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N° 184 / Juin 2016 / 3€20 DEPUIS 1971 ACTU DU TRIMESTRE Cet été, tous au Camp Climat ! DOSSIER Lutter contre l’impunité des multinationales : entre patience et courage... DU CÔTÉ DES LUTTES C’est beau la détermination citoyenne en action.

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Page 1: La baleine 184 web

N° 184 / Juin 2016 / 3€20

DEPUIS 1971

ACTU DU TRIMESTRE

Cet été, tous au Camp Climat !

DOSSIERLutter contre l’impunité

des multinationales : entre patience et courage...

DU CÔTÉ DES LUTTES

C’est beau la détermination citoyenne en action.

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Pour les Amis de la Terre France, le choix de la résistance est une évidence. Notre slogan « Résister, Mobiliser, Transformer » en témoigne. C’est bien sur le plan de l’éthique qu’il faut penser notre action. Celle-ci est légitime et nécessaire au regard de l’urgence de la situation climatique, des atteintes à l’environnement et à la vie. Nous sommes à un tournant qui justifie le fait d’aller jusqu’à la désobéissance à certaines lois qui protègent un système injuste. Notre action est juste, non-violente et déterminée conformément à notre charte qui pose dès 1970 les bases de la non-violence comme principe directeur. C’est bien dans ce cadre que nous agissons et que nous devons nous organiser pour renverser les rapports de force. Pour ce faire, nous déployons des stratégies efficaces. Nous devons accumuler des victoires propres à faire évoluer les rapports de force et nous permettre d’atteindre des objectifs supérieurs.

La base de notre travail se fonde sur l’expertise. En effet, c’est une connaissance fine des sujets qui nous permet d’identifier les acteurs en présence et de pouvoir définir nos cibles et les leviers à activer. De plus, c’est la maîtrise de nos sujets qui fonde notre légitimité à agir.Nous devons lutter pour protéger l’humain et la nature qui ont aujourd’hui moins de droits que le commerce et la finance. C’est bien un « dumping social et environnemental » qui est mis en place par les entreprises transnationales. Les entreprises ont aujourd’hui plus de droits que les citoyens. Des traités comme le Tafta et le Ceta organisent l’impunité des multinationales en les plaçant au-dessus des États.

L’objectif : les rendre intouchables au nom de l’entrave que pourrait représenter une réglementation défendant les droits humains qui restreindrait le libre commerce. Ceux qui

jouent avec l’économie ne sont pas ceux qui subissent les conséquences de leurs actes.Le législateur, quant à lui, voudrait nous faire croire que défendre le commerce et l’investissement reviendrait à défendre l’intérêt général. Cela consacre un principe d’inégalité et non un principe de justice. Nous ne pouvons l’accepter.

Face à cette situation, nous consacrons notre devoir d’entrer en résistance. La fédération internationale des Amis de la Terre lutte au quotidien contre ces injustices. La désobéissance civile peut sembler un engagement fort et risqué pour ses militant-e-s, mais il faut reconnaître que pour nous, c’est relativement facile au regard de la situation vécue par les militant-e-s écologistes dans d’autres régions du monde. De plus en plus de citoyen-ne-s, en France, sont prêt-e-s à engager leur responsabilité pénale et à subir l’éventuelle violence d’une repression. C’est un mouvement qu’il faut encourager et développer. N’oublions pas que pour d’autres, c’est leur vie qui est engagée au quotidien pour défendre nos droits fondamentaux.

En 2014, au moins 116 militants écologistes ont été assassinés dans le monde, comme le démontre le bilan effectué par l’ONG Global Witness. Aujourd’hui, nous nous recueillons suite au meurtre de Berta Cacéres et nous vous présentons le combat de Gustavo Castro Soto des Amis de la Terre Mexique. Notre fédération compte plus de deux millions de membres engagés au niveau international.

Notre engagement est juste et nécessaire.Aujourd’hui s’écrit l’histoire.Acteur ou spectateur, c’est le choix qui s’impose à nous.

L’impunité des multinationales opposée à la légitimité citoyenne.

Florent CompainPrésident des Amis de la Terre France

Aujourd’hui s’écrit une histoire.C’est l’histoire de simples citoyens confrontés aux actions des multinationales.

CETTE HISTOIRE EST CELLE D’UNE LUTTE, D’UN COMBAT.CETTE HISTOIRE EST CELLE DE NOS DROITS FONDAMENTAUX.

CETTE HISTOIRE EST CELLE DE LA RÉSISTANCE À L’OPPRESSION.

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LA BALEINE . N°184 3

SOMMAIRELe Courrier de la Baleine n°184Juin 2016 n°CPPAP : 0317 G86222 - ISSN 1969 - 9212Dans ce numéro, les adhérent-e-s des Amis de la Terre Francetrouveront l’appel à don « Osons l’action non-violente ».

Directeur de la publication : Florent Compain

Rédacteur en chef et directeur artistique : Pierre Sagot

Rédacteurs (hors dossier) : Audrey Arjoune, Bénédicte Bonzi, Florent Compain, Gabriel Mazzolini, Malika Peyraut, Pierre Sagot.

Rédacteurs (dossier) : Laureline Bourit, chargée de campagne RSEE aux Amis de la Terre France, Mathilde Dupré, co-présidente du Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociétale des Entreprises, Godwin Ojo, directeur des Amis de la Terre Nigéria, ERA (Environnemental Rights Action), Nicolas Roux référent TAFTA aux Amis de la Terre France.

Communication, relations presse : Pierre Sagot, [email protected] 72 43 92 65

Graphisme et maquette : Aurélien Dovillez, [email protected]

Impression :Sur papier recyclé Offset Igloo 120g/m2

avec encres végétales : STIPA, stipa.fr

Crédits photos :Couverture : Kemal Jufri / Greenpeace Page 4-5 : YFoEE / Estere TammaPage 7 : Amis de la Terre FrancePage 9 : Kemal Jufri / GreenpeacePage 13 : Illustration Aurélien Dovillez pour les

Amis de la Terre France. Page 16 : Friends of the Earth DenmarkPage 20 : Luka Tomac

Les Amis de la Terre FranceMundo-M, 47 avenue Pasteur93100 [email protected] 48 51 32 22www.amisdelaterre.org

DOSSIERLutter contre l’impunité des multinationales : entre patience et courage.

MARCHONS SUR NOS DEUX PIEDSEn juin, tous au jardin !

DU CÔTÉ DES LUTTES LOCALES C’est beau… La détermination citoyenne en action !

L’ACTU DU TRIMESTREDu 5 au 15 août, participez au Camp Climat Espère 2016.

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LA BALEINE . N°1844

L’ACTU U TRIMESTRE

DU

Ensemble, nous avons mis la justice climatique à l’ordre du jour, nous avons rythmé 2016 de nos actions non-violentes de masse pour mettre les pollueurs face à leurs responsabilités, nous avons montré notre force grandissante pour un monde plus juste, plus humain, plus soutenable. Au cœur de cette effervescence militante pour la justice climatique, prenons dix jours cet été pour arrêter le temps. Venez au Camp Climat !

CAMP CLIMAT ESPÈRE 2016 : RÉSERVEZ VOS DATES, DU 5 AU 15 AOÛT 2016 !

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LA BALEINE . N°184 5

Les Amis de la Terre France et leurs par-tenaires Alternatiba et ANV-COP21 ont décidé d’organiser un camp climat du 5 au 15 août orienté vers l’apprentissage et la formation pratique. Vous êtes militant-e d’un groupe local et avez envie de savoir comment organiser des actions non-vio-lentes ? Vous agissez localement et voulez monter des stratégies gagnantes ? Vous avez l’âme d’un hacktiviste et voulez apprendre comment mettre l’outil infor-matique au service de nos luttes ? Vous êtes bricolo ou cuisto et vous voulez que la logistique d’événements de masse n’ait plus de secrets pour vous ? Vous êtes animateur-rice d’un groupe et vous vous interrogez sur les ficelles pour péren-niser l’engagement et faire fonctionner ce groupe dans la durée ? Vous aimeriez mieux maîtriser les médias et dévelop-per tous vos outils de communication ? Vous faites de la vidéo mais aimeriez sa-voir comment développer la vidéo en action ? Vous aimez construire, échan-ger, discuter, imaginer, réinventer, dans la volonté de faire face à l’urgence climatique pour bâtir un monde meilleur ? Alors venez !

Notre camp sera hébergé dans une an-cienne ferme du Lot-et-Garonne, au lieu-dit « Espère », sur la commune de Saint-Aubin. Là-bas, nous y proposerons des formations à la carte et pour tous les niveaux : vous pourrez piocher parmi les thématiques qui vous intéressent entre des ateliers débu-tants ou avancés. Pour celles et ceux qui veulent vraiment se spécialiser, des par-cours de formation seront proposés en stratégie, action non-violente, communica-tion, informatique, logistique et cuisine. Et puisque rien ne vaut la mise en pratique, le camp s’achévera sur la réalisation d’une action de masse élaborée de A à Z lors des dix jours de préparation.Le camp climat, c’est l’étape incontour-nable de cet été ! C’est une occasion ines-timable de se retrouver, d’échanger et de partager des moments conviviaux avec des militant-e-s venu-e-s de toute la France. Parce qu’on ne construira pas le monde de demain sans tisser plus de liens, sans remettre l’humain au centre et sans s’en donner les moyens : tous à Saint-Aubin !

Malika PeyrautLes Amis de la Terre France

LE CAMP EST OUVERT À TOUTES ET À TOUS, SUR PARTICIPATION LIBRE. LES ENFANTS ET ADOLESCENT-E-S SONT LES BIENVENU-E-S. LA CUISINE SERA VÉ-GÉTARIENNE ET LOCALE. LA VIE COLLECTIVE SERA CO-CONSTRUITE ET NOUS

DORMIRONS SOUS TENTE.

POUR PLUS D’INFORMATIONS : [email protected]

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LA BALEINE . N°1846

DU CÔTÉ S LUTTES LOCALES

DES

À Bordeaux, le groupe local Gironde et ses partenaires ont organi-sé un DIE-IN - véritable scène de crime aux pesticides - lors de l’inauguration de la Cité du Vin. Malgré le caractère non-violent de cette action, le cadrage policier disproportionné était à l’image de l’omerta que suscite cette question sur le vignoble. Cette tentative d’intimidation n’a pas altéré la détermination des militant-e-s venu-e-s en nombre briser cette loi du silence.

Et puis il y a eu le Match « Climat vs Profits » lancé contre BNP Paribas, 4ème banque internationale à financer l’industrie du char-bon. Nous avons touché deux lieux symboliques : son Centre d’Affaires, là où elle spécule contre la planète et les populations et Roland Garros, là où elle soigne son image de marque et sa répu-tation. Nous avons opposé à la banque notre pleine conscience de l’urgence climatique qui pousse à nous mettre en travers des logiques de profit incompatibles avec une juste transition vers le 100% renouvelable. Malgré l’absence de considération de notre interlocuteur, nous avons tou-te-s senti-e-s qu’un rapport de force venait de s’instaurer.

Ce rapport de force s’est clairement exprimé lors du blocage du « Sommet de Pau ». Des instants riches et intenses que nous vous relatons.

BLOQUER LE SOMMET INTERNATIONAL DES PÉTROLIERS : MISSION ACCOMPLIE !

Difficile de décrire à chaud les émotions que nous avons pu vivre à Pau lors du blocage du MCEDD, sommet du forage et de l’explora-tion pétrolière offshore. Les chiffres pourraient parler d’eux mêmes : 500 activistes mobilisé-e-s, presque 10 actions non-violentes menées en 3 jours, plus de 20 000 euros récoltés grâce à une campagne de financement participatif, 5 688 signataires de l’Appel, un objectif atteint : bloquer le sommet. Tout cela a été

possible grâce à vous. Mais les chiffres ne traduiront jamais la force, l’énergie, la détermination, ainsi que la fatigue qui ont rythmé ces 6 jours historiques pour la mobilisation citoyenne et non-violente en faveur de la justice climatique !

Oui, des militant-e-s armé-e-s de coussins et de peinture blanche ont passé les barrières du palais Beaumont de Pau et ses cordons de CRS pour empêcher que les pollueurs du climat et de l’océan puissent se réunir. Mais ce n’est que la pointe visible de l’iceberg. Car la préparation et la mise en œuvre de ces actions est le résultat d’un travail collectif minutieux dans lequel tous les niveaux d’engagement auront été fondamentaux.En amont de chaque action, il aura fallu s’occuper de la logistique du camp, de la préparation du matériel, des toilettes sèches, de l’accueil, de la préparation de nourriture. Tâches insurmontables sans le soutien et la bienveillance constants de la communauté Emmaüs Lescar-Pau qui nous a hébergé-e-s. Il aura fallu former à la résistance non-violente, car de nombreuses personnes n’avaient jamais encore participé à des actions de façon générale. L’appréhension de la confrontation, même non-violente, le besoin de se connaître et de créer des groupes affinitaires, tout cela nécessite du temps.Enfin, chacun-e aura trouvé sa place dans les actions elles mêmes : premières-lignes, « peintres », cadreur-euses, communicant-e-s, médecins, avocat-e-s, animateur-rices de slogans, distributeur-rices de tracts, etc. Une mosaïque de profils, d’âges et d’expériences. Voici notre force !

Finalement, à Pau, nous avons montré qu’avec détermina-tion et à visage découvert, nous pouvons gagner. « Victoire », ce mot, nous l’entendrons sans doute de plus en plus souvent. Car ce n’est pas fini… ça ne fait que commencer.

La valeur ajoutée des Amis de la Terre France, c’est l’articulation fine entre notre expertise, nos actions de sensibilisation, notre plaidoyer et nos actions réalisées à des moments stratégiques - pouvant aller jusqu’à la désobéissance civile - qui nous permettent d’obtenir des victoires propres à renverser le rapport de force. Ce printemps, nous avons d’ailleurs multiplié les actions directes non-violentes pour faire face au « bussiness as usual ».

C’EST BEAU… LA DÉTERMINATION CITOYENNE EN ACTION !

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LA BALEINE . N°184 7

RÉPONDRE À L’URGENCE

Au regard de l’urgence de la situation cli-matique, des atteintes à l’environnement et à la vie, nous sommes à un tournant qui justifie le fait d’aller jusqu’à la déso-béissance à certaines lois qui protègent un système injuste.

ÊTRE LÉGITIME

La base de notre travail se fonde sur l’ex-pertise. En effet, c’est une connaissance fine des sujets qui nous permet d’identi-fier les acteurs en présence et de pouvoir définir nos cibles et les leviers à activer.

S’ENTOURER D’ALLIÉS

C’est avec nos alliés qu’il faut construire un mouvement global pour la justice climatique. Ce mouvement doit être de masse, capable de démontrer l’anormali-té de la situation et permettre une prise de conscience collective de la nécessité de changer radicalement nos modes de vie et le système dans lequel nous évoluons.

GARANTIR LA SÉRÉNITÉ…

Nos actions déterminées sont assumées à visage découvert. Sur place, nous ne dégradons rien, nous faisons unique-ment usage de méthodes et techniques non-violentes, et nous ne participons pas à la surenchère. Nous sommes attaché-e-s à garantir la sécurité des individus pré-sents sur les lieux de nos actions.

… ET LA BIENVEILLANCE

Dans nos actions, différents niveaux d’en-gagements sont possibles. Il y a toujours un rôle à jouer pour qui veut s’impliquer. Héberger un militant-e, cuisiner pour un groupe, partager et diffuser l’information, soutenir financièrement ou moralement, tout cela nous est précieux !

OSEZ L’ACTION DIRECTE NON-VIOLENTE ! NOUS SOMMES LES GÉNÉRATIONS CLIMAT, CELLES QUI PEUVENT TOUT CHANGER ET REFUSENT L’INACTION !

NOS PRINCIPES D’ACTION

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LA BALEINE . N°1848

LE REGARD DE

AUDREY ARJOUNE

MILITANTE POUR LA JUSTICE CLIMATIQUE

« CONNAIS TOI TOI-MÊME POUR CONSTRUIRE DANS LA DURÉE TON ENGAGEMENT MILITANT »

Le jour où tout a basculé… « Lorsque j’étais étudiante en droit, j’avais en tête de défendre les droits humains fondamentaux. Les années passent, les cours s’en-chaînent… sans qu’à mes yeux cette cause soit convenablement abordée… Pourtant, j’ai essayé de la pousser, quitte à « bousculer mes professeurs » mais sans succès. Mes ami-e-s me disaient… « Ne cherche pas Audrey, le système il est comme ça, oui les entreprises sont parfois plus puissantes que les états, oui il existe des manières de détourner les règles juridiques qu’une multinationale maîtrise, oui dans ta carrière tu utiliseras sans doute ce droit pour ton client »...La question de savoir si j’étais à ma place s’est posée très vite… Me résigner ? Plutôt partir ! C’est d’ailleurs ce que j’ai choisi de faire. Mon énergie devait servir une autre cause ».

Ma première action déterminée et non-violente. « Ma première action déterminée et non-violente, je l’ai vécue en Australie avec le collectif « QUIT COAL ». Hasard du calendrier, le collectif s’apprêtait à lancer une action spectaculaire : l’interruption d’une centrale à charbon.Lorsque j’ai appris cela, les premières images qui me sont venues en tête étaient celles du militant de l’extrême qui gravit une cen-trale nucléaire... Je ne m’en sentais absolument pas capable... avant de comprendre qu’on n’attendait pas ça de moi. Ce que j’ai découvert ce jour, c’est que je pouvais participer à une action sans forcément être en première ligne. Tout le monde est important dans l’aventure qui s’écrit, à la hauteur de ses envies et ses capacités ».

Les ingrédients incontournables pour participer à une action. « Il ne faut jamais considérer « l’action directe » comme étant isolée. Elle est un levier de pression au service d’une campagne portée

par un collectif sur le long-terme. Elle permet de mettre un coup de projecteur sur leur travail quotidien : construction d’une exper-tise, actions de sensibilisation, valorisation d’alternatives, plaidoyer législatif… C’est en articulant tout cela qu’on est légitime et qu’on obtient des victoires ! Il est donc fondamental, avant de se lancer dans l’action directe, de bien comprendre le collectif qui l’organise et la campagne qu’elle sert. »

Connais-toi toi-même… pour construire dans la durée ton en-gagement militant !Pour assurer le succès de sa participation à une action directe, mieux vaut lever toutes ses incertitudes. Et pour cela, ne pas zap-per les temps de formation et de « briefing » en amont. Ils servent à présenter la campagne, à partager le sens d’une action déterminée et non-violente, à connaître les autres participant-e-s et à se rapprocher de celles et ceux qui nous ressemblent. Et puis ça permet de rassurer sur l’organisation le jour J : oui, au-tour de moi, il y aura des personnes « clefs » qui garantissent la sé-curité des biens et des individus, qui interviennent, qui gardent les énergies hautes ! Oui, en cas de plan B, il faudra peut-être un peu improviser, mais il y a des méthodes pour le faire collectivement et en toute confiance. Oui, il y aura toujours une porte de sortie... Nous avons le droit d’avoir des limites et nous devons les accepter avec sincérité… Car il y a des rôles pour tout le monde et ça ne rend pas sa participation moins importante. Le succès d’une action spectaculaire dépend autant « du groupe commando ultra-formé » que de toutes celles et ceux qui étaient là. Le but, ce n’est pas de pousser les participant-e-s à aller toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus risqué. Inutile de « se cramer » dès la première action parce que, croyant bien faire, on atteint ses propres limites… Le combat est encore long, mieux vaut un engagement dans la douceur, dans la durée…

À toutes celles et ceux qui doutent encore - il faut oser ! Tu ressortiras d’une action directe non-violente avec la satisfaction d’avoir fait quelque chose d’utile et d’électrisant ! Souvent, je ressens une grande fierté, un sentiment de puissance : oui j’étais légitime, oui l’action était pertinente… Je fais ma part, je suis un des

grains de sable qui enraye ce système qui ne me va pas… Je suis du « bon côté de l’histoire ».

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Lutter contre l’impunité des multinationales : entre patience et courage.

DOSSIER

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LA BALEINE . N°18410

PENDANT PLUS D’UN AN, Rien ne se passe... Le gouvernement

n’inscrit pas le sujet à l’Agenda de

l’Assemblée Nationale.

JANVIER 2015 La députée Europe Ecologie Les

Verts Danielle Auroi saisie une op-

portunité - une « niche parlemen-

taire » - pour imposer le sujet à

l’Ordre du Jour.

NOVEMBRE 2013Dépôt d’une première proposition

de loi en France : les entreprises

multinationales doivent prévenir

mais aussi réparer les violations de

droits humains et sont responsables

des activités de leurs filiales, fournis-

seurs et sous-traitants.

2013 2014 2015AVANT

Pendant plus d’un an, il y a des « résistances » qui s’exercent dans l’ombre... Alors que la société civile adressait un questionnaire aux entreprises du CAC40 sur les droits humains, l’afep (Association des 100 plus grandes entreprises de France) leur préparait des éléments de réponses. Cette « fuite » nous a permis de mettre un nom sur l’opposition.

Janvier 2015 : l’afep s’oppose à toute « précipitation »

sur le devoir de vigilance. Elle ne veut pas de réglementation mais

« si une obligation législative devait être envisagée »,

il ne faudrait aucune sanction.

P ierre Pringuet

Le président de l’afep écrit au

ministre de l’économie, ce

« Cher Emmanuel »,

pour lui dire que

« C e texte est juste déraisonnable ».

4 Février 2015

Pour prévenir les drames hu-mains et les catastrophes envi-ronnementales, tels que l’Erika ou Bhopal, et faciliter l’accès des victimes à la justice, la société ci-vile française réclame une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre. De l’idée formulée initialement par de nombreuses associations au vote d’un texte en première lec-ture, il aura fallu pas moins de 15 années. ONG environnementales, de développement, de défense des droits humains et syndicats, réunis au sein du Forum citoyen pour la RSE ont mobilisé au ser-vice de ce projet leur expertise, le soutien de leurs militant-e-s, leur force d’interpellation des décideurs et ont multiplié les dé-marches pour alerter l’opinion publique.

Après plusieurs campagnes de sen-

sibilisation, dont la campagne CRAD

40 des Amis de la Terre France, le

CCFD-Terre Solidaire et Amnesty

demandent aux candidats aux élec-

tions de 2012 de passer à l’action.

Forts d’une promesse électorale de

François Hollande, il a fallu ensuite

convaincre des députés de s’em-

parer du sujet pour élaborer une

proposition de loi. En avril 2013, la

catastrophe du Rana Plaza jette une

lumière crue sur l’irresponsabilité de

grands groupes de l’industrie textile

et accélère la prise de conscience

des élus.

Le parcours du combattant pour une proposition de loi contre l’im-punité des multinationales ne fai-sait que commencer.

LE PARCOURS DU COMBATTANT D’UNE PROPOSITION DE LOI

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LA BALEINE . N°184 11

Dominique Potier

18 NOVEMBRE 2015Le Sénat vote la suppression de

la totalité du texte. Rendez-vous à

l’Assemblée Nationale.

23 MARS 2016Dans l’après-midi : L’Assemblée Na-

tionale ne tient pas compte de la

suppression du texte par le Sénat et

revote son propre texte à l’identique.

Rendez-vous au Sénat…La « navette » va encore continuer

entre l’Assemblée et le Sénat jusqu’à

un vote définitif à l’Assemblée.

On a besoin de votre soutien !

11 FÉVRIER 2015 Dominique Potier, député PS, dé-

pose « un texte de compromis »

amoindri par le Ministère de l’éco-

nomie. Cette deuxième version ne

facilite plus l’accès à la justice des

victimes en cas de violation de leurs

droits.

2015 2016Depuis

Le 23 Mars 2016

au matin :

dans une intervi

ew à Libération,

le président de l

’afep, Pierre Pringuet

affirme « Pour ma p

art, je n’ai pas

rencontré un min

istre, y compris le

premier

d’entre eux, qui m

’ait dit droit dans

les

yeux « je soutie

ns ce texte ». [

... ]

J’ai eu de nombr

euses assurances

qu’il

ne franchirait pa

s les différentes

étapes

parlementaires. Q

uand on me dit ç

a, je

suis très confian

t ».

Cette déclaration

le jour du vote

en 2ème

lecture à l’Assemblée

Nationale témoigne

d’un grave mépris

pour le travail de

s

parlementaires.

Octobre 2015

Le rapporteur au Sénat, Christophe-

André Frassa des Républicains, utilise

une mesure d’exception - la motion

préjudicielle - pour suspendre tout

débat. Un tollé… Il l’abandonne et

propose de voter la suppression pure et

simple du texte.

30 MARS 2015La deuxième version de la proposi-

tion de loi est adoptée à l’Assemblée

Nationale. Rendez-vous au Sénat.

Depuis le début du processus législatif, certaines entreprises seraient prêtes à soutenir un devoir de vigilance... mais sont vite rappelées à l’ordre par l’afep pour ne pas casser un prétendu front uni contre la réglementation.

Christophe-André Frassa

« Nous leur renvoyons un texte vide car il n’y avait absolument rien à garder.

Le parlement n’a pas à légiférer sur l’émotionnel, sur l’impréca-tion. Il faut un texte qui tienne la route juridiquement et qui ne soit pas le fruit d’un dogmatisme. Car ce n’est pas avec de grands dis-cours humanistes que nous fai-sons avancer le droit ».

Mathilde Dupré, co-présidente du Forum Citoyen

pour la Responsabilité Sociale de l’Entreprise

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LA BALEINE . N°18412

DOSSIER

UNE RÉALITÉHONDURIENNEQUI DÉRANGE

TÉMOIGNAGE

GUSTAVO CASTRO SOTO,

membre des Amis de la Terre Mexique, s’est retrouvé au cœur d’un terrible thriller lorsqu’il est venu donner une formation à ses collègues écologistes honduriens, qui se battent depuis 10 ans contre un projet de barrage dont les populations locales ne veulent pas.

La journée du 2 mars aurait pu être une journée bien ordinaire. Gustavo animait ce jour là une

formation sur les énergies renouvelables avec une ONG hondurienne, le COPINH (Civic Council of

Popular and Indigenous Organizations of Honduras). Il souhaitait apporter son aide et son expertise au

peuple « Lenca » pour construire une alternative à un grand projet hydraulique sur leur territoire de vie.

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LA BALEINE . N°184 13

Gustavo Castro Soto est le fondateur et le coordinateur des Amis de la Terre Mexique-Otros Mundos Chiapas. Il a commencé sa carrière il y a 30 ans en tant que militant des droits humains, engagé auprès de réfugiés guatémaltèques au Mexique puis médiateur dans le conflit entre l’Armée Zapa-tiste de Libération Nationale et les autorités mexicaines. Son analyse du système éco-nomique l’a amené à travail-ler sur les grands projets de mines, de barrages ou de mo-nocultures. Ces grands projets, qui touchent généralement les populations autochtones, sont un enjeu commun à de nom-breux pays latino-américains. C’est pourquoi, les Amis de la Terre Mexique font partie de nombreux réseaux associatifs, au sein desquels ils ont rencon-tré leurs collègues honduriens.

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LA BALEINE . N°18414

DOSSIER

C’était en 2006… quand tout a basculé. Au bord « del Rio Gual-carque » - la rivière dont ils sont les Gardiens Ancestraux - les Lenca ont vu débarquer des engins de chantier. Un projet énergétique monumental avait été décidé ici, sans eux. Le projet de barrage, Agua Zarca lancé par la compagnie nationale hondurienne, Desar-rollos Energéticos SA (DESA) et soutenu par des financeurs étran-gers venait de trouver son terrain de jeu privilégié.

Dans sa stratégie de développement de projets industriels et éner-gétiques, le gouvernement hondurien a privatisé de nombreuses rivières et terres déplaçant des familles entières. Loin de répondre aux exigences des traités internationaux, les projets sont décidés sans consentement libre, préalable et informé des populations affectées.

Face à l’urgence, des habitants ont alors interpellé le COPINH qui travaillait déjà sur l’exploitation forestière illégale et la protection du cadre de vie des Lencas. Berta Caceres, coordinatrice de l’asso-ciation, a mis toute son énergie au service d’une campagne contre le projet de barrage « Agua Zarca » : rencontres avec le gouvernement, organisation d’une assemblée et d’un vote sur le projet de barrage, plainte auprès de la Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme, alerte auprès des finan-ceurs du projet (la société financière internationale, IFC, branche de la banque mondiale), blocage pacifique d’une route pour em-pêcher l’accès au site des engins, etc. Ces différentes actions ont permis d’empêcher la construction du barrage et le retrait de deux acteurs du projet, l’entreprise chinoise Sinohydro et le financeur IFC. En 2015, Berta Cáceres a gagné, sur ce combat de 10 ans, une récompense internationale : le prix Goldman de l’environnement.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, face à la détermination paci-fiste, le gouvernement et l’entreprise ont répondu par la force, mili-tarisant la région avec le déploiement de troupes nationales et de milices privées. Les drames se sont alors succédés. Tomas Garcia, un militant du COPINH, a été tué par balle lors d’une manifestation

non-violente devant les bureaux d’Agua Zarca. D’autres militant-e-s ont été emprisonné-e-s et torturé-e-s. Berta Cáceres et sa famille ont reçu une trentaine de menaces de mort.

C’est dans ce contexte que Gustavo fait sa formation. Il est hébergé chez son amie Berta. Le soir, alors que chacun travaille dans sa chambre, Gustavo entend des bruits et un terrible coup de feu. Surpris, il voit surgir un homme armé qui lui tire dessus. Il s’écroule… et, ultime instinct de survie, fait le mort.

Gustavo se relève, constate ses blessures et se précipite dans la chambre de son amie Berta. Elle mourra quelques minutes plus tard.

Sans doute en état de choc et pro-fondément attristé par l’assassinat de son amie, il est interrogé par la police. Elle privilégie d’abord la piste du « crime passionnel » ou d’un règlement de compte entre membres du COPINH. De victime, le voici bourreau. Pendant deux jours, on lui montre des photos des membres du COPINH pour qu’il les accuse. On l’empêche de dormir ou de se changer. Enfin libéré, il se ré-

fugie à l’ambassade du Mexique au Honduras… Il aura fallu 11 jours pour que la police creuse une autre piste et enquête au siège de l’entreprise nationale « DESA ».

Gustavo est à l’aéroport… Il a obtenu l’autorisation de rentrer au Mexique. Il va pouvoir retrouver forces et soutiens auprès des siens. Mais la police hondurienne ne l’entend pas de cette oreille et l’interpelle au motif de rester à disposition des enquêteurs. L’ambassadeur du Mexique le ramène à l’abri.

Pendant ce temps-là, et malgré la pression internationale, la répres-sion continue sur le territoire Lenca. Le 15 mars, cent cinquante fa-milles paysannes et indigènes ont été expulsées de force des terres qu’elles occupaient depuis plus de dix ans. Ces familles étaient en train de régulariser leur droit de propriété quand le terrain

LE PEUPLE LENCA AU HONDURAS,

est le gardien ancestral de l’esprit de la rivière Gualcarque. En plus de lui apporter protection, elle lui offre toutes les ressources

nécessaires à la vie quotidienne, à la pêche et à l’agriculture.

LE HONDURAS EST RECONNU COMME L’UN DES PAYS LES PLUS

DANGEREUX POUR LES MILITANT-E-S ÉCOLOGISTES.

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a été acheté illégalement pour favoriser les intérêts des entreprises hydroélectriques. Nelson Garcia, un autre membre du COPINH, était là lors de cette violente expulsion. Sur le chemin du retour, il est tué par balle.

Face à cette répression sanglante, la société civile du monde entier se mobilise pour demander la libération de Gustavo, une enquête indépendante sur les deux meurtres et l’abandon du projet de bar-rage Agua Zarca. Pour faire pression, Les Amis de la Terre Europe ciblent plus particulièrement les financiers européens, le néerlan-dais FMO (15 millions de dollars de prêt) et le finlandais Finnfund (5 millions de dollars). Ceux-ci, déjà informés à de multiples reprises des controverses autour du projet Agua Zarca, ne doivent plus fer-mer les yeux.

En réaction, les entreprises sus-pendent temporairement leurs ver-sements avant d’annoncer vouloir se retirer. L’entreprise allemande Voith qui doit fournir les turbines hydroélectriques en fait de même. Bien sûr, ces entreprises se dé-fendent de toute implication dans les meurtres de Berta et de Nelson. Mais est-ce si évident… Pour Gus-tavo « Finnfund et FMO sont en partie responsables de la violence et du meurtre de Berta Cáceres. Financer le projet Agua Zarca a contribué à provoquer les me-naces continues et la répression vis-à-vis du COPINH. Ils ont finan-cé le projet sans rechercher l’avis du peuple Lenca, violant leurs droits. […] Ils doivent s’assurer de ne pas refaire la même erreur sur d’autres projets ».

L’enquête indépendante réclamée par le COPINH avec la partici-pation d’une commission de la Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme, n’a pas eu lieu… Sur place, quatre suspects liés à l’en-treprise ou au gouvernement ont été identifiés début mai : un in-génieur intervenant sur le projet Agua Zarca, un ancien militaire devenu chef de la sécurité chez DESA et deux ex-militaires…« Le gouvernement hondurien est impliqué de trop près dans le meurtre de ma mère pour mener une enquête indépendante.

C’est le gouvernement qui a demandé la construction du bar-rage et qui a envoyé les militaires et la police pour travailler avec les gardes de DESA qui ont menacé ma mère » rappelle Laura Cacéres. Et puis il y a toujours ces femmes et ces hommes courageux qui poursuivent la lutte et qui sont toujours en danger. Comme le rap-pelle Adriana Beltrán, membre de Citizen Security, une association de protection des droits humains, si Berta a été tuée malgré sa renommée internationale, les risques que courent les militants moins connus sont encore plus graves.

Cette histoire dramatique pour Berta et sa famille, pour Nelson et Gustavo, pour les membres du COPINH et le peuple Lenca témoi- gne de deux choses : tout d’abord, elle montre les dangers que

courent les militants écologistes qui s’opposent aux puissants de ce monde, entreprises et gouver-nements. Ensuite, elle montre que le modèle dominant est celui d’un supposé « développement » des-tructeur de l’environnement, qui ne respecte pas les droits humains et les valeurs d’un peuple. Pour beaucoup, c’est encore impossible d’imaginer une alternative non-pro-ductiviste. Ainsi le communiqué de

presse de FMO annonçant sa possible sortie du projet affirmait que l’abandon du projet « allait priver les communautés locales (...) d’une énergie propre dont ils ont besoin et d’emplois ». Et ce, mal-gré l’absence réitérée de soutien des populations. Qu’une banque décide du « bien » des gens contre leur gré est tout simplement inacceptable, et c’est ce que les Amis de la Terre, partout dans le monde, combattent.

Laureline BouritLes Amis de la Terre France

Sources : nombreux articles du Guardian publiés sur le sujet,

site du prix Goldman de l’environnement, échanges avec les Amis de la Terre Europe

et les Amis de la Terre Mexique-Otros Mundos Chiapas.

BERTA CACERESCOORDINATRICE DU COPINH

a mis toute son énergie au service d’une campagne contre le projet

de barrage « Agua Zarca ».

« LA PRESSION INTERNATIONALE NE DOIT PAS FAIBLIR » DEMANDE LAURA CACÉRES LA PLUS JEUNE

FILLE DE BERTA.

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LA BALEINE . N°18416

Au cœur de ce système international se trouve le mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État (RDIE, ou ISDS, son sigle anglais) selon lequel une multinationale peut attaquer un État, si elle estime qu’une nouvelle loi ou norme a un effet négatif sur le potentiel de son in-vestissement. En revanche, un État ou des citoyens ne peuvent pas y avoir recours si une entreprise manquait à ses responsa-bilités en matière de respect de l’environ-nement ou de traitement des travailleurs.

En 1987, officiellement pour la première fois, un litige oppose un investisseur étran-ger et un État en vertu d’un traité bilatéral d’investissement entre le Royaume-Uni et le Sri Lanka. Ce type de différends, desti-né à protéger les actifs des anciens colons contre ce qu’ils estiment être une absence de l’État de droit, n’aura ensuite de cesse d’être utilisé, et ce, de manière exponen-tielle. Les dédommagements demandés par les compagnies ont pu s’élever à plu-sieurs millions voire milliards d’euros.

Le principe de l’ISDS a le mérite d’être simple – en théorie. Chaque partie impli-quée dans le litige nomme un arbitre. Ces deux en choisissent ensuite un troisième. Et les trois arbitres, en général des avocats d’affaire financièrement intéressés, et confrontés à des conflits d’intérêt invéri-fiables, procèdent à l’audience dans un tribunal arbitral, comme le Centre inter-national des règlements des différends liés à l’investissement (CIRDI) auprès de la Banque mondiale.

Parmi les plus férus du mécanisme de l’ISDS, on retrouve, largement en tête, les investis-seurs états-uniens, mais aussi les investis-seurs canadiens. Et lorsqu’on sait que deux accords de soi-disant « libre-échange » de l’Union européenne, l’un en cours de négociation avec les États-Unis (TAFTA ou TTIP) et l’autre en phase de ratification avec le Canada (CETA), contiennent des clauses d’arbitrage sur les investissements, on est en droit d’envisager le pire.

Les cibles des multinationales varient mais les protections de l’environne-ment demeurent leurs préférées, et de loin.

L’ISDS a par exemple permis à la compa-gnie suédoise de l’énergie, Vattenfall, de faire annuler des normes écologiques réglementant une centrale électrique au charbon en Allemagne. Au Canada, la multinationale états-unienne Bilcon a contesté, avec succès, des exigences en-vironnementales affectant son projet d’ou-verture d’une carrière de basalte, tandis qu’une autre entreprise en provenance des États-Unis, Lone Pine, voudrait remettre en cause le moratoire prononcé par le Qué-bec sur la fracturation hydraulique, utilisée pour l’exploration des gaz de schiste.

Les services publics et la santé ne sont d’autre part pas en reste. Philip Morris attaque les mesures anti-tabac promul-guées en Uruguay et en Australie, ce qui a découragé certains pays, dont la Nou-velle-Zélande, à mettre en place des me-sures similaires, par crainte d’avoir à payer une somme exorbitante. Encore au Cana-da, l’interdiction du MMT, un additif toxique utilisé dans l’essence, a été levée suite à un recours arbitral du producteur, la compa-gnie états-unienne Ethyl.

La France, dont les multinationales sont aussi ferventes de l’ISDS, s’est récemment signalée par le biais de la compagnie Véo-lia, qui demande 110 millions de dollars américains de compensation à l’Egypte, suite à la décision du gouvernement de changer une loi sur le travail qui avait entraî-né une augmentation du salaire minimum.

Ces abus illustrent bien l’impasse dans la-quelle se trouve le système commercial international actuel. Face aux enjeux so-ciaux et environnementaux sans précé-dent, la mise en place d’un mécanisme où les multinationales auraient à rendre des comptes au reste de la société s’impose plus que jamais.

Nicolas RouxLes Amis de la Terre France

QUAND LES MULTINATIONALES POURRONT PORTER PLAINTE CONTRE LES ÉTATS.

L’impunité des multinationales est ac-tuellement favorisée par un système de commerce et d’investissement à sens unique, plaçant les profits des entre-prises avant les droits humains et l’envi-ronnement.

DOSSIER

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Dans les pays où elles s’implantent, les multinationales sont souvent responsables de violations des droits humains et de dégra-dations environnementales. Leurs crimes restent fréquemment impunis, en raison de défaillances flagrantes dans le système juridique international, de l’absence ou la faiblesse de la mise en œuvre des politiques nationales, ou encore de la corruption dans les pays hôtes et/ou d’origine des multinationales. Que faire aussi quand les entreprises sont elles-mêmes plus riches et plus puissantes que les États qui cherchent à les réguler ?

À QUAND UN TRIBUNAL INTERNATIONAL POUR JUGER LES MULTINATIONALES ?

NIGERIADELTA DU NIGER

RIVIÈRES DU PAYS OGONIDEPUIS 50 ANS

ÉQUATEURNORD DE LA

FORÊT AMAZONIENNE DEPUIS 1964

BANGLADESHFAUBOURG DE DACCA

SAVAREN 2013

Les compagnies pétrolières européennes exploitent le riche sous-sol nigérian depuis plus de 50 ans au détriment des habitants du delta du Niger. Shell a laissé fuiter des litres de pétrole sur le sol et dans les ri-vières du pays Ogoni. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement a en-quêté et évalué la réparation à 1 milliard de dollars pour les cinq premières années de nettoyage de la pollution. Celle-ci pourrait pourtant durer 30 ans. Shell n’a toujours pas dépollué. Quant à Total, il pratique massivement le torchage du gaz. Cette pratique est interdite depuis 1984... pour-tant Total s’engage à arrêter en... 2030 !

En Équateur, Texaco a exploité du pétrole de 1964 à 1990 avec des conséquences humaines et environnementales catastro-phiques. Les communautés impactées ont saisi une Cour équatorienne pour obtenir une décontamination de l’environnement et l’assistance financière aux gens qui souffrent de cancer. La Cour équatorienne a condamné l’entreprise à une indem-nisation de 9,5 milliards de dollars. Mais Chevron, qui a racheté Texaco, refuse de payer et a retiré tous ses actifs du pays. Les victimes s’adressent aujourd’hui aux Cours canadienne, argentine et brésilienne pour récupérer cette somme.

Le 24 avril 2013, le Rana Plaza, un im-meuble de 8 étages abritant 6 usines tex-tiles s’effondre au Bangladesh, causant la mort de 1 138 ouvriers et en blessant plus de 2 000. De grandes marques occiden-tales (Auchan, Benetton, C&A, Primark, Mango, Bon Marché, etc.). de l’habillement y faisaient fabriquer des vêtements profi-tant des coûts bas liés aux faibles salaires et au manque d’investissements de sécuri-té. Après une campagne intense des ONG, ces entreprises ont contribué à un fonds d’indemnisation et ont signé un accord sur la sécurité des bâtiments.

Les communautés touchées pourraient attaquer auprès d’une Cour Mondiale les groupes pétroliers et obtenir qu’ils mettent fin à leurs pratiques illégales (torchage du gaz) et réparent les dommages causés par les fuites de pétrole (dépollution et indem-nisation).

… et incluait un mécanisme d’application des décisions, la Cour Mondiale pourrait contraindre Chevron à payer l’indemnisation s’il est présent dans un autre État signataire du traité. Ce serait la fin d’une saga judiciaire de plus de 25 ans pour ce cas embléma-tique de l’impunité des multinationales.

D’une part, un tel drame ne serait certaine-ment pas arrivé si les entreprises avaient pris les mesures nécessaires pour éviter un acci-dent par crainte d’un procès. D’autre part, en cas d’accident, les entreprises n’auraient pas pu refuser de reconnaître leur responsabilité ou de contribuer au fond d’indemnisation.

AUJOURD’HUI

SI LE TRAITÉ ÉTAIT ADOPTÉ…

Depuis juin 2014, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU (Organisation des Nations Unies) travaille à l’élaboration d’un Traité International qui pourrait enfin apporter justice et protection à des millions de personnes dans le monde. Sur le modèle de la Cour de Justice Internationale qui traite des différends entre États, nous ap-pelons de nos vœux une Cour Mondiale qui traiterait les plaintes des communautés contre les entreprises. Deux ans plus tard, l’Union Européenne oppose une résistance farouche au sein du

groupe de travail intergouvernemental qui élabore ce traité pourtant soutenu mondialement par les peuples et leurs représentant-e-s.La société civile, en particulier dans les pays dits en développement, attend du Traité qu’il fasse du respect des droits humains une condition non-négociable et une priorité par rapport aux affaires et aux profits. La protection des défenseurs de l’environnement et l’accès à la justice des victimes en sera une pierre angulaire. Il per-mettra également de réduire les conflits violents liés aux ressources.

Godwin Ojo, Directeur des Amis de la Terre Nigeria, ERA (Environnemental rights action)

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TOUS AU JARDIN POUR CULTIVER LA BIODIVERSITÉ !

MARCHONSS NOS DEUX PIEDS

SUR

Vous souvenez vous de cette publicité printanière où l’on voyait un chien enterrer et déterrer son os ? Une voix off nous assurait que l’herbicide qui venait d’être répandu était « inoffensif » tant pour notre ami Rex que pour l’environnement. L’herbicide en question, c’était le Round’up, que nous connaissons tous pour contenir du glyphosate « Cancérigène probable » selon le Centre International de Recherche sur le Cancer. Alors que certain-e-s s’attachent à vouloir répendre ce produit quoi qu’il en coûte (ou qu’il en rapporte ! ), rendons compte, au nom du principe de précaution, des alternatives existantes en dénonçant le confinement juridique dont elles sont encore victimes…

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JUSQU’EN MAI 2016

Purin d’ortie, décoction ou infusion de plantes, mais aussi argile, vinaigre blanc, petit lait… Les Préparations Naturelles Peu Préoccupantes sont accessibles à tous, simples d’usage et inoffensives pour l’envi-ronnement. Appréciées des jardiniers pro-fessionnels et agriculteurs soucieux de la « biodiversité », leur utilisation a longtemps été juridiquement confinée.

En France, on pouvait donc boire une tisane d’orties mais la pulvériser sur ses cultures était passible de poursuites. Une telle utilisation était en effet très risquée... pour le chiffre d’affaires de l’in dustrie des pesticides et du médicament !

Après une lutte longue de 10 années... Alors que l’utilisation des pesticides ne cesse d’augmenter (+9.4 % en 2014) mal-gré les plans de réduction Ecophyto...Alors que les scandales sanitaires liés aux pesticides sont constamment dénoncés : maladies professionnelles des utilisateurs, intoxication des enfants dans les écoles, exposition du voisinage, contamination de l’alimentation…Alors que la loi d’Avenir Agricole du 13 octobre 2014 reconnaissait comme bios-timulants les Préparations Naturelles Peu Préoccupantes du domaine public…Aucun décret d’application ne sortait de terre…

IL AURA FALLU ATTENDRE 15 MOIS POUR QUE LE DÉCRET SOIT PUBLIÉ AU JOURNAL OFFICIEL LE 30 AVRIL 2016 !

Irrités par « cette guerre de l’ortie », les lobbyistes des firmes agrochimiques s’ac-

tivent pour éviter que ces produits natu-rels ne viennent concurrencer leurs pro-duits chimiques sur le marché.

Alors la liste des substances autorisées (à minima) se complète petit à petit… Comble de l’ironie, elles doivent être évaluées par l’Agence nationale de sé-curité sanitaire (Anses) « garantissant qu’elles ne présentent pas d’effet nocif sur la santé humaine, sur la santé animale et sur l’environnement ». On jurerait que l’Anses parle de pesticides… et non de leurs alternatives !Ainsi, l’ail, la menthe, l’ortie, sous forme de poudres ou diluées ; mais aussi la sauge, le thym et le tilleul ont passé avec succès la « batterie » d’examens…

Mais d’autres substances végétales, ani-males ou minérales… ne connaissent pas le même sort. « Les fougères, les purins de prêle ou de consoude ne sont pas dedans. Ceux qu’on retrouve communément dans les supermarchés ou les jardineries n’y fi-gurent pas non plus », déplore Jean-Fran-çois Lyphout, en appelant l’Anses à inclure rapidement dans la liste ces produits de substitution aux pesticides. Vous l’avez compris, d’un côté on nous im-pose un système mauvais pour la planète ; de l’autre on nous freine à utiliser des solu-tions pérennes. Il est temps, de dénoncer puis de désobéir pour que nous puissions reconstruire et transformer une agricultu-re, mais aussi des jardins riche de biodiver-sité, d’idées et capables de se régénérer !

Bénédicte BonziLes Amis de la Terre France

ON POUVAIT BOIRE UNE TISANE D’ORTIES, MAIS LA PULVÉ-RISER SUR SES CULTURES ÉTAIT PASSIBLE DE POURSUITES

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COMMUNIQUÉS DE PRESSE

Juin 2016 • Premier procès d’un faucheur de chaises !• Victoire ! Fermeture définitive des unités charbon de la centrale d’Engie,

Vado Ligure. • Jeu set et match contre BNP Paribas ! • 40 militant-e-s pour la justice climatique occupent le Centre d’Affaires

de BNP Paribas.• CETA, le cheval de Troie du TAFTA : des mobilisations dans toute la France

du 4 au 25 juin.

Mai 2016 • Un « DIE IN GEANT » devant la Cité du Vin pour dire NON aux pesticides.• AG BNP Paribas : le climat n’est pas un jeu !• Huit Parlements européens soutiennent un devoir de vigilance pour les

entreprises européennes.• Indonésie : le test climatique du Crédit Agricole et de la Société Générale. • CETA : le manège juridique de la France.• Parlementaires, enterrez la loi Cigéo, pas les déchets nucléaires !• Nouveaux OGM : sept organisations de la société civile et paysanne

s’inquiètent du flou gouvernemental.• Charbon : EDF complice de graves violations des droits de l’homme

en Colombie.• Gaz de couche : les forages en Lorraine ont commencé.• TAFTA : une attaque frontale contre les normes de sécurité alimentaire

et l’agriculture européennes. • Hazelwood, le secret d’Engie.

Avril 2016 • On vous fait découvrir en BD l’empreinte écologique de votre compte

en banque.• Rapport TAFTA : Agriculture européenne, la grande braderie.• Notre-Dame-des-Landes s’invite à la Conférence Environnementale.• La signature de l’Accord de Paris, quelle cohérence pour la France en 2016 ?• 300 militants du mouvement pour le climat perturbent le Sommet

International du Pétrole à Paris.• Les pièces détachées, on y est attachés !• Nouveaux OGM : 7 associations de la société civile claquent la porte du

Haut Conseil des Biotechnologies.• Pari réussi : blocage du sommet de Pau par les militants climat.

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