kabat-zinn · 2020. 10. 21. · jon kabat-zinn “nousavons d’iune aue besoin de pleine...

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  • L INVITE

    PROPOS RECUEILLIS PAR

    CHRISTILLA PELLÉ-DOUËL

    Jon

    Kabat-Zinn“Nous avons

    d’iune aue

    besoin

    de

    pleine conscience”

    Le célèbre professeur de médecine

    publie L’Eveil de la société.

    Il y explique comment, selon lui, laméditation laïque de pleine conscience

    est un outil de changements

    politiques indispensables. Rencontreavec un homme qui questionne

    le monde, jusqu’à la devise française.

    Psychologies : Deux articles

    récents ont parlé de la méditation

    de pleine conscience comme

    d’une activité presque sectaire.

    Qu’en pensez-vous ?

    J.K.-Z. : Je crois qu’il y a une suspi

    cion qui traîne parce que cette médi

    tation est d’origine bouddhiste, et

    que le bouddhisme est associé, dans

    l’esprit français, à une religion. Or

    la méditation de pleine conscience a

    profondément à voir avec la nature

    humaine et pas du tout avec une reli

    gion. Il s’agit d’un mouvement laïc, à

    la portée de tous, qui nous permet

    simplement d’être plus éveillés.

  • BRYCE VICKMARK/POLARIS/STARFACE

    Différents domaines scientifiques

    l’étudient : les neurosciences, la psy

    chiatrie, la biologie, mais d’autres

    secteurs s’en emparent. L’Assemblée

    nationale française, le Parlement

    britannique ont déjà mis en place

    des sessions de méditation. En 2005,

    quand mon premier livre a été publié

    en France - dernier pays en Europe à

    le traduire -, c’était l’un des premiers

    à expliquer comment reconnecter

    le corps et l’esprit. Sans notre corps,

    sans nos sens, nos yeux, nos oreilles,

    notre toucher, nous ne pouvons pas

    envisager le monde ! Celui-ci est en

    train de se transformer profondé

    ment et nous avons besoin de toute

    notre conscience, de toute notre luci

    dité pour pouvoir l’appréhender et

    permettre à chacun d’y vivre bien.

    Comment la méditation de

    pleine conscience pourrait-elle

    permettre de changer le monde

    politique et économique? Cela

    semble très bizarre...

    J.K.-Z. : Je comprends. C’est une

    question fondamentale. Ce qui était

    inimaginable il y a cinquante ans se

    produit aujourd’hui. Si on pense en

    termes très larges, à hauteur de l’his

    toire, observons. Le XXe siècle sera

    JON

    KABAT-ZINN

    Professeur émérite de médecine,

    spécialisé en biologie moléculaire,

    il est à l’origine de l'intérêt

    scientifique international pour la

    méditation de pleine conscience.

    Il a fondé la Clinique de réduction

    du stress (MBSR, réduction

    du stress basé sur la pleine

    conscience) et le Centre pour

    la pleine conscience en médecine.Et a publié de nombreux ouvrages

    dont Au cœur de la tourmente,

    la pleine conscience ou encore

    Où tu vas, tu es (J’ai lu).

    connu désormais par les historiens

    comme celui durant lequel le boud

    dhisme s’est répandu à l’Ouest. Mais

    il est surtout connu pour être le siècle

    des plus grands massacres de masse

    de l’histoire. Pourquoi mettons-nous

    notre intelligence au service de la

    mise au point d’armes de plus en plus

    sophistiquées? Pourquoi des mil

    lions de personnes ont-elles été brû

    lées dans les fours crématoires sur les

    ordres du pays le plus cultivé, la patrie

    de Mozart, Beethoven, Einstein ? C’est

    inconcevable ! J’ai l’habitude de dire

    que si chaque cellule du cœur était

    meilleure que les cellules du foie et

    leur disait : « Nous sommes meilleures

    que vous, nous n’avons pas besoin

    de vous », ce serait la mort assurée !

    Mais c’est comme cela que vivent les

    humains ! Nous ne pouvons pas nous

    échapper de la planète, nous sommes

    tous liés. Et nous devons nous réveil

    ler. Vous allez me dire : « OK, Jon, et

    maintenant, que fait- on ? »

  • “Je suis peut-être fou, maisj’ai une confiance immense

    dans le fait que nous pouvons

    tous nous y mettre”

    Alors, je vous dis : « OK, Jon,

    et maintenant, que fait-on ? »

    J.K.-Z. : Comment puis-je, moi tout

    seul, répondre à cette question ? C’est

    une réponse collective qui doit venir.

    Mettez côte à côte tous les penseurs,

    de Socrate à Einstein, croyez-vous

    qu’ils soient entendus? Non ! Parce

    que cela doit venir de la conscience de

    chacun, pas de l’extérieur. C’est pour

    cela que j’aime la pleine conscience.

    Parce que, lorsque vous éprouvez

    cette expérience dans votre corps et

    votre esprit, quelque chose se produit.

    Une découverte plus large de qui vous

    êtes, de votre place dans le monde. Et

    cela a une influence immédiate sur

    votre comportement. Cela change

    vos connexions cérébrales, l’activité

    de vos neurones, cela influe sur votre

    bien-être. Et ce mieux-être ne coûte

    rien ! Il permet même d’économiser

    des millions de dollars ou d’euros

    en évitant des maladies, des dépres

    sions... Je suis peut-être fou, mais j’ai

    une confiance immense dans le fait

    que nous pouvons tous nous y mettre.

    Comment une seule activité, la

    méditation de pleine conscience,

    pourrait-elle parvenir à

    résoudre tous les problèmes ?

    C’est le discours des sectes,

    ou des régimes totalitaires...

    J.K.-Z. : Mais ce n’est pas une baguette

    magique ! L’éveil des consciences en

    lien avec le sens commun, c’est cela

    la clé. L’Assemblée nationale ou le

    Parlement ne pourraient-ils pas, à

    travers les lois, faire réduire ce qui

    ne va pas et augmenter ce qui nous

    permettrait de nous sentir mieux?

    Et ouvrir le dialogue pour trouver

    ensemble ce qui pourrait être bon ?

    Bien sûr, les choses ne vont pas chan

    ger en un claquement de doigts.

    Le problème, c’est qu’il ne nous

    reste pas beaucoup de temps,

    si l’on considère le réchauffement

    climatique et les problèmes

    de la planète...

    J.K.-Z. : Oui, c’est vrai. En sep

    tembre 2011, ma femme et moi

    enseignions sur la côte ouest lorsque

    l’attaque du World Trade Center est

    survenue. L’un des enseignants, un

    maître zen japonais, nous a donné

    une affiche d’une calligraphie de

    Yenso1, accompagnée d’une phrase

    qui disait : « N’oubliez jamais de

    regarder loin, dans la perspective

    des milliards d’années qui sont

    devant nous. » Nous devons envisa

    ger la vie à cette échelle. Cela ne fait

    pas bouger les choses spectaculaire

    ment ! Tout reste à sa place, sauf que

    nous devenons conscients, éveillés,

    et nous pouvons alors voir les événe

    ments sous un angle différent. C’est

    un agrandissement de nos capaci

    tés. C’est ainsi que le corps politique

    peut se modifier.

    Votre livre est sous-titré :

    « La révolution de la méditation ».

    C’est cela que vous voulez dire ?

    J.K.-Z. : Je n’aime pas cette termi

    nologie. C’est un vocabulaire un peu

    trop ambitieux. Vous savez, « révo

    lution » et « méditation » laissent

    penser que cela peut résoudre tous

    les problèmes, ce qui n’est pas exact !

    Le sous-titre américain est « La

    sagesse de transformer le monde »

    (il inspire et expire). Si je n’avais pas

    pris cette respiration, je serais mort

    et nous n’aurions plus cette conver

    sation. La pleine conscience est aussi

    fondamentale que cette respiration

    profonde. Si vous prêtez vraiment

    attention à cette respiration, alors

    vous êtes proche de la porte qui mène

    à la conscience. Bien sûr que nous

    ne parvenons pas à être attentifs à

    chaque inspiration. Notre esprit est

    instable... Mais si une personne peut

    le faire, une seule personne dans une

    famille, alors, de proche en proche,

    les choses peuvent changer. Pourquoi

    cela ne serait-il pas possible ?

    Voyez-vous la pleine conscience

    comme un outil de libération?

    J.K.-Z. : Oui! Sortons enfin des

    fractures, des inégalités. En France,

    le Panthéon n’a accueilli que six

    femmes jusqu’à maintenant. Et aux

    Etats-Unis, le chemin est encore long,

    particulièrement pour les femmes, et

    davantage encore pour les femmes de

    couleur! Posons-nous la question à

    partir de votre devise : Liberté, pour

    qui? Egalité, pour qui? Fraternité,

    pour qui? Si ces questions résonnent

    pour vous, évoquent quelque chose,

    alors faites le chemin et commencez

    à méditer, afin de réunir votre corps

    et votre esprit. Jour après jour, vous

    vous sentirez plus vivant. Regardez

    Claude Monet : sa peinture, c’est cela.

  • C’est un tout. Il fait partie de la nature

    qu’il peint. Et cela réveille les gens :

    vous voyez la brume, vous voyez la

    pluie, vous voyez la boue, le soleil. La

    pleine conscience peut nous aider à

    atteindre cette beauté, cette compré

    hension du monde.

    Mais je ne comprends toujours

    pas comment elle peut avoir

    une influence sur la politique

    ou l’économie...

    J.K.-Z. : Nous observons tout cela

    en cherchant quelles sont les motiva

    tions des politiciens, des industriels,

    et nous y voyons l’avidité, la bruta

    lité, le goût du pouvoir. Pourtant, il y

    en a bien d’autres, comme l’altruisme

    par exemple. Le livre de Matthieu

    Ricard [Plaidoyer pour l’altruisme,

    Pocket, ndlr] expose clairement

    que l’altruisme est l’une des moti

    vations profondes de nos actions.

    Demandons-nous : comment faire

    pour mettre des barrières à la cupi

    dité de manière à ce que chacun

    puisse bénéficier de revenus de base

    pour vivre décemment, et avoir le

    droit de ne pas démarrer dans la vie

    dans la pauvreté ? Tout le monde a ce

    droit. Et c’est faisable ! J’ai tenu ces

    propos de nombreuses fois. Je me

    souviens en particulier d’un dîner à

    Strasbourg avec Matthieu Ricard face

    à des économistes français... Nous

    devons convaincre ces personnes,

    leur permettre de reconnecter leur

    corps et leur esprit. Je sais que ce n’est

    pas facile, mais nous devons nous diri

    ger vers cela. Regardez l’Afrique du

    Sud et Mandela, qui aurait pu penser

    que ce pays surmonterait les années

    d’apartheid? Les choses avancent,

    trop lentement, mais elles avancent.

    La pleine conscience nous permet

    d’ouvrir notre regard, de sortir de nos

    petits intérêts. Quelle serait l’alter

    native sinon? Affronterons-nous le

    réchauffement climatique en restant

    aveugles? Allons-nous demeurer

    sourds aux besoins d’égalité et de jus

    tice qui se font entendre ? Que se pas-

    sera-t-il dans les trente prochaines

    années si nous ne nous réveillons

    pas? Ce n’est pas une plaisanterie,

    nous n’avons pas une centaine d’an

    nées devant nous ! C’est cela que dit

    ce livre. Ce n’est pas le livre de Jon

    Kabat-Zinn, l’Américain qui vient

    dire aux Français ce dont ils ont

    besoin. Absurde ! Mais si ma voix peut

    avoir un peu de poids auprès des gens,

    tant mieux. Nous vivons un moment

    historique, plein de possibilités. A

    nous de les faire advenir. Le réchauf

    fement s’accélère. Des épidémies

    apparaissent.

    Justement. Vous parliez du

    souffle. Or le Covid-19 est

    une maladie de la respiration.

    Serait-ce une métaphore de

    l’essoufflement de nos sociétés?

    J.K.-Z. : Vous avez raison. C’est une

    terrible ironie. Quand Eric Garner

    et George Floyd ont été tués par la

    police aux Etats-Unis, qu’ont-ils dit

    avant de mourir? « I can’t breathe »

    [« Je ne peuxpas respirer »]. Oui, nous

    sommes face à une immense occasion

    de nous ouvrir, de respirer, de changer,

    partout dans le monde.

    Constatez-vous une

    augmentation du nombre de

    personnes pratiquant la

    méditation de pleine conscience ?

    J.K.-Z. : En France, je ne sais pas,

    mais aux Etats-Unis, oui. Beaucoup

    d’écoles permettent aux enfants de

    pratiquer. Il ne s’agit pas d’une solu

    tion globale pour tous les problèmes,

    mais d’un moyen de s’ouvrir au

    monde et de transcender nos intérêts

    personnels. Benjamin Franklin, lors

    de la Déclaration d’indépendance, a

    dit ceci : « Nous ferons mieux de nous

    joindre les uns aux autres, sinon nous

    serons pendus séparément. » C’est ce

    que nous devons faire. Pas seulement

    pour nous, mais pour les générations

    à venir. Nous ne pouvons pas conti

    nuer à être cupides jusqu’à épuiser les

    ressources en eau ou en nourriture,

    c’est un non-sens ! Nous avons besoin

    d’une politique de pleine conscience,

    c’est certain. J’ai confiance. Les

    hommes ont été capables de magni

    fiques réalisations. Nous pourrons

    réaliser le « nous ».

    l.Enso, « cercle » en japonais, symbole

    de la vacuité et de l’achèvement dans

    le bouddhisme zen.

    L’Éveil de la société de Jon

    Kabat-Zinn. Comment la pratiquede la pleine conscience peut-

    elle changer le monde? Cest la

    question à laquelle l'auteur veut

    répondre. Pour lui, cette pratiqueest véritablement porteuse

    (« enceinte » dit-il) d une capacité

    de transformation politique et

    sociale, permettant de modifier enprofondeur notre appréhension

    du monde et des relations humaines.En 2013

    , la méditation a fait son

    entrée au Parlement britannique ;

    en France, un programme est proposéaux députés

    depuis 2017. Cela

    sera-t-il le début

    d une nouvelle

    manière

    d'envisager la

    politique? Qui

    sait? (traduit par

    Olivier Colette,

    Les Arènes,240

    p„ 19,90 €).

    Jon Kitbal-Zïnn

    LÎÉVEILDE LA SOCIÉTÉ

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