la banque mondiale a-t-elle une stratégie en matière de
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La Banque mondialea-t-elle une stratégieen matière de santé ?
Joseph Brunet-Jailly*
1 Joseph Brunet-Jailly a été professeur desciences économiques, et spécialementd'économie de la santé, à l'Universitéd'Aix-Marseille (France) pendant prèsde vingt am" avant de devenir directeurde recherches à l'ORSTOM (devenu récemment IRD), un organisme françaisde recherche scientifique sur le développement. Il travaIlle donc depuis unedouzaine d'années en Afrique del'Ouest, et publie no!amment sur lastratégie sanitaire des Etats de cette régIOn, ainsi que sur leurs politiques delutte contre le sida. Email: [email protected]
Que voilà donc une question naïve! Pour certains, c'est très clair, la Banque mondiale et leFMI, qui régentent les pays pauvres, ont de~
stratégies dans tou~ les domaines. De fait,« débutant modestement dans ce secteur il y a 25ans, la Banque mondiale est devenue le prêteur leplus important au monde dans le domaine de lasanté, de la nutrition et de la population. Aujourd'hui la Banque joue aussi un rôle déterminant comme conseil en matière de politiquenationale de santé, se faisantsouvent l'avocat de réformespour promouvoir l' efficience, l'efficacité pour uncoût donné, et l'attentionaux problèmes de santéémergents, y compris l'épidémie de sida» (Banquemondiale, 1997a, p.53).Pour d'autres, attention! Cesont les États souverains quinégocient avec un bailleur,et même simplement avecun bailleur parmi d'autres.On assiste effectivement, de
,~--temps à autres, à des fâche-ries publiques, sans savoird'ailleurs jamais qui en prend l'initiative ni quien tire profit. Il est bien sûr que les dossierstechniques patiemment élaborés par d'obscurstâcherons se négocient ensuite entre grands politiciens, et on doit en tenir compte si l'on veutcaractériser la stratégie de l'un des acteurs.Quant à ceux qui voudront montrer qu'ils sontbien au fait de ces questIons, ils feront remarqueren outre que la Banque est une organisation diversifiée, dans laquelle on observe non seulement une grande différence entre le~ positions du~ecteur de la recherche et celles du secteur des
opérations, mais encore une grande hétérogénéitédans chacun de ces deux secteurs. Faut-il doncpenser que la question est absurde:
Pas forcément, si l'on observe que l'intervention de la Banque mondiale dans ce secteur afait l'objet. en son sein même, de longs débats.C'est son président McNamara qui a décidé, audébut des années soixante-dix, qu'elle devaits'intéresser à la santé, mais il s'est heurté à unerésistance très forte: il a fallu cinq ans pour que
la Banque s'aperçoivequ'elle était déjà impliquéedans la santé par ses interventions en matière de population, d'une part, et par lesproblèmes de santé qu'ellecréait - ou était accusée decréer - par les barragesqu'elle avait financés pourdévelopper la culture irriguée. Néanmoins, jusqu'en1987, le secteur Population,Health and Nutrition (PHN)avait son propre budget, sespropres interventions, et lesecteur de la santé était doncséparé de la division des
opérations; de ce fait, les questions de santé n' étaient pas abordées lors des discussions généralesavec les pays. C'est en 1987 que PHN a étésupprimé et ses activités intégrées dans les divisions « Ressources humaines » de chaque région.Depuis lors, les activités se sont développéesd'une manière exponentielle.
En 1980. la Banque mondiale financeson premier projet dans le domaine de la santé,en Indonésie. De 1981 à 1987, elle a financé26 projets dans ce même domaine. Depuis ladécision prise en 1989 par son Président de dou-
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bler les prêb dans le secteur « ~anté, populationet nutrition », la Banque a adopté 90 projets dansle domaine de la santé, c'est-à-dire plus de dixpar an en moyenne. Ces projets sont bien pluscomplexes et plus coûteux que ceux de la périodeprécédente. Depuis l'origine de ces prêts,l'Afrique a bénéficié de 48 projet~ dans ce secteur sur un total général de 124 (Banque mondiale, 1997a, p. 34-37). Est-il po~sible d'intervenir de façon aussi mas~ive ~ans avoir unepetite idée de ce qu'il convient de faire'? Serait-ilraisonnable de financer tout projet présenté parles emprunteurs'? Evidemment non. Il faut doncbien que la Banque mondiale ait une stratégie,plus ou moins explicite, plus ou moins précise,dans ce secteur. Voyons d'abord ce qu'elle en ditelle-même.
Qu'en dit-elle elle-même?
La Banque mondiale communique beaucoup, etpar de multiples canaux, des documents officiellement approuvés par ses instances officiellesaux documents largement publiés sans être revêtus d'aucun « imprimatur », sans compter les documents de travail réservés à l'usage des professionnels, et les innombrables interventions oralespubliques et privée~ de~ membres de se~ missions d'identification, d'évaluation, de négociation, etc., des projets. Seules les deux premièrescatégorie~ de ces documents sont accessibles auprofane, mais elles sont déjà fort instructives.
Officiellement: les documentsde politique sectorielle
Alors que la Banque mondiale a lancé des programmes de population dès la fin des année~
soixante, il a fallu attendre 1975 pour qu'elleprenne une position sur d'éventuels programmesde santé, et ce fut pour refu~er « d'octroyer descrédits et prêts consacré~ aux services sanitairesde base» (Banque mondiale, 1975, p. 62) et pourdécider de continuer simplement à se préoccuperde l'incidence sanitaire de ses projets de développement. Cette intervention limitée sera unefaçon pour « la Banque [... ] d'acquérir l'expérience nécessaire pour déterminer si elle peutparticiper efficacement à la mise au point de systèmes sanitaires adaptés aux pays en développement» (Banque mondiale, 1975, p. 71). Avant deprendre cette position, le document contenait notamment quelques proposition~ relatives à « une
Joseph Bnlllet-Jailly
politique de santé pour l'avenir », propositionsdont certains seront surpris aujourd 'hui d'apprendre qu'elles ont été défendues par la Banquemondiale il n'y a pas si longtemps. Les voici enrésumé:Arrêter de construire des hôpitaux urbains ou
d'agrandir les hôpitaux existants:Mettre au point des méthodes de tarification qui
découragent les patients qui n'ont pas vraiment besoin de soins et ceux qui ont tendance à faire appel à des thérapies inutilement complexes, ce qui signifie en pratiquefixer le prix des services au niveau de leurcoût réel:
Améliorer l'accès au système de santé de base:Faire en sorte que « les postes sanitaires et les
hôpitaux de district exi~tants répondentmieux aux be~oins des animateurs de santécommunautaire » :
Planifier « l'extension des soins de base de façonà compléter le rôle joué dans les collectivités villageoises par les guérisseurs traditionnels »(Banque mondiale, 1975, p. 46-47).Les trois dernières propositions ~ont exac-
tement celles que présentait le Dr Mahler, alorsdirecteur général de l'Organisation mondiale dela santé, devant la ne assemblée mondiale de lasanté en mai 1974. On trouve donc dans un document très officiel de la Banque mondiale deuxpages sur les « animateurs de santé » dans lesvillages (Banque mondiale, 1975, p.48-49),supervisé par des « auxiliaires médicaux [... ]ayant reçu une formation paramédicale de 18 à24 mois après le cycle primaire ou si possible lepremier cycle secondaire» (Banque mondiale,1975, p. 50) : au niveau ~upérieur, tout ce personnel devrait travailler sous la supervision d'un« médecin directeur des services de santé debase » qui devrait bien se di~tinguer des cliniciens, par une formation orientée vers l'urgence,l'épidémiologie, la promotion de la santé descollectivités, les coutumes locales et les méthodes des guérisseurs traditionnels, l'agronomieet la nutrition, formation que les facultés de médecine sont incapables de donner (Banque mondiale, 1975, p. 50) ; à moins qu'on accepte delaisser la direction de ces services à « des cadresqui, sans être médecins, posséderaient une formation étendue en matière de développement ruraLd'action communautaire et d'administration»(Banque mondiale, 1975, p. 51). On repère là~ans difficulté, mais avec une certaine surprisetout de même, l'influence de la grande vogue
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Bidonvilles et bureaux, Jakarta, Indonésie. ScanSp"guc/Ciric
qu'ont eue quelques expériences réalisées enChine, en Tanzanie et dans plusieurs paysd'Amérique latine. Cependant, à la rétlexion, laposition adoptée signalait un doute: « Elleretlétait des inquiétudes quant à la faisabilité desystème de santé à faible coût et quant à lavolonté politique d'instituer des réformes significatives »(Banque mondiale, 1997a, p. 29).
En outre, la position adoptée en 1975 devaitrésulter d'arbitrages fragiles puisque cinq ansplus tard seulement la Banque changeait complètement d'attitude, comme en témoigne le HealthSector Policy Paper de 1980. La Banque estimeque les expériences qu'elle a menées entre 1975et 1978 lui ont donné des « occasions de tester, àune échelle modeste, de nouveaux concepts enmatière de soins de santé, et d'augmenter sacompréhension des questions majeures qui se posent dans ce secteur» (Banque mondiale, 1980,p. 5). Cette décision est fondée sur un diagnosticsans complaisance des défaillances des systèmesde sànté (Banque mondiale, 1980, p. 7), et surune conception claire - mais peut-être un peutrop simple, on va s'en rendre compte - de la
structure d'un système de santé efficace et pastrop coûteux.
Ce système, qui ne concerne que les servicesde santé de base, serait pyramidal et compteraittrois niveaux:Des agents de santé communautaire: « Leurs
tâches incluront le diagnostic et le traitementde maux communs et simples, J'évacuationdes patients souffrant de problèmesrequérant les soins d'un personnel mieuxformé ou mieux équipé, l'éducation de lacommunauté en matière de nutrition, d'hygiène et de soins personnels. L'expériencesuggère que des agents ayant bénéficiéd'une formation de pas plus de six moispeuvent traiter en toutes sécurité et efficacitéenviron les deux-tiers ou les trois-quarts detous les patients » (Banque mondiale, 1980,p.44) ;
Au second niveau: « Un centre de santé rural,une clinique urbaine, ou un petit hôpital dedistrict ( ... ] les problèmes relevant de ce niveau sont les soins aux blessures accidentelles graves, la prise en charge des gros-
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sesses à haut risque, l'assistance aux accouchements difficiles, le diagnostic des maladies rares et l'administration des traitementsqui s'accompagnent fréquemment d'effetssecondaires indésirables. En outre, la formation de second niveau devrait avoir descapacités de stockage pour les vaCCInS et lesmédicaments qui sont sensibles à la température, et devrait tenir le stock des médicaments et matériels qui ne sont utilisés querarement. Cette formation de second niveaudevrait normalement être tenue au moins parun assistant médical ou une sage-femmeayant reçu deux années d'enseignementformel au-delà du niveau de l'éducation secondaire de base » (Banque mondiale, 1980,p.44) ;
Le troisième niveau du système de santé serait:« L 'hôpital de référence, le seul niveau auquel des médecins qualifiés seraient employés dans les pays les plus pauvres.L'hôpital de référence serait équipé d'un laboratoire de diagnostic, d'un équipementradiologique, d'une salle d'opérations, et desalles d'hospitalisation. Il assurerait l'administration sanitaire de la région r...1 Dansles pays plus riches, l'équipe de l'hôpital deréférence inclurait des spécialistes enobstétrique, chirurgie, pédiatrie et médecineinterne. En fonction de la densité de la population et de l'existence de transports, J'hôpital desservirait une population de 100 000 à250 000 habitants, et superviserait les activités de trois formations de second-niveau (ouplus) et de peut-être 50 agents de santécommunautaires » (Banque mondiale, 1980,p.44-45).Au contraire, les propositions en matière de
financement des services de santé sont peuélaborées, optimistes (les ressources consacrées àla santé vont augmenter pendant les deuxprochaines décennies, Banque mondiale, 1980,p. 45) et manquent de précision, voire de réalisme (par exemple lorsqu'il est suggéré de favoriser des systèmes locaux d'assurance, ou descoopératives s'occupant de l'importation et de ladistribution des médicaments essentiels, Banquemondiale, 1980, p. 46).
La Banque mondiale décide donc d'intervenir dans le secteur, c'est-à-dire de prêterdirectement pour la réalisation de projets dans ledomaine de la santé, en soutenant une politiquefondée sur « le développement d'infrastructures
]mefJ/z Sll/lIef-]lIll/y
sanitaires de base, la formation d'agents de santécommunautaires et de personnels administratifs,le renforcement de la logistique et l'approvisionnement en médicaments essentiels, la fourniturede services de santé maternelle et infanti le, etl'amélioration des services de planification familiale et de contrôle sanitaire » (Banque mondiale,1997G, p. 30). Tout cela paraît évidemment unpeu vieilli aujourd'hui.
Quant au plus récent document officielSanté, nutrition et population: stratéf!,ie sectorielle, qui date de 1997, il se tient à un niveau degrande généralité, sans doute imposé par le soucid'obtenir le plus large accord. D'entrée de jeu, ilcombat la réputation qu'ont désormais les experts et les interventions de la Banque, en défendant haut et fort le rôle de l'État (dont l'intervention s'impose, nous rappelle-t-on, si on veutobtenir un minimum d'efficacité et d'équité dansun domaine où les échecs du marché sont inévitables). Puis il rappelle les bonnes raisons qu'a laBanque mondiale d'intervenir dans ce domaine,sans hésiter à commencer par cette banalité selonlaquelle «aucun pays ne peut s'assurer unecroissance économique soutenue ou une réduction de la pauvreté sans disposer d'une population en bonne santé, bien nourrie et éduquée»(Banque mondiale, 1997b, p. la); la raisonessentielle est que la Banque, comme elle le ditelle-même, connaît parfaitement le contexte despays emprunteurs, est capable de leur fairepartager sa connaissance de la meilleure pratiquede par le monde, et de jouer le rôle de cMalyseur.Cela dit, elle peut porter une appréciationmodeste de ses résultats antérieurs. Quant auxpriorités affichées, clairement présentées commecelles de la Banque mondiale, elles sontsimplement les suivantes:« Travailler avec les pays pour améliorer les ré
sultats concernant les plus pauvres dumonde, en matière de santé, nutrition et population, et pour protéger la population del'appauvrissement résultant de la maladie,de la malnutri tion et de la forte fertilité»(Banque mondiale, 1997b, p. 17) ;
« Travailler avec les pays pour augmenter la performance des systèmes de santé en promouvant un accès équitable aux services curatifset préventifs organisés pour la populationdans le domaine de la santé, de la nutritionet de la planification familiale, et une utilisation équitable de ces services, qui devrontêtre accessibles, efficaces, bien gérés, de
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bonne qualité et sensibles aux besoins desclients» (Banque mondiale. 1997b, p. 18);
« Travailler avec les pays pour garantir un financement durable des soins médicaux par lamobilisation des niveaux voulus de ressources, l'établissement de mécanismessuffisamment larges de partage des risques,et le maintien d'un contrôle effectif des dépenses publiques et privées» (Banquemondiale, 1997b, p. 19).Qui pourrait contester de si bonnes, de si
généreuses, mais aussi de si raisonnables intentions? Qui pourrait s'offusquer de l'insistancequi est mise sur le fait de travailler avec lespays? En outre, puisqu'il s'agit de s'autoriser àprêter, ces objectifs et ces modalités sont parfaits.C'est seulement dans des documents plustechniques, et en particulier dans les documentsspécifiques à l'Afrique, que ]' on trouvera lesprécisions qui s'imposent manifestement.
Pratiquement: l'expertise
Nul ne conteste que la Banque mondiale ait acquis, en quelques années, une expertise de premier rang dans le domaine de la santé. Le soucide lier les prêts à des analyses et même à des recherches a été une constante de son attitude: ilétait déjà présent dans des projets anciens, il estrappelé et sans doute renforcé dans les documents les plus récents (par exemple Banquemondiale, 1997b, p. 20).
Cependant, selon toutes les apparences, lessuggestions des experts ne sont pas toutes reprises à son compte par leur employeur. Ellessont publiées, mais accompagnées par exemplede l'avertissement suivant: « Les opinions, interprétations et conclusions présentées ici n' engagent que les auteurs et ne doivent être attribuées en aucune manière ni à la Banquemondiale, ni à ses institutions affiliées, ni auxmembres du Conseil des administrateurs et auxpays qu'ils représentent» (Banque mondiale,1994).
Pourtant, lorsque les experts abordent en1987 la question du financement des services desanté (Banque mondiale, 1987). toutes les discussions sur tous les nouveaux projets de laBanque portaient déjà et porteront désormais nécessairement, à un moment ou à un autre, sur lapolitique des prix dans le secteur de la santé. Ilest vrai que nous sommes alors « à une époque
où la dépense publique ne peut pas, en général.être accrue: où, en réalité, dam beaucoup depays. elle doit être réduite» (Banque mondiale,1987, 1). D'où la suggestion de « réduire la responsabilité du gouvernement dans le financement de ce type de services de santé qUI fournitpeu de bénéfices à la société dans son ensemble(mais qui fournissent un bénéfice à l'utilisateurdirect du service). Une plus grande part des ressources gouvernementales (ou publiques) seraitalors rendue disponible pour financer des services qui procurent beaucoup de bénéfice à lasociété tout entière. Car en déchargeant le gouvernement du fardeau de la dépense publiquepour des soins allant aux riches, cette approchelibérerait des ressources de sorte qu'on pourraitdépenser plus pour les pauvres » (Banque mondiale, 1987, p. 1). Cette proposition libérale estjustifiée par le fait que « les individus sont engénéral disposés à payer pour des soins directs,essentiellement curatifs, qui apportent un bénéfice évident pour eux-mêmes et leurs familles.Ceux qui ont un revenu suffisant pour le fairedevraient payer ces services. Le financement etla fourniture de ces types privés de services desanté (qui bénéficient surtout au consommateurdirect) devraient être attribués à une combinaisond'un secteur non gouvernemental et d'un secteurpublic réorganisé pour être financièrement plusautosuffisant. Un telle attribution augmenteraitles ressources publiques disponibles pour lestypes de services qui sont des "biens publics" :ces derniers comprennent des programmes qui nesont actuellement pas assez financés, tels que lesvaccinations, le contrôle des maladies à vecteurs,le traitement des ordures, l'éducation sanitaire,dans certains cas les soins prénatals et maternels,y compris la planification familiale » (Banquemondiale, 1987, p. 2).
Il faut dire que ce genre d'argument nefournit une véritable justification de la politiqueproposée qu'à ceux qui en sont déjà partisans. Ilest plausible que les gens qui en ont les moyenssoient disposés à payer les soins dont ih bénéficient. Il est moins évident que les finances dusecteur public s'en trouveront sensiblement renflouées, et encore moins évident que d'éventuelles ressources supplémentaires, recueilliesgrâce aux activités curatives les plus demandées,sOIent affectées par les formations sanitairesconsidérées - généralement des hôpitaux urbains- à des activités préventives bénéficiant aux pluspaùvres - souvent des habitants des faubourgs
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délaissés ou des campagnes. Les experts restentdans le vague en ce qui concerne la manière decombiner les motivations des gestionnaires etcelles de la santé publique. Et. lorsqu'ils suggèrent de développer l'assurance, leurs propositionssont du niveau des manuels les plus élémentaires(Banque mondiale, 1987, p. 5 et 43), et parfoisfranchement irréalistes (lorsqu'ils proposentd'appliquer les groupes de diagnostics comparables par exemple), ce qui est bien décevant. Ilssavent pourtant que les systèmes d'assurancemaladie existants sont en partie une façon defaire subventionner les plus riches par les pluspauvres (Banque mondiale, 1987, p. 5), mais ilsn'osent pas en ttrer les conséquences logiques etpratiques qui s'imposent. On ne peut donc retenirde leur proposition que ce qu'elle contient: recouvrez les coûts, supprimez les entraves à laconcurrence, gérez le secteur public en utilisantles incitations du marché, et le reste (en particulier la solution pour les pauvres) viendra par surcroît. « Des décisions prises pour l'essentiel dansr arène politique détermineront si les fonds libérés seront utilisés pour les pauvres ou pour desservices dont le bénéfice est public, plutôt quepour construire des hôpitaux urbains ou pouracheter de coûteux équipements non indispensables" (Banque mondiale, 1987, p. 8). N'est-ccpas là une stratégie?
Un autre document particulièrement significatif du travail des experts est celui qui paraîtrasous le titre Pour /Ille meilleure santé ell Ati·iqlle.La comparaison de deux versions parues à un and'intervalle, avant une large diffusion, est trèsinstructive: elle montre que les experts de laBanque mondiale apprennent vite, et qu'ils prennent eux aussi grand soin de rendre acceptablesleurs positions et propositions. On lit parexemple dans la version de 1992 la phrase suivante, qui a le mérite de la franchise et de laclarté:
« Les gouvernemenh afrIcains 1... 1devront accepterl'exiqence de deux "ous-systèmes de santé séparés,l'un entièrement privé financé par les gensrelallvement aisés. et l'autre pour la grande majoritéde la population. De teb systèmes ù deux vitessesexi.,tent pratiquement dam. tous les pays, et les effortspour en empêcher l'apparItion ont été vains» (BanquemondIale. 1992. p. 72).
Cette phrase disparaît dans les versIOnsultérieures, au profit de formules moins abruptes.
}useph Brul/et-}ailly----._---
De même, quelques allusions un peu lourdesaux valeurs africaines ont disparu: c'est dommage. parce qu'elles traduisaient sans doute trèsfidèlement une argumentation souvent implicitedes experts en mission. On lisait en effet dans laversion de 1992: « En 1987, l'initiative de Bamako soutenue par l'OMS et l'UNICEF était unenouvelle expression de politiques de santé puisant dans les valeurs africaines fondamentales.Son centre est la communauté [ ... J " (Banquemondiale. 1992, p. 58). Et encore: « Les gouvernements africains peuvent aider leurs peuples àatteindre une meilleure santé en parvenant à unemeilleure compréhension des liens entre la santéet les cultures traditionnelles africaines et enrenforçant ces liens ... " (Banque mondiale,1992, p. 69).
La version de 1993 présente un résumé trèsclair des orientations privilégiées par la Banquemondiale, dans la ligne du document de 1987 surle financement. mais se signale par son ton normatif:Les gouvernements donneront la priorité à la
création d'un environnement favorable à lasanté, par le fll1ancement et la production debiens et services de santé publique qui bénéficient à la société dans son ensemble, et ensubventionnant l'accès aux soins de santépour les segments les plus pauvres de la population :
Les systèmes de santé seront décentralisés [... ] :On mettra l'accent sur les services de base,
fournis d'une manière efficace pour soncoût, utilisant les médicaments essentiels etcomportant des services communautairestels que l'éducation nutritionnelle et les visites à domicile. Ces services satisferont auxbesoins des groupes les plus vulnérables, lesnouveau-nés, les enfants de moins de cinqans, et les femmes en âge de procréer, demême que les maladies majeures, périnatales, infectieuses et parasitaires. On viserapar là à faire face à 98 q. des problèmes quipeuvent être traités cliniquement. Ces services seront standardisés en utilisant les médicaments essentiels internationalementreconnus et des normes pour surveiller etévaluer la qualité des soins:
Le partage des coûts sera pratiqué à grandeéchelle au niveau de la communauté, maispas sans que l'on ait simultanément augmenté la qualité des services [ ... ]:
La BOllqlle //lolldUlle a-t-elle IIlle stratégie l'Il matière de sallté :' 361
Au-delà des hôpitaux de premier recour~, des hôpitaux centraux, nationaux et d'en~eigne
ment continueront à offrir des soins deniveau tertiaire et de se concentrer sur laformation, avec cette précision que les malades demandant des soins devront progresser selon un système de référence bien ordonné, qui sera alors canalisé, et plus efficient du fai t des fonctions données audistrict. Le recouvrement de~ coûts sera misen œuvre de façon plus extensive dans ceshôpitaux, et le financement provenant dubudget de l'État diminuera progressivement.Les malades évitant le système de référencedevront payer jusqu'à 100 c/r du coût(Banque mondiale, 1993b, p. 5).L'expertise a fait un autre grand pas à
l'occasion de la préparation du Rapport sur ledél'eloppel1lel1/ dans le monde 1993 : Investirdam la sail té. Ce document représente un progrès considérable par rapport aux tentatives antérieures de mesure synthétique des conséquencesde la maladie sur la durée et la qualité de la vie,première étape d'une mesure des effets à attendre(c'est-à-dire: de l'efficacité) des interventionssanitaire~ proposées par la science médicale,première étape aussi d'une étude de l'efficacitépour un coût donné. Il repose sur la synthèsed'une très large littérature disponible au momentde sa rédaction (Jamison et aJ.. 1993), et sur destravaux originaux dont l'achèvement et la publication ont été postérieurs (notamment Murray etLopez, 1996).
Mais les résultats de cette approche ontsuscité une violente opposition, fondée sur deuxtypes de raisons instructives.
1. Certaines portent sur la méthode. Bienévidemment, ces travaux simplifient la réalité,pour parvenir à la maîtriser. Ce faisant, ils seheurtent à des objection~ évidentes, dont cependant le poids devrait être évalué. Ainsi, parexemple, les évaluations des interventions spécifiques (qui ne concernent qu'une maladie) ~ont
rendues plus délicates qu'on ne croirait par deuxfaits évidents: le même geste (réhydratatIOnorale par exemple) effectué par un personnelqualifié et par une mère de famille peut avoir uneefficacité très différente: et en second lieu, descon~idérations éthiques et économiques entraînent qu'on exécute souvent plusieurs actes dansle même lieu et au cours de la même séance.Mais que doit-on en conclure exactement? Qu'il
vaut mieux ignorer ce que l'observation nous en~eigne, ou bien qu'il faut en tenir compte avec laprudence qui s'impose ') Aux yeux de~ experts dela Banque mondiale, le~ étude~ ~ynthétisées parlamison et al. «ont apporté deux résultats remarquable~ qui ont affecté la pensée sur laconception et le fonctionnement des ~ystèmes desanté. D'abord, les intervention~ cliniques et desanté publique sont relativement peu coûteuse~,
ce qui suggère que les unes et les autres pourraient être rendues di~ponibles au niveau localpour obtenir le meilleur rendement par unité monétaire dépensée, ce qui représente une évolutionconsidérable par rapport à l'hypothèse longtempsadmise selon laquelle les soins de santé primaire~
basés dans la communauté pourraient être efficaces même en l'absence de services clinique~.
Deuxièmement, beaucoup des interventions lesplus efficaces pour leur coût requièrent deschangemenh décisifs des comportements au niveau des ménages (comme l'allaitement au sein,l'usage du préservatif, la cessation de fumer,l'utili~ation de sel iodé, etc.). Ceci suggère queles interventions sanitaires les plus efficaces pourleur coût sont plus affaire de promotion et decommunication que les soins médicaux, ce qui ades implications évidentes pour la conception dessystèmes de délivrance» (Banque mondiale,1997a, p. 18).
On objectera aussi qu'évaluer un programme est encore d'une tout autre difficulté, àla fois parce qu'un programme comporte généralement plusieurs interventions, et parce que,d'autre part, une affection peut en général êtrecombattue par plusieurs interventions. En outre,il n'y a pas d'accord sur la meilleure mesure oule meilleur index de l'état de santé. La mesure dela mortalité avec la précision nécessaire pourcette utilisation présente de très grandes difficultés et serait très coûteuse. Cependant les« mesures d'efficacité à coût donné, comme lesannées de vie corrigées de l'invalidité, et les mesures précises de la charge globale de la maladieau niveau régional et national, fournissent uncadre pour une planification sanitaire plus rationnelle », et d'ailleurs «diverses unités opérationnelles de la Banque travaillent en ce momentà incorporer ces instruments dans l'analyse économique des projets proposés » (Banque mondiale, 1997a, p. 24) : par exemple en Tanzanie,Ouganda, Kenya, Érythrée.
Et les experts eux-mêmes sont à vrai direbien placés - mieux que quiconque - pour re-
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connaître que « il y a encore d'autres limites àl'utilisation de l'analyse de l'efficacité à coûtdonné pour évaluer les choix de politique sanitaire. Les interventions diffèrent en spécificité (laproportion, parmi les personnes à qui une intervention est appliquée, de ceux qui en tirerontbénéfice, à supposer que l'intervention est réalisée exactement comme elle doit l'être et appliquée à tous ceux à qui elle doit l'être), le degréselon lequel elles peuvent être ciblées sur la population à risque, la variance du risque entre lespopulations, et le niveau d'observance qui peutêtre attendu étant donné le régime du traitement(ou la variance de la demande, lorsque le servicen'est pas épidémiologiquement ou médicalementnécessaire). Comme chacune de ces variables estdépendante de facteurs économiques, culturels etde gestion indépendants de l'intervention ellemême, l'efficacité pour son coût d'une intervention donnée peut varier (parfois varier beaucoup)entre et à l'intérieur des sites ou groupes de population. Les recommandations fondées surl'efficacité pour un coût donné doivent nécessairement être filtrées par des analyses du contexteet des résultats de systèmes de délivrance particuliers» (Banque mondiale, 1997a, p. 24).
2. Il y a néanmoins une autre catégorie de motifsaux oppositions qui se manifestent. N'est-il pasen effet scandaleux d'écrire noir sur blanc dansun document de la Banque mondiale, et surtout sile texte justifie amplement le propos, que:Une grande partie de l'argent dépensé pour la
santé est de l'argent gaspillé parce qu'onachète des produits pharmaceutiques demarque au lieu de médicaments génériques,parce que le déploiement et la supervisiondes agents de santé sont mal organisés, etparce que les lits d'hôpital sont sous-utilisés :
Dans les pays à faible revenu, les pauvres setrouvent souvent lésés parce qu'une trèsforte part des dépenses publiques de santéva à des services hospitaliers très coûteuxdont bénéficient de manière disproportionnée des populations urbaines mieux loties(Banque mondiale, 1993a, p. 4) ?De même, n'est-il pas scandaleux de suggé
rer que:Les gouvernements des pays en développement
devraient dépenser beaucoup moins - environ 50 % de moins en moyenne - pour desinterventions d'un moins bon rapport coût-
Joseph Brunet-Jailly
efficacité et, au contraire, doubler ou triplerce qu'ils dépensent en programmes de santépublique de base, comme les vaccinationsou la prévention du sida, et en services cliniques essentiels:
Une forte action réglementaire est aussi indispensable, notamment en ce qui concerne lesservices de santé dispensés par le secteurprivé, afin d'en assurer la sécurité et la qualité, et en ce qui concerne aussi l'assuranceprivée pour garantir l'accès de tous à sa protection, et décourager des pratiques, commecelle du paiement à l'acte des professionnels, avec remboursement par l'assureur en« tiers-payant », ce qui conduit à une utilisation excessive des services et à une escaladedes coûts (Banque mondiale, 1993a, p. 7) ;
si c'est précisément ce qu'aucun gouvernementne veut faire, dès lors que sa politique, dite desanté publique, prenant exactement le contrepIed de ces suggestions, est défendue bec etongles par les professionnels, médecins installésen clientèle et pharmaciens d'officine en tête? Ilfaut donc s'opposer à ces technocrates, à ceséconomistes, à la Banque mondiale et au Fondsmonétaire international, à tous ces gens qui nesavent pas ce qu'est un malade.
Manifestement, l'expertise a donc beaucoupprogressé depuis dix ans, et ses progrès mêmes[' ont amenée à aborder des questions bien délicates. Les positions ainsi affichées peuvent-ellesse traduire dans des programmes effectivementréalisés? Comment la Banque mondiale évaluet-elle elle-même les résultats auxquels elle parvient?
L'évaluation de l'efficacité desinterventions de la Banque
Les évaluations internes de la Banque montrentque ses projets sont « parfaitement réussis lorsqu'ils se concentrent sur les besoins d'investissement en capitaL sur le développement desinfrastructures, sur la fourniture des inputs »,mais que le succès est « modeste» lorsqu'ils'agit par exemple de cibler les besoins spécifiques des pauvres, qu'ils soient localisés géographiquement ou qu'ils prennent la formed'affections particulières (Banque mondiale,1997h, p. 14). Les objectifs de développement àproprement parler, et notamment ceux quiconcernent les capacités institutionnelles, étantnaturellement encore plus difficiles à atteindre,
La Ballque mondiale a-t-elle /Ille stratégie 1'11 II/Ot/ère de wllté ? 363
seulement 17 % des projets y auraient contribuésubstantiellement. pour de multiples raisons:« objectifs de développement institutionnel malspécifiés: manque d'engagement du pays:manque d'appropriation du projet par l'emprunteur, notamment dans les zones rurales: capacitéinadéquate de planification et de gestion; stratégies inadéquates en matière d'incitations, de réglementation, d'information et de communication : faible implication des partenaires extérieursà l'administration: manque d'attention pour lesuivi et l'évaluation: projets aux objectifs irréalistes, à l'organisation complexe, manque decontinuité et supervision inadéquate» (Banquemondiale, 1997h, p. 15). En outre, seulement« 44 % des projets achevés dans le domainesanté, nutrition et population ont été classés parle département d'évaluation des opérationscomme "probablement durables" ». Enfin, parmiles 68 projets dont le Project Completion Reporta été analysé, rares sont ceux qui « fournissentune documentation objective concernant l'impactdes investissements du projet sur les résultats enmatière de santé, fertilité ou nutrition» (Banquemondiale, 1997h, p. 15). Des efforts récents sontfaits pour remédier à cette situation assez peusatisfaisante.
Évaluer l'efficacité des opérations
« En dépit de la rapide expansion de ses prêts, endépit de la largeur et de la profondeur de son travail d'analyse en matière de santé, nutrition etpopulation, la Banque n'a pas encore tenté unerevue de l'efficacité de ses activités dans ce secteur. Aussi une telle évaluation est-elle fort àpropos» (Banque mondiale, 1997a, p. 53). Defait, en ce qui concerne spécifiquement la santé,l'OED (Operation Evaluation Department) n'aréalisé un audit que sur quatre projets, et n'a analysé qu'une vingtaine des rapports d'achèvement.
Sur le plan méthodologique, une premièreévaluation, réalisée en 1985, n'utilisait pas desindicateurs de performance, se montrait critiqueà l'égard des indicateurs de processus, et suggérait donc essentiellement qu'on développe desméthodes d'évaluation des projets (Measham,1986). Mais apparemment, la question n'a pasbeaucoup progressé depuis lors, et le plus récentrapport de l'OED (Operation Evaluation Department) contient une esquisse de méthode,plutôt qu'une évaluation à proprement parler.
L' éval uation devrait se référer aux critèresde performance suivants:L'efficacité cl inique/épldémiologique, hien
qu'elle soit en fait difficile à évaluer « àcause des difficultés à mesurer les résultatsen termes de santé même pour une seule intervention » :
L'accessibilité et l'équité: « L'accessibilité physique, l' accessibi lité financière. l'accèseffectif (utilisation) » d'une part. « la progressivité des contributions (c'est-à-diretaxes, primes, paiements directs) qui financent les soins médicaux », ou «l'accèseffectif de différents sous-groupes de la population» d'autre part (Banque mondiale,1997(/, p. 57).
Ce sont ces deux premiers critères qui ontété privilégiés pendant des décennies; et encore,pour le second, on s'en est tenu à l'utilisation, enévitant soigneusement d'analyser la redistribution par les finances publiques. Les problèmesque rencontrent aujourd'hui les systèmes desanté viennent au moins en partie de ce qu'on anégligé deux autres critères fort importants:La qualité et la satisfaction du consommateur;L'efficaCIté économique, qu'on pourrait com-
mencer à aborder très simplement en«comparant les coûts unitaires entre lesformations, en tenant le nombre et la structure des patients constants» (Banque mondiale, 1997a, p. 58).En résumé, pour le groupe chargé de l'éva
luation au sein de la Banque mondiale, il n'existeprésentement pas une mesure unique de la performance générale des systèmes de santé; lesévaluations doivent poursuivre les quatre critèresmentionnés plus haut (Banque mondiale, 1997(/,p. 58). C'est donc en utilisant une multiplicité decritères que se déroule en ce moment même uneample évaluation de l'efficacité des interventionsde la Banque dans le secteur HN. Cette opérationcomporte deux aspects principaux: d'une partune analyse des StaffAppraisal Reports (SAR's)pour 240 projets dans 80 pays pendant la période1980-1995, où l'on cherche ce que ces projetsont essayé de faire pour améliorer la capacitéinstitutionnelle, pour tenir compte de la demande, pour influencer les performances du système de santé (actions sur l'efficacité clinique,sur l'accessibilité et l'équité, sur la satisfactiondes consommateurs et sur l'efficacité économique) [Banque mondiale, 1997(/, p. 59] :
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d'autre part, des études d'impact dans certainspays particuliers, sélectionnés selon un ensemblede critères (Banque mondiale, 1997i1, p. 63-65).Les premiers résultats commencent à paraître(Banque mondiale, 1998).
Améliorer l'efficacité des opérations
Le~ premier~ résultats des analy~es statistiquessur les document~ décrivant les projets ont montré que le~ performances (évaluées selon troisdimensions: résultats obtenu~ en termes desanté, contribution au développement institutionneL et pérennité) sont étroitement liée~ à la qualité de départ du projet. Cette qualité «àl'entrée » a elle-même été évaluée dans plusieursdomame~ : l'analyse économique, l'analyse institutionnelle, l'analyse de la demande, les modalités prévues de suivi et d'évaluation. Il e~t en effetapparu que, si les résultat~ obtenus au terme desprojets dépendent d'abord et avant tout de la performance de l'emprunteur (qualité d'ensemble de~e~ institutions, y compris l'importance de la corruption), ils sont aus~i tributaires de facteurs qui~ont sous le contrôle de la Banque, facteursparmi lesquels la qualité à l'entrée s'avère plusimportante que la qualité de la supervi~ion : il estégalement apparu que, parmi les dimen~ions dela qualité à l'entrée, l'analyse in~titutionnelle aplus d'importance que l'analyse économique(Banque mondiale, 1998, p. 23-24).
Or, en ce qui concerne l'analyse institutionnelle :Un tiers de~ projets ne discutent pas des obs
tacles institutionneb à la mise en œuvre:Parmi ceux qui le font, la plupart discutent
« l' engagement », qui peut être purementverbaL 17 o/c ~eulement discutent des structures d'incitations, qui ont une importancepratique déci~ive :
30 7c' de~ projets anticipent des formes diversesde résistance au changement mais 5 c!c seulement analysent l 'influence de~ groupesd'intérêts, ou proposent des stratégie~ pourfaire face aux oppositions ou résistances:
Bien que 40 % des projets promeuvent la décentralisation, moins de la moitié de ceux qui lefont traitent de l'indépendance fiscale, légale et politique des niveaux provinciaux oumunicipaux:
Peu de projets analysent l'environnement réglementaire des professionnels de la santé:
Jose/J!l Brunet-Jailly
Beaucoup discutent l'importance des médicaments essentiels, mais peu discutent les intérêts divergents dans ce domaine:
Et enfin, il y a peu d'exemples d'une analyseformelle des partenaires.L'analyse économique présente elle au~~i
des lacune~ dans bien des cas:Seulement 18 % des projets présentent une pro
jection de ce que serait le futur en l'absencedu projet:
Avant 1990, les justifications de l'implication dusecteur publ il' ~ont implicites, il n' y a pasd'analyse formelle des défaillances du marché, ni de~ externalités, pas ou pre~que pa~
d'analyse de~ ~ub~titutions :10 o/c seulement de~ projets contiennent une ana
lyse coût-efficacité (et tous les projets qui lefont ont été approuvés après 1990) :
L'analyse des coût~ récurrents et de l'Impact fi~
cal est toujours très agrégée et extrêmementoptimiste:
L 'analy~e des risques est d'habitude courte, centrée ~ur « une capacité inadéquate de miseen œuvre, ou une appropriation inadéquate », et ne contient aucune analyse formelle de sensibilité par rapport au risque:
Les projets sont fréquemment silencieux surl'impact en matière de pauvreté: comme lesprêts concernent souvent des projets desanté maternelle et infantile et de planification familiale, on ~uppose que les pauvres enbénéficient: moim de 10 % des projets discutent de stratégies spécifiques pouratteindre les pauvres, l 'impact ~ur la pauvreté des mesures relatives au financementde la ~anté e~t traité de façon partielle.L'analyse de la demande est toujours extrê-
mement sommaire:La plupart (69 7c selon l'une de~ estimations) des
projets HNP incluent de~ objectifs qui nepeuvent être atteints que par des services répondant aux désirs des clients:
Pourtant, à l'entrée, peu de projets fournissentmême des données de base sur l'utilisationdes services, ou la ~atisfaction des consommateurs:
Dans l'ensemble, seulement 40 Clc des projetsfournissent une information sur la demande(définie de façon typique comme « be~oins
insatisfaits ») et 2 % seulement font une estImation de la réponse des consommateurs àl'intervention projetée:
La Banque mondiale a-t-elle /Ille stratégie en matière de saI/té? 365
Quatre (sur 224) projet~ ~ignalent une participation des bénéficiaire~ à la conception ùuprojet.Quant aux modalités prévue~ pour le ~uivi et
l'évaluation, elles appellent les remarques cidessou~ :La plupart des projets fournissent des indica
teurs, mais seulement un tier~ donne le~ valeurs initiales et projette le~ résultatsattendus ;
Moins de 20 lk basent ces projections sur uneanalyse causale des liens entre les inputs etles résultah ;
L'analyse causale des indicateurs de proces~us
est souvent absente;Peu de projets suggèrent des indicateurs de déve
loppement institutionnel ou de changementdans les performances du système;
La plupart des projets incluent des plans de collecte des données, mais rares sont ceux quispécifient qui en sera responsable ou décrivent la méthodologie:
La majorité des projets incluent des plans pourconstruire et/ou renforcer les systèmes d'information sanitaire, mais ces derniers nesont pas reliés à l'analyse de la façon dontles décisions sont prises.Aussi, de grands efforts ont été tout récem
ment entrepris pour améliorer les procédures del'évaluation des projets. Une étape supplémentaire a été prévue dans l'examen des projets,avant leur approbation; des critères et des grillesd'évaluation ont été mis au point. En outre, unaudit est prévu, pour un échantillon des projetsen cours, un à deux ans après leur lancement, defaçon à déterminer si une révision s'impose.
C'est cependant en matière de supervisionque le Groupe d'assurance-qualité (QualityAssurance Group, QAG) fait les observations etles propositions les plus précises: «L'équipe dugroupe d'assurance-qualité croit que le moyen leplus important pour augmenter la qualité de lasupervision par la Banque - et finalement la qualité du portefeuille de projets - est de procéder àune révision plus agressive des projets. Les responsables des projets devraient considérer cetteactivité de révision et de restructuration de projets comme une part normale de leur obligationde supervision, plutôt que comme un signed'échec (ou une menace sur leur classement individuel en termes de performance) » (Banquemondiale, 1997c, p. Il, § 37). Et le groupe propose que, pour parvenir à ce résultat. on n'hésite
pas à créer des mcitations finanCIères liées à laqualité de la supervision, d'une part. et à simplifier considérablement les procédure~ mternes demodification de~ projets en cour~ d'exécution.
On ne peut que remarquer iCI que l'effortd'évaluation ne concerne que les procédures mternes à la Banque. comme si elle réalisait se~
projets elle-même directement .~ur le terrain. Àvrai dire, ce serait évidemment beaucoup pluscommode. Mai~ il se trouve que la Banquemondiale ne peut travailler qu'avec de~ partenaires, et là apparaît la grande difficulté: quelsintérêts servir ')
Un dilemme persistant:quels intérêts servir?
La Banque est passée de l'idée que ~es interventions devaient se limiter aux volets santé de ~es
projets de développement agricole ou agro-mdustriels, à l'idée qu'elle pou vai t, et mêmedevait, intervenir directement dans le domaine dela santé. Mais pour faire quoi exactement .)
Le point de vue de la Banque:interventions ponctuelles ourestructuration d'une activitéprotégée?
En quelques années la Banque s'est forgé uneopinion, et même une doctrine. sur les carencesdes systèmes de santé et sur ce qu'il conviendraitde faire. Mais, peut-être consciente des difficultés que soulèveraient des interventions fondéessur cette doctrine, elle hésite fréquemment etcherche à éviter l'obstacle. Ainsi. en prenantposition sur le financement des soins. ensuite surles activités prioritaires pour l'Etat, on peut penser qu'elle espérait désarmer ses opposants touten provoquant une évolution des structures. Cetteattitude, qui consiste à tenter de parvenir à sesfins en les masquant, permet de comprendre lesapproximations et même les incohérences qui caractérisent ses propositions:Il est fait grand cas des gaspillages inimaginables
en matière de médicament, mais les solutions proposées restent invariablement incapables de corriger cette situation; ainsi,alors qu'il signale très justement que ladécision essentielle serait celle qui permettrait le remplacement systématique des médicaments en nom de marque par les
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médicaments en dénomination communeinternationale, voire par les médicamentsgénériques, le Rapport sur le dél'eloppementdans le monde 1993 ne suggère plus, dansson chapitre «Ce qu'il faudrait faire », quele recours à des « listes nationales de médicaments essentiels et l'achat des médicaments par voie d'appel à la concurrence »(Banque mondiale, 1993a, p. 165), alorsque, même ~i chacune de ces décisions estjustifiée, aucune d'elle n'est capable deconduire au résultat voulu; au total, lesinterventions de la Banque mondiale dans cedomaine n'ont pas sensiblement modifié lasituation (Banque mondiale, 1998, p. 19) :
Il est fait grand cas des inconvénients d'une allocation des ressources généralement très favorable aux hôpitaux centraux, et del'inefficacité de leurs activités pour leurcoût; « les investissements dans des technologies modernes coûteuses pour servir unpetit nombre de malades continuent à croîtrealors que des interventions simples et peucoûteuses pour les masses restent mal dotées. Ceux qui ont les moyens ont dansbeaucoup de pays un meilleur accès à la foisaux service~ de santé indépendants du gouvernement, parce qu'ils peuvent les payer. etaux services publics parce qu'ils vivent dansdes zones urbaines et qu'ils savent commentles utiliser. Les ruraux, pauvres, bénéficientpeu des hôpitaux urbains financés par les recettes fiscales, et en outre paient souvent desprix très élevés pour le~ médicaments et lessoins traditionnels dans le secteur non gouvernemental» (Banque mondiale, 1987.p. 3) : mais ensuite, et en pratique, et spécialement en Afrique, l'expertise prend uneposition beaucoup plus prudente, reconnaissant qu'il faut de~ hôpitaux nationaux etqu'il faut donc leur ré~erver des moyens(Banque mondiale, 1993b. p. 5, déjà citéplus haut). De même, alors que le recouvrement des coûts est prôné parce qu'ildevrait entraîner une évolution structurelle.les difficulté~ de sa mise en œuvre ne sontnulle part évoquées, quand on ne se contentepas d'un vœu pieux: « Les gouvernementsdoi vent allouer une plu~ grande part dubudget de la santé aux service~ de santé debase et, en particulier, aux dépenses defonctionnement non salariales» (Banquemondiale, 1993a, p. 164) :
Joseph Brunet-Jailly
La formule magique du centre de santé pour5 000 à 10000 habitants est irréaliste dansbeaucoup de contextes pratiques: les difficultés que l'on rencontre pour recruter. former, rémunérer et superviser le personneltravaillant dans ces formations très isoléessont extrêmes et se traduisent inévitablement par des déviations (vers une pratiqueprivée de qualité inacceptable) ; le financement des activités de ce niveau par la population desservie ne dure que ce que dure leprojet, avec ses capacités de motivation etd'animation; sur plusieurs exemples biendocumentés, la Banque mondiale a pu à lafois reconnaître l'échec d'un premier projetde ce type (Banque mondiale, 1997a, p. 90),et persévérer en bâtissant et en finançant unsecond projet similaire (voir un exempledans Banque mondiale, 1998, p. 40).Ces errements ne proviennent pas de lacunes
intellectuelle~. Ils sont, au contraire, parfaitementcompris par ceux qui veulent bien les considérer.En effet, l'une des conclusions qui ressortent desévaluations externes des projets de la Banquemondiale dans le secteur de la santé est que. si laBanque est capable de fournir le « matériel » parses prêts, le pays doit fournir les «programmes », c'est-à-dire une combinaison de décisionssur les services à produire et sur la façon de lesproduire. Le pays, c'est à la fois un gouvernement avec son administration, et spécialementl'administration de ~on système de santé, d'uncôté, et une population de l'autre. Par conséquent, « Bank health lending and policr dialogueare mediated through the health care ,lYstem »
(Banque mondiale. 1997a, p. 55).Or, dans la pratique, « les responsables poli
tique~, le corps médical et la population urbainepoussent à accroître les dépenses de soins desanté tertiaires dans les grandes villes, aux dépens de l'infrastructure de santé des districts. Lesassociations professionnelles et le~ syndicats représentant les médecins et le personnel infirmiers'opposent vigoureusement aux compressions deper~onnel nécessaires pour accroître les dépensesnon salariales et au redéploiement du personnelde santé dans les régions rurales » (Banque mondiale, 1993a, p. 165). Il a fallu attendre 1993pour l'écrire noir sur blanc, dans un documentlargement diffusé, mais qui ne représente pas uneposition officielle de la Banque. Et certains deses expert~ étaient déjà allés nettement plus loin,écrivant par exemple, dès 1989, dans une revue
La Ballque mOlldiale a-t-el/e /Ille Hrmégie ell matière de SlI/lTé :> 367
académique: «Les fonctionnaire~ publicsservent inévitablement leur~ intérêt~ plus volontiers que l'intérêt du public. Les groupes de pression exercent une influence significative dans ladistribution effective des res~ources du secteurde la santé. Le pouvoir est abandonné à de telsgroupes à cause des asymétries de l'informationet de l'incertitude qui règnent entre décideurs politiques, producteurs et bénéficiaires lorsqu'onest en présence d'une gestion bureaucratique etde ~ystèmes de financement qui ne rendent pratiquement de comptes à personne» (BirdsalL1989).
Incontestablement, l'intérêt de l'expertises'est déplacé, il s'attache aujourd'hui beaucoupmoins à la mise en place de services de santé debase, et bien plus à identifier et promouvoir desréformes structurelles majeures dans les système~
de santé. Mais il n'est pas allé jusqu'à proposerun choix clair entre les intérêts à servir: ceux desprofessionnels de santé ou ceux des malades.
Le point de vue des emprunteurs,d'après la Banque mondiale:quelle volonté de réforme?
Lorsque, en 1980, la Banque mondiale a décidéd'intervenir directement dans le secteur de lasanté, l'un des arguments était que le fait de prêter directement serait un moyen d'« assurer lesuccès de programmes nationaux majeurs quiémergent pour accroître la couverture par les systèmes de santé », ainsi que de «compléter etrationaliser les activités en cours de la Banquedans le secteur de la santé » ; un autre était que« une politique plus large de prêt dans le domaine de la santé serait un élément essentielcompte tenu de l'engagement de la Banque dansla lutte contre la pauvreté » (Banque mondiale,1980, p. 8).
Il s'agissait donc manifestement de réaliserdes programmes d'importance dans le secteur dela santé, en veillant à ce qu'ils soient bien insérésdans leurs contextes macro-économiques et institutionnels. C'est pourquoi le choix des pays devait répondre à un certain nombre de critères, telsque: « La volonté des pays de développer unecapacité de planification sectorielle et de préparer des plans à long terme pour rendre les services de santé de base accessibles à tous au termed'une période de durée raisonnable [... ] la faisabilité financière et institutionnelle, l'efficacitépour son coût et la reproductibilité des projets
[... ] l'acceptabilité sociale de~ activités qui tiennent compte des besoins perçu~ des population~
cibles aussi bien que de l'évaluation scientifiquede leurs besoins 1 ... lla hmabilité, l'efficacité etle caractère techniquement approprié des techniques et des systèmes de délivrance 1 ... 1 la capacité des institutions sanitaires à absorberl'aide» (Banque mondiale, 1980, p. 8-9). Uncritère important apparai~~ait encore plus lomdans le même document: « La volonté de la partdes fonctionnaires de la santé et des médecinspraticiens de prendre sérieusement en considération d'éventuelles réformes de l'organisation, ladélivrance et le contrôle des soins médicaux ~era
aus~i un facteur dans le choix des priorité~ dupays» (Banque mondiale, 1980, p. 65). Maisdéjà ces questions de faisabilité apparaissaienttellement importantes ct tellement difficiles à résoudre que l'objectif de lutte contre la pauvretépas~ait explicitement au second plan: « Partoutoù ce sera possible (nous soulignons), les bénéficiaires du programme seront les groupe~ hautement vulnérables» (Banque mondiale, 1980,p.65).
Près de vingt ans plus tard, les difficulté~
d'une politique sectorielle cohérente et efficacepour son coût n'ont pas disparu. Au contrairemême, elles se sont probablement accrues, si l'onen croit le plus récent document, qui reconnaîtclairement:L'existence d'« opinions di vergentes des divers
groupes d'intérêts - les clients de la Banque(c'est-à-dire les Ministres de la Santé et desFinances), les parties prenantes (communautés locales, producteurs de services médicaux, et compagnies d'assurance), lesbénéficiaires (malades, pauvres, femmes,enfants et autres groupes vulnérables), et lesautres partenaires du développement»(Banque mondiale, 1997b, p. 10) :
Que la « répugnance à aborder les questions politiquement sensibles est souvent la raisonessentielle pour laquelle on ne traite pas lesproblèmes les plus profondément enracinésdans le système et qui conditionnent le secteur de la santé, de la nutrition et de la population» (Banque mondiale, 1997b, p. 12), cequi entraîne « une solution de continUitéentre les recommandations de politiquesectorielle que fait la Banque et la conception des projets dans le secteur santé, nutrition et population» (Banque mondiale,1997b, p. 15).
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La solution, largement illustrée par lesconclusions des évaluations organisées par laBanque elle-même, et qui consiste simplement à« rendre le personnel plus sensible aux contraintes pratiques auxquelles font face les dirigeants politiques et les administratifs dans lespays qui essaient de mettre en œuvre des réformes dans le secteur santé, nutrition et population» (Banque mondiale, 1997b, p. 13) n'estvisiblement pas suffisante. li faudra encore faireun effort « pour en apprendre plus sur [... ] lamanière de traiter la résistance institutionnellelorsque les intérêts des parties prenantes sontmenacés par les propositions de réforme»(Banque mondiale, 1997h, p. 21). Il ne suffit pas,non plus, de reconnaître la dépendance des bénéficiaires à l'égard des donateurs, car par exemplel'incapacité de l'administration à mener à biencertaines tâches (Banque mondiale, 1997b, p. 1819) peut être délibérée, comme un moyen d'éviter les problèmes politiques délicats: choisir estdifficile, choisir de favoriser certains intérêtscontre d'autres est plus difficile encore.
Il semble donc que les réalités politiques etadministratives prévalent sur les analyses des experts. La Banque mondiale le reconnaît d'ailleurs: " Le thème central de ce rapport est que laBanque rencontre le succès lorsqu'il s'agit defournir des interventions techniquement bienconçues dans ce secteur, mais beaucoup moinslorsqu'il s'agit de bâtir un consensus et une appropriation par les bénéficiaires à propos de cesinterventions dans le secteur, ou lorsqu'il s'agitd'adapter son message politique et ses projetsaux capacités et contraintes qui caractérisent lescontextes institutionnels particuliers » (Banquemondiale, 1998, p. 3). Comment, dans ces canditions, comprendre la croissance exponentielle desprêts?
Le consensus
Alors que, au milieu des années quatre-vingt, laBanque prêtait plus de 100 millions de dollarsannuellement (Banque mondiale, 1987, p. 49). lemontant annuel des prêts est supérieur à 500 millions de dollars entre 1987 et 1995 (Banquemondiale, 1997a, p. 35-38). La part de « HNP »dans le total des prêts de la Banque, qui était de1,5 Cf'c pour la période fiscale 1986-1988, est passée à 5,5 % pour 1992-1994 et devrait atteindre8,7 7(' pour 1995-1997. Nous sommes donc bien
Joseph BruI/et-Jailly
en présence d'une croissance « explosive » desprêts. Comme les objectifs et les propositions dela Banque mondiale dans le secteur de la santé seheurtent manifestement à de fortes objections dela part des États, il faut supposer que les prêtssont justifiés par d'autres raisons que celles quiconcernent la politique de santé.
Mais, précisément. comment ne pas rapprocher cette décision « sectorielle » de son contextemacro-économique et institutionnel, qui est celuide rajustement structurel? En 1989, 25 des 45pays africains sont sous ajustement structurel,contre 4 en 1982, 8 en 1984, 14 en 1986(Serageldin et al., 1994, p. 185). Que l'on seplace du point de vue du prêteur ou du point devue de l'emprunteur, il faut pour emprunter desmotifs plausibles, des projets « bancables » : ilfaut éventuellement plus de projets qu'on n'enpeut préparer et surtout mener à bien. MaIS n'estil pas évident que tout projet dans le secteur de lasanté présente de façon élective la caractéristiqued'être éminemment présentable?
La politique de santé peut donc n'être qu'unprétexte pour acquérir de l'aide. Elle l'est assurément. Dans la logique de l'ajustement structure\' les experts des bailleurs savent de quelsmontants d'aide extérieure chaque pays aurabesoin chaque année à l'avenir. Les Ministresdes finances sont parfaitement informés de cettesituation: ils savent qu'ils ont besoin de cetteaide pour boucler leurs grands équilibres. Laquestion est donc simplement. pour eux commepour les bailleurs, de savoir comment faire entrercette aide: le pays doit préparer des projets, il estplus ou moins habile dans cet exercice, mais onpeut lui apporter de l'assistance technique, et detoutes façons les aspects macro-économiquesprévalent désormais sur les aspects sectoriels.Peu importe donc le contenu de la stratégie sanitaire, l'essentiel est que la santé fournIsse un bonmotif pour acquérir de raide extérieure.
Cependant, à l'analyse du contenu effectifdes programmes de santé financés par la Banquemondiale, on découvre une autre raison de lacroissance explosive des prêts. À une période oùle rôle de l'État était contesté par certains bailleurs de fonds, à une période où la libéralisationétait à la mode. y compris dans le secteur de lasanté. les prêts de la Banque mondiale ont permisde renforcer les administrations publiques de lasanté, ils n'ont même servi qu'à cela en pratique,au moins en Afrique de l'Ouest. Cette utilisations'imposait d'ailleurs, puisque la Banque 1110n-
La Banque II/ondiale a-t-elle une .\tratégie enll/atlère de santé ~----
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diale prête aux États: son interlocuteur est doncl'administration. 11 est normal que l'admInistration qui acquiert cette aide soit la première servie. Dans le domaine de la santé, l'administrationa donc orienté l'aide vers la création d'échelonssupplémentaires dans la pyramide sanitaire,assortie pour les fonctionnaires de supplémentsde rémunération déguisés en dépenses de formation professionnelle, et vers une prise en charged'une partie conséquente des budgets de fonctionnement des ministères. etc. L'analyse desprogrammes financés par la Banque mondialedans les pays d'Afrique de l'Ouest depuis unevingtaine d'années ne laisse aucun doute à cesujet (Brunet-Jailly, 1998) :Au Mali, il s'est agi d'étendre, à l'initiative de
l'administration de la santé, un réseau decentres de santé dits communautaires, quin'étaient dans beaucoup de cas que les anciens centres de santé d'arrondissement.dont le fonctionnement serait désormaislaissé à la charge de la population;
En Côte d'Ivoire, la Banque a financé le renforcement de l'administration centrale de lasanté, et un vaste programme de travauxpour faire fonctionner une pyramide sanitaire qui ne compte pas moins de neuféchelons;
Au Sénégal comme au Burkina Faso, il s'est agiessentiellement de créer un nouveau niveaudans la pyramide de la bureaucratie sanitaire, les districts, sans que la nécessité decette solution soit aucunement justifiée.Le contexte macro-économique est donc tel
que, aux arguments des missions de la Banquemondiale s'ajoutent les pressions du Ministèredes finances pour pousser le Ministre de la santéà conclure des demandes de financement dont lemontant importe beaucoup plus que les justifications en termes de santé publique. À partir de là,la décision échappe au Ministre de la santé. Lastratégie de l'ajustement structurel a pris le passur la stratégie de développement du secteur sanitaire. Leçon exemplaire, leçon bien comprisedésormais, leçon retenue par tous. Il s'agit d' acquérir de l'aide. il ne s'agit pas de concevoir etmettre en œuvre une politique sectorielle. Onlaissera de côté toutes les questions qui divisent,et on concentrera les prêts sur cet acteur qui lesaccepte si volontiers, l'administration publiquede la santé.
Conclusion
La stratégie que la Banque mondiale a essayé dedéfinir pour le secteur de la santé est fondée surun diagnostic sévère du fonctionnement des systèmes de santé dans les pays en voie de développement, et en particulier dans les pays d'Afriqueau sud du Sahara. Pour mettre en œuvre cettestratégie, la Banque mondiale a tenté d'avancermasquée: en transigeant sur les projets hospitaliers pour désarmer certaines oppositions; enpoussant à la généralisation du paiement desprestations, puis du paiement des prestations àleur coût réel pour obtenir, espérait-elle, uneprogressive évolution des structures de financement et donc de l'importance relative des diverses activités; en restructurant indéfiniment,mais en pure perte, des institutions publiqueschargées d'importer et de distribuer les médicaments, pour ménager les pharmaciens d'officineet surtout les intérêts des importateurs locaux,toujours liés au personnel politique, souvent auplus haut niveau, non sans évoquer de temps àautre les avantages économiques (considérables)des médicaments essentiels, etc. Cette tactiquen'a permis d'obtenir que des résultats bien médiocres, la Banque le reconnaît elle-même. Maisau-delà de cette évaluation interne, il est possiblede montrer que, en pratique, les projets financésont eu pour principal résultat, avec l'assentimentdes emprunteurs assurément, de protéger les revenus médicaux et les intérêts pharmaceutiques(Brunet-Jailly, 1996).
Dans les pays d'Afrique francophone aumoins, le système de santé assure une rente desplus confortables à tout professionnel, quellesque soient sa compétence et sa moralité, et cesprofessionnels savent à la perfection exploiter lesintérêts économiques que leur activité présentepour les milieux d'affaires et leurs représentantspolitiques. Pour paraphraser les experts de laBanque mondiale, le système de santé public aprécisément été construit par « ceux qui ont lesmoyens » pour le bénéfice de « ceux qui ont lesmoyens ». Comment compter sur l'État, lorsquel'État délègue aux professionnels le soin de décider, sans contrôle politique, sans contrepoidsdémocratique? Comment compter sur l'État,lorsqu'il n'est, comme dans la tradition duMandé, qu'une « marmite » (toda) dans laquellechacun est invité à se servir? (Bagayogo, 1989,p. 456-459).
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Audacieuse et naïve, telle m'apparaît lastratégie de la Banque mondiale dans le domainede la santé. Il lui aura fallu vingt ans d'expériences plus ou moins heureuses pour admettreque « les performances des systèmes de santé, etles réformes de ce système en particulier, sontdes questions politiquement sensibles dominéespar des intérêts concurrents entre les producteurs
Note
Joseph Brunet-Jailly
(y compris une variété de groupes professionnelsainsi que de fournisseurs de produits médicaux etpharmaceutiques), les assureurs, les consommateurs (chez qui des différences, selon les groupesd'âge ou de revenu en particulier, peuvent compliquer les discussions sur les objectifs des politiques), et les instances de régulation» (Banquemondiale, 1998, 31 J.
* Remerciements: La préparationde cet article a été rendue pm,siblepar une subvention de l'ORSTOM.grâce à laquelle l'auteur a pu serendre à Washington et rencontrer
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