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 L'homme qui rit Extrait du Lycées de Fécamp http://maupassant-lyc. spip.ac-rouen.fr/spip. php?article1225 L'homme qui rit - Enseignement - Disciplines - Lettres et sciences humaines - Lettres - Français - Corpus : le thème du monstre - Date de mise en ligne : mercredi 18 avril 2012 Description : Dans le cadre d'un travail sur le monstre effectué avec les 1S4, voici un commentaire du texte de Victor Hugo figurant à la page 277 du manuel de première "  L'écume des lettres ". Lycées de Fécamp Copyright © Lycées de Fécamp Page 1/4 

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  • L'homme qui rit

    Extrait du Lyces de Fcamp

    http://maupassant-lyc.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article1225

    L'homme qui rit- Enseignement - Disciplines - Lettres et sciences humaines - Lettres - Franais - Corpus : le thme du monstre -

    Date de mise en ligne : mercredi 18 avril 2012

    Description :

    Dans le cadre d'un travail sur le monstre effectu avec les 1S4, voici un commentaire du texte de Victor Hugo figurant la page 277 du manuel de premire "

    L'cume des lettres".

    Lyces de Fcamp

    Copyright Lyces de Fcamp Page 1/4

  • L'homme qui rit

    TexteC'est en riant que Gwynplaine faisait rire. Et pourtant il ne riait pas. Sa face riait, sa pense non. L'espce de visageinou que le hasard ou une industrie bizarrement spciale lui avait faonn, riait tout seul. Gwynplaine ne s'en mlaitpas. Le dehors ne dpendait pas du dedans. Ce rire qu'il n'avait point mis sur son front, sur ses joues, sur sessourcils, sur sa bouche, il ne pouvait l'en ter. On lui avait jamais appliqu le rire sur le visage. C'tait un rireautomatique, et d'autant plus irrsistible qu'il tait ptrifi. Personne ne se drobait ce rictus. Deux convulsions dela bouche sont communicatives, le rire et le billement. Par la vertu de la mystrieuse opration probablement subiepar Gwynplaine enfant, toutes les parties de son visage contribuaient ce rictus, toute sa physionomie y aboutissait,comme une roue se concentre sur le moyeu ; toutes ses motions, quelles qu'elles fussent, augmentaient cettetrange figure de joie, disons mieux, l'aggravaient. Un tonnement qu'il aurait eu, une souffrance qu'il auraitressentie, une colre qui lui serait survenue, une piti qu'il aurait prouve, n'eussent fait qu'accrotre cette hilaritdes muscles ; s'il et pleur, il et ri ; et, quoi que ft Gwynplaine, quoi qu'il voult, quoi qu'il penst, ds qu'il levait latte, la foule, si la foule tait l, avait devant les yeux cette apparition, l'clat de rire foudroyant. Qu'on se figure unette de Mduse gaie.

    Victor Hugo, L'homme qui rit, 1869.

    IntroductionOn reconnat dans Victor Hugo le gnial crateur du personnage de Quasimodo, cet tre contrefait et gnreux,dsesprment attach la belle Esmralda. Cette fascination personnelle et romantique pour le mariage du laid etdu beau, cet art de rendre les contrastes violents entre l'apparence et l'tre sont galement l'oeuvre dans L'Hommequi rit. Rduit l'tat de monstre grimaant par la mchancet des hommes, Gwynplaine souffre lui aussi de sadifformit.

    Son rire irrsistible s'impose la foule comme il s'impose lui-mme. Mais si son corps est une mcanique dvoye,son me est un tourbillon de sentiments.

    Un rire irrsistibleLe rire du hros s'impose tous, lui comme aux autres.

    Il s'impose la fouleLa premire caractristique du pseudo rire de Gwynplaine est de subjuguer la foule : "C'est en riant que Gwynplainefaisait rire." La phrase liminaire du texte sonne comme une vidence. En tmoigne la rptition du verbe rire : le motapparat d'ailleurs douze fois dans le texte, soit sous forme de verbe, soit sous forme de nom ! Plus loin, Hugoemploie les qualificatifs "automatique" et "irrsistible" (ligne 7). Plus loin encore, il associe dans une phrase lapidairela mcanique du rire celle du billement : "Deux convulsions de la bouche sont communicatives : le rire et le

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    billement" (lignes 8 et 9). L'utilisation du mot "convulsion" n'est pas anodine, car ce terme pjoratif dvalorise laporte du rire, qu'elle rend suspect. Deux passages du texte vont cependant plus loin : le rire devient inquitant, quis'impose tous au dtriment de toute libert de pense : "Personne ne se drobait ce rictus" (ligne 8), ou encore :"Tout ce qu'on avait dans l'esprit tait mis en droute, et il fallait rire." L'utilisation du pronom indfini "on" renforce icil'universalit de cette inquitante raction ; le recours au substantif "droute", quant lui, dramatise l'effet mcaniqueproduit sur la foule par le rire de Gwynplaine. Nulle condamnation du rire de cette foule : elle aussi est victime del'trange mutilation du malheureux.

    Mais ce rire, s'il s'impose aux spectateurs, n'est pas moins un fardeau pour celui qui le provoque.

    Il s'impose GwynplaineCar c'est contre son gr que cet tre malheureux suscite l'hilarit. C'est ce que rvlent les deux phrases initialesqui, plus qu'une antithse, constituent un vritable paradoxe matrialis par l'adverbe "cependant", paradoxe relaypar la phrase extrmement condense "Sa face riait, sa pense non." o l'asyndte [1] renforce la violence ducontraste. Cette opposition se condense d'ailleurs dans une nouvelle formule violemment paradoxale : "s'il etpleur, il et ri", assne le narrateur aux lignes 16 et 17. Si le tragique est ce contre quoi on ne peut rien, alors ledestin de Gwynplaine est vritablement tragique : "toute sa physionomie aboutissait [ ce rictus] comme une roue seconcentre sur le moyeu [2]" (lignes 11 et 12). Que nous enseigne cette comparaison ? Elle nous renvoie lasymbolique de la roue et de l'ternel retour et la convergence fatale vers le centre. Elle enferme Gwynplaine dansson infirmit.

    Un divorce du corps et de l'meAinsi enferm dans son corps, le personnage de Gwynplaine - comme le faisait dj Quasimodo dans Notre-Damede Paris - illustre pleinement le divorce entre le corps et l'me du hros.

    Le corps, une mcanique dvoyeQuand Hugo voque "un rire automatique" (ligne 7), c'est vritablement d'un rire d'automate qu'il s'agit. Le visage deGwynplaine est proprement parler un masque, comme celui que portaient les comdiens antiques. Un masquelourd et inamovible, car "ptrifi" (ligne 8). Si l'on consent toutefois prter un peu de vie ce visage, c'est un"rictus" [3] qu'on voque par deux fois, pour aboutir une curieuse alliance de mots voquant une impossible"hilarit des muscles" (ligne 16).

    Hugo laisse planer un doute sur les causes de la monstruosit de Gwynplaine. "On lui avait jamais appliqu le riresur le visage" (ligne 6). Qui est ce "on" mystrieux ? Le narrateur a certes voqu plus haut "le hasard ou uneindustrie bizarrement spciale" (ligne 3). Que dit le dictionnaire de ce mot "industrie" ? Il s'agit d'un "Recours desmoyens, des procds habiles ou adroits d'une honntet douteuse pour arriver ses fins." (ATLIF) Ici s'insinuedonc le motif de la mutilation volontaire voque dans le paratexte. La suite du texte confirme cette intuition, lorsquele narrateur voque "la mystrieuse opration probablement subie par Gwynplaine enfant". vocation prudentecertes, comme en tmoignent le qualificatif "mystrieuse" et l'adverbe modalisateur "probablement". Habilement,Hugo entretient un climat de mystre et, surtout, vite le pige du pathtique.

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    Mais qu'y a-t-il derrire ce visage ternellement grimaant ? Un vide ? Un tourbillon de sentiments ?

    Un tourbillon de sentimentsOn pourrait croire l'impassibilit de Gwynplaine, sa stupeur ou sa stupidit : "Gwynplaine ne s'en mlait pas"(ligne 4) ; "ce rire [...] il ne pouvait l'en ter" (ligne 5). Dans la multiplication des propositions ngatives, on relve larsignation impuissante du personnage.

    Nanmoins, il est trs vite question d'"motions" (ligne 12). De surcrot, la phrase la plus longue, la plus travaille, laplus oratoire du texte (voir les lignes 14 19) est celle qui, prcisment, voque un torrent de sentiments :"tonnement", 'souffrance", "colre", "piti" se succdent sous forme de gradation travers des groupes nominauxsymtriquement construits sur le mme schma : dterminant, nom, subordonne relative. Au sein de cette mmephrase, ces groupes sont bientt relays par trois verbes : "ft", "voult" et "penst", sertis dans trois subordonnesd'opposition qui constituent une puissante anaphore.

    Aucun doute : cet homme ressent, pense, souffre.

    ConclusionSans pathtique aucun , mais avec un sens du tragique prouv, Hugo attire notre compassion sur la destineeffrayante de cet homme prisonnier de l'apparence qu'on lui a forge. Il nous enseigne voir l'homme derrire lemonstre, la ralit derrire les apparences.

    Dans Elephant Man , le docteur Treves met au dbut du film le voeu que John Merrick soit "un crtin congnital"afin qu'il lui soit pargn la conscience de sa propre difformit. Malheureusement, John Merrick comme Gwynplainesavent comment on les peroit et quel mal on peut leur faire. Ils choisiront l'un et l'autre de quitter dfinitivement unmonde qui n'est pas fait pour eux...

    [1] Une asyndte est une figure de construction qui consiste supprimer les mots coordonnants (et, mais, or, ou, etc.) entre les propositions.

    [2] Partie centrale d'une roue (de vhicule), guidant la rotation autour de l'essieu ou assurant la liaison avec l'arbre

    [3] Contraction des muscles peauciers de la face due un spasme nerveux et donnant au visage l'expression d'un rire forc

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