l immigration irlandaise aux etats-unis

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1 L’immigration irlandaise aux États-Unis au XIXème siècle De 1860 à 1910, la population des États-Unis triple. Cet accroissement est dû à deux facteurs combinés d’excédent des naissances (population jeune) et de forte immigration (européenne sur la façade ouest). Les émigrants européens voient dans l’immensité du territoire américain des possibilités de vie et d’action illimitées. L’immigration américaine s’est faite en deux étapes : Jusqu’en 1890, de 400 000 à 500 000 migrants par an arrivent des Iles britanniques, d’Allemagne, de Scandinavie. Les Irlandais se fixent dans les villes du Nord-Est et surtout à New York où ils représentent un tiers de la population étrangère. Les Allemands préfèrent Chicago et les Scandinaves s’installent autour des Grands Lacs. Convaincus des bienfaits du melting pot, les Américains accueillent sans réserve ces vagues successives d’immigrants, en majorité anglo-saxons et protestants. Dans un deuxième temps, fin XIX° et début XX°: le nombre des migrants augmente fortement. De 1900 à 1914, plus de neuf millions d’étrangers entrent sur le territoire (soit presque le quart de la population française). Les nouveaux migrants viennent d’Italie, d’Autriche Hongrie, des Balkans, de Russie. Ce sont des paysans chassés par la misère; des slaves et des juifs fuyant les persécutions politiques ou religieuses, des misérables, des illettrés (50% des Italiens), des non qualifiés aux langues et aux mentalités différentes. Cette population pauvre s’entasse dans les villes de la côte atlantique. Parmi ces nombreux migrants, on compte plus de 5 millions d’Irlandais.

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L’immigration irlandaise aux États-Unis au XIXème siècle

De 1860 à 1910, la population des États-Unis triple. Cet accroissement est dû à deux facteurs combinés d’excédent des naissances (population jeune) et de forte immigration (européenne sur la façade ouest). Les émigrants européens voient dans l’immensité du territoire américain des possibilités de vie et d’action illimitées.

L’immigration américaine s’est faite en deux étapes :

‒ Jusqu’en 1890, de 400 000 à 500 000 migrants par an arrivent des Iles britanniques, d’Allemagne, de Scandinavie. Les Irlandais se fixent dans les villes du Nord-Est et surtout à New York où ils représentent un tiers de la population étrangère. Les Allemands préfèrent Chicago et les Scandinaves s’installent autour des Grands Lacs. Convaincus des bienfaits du melting pot, les Américains accueillent sans réserve ces vagues successives d’immigrants, en majorité anglo-saxons et protestants.

‒ Dans un deuxième temps, fin XIX° et début XX°: le nombre des migrants augmente fortement. De 1900 à 1914, plus de neuf millions d’étrangers entrent sur le territoire (soit presque le quart de la population française). Les nouveaux migrants viennent d’Italie, d’Autriche Hongrie, des Balkans, de Russie. Ce sont des paysans chassés par la misère; des slaves et des juifs fuyant les persécutions politiques ou religieuses, des misérables, des illettrés (50% des Italiens), des non qualifiés aux langues et aux mentalités différentes. Cette population pauvre s’entasse dans les villes de la côte atlantique.Parmi ces nombreux migrants, on compte plus de 5 millions d’Irlandais.

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1. Pourquoi les Irlandais quittent-ils en masse leur pays ?

Entre 1845 et 1849, l’Irlande fut frappée par une famine majeure, connue sous le nom de Grande Famine. La famine perdura jusqu’en 1851. On estime que plus d’un million de personnes moururent de faim ou de maladies liées à la famine, et que deux millions d’Irlandais partirent pour les États-Unis.

 Doc 1  La misère des Irlandais

Gravures, Illustrated London News, 1847 (à gauche), 1849 (à droite)

 Doc 2  Un extrait d’un roman contemporain, La loi des rêves

« - De la viande, pas de céréales. Du bœuf et du mouton, voilà ce qui rapporte, lui a expliqué l’agent du landlord. Ces coteaux montagneux qui sont les vôtres - les moutons y seront très bien.L’Irlande importait par troupeaux entiers des moutons et des vaches écossaises.- J’ai soixante familles de tenanciers qui vivent là-haut, protesta Carmichaël.- C’est trop. Il n’y en a pas assez pour tout le monde. […] Débarrassez-vous d’eux, conseilla sèchement l’agent. En un mot : expulsion ! […]- Je ne peux pas les déloger. […]- Le mildiou a frappé chez vous ? s’enquit l’agent. Je l’ai entendu dire. Suis-je bien renseigné ?- Sur les hauteurs, on n’a encore rien ramassé. Il est encore trop tôt pour juger.- Mais le mildiou a gagné la région de Scarriff, n’est-ce pas ? Les terres en bordure de rivière, si je ne m’abuse? Les feuilles poussent-elles noires ?- Oui.Le fermier avait pu le constater de ces propres yeux le matin même.- Dans ce cas, le mal gagnera la montagne, décréta l’agent, l’air content de lui. On n’a pas le choix. Sans leurs patates, s’ils trainent plus longtemps là-haut, d’une façon ou d’une autre, vous serez débarrassé de ces gens-là. La surpopulation, monsieur, voilà ce qui coule ce pays.Et c’était la vérité. »

Peter Behrens, La loi des rêves, trad. de l’anglais par I. Chapman,Christian Bourgois éditeur, 2008

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 Doc 3  Tubercule de pomme de terre atteint par le mildiou

Source : photo INRA

 Doc 4  Le départ

Frank Leslie's illustrated newspaper, vol. 21, 1866 (Library of Congress)

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2. Dans quelles conditions se déroulent le voyage et l’entrée aux États-Unis ?

À la fin du XIXe siècle, les moyens de transport maritime ont évolué. Jusque là, les immigrés arrivaient par bateau à voile. Désormais, grâce aux innovations en matière de moteur à vapeur, de plus grands navires permirent d’amener davantage d’immigrés aux États-Unis.

Les migrants débarquaient à Ellis Island, avant d’entrer aux États-Unis.

Située dans l’état du New Jersey, cette île accueillit environ 20 millions de personnes entre son ouverture le 1er janvier 1892 et sa fermeture en novembre 1954. Certains jours on pouvait examiner jusqu’à 5 000.

L’examen est d’abord médical. Des médecins militaires observent rapidement la démarche des candidats, cherchant les signes des soixante affections ou défauts (physiques et mentaux) chez chaque individu. Si un problème est identifié, le sujet est instantanément marqué d’une croix à la craie blanche. Il subit ensuite un examen plus approfondi.

Une série de questions est posée à chaque arrivant. Comme il n’y a aucun moyen de recouper les informations, les agents s’appliquent à être intimidants et suspicieux afin de débusquer les éventuels menteurs. S’ajoutent aussi les incompréhensions et malentendus dus aux problèmes linguistiques. En outre, sans que cela ait été officiel, la règle générale voulait que chaque immigrant ait sur lui de quoi payer le voyage jusqu’à sa destination finale et 25 dollars (l’équivalent d’une semaine de salaire d’un fonctionnaire comme ceux travaillant sur l’île).

Ceux à qui on refuse l’entrée sur le territoire américain doivent reprendre au plus vite le même bateau pour rentrer chez eux. On estime que seulement 2% des immigrants étaient rejetés, soit parce qu’ils étaient porteurs d’une maladie contagieuse, soit parce qu’ils n’étaient pas en mesure de travailler et risquaient donc de devenir une charge pour la société).

Cf. l’article sur l’immigration aux États-Unis

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3. Comment vivent les Irlandais aux États-Unis ?

Ces immigrés irlandais qui quittèrent leur pays à l'époque de la grande famine furent parmi les plus désavantagés que les États-Unis aient alors jamais connus. Ils vivent dans les sous-sols, dans des caves ou dans des appartements d’une seule pièce privés de lumière naturelle et de ventilation, et souvent inondés par les égouts. Le choléra, la fièvre jaune, le typhus, la tuberculose et la pneumonie y sont particulièrement répandus. En outre, nombreux immigrés irlandais sombrent dans des maladies mentales, fréquemment compliquées par l'alcoolisme. Ils sont alors admis en nombre disproportionné dans les maisons des pauvres et les hospices et ils figurent en tête de liste des registres de police relatifs aux arrestations et aux peines de prison, en particulier pour trouble à l'ordre public.

Les immigrés irlandais sont essentiellement des travailleurs non qualifiés, prêts à travailler pour un salaire de misère et souvent embauchés pour remplacer des ouvriers en grève et briser ainsi les mouvements sociaux.

La présence d’Irlandais suscite chez certains américains de souche une forme de racisme. Ce sont les nativistes qui reprochent aux irlandais leur religion catholique.

En 1834, des émeutiers brûlèrent le couvent des Ursulines à Charlestown, dans le Massachusetts. En 1836, des nativistes de New York publièrent le récit d'une jeune femme souffrant de troubles mentaux et qui disait avoir été témoin d'actes de débauche et d'infanticides lorsqu’elle était dans un couvent. Le livre, qui avait pour titre Awful Disclosures of Maria Monk (Les Révélations horribles de Maria Monk), connut un succès considérable. En 1844, des émeutiers nativistes brûlèrent deux églises catholiques dans les faubourgs de Philadelphie à la suite d'un litige relatif à la version de la Bible qui devait être utilisée dans les écoles publiques, la version catholique ou celle du roi Jacques, protestante.

Malgré tout, en dépit de l’hostilité des nativistes, dès le début du XIXe siècle, les Irlandais s’assimilent facilement à la population. Ils ne furent jamais confrontés au racisme dont souffrent les Afro-Américains et les Asiatiques, qui se virent interdire le droit d’être des citoyens ou dont l’entrée aux Etats Unis fut restreinte.

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 Doc 3  La « grande peur », expression de la xénophobie face à l’immigration

The great fear of the period That Uncle Sam may be swallowed by foreigners : The problem solved, entre 1860 et 1869 (Library of Congress)