jure georges vujic anamneses et transits, essai sur l'indifferenciation
TRANSCRIPT
Éditions: N.S.E.ISSN 1370-12-90, Mars 2000
Imprimerie ITG
ANAMNÈSES ET TRANSITS
Georges Vujic
Éditions N.S.E.Mars 2000
À Zrinka "À nous qui ciselons les mots comme descoupes
Etquifaisons des vers émus trèsfroidement
Ce qu'il nousfaut, à nous, c'est, aux lueursdes lampes
La science conquise et le sommeildompté"
Verlaine
"Je viens chercher de solides désillusionsparmicessolitudesoù viventnues les vérités"
Calderon de la Barca
"Ilcherche toujours une issue etne trouve
toujours qu'une entrée, paroù
ilrentre en luimême"
Kierkegaard
INTRODUCTION
~
ELÉMENTSET
INDIFFÉRENCIATION:
CORRESPONDANCES
Éléments etindifférenciation: Correspondances
Le monde des éléments qui nousentoure et qui appartient à l'ordre dela réalité sensible, semble affecté d'uneinfinie variabilité de manifestations etde genres. L'appréhension conscienteet l'image que l'on se fait de tels éléments semblent à chaque fois nouséchapper comme ils se perdaient àchaque instant dans les dédales phénoménologiques, les myriades factuelles hors du champ de notre perception et de notre language commun.Cependant, à chaque découverte d'unélément nouveau, qu'il soit minéral,végétal, ornemental, purement matériel ou mental, je m'applique à surmonter l'effort et l'incertitude qu'imposent à ma conscience ainsi qu'à mafaculté imaginative la manifestation detels éléments hétéroclites.
Ainsi, le monde des éléments aussiirrégulier soit il, paraît pourtant s'inscri-
7
Anamnèses et transits
re dans une certaine constance, uneforme subtile de logique intrinsèque,voir un agencement inné et régulier.La relation constance et inconstance,variabilité et immutabilité, évolue enfonction de divers facteurs, du tempsqui les oblitère ou les dévoile, du cycle des morts et des naissances, desdistances et de l'espace qui altèrent leurperspective ou tout simplement desaccidents qui défigurent leur image etleur habitus originel. Ainsi les agencements constants qui résultent de lapériodicité et de l'espace sont disposésd'une manière inconstante dans lechamp de notre perception sensible.Le jeu de notre conscience, de notrepensée comme de notre imagination,varie et différe selon les individus.Alors, la vue d'un objet, l'écoute d'unbruit, l'inhalation d'une odeur, peuvent être imaginés simultanément,
8
Éléments etindifférenciation: Correspondances
mais 'ils peuvent être de même transformés et déformés jusqu'à perdre leurphysionomie, leur identité initiale augré de l'esprit et de la pensée de l'individu qui les saisit.
Pourtant seule la conscience et laconnaissance d'un tel pouvoir d'association et de représentation différentielle me conférent une valeur exquise.Ainsi tout homme est doté d'une puissance d'évocation qui à chaque foisemporte une vision unique et différente, liant l'objet, l'élément regardéà une histoire propre, presque un contede fée suscité par l'essence d'une élémentarité sublimée.
Les éléments qui peuplent notremonde sont le lieu de divination incantatoire unique et spontané qui faitqu'à chaque fois la vision des nappesridées de l'eau, le sillage des oies sau-
9
Anamnèses et transits
vages en filigrane d'ombres, les feuillets invisibles de l'espace, les dômesdressés, les chorégies de diatomée, lesvoussures effilochées, les arcs boutants, les filaments de feux, les arborescences boréales et lointaines, les bouquets de laves embrasées, les irruptionsfloréales, les chutes des draperies vermeilles, la triangularité des vols migrateurs, se construisent et se déconstruisent dans l'édifice mouvant denotre conscience.
Une chose est sûr, notre faculté associative qui combine simultanémentles éléments hétéroclites et informes,se présente comme l'unique attribut decontinuité qu'un être peut détenir tellela tumeur des ondes des étangs qui naitet disparait à l'instant même où la vision jaillit telle l'étincelle d'une illusion, à l'instant même où la pensée seboucle telle une coquille figée dans la
10
É/émentsetindifférenciation: Correspondances
concavité d'une voute sableuse, àl'instant même où l'on se perd dansl'ivresse de l'instinct particulier.
Je me refuse à voir dans le mondedes éléments l'expression d'une seuleet unique réalité sensible. Mon observation qui s'apparente à la reconquêtede mon espace intérieur pésupposel'abandon des notions fétichisantes desupériorité et de grandeur. Je ne cultive pas la péférence d'un élément,d'un objet à un autre, et je ne m'abandonne pas à la déléctation de l'individualité de l'éspèce élue qui n'entretiennent que la fiction d'un délice hypnotique et sécurisant. Je n'établisd'ailleurs aucune hiérarchie entre lemonde des associations, car toutes lesformes de combinaisons me semblentnaturelles et légitimes.
La seule question étant de savoir sinous possédons la force de les faire
11
Anamnèses et transits
vibrer, de les déchiffrer et de découvrir les messages qu'elles suscitent.L'expérience des éléments impliquetoujours un phénomène de transfert;le vécu, l'observation d'un élémentquelconque, nous transportent versd'autres éléments par le jeu géométrique de notre perception qui distribuediagonalement et par voie d'intercession sélective, l'attention et l'intérêtde notre mémoire.
Ainsi les éléments nous emportentcomme aux confins des couloirs envoie de déviation permanente, dans lemonde des transitions, où l'on navigue; tumultueusement et chancelant,à la remorque de moments uniques etconsommés. Tels des contrepoints,nous passons tout comme le surseautd'une liaison cumulative d'un point àun autre, d'une pensée c une autre,d'une impression à une autre, d'une
12
Éléments etindifférenciation: Correspondances
réflexion à une autre, d'un élan versune déception toujours autre. Le sentiment de diversité enrichissant, cohabitant tel le fantôme toujours présentd'un nouvel espace vierge avec le rudesentiment d'être un glacier à la dérive,l'hurlement strident d'un homme entransit, qui comme une mécaniqueboiteuse s'engage sur les deux voiesopposées d'une même autoroute encombrée. Les états de transits sont toutcomme le découpage d'une marche anralenti, le roulis d'une mobilité statique. De bifurcations en réaiguillagesjusqu'aux longs moments de pose, lestransits comme la corde tendue d'unefronde, établissent entre moi et les éléments que je rencontre, un jeu cibléde rapports éphémères dont l'extension et la persistance varient en fonction d'un prolongement soumis à ladure et subtile épreuve de la retenue.Retenue délibérée; retenue mesurée; re-
13
Anamnèses et transits
tenue à l'extrême; Prolongements quifinissent par claquer telle frappé d'unefronde qui projette mon vécu toujoursplus loin, là bas sur la touche, auxcroisillons des élysés de solitudes infligées, solipsismes simiesques. Et lorsd'un nouveau transit, dans l'effritement d'une édacité inéluctable, je saisirai peut être le vrai sens du vécu, dontla signification viendra me transir comme une solère étiolée, dans la fournaised'une fronde entamée contre moi même.Les éléments du monde sensible aussidifférents soient ils les uns les autres,prenn~nt la forme d'un édifice baroquequi à travers les supports ornementaux, l'enchevêtrement des ogives, lefoisonnement des courbures, l'éclaboussure des niches tâchetées de silhouettes frippées, les squelettes de profils, les oves, le moucheté des marbres,nous livrent à travers les dédales deformes distinctes, l'image d'une sen14
Éléments etindifférenciation: Correspondances
sation flottante, d'une atmosphère oùtous les puissants souffles de probabilités convergent vers un centre unique, telles les harmoniques d'une orgue en pleine expansion.
Les éléments suscitent en moi unecurieuse anamnèse de laquelle surgitl'évocation profonde d'une préconscience dans laquelle les propriétés cristallines, végétales, liquides et métalliques des éléments appréhendés, semblent d'emblée constituer la cristallisation de souvenirs dispersés. Tels lesmailles de stries anciennes, les mémoires d'états de grâce, les états de chute, d'indifférence et de profondes métamorphoses, ces anamnèses quasiliturgiques où la communion des éléments les plus divers, différençiés, réelset impavides, parlent de nous, témoignage de notre être profond, commel'eucharistie parle des scènes saintes
15
Anamnèses et transits
d'un christ trahi, crucifié et réssucité·,les éléments suintent le sang verséd'une anamnèse qui me renvoie dansles faub.ourgs du Golghota de l'inconscient enfoui, occulte, refoulé et renié,dignité où trône la réminiscence de mapropre trahison et négation; anamnèses où convergent les métaphores d'images fortes, projection archétypales;anamnèse devenant la tige mouvanteet dianthique d'espoirs et de satisfactions, d'angoisses et de douleurs, réminiscences de vie et de mort. L'anamnèseest alors cet effort minutieux de remémoration qui me conduit vers l'évocation d'existences antérieures où cesmêmes éléments que j'appréhende auprésent, ne sont au fond que les fragments d'une essence immatérielle,transcendantale; des touffes à spatulesde chanvre, sérails fracturés aux pétalesd'azalées d'une essence absorbée, retournée dans sa propre expérience;16
Éléments etindifférenciation: Correspondances
expérience à chaque fois renouveléequi tel un mirmillon fielleux se débatdans l'arène d'un noviciat d'une inspiration pélagique; essence d'aérolithe amortie par le spin diluvien des
sens.
Les éléments et les choses qui nousentourent semblent être le fruit d'undéterminisme naturel ou social qui fontd'eux la trame de la réalité tangible.Pourtant, l'évidence, la différenciationapparente des choses pourraient êtreremise en cause par l'incertitude quel'on pourrait exprimer et ressentir àl'égard du postulat de l'existence autonome et réelle de telles choses. Ainsi épris d'une incertitude quasi inhérente à ma personne, épris d'un doutesur l'existence apparente des chosesvisibles, mon esprit s'exerce à fragmentariser en quelque sorte les éléments et les objets que je perçois pour
17
Anamnèses et transits
ressaisir des formes de déterminationset de nouvelles distinctions; sous l'effetd'une indifférenciation toute singulière tissée par l'incertitude du mondeambiant, les éléments différenciés semblent se fondre pour s'abolir dans unetotalité où le moi, le conscient et l'inconscient, la pensée, et toutes choses perdent leurs repères et leurs contours.
Aucune démarcation ne semble plusséparer les éléments différençiés del'observateur indifférencié que je suis;tous deux s'unissent dans une indétermination où toute distinction s'annule.
Ainsi par la voie d'anamnèses et parla voie des transitions, les éléments différençiés aboutissent aux confins oùtoutes marques distinctives disparaissent pour laisser place à l'expérienceimmédiate de l'évidence, quand l'objetet le sujet s'oublient et où l'on prend
18
Éléments etindifférenciation: Correspondances
congé du monde des formes rejetanttoute discrimination. Alors, je m'efforce à ce que l'appréhension de l'élémentdistinctif différençié soit surmonté ettranscendé pour passer du monde desformes au monde indifférencié où seconsument les caractères, les différences et les oppositions pour laisser laplace au fait.
Le monde des éléments semble ainsicouler à l'image de la sciure le longd'une multitude de bougies panagiques, mitres chevauchants la marée montante et descendante pour enfin se di1uer telle une cire radieuse dans uneseule et unique lumière indifférenciée,l'encre d'une fumée, sceau de l'éphémère pour tout ce qui est et sera évident.
19
1
PRÉSENCE AU MONDE
Présence aumonde
Au de là de toute philosophie pragmatique et des religions accomodantes,des fausses sagesses réactionnaires, jem'instruis à approfondir et développer une certaine présence au monde.
Cette présence qui correspond à l' esquisse d'une certaine forme de l'esprit,ne consiste pas à concevoir et à s' affirmer sur des bases uniquement idéologiques. Pour ma part elle procèded'une attention flottante et fluide quitraverse, sans s'arrêter, se fixer. Elle estcomme une voie qui s'écoule et ne vanulle part. Cette présence ne poursuitrien et ne prêche rien. Elle présupposeun engagement intégral et un retraitimmédiat. Son rythme est marqué parune alternance de rapidité, de lenteur,de mouvement et de pose.
Elle consiste à évoluer au gré dessituations et des circonstances, car ellepart de l'expérience que tout est flux,
21
Anamnèses et transits
procès et transformation constante.Son mouvement est un vaste mouvement de régulation qui génére un dédoublement perpétuel, qui d'un extrême à un autre n'incline vers aucund'entre eux.
Cette présence au monde ressembleà sa propre immanence. Elle se refusede'donner une essence prédéfinie à lavérité; la seule unité qu'elle conçoitcorrespondant à un tissu commun àtoutes les choses de l'univers. Ellesaisit derrière les contingences de laréalité quotidienne, le réel existentielintangible, presque invisible. Pour levoir,; il faudra le réaliser et le chevaucher pour le ressentir; L'existence étant àla fois tendue et transitoire, le réel étantun évènement permanent, chaque réalité résonne selon sa propre disposition.Cette présence au monde consistera àcapter, frayer des passages, relier les
22
Présence aumonde
extrémités, créer des correspondances; elle reste un mouvement concentrique de l'esprit qui sans grandes ,convulsions, embrasse à chaque fois uneglobalité passagère. Elle savoure laquiétude, le silence et l'ampleur del'esprit.
Le monde étant plaçé sous le signede la multiplicité, la signification ultime qu'il pourrait prendre résideraitdans sa capacité à unifier les contraires. L'attention reste tendue vers lemystère des choses évidentes dont latoile de fond reste inaccessible aux languages abruptes de la rationalité et dela volonté accaparatrices.
Comprendre et intégrer plus quemesurer discursivement pour s'approprier immédiatement, définitivement.
Ici la légereté d'une disposition ouverte et perméable de l'esprit s'oppose
23
Anamnèses et transits
au poids réducteur d'une pensée agairie et schématisante adossée aux contreforts des jugements de valeurs. Cetteprésence au monde jouxte les confinsde l'infini pluridimensionnel par lavoie d'une perception des finitudes etdes concrétudes de l'existant.
Franchir les caps rugissants de laconfrontation verbale, les frontons del'émulation humaine, pour enfin rejoindre la captivité consentie de sa propre imperfectibilité, empreinte de l'éphémère, voiles dressées des vaisseauxprodiges de l'entendement intuitif.
Sentir le murmure des accords del'amour pour y entendre couler inlassablement dans le tumulte d'un purgatoire, les eaux pétries de l'orgueil etde la passion.
Effleurer l'espace d'un instant leblanc linceul de la compassion berçantdans l'indolence des sens magnifiés.24
Présence aumonde
Tracer des chemins, entrevoir les issues du devenir sans se prononcer, sansanticiper sur les marches à suivre. .Toutsimplement demeurer.
25
nLE JASMIN D'UN ÉVEIL
Lejasmin diJn éveil
Pour ma part l'éveil reste intimement lié à l'expérience de notre venueau monde. Il est l'acceptation sereinedu douloureux dilleme du devenir quioscille entre négation et affirmation.Se défaire de notre pâle tunique de sociabilité. Se libérer de l'état de veille,de somnanbulité sociale dans lequelnous sommes inexorablement plongésaux confluants des pressions externes.
Loin des machinations saccadéesdes journées infernales, l'éveil est cetteimmersion dans la nuit avançée, nuitprofonde, dans l'écho des ragas, oùl'on peut ressentir les palpitations sonores des ténèbres, qui du crépusculeà l'aube nous invitent à l'explorationsubtile de notre propre affect.
On y écoute les longs sanglots del'amant et de l'amante à la recherchedes temps perdus, inclination contin-
27
Anamnèses et transits
uelle au coeur des nymphéas du repos éternel.
Rechercher à travers les limons dumérite les lambeaux fictifs d'une postérité royale, pour y parcourir les sillons parsemés de limbes mercuriales;comprendre que ces étendues qui peuplent notre coeur ne sont que le reflet d'un vide sans fond, sans prise,effluves d'un éther folâtre.
L'amertume est ce voyageur anonyme qui surgit toujours à l'improviste dans l'antichambre de nos désirs,au paroxysme de notre perdition exquise. Dans un monde qui castre nospotentialités au nom de toutes sorte denormativismes et de morales quelconques, l'éveil est à coup sûr une rupture blessante avec soi même. L'expérience et l'acceptation de sa propre décrépitude, qui présupposent un deuil
28
Lejasmin d'un éveil
puis une certaine élévation, en somme toute la denrée des âmes simpleset humbles.
L'éveil serait tout comme ce voyage initiatique d'un oiseau migrateurqui traverse les vallées de la recherche, l'amour, la connaissance, l'indifférence, l'unification, la stupeur et l' anéantissement. Comme cet oiseau quifinit par se découvrir lui même, à travers nos pensées les plus intimes, nosactes les plus anondins et les plus imprévisibles, nous sommes appelés à réaliser une absorption en soi même.Alors les antinomies s'effacent parl'inversion du regard, l'oeil de l'objetse gargarisant comme un pantomimeattitré à la rescousse des garnementsalizéens du sujet.
L'éveil est cet effort de retournernotre propre oeil au dedans et de pra-
29
Anamnèses et transits
tiquer une astronomie sublime dansl'infini de nos coeurs. Il récuse les efforts trop intenses et gravite dans lespourtours de la détermination abolieet du détachement contemplatif.
L'éveil est cette approche fluetted'une silhouette frêle qui chancellefragilement sur une horizon rectilignepresque parfaite. Suivre pas à pas, sansretenue et sans se retourner, les ombres fuyantes du devenir vers le destin mansardé d'un foyer spirituel singulier;' dissocier du regard les mincespastelles enchevêtrées du monde ambiant pour parvenir à l'hémicycled'une lumière transcendante.
Alors l'ocre ornemental se détacheprogressivement des lourds portraitsde la réalité tangible pour rejoindred'emblée les perspectives vernaculaires de l'irréel immergé dans l'intéri-
30
Lejasmin dun éveil
orité. Le blanc s'évapore vers les nuéesbleuâtres médusées, le jasmin se mariant au jaune, le noir fardant le rouge,et les enluminures aériennes viennentsuspendre de leurs ailes émailléesl'instant d'un soupir de prosternation,la saveur d'un suaire inconnu. Empoigner les cornes du ressentiment et dela haine pour maitriser les flancs bestiaux de sa propre torpeur.
Savourer l'éveil telle une monadetraversant paisiblement la voie lactéede notre propre abîme.
31
mLUMIÈRE D'ICÔNE
Lumlëre d'icône
Lorsque je regarde une icône, j'yvois l'immanence de sa lumière ocreet poupre se diluer minutieusementdans l'immobilisme des visages exaltésou en berne, saignants sur leur gibet.J'y vois les diadèmes fleuronnés etéblouissants ornants les personnagesdivins; Le temps semble s'y attarder,s'amoindrir pour ne plus s'écouler,demeurant dans l'accomplissementdivin et la placidité de la croyance absolue.
Dans sa surface, sa structure, son histoire, sa matière, l'icône est porteurd'un usage idéal, véritable téléologieincarnée dans la matière et la forme.L'icône déverse une présence enveloppante qui comble les cavités spatialeset les vides amenuisants qui peuplentla pensée chronologique. Elle me faitentrer dans le sanctuaire de la circularité capilaire et globalisante qui génère
33
Anamnèses et transits
en moi à chaque regard à chaque attention, à chaque instant, l'éternel retour d'une contemplation dévouée; Encela l'icône est ce convive suave quirestitue le goût de l'intemporalité, miseen évidence d'une vision transmuée enévénement sensuel et liturgique. Elleest cette image filiale vers laquelle convergent toutes les vénérations visuelleset charnelles.
Devant l'icône je comprends qu'elleinaugure la vison face à face; dans uneperspective eschatologique, elle suggère mon vrai visage d'homme, monvisage d'éternité et peut être ce visageque Dieu contemple. Et c'est précisément litttéralement par un esprit à esprit, un visage à un visage, sans trêveavec le transcendant et avec l'immannent, positif ou négatif, que l'icônesurmonte un double paradoxe: ellesuscite un processus non objectivable
34
Lumière d'icône
ouvrant sur quelque chose qui est essentiellement indicible et qui est enmême temps le réel suprême, puisquec'est l'être divin dans ses manifestations.
En ma qualité de contemplateur,j'approche un degré de vision immédiate centré sur moi même et en mêmetemps sur l'Être. L'icône ne représenteplus un espace réel, il est lui mêmemesuré en tant que territoire; l'illusionde la profondeur fait place à la littéralité de l'espace; privé de perspectivesconventionnelles, je peux imaginerdans l'icône la présence d'un point defuite qui soit un point de jaillissement,une source de lumière, soleil ou étoiledont les rayons remplacent la pyramide visuelle. C'est donc la lumièrequi constitue l'étrange défi de cette absence de perspectives; non la lumièrequi s'attache aux objets, mais celle qui
35
Anamnèses et transits
constitue l'espace et conditionne la viSIon.
Les icônes médiatisent la contemplation, en ce sens que l'amour ducontemplateur contribue à le purifieren le libérant de son imagination fantasmagorique, c'est à dire corporelle. Moncoeur ouvert et réceptif devant l'icône,affranchit surtout mon entendement dela multiplicité et du rationalisme desconcepts, en un mot de l'idolâtrie desnotions. C'est à ce stade de la contemplation libérée des obstacles mentaux, que je parviens à éffleurer unecertaine visuelle de la vérité aprèsl'extinction de la vision purement intellectuelle.
La représentation de la lumière incréée qui transfigure un visage symboliquement, exprime aussi la pleinitude de l'existence personnelle. Lesymbolisme de l'icône se fonde sur36
Lumière d'icône
l'expérience de la mystique: les yeuximmenses, suaves sans éclat, les oreilles réduites comme aplanies et intériorisées, les lèvres rectilignes fineset pures, la sagesse et la noblesse desfronts dilatés, tout révèle un être unifié,pacifié, illuminé par la grâce.
Les saints sur les icônes sont toujours de face car ils accueillent celuiqui les contemple et l' entrainent dansla dévotion et la prière. La lumière etla paix se copénètrent et ordonnentleurs attitudes, leurs vêtements, imprègent l'ambiance qui les entoure. Autour d'eux les plantes et animaux sontdu domaine de l'abstrait selon leur essence paradisiaque. Les architecturesdeviennent un jeu surréaliste renversant les géométries du monde profane,les perspectives étants renversées, leslignes ne semblent pas converger versun point de fuite, signe de l'espace dé-
37
Anamnèses et transits
chu qui sépare et enferme à la fois;elles se diluent, se dilatent dans la lumière. Cette lumière que suggère leSaint esprit, colombe ou langue defeu, est d'essence divine, et ne provient pas d'un foyer précis. Elle captivel'espace dans sa totalité sans projeterd'ombre: le fond même étant lumière.
38
IV
FLAMMES ET
OBOMBRATIONS
Aammesetobombrations
La flamme recèle un monde quin'appartient qu'à l'homme livré à lasolitude. Je contemple cette flammedans la solitude et je perpétualise lerêve, un onirisme original. Elle réussit à me détacher du monde ambiantpour me faire entrer dans le mondedu rêveur. Cette flamme incarne uneprésence spécifique et alimente monpsychisme de rêveur solitaire d'unedenrée verticale, ascentionnelle toutcomme la mèche allumée d'une bougie.
L'évanescence de mon esprit est analogue à celui de la flamme. Elle transforme et consume ce qu'elle touche etlorsqu'elle devient plus intense, ellerendra l'objet consumé plus incandescent plus enflammé jusqu'à enfin devenir flamme à son tour.
La flamme que je contemple tombesous le coup des obombrations.L'obombration n'est que l'action qui
41
Anamnèses et transits
produit l'ombre, et cette action équivaut à protéger, favoriser, accorder desgrâces; Chaque chose produit une ombre en rapport avec sa forme et ses propriétés; si la chose est opaque ou obscure, elle donnera une ombre obscure,si la chose est claire et subtile, elle donnera une ombre claire et subtile. L'ombre d'une lumière sera lumière comme elle.
En regardant la flamme dans le pleinsilence de la solitude, je sens monterl' obrombation telle une cappe blasonnée en étamine incarnate brodés d'or,comparable à ces lampes aux flammesembrasées et resplendissantes; Elle vient toucher mon âme avec son cortèged'ombres compatissantes et protectrices, et ces ombres deviennent embrasées et resplendissantes tout comme les les flammes qui les produisent.
42
V
LIGNE ET SPHÈRE
Ligne etsphère
La ligne va toujours d'un point àun autre; pourtant ce parcours n'estjamais définitif, car le point final n'estjamais final. Il peut être à jamais repoussé à l'extrémité d'un autre pointqui n'est que le commencement d'unenouvelle ligne.
La ligne qu'elle soit verticale ouhorizontale me livre l'infini multiplicité de mes fixations visuelles. D'uncôté comme d'un autre de la ligne,comme un gouffre sans fond, résidecette pierre d'achoppement qu'est lecentre de vacuité propre à chaque traçérectiligne. C'est précisément ce sentiment de vacuité que j'éprouve en suivant, en enjambant une ligne; je perçois alors des espaces, des horizonsinnattendues qui s'émasculent commedes courbes chancelantes suspenduesaux bords de cette même ligne.
45
Anamnèses et transits
Les perspectives s'ouvrent, se réduisent, s'agrandissent, les espaces virtuels se marient à l'ombre de cettegéométrie rectiligne comme les platanes tendus voués à l'arithmétique dela luminosité solaire. La ligne droitequi est traçée à la règle représente ladistance la plus courte entre deuxpoints. Froid, le rude traçé de cetteligne compense l'absence des élansimpétueux, des démarches forçés.
Cette ligne relève du domaine de lapensée car elle révèle l'infini manquede vie. Il n'y a nullement besoin de lanommer, elle n'est jamais descriptive.Expression de l'indécision et du renoncement, elle est le signe de la nonacceptation. L'étendue des espaces quem'ouvrent les lignes droites suscite enmoi l'expérience de la non limite del'infini, et c'est dans cet espace quej'appréhende le goût de la solitude.
46
Ligne etsphère
La ligne droite réduite à la plus infime simplicité du traçé du crayon,constitue une structure qui se réduit àl'abstraction géométrique. C'est icique réside le fondement de son idiorne visuel: derrière, en dessous, endessus de cette ligne, tout objet devient nature morte, modèle d'un portraitimmobile, et s'émancipant de l'illusion de l'horizontalité; l'objet se transforme en espace mental.
Elle posséde une qualité esthétiqueet incantatoire que l'on trouve dans saqualité linéaire, son angularité auxcoins delaquelle l'on perçoit l' effondrement des torses et le baissé des bras,l'anorganique dans l'organique, unesymbolique des arrières visages hautement codifiée. La ligne droite traverse les compositions des masses chromatiques avec leurs contrastes sofisthiqués pour créer un espace psy-
47
Anamnèses et transits
chologique propre, fait d'éléments topologiques; elle structure l'épiderme dela matière comme un couteau traversela chaire, pour nous communiquer lelanguage des blocs.
La sphère renferme un espace clos,qui dans le confinement d'un cercle,dresse des colonnes vivantes d'unebâtisse harmonieuse et ordonnée. Cettebâtisse me renvoie à l'image d'un cosmos ordonné; pourtant elle semblefaite d'infimes débris de molécules entremêlées, éléments microcospiquesformants cette multiplicité organiquedu macrocosme qui est au centre detoute construction sphérique.
La circularité de la sphère dans sonhermétisme géométrique reste pourtantsans point d'ancrage définitif, puisquele centre se démultiplie à l'infini et élitdemeure partout, à la lisière de chaque
48
Ligne etsphère
scellement de boucle. L'inévitable intersection des sphères génére des espaces intermédiaires, des lotus. décapités, des octogones et demi cerclesen forme de serres cruciformes. C'està l'intérieur de ces espaces intermédiaires et intermittents dans le temps, quemon intrusion laissera une trace indélibile et écartelée, ma présence éphémère coulant le bronze lapidaire desrencontres pourtant fortuites.
C'est dans ces enclaves géométriques, que je perçois mon propre centre, symbole d'une identité qui se faitet se défait continuellement dans lecheminement cylindrique des sphèresexistentielles. Le centre est partout, laboucle n'est jamais bouclée. La sphère est sans commencement et sans fintelle un fluide chimique en perpétuelle regénération. Elle me donne l'illusion de l'équilibre rotatif, la gravité
49
Anamnèses et transits
centrifuge; c'est dans les dédales desissues dérobées aux confluants desbrides de croissant et des circonférencesque fermente la mise en relief de moncentre existentiel, qui n'est qu'une sphère à jamais imparfaite faite d'ombre etde lumière, à la merci d'éclipses toujours émouvantes de la vie.
La sphère sous la forme d'une spirale témoigne du processus créatif dela nature; c'est la forme originelle etbasique qui gouverne le dévelopementorganique de toute espèce naturelle.La sphère dans cette perspective est lesigne métaphorique du dévelopementde la vie et de la mort. Elle contienten elle toutes les unités contradictoiresde la croissance et du déclin, du futuret du passé, des impulsions internes etexternes. Les différentes catégories dutemps et de l'espace déterminent ledéveloppement de la forme de la spi-
50
Ligne etsphère
raIe, l'infiniment petit et l'infinimentgrand sont tous deux possibles. Lesystème de la spirale se fonde sur l'idéefondamentale de l' organicité qui luimême commande les étapes cycliquesd'expansion et de contraction; la spirale me livre l'idée d'une évolutioncontinue. L'apparence de l'évolutioninterne se développe par oppositionet en marge de l'évolution statiqueexterne; les deux types de systèmesétablissent entre eux un dialogue organique entre le cheminement externestatique et le mouvement circulaireinterne et dynamique.
De ce dialogue organique naît l'universel language du cosmos dans toutesa complexité. La sphère et la ligneappartiennent au language xylographique des signes dans un monde deformes qui vivent leur propre existence, et ont leur propre signification.
51
Anamnèses et transits
Les formes associatives que peuventgénérer dans l'espace temps la représentation de la ligne et de la sphèreaboutissent à une condensation plastique de signes faisant reculer le plannarratif mais permettant de retenir lerayonnement de la suggestion de l'incantation.
La sphère et la ligne sont tous deuxdes figures de proues munies de noblesse et de simplicité, de l'actuel comme du passé, lesquels sont toujoursdiscrètement et harmonieusement articulées. Dans les temps modernes duvide urbanisé, où les lignes et lessphères ont une valeur exclusivementutilitaire, ces deux figures nous renvoient au symbolisme d'une idée condensée jusqu'à l'emblême. Elles représentent une fuite iconographique et unsalut iconologique.
52
Ligne etsphère
A travers les différentes formes deréduction et d'abstraction, leur évocation me renvoit toujours à un retourde la terre de l'exil, d'une horizon frontière pour la ligne, d'une rosace abîmepour la sphère.
53
VI
MASSES ET IDÉES
Masses et idées
Les minéraux sont composés d'éléments cristallins et chimiques diverstels que les sulphides, les halides, lesoxides, les silicates. Les uns sont d'ungrain égal dans toute leur masse, d'autres peuvent être composés de partiesdiverses et contrastent par leur forme,la couleur et l'éclat. Il en est de diaprés' de rubannés, de mouchetés; detranslucides, de transparentes et d'opaques. Certains d'entre eux sont hérisses de cristaux à face régulières; on envoit aussi qui sont ornés d'arborisations semblables à des bouquets de tamaris. Les idées elles me paraissent surgir sans identité propre, imprévisibles,restants indubitablement privées desubstances déterminées. En revanche,inquantifiables, non identifiables avantleur éclosion intellectuelle, leur dialectisation verbale, leur mise en forme esthétique, elles sont cosubstantiellesavec l'imaginaire comme draînées par
55
Anamnèses et transits
la vapeur de la fiction. Pourtant je persiste à croire que le réel abrupt et quantifiable des masses minérales, et la fictivité insaisissable des idées témoignenttous deux d'une même évidence cachée,l'indivisibilité de l'univers, l'interpénétration de l'imaginaire et du réel. Tousles métaux se retrouvent dans les minéraux, les pierres soit à l'état pur, soitmélangés les uns avec les autres; tantôtils se montrent en cristaux ou en modules, tantôt ce ne sont que de simplesirisations fugitives, pareilles aux refletséclatants de la bulle de savon. Ainsiles idées semblent à leur tour tout comme ces fragments épars de minéraux,les fragments d'une essence plus massive, plus profonde et originelle, témoin de la multiplicité de l'être plongédans le vécu subjectif des couches empiriques, incalculable série des siéclesécoules, héritage d'une certaine formed'intemporalité. Essence première, qui56
Masses et idées
se brise et fragmentarise puis se cimente de nouveau, long procés dematuration ontologique, sables agglutinés en roche après avoir ététriturés et pulverisés, argiles devenuscompactes après avoir été délayées parles eaux, ardoises qui ne sont autrechose que des argiles durcis, toutn'étant que débris, strates d'existencesantérieures.
Les idées commes les cristaux ontleur coloration propre. Alors que lescouleurs des minéraux varient en fonction de leur propriétés chimiques propres, la coloration des idées elle varieen fonction des caractères singuliersde la personnalité de leur autreur, deleur degré d'intensité, de la spontanéité,de l'attractivité, du magnétisme deleur grandeur symbolique et méthaphorique et plus simplement selon leurdegré de sensibilité.
57
Anamnèses et transits
Des idées qui peuvent être le fruit depréjugés peuvent être de couleur idiochromatique laquelle restera immuabletout comme le vert de la malachite, lenoir des graphites ou le jaune des sulphures. Certaines idées qui ont pourtoile de fond des tensions, des états decrises éphémères, peuvent être assimilées à ces impurtés et inclusions minérales, pigmentations diverses, de sorteque leur coloration sera variable comme chez les minéraux allochromatiques.
La coloration de certaines idées dépendra de la lumière interne et del'intensité créatrice de leur auteur, lacapacité d'absorber les vibrations dela lumière externe tout comme la capacité de se confronter au réel, de sorteque leur coloration variera commel'alexandrite. Bien sûr la coloration desidées n'est pas visible à l'oeil nu comme chez les nappes multicolores d'une
58
Masses et idées
agate. La coloration d'une idée quicommunique tout comme des ondessonores un certain degré de gestalt supraréelle, sera percevable grâce à sacapacité de suggestion allégorique,perception variant d'un sujet à un autre et agissant lors de sa manifestationtelle un fluide démiurgique. Commelors de l'appréhension de certainesidées, au milieu des minéraux euxmêmes, on peut trouver une sorte dechaos: aiguilles, pierres branlantes,amoncellements de blocs, assises superposées, tours qui surplombent,murs s'appuyants les uns sur les autres. Au milieu des ruines, du chaosd'une idée, on peut aussi déceler comme à l'intérieur d'une roche d'unminéral, ce qui fut encore tout récement l'intérieur, le noyau immaculé,principe directeur qui s'est égaré pourrevêtir le vernis d'un conformisme,d'une innovation, un détachement ou
59
Anamnèses et transits
d'une révolte désarticulée, sous lequelbrillent les cristaux dans tout leur éclat,le quartz blanc de la pureté, le feldspath de la sincérite à la couleur d'unerose pâle, le mica de la simplicité quisemble être une paillette d'argent.
La transparence et le degré de translucidité d'une idée reconnaissable à sasimplicité, peuvent témoigner de l'existence d'une vérité supraréelle et suprapersonnelle, l'idée n'étant que leréceptacle, la géode minérale, le nucleus lumineux. Comme chez les pierres précieuses, les idées les plus raresrestent celles qui réfractent la lumière.Ces dernières se privent volontairement d'une expression aboutissant àune manifestation externe, et échappent à la dénaturation et la profonation des jugements des autres. Plongéedans l'obscurité du silence intérieur,elles dégagent une luminosité rare, per-
60
Masses et idées
cevable à la seule intuition sensibled'un sujet éveillé. Leur couleur raréfiéeest semblable à la thermoluminescencedes fluorites.
La fidélité et l'énergie que l'on consacre à ce type d'idée s'apparentent auminutieux travail de polissage des pierres précieuses. Ces idées dont ons'éprend presque amoureusementméritent une fidélité toute particulière.Les idées les plus transparentes peuvent par excès de positivité devenir lesstéréotypes d'une socialité blanche. Laluminosité présupposée d'une idéepeut substantiellement diminuer et disparaitre telle un feu follet par un déperissement d'intérêt et de constance,de sorte qu'elle s'éteindra tout comme étant avortée. A l'évocation d'uneidée singulière, on peut se trouver toutà coup sous une voûte de cristal et dediamant; des statues d'or et d'argent,
61
Anamnèses et transits
ornées à profusion de rubis, de topazes, de saphirs, se dressent soudainement autour de nous; il suffirait presque de se baisser pour ramasser lestrésors de telles idées. Mais il n'en estrien, les idées les plus insolites toutcomme les pierres précieuses ne sontque des fragments rares, impurs, mélangés de terre, et la plupart ne prendront leur éclat et leur valeur qu'aprèsavoir été affinés dans le fourneau.
En perpétuelle gestation et ébullition' en proie à un déterminisme naturel, tout comme certains minérauxcomme le quartz et le calcite, la naturede notre esprit pourrait être qualifiéesi l'on peut dire d'hydrothermale. Lesévénements, les angoisses, les peurs,le poids de l'éducation, les contradictions internes, les désirs refoulés quiconstituent la trame de notre inconscient sont en constant mouvement
62
Masses et idées
convulsif, comme les vapeurs et les gazmagmatiques. Ils finissent par s'échapper au travers d'une fissure et d'unefaille, au gré d'un nouvel événement,d'un contexte particulier, d'un stimulus extérieur et existentiel tout commela lave s'échappe au travers l'écorceterrestre. Tout comme les laves, porphyres, trapps et métaphyres sont sortis de terre par de larges fissures et sesont étalés sur le sol, pareils à unematière visqueuse qui se figerait aucontact de l'air, nous sommes semblables à la masse inerte d'un cadavre,pellicule crevassée et fissurée au travers de laquelle s'échappent les idéesordinaires, orginales, vraies, fausses,perfides, réelles ou imaginaires, qui seplissent comme le ferait une étoffe etles couches de grès. Soumises a desimpulsions latérales qui les ploient etles reploient indéfiniement, les idées
63
Anamnèses et transits
s'agitent en vagues pour laisser transparaitre comme la surface de l'océan,l'assise de l'être qui est dans une fluctuation continuelle. Une idée vientalors naître, émanant d'un humus contextuel interne, comme le fruit d'uneséparation organique de substancesparticulières, particules de notre esprit,épaisse couche de notre inconscient,semblable au processus de formationpneumatolytique des minéraux.
Dans ce processus de séparationduquel une idée prend naissance etforme, d'autres idées secondaires, idéessupports, peuvent naître instantanément et parallélement à la naisanced'idées premières, par la dissolutionde leur substance originelle sédimentaire, comme dans la formation métasomatique des minéraux.
L'idée devient un instant privilégiéhuméfié par le parcours, le croisement,64
Masses et idées
la rencontre et la séparation d'unemultitude d'atomes, d'ions et de molécules comme ceux qui peuplent lesminéraux, culminant dans l'association et l'assemblage de plusieurs autres minéraux; la paragenesis spirituelle par laquelle des idées divergentes,parfois contradictoires, viennent s' associer et se réconcilier pour fusionnerdans une harmonie structurale. Là réside tout le mystère de la genèse d'uneidée. Ainsi jusque dans sa plus petitemolécule, toute roche, toute masse offrent une combinaison d'éléments divers qui se sont mélangés en proportions changeantes; chaque cristal, chaque minerai, tout comme chaque idée,a son histoire infinie et propre; lesidées ne sont au fond que des astres.Tout comme le moindre fragment d'unminéral, chaque idée a sa propre genèse comme l'univers tout entier.
65
vu,A LA FE~TRE D'UN OISEAU
A/a fenêtre dun oiseau
L'aigle dans son vol ne laisse aucune trace derrière lui, à l'encontre dusavant. S'agissant de la liberté, larigueur de l'observation scientifiqueest requise, mais aussi le vol de l'aiglequi ne laisse aucune trace.
Cette parabole de l'oiseau ouvraiten moi les perspectives d'un principetranscendant; L'oiseau perçait une trajectoire, sans chemin précis, qui tellevol de l'aigle ne laisse derrière lui aucune trace. Ce chemin qui ne mènenulle part et l'absence de trace m' intriguaient davantage éveillants en moil'image de l'inconnu.
Soudainement l'inconnu me semblait coller aux flancs émincés de cescurieux oiseaux migrateurs qui taillentleur parcours sans embûches par undéplacement oblique, ou bien surgir àl'affût d'une rencontre fortuite avecune geai à la longue queue suspendue
67
Anamnèses et transits
à une branche qu'enlace un sumacrampant.
L'inconnu cohabitait avec mon imaginaire bucolique d'enfant, sous lesvierges tropiques jonchés de lianesaux sèves opulentes, d'où tansparaitune spirale multicolore d'oiseaux duparadis dont la seule vision éphémèrevenait élargir mon champ de perception, pour accueillir tel un éclairci lemystère de la création.
Je p~nsais soudain que ma placeétait peut être là à l'intersection deslongues joutes d'un échassier, à la courroyale des flamants roses. Je me remémorais plus particulièrement ces fameux pigeons migrateurs, dont les bandesobscurcissaient le ciel au moment deleur envol.
Toujours en quête d'un inconnupeuplé d'oiseaux rarissimes qui défi-
68
A/a fenêtre dvn oiseau
laient dans mon inconscient commedes diagonales d'ombres chinoises, jeme mis dans un premier temps à saisirl'approche scientifique et détailliste desornithologistes; au de là des analysessavantes et scientifiques qui décortiquaient l'anatomie complexe des différentes espèces, je me plongeais dansleurs planches lithographiques, fidèlestémoignages de l'observation minutieuse faite par des naturalistes de terrain devenus peintres animaliers àl'occasion.
Cette étude sommaire me menaitvers les représentations picturales savantes et les itinéraires illustrés qui meconduisaient à la découverte des oiseaux d'Amérique, la faune d'Australie,vers les étranges marsupiaux de cecontinent, les espèces d'Asie et ceuxde la Nouvelle Guinée; à travers cesreprésentations picturales de cormo-
69
Anamnèses et transits
rans, de hérons, des diverses aignetttesà ventre blanc qui appelaient la Damedes eaux, en passant par les ibis falcinelles, la spatule rose, les canards aucol vert, le harle huppé, les buses àépaulettes, la pyguargue à tête blanche,le courlis à long bec, le chevalier grivelé, le faucon gerfaut, le merle noir, lerossignol Philomède, l'esthète ou lesimple observateur peuvent y voirl'image d'hommes intégrés dans lespaysages où vivent les animaux faisant l'objet de leurs études. Hommesde bois, ils paraissent être les chantresd'une nature encore presque inviolée.Ils semblaient en effet participer augrand élan romantique d'une époquerévolue.
Pourtant leur démarche scientifiqueet leur approche esthétique bucoliquene satisfaisaient pas ma soif insatiablede l'inconnu, cette trajectoire sans trace
70
A/a fenêtre dun oiseau
qui bouleversait les données tangiblesd'un paysage hermétique où les oiseaux paraissaient figurer et non évoluer. Les oiseaux des ornithologistes devenaient pour moi des spectres figés.
Dans ma recherche, je réfutais précisément l'objectivisme d'un témoignage qui ne faisait que confirmerl'ordre des contingences réelles et circonscrites, et ne pénétrait pas dans ledomaine d'un inconnu qui ne connaitpas de témoins, expulse les messageset proscrit les disciples; La magnificence comme l'étrangeté des oiseauxqui me paraissaient être des émanationsde l'originel évanescent, appartenaientà un autre ordre de vision, à une autreforme de contemplation souscrite aupérimètre exangu de l'inven-taire scientifique d'un ornithologiste.
Les oiseaux tracaient de leur vol onduleux tel un polygone feuilleté et
71
Anamnèses et transits
auréolé, couleur iris, agate et ocre, leshauteurs escarpées des crêtes et marquaient par leur descentes en pic virvoletentes la profondeur des vallées.Pourtant le diadème chalcédoine, lesarborescences impériales de la huppefasciée, la neige mouchetée du faucongerfaut, les colliers nocturnes de l'artarfang des neiges, les sourcils orgueilleux des grands ducs de Virginie, toussont l'incarnation de la mesure fauveet écarlate, sublime éventail entre cielet terre, pilones suspensifs arrimés auxbandes de nuages glissants; ils sont lesextrémités tachetés etplastronés, les compas ~éticuleux qui brisent les lois del'équilibre et de la pesanteur et tirentles lignes et les circonférences invisibles des paysages ambiants.
Je saisissais dans l'observation dechaque oiseau le sens de leur matérialité la plus secrète, mêlant la percep-
72
A /a fenêtre dvn oiseau
tion mythique du rêveur et l'appréhension toute sensitive; je conjuguaisdes éléments de l'art et ceux de ,monpropre esprit pour cerner l'essence detels animaux, créatures totems, qui aufond ne représentent que des pointsde vue donnant sur l'invisible et l'inconnu.
Je me posais la question de savoir siles oiseaux avaient une âme. La tradition hindoue considère que chaqueoiseau est la personnification de l'âmequi se libére du corps alors que le Coran islamique voit dans le chant del'oiseau le language des dieux. Assurément, les espaces mentaux et physiquesde l'homme et de l'oiseau sont deuxmondes qui se copénétrent. L'empiredes oiseaux à l'âme humaine est celuides hommes à l'âme d'oiseaux. TI estaussi éternel et infini que l'empire del'imagination et de l'esprit humain.
73
Anamnèses et transits
À la contemplation des oiseaux queje liais intimement à ma quête del'inconnu, je découvrais parallélementet quasi instantanément que je n'étaisau fond qu'u,n chercheur de silence;Le silence et l'inconnu trouvaient imanquablement refuge dans l'arche de lacréation qui existait en moi comme elleexiste au fond de chaque homme.Comme il n'existe pas de frontièreentre nous et les choses les plus proches, il n'existe pas de distance entrenous et les choses les plus éloignées;Cette pensée m'amenait à croire queles oiseaux les plus rares et les plusinexplorés m'étaient tout aussi prochesqu'un animal coutumier, car toutes leschoses, de la plus basse à la plus élevée,demeurent en nous dans une parfaiteet complète égalité. Il est certain quedans un atome, on trouve tous les éléments de la terre, comme dans unmouvement de l'esprit se trouvent74
A /a fenêtre dvn oiseau
tous les mouvements des lois de l'existence. J'en déduisais que dans un aspect de nous, il y a tous les aspects del'existence. L'infini contient le fini, etle fini l'infini.
Dans cette commutabilité réciproque, cette interdépendance existentielle, l'homme devenait oiseau comme l'oiseau était dejà homme. L'écoutedu chant des oiseaux qu'il soit monodique ou plyphonique m'apportaitune autre dimension du silence; je percevais que ce chant n'était que le support d'un silence plus ample, plusriche qui se dilate comme sur une toilede fond qui s'apparente à ce mondeflottant et éphémère peuplée de pieschinoises trempées dans les roseauxd'hiver.
La cacophonie des chants des oiseaux n'est qu'une apparence trompeuse, car il ne s'agit ici que d'un concert
75
Anamnèses et transits
de tonalités qui s'accordent aux rythmes du silence propre à chaque être etqui résonne au tréfonds de notre âme;le chant des oiseaux n'est que la caissede résonnance d'un silence dense etcontinu qui peuple notre esprit. Le si1ence sonore et fluide des oiseaux metransportait vers le silence des tempsimmémoriaux où l'oiseau idolâtré revêtait les formes mythiques: le dieuHorus à tête de faucon et l'oiseau Bennou dans l'Egypte ancienne, le dieuIndra prenant la forme d'un faucondans la religion brahmanique, l'oiseauGaruda du Royaume de Shambala dela tradition mythique tibétaine.
Les oiseaux me semblaient être lesarchitectes naviguants et besogneuxd'un premier monde immergé dansl'éther du sacré et de l'élémentaire; cesoiseaux parlaient et volaient à traversles mailles de mon inconscient oniri-
76
A /a fenêtre dvn oiseau
que; aux oiseaux messagers et symboliques du mythe il me fallait maintenant décripter le language poétiquedes oiseaux, mélodie acronime etfluête pour commpendre le mystère incantatoire de cette créature qui fitl'objet de tant d'odes, d'élégies et deproses de nombreux poètes.
A la stratégie de la tarentule quimêlait la démarche de l'observateuraverti et les éléments spirituels de lavison mythique, devait succéder l' angélisme du language poétique telle unepercée vers l'au de là.
En tant qu'enfant, je me questionnais sur le devenir et le sort des oiseaux qui mourraient. L'au de là devaitêtre assurément ce lieu où s'envolaientles oiseaux fatigués pour ne plus jamais revenir et se reposer dans un cimetière céleste. L'oiseau mythique précédait l'oiseau poétique, mais l'oiseau
77
Anamnèses et transits
poétique préexistait à l'oiseau mythique, car comme une source intarissable d'inspiration et de dévotion, il nepouvait être qu'éternel et survivre àtous les âges.
Il existe entre l'univers spirituel desanges et le monde sensible dans lequell'homme est condamné à vivre depuisla nuit des temps, des similitudes etdes correspondances; ces deux mondes coexistent l'un à l'autre. Dansl'ordre de la création la naissance del'ange ,e-st contemporaine de celle del'homme. Mesure de l'ange qui est lamesure de l 'homme. Les oiseaux,mages de l'univers spirituel, pouvaientressembler à ces esprits intermédiairesentre dieu et le monde créé, lesquelsagissent sur les hommes et sur l'universmatériel, le contiennent et le dirigent.Emanation angélique, l'oiseau devient cette créature qui révèle l'essencede l'Être et des choses.78
A/a fenêtre dvn oiseau
Seul le language poétique était enmesure d'apporter et de décripter lessignes de l'oiseau séraphin; cet oiseaudevient le pigeonnier des âmes, volserré de tourterelles, oiseau idée parlant aux seigneurs et aux dames decours de ce qui naît et de ce qui meurtainsi que de ce qui va naître; ainsi lescygnes sauvages évoquent la nostalgie du temps qui passe, dans le crépuscule atonale, ces nobles créatures s'élèvent comme de grands anneaux, clairons de la passion et de la victoire, disparaissants soudain au grand regret dupoète impuissant qui se console avecla captivité tragique de Léda dans lebec du cygne.
Les oiseaux participent à la divinisation de l'univers entier. Ainsi le rossignol est une reconquête de l'unitéd'une conscience que les souvenirs ontbouleversé. Le rossignol peut être tout
79
Anamnèses et transits
aussi féroce et blasphématoire dénonçant l'hypocrisie humaine et se déléctant dans la profanation de tout ce quiest établi; ce rossignol prend conscience du péché et défie constammentla loi en mêlant la fierté à la douleur;l'oiseau corbeau, l'oiseau fenêtre, témoins des calvaires familiers des fossés et des trous dédramatisent la mortindivisible de la vie. L'évocation ducolibri qui se meurt en buvant tantd'amour dans la coupe rose de la fleurdorée où il s'est posé, rappelle l'amourcourtois des chevaliers du moyen âge.
Les oiseaux sont calligrammes, expressions picturales et sonores évoquants la colombe poignardée, oiseaux lumineux des rêves d'adolescents.Je songeais aussi à ce curieux oiseaude nuit qui voyage à travers les profondeurs tectoniques de la nuit maternelle et féconde, sécurisante et infinie,
80
A/a fenêtre dun oiseau
matrice de tous les possibles. L'oiseaude nuit est l'hôte de cette partie del'âme, à l'image de dieu, qui existe endehors de tout ce qui est créé, incréé,incréable, comme la nuit obscure del'âme. L'oiseau de lumière est commela lumière, tributaire du temps et del'espace révélant les beautés du mondepar ses cycles succesifs qui se répétentindéfiniement. Les oiseaux nocturneset lumières sont comme les rayons élégiaques d'une roue tournant inlassablement sur elle même.
Après avoir parcouru les différentesfacettes de l'oiseau des ornithologues,de l'oiseau idée des poètes et del'oiseau mythique, il ne me restait plusqu'à aborder l'oiseau de mes songes,le fidèle compagnon de mes angoisses et de mes joies quotidiennes.
Plongé dans un monde opaque oùje me débattais, pris dans un manège
81
Anamnèses et transits
de dédoublement virtuel dont la rotation m'éloignait de la réalité tangible,la vision des oiseaux m'attrayait comme vers une porte de secours vers unautre plan de réalité sublimé par lefleuret aiguisé et délicat d'un feuillagemoucheté.
L'oiseau devenait pour moi unefenêtre propédeutique qui me projetaithors de mon for intétrieur inexorablement tourmenté; Les oiseaux reconstituaient peu à peu un échaffaudagefragile qui rassemblait les éléments dispersés d'une personnalité peut être accidentelle à la fois navrée et fatiguée.En songeant àcette petite créature vulnérable dont l'image constituait uneformidable profusion de vie m'arrachant de ma léthargie quotidienne, lerêve d'Icar me semblait tout à coupillusoire et stupide à la fois.
82
A /a fenêtre dvn oiseau
Comme la mouette qui revient indéfiniement avec les bateux des pêcheurs,l'oiseau est cette créature pour qui saitl'observer et la comprendre, qui nousconduit vers l'élémentaire, le beau,une passerelle aérienne pour l'absolu.Au creux d'une abîme de boue, certains d'entre nous regardent les étoiles;moi j'ai choisi de regarder les oiseauxqui s'élèvent au firmament, franchissant les constellations de l'inconnu,disparaissent puis reviennent un jourde printemps, et qui d'un point à unautre longent dans une circulationouatée sans laisser de trace, telles desaugures éléctives, la décade infernaleet paradisiaque des voies acrimoniqueshumaines.
83
VIn
LES MOTS COMME DES
COQUILLES VIDES
Les mots comme des coquilles vides
J'entends une voix proférer quelquesmots; la voix s'abandonne à elle mêmedans un fracas protéiforme. Les motséclatent en syllabes, celles ci en sonset puis en phonèmes. Les mots toutcomme des murmures peuvent évoluer sur un mode aléatoire, une voixpouvant en déterminer la succession àson gré. Ainsi les enfants sont passésmaîtres pour se jouer des mots par simple imitation, par rodomontades.
Des bribes de mots peuvent se succéder comme une mosaique et nagerdans une forme chaotique, pour celuiqui ne veut pas unir ce qui est dit. Lesmots peuvent être enfermés dans dedifférentes structures et leurs mouvements de tension et de relâchementpeuvent à leur tour être conçus selonle principe de l'entéléchie.
Certains mots, il est vrai peuvent êtreimpénétrables et rébérbatifs et se trans
85
Anamnèses et transits
former successivement pour devenirl'humus de la mémoire. Je peux ciselerles mots pour en faire des lambeauxde ma pensée, en faire un exercice acrobatique, en un mot en faire un pointd'échange ou de rupture entre moi etmon interlocuteur.
Les mots sont comme des jouets entre les mains de jongleurs cupides quiles monnayent comme le tâcheté desgribouillis de tigre de papier. Le motdevient ici le tremolens d'une escroquerie. Certains mots ne font que transiter à travers notre mémoire tout comme des hôtes d'une maison illuminée,et re~sortentcomme sur des quais sousformes d'images météoritées.
Les mots ne peuvent être que desrumeurs ou bien des clameurs. Ils peuvent être transparents et communiquerune réalité ou bien une fiction étonnante; Ils peuvent devenir véritable86
Les mots comme des coquilles vides
ment des symboles et des signes aptesà définir et à approfondir une penséed'une sonorité plastique toute particulière. D'autres mots ne peuvent êtrequ'escamotages, stéréotypes et étiquettes qui ne peuvent qu'ennuyer parleur schématisme répétitif.
Les mots sont comme ces coquillesvides dans lesquelles les enfantss'amusent àentendre le souffle du ventet le bruit de la mer. Ils sont commeces coquilles vides où demeurent dansl'innomable et l'indicible les événements de chaque homme depuis sesorigines. Les mots sont comme cescoquilles vides que l'écume de l'océanne veut pas et rejette sur les récifs despensées fugaces et abruptes, aux portiques de feux des eaux prolifiques etfécondes où viennent se reposer lesâmes contrites.
87
Anamnèses et transits
Les mots emportent nos pensées lesplus chères; ils sont en quelque sorteun état de siège permanent; les motss'amusent follement à bâtir des châteaux de sables et des griffonageschimériques; Pour qu'enfin ils prennent une certaine valeur il ne faut yvoir que des erreurs concertées desimages mâchées, des blancs à dévoiler, en rire et les écouter avec une oreille d'enfant pour n'y voir que l'aventure, la jubilation, un fragment de soleil qui ne cesse de grandir.
88
IX
SONORITÉS ET PHASMES
Sonorités etphasmes
Le monde des sonorités quelles soient musicales ou non, est peupléd'apparitions, de disparitions et de cristallisations; lorsque j'entends une sonorité, elle prend la forme d'un phasme, cet insecte au corps allongé et frêleimmitant par mimétisme la forme destiges sur lesquelles ils séjournent.
Une sonorité est toujours prise dansl'alternance de ses états; le motif, lesigne apparait puis disparait. S'effaçant, il n'est que plus que présent,d'une présence qui ne tient plus àl'imitation. Pour saisir le language dessonorités, pour qu'il demeure distinctet perceptible, il faudrait que le motif,la cause de cette sonorité se représentece qui n'a pas été entendu et déjàécouté. C'est pourquoi, l'intermittencedes sons, les phasmes mélodiques,sont autant la manifestation qui merenvoie au monde de l'apparence insaisissable, mouvante.
91
Anamnèses et transits
Apparence parce que derrière lelanguage des sonorités, il y a toujoursautre chose qui pourrait se transformer en une obsession en prenant enconsidération la fréquence de ses manifestations, de ses aveux, l' obessiondes métaphores et des changementsd'états.
Le phasme sonore ne s' accomodepas de la souffrance, de l'effort technique, il se déplace telle une onde quise tait, avec reserve et discrétion. Lesmélodies, les sons qui l'enfantent lesont pour la première et dernière fois.L'écriture se raréfie à chaque instant,s'évapore, se singularise. La forme seperpétue inlassablement et s'émancipe:chaque pièce invente la sienne au grédes inflexions de l'inspiration, de latension émotionelle ou bien tout simplement du hasard; évocation sensuelle, caressante, ligne onduleuse
92
Sonorités etphasmes
chantournée, élan incontrolable, harmonies languides ou dissonances, réserve expressive, sens de l'ellipse, vigueur rythmique.
Le phasme sonore pousse aux extrêmes cet art de rester à la surface deschoses. De là la coulée des harmoniesindifférenciées, des mètres ambigus,mélodies suspendues et ses lignesdécevantes; il est plaçé sous le signede l' anadyomène qui signifie à la foisce qui émerge, ce qui nait, et puis cequi replonge, ce qui sans cesse redisparait.
Le phasme sonore peut aussi êtreun sanctuaire de la vision, le lieu privilégié du temenos dans lequel peutmûrir et se développer la découvertede soi même. Il devient alors un parcours spirituel, une pérégrination del'âme. La visualisation sonore touchealors mon inconscient dont les mani-
93
Anamnèses et transits
festations vivantes ne seront perceptibles qu'à posteriori, au fur et à mesureque le temps passe; le language sonore révélera son enseignement qu'aprèsun doux et long mûrissement de l'âme.
Le phasme sonore devient alors uneaction de grâce et de supplication; ilpeut déboucher vers la formation etl'émergence d'une icône en paroles.Il oscillera entre l'expression de lapureté exaltée, et les supplicationsdéclamées qui aboutissent à une tonitruante et impressionnate théophanie.Il devient un singulier mode de valeurset d'intensités mêlant tour à tour deshauteurs, des sons, des durées, unmélange de candeur et de brutalité pourexprimer tour à tour l'enchantementdu parfum de la vie et le fracas d'unmonde en décomposition.
Le phasme rampe lentement et difficilement su sa tige, puis vient se fon94
Sonorités etphasmes
dre dans les membranes spumeuses ethumides, pour devenir à son tour tige,et je percois le décollage d'une sonorité qui s'oublie le temps d'un longsoupIr.
95
X
Au BOUT DU PINCEAU TELLE
UNE TRACE DENSE ET PURE
Auboutdupinceau telle une trace ...
Mon âme est fade, fade comme laréserve et l'indifférenciation, couleurd'ivoire. Elle traverse comme au boutd'un pinceau délicat, un pays pétrifié,poli et sans aspérités.
Je suis comme une touche dont leglissement rapide et alerte reste comme suspendu et ne s'inscrit nulle part,dans aucun cadre. Trace légère quisemble flotter dans l'espace, pour éviterde se figer dans une position, provoquer un empiettement quelconque quipourrait donner l'effet de participer àune scène, une histoire connue. Jem'abstiens de transmettre quoi que cesoit à l'aide des apparences extérieureset matérielles par crainte de ne récolterque le néant. Je préfère voir mon propre paysage de l'intérieur, et tout comme les nuances d'une encre répandue,m'intensifier vers le centre, foyer detoute quiétude.
97
Anamnèses et transits
Au bout du pinceau je suis une ridesquelette qui progressivement se dévértèbre, où le contour disparait, pourcéder la place à l'ombre, au colorisd'une essence. Au bout du pinceaud'une extrémité à une autre, je chevauche les courlis de l'incertitude quid'un point à un autre ne savent pasd'où partir pour au bout du compteaboutir. Je suis âcre comme un convive introduit dans une gouttière decrins, et telle une lisse albumine je merépands sans me gargariser et m'attarder à un point déterminé.
Et par mon inconstance, je dénietoute maîtrise à une direction préétablie, pour m'assurer de n'être qu'unejonction qui disparaît au paroxysmed'une rencontre. Au bout du pinceauje rentre dans le champ de l'empreinte:est impressionné ce qui est dévoilé,tandis que ce qui reste voilé dans lesblancs est préservé.98
Auboutdupinceau telle une trace ...
Comme les touches intermédiairesdu pinceau, je deviens une balance,stade transitoire et constamment menacé; je me situe telle une inélucatbleesquive qui transite entre le pôle d'unemanifestation trop tangible et stérilisante et celui d'une trop grande evanescence, floraison où tout s'efface etse fait oublier.
Entre le dilleme d'une manifestationet d'une affirmation bornée et la négation de toute forme de manifestation, je préfère cultiver les modulations ambigues, les harmonies précaires et indifférenciées, comme un soupirsuspendu entre deux croches isométriques. Et je ne laisse l'espace d'uninstant que le souvenir d'un signe engestation, en train de se vider lui mêmeet prendre le chemin de l'absence. Setaire, et cheminer telle une trace denseet pure.
99
XI
QUE NE sms JE LE
DIAPASON D'UNE RÉCOLTE
ÉPHÉMÈRE
Que ne suisje /e diapason ...
J'exécre l'odeur nauséabonde desglèbes fertiles, des moissons dispendieuses, où viennent se délécter et seprélasser les cueilleurs, les récolteursavides, dont la sueur suinte l'opulence,la fausse gratitude, le puritanisme aigri. Pour ma part je ne donnerai aucune offrande, aucun aumône à quelque récolte que ce soit, car je n'ai paspeur de subir le désaveu et l'opprobrede l'infertilité. Renonciation et humilité transforment l'infertilité en potentialité sublimée. Je refuse de revêtir lecostume carnassier du récolteur augibet et d'endosser la faux du moissonneur, car je ne crois pas à la providence des fruits périodiques ni à lapromesse d'une semence minutieusement préparée.
Je ne puis être que le diapason d'unerécolte éphémère, auquel on vients'accorder pour qui veut bien se ten-
101
Anamnèses et transits
dre et vibrer, pour ne laisser échapperque quelques refrains diatoniques,quelques images et impressions délétères, qui au de là des cycles saisonniers, fixent une profondeur en chaque instant pour y extraire les fruitsde l'éternité.
Que ne suis je le diapason d'unerécolte éphémère, qui a la saveur del'amertume et de la disgrâce, car je merefuse à consommer goulûment lesfruits de la semence, de peur d'y déceler le sulfureux goût de l'orgueil etd'entendre les échos lancinants et paillards des moissoneurs repus.
Que ne suis le diapason d'une récolte éphémère d'où surgissent les souvenirs brûlants d'une mélodie qui s'estfait chaire. Diffuse, sensuelle et sinueuse à la fois, cette récolte est ellipse etinvocation gorgée de vie et de mort,que l'on aime et prend instantanément102
Que ne suisJe le diapason ...
pour ce qu'elle offre autant pour cequ'elle tient en réserve.
Que ne suis je le diapason d"unerécolte éphémère qui conspue les prouesses virginales et les bénédictions del'avenir.
Que ne suis je le diapason fatiguéd'une récolte éphémère, de laquellel'on peut jouir au gré d'une pochadejubilatoire.
Que ne suis je le diapason d'unerécolte éphémère, de bribes d'espoirspiétinés, de promesses bafouées, et quisonne le glas du châtiment, en guisede punition d'avoir donner peut êtredes fruits prématurés.
Vous rencontrerez peut être au détour d'une récolte fructueuse ce diapason désamorcé, légérement vicié,plongé dans un froid mordant.
103
xnANAMORPHOSES ET
INTERVALLES
Anamorphosesetintervalles
La réalité n'est au fond qu'une jarreque l'on alimente au jour le jour presque inconscienment, d'impressions,d'habitudes, de penchants, de réactions, d'injections de sentiments, desensations, de souvenirs et d'objetsdivers. La vie déambule comme dansle suif fangeux d'une parfaite mécanique qui nous propulse au devantd'une scène sudorifique. Et à chaquemoment sans s'en apercevoir, nousjouons notre propre rôle, comme l'acteur convaincu qui monte sur l'échafaud de sa propre potence, sans se retourner, sans réfléchir, de peur d'y rencontrer les cataractes du non sens,l'image dénudée et crue de sa proprepersonnalité qui telle un lombric s' accroche à une solève embrasée d'uneréalité cinétique.
Au détour d'un lieu commun, d'uneronde vicinale sans s'y attendre, lajarre
105
Anamnèses et transits
semble soudainement déborder et sedéverser pour nous immobiliser tel unéchassier aux lombes titubantes aucreux d'une ornière où l'on rencontrel'oeil du néant qui telle une gélatines'évacue au travers les ormes de la confusion. Nous vivons alors dans la précarité de passerelles existentielles, dansle domaine des instants échappants àla critique corrosive d'une durée sécurisante.
Nous plongeons dans les états d'intervalles, espaces discontinus, déconnectés où les règles de la mobilité etdu fonctionnement de notre être setrouvent soudainement altérés. Monêtre devient alors étranger à lui mêmeet vient se planter tel un palis vulnérable qui assigne d'étranges circuitsà mes propres forces, craintes et désirsprivés d'orientation. Il semble me dissoudre dans l'empire des écarts, des
106
AnamorphosesetintelYa//es
traits d'union, qui paraissent ne rienrelier, ne rien reconnaitre, simplementdéfaire et séparer. Curieuses courroiesnon archimédiennes qui bouleversentmon propre mouvement, ma stabilitéprécaire où la matière se fond avec letemps.
Je deviens alors très vite la proie decurieuses anamorphoses, véritablesdyalises diurnes et nocturnes, qui telle décolement rétinal, creusent des surfaces planes qui conjuguées à manausée, me font glisser d'un plan à unautre de la réalité tnagible ou intangible où la lumière s'associe à la douleuret se noie dans les cavités chimiques.
Ces états créent en moi un espaceretranché du corps, entre entrailles etmembranes dans lequel j'acquiers lestatut d'un pli, résidu entre vestige etplaie, bâillement d'une étoffe, qui unitl'extérieur et l'intérieur. De ces anamor-
107
Anamnèses et transits
phoses je ne puis dire qu'elles ,sontréelles mais je ne puis dire non plusqu'elles ne le sont pas; qui fait l'expérience de ce monde d'anamorphosesoù l'on devient son propre observateur, devient le témoin de la fragilitédu monde, de la précarité de la réalitéqui nous entoure où vient périr toutepossibilité de l'alternative de l'être etdu non être. Je m'étonne alors que leschoses soient, que j'existe, que je parle, que je pense.
Ma personnalité et mon existencedeviennent la figure inconnue d'unefable mystérieuse; ma personnalié ellemême que je considére comme maplus intime et la plus profonde propriété, semble devenir l' emphytrionaccidentel, face au moi le plus nu, lemoins conditionné.
En s'observant, toutes les réponsesaussi prophylactiques soient elles que108
Anamorphosesetintervalles
je puis apporter le plus promptementà mon être restent veines face à la simple et pure conscience dont l'uniquepropriété est d'être. La seule connaisance valable qui demeure dans lescontrastes anamorphiques et la relativité des différents ordres de réalités, estla connaissance, la pleine consciencede mon corps, curieux compriméd'organes et de combustibles nerveuxet de son rapport avec le tout, ainsique de la place qu'il occupe dansl'intimité de mon être, comme facteurd'équilibre psychologique dans lespériples des processus de constructionet de déconstruction. Je dirais même,la limite de ma connaissance a pourlimite la conscience que je peux avoirde mon être, de mon corps et de mespossibilités.
L'empire des intervalles, le mondevaccillant des anamorphoses, dissipent
109
Anamnèses et transits
l'illusion de me confondre avec la substance chatoyante de ma durée, ladurée et la continuité n'étants que desdonnées d'une réalité tangible toutaussi illusoire.
Au sortir de ces ces états sulfureuxd'intervalles, de passerelles et d'écartsqui viennent rompre l'accoutumancedes durées préétablies et le sentimentde n'être qu'une solution, je suis enmesure de découvrir dans la nuit agitée, la présence d'une élégance supérieure. Cette présence reste déconcertante par son cortège de faiblesses, quipar le jeu des dédoublements, desmarches à rebours et d'une observation crispée, vient affiner mon attention et la subtilité ·de la perception pouracheminer différement la consciencevers les voies sans issues.
Voies sans issues qui d'intervalles àintervalles recollent les lambeaux d'un110
AnamorphosesetinteNa//es
miroir, véritable cartel de vérités, oùl'on percoit les choses qui pourraientêtre différentes de ce qu'elles sont. Lafigure brisée d'une réalité qui ne futpeut être pas très différente de cequ'elle était.
Seule la souffrance reste égale à ellemême, presque palpable et pourtantineffable. Seul l'avènement d'un ogrede l'entendement qui se pavoise à travers les modules calcinés des anamorphoses finit de décapiter le règne étoffédes certitudes.
111
xmAu COIN DU MUR
Aucoin du mur
Au coin du mur, je reste plaqué aucreux d'un diamètre, telle une étroitecarderie où vient se frotter l'ombre dessilhouettes, mèches éteintes, allumées,qui s'étiolent telle une fumée de pipe,grimpants aux crochets d'un plafond,sciure de ciel aux pourtours granulés.
Au coin du mur, mes épaules jouxtent tel un dosseret éventré, le curieuxguillemet qui sépare les deux facesembaumées d'un seul et même mur,déculpé comme une équerre déglingée. Je perds toute substance personnelle et mon corps se liquéfie en tjalemomifiant, pour finir comme une cariatide drapée, qui déroule ses tressesséricifières sur les pistes exagonales,triangulaires et quadrilatères d'un espace muselé.
Recroquevillé comme un liseron indolent j'élis demeure dans cette nichebéante, péristyle aux couleurs lunaires,
113
Anamnèses et transits
sarcofage entrouvert tel un livre dechevet souriant aux bacchantes d'unporte manteau. Je suis telle une lorinthe échevellée qui titille les basfondscéramiques et moléculaires d'un strabisme déclaré, comme l'ouvertured'une boite oculaire au son d'une cadence répétée, jalonnement vers unesourisière, pas à pas qui s'écoutent.
Je trace tel un pointillé aux girofards clignotants, les circuits invisibles quicriblent d'interférences la cuirasse vibrocrible, le silence d'ivoire qui d'uncoin à un autre essuit l'échec et matdes chasseurs de vides , des harponneurs de corniches séraphiques.
Au coin du mur, je vois s'entrecroiser de mutiples diagonales où lespoints d'intersections avec les perpendiculaires déterminent directementl'emplacement de transversales; L'espace me semble devenir une masse, mat114
Aucoin du mur
ière homogène à l'intérieur de laquelle l'espace lumineux est ressenti avecautant de densité et d'acuité matériellesque les corps qui y sont répartis.
Mon esprit se transforme en émanation cristalline qui tisse d'un coin àun autre l'écluse qui sépare et filtre lamontée et la descente des vides quiprennent corps à l'embouchure de chaque coin. Vides qui viennent déverserleurs entretoises, leurs trabes symétriques, jetée d'aiguières et de vasquesd'azur venants se comprimer dans leclivage et la trajectoire des ondes lumIneuses.
Je suis comme un cerf-volant, lambris égaré qui circule à travers les limailles de barbelets caléfactoires quientourent les pôles d'un invisible système de lignes unissant les corps emplissants l'espace.
115
Anamnèses et transits
Au coin du mur,je m'instruis surmoi même, sur le rétrécissement demon sort et telle une tmèse psalmodique, je fauche les idées qui me viennent à l'esprit, pour cerner le périmètre de mes propres contours. Ormes propres contours n'existent et necomptent pas; ils se dissolvent dans laplacidité et l'ultime utilité du vide, desvides dont les coins n'en sont que lerelief vital.
Au coin du mur je ne suis qu'unintrus indésirable et qui pourtant ramène le centre d'intérêt et de gravitéau coin de l'espace. Les vides restants,ne prenants leur signification que parcomparaison et parallélisme. Le videdevient alors le facteur puissant d'unecomposition spatiale où les coins reflètent pour chacun d'eux une réalitécachée.
116
XIV
ENTRE PHLÉBITE ET
CROISSANCE
Entrephlébite etcroissance
Je suis atteint d'une curieuse phlébite qui fait de moi un colimaçon démodé, bousculé par le temps, stationnaireet infatué sur la selette des chausséesfébriles.
Je suis atteint d'une curieuse phlébite, et mes veines souffrent dans lacrainte de la croissance, impétencebénigne dont la purulence me donnela nausée. Mon sang coule telle unesève avariée au travers les vaisseauxballotés par les escarmouches de mapropre mémoire; et à chaque fois, jemonte sur le pupitre, comme à l'avantgarde de ma propre histoire, et je menoie deans les calendres de réminiscences d'un temps révolu, à jamaispassé, consommé, laminé et qui pourtant s'offre au présent comme un calice débordant.
Nostalgie du passé, âge d'or desorgines, défilé de souvenirs, angoisse
119
Anamnèses et transits
de l'avenir, refus de la maturation?Non tout simplement réminiscence dutemps qui cherche prise et substantiation dans l'inconstance et la continuité du devenir. Insouciance, raillerie etsublime audace.
Naviguer, tel un califourchon impétueux vers le cap cornu comme unéphèbe fantasmagorique et flamboyant, ferveur d'une fanfaronnade, fastesdes razzias sauvages, ivresse d'une démesure consciement vécue. Colifichetsd'escalandres en cascades.
Je suis atteint d'une curieuse phlébite, et je ne puis digérer l'amertumequi vient tarir mes veines, et je penseau temps, non au temps passé, ni auprésent ni à celui de demain, mais autemps qui aurait pu naitre et s' embraser dans un instant précis, au tempsdont l'arborescence transgresse lesimages d'épinaIs, au temps qui porte120
Entrephlébite etcroissance
les marques du possible de l'infaillible,au temps meilleur, au temps plus ample, au temps qui jette des arcadesd'une existence à une autre, le tempsd'une aspiration, d'une élévation; nonpoint l'ablution purificatrice et la résignation d'une expérience.
Je suis atteint d'une curieuse phlébite et je sens gonfler mes veines, hissételle une montgolfière, et peut être vivrai je l'envol dans l'hémorragie d'unnouvel instant qui naitra dans le regret de ne pas voir le jour.
121
xvL'AMOUR COMME LE
RICOCHET D'UN CENTAURE
Lamourcomme le ricochetdiJn centaure
L'amour apparaît au bout de l'errance d'un centaure qui vient s'échouersur le buste gonflé d'une tête de pontpromise. Dissipation du doute. Magnificence de l'évidence.
L'amour se conquiert par la pudeur,se vie dans la sérénité. En parler c'estdéjà se méprendre sur sa significationet son usage.
Le nommer, lui donner une imagec'est déjà déplacer son horizon toujours plus loin, pour le revoir revenirtel un ricochet avec un nouveau visage, le retour innopiné d'une mouetteégaré, éternel retour d'une blessure.
Tracer des viaducs pour remonterau fil du ricochet revient à y renoncer.
L'amour n'est pas hantise, il est unhôte privilégié qu'il convient d'honorer et choir pour tout juste compren-
123
Anamnèses et transits
dre qu'il est un don de l'éternité quine nous appartient pas, mais qui toutsimplement nous anoblit.
124
XVI
LES AUTRES OU
L'IGNORANCE DE SOI MiME
Les autres oul'ignorance de soimême
Que penser des autres? Le fait mêmed'y penser semble être une activité ingrate et peu honorable. Les autresétants ce qu'ils sont dans leur nombreet leur variété, une liste d'interrogationà poser et à résoudre se devrait d'êtredressée.
Je ne porte aucun intérêt particulièrement passionné pour ce genre delabeur qui par prédiléction et à priorime rends indifférent à tout forme d'ostracisme. Car comment penser aux autres sans s'exposer, sans procéder antérieurement à un examen approfondide cet autre qui est soi même; penseraux autres m'engagerait donc sur lelong et dangereux périple du jugement des autres qui m'exposerait àl'accusation d'ignorance, d'incompréhension, de manque de goût, de tact,de souplesse, de rejet.
127
Anamnèses et transits
Les autres étants tout simplement cequ'ils sont, repliés sur soi même, hostiles au regard des autres, allérgiquesaux qualifications lucides, préférantsse complaire le plus souvent dansl'auto méprise et la duperie.
Lorsque j'essaye pourtant de penser aux autres, ce n'est jamais en termes génériques, et je m'efforced'écarter toute équivoque sur l'existence d'une humanité unique, fraternelle et paisible. Pourtant lorsque jepense à l'autre c'est pour y trouverl'incarnation d'un principe quelconque, une issue ou une question possible, un trottoir peu fréquentable, unecertaine aura déconcertante, la voie desintelligences en lesquels je pourraisfaire l'expérience de modes de penserdifférents du mien et non analoguesaux autres; un autre niveau de conscience qui ne correspond pas à mes
128
Les autres oul'ignorance de soimême
préoccupations personnelles mais quiplutôt m'indispose dans l'habitus dema propre conscience de soi même.
Penser aux autres pour y déceler lesigne de l'excellence qui suscite enmoi l'élévation au dessus de la grégarité ambiante. Penser aux autres c'estêtre à la recherche de la racine d'uneéquation qui nous invite à décripter etdénombrer tous les impondérables etles inconnus, les zones inexploréesd'autre languages qui bouleversentnos propres repères relationnels. Penser aux autres, c'est croire en l'évocationd'une possible trame qui repose surune certaine cadence bien singulière,différente de toutes les autres.
Oui, une cadence qui ne ponctueplus les trames sociales d'un commerce d'intérêts et de vils amitiés decontingence, pour renter dans le cheminement d'une cadence qui ouvre la
129
Anamnèses et transits
voie vers l'évasion, la surprise, la terminaison ou la quiétude.
Je tiens à penser aux autres afin demesurer l'équidistance qui me séparepersonnellement des autres, et par humilité je m'abstiens de donner le tonafin de parer à la saturation que provoque la promiscuité des autres; je préfére rechercher dans l'autre l'ombred'une dominante quelconque, tendance rare qui se détache de l'oratoirevitupérant du nostrisme.
Cet exercice me libére de ma propreguinderie qui n'est que le palinodiqueâpre d'une déception certainement refoulée. Rechercher en l'autre la racined'une équation qui m'éloignera volontairement d'une possible reconnaissance, similutude confortante, l'autren'étant pas le dictame d'une auto affirmation ni d'une confirmation quelcon-
130
Les autres ou l'ignorance de soimême
que, mais le phasitron de nouvelles fréquences individuelles.
Il existe toujours une certaine 'tendance à tenir ses pensées, ses jugements et ses conclusions pour des acquisitions personnelles intouchables,inédites, tout comme l'attachement àdes préjugés peut conduire jusqu'autragique et au ridicule.
Les autres, le plus souvent ne sontque le reflet de nous mêmes, d'un moiqui se dérobe à la bassesse commune,à sa propre décrépitude, fuyant versles schémas sécurisants pour les uns,anarchiques et illusoires pour les autres; tous deux n'étants que le tableaud'une promiscuité humaine inévitableoù l'unique et l'absolu restent et resteront imperceptibles à tous ceux quipensent les autres en termes de prochains. C'est dâilleurs la raison pourlaquelle je vois sur le visage des au-
131
Anamnèses et transits
tres le parvis de l'affront et l'estuairede l'alibi d'une théodicée incontournable.
Que penser des autres? Rien de trèsparticulier, si ce n'est que faire la démarche de devenir tout d'abord étranger à soi même.
132
XVII
LA SALAMANDRE DE
L'ACTION
La salamandre de laction
Chaque homme à un moment donné de son existence est épris par l'éclatet la tentation de l'action. Tentationsubite, éclaire, réfléchie, couvée et latente, elle palpite dans les coeurschaleureux, brisée par l' arichmétiquesociale et par la stupide logique desconventions.
Il est difficile d'établir commentl'idée audacieuse en vient à germerd'une manière fugace dans les espritstortueux promis à des jours paisibles,puis jubiler à l'accouchement d'un parcours dialectique pour aboutir à la miseen mouvement de ce qui n'est au débutque pure abstraction, ou peut être pureimagination. La mise en branle del'impalpable, la mise en forme de lagélatine cérébrale. L'idée s' imprégnecomme un froid cataplasme sur lesoripeaux milésimés de l'ennui qui selanguit, avance, rampe et s'empresse,
135
Anamnèses et transits
accaparé entre l'être et le temps au coeur d'un noeud gourdien, noué tousdeux dans la salamandre sonore d'unpercusioniste jouant de sa simbale.
L'idée réconforte, pourrait on dire,l'action exalte. Le libre examen ne luisuffisant pas faute de reconnaissanceexterne, l'individu recherchera éperduement l'essence d'une vérité dansl'action. L'axiome l'idée prépare etprécéde l'action, pourrait être renverséen paradygme de l'action exultoired'une nausée persistante, la volitioncomme sursis d'une lente agonie.
Tendue comme une corde ajustéeaux dimensions inaccessibles et inattendues de la vie, l'idée se dissipe comme le lustre huméfié dans l'écumoirde l'action où s'enlisent les âmes ardentes, les paladins des cause perduesqui s'embrasent puis s'éteignent à tourde bras.136
La salamandre de I~ction .
C'est pourquoi l'action peut êtreperçue comme précédant la dissolu- 'tion.
Aussi sublime soit elle, elle porte enelle les stygmates de la négation alorsqu'elle est par essence affirmation. Peuimporte l'enjeu de l'action, pourvuqu'elle fournisse son lot d'intensités,représentation picturale de divers densités d'états d'âmes.
L'homme d'action est comme lecheval courant qui n'a pas quatre pattes,mais vingt. Dans cette constellation ascentionnelle de l'action, la vibration etle mouvement multiplient innombrablement l'objet diluant le pourquoidans la densité éparse des états d'âmesvirvoltants. Alors il devient une silhouette de corps vides s'exprimant à travers des lignes confuses sursautentes,
1 droites ou courbes, se mêlants à des
137
Anamnèses et transits
ébauches d'appel et de hâte. Par làs'exprime l'agitation chaotique des sentiments au coeur de l'action; chacunpeut devenir l'acteur d'une scène extérieure concrète, suspendu au trapèzed'une émotion intérieure qui reste néanmoins abstraite, même dans le feu del'action.
Ce n'est pas dans la finitude ni dansla finalité de l'action recherchée, maisdans l'incorporation d'emblée de celleci dans le cinétisme envoutant et vertigineux que l'on pourra peut être trouver un salut.
Pour ma part ce qui m'importe c'estde me mettre en route, accompagnerle cheminement vers l'essence vrai del'action. L'action âme soeur du doutedevient une intriguante devinette deceux qui souffrent de la tentation dunéant.
138
La salamandre de laction
Elle est un chemin qui ne mènenulle part, qu'empruntent les hommesnonchalants, emphatiques, au language lapidaire et menuet, trop maigrespour être malhonnêtes, des hommesqui resteront les mains vides. Je suisconvaincu que l'action est en quelquesorte le remède faustien aux malaisesintimes.
Mais très vite les illusions se dissipent, et la quête d'action vient nier trèsvite l'essence de celle ci, la luciditédébouchant inévitablement vers lenéant.
La tentation se renouvelle car lemalaise, la souffrance persistent ets'accroissent. Plus elle est forte, pluselle fascine et effraie. Pour ma part,L'action reste le creuset de mes propres ambiguités, de mes contradiction~ et de mes errances en quête demoi même. Elle secrète en elle cette
139
Anamnèses et transits
dualité oscillant entre doute et engagement, qui distille le fiel de la colère etl'amertume des désenchantements.
L'action m'ouvre les perspectivesdu dépassement de mon propre moi,qui lui même conduit vers l'emphytrion du néant, lequel surgit à la dérobée dans la cour d'une vision globaledu monde, expérience confortante.
La véritable question de l'expérience de l'action réside dans son issue,comme dans l'ultime paseo du taureador attendant l'attaque frontale dutaureau: "vient mort à la dérobée, queje ne te sentes pas venir, pour que leplaisir de mourir ne me redonne pasle gout de la vie".
Vaincu par le doute soit l'on péritdes certitudes du monde que l'onrefuse, soit l'on sort victorieux, en en-
140
La salamandre de laction
trant dans l'éternité par la voie dudoute.
Les options sont restreintes commele sont les étroites configurations et laquintessence de toute existence; seulreste le courage d'en assumer les conséquences, et c'est en cela que résidel'héroisme du néant, l'étoile promise,le septentrion de toute action.
141
xvmApPARTENIR OU LE CHEMIN
DE L'EXIL
Appartenirou le chemin de /~xi/
Trop souvent les individus expriment le besoin insatiable comme dictépar je ne sais quel instinct, d'appartenir.Appartenir à un groupe, à un moded'être, de vie, appartenir à une femme,ou tout simplement s'appartenir. Dansleur quête impérieuse vers ce pointd'ancrage qui s'apparente à une tire lirepsychologique de l'épargant sécuritaire, l'individu devient pitoyable, aussipitoyable qu'un chimpanzé névrotiqueà la recherche d'une congénére, l' appartenance à la même éspèce, s'identifiantà l'acte extrême et compatissant d'unecopulation rituelle. Pauvre et pitoyablecar la donnée, l'idée d'appartenancerestent indubitablement illusoires.
Tout bon sens aboutirait au constatque l'on n'appartient en fait à personne, ni à une chose, ou pire et plusrisible encore à une institution, et pourfinir on n'appartient encore moins à
143
Anamnèses et transits
soi même. Car la notion d'appartenance bouleverse le rapport subtil del'être et l'étant lequel s'inscrit dans lagratuité des actes libérés de toutes contraintes de la causalité prévisible, de lalogique des vases communiquants.
On pourrait hypothétiquement direcar ma pensée pourrait être elle mêmecontaminée par un état de réflexivitépossessive, que l'on peut présumer appartenir à un certain nombre de contextes, contexte sentimental, professionnel, amical, familial, qui ne sontque le fruit conjoncturel du hasard oula projection dans l'ordre des réalitésmatérielles ambiantes de nos désirs,nos ambitions, nos déceptions les plusintimes; les contextes se succédent autravers d'une série de constructions etde déconstructiuons, de décentrages etde recentrages, de décontextualisationset de recontextualisations.
144
Appartenirou /e chemin de lexil
Le vide de l'appartenance, le trounoir que tous redoutent surgit à lalisière d'une déconfiture contextuelle,d'un brutal décentrage, d'un viragesituationniste, où l'on est en quelquesorte éjecté au devant de la scène, horsdes scénarios, sans masques ni rôle àjouer; on n'appartient plus à rien si cen'est à rien.
Totalement désincarné il ne restealors plus qu'à subir le peinible parcours du déconditionnement, car l'appartenance est par essence conditionnement. Au nom d'une prétendue appartenance, on s'imagine comme ayantune prise sur certaines personnes, aunom de l'amour, du pouvoir, de l'intérêt, vénalité, cupid,ité, vanité se cumulants bref au nom de l'appartenance.
On prétend avoir au nom de cettemême appartenance, des prises de positions lesquelles sont aussi ridicules
145
Anamnèses et transits
et fictives, une position, un positionnement n'étant que le fruit des contingences, d'un certain ordre de choses donné sur lesquels l'on prétendavoir une maîtrise; alors le sens cachédes choses, le mystère de la vie et del'être pourraient bien nous échappercar ils n'appartiennent pas à la catégorie de l'avoir. Ils sont et demeurentpurement et simplement.
Au moment même où l'on sent etoù on l'on croit avoir une prise surquelqu'un, sur quelque chose, aussitôt sans s'en aperçevoir , ils semblentnous échapper par un curieux déplacement comme sur une parois glissantevers le domaine du potentiel, de l'autrepossible. Inutile d'escalader, les prisesn'étants que des niches d'argiles s' amenuisants au contact des pas hardis d'alpinistes inexpérimentés et naifs.
146
Appartenirou le chemin de I~xi/
La seule prise que l'on peut avoirest la prise sur une interrogation.L'appartenance est ici à l'image d'untableau solenoidal où l'on s'empressede remplir des cases vides manquantespar peur de ne pas être devant ou aucentre de l'objectif. Appartenir ou lamisérable complainte de notre prochain; l'avenir d'une humanité qui brailleet ressasse rle même soliloque, le refrain d'une même peur, la peur de neplus appartenir, et de se regarder enface, se faire face.
La seule appartennace qui soit oucelle qui puisse exister est celle d'unecontinuelle ellipse intérieure qui transite dans les méandres de l'inconnu etl'éphémère insondables et sans prises.
Appartenir en quelque sorte c'estmourir, il ne reste alors plus qu'à partir,prendre le chemin de l'exil.
147
,EBAUCHE n'UNE
CONCLUSION
Ébauche diJne conclusion
La correspondance que je puis établir entre les divers éléments qui se présentent à mes yeux ou à mon esprit,qu'ils se présentent sous la forme humaine, matérielle ou mentale, me restitue en d'autre termes la part faite àchacun.
Cet part est fixe et immuable. Nulde ces éléments comme du reste monpropre être ne peuvent se soustraire auxévénements compris dans leur lots.
Sous l'image poétique, la transparence et l'interprétation savante de ceséléments, on peut déceler l' enchainement indissoluble des faits et des démarcations indestructibles des chosesdans l'indifférenciation la plus complète. L'idée de destinée n'est peut êtrerien de plus que cette idée d'indifférenciation.
Les éléments appartiennent au règnedu déterminé et c'est ce qu'on pres
149
Anamnèses et transits
senti les divinations. Ces éléments quijuchent mes pensées, n'éveillent enmoi aucune forme de concupiscence.Ils deviennent les muses de l'élégance,sphragistiques d'une droiture élémentaire, les maitresses d'une certaine vertu.
Les éléments fortifient en moi lesens de la mesure et des limites quisont imposées à tous les êtres.
Ils produisent en moi une sorte denémésis qui réprime les excès, chassela prospérité complète, se défend detoute ivresse pour imposer une puissance sourde aux destinées.
À leur côté, j'éprouve le sentimentpur et fin d'un jouvenceau. J'y éprouve le gout de la parure et me fais lepalicare intansigeant de la beauté.
Nulle part l'instinct n'a été si lucideet la raison si spontanée.150
Ébauche dune conclusion
Les éléments, s'ils essayent de concevoir ou de représenter le monde,alors ils le font à l'image de leur esprit, et c'est en ce sens qu'ils constituent pour moi le premier éveil d'uneréflexion indifférenciée.
151
TABLE DES MATIÈRES
Éléments et indifférenciation: Correspondances 6
1 Présence au monde 20
n Lejasmind'unéveil 26
ID Lumièred'icône 32
N Flammes et obombrations 40
V Ligne et sphère 44
VI Masses et idées 54-
vn À la fenêtre d'un oiseau ft)
vm Les mots comme des coquilles vides 84
IX Sonorités et phasmes ~
X Au bout du pinceau telle une trace dense etpure %
XI Que ne suis je le diapason d'une récolteéphémère 100
XII Anamorphoses et intervalles 104
xm Au coin du mur 112
XIV Entre phlébite et croissance 118
XV L'amour comme le ricochet d'un centaure. 122
XVI Les autres ou l'ignorance de soi même 126
xvn La salamandre de l'action 134
xvm Appartenir ou le chemin de l'exil 142
Ébauche d'une conclusion 148