jugement esthétique et ontologie musicale

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Jugement esthétique et ontologie musicale Author(s): Alessandro Arbo Source: International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, Vol. 45, No. 1 (June 2014), pp. 3-19 Published by: Croatian Musicological Society Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23758164 . Accessed: 02/10/2014 17:32 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Croatian Musicological Society is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to International Review of the Aesthetics and Sociology of Music. http://www.jstor.org This content downloaded from 161.116.100.129 on Thu, 2 Oct 2014 17:32:58 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Jugement esthétique et ontologie musicaleAuthor(s): Alessandro ArboSource: International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, Vol. 45, No. 1 (June2014), pp. 3-1

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Jugement esthétique et ontologie musicaleAuthor(s): Alessandro ArboSource: International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, Vol. 45, No. 1 (June2014), pp. 3-19Published by: Croatian Musicological SocietyStable URL: http://www.jstor.org/stable/23758164 .

Accessed: 02/10/2014 17:32

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A. Arbo:

Jugement esthétique et ontologie musicale IRASM 45 (2014)1:3-19

Jugement esthétique et ontologie musicale

Alessandro Arbo Université de Strasbourg Marc Bloch 14 Rue René Descartes F-67084 STRASBOURG, France E-mail: [email protected]

UDC: 78.01 Original Scientific Paper Izvorni znanstveni rad Received: February 27, 2014 Primljeno: 27. veljace 2014. Accepted: March 4, 2014 Prihvaceno: 4. ozujka 2014.

0. Introduction

Depuis quelques années, la réflexion philoso phique a mis au point de nombreux modèles ontolo

giques susceptibles d'expliquer la nature et le fonc tionnement des œuvres musicales1. On s'est aussi

quelquefois demandé quelle était l'utilité d'une telle

enquête lorsque l'on fait de la musique l'objet d'un

questionnement esthétique, et notamment lorsqu'on

se propose d'examiner les appréciations que nous

portons sur elle dans des contextes réels. Selon cer

tains, une analyse ontologique n'a strictement rien à

nous apporter à ce sujet. Nous pensons que cette

position est trop radicale, et chercherons à montrer

pourquoi nous avons au contraire intérêt à en mener

une lorsque nous souhaitons éclairer nos manières

de comprendre et juger la musique aujourd'hui.

Résumé - Abstract

L'enquête ontologique est elle de mise lorsque l'on fait de la musique l'objet d'un

questionnement esthétique, et notamment lorsqu'on se

propose d'examiner les

appréciations que nous

portons sur elle dans des contextes réels? La réponse est souvent négative. Cet article vise à montrer comment nous avons au contraire intérêt à ne pas négliger un tel questionne ment. Pour ce faire, il déve

loppe une discussion sur la

signification qu'assume la recherche ontologique appli quée à la musique et un commentaire de quelques exemples susceptibles de faire émerger un point de

jonction entre esthétique et

ontologie. 1 Pour une bonne vision d'ensemble, voir la section 2. de

l'article d'A. KANIA, « The Philosophy of Music », in Stanford

Encyclopedia of Philosophy, Stanford, 2012, Internet : http://plato. stanford.edu/entries/music/#2.

Keywords: musical

ontology • musical work • aesthetic judgement

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Pour ce faire, nous commencerons par discuter la signification et les objectifs de ce genre de recherche, pour passer ensuite à un commentaire de quelques

exemples susceptibles de faire émerger un point de jonction spécifique entre es

thétique et ontologie2.

1. Qu'est-ce que l'ontologie musicale ?

Qu'entend-on par « ontologie musicale » ? On désigne généralement par cette

expression une branche d'une discipline plus générale, l'ontologie, traditionnelle ment conçue comme l'étude de ce qui existe — une étude articulée en notions

dites « fondamentales » (comme matière, forme, entité, substance, propriété, rela

tion, etc.), et qui a constitué la base de toute enquête métaphysique. L'ontologie musicale, telle qu'on l'a le plus souvent pratiquée depuis quelques années, s'est donnée pour objectif de comprendre à quel type d'entité et à quelle(s) manière(s) d'être nous faisons allusion lorsque nous parlons des œuvres musicales. Elle

relance sans cesse la question : « S'il existe des œuvres d'art, quel est leur mode

d'existence, c'est-à-dire qu'est-ce qui fait d'elles ce qu'elles sont ? »3. Un pareil questionnement risque de susciter immédiatement quelques

perplexités. Un musicologue sera tenté de le trouver abstrait, sinon vain : à quoi bon se demander si les œuvres musicales existent ? Comme c'est une évidence, ne

convient-il pas plutôt de chercher à les comprendre ou à les juger ? Mais cette inter

rogation pourrait également se heurter au scepticisme des philosophes : est-t-il vrai ment sensé de parler de substance ou de propriétés et de recourir aux instruments

de la logique lorsqu'on a affaire à des objets aussi profondément enracinés dans le monde historique et social ? Nous commencerons par affronter les doutes du

philosophe (2.), pour tenter ensuite de répondre à ceux du musicologue (3.-4.-5.). Il convient avant tout de préciser qu'une ontologie de la musique, même si

elle peut puiser dans les notions fondamentales, se présente comme une ontologie « appliquée » : c'est-à-dire comme une discipline a posteriori (contrairement à la

métaphysique fondamentale, dont les principes sont a priori). Ce premier constat est nécessaire à la pertinence du discours, qui ne pourra pas coïncider avec une

simple analyse des catégories ou des notions concernées. Nous pouvons ensuite

nous engager dans deux voies4 : d'abord nous attaquer à la question de savoir a) si

2 Cet article a été conçu dans le cadre d'un projet plus ample développé au sein du « Groupe de recherches expérimentales sur l'acte musical » de l'Université de Strasbourg et partiellement présenté au colloque « Qu'en est-il du goût musical dans le monde au XXIe siècle ? », OICRM / Université de

Montréal, 28 février - 2 mars 2013. Les discussions avec les collègues des deux laboratoires m'ont

permis d'améliorer le texte, et je souhaite les en remercier vivement. 3 R. POUIVET, L'ontologie de l'œuvre d'art. Une introduction, Paris, Jacqueline Chambon, 1999, p. 10. 4 Nous suivons ici l'efficace présentation de R. POUIVET, Philosophie du rock. Une ontologie des

artefacts et des enregistrements, Paris, PUF, 2010, p. 19.

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certaines choses dont nous parlons existent effectivement — ou si elles ne sont que des

prédicats ; et nous pouvons tenter de comprendre b) quel est le mode d'existence des choses que nous croyons exister. C'est surtout en b) que l'on retrouve beaucoup de

projets développés par les philosophes contemporains ; projets visant à com

prendre, par exemple, si les œuvres sont des entités idéales, mentales ou physiques,

ou quelles sont les manières d'être d'une improvisation par rapport à une œuvre,

ou quel est le statut ontologique d'une œuvre-enregistrement5.

Les démarches se partagent alors entre une vocation révisionniste, qui se

propose de corriger nos manières communes de penser les œuvres afin d'obtenir

un modèle rationnellement cohérent, ou descriptiviste, c'est-à-dire cherchant

avant tout à rendre compte de ce que nous croyons ou disons qu'elles sont6. On

peut considérer comme révisionniste, par exemple, la perspective phénoménolo gique de Roman Ingarden7, pour laquelle l'œuvre musicale est un objet intention

nel, ou celle nominaliste de Nelson Goodman8, qui nous invite à la considérer

comme une classe de concordance dans un système symbolique, ou encore le

platonisme de Peter Kivy9 ou de Julian Dodd10, tendant à montrer que nous avons

fondamentalement affaire à des entités idéales situées hors du temps et de l'espace.

Parmi les projets à vocation descriptiviste, on peut mentionner le platonisme modéré de Jerrold Levinson11, fondé sur la volonté de sauvegarder l'intuition

commune pour laquelle les œuvres sont créées à un moment donné de l'histoire

et peuvent donc naître et disparaître, les ontologies dites « populaires », comme

celle de Roger Pouivet12, ou la vision pluraliste de Stephen Davies13. Il semble plus difficile de caser à l'intérieur de cette dichotomie les perspectives pragmatistes, animées soit de la volonté (plutôt révisionniste) de montrer que les œuvres

5 Pour un aperçu de ces thématiques, voir A. Arbo et A. Bertinetto (éd.), Ontologie musicali, « Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell'estetico », vol. 6, Special Issue 2013, Internet : http://www.

fupress.net/index.php/aisthesis/issue/view/1006. 6 Comme l'a observé S. DARSEL, De la musique aux émotions. Une exploration philosophique, Rennes,

PUR, 2010, p. 42, « ce qui fait la force de la première option, c'est la mise en évidence de principes

généraux et de procédés efficaces pour déterminer le mode d'existence et le critère d'identité d'une

œuvre ; celle de la deuxième, c'est sa proximité avec le sens commun et la prise en compte du type

d'objet considéré ». 7 R. INGARDEN, Qu'est-ce qu'une œuvre musicale ?, trad, de D. Smoje, Paris, Christian Bourgeois, 1989. 8 N. GOODMAN, Langages de l'art. Une approche de la théorie des symboles, trad, de J. Morizot, Paris,

Hachette Littératures, 2005. 9 P. KIVY, Introduction to a Philosophy of Music, Oxford, Clarendon Press, 2002. 10

J. DODD, Works of Music: An Essay in Ontology, Oxford, Oxford University Press, 2007. "

J. LEVINSON, « Qu'est-ce qu'une œuvre musicale? », in L'art, la musique et l'histoire, trad, de

J.-P. Cometti et R. Pouivet, Paris, L'éclat, 1988, p. 44-76. 12 R. POUIVET, Philosophie du rock. 13 S. DAVIES, Musical Works and Performances: a Philosophical Exploration, Oxford, OUP, 2001, et

S. DAVIES, « Ontologies of Musical Works », in Themes in the Philosophy of Music, Oxford, OUP, 2003, 30-46.

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peuvent se concevoir comme événements ou types d'action14, soit du dessein

(descriptiviste) d'approfondir les concepts et les connaissances qui guident nos

pratiques musicales, considérées comme le principal étalon de définition de ce

que sont les œuvres15.

2. Existence et connaissance

Malgré l'ampleur et l'articulation souvent très fine des apparats conceptuels mis en œuvre par les modèles théoriques que nous venons d'évoquer, une focali

sation sur l'étude de nos croyances à propos de l'existence des choses a du mal à

ne pas « sonner faux » aux oreilles de qui s'attend à trouver grâce à l'ontologie un

fondement stable : comment nos croyances, soumises par définition à un forte

variabilité subjective, pourraient-elles nous l'assurer ? En quoi consistent exacte ment les faits sur lesquels les théories ontologiques ambitionnent de se fonder ?

Les auteurs ont souvent été chercher dans le sens commun un moyen de sur

monter cette difficulté : il s'agit, avant d'entrer dans un régime de discours ouver

tement théorique, de prendre au sérieux les intuitions qui inspirent nos manières

de parler des œuvres. L'enseignement de Wittgenstein, qui avait montré jusqu'à quel point le langage ordinaire, avec tous ses casse-têtes et la « rugosité » qui le

caractérise, peut être utile à l'enquête philosophique, est à l'origine de cette

démarche — même si les auteurs sont généralement allés bien au-delà de l'anti essentialisme sur lequel avait insisté la première réception de la pensée de ce

philosophe dans les contextes analytiques. Or, comme on l'a remarqué16, les intuitions qui émergent dans le langage or

dinaire ne sont sans doute pas aussi neutres, originaires ou partagées que l'on

pourrait de prime abord le supposer. Prenons celle qui touche au caractère « créé »

— et non simplement « découvert » — de l'œuvre sur laquelle a insisté Levinson.

Elle correspond à une manière très répandue de parler de l'œuvre musicale : nous

disons normalement que Schubert a créé ou composé un Lied à tel ou tel moment

de l'histoire ; il nous semblerait étrange de dire qu'il l'a découvert, comme Chris

tophe Colomb a découvert l'Amérique. Cependant, l'idée que la composition puisse se fonder sur une sorte d'ors inveniendi n'est pas aussi absurde qu'il n'y

paraît et se trouve au contraire au centre de certaines pratiques musicales. Et l'on

u G. CURRY, An Ontology of Art, London, Macmillan, 1989. 15 Cf. A. THOMASSON, « The Ontology of Art and Knowledge in Aesthetics », The Journal of

Aesthetics and Art Criticism, vol. 63 n. 3, 2005, p. 226 ; R. STECKER, « Methodological Questions about

the Ontology of Music », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 67 n. 4, 2009, p. 377. 16 Voir par exemple les arguments de J. YOUNG, « The Ontology of Musical Works: A

Philosophical Pseudo-Problem », in Frontiers of Philosophy in China, 6/2, 2011, pp. 284-297 et de M.

RUTA, « Is there an Ontological Musical Common Sense? », in Arbo et Bertinetto (éd.), Ontologie musicali, p. 67-86, Internet : http://www.fupress.net/index.php/aisthesis/article/view/14096.

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pourrait même aller plus loin — comme l'a fait Kivy17 — en soulignant que l'idée de l'artiste créateur n'est en fait pas aussi facilement généralisable qu'on le pense, dans la mesure où elle a une histoire qui ne commence qu'au XVIIIe siècle. S'il est vrai que l'idée de création a sans doute pour sa part un plus long passé, elle ne saurait pas non plus s'étendre à toute culture (comme on le sait, elle est étrangère

par exemple à l'antiquité grecque). En un certain sens, la « créatibilité » de l'œuvre musicale s'avère donc être plus un caractère mis en valeur par certaines théories

ontologiques inscrites dans un certain contexte culturel qu'une réalité repérable dans le sens commun. Il semble en fait que nous n'ayons aucun accès à une telle

réalité — ou, si nous prétendons l'avoir, cela ne peut être indépendamment des

catégories que nous utilisons dans notre propre cadre théorique. Les questions ontologiques ne s'occuperaient donc finalement que de choisir

une manière efficace de parler des œuvres musicales. C'est l'hypothèse relativiste

à laquelle parvient James Young18 : même si, à première vue, il n'y a aucun « fait »

véritablement susceptible de démontrer la plus grande véridicité d'un modèle par rapport à un autre, cette constatation (qui trouve son origine dans la critique de la

métaphysique de Camap) ne doit pas pour autant nous inciter à placer toutes les théories sur le même plan. De fait, une explication se révèle souvent plus apte qu'une autre à rendre compte de certains phénomènes ou d'un certain type

d'œuvre, comme nous l'a suggéré l'approche de Stephen Davies : s'il est vrai que le couple type/token se prête à expliquer aisément les dispositifs écrits fondés sur un système notationnel, il a visiblement du mal à expliquer la musique improvi sée19, ainsi que les œuvres électroacoustiques ou, plus généralement, les « œuvres

enregistrement », c'est-à-dire celles qui ne sont en principe pas destinées à une véritable exécution. Bref, si nous voulons nous en tenir à un programme de de

scription efficace, nous avons intérêt à examiner attentivement le mode de fonc

tionnement des dispositifs. Ce conseil nous paraît judicieux, même si sa conclusion, qui veut que toute

ontologie musicale se réduise à un pseudo-problème philosophique, ne nous convainc pas complètement. Il est vrai que, si nous partons de l'hypothèse que les œuvres musicales se présentent comme des entités socialement construites20, l'épis

témologie se taillera la part du lion : reconnaître une œuvre musicale dans un évé

nement sonore requiert des dispositions et des connaissances spécifiques. Cepen

dant, lorsque nous nous demandons comment de telles entités peuvent exister, nous

nous rendons compte que leur existence, même si elle dépend des sujets, n'en est

17 Cf. P. KIVY, « Platonism in Music : A Kind of Defense », Grazer Philosophische Studien, vol. 19,

1983, p. 109-129. 18

J. YOUNG, « The Ontology of Musical Works: A Philosophical Pseudo-Problem », p. 289. 19 Voir A. BERTINETTO, « Paganini Does Not Repeat. Musical Improvisation and the Type/

Token Ontology », Teorema, vol. 31 n. 3, 2012, pp. 105-126. 20 Cf. S. DAVIES, Themes in the Philosophy of Music, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 30.

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pas pour autant subjective21. Car, pour que nous puissions parler d'œuvre musicale,

il faut bien qu'un acte soit enregistré dans le monde extérieur et non pas seulement

dans notre esprit. L'existence d'un tel objet, toute (fortement) liée à nos schèmes

conceptuels qu'elle soit, n'est pas non plus déterminée par la simple application d'une catégorie : il ne suffit pas de projeter une idée sur n'importe quel événement

pour se trouver en présence d'une œuvre musicale. L'hyper-constructivisme impli cite dans la pensée post-moderne, mais aussi dans les présupposés de certaines ex

périences faites par les avant-gardes musicales du siècle passé ont certes travaillé à

nous le faire croire. Mais je pense qu'aucun compositeur ne pourra jamais transfor

mer en œuvre musicale un arc-en-ciel ou un microbe — même s'il est certainement

capable de s'inspirer d'un arc-en-ciel ou d'un microbe, ou de les prendre comme

modèles pour en faire une. Essayez d'imaginer une berceuse qui dure 250 ans : un

tel objet ne pourrait pas exister en tant qu'œuvre musicale, car elle ne pourrait ja

mais faire l'objet d'une expérience de la part d'un homme. Qu'est-ce que cela signi fie ? Que, en un sens minimal, l'œuvre musicale, comme toute œuvre d'art, est un

objet social caractérisé par un fonctionnement esthétique ; et que, pour que ce der nier puisse se mettre en place, il est nécessaire qu'elle puisse être inscrite dans un cadre spatio-temporel à échelle humaine22. Notons au passage que la célèbre 4'33" de John Cage, en dépit de son caractère provocateur ou subversif, rentre parfaite ment dans ce cadre.

Il faut admettre toutefois qu'une modification dans nos connaissances pour rait déterminer des changements importants dans nos hypothèses sur les proprié tés constitutives d'une œuvre. Par exemple, une certaine fréquence que nous avi

ons reconnue comme l'un des éléments constitutifs d'une œuvre électroacous

tique, se révèle un jour, grâce à une découverte accidentelle, être une interférence

ou un bruit extérieur23. Nous détenons, dans ce cas, une connaissance qui nous

permet de revoir à la baisse les composantes sonores de l'œuvre — et peut-être à

la hausse ses qualités esthétiques. D'une manière similaire, la «découverte» de la

21 Cf. M. FERRARIS, Documentalità. Perché è necessario lasciare tracce, Roma-Bari, Laterza, 2009, p. 43-54.

22 Cf. les arguments de M. FERRARIS, Documentalità, p. 309. 23 C'est l'expérience qu'ont faite les chercheurs du laboratoire MIRAGE, de l'Université de Udine,

dans la restauration de la bande d'une oeuvre électronique de Luigi Nono, Y entonces comprendio (je remercie Angelo Orcalli et Luca Cossettini de m'avoir communiqué cette information) : une fréquence constante de 716 Hz s'est avérée être une interférence électromagnétique (voir L. COSSETTINI, « Tracce di un contrappunto a due dimensioni. Testi e registrazioni sonore nella musica elettronica di

Luigi Nono. Note per una critica delle fonti », in L. Cossettini (éd.), Luigi Nono : studi, edizione, testimonianze, Lucca, LIM, 2010, p. 21), peut-être produite par un ventilateur de l'époque. Si dans la restitution du document sonore elle a été sauvegardée, nous sommes néanmoins désormais conscients

qu'elle n'appartient pas (forcément) à l'œuvre — car rien ne prouve que le compositeur voulait vraiment l'inscrire dans les sons fixés sur le support. On parlera en ce cas d'erreur ou de défaut, pour signifier une « altération non intentionnelle du tissu sonore qui provient d'une évidente violation des lois du système technologique à l'intérieur duquel on opère » (L. COSSETTINI, « Tracce di un

contrappunto », p. 14).

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notion d'harmonie-timbre nous a permis de revenir sur certains aspects d'une

Sonate ou d'un Quatuor de Beethoven : d'entendre, par exemple, la survenance

d'une qualité esthétique restée inaperçue dans ce que nous avions considéré pré cédemment comme un simple ornement ou un accompagnement de la ligne mé

lodique. Or ces changements sont sans doute très importants ; mais, encore une fois, il

ne faut pas pour autant en conclure que tout se réduit à une différence concep

tuelle ou catégorielle. Si une modification dans nos dispositions nous rend

capables de voir ou d'entendre plus correctement quelque chose, c'est bien parce

que ce quelque chose possède effectivement certaines propriétés (simplement, nous n'étions pas capables de les percevoir). Bref, nos catégories, en tant que telles, nous permettent, raisonnablement, de connaître les propriétés des choses, mais non

pas de les faire accéder à l'existence : penser l'inverse revient à confondre l'épistémo

logie avec l'ontologie — et faire ainsi indûment de l'œuvre musicale une notion

projective. Tout en reconnaissant que certaines propriétés esthétiques (comme le fait d'être gracieux, ironique, pompeux, etc.) appartiennent aux œuvres qui existent dans le monde extérieur, une perspective réaliste peut aisément admettre

une variabilité dans nos façons de les percevoir. On constate d'ailleurs que ces

variations ne sont pas le résultat d'un simple acte volontaire : elles dépendent de

l'application effective de nos dispositions, liées à un événement ou à un concours

de circonstances dans le monde social.

Il convient peut-être de commencer par reconnaître que toute œuvre musicale

possède, par définition, des propriétés esthétiques. Or le propre de celles-ci est

d'être extrinsèques ou relationnelles : elles valent pour quelqu'un qui est capable de les

reconnaître. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles soient nécessairement

conventionnelles. Il existe bien des propriétés qui, tout en étant extrinsèques, sont en

même temps réelles1*. Si je dis que la personne qui se trouve en face de moi a la pro

priété d'être mon oncle, cette propriété est bien réelle, même si quelqu'un pourrait ne pas la reconnaître et dire qu'il s'agit tout simplement d'un homme. Il en va de

même pour les propriétés esthétiques des œuvres musicales : nos manières de les

voir et/ou de les concevoir peuvent en effet changer et nous pourrions facilement

nous tromper dans l'identification de ce que nous croyons qu'elles sont. Mais pour

pouvoir tomber dans cette erreur, il faut déjà qu'elles puissent exister : si une perfor

mance de katajjaq est prise — il faudra ensuite voir si c'est à tort ou à raison — pour une œuvre musicale, c'est parce qu'elle pourrait déjà dans une certaine mesure

l'être, ce qui n'est pas le cas d'un orage ou d'un tournevis.

Quelle est alors la portée des questions ontologiques appliquées aux œuvres musicales ? La discussion que nous venons de mener nous permet déjà d'affirmer

qu'elles jouent un important rôle de régulation, en nous signalant la différence

1 Voir les arguments de R. POUIVET, Le réalisme esthétique, Paris, PUF, 2006, p. 168-170.

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entre la réalité et nos schèmes conceptuels. En d'autres termes, elles nous montrent

que, même lorsqu'il est question d'un genre d'entités aussi particulier et dépen dant des sujets que peut l'être une œuvre musicale, le problème de l'existence ne se réduit pas à un problème épistémologique.

3. Critiques à l'ontologie musicale

Les critiques adressées aux travaux d'ontologie musicale ne concernent

généralement pas que le caractère invérifiable des faits auxquels elle se réfère,

mais visent plus encore les contenus d'une telle recherche et les objectifs qu'elle poursuit. Elles n'ont pas peu contribué à renforcer le sentiment de malaise que fait naître la distance qui sépare parfois la musique que nous écoutons des discours

théoriques que l'on peut construire sur elle (ou à partir d'elle) : à quoi bon une telle analyse ? Ne risque-t-elle pas de nous entraîner dans des discussions stériles,

sans grande retombée sur la réalité musicale ?

Pour répondre à ces perplexités, commençons par rappeler les deux grandes

problématiques sur lesquelles se sont focalisées les recherches :

1) qu'est-ce qu'une « œuvre musicale » (= quel type d'entité métaphysique est-elle) ?

2) quels sont les critères qui, dans un contexte donné, nous permettent de

reconnaître dans une entité (x) une (certaine) œuvre musicale ou une ins tance correcte de celle-ci25 ?

Ces deux questions paraissent au premier abord liées l'une à l'autre, mais

comment, exactement ? La formulation d'un critère d'identité reste à première vue « vide » si nous ignorons à quel genre d'entité il se réfère. Mais si l'on consi dère le fonctionnement des objets musicaux dans l'expérience d'un musicien

interprète ou d'un auditeur, on peut constater que les deux questions restent

indépendantes : nous pouvons savoir, et même parfaitement, comment identifier

un certain type d'œuvre musicale sans pour autant avoir élucidé sa nature. Une

telle autonomie apparaît en pleine lumière si nous nous plaçons aussi dans la

perspective des théoriciens : deux chercheurs peuvent avoir la même conception fondamentale de la nature des œuvres mais ne pas s'accorder sur leur mode

d'identification26. Il semble donc plus opportun d'admettre que les deux ques tions ne dépendent pas forcément l'une de l'autre (il ne s'agit du moins pas d'une

dépendance « forte », logique). Il est donc possible de développer une analyse

25 Dans les termes d'A. KANIA, « New Waves in Musical Ontology », in K. Stock and K. Thomson

Jones (éd.), New Waves in Aesthetics, New York, Palgrave Macmillan, 2008, p. 20, repris entre autres par C. BARTEL, « Music Without Metaphysics? », British Journal of Aesthetics, 51/4, 2011, p. 384, 1) est le « débat fondamentaliste » (fundamentalist debate), 2) le « débat sur l'identité » (identity debate).

26 Comme l'a avec justesse remarqué C. BARTEL, « Music Without Metaphysics? », p. 385.

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approfondie des critères d'identification d'un objet musical sans être obligé de déci der de la nature même de celui-ci (c'est-à-dire, si nous avons affaire à une entité ab

straite, un « type initié », un individuel abstrait, etc). Considérons 1) et demandons-nous quel est l'impact d'une telle question

lorsque nous nous proposons d'expliquer ce qui se passe dans nos expériences

évaluatives de la musique. Prenons, par exemple, la différence existant entre

l'explication de Kivy et celle d'Ingarden : le fait de savoir qu'une Sonate de Scar latti est une entité idéale (un type abstrait) plutôt qu'un objet (purement) inten tionnel peut-il influencer le jugement que nous portons sur elle ? Cela paraît, sinon impossible, du moins fort improbable. Notre appréhension de l'œuvre

pourrait éventuellement être affectée par la conscience qu'un type idéal demeure

toujours le même, alors que la notion d'objet intentionnel permet de justifier une certaine variabilité dans le temps historique. Mais voilà alors que nous abordons la question 2) plutôt que la 1). Car si, comme nous l'avons remarqué, il ne semble

pas possible de repérer des faits susceptibles d'établir la plus grande véridicité d'un modèle par rapport à un autre, le choix même dépend en fin de compte de la

façon dont un critère d'identification s'impose dans un contexte culturel donné. Mais d'autres influences sont peut-être possibles. On pourrait se demander, par

exemple, quel impact aurait le fait de savoir qu'une œuvre de Mozart est un type « découvert » plutôt que « créé ». Cette hypothèse pourrait effectivement inciter un auditeur à démystifier certains aspects liés à son origine. Mais cela n'aurait

probablement aucune influence sur le fait qu'il puisse la juger comme un chef d'œuvre ou comme une œuvre conventionnelle, relativement insignifiante ou peu

intéressante (il est clair que si tout ce que Mozart a écrit n'est pas un chef-d'œuvre,

cela n'est pas imputable à des raisons ontologiques). Nous pouvons peut-être à

présent mieux saisir notre problématique et

esquisser une première réponse. A la question de savoir si l'ontologie est néces saire ou au moins utile au jugement esthétique, nous pourrions dire : non, elle ne

l'est pas, lorsque nous prenons l'ontologie dans le sens 1) ; oui, elle l'est, si nous nous adressons au sens 2). Mais comment l'est-elle au juste ? Avons-nous vraiment

besoin, dans la plupart de nos expériences esthétiques, de posséder un critère d'identification ontologique ?

La réponse la plus négative qui a été donnée à cette question est peut-être

celle d'Aaron Ridley. Dans un article de 2003 (dont les arguments ont été repris et

développés l'année suivante dans un livre)27, Ridley a soutenu ouvertement que,

lorsque nous faisons de l'esthétique, c'est-à-dire lorsque nous nous occupons de la

valeur que les œuvres musicales peuvent assumer dans l'expérience que nous en

27 A. RIDLEY, « Against Musical Ontology », The Journal of Philosophy, 4 (2003), p. 203-230, et A.

RIDLEY, The Philosophy of Music. Theme and Variations, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2004.

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faisons28, l'ontologie ne nous est d'aucune aide, car elle ne nous apporte aucune

véritable connaissance. Plus précisément, Ridley a tenté de montrer que « toute tentative de préciser

les conditions de l'identité de l'œuvre doit être sans aucune valeur dans la

perspective de l'esthétique musicale »29. Prenons une exécution exécrable de la

Chaconne de Bach-Busoni : vous n'auriez aucun doute, continue Ridley, sur le fait

que la victime, ici, est bien la Chaconne. Car cette pièce demeure reconnaissable même quand elle est mal jouée : autrement, nous ne pourrions même pas dire que l'exécution est mauvaise. Bref, contrairement à ce que nous amènerait à penser le

critère d'identification que Goodman avait fait valoir pour les œuvres fondées sur un système notationnel, c'est-à-dire la conformité orthographique de l'exécution, des déviations importantes par rapport à la partition n'empêchent nullement l'auditeur de reconnaître dans l'exécution une mauvaise instance de l'œuvre, et

non une nouvelle œuvre. Des constats plus généraux découlent de ce fait : « dans

nos rencontres esthétiques ordinaires avec des performances de morceaux de

musique, notre première préoccupation, ou du moins l'une de nos préoccupa tions les plus importantes, est [de savoir] si la performance est bonne ou, si elle ne l'est pas, si elle est si mauvaise qu'elle mérite une sanction supplémentaire »30.

Bref, en tant qu'auditeurs, nous sommes attentifs à la valeur de ce que nous enten

dons, plus qu'à son identité :«[...] des questions sur l'identité de l'œuvre peuvent difficilement apparaître comme primordiales si nous sommes avant tout intéres sés par notre expérience esthétique de l'interprétation (rendition) de morceaux de

musique. Bref, si nous sommes en train de faire de l'esthétique, les questions onto

logiques occupent tout au plus une place secondaire »31.

3. Identité de l'œuvre et jugement esthétique

Les conclusions de Ridley ont suscité de vives réactions dans la communauté

scientifique. Plusieurs chercheurs ont formulé des contre-arguments finement

argumentés32. En tenant compte de ce débat, nous voudrions à notre tour tenter

de répliquer à ces critiques, pour mieux comprendre dans quelle mesure l'ontolo

28 À ce sujet, voir aussi les doutes exprimés par P. D'ANGELO, Estetica, Roma-Bari, Laterza, 2011,

p. 158-161. 29 A. RIDLEY, « Against Musical Ontology », Journal of Philosophy, vol. C/4, 2003, p. 203. Ridley

met ainsi en relief la vacuité de ce genre de recherches : « Quand vous est-il arrivé la dernière fois de vous demander sérieusement, après avoir écouté l'exécution (performance) d'une pièce musicale, —

live ou enregistrée — si l'exécution était une performance de cette pièce ? Ma suggestion est : jamais »

30 A. RIDLEY, « Against Musical Ontology », p. 207. 31 A. RIDLEY, « Against Musical Ontology », p. 207. 32 Voir A. KANIA, « Piece for the End of Time: In Defence of Musical Ontology », British Journal

of Aesthetics, 48 (2008), p. 65-79; R. POUIVET, Philosophie du rock, p. 74-94; C. BARTEL, « Music Without

Metaphysics? », p. 383-398.

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gie peut contribuer à clarifier nos manières de faire l'expérience de la musique et de la juger.

Selon Ridley, il est inutile de se demander comment identifier ce que nous écoutons : nous le faisons déjà sans difficulté. Il nous faut plutôt nous concentrer sur notre réponse esthétique évaluative. Prenons alors par exemple un succès

comme Rimmel, du chanteur-auteur-interprète italien Francesco De Gregori33. Il

n'est nul besoin de beaucoup de réflexion pour savoir en quoi consiste ce que

nous allons évaluer : c'est une chanson, c'est-à-dire, en gros, une mélodie, une

grille harmonique et des paroles qui se prêtent à de multiples reprises. Il est néan moins vrai que lorsque nous visons un mode très commun de présentation de

cette chanson dans notre expérience, nous pensons plus particulièrement à la

chanson chantée par Francesco De Gregori. En quoi serait-ce étonnant ? A la diffé rence de ce qui se passe avec un Lied de Schubert, nous reconnaissons ses proprié

tés esthétiques à partir d'une instance particulière : c'est la chanson telle qu'elle a été

enregistrée sur un disque à un moment donné. Il convient de reconnaître que, en

tant qu'oeuvre, Rimmel se présente à nous, dans tous ses éléments constitutifs,

comme une œuvre phonographique qui possède beaucoup plus de qualités esthé

tiques que celles possédées par sa simple grille mélodico-harmonique34. On dira que tout cela n'est que détail. Mais, en un certain sens, la qualité du

résultat esthétique obtenu passe par ce détail : au moins une partie de la fascina tion exercée par cette chanson naît de la façon dont l'auteur la chante dans l'enre

gistrement auquel nous faisons référence. Cette chanson manifeste en effet

plusieurs propriétés esthétiques ; on dira, par exemple, qu'elle est intime ou ex

prime un certain intimisme. Or une telle propriété dépend certes de sa structure d'intervalles et d'harmonie ; mais elle découle également d'une façon de l'instan cier propre à la voix de De Gregori (son timbre et son chant) ainsi qu'à une certaine manière de l'enregistrer : car la chaleur et, pour ainsi dire, la pointe sucrée de sa

voix paraissent bel et bien liés à une prise de son et à un mixage35 qui valorisent, aussi efficacement qu'artificiellement, sa « signature » timbrique.

Il ne faut pas pour autant en conclure que l'exemple du Lied de Schubert soit

plus simple. Il convient d'abord de déterminer à quelle partition nous nous

référons (et pour quelles raisons) : la plus « courante », celle qui correspond à la tonalité originaire, la plus proche du manuscrit original, la première édition offi

cielle, la plus conforme aux corrections hélas portées par le compositeur, etc. Il

faudra ensuite, comme le sait tout musicologue (et critique musical) qui se res

33 Nous pensons notamment à la première plage de l'album homonyme (Rimmel, RCA 1975). 34 Nous avons réfléchi sur ces différences dans « L'opéra musicale fra oralità, scrittura e

fonografia », in A. Arbo et A. Bertinetto (éd.), Ontologie musicali, p. 21-44, Internet : http://www.fupress.

net/index.php/aisthesis/article/view/14094. 35

L'enregistrement et le mixage de ce disque, dans les studios de la RCA de Rome, sont signés

par Ubaldo Consoli.

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pecte, évaluer comment le chanteur et le pianiste ont « comblé » les « lacunes » ou

points d'indétermination que cette partition ou ce genre de partition — avec ses

spécificités, dues au degré de précision du système de notation adopté — laisse à

leur discrétion. À un certain moment elle peut nous signaler, par exemple, un

crescendo qui se termine avec une note en staccato, mais elle ne nous signale pas

comment le réaliser (une brusque augmentation du son et un arrêt trop sec seraient

perçus, dans le cas de cette œuvre, comme des choix de mauvais goût).

L'expérience esthétique d'une œuvre musicale, souligne Ridley, est éminem

ment évaluative. Nous en convenons. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Qu'en

principe, lorsque nous assistons à un concert, nous sommes enclins à « répondre »

à ce que nous entendons par des réactions d'appréciation (qui peuvent être évidemment positives ou négatives). Mais comment de telles réactions se

présentent-elles ? Nous pouvons dire par exemple : « c'est beau », « c'était magni

fique », ou alors « c'était nul ». Or, dans ses Leçons sur l'esthétique, Wittgenstein a à

juste titre remarqué que, dans nos jugements esthétiques, des adjectifs comme

ceux que nous venons de rappeler ne jouent presque aucun rôle36. Pourquoi ? On

répondra qu'il s'agit d'une réponse trop primaire. Il faut que le goût soit développé. Voilà qui est juste, de même qu'il est juste d'insister sur la nécessité de l'appren

tissage et même, comme l'a souligné Wittgenstein, d'un certain « dressage ». Or

lorsqu'on réfléchit à la formulation des jugements, on se rend compte qu'y sont à l'œuvre des « jeux de langage » précis37. On constate alors aisément que la critique

musicale n'utilisera que très rarement des adjectifs comme « beau » ou « magni fique ». Une évaluation (correcte) d'une œuvre musicale requiert des compé tences, au nombre desquelles il faut sans doute placer l'observation de certaines

règles ; mais y figure certainement aussi la possession d'un (bon) critère d'identi fication de l'œuvre. C'est bien parce que nous concentrons notre attention, selon

les cas, sur ce que nous croyons être la chanson enregistrée par un cantautore ita

lien (et non un Lied de Schubert), une improvisation libre (et non l'improvisation sur un standard), ou une Sonate classique (et non une Sonate baroque), ou la perfor

mance d'un deejay (et non celle d'un rapper) que nous constatons l'émergence de

certaines propriétés esthétiques (plutôt que d'autres) dans ce que nous entendons.

Bref, pour évaluer une œuvre musicale, il faut maîtriser les critères de son

identification, mais cela ne nous oblige pour autant à avoir résolu au préalable la

question de sa nature. Nous souscrivons ainsi à une interprétation « faible » de la

priorité de l'ontologie sur l'esthétique38 : d'un point de vue méthodologique, la

36 L. WITTGENSTEIN, Leçons et conversations sur l'esthétique, la psychologie et la croyance religieuse, trad, de J. Fauve, Paris, Gallimard, 1992, p. 19.

37 Y. MICHAUD, Critères esthétiques et jugement de goût, Paris, Jacqueline Chambon, 1999, a insisté d'une manière convaincante sur ce point.

38 C. BARTEL, « Music Without Metaphysics? », p. 385.

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deuxième a tout intérêt à tenir compte de l'analyse des critères d'identification

ontologique des objets sur lesquels elle se concentre. Et, à la lumière de ce que nous venons d'observer, nous pourrions ajouter que, même s'il est vrai que notre

réponse à un objet musical est liée à une sensation de plaisir et à un comportement identifiables à un niveau anthropologique général39, les réponses coïncidant avec un jugement esthétique ne peuvent pas faire l'économie d'une clarification de l'identité de l'œuvre.

4. Un exemple

Essayons à présent de mettre à l'épreuve cette conclusion à l'aide d'un

exemple. Michel, Maud et Jean assistent à une exécution musicale40. Il s'agit d'une

Sonate de Corelli, la VIII de l'op. 5, en mi mineur. Sur scène, trois musiciens : un

violoniste, un violoncelliste et un claveciniste. Au terme de l'écoute, nous leur

demandons de formuler un jugement sur ce qu'ils ont écouté. Voici leurs ré

ponses :

Michel — C'était parfait, mais un peu trop « posé » à mon goût. J'ai l'impression que cette musique est un peu froide. J'ai aimé surtout la dernière partie, elle m'a

réveillé mais cette musique ne me captive pas trop. Maud — Le jeu d'ensemble était plutôt réussi, mais, pour moi, l'accompagnement était trop scolastique. J'ai l'impression que le violoniste ne connaît pas vraiment l'art

de l'ornementation, cela a été ingénieux mais sans liberté, trop « carré ».

Jean — C'était clair, une harmonie essentielle et un bon jeu d'ensemble, cela sonnait de

façon convaincante.

En deux mots, on dira que le jugement de Jean est positif, ceux de Michel et de Maud plus nuancés. Jusque-là, pas de surprise, à chacun ses goûts. Notons

cependant que ces jugements diffèrent déjà en ce qu'ils ne visent pas le même objet. Michel trouve cette musique « plutôt froide » et « pas vraiment expressive ».

Maud rejoint quelque peu ce jugement, mais, pour elle, ce n'est pas l'œuvre de Corelli qui est en cause, mais plutôt la performance, c'est-à-dire une certaine

manière de l'instancier (avec un mode d'improvisation inadapté). Quant à Jean, il

paraît lui aussi s'être focalisé sur l'exécution, mais n'a pas remarqué les « manques »

qui la caractérisaient : ce qu'il a perçu, c'est un certain travail de construction de la

pièce de la part des musiciens.

39 Comme l'a souligné J. MOLINO, Le singe musicien. Sémiologie et anthropologie de la musique, Arles, Actes sud, 2009.

40 Nous décrivons une expérience qui a effectivement été réalisée, même si les noms des

personnes ne correspondent pas.

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Jugement esthétique et ontologie musicale

Que démontre cet exemple ? Il révèle d'abord au grand jour la différence de

compétences des trois auditeurs. Notons que, si nous avons tendance à dire que le

jugement de Maud est le plus correct, c'est avant tout parce qu'elle prouve qu'elle maîtrise un critère d'identification de l'œuvre. Elle sait que lorsqu'on présente un trio sonate baroque, on utilise ordinairement aussi un instrument susceptible de bien réaliser la basse continue et, par ailleurs, on applique à la composition des dimi nutions liées à une pratique instrumentale particulière. Michel ne risque-t-il pas d'attribuer à l'œuvre des propriétés esthétiques qui appartiennent plutôt à cette exécution ? (une exécution qui, sans être forcément mauvaise, ne respecte pas les

règles que ce dispositif impose). Quant à Jean, il s'intéresse surtout à cette exécu

tion, tout en ne sachant pas repérer ses écarts par rapport au type d'exécution

réclamé par une telle œuvre. Son jugement ne peut être considéré comme correct

si nous nous proposons d'évaluer l'interprétation de l'œuvre de Corelli. Car,

comme le sait Maud, celle-ci ne coïncide pas, dans ce répertoire précis, avec les

notes écrites. Ces notes doivent évidemment être respectées ; mais elles doivent

aussi, en quelques endroits, être vues comme une trace sur laquelle s'exerce la

fantaisie du musicien. Une fantaisie qui est d'ailleurs tenue de se conformer aux

conventions d'improvisation de la musique baroque italienne. L'erreur de Michel se résume donc à ceci : il ne parvient pas à distinguer l'occurrence (le token) du

type (type). Pour ce qu'il en est de Jean, il présuppose (à partir de son expérience musicale préalable) que cette œuvre est correctement identifiée si l'exécution est conforme aux notes et aux valeurs indiquées par une partition donnée.

Voilà, observera-t-on, un discours plutôt conventionnel : il ne démontre rien d'autre que le fait que, pour savoir juger, il est nécessaire d'être compétent et de savoir replacer l'objet dans son contexte. Cela est vrai, mais il n'est tout de même

pas inutile de souligner que les compétences que nous visons ne se situent pas toutes au même niveau. Une compétence génériquement « musicale » (c'est-à-dire

technique, sémiotique et même expressive) ne suffit pas : la condition préalable à la formulation d'un bon jugement esthétique est une compétence particulière qui consiste à identifier en (x) un certain type d'œuvre. Cette identification semble nécessaire si nous voulons orienter correctement notre regard (ou plutôt notre

oreille) sur la (bonne) base de survenance41 des propriétés esthétiques. Cette condition ne garantit évidemment pas que le goût soit bien développé

(Maud pourrait quand même avoir raté quelques aspects importants de l'exécu

tion) : elle constitue une condition préalable, mais pas une condition suffisante. Autre ment dit : quand nous émettons un jugement de goût sur cette instance de l'œuvre,

nous devons savoir qu'une instance d'une œuvre de Corelli n'est pas seulement

une performance en (parfaite) adéquation à un set d'instructions définies par la

partition, mais coïncide plutôt avec une exécution qui implique une aptitude à

41 Sur cette notion voir J. EEVINSON, « Aesthetic Supervenience », in Music, Art & Metaphysics. Essays in Philosophical Aesthetics, Ithaca (NY), Cornell, 1990, p. 134-158.

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« arranger » ou à « adapter » ces instructions (réalisation de la basse continue, ornementation et improvisation).

On dira encore que ce genre de compétences est normalement le lot de ceux

qui pratiquent la musique baroque et même, de nos jours, d'un public assez large. Mais c'est justement là le problème : cet exemple nous semble trop « simple »

parce que ces compétences sont normalement acquises. Il suffit de changer d'objet pour que des difficultés émergent aussitôt. Par exemple, un musicien (ou un audi

teur) de formation « classique » pourrait être incapable de juger correctement

l'exécution d'un trio jazz : « ils ont joué du Coltrane, c'était comme sur le disque, mais je ne peux pas dire si cela sonnait bien, au moins en tant que musique de

Coltrane... ». En effet, d'un groupe qui se produit dans cette musique nous n'at

tendons pas qu'il respecte l'original à la lettre (au contraire, cette conformité —

normalement requise pour l'exécution d'une œuvre de Brahms — serait ici éven

tuellement perçue comme un défaut esthétique). Un critère d'identification encore

différent, lié au fonctionnement des cultures orales, nous permettra de reconnaître

la bonne base de survenance dans une improvisation faite sur un maquam arabe.

Essayez encore de vous demander quand un flamenco ou un rebetiko seront décla

rés réussis, ou quand un musicien indien aura réalisé d'une manière convaincante

un raga : la réponse dépendra au moins en partie de la capacité à identifier la bonne

base de survenance des propriétés esthétiques. Car celle-ci varie considérablement

d'une pratique musicale à l'autre : ce qui est à peine « toléré » dans l'une pourrait être très souhaitable dans une autre, ou encore interdit dans une troisième.

Pouvons-nous vraiment ramener aux gammes de la musique traditionnelle arabe

les propriétés esthétiques que nous visons dans un disque d'Anuar Brahem ?

Il me semble que ce type d'analyse n'est pas négligeable aujourd'hui. D'un

côté, comme on l'a souvent remarqué, les moyens de diffusion globale de la

musique ont fait sortir sa production du cloisonnement des genres : hybridations et contaminations sont à l'ordre du jour, et pas seulement dans ce que l'on appelle

la world music. La grande facilité avec laquelle nous avons accès à toute sorte de

musique sur Internet a pour contrepartie une multiplication extrême et même,

parfois, une confusion des critères esthétiques que nous appliquons aux diffé rents répertoires. Or, face à cette multiplicité, il ne faut pas nous faire d'illusions :

l'ontologie ne nous permettra certainement pas de défaire tous les nœuds. Seule,

sans doute, une grande familiarité avec ces différents répertoires ainsi qu'avec les

formes de vie auxquelles ils correspondent nous rendra capables de les évaluer

correctement. Mais, justement, au nombre de ces compétences figure notre

aptitude à identifier en quoi consiste l'objet de notre évaluation (une structure

sonore ? ce qui est instancié par une interprétation ? le résultat d'une improvisa tion ?) et surtout, comment elle fonctionne dans les contextes où nous en faisons

l'expérience. Les exemples que nous avons commentés montrent bien que des

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Jugement esthétique et ontologie musicale

confusions dans les critères d'identification de l'œuvre déterminent des évalua

tions fausses ou mal formulées. Il s'agit de prendre clairement conscience qu'entre une symphonie de Brahms, une musique pour film de Morricone, une improvisa tion de musique iranienne, un disque des Pink Floyd, la présentation d'un

jazz-standard et un échantillon de noise music, les différences ne sont pas seule ment stylistiques mais touchent au mode de fonctionnement du dispositif musical.

5. Conclusion

Si une analyse ontologique nous permet d'établir en un sens fondamental le

caractère non projectif de la notion d'œuvre, l'étude des critères d'identification constitue une prémisse pour que notre jugement soit, sinon juste, du moins fondé,

puisqu'elle nous incite à affronter les différences de fonctionnement des disposi tifs. Nous espérons avoir ainsi montré l'intérêt d'une telle analyse pour la recherche musicologique. Encore devons-nous préciser qu'elle ne constitue qu'un

point de départ pour l'esthétique — du moins si nous sommes disposés à inclure dans cette discipline la critique et l'évaluation des œuvres. On pourrait dire que là où l'ontologie a (bien) fait son travail, celui de l'esthétique doit (à peine) commen cer. Montrer qu'entre les deux il existe néanmoins un réel point de jonction est

l'objectif que nous souhaitions atteindre avec cet article.

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Jugement esthétique et ontologie musicale IRASM 45 (2014)1:3-19

Summary

Aesthetic Judgement and the Musical Ontology

Ontological models have been formulated recently from different philosophical

perspectives in order to explain the several modes of existence of musical works. The

relevance of such investigations in the context of taking music as an object of aesthetic

inquiry has sometimes been questioned, especially when considering the ways in which

music is actually apprehended by listeners. According to some scholars, ontology has

nothing to do with this topic. The present article aims to show in what sense it is appropriate not to ignore this field of investigation and its results. The meaning of ontological researches

on music is discussed and some examples are presented and commented on. The interest

of examining the criteria of identity of musical works is highlighted so as to understand the

formulation of aesthetic judgements in varying cultural contexts.

Sazetak

Esteticki sud i glazbena ontologija

U riovije vrijeme ontoloski modeli formulirani su iz razlicitih filozofijskih perspektiva kako bi objasnili nekoliko nacina postojanja glazbenih djela. Katkad je vaznost takvih istra

zivanja u koritekstu promatranja glazbe kao objekta estetickog ispitivanja bila dovedena u

pitanje, osobito kada bi se razmatrali nacini na koje slusatelji zaista shvacaju glazbu. Pre

ma nekim znanstvenicima ontologija nema veze s ovom temom. Cilj ovog clanka jest po

kazati u kojem je smislu neprikladno zanemarivati ovo podrucje istrazivanja te njegove re

zultate. U njemu se raspravlja o znacenju ontoloskih istrazivanja o glazbi te su predstavlje ni pojedini primjeri i komentari o njima. Interes za ispitivanje kriterija identiteta glazbenoga djela istaknut je tako da se postavljanje estetickih sudova razumije u razlicitim kulturalnim

kontekstima.

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