va-t’en,»répétais-je,«sinonjevaistetuer!»Ellenebougeapasetrestaàgenoux,lesyeuxpleinsdelarmes.Ellesecoualatête.—«Non,»dit-elle.«Tuneleferaspas.Tunepourraispas.»—«JesuisBosk!»criai-jeenmelevant.—«Oui,»admit-elle,«tuesBosk.»Ellesourit.«C’estmoiquit’aidonnécenom.»—«C’esttoi,»dis-je,«quim’asdétruit!»—«Siquelqu’unaétédétruit,»fit-elle,«cen’estpastoi,c’estmoi.»—«Tum’asdétruit,»sanglotai-je.—«Tun’aspasétédétruit,monUbar,»dit-elle.—«Tum’asdétruit!»criai-je.«Et,maintenant,jevaistedétruire!»Jemelevaid’unbond,tiraimonépéeetmedressaiau-dessusd’elle,lalamelevéeetprêteàfrapper.Sansbouger,lesyeuxpleinsdelarmes,ellemeregarda.De rage, je jetaimonépéequi heurta lemurde la pièce, à cinqmètresde là, puis retomba avec

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fracassurlesol,etjeglissaiàgenoux,enlarmes,latêteentrelesmains.«Midice,»sanglotai-je,«Midice.»Un jour, j’avais juréque, ayant perdudeux femmes, je n’enperdrais pasd’autre.EtMidice était

partie.Jeluiavaisoffertlessoierieslesplussomptueuses,lesbijouxlesplusprécieux.J’étaisdevenucélèbre. J’étaisdevenupuissant et riche. J’étais au sommetdeshonneurs.Mais elle était partie.Celan’avaitserviàrien.Rienn’yavaitfait.Elleétaitpartie,s’étaitenfuiedanslanuit,nem’appartenaitplus.Elleenavaitpréféréunautreàmoi.Jel’avaisperdue.Jel’avaisperdue.

«Midice,»sanglotai-je,«Midice.»Puisjemelevai,restaiquelquesinstantsimmobile,secouailatête,puisjem’essuyailesyeuxavec

lamanchedematunique,medirigeaiverslepieddemacouchedepierreetm’assisparterre,latêtebaissée.

—«C’estdur,»ditTelima,«d’aimersansêtreaimé.»—«Jesais,»fis-je.Puisjelaregardai.Sachevelureétaitpeignée.«Tuescoiffée,»relevai-je.Ellesourit.—«Auxcuisines,»expliqua-telle,«unedesfillesaunpeigneédenté,unepeignequ’Ulaajeté.»—«Elletepermetdel’utiliser?»m’étonnai-je.—«J’aibeaucouptravaillépourelleafindepouvoirl’utiliser,unsoir,lorsquej’enauraisenvie,»

expliqua-t-elle.—«Lanouvellejeunefille,»dis-je,«cellequej’aidonnéeàPoisson,aurapeut-êtreenviedese

servirdupeigne.»Telimasourit.—«Danscecas,»fit-elle,«ilfaudraqu’elletravaille.»Jesourisàmontour.—«Approche,»dis-je.Elleselevaetvints’agenouillerdevantmoi.Jetendislesbrasetprissatêteentremesmains.«MonorgueilleuseTelima,»dis-je,«monancienneMaîtresse.»Je la regardai, nu-pieds et à genouxdevantmoi,mon collier d’acier au cou, vêtued’une tunique

misérable,minceettachée.—«MonUbar,»souffla-t-elle.—«Maître,»rectifiai-je.—«Maître,»répéta-t-elle.Jeluiretiraisonbraceletd’oretl’examinai.—«Commentoses-tu,Esclave,»demandai-je,«portercecienmaprésence?»Ellemeregardaavecstupéfaction.—«Jevoulaisteplaire,»souffla-t-elle.Jejetailebracelet.—«EsclavedeCuisine!»luilançai-je.Ellebaissalatêteetunelarmecoulasursajoue.«Tuvoulaist’attirermesfaveurs,»dis-je,«envenanticiàpareilleheure.»Ellelevalatête.—«Non,»fit-elle.—«Maistaruse,»repris-je,«n’apasmarché.»Ellefit:«Non.»,delatête.Jeglissailesdoigtssoussoncollier,lacontraignantàmeregarderdanslesyeux.

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«Tuméritesbientoncollier,»déclarai-je.SesyeuxétincelèrentcommeceuxdelaTelimad’autrefois.—«Toiaussi,»répliqua-t-elle,«tuportesuncollier!»J’arrachailelargerubanécarlatequejeportaisaucou,auquelétaitsuspenduunmédaillonfrappé

d’unnavire-tarnetdesinitialesduConseildesCapitaines.Jelejetaiauloin.—«Esclavearrogante!»criai-je.Elleneréponditpas.«Tuesvenuemetourmenteralorsquej’aidelapeine,»repris-je.—«Non!»s’écria-t-elle.«Non!»Jemelevaietl’envoyaisurlescarreauxdelachambre.—«TuveuxêtrePremièreFille!»l’accusai-je.Elleseleva,lesyeuxbaissés.—«Cen’estpaspourcetteraisonquejesuisvenue,»dit-elle.—«TuveuxêtrePremièreFille!»hurlai-je.«TuveuxêtrePremièreFille!»Ellerelevabrusquementlatête,furieuse.—«Oui,»répliqua-t-ellesurlemêmeton,«jeveuxêtrePremièreFille!»Jeris,satisfaitqu’elleeûtelle-mêmereconnusaculpabilité.—«Tun’esqu’uneEsclavedeCuisine,»persiflai-je.«PremièreFille ! Jevais te renvoyeraux

cuisinesettefairebattre,EsclavedeCuisine!»Ellemeregarda,lesyeuxpleinsdelarmes.—«QuiseraPremièreFille?»demanda-t-elle.—«Sandra,probablement,»répondis-je.—«Elleesttrèsbelle,»reconnutTelima.—«Peut-être,»fis-je,«l’as-tuvuedanser?»—«Oui,»réponditTelima.«Elleesttrèsbelle.»—«Danses-tuaussibien?»m’enquis-je.Ellesourit.—«Non,»répondit-elle.—«Sandra,»dis-je,«sembledésireusedemeplaire.»Telimameregarda.—«Moiaussi,»souffla-t-elle,«jedésireteplaire.»Jeriscaruntelcomportementneconvenaitpasdutoutàl’orgueilleuseTelima.—«Tun’hésitespasàrecourir,»fis-jeremarquer,«auxruseslesplusvilesdesesclaves.»Ellebaissalatête.«Lescuisinessont-ellestellementdésagréables?»m’enquis-je.Ellemeregardaaveccolère.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.—«Tuesparfoisdétestable,»dit-elle.Jedétournailatête.—«Tupeuxretournerauxcuisines,»dis-je.Jel’entendisquifaisaitdemi-touretsedirigeaitverslaporte.«Attends!»criai-jeenmeretournant.Et,surleseuil,elleseretournaégalement.Puis,lesmotsquejeprononçainevinrentpasdemoi,maisd’unêtreplusprofondqueceluidont

j’avaisconscience.Pasunefois,depuislejouroùjem’étaisagenouillé,piedsetpoingsliés,devantHo-Hak,detelsmots,involontairesetdésespérés,étaientsortisdemabouche.

«Jesuismalheureux,»dis-je,«etjesuisseul.»Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.—«Moiaussi,»dit-elle,«jesuisseule.»

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Nousnousapprochâmesl’undel’autre,nousnoustendîmeslesmains,nosmainssetouchèrent,jeprissesmainsdanslesmiennes.Puis,désespérés,noussanglotâmesdanslesbrasl’undel’autre.

—«Jet’aime!»m’écriai-je.Etellerépondit:—«Jet’aime,monUbar.Ilyatellementlongtempsquejet’aime.»

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CEQU’ILARRIVA,UNENUIT,APORTKAR

JEserraisdansmesbrasunejeunefilledouce,aimanteetsanscollier.«MonUbar,»soufflaTelima.—«Maître,»rectifiai-jeenl’embrassant.Ellerecula,contrariée.—«Nepréfères-tupasêtremonUbarquemonMaître?»demanda-t-elle.Jelaregardai.—«Si,»dis-je.«Biensûr.»—«Tueslesdeux,»affirma-t-elleenm’embrassant.—«Ubara,»soufflai-je.—«Oui,»dit-elle.«JesuistonUbara…Ettonesclave.»—«Tun’aspasdecollier,»fis-jeremarquer.—«LeMaîtrel’aretiré,»dit-elle,«afindepouvoirplusaisémentembrassermagorge.»—«Oh,»fis-je.—«Oh!»s’écria-t-elle.—«Qu’ya-t-il?»demandai-je.—«Rien,»répondit-elleenriant.Jetouchai,sursondos,lescinqmarqueslaisséesparlebâtonduMaîtredeCuisine.«Ilyaquelquesheures,»dit-elle,«j’aidépluàmonMaîtreetj’aiétébattue.»—«Jem’excuse,»fis-je.Ellerit.— « Comme tu es stupide, parfois, mon Ubar ! Je suis partie sans demander la permission et,

naturellement, j’aiétébattue.»Ellemeregardaetrit.«J’aisouventméritéd’êtrebattue,»reconnut-elle,«maisjenel’aipastoujoursété.»

TelimaétaitGoréennejusqu’autréfondsd’elle-même.Encequimeconcernait,jeresteraistoujours,partiellementdumoins,originairedelaTerre.Jelaserraidansmesbras.Jenepourraisjamais,medis-je, envoyer cette jeune femme sur Terre. Dans ce désert surpeuplé d’hypocrisie et de violencehystérique,insensée,ellesefanerait,sedessécherait,commeuneplanterareetbelledesmaraisquel’onauraitarrachéepourlaplanterdansunsolrocailleux.

«Es-tuencoretriste,monUbar?»demanda-t-elle.—«Non,»répondis-jeenl’embrassant.«Non.»Ellemeregarda,tendrement.Puisellemecaressalégèrementlajoue.

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—«Nesoispastriste,»dit-elle.Jeregardaiautourdemoietretrouvailebraceletenor.Jeleglissaiàsonbras.Ellesedressad’unbond,surlesfourruresdelacouche,etlevalebrasgauche.«JesuisuneUbara!»s’écria-t-elle.—«Engénéral,»fis-jeremarquer,«lesUbarasneportentpasseulementunbraceletenor.»—«Surlacouchedel’Ubar?»s’enquitTelima.—«Ehbien,»fis-je,«jedoisreconnaîtrequejel’ignore.»—«Moiaussi,»fitTelima.Ellemeregardad’unair rusé.«Jeposerai laquestionà lanouvelle

esclavedescuisines,»déclara-t-elle.—«Tuvasvoir!»criai-je,tendantlebrasverssacheville.Ellereculavivementpuiss’immobilisa,majestueuse,surlesfourrures.—«Commentoses-tutraitertonUbaradelasorte,Esclave?»s’enquit-elle.—«Esclave?»m’écriai-je.—«Oui,»insista-t-elle,«Esclave!»Jecherchailecollierquejeluiavaisretiré.«Non,non!»s’écria-t-elle,enriant,perdantpresquel’équilibre.Puisjeretrouvailecollier.«Tunepourraspasmelemettre!»cria-t-elle.Elles’enfuit,rieuse,etjemelançaiàsapoursuite.Ellecourutde-ci,de-là,m’évita,sanscesserde

rire,maisjeparvinsàlabloquerdansuncoindelapièce,lesbrasimmobilisésentrelemuretsoncorps,puis refermai le collier sur son cou. Je la pris dansmesbras, la portai à la couche et la jetai sur lesfourrures.

Elletirasurlecollier,lesyeuxfixéssurmoi,commesielleétaitfurieuse.Jeluiimmobilisailespoignets.«Tunepourrasjamaismedompter!»siffla-t-elle.Jel’embrassai.—«Ehbien,»dis-je,«toi,tupourraspeut-êtremedompter.»Jel’embrassaiànouveau.—«Oh,»fit-elle,lesyeuxlevésversmoi,«jevaispeut-êtrefinirpartecéder.»Jeris.Mais,commesimonrirel’avaitrenduefurieuse,ellesedébattitvigoureusement.« Cela ne m’empêchera pas, » siffla-t-elle entre ses dents serrées, « de résister de toutes mes

forces!»Jerisànouveau,elleritetjelalaissaisedébattrejusqu’àl’épuisementpuis,deslèvres,desmains,

desdentsetdelalangue,jelacaressaijusqu’àcequesoncorps,aimédanssasolitudeetsapassion,selivreaumiendansuneextasecommune.Et,aumomentoùelleallaitse livrer, je lui retirai lecollierd’esclave, afinque son consentement, le jeu ayant pris fin, soit celui d’une femme libre,magnifiquedansledon,impatient,vigoureuxetjoyeux,d’elle-même.

«Jet’aime,»dit-elle.—«Jet’aimeégalement,»dis-je.«Jet’aime,maTelima.»—«Maisparfois,»ajouta-t-elle,«ilfautquetum’aimescommeuneesclave.»—«Lesfemmes!»m’écriai-jeavecexaspération.—«Toutes les femmes, » expliqua-t-elle, « veulent être aimées tantôt commeuneUbara, tantôt

commeuneesclave.»—«Ah?»fis-je.Nousrestâmeslongtempsdanslesbrasl’undel’autre.—«MonUbar?»fit-elle.

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—«Oui?»dis-je.—«Pourquoi,pendantlefestin,tandisqueleChanteurchantait,»demanda-t-elle,«pleurais-tu?»—«Sansraison,»répondis-je.Allongésl’unprèsdel’autre,nousregardionsleplafond.— « Il y a très longtemps, » dit-elle, « quand j’étais petite fille, j’ai entendu parler de Tarl de

Bristol.»—«Danslemarais?»m’enquis-je.—«Oui,» répondit-elle,« il arrivequ’unChanteurvisite les îlesde rence.Mais, lorsque j’étais

esclaveàPortKar,j’aiégalemententenduchanterlesexploitsdeTarldeBristol,danslamaisondemonmaître.»

Telimanem’avait jamaisbeaucoupparléde sesannéesd’esclavage,àPortKar. Je savaisqu’ellehaïssait son maître et qu’elle s’était échappée. Et, comme je l’avais deviné, cette période l’avaitprofondémentmarquée.Danslemarais,j’avaiseulamalchancedefairelesfraisdeseshainesetdesesfrustrationsrentrées.Sesblessuresétaientprofondeset,ayantétémaltraitéeparunhomme,elleavaitconçuledésird’enmaltraiterunàsontour,etcruellement,afinquesessouffrancesrendentplusdoucesavengeanceimaginaire.Telimaétaitunefemmeétrange.Jemedemandai,unefoisdeplus,d’oùluivenait le bracelet en or. Puis je me souvins, et cela me troubla à nouveau, qu’elle avait su lirel’inscriptionquej’avaisfaitgraversursoncollier,ilyavaitbienlongtemps.

Maisjenedisriendecelacarellemeparlaitd’unevoixrêveuse,évoquantsessouvenirs.«Lorsquej’étaispetite,surl’îlederence,»dit-elle,«et,plustard,lanuit,alorsquej’étaisesclave,

dansmacagedelamaisondemonmaître,jenepouvaisdormiretalorsjerêvaisauxchansonsetauxhéros.»

Jeluiprislamain.«Etparfois,»poursuivit-elle,«souventmême,jerêvaisàTarldeBristol.»Jenerépondispas.«Crois-tuqu’ilexiste?»demanda-t-elle.—«Non,»répondis-je.—«Nepourrait-ilpasexister?»demanda-t-elle.Elles’étaitretournéeàplatventreetmeregardait.

J’étaissurledosetregardaisleplafond.—«Dansleschansons,»répondis-je.«Ilnepeutexisterquedansleschansons.»Ellerit.—«Iln’yapasdehéros?»demanda-t-elle.—«Non,»déclarai-je,«iln’yapasdehéros.»Elleneréponditpas.«Iln’yaquedesêtreshumains,»repris-je.Longtemps,jeregardaileplafondensilence.«Lesêtreshumains,»poursuivis-je,«sontfaibles.Ilssontparfoiscruels.Ilssontégoïstes,cupides,

vainsetmesquins.Ilssontparfoisméchantsetbiendeschoses,eneux,sontlaidesetneméritentquelemépris.»Jemetournaiverselle.«Tousleshommes,»déclarai-je,«succombentàlacorruption.Leshérosn’existentpas.TarldeBristoln’existepas.»

Ellemesourit.—«Iln’yaquel’oretl’acier,»dit-elle.—«Etlecorpsdesfemmes,»ajoutai-je.—«Etleschansons,»fit-elle.—«Oui,»admis-je,«etleschansons.»Elleposalatêtesurmonépaule.Faiblement,auloin,retentitungong.

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Bienqu’ilfûttôt,lamaisonétaitpleinedebruits.Deshommescriaientdanslescouloirs.Jem’assissurlacoucheetenfilairapidementmatunique.Despasprécipités,danslecouloir,approchaient.«Malame!»dis-jeàTelima.Elle se leva d’un bond et ramassa l’épée, qui gisait près du mur, à l’endroit où je l’avais jetée

quelquesheurespluttôt,lorsquej’avaisvoululatuer.Jeglissailalamedanslefourreauetenroulailaceinture-baudrierautour.Lespasétaienttoutprochesetonfrappaàmaporte.«Capitaine!»cria-t-on.—«Entre!»répondis-je.Thurnockouvritbrutalementlaporte.Ils’immobilisadanslapièce,lescheveuxenbataille,lesyeux

exorbités,unetorcheàlamain.—«Desnaviresdepatrouillesontrentrés,»dit-il.«LesflottesréuniesdeCosetdeTyrosnesont

qu’àquelquesheuresd’ici!»—«Préparemesnavires!»ordonnai-je.—«Nousn’avonspasletemps,»dit-il.«EtlesCapitainesfuient.Tousceuxquilepeuventquittent

PortKar.»Jeleregardai.«Fuis,Capitaine,»reprit-il.«Fuis!»—«Tupeuxpartir,»dis-je,«Thurnock.»Ilmeregardasanscomprendrepuisfitdemi-tourets’éloignaentrébuchantdanslecouloir.Auloin,

unefillepoussauncrideterreur.Jem’habillaicomplètementetmismonépéeenbandoulièresurl’épaulegauche.—«Prendstesnaviresetleshommesquiterestent,»ditTelima.«Emplistesnaviresdetrésorset

fuis,monUbar.»Jelaregardai.Commeelleétaitbelle!«LaissePortKarmourir!»cria-t-elle.Je ramassai le large rubanécarlate, avecsonmédaillon frappéd’unnavire-tarnetdes initialesdu

ConseildesCapitaines.Jelemisdansmabourse.«LaissePortKarbrûler,»insistaTelima.«LaissePortKarmourir!»—«Tuestrèsbelle,monamour,»dis-je.—«LaissePortKarmourir!»cria-t-elle.—«C’estmaCité,»répondis-je.«Jedoisladéfendre.»Ellepleuraitlorsquejesortisdelapièce.Curieusement, je ne pensais à rien tout enme dirigeant vers la grande salle où s’était déroulé le

festin.Jemarchaiscommeunautomate,sanssavoircequejefaisais.Jesavaiscequejevoulaisfaire,maisjenesavaispaspourquoijevoulaislefaire.Danslagrandesalle,j’euslasurprisedetrouvermesofficiersetmeshommesassemblés.Ilsétaienttouslà.Jeregardailesvisages:l’immenseThurnock,quis’étaitcalmé,Clitus,rapideetpuissant,leMaître

deNagerusé, lesautres.Beaucoupétaientdesbandits,despirates,desassassins. Jemedemandaicequ’ilsfaisaientdanscettesalle.

Uneportelatérales’ouvritetTabentra,sonépéeenbandoulièresurl’épaulegauche.«Excuse-moi,Capitaine,»dit-il,«j’étaissurmonnavire.»Nousnousregardâmessansrancune.Puisjesouris.—«J’aidelachance,»dis-je,«d’avoirunsecondaussidiligent.»

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—«Capitaine!»fit-ilens’inclinantlégèrement.—«Thurnock,»repris-je,«n’ai-jepasdonnél’ordredepréparermesnavires?»Thurnocksourit,découvrantsesdents,dontunemanquait,enhautetàdroite.—«C’estentrain!»répondit-il.Quepouvait-onleurdire?SilesflottesréuniesdeCosetdeTyrosétaienteffectivementpresquesur

nous,nousnepouvionsquefuir,oubiencombattre.Danslesdeuxcas,nousn’étionspasprêts.Mêmesilafortunequej’avaisrapportéedelaflottedutrésoravaitétéutiliséeimmédiatement,nousn’aurionspaspu,enunepériodeaussibrève,mettresurpieduneflottecomparableàcellequis’abattaitsurnous.

—«Àtonavis,»demandai-jeàTab,«quelleestl’importancedesflottesdeCosetdeTyros?»Iln’hésitapas.—«Quatremillenavires,»dit-il.—«Desnavires-tarns?»—«Tous,»répondit-il.Sonestimationcorrespondaitparfaitement aux rapportsdemesespions.La flotte se composerait,

selonmesinformations,dequatremilledeuxcentsnavires,deuxmillecinqcentsappartenantàCosetmilleseptcentsfournisparTyros.Surcesquatremilledeuxcents,millecinqcentsétaientdesgalèresdeclassesupérieure,deuxmilledesgalèresdeclassemoyenneetseptcentsdesgalèreslégères.Unfiletd’unecentainedepasangsdelargeserefermaitsurPortKar.

Apparemment,seuleladatedudépartdelaflotteavaitéchappéàmesespions.Jeris,toutefois,carje ne pouvais pas le leur reprocher.Ce type d’information reste généralement secret.Enoutre, il estpossible de préparer et de lancer les navires très rapidement, si le matériel et les équipages sontdisponibles. Suivant en cela le Conseil, j’avais apparemment fait une mauvaise estimation desdommagescauséspar la capturede la flottedu trésor auxplansdeguerredeCos etdeTyros.Nousavionspenséquelaflotteneprendraitpasledépartavantleprintemps.Enoutre,onétaitenSe’Kara,c’est-à-dire qu’il était tard pour lancer des navires-tarns. L’essentiel de la navigation, sauf en ce quiconcerne les navires ronds, se déroule au printemps et en été. EnSe’Kara, surtout à la fin dumois,Thassaestparfoismauvaise.

Nousavionsétéprisparsurprise.Ilétaitdangereuxdenousattaqueràcemoment-là.Danscecoupd’audace, jenevoyaispaslamaindeLurius,UbardeCos,maiscelledeChenbardeKarsa,UbardeTyros,leSleendelaMer.

Jel’admirais.C’étaitunboncapitaine.—«Qu’allons-nousfaire?»demandaundemescapitaines.—«Queproposes-tu?»demandai-jeavecunsourire.Ilmeregardaavecstupéfaction.—«Iln’yaqu’uneseulechoseàfaire,»répondit-il,«préparernosnavires,ychargernostrésorset

nosesclaves,puisfuir.Noussommespuissantsetnouspourronsnousemparerd’uneîle,unedesîlesduNord.TupourrasyêtreUbaretnousseronsteshommes.»

—«DenombreuxCapitaines,»renchéritunautre,«sontdéjàpartispourlesîlesduNord.»—«Etd’autres,»ajoutauntroisième,«pourlesportsausud.»—«Thassaestimmense,»ditunautreofficier.«Ilyabeaucoupd’îles,beaucoupdeports.»—«EtPortKar?»demandai-je.—«Ellen’apasdePierreduFoyer,»ditl’und’eux.Je souris.C’était vrai. PortKar, seule de toutes les cités deGor, n’avait pas dePierre duFoyer.

J’ignoraissiseshabitantsnel’aimaientpasparcequ’ellen’avaitpasdePierreduFoyeroubiensiellen’avaitpasdePierreduFoyerparcequ’ilsnel’aimaientpas.

L’officier avait proposé, aussi clairement que possible, d’abandonner la cité aux flammes et aupillagedesmarinsdeCosetdeTyros.

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PortKarn’avaitpasdePierreduFoyer.—«Combiend’entrevous,»demandai-je,«pensentquePortKarn’apasdePierreduFoyer?»Leshommesseregardèrent,troublés.Toussavaient,naturellement,qu’ellen’avaitpasdePierredu

Foyer.Lesilencesefit.Puis,auboutd’unmoment,Tabdéclara:—«Àmonavis,elledevraitenavoirune.»—«Mais,»dis-je,«ellen’enapasencore.»—«Non,»réponditTab.—«Jemedemande,»ditunofficier,«queleffetcelaferaitd’habiteruneCitépossédantunePierre

duFoyer.»—«CommentuneCitépeut-elles’enprocurerune?»demandai-je.—«Leshabitantsdécidentd’enavoirune,»réponditTab.—«Oui,»répondis-je,«c’estainsiqu’uneCitéseprocureunePierreduFoyer.»Leshommesseregardèrent.«AllezchercherPoisson,lejeuneesclave!»Leshommesseregardèrentsanscomprendre,maisonallachercherlejeunegarçon.J’étais certain que les esclaves ne s’étaient pas enfuis. Ils n’auraient pas pu. L’alarme avait été

donnéependantlanuitet,lanuit,dansunemaisongoréenne,lesesclavessontgénéralementenfermés;dansmaMaison,pourplusdesûreté,jefaisaisenchaînerlesesclaves;Midiceelle-même,aprèss’êtreserrée contre moi sur les fourrures d’amour, lorsque j’en avais terminé avec elle, était toujoursenchaînée par la cheville droite à l’anneau d’esclave scellé dans la partie inférieure de la couche.Poissonétaitenchaînédanslacuisine,encompagniedeVina.

Lejeunegarçon,blême,inquiet,futpoussédanslapièce.«Sors,»luidis-je,«ramasseunepierreetrapporte-la.»Ilmeregarda.«Dépêche!»lepressai-je.Ilpivotasurlui-mêmeetsortitencourant.Ensilence,nousattendîmes son retour. Il rapportaunepierreunpeuplusgrossequemonpoing.

C’étaitunepierreordinaire,pastrèsgrosse,griseetlourde,granuleuse.Jelapris.«Uncouteau!»dis-je.Onm’entenditun.Jegravai,surlapierre,enmajusculesgoréennes,lesinitialesdePortKar.Puis,lapierreàlamain,jetendislebras.Jemontrailapierreauxhommes.«Qu’est-cequejetiens,dansmamain?»demandai-je.Tabrépondit,d’unevoixtranquille:—«LaPierreduFoyerdePortKar.»—«Maintenant,»dis-je,metournantversl’hommeselonlequelilnenousrestaitplusqu’àfuir,

«devons-nousfuir?»Ilregardalapierred’unairindécis.—«Jen’aijamaiseudePierreduFoyer,»dit-il.—«Devons-nousfuir?»répétai-je.—«Non,»répondit-il,«passinousavonsunePierreduFoyer!»Jelevailapierre.—«Avons-nousunePierreduFoyer?»demandai-jeauxhommes.

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—«Jereconnaisquec’estmaPierreduFoyer,»déclaraPoisson,lejeuneesclave.Leshommesnerirentpas.Cen’étaitqu’unjeunegarçon,unesclave,maisilavaitétélepremierà

acceptercettePierreduFoyer,etilavaitparlécommeunUbar.—«Moiaussi!»criaThurnockd’unevoixtonitruante.—«Moiaussi!»ditClitus.—«Moiaussi!»s’écriaTab.— « Moi aussi ! » crièrent les hommes rassemblés dans la salle. Et, soudain, des cris de joie

retentirentetplusdecent lames jaillirentde leursfourreauxafindesaluer laPierreduFoyerdePortKar.Devieuxmarinspleuraientenbrandissantleurarme.Ilyavaitunetellejoie,danscettesalle,quejen’enavaisjamaisvueautant.Etilyavaitdelaferveur,unsentimentdevictoire,delaprofondeur,descris,lefracasdesarmes,etdeslarmes,danscetinstantd’amour.

JecriaiàThurnock:—«Détachelesesclaves!Qu’ilsserépandentenville:surlesquais,danslestavernes,àl’arsenal,

surlesplacesetlesmarchés,partout!Dis-leurd’annoncerlabonnenouvelle!Dis-leurd’annoncerquePortKaraunePierreduFoyer!»

Deshommespartirentenhâteafind’exécutermesordres.«Officiers,»criai-je,«àvosnavires!Mettez-vousenlignedevantleport,quatrepasangsàl’ouest

desquaisdeSevarius.»«ThurnocketClitus,»criai-je,«restezici!»—«Non!»crièrent-ils.—«Restez!»ordonnai-je.Ilsmeregardèrentavecconsternation.Jenepouvaispaslesenvoyeràlamort.J’étaisconvaincuquePortKarneseraitpasenmesurede

réunirassezdenavirespourrepousserlesflottesconjuguéesdeCosetdeTyros.Jeleurtournailedoset,aveclapierre,sortis.Devant la demeure, sur la large promenade qui bordait la façade, au bord du port intérieur qui

donnaitsurlecanal,j’ordonnaiqu’onprépareunebarquerapideàlaproueenformedetharlarion.Del’endroitoùjemetrouvais,àl’intérieurdemademeure,j’entendaisdesgenscrierquePortKar

possédaitunePierreduFoyeretjevoyaisdestorches,lelongdescanaux,surlesétroitspassagesquilesbordent.

«Ubar,»ditunevoix,derrièremoi.JemeretournaietprisTelimadansmesbras.«Pourquoirefuses-tudefuir?»supplia-t-elle,lesyeuxpleinsdelarmes.—«Écoute,»répondis-je.«Entends-tu?Comprends-tucequ’ilscrient?»—«IlscrientquePortKaraunePierreduFoyer,»répondit-elle,«maisPortKarn’enapas.Tout

lemondelesait.»—«SileshabitantsveulentquePortKaraitunePierreduFoyer,»déclarai-je,«alorselleenaura

une.»—«Fuis,»pleura-t-elle.Jel’embrassaietbondisdanslabarque,quis’étaitarrêtéeauborddelapromenade.Àlagaffe,leshommesl’enéloignèrent.«ÀlaSalleduConseildesCapitaines!»leurdis-je.Latêtedetharlariondelabarquesetournaverslecanal.Jemeretournaiet,delamain,fisaurevoiràTelima.Ellesetenaitprèsdel’entréedemademeure,

vêtueenEsclavedeCuisine,souslestorches.Ellelevalamain.Puisjem’assisdanslabarque.JeremarquaiquePoisson,lejeuneesclave,manœuvraitunegaffe.«Cequinousattendmaintenant,»dis-je,«estuntravaild’homme.»

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Ilrentralagaffe.—«Jesuisunhomme,»affirma-t-il,«Capitaine.»JeconstataiqueVinasetenaitprèsdeTelima.MaisPoissonneseretournapas.LabarquesuivitlescanauxdePortKarendirectiondelaSalleduConseildesCapitaines.Ilyavaitdestorchespartoutettouteslesfenêtresétaientéclairées.Autourdenous,dans toute laville, retentissait lecri,semblableàuneétincellequienflammait le

cœurdeshommes:«PortKaraunePierreduFoyer!»Unhommesetenaitsurlecheminbordantlecanal,unpaquetsurledos,attachéàunelance.«Est-cevrai,Amiral?»cria-t-il.«Est-cevrai?»—«Situleveux,»répliquai-je,«ceseravrai!»Ilmeregardad’unairindécis,puislabarqueglissasurlecanal,ledépassant.Jetantuncoupd’œilderrièremoi,jeconstataiqu’ilavaitjetésonpaquet,neconservantquelalance,

etnoussuivaitàpied.«PortKaraunePierreduFoyer!»criait-il.D’autress’arrêtèrentetluiemboîtèrentlepas.Lescanauxquenoussuivionsétaientencombrés,surtoutdepetitesbarquesàlaproueenformede

têtedetharlarion,chargéesdemarchandises,quiallaientdanstouslessens.Tousceuxquilepouvaient,apparemment,fuyaientPortKar.

J’avaisentendudireque,surdegrandsnavires,descentainesd’habitantsavaientdéjàprislameretque,surlesquais,unefouleinnombrableétaitprêteàpayerdessommesexorbitantespourquitterPortKar.Denombreuxcapitaines,medis-je,vontfairefortunecettenuit.

«Laissezpasser l’Amiral!»cria l’hommequise tenaità laprouedelabarque.«Laissezpasserl’Amiral!»

Desvisagesempreintsdeterreursemontrèrentauxfenêtres.Deshommescouraientsurlesétroitspassagesbordantlescanaux.Jevislesyeuxbrillantsdesurts,lenezetlatêtefendantleseauxéclairéesparlestorches,silencieusement,leursoreillespointues,soyeuses,colléessurlatête.

«Laissezpasserl’Amiral!»crial’hommequisetenaitàlaprouedelabarque.Nosramesheurtèrentcellesd’uneautreembarcation,puisnousnouséloignâmes.Desenfantspleuraient.Unefemmehurla.Deshommescriaient.Partout,dessilhouettesnoires,un

paquet sur le dos, suivaient furtivement les canaux. Presque tous les bateaux que nous dépassâmesétaientpleinsdemarchandisesetdepassagersterrifiés.

Presquetousceuxquenousdépassâmesdemandèrent:«Est-ilvrai,Amiral,quePortKaraunePierreduFoyer?»Etjerépondis,commeaupremierquim’avaitposélaquestion:—«Sivouslevoulez,ceseravrai!»Letimonierd’unebarquefitdemi-tour.Desdeuxcôtésducanal,delonguesfilesdetorchesnoussuivaientetdesbarques,àleurtour,nous

suivirent.«Oùallez-vous?»demandaunhommepenchéàunefenêtre,àlafoulequipassaitsouslui.—«ÀlaSalleduConseildesCapitaines!»réponditundeshommesquisuivaientlecanal.«On

ditquePortKaramaintenantunePierreduFoyer!»Puis,derrièremoi,deshommescrièrent:«PortKaraunePierreduFoyer!PortKaraunePierreduFoyer!»Cecrifutreprispardesmilliersdevoixet,partout, jevisdeshommesinterrompreleurfuite,des

barquesfairedemi-touretd’autreshommessortirdesimmeublesetenvahirlespromenadesbordantles

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canaux.Lespaquets furent abandonnés, les armes furentdégainéeset,derrièrenous,parmilliers, leshabitantsdePortKarnoussuivirentjusqu’àlagrandeplacedevantlaSalleduConseildesCapitaines.

L’hommequisetenaitàlaprouedemabarquen’avaitpasencoreamarrécelle-ciauxbittesdelaplacequej’avaisdéjàbondisurlequaietmedirigeais,àgrandspas,monmanteauvirevoltantautourdemoi,surlesgrandspavésdel’immenseplace,versleportaildelaSalleduConseildesCapitaines.

Deux membres de la Garde du Conseil, qui se tenaient sous les deux grosses torches éclairantl’entréedelasalle,semirentaugarde-à-vous,leurlancefrappantlesol.

Jelesdépassaietpénétraidanslasalle.Desbougiesbrûlaientsurplusieurstables.Desfeuillesdepapiertramaientparterre.Ilyavaitpeu

deScribesetdepages.Surlesquatre-vingtsoucentvingtCapitainesquiassistaientordinairementauxdélibérationsduConseil,seulstrenteouquaranteétaientprésents.

Et,aumomentoùj’entrai,deuxoutroisquittèrentlasalle.LeScribe,hagard,assisderrièrelagrandetablesurlaquellesetrouvaitlegrandLivreduConseil,

meregarda.Jejetaiuncoupd’œilcirculaire.LesCapitainesétaientassis,silencieux.Samosétaitlà.Iltenaitsatêteauxcheveuxblancs,courts,

entresesmains,etsescoudesreposaientsursesgenoux.DeuxautresCapitainesselevèrentetquittèrentlasalle.L’und’entreeuxs’arrêtaprèsdeSamosetdit:«Préparetesnavires,ilestencoretempsdefuir.»Samos,d’ungeste,l’écarta.Jem’assisàmaplace.«Jedemande,»dis-jeauScribe,commes’ils’agissaitd’uneséanceordinaire,«àprendrelaparole

devantleConseil.»LeScribefutstupéfait.LesCapitaineslevèrentlatête.—«Parle,»ditleScribe.—«Combiend’entrevous,»demandai-jeauxCapitaines,«sontprêtsàassurer ladéfensede la

Cité?»Bejar,auxcheveuxlongsetraides,étaitlà.— «Ne plaisante pas, » dit-il, « Capitaine ! » Sa voix exprimait l’irritation. « Presque tous les

Capitainesontdéjàfui.Toutcommedescentainesdepetitscapitaines.Naviresrondsetnavireslongsquittentleport.Tousceuxquienontlapossibilitéfuient.Lavilleestlivréeàlapanique.Aucunnaviren’estenétatdecombattre.»

—«Lesgens,» renchéritAntisthenes,« fuient. Ilsnecombattrontpas. IlssontvraimentdePortKar.»

—«QuisaitcequiappartientvéritablementàPortKar?»demandai-jeàAntisthenes.Samoslevalatêteetmeregarda.—«Lesgensfuient,»affirmaBejar.—«Écoutez!»criai-je.«Ecoutez!Ilssontdehors.»LesmembresduConseillevèrentlatête.Malgrélesmursépaisetleshautesfenêtresétroitesdela

SalleduConseildesCapitaines,ilsentendirentlescristonitruantsdelafoule.Bejartirasonépéedesonfourreau:—«Ilsveulentnoustuer!»s’écria-t-il.Samoslevalamain.—«Non,»dit-il.«Ecoutez!»—«Quecrient-ils?»demandaunCapitaine.

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Unpageentraprécipitammentdanslasalle.—«Lafoule,»cria-t-il,«s’estrassembléesurlaplace!Avecdestorches!Ilyadesmilliersde

personnes!»—«Quecrie-t-elle?»demandaBejar.—«Ellecrie,»ditlejeunegarçonessoufflé,vêtudesoieetdevelours,«ellecrie:«PortKaraune

PierreduFoyer!».Oui,ellecriecela.»—«PortKarn’apasdePierreduFoyer,»déclaraAntisthenes.—«Elleenaune!»répondis-je.LesCapitainesmeregardèrent.Samosserenversasursonsiègeetpoussaunriretonitruant,martelantlesbrasdesachaisecurule.PuislesautresCapitaines,àleurtour,éclatèrentderire.—«PortKaraunePierreduFoyer!»criaSamosenriant.—«Jel’aivue,»affirmaunevoix,prèsdemoi.Je fus stupéfait. Jeme retournai et constatai, avec étonnement, que Poisson, le jeune esclave, se

tenaitprèsdemoi.Lesesclavesn’ontpasledroitdepénétrerdanslaSalleduConseildesCapitaines.Ilm’yavaitsuivi,passantprèsdesgardesàlafaveurdel’obscurité.

—«Qu’ons’emparedel’esclaveetqu’onlebatte!»crialeScribe.Samos,d’ungeste,lefittaire.—«Quies-tu?»demandaSamos.—«Unesclave,»réponditlejeunegarçon.«Jem’appellePoisson.»Leshommesrirent.«Mais,»ajoutalejeunegarçon,«j’aivulaPierreduFoyerdePortKar.»—«PortKarn’apasdePierreduFoyer,jeunehomme,»déclaraSamos.Alors,desousmesvêtements,jesortislentementl’objetquej’yavaiscaché.Personneneditmot.

Touslesregardssefixèrentsurmoi.Jedéroulailentementlasoie.—«VoicilaPierreduFoyerdePortKar,»ditlejeunegarçonàSamos.Leshommesrestèrentsilencieux.PuisSamosdit:—«PortKarn’apasdePierreduFoyer.»—«Capitaines,»dis-je,«suivez-moisurleperrondelaSalleduConseil.»Ils me suivirent et je sortis de la Salle du Conseil puis m’immobilisai au sommet des grandes

marchesdemarbrequiyconduisaient.«C’estBosk!»crialafoule.«C’estBosk,l’Amiral!»Jeregardailesmilliersdevisages,lescentainesdetorches.J’aperçus les canaux, au loin, au-dessus des têtes de la foule massée jusqu’aux eaux bordant la

place.Et,surceseaux,sepressaientdescentainesdebateauxpleinsd’hommesmunisdetorches,dontlesflammessereflétaientsurlesmursdesimmeublesetdansl’eau.

Jenedisrien.Jeregardailongtempslafoule.Puis,soudain,jelevailebras,brandissant,au-dessusdematête,laPierre.« Je l’ai vue ! » cria unhomme, les yeuxpleins de larmes. « J’ai vu laPierre duFoyer dePort

Kar!»«LaPierreduFoyerdePortKar!»crièrentdesmilliersdevoix.«LaPierre!»Il y eut des acclamations assourdissantes, des hurlements, des cris, on brandit les torches et les

armes. Des hommes pleuraient. Des femmes aussi. Des pères soulevèrent leurs enfants afin qu’ilspuissentvoirlaPierre.

Jecroisquelescrisdejoiequis’élevèrentsurlaplaceontdûporterjusqu’auxtroislunesdeGor.—«Jevois,»ditSamos,quisetenaitprèsdemoi,d’unevoixétoufféeparlevacarmedelafoule,

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«quePortKaraeffectivementunePierreduFoyer.»—«Tun’aspasfui,»dis-je,«d’autresn’ontpasfuietlepeuplen’apasfui.»Ilmeregarda,troublé.«Jecrois,»déclarai-je,«quePortKartatoujourseuunePierreduFoyer.Maisonvientseulement

delaretrouver.»Nousregardâmeslafouleimmensequijubilaitetpleurait.Samossourit.—«Ilmesemble,»dit-il,«Capitaine,quetuasraison.»Près de moi, les yeux pleins de larmes, se tenait le jeune esclave, Poisson. Les hommes qui

formaientlafouleavaientégalementlesyeuxpleinsdelarmes.Ilyeutdenombreuxcrisdejoieetd’allégresse.«Oui,Capitaine,»ditSamos.«Ilmesemblequetuasraison.»

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COMMENTBOSKCONDUISITLESAFFAIRESDEPORTKARSURTHASSA

JEmetenaisdanslanacelleinstablefixéeausommetdumâtduDorna,lalunettedesConstructeursàlamain.

C’étaitunspectaclemagnifique,cesimmenseslignesdenavires,auloin,quis’étendaientd’unboutàl’autredel’horizon,lesvoilessemblablesàdesdrapeauxjaunesetmauves,parmilliers,souslesoleildelaneuvièmeheuregoréenne,uneahnavantmidi,bienqu’ellesvinssentpournousattaquer.

PortKaravaitrassemblétouslesnaviresdisponibles.Compte tenu de la hâte de notre formation et de la mise au point des plans de bataille, je ne

connaissais même pas avec précision le nombre de navires engagés dans les diverses opérations.Toutefois, je crois pouvoir affirmerquenousdisposions, aumomentde labataille, d’unpeuplusdedeuxmillecinqcentsnavires,dontplusdemillequatrecentsétaientdesnaviresronds,contrelesflottesréuniesdeCosetdeTyros, lesquelles réunissaientquatremilledeuxcentsunités, toutesdesnavires-tarns,etquiapprochaientparl’ouest.Nousavionspratiquementtouslesnaviresdeguerredisponiblesdel’Arsenal,soitapproximativementcinqcents,dedifférentesclasses.L’arsenalencontenaitunaussigrandnombreparcequelasaisonétaittrèsavancée.Commejel’aipeut-êtredéjàsignalé,surGor,onnavigueprincipalementauprintempsetenété,surtoutlesnavires-tarns,quitiennentmallamerpargrostemps. Seuls les navires ronds effectuent encore des sorties en automne, et les différentes flottes ducommercen’étaientdoncpasdisponibles.Incidemment,ellesrisquaientpeud’êtreattaquéessansleurescortehabituelle,lemauvaistempsétantlemêmepourlesnavires-tarnsadverses!Nousavionsquandmêmerécupérésoixantenaviresrondsqui,pourdesraisonsdiverses,setrouvaientàcemoment-làdansl’arsenal.

Enoutre, notre flotte comprenaitmille cinq centsnavires fournispardes capitainesprivés, petitscapitainesdePortKar,quiétaientengrandemajoritédesnaviresronds, troiscentsseulementd’entreeux étant des navires de guerre. De plus, nous avions quatre cent cinquante navires fournis par lesCapitainesduConseilquin’avaientpasfuiavantlaprésentationdelaPierreduFoyer.Surcesquatrecent cinquante navires, trois cents environ, heureusement, étaient des navires-tarns. Mes navirespersonnels étaient comptés dans ceux des Capitaines du Conseil. Enfin, j’acceptai avec joie, maiségalementavecétonnement,lestrente-cinqnaviresproposéspardeuxdesUbarsdePortKar,vingtdelapartdeChung,trapuetbrillant,etquinzedelapartdeNigel,grandetauxcheveuxlongs,semblableàunseigneurdeguerredeTorvaldsland.C’étaientlesseulsnaviresqu’illeurrestaitaprèslesincendies

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d’En’Kara. Eteocles et Sullius Maximus n’avaient fourni aucun navire à la flotte, tout comme,naturellement,Claudius,régentd’HenriusSevarius.

Sansladécouverte,pourainsidire,delaPierreduFoyerdePortKar,nousn’aurionssansdoutepaspuopposerplusdesixcentsnaviresauxflottesdeCosetdeTyros.

JerefermailalunettedesConstructeursetregagnai,parl’étroiteéchelledecorde,lepontduDorna.Aumomentdeposerlepiedsurlepont,jeconstataiquePoisson,lejeuneesclave,setenaitprèsdu

mât.«Jet’aiordonné,»criai-je,«deresteràterre!»—«Tumebattrasaprès,»répliqua-t-il,«Capitaine.»—«Qu’onluidonneuneépée!»dis-je.—«Merci,Capitaine!»s’écrialejeunegarçon.Àgrandspas,jemedirigeaiverslechâteauarrièreduDorna.«Salut,MaîtredeNage,»dis-je.—«Salut,Capitaine!»répondit-il.Jegravislesmarches,traversailepontdestimoniersetgagnailepontducapitaine.J’examinailasituation.Derrière, sur unemême ligne, à une centaine demètres les uns des autres, se trouvaient quatre

navires-tarnsdePortKar,suivisdequatreautresetdequatreautresetdequatreencore.Parconséquent,leDornaconduisaituneformationrelativementserréedeseizenavires-tarns.C’étaitunedescinquanteforcesd’interventioncomparables,dont l’ensemble représentaithuit centsnavires.La flotteennemie,afindebloquerlasortiedePortKar,s’étaittrèslargementdéployée.Sesnaviresétaienttrèsespacésetsurquatre lignesseulement.Nosgroupesdeseizenavires,disposésde tellefaçonqu’ilspouvaientsesouteniretnonsegêner,pourraientaisémentcouperceslignes.Nousavionsl’intentiondelescouperencinquante endroits. Aussitôt après avoir coupé les lignes ennemies, nos navires se diviseraient engroupesdedeuxetattaqueraient,danslamesuredupossible,parl’arrière,maistoujoursconjointement.Chaque paire choisirait un navire et, tandis que celui-ci manœuvrerait pour attaquer le premier, lesecondfrapperait.Lereste,l’immensemajoritédelaflotte,resterait,provisoirementdumoins,àl’écart,excluedescombats.Encoreunefois,leproblèmenerésidaitpastantdanslenombreabsoludenaviresque dans la concentration d’un nombre supérieur aux endroits stratégiques. Leurs lignes ayant étécoupéesencinquanteendroits,carquelquesnavires-tarnséloignéslesunsdesautresnepeuventrésisteràune formation serréede seizenavires-tarns, j’espérais quedenombreusesunités feraient demi-tourafin de faire face aux agresseurs, qui se trouveraient alors derrière eux. Chacune de mes cinquanteformations de navires-tarns serait suivie, environ une demi-ahn plus tard, par un groupe de deuxnavires-tarnsqui,jel’espérais,parviendraientàprendrelesnaviresdeCosetdeTyros,quiviendraientdefairedemi-tour,àrevers.Jen’avaispasoubliéqueleDorna,dansdesconditionssimilaires,s’étaitmontré particulièrement efficace. Les paires d’origine, provenant des cinquante groupes de seizenavires-tarns,aprèsavoircoupéleslignesetcombattu,franchiraientunenouvellefois,sipossible,ceslignes,revenantversPortKar,etutiliseraientlamêmetactique.Toutefoisj’étaispersuadéque,dansdenombreuxcas,nousneparviendrionspasàcouper les lignespardeux fois.LesnaviresdeCosetdeTyrosauraient,àcemoment-là,resserréleurformation.Aprèslepremierpassage,jecomptaissurunebataillegénéralisée,saufsilesgroupesdedeuxnavirespouvaientcontinuerdecombattreencommun.La désignation de groupes de deux, incidemment, etmon refus de combattre isolément, si possible,mêmedevantunadversaireennombreégal,constituaientapparemmentunenouveauté,danslaguerremaritimegoréenne,bienqueleprincipedelapaire,surunebaseplusinformelle,fûtaussiancienquelatactiquedutriangle,utilisée,ons’ensouvientpeut-être,parceuxdemesnaviresquiavaientattaquélereste de l’escorte de la flotte du trésor. J’avais égalementmis au point un système de signaux grâceauxquelsmesnavires,ceuxdelaforced’interventionetlesautres,pourraient,silespairessetrouvaient

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séparées, changer de partenaire, conservant ainsi la possibilité d’attaquer par deux les navires isolésmêmesilespairesd’originesetrouvaientséparées.

Les deux premières vagues d’assaut se composaient, par conséquent, de cinquante forcesd’interventionde seize navires-tarns suivies, unedemi-ahnplus tard, de cinquante paires de navires-tarns.Celasignifiequelapremièrevaguecomprenaithuitcentsnaviresetlasecondecent.

Celamelaissaitenvirondeuxcent trente-cinqnavires-tarnsetungrandnombre,millequatrecentdix,naviresronds.

Je fis signe aux seize navires-tarns qui me suivaient de continuer leur route. Ils s’éloignèrent,signalantqu’ilsavaientreçumonmessage.LeDornas’écarta.

J’auraispréférélesaccompagnermais,entantquecommandantenchef,celam’étaitimpossible.La troisième vague, qui partirait une ahn après la seconde, serait une longue ligne constituée de

millequatrecentsnaviresronds.J’espéraisque,aumomentoùellearriveraitaucœurdelabataille,lesflottes de Cos et de Tyros auraient réduit l’étendue de leurs lignes et se seraient concentrées. Parconséquent, lesmille quatre cents navires ronds seraient peut-être enmesure de les déborder, de lesencerclerpuisd’attaquersurlesflancs,lesprenantsousundélugedejavelinesenflammées,depierresbrûlantes,depoixbouillanteetdecarreauxd’arbalètequipouvaitserévélerextrêmementdévastateur.Enoutre,lorsquelesnaviresdeCosetdeTyrossetourneraientcontrecesnaviresronds,ilsrisquaientd’avoirunesurprise.LesramesétaientconfiéesàdescitoyensdePortKaroubienàdesesclavesarmésetnonenchaînés,impatientsdecombattrepourleurlibertéetlaPierreduFoyerd’uneCité.SeulslesesclavesoriginairesdeCos,deTyrosoudeleursalliéesavaientétélaissésàterre,enchaînésdanslesentrepôtsdePortKar.Enoutre, indépendammentdu faitque lescalesétaientpleinesd’hommesnonenchaînésetarmés,cesnaviresrondsregorgeaientd’hommesarmésetvigoureux,citoyensdePortKarqui tenaient àparticiper à labataille.Ceséquipagesétaientmunisdegrappinset chaquenavire ronddisposaitdedeuxplanchesàclous,aumoins.Ils’agit,enfait,deplanchesdedébarquementd’environunmètre cinquante de large, dont une extrémité est fixée au navire rond et dont on bascule l’autre,muniedegrosclous,surlepontdunavireennemi.Lesnaviresrondsétantplushautssurl’eauquelesnavires-tarns, il est possible d’utiliser cette technique. En général, évidemment, c’est le navire rond,avec son équipage peu nombreux d’hommes libres, qui s’efforce d’éviter l’abordage. Mais j’étaisconvaincuquelesnavires-tarnsquitenteraientdelesaborderseraientenvahispardeshordesd’hommesarmésetsetrouveraient,parconséquent,contretouteattente,eux-mêmesabordés.Nousavionsentassé,surcesnaviresronds,beaucoupplusd’hommesarmésquen’encontientordinairementunnavire-tarnde classe supérieure. La stratégie la plus répandue, en ce qui concerne les navires ronds, consiste àcasserleursramesdufaitque,engénéral,onnetientpasàlescouler,puisqu’ilsfontpartiedubutin.Cettestratégie,toutefois,comptetenudescirconstances,joueraitennotrefaveur.Et,silesnavires-tarnsdeCosetdeTyrosutilisaient leuréperon,nousespérionsque,avantqu’ilsn’aientpu ledégager, lesgrappinset lesplanchesàclousentreraient enaction.Enoutre,naturellement, lesnombreuxarchers,ainsiquelesresponsablesdesonagres,desbalistesetdescatapultestireraientsansrelâcheunepluiedeprojectilesquiseraitd’autantplusdévastatricequeladistanceseraitréduite.J’espéraisquemesnaviresronds, avec leurs nombreux équipages d’hommes libres, leurs esclaves comptant sur unaffranchissementpossible,leurartillerieetleurspossibilitésd’abordagepourraientrésisterauxnavires-tarnsdeclassesupérieure.Enfait,plutôtqu’uncombatnaval,ilstenteraientdes’approcherdel’ennemipuis,grâceauxgrappinsetauxplanchesàclous,del’aborderetderéaliserunebatailleterrestresurmer.

Ma quatrième vague se composait de cinquante navires-tarns, qui avaient reçu l’ordre de ne pasbaisserleurmâtetpartiraituneahnaprèslesnaviresronds.Commeilssuivraientlesnaviresronds,lemât dressé, je supposais qu’on les prendrait pour des navires ronds, car les navires-tarns baissenttoujoursleurmâtavantlabataille.Parconséquent,j’espéraisquelesnaviresdeCosetdeTyros,voyantles voiles, prendraient leurs nouveaux ennemis pour des navires ronds à un mât, car il en existe

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quelques-uns, et qu’ils jugeraient mal leur vitesse ou bien se jetteraient imprudemment sur eux,découvrant trop tard qu’ils se dirigeaient tout droit sur des navires-tarns rapides, maniables etdangereux.Ensuite,unefoislibresdelefaire,cesnaviressoutiendraientlesnaviresronds,détruisantlesnavires-tarnsqui,inconscientsdudanger,pourraienttenterdelesaborder.

Macinquièmevague,quipartiraitunedemi-ahnaprèslaquatrième,secomposaitdedeuxescadresdequarantenavires-tarnschacune,lapremièreattaquantparlenordetlasecondeparlesud.Jen’avaispas assez de navires pour que ce mouvement de tenaille soit réellement dévastateur mais, dansl’agitationdelabataille,alorsqu’onn’apasunevisionparfaitementclairedelapositionetdunombred’ennemis,detellesattaquesdeflancontparfoisuneffetpsychologiquesurprenant.L’AmiraldeCosetdeTyros,Chenbar,probablement,nepourraitpasconnaîtrel’importanceetladispositiondenosunités.Enréalité,lematinmêmedelabataille,nousn’avionspasnous-mêmesuneidéeparfaitementprécisedenosplansetignorionsjusqu’aunombreexactdenaviresdontnouspourrionsdisposer.J’espéraisqueChenbarsupposeraitquelesnaviresquiavaientfuiPortKaravaientfaitdemi-tourets’étaientjointsàlabataille,oubienqu’ilcroirait,avantd’avoirpusefaireuneidéeprécisedel’importancedenosattaquesde flanc, qu’il avait gravement sous-estimé nos forces. Cette attaque de flanc, bien entendu, arrivaitaussitardparcequ’elleétaitimpossibleàréaliseraussilongtempsquelaflottedeCosetdeTyrosneseserait pas concentrée afin de contrer nos premiers mouvements. Nous espérions que la crainteprovoquéeparcetteattaqueparlesflancspousseraitdenombreuxcapitaines,etpeut-êtreChenbarlui-même,àfairedemi-tour,cequirendraitleursnaviresplusvulnérables.

Lasecondevaguepassadevantnous,chaquepairesuivantlaforced’interventionquiluiavaitétéassignée.

LeDornarestaimmobile,lesramesàl’intérieur,sebalançantsurlesvagues.Jetenaisenréservecentcinqnavires-tarnsquiviendraientprendrepositionprèsduDornaenmême

tempsquelacinquièmevague.«Dois-jebaisserlemât?»demandaunofficier.—«Non,»répondis-je.Jevoulaispouvoirm’installerausommetafind’observerledéroulementdelabataille.C’étaitl’automneetunventglacésoufflaitenrafalessurlamer.Desnuagesroulaientdansleciel.

Aunord,l’obscuritéfaisaitcommeunelignesombresurl’horizon.Ilavaitgeléaumatin.«Serrezlavoile!»dis-jeàunofficier.Ildonnadesordresauxmarins.Bientôt,desmarinss’engagèrentsurlalonguevergueinclinéeet,aidéspard’autresqui,surlepont,

tiraientsurlescordes,attachèrentlagrandevoiletriangulaire.J’étudiailasurfacedelamer.«Quefaisons-nous,maintenant?»demandaunofficier.—«Nousattendons,»répondis-je.—«Ettoi,»s’enquit-il,«quevas-tufaire?»—«Jevaisallerdormir,»répliquai-je.«Réveille-moidansunedemi-ahn.»Aprèsavoirunpeudormi,jemesentaisbeaucoupmieux.Àmonréveil,onmeservitdupainetdufromagedansmacabine.Jemontaisurlepont.Leventétaittrèsfroid,leDornatanguaitviolemmentetlesvaguesbattaientsacoque.L’ancreavant

etl’ancrearrièreétaientdescendues.Onmedonnamonmanteaud’Amiral et je le jetai surmon épaule, la gauche, celle à laquelle je

portais déjà la lunette des Constructeurs. Puis je glissai quelques bandes de tarsk séché dans maceinture. Je fis descendre l’hommede vigie afin de le remplacer dans la nacelle.Dans la nacelle, je

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m’enveloppai dansmonmanteau d’Amiral,mordis dans unmorceaude tarsk séché, autant contre lefroidquepoursatisfairemafaim,puisjesortislalunettedesConstructeurs.

Jeregardaioùenétaitlabataille.Le tarsk séché est, généralement, salé.Engénéral, au sommetdumât, il y aunegourded’eau à

l’intentiondelavigie.Jedébouchailagourdeetbusunpeud’eau.Elleétaitrecouverted’unepelliculedeglace.Desmorceauxdeglacefondirentdansmabouche.

Lalignenoire,aunord,semblaitplusépaisse.Jemetournaiànouveauverslabataille.LalonguelignedenaviresrondsdePortKarpassa,louvoyant,pratiquementsansavoirrecoursaux

rames,lespetitesvoilesdetempête,triangulaires,claquantauvent.Lesgalèresàgréementlatin,qu’ils’agissedenaviresrondsoudenavires-béliers,nepeuventaugmenteroudiminuerlasurfacedetoile;cenesontpasdesnaviresàvoilecarrée;parconséquent,ilsontplusieursvoilesadaptéesauxdiversesconditionsatmosphériques;ondescendlaverguelelongdumâtetonchangelavoile;lestroistypesdevoileutiliséssont touslatinsetsedistinguentparla taille ; ilyaunegrandevoiledebeautemps,utiliséeparventsfaibles;unevoilepluspetitepourlesfortesbrisesenpoupeetunevoilepluspetiteencore qui sert pendant les tempêtes. C’était avec cette voile, bien que cela soit inhabituel, que lesnavires ronds louvoyaient ; s’ils avaientutiliséunevoileplusgrande, compte tenude laviolenceduvent,ilsauraientpenchédangereusement,embarquantprobablementdel’eauparlestoletssituéssouslevent.

Je souris au passage des navires. Les ponts étaient presque déserts.Mais je savais que, dans leschâteaux avant et arrière, dans les tourelles, sur le pont de nage et dans les cales, des centainesd’hommesétaientcachés.

Jereprismesobservations,dirigeantlalunettedesConstructeursversl’ouest.LesnaviresdelapremièrevagueavaientatteintleslignesdelaflottedeCosetdeTyros.Ilfaisaitfroiddanslanacelle.Derrière eux, éparpillées sur les eaux glacées de Thassa, les paires de la seconde vague

progressaient,glissantrapidement,lesramesluisantesd’eau,versleslongueslignesdevoilesjaunesetmauvesquel’onapercevaitauloin,jaunespourTyros,mauvespourCos.

Jemedemandaicombiend’hommesallaientmourir.Jem’enveloppaiplusétroitementdansmonmanteaud’Amiral.Jemedemandaiquij’étaisetjemedisquejel’ignorais.Jesavaisseulementquej’avaisfroid,que

j’étaisseuletque,auloin,deshommescombattaient.Jemedemandaisimonplanétaitbonetjemedisquejel’ignoraiségalement.Ilyavaitdesmilliers

defacteursimpossiblesàprévoiretsusceptiblesdetransformerradicalementlasituation.Je savais que Chenbar était un capitaine brillant, pourtant, malgré cela, il ne devait pas avoir

entièrement compris nos plans, nos positions et nos paris car nous ignorions nous-mêmes, quelquesheuresplustôt,cedontnousdisposerionsetcommentnousl’utiliserions.

Jenecroyaispaspouvoirgagnerlabataille.J’eus l’impression d’avoir agi stupidement en ne fuyant pas Port Kar lorsque cela était encore

possible.Manifestement,denombreuxCapitainesappartenantauConseil,ainsiqued’autres,l’avaientfait, après avoir enfermé leurs esclaves enchaînés et leurs trésors dans les cales de leurs navires.Pourquoi avais-je décidé de ne pas fuir ? Pourquoi les autres avaient-ils fait de même ? Tous leshommesétaient-ilsdesimbéciles?Maintenant,deshommesallaientmourir.Qu’ya-t-ilquivailleuneviehumaine?L’humiliationlaplusabjecten’est-ellepaspréférableàsaperte?Nevaut-ilpasmieuxaccepterlaconditiond’esclave,seprosternerdevantunmaîtrepourconserverlavie,plutôtquerisquerlamort?Jemesouvinsquemoiaussi,dans lemaraisdudeltaduVosk, j’avaissuppliéet jem’étaisprosterné afin de conserver la vie ; pourtant,malgréma lâcheté d’alors, enveloppé dans unmanteau

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d’Amiral, je regardaismaintenant les lignes de navires ennemis se rejoindre, les hommes courir au-devantdeleurdestinetdeleurdestruction,oubiendevictoires,obéissantàmesinstructionsalorsquej’ignoraispratiquementtoutdelavie,delaguerreetdudestin.

Ilyavaitcertainementdeshommesplusdignesquemoideprendrelaresponsabilitédecesparolesqui envoyaient les hommes au combat, pour vivre ou mourir. Que penseraient-ils de moi lorsqu’ilstomberaientdansleseauxglacéesdeThassaous’abattraient,percésparlalamed’uneépée,labouchepleinedu sangde leurmort ?Chanteraient-ilsmes louanges, à cet instant ?Et neporterais-jepas lepoidsdecesmortsdufaitquemesparoles,cellesd’unfouignorant,lesaurontprécipitésdansl’eauoujetéssurleslames?

J’auraisdûleurdiredefuir.Aulieudecela,jeleuravaisdonnéunePierreduFoyer.«Amiral!»criaquelqu’un,surlepont.«Regarde!»C’étaitunmarinmuni,luiaussi,d’unelunette

etjuchésurlahauteproueduDorna.«LeVenna,»reprit-il,«estpassé!»Jedirigeailalunetteversl’ouest.Auloin,jedistinguaileVenna,undemesnavires-tarns.Ils’était

frayéunchemindansleslignesdenaviresennemisetfaisaitdemi-tourpourfrapperànouveau.Ilétaiten compagnie duTela, son navire jumeau.Un navire-tarn ennemi était couché sur l’eau et un autres’enfonçaitdanslesvaguesparl’arrière.Desdébrisflottaientsurl’eau.

LeVennaétaitcommandéparl’incomparableTab.Lesmarinsrassembléssurlepontdemonnavirepoussèrentdescrisdejoie.Bravo,medis-je,bravo.Lesnaviresennemisprochesdel’endroitoùmaforced’interventionavaitfrappéfaisaientdemi-tour

afind’affronterleursadversaires.Mais,derrièreeux,bassesurl’eau,lesmâtsbaissés,arrivalasecondevaguedemonattaque.LesnaviresdeCosetdeTyrosse rapprochèrent lesunsdesautres,serrant leur formationafinde

concentrer davantage de navires à des endroits donnés. Tandis qu’ils renforçaient leurs lignes, jedistinguaileslimitesdelaflotte,cequin’avaitpasétépossibleplustôt.

Derrièrelesnaviresdelasecondevague,formantunelonguelignequis’étendait,surThassa,d’unhorizonàl’autre,sesvoilesdetempêtebattuesparlevent,venaitlatroisièmevague,celledesnaviresronds.

Jejetaiuncoupd’œilderrièremoi.DerrièreleDorna,sanssehâter,àdemi-cadence,avançaientcinquantenavires-tarns,lemâtlevé,la

voile attachée à la longuevergueoblique.Dans le tumulte de la bataille, j’étais convaincuqu’on lesprendrait, au début et peut-être jusqu’au moment où il serait trop tard, pour une seconde vague denaviresronds.

Juste après cette quatrièmevague, son attaquedevant seproduireunedemi-ahn après celle de laquatrième vague, viendrait la cinquième vague composée de deux groupes de quarante navires-tarnsqui,venusdunordetdusud,prendraientlaflotteennemiedansunetenaille.

Et,dèsledébutdecemouvementdetenaille,lerestedemaflotte,lesréserves,centcinqnavires-tarns,viendraitprendrepositionprèsduDorna.

Cesréservesseraientaccompagnéesdedixgrosnaviresrondsappartenantàl’Arsenal.Lesofficierssupérieurseux-mêmesignoraientcequecontenaientleurscales.

Touslesélémentsdontj’avaistenucompteétaientenaction.Jejetaiuncoupd’œilendirectiondunord.Puisj’ouvrislalunetteetexaminailasurfacedel’eau.Je

refermailalunette.Au-dessusdel’eau,aunord,sedressaientdegrosnuagesnoirs.Au-dessus,filaientde petits nuages blancs, semblables à des tabuks cherchant à échapper auxmâchoires d’un larl à lacrinièrenoire.

Lasaisonétaittrèsavancée.Jen’avaispastenucomptedeThassa,desaviolenceetdesaversatilité.

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Ilfaisaitfroid,danslanacelle,etjeprisunautremorceaudetarskséché.L’eauavaitgelédanslagourde,lafaisantéclater.

J’ouvrisunefoisdepluslalunettedesConstructeursetladirigeaiversl’ouest.Ilyavaitplusdetroisahnsquej’étaisdanslanacellefixéeausommetdumâtduDorna,fouettépar

levent,lesdoigtsgourds,serrantlalunettedesConstructeurs,observantlabataille.J’avaisvumapremièrevaguepercer,enplusieursdizainesd’endroits,leslongueslignesdeCoset

deTyros,puisj’avaisvulesnaviresdel’immenseflotteleurfaireface,s’offrantauxmincesvaisseauxdelasecondevaguequienavaientdétruitbeaucoupplus,comptetenudeleurtailleetdeleurpoids,quejen’avaisosél’espérer.Puis,tandisqueleslignesdeCosetdeTyrosseconcentraientafinderepoussermesforcesd’intervention,meslignesdenaviresrondsavaientencerclélaflotteennemie.Descentainesde navires s’étaient jetés sur ces intrus peumaniablesmais beaucoup se rendirent compte, trop tard,qu’ils n’avaient pas affaire à des navires ronds ordinairesmais à de véritables forteresses flottantes,grouillantes d’hommes armés et impatients de combattre. Puis, les navires de la flotte avaient unenouvellefoischangédedirectionafind’attaquercequ’ilsprirentpourunenouvellevaguedenaviresronds, s’offrant ainsi aux éperons et aux lames latérales de bâtiments aussi rapides et destructeursqu’eux-mêmes.J’étaisfierdemeshommesetdeleursnavires.Ilssebattaientaveccourage.Jen’avaispasnonpluslesentimentquemonsensdelastratégieétaitnégligeable.Pourtant,dansmanacelle,ilmesemblaitque,avecletemps,lepoidsetlenombredenaviresseferaientsentir.Jen’avaisqu’unpeuplusdedeuxmille cinq centsnavires, avecune tropgrandeproportiondenavires ronds, àopposer àuneflottecomposéeuniquementdenaviresdeguerre,fortedequatremilledeuxcentsunités.

Denombreuxnaviresbrûlaientdansl’après-midisombreetventeux.Étincellesetflammespassaientd’un navire à l’autre. Par endroits, les navires étaient pressés les uns contre les autres, par dizaines,formantdesîlesdeboisquipartaientàladérive.

La mer devenait mauvaise et le noir, au nord, avait envahi la moitié du ciel, dressé comme unanimaldeproieprêtàfondresursavictime.

Lacinquièmevagueétaitenretard.LeDornatiraitsursesancres.Nouslesavionslevées,afinqu’ilpuisseprendrelevent,puisnousles

avions descendues à nouveaumais il tanguait et roulait,montait et descendait avec les vagues. Sonarmaturegrinçait,j’entendaislecraquementdesboulons,desplaquesmétalliquesetdeschaînesqui,parendroits,renforçaientsonossature.

Lacinquièmevagueétaitdiviséeendeuxgroupes: legroupevenantdunordétaitcommandéparNigeletsecomposaitdesesquinzenavires,renforcésparvingt-cinqappartenantàl’Arsenal;legroupevenant du sud était commandé par Chung et se composait de ses vingt navires, renforcés par vingtautresappartenantàl’Arsenal.Touscesnaviresétaientdesnavires-tarns.

Maislacinquièmevaguen’arrivaitpas.SedirigeantversleDornaparl’est,laréserve,composéedecentcinqnavires-tarnsetdedixgros

navires ronds appartenant à l’Arsenal, dont les officiers supérieurs eux-mêmes ignoraient le contenu,arriva.

Jemedemandaisij’avaiseuraisondefaireconfianceàNigeletàChung.Lenavireducommandantdelaréserves’arrêtaàportéedevoixduDorna.Grâceàlalunette,jeconstataiqu’Antisthenes,leCapitainequiétaittoujourslepremierappelésur

lalisteduConseil,setenaitsurlechâteauarrière.Lesautresnaviresprirentpositionsurquatrelignesderrièrelebâtimentducommandant.Parmieux,lourds,battusparlevent, leurvoiledetempêterouléesouslavergue,venaientlesdix

naviresrondsappartenantàl’Arsenal.Malgréleurtailleetleurpoids,ilstanguaientetroulaientsurleshautesvaguesdeThassa,encettefindeSe’Kara.

Jetournaiànouveaulalunetteversl’ouest,verslafuméequis’élevaitauloin.

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Je constatai que les navires-tarns de Cos et de Tyros évitaient, dans la mesure du possible, des’attaquer à nos navires ronds et concentraient leurs efforts sur mes navires-tarns, profitant del’avantagedunombre.Lesnaviresronds,lents,soumisàl’actionduvent,étaientlaissésàl’écart.

Jesouris.ChenbarétaitunexcellentAmiral.Ilavaitdécidédemeneruncombataveclequelilétaitfamilier.Ils’attaquaitàmesnavires-tarns,profitantdel’avantagedunombre,laissantlesnaviresrondspourplustard,lorsqu’ilseraitpossibledefondresureuxàquatreoucinqcontreun.Lesnaviresronds,naturellement,étaienttroplentspourapporterauxnavires-tarnsl’aidedontilsallaientsansdouteavoirbientôtbesoin.

Jerepliailalunetteetmesoufflaisurlesdoigts.Ilfaisaittrèsfroidetilmesemblaitquel’issuedelabatailleétaitécritesurcegrandjeuquis’étendaitd’unhorizonàl’autre,supportantleshommesetlesnaviresenflammesquiconstituaientlespièces.

Leventsoufflaitavecviolence.Puis,surlepont,descrisetdesacclamationsretentirent.L’hommejuchéausommetdelaproue,la

lunettedesConstructeursenbandoulière,debout,descordesattachéesauxchevillespourluiéviterunechutefatale,agitaitsonbonnet.Lesrameurscriaientetagitaienteuxaussileursbonnets.

J’ouvris la lunette desConstructeurs.Aunord et au sud, fendant les eaux glacées deThassa, lesmâtsbaissés,arrivaientlesnaviresdelacinquièmevague.

Jesouris.Chung,faisantrouteaunord,avaitétéobligédenaviguercontrelevent.Nigel,pourquilaguerre

maritimen’avait pas de secret, avait retenu ses navires afin que les deuxmâchoires de la tenaille serefermentsimultanément,commesiellesobéissaientàuneseuleetmêmevolonté.

JelaissaitomberlalunettedesConstructeurs,enbandoulièresurmonépaule,contremonflanc.Jemisdansmabouchelerestedutarskséchéet, toutenmâchant,descendisl’échelledecordefixéeaupont,aupieddumât.

JesautaisurlepontduDornaetfissigneàAntisthenesquisetenaitsurlechâteauarrièredunavirecommandantlaflottederéserve,àunecentainedemètresdemoi.Ilhissaundrapeauàladrissefixéeausommetdelatourelledel’étrave.

Jemontaisurlechâteauarrièredemonnavire.Parmi les cris de stupéfaction de mes hommes et de ceux des autres navires, on démonta les

planchescouvrantlepontdesdixnaviresrondsetonlesjetapar-dessusbord.Letarnestunoiseauterrestre,souventoriginairederégionsmontagneuses,bienqu’ilyait,dansles

jungles,destarnsauplumagemulticolore.Lestarnsinstallésdanslescalesdesnaviresrondsportaienttousunecagoule.Souslacaresseglacéeduvent,ilslevèrentlatête,battirentdesailesettirèrentsurleschaînesquilesattachaientàl’armaturedunavire.

Ondébarrassal’und’euxdesacagouleetdesliensquiluifermaientlebec.IlpoussauncriquiglaçalesventsfroidsdeThassaeux-mêmes.Leshommesfrémirentdepeur.Ilestextrêmementdifficiledefairevolerletarnau-dessusdel’eau.Jen’étaispascertainqu’ilseraitpossibledelescontrôlerau-dessusdelamer.Engénéral,mêmeavecunaiguillonàtarn,ilestimpossibledelescontraindreàperdrelaterrede

vue.Jedéfislabandoulièredemalunetteettendiscelle-ciàunmarin.«Qu’ondescendeunechaloupe!»dis-jeàunofficier.—«Aveccettemer?»—«Vite!»criai-je.Onmitunechaloupeàl’eau.Àunedesrames,commesic’étaitsaplace,setenaitPoisson,lejeune

esclave.LeMaîtreseNagepritlegouvernaildelachaloupe.

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Nousaccostâmeslenavirerondleplusprocheparsoncôtésouslevent.Bientôt,jeprispiedsurlepontdunavirerond.«Es-tuTerence,»demandai-je,«CapitainedesmercenairesdeTreve?»L’hommeacquiesça.TreveestunrepairedebrigandssituéparmilespentesescarpéesdesVoltaïoùrôdentleslarls.Rares

sontceuxquisaventexactementoùsetrouvecetteCité.Autrefois,lestamiersdeTreveavaienttenutêteaux cavaleries de tarns d’Ar. Les habitants de Treve ne cultivent pas mais, à l’automne, pillent lesrécoltesdesautres.Ilsviventderapinesetdepillage.OnditqueleshommesdeTrevecomptentparmilesplusorgueilleuxetlesplusimpitoyablesdeGor.Ilsaimentpar-dessustoutledangeretlesfemmeslibres,qu’ilsvolentdanslescitésciviliséesetemportentdansleurrepairedesmontagnes,oùilsenfontdesesclaves.Onditqu’iln’estpossibled’atteindre laCitéqu’àdosde tarn. J’avaisconnuune jeunefemmeoriginairedeTreve.Elles’appelaitVika.

«Ilya,danscesdixnaviresronds,»dis-je,«centtarnsavecleurstarniers.»—«Oui,»répondit-il.«Etilya,avecchaquetarn,unecordeànœudsetcinqmarinsdePortKar.»Je regardai la cale ouverte dunavire rond.Le tarn, débarrasséde sa cagoule, leva sonbec cruel,

courbe, en forme de cimeterre. Ses yeux étincelaient. C’était, apparemment, un bel oiseau. J’auraispréféréUbardesCieux.C’étaituntarnbrun-roux,couleurassezrépanduechezcesgrandsoiseaux.Lemienétaitnoir;c’étaituntarngéant,brillant,auxgrandesserreschausséesd’acier,unoiseaufaitpourlavitesseet laguerre,unoiseauquiavaitété,àsamanièreprimitiveetsauvage,monami.Je l’avaischassédesSardar.

«JerecevraicentPierresd’orenéchangedemestarnsetdemeshommes,»ditTerencedeTreve.—«Tulesauras,»répondis-je.—«Jelesveuxmaintenant,»déclaraleCapitainedeTreve.Furieux,jesortismalameetlapointaisursagorge.—«Mapromesseestd’acier!»dis-je.Terencesourit.—«LeshommesdeTreve,»fit-il,«comprennentcetypedepromesse.»Jebaissaimalame.—«SeuldetouslestarniersdePortKar,»repris-je,«etseuldetouslesCapitaines,tuasaccepté

lesrisquesdecetteentreprise:l’utilisationdestarnsenmer.»Un autre Capitaine de Port Kar aurait pu, à mon avis, accepter de prendre un tel risque mais,

accompagnédesonmillierd’hommes,ilavaitquittélaCitéquelquessemainesplustôt.JeveuxparlerdeHa-Keel,minceetcouvertdecicatrices,quiporteaucou,suspenduàunechaîneenor,undisqued’orau tarn, incrustédediamants,originaired’Ar. Ilavait tuépourse leprocurer,afind’acheterdessoieriesetdesparfumsàunefemmequiavaitfuiavecunautrehomme;Ha-Keellesavaitpoursuivis,avaittuél’hommeencombatsingulieretvendulafemmecommeesclave.Illuiavaitétéimpossiblederentrer à Ar. J’avais appris que ses forces avaient été engagées par Tor, qui voulait faire cesser lesincursionsde tarniersvenusdudésert.Ha-Keeletseshommessevendaientauplusoffrant.Jesavaisque, grâce à des intermédiaires, il avait servi lesAutres, les ennemis des Prêtres-Rois, qui voulaients’appropriercemonde.J’avaisrencontréHa-KeelàTuria,chezSaphrar,unMarchand.

—«JerecevrailescentPierresd’or,»insistaTerence,«quellequesoitl’issuedetonplan.»— « Bien entendu, » dis-je. Puis je le dévisageai. « Cent Pierres, » repris-je, « bien que cela

représenteunsalaireélevé,estunepetitesommecomptetenudesrisquesquetuvasaffronter.J’aidumalàcroirequetut’engagesseulementpourcentPierresd’or.EtjesaisquelaPierreduFoyerdePortKarn’estpaslatienne.»

—«NoussommesdeTreve,»soulignaTerence.—«Donne-moiunaiguillonàtarn,»fis-je.

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Ilm’entenditun.Jemedébarrassaidemonmanteaud’Amiral.Quelqu’unmetendituneécharpe,quej’acceptai.Iltombaitdelaneigefondue.Letarndétesteperdrelaterredevue.Mêmesoumisàl’aiguillon,ilserévolte.Cestarnsportaient

unecagoule.Alorsqu’instinctivementilsonttendanceànepasperdrelaterredevue,j’ignoraisquelleseraitleurréactionsionleurretiraitleurcagouleenmer,oùlaterreestinvisible.Peut-êtrerefuseraient-ilsdequitterlenavire.Peut-êtredeviendraient-ilsfousderageetdepeur.Jesavaisquecertainstarnsavaienttuéceuxquiavaientessayédelesfairevolerau-dessusdeThassa.Maisj’espéraisquelestarns,se trouvant soudain enpleinemer, s’adapteraient à cette situationnouvelle. J’espérais que, dans leurétrangeintelligenceanimale,c’étaitl’éloignementprogressifdelaterreetnonlefaitdenepluslavoirquipoussaitleursinstinctsàlarévolte.

Enfait,jenetarderaispasàlesavoir.Jesautaisurlaselledutarnsanscagoule.Ilpoussauncri tandisquejefixaislalargeceinturede

sécurité violette. La poignée de l’aiguillon à tarn venait s’appuyer à mon poignet droit. J’enroulail’écharpeautourdematête.

«Sijepeuxcontrôlerl’oiseau,»dis-je,«suivez-moietexécutezmesinstructions.»—«Laisse-moiessayerd’abord,»ditTerencedeTreve.Je souris. Pourquoi celui qui avait été tarnier de Ko-ro-ba, les Tours du Matin, laisserait-il un

habitant de Treve, Cité traditionnellement hostile, se mettre en selle avant lui ? Je n’avais,naturellement,pasl’intentiondeluidirecela.

—«Non!»répondis-je.Une paire demenottes d’esclave et une corde étaient accrochées au pommeau de la selle. Je les

glissaidansmaceinture.Jefisunsigneetonouvritl’anneaumétalliquequiattachaitletarnàunedespoutresdel’armature

dunavire.Jetiraisurlapremièrerêne.Letarn,dansunbattementd’ailes,sortitdelacale.Ils’immobilisasurlepont,ouvrantetfermant

les ailes, regardant autour de lui, puis poussa un cri. Les autres tarns, dans la cale, une dizaine,s’agitèrentettirèrentsurleurschaînes.

Laneigefondue,glacée,mefouettaitlevisage.Jetiraiànouveausurlapremièrerêneet,dansunbattementd’ailes,l’oiseaugagnalalonguevergue

inclinéedumâtdemisainedunavirerond.Il levait trèshaut la têteet tous lesnerfsdesoncorps semblaient tendus,mais surpris. Il regarda

autourdelui.Jenepressaipasl’oiseau.Jecaressaisoncouetluiparlai,doucement,suruntonrassurant.Je tirai sur la première rêne. L’oiseau ne bougea pas. Ses serres étaient crispées sur la vergue

inclinée.Jenemeservispasdel’aiguillon.J’attendisunpeu,lecaressant,luiparlant.Puis, soudain, je poussai un cri et tirai brusquement sur la première rêne de sorte que, par

entraînementetparinstinct,l’oiseausejetadansleventchargédeneigefondueetmontadanslecielpleindenuagesmenaçants.

J’étaisànouveauàdosdetarn!L’oiseau monta jusqu’au moment où je lâchai la première rêne, puis décrivit des cercles. Puis,

brusquement,jemerendiscomptequel’oiseaufrémissaitd’enthousiasmeetdeplaisir.Sesmouvementsétaientaussirapidesetsûrsques’ilavaitétéau-dessusdespentesfamilièresdesVoltaïoudescanauxde

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PortKar.Jevérifiaisesréactionsauxrênes.Ellesétaientimmédiatesetimpatientes.Déjà,au-dessousdemoi,ondébarrassaitlestarnsdeleurscagoulesetdesliensquileurattachaient

lebec.Lestarnierssemettaientenselle.Jevislestarnsbondirsurlepontdesnaviresronds,jevislafixationdescordesànœudsauxsellesetlesmarinsd’élite,expertsàl’épée,cinqparcorde,semettreenposition.Et, outre lesmarins, chaque tarnier, attaché sur sa selle, disposait d’une lanterne de navire,protégéeetabritée,allumée,et,dansdessacsdecuir,attachéslesunsauxautresetjetésentraversdelaselle,denombreusesbouteillesdeterrecuite,bouchéesavecdeschiffons.Cesbouteillesétaientpleinesd’huiledetharlarionetleschiffonsquilesfermaientétaientimbibésdelamêmesubstance.

Bientôt,derrièremoi,volèrentunecentainedetarnierset,souschacund’eux,accrochésàunecordeànœuds,cinqmarinsd’élite.

Jeconstataiquemacinquièmevague,lesdeuxgroupesdequarantenavires,souslecommandementdeNigeletdeChung,avaitattaquélesflancsdelagrandeflotte.

Àcemoment-là,avantquel’ennemiaitpusefaireuneidéeprécisedesonimportance,alorsqu’ilnesepréoccupaitplusquedecesattaquesdeflancinattendues,jefilaiau-dessusdesflottesantagonistesàlatêtedemestarniersquitransportaientlesmarinsd’élite.

Dans le désordre de la bataille, navires-tarns tentant de s’éperonner et navires ronds essayant derejoindrelesnavires-tarnsennemis,jevis,protégépardixnavires-tarnsdechaquecôtéainsiquepardixdevantetdixderrière,levaisseauamiraldeCosetdeTyros.C’étaitungrandnavirejaune,couleurdeTyros,propulséparplusdedeuxcentsrameurs.

C’étaitlenaviredeChenbar.Ilcontenait,outrelesrameurs,quiétaienttouslibres,descombattants,unecentained’archersetune

autrecentained’hommes,artilleurs,personnelauxiliaireetofficiers.Jetiraisurlaquatrièmerêne.Presqueaussitôt,lenavirefutlecentred’unimmensebattementd’ailescarlestarnsdescendirent.Montarnseposasurlechâteauarrièreetjemisaussitôtpiedàterre.Jesortismonépéedesonfourreau.Stupéfait,Chenbar,UbardeTyros,SleendelaMer,dégainasalame.J’arrachail’écharpequimecouvraitlevisage.«Toi!»s’écria-t-il.—«Bosk,»répliquai-je,«CapitainedePortKar!»Noslamesseheurtèrent.Derrièrenousretentissaientdescris,deshurlementsetlebruitsourdd’hommesprenantpiedsurle

pont,aprèsavoirlâchéleurcorde,lefracasdesarmes.Descarreauxd’arbalètesifflaient.Ungrouped’oiseauxralentissaitau-dessusdupont,leshommesysautaient,puisunautregroupele

remplaçait. Puis, ayant déposé leurs combattants, les tarniers filaient vers le cielmenaçant, plein deneigefondue,allumaientleurschiffonshuileux,unparun,dansleursbouteillesd’huiledetharlarion,etles jetaient sur le pont des navires de Tyros. Je ne pensais pas que ces bombes d’huile enflamméeferaient beaucoup de dégâts, mais je comptais sur la conjonction de trois éléments : l’effetpsychologiqued’une telleattaque, lapeurprovoquéepar les flottes lancéessur les flancs,dontonneconnaissaitpasencoreavecprécisionl’importance,puis,danslaconfusionet,jel’espérais,laterreur,laperteinattendueducommandantenchef.

Jeglissai sur lepontcouvertdeneige fondueduchâteauarrièreetparai la lamedeChenbar,quifilaitversmagorge.

Jemerelevaid’unbondetlecombatreprit.Puischacundenoussaisit,desamainlibre,lepoignetarmédel’autre.Jelepoussaicontrelapoupeet ilsecognalatête.J’entendisquelqu’un,derrièremoi,maisunde

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meshommess’occupadelui.Deslamestintaient,derrièremoi.Jecraignais,uninstant,d’avoircassélacolonnevertébraledeChenbar.Jelâchai lepoignetarmédel’AmiraldeTyroset lefrappai,dupoinggauche,à l’estomac.Tandisqu’il s’effondrait, je libéraimamainarméeet, sans lâchermonépée, luidonnaiunviolent coupdepoingà lamâchoire. Jepivotai surmoi-même.Meshommes repoussaientceuxquitentaientdemontersurlechâteauarrière.Chenbar,assommé,étaittombéàgenoux.Jesortislesmenottes d’esclave dema ceinture et les refermai sur les poignets deChenbar. Puis je le traînaijusqu’auxserresdutarn.Aveclacorde,sortiedemaceinture,j’attachailesmenottesàlapattedroitedel’oiseau.

Maladroitement,Chenbartentadeselevermaismonpied,posésursoncou,l’enempêcha.Jeregardaiautourdemoi.Meshommespoussaientlesdéfenseursdunavireverslepavoisetlesfaisaientbasculerdansl’eau

glacée.Lesdéfenseursn’étaientpaspréparésàunetelleattaque.Ilsavaientétésurprisetlarésistanceavaitétéfaible.Enoutre,j’avaisunebonnecentainedelamesdeplus.

LesdéfenseursnageaientverslesautresnaviresdeTyros,quifaisaientdemi-tourdansl’intentiondenousaborder.

Undélugedecarreauxd’arbalètes’abattitsurlepontduvaisseauamiral.«PoussezleshommesdeTyrosprèsdesbordés!»criai-je.Puisunevoix,surunautrenavire,cria:«Cessezletir!»Puislespremierstarnsregagnèrentlevaisseauamiral,ayantlâchéleursbombesd’huileenflammée.Cinqhommessaisirentchaquecordeetfurentemportés.«Incendiezlenavire!»criai-jeàmeshommes.Ilsallèrentmettrelefeuauxcales.D’autrestarnsrevinrentetd’autreshommes,parfoissixouseptsurlamêmecorde,furentemportés.Delafuméesortitentrelesplanchesdupont.UnnaviredeCosheurtaleflancdunôtre.Meshommesrepoussèrentlesagresseurspuis,avecdesrames,éloignèrentl’autrenavire.Unautrenavirenoustoucha,cassantlesrames.Unenouvellefois,leshommesrepoussèrentlesagresseurs.«Regardez!»criaquelqu’un.Les hommes poussèrent des cris de joie. Le navire battait le pavillon de Bosk, avec ses bandes

vertessurfondblanc.«Tab!»crièrent-ils.«Tab!»C’étaitleVennaquivenaitnouslibérer.J’aperçus,brièvement,Tab, en sueurmalgré le froid, la tuniquedéchirée, l’épéeà lamain, sur le

châteauarrièreduVenna.Puis,de l’autrecôté,apparut leTela,navire jumeauduVenna.Ses lourdespréceintes,destinéesà

protégerlacoque,étaientmarquéeset,parendroits,cassées.Leshommesbondirentsurlesdeuxnavires.Jefissigneauxtarniers,venuschercherleshommes,des’éloigner.Auloin,desnaviresbrûlaient.Puis,desflammesjaillirententrelesplanchesdupontduvaisseauamiral.LessoldatsdeTyrosencoreàborddunaviresejetèrentàl’eauet,àlanage,sedirigèrentversleurs

navires.J’envis,àunecentainedemètresdemoi,accrochésauxpréceintesetmêmeauxrames.Jerestaisseul,encompagniedeChenbar,surlechâteauarrièreduvaisseauamiral.Jememisenselle.Uncarreaud’arbalètetombaderrièremoi,sefichantdanslepontenflammes.

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Chenbarsecoualatête,selevad’unbond,lesmenottesauxpoignets.«Combattez!»hurla-t-il,s’adressantàsesnavires.«Combattez!»Jetiraisurlapremièrerêneetletarn,contrelevent,s’envola,emportantChenbardeKasra,Ubarde

Tyros, le Sleen de la Mer, prisonnier de menottes d’esclave, qui se balança au-dessous de nous,impuissant,dansleventetlestourbillonsdeneigefondue,prisonnierdeBosk,CapitainedePortKaretAmiraldesaflotte.

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COMMENTBOSKRENTRACHEZLUI

QUAND nous touchâmes le pont glacé, battu par le vent, du Dorna, mes rameurs se levèrent etm’acclamèrentenagitantleursbonnets.

«Conduisezceprisonnierdans la cale,»ordonnai-je,« et enchaînez-le !LeConseildécideracequ’ilfautfairedelui.»

Denouvellesacclamationsretentirent.Chenbars’immobilisaun instantdevantmoi, lespoingsserrés, lesyeuxpleinsde fureur,puis fut

entraînéverslacalepardeuxmarins.—«Jesuppose,»ditleMaîtredeNage,«que,vêtudeshaillonsdesesclaves,ilramerabientôtsur

unnavireronddel’Arsenal.»«Amiral!»crialavigie.«LesflottesdeCosetdeTyrosfontdemi-tour!Ellesfuient!»L’émotionmefaisaittrembler.J’étaissansvoix.Leshommes,autourdemoi,poussaientdescrisde

joie.Puisjelançai:«Qu’onrappellenosnavires!»Leshommessignalèrentàdesunitésderéservequ’il leurfallaitallercherchernosnaviresencore

engagésdanslabataille.LeDornatiraitviolemmentsursesancres,commeunsleenprisaupiège.Commetouslesnavires-

tarns,c’étaitunbâtimentétroitetdefaibletirantd’eau.Metournantverslesnaviresronds,jeconstataiqu’ilsétaientégalementmalmenés.Àmonavis,leDornanerésisteraitpaslongtempssurunetellemer,àmoinsqu’ilnetrouvesonsalutdanslafuite.

«Levezlesancres!»ordonnai-je.«Hissezlavoiledetempête!»Leshommesobéirentenhâteet, tandisqu’ilsexécutaient lesordres, je signalaiauxnaviresde la

flotte de réserve, qui devaient aller convoyer les unités engagées, de prendre le chemin du retourpendantqu’ilenétaitencoretemps.Iln’étaitpasquestion,aprèscettevictoire,depoursuivrelesflottesdeCosetdeTyros.

Jemetenaissurlepontgelé,battuparlevent,duDorna,ledosauvent.Onmetenditmonmanteaud’Amiral,quemeshommesavaientrapportéenrevenantdunavirerond,etjelemissurmesépaules.OnapportaégalementunecruchedePagachaud.

«Legobeletdelavictoire!»lançaleMaîtredeNage.J’eusunsouriredésabusé.Jenemesentaispasvictorieux.J’avaisfroid.J’étaisenvie.J’avalai le

Pagachaud.

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Onavaitabaissélavergueetonyfixaitlapetitevoiletriangulaire.Onlevalesancres,etlavergue,grâceàunsystèmedecordesetdepoulies,montavers lesommetdumât.Pendantce temps,sous ladirectionduMaîtredeNage,lesramesdetribordentrèrentenaction,amenantl’arrièredunaviresouslevent. Le vent prit le navire par le travers et le fit pencher dangereusement. Des vagues glacéesbalayèrent le pont, puis l’eau s’écoula. Les deux timoniers, arc-boutés sur leurs gouvernails, firenttournerlenavire.Puisl’arrièrefutsousleventetleMaîtredeNagedonnalacadence,faisantavancerlenavire en attendant que la voile prenne le vent.Lorsque cela se produisit, on eut l’impressionqu’unpoingfrappaitlavoile,lemâtgrinçaetlaproue,pendantunterribleinstant,plongeadansl’eauglacéepuisselevaversleciel.

«Ramez!»crialeMaîtredeNage.«Ramez!Ramez!»Letambourdecuivredukeleustesrythmalacadencemaximum.Lepetitevoiledetempête,gonfléeparleventetlaneigefondue,tiraitviolemmentsurlavergueet

lescordes.LeDornafilaàtoutevitesse,fendantlesvaguesquisedressaient,immenses,sursesflancs.Ils’ensortirait.J’ignorais si la victoire que nous avions remportée, car nous avions apparemment remporté une

victoire,étaitounondécisive,mais jesavaisquelevingt-cinqdeSe’Kara,carc’estce jour-làquelabatailleeutlieu,neseraitpasoubliédesitôt,àPortKar,Citéautrefoisqualifiéedeperfideetmalsaine,maisquis’étaitdonnéunePierreduFoyer,Citéqu’onavaitappelée:FléaudeThassalaLuisantemaisquiméritaitsansdoutelenomquecertainscitoyensluidonnaientparfois:JoyaudeThassalaLuisante.Jemedemandaicombiend’hommesprétendraientqu’ilsavaientcombattu,encevingt-cinqdeSe’Kara,surThassa.Jesouris.Cejourdeviendraitprobablementférié,àPortKar.Etceuxquiavaientparticipéauxcombats resteraient, à jamais, camarades et frères. Je suisAnglais.Et jeme souvinsd’uneautrevictoire, à une autre époque, sur uneplanète lointaine. Jemedis que, plus tard, en ce jour férié, leshommesmontrerontsansdouteleurscicatricesauxesclavesetauxenfantsémerveillésetdiront:

«J’aiétéblesséenSe’Kara.»Cettebatailleserait-ellecélébréedansdeschansons,commel’avaitétél’autre?PasenAngleterre,

biensûr.Mais,surGor,certainement.Pourtant,medis-je,leschantsmentent.Etceuxquisontmorts,encettejournée,nechantaientpas.Toutefois,medis-je,s’ilsavaientvécu,n’auraient-ilspaschanté?Etjerépondis : Oui. Et ainsi, me demandai-je, ne pourrions-nous pas chanter pour eux, et pour nouségalement,etnepourrait-ilpasyavoir,bienquecelasoitdifficileàenvisager,unepartdevéritédansleschansons?

Jeretournaiauprèsdutarnquej’avaisposésurlepontduDorna.Jequittaimonmanteaud’Amiraletlejetaisurl’oiseauquifrissonnaitdanslefroid.Prèsdelui,setenaitPoisson,lejeuneesclave.

Jeleregardaidanslesyeuxetconstatai,avecsurprise,qu’ilavaitcompriscequ’ilmefallaitfaire.«Jevaisavectoi,»déclara-t-il.Jesavaisquelesnaviresd’EteoclesetdeSulliusMaximusn’avaientpasétéintégrésànotreflotte.

Je savais également que le blocus de la dernière place forte de Sevarius avait été levé afin que lesnavires,quiappartenaientàl’Arsenal,puissentparticiperàlabataille.Jesavaisqu’ilyavaiteuéchanged’informationsentreClaudius,régentd’HenriusSevarius,etCosetTyros.Enoutre,jen’étaispasprêtàcroirequ’iln’yavaitpaseuégalementéchanged’informationsentreEteoclesetSulliusMaximusetCosetTyros.Lesdeuxactionsavaienttrèsprobablementétécoordonnées.LaSalleduConseilelle-mêmeétaitpeut-êtredéjàlivréeàl’incendie.LesdeuxUbarsetClaudius,régentd’HenriusSevarius,devaientavoirprislepouvoir,constituantuntriumvirat,àPortKar.Leurpouvoir,bienentendu,nedureraitpas.PortKarn’avaitpasperdulabataille.Lorsqueleventseraittombé,dansquelquesheuresoubiendansunoudeuxjours,laflotteferaitdemi-touretrentreraitàPortKar.Maisjesavaisque,dansl’intervalle,confiants mais ignorant tout de l’issue de la bataille, les deux Ubars et Claudius tenteraient dedébarrasserlaCitédeceuxquis’opposaientàeux.

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Jemedemandaisimademeuretenaittoujours.J’avaisfaitapporterdelaviandeautarn,degrosmorceauxdetarsk,cuissesetépaules,quej’avais

jetésdevantlui,surlepontglacé.Ilmangeaitavidement.J’avaisfaitdésosserlaviande.Avecdubosk,jenel’auraispasfait,maislesosdutarsksontplusfinsetsefendentaisément.Puisjeluifisapporterdel’eau,dansunpanierdecuir,etbrisailacouchedeglacequilarecouvrait.Ilbut.

«Jevaisavectoi,»répétalejeunegarçon.Ilavaitglissé,danslaceinturedesatunique,l’épéequej’avaisdemandéàunofficierdeluidonner,

avantlabataille.Jesecouailatête.—«Tun’esqu’unenfant,»dis-je.—«Non,»répliqua-t-il,«jesuisunhomme!»Jeluisouris.—«Pourquoiveux-tum’accompagnerdansmademeure?»m’enquis-je.—«Illefaut,»répondit-il.—«LajeuneVinaa-t-elletantd’importance,àtesyeux?»demandai-je.Ilmeregarda,rougit,puisbaissalatête.Iltapadupiedsurlepont.—«Cen’estqu’uneesclave!»dit-il.—«Biensûr,»fis-je.—«Et,»ajouta-t-ild’unairdedéfi,«unhommenesepréoccupepasd’unesimpleesclave!»—«Évidemment,»reconnus-je.—«Mêmesiellen’existaitpas,»reprit-il,«jet’accompagnerais.»—«Pourquoi?»m’enquis-je.—«TuesmonCapitaine,»répondit-il,surpris.—«Resteici,»luidis-je,avecgentillesse.Iltiral’épéequejeluiavaisfaitdonner.—«Mets-moiàl’épreuve!»s’écria-t-il.—«Onnejouepas,»dis-je,«aveclesoutilsdeshommes.»—«Défends-toi!»cria-t-il.Malamejaillitdesonfourreauet jeparaisonattaque.Elleétaitvenuebeaucoupplusrapidement

quejenel’avaisescompté.Leshommess’assemblèrentautourdenous.«Onvas’amuser!»prévintl’und’entreeux.Malamefilaverslejeunehommeetilparalecoup.Jefusimpressionné,carj’avaiseul’intention

deletoucher.Puis,nousdéplaçantsurlepontenpente,danslaneigefondue,nouscroisâmeslefer.Uneoudeux

ehnsplustard,jeremismalamedanssonfourreau.—«J’auraisputetuerquatrefois,»déclarai-je.Illâchasonépéeetmeregardad’unairabattu.«Mais,»repris-je,«tuasbienprofitédesleçons.J’aiconnudesGuerriersmoinsrapidesquetoi.»Ilsourit.Plusieursmarinssefrappèrentl’épaulegaucheaveclepoingdroit.IlsaimaientbeaucouplejeunegarçonnomméPoisson.Sanscela,medis-je,commentaurait-ilpu

prendre la gaffe de ma barque lorsque, par le canal, je me suis rendu à la Salle du Conseil desCapitaines,commentaurait-ilpumonteràbordduDorna,commentaurait-ilpumanœuvreruneramedans la chaloupe qui m’a conduit au navire rond ? J’avais, moi aussi, de l’affection pour le jeunegarçon.Jevoyaisenlui,malgrésoncollier,samarqueetsatuniqued’EsclavedeCuisine,contrairementàbeaucoupd’autres,unjeuneUbar.

«Tun’espasobligédem’accompagner,»dis-je.«Tuestropjeunepourmourir.»

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—«Àquelâge,»s’enquit-il,«unhommeest-ilprêtàmourir?»—«Pouralleroùjevais,»répondis-je,«etfairecequejedoisfaire,ilfautêtrefou.»Ilsourit.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.—«Oui,»dit-il,«Capitaine.»—«Ilfautêtrefou!»répétai-je.—«Touthommealedroit,»réponditlejeunegarçon,«n’est-cepas,d’agircommeunfou,s’ille

souhaite?»—«Oui,»dis-je,«touthommeacedroit.»—«Alors,»reprit-il,«Capitaine,l’oiseaus’étantreposé,partons!»—«Qu’onapporteunecouverturedelaineaujeunefou!»ordonnai-je.«Etqu’onluidonneun

ceinturonainsiqu’unfourreau!»—«Oui,Capitaine!»criaunmarin.—«Crois-tuquetupourrast’accrocherpendantplusieursahnsàunecordeànœuds?»demandai-

je.—«Biensûr,»répondit-il,«Capitaine!»Quelquesinstantsplustard,letarnouvritsesaileset,saisiparlevent,futprojetédevantleDorna

puis, décrivant des cercles vertigineux, prit de l’altitude dans le vent et la neige fondue. Le jeunegarçon,lespiedssurunnœudetlesmainsserrantlacorde,sebalançaitau-dessousdemoi.Toutenbas,leDornamontait et descendait sur les vagues et, plus loin, les navires de la flotte, navires ronds etnavires-tarns,voiledetempêtehisséeetramesenaction,fuyaientdevantlatempête.

JenevispaslesnaviresdeCosetdeTyros.Terence de Treve, Capitaine des tarniersmercenaires, avait refusé de regagner PortKar avant le

retour de la flotte. Les environs de Port Kar devaient grouiller de tarniers, mercenaires également,engagésparlesUbarsrebellesetClaudius,régentd’HenriusSevarius.

«LeshommesdeTrevesontbraves,»avait-ildit,«maisilsnesontpasfous!»L’oiseau étaitmalmenépar la tempête,mais il était fort. J’ignorais l’étenduede la tempête,mais

j’espéraisquelefrontnesetrouvaitqu’àquelquespasangs.L’oiseaunepouvaitsedirigerdroitsurPortKar,enraisonduvent,maisnousparvînmesàsuivreuneoblique,nouséloignantdelaflotte.Detempsentemps,fatigué,lesailesmouillées,glacé,couvertdeneigefondue,l’oiseautombaitvertigineusementmaisilparvenaittoujoursàseredresseretpoursuivaitsonchemin,pousséparlevent,volantàpeine.

Poisson, le jeunegarçon,glacé, engourdi, lescheveuxet lesvêtementscouvertsdeneige fondue,s’accrochaitàlacordequisebalançaitsousl’oiseau.

Une fois, l’oiseau descendit tellement bas que les pieds du jeune garçon et le bout de la cordetraînèrentdansleseauxdéchaînées,puisl’oiseau,réagissantauxviolentespressionsquej’exerçaisurlapremièrerêne,repritdel’altitude,sanstoutefoisparveniràs’éleveràplusdequelquesmètresau-dessusdesvaguesnoiresetrugissantesdelamerdémontée.

Puis,laneigefonduesemuaenpluieviolente,etlapluieenventcruel,puisilnerestaplusqu’unebrisefroide,àlalimitedelatempête.

Et,au-dessousdenous,ThassafutilluminéeparlesoleilfroiddeSe’Kara.Nousétionssortisdelatempête.Auloin,j’aperçusdesplagesrocheuses,del’herbe,desbuissonset,au-delà,desforêtsdeTuretdeKa-la-na.

Nousfîmesdescendrel’oiseaufrissonnantparmilesarbres.Poissonsautaàterre,jelaissail’oiseauplaner un instant, puis se poser. Je lui retirai sa selle et il s’ébroua.Ensuite, je le couvris avecmonmanteaud’Amiral.Nousfîmesdufeu,afindeséchernosvêtementsetnousréchauffer.

«NousgagneronsPortKaràlanuit,»dis-jeaujeunegarçon.—«Biensûr,»répondit-il.

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EncompagniedePoisson,jemetenaisdanslagrandesalleobscuredemademeureoù,laveilleausoir,nousavionscélébrémavictoire.

L’immense salle, haute de plafond, n’était éclairée que par un brasero dont les braises rougesluisaientdansleurpaniermétallique.

Nospasrésonnaientsurledallagedelagrandesalle.Nousavionslaisséletarnaubordduportintérieurdelacour.Nousn’avionsrencontréaucuntarnier,au-dessusdelaCité.LaCitéelle-mêmeétaitpratiquementdanslenoir.NousavionssurvolélaCité,nedécouvrantquedesimmeublesobscursetlerefletdestroislunesde

Gordanslescanaux.Puisnousavionsgagnémademeureetnousnoustenionscôteàcôtedanslagrandesalleobscureet

apparemmentdéserte.Noslamesétaientdégainées,celled’unAmiraldelaflotteetcelled’unesclave.Nousregardâmesautourdenous.Nousn’avions rencontré personnedans les couloirs, dans les pièces oùnous étions entrés, sur le

chemindelagrandesalle.Nousperçûmesunbruitétouffévenantd’uncoinobscur.Agenouillées dos à dos, les poignets attachés à un anneau d’esclave, se trouvaient deux jeunes

femmes.Leursyeux,au-dessusdesbâillons,exprimaientlaterreur.Ellessecouèrentlatête.EllesportaientlesvêtementsmisérablesdesEsclavesdeCuisine.Ils’agissaitdeVinaetdeTelima.Poissonvoulutseprécipiterverselles,maisjel’enempêchai.Sans unmot, je lui fis signe de prendre position près de l’entrée de la grande pièce, où il serait

dissimulé.D’unedémarcheirritée,jemedirigeaiverslesjeunesfemmes.Jenelesdétachaipas.Elless’étaient

laisséprendreetservaientd’appât.Vinaétaittrèsjeune,maisTelima,elle,auraitdûseméfier.Pourtantelle aussi, la fière Telima, était agenouillée près de l’anneau, les poignets attachés dans le dos,efficacementbâillonnée,femmejeuneetbelle,attachéepourtantàl’anneaud’esclave,aussiimpuissantequelajeunefille.

Jeluicaressairudementlatête.«Idiote!»dis-je.Elletentademedirequedeshommesallaientnousattaquer.« Les filles des Renciers, » déclarai-je, « ont, dit-on, la bouche aussi grande que le delta lui-

même!»Elleneputproduirequedepetitsbruitsmécontentsetfutiles.J’examinai lebâillon.D’épaissesbandesdecuirétaientattachéessursabouche, retenant le lourd

tampon,probablementdetissurep,quisetrouvaitàl’intérieur.Untelbâillonn’avaitriend’agréable.Ilavaitétécorrectementposé.

«Enfin,»dis-je,«quelqu’unatrouvémoyenderéduirelesfillesdeRenciersausilence!»LesyeuxdeTelimas’emplirentdelarmes.Ellesetortillafutilement,enproieàlapeuretàlafureur.Jeluicaressailatêted’unaircondescendant.Ellemelançaunregardchargéderageetd’exaspération.Jetournailedosauxjeunesfemmes,maisnem’éloignaipasd’elles.Jedis,d’unevoixforte:«Maintenant,libéronscesfilles!»Au même instant, dans le couloir, j’entendis un coup de sifflet, un bruit de course précipitée.

Plusieurshommesarrivaient.Certainsétaientmunisdetorches.

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«Toussurlui!»criaLysias,quiportaitsoncasqueornéd’unecrêteenpoilsdesleen,insignedesCapitainesdePortKar.Toutefois,Lysiasnes’approchapasdemoi.

Plusieurshommessejetèrentsurmoi,certainsavecdestorches.Quarantehommes,peut-être,seprécipitèrentdanslasalle.Jelesaffrontai,medéplaçantrapidement,changeantcontinuellementdeposition,lesattirantàma

poursuite,puislesrepoussantl’unaprèsl’autre.Jerestai,autantquepossible,prèsdesjeunesfemmesdesortequeleshommestournentledosàl’entrée.

Je voyais, contrairement à eux, une ombre qui se déplaçait rapidement, derrière eux, changeantcontinuellementdeposition, parmi lesombresmouvantesdeshommeset des torches, profitant de laconfusion,mais restant toujours à l’arrière, commedépourvuede substance,mais arméed’une lame.Puis l’ombre mit un casque et il devint presque impossible de la distinguer des autres. Ceux quitombaientdevantcetteombrelefaisaientsanss’enrendrecompteetsansbruitcarlalameleurperçaitlagorgeaussisubrepticementqu’unmurmuredansl’obscurité.

Quantàmoi,j’abattisneufGuerriers.Puisdenouveauxcrisretentirentetdenouvellestorchesapparurent.Lasalleétaitmaintenantbrillammentéclairéeetlesgrossespoutresduplafondelles-mêmesétaient

visibles.Comme il avait été découvert, Poisson combattit à mon côté, de sorte que nous puissions nous

protégermutuellement.«Tuvois,Esclave,»luidis-je,«tuauraisdûresteraveclaflotte.»—«Tais-toi!»répliqua-t-il.Puisilajouta:«…Maître.»Jeris.Lejeunegarçon,d’uncouprapidecommel’éclair,enfonçadixcentimètresd’acierdansuncorpset

seremitengardeavantmêmequesonadversaireaitcompriscequ’illuiarrivait.Dansuncombattelqueceluiquenousmenions,ilnefautpasappuyerlescoupscarilestnécessaire

delibérerrapidementsalame.—«Tuasbienprofitédetesleçons,»dis-je,«Esclave.»—«Merci,Maître,»répondit-il.Ilabattitunautrehomme.J’enabattisdeux,surmadroite.D’autreshommesarrivaientparlecouloir.Puis, de l’autre côté, par la porte des cuisines, d’autres hommes entrèrent, armés de torches et

d’épées.Noussommesperdus,medis-je.Perdus.Soudain,furieux,jeconstataiqueceshommesétaientconduitsparSamos.«Ainsi,»criai-je,«jenem’étaispastrompé,tuétaisbienliguéaveclesennemisdePortKar!»Mais,avecstupéfaction,jelevisabattreundenosadversaires.Certainsdesescompagnonsétaientdeshommesquej’avaischargésdegardermademeure.Jene

connaissaispaslesautres.«Fuyez!»criaLysiasdanslefracasdesarmes.Ses hommes reculèrent et, avec l’aide de ceux qui étaient venus à notre secours, nous les

poursuivîmes,lescontraignantàcombattre,jusqu’àlaportedelagrandesallehautedeplafond.Unefoislà,nousnousarrêtâmesetfermâmeslesportes,mettantlesbarresenplace.Avecl’aidedeSamos,jefisglisserladernièrebarredanssonlogementmétallique.Il était en sueur, lamanche de sa tunique était déchirée. Il avait une tache sanglante sur le côté

gaucheduvisageetsescheveuxblancsetcourts,ainsiquesonoreilleétaienttachésdesang.«Laflotte?»demanda-t-il.

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—«Noussommesvictorieux,»répondis-je.—«Bien,»fit-il.Ilrengainasonépée.«Nousdéfendonsledonjonprochedumurdonnantsurle

delta,»ajouta-t-il.«Suis-moi!»Ils’arrêtaprèsdesjeunesfemmesattachées.«Ainsi, vous êtes là ! » fit-il. Il se tourna versmoi. « Elles se sont enfuies dans l’espoir de te

retrouver.»—«Ellesontréussi,»dis-je.Jecoupailacordequi,enserrantleurspoignets,lesattachaitàl’anneaud’esclave.Ellesselevèrent

péniblement.Bienqu’ellesnefussentplusprisonnièresdel’anneau,ellesavaienttoujourslespoignetsattachés dans le dos. Elles étaient toujours bâillonnées.Vina courut vers Poisson, les yeux pleins delarmes,etposalatêtesursonépaulegauche.Illapritdanssesbras.

Timidement,Telimasedirigeaversmoi,puisellelevalatête,lesyeuxéclairésd’unsourire,etposalatêtesurmonépauledroite.Jelaserraicontremoi.

—«Ainsi,»disaitPoissonàVina,«tut’esenfuiedudonjon?»Elleleregardaavecétonnement.Illapritparlesépaules,lafitpivoteretlapoussadevantluidanslecouloirconduisantauxcuisines.

Puis,d’ungesterapide,illafrappavigoureusementduplatdel’épée.Ellefiladevantlui.—«Apparemment,»dis-jeàTelima,«tueségalementsortieencachettedudonjon?»Ellereculaprudemment.«Souhaites-tumedirequelquechose,filledeRencier?»m’enquis-je.—«Umm-ummph,»protestaTelimaensecouantlatête.Jefisunpasverselle.Ellesecoualatête.Sonregarddisait:Si-jamais-tu-oses…Jefisunnouveaupasverselle.Telima,faisantfidesadignité,pivotasurelle-mêmeetfilaverslecouloir,maisellen’avaitpasfait

dixmètresqu’elleavaitétéfrappéedeuxfoisduplatdemonépée.Vingtmètresplus loin, elle s’arrêta, se retournaetme regarda.Elle se redressade toute sa taille,

pleinedefureuretd’orgueil.Jefisencoreunpasdanssadirectionet,pivotantvivementsurelle-même,elles’enfuit.JesupposaiqueladignitédeTelimanesupporteraitpasunnouveaucoupduplatdel’épée.Jeris.—«Ilfautsavoirs’yprendreaveclesfemmes,»déclaraPoissonavecgravité.—«Oui,»répondis-jesurlemêmeton.—«IlfautleurmontrerquiestleMaître,»ajouta-t-il.—«Exactement!»fis-je.Leshommesrassemblésautourdenousrirentet,compagnonsd’armes,noustraversâmeslecouloir,

lescuisinesetlessalles,nousdirigeantversledonjon.Lelendemainaprès-midi,jemetenais,encompagniedeSamos,derrièreleparapetdudonjon.Au-

dessusdenous,entredespoutres,étaittenduunfildestinéàempêcherlestarnsdeseposer.Unpeuplusloin, se dressaient de lourds mantelets, montés sur des poteaux, sous lesquels nous pourrions nousabriteraucasoùdestarnierstireraientdescarreauxd’arbalète.

MongrandarcenboisdeKa-la-najaune,auxextrémitésrenforcéesdecornedebosk,àlacordedechanvreentrelacédesoie,étaitlà.Grâceàlui,nousavionspumaintenirlesassaillantsàdistance.Ilnerestaitquequelquesflèches.

Noshommesétaientàl’intérieur.Nousétionsfatigués.Nousn’avionsguèredormi.IlnerestaitplusqueSamosetmoipourmonterlagarde.

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Avantmonretour,avecseshommesetlesmiens,Samosavaitrepousséonzeassautsconjuguésdestarniersetdel’infanterie.Depuismonretour,nousenavionsrepousséquatre.Ilnenousrestaitplusquetrente-cinqhommes,dix-huitquiavaientaccompagnéSamosdansmademeureetdix-septdesmiens.

«Pourquoies-tuvenudéfendremademeureetmondonjon?»demandai-jeàSamos.—«L’ignores-tuvraiment?»s’enquit-il.—«Non,»répondis-je.—«Celan’aplusd’importance,»dit-il,«maintenant.»—«Sanstoietteshommes,»soulignai-je,«mademeureseraittombéedepuislongtemps.»Samoshaussalesépaules.Nousregardâmespar-dessusleparapet.Ledonjonestprochedelamurailledonnantsurledelta.Du

hautdesremparts,nousdécouvrionslemaraisainsiqueledeltaimmenseetmagnifiqueduVosk,quej’avaistraversé,ilyavaitbienlongtemps.

Noshommes,épuisés,sereposaientàl’intérieurdudonjon.Lesquelquesminutesdesommeilqu’ilspouvaient s’accorder étaient précieuses. Tout comme Samos et moi-même, ils étaient presquecomplètement épuisés. L’attente, puis le combat ; puis l’attente encore, et le combat, se succédaientdepuistroplongtemps.

À l’intérieur, se trouvaient également quatre jeunes femmes : Vina, Telima et Luma, le chefcomptabledemaMaison,qui avait refuséde fuir, ainsi queSandra, ladanseuse, qui n’avait pasoséquittermademeure.Lesautres,hommesoufemmes,libresouesclaves,avaientfui.ThurnocketThura,ClitusetUlaqui,àmonsens,auraientdûrester,s’étaientenfuis.Jeneleleurreprochaispas,mêmeauplusprofonddemoncœur.Ilsavaientagisagement.Ilauraitfalluêtrefoupourrester.Enfindecompte,medis-je,c’estmoiquisuisunimbécile,paseux.Pourtant,àcemoment-là,jen’auraispasvouluêtreailleurs qu’à l’endroit où j’étais, au sommet de mon donjon, dans la demeure qui, à Port Kar,m’appartenait.

C’estpourquoijemontaislagardeencompagniedeSamos.Je le regardai. Jene comprenaispas leMarchandd’Esclaves.Pourquoi était-il venudéfendrema

demeure?Etait-iltellementirrationnel,tellementfou,méprisait-iltellementlavaleurdesavie?Iln’avaitpassaplaceici.Cettedemeureétaitàmoi,àmoi!—«Tuesfatigué,»ditSamos.«Descends.Jevaismonterlagarde.»J’acquiesçai.Jen’avaisplusderaisondememéfierdeSamos,etjen’enavaisplusletemps.Ilavait

souillésonépéepourmoi.Savie,commelamienne,avaitétéexposéeauparapetdemondonjon.Jenevoulaisplussavoirs’ilservaitlesUbars,Claudius,régentd’HenriusSevarius,lesUbaratsdeCosetdeTyros, les Autres, les Prêtres-Rois ou bien lui-même. Je ne voulais plus rien savoir. J’étais revenu.J’étaistrèsfatigué.

J’ouvris la trappeetdescendis,par l’échelle,dans lapièce située sous le sommetdudonjon. Ilyavait là assez d’eau et de nourriture pour tenir une bonne semaine.Mais je ne croyais pas que noustiendrionsaussilongtemps.D’autresassautsauraientsansdoutelieu,avantlanuitet,tôtoutard,nousserionsdébordés.

Jeregardaiautourdemoi.Leshommesdormaient.Leplancherétaitsaleetparsemédedétritus.Leshommes n’étaient pas rasés. Il y en avait, les hommes de Samos, que je ne connaissais pas, maisd’autres, les miens, avaient su susciter mon affection. Il y avait même des esclaves, qui avaientcombattu avecdes gaffes et desmasses.D’autres étaient des hommesque j’avais affranchis et à quij’avais enseigné le maniement des armes. D’autres étaient des marins et deux autres étaient desmercenairesqui avaient refusédequittermonservice.Poissondormait,Vinablottiedans sesbras. Ils’estbienbattu,medis-je.

«Maître,»entendis-je.

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Dans un coin de la pièce, se tenait Sandra, la danseuse. Elle était réellement magnifique.Curieusement,elleétaitvêtuedesSoieriesdePlaisir,etmaquillée.

Jemedirigeaiverselle.Agenouilléedevantunmiroirdebronze,ellesepeignaitlespaupières.Ellelevasurmoidesyeuxpleinsdeterreur.«Quandilsviendront,»demanda-t-elle,«ilsnetuerontpasSandra,n’est-cepas?»—«Jenelecroispas,»répondis-je.«Jecroisqu’ilslatrouverontbelleetl’épargneront.»Le soulagement la fit frissonner, puis elle se tourna à nouveau vers son miroir, examinant

attentivementsonvisage.Doucement,jelafisleveretlaregardaidanslesyeux.—«Jet’enprie,nedéfaispasmonmaquillage,»supplia-t-elle.Jesouris.—«Necrainsrien,»dis-je.«Ilstetrouveronttrèsbelle.»Jel’embrassaidanslecou,sousl’oreille,puisdescendisàl’étageinférieur.Ellemeregardapartir.Àcetétage,assisecontrelemur,lesgenouxcontrelapoitrine,jetrouvaiLuma.J’allaijusqu’àelleetm’immobilisaidevantelle.Elleselevaetmecaressalégèrementlajoue.Sesyeuxétaientpleinsdelarmes.« Je suis prêt à t’affranchir, » dis-je, « mais je crois qu’ils tueront les femmes libres, s’ils en

trouvent.»Jetouchaisoncollier.«Aveclui,»repris-je,«tuauraspeut-êtrelaviesauve.»Ellefonditenlarmesetposalatêtesurmonépaule.Jelaserraidansmesbras.«MabraveLuma,»dis-je.«MabraveetgentilleLuma.»Jel’embrassaipuis,larepoussantdoucement,descendisàl’étageinférieur.Telimaysoignaitdeuxblessés.Unecouvertureétaitétendueaupieddumur.Jem’assisdessusetmeprislatêteentrelesmains.La jeune femmem’y rejoignitet, à lamanièredes femmesgoréennes, s’agenouilla,assisesur les

talons.«Jeprésume,»dit-elle,«quelaflottevarentrerdansquelquesheuresetquenousseronssauvés?»Ellesavaitcertainementaussibienquemoiquelaflotteavaitétépousséeverslesudetqu’ellene

pourraitpasregagnerPortKaravantdeuxoutroisjours,aumieux.—«Oui,»dis-je,«dansquelquesheures,laflottereviendraetnousseronssauvés.»Elleposalamainsurmatête,puissonvisagefuttoutprèsdumien.«Nepleurepas!»ordonnai-je.Jelaserraicontremoi.—«Jet’aifaittellementdemal!»dit-elle.—«Non,»répondis-je,«non.»—«Toutesttellementétrange,»fit-elle.—«Qu’est-cequiestétrange?»demandai-je.—«QueSamossoitici,»répondit-elle.—«Pourquoi?»m’enquis-je.Ellemeregarda.—«Parceque,»expliqua-t-elle,«c’étaitmonMaître.»Jefusébahi.« J’ai été capturée à l’âgede sept ans, au cours d’un raid, » dit-elle, « etSamosm’a achetée au

MarchéauxEsclaves.Pendantdenombreusesannées,ils’estoccupédemoi,s’estintéresséàmoi.J’aiétébientraitée;onm’aenseignédeschosesqu’onenseignerarementauxesclaves.Jesais lire,vois-

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tu.»Jemesouvinsquej’avaisconstatéavecsurpriseque,bienqu’ellenefûtqu’unefilledeRencier,elle

savaitlire.«Et,quandj’aisulire,»reprit-elle,«onm’aenseignébeaucoupd’autreschoses.MêmelaSeconde

Connaissance.»Celaétait,engénéral,réservéauxHautesCastesdeGor.«J’aiétéélevéedanscetteMaison,»poursuivit-elle,«avecamouretSamosétaitpresqueunpère

pour moi. J’avais le droit de parler aux Scribes, aux Chanteurs, aux Marchands et aux voyageurs.D’autresesclaves,quiétaientégalementtrèslibres,maispasautantquemoi,devinrentmesamies.Nouspouvionsnouspromenerenville,maisdesgardiensnousaccompagnaientafindenousprotéger.»

—«Qu’est-ilarrivéensuite?»demandai-je.Savoixdevintdure.—«Onm’avaitditquemavieseraittransforméelejourdemondix-septièmeanniversaire.»Elle

sourit.«Jecroyaisquej’allaisêtreaffranchieoubienqueSamosm’adopterait.»—«Qu’est-ilarrivé?»m’enquis-je.—«Cematin-là,àl’aube,»raconta-t-elle,«leMaîtredesEsclavesestvenumechercher.Onm’a

conduite auxcagesde fer.Là, commeune fillequ’onvientdecapturer sur les îlesde rence,onm’adéshabillée.Onafaitchaufferunfer.J’aiétémarquée.Onm’aposélatêtesuruneenclumeet,àcoupsdemarteau, onm’a fixé au couun simple colliermétallique.Puis onm’a attaché les poignets à desanneauxscellésdanslemur,etonm’afouettée.Ensuite,lorsqu’onmelibéra,leMaîtredesEsclavesetses hommes se servirent demoi. Puis onm’enchaîna et onm’enferma dans une cage, avec d’autresfilles. Ces filles, dont certaines étaient originaires des îles de rence, me battaient souvent car ellessavaientàquelpointj’avaisétélibred’alleretdevenirdanslamaisonetellessavaientégalement,cequi étaitvrai,que jemecroyais très supérieureà elles, fillesordinaires, simplemarchandise. Je crusqu’ilyavaitunegraveerreur.Pendantdesjours,malgrélescoupsdesautresfilles,jesuppliaileMaîtredesEsclaves,lesgardes,demeconduiredevantSamos.Enfin,àgenoux,avecunsimplecollier,rouéedecoupsetenchaînée,nue,jefusjetéedevantlui.»

—«Quedit-il?»demandai-je.—«Ildit,»répondit-elle,«ildit:«Faitessortircetteesclave!».Cefuttout.»Jebaissailesyeuxmaislaserraicontremoi.«Onm’aenseignélesdevoirsd’uneesclave,auseindelaMaisondeSamos,»reprit-elle,«etj’ai

donnésatisfaction.Mesanciennesamiesrefusèrentdem’adresserlaparole.Lesgardesquim’avaientprotégéepouvaient,s’ilsenavaientenvie,meprendredansleursbrasetmebattresijenelesservaispasbien.»

—«Samoslui-mêmes’est-ilservidetoi?»demandai-je.—«Non,»répondit-elle.Puisellepoursuivit :«Onmeconfiait lestâcheslesplusdésagréables.

Souvent,jen’avaispasledroitdem’habiller.Souvent,j’étaisbattueetonseservaitcruellementdemoi.Au soir, je n’étais pas seulement enchaînée, mais aussi enfermée dans une cage minuscule, où jepouvaisàpeinebouger.»Ellemeregarda,lesyeuxpleinsdecolère.«Enmoi,»reprit-elle,«lahainegrandit:contrePortKar,contreSamosetleshommes,etcontrelesesclaves,dontj’étais.Jenevivaisquepourmahaineetl’espoirquejepourraisunjourm’échapperpuismevenger.»

—«Tut’eséchappée,»dis-je.—«Oui,»répondit-elle.«EnfaisantleménagechezleMaîtredesEsclaves, jetrouvailacléde

moncollier.»—«Tuneportaisdoncplusunsimplecolliermétallique?»relevai-je.—«Dèsledébut,aprèsmondix-septièmeanniversaire,»expliquaTelima,«j’aireçuuneéducation

d’Esclave de Plaisir. Un an plus tard, la Maîtresse des Esclaves a annoncé que j’étais devenue

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parfaitement compétente dans ce domaine. À cette époque, un forgeron retira mon collier, qui futremplacéparuncollierpourvud’uneserrureàsixtiges.»

SurGor,lecollierdesesclavescomporte,engénéral,uneserrureàsixtigesousixdisques.Lemotqui, en goréen, signifie : femme esclave, comporte, incidemment, six lettres. Il s’agit deKajira. Lescolliersdesesclavesmâles,quantàeux,nesontquedescerclesd’acierrivésdirectementaumarteausurl’enclume.

—«Ilsemblebizarre,»fis-jeremarquer,«queleMaîtredesEsclavesaitlaissélacléàunendroitoùl’esclaveenquestionrisquaitdelatrouver.»

Ellehaussalesépaules.—«Enoutre,»reprit-elle,«ilyavait,àcôté,unbraceletenor.»Ellemeregarda.«Jel’aipris,»

dit-elle. « Jeme suis dit que l’orme serait utile, ne serait-ce que pour obtenir des gardes qu’ilsmelaissentpasser.»Ellebaissalatête.«Mais,»poursuivit-elle,«jequittailamaisonsansdifficulté.Jeleur dis que j’allais faire une course et ils me laissèrent partir. Naturellement, j’avais déjà fait descoursesenville.Dehors,jeretirailecollierafindepouvoirmedéplacerdanslacitésansêtreobligéederépondreàdesquestions.Jetrouvaidespoutres,delacorde,unegaffe,construisisunradeauet,parundescanauxquiconduisentaudelta, lesquelsn’étaientpasbarrésà l’époque, jeparvinsàm’échapper.J’avaisvécumonenfancedanslemarais,jen’enavaisdoncpaspeur.J’aiétérecueillieparleshommesdeHo-Hakquim’acceptèrentdansleurcommunauté.Ilsmepermirentmêmedeconserverlebraceletenor.»

Jeregardaisfixementlemuropposé.—«Hais-tutoujoursSamos?»demandai-je.—«Jelecroyais,»répondit-elle.«Maisdepuisqu’ilesticietqu’ilnousaide,jenelehaisplus.

Toutcelaesttrèsétrange.»J’étaisfatiguéetj’avaisbesoindedormir.J’étaisheureuxqueTelimam’aitracontécettepartiedesa

vie, que j’ignorais. J’avais le sentiment que je ne pouvais pas tout comprendre, à cemoment-là, etqu’elle-mêmenecomprenaitpastout,maisj’étaistrèsfatigué.

—«Tusais,»dis-je,«ledonjonvaêtreprisd’assautetnousseronstousmassacrés,leshommestoutaumoins.»

—«Laflotteviendra,»fit-elle.—«Oui,»dis-je.«Maissiellenevientpas?»—«Elleviendra,»affirma-t-elleavecconfiance.—«Oùestlecollierquejet’aienlevélanuitdelafêtedelavictoire?»demandai-je.Ellemeregardasanscomprendre.—«Jel’aiapporté,»répondit-elle.Ellesourit.«Jenesavaispassitusouhaitaisquejesoisesclave

oulibre.»—«Deshommesarmésvontvenir,»dis-je.«Oùestlecollier?»Ellemeregarda.—«Dois-jelemettre?»demanda-t-elle.—«Oui,»répondis-je.Jenevoulaispasqu’ellesoittuée,lorsquelesassaillantsentreraient.S’ilsla

prenaientpourunefemmelibre,etlamiennedesurcroît,ilsnetarderaientcertainementpasàlatuer:àlatortureretàl’empaler.

Elleretrouvalecollier.«Mets-le!»ordonnai-je.—«Ya-t-iltellementpeud’espoir?»demanda-t-elle.—«Mets-le,»répétai-je.«Mets-le!»—«Non,»répondit-elle.«Situmeurs,jeveuxmouriràtescôtés,commesij’étaistafemme.»PortKarnereconnaîtpaslaLibreCompagnie,maisilyavaitdesfemmeslibres,danslaCité,dont

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onsavaitqu’ellesétaientlafemmed’unhomme.—«Es-tumafemme?»demandai-je.—«Oui,»répondit-elle.—«Danscecas,»dis-je,«obéis-moi.»Ellesourit.—«Sijedoisporteruncollier,»déclara-t-elle,«quecesoitdelamaindemonUbar.»Jeluipassailecollieraucouetl’embrassai.Soussatunique,étaitcachéeunepetitedague.—«Combattrais-tuavecceci?»demandai-je,laluiprenant.—«Jeneveuxpasvivresanstoi!»s’écria-t-elle.Jejetailadaguedansuncoin.Ellepleuraitdans

mesbras.—«Non,»dis-je.«Laviecompteplusquetoutlereste.Laviecompteplusquetoutlereste.La

vie.»Ellepleuraitdansmesbras.Épuisé,jem’endormis.«Ilsarrivent!»criaquelqu’un.Jesecouailatête,melevaid’unbond.«MonUbar!»criaTelima.«J’aiapportéceciaudonjon.»Ellemetenditl’épéequejeportaislorsdemonarrivéeàPortKar.Jelaregardai.Jeposaimonépéed’Amiral.—«Merci,»dis-je.Noslèvress’effleurèrent,puisjelarepoussaietcourusàl’échelle.Jeglissailalamedanslefourreau

etgravisleséchelons.Au-dessusdemoi,retentissaientlescrisetlesbruitsdepasdeshommes.Jegravisl’échelle.Au côté, je portais l’épée avec laquelle j’étais arrivé à Port Kar, celle que je portais depuis de

nombreusesannées,ausièged’Ar,àTharna,dansleNiddesPrêtres-Rois,danslesPlainesdesPeuplesdesChariots,danslesruesd’Ar,lorsquej’avaisfeintdeservirCernus,MaîtredelaMaisondeCemus,leplusgrandMarchandd’Esclavesd’Ar.Ellen’avaitni lepommeauornédepierresprécieusesni lalamedécoréedemonépéed’Amiral,maisellemesuffisait.Telimal’avaittrouvéedansmesaffairesetapportéeaudonjon,afinqu’ellem’yattende.Curieusement,elleavaitpressentiquejereviendraisdansma demeure. Tout en gravissant l’échelle, j’étais heureux de porter, au côté,ma vieille lame, l’acierfamilier,chargédesouvenirsappartenantàuneautrevie,àunautretemps,alorsquej’étaisTarlCabot.

S’ilfautmourir,n’est-ilpaspréférabledemouriravecunetellelameàlamain?Nouscombattionsausommetdudonjon.Lesquatredernièresflèchesdugrandarcavaientététiréesetquatrehommes,quiétaientmontéssur

lemurdonnantsurledelta,afindecouvrirlesassaillants,étaienttombés.Deboutsurlesmantelets,armésdelancesetd’épées,nousrepoussâmesleshommesqui,suspendus

àdescordesfixéesàdestarns,selaissaienttomberausommetdudonjon.Desgrappins,attachésàl’extrémitédecordesànœuds,passèrentpar-dessusleparapet,griffèrentla

pierreetsecoincèrentdanslesfissures.Leséchellesd’assaut,constituéesd’unaxecentralsupportantdes barreaux, heurtèrent les murailles du donjon. Nous entendîmes la trompette, les bruits de pasprécipitésetd’escalade,lefracasdesarmes,lescrisdeshommes.

Puisdestêtescasquées,auxyeuxfousdansl’ouvertureenformedeYdescasques,apparurentauxcréneaux,ainsiquedesmainsgantéesetdespiedsbottés,puislesennemisfranchirentlemur.

Jebondisaupieddumantelet,surlequeljemetenais,etmeprécipitaiverslemur.

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J’entendisletintementdel’acierdeSamoset,derrièremoi,lescrisdeshommes.J’aperçusPoisson,lejeunegarçon,courant,tenantàdeuxmainsunelanceau-dessusdesatête,puis

j’entendisuncrihorrible,longetplaintif,suividelachutebrutaled’uncorpssurledallage,toutenbas.«Empêchez-lesdemonter!»criai-jeàmeshommes.Ilsseprécipitèrentauxcréneaux.Àl’intérieur,nouscombattîmesceuxquiavaientescaladélemur.Unassaillantdescenditl’échelleconduisantauniveauinférieur.Puisilpoussauncri,lâchalesbarreauxettomba.LatêtedeTelimaapparutdansl’ouverture.Elleavait,entrelesdents,ladaguequej’avaisvue.Dans

lamaindroite,ensanglantée,elletenaitl’épéed’Amiralquej’avaisabandonnée.«Redescends!»luicriai-je.Luma et Vina montaient derrière elle. Elles ramassèrent des pierres, sur le sommet du donjon,

coururentauxcréneauxetlesprécipitèrentsurlesassaillants.Telima,déchaînée,tenantl’épéeàdeuxmains,frappa,par-derrière,unhommeaucou,etiltomba.

Puis un assaillant la désarma. Il leva sa lame, prêt à frapper, mais mon épée s’enfonça sous sonomoplategaucheetilpivotasurlui-mêmeavantd’avoirpufaireusagedesonarme.

Unhomme,deboutsurleparapet,tombaenhurlant,frappéparunepierreaussigrossequesatête,jetéeparlespetitesmainsdeLuma.Vina,munied’unbouclierpresquetroplourdpourelle,tentaitdecouvrirPoisson,tandisqu’ilcombattait.Jelevisabattreunhomme,puischercherunnouveladversaire.

Jejetaiunhommequejevenaisdefrapper,avantmêmequ’ilsoitmort,par-dessusleparapet,surunautre, qui gravissait une échelle d’assaut à laquelle il s’accrocha désespérément, de sorte qu’ill’entraîna,suivantungrandarc,danssachute.Undemesanciensesclaves,arméd’unehampedelance,fitbasculerunautreassaillant.

Samosplongeasalamedansl’ouvertureenformedeYd’uncasque,détournaunjavelotlancédanssadirection,puisaffrontal’acierd’unautrehomme.

Latrompettedelaretraitesonnaetnoustuâmessixhommestandisqu’ilstentaientdes’enfuir.Lesoufflecourt,couvertsdesang,nousnousregardâmes.«L’attaquesuivante,»ditSamosd’unevoixindifférente,«seraladernière.»Samosétaitvivant,toutcommemoi,Poisson,lestroisjeunesfemmeset,outreSandra,ladanseuse,

qui était restée à l’intérieur, cinq hommes, trois compagnons de Samos et deux de mes fidèles, unsimplemercenaireetunancienesclave.

Jeregardailedelta.Derrièrelesmurs,àl’intérieurdelademeure,retentissaientlesordres,lecliquetisdesarmes.Cette

fois-ci,nousn’attendrionspaslongtemps.J’allaiauprèsdeSamos.«Jetesouhaitetoutlebien,»dis-je.Il tournaversmoison lourdvisagecarréquisemblait toujours,àmesyeux,celuid’unprédateur.

Puisilsedétourna.—«Moiaussi,»dit-il,«jetesouhaitetoutlebien,Guerrier.»Il parut embarrassédem’avoir adressé cesparoles. Jemedemandai pourquoi ilm’avait appelé :

Guerrier.JeprisTelimadansmesbras.—«Quandilsreviendront,»dis-je,«cache-toiàl’intérieur.Si tucombats, tuserascertainement

massacrée.Quand ils te trouveront, soumets-toi. Ils t’épargnerontpeut-être.»Puis jeme tournaiversLumaetVina.«Vousaussi,»poursuivis-je.«Nevousmêlezpasdesaffairesdeshommes.»

Vinaregardalejeunehomme,Poisson.Ilhochalatête.

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—«Oui,»dit-il.«Descends.»—«Moi,»déclaraTelima,«jetrouvequ’onmanqued’air,enbas.»—«Moiaussi,»ditLumaavecunsourire.—«Oui,»renchéritVinaavecfermeté.«Onmanqued’air,enbas!»—«Trèsbien,»dis-je.«Parconséquent,ilfaudravousattacheraupieddeséchellesavantl’assaut

suivant.»—«Jecrois,»intervintSamos,quiregardaitpar-dessusleparapet,«quenousn’enauronspasle

temps.»Les trompettes signalant un nouvel assaut retentirent. Nous entendîmes un bruit de course

précipitée,surledallage,aupieddudonjon.—«Descendez!»criai-jeauxjeunesfemmes.Ellesnebougèrentpas,biencampéessurleursjambes,dansleursvêtementsd’esclaves,obstinéeset

rebelles.—«Nousreconnaissonsquenoussommestesesclaves!»hurlaTelima.«Sinousneteconvenons

pas,bats-nousoutue-nous!»Uncarreaud’arbalètepassaau-dessusdenous.—«Descends!»criaPoissonàVina.—«Sijeneteconvienspas,»répliqua-t-elle,«bats-moioutue-moi!»Illuidonnaunrapidebaiserpuisretournaauprèsdescréneaux.Lesjeunesfemmesramassèrentdespierresetdesépées,puisprirentpositionprèsdenous.—«Aurevoir,monUbar,»ditTelima.—«Adieu,Ubara,»répondis-je.Avecdeshurlements terrifiants,descentainesd’hommesse rassemblèrentaupieddudonjon.Les

échelles d’assaut furent à nouveau dressées contre lesmurs. À nouveau, des grappins passèrent au-dessus du parapet. Et, de l’autre côté du donjon, sur le mur donnant sur le delta, se tenaient desarbalétriers qui, ne craignant plus rien du fait que nous n’avions plus de flèches, couvraient lesassaillants.

Nousentendîmesleshommesapprocher,del’autrecôtédumur,letintementdesépéesetdeslancescontrelemurverticaldudonjon.

Le chef des arbalétriers, debout sur les créneaux du mur donnant sur le marais, dirigeait seshommes.

Lesassaillantsapprochaientrégulièrement.Puis, avec stupéfaction, je vis un trait de lumière jaillir du delta, derrière lemur, et le chef des

arbalétrierstournoyersurlui-même,commefrappéparunemassed’armes,puistomber,inerte,aupieddumur.

«Tumefaismal!»s’écriaTelima.Jeluiserraislebras.Jemelevaid’unbond.«Nebougepas!»m’avertitSamos.Soudain,plusdecentgrappinspassèrentpar-dessuslemurdonnantsurledelta,secoincèrentdans

lesfissuresetlescordessetendirentsouslepoidsdeshommes.Unarbalétriersetournaversledeltaetfut projeté en arrière, tentant de porter lesmains à sa tête. Fichée aumilieu de son front, la pointearrêtée par lemétal de la partie postérieure de son casque, se dressait la hampe d’une flèche qui nepouvaitprovenirqued’ungrandarcdePaysan.

Lesarbalétrierss’enfuirent.Lesassaillantsapprochaienttoujours.Puis,descentainesd’hommesfranchirentlemurdonnantsurledelta.

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«LesRenciers!»criai-je.Mais tous ces hommes avaient, sur le dos, un grand arc dePaysan.Dans un ordre parfait, ils se

mirentenligneendeçàduparapetdumurbordantledelta.Dansunmêmemouvement,leursflèchessefixèrentà lacorde,dansunmêmemouvement, lesarcsse tendirentpuisHo-Hak,deboutsur lemur,abaissalebrasavecuncriet,enunepluieoblique,undélugedetraitsauxplumesdemouettefilaversledonjon.Surlemur,prèsdeHo-Hak,setenaientThurnock,lePaysan,avecsonarc,etClitusavecsonfiletetsontrident.Uneclameurassourdissantes’élevadeséchellesd’assaut,leshommeshurlèrentdeterreur devant la mort, puis les échelles glissèrent et tombèrent, précipitant des corps sur ceux qui,massésaupied,attendaient leur tourdemonter. Inlassablement, la longuelignepostéeausommetdumurenvoyaundélugedeflèchesenboisdeTemàpointemétalliquesurlesassaillantsrassemblésaupieddudonjon.Etquandilss’éparpillèrentets’enfuirent,chaquearcherchoisitunecibleetraresfurentceuxquipurents’abriterailleursquesurlecôtédudonjonsituéàl’opposédesarchers.Puis,lesarcherscoururentsur lesmurs latéraux,bondirentsur les toits,afinque toute lacirconférencedudonjonsoitdans la ligne de tir de leurs projectiles et les jeunes femmes, avec l’aide des hommes, jetèrent despierressurceuxquitentaientdesecacherderrièreledonjon,desortequ’ilss’éparpillèrentànouveauets’enfuirent en direction de la demeure. Pendant un bref instant, j’aperçus Lysias, livide, les yeuxexorbités,avecsoncasqueornéd’unecrêteenpoilsdesleenet,àsescôtés,sonbandeaudeperlesdesorpduVosksurlefront,Henrak,leRencierquiavaittrahilessienspourl’ordePortKar.Puis,derrièreeux,dansunsomptueuxmanteaublancenfourruredesleenmarintacheté,l’épéeàlamain,jetantdesregardsdésespérésautourdelui,couraitunhommequepersonneneconnaissait.

«C’estClaudius!»s’écrialejeunegarçon,Poisson,quisetenaitprèsmoi.«C’estClaudius!»Ainsi,medis-je,voicidoncClaudius,régentd’HenriusSevariusquiavait,manifestement,tentéde

letuer.Lespoingsserrésdujeunegarçonreposaientsurleparapet.Puislestroishommes,suivisdequelquesautres,entrèrentdansmademeure.Surlemur,Thurnockagitasongrandarcau-dessusdesatête.«Capitaine!»cria-t-il.Clituslevaégalementlamain.Jelevaiégalementlamain,répondantàleursalut.Etjefissigne,également,àHo-Hak,leRencier.J’avaisconstatél’adressedeseshommesavecle

grandarc.J’étaisconvaincuque,ayantcomprislapuissancedugrandarcdanslemarais,lorsquejelesavais arrachés auxchasseursd’esclavesdespéniches, ils s’enétaientprocurés et les avaient adoptés,commelesPaysans.Àmonavis,lesRenciersneseraientplusàlamercideshabitantsdePortKar.Avecleurs armes et leur courage, ils seraient, peut-être pour la première fois, des hommes véritablementlibres,carilsseraientenmesurededéfendreleurliberté;ceuxquin’ensontpascapablesnesontpasvéritablementlibres,ilsontdelachance.

«Regarde!»s’écriaSamos.Du sommet du donjon, on découvrait le canal et les portes donnant sur la mer, au-delà du port

intérieurdemademeure.Deshommesquittaientmademeureencourantmais,surtout,surlecanal,lesramesluisantes,lemât

baissé,deuxnavires-tarnsapprochaient.—«C’estleVenna!»criai-je.«EtleTela!»DeboutàlaproueduVenna,unbouclieraubras,casqué,lalanceàlamain,setenaitTab.Ilavaitdûlaisserdériver lesnavires,supprimant jusqu’àlavoiledetempête,prenant lerisquede

détruire leVenna et leTela sur lamer démontée, afin de ne pas être poussé loin de PortKar, puis,lorsquelatempêtes’étaitcalmée,ilsavaientdûfairedemi-touretprendreàtoutevitesseladirectionduport.Lerestedelaflottesetrouvaitcertainementencoreàplusdecentpasangsausud.

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—«C’estunmarinvéritablementdignedePortKar,»déclaraSamos.—«Aimes-tucetteCité?»demandai-je.Samosrépondit:—«C’estlàquesetrouvemaPierreduFoyer.»Jesouris.Les deux navires, leVenna et leTela, entrèrent dans le port intérieur puis firent demi-tour, leurs

archerstirantsurleshommesquicouraientsurlesquaisdansl’espoird’atteindrelesportes.D’autrestombèrentàgenouxetjetèrentleursarmes.Ilsseraientenchaînésetréduitsenesclavage.JeprisTelimadansmesbras.Ellepleuraitetriaitenmêmetemps.Puisjesaisis lacorded’ungrappinaccrochéàuncréneauetdescendiscontrelemurextérieurdu

donjon.PoissonetSamosmesuivirentaussitôt.Avecd’autrescordes, leshommesentreprirentde fairedescendre les jeunes femmes,avantde les

suivre.Aupieddudonjon,nousretrouvâmesThurnock,ClitusetHo-Hak.Nousnousétreignîmes.«Tuasbienretenulaleçondugrandarc,»dis-jeàHo-Hak.—«Taleçonétaitbonne,Guerrier,»réponditHo-Hak.ThurnocketClitus,accompagnésdeThuraetd’Ula,étaientallésdemanderdel’aideauxRenciers,

ennemistraditionnelsdeshabitantsdePortKar.EtlesRenciers,bizarrement,avaientacceptéderisquerleurviepourmoi.

Jemerendiscomptequej’ignoraisvraimenttoutdeshommes.—«Merci,»dis-jeàHo-Hak.—«Cen’estrien,»répondit-il,«Guerrier.»C’estdansdetelsriens,medis-je,querésidentnotrehumanitéetnotresens.—«Ilenrestetroisàl’intérieur,»nousavertitunmarin.AccompagnédeSamos,dePoisson,deThurnock,deClitus,deHo-Haketd’autres,j’entraidansla

demeure.Danslagrandesalle,entourésd’archers,setenaienttroishommes:Lysias,ClaudiusetHenrak.«Salut,Tab!»dis-je,luifaisantsigneenentrantdanslasalle.—«Salut,Capitaine!»répondit-il.Les trois jeunes femmes :Telima,Vina etLumaavaient été descenduesdudonjon et se tenaient

derrièrenous.Lysias, enme voyant, se jeta surmoi. Je contrai son attaque. L’affrontement fut violent. Puis il

tombaàmespieds,soncasqueroulantsurlesol,dusangsurlacrêteenpoilsdesleenquifaisaitdeluiunCapitaine.

«Jesuisriche,»ditClaudius,«jepeuxachetermaliberté.»—«LeConseildesCapitainesdePortKar,»déclaraSamos,«adescomptesàtedemander.»—«J’ailapriorité!»affirmaunevoix.NousnoustournâmesversPoisson,quiavaitl’épéeàlamain.—«Toi!»s’écriaClaudius.«Toi!»Samosregardaattentivementlejeunegarçon.PuisilsetournaversClaudius.—«Tuparaistroublé,»dit-il,«àlavuedecejeuneesclave?»JemesouvinsquelatêtedujeuneUbar,HenriusSevarius,étaitmiseàprix.Bienqu’ilfûtmarqué,malgrésoncollier,bienqu’ilfûtvêtudeshaillonsmisérablesd’unesclave,il

ressemblaitàunjeuneUbar.Cen’étaitplusunjeunegarçon.Ilavaitaiméetilavaitcombattu.C’étaitunhomme.

Claudius, avec un cri de rage, sonmanteau de fourrure de sleen tacheté tournoyant derrière lui,

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fonditsurlejeunehomme,l’épéelevée,frappantsansrelâche.Lejeunehommerésistasanschercheràfrapper.—«Oui,»dit-il,«jenesuispasmauvaisàl’épée.Maintenant,combattons!»Claudiussedébarrassadesonmanteauet,prudemment,s’approchadujeunehomme.Claudiusétaitunexcellentescrimeurmais,quelquesinstantsplustard,Poissonreculaetessuyason

épéesurlemanteauabandonné.Claudiusvacilla,aucentredelagrandesalle,puistombaenavantets’abattitsurlesdalles.

«Remarquable,»ditSamos.«Claudiusestmort,tuéparunsimpleesclave.»Lejeunehomme,Poisson,sourit.«Celui-ci,»ditHo-Hak,montrantHenrak,«estunRencieretm’appartient.»Henrak,livide,leregarda.Ho-Haksoutintsonregard.«Eechiusestmortsurl’îlederence,»déclara-t-il.«Eechiusétaitmonfils.»—«Nemetouchepas!»s’écriaHenrak.Ilvoulutfuir,maisc’étaitimpossible.Ho-Hak, solennel et puissant, se débarrassa de ses armes. Il portait toujours, au cou, son lourd

collierdegalérienduquelpendaitunmorceaudechaîneauxmaillonsépais.Sesgrandesoreillesétaientcolléesàsoncrâne.

—«Ilaunpoignard!»criaLuma.Ho-Haks’avançaavecprudencesurHenrak,quitenaitlepoignardlevé.Quand Henrak frappa, Ho-Hak lui prit le poignet. Lentement, la grosse main de Ho-Hak, aux

musclesdurcis par denombreuses annéesdegalère, serra le poignet d’Henrak et le poignard tomba,rebondissantsurlesdalles.

PuisHo-HaksoulevaHenrakau-dessusdesatêteet,malgrésescrisetsesmouvementsbrusques,l’emportadehors.

Lentement,Ho-Hakgravitl’étroitescalierconduisantausommetdumurdonnantsurledelta,puiss’immobilisatoutenhaut,suruncréneau.Sedécoupantsurleciel,iltintunlongmomentHenrakau-dessusdesatête,puisilleprécipitadanslemarais.

Aupieddumur,ilyavaitcertainementdestharlarions.Lanuitétaittrèsavancée.NousavionsmangéetbugrâceauxprovisionsduVennaetduTela.Nousétions servisparTelimaetVina, toujoursvêtues enEsclavesdeCuisine.Le jeunehomme,

Poisson, était assis à nos côtés et se faisait servir.Midice, Thura etUla, bien que sans collier, nousservaientégalement.Aprèsnousavoirservis,lesjeunesfemmesprirentplaceànoscôtésetmangèrentavecnous.

Midiceévitaitmonregard.Elleétaittrèsbelle.EllesemitàgenouxprèsdeTab.«Jenepensaispas,»disaitTab,«quejepourraism’intéresseràunefemmelibre.»IltenaitMidice

parlesépaules.—«Danslapropriétéd’unPaysan,»ditThurnock,surladéfensive,commes’ildevaitsejustifier

d’avoiraffranchiThura,«onpeutfairetravaillerunefemmelibrebeaucoupplusqu’uneesclave.»Ildonnauncoupdepoingsurlatable.Thuraavaitdestalendersdanslescheveux.

—«Encequimeconcerne,»déclaraClitus,labouchepleine,«jenesuisqu’unpauvrePêcheur,etjen’aipaslesmoyensd’avoiruneesclave.»

Ularitetposalatêtesursonépaule,luiserrantlebras.—«Ehbien,»fitSamos,quimordaitdansuneailedevulo,«jesuisheureuxdeconstaterqu’ilya

encoredesesclavesàPortKar.»

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TelimaetVina,quiportaientuncollier,baissèrentlatêteetsourirent.—«Oùestl’esclaveSandra?»demandai-jeàThurnock.—«Elleétaitcachéedanslasalledutrésordudonjon,»répondit-il.—«Celaluiconvientparfaitement,»fitironiquementTelima.—«Nesoyonspasmauvaiselangue,»relevai-je.«Alors,qu’as-tufait?»m’enquis-je.—«Nousavonsfermélaportedel’extérieur,»réponditThurnock.«Ellehurlaitetydonnaitdes

coupsdepoing,maisellenesesauverapas!»—«Trèsbien,»approuvai-je.Jelalaisseraisdeuxjours,sanseauninourriture,parmil’oretlesbijoux.—«Quandtulalibéreras,»ditTelima,«pourquoinelavendrais-tupas?»TelimaétaitGoréenne.—«Voudrais-tuquejelavende?»demandai-je.—«Oui,»réponditTelima.—«Pourquoi?»m’enquis-je.—«Animal!»répliquaTelimaavecunsourire.—«Dansmesbras,»expliquai-je,«elles’estrévéléeunevéritableesclave.»—«Danstesbras,»ditTelima,baissantlatête,«jeseraiplusesclavequeSandranepourrajamais

l’être.»—«Jedevraispeut-être,»fis-je,«vousmettreàl’épreuve.»—«Trèsbien,»admitTelima.«Mets-nousàl’épreuve.Jegagnerai!»Je ris et Telimame regarda sans comprendre. Je tendis le bras et l’attirai contre moi. Elle était

totalementGoréenne.Laregardantdanslesyeux,jedis:—«Dansdeuxjours,lorsqu’ellesortiradelasalledutrésor,j’affranchiraiSandraetluidonneraide

l’or,afinqu’ellepuissealleroùelleauraenviedeserendre.»Telimaparutstupéfaite.«Mais,»ajoutai-je,«jen’affranchiraipasTelima.»Sesyeuxexprimaientl’étonnement.Ellesedébattitdansmesbras.«Telima,»repris-je,«resteramonesclave.»Ellerit,metenditseslèvresetnouséchangeâmesunlongbaiser.«MonancienneMaîtresse,»conclus-je,«embrassebien.»—«Tonesclave,»ditTelima,«estheureusequesonMaîtrenelatrouvepasdésagréable.»—«N’est-ilpastempsquelesesclavesregagnentlescuisines?»demandaPoisson.—«Si,»répondis-je.Puisjem’adressaiàPoissonetVina.«Retournezauxcuisines,Esclaves,»

dis-je,«etjeneveuxpasvousvoiravantl’aube!»PoissonpritVinaparlebrasets’enalla.À l’entréeducouloirconduisantauxcuisines, il s’arrêtaet, tandisqu’elle riaiten l’embrassant, il

l’enlevadanssesbras,ellequiavaitétéDameVivina,quiauraitdûêtreUbaradeCos,maisn’étaitplusqu’uneesclavevêtued’unetuniquemisérable,avantdel’emporterdanslecouloir.Etj’étaispersuadéqueDameVivinaauraittrouvélacouchedel’UbardeCosmoinsdélectablequelacouvertureetlanattedePoisson,garçondecuisinedanslaMaisondeBosk,CapitainedePortKar.

—«Jevois,»ditHo-HakàTelima,«quetuportestoujourstonbraceletenor.»—«Oui,»réponditTelima.—«C’estgrâceàluiquejedevaist’identifier,»reprit-il,«lorsquetut’esenfuiedanslemarais.»Telimaleregardasanscomprendre.SamosposasongobeletdePaga.—«Àtonavis,»demanda-t-ilàTab,«queva-t-ilsepasser,maintenant,enville?»Tabregardalatable.

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—«Eteocles etSulliusMaximus,»dit-il, «ontdéjà fui avec leursnavires et leurshommes.Ladernière place forte d’Henrius Sevarius est abandonnée. La Salle duConseil, bien que partiellementbrûlée,n’estpasdétruite.LaCité,apparemment,n’apassouffert.Laflottereviendracertainementdansquatreoucinqjours.»

—«Alors,»ditSamos,«laPierreduFoyerdePortKarnerisquerien.»Illevasongobelet.Nousbûmesàsontoast.—«SimonCapitainelepermet,»repritTab,«ilesttardetjevoudraismeretirer.»—«Va,»fis-je.Ilinclinalatêteets’enalla,suivideMidice.—«Ilneseraitpasprudent,»ditHo-Hak,«quelesRenciersrestentàPortKar.Nousallonspartirà

lafaveurdelanuit.»—«Jevousremercie,toiettonpeuple,»dis-je.—«Lesîlesderence,»répondit-il,«maintenantunies,t’appartiennent.»—«Jeteremercie,»dis-je,«Ho-Hak.»—«Nousnepourronsjamaisterembourser,»reprit-il,«cartunousasarrachésauxhommesde

PortKaretapportélegrandarc.»—«Jesuisdéjàlargementremboursé,»dis-je.—«Encecas,»déclaraHo-Hak,«nousnenousdevonsplusrien.»—«C’estexact,»fis-je.—«Ehbien,»ditHo-Hak,metendantlesmains,«soyonsamis.»Nousnousserrâmeslesmains.«Danslemarais,»dit-il,«tuasdesamis.»—«J’ensuisheureux,»luiassurai-je.Ho-Hak fit demi-tour et je regardai son large dos d’ancien galérien franchir le seuil. Dehors, il

rassemblaseshommes.Ilsallaientregagnerleursbarquesderence,amarréesaupieddumurdonnantsurledelta.

—«Avectapermission,Capitaine,»ditThurnock,regardantbrièvementThura,«ilesttard.»J’acquiesçaietlevailamain.ThurnocketClitus,accompagnésdeThuraetd’Ula,selevèrent.—«Bonnenuit,»dis-je,«amis.»—«Bonnenuit,»répondirent-ils.Ilnerestaitplus,danslagrandesalle,queSamos,Telimaetmoi.—«Lematinestpresquelà,»ditSamos.—«Lejourselèveradansmoinsd’uneahn,»répondis-je.—«Prenonsdesmanteaux,»décida-t-il,«etallonsausommetdudonjon.»Noustrouvâmesdesmanteaux,moiceluid’Amiral,puisnoussuivîmesSamos,danslacourdallée

situéederrièrelagrandesalle,puisjusqu’ausommetdudonjon.Depuis le sommet, nous aperçûmes, ici et là, les hommesdeTab, ceuxduVenna et duTela,qui

montaient la garde. La grande porte du port intérieur était fermée. Les Renciers, un par un,franchissaientlemurdonnantsurledelta.

Ho-Hak fut le dernier à passer et nous lui fîmes signe de lamain. Il répondit à notre salut, puisdisparut.

Lemaraisluisaitsouslestroislunes.TelimasetournaversSamos.«Ainsi,»dit-elle,«onm’alaisséequittertamaison.»—«Oui,» réponditSamos,«eton t’a laisséeprendre lebracelet enorafinqueHo-Hakpuisse

t’identifier,danslemarais.»—«Ilsn’ontmisquequelquesheuresàmeretrouver,»dit-elle.

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—«Ilst’attendaient,»rappelaSamos.—«Jenecomprendspas,»avouaTelima.—«Jet’aiachetéealorsquetuétaispetitefille,»expliquaSamos,«aveccesidéesentêteetdans

cebut.»—«Tum’asélevéecommetafille,»dit-elle,«puis,lorsquej’aieudix-septans…»—«Oui,»repritSamos,«tuasétécruellementmaltraitée,puisont’alaisséet’enfuir.»—«Maispourquoi?»s’écria-t-elle.«Pourquoi?»— « Samos, » demandai-je, « le message que j’ai reçu, au Conseil, il y a des mois, venait-il

véritablementdetoi?»—«Oui,»réponditSamos.—«Maistul’asnié!»m’écriai-je.— « Nous ne pouvions guère parler des affaires des Prêtres-Rois dans les caves de la Salle du

Conseil,»meremontraSamos.—«LesPrêtres-Rois?»soufflaTelima.Jesouris.—«Oui,» fis-je. «Évidemment. » Je le regardai. «Mais, lorsque lemessagem’aété remis, tu

n’étaispasenville.»— « Exact, » répondit Samos. « J’espérais, grâce à cette ruse, pouvoir nier plus aisément toute

connexionentremoietlemessage,sicelas’avéraitnécessaire.»—«Parlasuite,tun’asjamaisessayéd’entrerencontactavecmoi,»fis-jeremarquer.—«Tun’étaispasprêt,»réponditSamos.«EtPortKaravaitbesoindetoi.»—«TuserslesPrêtres-Rois,»fis-je.—«Oui,»réponditSamos.—«Etc’estpourcetteraison,pourmeprotéger,moiquilesaibienservis,quetuesvenudansma

demeure?»—«Oui,»réponditSamos,«maisaussiparcequetuasbeaucoupfaitpourmaCité,PortKar.C’est

grâceàtoiqu’ellea,désormais,unePierreduFoyer.»— «Cela a-t-il tellement d’importance, pour toi ? » demandai-je. Samos était un larl, prédateur

crueletinsensible,unchasseur,untueur.—«Biensûr,»répondit-il.Nousregardâmesau loin.LespetitesembarcationsdesRenciersdisparaissaientdans lemaraisde

rence,souslestroislunesdeGor.Samossetournaversmoi.«Mets-toiànouveauauservicedesPrêtres-Rois,»dit-il.Jebaissailesyeux.—«C’estimpossible,»dis-je.«Jen’ensuispasdigne.»—«Tousleshommes,»repritSamos,«ettouteslesfemmes,onteneuxdesélémentsméprisables,

deschosescruellesetlâches,deschoseavides,vicieuses,égoïstes,deschoseslaidesquenouscachonsauxautreset,leplussouvent,ànous-mêmes.»

Nousleregardâmes.Nonsanstendresse,Samosposaunemainsurl’épauledeTelimaetl’autresurlamienne.«L’êtrehumain,»poursuivit-il,«estunmélangedecruautéetdenoblesse,dehaineetd’amour,de

ressentiment et de respect, d’envie et d’admiration. Il renferme, auplusprofondde lui, beaucoupdebassesseetbeaucoupdedignité.Cesontlàd’antiquesvérités,maisraressontceuxquilescomprennentvéritablement.»

Jeregardailemarais.—«Cen’estpasparaccident,»dis-je,«quej’aiétéinterceptédanslemarais.»

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—«Non,»réponditSamos.—«Ho-Hakest-ilauservicedesPrêtres-Rois?»demandai-je.—«Ill’ignore,»ditSamos.«Mais,ilyabienlongtemps,alorsqu’ilvenaitdes’enfuirdesgalères

etétaitpourchassé,jel’aicachédansmademeure.Plustard,jel’aiaidéàgagnerlemarais.Detempsentemps,ilm’aprêtésonconcours.»

—«Qu’as-tuditàHo-Hak?»m’enquis-je.—«Quejesavaisqu’unhommedePortKartraverseraitbientôtlemarais.»—«Riend’autre?»demandai-je.—«Seulement,»répondit-il,«queTelimadevraitservird’appât.»—«LesRenciershaïssentleshabitantsdePortKar,»fis-jeremarquer.—«Oui,»fitSamos.—«Ilsauraientpumetuer,»ajoutai-je.—«J’enaiprislerisque,»ditSamos.—«Tuesgénéreuxaveclaviedesautres,»relevai-je.—«Desmondessontenjeu,»répliqua-t-il,«Capitaine.»J’acquiesçai.—«Misk,»repris-je,«lePrêtre-Roi,est-ilaucourantdececi?»— « Non, » répondit Samos. « Il ne l’aurait certainement pas permis. Mais, malgré toute leur

sagesse,lesPrêtres-Roisconnaissentmalleshommes.»Samoscontemplaitégalementlemarais.«Ilyaaussideshommesqui,coordonnantleuractionaveccelledesPrêtres-Rois,combattentlesAutres.»

—«QuisontlesAutres?»demandaTelima.—«Nem’interrompspas,Esclave!»ordonnaSamos.Telimasefigea.«Unjour,»reprit-il,«jeteparleraidetoutcela.»Samosavaitparléavecgentillesse,maisc’étaitunMarchandd’Esclaves.«Nouspensions, » expliquaSamos, «que tonhumanité s’affirmerait, que, confronté à unemort

ignoble,inutile,danslemarais,tusupplieraistesbourreauxdet’épargner.»Moncœursaignait.—«C’estcequej’aifait,»dis-je.—«Tuaschoisi,»reprit-il,«commedisentlesGuerriers,l’humiliationdelaservitudeàlaliberté

d’unemorthonorable.»Mesyeuxétaientpleinsdelarmes.—«J’aidéshonorémonépée,maCité.J’aitrahimesCodes!»m’écriai-je.—«Tuasdécouverttonhumanité,»affirmaSamos.—«J’aitrahimesCodes,»répétai-je.—«C’est dans de tels instants, » dit Samos, « que toute la vérité et toute la réalité ne sont pas

contenuesdanslescodes.»Jeleregardai.«Noussavionsque,situn’étaispastué,tuseraisréduitenesclavage.Parconséquent,pendantde

longuesannées,nousavionsattiséleshainesetlesfrustrationsd’unepersonnequin’attendraitplusquel’occasiond’apprendreàunGuerrier,àunhommeserendantàPortKar,lacruauté,l’humiliationetlesmisèresdel’esclavageleplusabject.»

Telimabaissalatête.—«Tum’asbienpréparéeàcerôle,Samos,»souffla-t-elle.Jesecouailatête.—«Non,»dis-je,«Samos,jenepuisservirànouveaulesPrêtres-Rois.Letravailétaittropbien

fait.J’aiétédétruit.Jenesuisplustelquej’étais.»

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Telimaposalatêtesurmonépaule.Ilfaisaitfroidausommetdudonjon.—«Crois-tu,»demandaSamosàTelima,«quecethommeestdétruit?Qu’iln’estplustelqu’il

était?»—«Non,»réponditlajeunefemme.«MonUbarn’estpasdétruit.Ilestrestélui-même.»Jelaserraicontremoi,heureuxqu’elleeûtparléainsi.—«J’aicommisdesactescruelsetméprisables,»dis-jeàSamos.—«Toutlemondeestdanscecas.»—«C’estmoi,»soufflaTelima,«quinesuisplustellequej’étais.C’estmoiquiaiétédétruite.»Samoslaregardaavectendresse.—«Tul’assuivijusqu’àPortKar,»dit-il.—«Jel’aime,»affirma-t-elle.Jelaserraicontremoi.—«Vousn’avezétédétruitsni l’unni l’autre,»affirmaSamos. Il sourit.«Vousêtes tousdeux

intacts.Ethumains.»—«Trèshumains,»fis-je.«Trophumains.»—«DanslaluttecontrelesAutres,»déclaraSamos,«onn’estjamaistrophumain.»Cetteaffirmationmetroubla.«Désormais, vous vous connaissezmieux qu’auparavant et, de ce fait, il vous sera plus aisé de

connaîtrevossemblables,leurspouvoirsetleursfaiblesses.»—«Lejourestpresquelevé,»fitTelima.—«Ilyavaitundernierobstacle,»repritSamos,«pourtantvousn’avezpasencorevéritablement

comprislequel.»—«Qu’est-cequec’est?»m’enquis-je.—«Votreorgueil,»répondit-il.Ilsourit.«Lorsquevousavezperdul’idéequevousvousfaisiezde

vous-mêmes,lorsquevousavezprisconsciencedevotrehumanité,vousavezrenoncéàvosmythes,àvos chansons, vous n’avez plus accepté que la viande des animaux, comme si des individus aussigrandiosesquevousnepouvaientêtrequePrêtres-Roisoubêtesféroces.Votreorgueilexigeaitsoitlaperfectiondumythe,soitlaperfectiondesoncontraireleplusabject.Sivousn’étiezpasausommet,ilvousfallaitêtretoutenbas;sivousn’étiezpaslesmeilleurs,ilvousfallaitêtrelespires;silemythen’existaitplus,plusrienn’existait.»Samosbaissalavoix.«Ilyaquelquechose,»conclut-il«entrelesrêvesdespoètesetlesmorsures,lesreniflementsdesbêtesféroces.»

—«Quoi?»demandai-je.—«L’homme,»répliqua-t-il.Jeregardaiànouveaulepaysage,ducôtéopposéaumarais,contemplantPortKar.JevisleVennaet

leTela,dansleportintérieurdemademeure,laportedonnantsurlecanal,lestoitsdesbâtiments.Ilfaisaitpresquejour.—«Pourquoim’a-t-onattiréàPortKar?»m’enquis-je.—«Pourquetutepréparesàlatâche,»réponditSamos.—«Quelletâche?»demandai-je.—«Puisquetun’esplusauservicedesPrêtres-Rois,»réponditSamos,«ilestinutiled’enparler.»—«Quelletâche?»insistai-je.—«Ilfautconstruireunnavire,»ditSamos.«Unnaviredifférentdesautres.»Jeleregardai.«Unnavirecapabledefranchirlalimitedumonde,»expliqua-t-il.C’étaituneexpression,tiréedelaPremièreConnaissance,désignantuneligneimaginaire,situéeà

unecentainedepasangsàl’ouestdeCosetdeTyros,quelesnaviresgoréensnedépassaientpasoubiend’au-delàdelaquelleilsnerevenaientjamais.

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Samos, bien entendu, connaissait aussi bien quemoi les limites de la Première Connaissance. Ilsavait,toutcommemoi,queGorestunesphère.J’ignoraispourquoileshommesnedépassaientjamaiscetterégionsituéeàl’ouestdeCosetdeTyros.Telima,naturellement,dufaitqu’elleavaitétéinstruitede laSecondeConnaissancedans laMaisondeSamos, savait égalementque la« limitedumonde»n’était qu’une expression imagée aux yeux duGoréen cultivé. Pourtant, dans un sens, lemonde desGoréens finissait là, tout comme, dans un sens, il se terminait à laChaîne desMontsVoltaï, à l’est.TellesétaientlesfrontièresoccidentaleetorientaledelaGorconnue.Àl’extrêmenordetàl’extrêmesudiln’yavait,aussiloinqu’onaille,queduventetdelaneige,surd’immensesétenduesglacées.

—«Quiconstruiraituntelnavire?»demandai-je.—«Tersites,»réponditSamos.—«Maisilestfou!»m’écriai-je.—«C’estungénie!»répliquaSamos.—«JenesuisplusauservicedesPrêtres-Rois,»dis-je.—«Trèsbien,»ditSamos.Ilnoustournaledosets’éloigna.«Jetesouhaitetoutlebien,»fit-il

par-dessussonépaule.—«Jetesouhaitetoutlebien,»répondis-je.BienqueTelimaeutunmanteau,j’ouvrismongrandmanteaud’Amiraletlerefermaisurelle,afin

que nous puissions en partager la chaleur. Puis, du sommet du donjon, au-delà de la Cité, nousregardâmesl’aube,derrièrel’étendueboueuseduGolfedeTamber,touchertendrementleseauxglacéesdeThassalaLuisante.

FIN

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BibliographiedeJohnNorman

— Tarnsman of Gor, Le Tarnier de Gor (CLA-OPTA, Aventures Fantastiques N° 14, premièrepartie),1966,Ballantine

—OutlawofGor,LeBannideGor,AFN°14,secondepartie,1967,Ballantine—Priest-KingsofGor,LesPrêtres-RoisdeGor,AFN°20,premièrepartie,Ballantine—NomadsofGor,LesNomadesdeGor,AFN°20,secondepartie,1969,Ballantine—AssassinofGor,LesAssassinsdeGor,AFN°21,1970,Ballantine—RaidersofGor,LesPiratesdeGor,AFN°22,1971,Ballantine—CaptiveofGor,1972,Ballantine—HuntersofGor,1974,DAW-Books—MaraudersofGor,1975,DAW—TribesmenofGor,1976,DAW—SlaveGirlofGor,1977,DAW—BeastsofGor,1978,DAW—ExplorersofGor,1979,DAW—FightingSlaveofGor,1980,DAW—RogueofGor,1981,DAW—GuardsmanofGor,àparaîtreennovembre1981,DAWJohnNORMANaégalementécritd’autreslivresindépendantsducycledeGOR:—GhostDance,DAW—TimeSlave,DAW— Imaginative Sex, DAW, ce dernier volume n’étant pas de la fiction mais une étude sur la

sexualitémasculineetfémininequirévèleunenouvellevoieverslalibérationdessens.(C’estdumoinscequeprometl’éditeur!)

D.W.

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4emedecouverture

De toutes les cités de Gor, aucune n'est aussi détestée que Port-Kar. C'est la ville de toutes lesturpitudes, de toutes les dépravations, le repaire des parias, des traîtres et des assassins. Détestée etcrainte, bien sûr. C'est à Port-Kar que prospèrent les équipages pirates les plus sanguinaires de laplanète, et partout sur la grandemerdeThassa, on redoute leurs galères de combat, qui rançonnent,pillentetrazzientdepuislanuitdestemps.

C'estpourtantlàqueserendTarlCabot,l'hommedelaTerredevenuunfaroucheguerriergoréen.Seul, secrètement, par la dangereuse route des marécages. Nul ne connaît ses intentions. D'ailleurs,peut-êtrelesignore-t-illui-même.VoirPort-Karetmourir?Encorefaut-ilyparvenirvivant…

[1]Enfrançaisdansletexte(N.d.T.).