journalisme, « fake news » & desinformation · 2020. 3. 4. · selon la formule malicieuse de...

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JOURNALISME, « FAKE NEWS » & DESINFORMATION Manuel pour l’enseignement et la formation en matière de journalisme Série de l’UNESCO sur l’enseignement du journalisme Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

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  • JOURNALISME, « FAKE NEWS » &

    DESINFORMATIONManuel pour l’enseignement et la formation en matière de journalisme

    Série de l’UNESCO sur l’enseignement du journalisme

    Organisationdes Nations Unies

    pour l’éducation,la science et la culture

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    Publié en 2019 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France et la Fondation Hirondelle, Avenue du Temple 19C, 1012 Lausanne, Suisse.

    © UNESCO FONDATION HIRONDELLE 2019ISBN UNESCO : 978-92-3-200195-5ISBN FONDATION HIRONDELLE : 978-2-9701376-1-0

    Œuvre publiée en libre accès sous la licence Attribution-ShareAlike 3.0 IGO (CC-BY-SA 3.0 IGO) (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/igo/). Les utilisateurs du contenu de la présente publication acceptent les termes d’utilisation de l’Archive ouverte de libre accès UNESCO (www.unesco.org/open-access/terms-use-ccbysa-fr).

    Titre original : Journalism, “Fake News” & Disinformation. Publié en 2018 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France.

    Les désignations employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part de l’UNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites.

    Les idées et les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs ; elles ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’UNESCO et n’engagent en aucune façon l’Organisation.

    Rédacteurs : Cherilyn Ireton et Julie Posetti

    Auteurs : Julie Posetti, Cherilyn Ireton, Claire Wardle, Hossein Derakhshan, Alice Matthews, Magda Abu-Fadil, Tom Trewinnard, Fergus Bell, Alexios Mantzarlis

    Recherches supplémentaires : Tom Law

    Conception graphique : M. ClintonDessin de couverture : M. ClintonIllustrations : UNESCO, First Draft and PoynterComposition : UNESCO et Fondation HirondelleImpression : Fondation Hirondelle Imprimé en Suisse

    Version originale en anglais, traduite en français par Traducta Switzerland et la Fondation Hirondelle. La version française de ce guide a été rendue possible grâce au soutien de la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC).

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    Journalisme, « Fake News » &Désinformation

    Manuel pour l’enseignement et la formation en matière de journalisme

    Cherilyn Ireton et Julie Posetti

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    TABLE DES MATIERES

    Avant propos de Michel Beuret 11

    Préface de Guy Berger 15

    Introduction de Cherilyn Ireton et Julie Posetti 23

    Comment utiliser ce manuel comme modèle de programme par Julie Posetti 35

    MODULE 1 : Vérité, confiance et journalisme : pourquoi est-ce important ? 42par Cherilyn Ireton

    Synopsis 42Aperçu 44Objectifs du module 50Résultats de l’enseignement 50Format du Module 50Exercices suggérés 51Lecture 52

    MODULE 2 : Réflexions sur le « désordre de l’information » : différentes formes de mésinfomation, désinformation et information malveillante 54par Claire Wardle et Hossein Derakhshan

    Synopsis 54Aperçu 54Objectifs du module 62Résultats de l’enseignement 63Format du Module 63Exercices suggérés 65Matériel 66Lecture 66

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    MODULE 3 : Transformation : technologie numérique, réseaux sociaux et diffusion de la mésinformation et de la désinformation 68par Julie Posetti

    Synopsis 68Aperçu 70Objectifs du module 78Résultats de l’enseignement 79Format du Module 79Exercices suggérés 80Lecture 81

    MODULE 4 : Lutter contre la mésinformation et la désinformation par l’éducation aux médias et à l’information (EMI) 84par Magda Abu-Fadil

    Synopsis 84Aperçu 85Objectifs du Module 89Résultats de l’enseignement 90Format du Module 90Exercices suggérés 93Matériel 93Lecture 93

    MODULE 5 : Vérification des faits [Fact-checking] 101 96par Alexios Mantzarlis

    Synopsis 96Aperçu 96Objectifs du Module 102Résultats de l’enseignement 102Format du Module 103Exercices suggérés 107Lecture 108

    MODULE 6 : Vérification des réseaux sociaux : évaluation des sources et du contenu visuel 112par Tom Trewinnard et Fergus Bell

    Aperçu 113Objectifs du Module 118Résultats de l’enseignement 119Format du Module 119Exercices suggérés 120Matériel 121Lecture 121

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    MODULE 7 : Lutter contre les abus en ligne : lorsque les journalistes et leurs sources sont visés 126par Julie Posetti

    Synopsis 126Aperçu 127Objectifs du Module 134Résultats de l’enseignement 134Format du Module 135Exercices suggérés 137Lecture 137

    Auteurs 139

    Conception graphique 139

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    AVANT PROPOS

    Plus que jamais, la société de l’information, consubstantielle de la démocratie, est atteinte de ce virus meurtrier que le monde désigne depuis l’élection de Donald Trump par cette locution globale : « fake news », littéralement « fausse information ». Une mauvaise formule, en réalité, qui ajoute à la confusion en assemblant deux termes contradictoires puisqu’une information, par définition, désigne un fait exact. Pour compliquer les choses, les « tweets » de Donald Trump sont qualifiés de « fake news » par ses détracteurs mais le président américain à son tour rejette de nombreuses informations exactes par le même anathème. Le « fake » est partout. La langue française parle « d’informations mensongères » et d’« infox » (contraction entre info et intox). Mais à l’ère numérique, où chaque internaute, chaque usager de smartphone reçoit, diffuse et rediffuse le plus souvent à la vitesse de l’éclair, l’enjeu dépasse de beaucoup l’infox. Une mauvaise information peut être un acte malveillant (désinformation), un manque de professionnalisme (mal information en analogie avec la malbouffe) et plus simplement la rumeur, le « plus vieux média du monde », selon la formule malicieuse de Jean-François Revel.

    La rumeur est une source de déstabilisation majeure, surtout dans les pays fragiles, en crise ou en sortie de crise. C’est dans ces pays qu’agit la Fondation Hirondelle depuis 25 ans par la création de médias de service public nationaux et le soutien à des médias locaux. En s’associant à l’Unesco pour la traduction en français de ce manuel de formation contre les fausses informations, la Fondation Hirondelle affirme d’une autre manière sa volonté de soutenir un journalisme d’intérêt général, professionnel, utile aux populations qui n’ont guère d’autres sources d’information dans les régions les plus reculées, faute de moyens, d’argent et d’éducation. Parmi les nombreux médias créés par la Fondation Hirondelle, citons Radio Okapi en RDC, Radio Ndeke Luka en RCA, Studio Tamani au Mali ou encore Studio Kalangou au Niger. Grâce à un journalisme professionnel, ces médias sont devenus la principale source d’information dans les pays concernés, antidote à des rumeurs parfois meurtrières.

    Le mensonge et la rumeur sont en réalité bien antérieurs à la société de l’information. A l’origine, on peut dire qu’ils sont intrinsèques aux passions humaines. L’envie, l’appât du gain, la conquête du pouvoir, les superstitions, la séduction et l’amour, le rêve et l’utopie conduisent – parfois – à travestir la réalité voire à forger une autre vision du réel. De tous temps, la communication politique s’est nourrie de promesses, de manipulations, d’accommodements avec la vérité, de contre-vérité, voire de mensonge pur et simple. Elle trouve son apogée à l’ère des spin-doctors, dont Machiavel puis Talleyrand ont été de célèbres précurseurs.

    De fait, les archives de l’histoire regorgent de ces fragments douteux intimement mêlés par la sédimentation du Temps aux fragments les plus fiables que l’historien saisit avec précaution conscient que c’est le conflit qui a forgé l’histoire et que sa première victime est toujours la vérité. Inversement, le doute, la rumeur, l’absence de vérité, l’ignorance deviennent sources de conflit, un boulevard aux manipulations de masses. « Le journaliste est l’historien du temps présent », selon l’expression d’Albert Camus. Le journaliste existe par ses lecteurs, ses auditeurs, ses spectateurs toujours plus nombreux dans des sociétés alphabétisées d’une part et grâce à l’évolution rapide des technologies.

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    Le sens du mot média lui-même a beaucoup changé et ne veut plus rien dire de précis, indice d’un manque de repère de l’époque. Il peut désigner un journal papier ou en ligne, une chaîne de télévision, un blog, internet lui-même en tant que canal de diffusion. Un documentaire est un média autant que son support ou son diffuseur et, on l’oublie, le livre est un média également. Et peut-être le plus ancien, après la rumeur bien sûr.

    Avec le développement de l’imprimerie à la Renaissance, le livre multiplie l’accès à la connaissance... mais aussi au mensonge et aux erreurs. Nous sommes à l’aube des grandes découvertes et des interrogations scientifiques qui opposeront Science et Religion pour longtemps. Les croyances avaient produit (et reproduit) des erreurs. Non, la Terre n’était pas plate, non elle n’était pas le centre du monde. Mais à cette époque, celui qui le pensait était moins un menteur qu’un ignorant immergé dans une société dogmatique et mimétique. Remettre en question la vérité établie représentait une menace pour l’Eglise et les bûchers ont pris un tour politique. Déjà, l’information tuait.

    Cinq siècles plus tard, une seule recherche sur Google ne présente aucun risque et mobilise la puissance informatique nécessaire au lancement de la fusée Apollo dans les années 1960. Ironie de l’histoire, l’une des recherches les plus fréquentes aujourd’hui est... « Terre plate ». Selon un sondage IFOP publié en janvier 2018, 9% des Français interrogés affirment que la Terre est plate. Douze millions d’Américains en seraient déjà convaincus... On nous a tous appris qu’une erreur répétée cent fois reste une erreur. A l’ère d’Internet, une erreur répétée des millions de fois fait office de vérité pour certains.

    La bataille pour la vérité - ou du moins la définition du réel - est toujours sous-tendue par des intérêts. Dans La Guerre des Gaules, Jules César, n’est plus un général mais un historien improvisé, blogueur de sa conquête. Homme politique, il est conscient du rôle de l’information sur son temps et pour la postérité. De même, les grandes découvertes s’accompagneront des récits des Conquistadors mêlant vérité historique, erreurs et mensonges. A des milliers de miles nautiques, à Lisbonne ou Madrid, qui pourra démentir ?

    Le mensonge a toujours une longueur d’avance. Le démasquer prend du temps. Les historiens contemporains qui ont combattu le négationnisme des camps nazis le savent mieux que quiconque. Il est des informations qui dérangent - politique, économique, judiciaire, scientifique, intime – dont certains individus ou groupes humains ne veulent pas entendre parler. Ils la combattront par l’inoculation du doute, de la rumeur, de la contre-vérité et désormais du « fait alternatif », caillou dans la chaussure du Temps qui n’est jamais sans effet sur le cours de sa marche.

    Depuis toujours, des faits ont été tus faute de témoins, de traces effacées. L’historien comme le journaliste a donc le devoir de recourir au doute méthodique : vérifier, recouper les sources, faire parler les faits. Ne pas confondre une opinion et un fait. Ne pas mélanger une croyance, si sincère fût-elle, avec la connaissance. Distinguer l’information et la communication, conscient que l’information, celle qui compte vraiment, ne se donne jamais toute seule.

    Les élites politiques, économiques et militaires, se méfient toujours plus des masses qui accèdent peu à peu à la connaissance. La révolution française marquera ce tournant. Elle postule une société d’hommes libres et égaux en droits. Des droits universels. En jetant le fondement d’une démocratie moderne, le doute change de camp : les élites comprennent qu’elles pourraient ne plus être seules à relayer les faits à leur guise, avec petits (et parfois gros) accommodements sur la vérité. Le monde entre dans la culture de masse

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    à l’image des guerres napoléoniennes. L’entrée dans le 19e siècle, voit naître un nouveau métier : journaliste. D’abord engagé, il usera de sa liberté d’expression et d’opinion à des fins partisanes.

    Mais au fil du temps, l’idée d’une information impartiale, crédible, utile, civique, fait son chemin. Le public grandit. On ne peut plus cacher les choses. Des oreilles entendent, des yeux observent, des idées naissent, des scientifiques découvrent, on écrit, on lit des journaux toujours plus distribués grâce à l’amélioration des moyens de communication. En 1854, l’un des premiers reporter de guerre, William Howard Russell (1820-1907) raconte dans le Times l’incompétence du commandement et des services médicaux de l’armée britannique dans la guerre de Crimée, contredisant les communiqués officiels de l’état-major à Londres. Plus rien n’échappe à ce nouveau-né de l’ère industrielle naissante : l’opinion.

    Télégraphe, radio, téléphone, télévision, téléfax, internet, internautes. L’information circule toujours plus vite et l’accès à celle-ci est toujours plus large. Le 20e siècle, après l’usage totalitaire et meurtrier de l’information par le nazisme et le stalinisme, développe en Occident, l’idée qu’une information fiable, accessible à tous, est utile aux démocraties dans la proposition d’un monde libre face à des peuples prisonniers du communisme. Aux Etats-Unis comme en Europe, la presse devient véritablement le 4e pouvoir.

    Ceci ne signifie pas que les mensonges, les complots et manipulations ont disparu mais l’impact demeure limité par comparaison à aujourd’hui. Les titres en kiosque sont clairement identifiés. Il y a la bonne et la mauvaise presse. A chacune ses lecteurs. Concurrents, les médias vivent de leurs ventes et sur des valeurs : vitesse ou rigueur ? Les deux sont souvent incompatibles. Entre l’urgent et l’important, certains choisissent le premier au détriment du second (et des autres médias) dans une logique que la théorie des jeux appelle « le dilemme du prisonnier ».

    A cet égard, la révolution numérique a d’abord auguré du meilleur : Internet pensait-on, c’était la possibilité pour les journalistes de communiquer plus vite, de vérifier plus facilement leurs sources, de démasquer impostures et imposteurs. Rapidement, cet élan s’est inversé. L’océan numérique est devenu une marée noire de contenu douteux, insinuant plus de doute que de certitudes, et, autre paradoxe, quand trop de certitudes il y a, le doute serait de mise.

    Tout le monde écrit, filme, photographie, témoigne, donne son opinion partout et en tout temps. Beaucoup s’improvisent et s’autoproclament journalistes. La tendance va de pair avec la déchéance des médias traditionnels, dénigrés et affaiblis par les pertes de recettes publicitaires, la gratuité et le recul des abonnements. Dans ce contexte même les médias les plus prestigieux ne sont pas à l’abri du scandale. En 2003, le New York Times essuie l’affaire Jayson Blair, du nom d’un journaliste plusieurs fois récompensés pour des articles, dont il fut révélé que l’auteur les a inventés de toute pièce. En 2018, Der Spiegel a connu un scandale analogue, l’affaire Claas Relotius.

    Pour certains, ce discrédit est une aubaine, l’opportunité d’une formidable revanche sur la démocratisation de la société. En démocratie, c’est l’opinion qu’il faut capter. La démagogie numérique peut y parvenir. Une personnalité bien conseillée et bien argentée dispose de moyens dont les totalitarismes du 20e siècle n’avaient osé rêver : une masse de citoyens en proie au doute, une baisse de crédibilité des médias traditionnels, une baisse substantielle de la capacité d’attention des individus, une société de communication de masse à la merci de slogans publicitaires, du marketing politique, de contre-vérités voire de mensonges circulant à la vitesse de l’éclair. Une société où l’esprit critique est peu à peu remplacé par les

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    théories du soupçon. « Dans un monde où l’information est une arme et où elle constitue même le code de la vie, la rumeur agit comme un virus, le pire de tous car il détruit les défenses immunitaires de sa victime », selon Jacques Attali.

    Sans « défenses immunitaires », la démocratie est menacée voire condamnée sous les réactions compulsives d’instantanés viraux innombrables, incompatibles avec le temps de réflexion et de partage démocratique. Le salut ne viendra pas du prétendu « journalisme-citoyen » dont les contributions se limitent au mieux à des opinions d’expertises au pire à des sorties de route sans même le savoir. Enverrait-on ses enfants se soigner chez un « médecin-citoyen » ? confierait-on la réparation électrique de la maison à un « électricien-citoyen » ? Le journalisme est et doit rester un métier. Le cœur de la production éditoriale ce sont des journalistes formés, respectant une méthode de travail et une déontologie, suivant un cap éditorial et travaillant en rédaction ou en réseau au service d’un intérêt général. A l’inverse du journalisme amateur - truffé aux mieux d’opinions construites mais sans information au pire de fausses nouvelles - le sort de médias de référence repose sur leur crédibilité. Der Spiegel, The New York Times, Le Monde ou The Guardian et bien d’autres publient des correctifs lorsqu’ils commettent des erreurs. Ils proposent aussi la possibilité d’un droit de réponse. Dans le brouhaha et les invectives des réseaux sociaux, quel média « citoyen » fait ce travail ? Et s’il le fait, dans la fragmentation et l’éparpillement de millions de sites, qui le voit ?

    La vraie réponse à la démagogie numérique, aux informations malveillantes, à la mal information ou à la désinformation, passe par l’éducation aux médias qui est l’affaire de chacun. Ce manuel offre des clés pour comprendre les phénomènes actuels, parfois très complexes. Il donne des outils pour déjouer les pièges et permettre aux journalistes en formation (ou en formation continue) mais aussi au curieux et au lecteur-citoyen d’éviter de se laisser berner. Face au virus et la contagion de masse, la responsabilité individuelle est plus que jamais un vaccin prioritaire.

    Michel BeuretResponsable éditorial de la Fondation Hirondelle

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    PREFACE

    Cette publication constitue la production la plus récente parmi toute une série de ressources avancées proposées dans le cadre de l’action de l’UNESCO en matière d’enseignement du journalisme.

    Elle fait partie de « l’Initiative mondiale d’excellence dans l’enseignement du journalisme » l’un des points les plus importants du Programme international pour le développement de la communication (PIDC) de l’UNESCO. Cette Initiative vise à traiter l’enseignement et la pratique du journalisme ainsi que la recherche dans ce domaine dans une perspective mondiale, notamment en termes de partage des bonnes pratiques internationales.

    Par conséquent, ce manuel voudrait servir de modèle de programme applicable à l’échelle internationale, pouvant être adopté tel quel ou adapté, afin de répondre au problème de la désinformation auquel sont confrontées toutes les sociétés, en général, dans le monde entier, et le secteur du journalisme en particulier.

    Dans cette publication, le terme « fake news » n’a pas été considéré comme ayant une signification unique ou partagée.1 Ceci, parce que le terme anglais « news » désigne une information vérifiable, d’intérêt général, et que toute information qui n’est pas conforme à ces critères ne mérite pas d’être appelée comme telle. Dans ce sens, « fake news » est un oxymore qui vise à miner la crédibilité de l’information qui se situe en marge de la vérifiabilité et de l’intérêt général, donc de l’information vraie, ou « real news ».

    Afin de permettre de mieux comprendre les cas dans lesquels se produit une manipulation abusive du langage et des conventions propres aux différents types d’information, ce manuel traite ces actes frauduleux pour ce qu’ils sont en réalité, à savoir une catégorie spécifique de fausse information existant dans le cadre d’une série de formes de plus en plus variées de désinformation, notamment des formes de divertissement telles que les mèmes, ces éléments de langage ou visuels reconnaissables et transmis par répétition d’un individu à d’autres.

    Dans cette publication, la désinformation est généralement utilisée pour désigner des tentatives délibérées (souvent orchestrées) de créer une confusion chez les gens ou de les manipuler en leur communiquant des informations trompeuses. Ceci est souvent associé à des stratégies de communication parallèles et transversales et à différentes autres tactiques, telles que le piratage [hacking] ou la compromission de personnes. Le terme « mésinformation » est généralement utilisé pour désigner une information trompeuse, créée ou diffusée sans un but malveillant et sans l’intention de manipuler le public. La désinformation et la mésinformation constituent des problèmes de société, mais la désinformation est particulièrement dangereuse, car elle est souvent organisée, dotée de ressources importantes et renforcée par le recours à des technologies informatiques.

    Les pourvoyeurs de désinformation comptent sur la vulnérabilité ou la partialité des destinataires potentiels qu’ils espèrent enrôler en tant qu’amplificateurs et multiplicateurs. De cette manière, ils cherchent à nous

    1 Cf. Tandoc E ; Wei Lim, Z and Ling, R. (2018). « Defining « fake news » : A typology of scholarly definitions » in Digital Journalism (Taylor and Francis) Volume 6, 2018 - Issue 2 : « Trust, Credibility, Fake News ».

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    transformer en véhicules de leurs messages, en exploitant notre propension à partager des informations pour toute une série de motifs. Un danger particulier est représenté par la gratuité de l’accès aux « fake news » ce qui veut dire que les personnes qui n’ont pas les moyens financiers d’accéder à un journalisme de qualité ou qui n’ont pas accès à des médias d’information indépendants, de service public, sont particulièrement vulnérables à la fois en termes de désinformation et de mésinformation.

    La diffusion de la désinformation et de la mésinformation est rendue possible, en grande partie, par les réseaux sociaux et les messageries des réseaux sociaux, ce qui pose la question de l’étendue de la régulation et de l’autorégulation des entreprises qui fournissent ce type de services. En tant que plateformes d’intermédiation, plutôt qu’en tant que créatrices de contenus, ces plateformes ont été soumises, généralement, jusqu’ici, à une régulation peu contraignante (sauf en ce qui concerne le copyright). Toutefois, face aux pressions croissantes qu’elles subissent ainsi qu’aux risques pour la libre expression posés par une régulation excessive, leur autorégulation s’impose, progressivement, bien que de façon inégale.2 En 2018, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression a consacré son rapport annuel à cette question, en encourageant vivement les sociétés opérant sur Internet à suivre l’exemple des médias d’information en matière d’autorégulation et à s’aligner davantage sur les critères des Nations Unies en termes de droit de diffuser, rechercher et recevoir des informations.3 Les journalistes et les médias d’information ont un rôle très important à jouer dans le contexte de ces différentes mesures adoptées, à la fois, par les Etats et par les entreprises, et c’est dans cette optique que cette publication est importante.

    Comprendre les différencesLa désinformation et la mésinformation diffèrent du « bon » journalisme, qui se conforme à toute une série de normes et de principes d’éthique professionnelle. Elles diffèrent aussi, en même temps, du journalisme de piètre qualité, qui ne remplit pas son rôle. Un certain type de journalisme pose problème, par exemple, à cause d’erreurs fréquentes, non corrigées, résultant de recherches ou de vérifications insuffisantes. Le « mauvais » journalisme inclut également le journalisme à sensation, qui tend à exagérer les faits et à les sélectionner selon une logique partisane, au détriment de l’objectivité de l’information.

    Il ne s’agit pas de prôner, par-là, une sorte de journalisme idéal, qui devrait se hisser au-dessus de la mêlée, tandis que le journalisme de mauvaise qualité serait entaché d’idéologie. Il s’agit, en revanche, de montrer que tout type de journalisme contient une narration et que le problème, dans le cas du journalisme de mauvaise qualité, n’est pas l’existence de la narration, mais plutôt le manque de professionnalisme. C’est la raison pour laquelle le journalisme de mauvaise qualité ne doit pas être assimilé à la désinformation ou à la mésinformation.

    Néanmoins, un journalisme de mauvaise qualité permet, parfois, à la désinformation ou à la mésinformation

    2 Manjoo, F. (2018). What Stays on Facebook and What Goes ? The Social Network Cannot Answer. New York Times, 19 July, 2018. https:// www.nytimes.com/2018/07/19/technology/facebook-mésinformation .html [consulté le 20/07/2018] ; https://www.rt.com/usa/432604- youtube-invests-reputable-news/ [consulté le 15/07/2018] ; https://youtube.googleblog.com/ [consulté le 15/07/2018] ; https://sputniknews. com/asia/201807111066253096-whatsapp-seeks-help-fake-news/ [consulté le 15/07/2018].

    3 Rapports du Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, 6 avril 2018. A/HRC/38/35. https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/096/72/PDF/G1809672.pdf ?OpenElement [consulté le 20/07/2018].

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    de naître ou de s’insinuer dans le système des « real news ». Les causes et les remèdes du mauvais journalisme diffèrent, toutefois, de ceux de la désinformation et de la mésinformation. En même temps, il est évident qu’un journalisme de bonne qualité, éthique, est nécessaire en tant qu’alternative et antidote à la contamination de l’environnement de l’information et à l’effet « tâche d’huile » d’un plus vaste ternissement de l’information.

    Aujourd’hui, les journalistes ne sont pas de simples spectateurs de l’avalanche de désinformation et de mésinformation qui nous envahit. Cela les concerne en premier lieu4, ce qui veut dire que :

    ɒ le journalisme est confronté au risque d’être noyé dans la cacophonie ambiante ;

    ɒ les journalistes risquent d’être manipulés par des acteurs qui violent l’éthique des relations publiques en tentant de tromper ou de corrompre les journalistes dans la diffusion de la désinformation5 ;

    ɒ les journalistes, en tant qu’acteurs de la communication qui travaillent au service de la vérité, même quand elle est « dérangeante » peuvent devenir la cible de mensonges, rumeurs et canulars conçus pour les intimider et les discréditer en tant que personnes et en tant que professionnels du journalisme, en particulier lorsque leur travail représente une menace pour les commanditaires ou les acteurs de la désinformation6.

    De plus, les journalistes doivent reconnaître que, alors que le théâtre principal de la désinformation est représenté par les réseaux sociaux, des acteurs puissants instrumentalisent, aujourd’hui, la peur des « fake news » pour nuire aux médias qui diffusent des informations authentiques. Des nouvelles lois de plus en plus contraignantes font des médias d’information des boucs-émissaires, comme si c’était eux les auteurs des fausses nouvelles, ou les soumettent, de manière indiscriminée, à de nouvelles normes qui restreignent la liberté de toutes les plateformes et les activités de communication.

    Par ailleurs, parfois, ces normes sont insuffisamment alignées sur les principes internationaux qui exigent que le caractère nécessaire de l’entrave à la libre expression soit justifié et démontrable et que la restriction soit proportionnelle au but poursuivi. Leur effet, bien que ce ne soit pas toujours leur intention, est de soumettre les médias qui diffusent des informations authentiques à une sorte de « ministère de la vérité » doté du pouvoir de supprimer l’information pour des motifs purement politiques.

    Dans le contexte actuel de mésinformation et désinformation, le véritable péril n’est pas tant que le journalisme soit soumis à une régulation injustifiable, mais plutôt que le public soit amené à se méfier de tous les contenus, y compris les contenus journalistiques de bonne qualité. Dans ce contexte, les gens ont tendance à croire ce que les réseaux sociaux leur présentent comme vrai et qui correspond à leur sentiment, au lieu de chercher à réfléchir de manière indépendante. Nous pouvons déjà voir l’impact négatif de cette tendance sur les croyances du public en matière de santé, de sciences, de relations interculturelles et d’expertises diverses.

    4 Selon une étude, malgré la menace, les rédactions, dans un certain pays, manquaient de systèmes, de budgets et de personnel formé pour la lutte contre la désinformation. Cf. : Penplusbytes. 2018. Media Perspectives on Fake News in Ghana. http://penplusbytes.org/publications/4535/ [consulté le 12/06/2018].

    5 Butler, P. 2018. How journalists can avoid being manipulated by trolls seeking to spread désinformation. http://ijnet.org/en/blog/how- journalists-can-avoid-being-manipulated-trolls-seeking-spread-désinformation . Cf. également le Module 3 de ce Manuel.

    6 Cf. Module 7

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    Cet impact sur le public est particulièrement préoccupant en période électorale, mais aussi en ce qui concerne l’idée même de démocratie en tant que droit humain. Le but de la désinformation, en particulier en période électorale, n’est pas nécessairement de convaincre le public que son contenu est vrai, mais d’avoir un impact sur la définition des programmes (sur ce que les gens croient important) et semer la confusion dans l’information, afin de réduire le rôle que joue le facteur de rationalité dans les choix des électeurs7. De même, l’incertitude résultant de la désinformation et de la mésinformation peut avoir un impact significatif sur des questions telles que les migrations, le changement climatique et d’autres questions d’actualité.

    Ces périls expliquent pourquoi il est si important – pour le journalisme et pour l’enseignement du journalisme - de s’opposer de manière directe à la diffusion croissante des « fake news ». En même temps, ces menaces constituent également une opportunité de souligner encore davantage la valeur des médias d’information. Elles nous offrent la possibilité d’insister sur l’importance, dans la pratique professionnelle, de la divulgation d’informations vérifiables et de commentaires éclairés, dans l’intérêt du public8.

    Ce que le journalisme doit faireDans ce contexte, il est temps, pour les médias d’information, d’appliquer de manière encore plus stricte les normes et l’éthique professionnelles, d’éviter la publication d’informations non vérifiées et de prendre leurs distances d’informations qui pourraient être intéressantes pour un certain public, mais qui ne sont pas d’intérêt public.

    Par conséquent, cette publication a également pour but de rappeler à tous les médias et aux journalistes, quels que soient leurs penchants politiques, qu’ils doivent éviter à tout prix de divulguer, par inadvertance ou sans réfléchir, des nouvelles qui relèvent de la désinformation et de la mésinformation. Dans de nombreux médias, aujourd’hui, du fait de la suppression de certains postes jadis dédiés à la vérification des faits, cette fonction du « cinquième pouvoir » a été reléguée dans une certaine mesure aux bloggeurs et autres acteurs externes qui signalent les erreurs commises par les journalistes, mais forcément après que ces erreurs aient déjà été publiées ou diffusées.

    L’émergence de ce phénomène peut être accueillie avec satisfaction par les médias, car elle renforce l’intérêt de la société pour les informations vérifiables. Les journalistes devraient mettre à la disposition d’un plus vaste public le travail effectué par des équipes de vérification des faits indépendantes. Mais, ils devraient savoir, aussi, que, lorsque des acteurs externes pointent du doigt une faille systémique dans une source d’information, cela amène à s’interroger, au moins, sur la qualité du média en question en tant que source professionnelle d’information. Les médias doivent faire attention à ce que les corrections postérieures à la publication apportées par des entités externes ne remplacent pas les processus internes de contrôle de la qualité. Les journalistes doivent mieux faire, et apporter les corrections nécessaires, en premier lieu, ou bien renoncer à offrir à la société des médias crédibles.

    7 Lipson, D (2018) Indonesia’s « buzzers » paid to spread propaganda as political elite wage war ahead of election, ABC News : http://mobile.abc. net.au/news/2018-08-13/indonesian-buzzers-paid-to-spread-propaganda-ahead-of-election/9928870 ?pfmredir=sm [consulté le 17/8/18].

    8 Cf. également : Nordic Council of Ministers. 2018. Fighting Fakes - the Nordic Way. Copenhagen : Nordic Council of Ministers. http://www. nordicom.gu.se/en/latest/news/fighting-fakes-nordic-way [consulté le 12/06/2018].

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    Enfin, il ne suffit pas d’avoir une meute de chiens de garde externes qui effectuent des corrections de rattrapage : cela ne donne pas une belle image du journalisme. Les journalistes ne peuvent pas se dédouaner sur des entités spécialisées dans la vérification des faits en leur confiant le travail journalistique qui consiste à vérifier des affirmations douteuses présentées par certaines sources (que lesdites affirmations soient reprises dans les médias ou qu’elles contournent les médias pour paraître directement sur les réseaux sociaux). La capacité des nouveaux praticiens de dépasser un journalisme basé sur le « ouï dire » pour enquêter sur la véracité des affirmations délivrées par les personnes concernées doit être nettement améliorée.

    Le journalisme doit également savoir détecter de manière proactive et dévoiler les nouveaux exemples et les nouvelles formes de désinformation. Ceci est absolument essentiel pour les nouveaux médias et cela représente une alternative aux approches de nature réglementaire employées en matière de « fake news ». En tant que réponse immédiate à une question d’actualité grave et brûlante, cela complète et renforce certaines stratégies à moyen terme, comme la maîtrise des médias et de l’information, qui aident le public à distinguer les vraies nouvelles de la désinformation et de la mésinformation. La désinformation est un sujet délicat : le journalisme rendra un service encore plus important à la société en consacrant une couverture intensive à cette question.

    Ce manuel est donc un appel à agir. C’est également un encouragement adressé aux journalistes pour qu’ils s’engagent dans un dialogue avec la société concernant la manière dont les gens, au sens large, décident de la crédibilité de l’information et les raisons pour lesquelles certains d’entre eux partagent des informations non vérifiées. Tout comme pour les nouveaux médias, il s’agit d’une grande opportunité pour les écoles de journalisme et leurs étudiants, pour les formateurs et les personnes qui participent aux formations en matière de médias de concrétiser leur engagement civique vis-à-vis du public. Par exemple, le « crowd-sourcing » est essentiel si les médias souhaitent dévoiler des informations et communiquer au sujet de la désinformation « qui échappe aux radars » diffusée par e-mail ou sur les réseaux sociaux.

    Les différents rôles de l’UNESCOCette nouvelle ressource, financée par le Programme international pour le développement de la communication de l’UNESCO (PIDC), fournit une vision unique et globale des différentes dynamiques qui ont contribué à créer l’historique de la désinformation, en apportant également des compétences pratiques qui visent à compléter les connaissances et les analyses présentées.9 L’UNESCO a toujours pensé qu’il était préférable d’encourager un comportement optimal et l’autorégulation de la part des journalistes, plutôt que de courir le risque d’une intervention de l’Etat dans le traitement des problèmes perçus dans le domaine de la libre expression.

    Cette publication fait suite à deux précédents ouvrages édités par l’UNESCO « Teaching Journalism for Sustainable Development : New Syllabi »10 (2015), et « Model Curriculum for Journalism Education : A Compendium of New Syllabi » (2013), qui faisaient suite, à leur tour, à l’ouvrage novateur « Modèle de cursus

    9 La 61e assemblée du Bureau du PIDC, qui a eu lieu en2017, a décidé d’apporter son soutien à l’Initiative Mondiale pour l’Excellence dans l’Enseignement du Journalisme en instituant une allocation spéciale pour la création de nouveaux programmes sur des sujets essentiels d’actualité dans le domaine du journalisme. Les progrès réalisés dans ce domaine ont fait l’objet d’une intervention lors de la 62e assemblée du Bureau du PIDC, en 2018, qui a donc décidé d’augmenter le montant de la dotation allouée à ce programme.

    10 http://www.unesco.org/new/en/communication-and-information/resources/publications-and-communication-Matériel /publications/full-list/ teaching-journalism-for-sustainable-development/ [consulté le 12/06/2018].

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    pour la formation au journalisme11 » publié en 2007 en neuf langues.

    Parmi les autres publications de l’UNESCO, qui sont encore tout à fait utiles dans l’enseignement du et la formation au journalisme, il convient de rappeler :

    ɒ Model course on the safety of journalists (2017)12

    ɒ Terrorism and the Media : a handbook for journalists (2017)13

    ɒ Climate Change in Africa : A Guidebook for Journalists (2013)14

    ɒ Global Casebook of Investigative Journalism (2012)15

    ɒ Story-Based Inquiry : A Manual for Investigative Journalists (2009)16

    ɒ Conflict-sensitive reporting : state of the art ; a course for journalists and journalism educators (2009)17

    Chacune de ces publications s’est révélée précieuce dans de nombreux pays, dans le monde entier, et a permis aux enseignants et aux formateurs ainsi qu’aux étudiants et aux journalistes professionnels d’améliorer leur pratique de différentes manières. Parfois, elles ont apporté la flexibilité nécessaire pour adapter aux nouvelles connaissances et aux nouveaux principes des programmes d’enseignement pluriannuels ; d’autres fois, certains éléments fournis par les ressources de l’UNESCO ont été intégrés aux cours existants. Grâce à sa qualité et à sa cohérence, cette nouvelle publication devrait être tout aussi importante et utile pour les lecteurs.

    En raison de son statut d’organisation non-gouvernementale, l’UNESCO ne prend pas parti dans le cadre de la géopolitique de la contestation de l’information. Comme chacun sait, la désinformation est un sujet qui fait l’objet d’un vif débat. Les lecteurs de ce texte doivent avoir à l’esprit cette idée et doivent s’en inspirer pour collecter de nouvelles données probantes sur différents cas exemplaires.

    En évitant toute relativisation, ce manuel se fonde sur les principes suivants, en tant que bases solides pour l’analyse et l’action :

    1. La prise de conscience du fait que l’information – vérifiable et produite par des acteurs transparents – est un facteur essentiel pour la démocratie, le développement, les sciences, la santé et le progrès humain,

    11 http://www.unesco.org/new/en/communication-and-information/resources/publications-and-communication-Matériel /publications/full-list/ model-curricula-for-journalism-education/ [consulté le 12/06/2018].

    12 https://en.unesco.org/news/unesco-releases-model-course-safety-journalists [consulté le 12/06/2018]. 13 https://en.unesco.org/news/terrorism-and-media-handbook-journalists [consulté le 12/06/2018].14 http://www.unesco.org/new/en/communication-and-information/resources/publications-and-communication-Matériel /publications/full-

    list/ climate-change-in-africa-a-guidebook-for-journalists/ [consulté le 12/06/2018].15 http://www.unesco.org/new/en/communication-and-information/resources/publications-and-communication-Matériel /publications/full-

    list/ the-global-investigative-journalism-casebook/ [consulté le 12/06/2018].16 http://unesdoc.unesco.org/images/0019/001930/193078e.pdf [consulté le 12/06/2018].17 http://www.unesco.org/new/en/communication-and-information/resources/publications-and-communication-Matériel /publications/full-

    list/ conflict-sensitive-reporting-state-of-the-art-a-course-for-journalists-and-journalism-educators/ [consulté le 12/06/2018].

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    2. La reconnaissance du fait que la lutte contre la désinformation n’est pas une option et représente une mission essentielle de chaque média,

    3. L’engagement en faveur de l’amélioration des compétences journalistiques est absolument essentiel pour qu’un journalisme inclusif et fidèle à la réalité puisse combattre efficacement la diffusion de contenus contrefaits.

    Parmi les autres sujets d’importance vitale couverts par cette publication, particulièrement pour tous ceux qui exercent le métier de journaliste et pour les médias d’informations, figurent :

    1. Les compétences et les connaissances nécessaires pour mettre en place des salles de rédaction capables d’assurer une vérification systématique des informations et d’enquêter et alerter sur la désinformation,

    2. La compréhension de la valeur du partenariat entre les médias, les écoles de journalisme, les ONG, les vérificateurs, les communautés, les fournisseurs d’accès à Internet et les autorités de régulation, dans la lutte contre la pollution de l’information,

    3. La nécessité de sensibiliser le public à l’importance de la défense du journalisme contre la contamination produite par la désinformation ou contre des opérateurs malveillants qui orchestrent des campagnes de désinformation à l’encontre des journalistes.

    Globalement, cette publication doit contribuer à mieux informer la société sur les différentes réponses de nature sociétale au problème de la désinformation, de la part des gouvernements, des organisations internationales, des organismes de défense des droits humains, des fournisseurs d’accès à Internet et des promoteurs d’actions en faveur de la maîtrise de l’information. Elle montre, en particulier, ce que peuvent faire les journalistes, en premier lieu, ainsi que les personnes chargées de les éduquer et de les former.

    Nous espérons, en toute modestie, que cet ouvrage pourra contribuer à renforcer le rôle du journalisme dans la défense de la société et en faveur de l’Objectif de développement durable concernant « l’accès du public à l’information et aux libertés fondamentales ». L’UNESCO remercie les éditeurs et les auteurs qui ont rendu possible la réalisation de cette publication. Nous la confions, maintenant, à nos lecteurs et nous serons heureux de recevoir leurs commentaires.

    Guy Berger Directeur de la Division pour la liberté d’expression et le développement des médias, Secrétaire du PIDC à l’UNESCO

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    INTRODUCTIONCherilyn Ireton et Julie Posetti18

    En tant que modèle de programme, ce manuel a été conçu comme un cadre, destiné aux enseignants et aux formateurs ainsi qu’aux étudiants en journalisme, et comme un ensemble de leçons sur les différents aspects liés au phénomène des « fake news ». Nous espérons qu’il servira également de guide pour les journalistes professionnels en activité.

    Ce manuel rassemble les contributions d’enseignants en journalisme, chercheurs et intellectuels de haut niveau, provenant de différents pays, qui nous aident à actualiser les méthodes et les pratiques journalistiques face aux défis de la mésinformation et de la désinformation. Les leçons sont contextuelles, théoriques et, dans le cas de la vérification en ligne, extrêmement pratiques. Utilisées comme cours collectifs ou individuellement, elles peuvent contribuer à rafraîchir les connaissances relatives aux différents modules d’enseignement déjà existants ou à créer de nouveaux modules. Vous trouverez, après cette introduction, des suggestions sur Comment utiliser ce manuel en tant que modèle de programme.

    L’utilisation du terme « fake news » dans le titre et dans les leçons a été source de débat. Aujourd’hui, le terme « fake news » est bien plus qu’une étiquette servant à désigner des informations fausses ou trompeuses, déguisées en vraies nouvelles et diffusées comme telles. Ce terme possède une charge émotionnelle et est utilisé comme arme pour discréditer et décrédibiliser le journalisme. C’est la raison pour laquelle nous préférons employer les termes mésinformation, désinformation et « désordres de l’information » tels que suggérés par Wardle et Derakhshan19, bien que leur utilisation ne soit pas obligatoire20 21.

    Déclaration conjointe sur la liberté d’expression et les fausses nouvelles (« fake news »), la désinformation et la propagande

    Ce manuel a été produit dans un contexte de préoccupation croissante, à l’échelle internationale, concernant la « guerre de la désinformation » dont le journalisme et les journalistes sont les principales cibles. Début 2017, quand ce projet a été commandé par l’UNESCO, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, le Représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, le Rapporteur spécial de l’Organisation des États américains (OEA) pour la liberté d’expression, le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et l’accès à l’information de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ont émis une déclaration conjointe à ce sujet.

    18 Alice Matthews d’ABC Australia et Tom Law du Réseau du journalisme éthique [Ethical Journalism Network] ont contribué par leurs recherches, leurs idées et leurs ressources, qui sont reprises dans cette introduction.

    19 Module 2 20 De nombreux écrivains et journalistes se sont élevés contre l’utilisation du terme « fake news » ; parmi ceux-ci, Basson, A. (2016) If it’s fake,

    it’s not news. https://www.news24.com/Columnists/AdriaanBasson/lets-stop-talking-about-fake-news-20170706 [consulté le 12/06/2018].21 Wardle, C et al. (2018). « Désordres de l’information : the essential glossary ». Shorenstein Center, Harvard University. Disponible sur :

    https://firstdraftnews.org/wp-content/uploads/2018/07/infoDisorder_glossary.pdf ?x25702 [consulté le 21/07/2018].

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    Dans cette Déclaration, les représentants de ces organisations exprimaient leur inquiétude concernant la divulgation accrue de la désinformation et de la propagande et les attaques de plus en plus fréquentes dont faisaient l’objet les médias sous la forme de « fake news ». Les Rapporteurs et les Représentants identifiaient plus précisément l’impact pour le journalisme et les journalistes :

    « (Nous sommes) alarmés par les cas dans lesquels les autorités publiques dénigrent, intimident et menacent les médias, notamment en affirmant que ces derniers sont « l’opposition » ou qu’ils « profèrent des mensonges » et ont un agenda politique caché, ce qui accroît le risque de menaces et de violences contre les journalistes, sape la confiance du public dans le journalisme dans son rôle de « chien de garde public » et peut induire le public en erreur en brouillant les lignes entre la désinformation et les contenus médiatiques qui contiennent des informations pouvant faire l’objet de vérifications indépendantes. » 22

    La désinformation ne date pas d’aujourd’hui, mais elle est maintenant alimentée par les nouvelles technologies

    La manipulation de l’information est un phénomène historique, qui a commencé bien avant la naissance du journalisme moderne et des règles établies par ce dernier en matière d’intégrité de l’information. Un exemple intéressant remonte à la Rome antique23 et à la rencontre entre Antoine et Cléopâtre : l’adversaire politique d’Antoine, Octavien, orchestre la diffusion de rumeurs à l’encontre du premier par de « brefs slogans caustiques, imprimés sur des pièces de monnaie, comme des sortes d’ancêtres des Tweets. »24 L’auteur de cette campagne de dénigrement deviendra le premier empereur romain : c’est, donc, grâce aux fausses nouvelles qu’Octavien réussit à mettre fin, une fois pour toutes, au régime républicain ».25

    Toutefois, au 21e siècle, l’information est devenue une véritable arme, comme cela n’avait pas encore été le cas auparavant. De nouvelles technologies puissantes facilitent la manipulation et la fabrication des contenus, tandis que les réseaux sociaux amplifient de façon spectaculaire les fausses nouvelles diffusées par des Etats, des responsables politiques populistes et des entreprises malhonnêtes, car elles touchent un public dépourvu de sens critique et du discernement nécessaire.

    Les plateformes sont devenues un terrain fertile pour la propagande numérique26, le « trolling »27 et les « armées de trolls »28 ; les « réseaux de faux-nez » (personne utilisant des identités multiples par souci de

    22 UN/OSCE/OAS/ACHPR (2017). Déclaration conjointe sur la liberté d’expression, les fausses nouvelles, la Désinformation et la Propagande : https://www. osce.org/fom/302796 ?download=true [consulté le 29/03/2017]. Cf. également : Kaye, D (2017) Déclaration lue devant l’Assemblée Générale de l’Onu du 24 octobre 2017 : https://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx ?NewsID=22300&LangID=E [consulté le : 20/8/18].

    23 Cf. la chronologie consacrée à des exemples historiques de « désordres de l’information » – de Cléopâtre à nos jours – dans le guide publié par l’International Center for Journalists (ICFJ) Posetti, J & Matthews, A (2018) : https://www.icfj.org/news/short-guide-history-fake-news-and- désinformation -new-icfj-learning-module [consulté le 23/07/2018].

    24 Kaminska, I. (2017). A lesson in fake news from the info-wars of ancient Rome. Financial Times. https://www.ft.com/content/aaf2bb08-dca2- 11e6-86ac-f253db7791c6 [consulté le 28/03/2018].

    25 ibidem26 Cf. : Oxford Internet Institute’s Computational Propaganda Project : http://comprop.oii.ox.ac.uk/ [consulté le 20/07/2018].27 Cf. le Module 7 du présent manuel pour des exemples de ces menaces28 Rappler.com (2018) Fake News in the Philippines : Dissecting the Propaganda Machine https://www.rappler.com/newsbreak/rich-

    media/199895-fake-news-documentary-philippines-propaganda-machine [consulté le 20/07/2018].

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    discrétion ou dans le but de tromper, d’abuser.29), et les « spoofers » (usurpateur d’identité électronique)30. Puis, pendant les campagnes électorales, nous avons assisté à l’arrivée de « fermes à trolls ».31

    Bien que l’époque et les technologies soient différentes, l’histoire peut nous aider à comprendre les causes et les conséquences du phénomène contemporain des « désordres de l’information » que nous cherchons à analyser dans ce manuel. Afin d’apporter une information nuancée sur ce phénomène, les journalistes, les formateurs et les enseignants en journalisme (ainsi que leurs étudiants) sont encouragés à étudier la désinformation, la propagande, les canulars et la satire en tant que facteurs historiques de l’écosystème de la communication.32

    Le développement de stratégies journalistiques pour lutter contre la désinformation doit s’accompagner de la prise de conscience du fait que la manipulation de l’information remonte à des milliers d’années, alors que le journalisme professionnel est relativement récent33. Au fur et à mesure que le journalisme évoluait, en remplissant un rôle normatif dans la société contemporaine, les médias d’information ont pu opérer, dans la plupart des cas, loin des officines de fausses informations et des attaques déguisées, protégés par des journalistes attachés à l’éthique professionnelle de la vérité et de l’intérêt général employant des méthodes de vérification. Le journalisme a traversé différentes phases et cycles au cours desquels il a « cherché ses marques ».

    Aujourd’hui, malgré le caractère pluriel du « journalisme » il est encore possible d’identifier la diversité des récits, dans l’information, comme s’il s’agissait des membres d’une famille commune de méthodes de communication distinctes, fondées sur l’éthique, qui recherchent également l’indépendance, du point de vue éditorial, par rapport aux intérêts politiques et économiques. Avant l’établissement de ces normes d’éthique, toutefois, il existait peu de règles concernant l’intégrité de l’information dans la communication de masse.

    La diffusion de la presse à imprimer de Gutenberg, à partir de la moitié du 15e siècle, a été un facteur indispensable à l’établissement et au développement du journalisme professionnel ; cependant, la technologie a également favorisé l’amplification de la propagande et des canulars, dont les auteurs étaient, parfois, les médias d’information eux-mêmes.34La radiodiffusion a offert à la propagande, aux canulars et à la manipulation des données de nouvelles possibilités, comme l’a montré, en 1938, le feuilleton radiophonique la Guerre des Mondes, devenu tristement célèbre.35 Le développement de la radiodiffusion à l’échelle internationale a également

    29 Gent, E. (2017). Sock puppet accounts unmasked by the way they write and post. https://www.newscientist.com/article/2127107-sock- puppet-accounts-unmasked-by-the-way-they-write-and-post/ [consulté le 19/07/2018].

    30 Le Roux, J. (2017). Hidden hand drives social media smears. https://mg.co.za/article/2017-01-27-00-hidden-hand-drives-social-media-smears [consulté le 19/07/2018].

    31 Silverman, C et al (2018) American Conservatives Played a Role in the Macedonian Fake News Boom of 2016 Buzzfeed https://www. buzzfeednews.com/article/craigsilverman/american-conservatives-fake-news-macedonia-paris-wade-libert [consulté le 20/07/2018].

    32 Posetti, J and Matthews, A (2018) A short guide to the history of « fake news » : A learning module for journalists and journalism educators ICFJ https://www.icfj.org/news/short-guide-history-fake-news-and-désinformation -new-icfj-learning-module [consulté le 23/07/2018].

    33 Cf. le Module 3 de ce Manuel34 Cf., par exemple, ce qui est dit à propos du premier canular à grande échelle de l’histoire du journalisme– « The Great Moon Hoax » , de

    1835. Vous trouverez des détails à ce sujet dans : Thornton, B. (2000). The Moon Hoax : Debates About Ethics in 1835 New York Newspapers, Journal of Mass Media Ethics 15(2), pp. 89-100. http://www.tandfen ligne. com/doi/abs/10.1207/S15327728JMME1502_3 [consulté le 28/03/2018].

    35 Schwartz, A.B. (2015). The Infamous « War of The Worlds » Radio Broadcast Was a Magnificent Fluke, The Smithsonian. http://www. smithsonianmag.com/history/infamous-war-worlds-radio-broadcast-was-magnificent-fluke-180955180/#h2FAexeJmuCHJfSt.99 [consulté le 28/03/2018].

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    donné lieu à une instrumentalisation de l’information allant bien au-delà des paramètres de l’information professionnelle et indépendante, bien que les pures « inventions » et les falsifications totales aient été, en général, plutôt l’exception que la règle dans l’information diffusée par les différents acteurs de la communication.

    Nous pouvons également apprendre quelque chose de la longue histoire de tous ceux qui ont cru à des « poissons d’avril » y compris des journalistes occasionnels36. Il n’est pas rare, encore aujourd’hui , que l’information satirique– qui a joué un rôle important au service du journalisme responsable37 – ne soit pas comprise par les utilisateurs des réseaux sociaux, qui la répandent comme s’il s’agissait de vraies informations.38

    Dans certains cas, faisant écho à des exemples historiques, des sites supposés satiriques opèrent au sein d’un plus vaste réseau conçu pour rafler les bénéfices des campagnes publicitaires sur Internet grâce à des consommateurs crédules, qui se limitent à cliquer et à partager des contenus, sans réfléchir. Ceci concerne non seulement les contenus affichés par des « usurpateurs » mais aussi la crédibilité des informations39, ce qui est une raison de plus pour encourager les journalistes à redoubler d’efforts pour assurer la précision des informations diffusées, en premier lieu. Cela doit également inciter la société à faire en sorte que le public dispose des compétences nécessaires pour l’éducation aux médias et à l’information40 et soit en mesure d’évaluer et d’analyser clairement, de manière critique, l’évolution des genres et des conventions dans les médias d’information, dans la publicité, le divertissement et sur les réseaux sociaux.

    L’histoire nous enseigne également que les forces qui se cachent derrière la désinformation ne veulent pas forcément persuader les journalistes ou un plus vaste public de la véridicité des fausses informations, mais elles essaient, plutôt, de semer le doute sur l’état des informations vérifiables produites par les professionnels. Cette confusion amène de nombreux nouveaux consommateurs à croire, de plus en plus souvent, qu’ils peuvent choisir ou créer librement leurs propres « faits » parfois avec l’aide de politiciens qui cherchent à se protéger face à des critiques légitimes.

    Nous allons maintenant faire un bond en avant, en 2018, pour assister à la prolifération de nouveaux outils technologiques puissants. Ces outils ainsi que les critères extrêmement limités, en matière de contrôle de la qualité, en vigueur sur les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie en vue de la détermination des caractéristiques requises pour l’information, facilitent la contrefaçon et permettent d’imiter des médias d’information crédibles pour faire passer pour vraies des informations frauduleuses. Il est également possible de plus en plus souvent, de manipuler le son et l’image, au-delà des techniques de montage autorisées, pour faire croire que quelqu’un a dit ou fait quelque chose à un certain endroit, et faire passer pour vraie une fausse information41, en la rendant virale sur les réseaux sociaux.

    36 Laskowski, A. (2009). How a BU Prof April-Fooled the Country : When the joke was on the Associated Press, BU Today. https://www.bu.edu/ today/2009/how-a-bu-prof-april-fooled-the-country/ [consulté le 01/04/2018].

    37 Baym, G (2006) The Daily Show : Discursive Integration and the Reinvention of Political Journalism in Political Communication Taylor and Francis Volume 22, 2005 - Issue 3 pp 259-276 https://www.tandfen ligne .com/doi/abs/10.1080/10584600591006492 [consulté le 20/07/2018].

    38 Woolf, N. (2016) As fake news takes over Facebook feeds, many are taking satire as fact, The Guardian. https://www.theguardian.com/ media/2016/nov/17/facebook-fake-news-satire [consulté le 01/04/2018].

    39 Cf. Module 3 de ce manuel pour un traitement plus exhaustif de ce thème 40 Cf. Module 441 Solon, O (2017) The future of fake news : Don’t believe everything you see, hear or read in The Guardian : https://www.theguardian.com/

    technology/2017/jul/26/fake-news-obama-video-trump-face2face-doctored-content [consulté le20/07/2018].

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    Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont alimentés par différents types de contenus, de nature personnelle et politique. Il y a de nombreux exemples, produits ouvertement ou de manière cachée par des gouvernements ou par des sociétés du secteur des relations publiques travaillant pour des acteurs du monde politique ou des affaires. Dans ce contexte, d’innombrables blogueurs, influenceurs sur Instagram et Youtubeurs font la promotion de produits ou d’hommes politiques sans déclarer qu’ils sont payés pour le faire. Des paiements occultes ont également été effectués en faveur de commentateurs (souvent sous de fausses identités) qui cherchent à s’imposer, à intimider ou à discréditer des journalistes sur des forums en ligne. Dans ce contexte, le journalisme perd du terrain pour devenir l’objet non seulement de critiques équitables, mais aussi d’attaques contre sa propre existence.

    Maintenant, le danger est représenté par la « course à l’armement » de ceux qui répandent la désinformation à travers des médias d’information et des réseaux sociaux partisans, qui polluent l’environnement de l’information par des moyens qui peuvent se retourner contre les auteurs de la désinformation eux-mêmes.42 Lorsque des campagnes de désinformation ont été dévoilées au grand jour, cela a porté un grave préjudice aux acteurs impliqués dans ces faits, que ce soit les agences ou leurs clients du monde politique (cf. par exemple, les récentes affaires Bell-Pottinger 43 44 45 46 et Cambridge Analytica3147 48).

    Il s’ensuit que, dans un contexte de polarisation, la désinformation alimentée par les outils numériques risque d’éclipser le rôle du journalisme et, pire encore, le journalisme fondé sur des faits vérifiables divulgués dans l’intérêt général - un accomplissement historique récent qui n’est nullement garanti– risque d’être décrédibilisé si l’on n’adopte pas les précautions nécessaires pour éviter la manipulation de l’information. Lorsque le journalisme se transforme en un véhicule de désinformation, la confiance du public dans les moyens d’information baisse et l’opinion cynique selon laquelle il n’y a pas de différence entre les récits divulgués par les journalistes et ceux diffusés par les acteurs de la désinformation se répand. C’est la raison pour laquelle l’historique relatif à l’emploi controversé des contenus et à ses différentes formes est instructif. En effet, l’analyse de l’évolution multiforme des « désordres de l’information » au 21e siècle doit aider à mieux comprendre les causes et les effets d’une menace mondiale sans précédents – allant du harcèlement des journalistes par des « armées de trolls » cautionnées par les Etats à la manipulation des élections, des dommages pour la santé publique à l’ignorance coupable des risques du changement climatique.

    42 Winseck, D (2008). Information Operations « Blowback »: Communication, Propaganda and Surveillance in the Global War on Terrorism. International Communication Gazette 70 (6), 419-441

    43 The African Network of Centers for Investigative Journalism, (2017). The Guptas, Bell Pottinger and the fake news propaganda machine, TimeLive. https://www.timeslive.co.za/news/south-africa/2017-09-04-the-guptas-bell-pottinger-and-the-fake-news-propaganda-machine/ [consulté le 29/03/2018].

    44 Cameron, J. (2017) Dummy’s guide : Bell Pottinger – Gupta London agency, creator of WMC, BizNews https://www.biznews.com/global- citizen/2017/08/07/dummys-guide-bell-pottinger-gupta-wmc [consulté le 29/03/2018] and Segal, D. (2018) How Bell Pottinger, P.R. Firm for Despots and Rogues, Met Its End in South Africa. New York Times, 4 février 2018. https://www.nytimes.com/2018/02/04/business/bell-pottinger- guptas-zuma-south-africa.html [consulté le 29/03/2018].

    45 Haffajee, F. (2017). Ferial Haffajee : The Gupta fake news factory and me. HuffPost South Africa. [en ligne ] Disponible sur : https://www. huffingtonpost.co.za/2017/06/05/ferial-haffajee-the-gupta-fake-news-factory-and-me_a_22126282/ [consulté le 06/04/2018].

    46 Cf. Module 747 Lee, G. (2018). Q&A on Cambridge Analytica : The allegations so far, explained, FactCheck, Channel 4 News. https://www.channel4.com/

    news/ factcheck/cambridge-analytica-the-allegations-so-far [consulté le 29/03/2018].48 Cassidy, J. (2018). Cambridge Analytica Whistleblower claims that cheating swung the Brexit vote, The New Yorker. https://www.newyorker.

    com/news/our-columnists/a-cambridge-analytica-whistleblower-claims-that-cheating-swung-the-brexit-vote [consulté le 29/03/18].

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    Un manuel pour aider à lutter contre le problème de la désinformation

    En tant que programme, ce manuel comprend deux parties distinctes : les trois premiers modules définissent le problème en l’inscrivant dans un contexte, tandis que les quatre modules suivants se concentrent sur les réponses possibles aux « désordres de l’information » et à leurs conséquences.

    Le Premier Module, Pourquoi c’est important : vérité, confiance et journalisme49 invite à réfléchir sur la signification et les conséquences plus vastes de la désinformation et de la mésinformation et sur la manière dont elles alimentent la crise de confiance dont fait l’objet le journalisme.

    Le Deuxième Module, Réflexions sur les « désordres de l’information » : formes de la mésinformation et de la désinformation50 décortique le problème et offre un cadre pour mieux comprendre les dimensions du problème.

    Au 21e siècle, dans la plupart des pays du monde, la confiance fragile que le public accordait aux médias était déjà en baisse avant même que les plateformes de réseaux sociaux occupent le devant de la scène, offrant à tout le monde l’espace et les outils nécessaires pour partager des informations.51 Les raisons de cette baisse de confiance sont multiples et complexes. Le besoin insatiable de contenus d’information en continu de la part des utilisateurs d’Internet, à une époque de compression des moyens alloués aux salles de rédaction a changé la face du journalisme, comme le montre le Module 3, Transformation du secteur de l’information : technologie numérique, plateforme sociale et divulgation de la mésinformation et de la désinformation.52 Maintenant, ce sont l’ampleur, l’esprit d’entreprise et la portée de la divulgation de fausses nouvelles en ligne qui sont à l’origine d’une nouvelle crise du journalisme, qui a des répercussions pour les journalistes, les médias et la société toute entière.53

    Alors, comment devraient répondre à ce phénomène tous ceux qui soutiennent le journalisme, y compris les enseignants, les journalistes et les responsables des politiques en matière d’information ? C’est le sujet du Module 4 - Lutter contre la mésinformation à travers l’éducation aux médias et à l’information54.

    En fin de compte, c’est la rigueur de la vérification qui distingue le journalisme professionnel du reste de l’information55 et c’est ce qui constitue l’objet du Module 5, Vérification : vérification des faits 10156. Le Module 6, Vérification des réseaux sociaux : évaluation des sources et des contenus visuels57 est très pratique, et traite des problèmes inhérents à la vérification et au journalisme factuel résultant de la technologie numérique et des réseaux sociaux.

    49 Cf. Module 150 Cf. Module 251 Edelman. (2017). 2017 Edelman Trust Barometer- Global Results. Disponible sur https://www.edelman.com/global-results/ [consulté le

    03/04/2018]. 52 Cf. Module 353 Viner, K. (2017). A mission for journalism in a time of crisis. [en ligne ] The Guardian. Disponible sur https://www.theguardian.com/

    news/2017/ nov/16/a-mission-for-journalism-in-a-time-of-crisis [consulté le 03/04/2018].54 Cf. Module 455 Kovach, B. & Rosenstiel, T. (2014). The elements of journalism : What newspeople should know and the public should expect. New York :

    Crown Publishers.56 Cf. Module 557 Cf. Module 6

  • En voulant faire en sorte que tout le monde puisse participer au processus de l’information, les réseaux sociaux ont entraîné la perte de certains garde-fou centralisés.58Le journalisme en subit les conséquences, mais, comme pour toute perturbation induite par la technologie, il faut du temps pour évaluer, mesurer et formuler des réponses. Il y a forcément une période de transition, avant l’émergence de la recherche et de meilleures pratiques concrètes.

    La désinformation est un problème de portée mondiale, qui dépasse la sphère de la politique pour s« étendre à tous les aspects de l’information, y compris au changement climatique, au divertissement, etc. Toutefois, à ce jour, la plupart des études de cas documentées, des réponses initiales et des financements destinés à la recherche et aux outils viennent des Etats-Unis, où les géants mondiaux de la technologie ont leurs sièges et où les accusations formulées par le Président Donald Trump selon lesquelles les médias et les journalistes seraient des fauteurs de « fausses informations » ont encouragé le lancement d’actions et l’apport de financements.

    La situation ne cesse d’évoluer, chaque jour, dans le monde entier, notamment en ce qui concerne la réponse de nombreux Etats, qui étudient des réglementations et des lois pour s’attaquer à ce problème. Les grandes entreprises technologiques ont également mis en œuvre d’importants efforts pour essayer de faire obstacle à la désinformation et à la mésinformation sur leurs plateformes respectives.

    A l’époque de l’élaboration de ce manuel, la Commission Européenne a produit un rapport59 rédigé à partir d’une enquête60, dans lequel elle a exprimé sa préoccupation pour le préjudice causé à la société tout entière par la désinformation et la mésinformation.61 Les hommes politiques et les organismes publics, dans les différents pays, de l’Australie aux Philippines, du Canada à la France, au Royaume Uni, au Brésil, à l’Inde et à l’Indonésie, ont commencé à réfléchir à une réponse.62 En ce qui concerne la législation, l’Allemagne a été la première à légiférer en établissant des amendes très élevées à l’encontre des plateformes numériques qui ne supprimeraient pas de leurs pages les « contenus illicites » y compris les fausses nouvelles et les incitations à la haine, dans un délai de 24 heures après un signalement.63 Le Parlement malais a également promulgué une Loi contre les Fausses Nouvelles, en avril 2018, qui a été abrogée en août de la même année.64 Poynter a rédigé une liste à jour des réponses mises en œuvre par les différents Etats.65

    58 Colón, A. (2017). You are the new gatekeeper of the news. [en ligne ] The Conversation. Disponible sur https://theconversation.com/you-are-the- new-gatekeeper-of-the-news-71862 [consulté le 03/04/2018].

    59 Commission Européenne (2018). Rapport final du Groupe d’Experts de haut niveau sur les fausses nouvelles et la désinformation en ligne. http://ec.europa.eu/ newsroom/dae/document.cfm ?doc_id=50271 [consulté le 03/04/2018].

    60 Commission Européenne (2017). Next steps against fake news : Commission sets up High-Level Expert Group and launches public consultation. [en ligne ] Disponible sur http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-4481_en.htm [consulté le 03/04/2018].

    61 Ansip, A. (2017). Hate speech, populism and fake news on social media – towards an EU response. Disponible sur https://ec.europa.eu/ commission/commissioners/2014-2019/ansip/announcements/statement-vice-president-ansip-european-parliament-strasbourg-plenary- debate-hate-speech-populism_en [consulté le 03/04/2018].

    62 Malloy, D. (2017). How the world’s governments are fighting fake news. [en ligne ] ozy.com. Disponible surt http://www.ozy.com/politics-and- power/how-the-worlds-governments-are-fighting-fake-news/80671 [consulté le 03/04/2018].

    63 Ministère Fédéral de la Justice et de la Protection des Consommateurs. (2017). Act to Improve Enforcement of the Law in Social Networks (Network Enforcement Act, netzdg). [en ligne]. Disponible sur : http://www.bmjv.de/DE/Themen/fokusthemen/netzdg/_documents/netzdg_englisch.html [consulté le 03/04/2018].

    64 Malaysia scraps « fake news » law used to stifle free speech. The Guardian. https://www.theguardian.com/world/2018/aug/17/malaysia-scraps- fake-news-law-used-to-stifle-free-speech [consulté le 18/08/2018].

    65 Funke, D. (2018). A guide to anti-mésinformation actions around the world (Poynter). Disponible sur https://www.poynter.org/news/guide-anti- mésinformation -actions-around-world [consulté le 13/07/2018].

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    Les défenseurs de la liberté d’expression craignent que la législation puisse nuire à la démocratisation de l’information et de l’opinion qui a été favorisée par les nouvelles technologies. Dans certains pays, la législation pourrait être utilisée pour faire taire les médias qui critiquent l’action du gouvernement.66

    Pour de nombreux journalistes, qui croient profondément en la liberté d’expression et qui ont toujours pensé jouer un rôle essentiel de soutien de la démocratie67, la manière de lutter contre les « désordres de l’information » pose un problème complexe, qui présente également, parfois, une dimension personnelle : les attaques en ligne contre les journalistes, notamment des femmes, sont trop courantes et comportent, souvent un réel danger physique et psychologique, tout en mettant un frein à la liberté journalistique, comme le montre le Module 7 Lutter contre les abus en ligne : lorsque les journalistes et leurs sources sont visés.68

    La désinformation et la mésinformation ne se limitent pas à la mise en péril de la réputation et de la sécurité des journalistes. Elles remettent aussi en question le but et l’efficacité de l’activité journalistique, tout en continuant à décrédibiliser celle-ci au détriment de l’esprit civique. Les futurs journalistes et la société dans son ensemble ont intérêt à améliorer les normes et les critères ainsi que la pertinence sociale de l’activité journalistique. Ce manuel devrait encourager les chercheurs, les étudiants et les journalistes professionnels à réfléchir à la meilleure manière dont le journalisme peut contribuer au bon fonctionnement des sociétés ouvertes et des démocraties dans ce nouveau contexte, et à en débattre :

    « Pour bien fonctionner, la presse et la démocratie ont besoin d’esprit critique, de transparence et doivent apprendre à tirer des leçons des conséquences des erreurs journalistiques. Elles ont également besoin que nous soyons capables, collectivement, de distinguer ces erreurs du mensonge et de la tromperie. Dans le cas contraire...la vraie information sera décrite comme fausse et les nouvelles fabriquées (foutaises) seront présentées comme des faits réels. » - Craig Silverman69

    Remarque relative à l’éthique et à l’autorégulation

    Les normes professionnelles qui régissent le journalisme éthique et responsable sont une mesure de protection importante contre la désinformation et la mésinformation. Les normes et les valeurs qui guident la profession journalistique ont évolué au fil des ans afin de définir plus précisément sa mission et son mode opératoire, qui se fondent sur des informations vérifiables et des commentaires éclairés, partagés dans l’intérêt général. C’est justement sur ces facteurs que repose la crédibilité du journalisme et c’est pour cette raison que ces éléments sont inséparables du tissu de ce manuel.

    Il convient de citer, dans ce contexte, ce que le professeur Charlie Beckett de la London School of Economics considère, de manière synthétique, comme la valeur potentielle que les fausses nouvelles pourraient représenter pour le journalisme :

    66 Nossel, S. (2017). FAKING NEWS : Fraudulent News and the Fight for Truth. [ebook] PEN America Disponible sur https://pen.org/wp-content/ uploads/2017/10/PEN-America_Faking-News-Report_10-17.pdf [consulté le 03/04/2018].

    67 McNair, B. (2009). Journalism and Democracy. In : K. Wahl-Jorgensen and T. Hanitzsch, ed., Handbook of Journalism Studies, 6th ed. [en ligne] New York : Routledge

    68 Cf. Module 769 Silverman, C. (2018). I Helped Popularize The Term « Fake News » And Now I Cringe Every Time I Hear It. BuzzFeed. Disponible sur https://

    www. buzzfeed.com/craigsilverman/i-helped-popularize-the-term-fake-news-and-now-i-cringe [consulté le 03/04/2018].

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    « ...les fausses nouvelles sont la meilleure chose qui soit arrivée depuis des décennies, car elles offrent au journalisme traditionnel l’opportunité de démontrer qu’il possède une valeur basée sur l’expertise, l’éthique, l’engagement et l’expérience. C’est une sorte de piqûre de rappel en faveur d’une plus grande transparence, pertinence et de l’apport d’une plus grande valeur ajoutée à la vie des gens. Elles peuvent contribuer à créer un nouveau modèle économique basé sur la vérification des faits, la démythification et, plus généralement, le fait de passer des paroles aux actes en tant que meilleur moyen de s’opposer à la tromperie. » 70

    Bien qu’ils cherchent toujours à « raconter la vérité » les journalistes ne peuvent pas toujours garantir la « vérité ». Toutefois, le journalisme se fonde sur deux principes fondamentaux, à savoir : essayer à tout prix de décrire les faits de manière véridique et produire des contenus capables de reproduire de manière précise les faits. Mais, à quoi ressemble un journalisme éthique à l’ère numérique ?Un journalisme éthique, responsable et transparent est un élément essentiel de l’arsenal nécessaire pour mener la lutte en faveur de la défense des faits et de la vérité, à l’époque des « désordres de l’information ». Les journalistes d’information doivent faire entendre une voix indépendante, ce qui veut dire qu’ils ne doivent pas parler, directement ou indirectement, au nom d’intérêts particuliers. Cela veut dire également qu’ils doivent identifier et déclarer au grand jour tout ce qui peut constituer un conflit d’intérêts, dans un souci de transparence. Comme l’a expliqué le professeur Emily Bell du Tow Center for Digital Journalism de la Columbia University, les valeurs essentielles du journalisme professionnel consistent à :

    « Vérifier l’exactitude des informations, assumer la responsabilité de leur éventuelle inexactitude, faire preuve de transparence au sujet des sources des récits et des informations, tenir tête aux intimidations, aux menaces et à la censure des gouvernements, des groupes de pression et de la police et aux intérêts commerciaux. Protéger vos sources contre les arrestations et la divulgation. Savoir quand la défense de l’intérêt général est suffisamment importante pour justifier la violation de la loi et être prêts à aller en prison pour défendre vos informations et vos sources. Savoir dans quels cas la publication de certaines informations est contraire à l’éthique. Savoir établir le juste équilibre entre la protection de la vie privée et le plus vaste droit de l’intérêt général. » 71

    Face à des hommes politiques peu scrupuleux, aux « désordres de l’information » aux manifestations de haine sur les réseaux sociaux, à la prolifération du « marketing de contenu » à la publicité et à des relations publiques aptes uniquement à servir des intérêts particuliers, les médias et les journalistes d’information doivent placer le journalisme éthique au centre d’un modèle de pratiques durables, même en pleine crise financière et de confiance. Les démocraties aussi ont un rôle important à jouer dans la défense du journalisme et dans la protection des journalistes et des sources lorsque l’intérêt public est en jeu.

    Ce sont les codes d’éthique72, spécialement conçus comme support à la collecte et à la vérification des informations dans l’intérêt général, qui distinguent le journalisme, et notamment les reportages d’actualité,

    70 Beckett, C. (2017). « fake news » : The best thing that’s happened to Journalism at Polis. http://blogs.lse.ac.uk/polis/2017/03/11/fake-news-the- best-thing-thats-happened-to-journalism/ [consulté le 04/03/2018].

    71 Bell, E. (2015). Hugh Cudlipp Lecture (Full text), The Guardian https://www.theguardian.com/media/2015/jan/28/emily-bells-2015-hugh- cudlipp-lecture-full-text [consulté le 01/04/2018].

    72 Cf., par exemple, le « Code d’Ethique Journalistique » de l’Australian Media, Entertainment and Arts Alliance ». Disponible sur : https:// meaa.org/ meaa-media/code-of-ethics/ [consulté le : 04/03/2018].

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    des autres types de communication. Ceci assume une importance particulière à l’ère numérique où l’on assiste non seulement à une démocratisation des communications, mais aussi à un flux constant de désinformation, mésinformation, fausses nouvelles et abus. Dans ce contexte, un journalisme éthique est encore plus important, en tant que cadre pour l« établissement de modèles de journalisme susceptibles de favoriser la confiance et la responsabilité en vue de la création d’un dialogue sérieux avec le public.

    La confiance dans une information exacte, fiable et indépendante est essentielle pour fidéliser le public et permettre la création d’une sphère publique commune, dans laquelle le débat peut avoir lieu sur la base de faits partagés. Un public informé, capable d’apprécier et partager des contenus crédibles, est un antidote essentiel à la diffusion incontrôlée de la désinformation et de la mésinformation.

    Afin d’intégrer et enraciner ces valeurs essentielles dans un environnement de l’information en pleine évolution, les rédactions et les médias adoptent et adaptent des codes de conduite et créent des dispositifs pour en rendre compte au public, par le biais de structures d’autorégulation telles que les conseils de presse, les médiateurs et les politiques éditoriales.

    Ces structures permettent d’identifier les erreurs dans un contexte professionnel d’évaluation collégiale ; elles peuvent faciliter la reconnaissance publique des erreurs et requérir les corrections nécessaires et aident à renforcer les normes professionnelles concernant la publication de l’information dans l’intérêt général. Ces structures, bien que souvent méprisées et décrites comme des « tigres de papier » par tous ceux qui privilégient une régulation externe des médias d’information, jouent un rôle important dans la lutte contre la désinformation, car elles contribuent à renforcer la fiabilité et la transparence des professionnels et, par conséquent, la confiance du public dans le journalisme dans son ensemble. Elles aident également à définir plus précisément les caractéristiques du journalisme qui adopte une pratique de vérification rigoureuse dans une optique de précision et de fiabilité, en établissant des lignes de démarcation claires par rapport à la désinformation, à la propagande, à la publicité et aux relations publiques.

    Du « journaliste » au journalisme

    L’époque où l’éthique journalistique se limitait à une carrière ou à une occupation/profession (parfois peu respectée) est terminée. Ceci est largement reconnu, y compris par les Nations Unies, par exemple dans le rapport du Secrétaire général sur la sécurité des journalistes 2017A/72/29073 de 2017, dans lequel on lit :

    « Le terme « journaliste » inclut les journalistes et les autres personnes qui travaillent dans les média. Le journalisme est défini dans le document CCPR/C/GC/34, par. 44, en tant que « fonction partagée par une vaste catégorie d’acteurs, y compris des reporters et des analystes professionnels à temps plein, ainsi que des bloggeurs et d’autres personnes qui autopublient leurs textes sur papier, sur Internet ou ailleurs. » 74

    Dans ce même esprit, la Conférence générale de l’UNESCO fait référence aux « journalistes, professionnels des médias et producteurs des médias sociaux qui contribuent pour une large part au journalisme » (Résolution 39,

    73 Disponible sur : https://digitallibrary.un.org/record/1304392 ?ln=en [consulté le 16/06/2018].74 See also UN documents A/HRC/20/17, paras. 3-5, A/HRC/20/22 and Corr.1, para. 26, A/HRC/24/23, para. 9, A/HRC/27/35, para. 9, A/69/268, para.

    4, and A/HRC/16/44 and Corr.1, para. 47.

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    novembre 2017)75. Le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, proposé par le Conseil des chefs de secrétariat des Nations Unies, en 2012, note : « la protection des journalistes ne doit pas s’appliquer uniquement aux personnes officiellement reconnues comme des journalistes, mais aussi à d’autres personnes telles que les travailleurs des médias communautaires et les journalistes citoyens et d’autres qui utilisent les nouveaux médias en tant que moyen de toucher leurs publics ». 76

    Dans ce contexte, le journalisme peut être considéré comme une activité régie par des normes d’éthique basées sur une information vérifiable partagée dans l’intérêt général. Ceux qui peuvent affirmer qu’ils font du journalisme sont plus nombreux que ceux qui exercent le journalisme à titre professionnel, tandis que ceux qui sont employés en tant que journalistes ou identifiés comme tels peuvent ne pas produire, occasionnellement ou systématiquement, des contenus qui peuvent être considérés comme des exemples de journalisme précis, équitable, professionnel et indépendant, dans l’intérêt général. Ce qui importe n’est pas tant le statut officiel ou revendiqué, mais plutôt le caractère du contenu produit.Bien que le journalisme se fonde sur l’exercice de la liberté d’expression, qui est un droit dont bénéficie ch