la bataille de paris, un duel entre socialistes et écologistes ?
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Mémoire réalisé par Hugo SOUTRA en juin 2012, dans le cadre de ses études à l'Institut Français de Géopolitique. Sujet: élections municipales 2014 à Paris, et rivalités entre PS et EE-LVTRANSCRIPT
Diffusion en totalité ou en partialité interdite sans l’accord de l’auteur ou de l’Institut Français de Géopolitique ©
La bataille de Paris : un duel entre
socialistes et écologistes ?
Institut Français de Géopolitique – Master 1 – 2011 / 2012
Hugo SOUTRA, sous la direction de Philippe SUBRA.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Table des matières
Remerciements ......................................................................................................... 4
Introduction ............................................................................................................... 5
I Elections législatives 2012, la pré-bataille de Paris .............................................. 7
A) La conquête de Paris sera politique ou ne sera pas ............................................. 7
1) Les écologistes veulent entrer dans la cour des grands ................................................ 7
2) Une nouvelle dynamique qu’ils cherchent à appliquer à la capitale ............................ 13
B) Le test des élections législatives à Paris ............................................................. 28
1) Les écologistes peuvent être satisfaits ..................................................................... 28
2) La bonne séquence d’EE-LV ne pénalise pas le PS .................................................. 40
II Rivalités de pouvoirs entre frères ennemis ....................................................... 47
A) «L’unité est un combat» ................................................................................... 47
1) Interdépendances et rivalités de pouvoirs ................................................................ 47
2) Des relations «bipolaires» exacerbées à Paris ........................................................... 59
B) Les relations PS / EE-LV à l’épreuve du pouvoir .............................................. 74
1) 2001-2008, la douloureuse construction d’un rapport de forces .................................. 74
2) 2008-2014, la contrainte d’un rapport de forces évolutif ........................................... 90
III Enjeux géopolitiques des élections municipales 2014 ................................... 103
A) La Mairie de Paris, au cœur des stratégies politiques ...................................... 103
1) Paris, un territoire plus que convoité ..................................................................... 103
2) Une super-institution au service d’ambitions nationales .......................................... 110
B) Vers un duel interne à la majorité municipale ? .............................................. 117
1) Socialistes et écologistes affûtent leurs armes en vue de 2014.................................. 117
2) Paris peut encore réserver bien des surprises .......................................................... 134
Conclusion ............................................................................................................ 145
Résumé : ................................................................................................................ 156
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Remerciements
Tout d’abord, je tenais à remercier les différents acteurs et observateurs de cette rivalité
parisienne entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les Verts. Les discussions que j’ai pu
avoir avec les différents élus ainsi que leurs collaborateurs mais aussi les militants locaux
m’ont permis de mieux appréhender les positions de chaque parti et de chaque personnalité
politique. Ces différents entretiens ont été indispensables à ma réflexion et viennent nourrir
cette recherche tout au long des pages suivantes. J’ai aussi pu avoir des échanges riches avec
plusieurs journalistes suivant la vie politique parisienne, qui n’ont pas hésité à me consacrer
de leurs temps personnel pour aborder cette recherche comme mon avenir professionnel. Je
profite donc ici de l’opportunité qui m’est offerte de leur exprimer ma gratitude, qui va bien
au-delà de ces quelques lignes.
Dans un second temps, il me paraît indispensable de souligner le rôle joué par l’ensemble du
corps enseignant de l’Institut Français de Géopolitique, qui m’a donné l’occasion tout au long
de cette première année, d’acquérir des compétences indispensables à l’exercice du métier de
journaliste auquel j’aspire. Leurs différents cours, séminaires et présentations, m’ont permis
de saisir les tenants et les aboutissants d’un conflit géopolitique, dans toute sa complexité.
Plus particulièrement, mes remerciements s’adressent à Philippe SUBRA qui a dirigé ce
mémoire. Il a su m’orienter dès l’automne dernier sur les éléments clés permettant de
comprendre la concurrence entre ces deux formations à Paris, et s’est montré disponible tout
au long de ma recherche pour répondre à mes interrogations.
Le soutien et les conseils de Mathilde COSTIL, allocataire de recherche à l’IFG, ainsi que de
Guilhem MAROTE, me furent également précieux tant dans la rédaction de ces pages que
dans la confection de mes cartes géopolitique disséminées dans cette recherche. Il va aussi de
soi d’exprimer ma reconnaissance à mon entourage proche parfois mué en correcteurs, pour
leur aide et leur soutien exprimé au cours de ces semaines de travail.
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Introduction
lors que les élections législatives viennent de prendre fin ce 17 juin 2012, les
acteurs politiques parisiens ont déjà les municipales de 2014 à l’esprit. Si elle
devrait progressivement monter en intensité, la bataille pour la Mairie de Paris
était déjà prégnante dans les stratégies des élus écologistes et socialistes ces derniers mois.
Galvanisé par un poids politique qu’il n’a jamais eu à l’échelle nationale, Europe Ecologie
Les Verts (EELV) a pour ambition de concrétiser la bonne dynamique enregistrée dans la
capitale au cours des précédents scrutins locaux. Concrètement, il s’agira pour eux d’ancrer la
Mairie de Paris à gauche tout en parvenant à inverser les rapports de forces de la majorité
plurielle, aujourd’hui sous la domination du Parti Socialiste et de Bertrand Delanoë.
Discipline à l’intersection de la géographie, de l’histoire contemporaine et de la science
politique, la géopolitique étudie les rivalités de pouvoirs sur un territoire, susceptible de
d’aboutir à un conflit. Dans cette définition d’Yves Lacoste, il est entendu que le terme
«rivalités de pouvoirs» peut recouvrir un large champ de relations : il peut aussi bien s’agir
d’affrontements que se livrent deux camps ennemis aux idéologies antagonistes, que de la
concurrence exprimée entre deux forces partenaires aux intérêts divergents. Dans tous les cas,
le territoire, qu’il s’agisse de celui d’un Etat ou d’une collectivité, doit être considéré comme
un enjeu de pouvoir en tant que tel. Bien que les litiges locaux n’engagent ni armées ni ne
remettent en cause la souveraineté des peuples, les rivalités qui se déroulent dans des
procédures démocratiques (débats, élections, etc) n’en sont pas moins fortes que certains
conflits interétatiques. Dès lors que l’enjeu du conflit a été spatialisé et confronté aux rapports
de forces dans leur épaisseur historique mais aussi aux représentations de chaque acteur, ces
joutes locales deviennent éminemment géopolitiques.
Dans la foulée des sénatoriales de septembre dernier où la droite parisienne s’est violemment
divisée, les socialistes de la capitale ont vivement combattu l’implantation de l’écologiste
Cécile Duflot lors des législatives de juin 2012. Bien que moins intense et moins médiatique,
de fortes tensions couvent également entre les deux principaux partis politiques formant la
majorité plurielle, qui domine et contrôle la Mairie de Paris depuis onze ans. Dès mai 2010,
certains élus écologistes de la capitale clamaient leur intérêt pour le poste de Maire de Paris.
Quelles divergences opposent le Parti Socialiste et EE-LV dans la gestion quotidienne de la
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politique municipale de la capitale, au point de susciter de telles ambitions et de telles rivalités
plusieurs années avant le scrutin municipal ? Pourquoi sont-ils en conflit à Paris, alors que
leurs relations semblent plutôt au beau fixe dans d’autres exécutifs locaux de province ou au
Conseil régional d’Ile-de-France, ainsi qu’au niveau national ?
Si les trois forces politiques qui composent la majorité rose-verte-rouge de la capitale se
rejoignent dans l’objectif commun de faire battre la droite, ils n’en sont pas moins soumis à
des rapports de forces politiques internes : le Front de Gauche souhaiterait concurrencer le
groupe écologiste, qui lui-même a pour ambition de dépasser son grand frère socialiste,
aujourd’hui le plus haut dans la hiérarchie. Se comparant constamment entre eux, ils font des
calculs, des hypothèses, opèrent des choix et appliquent des stratégies politiques pour arriver à
leurs objectifs respectifs, qu’ils s’agissent de prendre le contrôle ou de conserver le fauteuil de
Maire de Paris, d’augmenter leur poids politique en remportant davantage de postes électifs,
de faire primer leurs idées sur celles des autres, de gagner en crédibilité pour s’inscrire
durablement dans l’exercice du pouvoir, etc. Bien souvent, les rivalités personnelles
s’entremêlent aux rivalités partisanes. Dans un environnement comme Paris, dans un théâtre
géopolitique comme celui de l’Hôtel de Ville, les rivalités personnelles sont même peut-être
plus importantes encore que les divergences idéologiques.
Réalisé à la suite d’un travail de recherche ponctué d’une enquête de terrain, ce mémoire a
pour objectif d’analyser les rivalités et les tensions rythmant les relations entre le Parti
Socialiste et Europe Ecologie-Les Vert,s depuis 2001 jusqu’à aujourd’hui et la préparation du
prochain scrutin municipal. Alternant entre l’échelle nationale et locale, cette recherche
tentera de comprendre le lien entre leurs rivalités et le climat politique propre à la capitale. En
prenant également en compte les dynamiques de chaque partis, leurs stratégies politiques,
leurs plans de communication ainsi que leurs capacités de mobilisation, nous tâcherons de
répondre à cette problématique : la conquête géopolitique de l’Hôtel de Ville de Paris
réinterroge t’elle le leadership du Parti Socialiste sur Europe Ecologie-Les Verts ?
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I Elections législatives 2012, la pré-bataille de Paris
A) La conquête de Paris sera politique ou ne sera pas
1) Les écologistes veulent entrer dans la cour des grands u’il est loin le temps où les écologistes manifestaient à vélo contre les autoroutes
urbaines du Président Georges Pompidou ou tractaient dans les marchés
accompagnés de joyeux orchestres. Dimanche 10 juin, ils étaient plutôt du genre à
scruter dans le détail les résultats du premier tour des législatives, calculette à la main pour
préparer le bureau politique du lendemain. Le sourire aux lèvres. Les réactions dans les
médias pleuvent. Alors que le MoDem s’est écroulé et que le Front de Gauche se tasse, les
écologistes font remarquer qu’eux progressent par rapport à leur triste performance
présidentielle, qu’ils ne subissent plus «l’effet vote utile» et qu’ils retrouvent «leur électorat
qui s’était porté sur Hollande le 22 avril dernier pour virer Sarkozy.» Après les 2,31%
récoltés par Eva Joly, peu avaient «imaginé franchir la barre des 5%.» Pour couronner le
tout, «leurs têtes d’affiches se portent bien1» : Noël Mamère est réélu à Bègles dès le premier
tour avec 52% des voix, Cécile Duflot et François de Rugy n’ont pas été loin de l’imiter en
recueillant 48,7% à Paris et 47,3% à Nantes. Reprenant en cœur plusieurs éléments de
langage, ils font une lecture très politique de ces résultats pourtant mitigés de premier tour,
par le biais d’une langue de bois qu’ils n’ont longtemps pas su maîtriser.
Car avant d’être politique dans les urnes, l’écologie a longtemps été revendicative sur le
terrain : dans la France des 30 glorieuses, une poignée de citoyens - qu’ils soient défenseurs
de l’agriculture biologique, militants de la cause homosexuelle, féministes ou partisans de la
non-violence – rêvent de freiner la croissance pour donner naissance à une société alternative.
Ils forment des groupes locaux, se réunissent, réfléchissent, manifestent, sensibilisent, se
divisent, se déforment : l’écologie est un mouvement citoyen désorganisé, hétéroclite. Avant
de s’illustrer avec leurs amis altermondialistes dans l’occupation de terrain du Larzac ou les
combats ayant trait à l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff, les écologistes ont
longtemps été cloisonné en lisière de la société, à force de bousculer les certitudes d’un
monde en mutation.
1 L’Express : Europe Ecologie a le sourire mais pas encore de groupe parlementaire, le 11 juin 2012
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Il faudra véritablement attendre 1974 et la candidature à l’élection présidentielle de
l’agronome René Dumont, pour que le mouvement écologiste se fasse entendre. La large
médiatisation du jeu politique dont ils bénéficièrent pour la première fois pendant cette
campagne provoqua même un débat interne à la mouvance écologiste : quelle est la méthode
optimale à employer pour «changer le monde» ? Faut-il continuer à être un mouvement
citoyen influençant la société civile ou bien se structurer et faire son entrée dans le monde
politique ? Tout en se démarquant des organisations traditionnelles, refusant d’intégrer les
codes du milieu politique, une partie des écologistes privilégia la deuxième solution et
inventèrent des comités de campagne «biodégradables», disparaissant au lendemain de chaque
scrutin. Déçus de l’alternance socialiste et des premières années d’un mitterrandisme bousculé
par les crises, ils décident de s’inscrire comme une force politique durable : le parti des Verts
naît au congrès de Clichy, en janvier 1984. Mais lorsque se posa quelques années plus tard
l’épineuse question de la stratégie électorale à suivre, l’autonomie politique renvoyant dos-à-
dos la droite et la gauche fût privilégiée à une stratégie d’alliances permettant de «modifier les
choses de l’intérieur». Le clivage était profond entre d’un côté les militants de gauche voire
d’extrême-gauche affirmés et revendiquant leur politisation à voix haute, et de l’autre ceux,
pas forcément de droite, désireux de créer une troisième voie au-delà de l’opposition gauche /
droite, entre marxisme et libéralisme. La division était d’autant plus dévastatrice pour les
Verts qu’elle était attisée… par une guerre des chefs, entre les quelques élus nationaux et
régionaux. Traduction dans les urnes : les écologistes réalisaient du yoyo électoral, selon le
mode de scrutin, les enjeux de la campagne… et la profondeur de leurs divisions.
Après un quart de siècle d’échecs électoraux où les écologistes ne parvinrent que très
rarement à transformer en mandats leur relative popularité, les Verts changeaient donc
radicalement de stratégie : le congrès de 1994 sacra Dominique Voynet et son idée de
contourner les contraintes du scrutin majoritaire, par le biais d’alliances avec les partis de
gauche. Selon elle, c’était l’unique moyen de participer au pouvoir tant au niveau des
collectivités locales que de l’Etat, et seule une entrée dans les exécutifs locaux et le
gouvernement pouvait permettre aux écologistes de confirmer aux scrutins nationaux sans
proportionnelle (présidentielle, législatives) les «percées» réalisées lors des européennes et
régionales. Au milieu des années 90, l’amateur associatif devint alors un professionnel de la
politique, les élections n’étaient plus un moyen d’influencer les autres partis mais une porte
d’entrée dans les exécutifs de gauche : les Verts ne voulaient plus seulement être un
laboratoire d’idées réfléchissant pour changer la vie mais être une force politique associée à la
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gestion des politiques publiques. Trois ans après avoir acté leur participation à la gauche
plurielle de Lionel Jospin, ils obtenaient pour la première fois de leur jeune histoire six
députés et un poste ministériel.
Mais l’efficacité de cette stratégie n’en resta pas moins toute relative : sans expérience
politique et ne disposant d’aucune marge de manœuvre –«je me suis aperçu que lors des
décisions ministérielles, on n’arbitrait pas forcément sur la base d’arguments objectifs mais
en fonction du poids des Ministres et des groupes politiques au Parlement, de l’émotion des
faits divers, de l’influence des lobbys, etc»2 – Dominique Voynet et les écologistes
déchantaient rapidement. Tout en perdant des électeurs, les divisions entre écologistes
s’accentuèrent. Le fait que les élus courent après les mandats – dans le but de crédibiliser le
mouvement - n’empêchaient pas les militants, selon qu’ils soient libertaires ou pragmatiques,
de continuer à débattre de façon véhémente sur la participation au pouvoir. Pour ne rien
arranger, le choc du 21 avril 2002 éclipsa le score historique de Mamère –considéré comme
un des responsables de l’élimination au premier tour de Lionel Jospin- et plomba
définitivement leur stratégie de conquête électorale adossée aux succès socialistes, qui devait
théoriquement les aider à évoluer. Faute de personnalités bénéficiant d’une notoriété nationale
et disposant de fiefs électoraux, les écologistes réalisaient toujours des scores honorables lors
des élections sur listes (municipales, régionales, européennes), mais continuaient à se
ridiculiser lors des scrutins uninominaux majoritaires (législatives, présidentielle). Alors que
les thèmes environnementaux étaient au premier plan de la campagne présidentielle de 2007,
Dominique Voynet réalisa même le plus mauvais résultat des Verts… depuis René Dumont !
Les rêves que nourrissaient les écologistes de devenir la «majorité culturelle du 21ème
siècle»
ne semblaient alors plus être qu’un lointain espoir, alors que dans le même temps Nicolas
Sarkozy écologisait son début de quinquennat3.
A l’automne 2008, le constat est implacable : les écologistes ont le choix entre s’auto-
décerner un satisfecit pour avoir eu «raison avant tout le monde» ou devenir crédible et
prendre le pouvoir. Sous l’initiative de Daniel Cohn-Bendit, José Bové et Cécile Duflot
émerge rapidement la nécessité de dépasser le parti des Verts, de se débarrasser de leur image
de vassal du Parti Socialiste pour s’affirmer comme une nouvelle force politique autonome, et
ainsi réapparaître positivement dans les radars médiatiques. Les adhérents des Verts mais
2 Source : « La saga des écolos ».
3 Il lança le Grenelle de l’Environnement le 6 juillet 2007, pour «refonder la politique de l'écologie en France et
inventer les conditions d'une croissance nouvelle.»
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aussi les acteurs associatifs ou syndicaux environnementalistes (Greenpeace, WWF, les Amis
de la Terre, Fondation Nicolas Hulot) ainsi que les écolos-centristes, socialistes ou électeurs
d’extrême-gauche sont tous appelés à s’unir dans une structure provisoire, Europe Ecologie.
Objectif initial de cette stratégie fédératrice ? Progresser dans les élections et acquérir une
présence dans d’autres segments de la vie publique, comme le débat d’idées ou l’éducation
populaire. Mais c’est encore et toujours au niveau électoral qu’ils se font remarquer. La
création d’Europe Ecologie est aussitôt couronnée d’un succès historique, lors des élections
européennes de 2009 : la nouvelle coalition, représentant des tendances assez diverses au sein
de la galaxie écologiste, dépasse les prédictions les plus optimistes en recueillant 16,3% des
suffrages exprimés, frôlant le résultat du Parti Socialiste. Le scénario se répète quelques mois
plus tard – sans être au coude à coude avec le PS cette fois-ci – lorsque les écologistes, malgré
leurs faibles audiences dans les communes périurbaines, présentent aux élections régionales
2010 des listes autonomes sur l’ensemble du territoire. Réalisant en moyenne 12,2% avec des
performances inédites en Rhône-Alpes, en Ile-de-France et en Alsace, Europe Ecologie
confirme la viabilité de cette alliance politique entre écologistes et environnementalistes. Une
dynamique qui mérite toutefois d’être nuancée : ces deux scrutins élisent des assemblées
politiques dont les compétences collent aux thèmes de campagne écologistes, et dont le mode
d’élection à la proportionnelle prend mieux en compte les petits partis dont Europe Ecologie
fait partie.
Le nouveau parti de l’écologie politique, copié-collé de ses deux derniers noms, naît
formellement à l’automne 2010 dans le but de peser véritablement dans l’exercice du pouvoir,
et non plus seulement d’y participer pour moderniser le marketing électoral du PS. La création
d’Europe Ecologie-Les Verts est la stratégie des écologistes pour professionnaliser l’écologie
politique dont l’histoire a pour l’heure été marquée par des hauts et des bas continus. Plus que
réaliser des scores honorables et être représentés symboliquement, le nouveau parti écologiste
aurait vocation à obtenir davantage de mandats pour agir et inventer les prémisses de la
société de demain. En quête d’indépendance mais surtout d’influence, les écologistes ne
peuvent pour autant exclure de leur stratégie les accords politiques de second tour, qui leur
permettent de négocier des contrats de majorités. Dès 2011 et au terme d’un premier
rapprochement avec Solférino, ils investissent le Sénat en passant de 4 à 12 élus4 mais surtout,
ils y fondent leur premier groupe parlementaire et disposent d’une influence inégalée
4 10 élus le 25 septembre 2011, puis 12 avec la nomination du gouvernement de François Hollande. De même,
16 eurodéputés écologistes siègent désormais au Parlement européen au lieu de 14 élus en 2009.
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puisqu’ils font la bascule dans une majorité de gauche étriquée (177 sénateurs de gauche
contre 171 de droite).
Pragmatiques depuis leur renouveau et leur entrée de plain-pied dans la real-politik, les
écologistes s’attaquent dès l’automne 2011 à la séquence tant redoutée des élections
présidentielle et législatives… encore avec l’aide du Parti Socialiste. La réalité institutionnelle
de la 5ème
République et les contraintes du scrutin uninominal à deux tours, contraindrait
Europe Ecologie-Les Verts à passer par cet exercice difficile : «C’est compliqué de faire des
alliances avec le PS. Oui, on est une troisième voie ; oui, on est capable de passer des
accords ; mais non, ce n’est pas automatique. Nous revendiquons à la fois l’autonomie de
notre projet politique différent, et la possibilité de passer des accords» tente de justifier
Cécile Duflot dans le livre d’Erwann Lecoeur5. Objectif : proposer à leur partenaire un
programme de transition écologique et être l’initiateur d’une future majorité qui se
structurerait autour de réformes radicales et structurelles. Sans illusions sur une «vieille
gauche productiviste et néo-libérale», les écologistes qui redoutent toujours autant d’«être le
poil à gratter de la social-démocratie»6 refusent de se vendre aussi facilement qu’en 1997
7 et
entament d’égal à égal la négociation d’un accord électoral et programmatique, censé leur
permettre d’acquérir à terme leur indépendance politique. Réclamant une centaine de
circonscriptions dont la moitié de gagnables pour peser à l’Assemblée nationale et se garantir
une visibilité politique au cours de la prochaine mandature, ils obtinrent finalement 63
circonscriptions dont 25 à 30 gagnables. De quoi assurer une représentation proportionnelle à
leur poids politique et ainsi leur faire espérer la création d’un second groupe parlementaire
indépendant, à l’Assemblée nationale cette fois-ci. Les deux formations publient en parallèle
un document de trente pages où ils actent 80% d’idées communes dont un retrait militaire
d’Afghanistan, un contrôle public des banques, l’harmonisation de la taxation des revenus du
capital et de ceux du travail, une réduction de la part de l’énergie nucléaire dans la production
d’électricité française et la non-prolongation de 24 centrales nucléaires en fin de vie, etc. Une
clause de revoyure est signée en ce qui concerne des sujets plus polémiques, comme l’arrêt de
la construction de l’EPR de Flamanville ou le moratoire sur l’arrêt de la construction de
l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, où les représentations opposées de chacun étaient
5 « Des Écologistes en politique », 2011.
6 Tribune publiée le 18 août 2010 dans Le Monde « Yes we can »par Patrick Farbiaz et Pascal Durand
7 «En 1997, nous avons été achetés pour pas cher» avouera Jean-Luc Benhamias, à l’époque secrétaire national
des Verts, dans Le Monde du 30 septembre 1998. Noël Mamère estimera pour sa part que Lionel Jospin a donné
aux Verts des «hochets pour amuser la galerie.»
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susceptibles de faire sombrer leur partenariat. C’est sans nul doute l’accord le plus abouti
jamais signé entre les deux partis notamment «grâce au talent des négociateurs d’Europe
Ecologie-Les Verts.8» Après une séquence électorale plus que difficile symbolisée par les
2,31% d’Eva Joly, les écologistes se rassurent en obtenant 17 députés mais sans empêcher le
Parti Socialiste d’avoir la majorité absolue à lui tout seul.
Tantôt autonomes et capables de concurrencer le PS pour la place de première force politique
de gauche, tantôt réduits à subir l’hégémonie de leur partenaire voire même à observer leur
place d’alternative à la social-démocratie raflée par les communistes (dernièrement, le Front
de Gauche à la présidentielle), les écologistes courent comme toujours après la régularité
électorale. Mais contrairement à l’après-2007, ils croient de nouveau en l’objectif de
transformer une opinion sensibilisée en réussites électorales en attendant la réforme
institutionnelle instaurant de la proportionnelle aux scrutins majoritaires nationaux que leur a
promise François Hollande. De fait, EE-LV est persuadé d’avoir devant lui un espace
politique à conquérir, tout en étant conscient qu’il est tout autant susceptible de disparaître.
«Soit le Parti Socialiste est capable d’intégrer les ambitions et les orientations proposées par
l’écologie politique, ou bien il n’en est pas capable, et c’est les écologistes qui dépasseront,
un jour ou l’autre, les socialistes» estime Dominique Voynet, dans le documentaire La Saga
des écolos. Selon Jean-Marie Bouguen, collaborateur parlementaire de Jean-Vincent Placé,
«nous sommes au troisième âge de l’écologie politique» : après la naissance des Verts puis
l’accès au pouvoir, Europe Ecologie-Les Verts achève «la mutation des écologistes vers un
parti classique et doit aujourd’hui s’inscrire de façon décomplexée en situation de
responsabilité, afin d‘agir au maximum sur les politiques publiques». Cette entreprise de
normalisation qui doit voir les élus EE-LV se banaliser dans l’exercice du pouvoir est en
bonne voie, mais son avenir ne peut être préjugé à l’heure où ces lignes sont écrites. Alors que
Les Verts, au fonctionnement trop brouillon pour arriver à leur objectif, n’étaient jamais
parvenus à se métamorphoser en vingt ans d’existence, Europe Ecologie-Les Verts doit veiller
à ne pas retomber dans leurs travers passés, sous peine de dilapider le capital-sympathie
accumulé depuis les européennes 2009. La stratégie politique professionnalisante des
dirigeants doit s’accompagner d’une rigueur interne visant à trouver le bon équilibre entre
Verts historiques et nouveaux venus d’Europe Ecologie, apparatchiks et militants d’ONG ; le
sectarisme des premiers ne devant pas cannibaliser l’utopisme des seconds.
8 Pascal Durand sur Public Sénat, le 6 juin 2012.
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2) Une nouvelle dynamique qu’ils cherchent à appliquer à la capitale
omme l’écologie politique à ses débuts ou les Verts en leur temps, Europe
Ecologie-Les Verts est un parti résolument urbain : ils réalisent leurs meilleurs
résultats dans les territoires les plus dynamiques économiquement et
démographiquement (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Alsace), dans les grandes
villes où se produisent des changements à la fois culturels et sociologiques. «Pourquoi
pensez-vous que Dominique Voynet, conseillère régionale de Franche-Comté puis Députée du
Jura ait décidé d’aller se faire élire Maire à Montreuil ? Chez les Verts, les figures, comme
les programmes, se recentrent automatiquement vers les villes, terreau de l’écologie
politique» explique Jean-René Bourge, chercheur en science politique à Paris VIII. De par la
sensibilisation de l’électorat des grandes villes à l’écologie politique, les résultats électoraux
de Lille, Bordeaux, Lyon mais aussi Paris sont étroitement analysés par l’état-major
écologiste. Europe Ecologie-Les Verts, qui ne gère aujourd’hui que 57 municipalités, dont
seule la ville de Montreuil dépasse les 100.000 habitants, souhaite consolider ses bases
acquises et conquérir de nouvelles grandes villes… dont Paris serait le symbole le plus
prestigieux.
Si le succès des européennes 2009 n’a pas permis d’arriver devant le Parti Socialiste à
l’échelle nationale (16,28% contre 16,46% au PS), il n’a pas échappé aux écologistes que leur
liste autonome était arrivée largement devant celle de leur partenaire-adversaire socialiste…
dans la capitale : Daniel Cohn-Bendit y réalise 27,46% quand Harlem Désir ne parvient à
rallier que 14,69% des suffrages derrière lui. L’année suivante aux régionales, la liste de
Cécile Duflot avait limité les dégâts face à celle d’Anne Hidalgo. De quoi faire naître l’idée
que Paris et sa région pourrait être le potentiel lieu du dépassement de la social-démocratie
par l’écologie politique. «Dire qu’ils y pensent n’est pas un euphémisme : étant donné que le
national ne lui réussit pas, EE-LV compte d’abord doubler le PS sur le plan local avant de
tirer des plans de dépassement politique. A ce titre, ils surveillent attentivement les grandes
villes comme Paris, Lyon ou Grenoble où ils savent que leurs élus sont costauds et que les
électeurs répondent généralement présents. Dans ces villes, le PS n’est pas rassuré: les nids
écologistes qui pourraient éclore au niveau local risquent de s’étendre et de toucher un jour
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ou l’autre les oiseaux du PS» analyse Rosalie Lucas, journaliste qui couvre le Parti Socialiste
et Europe Ecologie-Les Verts pour le compte du Parisien.
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Depuis trois ans, la victoire d’écologistes sur les socialistes lors de scrutins locaux n’est plus
seulement une ambition farfelue inventée dans les cerveaux verts. «Nous avons pris
conscience que si nous arrivons à être plus sérieux et à la jouer intelligemment et
collectivement, nous pourrions peut-être concrétiser cette ambition» décrypte Adrien
Saumier, un militant parisien. Autant dire que la présidentielle et les législatives – scrutins
nationaux qui ne réussissent traditionnellement pas aux écologistes – les intéressaient
localement dans une logique de préparation du prochain scrutin municipal.
«Les centres-villes sont une de nos meilleures bases, donc l’objectif de conquérir Paris en
2014 est bien réel. Depuis des années, nous avons de plus en plus d’élus, la prochaine étape
consiste à prendre le pouvoir au
sein de l’exécutif local» raisonne
Yves Contassot, le porte-drapeau
des Verts lors des élections
municipales dans la capitale en
2001. Particularité de cette nouvelle
stratégie insufflée par Europe
Ecologie-Les Verts : les écologistes
n’hésitent plus à crier haut et fort
leur ambition.
Lors des premières élections
municipales organisées depuis un siècle dans la capitale, en 1977, Brice Lalonde avait déjà
obtenu 10,1% des suffrages. Et depuis, la configuration politique n’a cessé de changer : la
sociologie de l’électorat parisien a évolué, les quelques citoyens de gauche qui votaient pour
des raisons essentiellement sociales ont été remplacés par un vivier d’électeurs de la «gauche
sociétale». «La forte concentration de classes moyennes et supérieures déjà sensibilisée à
l’écologie politique, qui dispose des ressources intellectuelles comme le montre son fort
niveau de diplôme, est typiquement un électorat auquel notre discours peut plaire» reconnaît
Claire Marynower, une cadre locale d’EE-LV-Paris. Au-delà de la structure même de la
population, les écologistes ont également été associés à la gestion de la ville depuis 2001 et
l’accession au pouvoir de Bertrand Delanoë. Etre la pierre angulaire de la future majorité
parisienne en 2014, une de leurs bases militantes et électorales les plus importantes, est dans
leur esprit une étape rationnelle et logique de leur évolution.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Mais contrairement aux élus
socialistes bien implantés localement
et disposant pour certains d’une aura
nationale, le casting des écologistes
parisiens manquait jusqu’ici de
personnalités susceptibles d’incarner
le rôle de Maire de Paris. Leurs bons
résultats jusqu’ici étaient liés aux
caractéristiques de l’électorat
parisien plutôt qu’au profil de ses
représentants locaux, peu reconnus.
Conscients qu’un bon score en 2014
ne sera possible que si le vote pour
EE-LV induise plus qu’un simple
vote de témoignage, les écologistes
ont profité des élections législatives
pour donner davantage de poids à
Denis Baupin, ainsi que pour
implanter la secrétaire nationale,
Cécile Duflot, à l’est de la capitale.
Une stratégie qui pourrait s’avérer
être la bonne, selon Marie-France
Gairaud, journaliste du Parisien : «la
candidature d’une personnalité
d’envergure nationale sur Paris est
une bonne chose pour EE-LV : ils
pourraient davantage marquer le
coup qu’avec des élus parisiens»
médiatiquement inexistants. «Pour
2014, il nous faut une candidate
emblématique, avec une forte
notoriété : la candidature d'une
membre du gouvernement contre
une liste socialiste n'est pas à exclure» explique Denis Baupin. Evoquée depuis un an lors de
Cécile Duflot, apparatchik carriériste ou plébéienne désintéressée ?
Qui est réellement Cécile Duflot ? Si elle est loin de correspondre à l’image de la «jeune femme arrivée par hasard en politique» qu’elle cherche à donner; la présenter comme une horrible cumularde revient à sauter bien des étapes de son parcours. Fille d’une professeure et d’un cheminot du Val-de-Marne, Cécile Duflot intègre - après avoir suivi un DEA de géographie à l’université Paris VII- l’ESSEC, une prestigieuse école de commerce parisienne. Diplômée en 2000, elle prend le contrepied du parcours-type de sa promotion en intégrant un groupe immobilier spécialisé dans le logement social. Un an plus tard, elle s’engage chez les Verts qui participent alors au gouvernement, mais pour «agir au niveau communal» à Villeneuve-Saint-Georges, dans sa proche banlieue parisienne. Du moins, tel était l’objectif initial. En janvier 2003, elle est élue au Collège exécutif des Verts, où elle est chargée de la réforme interne. Aux premières loges de l’échec de la participation gouvernementale et de la gauche plurielle, mais aussi des divisions intrinsèques aux Verts, elle entame une ascension fulgurante, digne d’une apparatchik passée par les pépinières de partis –type MJS ou Unef. Désignée porte-parole du courant le plus à gauche du parti, qui deviendra majoritaire au sein des Verts en 2005, Cécile Duflot s’impose rapidement comme une figure incontournable : en multipliant les choix politiquement judicieux, elle comble son «retard». A 31 ans, elle prétend déjà à l’investiture pour l’élection présidentielle de 2007, ne recueillant qu’un peu plus de 23% des suffrages… mais gagnant considérablement en notoriété. Consécration au congrès national de décembre 2006, où elle devient la plus jeune secrétaire nationale des Verts ! La tâche qui lui incombe n’est pas une mince affaire : (suite) visibilité et des espoirs à l’écologie politique. A partir de ce moment, Cécile Duflot s’emploiera à des réformes internes en cherchant à rassembler l’ensemble de la mouvance écologiste, qu’elle soit investie politiquement ou au niveau de la société civile, avec les milieux associatifs. «Le parti était électoralement, humainement et financièrement en difficulté, mon rôle a été de remettre le train – qui avait fait un tête à queue - sur les rails pour le cas où le contexte nous serait à nouveau favorable.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Cécile Duflot, apparatchik carriériste ou plébéienne désintéressée ?
(suite) alors que Dominique Voynet vient d’enregistrer le plus mauvais résultat des écologistes (1,57%) à la présidentielle depuis la candidature de René Dumont en 1974, elle doit redonner de la visibilité et des espoirs à l’écologie politique. A partir de ce moment, Cécile Duflot s’emploiera à des réformes internes en cherchant à rassembler l’ensemble de la mouvance écologiste, qu’elle soit investie politiquement ou au niveau de la société civile, avec les milieux associatifs. «Le parti était électoralement, humainement et financièrement en difficulté, mon rôle a été de remettre le train – qui avait fait un tête à queue - sur les rails pour le cas où le contexte nous serait à nouveau favorable.» Elle semble donner satisfaction puisqu’elle est reconduite pour un second mandat en décembre 2008. Refusant d’être candidate au scrutin européen malgré la proposition d’une place éligible, Cécile Duflot remporte toutefois sa première bataille : les listes Europe Ecologie, portées par des candidats aussi différents que le «faucheur d’OGM» José Bové ou le «leader de Mai 68» Daniel Cohn-Bendit, réalisent 16,28% en juin 2009 –six points au-dessus de leur précédent record de 1989- et obtiennent 14 députés européens ! Du jamais vu. Face au succès de cette stratégie d’union et d’autonomie, elle se lance à son tour comme tête de liste aux élections régionales en Ile-de-France, accompagnée de l’ancien directeur de la Caisse des Dépôts Robert Lion, du co-fondateur des Enfants de Don Quichotte Augustin Legrand ou encore de la présidente d’Act-Up Emmanuelle Cosse. Suite au succès collectif des européennes, «il y avait le besoin de personnaliser le moment pour grimper une nouvelle marche. Et j’étais la bonne personne pour le faire puisque j’avais l’atout d’avoir un certain altruisme politique, de ne pas être cataloguée comme celle qui avait utilisé les Verts pour sa gloire personnelle.» La patronne des Verts, qui expliquera peu après avoir été lassée de «passer la serpillère», se révèle alors dans le paysage politico-médiatique, en assurant la majeure partie des apparitions médiatiques d’une campagne à enjeux locaux. La liste qu’elle conduit dans la région-capitale recueille 16,58% des suffrages (plus que la moyenne nationale) et lui donne le droit d’aller négocier doublement à Solférino durant l’entre-deux tours : d’abord l’accord global avec le PS de Martine Aubry en sa qualité de secrétaire nationale puis ensuite son ralliement francilien à Jean-Paul Huchon, en l’échange d’un groupe écologiste (qu’elle présidera par la suite) passant de 28 à 50 élus. Plus d’un an plus tard, elle décroche un troisième et dernier mandat en interne avec 50% des voix, «véritable sacre» illustrant à merveille son «sans-faute» en interne, selon ses proches. Un sans-faute qui n’empêche pas le paradoxe Duflot d’apparaître au grand jour : estimant que les éléments les plus forts de l’histoire de l’écologie politique ont déjà été écrits et qu’elle est «de l’âge de ceux qui ont à faire» et à agir, Cécile Duflot ne concrétise pas elle-même ses belles paroles. Auréolé du plus important poids politique que n’a jamais eu un leader écologiste, le côté calculateur de la secrétaire nationale transparaît lorsqu’elle refuse de se lancer dans la difficile course à la présidentielle en 2012 puis une place indécise sur la liste sénatoriale du Val-de-Marne. Elle officialise le jour de ses 5 ans à la tête du mouvement écologiste, le 16 novembre 2011, sa candidature aux élections législatives à Paris.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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réunions informelles, la candidature de Cécile Duflot aux élections municipales n’a cependant
toujours pas été confirmée par la principale intéressée : si elle reconnaissait à l’automne
dernier sur le journal de France 2 que cela faisait «partie des choses possibles», elle a depuis
ajouté que ce n’était pas encore d’actualité... L’arrivée de la très médiatisée Cécile Duflot
dans la 6ème
circonscription de Paris démontre la volonté du parti de se donner les moyens de
son ambition municipale. Depuis les débuts de l’écologie politique française, l’histoire verte
était teintée d’un amateurisme revendiqué, marquée par le refus du vedettariat.
Automatiquement, toute stratégie d’un individu ressemblant à une marque d’ambition
personnelle s’exposait à de vives critiques, dans un parti où la base militante a une forte
propension à «couper les têtes» et à considérer cela comme une forme de notabilisation «à la
mode radical-socialiste, voire socialiste tout court…»9 L’ancienne présidente de France
Nature Environnement et aujourd’hui députée européenne Sandrine Bélier confirme à
Slate.fr10
que «nous avons une logique de partage du pouvoir qui peut conduire à une
méfiance envers nos leaders, mais cette culture change en ce moment» avec Europe Ecologie-
Les Verts, où les têtes d’affiches sont de mieux en mieux acceptées.
Autre point de satisfaction pour la direction nationale, l’arrivée de Cécile Duflot ne semble
pas avoir froissé les élus écologistes parisiens : au fil des élections, ils semblent avoir pris
conscience de leurs carences naturelles – dont l’absence de leadership - pour progresser au
sein de la capitale, au point de réclamer presqu’unanimement l’implantation de la secrétaire
nationale. Mieux, certaines voix laissent espérer qu’une candidature consensuelle de Duflot
aux municipales en 2014 pourrait mettre un terme à leurs historiques querelles internes… «Il
y a eu des animosités très fortes chez les Verts à Paris. Le débat sur la participation au
pouvoir, sur lequel s’entremêlaient les amitiés et inimitiés personnelles, ont provoqué des
dégâts internes considérables au cours de la première mandature. En 2002, nous nous
insultions entre nous» révèle l’actuel patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel.
«Dès notre arrivée au pouvoir, les batailles d’appareils et de personnes ont remplacé les
batailles d’idées : les «leaders» voulaient que tous les écologistes parisiens s’impliquent dans
leur conflit privé et fassent allégeance à l’un ou l’autre» explique Anne Le Strat, ex-
Conseillère de Paris verte, siégeant désormais en apparenté au groupe PS. Tout au long de la
première mandature de Bertrand Delanoë (2001-2008), les Adjoints au Maire Yves Contassot,
9 Blog de Pierre Minnaert, propos d’un militant de base. Article : « Législatives : candidature du mouvement ou
notabilisation ? » 10
« Pourquoi les écologistes n’ont pas la main verte avec la présidentielle », 13 février 2012
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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opposé nationalement à la participation gouvernementale, et Denis Baupin, ancien conseiller
ministériel de Dominique Voynet, se livrèrent une bataille feutrée en vue de l’investiture pour
les municipales 2008. Depuis, les crispations semblent moindres. «Notre groupe n’a pas
connu de départs, de conflits de personnes ni de divergences de vote depuis quatre ans.
Mieux, il a enregistré l’arrivée de deux anciens PS11
» se félicite le co-président d’EE-LV au
Conseil de Paris, Sylvain Garel. Au contraire, explique un ancien Conseiller de Paris Vert,
«les échos que j’ai m’indiquent que la seconde mandature est pire que la première : le groupe
n’aurait plus d’existence en tant que tel, chacun pousserait les projets de son arrondissement
dans son coin.» A défaut de connaître la véritable ambiance régnant actuellement au sein du
groupe écologiste, j’ai interrogé Hervé Morel pour savoir si les rivalités couvant à propos de
l’investiture législative dans l’autre circonscription accordée par le PS12
aurait pu faire
renaître cette haine déchirant les écologistes parisiens : «Joker !», lance-t-il avant de se
reprendre, «tout le monde voit bien que cette investiture aurait pu rallumer la flamme qui
nous a ravagé il n’y a pas si longtemps, mais franchement, cela aurait fait un peu
réchauffé…»
En dépit de l’image de maturité que les écologistes parisiens cherchent à afficher depuis
quelques années, ils n’ont pas été loin de retomber dans leurs turpitudes passées sous l’appel
de nouveaux enjeux de pouvoirs et de postes. Pour choisir son candidat aux législatives dans
la seconde circonscription réservée selon l’accord avec le PS, Europe Ecologie-Les Verts a eu
l’embarras du choix, avec pas moins de neuf candidatures présentées : « Il y a tellement de
prétendants à l'atterrissage dans la 10e circonscription de Paris qu'il faudra bientôt une tour
de contrôle » s'amusait René Dutrey, candidat sur cette circonscription en 2007. Au-delà de
plusieurs personnalités parisiennes – les Adjoints au Maire Denis Baupin et Véronique
Dubarry, mais aussi Yves Contassot désormais élu dans le 13ème
arrondissement – quelques
cadres du parti avaient également déposé leurs candidatures, en l’occurrence la trésorière Eva
Sas et le porte-parole Pascal Durand. Car si le candidat écologiste aux dernières municipales
Denis Baupin a finalement été élu député en juin 2012, sa désignation interne ne s’est pas
faite sans remous en décembre 2011. Cécile Duflot ayant fait main basse sur «sa» 6ème
circonscription et le 20ème
arrondissement où il est élu depuis 1995, l’Adjoint de Bertrand
Delanoë prévoyait initialement de se présenter dans une circonscription de sa ville d’origine,
11
Il s’agit des élus du 20ème
arrondissement, Michel Charzat et Katia Lopez 12
Dans le cadre de l’accord, le PS soutient également le candidat écologiste dans la 10ème
circonscription de
Paris
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
20
Caen. Problème : celle-ci n’a pas été intégrée à l’accord PS/EE-LV rendant ses chances d’être
élu inexistantes. Il s’est finalement rabattu sur les désignations internes en Essonne, à
Grenoble, à Saint-Brieuc… et dans la 10ème
circonscription de Paris ! «C’est vrai que cela m’a
un peu mis en difficulté» avouera-t-il peu après au Parisien13
. «Son investiture ne l’honorait
pas, je n’aurais jamais déposé une candidature interne là où Denis est élu, dans la 6ème
circonscription… Les plans de carrières personnels doivent être mis de côté quand ils peuvent
avoir une incidence sur l’ambition du parti. Les apparatchiks l’ont fait gagner en interne
mais il n’a plus que les militants du PS pour faire sa campagne» enrage en privé le local de
l’étape Yves Contassot. Preuve de leur professionnalisation, ce dernier eut toutefois la sagesse
de ne pas tenir de tels propos sur la place publique.
L’autre évolution remarquable de la stratégie parisienne d’EE-LV est d’avoir fait des
prochaines municipales un enjeu moins en termes de performances électorales qu’en terme de
multiplication de postes à responsabilité. L’objectif est d’imiter l’UMP et le PS, quasi-assurés
de parvenir à la tête d’exécutifs locaux puisque contrôlant la majorité des postes électifs – des
maires aux parlementaires en passant par les conseillers généraux (ou de Paris) et les
conseillers régionaux – et ayant su nouer un système d’alliances les inscrivant comme le parti
dominant de leurs camps respectifs. Pour s’inscrire durablement et peser dans la vie politique
parisienne, le parti écologiste doit posséder davantage de fiefs électoraux14
, avec des élus
confirmés et réélus possédant un solide réseau local15
, à l’exemple de Jacques Boutault dans
le second arrondissement de la capitale. La Mairie remportée en 2008 par Dominique Voynet
à Montreuil, les bons scores d’EE-LV enregistrés dans les 2, 3, 10, 11, 18, 19 et 20ème
arrondissements lors des européennes et régionales suivantes, en écho à la circonscription sur
laquelle s’est faite triomphalement élire Cécile Duflot en juin 2012 sont autant de raisons qui
peuvent laisser espérer aux écologistes de construire un «fief» dans le nord-est parisien. Il
semble y avoir là une assise électorale, un potentiel qui reste toutefois à consolider pour en
faire à terme une situation «acquise».
13
« Les écologistes se déchirent à Paris », Le Parisien, 15 décembre 2011. 14 Refusant d’entrer dans le jeu des partis politiques puis engluée dans des coalitions avec le PS, les écologistes
n’ont jamais pris le temps de constituer des fiefs électoraux, des zones de forces où s’accumulent municipalités,
cantons, circonscriptions avec différentes échelles d’élus locaux, des forces militantes ou encore des relais
syndicaux et associatifs. 15 Bien que cela ne soit pas le cas de Jacques Boutault, un mandat de parlementaire a son utilité dans la
construction d’un fief politique. Ne serait-ce que grâce à sa réserve parlementaire, évaluée annuellement de
150.000 à 200.000 euros par députés. Ils peuvent ainsi financer des projets dans leur circonscription, ou encore
distribuer des subventions aux associations…
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Pour Marie-Anne Gairaud, qui traite la vie politique parisienne au Parisien, «les écologistes
auront tout de même du mal à faire du 20ème
arrondissement leur fief parisien : il y a de
nombreux logements sociaux autour des boulevards des maréchaux, et la population est plus
préoccupée par les questions sociales qu’environnementales.» Même son de cloche chez
Jean-Marc Pasquet, conseiller régional EE-LV d’Ile-de-France et ancien patron des Verts
Paris : «Notre discours est très «centre de Paris» à parler de démocratie locale plus que de
logement ou de petite enfance, et peut paraître en décalage dans un quartier où il y a 10%
d’illettrisme, le double du chômage et de nombreux bénéficiaires du RSA…» Tout l’enjeu à
terme pour le parti écologiste est de parvenir à démontrer que leurs combats contre la
pollution ou encore le bruit pénalisent en premier lieu les catégories les plus populaires.
«Notre positionnement «bobo» peut nous faire passer à côté d’un score à deux chiffres si
nous ne nous adressons pas en parallèle aux plus faibles : nous avons le devoir de nous
intéresser autant au cadre célibataire qu’aux familles nombreuses. Il faut trouver des ponts
entre les attentes écologistes d’une population qui n’a plus de besoins matériels et les attentes
sociales d’un électorat bien plus fragile» continue ce cadre local. Car si les cadres moyens et
supérieurs représentent plus de la moitié de la population dans les 11ème
et 20ème
arrondissements depuis les nombreuses opérations d’urbanisme16
touchant l’Est de la capitale,
la gentryfication ne s’est faite qu’à la marge dans certains micro-quartiers tels que les Hauts
de Belleville ou Léon Frot. Une population socialement défavorisée est parvenue à s’y
maintenir dans des cités de logements sociaux, où les préoccupations sociales sont très fortes
et où le vote écologiste est lui, très faible. S’ils veulent un jour devenir dominateur dans l’Est
parisien, les écologistes doivent parvenir à «transcender les classes sociales», à discourir par
exemple autant sur la généralisation du bio dans les cantines municipales – où ils marqueront
des points parmi leur électorat aisé – que sur les problèmes d’obésité qui touchent
massivement les enfants des classes populaires.
Une telle stratégie couplée à des scores historiques et une ambition inédite de la part des
écologistes parisiens, aujourd’hui minoritaires dans l’exécutif de Bertrand Delanoë, n’a pas
manqué de faire réagir les socialistes de la capitale. Avant même la conclusion de l’accord
entre Europe Ecologie-Les Verts et le Parti Socialiste, ils se sont employés à minimiser les
dégâts pour que «Paris ne soit pas sacrifié». Par exemple, en transmettant une position pour
16
Les opérations d’urbanisme dans ces quartiers (réhabilitations, rénovations, reconstructions) ont débuté dans
les années 1980.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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le moins malhonnête intellectuellement aux négociateurs de Solférino - «la fédération de
Paris est favorable à un accord électoral cédant aux écologistes parisiens deux
circonscriptions gagnables, mais refuse toute candidature commune là où un Député PS
sortant souhaite se représenter.» Alors que les onze parlementaires socialistes de la capitale
souhaitaient initialement briguer un nouveau mandat, seule une17
des douze circonscriptions
gagnables était théoriquement «libre» pour un candidat EE-LV… Il faut reconnaître que
lorsque la fédération de Paris a transmis ce «mandat-piège» à la direction nationale du PS, des
rumeurs de plus en plus insistantes faisaient état de l’implantation de Cécile Duflot dans la
capitale. Le patron de la fédération PS de Paris Rémi Féraud – qui a fait allégeance au Maire
de Paris Bertrand Delanoë – menace alors son propre parti de présenter des dissidents partout
«là où la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts se présenterait.» En parallèle, il
intoxique les médias : «Cécile Duflot à Paris, c’est du bluff… Son parachutage ne fait pas
partie d’un accord envisageable entre le PS et EE-LV»18
. Sous couvert de «off», un proche du
Maire de Paris va même plus loin: « Jamais on ne se laissera flinguer de l'intérieur. Nous
sommes prêts à faire exploser l'accord au niveau national ! »19
.
17
Il s’agit de la 11ème
circonscription, qui plus est fragilisée par le redécoupage électoral. 18
Sur France Bleu Ile de France, 8 novembre 2011. 19
Source : Rue 89, «A Paris, Duflot attendue avec un bazooka par le PS » le 10 novembre 2011
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Dans les jours précédant la
signature de l’accord, Anne
Hidalgo, la première adjointe
et candidate à la succession
de Delanoë en 2014, ne dit
pas autre chose : selon Le
Parisien, elle envoie à ses
soutiens des SMS du type «Il
faut tenir bon. Pas de
parachutage, sinon pas
d’accord possible. Si pas
d’accord, c’est pas la
cata !»20
. Le contenu de la
négociation entre les deux
formations – accordant à Paris
la 6ème
et la 10ème
, deux
circonscriptions jugées
comme excellentes et
permettant l’implantation de
Cécile Duflot – est dévoilé au
bureau national du Parti
Socialiste, le 15 novembre au
soir.
20
Le Parisien, « A Paris, Aubry lâche Delanoë », le 17 novembre 2011.
Le parachutage, une pratique ancestrale à Paris
S’ils peuvent être légitimes lors de scrutins locaux, les débats sur le parachutage ont-t-il leur place lors d’élections nationales telles que les législatives ? La députation, contrairement aux cantonales ou aux municipales où il est nécessaire d’être inscrit sur les listes électorales et de payer des impôts depuis au moins cinq ans sur le territoire convoité, ne requiert aucune obligation de domicile. Pourquoi ? Parce que comme l’explique la Constitution de 1791, les députés «ne sont pas représentants d’un département en particulier, mais de la Nation entière.» Ne représentant pas les habitants d’une circonscription mais l’ensemble des Français, la géographie ne devrait avoir en théorie que peu d’importance dans le scrutin législatif. Auparavant, le rattachement à une circonscription n’était considéré que comme une modalité du mode de scrutin : des hommes politiques d’envergure nationale comme Georges Clémenceau se parachutaient ainsi dans plusieurs circonscriptions à la fois, pour s’assurer une chance d’être élu. Battu aux élections législatives de la Seine en 1928, Léon Blum s’est lui, fait élire à l’Assemblée nationale un an plus tard, lors d’un scrutin partiel… à Narbonne. La fidélité électorale des citoyens locaux était ensuite récompensée par la mise à disposition du réseau et de l’entregent de ces pontes : une fois élu Président de la République en 1981, le charentais-landais François Mitterrand n’oublia pas, loin de la, le département de la Nièvre où il a été élu Député pendant près de 35 ans. «Qu’on le veuille ou non, les parachutages ont toujours existé en politique. J’ai le regret de vous annoncer que François Mitterrand n’est pas né dans la Nièvre. Et à ce que je sache, l’arrivée de Royal à La Rochelle, c’est ça la politique autrement ? Et puis, est-ce qu’un parachuté fera moins bien la loi qu’un non-parachuté ? Est-ce qu’il aura moins d’empathie avec le territoire dans lequel il est élu… au suffrage universel ?» fait remarquer malicieusement une sénatrice PS rencontrée à l’automne dernier. Reste que depuis une trentaine d’années, le parachutage est connoté négativement, (suite) décentralisation de la vie politique a peu à peu inscrit l’ancrage local comme une condition sine qua non pour être élu député. Soucieux de disposer de fiefs leur assurant d’être élus et réélus, certains barons locaux ont accrédité l’idée qu’un député devait, à travers les lois votées «dans l’intérêt de la Nation», défendre des projets locaux comme n’importe quel élu de terrain (sic).
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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«Ils me prennent vraiment pour un con! Ils se foutent de ma gueule» s’énerve le Maire de
Paris, à la sortie de la réunion. Même colère chez Anne Hidalgo, qui lança à Martine Aubry
dont elle était la porte-parole au cours de la primaire socialiste, et dont le mari est le directeur
de cabinet de la première secrétaire, «que je ne te croise plus jamais !» Cheffe du parti et donc
Le parachutage, une pratique ancestrale à Paris
(suite) le parachutage est connoté négativement, associé à de basses manœuvres parisiennes. La décentralisation de la vie politique a peu à peu inscrit l’ancrage local comme une condition sine qua non pour être élu député. Soucieux de disposer de fiefs leur assurant d’être élus et réélus, certains barons locaux ont accrédité l’idée qu’un député devait, à travers les lois votées «dans l’intérêt de la Nation», défendre des projets locaux comme n’importe quel élu de terrain. Bien que bénéficiant d’un statut à part par rapport aux autres territoires concernés par les lois de décentralisation, Paris a elle aussi versé dans cette ode au localisme. Il est loin le temps où Jacques Chirac cumulait son mandat de Maire de la capitale… à celui de Président du Conseil général de Corrèze (NDLR : de 1977 à 1979). Au cœur du pouvoir central, la capitale a en effet été le lieu d’atterrissage de nombreux professionnels de la politique qui n’étaient pas Parisiens de souche, dont Bertrand Delanoë dans les années 70. Plus un territoire est acquis à un camp, plus la résistance des élus locaux est forte contre les candidats «imposés d’en-haut» : en 1977, Jacques Chirac a combattu le candidat soutenu et envoyé de l’Elysée par Giscard d’Estaing, Michel d’Ornano ; de même pour Jean Tibéri en 2001 face à Philippe Séguin. Cette année-là, Paris a basculé à gauche après la victoire d’un sénateur parisien quasiment inconnu jusqu’alors, qui a profité du forfait à gauche de «parachutés» populaires comme Dominique Strauss-Kahn puis Jack Lang. Bertrand Delanoë a-t-il pour autant installé par la suite une culture politique empêchant tout parachutage, dont celui de Cécile Duflot, comme il l’affirme aujourd’hui ? Peut-être. Mais ce n’était pas encore le cas lors des législatives 2002, où l’ancien Ministre (Verts) de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement de son ami Lionel Jospin et jusqu’alors Député du Val-d’Oise, Yves Cochet, s’est fait élire dans la 11ème circonscription de Paris à la suite d’un accord local. Concernant ses adversaires, le Maire de Paris ne s’est pas ému sur les implantations surprises de Christine Lagarde ou de Rachida Dati lors des municipales 2008… mais a réagi au parachutage du Premier Ministre François Fillon, pressenti pour être le candidat de l’UMP en 2014. Rémi Féraud, patron de la fédération PS de Paris et proche de Bertrand Delanoë analyse : «Duflot, c’est le parachutage d’une dirigeante nationale pour en réalité préparer les prochaines municipales, à un moment où nous dénonçons le parachutage de François Fillon à Paris.» Plus qu’une culture politique éthique interdisant les parachutages dans la capitale, il semble surtout que le PS parisien réagisse en fonction de ses intérêts et de ses stratégies de campagne.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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organisatrice de cet accord entre le PS et EE-LV, la Maire de Lille21
– dont c’est le seul
mandat d’élue – est dans ses fonctions locales de dépendante des écologistes lillois. En
organisant le rapprochement des deux formations politiques au niveau national, il apparaît
incontestable que Martine Aubry marque des points précieux dans la course à sa propre
réélection aux municipales 2014.
Mais la colère de l’exécutif socialiste parisien ne s’explique pas seulement par cette seule
«trahison» : cet accord contrecarre directement les plans de Bertrand Delanoë, qui a déjà
annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2014 mais qui avait pour ambition que sa première
adjointe – qui n’est toujours pas parvenue à imposer son leadership - lui succède à la tête de
l’Hôtel de Ville de la capitale. Les deux caciques parisiens n’avaient pas anticipé la nouvelle
stratégie parisienne d’Europe Ecologie-Les Verts, plus ambitieuse et conquérante. Et encore
moins prévu que leur secrétaire nationale - qu’ils considéraient comme une partenaire
ambitieuse mais soucieuse de son image d’élue proche des banlieues – ne prenne le risque de
traverser le périphérique pour se faire élire à Paris. Déçus que ni le candidat PS ni la première
secrétaire n’aient plié ni face à leurs exigences personnelles ni face au mandat délivré par la
fédération de Paris, à quoi l’on peut rajouter l’amertume provoquée par leurs difficiles années
de cohabitation avec les Verts parisiens, Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo dénonceront dans
la foulée une «insulte faite aux parisiens», des «modifications arbitraires», des
«parachutages» et des «tripatouillages» ; ils répèteront à qui veut bien l’entendre que cet
accord «n’est pas dans la culture politique que nous avons installée à Paris depuis 2001» et
que «s’ils me demandaient de favoriser le parachutage d’un socialiste, je m’y opposerai
également.»
Premier motif d’insatisfaction des socialistes de la capitale : la terre d’implantation que
Solférino a accordée à Cécile Duflot. Il s’agit de la 6ème
circonscription, une des plus à gauche
de France et donc l’une des meilleures, détenue jusqu’ici par Danièle Hoffmann-Rispal. «Un
peu âgée et n’étant pas une figure possédant un gros poids politique, le PS parisien avait déjà
pensé à la remplacer en interne et plusieurs scénarios avaient prévu de la faire sauter pour
laisser la place à Seybah Dagoma, Pascale Boistard ou Frédérique Calandra. Désormais,
celle dont la principale utilité avait déjà été de dégager le chevènementiste Georges Sarre en
2002 redevient un atout pour s’occuper du cas Duflot» décrypte Marie-Anne Gairaud,
21
Martine Aubry n’est ni Ministre, ni Députée. La Mairie de Lille est son seul mandat électif.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
26
journaliste couvrant la vie politique de la capitale pour le compte du Parisien. La députée
sortante est désormais le dernier espoir des socialistes pour éviter l’arrivée de Cécile Duflot,
et que cette circonscription «10 étoiles», à leurs yeux «plus prolo que bobo», ne soit
abandonnée à l’écologiste de 37 ans. Organisant la riposte du PS parisien, Anne Hidalgo
confie à plusieurs journalistes que «la guerre ne fait que commencer. Hoffmann-Rispal
maintiendra sa candidature. Et si Duflot choisissait une autre circonscription, elle trouverait
de toutes façons un candidat socialiste sur son chemin22
.»
Seconde inquiétude, les bruits qui prêtent à Cécile Duflot la volonté de se présenter aux
prochaines élections municipales dans la capitale –en langage fleuri, de vouloir «bouffer le PS
et tout faire péter en 201423
.» Se disputant les mêmes électeurs – les classes moyennes et
supérieures diplômées – le PS et EE-LV ont jusqu’ici observé chacun de leur côté la
proximité de leurs scores dans l’Est de la capitale et le rôle que ces territoires pourraient jouer
en 2014 du fait du nombre de Conseillers de Paris qu’ils possèdent : «la stratégie des
écologistes et de Duflot a évidemment une visée municipale. Est-ce qu’elle a des visées sur la
Mairie du 20ème
arrondissement ? Les bruits courent, nous les entendons, et ils nous
inquiètent» ne se cache pas le patron du PS parisien, Rémi Féraud. «A deux ans d’une élection
où il devra organiser la succession de Delanoë, nous aurions pu discuter entre socialistes de
l’arrivée de Duflot, d’un point de vue politique et stratégique : le parti rajoute de la difficulté
à des difficultés déjà existantes…» se plaint Pascale Boistard, adjointe au Maire et cadre
aubryste du PS parisien. Mais sur ce point, tous les socialistes parisiens ne possèdent pas la
même opinion : le député (PS) Jean-Marie Le Guen, qui brigue lui aussi la Mairie de Paris en
2014, prend aussitôt ses distances avec la position du Maire de Paris et de sa première
adjointe, en expliquant que «la compétition est légitime. Personne n'est propriétaire de
Paris.» Son collaborateur parlementaire, Nicolas Vignolles, décrypte la position de son
patron : «Delanoë a été très mauvais tactiquement, il n’aurait jamais dû pointer ainsi du doigt
Cécile Duflot. Cela démontre sa fébrilité. Il a un ressenti contre les écologistes du fait de son
premier mandat, où les Verts l’ont gêné. A sa place, Jean-Marie Le Guen aurait fait le
«baiser du scorpion» en lui souhaitant la bienvenue sur Paris avant d’organiser la contre-
offensive.»
22
Rue 89 le 16 novembre 2011, « Duflot vs Delanoë, la guerre est déclarée à Paris.» 23
Rue 89 le 16 novembre 2011, « Duflot vs Delanoë, la guerre est déclarée à Paris.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
27
Quelques jours plus tard, le député PS de Paris enfonce le clou et met en exergue la faute «des
responsables socialistes parisiens, qui ont mené une très mauvaise discussion.» Dans une
lettre également transmise aux médias, il se demande s’il «existe encore une fédération du PS
à Paris ?», un moyen de critiquer en
creux le bilan de Rémi Féraud, patron de
la fédération PS, proche du Maire de
Paris et de sa première adjointe.
Plusieurs élus et militants vont alors
embrayer sur la fébrilité supposée du
premier fédéral. Loin d’être un partisan
de Jean-Marie Le Guen, le secrétaire de
section du 11ème
arrondissement Philippe
Wehrung estime que «la fédération de
Paris n’est pas n’importe quelle
fédération socialiste: elle aurait dû jouer
un plus grand rôle dans les
négociations.» La gronde ne s’arrête pas
là. «Après le redécoupage, la fédération
aurait dû réunir tous les parlementaires
parisiens pour gérer la situation
humainement. Au lieu de cela, elle a rayé
les plus vieux et les plus fraîchement élus» déplore le Député sortant de la 10ème
circonscription, Serge Blisko, évincé après avoir assuré trois mandats à l’Assemblée tout en
installant le PS à la tête du 13ème
arrondissement. Quelle est la cause de cet
acharnement contre Rémi Féraud ? Premier fédéral, Maire du 10ème
arrondissement et ancien
attaché parlementaire de Danièle Hoffmann-Rispal, ce dernier aurait tenté de «faire valoir ses
intérêts personnels sur ceux du PS, en ne protestant qu’à demi-mots contre le choix de la 6ème
pour que Solférino n’ait pas l’idée de donner la 5ème
circonscription - qui comprend son
territoire du 10ème
– aux écologistes» analyse Marie-Anne Gairaud, journaliste au Parisien.
«Aucune instance ne s’est réunie pour flécher des circonscriptions24
, il y a eu un flou
organisé par Féraud pour que personne n’évoque le cas de la 5ème
circonscription, qui était
pourtant la seule où le député sortant de 73 ans, Tony Dreyfus, ne s’est pas représenté»
24
Sens : donner des indications à la commission électorale
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
28
complète Philippe Wehrung. L’application à la lettre de la stratégie parisienne des écologistes,
sans que Solférino n’y trouve rien à redire, aurait pu souder les socialistes parisiens dans un
élan légitimiste. Mais à un an du prochain congrès PS et à deux ans des municipales, elle a
surtout été l’occasion de règlements de comptes internes et de stratégies personnelles.
B) Le test des élections législatives à Paris
1) Les écologistes peuvent être satisfaits
igner un accord électoral – une tâche par définition compliquée entre formations
politiques - en vue des élections législatives 2012 était rendu d’autant plus difficile
que ce scrutin ressemblait à un saut dans l’inconnu pour l’ensemble des partis : il
inaugurait le redécoupage Marleix… qui n’a pas épargné la capitale, loin de là. En vertu de la
Constitution qui prévoit que «l’Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct,
doit être élue sur des bases essentiellement démographiques», le département de Paris, qui a
perdu nombre d’électeurs depuis la dernière carte électorale réalisée en 1986, a été amputé de
3 de ses 21 circonscriptions. Et le périmètre des 18 restantes a été allègrement modifié, le
critère de base au redécoupage devenant le quartier et non plus l’arrondissement : des bureaux
de vote ont été transférés d’une circonscription à l’autre, sans grand respect pour la cohérence
territoriale, tandis que «certains bureaux de votes ont même été complètement défigurés, avec
des corps électoraux modifiés à 75%» me confie le responsable d’un service élections d’une
Mairie d’arrondissement de la capitale.
S
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
29
A sa publication, l’ensemble de la gauche parisienne, Verts et Socialistes confondus, ont
vivement protesté ; le Maire de Paris Bertrand Delanoë (PS) expliquant même que
«contrairement au discours de Monsieur Marleix selon lequel la gauche perdrait deux
députés et la droite un, ce découpage consisterait à faire en sorte qu’il y ait trois députés de
gauche en moins en 2012.» Sous la pression de la commission de contrôle, le Secrétaire d’Etat
à l’Intérieur et aux Collectivités locales Alain Marleix, par ailleurs secrétaire national de
l’UMP chargé des élections, a finalement dû revoir une partie de sa copie avec les différents
responsables des partis politiques, pour finalement revenir en arrière dans 35 départements
dont Paris.
Nettement favorable à la gauche qui comptait en 2007 treize députés sur vingt-et-un, le
rapport de forces n’a pas été modifié par la seconde mouture du redécoupage : la gauche
devrait perdre un député et n’en compter plus que douze, tandis que la droite devrait passer de
huit à six. La nouvelle carte électorale semble avoir renforcé les circonscriptions, les rendant
toutes - mis à part la 3ème
et la 11ème
circonscription - imperdables et acquises au camp de la
gauche ou de la droite. Si bien que la bataille législative ne semble plus se jouer aujourd’hui
de façon bipolaire… mais entre partenaires.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
30
Les Verts, qui avaient deux députés élus dans la capitale depuis 2002, ont vu leurs
circonscriptions –respectivement les anciennes 1ère
et 11ème
- disparaître ou tout du moins être
fragilisées. La terre d’élection de
Martine Billard, Députée Verte
ayant rejoint le Front de Gauche
au cours de la dernière mandature,
a été dépecée : les quatre petits
arrondissements du centre parisien
ont été rattachés aux anciennes
4ème
circonscription, ancrée à
droite ainsi qu’aux 5ème
et 7ème
.
Celle d’Yves Cochet, devenu
Député européen en décembre
2011, s’est-elle vue adjoindre des
bureaux de vote du conservateur
6ème
arrondissement et du quartier
le moins à gauche du 14ème
arrondissement (Montparnasse)
ainsi qu’amputée du sud de sa
circonscription, traditionnellement
plus à gauche.
Estimant que ce n’était pas à eux
de subir la perte d’un député de
gauche à Paris occasionné par ce
redécoupage, les écologistes
parisiens décidèrent de
revendiquer d’autres
circonscriptions ayant été
épargnées. Dopés par leurs
excellents résultats lors des
européennes de 2009 qui les
virent côtoyer le PS au niveau national mais les dépasser largement dans la capitale, ils
réclamèrent d’entrée de présenter leurs candidats sur les dix-huit circonscriptions, avec le
Les accords législatifs sous l’ère Delanoë
Dans la foulée des municipales victorieuses de 2001, Solférino avait accordé aux Verts trois circonscriptions gagnables : la 1ère à Martine Billard, la 11ème à Yves Cochet ainsi que la 12ème à l’environnementaliste Maryse Arditi. Les socialistes parisiens se sont sentis floués. Mais craignant pour la solidarité de sa majorité municipale, le Maire de Paris n’a eu de cesse de répéter que «Les Verts méritent leurs trois circonscriptions» ou encore qu’«on a besoin des Verts.» «Ce qu’il ne pouvait pas deviner, c’est qu’Arditi ferait sa campagne sur le devenir des crapeaux dans le 15ème arrondissement… Aucun accord national n’ayant été signé en 2007, le PS parisien repris logiquement cette circonscription mais décida tout de même de ne pas présenter de candidats socialistes contre Martine Billard et Yves Cochet» raconte l’Adjoint au Maire (EE-LV) Yves Contassot. En 2012, la situation se compliquait donc du fait du redécoupage électoral : «la 1ère circonscription de Billard répondait à tous les critères, elle n’aurait pas dû être modifiée. Mais le préfet de région qui suit le dossier du redécoupage, m’a avoué depuis que le PS et l’UMP s’étaient entendus pour la supprimer…» explique Hervé Morel, le patron d’EE-LV Paris. Sans compter que la 11ème circonscription d’Yves Cochet avait été «droitisée» selon les socialistes et les écologistes. Pour Sylvain Garel, co-président du groupe EE-LV au Conseil de Paris, «le PS a cherché à nous faire payer l’addition du redécoupage, mais nous nous en sortons bien au final. Il ne faut pas oublier que nous revenons de loin : en 1997, l’accord national du PS nous proposait seulement la 14ème circonscription (sud du 16ème arrondissement) où la gauche ne dépassait pas les 30% au second tour… »
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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désistement et le soutien du PS au candidat écologiste dans trois, dont deux gagnables. Il
s’agissait de la cinquième ou la sixième circonscription, dans l’est parisien ; la dixième, en
lieu et place de la onzième circonscription, fragilisée par le redécoupage ; ainsi qu’une
candidature commune dans un bastion de la droite parisienne dans le centre de Paris, soit «la
nouvelle 1ère
circonscription où nous aurions souhaité légitimer Jacques Boutault » soit la
2ème
circonscription, tout aussi imprenable mais qui présentait l’avantage d’une médiatisation
garantie, du fait qu’elle serve de terre d’élection à l’ancien Premier ministre, François Fillon.
Le Parti Socialiste soutiendra finalement deux candidats écologistes à Paris, comme lors des
précédents accords à la différence que le redécoupage électoral a réduit le nombre de
circonscriptions. Une bonne affaire pour les écologistes, donc… mais aussi pour les
socialistes adeptes du coup de billard à trois bandes. Le poids politique des écologistes a
certes augmenté ces derniers mois, mais le PS n’a pas cédé à leurs revendications sans servir
en retour ses propres intérêts : pourquoi Solférino a-t-il accepté de lâcher la 10ème
circonscription et de reprendre la 11ème
, «droitisée» ? Pour satisfaire la demande de leurs
partenaires Verts, mais aussi et surtout pour permettre au Maire du 14ème
arrondissement
Pascal Cherki25
, de se présenter et d’être élu dans la 11ème
circonscription… Même
configuration dans la 6ème
circonscription, où l’accord se fait au détriment de Danièle
Hoffmann-Rispal alors qu’entre temps, le député sortant de la 5ème
circonscription voisine
avait annoncé son retrait : cela satisfait Cécile Duflot qui insistait pour hériter de la 6ème
circonscription plutôt que la 5ème
, mais cela a également permis au PS de faire une place au
soleil à la jeune Adjointe au Maire de Paris, Seybah Dagoma.
Cette circonscription, qui depuis 1986 regroupait les quartiers de la Folie Méricourt (11è), de
Saint-Ambroise (11è), de Belleville (20è) ainsi qu’une partie du Père Lachaise (20è) a
toujours été de gauche. Y compris lors du règne de Jacques Chirac sur la Mairie de Paris
(1977-1995), où le RPR contrôlait une partie des mairies d’arrondissements de l’est parisien
lorsque ce n’était pas la totalité. En 2010, Alain Marleix a beau avoir pris ses ciseaux pour la
remodeler26
, cette circonscription n’en reste pas moins inscrite au cœur de deux
arrondissements républicains, puis populaires et donc très à gauche. Aucun des bureaux de
vote intégrés dans cette circonscription n’avait placé l’UMP en tête, au premier tour des
25
Poids lourd de la motion C (courant Un Monde d’Avance classé à la gauche du PS), influente à Paris et qui
n’était jusqu’alors pas représentée dans l’équilibre interne des Députés de la capitale. 26
Elle est depuis composée de la partie Est des quatre quartiers qui composent le 11ème
arrondissement (Folie
Méricourt, Saint-Ambroise, Roquette et Sainte Marguerite) ainsi qu’une partie des quartiers de Belleville et du
Père Lachaise
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
32
élections régionales 2010, certains coins de Belleville accordant même des scores staliniens à
la liste d’union de la gauche au second tour (avec près de 90% des suffrages). Autant dire que
même une poussée légitimiste à la suite d’une hypothétique réélection de Nicolas Sarkozy en
2012 n’aurait pas été suffisante pour faire basculer la 6ème
circonscription à droite.
Loin des arrondissements de pouvoirs où sont concentrés institutions et lieux d’influence dans
quelques kilomètres carrés, l’Est parisien n’en est pas moins convoité. Malgré que la députée
sortante de la 6ème
circonscription, Danièle Hoffmann-Rispal avait annoncé sa volonté de
briguer un troisième mandat, Solférino a décidé d’accorder l’investiture du PS à la secrétaire
nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Cécile Duflot. Ce qui n’empêcha pas le PS parisien et
notamment les élus de la circonscription, telle la Maire du 20ème
arrondissement Frédérique
Calandra ou le sénateur et conseiller de Paris, David Assouline, de tout faire pour annuler
cette décision. Dès l’officialisation de l’accord, la Députée sortante Danièle Hoffmann-Rispal,
une strauss-kahnienne ralliée à François Hollande pendant les primaires, réaffirme sa volonté
de se présenter malgré l’accord électoral. Pour le secrétaire de la section du 11ème
arrondissement Philippe Wehrung, le choix d’accorder cette circonscription n’est pas
cohérent : «la 6ème
circonscription est encore ouvrière et populaire dans certains recoins, et
nos deux partis n’ont pas les mêmes positions sur des dossiers locaux stratégiques comme le
marché sauvage de Belleville ou les biffins. Surtout, la Députée sortante qui a été rayée de la
carte par Solférino est une des seules parlementaires socialistes – et l’unique à Paris – à être
issue du militantisme ! Elle représente en quelque sorte la diversité sociale du PS» fait-il
valoir.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Selon Le Monde, les deux femmes se seraient rencontrées à plusieurs reprises sur l’initiative
de Cécile Duflot, mais sans parvenir à se mettre d’accord. Encore mi-janvier, «je résiste et je
continuerai de résister» abonde Danièle Hoffmann-Rispal dans les colonnes du quotidien du
soir. «Si Cécile Duflot peut trouver un point de chute ailleurs que sur mon dos, ce serait
mieux. Qu'elle aille dans une circonscription plus difficile» explique-t-elle naturellement. En
public, c’est un discours plus policé qu’elle met cependant en avant : «je suis la petite
vendeuse du Sentier qui s’est faite toute seule, à travers moi, c’est un peu de Belleville et de
Ménilmontant qui s’élèvent vers les ors de la République» décline t’elle inlassablement. Mais
alors que l’élection de François Hollande devient de plus en plus probable, la députée sortante
va perdre un soutien de poids. Dans Le Parisien du 16 janvier, Bertrand Delanoë confie ainsi
que «jusqu’au 6 mai, toute mon énergie est tendue vers un seul objectif : la victoire de
François Hollande. Les élections législatives viendront après.» Guidé par ses ambitions
ministérielles, le Maire de Paris accepte même de rencontrer Cécile Duflot, en marge du
Conseil de Paris le mardi 7 février, afin de reprendre langue selon un confidentiel de
Libération : «faut pas qu'on se fâche, Cécile», aurait lâché le Maire de Paris à celle qui avait
sollicité cette entrevue, toujours selon ce quotidien.
Mues par des intérêts convergents – empêcher l’arrivée de Duflot à Paris pour conserver la
sinécure que représente la députation dans la 6ème
circonscription pour l’une, ne pas
compromettre ses chances en vue de l’élection de 2014 pour l’autre – Danièle Hoffmann-
Rispal et Anne Hidalgo adoptent alors la même stratégie. Omettant de préciser que la 6ème
circonscription avait été découpée en 1986 sur mesure pour Georges Sarre et la gauche27
, que
la sociologie de l’est parisien a (presque) toujours été favorable aux valeurs de la gauche,
qu’elle a elle-même précipité la chute du député sortant Georges Sarre en 2002, Danièle
Hoffmann-Rispal revendique d’avoir construit son succès pas à pas et d’être aujourd’hui sur
le podium des parlementaires les mieux élus de France28
. «Ce travail de trente années, je ne
comprends pas qu’il doive se perdre sur un simple accord électoral» fait-elle valoir
aujourd’hui. La première adjointe du Maire de Paris ne relâche pas non plus la pression vis-à-
vis de sa (future) rivale écologiste, et continue son bras de fer, feutré mais sans concession,
vis-à-vis de Solférino et de son ancienne amie, Martine Aubry. Lors de la journée de la
27 «Lors du redécoupage de 1986, Georges Sarre a profité de sa fonction de leader de l’opposition au Conseil de
Paris pour être reçu par Charles Pasqua : pour qu’il ne conteste pas cette refonte de la carte électorale, le Ministre
lui a offert le privilège de se préparer sa propre circonscription, en annexant tous les territoires les plus à gauche
de l’est parisien» explique Philippe Wehrung, secrétaire de section dans l’Est parisien. 28
Elle a obtenu 69% des suffrages, au second tour des législatives de 2007.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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femme le 8 mars, elle organise ainsi un dîner au restaurant La Comète pour «soutenir la
campagne de François Hollande… et la députée sortante évincée de la 6ème
circonscription,
Danièle Hoffmann-Rispal.» Profitant de l’actuelle médiatisation de la vie politique ainsi que
de la politisation de l’électorat parisien - qui suit l’actualité, lit les journaux, regarde les
débats, s’exprime sur les réseaux sociaux – pour déstabiliser Cécile Duflot, Anne Hidalgo
laisse fuiter dans un «indiscret» de L’Express29
sa stratégie de remplacer l’écharde Hoffmann-
Rispal par l’épine Mélenchon, dans le pied de la secrétaire nationale d’EE-LV. La rumeur ne
cessera de prendre de l’importance, jusqu’à l’officialisation de la candidature de ce dernier…
à Hénin-Beaumont.
Si le faible score d’Eva Joly au premier tour de l’élection présidentielle (2,31%) est de nature
à donner des espoirs aux dissidents socialistes, ce n’est pas le cas à Paris : dans la 6ème
circonscription, l’ancienne juge d’instruction réalise 5,66%, soit encore mieux que sa
moyenne parisienne (4,18%). Danièle Hoffmann-Rispal se console toutefois avec les 43,03%
de François Hollande, qui améliore lui aussi son score parisien (34,83%) et national (28,63%).
Statu quo : il faudra donc attendre le 6 mai pour connaître le casting définitif des candidats de
la 6ème
circonscription. Et pas question de faire des vagues avant d’avoir le résultat. Le
premier secrétaire fédéral du PS Rémi Féraud, qui n’a jamais caché être partisan d’une
candidature dissidente, se refuse ainsi d’aborder «la question des législatives entre les deux
tours de la présidentielle »30
. Jusqu’ici contrainte en sa qualité de secrétaire nationale d’EE-
LV de réaliser au minimum deux déplacements par semaine avec Eva Joly, Cécile Duflot n’a
pas attendu plus tard que le 23 avril, soit au lendemain du premier tour, pour lancer sa propre
campagne. Mais quand elle organise une distribution de tracts en faveur de François Hollande
sur le marché Charonne dans le 11ème
arrondissement, ou qu’elle colle des affiches de soutien
29
L’Express, le 28 mars, Le PS pousse Mélenchon à se présenter. 30
Source : Le Parisien, le 24 avril « Cécile Duflot écrasée par les socialistes »
2,32
4,07 3,64 3,63
7,38
1,53
4,18
1974 1981 1988 1995 2002 2007 2012
Score réalisé par le candidat EE-LV (anciennement Les Verts) au premier tour de l'élection présidentielle à Paris
1974 1981 1988 1995 2002 2007 2012
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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à la sortie du métro Alexandre-Dumas (20ème
), à chaque fois elle trouve sur son chemin…
l’équipe de la députée socialiste sortante, Danièle Hoffmann-Rispal : des regards sombres
s’échangent jusqu’à l’arrivée des caméras de télévision, s’en suit alors des salutations polies
mais non moins crispées.
François Hollande est finalement élu Président de la République le 6 mai 2012. Dans la 6ème
circonscription, il y recueille même 71,27% des suffrages…Une victoire dont compte bien
profiter la secrétaire nationale d’EE-LV, qui inaugure trois jours plus tard son QG de
campagne, dans un ancien atelier de plomberie réaménagé rue Jouye-Rouve (20ème
arrondissement), non loin de La Bellevilloise où les écologistes ont l’habitude de se réunir.
Autour d’un buffet bio, l’ambiance est bon enfant… et les militants plutôt confiants : «c’est
un fief écolo, une circonscription écolo ici, c’est un peu Bobo-land et tout le contraire de la
France profonde !» explique une militante. Au-delà de la sociologie du corps électoral de la
6ème
circonscription – tout de même plus populaire que le centre bourgeois de Paris – Claire
Marynower, d’EE-LV Paris, fait valoir que «c’est un lieu traditionnel d’implantation pour les
écologistes : près d’un quart des militants parisiens sont du 11ème
et du 20ème
arrondissement,
sans compter que le parti est bien structuré dans l’est parisien, avec 160 coopérateurs et un
tissu le reliant à la Maison des Métallos, le squat de la Petite Roquette ainsi que de
nombreuses AMAP et jardins partagés.» Devant les journalistes, Cécile Duflot se vante
d’avoir multiplié les rencontres avec les habitants et d’autres associations depuis le mois de
janvier, elle explique avoir «passé une grande partie de ma vie à Paris, c’est là que j’ai été
militante associative, c’est là que je travaille, c’est là que mes enfants sont nés. Tous mes
grands-parents sont nés ici, mon père également : même sur une horrible loi du sang que je
réprouve, je pourrais avoir la carte.» Surtout, elle est consciente ce soir-là que la victoire de
son candidat de substitution devrait décourager sa rivale locale…
L’histoire politique de Paris montre en effet qu’un certain nombre de Députés sortants, même
emblématiques, ont été éliminés dès lors qu’ils ne disposaient plus du soutien du Parti
Socialiste, que ce soit Michel Charzat en 2007 face à Georges Pau-Langevin, ou Georges
Sarre… en 2002 face à Danièle Hoffmann-Rispal. Sous la pression de son état-major, la
virulente députée sortante a donc elle aussi troqué sa stratégie de la terreur contre la voix de la
sagesse, en se rangeant finalement derrière la secrétaire nationale d’EE-LV pour former un
ticket Duflot/Hoffmann-Rispal: «dans un moment où la gauche n’a fait que 51,6%, je ne peux
pas être un agent de la division. Assumer une division et risquer l’exclusion, ce n’est pas
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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simple au bout de 38 ans de militantisme. Encore la semaine dernière, je refusais
d’abandonner mais j’ai reçu beaucoup de coups de fil de Jean-Marc Ayrault, de Bertrand
Delanoë… J’en ai eu mal aux oreilles» raconte-t-elle. Chaque protagoniste de ce conflit
interne à la gauche semble avoir sauvé l’essentiel : il incombait à Duflot, encore secrétaire
nationale d’Europe Ecologie-Les Verts pour quelques semaines, de mettre en œuvre le
rassemblement avec le Parti Socialiste au moins là où elle se présentait. Ainsi que de mettre
fin aux critiques de Danièle Hoffmann-Rispal, «avec cette polémique, Cécile perd des plumes
en terme d’images: elle s’est construite comme la jeune fille d’à-côté, naïve. Elle devient la
Reine-mère qui va faire deux marchés dans le 11ème
arrondissement pour être élue à 60%»
concède un dirigeant écologiste31
. Lors de leur première conférence de presse commune, la
députée sortante, qui se disait voici de cela encore quelques mois «humiliée à l’idée de
devenir la suppléante» de Cécile Duflot, reconnaissait de son côté que, «très franchement, je
préférerais qu’elle soit Ministre». Une telle nomination lui permettait ainsi de continuer à
siéger au Palais-Bourbon.
Seule écologiste incontournable dans un prochain gouvernement de gauche, celle-ci a
longtemps laissé planer le doute sur ses intentions : la secrétaire nationale d’EE-LV hésitait
entre peser à l’Assemblée nationale, où l’attendait la présidence d’un groupe écologiste, ou
bien agir au gouvernement. Refusant de faire «de l'animation socioculturelle dans les médias,
au cas où toute l'action gouvernementale se déciderait à l'Elysée »32
ou rappelant qu’il n’était
pas question pour elle d’imiter le sort réservé à Voynet, «otage du gouvernement Jospin : si
c’est pour être le petit doigt sur la couture du pantalon d'un président qui décide tout seul, ça
ne sert à rien», Cécile Duflot semblait plus exigeante que nombre de ses acolytes Verts
opportunistes. Cela n’empêcha pas le Premier ministre Jean-Marc Ayrault de l’appeler dans
l’après-midi du 16 mai, alors que les deux femmes posaient pour leur affiche de campagne au
Parc de Belleville, pour la nommer Ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement. Elle
bénéficia ainsi du plan de communication gouvernemental pour sa campagne : dans l’optique
d’instaurer un climat de confiance et de montrer que François Hollande tiendrait ses
engagements, Matignon avait pris soin d’annoncer, avant le premier tour des législatives,
plusieurs mesures dont la production de nouveaux logements sociaux et l’encadrement des
loyers. Charge ensuite aux Ministres-candidats d’incarner spatialement la feuille de route du
gouvernement. Mais Cécile Duflot ne s’en contenta pas. Malgré qu’elle ait signé une charte
31
Libération le 19 novembre 2011, «Cécile Duflot veut surfer sur la vague écolo de l’Est parisien » 32
L’Express le 23 février 2012 «Ecolos en recherche de ministères »
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
37
de déontologie – incluant une «clause Chevènement» interdisant les Ministres d’exprimer un
désaccord avec une décision du gouvernement – lors de son entrée en fonction, elle fit une
sortie tapageuse sur la légalisation du cannabis, à cinq jours du premier tour des élections
législatives. Manière pour elle de démontrer qu’elle n’a pas perdue sa liberté d’expression et
qu’elle fait campagne en liant thèmes sociétaux et sujets environnementaux.
Mais son nouveau portefeuille ministériel n’a pas toujours été un avantage, au cours de la
campagne. Lors d’une réunion publique dans le 11ème
arrondissement le 24 mai, elle a ainsi
été accueillie par une centaine de mal-logés dénonçant ses «mesurettes». Ses prérogatives ont
également offert un nouvel angle d’attaque à ses détracteurs : la candidate du Front de Gauche
dans la 6ème
circonscription, Danielle Simmonnet, a affirmé douter de «la volonté réelle du
gouvernement de préserver le logement social […] la hausse du seuil de la loi SRU à 25% ne
suffit pas, au niveau parisien nous devrions aller jusqu’à 30% pour garantir le maintien des
classes modestes et moyennes dans notre ville. Nous attendons une rupture avec la politique
précédente.» Son meeting final, organisé le 7 juin au gymnase de la Bidassoa (20ème
) en
compagnie du Ministre délégué au Développement Pascal Canfin (EE-LV) et de sa suppléante
Danièle Hoffmann-Rispal a également été interrompu par une trentaine de «précaires en
colère.» Elle n’a pu reprendre son intervention devant les 150 personnes présentes qu’une fois
ce comité d’accueil évacué. Recueillant 48,74% des suffrages exprimés au premier tour,
Cécile Duflot a cru un temps qu’elle ferait partie des 36 députés élus dès le 1er
tour des
élections législatives. Elle devra finalement atteindre la semaine suivante, où elle réalisa
72,18%.
Profitant du départ pour Bruxelles d’Yves Cochet, Denis Baupin était l’autre candidat
écologiste soutenu par le Parti Socialiste, à Paris. Mais pas dans l’habituelle 11ème
circonscription dévolue aux écologistes, abandonnée pour cause de redécoupage défavorable.
Objectif d’Alain Marleix ? Rendre cette circonscription plus indécise, et dépendante de la
dynamique de la présidentielle… avec l’espoir d’un basculement à droite par l’intermédiaire
de Jean-Pierre Le Coq, en cas de réélection de Nicolas Sarkozy. Par peur de perdre un de leurs
deux députés parisiens, les écologistes de la capitale ont donc demandé, et obtenu, de migrer
dans la 10ème
circonscription voisine : regroupant une partie des 13ème
et 14ème
arrondissements, celle-ci avait été «sanctuarisée» à gauche, en récupérant l’ensemble des
bureaux de vote longeant le boulevard des Maréchaux peuplé de logements sociaux. «Les
écologistes ont négocié en fonction du redécoupage, et selon une logique électoraliste : le
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
38
nord du 14ème
arrondissement est plus bobo et écolo que le sud populaire, mais ils n’ont pas
voulu conserver leur terre d’élection droitisée» se plaint Thomas Antoni, un militant
socialiste du 14ème
arrondissement. Interrogé par le magazine local «Le 13 du Mois», le
député sortant Serge Blisko avait une autre lecture de la négociation: selon lui, l’électorat de
cette 10ème
circonscription remodelée est «très nouvelle gauche, type CFDT.» Et la sociologie
électorale d’Europe Ecologie-Les Verts montre que le parti écologiste a une certaine
proximité avec cette deuxième gauche. Pour le militant local d’EE-LV, Adrien Delassus, le
choix de cette circonscription est également plus que cohérent : «le 14ème arrondissement est
une vraie base de l’écologie politique : dans les années 70, plusieurs manifestations à vélos y
ont été organisées contre le projet d’autoroute urbaine sur l’avenue Vercingétorix. Et en
1977, nous y recueillions déjà plus de 11% des suffrages.» Autre preuve, s’il en faut : la partie
du 13ème
arrondissement adjointe à cette circonscription compte le «village» huppé de la
Butte-aux-Cailles, là où le vote écologiste est l’un des plus importants de Paris…
Bien moins médiatisée que la 6ème
circonscription, la configuration était pourtant la même. A
62 ans Serge Blisko, qui estimait avoir été «licencié» par l’accord PS–EELV, a longtemps fait
planer l’hypothèse de sa dissidence. Surtout que l’écologiste Denis Baupin, dorénavant
soutenu par le Parti Socialiste dans sa circonscription, n’avait lui aucune chance de devenir
Ministre : contrairement à Danièle Hoffmann-Rispal, Serge Blisko ne pouvait donc pas
espérer retrouver les bancs de l’hémicycle, même en devenant son suppléant. Mais le cas de
Baupin et donc de Blisko ne comptant finalement que peu dans la perspective des élections
municipales 2014, cette rivalité intéressait moins le PS parisien et Anne Hidalgo. Tout au long
de la campagne, le député sortant réfléchit en solitaire à jouer la carte du localisme et de la
proximité pour fustiger un candidat… parachuté du 20ème
arrondissement de Paris, où
l’Adjoint au Maire de Bertrand Delanoë est élu Conseiller de Paris. Face aux menaces
d’exclusion proférées par Solférino à son encontre ainsi qu’aux sondages hyper-locaux
l’avertissant qu’une dissidence ne serait pas récompensée, Serge Blisko, qui avait déjà
inauguré sa permanence, a finalement décidé de mettre ses ambitions de côté. «La décision
digne et pleine de rectitude que Serge Blisko a prise aujourd’hui (…) est la marque d’un
profond sens de la responsabilité et de l’unité dont il a toujours fait preuve», a salué le
candidat écologiste Denis Baupin, dans un communiqué. Un retrait qui n’empêcha pas le
député sortant d’envoyer, à huit jours du premier tour, une lettre à un millier de sympathisants
dans laquelle il dénonçait un «accord d’appareil» et rappelant que «les voix qui se porteront
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
39
sur Denis Baupin serviront à financer le parti des Verts !»33
. Pour sa part, Denis Baupin,
accompagné tantôt de Dominique Voynet, de Bertrand Delanoë ou de Jeau-Paul Huchon,
continuait de mener campagne alertant sur la possibilité de voir Jean-François Copé devenir
Premier ministre si les électeurs de gauche ne se mobilisaient pas. Il réalisa finalement
42,89% au premier tour, puis fut élu avec 64,73% la semaine suivante.
L’accord national entre les deux formations prévoyant qu’en échange de circonscriptions
réservées, Europe Ecologie-Les Verts se désiste «où il y avait un risque potentiel
d’élimination de la gauche dès le premier tour34
», les écologistes ont également pu présenter
des candidats dans les 16 autres circonscriptions de la capitale. Que ce soient Jacques
Boutault, seul Maire écologiste de la capitale et candidat dans la 1ère
circonscription ou
Guillaume Fillon -l’actuel attaché parlementaire du député écologiste François de Rugy- dans
la 9ème
circonscription, ils se sont tour à tour présentés au cours d’un meeting commun début
avril… au Théâtre de l’Opprimé, dans le 12ème
arrondissement. Une salle au nom évocateur,
pour un scrutin législatif qui ne réussit que rarement aux candidatures autonomes des
écologistes. Ce soir-là puis au cours des semaines suivantes, deux axes de campagnes étaient
perceptibles : la valorisation de leur bilan parisien –démontrer que depuis onze ans, les
écologistes de la capitale étaient parvenus à transformer Paris- et l’importance qu’ils attachent
au Parlement.
Mettant en valeur leur ancrage local et leur notoriété d’élus municipaux, les candidats
écologistes n’ont pas hésité à s’appuyer sur les divergences qu’ils ont eues avec Bertrand
Delanoë au cours de ces dernières années, pour faire valoir l’intérêt de leurs propres
candidatures aujourd’hui. «Quelle idée d’insuffler 4.000 voitures de plus dans Paris, alors
qu’on essaie de reprendre de l’espace public pour les habitants ? Autolib’, c’est tout ce
qu’on ne cherche pas à avoir» dénonce35
la candidate EE-LV dans la 7ème
circonscription de
Paris, Corine Faugeron. Pour ces candidats autonomes qui doivent affronter un candidat
socialiste, parfois même leur député sortant, le candidat PS est «leur concurrent, du fait
qu’ils ne portent pas les idées écologistes qui méritent d’être représentées en France.» Et
même lorsqu’ils argumentent sur la nécessité d’avoir un groupe écologiste fort à l’Assemblée
nationale, transparaît la volonté de se différencier du Parti Socialiste. Ainsi, ils ne souhaitent
33
Source : Le Parisien ; 1er
juin ; « L’écologiste Baupin torpillé ». 34
soit 70 circonscriptions sur les 577 que compte le territoire national. 35
Sur le site 75011.fr
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
40
plus seulement «être associés à la gestion du pays, mais être une force incontournable pour
la gestion du pays.» Ou encore, ils souhaiteraient voir l’Assemblée jouer le rôle de contre-
pouvoir de l’exécutif, qui possède avec les projets de lois, l’initiative de la création des lois.
Leurs discours semblent globalement avoir bien été entendus puisque les candidats
écologistes autonomes du PS36
réalisèrent 5,98%.
2) La bonne séquence d’EE-LV ne pénalise pas le PS
lus que n’importe quel autre parti, les candidats écologistes battaient le pavé de la
capitale pour le scrutin législatif non pas forcément dans l’objectif de rejoindre
l’Assemblée nationale, mais dans celui de préparer l’autre enjeu, celui des élections
municipales qui se tiendront dans moins de deux ans. A Paris, seuls deux candidats d’Europe
Ecologie-Les Verts étaient soutenus par le PS ; seuls deux candidats pouvaient donc espérer
raisonnablement être élus le 17 juin 2012. Du fait des contingences liées au scrutin majoritaire
et de la concurrence à gauche d’élus PS mieux implantés et plus connus, les seize autres
candidats autonomes n’avaient aucune chance de décrocher un mandat de député de Paris.
Leur objectif était plutôt de mobiliser les faibles troupes militantes, tout en refermant la
parenthèse malheureuse de l’élection présidentielle pour remettre les compteurs à zéro. Sur un
ton «la vie politique est un long fleuve plus ou moins tranquille», ils expliquent à tour de rôle
que l’important dans le «mauvais passage» de la séquence électorale de 2012 était avant tout
de «faire avancer les idées écologistes pour préparer l’avenir.» «On ne se trompe pas
d’élection, c’est une élection nationale» se justifiait Arlette Zilberg, tête de liste des Verts
dans le 20ème
arrondissement aux municipales 2001 et candidate EE-LV dans la 15ème
circonscription37
: «il s’agit de battre l’UMP et parallèlement, de faire avancer les idées
écologistes afin d’acquérir à terme une majorité culturelle écologiste dans le 20ème
.» Selon le
profil des candidats et les instants de la campagne, il est ainsi possible d’apercevoir les
candidats écologistes aux législatives faire campagne sur l’isolation des bâtiments, la
préconisation et le respect de l’ensemble des critères relatifs aux normes Haute Qualité
Environnementale (HQE) ou encore la généralisation des programmes de sensibilisation au tri
sélectif à l’école primaire… comme il n’est pas rare de les entendre prôner la refonte du plan
de circulation parisien, défendre la piétonisation partielle de la Place de la Bastille ou encore
la banalisation des zones 30 km/h dans la capitale.
36
La moyenne nationale des candidats EE-LV non-soutenus par le PS est de 3,87% selon le politologue D. Boy. 37
Dans un entretien accordé au site 75020.fr
P
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
41
Scores du Parti Socialiste et d’Europe Ecologie-Les Verts
au premier tour des élections législatives à Paris
Elections législatives Parti Socialiste Europe Ecologie-Les Verts
2002 30,5 9,7 (5,49)
2007 29,1 7,5 (4,45)
2012 39,1 10,4 (5,98)
(entre parenthèses : la moyenne des résultats des candidats écologistes autonomes)
Avec une moyenne de 10,4% jusqu’ici jamais réalisée à Paris lors d’un scrutin uninominal
majoritaire à deux tours, les résultats du premier tour des législatives 2012 ont donc donné
satisfaction aux écologistes parisiens : les performances de Bernard Jomier qui réalise 11,1%
dans la 16ème
circonscription (19ème
arrondissement), de Bastien François qui recueille 9,5%
des voix dans la 18ème
circonscription (9ème
et 18ème
arrondissements) et d’Arlette Zilberg qui
fait 7,9% dans la 15ème
circonscription (20ème
arrondissement) laissent présager de bonnes
performances écologistes dans ces quartiers aux prochaines municipales. Le score de Jacques
Boutault (6,1%) dans la première circonscription de la capitale (1er
, 2ème
, 8ème
, 9ème
) laisse lui
quelques regrets aux écologistes, qui souhaitaient initialement l’inclure dans l’accord électoral
et présenter une candidature commune avec le Parti Socialiste, dont la candidate Claire Morel
a recueilli 34,07% des suffrages au premier tour. Le Maire du 2ème
arrondissement est lui déjà
passé à autre chose : «si nous voulons peser aux municipales en 2014, nous devons aller dans
les territoires de conquête qui ne sont pas forcément ceux détenus par le PS» explique-t-il au
Monde38
.
Au-delà de ces bons scores obtenus globalement, EE-LV Paris peut bien entendu se satisfaire
d’avoir obtenu deux nouveaux députés de Paris, en les personnes de Cécile Duflot et Denis
Baupin. Cela correspond à leur stratégie d’implanter la secrétaire nationale d’Europe
Ecologie-Les Verts au sein de la capitale – que cela serve leur ambition pour 2014 ou à plus
long-terme – ainsi que de conforter le poids politique de l’Adjoint au Maire de Paris et porte-
drapeau des Verts aux municipales 2008, Denis Baupin. La première ne siégeant pas à
l’Assemblée nationale du fait de son poste de Ministre, ce dernier devra profiter de la tribune
politique qu’offre cette institution39
, pour faire entendre la petite musique écologiste
38
«Vague rose à Paris au premier tour », le 11 juin, Le Monde. 39
Pressenti pour obtenir la présidence de la commission du développement durable, Denis Baupin a finalement
hérité le 27 juin de la vice-présidence de l’Assemblée nationale.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
42
notamment sur des sujets concernant Paris, comme l’écologie urbaine. Mais plus que leur
action dans l’hémicycle ou au gouvernement, ce sont leurs terres d’élections qui réjouissent
particulièrement l’état-major écologiste.
La 6ème
circonscription dans laquelle a été élue Cécile Duflot regroupe une partie du 11ème
et
une partie du 20ème
, deux arrondissements historiquement étiquetés à gauche : le premier a
été le lieu de la prise de la Bastille en 1789 ; les révolutions de 1830 et de 1848 suivies par la
Commune en 1871 ou les manifestations du Front Populaire ont fini par lui coller l’image
indéfectible d’arrondissement populaire. Aujourd’hui encore, la descente du boulevard
Voltaire fait partie du parcours-type emprunté par bon nombre de centrales syndicales. Les
quartiers de Belleville et du Père Lachaise (20ème
) ont longtemps été des faubourgs ouvriers
installés en périphérie de Paris, avant d’être annexés à la capitale en 1860. Du fait d’une forte
concentration d’habitat précaire, l’arrondissement a été prioritairement pointé par la vague
d’opérations de rénovation urbaine, menée par la Ville de Paris à partir de la fin des années
1950. D’industriel, le 20ème
arrondissement deviendra résidentiel : de vieux immeubles de
quatre étages, séparés par de jolies impasses ornées de jardinets, ont été rasés dans le Haut-
Belleville pour donner place à de vastes ensembles d’une quinzaine d’étages. Une politique
du bulldozer qui fera fuir au fil des ans une population ouvrière âgée, progressivement
remplacée au début des années 90 par des électeurs plus jeunes et plus aisés. Depuis ce
moment-là, et notamment sous la pression de l’association de quartier La Bellevilleuse, la
Mairie de Paris cherche à préserver ses aspects de quartier-village et privilégie dès lors la
réhabilitation de logements et le développement d’espaces verts.
Ceci a son importance pour comprendre que l’ouvriérisation des 11ème
et 20ème
arrondissements est devenue une donnée du passé ! S’il est bien entendu plus populaire que
l’Ouest parisien, l’Est ne peut plus vraiment être considéré comme prolétaire : sinon, pourquoi
la Maison des Métallos, incarnation de la toute-puissance de la CGT de l’époque, aurait été
transformée en lieu culturel accueillant plus de vernissages que de réunions politiques ?
Pourquoi la clientèle ouvrière de la rue de Lappe aurait laissée place si rapidement à des
étudiants, des célibataires, des jeunes couples, des cadres du secteur public comme du monde
privé ? Le dernier recensement de 2008 donne une indication : les ouvriers ne représentent
plus que 5,4% de la population du 11ème
arrondissement (5,2% à Paris), contre 29,6% de
cadres et professions intellectuelles supérieures (27,1% à Paris). Dans le 20ème
arrondissement, la catégorie socioprofessionnelle la plus représentée en 1999 était les
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
43
employés (18,9%) tandis que ce sont les cadres et professions intellectuelles qui sont
aujourd’hui les plus nombreux (20,8%). La hausse des prix de l’habitat risque de consolider
cette tendance à l’embourgeoisement. Les 11ème
et 20ème
arrondissements sont donc des
arrondissements populaires mais qui restent tout de même intégrés à une métropole
mondialisée, rendant du même coup périlleux tout exercice visant à délivrer un résumé
sociologique.
L’histoire passée comme récente de ces différents quartiers composant la 6ème
circonscription
a pour point commun de rendre son paysage urbain et social très contrasté : des immeubles de
grande taille accueillant une population immigrée et ouvrière ont une vue plongeante sur d’ex-
ateliers transformés en lofts accueillant notamment des jeunes couples de cadres, des endroits
prisés des «gentryfieurs» se trouvent à quelques dizaines de mètres de poches de pauvreté, des
bars branchés succèdent à des commerces ethniques, etc. Au niveau municipal, le Parti
Socialiste domine spatialement ces deux arrondissements ancrés à gauche, mais Europe
Ecologie-Les Verts veut faire évoluer son discours pour y séduire un nouvel électorat,
essentiellement composé de classes moyennes (inférieures et supérieures) mais aussi de
quelques familles défavorisées. Ils espèrent que les citoyens de la 6ème
circonscription seront
d’autant plus susceptibles de répondre à l’appel écologiste en 2014 qu’ils ont
majestueusement élus Cécile Duflot, deux ans plus tôt aux législatives 2012. A cheval sur
deux arrondissements largement pourvus en conseillers de Paris – ces supers-élus locaux
siégeant à l’Hôtel de Ville et à qui revient l’élection finale du Maire de la capitale – cette
circonscription pourrait alors être une formidable rampe de lancement si la Ministre de
l’Egalité des territoires et du Logement est candidate aux municipales dans le 11ème
ou plus
probablement le 20ème
arrondissement.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
44
La 10ème
circonscription a beau ne pas avoir grand-chose de comparable avec la 6ème, elle
n’en reste pas moins ancrée à gauche : du sud-ouest du 13ème
arrondissement au sud-ouest du
14ème
, elle est entièrement composée de territoires considérés comme une sorte de «campagne
à proximité de la capitale», jusqu’à leur annexion en 1860. Autre ressemblance ? Son
contraste architectural. Encore aujourd’hui, un important habitat individuel agrémenté de
petits jardins côtoie des immeubles des années 1930… et même des gratte-ciels, avec
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
45
notamment la tour Super-Italie, haute de plus de 110 mètres. Du fait de ses nombreux espaces
verts, le sud de Paris est devenu un quartier uniquement résidentiel, prisé d’une population
aisée : les étudiants et les cadres désireux de fonder de jeunes familles ont pris d’assaut cet
arrondissement et notamment les quartiers-villages comme Daguerre ou Pernety,
anciennement composés d’ouvriers et d’employés. Bien que les disparités ne soient pas aussi
frappantes que dans le 20ème
arrondissement, il reste néanmoins quelques zones plus
populaires aux alentours de la Porte de Vanves ainsi qu’une importante ceinture de logements
sociaux tout le long du boulevard des Maréchaux. Suffisamment en tout cas pour assurer à
cette circonscription et à ces arrondissements de rester à gauche encore quelques années…
Mais le fait qu’EE-LV applique avec succès sa stratégie parisienne ne signifie pas pour autant
que le PS ait à rougir et à s’inquiéter. Au contraire, les enseignements à tirer des élections
législatives 2012 vont au-delà d’un simple vote de confirmation de la présidentielle et
confortent la capitale à gauche : l'addition des voix recueillies dans les 18 circonscriptions
(39,1%) au premier tour des législatives donne au Parti Socialiste un score supérieur à celui
de François Hollande le 22 avril dernier (34,9%). Avec 60% des voix exprimées en moyenne
pour la gauche au second tour, le PS parisien qui ne parvient pas à ravir de nouvelles
circonscriptions à la droite, bat toutefois «un nouveau record40
». Il devance par ailleurs de dix
points son score (29,1%) réalisé au premier tour des élections législatives de 2007.
Dans des circonscriptions considérées comme clés par l’UMP qui y nourrissait des espoirs en
2012 pour mieux reconquérir les mairies d’arrondissement en 2014, le Parti Socialiste est
même parvenu à creuser l’écart : dans la 8ème
circonscription, la députée sortante Sandrine
Mazetier (PS) s’ancre un peu plus, obtenant neuf points de plus que son élection de justesse
en 2007, année, et dans la 11ème
circonscription où Yves Cochet (Verts) ne se représentait pas,
le maire du 14ème
arrondissement Pascal Cherki (PS) devance de sept points le maire du 6ème
arrondissement, Jean-Pierre Lecoq (UMP) alors que son élection était considérée comme
indécise. Si la fracture électorale entre l’Ouest et l’Est parisien est toujours aussi nette, il est à
noter que le Parti Socialiste accomplit une percée dans les arrondissements aujourd’hui
détenus par l’UMP. Dans la 2ème
circonscription (5ème
, 6ème
et 7ème
arrondissements), François
Fillon (48,6%) devance largement son rival socialiste Axel Kahn (33,9%) mais l’ancien
président de l’université Paris-Descartes arrive tout de même en tête dans le 5ème
40
Bertrand Delanoë, le 20 juin dans le Journal du Dimanche : «Paris, ville de gauche.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
46
arrondissement (41,9% contre 38% pour l’ex-Premier ministre), dont l’actuel Maire, Jean
Tibéri, est de droite. Dans la 12ème
circonscription qui recouvre la majorité du 15ème
arrondissement, le candidat radical Gilles Alayrac, soutenu par le PS, réalise un score de six
points supérieur à celui d’Anne Hidalgo en 2007, en recueillant 34,3% des voix au premier
tour. Autre motif de satisfaction pour le PS parisien, Cécile Duflot (EE-LV) doit laisser, du
fait de sa fonction de Ministre, son siège de députée de Paris à sa suppléante Danièle
Hoffmann-Rispal : la capitale apportera ainsi le même nombre de députés au groupe PS qu’en
2007, et ce malgré le redécoupage électoral.
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47
II Rivalités de pouvoirs entre frères ennemis
A) «L’unité est un combat»
1) Interdépendances et rivalités de pouvoirs
ncore aujourd’hui, les écologistes sont largement dépendants du PS. Si Europe
Ecologie-Les Verts obtient des résultats honorables dans les élections locales ou
supranationales, ils restent encore bien loin de pouvoir concurrencer leur grand frère
socialiste dans les scrutins nationaux les plus médiatisés. Et pour cause, le mode des scrutins
des élections présidentielle et législatives41
censé garantir des majorités claires, ne
récompense qu’un seul candidat. Du fait de l’absence de proportionnelle, le pourcentage de
voix obtenues par les prétendants autre que le vainqueur n’est pas pris en compte.
Evolution du rapport entre suffrages nationaux et sièges obtenus aux élections législatives depuis 1997.
Elections
législatives
Accord national PS /
Verts
Suffrages obtenus par
les Verts
Part des sièges
obtenus
1986 Non 1,21% 0%
1988 Non 0,35% 0%
1993 Non 4,08% 0%
1997 Oui 6,83% 0,69% (6 élus)
2002 Oui 4,51% 0,52% (3 élus)
2007 Non 3,25% 0,69% (4 élus)
2012 Oui 5,46% 3,12% (18 élus)
Comme de nombreux autres petits partis qu’ils soient extrémistes ou centristes, le rapport
entre le nombre de suffrages exprimés en faveur d’EE-LV reste généralement supérieur au
nombre de postes de députés glanés : les écologistes ne parviennent pas à convertir les votes
en leur faveur en mandats électoraux. Une gabegie institutionnelle qui a un double effet
pénalisant pour ces petites structures, puisqu’elle fait automatiquement fuir un certain nombre
41
Ces scrutins sont organisés selon le système majoritaire à deux tours.
E
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
48
d’électeurs-sympathisants vers un «vote utile», vers un parti susceptible de «gagner»
l’élection comme le PS ou l’UMP. Une tendance encore accentuée en 2002 par l’inversion du
calendrier électoral national – le scrutin législatif étant dès lors fixé le mois suivant l’élection
présidentielle – puisqu’il s’agit désormais d’attribuer ou non la majorité au Président de la
République nouvellement élu.
S’ils veulent peser à l’Assemblée nationale, où se définissent les rapports de forces rythmant
l’agenda politique du quinquennat, les écologistes doivent donc préalablement négocier des
circonscriptions «gagnables» en fusionnant avec le Parti Socialiste, mieux implanté sur
l’ensemble du territoire. C’est «un moment difficile mais il n’y a pas d’autres solutions» selon
la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Cécile Duflot. Au-delà de la nécessité de
devoir nouer un accord électoral pour tirer profit des contingences de la 5ème
République, une
alliance programmatique est par ailleurs le seul espoir des écologistes pour tenter de modifier
le mode de scrutin, et ainsi corriger la faiblesse inhérente à leur structure pour retrouver leur
«indépendance». Dans l’accord signé à l’automne 2011 entre les deux formations de gauche,
il est ainsi prévu de revoir l’organisation institutionnelle et notamment le mode de désignation
pour le Parlement, puisqu’entre 15 à 20% des sièges de l’Assemblée nationale devraient au
minimum être élus en 2017 à la proportionnelle.
Conscient que nouer de nouveau un accord avec le PS pourrait plomber la campagne de sa
candidate et faire fuir un certain nombre de militants, Europe Ecologie-Les Verts s’y résolut
malgré tout. Car l’objectif était également de pouvoir constituer un groupe de députés
indépendant, alors que celui qu’ils formaient bon gré mal gré avec le Front de Gauche s’était
disloqué à l’automne dernier. Sur le papier, 15 députés écologistes devaient initialement être
élus en cas de défaite du PS à l’élection présidentielle, et de 25 à 30 en cas d’accession de
François Hollande à l’Elysée. Les dissidences d’élus socialistes locaux – désireux de profiter
de la vague rose et de ne pas offrir de vitrine nationale aux élus locaux écologistes à moins de
deux ans des élections municipales – ont coûté leur place à une dizaine de candidats
écologistes42
. Résultat : au soir du premier tour, les écologistes n’étaient plus assurés
d’obtenir ce fameux groupe politique à l’Assemblée nationale. Clé de voûte de la stratégie
écologiste des derniers mois, cette anomalie aurait été un terrible échec consacrant Europe
Ecologie-Les Verts comme le supplément d’âme environnemental du géant socialiste. Seuls
42
Des dissidents du PS local se sont présentés dans la moitié des 63 circonscriptions où le candidat écologiste
était soutenu par la direction nationale du PS. Résultat : seuls 40 ont pu se maintenir au second tour.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
49
18 députés verts ont donc finalement été élus le 17 juin, soit juste de quoi former pour la
première fois un groupe politique autonome. Un atout toutefois non négligeable dans le rôle
que peut jouer EE-LV au cours de la prochaine mandature. Il lui garantit selon l’article 19 du
règlement de l’Assemblée nationale un certain nombre de sièges en commission, une
meilleure répartition des places dans l’hémicycle ainsi qu’un temps de parole accru en séance.
Le groupe écologiste bénéficiera de facilités matérielles (bureaux, voitures de fonction) et
d’une enveloppe financière (45.000 euros par mois) leur permettant d’embaucher 8 chargés de
mission – susceptibles de produire des notes de synthèse, des amendements ou de gérer la
communication – en plus des collaborateurs parlementaires de chaque député. Outre proposer
la création d’une commission d’enquête et fixer l’ordre du jour, les présidents de groupe
politique peuvent également demander un scrutin public ou une suspension de séance.
En somme, tout ce que recherche Europe Ecologie-Les Verts, qui a pris conscience qu’il ne
parviendrait pas à «changer le monde» s’il ne jouait pas un rôle important dans la vie
parlementaire. Dans un contexte de bipolarisation et de présidentialisation accrue, l’obtention
de ce groupe qui leur permettra de faire entendre leurs différences aurait été inespérée si les
écologistes n’avaient pas passé d’accord avec le grand frère socialiste : bien que largement
devant Eva Joly au premier tour de l’élection présidentielle, le Front National, le Front de
Gauche et le MoDem ne peuvent pas constituer de groupe politique autonome. A défaut de
pouvoir peser dans le rapport de force classique alors que le PS détient la majorité absolue, les
écologistes peuvent également se targuer de ce Ministère de la parole supplémentaire. Charge
à eux, ensuite, de transformer leur liberté d’expression en liberté de vote, d’articuler au mieux
leurs traditions libertaires et les règles de la solidarité gouvernementale.
Mais la politique n’est pas qu’une question d’idéaux, elle est également une histoire
d’influence, de pouvoir… et donc de moyens financiers. L’argent est une inertie à toute
structure politique : un parti en faillite n’a plus les moyens de faire campagne et de se battre
pour que ses idées soient représentées. Au contraire, une formation qui s’enrichit peut voir
son avenir s’éclaircir. La vie politique est un secteur concurrentiel comme un autre, les
suffrages jouant le rôle de parts de marchés. Les finances sont constamment en ligne de mire
des états-majors politiques, dans la mesure où aucun parti ne peut fonctionner sur les seuls
dons, cotisations de militants et surplus d’indemnités des élus43
. Ne serait-ce que pour assurer
43
Les députés PS verseraient ainsi 500 euros par mois à l’Association de Financement du Parti Socialiste. Cette
somme est beaucoup moins importante que les 1.500 euros versés par les députés écologistes à leur parti.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
50
le remboursement des emprunts liés au foncier, les frais salariaux, l’achat de matériel
informatique, etc… Europe Ecologie-Les Verts n’échappe donc pas à la règle. «Les
écologistes ont établi une stratégie mixte, mélange d’autonomie et d’alliances, car participer
à des majorités et disposer d’une place dans l’exécutif est un levier nécessaire pour tout parti
politique : EE-LV est une machine qui a besoin de carburant, d’argent, et donc d’élus et de
voix» explique Daniel Boy, directeur de recherches au Cevipof. Le parti écologiste est
d’autant plus concerné que sa situation financière est loin d’être excellente : l’achat de son
siège de La Chocolaterie (20ème
) au début des années 2000 juste avant une série de mauvais
résultats électoraux l’a durablement endetté et le menace encore aujourd’hui de devoir vendre
ses locaux ou de licencier une partie de sa quinzaine de permanents.
Le négociateur en chef Jean-Vincent Placé a beau nier la mauvaise santé économique
présumée d’Europe Ecologie-Les Verts – «notre parti n’est pas du tout au bord de la faillite :
nous avions 800 élus il y a six ans et en comptons plus de 2.000 aujourd’hui.» – la campagne
de sa candidate Eva Joly l’a laissé transparaître à plusieurs reprises. L’hiver dernier,
l’ancienne juge d’instruction confiait même aux réalisateurs du documentaire Stratèges sa
«responsabilité économique envers Europe Ecologie-Les Verts. Si, quelques semaines avant
l’élection, je suis crédité de 2,5%, cela ferait perdre trois millions d’euros au parti.»
Anticipant son faible score à la présidentielle et la catastrophe financière qu’entraînerait le
non-remboursement44
, son équipe de campagne avait entre-temps diminué le budget de la
campagne… Revenant sur son aventure, Eva Joly déclarait à quelques jours du premier tour45
qu’elle aurait «aimé bénéficier des services d’une agence de pub, comme les autres, mais tout
coûte beaucoup d’argent. Chez nous, tout est fait maison!»
Aujourd’hui, Europe Ecologie-Les Verts peut se satisfaire d’avoir survécu à une séquence
électorale qui ne lui réussit jamais. Mais ils peuvent remercier pour cela… le Parti Socialiste :
l’accord leur permettant de présenter 63 candidats écologistes avec le logo du poing et de la
rose aux législatives de juin dernier revêtait une composante financière non négligeable.
Avant la signature de celui-ci à l’automne 2011, le parti écologiste ne parvenait plus à
décrocher de nouveaux prêts et se voyait dans l’obligation d’augmenter ses capacités
d’autofinancement46
. A tel point que les ultimatums que lançaient les écologistes faisaient
44
L’Etat prend en charge au maximum 800.000 euros de dépenses, pour les candidats ayant récueilli moins de
5% des suffrages 45
Entretien dans l’Express, le 18 avril. 46
A cette période, Europe Ecologie-Les Verts avait hypothéqué les locaux de leur fédération du Nord-Pas de
Calais, fait une levée auprès des groupes locaux et suspendu le versement du salaire de leurs permanents.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
51
office de «véritable coup de bluff47
» et qu’ils n’étaient de toute façon pas en moyen de
claquer la porte des négociations… Lors du conseil fédéral de septembre dernier, la trésorière
Eva Sas préconisait en effet de «recueillir au minimum 1,5 million de voix en juin prochain,
grâce à un score moyen de 6% dans les 577 circonscriptions» en cas de stratégie
d’autonomie. Pragmatique, elle faisait aussi valoir qu’«un score moyen de 35% dans 80
circonscriptions réservées par le PS permettant de réunir 1,8 millions de suffrages» leur
assurerait d’honorer les échéances bancaires et de dégager plus d’un million d’euros par an.
Depuis la loi du 11 mars 1988 instituant un système de subventions publiques pour lutter
contre les financements occultes, l’aide financière que reçoit chaque parti de la part de l’Etat
se calcule en effet sur la base du résultat des élections législatives. Une première fraction
d’une trentaine de millions d’euros est distribuée proportionnellement aux résultats obtenus au
premier tour des dernières élections législatives. Toutes les formations politiques ayant obtenu
au moins 1% des suffrages exprimés dans cinquante circonscriptions peuvent la réclamer.
Jusqu’ici, les 859 781 recueillies par les Verts lors des législatives 2007 leur donnaient droit à
1,37 millions annuel. Avec 1.418.141 voix obtenues en 2012, Europe Ecologie-Les Verts
verra ce montant grimper à 2,38 millions d’euros par an, jusqu’en 2017, garantissant ainsi une
certaine stabilité budgétaire. Sans compter qu’une deuxième tranche d’environ 40 millions
d’euros est ensuite répartie en fonction du nombre de parlementaires (42.228 euros par élu)
rattachés à chaque parti, à condition que ces derniers soient déjà bénéficiaires de la première
fraction. Là encore, c’est le cas d’Europe Ecologie-Les Verts : entre 2007 et aujourd’hui, ils
ont même vu leur nombre de sénateurs augmenté de deux à douze, et de députés de quatre à
dix-sept. Cette allocation a augmenté en cinq ans d’environ 250.000 euros à 1.250.000
annuel… De quoi respirer financièrement, donc.
Mais aussi étrange que cela puisse paraître, le PS n’avait pas moins besoin de cet accord, tant
électoralement au cours de la campagne présidentielle que pour la mandature à venir. Il a été
la première pierre du vote utile : sans connaître le détail des comptes de ses partenaires,
Solférino avait toutefois conscience que son partenaire Europe Ecologie-Les Verts était une
petite structure ayant besoin du financement public : leur garantir un minimum de ressources
en juin 2012 pouvait les «neutraliser» de façon à éviter toute critique du candidat socialiste,
alors que le candidat du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon faisait déjà preuve de
47
selon des enquêtes de Marianne du 18 novembre 2011 et le Canard Enchaîné du 23 novembre 2011.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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véhémence et prenait le risque de diviser l’électorat de gauche. La réussite de cette
négociation rentrait également dans la stratégie de communication du candidat socialiste à
l’Elysée. S’il a réalisé de nombreuses concessions en matière de circonscriptions, François
Hollande a fait valoir sa cohérence et sa fermeté au niveau de ses idées : au cours de la
campagne, il a réaffirmé la prévalence de son programme personnel sur tout autre «accord
d’appareil», afin de se draper d’une image d’homme d’Etat et non seulement d’homme de
parti. François Hollande, qui prenait soin de sa stature de présidentiable, ne voulait pas tomber
dans la critique politicienne des «affaires» de Nicolas Sarkozy48
: qu’à cela n’en tienne, la
candidate écologiste Eva Joly lui a rendu un fier service en axant toute sa fin de campagne sur
ce thème.
Il faut également avoir à l’esprit que depuis 2002, le scrutin législatif français se déroule dans
la foulée de l’élection présidentielle. Pas surprenant dès lors que les états-majors réfléchissent
déjà à l’organisation de la mandature à venir, avant même que le nom de l’hôte de l’Elysée ne
soit connu. En échange de «tickets» leur donnant droit à une poignée de députés, EE-LV n’a
ainsi pas présenté de candidats dans 70 circonscriptions susceptibles de voir un représentant
de la gauche absent du second tour suite aux dispersions des voix entre socialistes, écologistes
et communistes. Utile alors que la logique politique veut que le PS réunisse autour de lui une
partie de la gauche s’il veut espérer devancer l’UMP dans une France encline à voter
majoritairement à droite lors des scrutins nationaux. Bien que signée six mois avant le premier
tour, cette entente entre socialistes et écologistes garantissait également à François Hollande
une solidarité parlementaire pour la mandature à venir, et sécurisait de fait le projet de loi de
finances ou le budget de la sécurité sociale. Car le risque existait - il a été matérialisé par le
scrutin présidentiel serré - que la composition de l’Assemblée nationale n’offre pas de larges
marges de manœuvres au PS. Sans affirmer publiquement leur désir d’avoir une majorité
absolue afin de ne pas être accusés d’avoir des visées hégémoniques, le Parti Socialiste a
lancé plusieurs appels pour qu’une «vague rose» et non rose-verte-rouge, vienne conforter
l’élection de François Hollande. La question de savoir si le gouvernement disposerait d’une
majorité absolue ou relative a son importance : elle est la garantie de pouvoir voter, et donc
accélérer la mise en œuvre de ses réformes sans risquer d’être mis en minorité.
48
Affaire Bettencourt, Affaire Karachi, Affaire Khadafi, etc.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
53
Avant même les élections législatives, la configuration de la future Assemblée nationale était
donc dans toutes les têtes socialistes. La principale crainte étant que le PS et ses alliés naturels
du PRG doivent composer avec les députés du Front de Gauche, seul parti avec qui Solférino
n’était pas parvenu à trouver d’accord législatif et qui avait pour objectif initial de se faire
entendre, de ne pas laisser socialistes et écologistes à avoir la majorité à eux seuls. A l’image
du futur Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone qui a estimé souhaitable que le
PS «ait la majorité absolue sans les Verts»49
, de nombreux socialistes ne cachaient pas leur
désir d’hégémonie pour ne pas avoir besoin de compter sur leur partenaire écologiste…
Comment le justifier ? Le fait d’avoir la majorité absolue faciliterait l’action du gouvernement
et lui conférerait une légitimité encore plus importante en Europe. Motif officieux : la néo-
Ministre Cécile Duflot venait de leur donner un avant-goût de sa conception de la solidarité
gouvernementale avec une polémique sur la légalisation du cannabis, permettant de douter
raisonnablement de la fidélité du groupe écologiste.
La joie se lisait donc sur les visages socialistes, le 17 juin au soir. Ils obtenaient 280 députés à
eux seuls et 314 avec leurs alliés historiques (divers gauche et radicaux de gauche), soit bien
plus que la majorité absolue établie à 289 sièges. Avec 17 députés depuis le retrait de Cécile
Duflot qui reste au gouvernement, Europe Ecologie-Les Verts –partenaire plus indépendant et
donc plus imprévisible que les deux forces satellites citées ci-dessus – obtient la meilleure
représentation parlementaire de la courte histoire verte, mais ne sera pas indispensable au
Parti Socialiste : l’écologie politique ne pèsera pas autant qu’espéré à l’Assemblée nationale.
Un soulagement pour Solférino et l’Elysée qui peuvent se targuer de contrôler des pouvoirs
que la gauche n’avait encore jamais eu sous la 5ème
République à savoir, la présidence, le
gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat ainsi que la quasi-totalité des régions, les
trois-quarts des grandes villes et une grosse majorité des départements. D’autant plus que
cette puissance institutionnelle ne s’accompagne d’aucuns partenaires suffisamment forts pour
entretenir le débat et jouer un rôle de pouvoir de contrainte envers le parti social-démocrate.
Cette relative interdépendance entre écologistes et socialistes ne garantit pas pour autant des
relations apaisées sur le plan national. Depuis quinze ans, les deux partis se retrouvent
régulièrement à la table des discussions pour tenter de se mettre d’accord. Pourtant la
négociation n’a aboutie qu’à deux reprises. Si l’accord de la «gauche plurielle» avait permis
en 1997 à Lionel Jospin d’accéder à Matignon et aux Verts d’obtenir 6 députés et 1 Ministre,
49
Le 3 juin 2011, lors du Grand Rendez-vous Europe 1 / Le Parisien / I-Télé
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
54
seuls les députés sortants avaient ensuite été reconduits en 2002, au terme d’un accord a-
minima. Bis répétita en 2007, seuls des accords locaux ont permis aux écologistes d’être
représentés à l’Assemblée nationale. Et pour cause, la direction nationale avait claqué la porte
de Solférino après avoir réclamé une soixantaine de circonscriptions, dont la moitié de
gagnable, tandis que le PS n’était disposé qu’à leur en réserver 14, dont à peine la moitié de
gagnables.
Avant d’aboutir à un accord électoral et programmatique historique en 2012, la négociation a
été ponctuée de lourdes menaces et d’ultimatums vindicatifs. L’élément de langage semble
avoir été répété par l’ensemble des écologistes, à l’automne dernier : dans la bouche de la
candidate à l’élection présidentielle Eva Joly, cela donnait «pas question d’échanger nos
principes contre quelques circonscriptions», dans celle de la secrétaire nationale Cécile
Duflot «nous sommes prêts à n’avoir aucun députés plutôt que de renier nos convictions»
tandis que l’Adjoint au Maire de Paris Denis Baupin le formulait dans ces termes : «S’il faut
renoncer à nos convictions pour avoir des députés, il n’y aura pas de députés, c’est clair» !
Dans un entretien accordé au
Journal du Dimanche le 22
octobre, la patronne écologiste
rappelle les conditions posées,
insistant sur le fait que nous
«sommes prêts au compromis,
comme nous sommes prêts aussi
à constater qu’il n’y a pas
d’accord.» Ulcérés par cette
pression médiatique imposée par
leurs partenaires, les socialistes
et en particulier le camp
Hollande menacent de ne
négocier qu’après le premier tour, sur la base exclusive du score d’Eva Joly. L’ancienne
porte-parole des Verts et alors membre de l’équipe de campagne de François Hollande,
Aurélie Filipetti, lui répond le lendemain dans le JDD : «Le Parti Socialiste a totalement
intégré la problématique environnementale dans son programme. Notre doctrine a changé,
les temps ont changé : les Vert ne sont plus en position d’exiger quoi que ce soit. L’avenir de
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
55
l’écologie, c’est le PS.» La bataille était à couteaux tirés entre deux états-majors
intransigeants, pleinement conscient qu’ils étaient là en train de bâtir le rapport de force de la
prochaine mandature et qu’il était hors de question de céder du terrain.
Si Europe Ecologie-Les Verts accepte de nouer des accords pour ne pas «être marginalisé» et
s’inscrire durablement dans l’exercice du pouvoir afin d’infléchir la politique du Parti
Socialiste, ils ne cachent pas nourrir l’ambition de faire à plus ou moins long-terme de
l’écologie politique l’idéologie du 21ème
siècle ! Militants ou élus, beaucoup sont convaincus
de transposer le processus de dépassement qui avait vu, au début du 20ème
siècle, la SFIO
concurrencer de plus en plus fortement les radicaux de gauche. «Tout comme l’idéologie du
Parti Radical n’était plus adaptée aux valeurs de la société au sortir de la première guerre
mondiale, l’idée défendue par le PS qu’une croissance économique infinie puisse permettre à
l’Etat-providence d’augmenter les revenus de tous n’est plus d’actualité. Or, son appareil
bureaucratique ne peut pas sortir de ce paradigme» veut croire Hervé Morel, patron d’EE-
LV Paris et professeur à HEC. Une représentation de l’avenir ambitieuse pour leur parti, que
les écologistes justifient en faisant référence aux Tragédies de Shakespeare, où l’écrivain
britannique explique que les cycles de puissance ne cessent de se défaire pour recommencer,
modifiant constamment les structures de pouvoir. «Si nous faisons parfois des accords avec la
gauche, ce n’est pas parce que nous sommes solubles dans le PS, c’est une contrainte due au
mode de scrutin. L’écologie politique, c’est un nouveau paradigme dans l’échiquier
idéologique du débat politique, ce n’est pas un parti de la gauche traditionnelle, c’est une
nouvelle forme d’espoir jadis représentée par la gauche, aujourd’hui par nous» lance Yves
Cochet50
. A écouter les dirigeants d’EE-LV, l’écologie politique bien qu’encore en
construction, serait la remplaçante toute trouvée d’idéologies appartenant au passé, et sur
laquelle se fonderait encore le Parti Socialiste, comme la social-démocratie, le communisme
ou le libéralisme.
Cette ambition avait déjà été matérialisée le 30 septembre 2011 lors d’une réunion de travail
entre les écologistes français et leurs collègues allemands des Grünens, par la secrétaire
nationale Cécile Duflot. Cette fois-ci, elle n’avait pas hésité à affirmer que «la force montante
de l’écologie dépassera à coup sûr la social-démocratie au XXIème siècle.» De retour à
Solférino pour négocier l’accord sur la séquence électorale 2012, elle avait assumé sa phrase
50
Yves Cochet : «Eva Joly n’a jamais tiré contre le PS», Le Monde, 24 novembre 2011
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
56
tout en niant vouloir «faire du Parti Socialiste le PRG de demain : ce n’est pas qu’une
question de rapports de forces mais aussi de démontrer que les solutions écologistes sont
pertinentes pour régler les problèmes […] d’une crise qui mérite des solutions du XXIème
siècle puisque la crise que l’on vit aujourd’hui n’est pas conjoncturelle mais celle d’un
modèle de développement court-termiste» s’explique-t-elle dans l’émission Preuves par 3, sur
Public Sénat. Au cours d’un entretien téléphonique qu’il m’a accordé, le politologue Daniel
Boy vient prudemment – «c’est difficile d’établir des prévisions, ce sont autant des questions
philosophiques que de science politique» – à son secours, en expliquant qu’un cycle
historique existe bel et bien et que l’écologie politique aura bien vocation à supplanter la
social-démocratie, à terme. «Pour autant, la direction nationale d’EE-LV n’imagine pas
dépasser le PS dans les deux ans ou trois ans à venir : il ne faut pas confondre la concurrence
immédiate, qui peut se régler avec des accords, et ce qui peut être une vision à long-terme
dans une voire plusieurs décennies» clarifie-t-il.
Surtout que l’écologie politique n’est pas si vieille, elle n’existe en réalité que depuis un peu
plus d’une génération. Fatras d’idées nouvelles émergeant après Mai 68, elle rassemble
initialement une myriade de causes sans liens cohérents apparents, séduisant autant des
féministes combattant pour la libération de l’avortement et la contraception que des militants
de la cause homosexuelle, des défenseurs des sans-papiers, des maoïstes, des partisans de la
non-violence, des journalistes de la presse alternative, des trotskistes, des marxistes-
léninistes… qui ont tous des subtilités de discours et des stratégies différentes. Ils se fédèrent
dans le but commun de «changer le monde, à un moment où la croissance et le progrès ont
laissé place à une succession de crises qui voient l’Occident sortir de la croissance comme
vecteur de progrès social» explique le sociologue-spécialiste de l’écologie politique, Erwann
Lecoeur51
. En cela, l’écologie s’est formée dans le contre-modèle de la social-démocratie. Par
la suite, les idées de la «deuxième gauche» véhiculées par la CFDT et le PSU vont beaucoup
influencer l’écologie, avec l’arrivée de nombreux militants de ces deux organisations
syndicales et politiques. Pour autant, cette riche histoire d’idées fait-elle de l’écologie
politique une idéologie ? Non, à en croire la définition de Guy Rocher qui la détermine
comme «un système d’idées et de jugements, explicite et généralement organisé, qui sert à
décrire, expliquer, interpréter ou justifier la situation d’un groupe ou d’une collectivité et qui,
s’inspirant largement de valeurs, propose une orientation précise à l’action historique de ce
51
Des écologistes en politique, 2011.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
57
groupe ou de cette collectivité.» Or, l’écologie politique n’a pas encore de pensée identifiée,
de programmes à proprement parler qui dépasse quelques propositions à visée électoraliste.
L’écrivain et journaliste Daniel Simonnet va encore plus loin dans une tribune publiée dans
Le Monde52
: «l’alchimie entre ce mélange libéral et libertaire ne s’est pas précipité en une
pensée singulière, cohérente. L'écologie est culturelle, sociale, philosophique peut-être, voire
poétique», mais pas politique.
Ne se laissant pas abattre si facilement, les écologistes développent depuis plusieurs années
leur plateforme idéologique, afin de ne pas s’enfermer dans le seul segment environnemental
pas toujours payant électoralement : entre son discours d’investiture où elle devait rassurer les
militants de son écolo-compatibilité et ses vœux aux Français réalisés le 30 décembre, le
discours d’Eva Joly a pour le moins évolué : la candidate d’EE-LV n’y a pas prononcé une
seule fois les mots «écologie», «environnement» ou «nature» mais a disserté abondamment
sur l’économie ou la justice. Et pour se donner les moyens de dépasser à terme le grand frère
socialiste, ils sont de plus en plus tentés par lier la question sociale dans la question
environnementale : «l’écologie, ce n’est pas de l’idéologie, c’est du simple bon sens. Les
socialistes, s’ils disent combattre les inégalités, ne comprennent pas que la crise écologique
majeure que nous traversons pèsera et pèse d’abord sur les plus pauvres d’entre nous»
expliquait ainsi Nicolas Hulot dans une interview accordée au Monde53
. La question sous-
jacente au dépassement de la social-démocratie par l’écologie politique, et donc de leur
concurrence actuelle et future, est en réalité de savoir si la question sociale (inégalités, travail)
sera un jour remplacée par la question environnementale dans les préoccupations des
électeurs54
. Autre preuve que le «Grand soir Vert» n’est tout de même pas pour si tôt, les
écologistes rivalisent électoralement avec le PS uniquement sur certaines élections locales et
supranationales, mais jamais nationales. Autant dire que la social-démocratie a encore
quelques années devant elle… si elle parvient à dépasser ses propres limites.
Car la dernière crise financière a poussé la social-démocratie dans ses derniers
retranchements, selon Rémi Lefèbvre, professeur en science politique à l’université de Reims
52
Le 2 avril dernier : «L’écologie n’est pas morte, c’est l’écologie politique qui n’existe plus ». 53
8 février 2012, «Hulot : Je n’aurais pas dû me laisser intimider» 54
Dans un baromètre sur la perception des risques en France commandé par l’Institut de Radioprotection et de
Sûreté nucléaire (IRSN), on apprend que la dégradation de l'environnement n'est plus une inquiétude que pour
12% des Français, contre 24% en 2006. La crainte du chômage écrase toutes les autres angoisses. Petit motif de
satisfaction pour les écologistes ? Sous l'effet de la catastrophe de Fukushima, l'appréhension concernant le
risque nucléaire a gagné 10 points depuis le baromètre 2011 et prend la 4ème place (18%) devançant même les
questions de sécurité publique.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
58
et co-fondateur du club Gauche Avenir55
: «la crise a ouvert une fenêtre susceptible de
favoriser l’aggiornamento social-démocrate, elle a fragilisé l’aile droite des partis sociaux-
démocrates, mais la question du rapport au libéralisme n’a pas véritablement été tranchée.»
De fait, l’idéologie social-démocrate ne semble pas s’être adaptée à l’évolution de la société et
de l’économie, l’incitant à mieux prendre en compte certains méfaits de la mondialisation et
certaines dérives néo-libérales. Confrontés à la vision d’un réel indépassable, les partis
sociaux-démocrate – que ce soient le Labour anglais, le SPD allemand ou le PS français -
n’imaginent plus pouvoir construire un nouveau rapport de forces avec le capital.
L’économiste Frédéric Lordon, affilié au club des «Economistes attérés» et soutien Jean-Luc
Mélenchon lors de la dernière campagne, pose une grave question dans une chronique publiée
par Télérama56
: «après deux décennies de conversions à tout va, le PS est-il encore «de
gauche» ? Ils ont fait de la construction européenne de Maastricht-Lisbonne un
inquestionnable du débat politique… Or, qui cherche vraiment le fin mot des inégalités doit
chercher à modifier ce cadre reconnaissant le primat de la finance actionnariale et
l’orthodoxie de politique économique sous surveillance des marchés: si dans le « certain
cadre » il n’y a pas d’autre solution possible, il y a néanmoins toujours la solution de sortir
du cadre. Et de le refaire. Les choses deviennent alors étrangement simples sous cette
perspective : être de gauche, c’est être prêt à attaquer le cadre.» «Le PS peut parfois donner
l’impression d’être fébrile, d’avoir peur car il a des vieilles réponses à des vieilles questions.
Les socialistes craignent les écologistes comme ils peuvent avoir peur du centre-gauche ou du
socialisme historique prôné par Jean-Luc Mélenchon» renchérit le politologue Daniel Boy.
Sa mue serait d’autant plus urgente que le reste de la gauche ne lui fait plus de cadeau :
entonnant le créneau de cadres du Front de Gauche, certains militants écologistes n’hésitent
plus à dénoncer une social-démocratie «pervertie par le néo-libéralisme», avec l’acceptation
de l’ordre établi comme seul ordre possible. Dans son livre paru 201157
, l’Adjoint au Maire de
Paris va même plus loin, en expliquant que les personnalités politiques, libéraux comme
sociaux-démocrates, n’auraient pas suffisamment de vision ni de caractère pour faire face aux
lobbies et renoncer au modèle économique libéral planétaire… Fervent opposant aux «khmers
verts» dans sa ville de Lyon, le Maire PS Gérard Collomb veut croire au renouvellement des
idéologies du PS, qui «ne raisonne plus avec l’idéologie communiste dominante du début du
55
«La ligne social-démocrate ne fonctionne plus» sur la vie en rose, blog du journaliste David Revault
d’Allonnes. 56
«Présidentielle J-51 : la campagne vue par Frédéric Lordon» 57
« La planète brûle, que font les politiques ?»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
59
XXème siècle ou l’idéologie social-démocrate du XXème siècle mais pas non plus avec les
méthodes actuelles des Verts» défend-il sur Public Sénat. Et même si les négociateurs de
François Hollande ont limité les concessions dans le dernier accord programmatique, une
partie des socialistes dont les aubrystes avaient commencé à lâcher du terrain, comme le
rapportent Anne-Sophie Mercier et David Revault d’Allonnes, dans Le Monde58
: «on n’était
plus dans l’hégémonie, dans la domination, mais presque dans un rapport d’égal à égal»
explique le négociateur PS Philippe Martin, tandis que le conseiller de la première secrétaire
Guillaume Bachelay proclamait lui, la «naissance de la social-écologie» à la publication de
l’accord programmatique.
2) Des relations «bipolaires» exacerbées à Paris
aris est aujourd’hui ancrée comme une ville de gauche. Mais durant des dizaines
d’années, il n’en a pas été ainsi. Depuis les débuts de la IIIème
République, la capitale
était acquise à la droite. Et l’élection de son premier Maire en 197759
n’y changea
rien : elle resta sous la domination de Jacques Chirac et du RPR pendant plus de vingt ans
encore. Mieux, le Maire de Paris sortant réalisait le «Grand Chelem»60
en 1983 et 1989. Qui
aurait cru, dans ces années fastes pour la droite, que le basculement à gauche de ce fief
chiraquien était en marche ? Surement pas les socialistes, qui avaient intériorisé que
sociologie électorale oblige, ils ne seraient jamais majoritaires à l’Hôtel de Ville.
En réalité, le processus aurait débuté avec les premières opérations de rénovation urbaine
(revalorisation du parc résidentiel, transformation du tissu industriel et commercial) lancées
par l’Etat, qui ont subtilement amorcé l’embourgeoisement de la capitale. Sans le vouloir –
ces chantiers devaient initialement stopper l’hémorragie démographique frappant le Paris
populaire de l’après-guerre – la revalorisation de l’espace public parisien a progressivement
modifié la population disposée à vivre au cœur de la capitale. Sans conséquence électorale
dans les années 1980, les constructions neuves du 15ème
arrondissement puis les
réhabilitations de l’ensemble de la rive gauche (5ème
, 6ème
, 13ème
et 14ème
arrondissements) ont
été les prémices d’une gentryfication61
, ayant contribué plus tard à l’évolution des attentes
58
« Comment les verts ont détaché le PS du nucléaire », Le Monde, 21 novembre 2011 59
La ville de Paris était jusqu’alors dirigée par un Préfet nommé sur décret de l’Elysée 60
L’expression «Grand Chelem» désigne le fait qu’un parti, ici le RPR, arrive en tête dans tous les
arrondissements de la capitale 61
Anne Clerval, « Les dynamiques spatiales de la gentryfication à Paris », Cybergeo, juillet 2010
P
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
60
politiques et du comportement électoral des Parisiens. Accompagnée d’une vague de
désindustrialisation, la hausse continue des prix de l’immobilier de la capitale ainsi que celle
des loyers imposa en parallèle une logique ségrégative, rejetant les populations modestes du
centre de Paris vers la petite, voire la grande couronne. Parallèlement, le Maire de Paris
entame à la fin des années 1980 la plus importante phase de cette rénovation urbaine, avec la
réhabilitation du Nord et de l’Est de la capitale, majoritairement peuplés de classes populaires
mais à l’époque électoralement acquis à Jacques Chirac. Ces nouveaux chantiers devant
embellir ces quartiers populaires vont provoquer la fuite d’une partie de son électorat, âgé et
traditionnellement de droite. «En chassant cyniquement vers la petite couronne les Parisiens
aux revenus les plus modestes et en construisant massivement des logements intermédiaires
(PLI), la droite s’est prise à son propre piège : elle a fait venir à Paris des classes moyennes
certes plus aisées, mais vivant toutes les réalités du salariat et donc de la précarité croissante
de l’emploi» déroule le Maire PS du 11ème
arrondissement Patrick Bloche, dans le livre
Socialistes à Paris.
Plus aisés mais aussi plus jeunes et confrontés aux effets secondaires de la mondialisation,
cette nouvelle population de cadres moyens et supérieurs qualifiés va accélérer la fuite de la
population ouvrière de la capitale, en s’installant elle-même dans des quartiers de l’Est
parisien, les seuls encore accessibles à la vue de l’évolution exorbitante du prix du mètre carré
ailleurs dans Paris. Ce phénomène n’est pas visible uniquement au sein de la capitale
française, mais se constate dans tous les centres-villes des mégalopoles mondiales, Londres
comme New York. Politiquement, il marque le début de la reconquête de la gauche. Aux
municipales de 1995, la gauche redevient majoritaire dans six mairies d’arrondissements du
nord-est parisien (3ème
, 10ème
, 11ème
, 18ème
, 19ème
, 20ème
). Six ans plus tard, les écologistes
présentent des listes pour la première fois dans l’ensemble des quartiers, réalisent un score à
deux chiffres dans les arrondissements centraux et péricentraux… et deviennent
indispensables au Parti Socialiste. Dans l’espoir de faire passer l’Hôtel de Ville de Paris à
gauche, les socialistes reconnus comme des élus sérieux et crédibles font alors de la place aux
Verts, pourtant considérés jusqu’ici comme novices et utopiques. Cette alliance d’entre-deux
tours permettra au PS de garantir l’unité de la gauche pour l’emporter sur la droite. Au-delà de
cet avantage purement mathématique, elle lui permet également de se repositionner comme
une force de changement, après des années d’échecs électoraux parisiens et alors que la
social-démocratie n’était déjà plus en grande forme sur le plan idéologique. «Les Verts
présentaient le visage d’une gauche moderne, correspondant mieux à la sociologie parisienne
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
61
notamment sur des quartiers aux modes de vies novateurs comme le Sentier, le Marais ou
Pernety» reconnaît Thomas Antoni, un militant socialiste du 14ème
arrondissement. L’alchimie
entre les deux formations fonctionne puisqu’au second tour, l’assise territoriale de la gauche
s’étend de l’Est jusqu’au centre de Paris. Grâce aux électeurs verts, la liste de la «gauche
plurielle» remporte la majorité des postes de Conseillers de Paris dans des arrondissements
qui apparaissent comme des bases fortes de l’écologie politique (2ème
, 4ème
, 9ème
, 14ème
), ainsi
que ceux du 13ème
arrondissement.
Détails des scores de la gauche au premier tour des élections municipales à Paris
Un comble : c’est au moment où Paris dit au revoir à ses classes populaires que la capitale –
longtemps fief de la droite – bascule à gauche en 2001 ! Mais alors que la victoire de la
gauche plurielle et renouvelée semblait également due à la défaite d’une droite divisée, entre
tibéristes et séguinistes, les commentateurs de la vie politique parisienne l’imputent eux
principalement à «la nouvelle sociologie de la capitale». Autrement dit, à ces fameux «bobos»
pour reprendre cette appellation aucunement scientifique désignant les bourgeois-bohèmes.
Ressemblant sociologiquement aux électeurs de droite du fait de leur niveau de vie aisé, cette
population rajeunie et diplômée arrivée en parallèle de l’embourgeoisement de Paris a
majoritairement voté à gauche en 2001. Occupant des positions professionnelles fortement
précarisées depuis les années 90, ces «nouveaux Parisiens» venus de quartiers plus riches de
la capitale, de banlieue ou de province cumulaient bon nombre de caractéristiques favorisant
1995 2001 2008
Suffrages obtenus par
le PS et ses alliés30,20% 31,30% 42,90%
Sièges au Conseil de
Paris58 69 90
Suffrages obtenus par
les écologistes7,10% 13,10% 6,80%
Sièges au Conseil de
Paris5 23 9
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
62
le vote à gauche. Loin d’attendre des propositions sur le logement ou le pouvoir d’achat
formulées par une gauche sociale et populaire, ces «bobos» se reconnaissent dans ce que l’on
pourrait appeler la gauche sociétale, attentive sur les questions touchant aux mœurs, aux droits
de l’homme ou encore au cadre de vie. Thèmes que le candidat socialiste Bertrand Delanoë
avait pour partie repris, développant notamment des propositions en matière d’écologie
urbaine et en s’alliant avec les Verts. «En 2001, nous avons été capables de mettre en face de
cette mutation sociologique une offre politique, conjointement avec les écologistes» se félicite
encore aujourd’hui l’ancien adjoint au Maire, Christophe Caresche.
Parallèlement, le processus de gentryfication continue sa progression dans les arrondissements
de l’Est de la capitale – fortement dotés en conseillers de Paris – et gagne des quartiers
comme la Goutte d’Or (18ème
), les Buttes Chaumont (19ème
), le canal de l’Ourcq (19ème
),
Belleville (20ème
) ou la porte de Bagnolet (20ème
). Selon Matthieu Jeanne, doctorant-chercheur
à l’Institut Français de Géopolitique, «un tiers de la population parisienne change tous les dix
ans : des étudiants en fin de cursus ou des jeunes actifs, âgés de 25 à 39 ans, surdiplômés et
précarisés, s’y installent alors», bien souvent dans ces quartiers, où les prix de l’immobilier
sont moins élevés. Après les «pionniers» arrivés dans les années 90, à la recherche d’une
authenticité populaire ainsi que d’un environnement villageois à proximité d’espaces verts,
qui ont entraîné la mutation politique de certains bastions jusqu’à peu sous domination
chiraquienne ; une seconde catégorie de gentryfieurs investit massivement ces quartiers de
l’Est parisien depuis le début des années 2000. Ce sont ces nouveaux Parisiens, souvent
caricaturés comme des «bobos», qui vont renouveler la population de l’Est de la capitale pour
en faire le terreau électoral de la gauche sociétale. Contrairement à l’idée répandue qui
voudrait que ce terme fourre-tout désigne une nouvelle catégorie sociale homogène,
les «bobos» sont aussi bien des personnes installés en professions libérales que des cadres au
sein d’entreprises de communication, des journalistes, des enseignants de la fonction publique
ou encore des intermittents du spectacle. Certains n’ont plus d’attentes matérielles mais la
majorité sont des «intellos précaires.» Leur seul point commun ? Ils possèdent tous un
important niveau d’éducation, et ont un mode de vie «libertaire» à priori semblable : ils
accordent beaucoup d’importance à l’environnement, sans pour autant voter
systématiquement pour les Verts.
Par la suite, les succès du PS parisien et de ses alliés dans l’ensemble des scrutins
intermédiaires locaux (2004, 2008, 2010) et leur capacité à limiter les succès de la droite lors
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
63
des scrutins nationaux (2002, 2007)62
avant de la battre en 2012 vont peu à peu consacrer la
prééminence de la gauche sur la capitale. Bien que défavorables nationalement à la gauche,
les élections législatives de 2002 et 2007 permettent au PS parisien de gagner respectivement
trois nouvelles circonscriptions puis une, notamment dans le centre parisien et la rive gauche.
Pour la première fois dans l’histoire du premier tour d’une élection présidentielle sous la Vème
République, le candidat de la gauche en 2012 est arrivé en tête dans la capitale. Il amplifie
également son score au second tour, avec un écart de onze points entre lui et son adversaire
Nicolas Sarkozy, quand il n’est que de trois sur le plan national… Avec la prise de la capitale,
il semble aujourd’hui raisonnable d’affirmer que Bertrand Delanoë et le PS parisien ont
depuis su inverser les rapports de force et faire de cet ex-bastion chiraquien un fief de gauche.
L’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand, auteur du documentaire «Stratèges» diffusé
après la présidentielle sur Canal +, est sans appel : les chances de l’UMP de remporter un
scrutin à Paris sont désormais «aussi probables que les chances d’un indépendantiste corse de
se faire élire à Strasbourg.» Plus mesuré, le patron du PS parisien et également Maire du
10ème
arrondissement, archétype des quartiers de centre-ville gentryfié où le départ des classes
populaires a été comblé par l’arrivée massive de classes sociales plus aisées, explique que «ce
n’est pas structurel mais la capitale est devenue un fief de gauche. Lorsque vous regardez la
sociologie parisienne, il ne faut tout simplement pas la caricaturer comme bourgeoise et
conservatrice, il ne faut pas confondre capital immobilier et financier avec le capital culturel,
il ne faut pas faire abstraction de la jeunesse et du niveau de diplômes…»
Aujourd’hui, Paris semble ancré à gauche au point que le jeu politique oppose davantage les
deux partenaires ayant réussi à faire basculer la capitale – socialistes contre écologistes – que
le traditionnel combat bipolaire, gauche contre droite. En effet, l’UMP ne semble pas encore
prête au renouvellement tandis qu’Europe Ecologie-Les Verts a su s’imposer ces dernières
années au-delà d’un simple partenaire, mais comme un rival du Parti Socialiste parisien à part
entière. Leur participation au pouvoir leur a permis de faire évoluer leur image. Le porte-
drapeau des Verts en 2001 Yves Contassot explique que «l’accession au pouvoir municipal
nous a permis de nous crédibiliser. Avant 2001, personne n’imaginait des «babacools» gérer
des budgets en milliards d’euros ! C’est d’ailleurs pour ça que j’ai dû faire la campagne de
2001 en costume-cravate, ce n’était pas un plaisir. Mais au final, je me suis retrouvé avec une
délégation incluant 10% du budget municipal et avec 11.000 personnes sous mes ordres, soit
62
Matthieu Jeanne, IFG, Les échecs de la droite parisienne depuis 2001 font-ils de Paris un fief de gauche ?
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
64
plus important encore que le Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire
que gérait à l’époque Dominique Voynet» analyse-t-il. Depuis 2001, ils en ont nourri des
ambitions… mais des échecs également. Sauf qu’aujourd’hui pour Europe Ecologie-Les
Verts, il est bien loin le temps où Dominique Voynet n’obtenait à Paris qu’1,53% au premier
tour de l’élection présidentielle 2007, soit une baisse – certes symbolique – de 0,04% par
rapport à son score national, puis les municipales 2008 où ils virent leurs positions se rétracter
par rapport à 2001, à la suite d’un score moitié moins important (6,78%). Car depuis, les
Verts, devenu Europe Ecologie, ont obtenu près de 27,5% des suffrages aux européennes de
juin 2009 dans la capitale, avec des performances à plus de 35% dans le centre et l’est
parisien. Une zone qui confirme ses préoccupations écologiques un an plus tard aux
régionales 2010, avec des scores avoisinant les 28% quand Europe Ecologie réalise tout de
même 20,57% dans l’ensemble de la capitale. En 2012, Eva Joly double son triste score
national (2,31%) dans les 2ème
, 3ème
, 10ème
, 11ème
et 18ème
arrondissements, réalisant en
moyenne 4,18% dans la capitale. Les 4ème
et 20ème
arrondissements complètent la géographie
électorale63
du vote écologiste parisien. Europe Ecologie-Les Verts dépasse même les 10% au
premier tour des élections législatives 2012, confirmant dans une séquence électorale
nationale qui ne leur réussit que très rarement, leurs bons scores parisiens enregistrés aux
dernières régionales et leur percée des dernières élections européennes. Le Parti Socialiste de
la capitale pourrait bien avoir du souci à se faire…
«Pour autant, prévient le député de Paris Christophe Caresche, au rythme auquel la capitale
s’embourgeoise, il n’est pas dit que la situation à terme reste favorable à gauche.» Qu’on
l’appelle embourgeoisement, évolution sociologique ou gentryfication, le phénomène qui vise
à faire de Paris une ville uniquement de cadres l’inquiète. Car l’attractivité de l’espace
parisien rend cette hypothèse inéluctable : capitale centralisant l’appareil d’Etat et le pouvoir
économique, au cœur d’une métropole internationale où les cadres supérieurs sont déjà
massivement présents, vivre à Paris sera bientôt réservé aux acquéreurs aisés et aux locataires
les plus solvables. Cet ancien fidèle de Bertrand Delanoë craint que l’univers libéral dans
lequel vivraient les citoyens aisés et instables politiquement de la capitale, ne finisse pas leur
faire adopter des valeurs plus en phase avec leur environnement et ne les guide vers un vote
de droite. Aujourd’hui séduites par l’écologie urbaine de la gauche plurielle, rien
63
A noter que ces zones de forces d’Europe Ecologie-Les Verts sont également le lieu de mutations urbaines
importantes, avec réhabilitation du parc de logement et arrivée d’une nouvelle population, majoritairement des
couches moyennes et supérieures.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
65
n’empêcherait ces classes moyennes et supérieures de voter demain à droite si l’UMP
parvenait à faire son aggiornamento sur les questions sociétales.
Le mécanisme du marché du logement faisant, les électeurs les plus précaires de la gauche
sociétale (et non sociale) devraient être les prochains à être amenés à quitter Paris. Attirés par
un coût du foncier moins élevé et le développement de la petite couronne où s’implante
désormais de grandes entreprises, la fuite des classes moyennes les plus paupérisées pour
rejoindre la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne a même déjà débuté ! Ce qui pose
évidemment problème au Parti Socialiste, dans la mesure où ces professions intermédiaires et
autres salariés du secteur public, bénéficiant d’un niveau de vie confortable et d’un emploi
stable, représentent la colonne vertébrale de leur électorat parisien64
. Ne pouvant pas se
reposer uniquement sur les classes moyennes supérieures - volatiles et par définition
susceptibles de retourner à droite selon l’offre politique - pour inscrire durablement Paris à
gauche, le Parti Socialiste a nécessairement besoin de ces classes moyennes inférieures. Du
moins, c’est l’analyse que tirent certains de la politique menée par la majorité municipale ces
dernières années. «Comme l’UMP en son temps, le PS ne fait rien pour maintenir les classes
populaires dans la capitale. Il table essentiellement sur les classes moyennes : lorsque
l’équipe Delanoë créé des logements sociaux dans le 20ème
arrondissement, c’est du PLI
réservé aux classes moyennes et supérieures afin de les retenir dans la capitale» dénonce
Dominique Foing, journaliste indépendant, spécialiste des Verts et ayant enquêté récemment
sur la gestion du Maire de Paris.
Alors que l’habitat social – doublé sous Delanoë pour parvenir au seuil de 20% fixé par la loi
SRU - apparaît aujourd’hui comme l’outil le plus adapté pour freiner l’embourgeoisement de
la capitale, seuls 10% des logements sociaux parisiens étaient adaptés, en 2007, aux plus
maigres revenus. Selon le journaliste Yvan Stefanovitch, «les familles paupérisées ne peuvent
pas postuler à des logements sociaux de type PLS ou PLI, où ils engloutiraient la moitié si ce
n’est plus de leur salaire65
.» Le développement des espaces verts et d’initiatives
d’appropriation de l’espace urbain66
serait également une autre «preuve» que l’équipe
municipale accompagne les désidératas des gentryfieurs, dans l’espoir de les fixer à gauche.
Ceux-ci seraient en effet attentifs aux environnements (Canal de l’Ourcq, Canal Saint-Martin,
64
Avec le faible électorat populaire résidant dans les logements sociaux de la capitale. 65
Yvan Stefanovitch, Bertrand le magnifique, 2007. 66
La gestion de jardins partagés ou l’organisation de repas de quartiers en pleine rue sont des appropriations de
l’espace urbain,
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
66
Parc de la Villette, des Buttes Chaumont ou de Belleville, etc…) tranchant avec la densité
urbaine caractérisant habituellement Paris, ainsi qu’aux réseaux de proximité et à la vie de
quartier.
Cette prééminence de ces «nouveaux parisiens» inscrits aujourd’hui dans la gauche sociétale,
alors qu’en parallèle l’électorat populaire de la capitale ne cesse de diminuer, exacerbe les
divisions entre formations de gauche. Il faut reconnaître que le socialisme, qui n’a jamais
vraiment été «populaire» à Paris67
, ne dominerait pas l’Hôtel de Ville s’il ne partageait pas
avec les Verts cet électorat cultivé et diplômé, désireux de ne pas se laisser enfermer dans un
seul parti politique. «L’effondrement du Parti Communiste nous a posé une difficulté dans les
années 80 : alors que nous n’avons jamais eu la prétention de nous adresser aux mêmes
électeurs, il nous fallait nécessairement reconquérir son électorat ouvrier, afin de le
conserver à tout prix à gauche» explique Christophe Caresche, député de Paris et ancien
adjoint de Bertrand Delanoë. En vain. La succession de gouvernements de gauche à la fin des
années 80 et au début des années 90, trop occupés à prendre le virage libéral, éloignèrent
encore un peu plus le PS des ouvriers et des classes populaires.
Déjà en 1995, le futur Premier ministre Lionel Jospin recueillait davantage de voix chez les
cadres et professions intellectuelles supérieures (31%) que chez les ouvriers (24%).
Parallèlement, le Parti Socialiste se découvrait des accointances de plus en plus importantes
avec les classes moyennes salariées, attachées aux valeurs individualistes du libéralisme
culturel. «La géographie électorale nous a rapidement poussé vers les grands centres villes:
la précarisation de beaucoup de professions intellectuelles, les modifications de leurs
conditions de travail les a peu à peu amenés à se retrouver dans la gauche, réduisant ainsi la
nécessité pour nous d’aller séduire les classes populaires» argumente l’élu socialiste. Le PS
parisien a d’autant plus intérêt à prendre en compte cette évolution de sa sociologie électorale
que le vote ouvrier, assez faible en nombre, n’est plus du tout conséquent ni stratégique dans
les grands centres-villes. Aux élections municipales de 2001, le Parti Socialiste est sanctionné
nationalement mais remporte les deux villes les plus riches de France, Paris et Lyon, grâce
aux quelques voix des classes populaires mais surtout aux votes des classes moyennes
supérieures. «L’évolution sociologique de notre électorat est symptomatique dans la capitale,
67
La géographie électorale des zones de forces du PS sur le territoire national est en ce sens éloquente : la
sociologie électorale du PS n’est pas la même dans la capitale française que dans le bassin minier du Nord-Pas-
de-Calais.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
67
où le tissu urbain a profondément muté depuis la fin des années 1980 : la gentryfication à
l’œuvre, les traditions libertaires d’un électorat de moins en moins populaire nous a guidés
vers le pouvoir» résume Christophe Caresche.
Une sociologie électorale finalement assez proche des Verts : le parti écologiste séduit lui
aussi les classes moyennes, qu’ils soient cadres trentenaires urbains ou retraités fervents
défenseurs de la cause environnementaliste. Les dernières études sur leur électorat remontent
aux élections européennes de 2009, où Europe Ecologie-Les Verts arriva devant le PS dans 15
des 20 plus grandes villes françaises : Pascal Perrineau du Cevipof parlait alors d’une
«modernité sociologique», dans la mesure où ils ont séduit 32% des cadres et professions
intellectuelles, 24% des professions intermédiaires et 23% de ceux qui ont un diplôme de
l’enseignement supérieur. Pour le sociologue Erwann Lecoeur, «s’il fallait proposer un
portrait-type de l’électeur potentiel d’EE-LV, ce serait par exemple : une diplômée Bac+5 de
35 ans, vivant en centre-ville, consommant fréquemment bio, sans voiture, pacsée et mère de
deux enfants, qui aime bien les écologistes mais ne vote pas à chaque élection !68
»
Ils sont régulièrement décrits comme héritiers de Mai 68, de la deuxième gauche (PSU,
CFDT) ou encore du libéralisme culturel, avec des revenus suffisamment supérieurs à la
moyenne pour nourrir essentiellement des préoccupations «post-matérialistes». Contrairement
à la majorité des électeurs désireux en premier lieu d’augmenter leur pouvoir d’achat ou
d’améliorer les conditions de travail, l’électeur écologiste issu de classe moyenne supérieure
débarrassée des contingences sociales, se préoccupe essentiellement de son «cadre de vie».
Passé cette généralité, le spécialiste des Verts Erwann Lecoeur fait remarquer que «c’est
moins par leur niveau de revenus, de patrimoine, leur CSP ou leur provenance sociologique
que cet électorat se détermine, que par leurs caractéristiques sociales et culturelles, leur
niveau d’instruction, leur parcours de vie et leur attitude à l’égard du champ politique et de
la société en général. A la fois écologistes patentés, déçus du socialisme, du centre et de la
gauche radicale voire abstentionnistes déclarés, on peut parfaitement leur ajouter les
multiples étiquettes à la mode : «bobos», «génération Y», «post-urbains», etc… En réalité, ce
sont autant des artistes que des faucheurs d’OGM, des membres d’une Association pour le
Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) que des ingénieurs s’intéressant au
renouvelable, des professeurs en pré-retraite créant leur potager, des victimes de Sicav
68
Des écologistes en politique, 2011.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
68
cherchant à donner un sens à leurs investissements, etc… Leur point commun ? Ils agissent
en local, dans leurs quartiers (cours de portage d’enfants, conférences anti-corruption,
alphabétisation, défense des sans-papiers).» Des profils parfois assez proches des «nouveaux
Parisiens», ces classes moyennes urbaines et diplômées, arrivés par milliers ces dernières
décennies. Selon Jean-René Bourge, chercheur en sciences politique à l’université Paris VIII:
«le vote écologiste à Paris est très citadin, assez loin des préoccupations décroissantes qui
ont un temps eu trait à l’écologie politique. Dans certains cas, c’est un vote, qui revête même
un caractère de «green-washing»69
éclaire-t-il. Pour lui, les couches supérieures votant EE-
LV –et particulièrement à Paris– ne sont pas aussi radicales que pouvaient l’être certains
militants écologistes : elles seraient désireuses de briser leurs chaînes sans ébranler pour
autant l’ordre social établi, elles cultiveraient la contradiction des gentryfieurs investissant des
quartiers populaires mais développant en parallèle l’évitement scolaire70
… L’analyse du
«potentiel électoral» du Parti Socialiste et d’Europe Ecologie-Les Verts montre qu’à Paris, ces
deux formations chassent de plus en plus sur les mêmes terres, à savoir celles attirant un
électorat jeune, urbain, diplômé et issus des classes moyennes voire supérieures.
69
Définition : Procédé marketing visant à donner une image écologique sans réelle action en faveur de
l’environnement 70
A Belleville, au collège Colette-Besson, moins de 15 % des élèves sont issus des classes moyennes, la
majorité est d'origine très modeste et de parents immigrés
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«L’évolution sociologique à Paris a contribué à faire émerger les écologistes mais ils doivent
veiller à ne pas se reposer uniquement sur cet électorat instable. Si le public réceptif à
l’écologie politique se limitait à ceux qui mangent bio et achètent équitable, si les écologistes
se contentent de séduire cet électorat adepte du green-washing, sans les convaincre de la
nécessité de changer les choses, ce mouvement n’a plus d’avenir politique» explique Anne Le
Strat, Conseillère de Paris ex-Verte aujourd’hui affiliée au groupe socialiste. Pourquoi ? Les
écologistes parisiens, comme au niveau national d’ailleurs, ne rencontrent le succès électoral
que par vagues : toutes les personnes «ayant le profil» apparent pour voter écologistes ne sont
pas électeurs d’EE-LV pour autant. Si leur «socle bohème» apparaît suffisamment important à
Paris pour renverser le cours d’un scrutin, ces électeurs ne font leurs choix qu’au dernier
moment, oubliant les écologistes en fonction des enjeux : autant il leur apparaît intéressant de
voter pour EE-LV lors des élections européennes ou régionales, autant ils voteront «utile» si
l’élection a un fort enjeu national entre gauche et droite. Dans une note à la fondation Jean
Jaurès, le sondeur Denis Pingaud71
qui démontre une corrélation entre le niveau de diplômes
et la tentation du vote utile, explique par ailleurs que «cet électorat nouveau, à la fois volage
et stratège, se détermine en fonction de critères qui combinent l’originalité de l’offre et son
attractivité concurrentielle dans le champ politique.» C’est ainsi que l’électorat écologiste à
Paris peut varier d’un peu plus de 16.200 personnes (Dominique Voynet en 2007 : 1,53%) à
163.000 personnes (Daniel Cohn-Bendit en 2009 : 27,46%).
Cette volatilité électorale – le fait que certains électeurs aient tendance à modifier leurs votes
entre deux scrutins – est un facteur de plus de concurrence entre le Parti Socialiste et Europe
Ecologie-Les Verts. En temps normal, il avantage majoritairement le premier : les transferts
de voix et notamment celles des écologistes – qui se positionnent à 70% à gauche de
l’échiquier politique – jouent un rôle secondaire et impacte peu le Parti Socialiste, qui doit
d’abord veiller à la fidélité de son propre électorat pour remporter les élections ; alors que
selon une étude de l’agence «Somme toute»72
les transfuges du Parti Socialiste représentent
près du tiers de l’électorat d’Europe Ecologie-Les Verts, de facto beaucoup plus dépendants
de cette imprévisibilité. «A Paris lors des européennes 2009, il y a eu une captation de notre
71
Électorat volage ou électorat stratège ? 72
L’agence «Somme toute» a réalisé une étude sociologique, sur la base d’un questionnaire auquel ont répondu
3923 (15%) des 25411 électeurs ayant signé l’un des appels de soutien à Europe Ecologie. On y apprend qu’aux
européennes de 2009, EELV a rassemblé majoritairement des électeurs de Dominique Voynet (Verts) ou de
Ségolène Royal (PS), deux cinquièmes des électeurs d’Europe Ecologie lors des européennes 2009 auraient tout
de même voté pour François Bayrou (MoDem) et Olivier Besancenot (LCR) au premier tour de l’élection
présidentielle 2007, et 10% pour Nicolas Sarkozy (UMP).
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72
électorat commun par l’autorité morale de Daniel Cohn-Bendit. Mais neuf mois plus tard, ils
descendaient de 28 à 20%...» explique avec intérêt Hervé Marro, conseiller d’Anne Hidalgo.
Surreprésentés au sein de l’électorat potentiel des écologistes, les jeunes votent moins que les
personnes âgées, qui s’abstiennent plus rarement et ont majoritairement tendance à privilégier
le Parti Socialiste en cas de vote à gauche. Le renforcement du poids électoral des écologistes
parisiens passe donc par une meilleure capacité à exploiter leur potentiel au niveau de ces
«nouveaux Parisiens» désireux de retrouver la nature en ville, de parvenir à les mobiliser de
façon plus systématique… et pas seulement quand le Parti Socialiste est en crise. Ce système
de vase communicant entre l’électorat de ces deux formations est en effet apparu au grand
jour lors des élections régionales de 1992, alors que le PS subissait la révélation d’affaires
politiques et l’usure du pouvoir au niveau national : une partie de l’électorat socialiste – les
classes moyennes urbaines et diplômées et non les couches populaires – s’était alors tourné,
avec des électeurs de la gauche alternative, centristes ou abstentionnistes vers le parti
écologiste. «Aux européennes de 2009, nous avons de nouveau payé cash notre détestable
Congrès de Reims, avec l’élection d’Aubry à 52 voix près, les insultes et menaces de plainte
entre socialistes, etc… L’effet de vase communicant entre notre électorat est encore plus clair
à Paris qu’au national. Etant donné l’hémorragie des classes populaires, c’est la compétition
permanente pour séduire les classes moyennes supérieures, la sociologie électorale des
grands centres urbains nous rassemble» développe Jean-Pierre Caffet, président du groupe
PS au Conseil de Paris. Ce que les écologistes gagnent, les socialistes semblent le perdre :
plus qu’un électorat volatile qu’ils devraient fidéliser chacun de leur côté, les deux formations
alliées de la gauche plurielle parisienne se partagent surtout un électorat commun, dont la
convoitise provoque régulièrement des disputes entre les deux partis. Le PS et EE-LV
cherchent par tous les moyens à attirer à eux ces électeurs désireux de ne pas se laisser
enfermer politiquement.
Si le combat politique entre ces deux formations est aussi intense dans la capitale, ce n’est pas
seulement du fait de cet électorat qu’ils ont en commun mais aussi à cause de profonds
clivages idéologiques. Preuve en est dans les arrondissements de gauche de l’Est parisien,
«notamment sur le dossier des biffins et des marchés sauvages. Ils ne comprennent pas que le
mal-être des habitants est avant tout un mal-être des plus modestes d’entre eux… » tente
Rémi Féraud, président de la fédération PS de Paris, avant d’énumérer : «nous sommes
favorables à la vidéosurveillance, ils sont contre le projet des Halles, etc….»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
73
«Les différences sont encore plus importantes sur le plan local : les politiques municipales
sont la traduction concrète d’une vision du monde» théorise Alice Le Roy, une militante
écologiste du 11ème
arrondissement et chargée de mission pour Yves Contassot, de 2001 à
2010. Lui ne dit pas autre chose : «le clivage se voit évidemment plus sur le local qu’au
niveau national, c’est l’application concrète d’une intention générale.» Comme expliqué
précédemment, l’écologie est pour le moins opposée à une social-démocratie qu’elle taxe de
«productiviste.» «Le scientiste Delanoë est un homme formaté Jospin, très traditionnaliste
voire archaïque : il considère que la science est source d’évolution positive de la condition
humaine, que le progrès humain passe par le progrès technique, et que le progrès en général
va tout régler. Nos différences ont des répercussions fortes, ça nous est arrivés de nous
disputer fortement» reprend son Adjoint, Yves Contassot, sans donner d’exemples précis.
«Au-delà d’être des inconditionnels du bétonnage, le Parti Socialiste et le Parti Communiste
ont peur de leurs administrés et ne veulent pas leur laisser trop d’autonomie !» fait valoir
Alice Le Roy, qui a développé le principe des jardins partagés sous la délégation des Espaces
verts. Les représentations des deux partis sur le concept de la mondialisation des territoires est
également sujet à conflit à l’échelle parisienne. Le seul maire d’arrondissement écologiste de
la capitale, Jacques Boutault, assure que «les socialistes se battent pour gagner une place
dans le classement des mégalopoles mondiales, quand nous, nous allons plutôt chercher à
rénover le schéma directeur de la région Ile-de-France pour réorganiser l’espace urbain de
la capitale et travailler sur la vie des gens, pour leur bien-être.» A l’écouter, la priorité des
écologistes serait d’améliorer le cadre de vie des Parisiens et les conditions de vies des
Franciliens, tandis que le PS serait obsédé par le rayonnement de Paris en tant que ville-
monde et la sauvegarde de la place de la capitale face à la Big Apple de New York, la City de
Londres ou Bruxelles l’européenne… Une description que les socialistes, à quelques nuances
près, assument: l’ex-Vert et désormais Adjoint à la Culture (PS) Christophe Girard explique
«qu’au PS, nous sommes attachés à la vitalité économique de la ville : nous ne voulons pas
que Paris devienne une ville-musée, une ville-promenade contrairement à ce que prônent les
écologistes.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
74
B) Les relations PS / EE-LV à l’épreuve du pouvoir
1) 2001-2008, la douloureuse construction d’un rapport de forces
onforté par la conquête des six arrondissements de l’est parisien en 1995 et les sept
circonscriptions parisiennes tombées dans l’escarcelle de la gauche aux législatives
de 199773
, le chef de l’opposition au Conseil de Paris, Bertrand Delanoë, se prépare
à être candidat en 2001, dans le but d’être Maire de Paris. A gauche, peu osent croire en son
rêve : jamais la gauche n’a été majoritaire à Paris depuis la Commune… Lui, le néo-sénateur
de Paris, voit dans cet objectif un défi à la hauteur de son ambition politique. La conjoncture
lui est favorable : le RPR vient d’enregistrer un cuisant échec aux européennes (1999) à moins
de deux ans des municipales, et doit gérer en parallèle une tentative de putsch sur Jean Tibéri
lors du vote du budget en 2000 ainsi que des luttes de clans sur fond d’affaires et de mises en
examen. «Pendant que la droite chiraquienne se délite, Delanoë ne s’en occupe pas et
amorce discrètement sa progression. Quasi-inconnu du grand public, il mène campagne sur
l’écologie, contre la pollution, pour plus de démocratie…» se souvient Bertrand Gréco,
journaliste politique au cahier Paris du Journal du Dimanche.
Pourtant, les divisions dans les rangs du PS parisien n’ont pas grand-chose à envier aux
rivalités déchirant le RPR. Entre les militants réclamant une candidature emblématique pour
une élection historique, et les autres désireux d’une campagne de terrain axée sur les enjeux
locaux, la bataille fait rage. L’affaire de la MNEF ayant neutralisé l’ancien Ministre de
l’économie Dominique Strauss-Kahn qui ne cachait plus ses vues sur l’Hôtel de Ville, une
partie des militants se reportèrent sur l’ancien Ministre de la Culture de François Mitterrand,
Jack Lang, alors Maire de Blois : ils fustigeaient le chef de l’opposition, «bon connaisseur des
dossiers, un bon Maire adjoint74
» mais n’ayant rien d’un bon Maire de Paris. Face à ces
critiques, Bertrand Delanoë s’appliquait à ramener l’élection à un scrutin municipal d’une
collectivité lambda, allant à la rencontre des militants, section par section, quartiers par
quartiers… Jusqu’au 27 mars 2000, trois jours avant l’investiture finale, où son ami le
Premier ministre Lionel Jospin décida de nommer Jack Lang, Ministre de l’Education. Favori
des primaires mais incertain de sa victoire finale aux municipales, ce dernier abandonna
immédiatement son périple parisien. Dans la foulée, Bertrand Delanoë s’attela à nouer des
73
Cela porta à 9 (sur 21) le nombre de circonscriptions parisiennes contrôlées par la gauche. 74
Lyne Cohen-Solal, dans le documentaire «Paris à tout prix» d’Yves Jeuland.
C
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
75
accords avec les différents partis de gauche (PCF, PRG, MDC) en vue de listes communes…
exemptés les Verts, qui ont cette fois-ci préféré l’autonomie. Après une lutte acharnée entre
«courants, sous-courants, tendances et sous-tendances»75
, le parti écologiste choisit le Maire-
adjoint du 3ème
arrondissement Yves Contassot et non le porte-parole national Denis Baupin
ou l’outsider Jean-François Blet, pour mener la liste des Verts dans la capitale. Avec un mot
d’ordre : ne pas faire de cadeau au candidat socialiste, notamment sur le dossier de la
circulation automobile. Au point que Bertrand Delanoë se plaigne du fait que les écologistes
parisiens fassent campagne contre lui, plutôt que contre la droite, pour «grappiller le plus de
voix à gauche».
Au premier tour, le score global de la gauche est en progression… mais cette hausse n’est pas
due au Parti Socialiste, qui n’améliore que d’un point sa performance de 1995, mais aux Verts
qui doublent leur précédent score. Face à la caméra, Yves Contassot annonce vouloir repartir
en campagne dès le lendemain matin. «L’énorme surprise du 1er
tour, ce n’est pas le score du
PS : ils ne font qu’une faible poussée alors que nous, nous explosons notre score» décrypte-t-
il aujourd’hui. En situation de relative faiblesse alors que les écologistes sont en capacité de
se maintenir dans six arrondissements, Bertrand Delanoë se résoud à négocier un accord
d’entre-deux tours avec les Verts, quel qu’en soit le prix à payer. «Après avoir fait nos
différents calculs, nous nous sommes retrouvés aux alentours de 23h. Au-delà de la
composition de la liste commune, seule la désignation des postes d’adjoints – à l’Hôtel de
Ville et dans les mairies d’arrondissements - est véritablement abordée et l’accord est
finalement trouvé vers 1h30 dans la première nuit suivant le premier tour. S’en suit la bataille
pour la Mairie du 2ème
arrondissement, une de nos revendications malgré que nous soyons
minoritaires, et que le PS acceptera finalement à l’aube» raconte Yves Contassot. «Quand à
5 heures du matin, Caresche et Bloche m’appellent pour me prévenir qu’il faut lâcher la
Mairie pour garantir la négociation, je n’ai pas vraiment le choix…Je n’allais pas faire
capoter la prise de Paris pour mon intérêt personnel» me confie, encore amer, Pierre
Schapira. Tandis que la droite de Séguin et Tibéri s’embourbait dans ses divisions, la liste
«Changeons d’ère» de Delanoë s’alliait avec celle des écologistes : la dynamique est alors à
gauche. Minoritaire d’environ 4.000 voix sur la capitale au second tour, la gauche unie n’en
contrôle pas moins la majeure partie des électeurs du Maire, grâce à l’obtention de six
nouveaux arrondissements76
fortement dotés en conseillers de Paris: au terme d’une première
75
Libération «Chef de file surprise pour les Verts de Paris» le27 mars 2000 76
Ce qui porte le total du PS à douze arrondissements contrôlés sur vingt.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
76
négociation avec ses partenaires qui se révèleront plus tard être ses ennemis intimes, Bertrand
Delanoë prend donc les clés de la Mairie de Paris !
Considérés comme quasi-illégitimes77
dans l’exercice du pouvoir jusqu’à leur récente
participation au gouvernement Jospin, les Verts – obtenant 23 conseillers de Paris et disposant
de fait d’une minorité de blocage sur les 69 élus socialistes – deviennent désormais
indispensables à Bertrand Delanoë pour appliquer sa politique. «La classe politique dans son
ensemble a longtemps été dubitative sur l’écologie politique. A Paris comme ailleurs, ils
étaient perçus comme des rigolos et des doux rêveurs» en convient le chercheur Daniel Boy.
«Dès le début de notre cohabitation en 2001, il y a eu un terrible choc des cultures entre nos
deux formations» explique Anne Le Strat, élue Verte lors de la première mandature et
aujourd’hui affiliée au groupe socialiste : «nous les écologistes, qui débarquions au Conseil
de Paris, regardions le Parti Socialiste comme un parti de gestion composé d’une pléthore de
notables, sans projet politique. De leur côté, certains ont fait l’effort de chercher à nous
comprendre tandis que d’autres nous ont directement rangés parmi les huberlulus !»
Pour autant, la dynamique de l’alliance des socialistes et des écologistes est en marche et se
fait sentir concrètement dès les premiers mois de la mandature : Bertrand Delanoë et son
adjoint à l’environnement Yves Contassot autorisent les Parisiens à s’allonger sur les pelouses
publiques. Une pratique interdite sous les mandatures de Jacques Chirac et Jean Tibéri…
Surtout, le nouvel exécutif s’appuie sur les rapports de l’Inspection générale de la Ville et de
la chambre régionale des comptes pour jouer les cost-killers démocratiques et «mettre fin aux
excès du système Chirac.» Fini le temps où la Mairie de Paris mettait une voiture et un
chauffeur à disposition du sénateur RPR de Nouvelle-Calédonie Dick Ukeiwé lors de ses
séjours parisiens : le parc automobile fut diminué, passant de 200 à une centaine de véhicules,
non pas attribués automatiquement mais accessibles en fonction du besoin invoqué. Fini
également les agapes fastueuses dont la célèbre réception offerte en 1999 à 400 habitants de
Corte, ville corse dont l’épouse du Maire Xavière Tibéri était originaire, qui coûta la bagatelle
de 78.157 euros aux contribuables parisiens : le budget de réception alloué au nouveau Maire
n’excéda pas 17.950 euros en 2001 ; le coût global des réceptions de la Mairie passant lui de 3
millions d’euros en 2000 à 2 millions en 2002. Tout au long de ses premiers mois, Bertrand
77
Bien que leur ayant concédé 7 postes d’adjoints sur 19 pour les rallier, Bertrand Delanoë ne cachait pas que
les Verts étaient la principale «inconnue de la mandature.» (source : « Comment Delanoë change Paris », janvier
2002, L’Express)
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
77
Delanoë fit sienne la formule de Jack Lang qui avait comparé l’élection de François
Mitterrand en 1981 à «un passage des ténèbres à la lumière» pour la France. En opposition au
gaspillage tant dénoncé au cours de la dernière mandature, la nouvelle équipe municipale
décida également de revaloriser le prix de location des permanences des partis, propriétés de
la ville : le loyer réglé par le Parti Socialiste pour son local du 5ème
arrondissement passa de 7
à 4.610 euros par mois, celui du Parti Communiste (19ème
) de 16 à 2.440 euros tandis que la
permanence de l’UMP (17ème
) vit elle son loyer augmenter de 15 à 9.600 euros mensuels.
Terminé également l’opacité dans la distribution des primes, l’absence de justificatifs dans les
frais professionnels, l’attribution de logements à des loyers défiant toute concurrence, le non-
respect du code des marchés publics, etc… La questure, une enveloppe de 20 millions d’euros
annuels échappant à tout contrôle et permettant de distribuer une dizaine de millions de
surplus d’indemnités aux 163 élus, fût supprimée, tout comme la cellule de distribution
d’environ 5.000 logements sociaux relevant du bon-vouloir du Maire fût remplacée par une
commission d’attribution collégiale78
. Un «new deal» qui permit au Maire de prolonger l’état
de grâce et de recevoir le prix de l’élu local de l’année 2002.
«Les élus de l’époque, sous Chirac puis Tibéri, étaient des seigneurs qui jouissaient de tous
les plaisirs, sans contraintes : corruption, clientélisme et abus, naviguant entre privilèges
d’élus et intérêts personnels. En arrivant au pouvoir, nous avons révolutionné la vie politique
parisienne. Ces avancées ont été permises par un groupe Vert volontariste… mais déjà perçu,
à l’époque, comme belliqueux et peu coopératif» observe Jacques Boutault, seul Maire
d’arrondissement (2ème
) à avoir renoncé à sa voiture et son chauffeur alloués d’office. La
rénovation de la vie démocratique s’accompagna d’annonces relatives à la construction d’un
tramway ou la création de voies réservées aux bus, des mesures – poussées par les Verts –
emblématiques d’une politique de gauche, et qui jouent au plan local celui des
nationalisations en 1981. Mais les tensions firent rapidement leurs apparitions. La promesse
de remettre en question «l’hégémonie automobile pour vaincre la pollution» se matérialisa du
15 juillet au 15 août 2001 avec la fermeture de la voie Georges-Pompidou, une opération qui
occasionnera de nombreux bouchons et le tollé de l’opposition alors qu’une partie des
Parisiens n’étaient même pas encore en vacances : Bertrand Delanoë reconnaîtra «des erreurs,
dont celle d’avoir écouté l’écologiste Denis Baupin au lieu de son intuition personnelle d’une
fermeture plus tardive.» Le 26 juin 2002, le Maire de Paris décida de retirer à Jean-François
Blet la présidence de la Société immobilière d’économie mixte de la ville de Paris (Siemp) en
78
Le même système fût mis en place la même année pour l’attribution des places en crèche
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
78
charge de la lutte contre l’insalubrité : l’élu écologiste du 19ème
arrondissement avait eu la
mauvaise idée de recruter une directrice générale à 6.850 euros nets par mois. Les
protestations du groupe Vert n’empêchèrent pas Bertrand Delanoë de démontrer toute sa
«rectitude morale» par la médiatisation de son cas. Dès lors, une partie des Verts décidèrent
de prendre le Maire à son propre jeu en matière d’intégrité et de transparence. A l’été 2002, ils
sont les seuls à protester contre l’augmentation de revenus que s’était octroyée Bertrand
Delanoë79
. «Avant les élections de 2001, le PS nourrissait une certaine forme de
condescendance vis-à-vis des écologistes, et ils ont parfois donné raison à nos préjugés»
expliquait Christophe Caresche, fidèle adjoint au Maire de Bertrand Delanoë, pour qui les
Verts «ont une pratique politique déconcertante, ils ne connaissent guère la discipline de
groupe. Mais, bon, pour l’instant cela marche.»80
Les écologistes font également connaître
leur colère… par l’humour et la provocation : après l’inauguration du quai François
Mitterrand à l’été 2003, ils déposèrent un vœu en Conseil de Paris pour rebaptiser celui d’en
face au nom de Fernando Pereira81
.
Quelque mois plus tard, les Verts décidèrent de ne pas voter un vœu de Bertrand Delanoë
relatif aux marchés publics. Alors qu’il avait lui-même engagé un recours devant le tribunal
administratif en mars 1997 pour dénoncer un avenant à la convention qui liait la ville aux
distributeurs d’eau, Suez (ex-Lyonnaise des Eaux) et Véolia (ex-Compagnie générale des
Eaux et ex-Vivendi), l’ancien chef de l’opposition l’abandonna une fois devenu Maire de
Paris82
. Le 15 décembre 2003, Bertrand Delanoë décida de mettre en vote la révision de cet
avenant, sans demander aux groupes privés le remboursement des sommes indûment perçues.
Les conditions de vote, en séance de nuit à 22 heures alors que la moitié de l’hémicycle était
vide, ont été pointées du doigt : sous l’œil de quatre cadres supérieurs de ces deux groupes se
partageant le duopole parisien, la première adjointe Anne Hidalgo présida la séance malgré un
mélange des genres qui fit polémique83
. Au bout d’une heure de débat, les élus socialistes et
79
Le Conseil de Paris vota une augmentation de l’indemnité de 12% du Maire de Paris, passant de 7.200 à 8.100
euros avec l'ajout d'une indemnité annuelle de frais de représentation de 29.000 euros 80
« Comment Delanoë change Paris », janvier 2002 81
Du nom du photographe mort dans l’attentat contre le navire de Greenpeace coulé par les services secrets
français en 1985. 82
Ajouté par Jacques Chirac en 1987, cet avenant installait une sorte de garantie de revenus aux groupes privés
même en cas de baisse de consommation d’eau et structurellement, baisse de chiffre d’affaires : les distributeurs
auraient ainsi engrangés plus de 10 millions d’euros 83
Ancienne chargée de mission auprès de la direction de la Compagnie générale des Eaux de 1995 à 1997, la
dauphine de Bertrand Delanoë estime que ces anciennes fonctions relèvent de sa vie privée et que présider une
séance sur la politique municipale de l’eau, sous-traitée à son ancien employeur, ne constitue pas un conflit
d’intérêt
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
79
chevènementistes votèrent la modification du contrat tandis que le PCF, les Verts, l’UDF et
l’UMP s’abstenaient. La Mairie communiquera sur le fait que Suez et Véolia aient été
contraints à réduire leur marge de rentabilité de 6 à 4% à Paris84
mais pas sur les 10 millions
de trop-perçu que conservent les deux géants. La présidente de la Sagep –rebaptisée Eau de
Paris depuis – Anne Le Strat et conseillère (Verte) de Paris explique leur choix : «nous ne
pouvions pas voter contre, ça restait très positif par rapport à la situation passée. Mais nous
souhaitions signifier que la Mairie aurait pu récupérer beaucoup plus d’argent…» A cette
époque, les Verts n’osaient pas encore défier publiquement le Maire de Paris et remettre en
question leur appartenance à son exécutif, même sur un dossier leur tenant particulièrement à
cœur.
Le 15 novembre 2004, le patron du groupe écologiste Alain Riou profita du médiatisé Conseil
de Paris pour se lancer dans un réquisitoire contre la conception de la transparence telle que
défendue par Bertrand Delanoë : «il serait intéressant qu’il y ait dans cette ville une meilleure
communication des rapports, et pas uniquement une meilleure communication des rapports
qui ne donnent que des conseils et ne révèlent pas des dysfonctionnements préoccupants
graves. Dès lors qu’il y en a, le rapport ou la partie du rapport n’est pas publié. Je me
souviens très bien d’un débat dans la précédente mandature où le Maire actuel de Paris, qui
était président du groupe socialiste à l’époque, avait demandé la publication du rapport
Casal, qui était un centre de jeunesse du 19ème
arrondissement : Jean Tibéri avait alors
expliqué que ce n’était pas possible «parce que l’on met en cause des personnes.»
Aujourd’hui, quand ce problème est posé, ou bien la ville caviarde des pages entières rendant
incompréhensible ce rapport, ou bien elle ne publie rien.» L’ancien rocardien obtint en guise
de réponse que les rapports de l’inspection générale n’étaient pas là pour alimenter les pages
«faits divers» des médias…
Mis à part quelques coups d’éclats, les néophytes Verts n’ont en réalité pas fait beaucoup de
vagues en ce début de première mandature et n’ont que très rarement brandi la menace de
leurs non-participations aux votes. Conscients de l’importance du vote du groupe Vert, des
réunions internes à la majorité plurielle étaient organisées mensuellement avec les adjoints et
les présidents de groupes. «Mis à part 20% des dossiers où nous étions totalement opposés, il
84
Lorsque le bénéfice officiel brut dépasse rarement la barre des 3% dans les autres municipalités…
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
80
y avait au cours du premier mandat d’âpres négociations avant chaque Conseil de Paris, ce
qui permettait de parvenir à des compromis» confirme Hervé Morel, patron d’EE-LV Paris.
Jean-Pierre Caffet, président du groupe socialiste au Conseil de Paris et à l’époque Adjoint de
Bertrand Delanoë en charge de l’Urbanisme explique que la première mandature a été une
période de «construction de rapports de forces avec le Maire, de tensions, de longues
négociations où ces réunions étaient nécessaires. Car à chaque fois ou presque, les
écologistes essayaient de le mettre en difficulté sur des sujets où ils pensaient que ce serait
payant électoralement pour eux.» Contrairement à la culture de la synthèse et du consensus
qu’on prête parfois aux socialistes, Bertrand Delanoë serait «resté sur la logique d’hégémonie
qu’entretenait le PS sur son allié communiste pendant les années 70, ils ont la culture de
l’ordre et de la hiérarchie quand nous sommes plutôt libertaires. Selon lui, le pouvoir ne se
partage pas» dénonce pour sa part Yves Contassot.
6 juillet 2005, le verdict tombe : 54 voix contre 50, la ville de Paris n’organisera pas les Jeux
Olympiques 2012. Les témoins de la scène, à Singapour, décrivent dans Le Parisien du
lendemain un Bertrand Delanoë K.O. «comme s’il venait de croiser Mike Tyson sur un ring.»
Le patron du comité Paris 2012 mettra une heure avant de trouver la force de faire face à la
horde de journalistes l’attendant à la sortie du Comité olympique international, pour
finalement lâcher devant les caméras, «je suis politiquement mort»… Le Maire de Paris
portait ce projet depuis 2003, faisant de «Paris 2012» une candidature très politique quand son
concurrent londonien choisissait comme porte-étendard un ancien médaillé olympique. «La
déception est à la hauteur de son appétit politique» écrit le journaliste Bertrand Gréco, dans
son livre La Bataille de Paris. En présidant lui-même le comité de campagne, Bertrand
Delanoë en avait fait un pari sur son avenir : en cas de victoire, il en aurait recueilli toute la
gloire et serai apparu comme un homme d’Etat et pas un simple Maire. Il avait même prévu
d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2007 dans la foulée de ce succès. Tout
était prêt pour qu’il se lance dans la course… Au-delà de ce rêve élyséen qui venait de
s’envoler, l’organisation des Jeux Olympiques était également un formidable accélérateur
capable de faire gagner 20 ans à Paris, et donc, de lui garantir à minima sa réélection en 2008.
«A la trappe, les projets de requalification de la porte de la Chapelle avec son Super-Dôme !
Evaporés, les subsides que la région Ile-de-France et l’Etat s’engageaient à lui verser : plus
d’un milliard d’euros destinés à la couverture des échangeurs de l’autoroute A1 et à
l’accessibilité des transports aux handicapés. Aux calendes grecques, l’extension de Roland-
Garros dans le bois de Boulogne ou encore la liaison express Paris-Roissy, sans parler de la
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
81
loi olympique qui aurait permis de s’affranchir des lourdeurs administratives et donc
d’accélérer les procédures» résume le journaliste Bertrand Gréco.
Le quotidien Libération n’y va pas de main morte : «ce jour-là, Paris a perdu les JO et
Delanoë, beaucoup de sa superbe. Non parce qu’il a échoué, mais parce qu’il avait porté le
projet de bout en bout […] Pour la première fois, le Maire montrait en public son côté
sombre, accusant les uns et les autres d’incompétence et s’absolvant lui-même de la moindre
erreur.85
» Cette défaite marqua un tournant dans sa mandature et ouvra la bataille de Paris,
trois ans avant les échéances municipales. La droite sortira progressivement de son
hibernation… tandis que la majorité rose-verte-rouge traversera plusieurs crises. Le même été,
24 personnes dont 18 enfants périrent dans des incendies survenus dans deux immeubles
insalubres du 3ème et 13ème
arrondissement. Des drames qui vinrent se rajouter à l’incendie de
l’hôtel Paris-Opéra en avril 2005, qui avait pour sa part fait 24 morts dont 10 enfants.
Qu’avaient ces accidents en commun ? Toutes les personnes décédées étaient d’origine
africaine (Mali, Sénégal, Gambie, Côte d’Ivoire), payaient un loyer pour s’entasser dans des
conditions inhumaines. Des manifestations furent organisées pour dénoncer l’absence de
politique publique en faveur des mal-logés. Et si la responsabilité de Bertrand Delanoë ne put
évidemment pas être mise en cause, cette hécatombe en trois volets dévoila tout ce que son
habile communication masquait jusqu’alors : habitat précaire concentré au cœur de la capitale,
pénurie de logements d’urgence ainsi que de logements sociaux, etc. «Alors que droite et
gauche se livrèrent mutuellement un procès en irresponsabilité renvoyant successivement la
responsabilité sur Delanoë ou Tibéri… la controverse dépassa le Maire de Paris sur sa
gauche» m’explique Bertrand Gréco. En cause ? Cinq amendements présentés par les Verts
au Conseil de Paris du 26 septembre 2005, et portant sur la création d’un foyer de travailleurs
immigrés par arrondissement, ou encore l’installation d’un détecteur d’incendie dans les
immeubles insalubres, mais que l’adjoint PS en charge du logement refusa d’adopter. L’UMP
arriva en renfort et permit aux écologistes de faire passer leurs vœux, en mettant Bertrand
Delanoë en minorité. «Nous étions un peu paranoïaques à l’époque» confie l’actuel président
du groupe socialiste au Conseil de Paris Jean-Pierre Caffet, et ce dossier joua le rôle
d’étincelle qui mit le feu aux poudres après une période tendue dans la majorité.»
85
Il accusa même publiquement le Premier ministre britannique social-démocrate Tony Blair de ne pas avoir
respecté trois des règles édictées par le Comité olympique international (CIO) et d’avoir «franchi la ligne
jaune.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
82
«Comment les socialistes pouvaient-ils s'opposer à cela après ce qui s'était passé?» se
questionna86
ouvertement le président du groupe Verts au Conseil de Paris, René Dutrey,
tandis que le Maire de Paris faisait valoir que «la tactique politicienne a joué un rôle dans
cette affaire […] une partie de la majorité municipale a voté avec l'UMP sur un sujet majeur:
la politique du logement. Je m'interroge : s'il n'y avait pas eu les drames de cet été, cette
mascarade politicienne aurait-elle eu lieu ? Car il est clair qu'elle ne fait absolument pas
avancer la cause des mal-logés ni le combat contre l'insalubrité.87
» Le PS accuse les Verts de
leur être délibérément «rentrés dedans» après l’échec des Jeux Olympiques et les incendies
meurtriers. Pour Adrien Delassus, un militant proche de René Dutrey, «les Verts sont arrivés
en 2001 avec la volonté de faire bouger les choses. Malheureusement pour les socialistes,
nous n’avions pas qu’un rôle de pantins et nous avons pu mettre les mains dans le cambouis.»
Ne souhaitant pas vivre le calvaire de Jean Tibéri dont le budget n’avait pas été adopté par sa
majorité en 2000, envenimant par la suite toute la fin de sa mandature, Bertrand Delanoë
chercha un moyen de riposter face à ses partenaires écologistes. Plus subtile que leur retirer
leurs délégations ou leurs avantages, le Maire de Paris s’employa à faire éclater le groupe
Verts, en tentant de récupérer quelques individualités : ce sera le cas de Christophe Girard,
adjoint à la culture et directeur de la stratégie chez LVMH, adhérent des Verts depuis 1998,
qui dit «je savais que nous avions des cultures politiques différentes, mais je n’avais pas
prévu pour autant cette crise qui heurte le Maire de plein fouet. Un élu cohérent par rapport
à sa place dans l’équipe municipale, qu’il soit Vert, socialiste ou communiste, ne devrait pas
poser de problèmes. Or, les écologistes se comportent comme des opposants même quand ils
sont dans la majorité» regrette-t-il, avant de prendre sa carte au Parti Socialiste. Sa défection
aurait théoriquement du entraîner celle d'autres écologistes modérés comme Denis Baupin.
«Le Maire m'a proposé d'organiser une scission du groupe, ce qui aurait entraîné une
explosion des Verts88
» explique l’adjoint en charge des transports, qui a refusé.
Les négociations se poursuivent sous l'égide de Caresche : «le cabinet autour de Bertrand est
trop rigide avec les Verts. Ils jouent le rapport de force avec eux, c'est une erreur. Surtout que
les Verts n'avaient pas tort, au fond» explique-t-il à Bertrand Gréco. Sa démarche
pacificatrice permet de renouer le dialogue avec les Verts, alors que la municipalité doit
encore adopter les deux dossiers les plus importants de la mandature, à savoir le Plan local
86
61 « Municipales 2008 : la bataille de Paris » de Bertrand Gréco
88
« Municipales 2008 : la bataille de Paris » de Bertrand Gréco
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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d’urbanisme (PLU) et le Plan des déplacements de Paris (PDP) : une issue à la crise de la
majorité est trouvée au milieu de l’automne. Quoi qu’il en soit, cela marqua pour de bon la fin
de l’état de grâce pour Bertrand Delanoë : les écologistes venaient de prendre conscience de la
pleine puissance et du poids politique que leur groupe charnière au Conseil de Paris pouvait
leur conférer. «Car les écologistes détiennent un otage de grand prix, dont personne n’a
pensé à afficher le portrait sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Et pour cause, puisque cet homme
ligoté n’est autre que le Maire de Paris en personne» avance Sophie Coignard, journaliste
auteur du livre à charge Le marchand de sable, «s’il lui vient des fantasmes d’autonomie, ils
savent vite lui rappeler sa condition.»
Si bien qu’une nouvelle crise politique éclata en juin suivant, à propos du fameux Plan local
d’urbanisme (PLU) censé redéfinir les nouvelles règles de construction dans la capitale et
faire l’ébauche du visage architectural de la ville dans les vingt années à venir. «Ne pas voter
le PLU revenait à ne pas voter le budget ! Il était en débat depuis quatre ans et les écologistes
avaient déjà voté une première version. Mais à dix jours du vote final où nous devions
entériner définitivement ce choix, ils ont décidé de nous faire chanter en le rejetant au cours
de son examen dans les conseils d’arrondissements… avant de s’abstenir au Conseil de
Paris» se souvient Jean-Pierre Caffet, jusqu’alors adjoint au Maire en charge de l’urbanisme,
pour qui «les Verts n’ont pas souhaité l’adopter pour des raisons politiciennes et des
questions de rapports de forces internes, à l’approche de leur Assemblée générale.» Les
écologistes cherchaient également à se démarquer en vue de l’approche du scrutin municipal,
critiquant ce «Plan libéral d’urbanisme» en mettant en avant le fait que social-démocratie et
écologie politique ont des conceptions antagonistes en termes d’aménagements du territoire.
La construction de tours et le ratio bureaux / logements sociaux leur posait problème. Les
socialistes s’en sortiront en menaçant… de ne pas voter le Plan des Déplacements de Paris
(PDP) porté par l’écologiste Denis Baupin. Reste qu’au terme d’une séance où «les Verts nous
insultaient de vieille gauche, quelque chose s’est cassé. Dès lors, nous ne les considérions
plus comme des partenaires fiables» expliqua l’adjointe au Maire Sandrine Mazetier89
, pour
qui les écologistes ont fait preuve «d’opportunisme et de positionnement politicien.»
«Sur le fond, il y a beaucoup de points de convergence entre nos deux groupes mais ils sont
atténués par nos différences au niveau des pratiques, dans l’exercice du pouvoir. Les
89
«Municipales 2008, la bataille de Paris», de Bertrand Gréco
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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écologistes, ce sont de bons tacticiens qui savent parfaitement nouer des accords avant les
élections… mais ne les respectent pas ensuite, ils sont dans la surenchère permanente» se
plaint l’ancien cohn-bendiste Christophe Girard. «On a tous en mémoire ce jour de juin 2006
où le groupe Verts vota avec l’UMP contre la construction de logements sociaux dans le
16ème
arrondissement» argue sa collègue Pascale Boistard, faisant référence au dossier du
Parc de Sainte-Perrine. L’adjoint au logement de Bertrand Delanoë venait de trouver une
parcelle de 5.000 mètres carrés dans le jardin public de trois hectares de Sainte-Perrine, où il
souhaitait y ériger environ 200 logements sociaux pour les infirmières de l’AP-HP, quatrième
propriétaire foncier de la capitale. Mais «contrairement à la communication démagogique à
laquelle s’employait le Maire, il était possible de construire des logements sociaux sans
défigurer ce parc. Et ils s’en servent depuis pour nous accuser de nous être alliés avec la
droite, mais je ne compte pas le nombre de dossiers où le PS a eu besoin de la droite pour
arriver à ses fins, que ce soit sur les subventions au Paris-Saint-Germain ou le parrainage
par la Mairie de Paris du sous-marin nucléaire Charles de Gaulle. C’est toute la force de la
communication de Delanoë, il nous reproche ce qu’ils font à longueur de temps…» rétorque
le véhément Maire du 2ème
arrondissement, Jacques Boutault.
Les divisions internes au Parti Socialiste et aux Verts ont également joué un rôle dans la fin de
première mandature tumultueuse qu’a rencontré la coalition parisienne. Les Verts parisiens ne
se divisent pas sur la stratégie politique à mener – ils sont unanimement favorables à la
généralisation de l’autonomie au premier tour des élections puis à l’alliance avec le PS – mais
sur le principe même de l’organisation de la participation au pouvoir et du positionnement
politique à avoir vis-à-vis de la majorité. Des tensions apparaissent régulièrement entre les
radicaux, représentés par Yves Contassot, qui n’ont jamais caché leur sympathie pour
l’extrême-gauche, et les réformistes, emmenés par Denis Baupin, qui n’ont pas hésité à
afficher leur proximité avec Bertrand Delanoë au cours de sa mandature. En toile de fond de
cette divergence d’options à laquelle se mêlait une intense guerre de courants internes et de
sentiments humains (jalousie, haine), se jouait l’hégémonie sur les Verts et ainsi l’investiture
pour les municipales 2008.
Pour l’écologiste Anne Le Strat, qui n’hésita pas à quitter le groupe Verts en 2008 pour se
faire élire sur la liste de Bertrand Delanoë, «le clivage au sein du groupe écologiste portait
non pas sur des divergences idéologiques – ce qui aurait été sain - mais sur des rivalités de
pouvoirs entre acteurs politiques, cherchant à tout prix à se constituer leurs réseaux pour
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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compter sur des troupes solides lors des prochaines élections…» Nostalgique du passé, elle se
rappelle le temps où les écologistes «ne pensaient pas arriver au pouvoir mais se
concentraient à construire une majorité culturelle sur nos idées. Il y avait alors une bataille
politique, entre deux courants forts qui s’adossaient à des conceptions différentes et à des
stratégies opposées. Puis les écologistes ont cherché à se faire élire pour gagner de l’argent,
et protéger leurs places.» «Notre erreur est d’avoir transposé les rapports conflictuels que
nous pouvions avoir en interne jusqu’au Conseil de Paris, sans prendre en compte les médias.
Nos bisbilles internes sont arrivées sur la table et le PS a logiquement tenté d’en profiter»
analyse pour sa part Adrien Saumier, un militant écologiste. A écouter Yves Contassot,
«Bertrand Delanoë a parfaitement su jouer sur les ambitions naissantes de certains pour
instaurer un climat malsain au sein de notre groupe, à quelque mois du début de la
campagne. Son directeur de cabinet Bernard Gaudillère disposait de deux listes sur son
bureau, une où était répertoriée les écolos «vulnérables et transférables» et l’autre contenant
les noms d’élus qui ne se rallieraient pas contre des postes… Résultat, il avait tout l’appareil
municipal pour présenter son bilan face à un groupe Vert hétérogène, qui ne s’entendait pas
et faisait campagne autour d’une écologie punitive» tente de se défausser aujourd’hui ce
cacique vert.
Au final, leurs relations internes conflictuelles confirmèrent tout au long de la mandature la
réputation d’amateurs qui a trait aux écologistes, et qui les empêcha de capitaliser sur leur bon
résultat de 2001. Car cette séquence – et ils le reconnaissent aujourd’hui – ne les a
probablement pas aidés à préparer l’élection municipale de 2008. «La haine entre les
socialistes est très très forte en interne, mais ils ont l’intelligence de présenter une image
harmonieuse à l’extérieur. Nous, nous avions quelques divisions entre nous mais le crions sur
tous les toits sans rien cacher à la presse» regrette le patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel. Il
n’a pas tort : la préparation du congrès du Mans à l’automne 2005 a elle aussi laissé beaucoup
de traces au sein de la fédération PS de Paris. Tandis que la pression montait, les différents
courants socialistes s’affirmèrent dans la capitale… et les langues se délièrent, alors que
l’exécutif municipal vivait un passage difficile. Jamais depuis 2001, le Maire de Paris –
partisan discret de la motion de François Hollande - n'avait été autant attaqué au sein de son
propre camp : les barons fabiusiens, maires des 3ème, 13eme, 14eme ou 20ème, soutiens de la
motion Fabius-Mélenchon manifestaient leur exaspération, tandis que les soutiens du NPS de
Montebourg et Peillon montraient les crocs. Le député strauss-kahnien Jean-Marie Le Guen,
qui soutenait le même candidat que Bertrand Delanoë tentait pour sa part d’imposer son
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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courant sur la fédération. Pour mettre à bien sa stratégie, il n’hésita pas à se poser en sauveur
des socialistes de la capitale au cours d’un déjeuner d’octobre 2005 réunissant les différents
parlementaires favorables à la reconduite de François Hollande, jugeant la politique
municipale «pas assez audacieuse. Une fois qu’on a enlevé les JO, Paris Plage et Nuit
Blanche, il ne reste pas grand-chose.»
Les critiques avaient beau se faire de plus en plus virulentes, Bertrand Delanoë n’y prêta
guère attention et continua son œuvre municipale. C’est ainsi qu’à l’été 2007, il inaugura le
système de vélos en libre-service Vélib’ après un imbroglio juridique : le cahier des charges
indiquant de choisir l’offre jugée économiquement la plus avantageuse, l’américain Clear
Channel avait initialement été privilégié à son concurrent français J.C. Decaux, qui proposait
des vélos plus lourds et une redevance versée à la Mairie nettement inférieure. Après avoir
fait appel sur la forme90
, le groupe français numéro 1 mondial de l’affichage publicitaire sur
mobilier urbain a su réajuster son offre, en proposant un mode de financement plus
avantageux pour le Maire de Paris, surtout en amont d’une campagne électorale : en
contrepartie de la cession des 1.628 panneaux publicitaires de la capitale, l’entreprise
installerait et gèrerait 20.600 vélos en libre-service sans que l’opération ne coûte un sou à la
municipalité ou au contribuable. Ne remettant pas en cause l’innovation Vélib’, les Verts se
sont employés à critiquer le mode de financement choisi par le Maire de Paris : «les
promoteurs de ce deal «pub contre vélo» ont réussi ce tour de force de faire croire à
beaucoup de gens, y compris des élus, que ce système ne coûtait rien à la collectivité : en fait,
si les villes bénéficient d’un nouveau service, elles abandonnent en contrepartie une recette
très importante, à savoir la redevance qu’elles toucheraient normalement avec les recettes
publicitaire» alerte le candidat écologiste et Adjoint aux Transports, Denis Baupin, dans le
Libération du 4 septembre 2007.
Le même jour, Bertrand Delanoë confirmait son intention de briguer un second mandat dans
un entretien accordé au Parisien, et intitulé «mes convictions écologiques sont anciennes et
fortes.» Dedans, le Maire de Paris y décline ses intentions : 25% de baisse des émissions de
gaz à effet de serre, respect des normes européennes en terme de pollution, renforcement des
transports en commun au détriment des voitures… «Toutes ses propositions sont dans le plan
de déplacement de Paris présenté par les Verts» s’indigne l’inaudible candidat écologiste
Denis Baupin, «nous avions dû nous bagarrer contre le PS et le PC pour faire adopter ce
90
Le groupe JC Decaux a prétexté des mentions non correctes lors de la publication de l’avis de publicité, pour
faire appel de l’appel d’offre une fois le résultat en faveur de Clear Channel connu.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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plan» se souvient-il, amer. Déroulant son programme et revendiquant la paternité de la
politique d’écologie urbaine menée ces dernières années, Bertrand Delanoë définit l’axe de sa
future campagne. «Bien qu’il n’ait jamais eu le logiciel écologiste et ait été déçu de nos
pratiques amateures, Bertrand Delanoë a eu le flair nécessaire pour comprendre que nous
pouvions lui être utiles. Il a eu l’intelligence de récupérer dans notre bilan tout ce qui était
récupérable, et qui correspondait à l’ère du temps» explique une Conseillère de Paris,
écologiste. «Nous avons subi sa communication bien huilée, il est parvenu à s’attribuer la
politique des transports de Baupin sans les embouteillages, l’éradication du logement
insalubre de Blet, l’invention de la Nuit Blanche de Girard, mes repas bios dans les cantines
scolaires ou encore les 30 hectares supplémentaires d’espaces verts de Contassot…» se plaint
le Maire du 2ème
arrondissement, Jacques Boutault, pour qui les socialistes avaient plus
d’expérience quand nous «nous acharnions sur les dossiers mais improvisions devant les
médias.» Pour l’Adjointe au Maire Pascale Boistard, «le PS s’est nourri des Verts, non pas
par tactique politicienne ou opportunisme mais par pure réflexion. La mandature a été un
apprentissage pour nous, ils nous ont convaincu que les questions environnementales étaient
vitales et faisaient partie des préoccupations des citoyens.»
Reste qu’«à la vue du bilan de Bertrand Delanoë et de l’équipe municipale ainsi que de l’état
hors-service d’un groupe Verts divisé, les électeurs ont pu se questionner sur la nécessité de
politiser l’écologie et de voter de nouveau pour les Verts» explique Dominique Foing. A
l’automne, le Maire de Paris renforça encore le sentiment de trouble qui pouvait naître au sein
de l’électorat commun aux socialistes et aux écologistes : une enquête du magazine Que
Choisir91
sur le prix de l’eau potable et les bénéfices faramineux réalisés par les deux
entreprises en situation de duopole, Véolia et Suez, fit grand bruit. Alors que ses partenaires
de la gauche plurielle (PCF, Verts, MRC) réclamaient depuis 2001 de renégocier les contrats
pour repasser sous une régie municipale, que l’Inspection générale de la Ville, la société de
conseil Service Public 2000 et la Commission Constantin avaient déjà épinglé la gestion de
l’eau dans la capitale tout au long de la mandature, Bertrand Delanoë annonça le 5 novembre
2007, à cinq mois des municipales, la création d’une régie municipale «qui étendrait à la
distribution, la maîtrise qu’elle possède déjà sur la production de l’eau à Paris» explique son
communiqué. Tout en se gardant la possibilité, par ailleurs, de réaliser des partenariats
publics-privés notamment sur la mission de la distribution de l’eau…
91
Enquête publiée dans le numéro Que-Choisir du 29 octobre 2007
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
88
Un double-langage qui illustre parfaitement la maîtrise de sa communication, grâce à une
«novlangue92
destinée à rendre tout nouveau et tout bon. Sous Delanoë, les réunions de
quartiers deviennent ainsi des «évènements solidaires et éthiques», le projet d’organisation
de l’épreuve olympique des J.O. éthiques, populaires, écologiques et solidaires […]Mais qui
aurait l’idée de s’opposer à une telle démarche, pour préconiser des JO gangrénés par la
corruption, réservés aux riches, polluants et égoïstes ?» se demande Sophie Coignard,
journaliste d’investigation s’intéressant de près aux différents systèmes de pouvoirs, dans son
livre consacré à Bertrand Delanoë, «Le Marchand de Sable». Elle observe dans son ouvrage
que le Maire a multiplié par quatre le nombre de communiqués de presse, par rapport à Jean
Tibéri, «noyant ainsi l’information dans un flot de non-informations.» En cela, il peut
compter sur le précieux soutien de la Directrice de l’Information et de la Communication de la
Mairie de Paris, Anne-Sylvie Schneider à qui incombe la charge de transformer le savoir-faire
du Maire de Paris en faire-savoir. Ancienne journaliste à VSD, cette dernière a rencontré le
porte-parole du Parti Socialiste en 1981, Bertrand Delanoë… qui l’a embauché pour lui
confier la rédaction de la lettre interne du parti. Un poste qu’elle occupa dix ans, avant de
devenir l’attachée de presse de Laurent Fabius à l’Assemblée nationale puis de Martine Aubry
au Ministère de l’Emploi. Déléguée à l’information dans l’équipe de campagne du Maire, elle
est promue en 2001 au sein de l’administration dès sa victoire… et se montre depuis,
bienveillante avec son candidat le Maire. « Bertrand Delanoë a parfaitement su construire
son réseau médiatique, en recrutant Anne-Sylvie Schneider à la communication, qui
bénéficiait de précieux appuis au sein de la presse de gauche, dont le Nouvel Observateur.
D’autres journaux comme le JDD sont restés plus neutres, malgré les relations du Maire avec
Arnaud Lagardère. A côté de lui, nous n’avions pas le même réseau, ne nous en donnions pas
les moyens et ne savions pas aussi bien communiquer» regrette son adjoint vert Yves
Contassot, selon qui cette carence s’est faite ressentie tout au long de leur campagne.
Toute la chaîne de l’information était – et est toujours –centralisée vers le cabinet du Maire ou
tout du moins la Directrice de l’information et de la communication : c’est elle qui fixe les
rendez-vous des Adjoints au Maire avec les journalistes et définit les messages à délivrer…
voire s’occupe des suites à donner aux articles concernant la Mairie de Paris. Ainsi, elle
n’hésite pas à appeler directement les journalistes qui se seraient éloignés de la «vérité
92
Métaphore utilisée par Sophie Coignard, en référence à la langue fictive inventée par Georges Orwell dans son
roman 1984
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
89
officielle»93
. Plus prosaïquement, c’est également Anne-Sylvie Schneider qui eut l’idée que
Bertrand Delanoë mène une «campagne délibérative» pour l’élection de 2008, en faisant la
tournée des vingt arrondissements parisiens en trois mois, afin de recueillir les propositions de
la population. Bien que les propositions finales qu’il présentera - voitures propres en libre-
service, extension du tramway, projets de tours – figuraient déjà toutes dans son
préprogramme soumis à discussion lors de ces fameuses réunions de travail avec les Parisiens.
«Bertrand Delanoë est parvenu à donner une image contraire à sa véritable personnalité, et
en cela il est plus talentueux que Jean-Louis Borloo ou Nicolas Sarkozy : il a réussi à se
construire un mausolée où il incarne le chevalier blanc dans un monde politique malhonnête.
En réalité, il est à la tête d’un système de connivence avec de grands groupes comme Uni-
bail, d’un système médiatique avec le Nouvel Observateur donc, le groupe Lagardère qui
l’interviewe régulièrement sur Europe 1 mais aussi le groupe Bolloré qui a obtenu Autolib’ et
est propriétaire de Direct Matin… Fin analyste des intérêts qui se croisent, Delanoë offre des
cadeaux et attend des retours, il arrive parfaitement à actionner les différents leviers pour
servir ses intérêts personnels» énumère Dominique Foing, auteur d’un livre à charge contre la
gestion du Maire de Paris. S’ils ne se montrent pas aussi tranchés dans leurs interventions
publiques, les écologistes se plaignent diplomatiquement de son double-jeu. Pour le conseiller
régional (EE-LV) d’Ile-de-France Jean-Marc Pasquet, «le fait que Bertrand Delanoë soit plus
archaïque et moins ouvert à l’écologie urbaine que le président de région Jean-Paul Huchon,
issu de la deuxième gauche, pourrait être une chance pour nous. Mais ses talents de
communicants le font surfer sur nos étiquettes.»
La construction d’une coalition demande du temps et la première mandature n’a clairement
pas permis aux écologistes et aux socialistes parisiens de s’entendre. Pour Anne Le Strat, qui
a siégé au sein du groupe Verts avant de s’affilier au groupe socialiste en 2008, «la vérité de
la première mandature ne se résume ni dans la posture «le PS nous a torpillé» ni dans le
discours présentant Bertrand Delanoë, comme «l’otage des Verts»… Avec 23 élus au Conseil
de Paris, nous avions un vrai poids, nos menaces étaient prises au sérieux, et le cabinet du
Maire nous écoutait et nous craignait.» Avec du recul, les écologistes se montrent satisfaits
de la première mandature où leur voix «a été entendue» sur le budget, le plan climat ou la
93
C’est Anne-Sylvie Schneider qui s’est occupé elle-même du cas de Renaud Lecadre, journaliste de Libération,
qui avait «osé» publier en 2005 un article sur les marchés publics de la Mairie de Paris, dans lequel il rappelait
que la présidente de séance lors du débat sur le contrat de l’eau au Conseil de Paris en décembre 2003 n’était
autre que la première adjointe Anne Hidalgo, «qui a été chargée de mission à la Compagnie Générale des Eaux,
détail de carrière trop peu connu des électeurs parisiens.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
90
politique du logement. «Durant ces sept années, nous nous sommes clairement aperçus que
l’écologie politique n’était pas la social-démocratie traditionnelle de Bertrand Delanoë. Mais
elle a toutefois le mérite de ne pas être à droite et de nous avoir permis de changer certaines
choses» résume le patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel.
2) 2008-2014, la contrainte d’un rapport de forces évolutif
ur la lancée d’une fin de mandature compliquée, la campagne pour l’élection
municipale 2008 a été extrêmement tendue entre les deux partenaires. Pour les
écologistes comme les socialistes, ce scrutin était une épreuve désignant un vainqueur
et un vaincu, mais déterminant aussi et surtout le rapport de force au sein de la gauche pour
les années à venir. Désormais conscients des préoccupations électorales de nombreux
Parisiens, l’ensemble des forces politiques ont verdit leur campagne : interdiction aux
véhicules polluants d’entrer dans la capitale pour l’UMP, péage urbain pour le PS,
piétonisation des voies sur berges pour les Verts… mais aussi réalisation d’éco-quartiers,
développement des énergies propres, mise en place d’un système en libre-service de véhicules
propres, etc. Une succession de mesures laissant penser, du moins en apparence, que les
structures parisiennes des deux principaux partis de gouvernement avaient fait leur
aggiornamento et prenaient désormais autant en compte les enjeux environnementaux que ne
pouvaient le faire Les Verts il y a quelques années. En ce qui concerne Bertrand Delanoë,
c’était aussi une stratégie politique efficace visant à récolter les fruits des succès de sa
majorité plurielle, tout en imputant ses échecs aux Verts. Sentant la politique «s’écologiser» à
leur détriment, les écologistes mirent fin à leurs traditionnelles campagnes joviales et ne
tardèrent pas à riposter. Le député européen Daniel Cohn-Bendit, qui s’était déjà investi lors
de la campagne 2001 aux côtés d’Yves Contassot, suggèra de s’allier avec le MoDem pour
«échapper à la maladie de l’hégémonie des socialistes», taclant dans la foulée Bertrand
Delanoë qu’il accusait d’être un «usurpateur : depuis sept ans, il n’est arrivé à l’écologie que
par un débat permanent avec les Verts.94
» Pourtant habitué à négocier des compromis avec le
Maire au cours de la première mandature, le candidat écologiste Denis Baupin n’était pas
moins offensif vis-à-vis du Maire et du PS parisien, revendiquant sans cesse la paternité de
94
L’Express, 21 février 2008, «Cohn-Bendit traite Delanoë d’usurpateur »
S
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91
Vélib’, du tramway, des couloirs de bus ou encore de Paris-Plage. Dès septembre 2007, le
Maire du 2ème
arrondissement Jacques Boutault, accusait Delanoë de vouloir se «débarrasser
des écologistes.» Ambiance…
Pour l’édile écologiste du centre parisien, «si l’on en croit les résultats des municipales, le PS
a tiré un plus gros avantage de notre collaboration sur la première mandature, alors que
nous n’avons pas réussi à capitaliser sur nos succès…» Augmentant de plus de quinze points
le score de premier tour de la gauche en 1989, Bertrand Delanoë a en effet été largement
mieux élu en 2008 (42,9%) qu’en 2001 (31,3%). «La frontière entre l’écologisme local et le
projet de Bertrand Delanoë qui ne voulait plus laisser les thèmes environnementaux à notre
sous-traitant des Verts était tellement confondu qu’en 2008, ça a empêché les Verts de faire
un bon premier tour» analyse l’adjointe au Maire Pascale Boistard. «En se proclamant très
habilement écologiste responsable, il a siphonné les voix traditionnellement acquises aux
Verts. C’était une façon de dépouiller le fond de commerce des écologistes, tout en pointant
que lui n’était pas excessif. Mais à la vue de son second mandat, on peut se demander
aujourd’hui si c’était une bonne chose ?» interroge son ex-fidèle, le député (PS) de Paris
Christophe Caresche. Elle aussi libérée du devoir d’allégeance envers son parti, l’ancienne
élue Verte Anne Le Strat estime pour sa part qu’il a suffi à «Bertrand Delanoë de faire valoir
son bilan globalement positif et de jouer sur l’effet bénéfique du «Maire sortant», tandis que
les Verts parisiens, au lieu de présenter leur action et vanter leur apport, ont simplement
donné l’image qu’ils étaient de simples emmerdeurs. Avec cette défaite, ils ont atteint les
limites structurelles de leur mode de fonctionnement, sans être parvenu à consolider leur
implantation ni à construire par-delà leur première expérience.» Disposant d’un faible
budget de campagne depuis l’échec retentissant de Dominique Voynet en 2007 ayant durci les
conditions d’emprunts des Verts, «la stratégie d’autonomie au premier tour avait malgré tout
du sens pour nous. Mais elle n’a jamais été comprise par les électeurs parisiens95
. Pourtant,
quand vous connaissez la vision du PS sur ses partenaires, il devient facile de comprendre
que si nous nous étions rangés derrière eux dès le premier tour pour obtenir des postes, nous
n’existerions tout simplement plus. Nous ne voulions pas être le nouveau PRG !» déplore le
patron d’Europe Ecologie-Les Verts Paris, Hervé Morel.
95
Dès septembre, un sondage créditait les Verts de 5% des voix contre 47% pour la liste de Bertrand Delanoë.
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92
Avec 6,78%96
des voix contre 12,35% réalisés sept ans plus tôt, les rôles lors de la
négociation de l’entre-deux tours étaient inversés : sûr de lui et maîtrisant les débats, Bertrand
Delanoë n’a pas de concession à faire et domine largement Denis Baupin et Yves Contassot,
qui plient rapidement bagage. Elu au second tour sans surprise (57,7%), la gauche plurielle ne
conquiert aucun nouvel arrondissement mais sept sièges de conseillers de Paris. Mais la bonne
nouvelle n’est pas là pour le Maire : au-delà de sa réélection et de sa progression, il est surtout
heureux de posséder la majorité (82) avec ses alliés historiques du PCF et du MRC97
, sans
dépendre de ce partenaire «peu fiable» que représentent les Verts selon lui. Avec 90
Conseillers de Paris contre 69 lors de la première mandature, les socialistes et ses partenaires
historiques sont désormais « libres» comme le titre le supplément Paris Obs du Nouvel
Observateur en mars 2008. «La vie quotidienne de la gestion municipale est facilitée depuis
2008, maintenant que les Verts ne sont plus un groupe charnière. Ils ont beau essayer
d’emblématiser certains points, mais malheureusement pour eux, la politique municipale ne
s’arrête pas aux Halles ou à Jean Bouin» remarque Philippe Wehrung, cadre de la fédération
socialiste de Paris.
Les Verts repartent avec un groupe divisé par deux, qui passe de 23 à 9 et fait beaucoup moins
de bruit. «Mais aujourd’hui, le mandat de Delanoë pâtit du faible poids des écologistes : une
majorité monocolore n’enchante pas les Parisiens» veut croire Jean-Marc Pasquet, ancien
patron des Verts Paris et aujourd’hui conseiller régional d’Ile-de-France. Adrien Saumier
abonde : «Delanoë n’a plus le même souffle que lors du premier mandat. Je ne sais pas si
c’est lié à l’effacement des écologistes, en tout cas c’est clair que nous ne sommes plus
déterminants, que nous ne possédons plus ce pouvoir de bascule qui faisait notre force»
regrette ce militant parisien d’EE-LV. Un de ses collègues renchérit : «l’environnement n’a
depuis 2008 aucune prise directe avec les orientations politiques, économiques et sociales de
la majorité.» Pire, le Maire de Paris aurait profité de la baisse d’influence des Verts pour
renouer avec ses «atomes productivistes et mettre en œuvre ses chantiers fétiches comme Jean
Bouin ou les Halles». «Suite à notre raté de 2008, il y a eu de plus en plus de désaccords :
chantiers des Halles ou de Jean Bouin, vidéosurveillance, construction des tours… Bertrand
Delanoë profite du rapport de force avantageux pour le Parti Socialiste pour n’écouter aucun
96
Le plus mauvais score des Verts aux municipales parisiennes depuis qu’ils présentent des candidats dans
chaque arrondissement de la capitale : ils avaient en moyenne recueillis 8,2% en 1989 et 7,1% en 1995. 97
Avec 90 Conseillers de Paris, le PS, le MRC et le PCF ont la majorité sans les Verts. Bertrand Delanoë n’est
pas passé loin de la majorité absolue : avec 77 conseillers de Paris à lui seul, le PS est à cinq voix de la majorité
qu’il doit les trouver parmi les 10 communistes, les 3 radicaux, voire en dernier recours une partie des 9 Verts,
qui ne suivraient pas la consigne du groupe…
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93
de ses partenaires» se plaint le co-président du groupe EE-LV au Conseil de Paris, Sylvain
Garel.
Comparatif des scores PS et EE-LV aux élections européennes 2009 (en % des suffrages exprimés)
Résultats des européennes 2009 Europe Ecologie-Les Verts Parti Socialiste
Suffrages obtenus en France 16,28 16,48
Suffrages obtenus en Ile-de-France 20,86 13,58
Suffrages obtenus à Paris 27,46 14,69
Après leur claque aux municipales, les écologistes parisiens ont pu compter sur les
européennes de juin 2009 pour se rassurer, vérifier si Paris est bel et bien le terreau de
l’écologie politique que l’on prétend : cette élection supranationale est favorable aux
écologistes, du fait du mode de scrutin à la proportionnelle, d’un faible enjeu politique
rendant plus propice le «vote de cœur» que le «vote utile», d’une abstention massive et d’une
mobilisation plus importante des cadres et professions intellectuelles que de l’électorat
populaire, ainsi que des thèmes environnementaux que cette campagne électorale met en
avant puisque liés à certaines compétences du Parlement européen. Sans compter qu’en
parallèle, face à l’image archaïque d’un PS sortant d’un congrès fratricide, les écologistes ont
su faire preuve de dynamisme et de fraîcheur, en rassemblant au-delà des Verts (Bové, Cohn-
Bendit) et en composant des listes au personnel politique contestataire et renouvelé (Joly,
Jadot). Et le moins que l’on puisse dire est que cette stratégie a fonctionné au mieux en Ile-de-
France : les écologistes parisiens n’ont pas été déçus. Rivalisant au niveau national avec le
grand frère socialiste, Europe Ecologie l’a largement devancé dans la région-capitale et à
Paris.
Des scores «inattendus dans une telle ampleur» dont ils vont essayer de tirer profit pour créer
une dynamique à gauche, alternative au PS parisien, leur permettant de bâtir leur nouvelle
méthode de conquête sur la capitale. Après avoir intériorisé le fait d’être la chambre verte de
la maison rose après le scrutin de 2008, les écologistes parisiens réclament désormais d’être
traités d’égal à égal. Conformément à leur stratégie du rapport de forces évolutif tout au long
de la mandature municipale, les écologistes font valoir aujourd’hui que le comportement de
Bertrand Delanoë est «autocratique» dans la mesure où il ne tient pas compte des révolutions
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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des scrutins intermédiaires. «Aux européennes 2009, nous avons été la principale force
politique dans treize arrondissements sur vingt – soit plus que le PS aux dernières
municipales – cela a représenté un véritable coup de tonnerre pour la gauche, devancés dans
leurs propres fiefs par leurs petits partenaires» se félicite Hervé Morel. Car si le résultat
national est catastrophique pour le Parti Socialiste qui se voit pour la première fois de son
histoire directement concurrencé par les écologistes, les socialistes parisiens touchent, eux, le
fond de l’abîme : la situation s’est totalement inversée par rapport au scrutin municipal s’étant
déroulé un an auparavant, où ils avaient considérablement réduit le poids des écologistes.
«Cela a été une douche froide pour nous, surtout après la piquette que nous leur avions mis
en 2008 où nous les avions rayé de la carte du Conseil de Paris dans leurs fiefs des 3ème
,
11ème
et 19ème
arrondissements» reconnaît l’Adjointe au Maire, Pascale Boistard.
Projection des résultats d’EE-LV et du PS aux européennes 2009 selon le mode d’élection du Conseil de Paris
Arrondissement
Conseiller de Paris EE-LV élus aux municipales 2008
Conseiller de Paris PS élus aux municipales 2008
Projection du score EE-LV aux européennes 2009
Projection du score PS aux européennes 2009
Paris 1 0 1 1 0 Paris 2 1 2 2 0 Paris 3 0 3 2 0 Paris 4 0 2 2 0 Paris 5 0 1 2 1 Paris 6 0 1 1 0 Paris 7 0 0 1 0 Paris 8 0 0 0 0 Paris 9 0 3 2 1 Paris 10 1 3 4 1 Paris 11 0 7 7 2 Paris 12 1 5 7 1 Paris 13 1 9 7 2 Paris 14 1 6 7 1 Paris 15 0 4 2 1 Paris 16 0 1 1 0 Paris 17 0 3 2 1 Paris 18 2 9 10 2 Paris 19 0 9 8 2 Paris 20 2 8 9 2
Total 9 77 77 17
Explication : la loi PLM prévoit que la première moitié des sièges de l’arrondissement soit attribuée à
la liste arrivée en tête. La seconde moitié est attribuée elle, à la proportionnelle, avec calcul des
sièges restants selon la règle de la plus forte moyenne. Voir annexes.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Comme le démontre le tableau de politique-fiction ci-dessus, les écologistes possèderaient la
majorité au Conseil de Paris s’ils avaient fait leurs scores de 2009 au dernier scrutin.
Toutefois, ils ne disposeraient pas de la majorité absolue à eux tous seuls, et seraient
dépendants du Parti Socialiste à moins qu’ils ne trouvent des soutiens parmi le Front de
Gauche ou le MoDem. Ce calcul, Europe Ecologie-Les Verts l’a fait et entend bien désormais
ne plus être réduit à un rôle de figuration dans les exécutifs locaux. Revigorés par ces bons
résultats, les écologistes ne cessent de provoquer le Maire de Paris. A l’exemple de cette
séance de novembre 2009, où ils déposèrent 1009 amendements pour se plaindre de
l’installation programmée de 1009 caméras de vidéosurveillance dans la capitale, et ainsi se
prononcer au cas par cas. «Ils continuent leur surenchère comme tout au long de la première
mandature. Ils ont même fait un recours au tribunal administratif pour ne pas que nous
examinions ces amendements en groupe et ainsi ne pas y passer cinq jours» dénonce le
président du groupe PS au Conseil de Paris, Jean-Pierre Caffet.
La «révolution européenne» de juin 2009 les redynamise également sur le plan électoral, en
témoigne leur volonté de livrer une bataille d’influence au Parti Socialiste, en présentant des
listes autonomes au premier tour des régionales 2010. Contrairement au précédent scrutin
francilien de 2004, où «englués dans notre stratégie de supplétifs du Parti Socialiste, notre
principal objectif avait été d’arriver devant les communistes qui avaient choisi l’autonomie.
Au final, avoir été consacré comme le premier partenaire du PS ne nous avait pas empêché de
mal vivre leur hégémonie dans l’hémicycle. Alors quand Huchon nous a renouvelé sa
proposition d’alliance dès le premier tour en 2010, nous avons décrété l’autonomie de notre
liste» avec négociation au second tour, résume Jean-Marie Bouguen, ex-collaborateur d’EE-
LV au Conseil régional travaillant aujourd’hui pour le groupe écologiste au Sénat. Objectif ?
Profiter au maximum du mode de scrutin proportionnel à prime majoritaire, qui leur est
favorable… et peut-être ainsi devancer le Parti Socialiste pour la seconde fois consécutive98
dans certains territoires dont la capitale. La bataille pour le contrôle de la région la plus riche
et la plus peuplée de France avait donc un enjeu très politique puisqu’elle a permis aux forces
de gauche de se mesurer à nouveau, mais cette fois-ci selon le mode de scrutin le plus
semblable de notre paysage institutionnel à celui des élections municipales99
.
98
Ils avaient réalisé 20,86% aux dernières européennes en Ile-de-France, soit plus de sept points que le PS
(13,58%) 99
Le scrutin municipal parisien se déroule au suffrage universel direct dans le cadre d’un scrutin de liste à deux
tours, selon le système de la représentation proportionnelle pondérée. Les élections régionales s’organisent elles
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Comparatif des scores PS et EE-LV au premier tour des élections régionales 2010 (en % des suffrages exprimés)
Résultats des régionales 2010 Europe Ecologie-Les Verts Parti Socialiste
Suffrages obtenus en France 12,18 23,52
Suffrages obtenus en Ile-de-France 16,58 25,26
Suffrages obtenus à Paris 20,57 26,26
Le président sortant de la région Ile-de-France mit en avant Anne Hidalgo, pour affronter dans
la capitale la liste de l’écologiste Cécile Duflot, qui se voulait porte-drapeau de son parti sur
l’ensemble de la région. La tâche de la première adjointe du Maire de Paris n’était pas des
plus aisées : elle devait réaffirmer le leadership du PS parisien sur Paris pour tirer un trait sur
la déconvenue des européennes… une mission qu’elle semble avoir remplie au vu des
résultats. La liste socialiste dépasse de six points le score de la liste écologiste dans la
capitale. Mais celle qui est pressentie pour succéder à Bertrand Delanoë n’est pas parvenue à
s’imposer dans le cœur de ses collègues socialistes : «comment a-t-elle pu considérer que
rester devant Europe Ecologie-Les Verts était le premier et seul objectif de la gauche
parisienne ?100
L’objectif était évidemment d’ancrer la région Ile-de-France à gauche pour
l’avenir. Elle a eu des phrases plus intelligentes» se moque un Adjoint au Maire socialiste.
S’ils ne sont pas parvenus à confirmer leur performance de 2009, les écologistes ont tout de
même confirmé leur bonne dynamique, et en cela, ils ont réussi une partie de leur pari. Après
la difficile victoire de 2004 dans le cadre d’une triangulaire avec Jean-François Copé et
Marine Le Pen, la liste d’union de la gauche semble avoir profité en 2010 de l’envolée du
score des écologistes au premier tour pour écraser l’UMP - 56,7% contre 43,1% - dans une
région pourtant réputée prenable par la droite. Cécile Duflot, nouvelle présidente d’un groupe
qui passe de 24 à 50 élus dans l’assemblée régionale, y a vu une validation de leur stratégie de
«diversité» au premier tour et de «rassemblement» au second des forces d’opposition à
Sarkozy. L’analyse fine des résultats de la capitale montre qu’Europe Ecologie-Les Verts
reste devant le Parti Socialiste dans le 2ème
arrondissement, le talonne dans le 10ème
et le 11ème
et confirme sa place de troisième force politique sur la capitale et même la deuxième dans
aussi selon le suffrage universel direct mais dans le cadre d’un scrutin de liste à deux tours, selon le système
proportionnel à prime majoritaire. 100
Suite à l’interview qu’elle donna au Parisien le 4 janvier 2010 : «notre objectif, c’est d’être devant les Verts.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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certains arrondissements de gauche ; tandis que les partisans d’Anne Hidalgo sont eux encore
largement en tête dans les arrondissements grands pourvoyeurs de Conseillers de Paris
comme ceux du Nord-est parisien. Pour la première fois depuis au moins 2001, les écologistes
sont devenus forts sans que le Parti Socialiste ne soit pénalisé en parallèle.
La semaine suivante, Sylvain Garel et quelques-uns de ses acolytes du Conseil de Paris
prenaient rendez-vous avec le Maire de Paris, afin de renouer le dialogue. «Ça fait deux ans
que ça dure. On ne va pas encore continuer quatre ans comme ça» lançait-il au Figaro101
.
Depuis que les écologistes ont été laminés aux dernières municipales, le Maire n’a plus besoin
de leurs voix tandis qu’eux critiquent avec véhémence les travaux du Stade Jean Bouin, le
dossier Autolib’, la vidéosurveillance et les tours d’habitation. Objectif ? Tenter d’apaiser le
climat sur la base d’un nouveau rapport de force instauré par les européennes et corrigé par
les régionales. Une accalmie toute relative dans la mesure où l’épineux dossier du stade Jean
Bouin (16ème
) revient sur le devant de la scène, le même jour. Bertrand Delanoë parvient à
faire adopter avec l’aide des communistes une délibération déclarant «d’intérêt général» la
construction d’un nouveau stade de rugby professionnel de 20.000 places sur le site de Jean
Bouin, pour un peu plus de 150 millions d’euros. Les Verts, le Nouveau Centre et l’UMP
campent toujours sur leurs positions et votent contre. Depuis plusieurs mois, les écologistes
demandent la réaffectation de l’argent public dans d’autres projets comme par exemple le
prolongement du tramway (T3) jusqu’à la porte d’Asnières. «Contrairement à la première
mandature où il n’y avait pas de véritable fracture idéologique, la seconde mandature de
Delanoë pâtit de sa volonté de prestige et de son désir de faire parler de lui à l’étranger : les
travaux de Rolland Garros, de Jean Bouin ou des Halles n’auront pas un impact concret sur
la vie des Parisiens…» dénonce le Maire du 2ème
arrondissement, Jacques Boutault. «Les
Verts n’ont pas tort, la Ville fait des choses mais les habitants n’y sont pas associés. Les
grands chantiers, des Halles à Roland-Garros, on va finir par se les prendre sur la gueule»
craint Christophe Caresche, qui précise ne pas être «le seul socialiste à ressentir cette course
au prestige et ce manque de démocratie locale.»
Mais sur le dossier de Jean Bouin en particulier, le motif d’insatisfaction des écologistes serait
ailleurs, à en croire un Conseiller de Paris tenant à rester anonyme : «Investir autant d’argent
public alors que la municipalité privilégie d’habitude les partenariats publics-privés, c’est
101
Le 30 mars, à Paris, PS et Verts sur des bases nouvelles.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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louche. Comme d’autres, les Verts se sont rendus compte que ce n’était que du copinage…»
En cause ? Les liens d’amitié que Bertrand Delanoë entretient depuis plus de trente ans avec
le président du Stade Français, l’équipe de rugby qui héritera de ce stade alors qu’elle pourrait
à priori jouer à Charléty ou au Parc des Princes. Ancien attaché de presse de Dalida – proche
des cénacles socialistes – Max Guazzini s’est lié d’amitié avec le futur Maire de Paris dans les
années 80, avant de fonder la radio NRJ lors de la libéralisation des ondes durant le premier
septennat de François Mitterrand, puis de devenir propriétaire du Stade Français en 1992 et le
faire grimper sur les premières marches du podium du Top 14. Ce n’est pas une simple
personnalité mondaine participant à son comité de soutien parmi d’autres, Max Guazzini est
un fidèle ami de Bertrand Delanoë. Les élus parisiens en sont conscients mais ceux ayant osé
parler de «favoritisme», comme le président du groupe UMP Jean-François Lamour, ont fait
l’objet d’une plainte en diffamation de la part du Maire de Paris.
La trêve entre les deux partenaires de la gauche sera d’autant plus courte que les rivalités
internes à la majorité municipale lors de cette seconde mandature ne sont plus seulement
politiques, mais concerne aussi l’actualité judiciaire. Le Canard Enchaîné révèle en août 2010
que Bertrand Delanoë négocierait avec l’UMP, afin de solder l’affaire des emplois fictifs sous
Jacques Chirac. Tollé chez les écologistes – à l’initiative des poursuites lancées dans les
années 90 contre l’ancien Président de la République - qui dénoncent d’une seule voix une
négociation «en catimini.» D’autant plus qu’ils ne sont pas d’accord sur le montant de
l’indemnisation prévue de 2,2 millions d’euros, portant sur le coût des 19 emplois fictifs de
1992 à 1995 – impossible de remonter à une date antérieure du fait des délais de prescription
en matière pénale : selon eux, Bertrand Delanoë pourrait réclamer plus de 7 millions d’euros
s’il menaçait d’une action devant un tribunal civil, où la prescription est de trente ans.
Quelques mois plus tard, le Maire de Paris signe malgré tout un protocole l’engageant à retirer
la plainte de la Mairie de Paris en partie civile, en l’échange du remboursement des salaires
indument versés par l’administration de la capitale. But de la manœuvre ? Eviter un procès à
l’ancien Président de la République tout en offrant à la Mairie la possibilité de rentrer dans ses
frais. Les Verts, eux, ne se sont pas calmés : les partenaires de Bertrand Delanoë dénoncent
une «faute politique» et un «déni de justice», expliquant que le «remboursement par l’UMP
sera un remboursement par l’argent des contribuables, l’essentiel de son budget provenant
du financement public et donc des impôts.» «Ce qui serait immoral, ce serait que les Verts
restent mes partenaires tout en affirmant que j’ai opéré une rupture avec la morale publique»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
99
se défend Bertrand Delanoë. Une partie des écologistes rentre alors dans le rang. Denis
Baupin explique qu’ils n’ont jamais remis en question son honnêteté mais que «nous avons
simplement été déçus par cette décision d’accord, qui n’est pas en adéquation avec l’effort de
réhabilitation de la morale publique, qu’il défendait lors de son élection.102
» D’autres au
contraire, à l’image de l’ancien Conseiller de Paris René Dutrey, dénoncent la «chirac-
connection» de Bertrand Delanoë et pointent sa clémence présumée vis-à-vis de l’ancien
Président de la République. En échange de sa non-intervention durant la bataille parisienne de
2001 où le RPR s’est déchiré au point de laisser le chemin libre à Bertrand Delanoë, ou
encore de l’avoir laissé porter seul le projet des Jeux Olympiques Paris 2012, le Maire de
Paris se serait engagé à ne pas égratigner Jacques Chirac… «Lorsque Delanoë transmet en
2002 le dossier des frais de bouche au Parquet, il est conscient que les faits sont prescrits.
Mais cela satisfait les Verts moins expérimentés et pas forcément au courant, qui réclament
un renouveau démocratique» décrypte un jeune élu UMP de la capitale. Dès 2005, le
président du groupe écologiste au Conseil de Paris Alain Riou craignait que Bertrand Delanoë
n’aille pas au bout de sa démarche : il accusa alors l’avocat de la partie civile, et donc de la
Mairie de Paris, de confondre «vengeance et clémence» et de ne pas oser s’en prendre aux
puissants.
Le climat se détériore à nouveau à l’automne 2010, suite à la décision du Maire d’interdire
aux mineurs l’exposition du Musée d’art moderne de la ville, consacrée au photographe
américain Larry Clark. Une décision qui avait déplu aux Verts, en dépit des clichés éloquents
relatifs au sexe et à la drogue : les écologistes accusaient Bertrand Delanoë de
«s’autocensurer» et que «si on commence à faire cela, on ne fait plus rien.» La réponse du
Maire de Paris, transmise également à la presse, n’avait pas tardée «Votre lettre me paraît
traduire une profonde méconnaissance à la fois du contexte idéologique et politique dans
lequel l’art contemporain évolue aujourd’hui.» De plus en plus contesté, certains estiment
que le premier édile de la ville ne prend plus la peine d’éviter les conflits depuis son échec au
Congrès de Reims en novembre 2008, qui l’a conduit à faire son adieu forcé à la fonction
présidentielle… alors qu’il s’était déjà interdit tout avenir parisien en annonçant sa volonté de
ne pas briguer de troisième mandat. Selon L’Express103
ou Le Point104
, le Maire de Paris
centraliserait tout et se reposerait depuis uniquement sur son directeur de cabinet Nicolas
102
L’Express, 5 novembre 2010 c’est l’amour vache entre Delanoë et les Verts. 103
« Docteur Bertrand et Monsieur Delanoë », L’Express, janvier 2008 104
« Le spleen de Bertrand Delanoë », Le Point, décembre 2010
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
100
Revel105
, la secrétaire générale Véronique Bédague-Hamilius et son collaborateur historique,
Laurent Fary. «Le Maire ne s’occupe plus que des sujets, où il y a une rentabilité électorale
pour lui ou Anne Hidalgo» déplore Christophe Caresche, son ancien adjoint à la sécurité. Un
fonctionnement verrouillé vexant une partie de ses adjoints - associés au dernier moment sur
des décisions concernant leurs propres délégations- et les Conseillers de Paris, à l’influence
réduite, qui ne lui pardonnent désormais plus rien. «Bertrand Delanoë s’essouffle sur son
second mandat, le PS parisien finit par s’endormir. Nous ne sommes plus là pour leur mettre
la pression… Même certains de ses adjoints ne le comprennent plus, par exemple sur Roland-
Garros ou Jean Bouin. Tout se décide dans le cabinet du Maire. Il a construit Autolib tout
seul, avant de nous dévoiler par surprise son projet : il n’y a aucune concertation avec
Bertrand Delanoë, il n’écoute même pas les bureaux d’études !» se plaint Yves Contassot.
Pour Christophe Girard, cette impression d’essoufflement au cours de la seconde mandature
s’explique par la ferveur du début de mandat qui est retombée et les différents projets qui ne
sont pas encore sortis de terre. «Après, on peut toujours faire plus, c’est évident… Mais la
crise économique réduit nos marges d’actions, alors nous nous concentrons sur la livraison
d’un certain nombre de chantiers, avant d’en lancer de nouveaux.»
C’est le cas par exemple de la rénovation des Halles, autre sujet à conflit avec les écologistes
parisiens. Elle émerge dans la tête de Bertrand Delanoë dès le début… de son premier mandat,
à la fin de l’année 2002. Cet immense chantier qui prévoit notamment la réorganisation du
jardin de plus de 4 hectares, de la gare où transitent 800.000 voyageurs par jour et du Forum,
centre commercial prochainement recouvert d’une Canopée, aurait dû en principe durer quatre
ans. Plaintes des riverains, concours d’architectes cacophonique, crises politiques avec les
partenaires Verts, doutes sur la faisabilité technique, etc… A la fin de son premier mandat,
son projet apparaissait au point mort. Il faudra attendre sa large victoire en 2008 qui permet
désormais à Bertrand Delanoë d’outrepasser les avis des écologistes, pour voir son projet se
débloquer à l’automne 2010 et lui laisser ainsi une chance de l’inaugurer avant la fin de son
mandat, en 2014. Votant contre la «vente du patrimoine municipal» avec les élus UMP qui
s’inquiètent de la santé économique de la Mairie, les écologistes dénoncent entre autre le
mode de financement privilégié : chiffré à 760 millions d’euros hors taxe et hors surcoût, cette
opération est assurée aux deux tiers par la municipalité, l’autre partie revenant à la charge du
nouveau propriétaire du Forum des Halles, le groupe Unibail-Rodamco. Yves Contassot
105
Nicolas Revel est devenu secrétaire général adjoint de l’Elysée après la victoire de François Hollande.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
101
dénonce une «privatisation de l’aménagement urbain.» Certains hiérarques socialistes
pointent du doigt le comportement des écologistes, partenaire «imprévisible et ambigu qui
vote contre certains projets sans passer pour autant dans l’opposition.» Pour le président du
groupe socialiste au Conseil de Paris, Jean-Pierre Caffet, «certes, nous ne pouvons pas
demander à un groupe de tout voter, mais de là à accepter sans rien dire qu’ils déposent des
recours contre notre projet ou aident des associations de riverains à se battre… Les Verts
prennent des responsabilités impensables pouvant conduire à la rupture du pacte majoritaire,
dans le seul but de construire des rapports de force sur des sujets identifiants.»
A force d’être intégrés au pouvoir depuis de longues années désormais, la stratégie des
écologistes est de signifier leur opposition ponctuelle sur certains dossiers clivants afin
d’éviter tout risque de banalisation dans le paysage politique parisien. L’inauguration
d’Autolib’ à l’hiver 2011 a de nouveau permis aux écologistes de faire entendre leur petite
voix dans un débat fortement médiatisé. Ils estiment que ce service de voitures en libre-
service pourrait encourager l’usage de la voiture et donner un signal négatif aux alternatives
que sont les transports en commun et Vélib’. Les coûts de mise en œuvre de ce service
développé par le groupe Bolloré ainsi que l’impact environnemental sont d’autres raisons
avancées pour justifier leur opposition. «Il y a de nombreux désaccords mais pas sur tout non
plus : nous arrivons encore à nous entendre sur des sujets comme le logement social, le
handicap ou les crèches, et votons le budget, donc oui, nous sommes toujours partie prenante
de la majorité. Après un regain de tension suite à l’arrivée de Cécile Duflot dans la capitale,
le climat s’est même apaisé ces derniers temps» raisonne le co-président du groupe écologiste
au Conseil de Paris, Sylvain Garel. Au-delà du rôle que la Ministre pourrait jouer aux
prochaines élections municipales, certains élus socialistes ont contesté sa venue du fait que la
secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts avait des points de vue opposés à ceux du
Maire : elle «s’est opposée à tout, que ce soit le Jean Bouin, les voies sur berges ou Autolib,
et a poussé la création du PassNavigo à tarif unique» déplorent-ils en chœur. «Les socialistes
savent bien qu’ils ne gagneront pas en 2014 s’ils se fâchent avec les écologistes. Donc ils ne
doivent pas trop les froisser…» s’amuse Pierre-Yves Bournazel, conseiller UMP de Paris. Les
Verts sont parfaitement conscients de cette donne et peuvent donc en profiter pour continuer à
se distinguer et à critiquer certains des grands chantiers de Bertrand Delanoë… quitte à
provoquer même quelques fissures au sein de la majorité et de nouvelles tensions en vue des
prochaines municipales. «Il ne faut pas en rajouter non plus» estime pour sa part Pascale
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
102
Boistard, «les relations entre les Verts et le PS à Paris ne sont pas pareilles qu’à Lyon où ils
ne sont pas partenaires mais adversaires au quotidien.106
»
106
Partenaires comme à Paris depuis 2001, le conflit opposant les écologistes et les socialistes lyonnais est particulièrement violent. Dernière illustration en date lors des élections législatives 2012 : bien que ne se présentant pas personnellement, le Maire de Lyon a défendu corps et âme le dissident Thierry Braillard, face au candidat soutenu officiellement par le PS et EE-LV, Philippe Meirieu.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
103
III Enjeux géopolitiques des élections municipales 2014
A) La Mairie de Paris, au cœur des stratégies politiques
1) Paris, un territoire plus que convoité
nvesti le 15 mai 2012 à 10h, le Président de la République nouvellement élu François
Hollande se rendait à l'Hôtel de Ville à 15h, avant de rendre visite à la chancelière
allemande Angela Merkel en pleine crise de la zone euro. Preuve s’il en fallait une, que
la Mairie de Paris tient un rôle particulier dans la vie politique française, preuve également,
que les apparences sont parfois trompeuses : avec sa superficie de 105 kilomètres carrés, la
ville de Paris apparaît bien ridicule face aux 1.500 de Londres voire même aux 240 de
Marseille. C’est même le plus petit département de France ! Mais attention, l’étroitesse
administrative de cet Ovni institutionnel –à la fois commune et département– ne doit pas faire
oublier toute la grandeur et toute la puissance qui sied à la capitale française. Et ce depuis déjà
plusieurs siècles. Carrefour entre différents itinéraires commerciaux qu’ils soient terrestres ou
fluviaux, la cité de Paris a épousé son destin national dès le début du 5ème siècle, en
accueillant sous Clovis, les principaux organes de pouvoirs du royaume des Francs. Tout au
long du Moyen-âge, de la Renaissance puis de notre époque la plus contemporaine,
l’importance économique et politique de la capitale n’aura de cesse de croître, s’inscrivant au
cœur des principaux évènements qui marquèrent l’histoire de notre pays. Au point même de
donner la réputation aux Parisiens –à force d’avoir été les déclencheurs de La Fronde, la
Révolution française, la Commune ou encore les manifestations du Front populaire et Mai 68
- d’être un peuple libre et rebelle.
Cette proximité entre l’histoire de Paris et le rayonnement culturel de la France se rappelle à
tous, ne serait-ce que par sa richesse architecturale, sa concentration de monuments – de la
cathédrale Notre-Dame au Trocadéro, en passant par le Sacré-Cœur perché sur la butte de
Montmartre et la Tour Montparnasse – qui lui confèrent ce style unique. Aujourd’hui encore
capitale mondiale de la gastronomie, de la mode ou encore du luxe, Paris dispose de plus de
150 musées ainsi que de nombreuses salles de concerts, de spectacles et d’opéras éparpillés
dans des quartiers mondialement célèbres comme la Bastille ou les Champs-Elysées. Le
temps des Lumières a beau être révolu, Paris avec les pavés de son quartier latin et ses
I
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
104
nombreuses facultés reste un grand centre intellectuel : attirant près d’un quart des étudiants
français, cette attractivité jamais démentie lui permet d’occuper le rang de première ville
universitaire d’Europe. Pour décrire cette ville, l’écrivain Jean Giraudoux avait ces mots :
«j’ai sous les yeux les 5.000 hectares au monde où il a été le plus pensé, le plus parlé, le plus
écrit ; le carrefour de la planète qui a été le plus libre, le plus élégant, le moins hypocrite.»
Dans notre monde plus contemporain, la capitale bénéficie également de nombreux atouts.
Comptant à elle-seule plus de 2,2 millions d’habitants, la ville de Paris se trouve être le centre
névralgique de la région Ile-de-France, territoire français le mieux inséré dans la
mondialisation et réunissant 18% de la population nationale. Une telle situation lui permet de
s’inscrire au cœur d’infrastructures performantes : sa plateforme ferroviaire d’exception - plus
de 2.000 kilomètres de voies de métro, RER et Transilien avec 7 gares TGV qui en font la
plus grande d’Europe - s’ajoute notamment à trois aéroports internationaux et à un réseau
automobile107
conséquent. Ces différentes positions sont des atouts non négligeables pour une
ville assumant le rôle de capitale d’un pays tel que la France, elles lui assurent l’accessibilité,
la mobilité et donc l’attractivité nécessaires à toute métropole. Et cela semble fonctionner,
puisque la capitale accueille pas moins de 14 des 20 premières firmes françaises et 15 des 50
plus grosses multinationales, regroupées dans le centre de Paris ou au sein du quartier de
Paris-La Défense, deuxième pôle financier européen derrière la fameuse City de Londres,
seule autre métropole européenne pouvant se targuer du statut de «ville-mondiale».
Traduction concrète : Paris n’est pas seulement le moteur de l’économie francilienne, il est
aussi le principal poumon économique du pays. Avec un PIB de 552 milliards d’euros réalisés
sur l’année 2009, la région Ile-de-France produit près d’un tiers de la richesse française, et
quasiment autant qu’un Etat comme les Pays-Bas.
Pour autant, la thèse du déclin de la France réinterrogeant la place de notre pays dans le
monde rejaillit automatiquement avec beaucoup plus de vigueur sur la capitale, par définition
fer de lance national. Pour le géographe Guy Burgel108
, Paris serait le «laboratoire des risques
et des chances pour notre pays, à l’ère de la mondialisation.» Inquiétant puisque, selon
l’économiste et journaliste Eric Le Boucher, «aucune région-capitale au monde ne perd ses
emplois comme celle de Paris, aveuglée par son passé brillant, anémiée faute de s’inscrire
107
Le réseau automobile parisien et francilien est notamment composé du boulevard des maréchaux, du
boulevard périphérique, de la francilienne et du réseau autoroutier. 108
Guy Burgel est l’auteur de l’ouvrage «Paris meurt-il ?»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
105
résolument dans la compétition mondiale des métropoles du XXIème siècle.» Vitrine de
l’image que l’on se fait de la France, le contrôle de la Mairie de Paris est un enjeu
géopolitique majeur ne se réduisant pas aux traditionnelles échelles des collectivités locales,
qu’elles soient municipales, départementales ou régionales. Paris est bel et bien un territoire
national, au centre d’initiatives culturelles et économiques, capables d’interpeller le monde
entier, avec ce que cela implique comme nouveaux enjeux et nouveaux défis au XXIème
siècle.
Que ce soit par son histoire, sa suprématie, son poids ou encore par les défis auxquels elle doit
aujourd’hui répondre au nom de la France, Paris est un territoire stratégique. Mais le statut
particulier de la capitale, sa «rente de situation» qui en fait la ville la plus peuplée, la plus
puissante et la plus riche de France suscite en retour quelques désagréments. A commencer
par le fait qu’elle soit fortement jalousée, aussi bien aujourd’hui qu’hier. Déjà à l’époque de la
Révolution française, les Jacobins et les Girondins ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur
l’organisation du territoire - République unitaire ou décentralisation départementale ?-
donnant naissance à l’opposition entre Paris et la province. Au fur et à mesure que la
polarisation de la capitale s’accentuait, la province devenait un hinterland de Paris-en-France
et ne disposait plus que du rôle d’arrière-pays. Au sortir de la seconde guerre mondiale,
l’ouvrage du géographe Jean-François Gravier, «Paris et le désert français» (1947) résuma ce
sentiment d’une France déséquilibrée, entre une région-capitale dynamique et une province
belle-endormie. Malgré une réalité devenue beaucoup plus hétérogène et une province portée
par plusieurs métropoles régionales, il arrive d’entendre encore aujourd’hui des références à
cet ouvrage.
Dans la société mondialisée d’aujourd’hui, la perception négative de Paris - qui serait une
capitale prédatrice de sa province - tend à s’estomper, au point que la capitale apparaisse
comme une des principales chances du pays, comme le principal lieu d’articulation entre
l’économie et la culture française d’un côté, et l’économie et la culture mondiale de l’autre.
Un rôle plus que jamais stratégique, qui entraîne automatiquement quelques luttes et rivalités
symboliques entre l’autorité nationale et le décideur local, entre l’Elysée et le Maire de Paris,
chaque élu cherchant à imposer ses vues aux yeux du plus grand nombre. Dans cette
perspective, il est intéressant d’observer la tradition qui veut que les Présidents de la Vème
République laissent leurs empreintes sur la capitale de la France : si Sarkozy et de Gaulle
n’ont pas poussé de projets architecturaux à proprement parlé mais ont plutôt œuvré pour la
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
106
région (Grand Paris, aéroport de Roissy), Jacques Chirac a érigé le Musée du Quai Branly,
non loin du Musée d’Orsay qu’avait choisi de réaménager pour sa part Valéry Giscard
d’Estaing. François Mitterrand avait lui lancé une série de «Grands travaux» qui ont vu naître
l’Arche de la Défense, la pyramide du Louvre ou encore l’Opéra Bastille. Tandis que Georges
Pompidou avait lui crée le centre culturel, qui porte son nom. Que nos contemporains se
rassurent, cette émulation n’a rien de nouveau puisqu’elle existait déjà entre le Roi de France
et le gouverneur de Paris, étroitement surveillé. Mais alors que la capitale était administrée
pendant la majeure partie du XXème siècle par un préfet nommé sur décret du Président de la
République, la loi du 31 décembre 1975 autorisa de nouveau l’élection du Maire de Paris. Les
lois de décentralisation suivantes au cours de la décennie 1980 finiront d’amputer l’Etat
aménageur de son rôle de décideur hégémonique, le reléguant dès lors à celui de simple
incitateur. En raison de son poids déterminant qui évoque nécessairement l’avenir de la
France, la capitale décentralisée n’est toutefois pas une collectivité aussi autonome que les
autres : l’Etat conserve la mainmise sur la RATP et prive le syndicat des transports d’Ile-de-
France (STIF) de moyens financiers, tout comme il contrôle la voierie, compétence gérée par
la Préfecture de Police. «Très franchement, je ne pense pas que Bertrand Delanoë se réveille
tous les jours avec une sensation de manque née du fait qu’il n’ait pas la possibilité de fixer le
prix des amendes ou de déterminer les horaires de stationnement» confie un adjoint au Maire.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas rare que quelques conflits éclatent encore aujourd’hui entre les
deux détenteurs des principaux pouvoirs de France. La gouvernance du Maire de Paris a ainsi
récemment été contestée par le Premier ministre sur le dossier des voies sur berges, dont
l’Etat est propriétaire. Avec les futures échéances électorales en toile de fond, le bras de fer
était monté d’un cran en janvier 2012. Alors qu’un des projets phares de la seconde
mandature de Bertrand Delanoë est la piétonisation des quais de la rive gauche entre le Pont
Royal et celui de l’Alma (2,3 kilomètres), François Fillon l’a prévenu que l’Etat n’entendait
pas signer le document autorisant ce réaménagement, du fait de «manquements» et de
«défauts» révélés par une commission d’enquête à l’automne dernier. Propriétaire des berges
via l’établissement public du Port autonome de Paris qu’il contrôle, l’Etat a théoriquement le
droit de s’opposer à cette initiative municipale. Mais dans la pratique, cela passe mal : le
Maire de Paris réaffirme que «les élus choisis par les Parisiens sont pleinement légitimes
pour décider de l’aménagement de leur ville», tandis que son adjoint en charge du
développement durable Denis Baupin dénonce un réflexe jacobin démontrant que «Paris est
un îlot où la démocratie ne vit qu’à moitié.» Le député (PS) de Paris et candidat à la Mairie de
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
107
Paris en 2014 Jean-Marie Le Guen demande pour sa part de «cesser de considérer que l’Etat
a un droit de cuissage sur Paris. François Fillon a une vision proconsulaire de la manière de
gouverner la capitale.»
D’autre part, les évolutions actuelles de l’économie mondiale et de la société française
remettent en question la place de Paris dans le classement des villes Alpha (de niveau
mondial). Alors que la contribution de l’Ile-de-France à la croissance française recule, Paris
enregistre elle-même un moindre développement économique que sa banlieue, et risque vite
de se faire reléguer dans un climat de concurrence exacerbée entre métropoles mondiales. Si
la capitale mondiale du tourisme – qui jouit de la meilleure réputation du monde selon l’étude
du City Brand Index – ne veut pas devenir définitivement une ville-musée, Paris se
retrouverait dans l’obligation d’impulser une politique dynamique pour son territoire et ses
alentours. Bénéficiant d’un statut unique – à la fois ville et conseil général – lui octroyant des
compétences supplémentaires (action sociale, développement local) par rapport à d’autres
municipalités, l’avenir de la capitale française ne peut dorénavant plus s’écrire seul. Une
nécessité accentuée à la fin des années 80 par les lois Deferre, qui ont fait de Paris…
également la capitale d’Ile-de-France, une région dynamique manquant toutefois de cohérence
territoriale : Paris intra-muros est toujours le fer de lance de l’économie nationale mais n’est
plus un territoire isolé. Plus grande municipalité de cette région, l’influence de la ville de
Paris dans la vie politique francilienne lui confère un rôle particulier. Elle tend désormais à
s’homogénéiser avec les départements voisins de la première couronne, afin de renforcer son
rôle national mais surtout son assise internationale. L’enjeu géopolitique est considérable et
fait naître des rivalités hyper-locales dans un contexte de concurrence nationale et mondiale.
Car il faut savoir que l’idée de faire grandir Paris, principal atout de la France, ne date pas
d’hier. Dès 1929, le professeur Albert Guérard posait la question alors farfelue de la
métropolisation de la capitale française : «l’avenir de Paris ne saurait être le Paris que l’on
persiste à nommer intra-muros.» Si une grande majorité s’accorde aujourd’hui sur cette
nécessité de réorganiser le territoire parisien, les rivalités et l’enchevêtrement d’intérêts
locaux permettent de douter du futur espace métropolitain. Le sénateur de Seine-Saint-Denis
et par ailleurs secrétaire national de l’UMP en charge de la gouvernance du Grand Paris,
Philippe Dallier, reconnaissait qu’«à gauche comme à droite, ceux qui ont du pouvoir ne
veulent rien lâcher et ceux qui ont de l’argent ne sont pas enclins à le redistribuer.» La
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
108
récente montée en puissance d’intercommunalités aux alentours de Paris fait craindre en
parallèle un éclatement du territoire métropolitain.
Pour un tas de raisons et d’enjeux, la ville de Paris attise donc les ambitions et nourrit des
rancunes à diverses échelles. Comme tout territoire de pouvoir, elle ne fait pas uniquement
rêver les touristes. Bien que son rôle soit progressivement remis en cause, l’ensemble des
personnalités et partis politiques implantés localement ne s’y trompent pas : Paris reste à
l’heure d’aujourd’hui une capitale mondiale au cœur d’un territoire d’exception, plus riche et
plus peuplé que la majeure partie des collectivités territoriales françaises. Sans compter son
prestige et son poids politique, lui non plus sans commune mesure avec ce que peuvent
connaître d’autres élus locaux. Le Maire de Paris gouverne la capitale de la France : il a la
charge, entre autres, de gérer des quartiers aussi emblématiques que le «cluster institutionnel»
regroupant en l’espace de six kilomètres tout le pouvoir centralisé de l’Etat jacobin, à savoir
les deux chambres parlementaires, l’Elysée, Matignon, la grosse majorité des ministères et de
nombreuses ambassades.
L’enjeu financier qui a trait au contrôle de l’Hôtel de Ville de Paris n’est pas moins alléchant.
Malgré la réforme de la taxe professionnelle et le gel des dotations de l’Etat, la concentration
de sièges sociaux et la prédominance des ménages aisés payant de lourds impôts contribuent à
offrir à la Mairie de Paris109
d’importantes recettes fiscales. En termes politiques, cela signifie
un large budget de fonctionnement, et donc de multiples possibilités d’investissements et des
marges de manœuvres non négligeables. Pour l’année 2012, le Conseil de Paris a par exemple
voté un budget de 7,9 milliards d’euros, soit plus d’onze fois celui de la Mairie de Lyon, ou
encore la somme des enveloppes allouées110
aux Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de
l’Alimentation, du Ministère de la Culture et du Ministère des Sports, de la Jeunesse et de la
vie associative réunis… La Mairie de Paris est une collectivité hors-normes. A la fois
municipalité et Conseil général, l’Hôtel de Ville de Paris contrôle un territoire abritant une
importante densité de postes électifs : 18 postes de députés sont en jeu aux élections
législatives (sur 577), 12 sénateurs (sur 348) de la capitale siègent à la Chambre Haute, 41
élus parisiens (sur 209) sont envoyés au Conseil régional d’Ile-de-France, 163 Conseillers de
Paris et 354 Conseillers d’arrondissements sont élus en fonction des résultats des élections
municipales, sans oublier les 20 postes de Maires d’arrondissement. De quoi aiguiser l’intérêt
109
Qui perçoit également la taxe d’habitations et d’autres redevances 110
Crédits de paiement du budget de l’Etat en 2010
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
109
de l’ensemble des forces politiques, qui voient dans la domination de la municipalité un
moyen d’augmenter leurs chances d’occuper ces positions de pouvoirs. Mais qui dit lieu
privilégié pour mener des carrières politiques dit aussi rivalités et luttes féroces.
Dans la capitale, les conflits politiques sont exacerbés. Nichée à la place de l’ancienne salle
du Trône, le Conseil de Paris accueille chaque mois 163 conseillers de Paris déchaînés, dans
une ambiance souvent houleuse : «Ici, les logiques politiques sont beaucoup plus prégnantes
que dans d’autres grandes villes ou en province. Le contexte national se ressent davantage,
chacun est arque-bouté sur ses postures et ses clivages idéologiques et ne veut rien lâcher.
Les désaccords sont mis sur la place publique, pour jouer le rapport de forces dans la presse
et dans l’opinion. C’est ce que font les Verts et nous désormais, le Conseil de Paris est un lieu
où on fait véritablement de la politique, et pas de la simple gestion administrative de l’intérêt
général» explique Ian Brossat, président du groupe communiste. Un climat très politique
digne des joutes de l’Assemblée nationale, qui se ressent également en période électorale :
l’approche de scrutins rend souvent la situation électrique dans la capitale, les élections
municipales aiguisent appétits individuels et guerres fratricides, et amplifient tous les
sentiments humains et ressentiments politiques. «Tous les candidats se préparent à livrer une
guerre souvent bien éloignés des nobles enjeux d’une campagne traditionnelle» commente le
réalisateur Yves Jeuland, dans son documentaire Paris à tout prix. Et cela dès la première
élection du Maire de Paris en 1977, où le patron du RPR Jacques Chirac s’était fait élire au
détriment du Maire centriste de Deauville, Michel d’Ornano, pourtant candidat parachuté par
Valéry Giscard d’Estaing et l’Elysée. En 2001, le candidat officiellement investi par le RPR
Philippe Séguin faisait campagne en évoquant la reconquête de Paris alors que la capitale était
gérée par la droite depuis vingt-quatre ans, réclamant une rupture, dénonçant l’absence de
culture démocratique, la politisation de la haute-administration, etc…
Les élections municipales de 2014 risquent d’être tout autant mouvementées : sans prime au
sortant du fait de la non-reconduction annoncée de Bertrand Delanoë, l’ensemble des
candidats devraient jouer leur va-tout. Dans la perspective de ce scrutin municipal
relativement ouvert, les élections législatives où tout semblait joué d’avance au niveau du
rapport de forces gauche / droite ont servi de préparation interne… et de déclarations
d’intentions pré-electorales. La droite s’est durement affrontée au niveau des investitures, sur
fond de renouvellement, de parité et de parachutages en vue des municipales : le d’habitude si
pondéré François Fillon a dû faire preuve d’autorité face à la maire du 7ème
arrondissement
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
110
Rachida Dati, pour s’implanter sur la rive gauche parisienne. L’arrivée de la «plébéienne»
Cécile Duflot, dans l’est parisien si pourvu en conseillers de Paris et donc stratégique pour le
scrutin de 2014, n’a pas fait moins de vagues à gauche, provoquant l’ire de la première
adjointe du Maire de Paris Anne Hidalgo.
2) Une super-institution au service d’ambitions nationales
our le landerneau politique, l’Hôtel de Ville de Paris a bien d’autres intérêts que ses
15.000 mètres carrés et sept kilomètres de couloirs nichés sous les ors de la
République. Son prestige offre la possibilité pour le Maire de Paris de s’inscrire dans
une lignée hautement symbolique : c’est ici que Louis XVI y reçut la cocarde tricolore des
mains du premier magistrat de la ville, Jean-Sébastien Bailly, le 17 juillet 1789, donnant ainsi
naissance au drapeau français, associant encore aujourd’hui le blanc des Bourbons au bleu et
au rouge de Paris. C’est à l’Hôtel de Ville également que les Parisiens proclamèrent la
naissance de la République le 4 septembre 1870. Six mois plus tard en mars 1871, c’est
encore dans ce lieu mythique qu’une partie des habitants de la capitale, révoltés, décidèrent de
fonder la Commune puis propagèrent le feu à l’Hôtel de Ville, pour répondre à la sanglante
répression du gouvernement réfugié à Versailles…
Ce palais chargé d’histoire pourrait expliquer la notoriété des candidats pressentis ces
dernières années à ce poste prestigieux, que ce soit Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang à
gauche ou les anciens Premiers ministres Edouard Balladur et François Fillon, mais aussi
Jean-Louis Borloo à droite : aucun d’entre eux n’a jamais affiché la moindre ambition pour la
présidence du Conseil régional d’Ile-de-France. A croire qu’assurer le développement de la
région francilienne et le développement de la métropole parisienne les intéresse moins que
contrôler un territoire de 2,2 millions d’habitants disposant d’un budget de plus de 7 milliards
d’euros… Nul n’a oublié que c’est de la capitale que Jacques Chirac a pu mener son destin
national le menant à l’Elysée de 1995 à 2007. «Le Maire de Paris a plus de pouvoirs que le
Président de la République sur un territoire plus que stratégique : la capitale de la France.
Sauf qu’en plus, il n’a pas de Ministres et n’a pas besoin de déléguer ! C’est un poste
merveilleux pour tout animal politique» raisonne le journaliste d’investigation Dominique
Foing. Le fidèle adjoint de Bertrand Delanoë aujourd’hui président du groupe PS au Conseil
de Paris, Jean-Pierre Caffet, l’admet : «pour être honnête, si Paris suscite autant d’ambitions
P
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
111
politiques, c’est uniquement du fait que dans l’esprit de nombreuses personnalités politiques,
la Mairie de Paris représente un raccourci pour accéder à l’Elysée. La seule exception que
l’on a eu depuis 1977, c’est Jean Tibéri ...» rappelle-t-il sournoisement.
Encore aujourd’hui, être à la tête de l’Hôtel de Ville de Paris revient à diriger un nœud
structurant de la vie politique française. Ne serait-ce qu’y occuper des fonctions d’Adjoints
confère déjà une responsabilité particulière, comme l’atteste le porte-drapeau des Verts en
2001, Yves Contassot : «après notre élection, je me suis retrouvé avec une délégation
incluant 10% du budget municipal et avec 11.000 personnes sous mes ordres, soit plus
important encore que le Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire que
gérait à l’époque Dominique Voynet» analyse-t-il, «alors le poste de Maire, je ne vous fais
pas un dessin…» Si la bataille pour la Mairie de Paris suscite autant de convoitises, c’est
parce qu’occuper cette position de pouvoir unique dans le paysage politique français fait de
vous un homme puissant.
Une fois élu, le Maire a par exemple la main sur un appareil administratif de 51.014
salariés111
issus de la fonction publique d’Etat ainsi que de la fonction publique territoriale–
en cela plus comparable à certains Ministères qu’à une traditionnelle collectivité territoriale, si
grande soit elle. C’est également lui qui contrôle les nominations dans de nombreux
organismes affiliés, des sociétés d’économie mixte, des organismes HLM ainsi que les
subventions versées aux associations. Il dispose généralement d’une influence non
négligeable au niveau des investitures parisiennes de son parti, ce qui lui permet de lancer et
faire vivre bien des carrières : ce pouvoir est un véritable atout pour se construire un réseau
politique loyal. A en croire plusieurs conseillers de Paris rencontrés au cours de cette enquête,
l’Hôtel de Ville de Paris serait un château où règnerait encore l’esprit de cour, faisant appel à
l’ensemble des sentiments humains - la fidélité, la loyauté, la trahison, la lâcheté- : «Bertrand
Delanoë, comme les précédents Maires de Paris à leur époque, est un monocrate entouré de
vassaux» qui cherchent à tout prix à se faire remarquer, à lui plaire ou à l’influencer. Le Maire
de Paris a su construire son propre système géopolitique, en conquérant de nouveaux postes
électifs lors des élections législatives (2002, 2007, 2012) malgré un contexte national difficile
pour la gauche. Il a également su «placer» ses hommes dans les principales positions de
pouvoir de la municipalité – que ce soit son fidèle Jean-Pierre Caffet à la tête du groupe
111
Chiffre issu du bilan social 2010
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
112
socialiste au Conseil de Paris ou le jeune Rémi Féraud qui lui a fait allégeance à la fédération
PS de Paris – afin d’éviter au maximum les contestations et ainsi asseoir son leadership sur
l’ensemble du territoire parisien. Au niveau régional, son syndicat mixte Paris Métropole
(anciennement la Conférence métropolitaine) ne cesse de prendre de l’importance et pourrait
jouer un rôle non négligeable à la veille de la métropolisation et de l’acte 3 de la
décentralisation. Preuve de son pouvoir considérable qui le fait craindre auprès d’autres élus :
la façon dont il aurait imposé à un Jean-Paul Huchon silencieux sa première adjointe Anne
Hidalgo, en tant que tête de liste dans la capitale aux élections régionales 2010. La favorite et
numéro 1 annoncée du président sortant du Conseil régional d’Ile-de-France, Marie-Pierre de
la Gontrie, jusqu’ici vice-Présidente de l’assemblée régionale, a été reléguée en troisième
position.
Un mandat à l’Hôtel de Ville de Paris est clairement un avantage pour la suite d’une carrière
politique nationale. Hérité de l’Ancien Régime et réactualisé voici une vingtaine d’années, le
protocole républicain reconnaît la grandeur du Maire de Paris. Ce document fixe le les us et
coutumes du pouvoir en France. Toutes les autorités exerçant une fonction publique – du Pape
aux ambassadeurs – doivent prendre place dans les cérémonies publiques, préséances et autres
honneurs civils et militaires, dans un ordre déterminé par leur rang. Au premier chef, le
Président de la République Française, suivi de son Premier ministre bien entendu, puis le
président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale. Du fait de la centralité et de la
concentration des pouvoirs à Paris, le Maire de Paris occupe la 21ème
position nationale,
derrière le Président du Conseil constitutionnel mais devant le président du Conseil régional
d’Ile-de-France, les parlementaires européens ou les Hauts-commissaires. Même le Préfet de
police de Paris est devant le Directeur général de la Police Nationale…
Au-delà d’organiser les voyages officiels de l’exécutif français, le protocole républicain sert
également de base pour élaborer le programme des visites des hôtes de la France. Durant leurs
séjours, tous les chefs d’Etat étrangers en visite d’Etat ou en visite officielle font étape à
l’Hôtel de Ville de Paris, où ils sont reçus par le Maire pour une réception ou un déjeuner. Le
premier édile de la capitale ne fait pas que recevoir les grands de ce monde, il voyage à son
tour et est invité dans les plus grandes capitales du globe. De quoi le faire passer dans un autre
monde et assurer à cet élu local pas comme les autres une stature d’homme d’Etat. Pas de
doute pour Nicolas Vignolles, assistant parlementaire de l’ambitieux Jean-Marie Le Guen, «le
poste de Maire de Paris est incontestablement un tremplin politique, il vous donne un certain
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
113
pouvoir en France mais aussi un certain poids à l’international. La capitale est une ville
encore très jacobine, c’est le lieu de tous les pouvoirs. Le Maire de Paris gère autant voire
plus d’agents que la Commission européenne et son rang protocolaire est quasi-équivalent à
celui d’un Ministre» développe-t-il.
Les évènements de la politique municipale trouvent généralement un écho bien au-delà du
périphérique : dans un pays largement centralisé, la capitale concentre la majorité des
pouvoirs… et des médias. Tout ce qui se passe à Paris est relayé, commenté dans les journaux
et sur les chaînes de télévision. Avant que la crise de la presse et la crise économique ne les
frappe brutalement, les différents quotidiens disposaient tous d’un correspondant accrédité à
l’Hôtel de Ville, comme ils en ont habituellement dans les institutions nationales. Une
couverture médiatique qui permet au Maire et aux Conseillers de Paris de profiter d’une
visibilité dont ne dispose pas la majorité des 925 parlementaires et encore moins les élus
locaux de province. Les élections municipales parisiennes – et la vie politique de la capitale
en général - sont incontestablement celles les plus médiatisées. Dans le tableau de bord Paris-
Match de juin 2012, le Président de la République François Hollande occupe la deuxième
place avec 69% d’opinions favorables… derrière le Maire de Paris, Bertrand Delanoë qui
recueille 72% d’avis positifs. Jusqu’à la récente séquence électorale, la dernière place du
podium était occupée par l’ancien Président et l’ancien Maire de la capitale, Jacques Chirac.
Comme le démontre ce baromètre publié régulièrement, la proximité entre l’Elysée et l’Hôtel
de Ville de Paris sont encore très proches. Avec plus de 2 millions d’habitants dont plus d’un
million d’électeurs, la ville de Paris est d’ailleurs un terrain que tout candidat à la magistrature
suprême doit arpenter. Tout comme l’Ile-de-France, qui compte sept millions d’électeurs soit
plus de 15% du corps électoral français : tous les candidats élus depuis 1965 sont arrivés en
tête dans la région francilienne.
De 1975 à la fin des années 1980, les lois relatives à la décentralisation de Paris se sont
succédées au point de doter le Maire de la capitale d’une autonomie quasi-comparable à celle
d’une ville de province, lui permettant dès lors de retrouver son prestige d’antan et une grande
visibilité. Le premier édile Jacques Chirac, en poste depuis 1977, en profita pleinement : les
électeurs parisiens s’offrant à lui pendant plus de vingt ans, la capitale fût rapidement
représentée comme le laboratoire politique du patron du RPR. Il a transformé l’Hôtel de Ville
de Paris en un véritable outil politique, une «machine de guerre présidentielle» lui permettant
de rebondir après deux défaites à l’élection présidentielle (1981, 1988). A Paris, il amplifiait
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
114
son score de premier tour de 7 à 9%. Au-delà de priver la gauche de leurs postes
habituellement acquis de l’est parisien, son grand chelem de 1988 où il arriva en tête dans les
vingt arrondissements de la capitale, fût surtout le moyen de communiquer sur l’image
consensuelle d’un Maire de «tous les parisiens», des quartiers bourgeois aux territoires plus
populaires. Pour lui, la gestion municipale et la conquête de l’Elysée ne faisait qu’un. «Après
s’être bâti son réseau et réorganisé l’Hôtel de Ville autour de son dessein personnel, il a su se
construire une image de rassembleur, utilisée par exemple au cours des législatives de 1986
avec le slogan «Ce qu’il a fait pour Paris, il le fera pour la France» qu’il a par la suite
utilisée pour se vendre au pays tout entier» se souvient le journaliste d’investigation,
Dominique Foing. Une fois son entrée à l’Elysée entérinée, des premières fissures firent
immédiatement leurs apparitions dans la maison tenue par le RPR de la capitale depuis plus
de vingt ans. «Depuis cette époque-là, les Maires de Paris peuvent raisonnablement rêver à
leur tour d’un grand destin national» explique-t-il. Bénéficiant de l’état de grâce pendant les
quatre premières années idylliques de son mandat, l’actuel Maire de Paris Bertrand Delanoë a
lui aussi longtemps cru en son destin présidentiel.
Originaire de Tunisie et élevé dans le Larzac, le jeune Bertrand Delanoë «monta» à Paris dès
la fin de ses études, en 1974. Formé dans la pépinière du Parti Socialiste, il se fait rapidement
débaucher de son emploi de commercial chez Bitumes spéciaux pour intégrer Solférino où il
deviendra permanent, poste qu’il occupera pendant plus de dix ans. Dans le sillage de son
mentor, Lionel Jospin, il grimpa petit à petit dans l’organigramme du parti : porte-parole en
1981 alors qu’il n’a même pas trente ans, il devient numéro trois du parti en 1983 et pilote les
fédérations. Ayant autorité sur l’ensemble des investitures du PS et ne se voyant plus aucun
avenir à Paris qui se donnait corps et âme à Jacques Chirac, le jeune apparatchik en profita
pour se parachuter en 1986 à Avignon… où la greffe ne prit pas avec les notables locaux.
Lionel Jospin et François Mitterrand lui proposèrent d’autres circonscriptions mais
profondément marqué par cet échec, Bertrand Delanoë refusera. Après avoir démissionné du
PS tout en conservant un matelas électoral local, en l’occurrence son poste de Conseiller de
Paris qu’il est parvenu à conserver depuis 1977, il devient apporteur d’affaires pour le
publicitaire Daniel Robert. Le futur Maire de Paris profite alors de son carnet d’adresses pour
séduire des clients proches du pouvoir socialiste, comme les entreprises publiques Framatome
ou Thomson mais aussi le Ministre de l’Economie et des Finances et la Mairie de Nevers, du
temps de Pierre Bérégovoy. En parallèle, il vend des séances de media-training aux grands
patrons et aux personnalités politiques.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Mais décidément, la chose publique tenaille Bertrand Delanoë. Il fait discrètement son retour
en 1993 en prenant la tête de l’opposition au Conseil de Paris, dans l’indifférence générale.
Objectif ? Démontrer que Paris n’est pas la citadelle imprenable que les éléphants du PS et les
barons socialistes de l’est parisien imaginent. Tête de liste en 1995, cet ambitieux animal
politique empêche un nouveau grand chelem de Jacques Chirac et remporte même six mairies
d’arrondissement. Quatre ans plus tard, il publie un livre-programme intitulé «L’honneur de
Paris» où il épingle le clientélisme du clan tibériste et critique leur vision du tout-voiture :
sentant les aspirations des Parisiens évoluer, son vocabulaire s’enrichit de mots tels que
développement durable, tri sélectif ou économie responsable ! Bertrand Delanoë comprend
que les socialistes ne conquerront pas Paris en déroulant l’argumentaire traditionnel socio-
démocrate. Alors que seulement 6% des Parisiens le connaissaient avant qu’il ne lance sa
campagne, il est élu Maire de Paris le 18 mars 2001. Il tient sa revanche et se refait une
seconde jeunesse au sein du Parti Socialiste : son ami Lionel Jospin le réclame à ses côtés
pour mener campagne en province en 2002. Par opposition au système Chirac, il se construit
une image d’homme politique honnête et connaissant parfaitement ses dossiers dont il
récoltera les fruits sur le long-terme.
Son opération «Paris-Plage», qui consiste à transformer les quais de la capitale en station
balnéaire, est un succès copié dans différentes villes comme Prague, Berlin ou Bruxelles. Les
télévisions du monde entier sont intriguées par le premier édile de «Paris-sur-mer.» La Nuit
Blanche est tout autant reprise, et s’exporte jusqu’à Montréal et Schangaï. Fort de ses
réussites, il s’imagine aussitôt un destin présidentiable. Dans un entretien accordé en
septembre 2004 à Paris-Match, il annonce que «deux mandats à la tête de la Mairie de Paris
seraient un grand maximum.» Quelques lignes plus bas, il confie dans une prophétie qu’il
espère auto-réalisatrice croire les Français «capables d’élire un Président de la République
homosexuel.» Mais alors qu’il s’apprêtait à dévoiler ses ambitions en juillet 2005 pour
l’élection présidentielle du printemps 2007, la candidature de Paris, pourtant grande favorite
pour l’organisation des Jeux Olympiques 2012, ne fût pas retenue. Ravisé par cet échec et
constatant quelques mois plus tard que les élections municipales avaient été repoussées d’un
an, il ne daigna même pas prendre part aux primaires socialistes où une défaite aurait pu, par
ricochet, le gêner en vue de sa réélection à la Mairie de Paris. Il fit timidement campagne pour
la candidate investie par le Parti Socialiste, Ségolène Royal, en participant à une vingtaine de
meetings aux quatre coins de la France. Un moyen, pensait-il secrètement, d’élargir son
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
116
audience et de séduire au-delà du périphérique parisien. Incontestablement, il se voyait déjà
dans la course à l’Elysée pour 2012. Le journaliste du Journal du Dimanche Bertrand Gréco
révèle même que le nom du site internet «www.delanoe2012.fr» aurait été déposé via la
société d’hébergement OVH… le 30 janvier 2007, le même jour que son site officiel
«www.bertranddelanoe.net».
Après l’échec de Ségolène Royal à la magistrature suprême, Bertrand Delanoë compte utiliser
au mieux le tremplin «chiraquien» de Maire de Paris. Au cours de l’université d’été du Parti
Socialiste organisée à la Rochelle en 2007, il se vend comme l’homme providentiel.
Préalablement, il avait informé les journalistes de ses ambitions élyséennes, évoquant sa
stratégie d’être sacré au prochain congrès de Reims puis d’en tirer la légitimité pour s’imposer
comme le candidat naturel. Entre temps, Bertrand Delanoë fût réélu sans frayeur et ancra
encore un peu Paris comme une ville de gauche. «Contrairement à Gérard Collomb qui est
obnubilé par sa ville de Lyon, la grande affaire de Bertrand n’a jamais été Paris. Très vite, le
terrain de jeu de la capitale est devenu trop petit pour lui. Sa passion a toujours été la
politique, au sens de la conquête du pouvoir et non de la gestion des problèmes quotidiens»
confie Christophe Caresche, son ancien assistant parlementaire et aujourd’hui député de Paris.
Recevant tour à tour le soutien du premier secrétaire de l’époque François Hollande mais
aussi des anciens Premiers ministres Michel Rocard et Lionel Jospin, Bertrand Delanoë se
voit conforté dans les sondages qui lui confère le statut de favori. Homme pressé par son
ambition débordante, il va sauter une étape en publiant en mai 2008 son livre-campagne «De
l’audace», amené à servir aussi bien à la conquête de Solférino qu’à la lointaine élection
présidentielle. Erreur, s’il en est. Avant de tenter de recueillir les suffrages du peuple français,
le Maire de Paris aurait dû s’efforcer à convaincre les militants socialistes. Un extrait de son
livre où il explique que «le libéralisme est d’abord une philosophie politique et j’y adhère. Je
suis donc libéral ET socialiste» fera polémique, alors que les clignotants de l’économie
mondiale étaient au rouge durant l’été 2008. Par ailleurs, Bertrand Delanoë n’a pas su se
constituer un véritable réseau national pour préparer ce congrès de Reims : c’est tout juste s’il
pouvait compter sur les anciens jospinistes plus ou moins orphelins tels que Jean Glavany,
Harlem Désir ou Elisabeth Guiguou. Malgré un fort rejet des cadres du parti, Ségolène Royal
arriva en tête au premier tour, devant le Maire de Paris. Alors qu’il fallait trouver une majorité
alternative entre les motions arrivées derrière pour barrer la route à l’ex-candidate à l’élection
présidentielle, Bertrand Delanoë se découvrit nombre d’ennemis, de Dominique Strauss-Kahn
à Laurent Fabius… en passant par Martine Aubry qui s’imposera finalement et enfilera
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
117
ensuite le costume de Première secrétaire du PS, tandis que Bertrand Delanoë rentra dépité à
Paris. Selon Le Point112
, Laurent Fabius lui aurait confié peu après : «A Reims, plus que
Ségolène, c'est toi qu'on voulait écarter.»
B) Vers un duel interne à la majorité municipale ?
1) Socialistes et écologistes affûtent leurs armes en vue de 2014
l l’avait laissé entrevoir dès septembre 2004, fait campagne dessus en 2008 et encore
réaffirmé cet automne : Bertrand Delanoë ne veut pas donner l’impression de
s’accrocher à son poste et ne briguera donc pas de troisième mandat en 2014. Plusieurs
de ses proches lui ont demandé de réfléchir de nouveau à cette hypothèse, mais lui a pris sa
décision définitive. Il prépare même sa succession depuis déjà plusieurs années…
Si la préparation des élections municipales 2014 n’est pas officiellement ouverte, les
stratégies personnelles pour se faire une place sur la ligne de départ ont, elles, déjà débuté. Le
5 mai 2010, le Canard Enchaîné reproche à la «dauphine» de Bertrand Delanoë, Anne
Hidalgo, de financer son magazine de quartier «Objectif 15» avec des publicités achetées par
ses interlocuteurs en tant qu’Adjointe chargée de l’urbanisme (Bouygues, Unibail, Nexity,
Vinci, etc.) : une charge que beaucoup pensent provenir du «camp d’en face», en l’occurrence
de l’Adjoint chargé de la santé et député de Paris, Jean-Marie Le Guen, qui se présentait
devant la presse les jours suivants avec le journal satirique dépassant ostensiblement de sa
poche… C’est un fait. Jean-Marie Le Guen et Anne Hidalgo ne s’aiment pas. Lors de
l’inauguration de l’Institut du Cerveau et de la moelle épinière au mois de septembre suivant,
les deux adjoints de Bertrand Delanoë s’étaient laissé aller à un curieux manège, se disputant
ouvertement le micro pour discourir davantage que son ou sa rival(e). Les noms de Patrick
Bloche, et dans une moindre mesure de Christophe Girard et Jean-Pierre Caffet circulent
également dans les cénacles socialistes. La dernière séquence présidentielle aurait pu mettre
sur orbite l’un ou l’autre des candidats : déjà considérée comme l’héritière officielle, la porte-
parole de Martine Aubry, Anne Hidalgo, aurait mis toutes ses chances de son côté si la Maire
de Lille était entré à l’Elysée le 15 mai dernier. Tout comme Jean-Marie Le Guen, si
112
Le spleen de Bertrand Delanoë, Le Point, 9 décembre 2010.
I
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
118
Dominique Strauss-Kahn n’avait pas eu à affronter ses nouveaux déboires judiciaires. La
victoire finale de François Hollande ne donne l’avantage à aucun. D’autant plus que les seules
personnalités parisiennes entrées au gouvernement – Yasmina Benguigui, Georges Pau-
Langevin, Dominique Bertinotti – ne sont pas du tout engagées dans la course aux
municipales. «2014, ce sera un challenge puisque pour la première fois depuis 2001, nous
serons au pouvoir au niveau national» se félicite Rémi Féraud. Sans tomber dans un
pessimisme ambiant, les socialistes parisiens sont conscients que Paris s’est régulièrement
singularisé par rapport au pouvoir central : la capitale était communiste quand le reste du
territoire était radical ou socialiste, chiraquienne quand les Français élisaient et réélisaient le
Président Mitterrand, jusqu’à devenir rétive à l’extrême-droite alors que le lepénisme ne cesse
de gagner du terrain113
. «Ces responsabilités gouvernementales peuvent tout autant nous
aider en débloquant des chantiers comme la piétonisation des voies sur berges que nous
desservir, par exemple si le gouvernement est impopulaire : souvenez-vous des municipales
de 1983…Ma crainte, c’est que la gestion nationale soit difficile et que l’électorat de gauche
nous sanctionne par un vote Front de Gauche ou Europe Ecologie-Les Verts» anticipe
l’actuel patron de la fédération PS de Paris, Rémi Féraud.
Les différents acteurs engagés dans la succession de Bertrand Delanoë sont pour l’heure dans
le flou le plus total. Ils devraient y voir un peu plus clair à l’automne prochain, après le
Congrès du Parti Socialiste qui devrait se dérouler les 27 et 28 octobre 2012. En fonction des
résultats des différentes motions, les équilibres au sein de la fédération PS de Paris devraient
être impactés. Pour l’heure, Rémi Féraud n’a pas la majorité et est régulièrement remis en
cause, du fait de son faible poids politique face à des élus bien plus puissants que lui comme
Jean-Marie Le Guen, qui a occupé ce poste de 1993 à 2000, ou Patrick Bloche qui lui avait
succédé jusqu’en 2008. Il n’en reste que c’est le Maire de Paris, par l’intermédiaire de ces
proches depuis 2000, qui a structuré cette fédération PS de Paris et qu’un fort sentiment
légitimiste y règne encore aujourd’hui. «Elle est dévouée corps et âme au Maire et donc à
Anne Hidalgo» confie un militant pour qui «elle devrait probablement le rester : même quand
Delanoë est devenu minoritaire en 2008114
, elle est parvenue à rassembler un conglomérat
trans-courant pro-chefs, qui n’impose rien politiquement et va là où le vent souffle.» «Le jeu
n’est pas encore clair. Nous ne connaîtrons les modalités de désignation du ou de la
candidat(e) parisien(nne) qu’à la fin de l’année. D’ici là, personne mis à part les élus
113
«Paris, un enjeu capital» de Matthieu Jeanne, 2009. 114
A la suite du Congrès de Reims, en novembre 2008.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
119
concernés ne seront plongés dans les échéances municipales, chacun se déterminera quelques
jours avant le Congrès» explique un autre.
Le Maire de Paris veillant à ce que ses ouailles ne se déchirent pas et que sa succession
n’engendre pas de guerre fratricide a plaidé pour l’organisation d’une primaire parisienne,
tout en réaffirmant son soutien à sa première adjointe. L’idée avait initialement été évoquée…
par son ennemi, Jean-Marie Le Guen. Répétant à l’envie que «personne n’est propriétaire de
Paris, la compétition est légitime et elle aura lieu de toute façon», le baron du 13ème
arrondissement avait même émis l’idée d’ouvrir cette primaire aux écologistes, afin de
désigner un chef de file commun en vue de 2014. «Tout ce qui peut enrichir la gauche à Paris
est bienvenu, non ? Ces blocages socialistes engendrent du sectarisme, et ce n'est pas ce
qu'attendent nos électeurs» développait-il115
en visant sans la nommer Anne Hidalgo, fervente
opposante à l’arrivée de Cécile Duflot dans la capitale.
«Ce climat de divisions avant même que la guerre de succession ne soit officiellement ouverte
en inquiète plus d’un du côté socialiste, alors qu’une candidate écologiste d’envergure
nationale est pressentie pour se présenter : ils ne cachent plus leur fébrilité, de peur de devoir
à nouveau composer avec les écologistes après 2014» explique Marie-Anne Gairaud,
journaliste au Parisien. Un raisonnement qui pourrait affaiblir à terme le Parti Socialiste, selon
un militant : «le fait qu’il y ait de moins en moins de classes populaires à Paris nous pousse à
travailler d’abord avec nos alliés écologistes, plutôt que les communistes. Mais en attendant,
nous devons arrêter de paraître aussi fébriles et de craindre le rapport de forces. L’esprit
hégémonique de certains tuera le Parti Socialiste…» s’énerve-t-il, laissant entendre que la
guerre larvée entre les dissidents socialistes soutenus par Anne Hidalgo aient pu braquer une
partie de l’électorat commun entre Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les Verts. «Pour ma
part, je reste sur l’analyse de 2001, où la gauche a gagné en étant unie. Nos relations ont
toujours été conflictuelles mais tant que les écologistes ne remettent pas en cause
électoralement notre leadership parisien, il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure. Notre
priorité devrait être l’alliance et non le conflit» plaide le député de Paris Christophe
Caresche, par ailleurs défenseur de la création d’un parti social-écologique au Congrès de
Reims en 2008. A l’entendre, la concurrence en 2014 ne viendra pas de la droite encore
divisée et toujours pas en phase avec l’évolution sociologique parisienne, mais bien de la
115
Le Monde le 25 octobre : «L’arrivée de Duflot tend les relations entre le PS et les Verts»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
120
gauche. «Les bons scores écologistes aux européennes et aux régionales ont été pour les
édiles socialistes parisiens un signal ! Même s’ils avaient en tête que c’étaient des scrutins
locaux qui plus est à la proportionnelle, ils ont compris que le PS était à touche-touche avec
les écologistes… Ce qui s’entend au sein du groupe socialiste aujourd’hui, c’est qu’il n’y a
plus la place pour l’hégémonie du PS comme avant, que l’écologie n’est plus une anomalie
dans notre histoire politique. Mais de là à penser qu’ils seront un jour dépassés par les
écologistes, non, ils n’y pensent pas encore» livre Anne Le Strat, ancienne élue verte siégeant
aujourd’hui comme affiliée au groupe PS. S’ils ne craignent pas de perdre leur fauteuil de
Maire, ils s’inquiètent d’une percée des Verts au Conseil de Paris ayant pour effet de rogner
les marges de manœuvre socialiste.
Première adjointe depuis le retour de la gauche aux affaires parisiennes, Anne Hidalgo a les
faveurs du Maire de Paris. Au cours de sa première mandature, Bertrand Delanoë a d’abord
entretenu une saine émulation entre plusieurs de ses proches susceptibles de lui succéder, que
ce soit son fidèle lieutenant rencontré à l’Assemblée nationale Christophe Caresche, le
député-maire du 11ème
arrondissement Patrick Bloche ou sa principale collaboratrice depuis
2001, Anne Hidalgo. Longtemps moquée au cours de la première mandature pour sa
délégation du «bureau des temps»116
dont personne n’a jamais véritablement compris l’intérêt,
elle a mis du temps à s’imposer si tant est qu’elle y est parvenue. En tant que première
adjointe, Anne Hidalgo aurait en théorie dû assurer l’intérim pendant la convalescence de
Delanoë après son agression lors de la Nuit blanche en 2002. Dans les faits, il décidait sur son
lit d’hôpital tandis que Christophe Caresche, Patrick Bloche et son directeur de cabinet
Bernard Gaudillère exécutait les ordres. Elle en a été réduite à le remplacer dans les seules
tâches de représentation. «Ca remonte à loin» la défend son conseiller Hervé Marro, «la
situation n’est plus la même aujourd’hui, elle a su imposer son leadership» feint-il de croire.
Première étape selon lui : Anne Hidalgo est la seule proche de Delanoë à suivre son patron
dans son soutien entêté à une candidature qui ne verra jamais le jour de Lionel Jospin aux
primaires socialistes de 2006, alors que les deux autres s’étaient déjà affranchis et étaient
116 Cette innovation fût présentée comme une révolution destinée à offrir à chaque habitant «du temps pour bien
vivre sa ville» : «comme dans de plus en plus de capitale progressistes comme Berlin ou Barcelone, il s’agit de
travailler à l’allongement des horaires municipaux par exemple de la crèche qui est censée fermer à 18 heures
et bloque un certain nombre de parents» explique Anne Hidalgo dans son livre, «Une femme dans l’arène». Rien
de mal à cela donc. Mais «est-ce à la première adjointe d’une des plus grandes villes du monde de s’occuper
d’une mission de proximité comme celle-ci ?» se demandent ces détracteurs.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
121
tombés dans les bras de Ségolène Royal. Sans leur en tenir rigueur, du moins officiellement,
le Maire de Paris sera dès lors plus reconnaissant envers sa première adjointe. Alors que
Christophe Caresche n’est même pas convié dans l’exécutif et que Patrick Bloche a été prié de
quitter la tête de la fédération de Paris et du groupe socialiste au Conseil de Paris, Anne
Hidalgo hérite en 2008 d’un portefeuille cette fois-ci stratégique - avec l’architecture et
l’urbanisme - lui permettant de piloter des dossiers aussi emblématiques que l’aménagement
des voies sur berge ou la rénovation des Halles, et ainsi de «façonner le futur visage de
Paris.» Cheffe de file du PS dans la capitale lors des élections régionales, elle arrive devant
Europe Ecologie-Les Verts au premier tour et remporte le second avec près de 58%.
Néanmoins, elle ne rassure pas ses troupes qui pointe son «manque de sens politique.»
Mais Bertrand Delanoë continue à braquer dès qu’il en a l’occasion les projecteurs sur sa
première adjointe. «Elle a incontestablement ses préférences, mais cela ne lui confère pas un
avantage pour autant. Elle n’est pas libre, j’ai l’impression que sa fidélité l’empêche
d’exploser ! A moins que ce ne soit pour ne pas donner l’impression d’une ambitieuse pressée
de mettre à la porte le Maire qui a fait basculer Paris à gauche» témoigne une adjointe. Un
risque jugé comme suffisamment important pour la faire changer de stratégie depuis quelques
mois : alors qu’elle multipliait les signes d’intérêt en confiant au Parisien117
dès l’été 2009 «se
préparer à l’échéance de 2014» et que Bertrand Delanoë lui faisait «confiance pour prendre
la relève» ou encore en septembre dernier au Journal du Dimanche qu’elle pensait «à Paris
tous les jours, en me maquillant», elle cherche depuis à tirer sa légitimité non plus de son
adoubement par le Maire de Paris mais du travail effectué depuis 2008. «10% du territoire
parisien est actuellement en projet, cela montre bien à quel point nous sommes au travail» se
félicite Hervé Marro, proche d’Anne Hidalgo : «à Paris, beaucoup tentent de faire entendre
leurs petite musique avant. Mais nous, nous ne faisons pas de politique-fiction à perdre notre
temps sur la préfiguration de scrutins qui auront lieu dans deux ans… Notre priorité, c’est de
remplir les objectifs de la mission qui nous a été confiée, de livrer les projets en cours de
construction à temps et de répondre aux besoins concrets des Parisiens.»
Pour faire valoir ses intérêts pendant qu’elle «finit le boulot», Anne Hidalgo sait pouvoir
compter sur la fédération qui est depuis 2008 entre les mains non plus de son concurrent mais
d’un fervent delanoïste en la personne du Maire du 10ème
arrondissement Rémi Féraud, qui ne
117
Le Parisien, 5 juillet 2010 «Anne Hidalgo : «Sarkozy sature le paysage médiatique».
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
122
cache pas vouloir «aider Anne, mon soutien est de notoriété publique et c’est bien pour ça que
je suis parfois contesté.» Reste que la première adjointe s’est énormément investie au cours de
la campagne des élections législatives, soutenant activement la dissidence de Danièle
Hoffmann-Rispal pour empêcher une candidature de Cécile Duflot à Paris. Son objectif ?
Gagner les «pré-municipales» en stoppant la poussée écologiste entamée aux européennes
2009 et confirmée aux régionales 2010, faire des législatives l’étape numéro un de la contre-
offensive du Parti Socialiste. Ce fût un échec dans la mesure où la secrétaire nationale d’EE-
LV a finalement été élue. Elle a malgré tout permis de «montrer la réalité de Cécile Duflot,
qui n’est qu’une caricature d’apparatchik» selon Rémi Féraud. Une critique qui devrait servir
d’argumentaire à Anne Hidalgo si la Ministre de l’égalité des territoires et du logement est bel
et bien candidate, tant la première adjointe s’applique à se construire une image d’anti-
Duflot : après avoir subi des échecs aux législatives dans les 12ème
(2002) et 13ème
(2007)
circonscriptions de Paris, Anne Hidalgo a fait le choix de ne pas se présenter en 2012 pour
respecter le non-cumul des mandats. Autre différence entre les deux femmes, Anne Hidalgo
est implantée dans le 15ème
arrondissement, un territoire acquis à la droite, «une terre de
mission qu’elle fait progresser depuis 2001» se vante-t-elle, plutôt que de partir se faire élire
dans un territoire déjà ancré à gauche…
Mais avant de faire valoir ses atouts, la première adjointe au Maire de Paris incarnant à
merveille le renouvellement et la continuité de l’action de Bertrand Delanoë devra faire son
trou au Parti Socialiste. Ses détracteurs pointent du doigt le fait que François Hollande ait
obtenu 56% des voix aux primaires socialistes, dans «son fief du 15ème
arrondissement, alors
qu’elle était la porte-parole de Martine Aubry.» Son adversaire le plus virulent, Jean-Marie
Le Guen, met en garde contre le «syndrome Tibéri» faisant valoir que «les candidats naturels
chargés d’assumer l’héritage, ça ne finit pas toujours très bien.» Elle préfère plutôt la
comparaison avec Dilma Roussef, qui est parvenue à succéder au géant Lula au Brésil…
Reste que comme le font remarquer des mauvaises langues, ses treize années de première
adjointe pourraient l’handicaper si des chantiers comme Jean Bouin ou les Halles se
transforment en «boulet» ou si les critiques sur les rapports de la Mairie avec de grands
groupes refont surface. Ne s’étant pas encore imposé au sein du PS parisien, Anne Hidalgo
peut s’attendre à bien d’autres attaques. N’ayant occupé aucune fonction au sein de l’appareil
socialiste, elle peine à convaincre les caciques parisiens et donc à créer une dynamique autour
de sa candidature. Elle compte parmi ses soutiens uniquement de jeunes élus comme Seybah
Dagoma ou Bruno Julliard. «Avant d’être investi, Bertrand Delanoë avait également été
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
123
contesté» se souvient le journaliste Bertrand Gréco, «la seule chose que l’on peut dire, c’est
qu’aucun socialiste ne déchaîne aujourd’hui les passions pour lui succéder.» Si la logique
voudrait qu’elle devienne malgré tout la porte-drapeau du PS parisien, elle devra élargir son
cercle de soutiens au plus vite. «Plus une tête ne dépassera lorsqu’Anne Hidalgo finira par
être investie. Mais au préalable, elle doit faire ce travail politique en interne, pour rassembler
au-delà de ses jeunes soutiens arrivistes se réfugiant sous la coupe de la première adjointe»
prévoit une adjointe du Maire.
«Les querelles d’ambitions socialistes s’expliquent certes au niveau de divergences
idéologiques, mais surtout en fonction de querelles de personnes» explique Bertrand Gréco,
journaliste auteur du livre «Municipales 2008 : la bataille de Paris». En continuant ce
raisonnement, il apparaît que la rivalité naissante entre Anne Hidalgo et Jean-Marie Le
Guen… s’explique notamment par un facteur historique. Lorsque Georges Sarre quitta le Parti
Socialiste pour rejoindre le MRC de Jean-Pierre Chevènement en 1993, il dût abandonner le
poste de chef de l’opposition et de patron de l’appareil socialiste. Delanoë et Le Guen
s’accordèrent alors pour que le communicant désireux de faire son retour en politique hérite
de la présidence du groupe socialiste au Conseil de Paris, tandis que le second récupèrerait la
fédération de la capitale. Cet accord tacite laissa rapidement place à une concurrence effrénée
pour savoir qui des deux prendra le leadership sur le PS parisien : Bertrand Delanoë
construisait pas à pas son parcours pour devenir tête de liste du PS tandis que Jean-Marie Le
Guen œuvrait lui pour la carrière parisienne de Dominique Strauss-Kahn. Du moins jusqu’à
ce que leur mise en examen dans l’affaire de la MNEF en 1999 ne vienne les neutraliser.
Tandis que son mentor démissionnait du Ministère de l’Economie et des Finances et mettait
fin à ses rêves parisiens, Jean-Marie Le Guen fût contraint d’abandonner la fédération de Paris
où il s’était construit son réseau et ne participa pas à l’aventure victorieuse de 2001. Il
accusait dès lors un retard irrattrapable sur Bertrand Delanoë… sans pour autant oublier ses
ambitions. S’agaçant de l’habit d’héritière dont se drape Anne Hidalgo soutenue dans sa
démarche par Bertrand Delanoë, le désormais Adjoint à la Santé Jean-Marie Le Guen prit la
décision de partir en campagne le plus tôt possible.
Alors que ses adversaires sont coincés entre action municipale et campagne électorale, et
dissertent sur la citation de Baltasar Gracian - «la science du plus grand usage est l’art de
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
124
dissimuler»118
- Jean-Marie Le Guen ne se fait lui pas prier pour avancer ses pions en vue de
l’élection de 2014. Le camp socialiste en est conscient : les critiques les plus acerbes sur la
gestion delanoennienne de la capitale ou la crédibilité d’Anne Hidalgo viennent
invariablement de la bouche du député du 13ème
arrondissement parisien. A l’automne 2010, il
explique ouvertement dans une interview au Monde que «nous avons les acquis d'une bonne
gestion, d'une rupture politique et morale avec la droite chiraquo-tibériste, mais nous devons
porter une vision pour le Paris de 2020. Depuis 2008, on est dans la gestion. Il nous faut un
second souffle.» Ne bénéficiant pas de la même exposition médiatique ni du charme119
de son
adversaire, Jean-Marie Le Guen tente de se différencier par le projet.
Il réclame une vision à long-terme et essaie de mobiliser des chercheurs pour repenser la ville-
capitale, une rupture avec l’actuelle politique municipale. Rencontré alors qu’il sortait d’un
débat télévisé sur Public Sénat, il développa : «l’idée que Paris peut tout faire dans son seul
périmètre est dépassée, Paris n’est plus un projet en soi ! Nous ne sommes pas d’accord avec
Bertrand Delanoë sur ce point, il agit trop lentement. Or, l’avenir de la capitale passe par
une métropolisation la consacrant comme le cœur de ce Grand Paris.» Pour autant, il réfute
que son projet d’axer sa campagne sur le Grand Paris soit une stratégie pour coincer Anne
Hidalgo dans ses dossiers de première adjointe de Paris-intra-muros : «j’ai 58 ans et entame
mon cinquième mandat de député, je ne me bats plus pour mon ambition politique mais pour
118
Baltasar Gracian, L’Homme de cour, 1647. 119
Sans tomber dans la misogynie, l’atout charme a une utilité et doit être pris en compte en politique.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
125
consacrer mes idées. Il se trouve que je ne suis pas un spécialiste des parcs et jardins et
préfère sortir des logiques du petit Paris, ce n’est pas plus compliqué que cela.» Pour
acquérir plus de visibilité alors que son projet risque de ne pas être audible auprès d’une
grande partie des électeurs, il a décidé de lancer le club du «Grand Paris des citoyens» où il
mène d’ores et déjà campagne. Depuis mars dernier, cette structure de soutien s’est même
muée en micro-parti politique, habilité à récolter des dons auprès des électeurs.
Peu avant les élections régionales 2010, son nom fût cité à l’Assemblée nationale pour créer
un groupe intraparlementaire réunissant les quelques députés écologistes et des socialistes à la
fibre environnementale : «Il y a un vrai sens politique à mener des discussions, à un
rapprochement entre la pensée socialiste et la pensée écologiste» expliquait-il alors à
L’Express, «jusqu'ici, le PS n'a pas clairement pris ses distances avec le productivisme et le
consumérisme. Maintenant, il existe des divergences de fond avec les Verts. Même si je suis
conscient des dangers du nucléaire, je ne vois pas aujourd'hui comment nous en passer.»
C’est l’autre particularité de Jean-Marie Le Guen : sous son image austère, il tient un discours
relativement moderne sur l’écologie politique… et donc l’implantation parisienne de Cécile
Duflot. «Ce n’est pas gênant en soi. Il faudra de toute façon une fusion des aspirations
socialistes et écologiques des Parisiens. Cela peut se passer après le premier tour des
municipales ou bien dans le cadre d'une primaire commune avec Europe Ecologie-Les Verts»
raisonne-t-il120
. Au point d’être accuser de vouloir favoriser la secrétaire nationale d’EE-LV
pour mieux déstabiliser sa rivale socialiste, Anne Hidalgo.
Le député-maire du 11ème
arrondissement de Paris Patrick Bloche se tient en embuscade, prêt
à surgir si le duel Hidalgo / Le Guen tourne mal. Premier secrétaire du PS parisien pendant
huit ans, patron du groupe socialiste au Conseil de Paris au cours de la première mandature,
puis directeur de campagne de Bertrand Delanoë en 2008, Patrick Bloche a longtemps œuvré
au cœur du dispositif du Maire de Paris. «C’est incontestablement celui qui possède le réseau
interne le plus puissant à Paris, il a quasiment occupé tous les postes même s’il ne s’en vante
pas» explique un militant de son arrondissement. Dans l’édition de Libération du 30
septembre 2011, il n’excluait pas la possibilité de se présenter - «je ne vais pas vous dire que
le job de maire de Paris n'est pas un job intéressant. Mais je suis incapable de vous dire
aujourd'hui si je serai dans le jeu ou hors-jeu» - sans pour autant s’affirmer publiquement
comme candidat. Autre personnalité du PS parisien à cacher admirablement son jeu, il s’agit
120
L’Express : « Fillon, Dati, Duflot, Hidalgo… Objectif Paris »
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
126
de l’ambitieux Adjoint au Maire en charge de la culture depuis 2001, Christophe Girard. Si
peu le voient enfiler le costume de Maire de Paris, l’ancien Vert inventeur de la Nuit Blanche
et de Paris-Plage s’efforce toutefois de s’en donner les moyens… au cas où. «Je suis porteur
d’un héritage de Bertrand Delanoë depuis des années, et je suis loyal vis-à-vis de la première
adjointe. Anne Hidalgo est la mieux placée, mais rien n’est jamais écrit pour personne»
confiait-il à L’Express à la fin de l’été dernier. Depuis, ce directeur de la stratégie de LVMH
continue à réunir ses troupes grâce à son club baptisé Réel (réalité, égalité et liberté). Lors de
notre entretien en avril dernier, il me confiait qu’il était «trop tôt pour savoir si je serai
candidat. Il faudra attendre de voir de quoi seront faits les premiers mois de l’année 2013,
c’est là que les choses se décanteront…» avant de se reprendre, «mais je crois aussi beaucoup
aux dynamiques des additions.»
« Comme en 2010 où Anne Hidalgo avait affirmé que son objectif était d’arriver devant
Europe Ecologie-Les Verts dans la capitale121
, le PS parisien n’a cessé de paniquer ces
deniers mois en vue des élections municipales 2014, accréditant une nouvelle fois que le
dépassement est possible» interprète Jean-Marie Bouguen, collaborateur du président du
groupe écologiste au Sénat, Jean-Vincent Placé. Au regard de leur électorat traditionnel
urbain, des évolutions de la sociologie parisienne et des résultats des élections précédentes
dans la capitale, Europe Ecologie-Les Verts entend frapper un grand coup à Paris. «Ce n’est
que l’application de leur nouvelle logique électorale, dans la capitale comme au niveau
national : s’inscrire comme une force politique de gauche mais se présenter de façon
autonome afin de mieux négocier au second tour» explique Rosalie Lucas, journaliste
couvrant la gauche gouvernementale pour le compte du Parisien. Lors des récentes élections
législatives, le parti écologiste a tenté de faire naître une dynamique en vue des prochaines
élections municipales, en présentant des candidats dans l’ensemble des circonscriptions et en
obtenant finalement deux députés parisiens, Cécile Duflot et Denis Baupin, dans des
arrondissements stratégiques. De quoi nourrir leur ambition pour l’avenir….
Car de l’ambition, ils en ont. Ils ne font plus mystère des vues qu’ils portent sur la citadelle
parisienne : «remporter l’Hôtel de Ville dès 2014 est quelque chose de faisable» affirme sans
sourciller le porte-drapeau des Verts en 2001, Yves Contassot. Ils ne souhaitent plus être la
chambre verte de la maison rose et ont récemment été confortés dans leur choix. Plusieurs
121
Interview au Parisien le 4 janvier 2010 : «notre objectif, c’est d’être devant les Verts.»
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
127
donnes ont en effet changées depuis les dernières élections municipales. En 2008, leur
stratégie d’autonomie alors que l’action du Maire de Paris était dans sa grande majorité
appréciée était apparue comme contre-productive. «Au vu de l’actuel mandat de Bertrand
Delanoë et de nos nombreuses divergences, nos velléités d’indépendance devraient être mieux
acceptées...» lance un cadre d’EE-LV Paris. «Nous sommes beaucoup plus libres aujourd’hui.
Il y a six ans, nous étions associés sur nombre de dossiers rendant l’autonomie
schizophrénique, alors qu’aujourd’hui nous nous sommes singularisés sur de nombreux
dossiers» renchérit un militant. Autre avantage, se différencier ne pourra plus être considéré
comme une «trahison» dans la mesure où le Maire de Paris laisse sa place : les compteurs
seront remis à zéro. «A nous désormais de montrer qu’un Maire écologiste changerait tout,
qu’il n’y aurait pas un milliard d’argent public injecté pour un centre commercial ni 200
millions pour la rénovation d’un vieux stade. Par contre, que nous aurions pu réduire de 2/3
la consommation énergétique et donc les émissions de Co2 des bâtiments municipaux,
(écoles, piscines, etc…) pour la moitié du prix de la rénovation des Halles» explique Hervé
Morel, d’EE-LV Paris. Depuis les dernières élections européennes où les écologistes ont
doublé le Parti Socialiste, les élus parisiens de la majorité les prennent davantage au sérieux.
«Cette fois-ci, ils pourront compter sur une base sociologique qui leur est largement
favorable, et aussi profiter, du moins en partie, de notre guerre de succession» explique le
fondateur du pôle écologique au Parti Socialiste, Christophe Caresche. «Les guerres intestines
à la gauche font partie des divisions à prendre en compte, il faut se souvenir que Bertrand
Delanoë a été élu sur les divisions de la droite» rappelle un cadre d’EE-LV Paris, pour qui «il
ne faut pas construire là-dessus mais faire preuve d’intelligence politique et savoir tirer profit
des circonstances.» Dernier élément à prendre en compte, et non des moindres lorsqu’il s’agit
d’un scrutin parisien, le contexte national. L’année 2014 sera synonyme d’élections
intermédiaires pour la gauche au pouvoir. S’ils veulent faire une performance en 2014, les
écologistes doivent veiller à ne pas apparaître comme un satellite du Parti Socialiste, avec qui
ils viennent de passer des accords largement commentés. «Il va y avoir un subtil équilibre à
trouver entre solidarité de majorité et fidélité aux idées» reconnaît Jean-Marie Bouguen.
«Sous-entendu : les écologistes parviendront à mettre en scène une participation
gouvernementale un peu conflictuelle afin de retrouver des marges de manœuvres» décrypte
Ian Brossat, président du groupe communiste au Conseil de Paris.
«Pour parvenir à nos fins, nous avons un an pour faire naître l’idée qu’élire un Maire
écologiste est désormais possible à Paris, cette éventualité doit germer du second semestre
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
128
2012 à l’été prochain. C’est très important parce qu’il faut qu’à l’automne 2013, nos deux
forces soient équivalentes. S’il y a un écart de 1 à 10 – comme lors des précédentes
municipales – l’affaire est pliée d’avance» détaille Hervé Morel, patron d’EE-LV Paris.
«Pour espérer dépasser le PS, nous devrons avoir bien travaillé notre projet et ne pas nous
contenter de nos postures traditionnelles : il est nécessaire de s’adresser à tous les Parisiens
pour gagner, et pas seulement à notre base électorale déjà séduite» avertit Adrien Saumier,
militant du 13ème
arrondissement. Autrement dit, ne pas seulement s’adresser aux associatifs
environnementalistes administrant et cultivant des jardins partagés ou aux membres d’une
AMAP ayant créé des circuits-courts en partenariat avec un agriculteur pour se nourrir de
façon saine. «Concrètement, si nous décidons de piétonniser la place d’Italie ou celle de la
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
129
Bastille, nous ne devons pas oublier pour autant l’économie locale et les commerçants qui
pourraient voir cette opération d’un mauvais oeil» illustre-t-il. Epousant l’analyse d'Antonio
Gramsci selon laquelle « le pouvoir se gagne par les idées », il demande à Europe Ecologie-
Les Verts de s’offrir une mue intellectuelle et qu’un projet élargi accompagne leurs nouvelles
ambitions électorales. Son appel pourrait avoir été entendu par le prochain secrétaire national,
Pascal Durand. Celui-ci livrait dans une interview à Mediapart le 15 juin dernier122
que «nous
ne sommes pas assez vus comme porteurs d’un projet alternatif et crédible. Il va falloir
profiter de ces mois sans élection pour mener une réflexion et ouvrir un grand débat public
sur le nouveau cycle qui s’ouvre désormais pour l'écologie politique ; un débat intellectuel
afin de nous fédérer autour de ce qui nous rassemble, le projet et les idées, pour en tirer ce
qui sera le plus utile pour la société.» «A Paris, nos commissions de travail sont actives
depuis la rentrée de septembre 2011» se vante Hervé Morel. «Le projet 2008 comprenait 83
pages et était découpé par thématiques… alors que l’écologie, c’est justement une vision
globale. Pour 2014, nous préparons un projet à deux échelles, répondant à ce qu’est une
métropole écologiste au 21ème
siècle tout en déclinant ce que cela changerait très
concrètement, point par point, pour les habitants. Le seul moyen de gommer les clivages et de
lier les modes de vies différents entre tous les arrondissements, c’est de présenter un fil
directeur : le nôtre sera la construction d’une ville robuste et capable de résister aux crises
économiques et sociales qui sont encore devant nous, avec des adaptations concrètes, qui
parlent à tous.» Selon lui, leur crédibilité passera par la richesse de leur projet, «il ne suffira
pas d’évoquer les problèmes de transports ou de santé, mais aussi d’avancer des solutions en
matière de logement et de développement économique» plaide-t-il, afin de «récolter les fruits
de nos treize années de participation à la gestion de l’exécutif municipal.»
Dès lors, il ne manque plus… qu’un candidat aux écologistes parisiens. «S’ils ont un bon
candidat comme Daniel Cohn-Bendit, qui puisse rassembler au-delà du seul électorat Vert,
les écologistes pourraient gagner Paris» reconnaît le socialiste Christophe Caresche. Mais
«mis à part Brice Lalonde en 1977, nous n’avons jamais eu de personnalités écologistes à
Paris. Et nous n’en avons toujours pas aujourd’hui : le président du groupe au Conseil de
Paris n’impose rien, Denis Baupin n’a pas su rebondir après son échec de 2008 et Yves
Contassot souffre de son image de vieux Vert de la première génération» souffle un conseiller
régional (EE-LV) d’Ile-de-France. «Les écologistes parisiens n’ont jamais su faire émerger
122
Pascal Durand : « Etre au gouvernement ou au Parlement ne doit rien changer à nos convictions »
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
130
de leader à Paris» susceptible de mettre en danger le Parti Socialiste, «mais Solférino vient de
les y aider activement» peste Rémi Féraud, le patron PS de la fédération de Paris.
L’implantation de Cécile Duflot dans l’est parisien au cours des dernières élections
législatives est en effet pressentie comme une première étape avant une candidature à la
Mairie de Paris. «Elle a flairé le bon coup. Il y avait un vide intersidéral dans notre parti
alors que des divisions socialistes s’annoncent, le tout recoupé avec les derniers bons scores
écologistes sur la capitale et correspondant à ses nouveaux objectifs, elle n’a pas hésité une
seconde» observe Jean-Marc Pasquet, l’ancien patron des écologistes parisiens. Mais
jusqu’ici, la nouvelle Ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement n’a jamais confirmé
les bruits lui prêtant l’intention de briguer la succession de Bertrand Delanoë. L’automne
dernier, Cécile Duflot entretenait le suspens123
: « Je ne dis pas 'non' ni 'oui' ; je sais que ce
sujet agite beaucoup de mes amis, je ne le prends pas avec légèreté. Les municipales sont une
échéance majeure pour nous en termes de stratégie globale, pas seulement sur un plan
personnel. Mais aujourd’hui, j’ai d’autres choses à faire qu’à m’intéresser à mon cas, ça
viendra...» Désormais qu’elle a hérité de ce super-Ministère lui permettant de «penser global»
sur l’aménagement du territoire, la politique de la ville mais aussi et surtout le Grand Paris et
le logement, la question se pose de savoir si elle a envie de le lâcher deux ans après pour «agir
local» dans la capitale ? Si elle décide de participer à la bataille de Paris, elle pourra
incontestablement tirer une légitimité de son activité ministérielle. Ses priorités d’ici 2014
sont d’ores et déjà connues : il s’agit de réfléchir avec les différents acteurs métropolitains à la
suite à donner au Grand Paris tel que l’a conçu l’ancien Président Nicolas Sarkozy d’une part,
et de faire voter une loi sur l’encadrement des loyers qui devrait permettre de fixer des prix
moyens de location en zone tendue d’autre part. Des dossiers qui pourront venir nourrir son
projet pour la Ville de Paris… ou pas. Sa récente nomination au gouvernement renforce le
sentiment d’Yves Contassot que «les élections législatives étaient indépendantes des
municipales, et que son implantation n’a pas forcément d’incidence sur la tête de liste
écologiste pour 2014.»
«Cécile Duflot souhaitait simplement une circonscription assurée où elle ne serait pas
menacée dans sa réélection en 2017, même dans l’éventualité où la droite ferait son retour.
Elle a désormais un matelas électoral dont elle ne disposait pas à Villeneuve-Saint-Georges.
Après, s’il y a une fenêtre de tir pour les municipales, elle devrait se présenter mais ce n’est
123
Cécile Duflot à Paris ? « Je n’exclus rien », le 17 novembre dans le JDD
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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pas sa priorité… » décrypte une sénatrice socialiste de Paris. Sa décision se fait attendre. Aux
yeux de beaucoup d’élus écologistes parisiens, sa candidature serait la seule capable de
provoquer le dépassement. «Nous sommes conscients que si nous décidons de continuer nos
chamailleries entre nous, ce sera pour négocier des postes d’adjoints au Maire PS tout au
plus. Alors que la dynamique que Cécile Duflot pourrait apporter est incroyable» plaide
Hervé Morel, qui y voit le moyen concret de faire franchir une nouvelle étape à l’écologie
politique. Il est vrai que dans les campagnes municipales parisiennes surmédiatisées, les
candidats écologistes n’ont pas toujours réussi à se faire entendre. Nul doute qu’en excellente
communicante, Cécile Duflot rendrait audible les propositions d’EE-LV Paris. Lorsque le
cabinet Vae Solis a posé la question «quel est le meilleur communicant de la scène politique
française ?» à 56 journalistes en février dernier, ces derniers n’ont désigné ni Nicolas
Sarkozy, ni François Hollande et encore moins Bertrand Delanoë mais… «Cécile Duflot : elle
donne l'impression d'une "Sarkozy" au féminin, car elle a un vrai potentiel et sait retomber
sur ses pattes (…) Elle fait preuve d'une vraie agilité intellectuelle et apporte toujours une
réponse à la question qui lui est posée.»
Reste que si elle veut imposer une majorité verte à l’Hôtel de Ville, elle doit en premier lieu
convaincre… les militants écologistes. «J’ai été sollicitée par les militants écologistes
parisiens pour être candidate aux législatives. Ça correspondait aussi à un moment de ma vie
où je pouvais avoir envie d’une nouvelle aventure politique. Donc ça tombait bien» justifiait-
elle à l’époque au site Le75011.fr. Sauf qu’elle n’a pas été plébiscitée : seuls 34 militants ont
voté pour Cécile Duflot (43 votants, 155 inscrits) lors de la consultation interne sur la 6ème
circonscription. Si l’accord qu’elle a signé avec le Parti Socialiste leur permet pour la
première fois de leur histoire de se faire entendre à l’Assemblée nationale, si elle a su
ressouder et rénover un parti qui explosait sous Dominique Voynet, si elle a su
professionnaliser un mouvement au point qu’un phénomène d’acceptation des leaders soit
aujourd’hui perceptible, Cécile Duflot ne fait pas pour autant l’unanimité parmi la base et
notamment les militants tendance cohn-bendistes. L’ex-militante du 11ème
arrondissement
Alice Le Roy, qui s’est présentée contre elle en interne pour l’investiture législative, estime
qu’elle fait «glisser l’écologie politique vers une sorte de Parti Radical de Gauche vaguement
protestataire. Elle s’est négociée sa place en faisant de la politique alimentaire sur le dos des
idées, sans cliver. Or, elle ne peut pas raconter une histoire sur le politique autrement et faire
tout son contraire. C’est une stratégie gagnante à court-terme pour elle mais perdante pour
le parti à moyen-terme» lui reproche-t-elle.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
132
La bande à Duflot contestée
Rongés en leur être intérieur, cadres comme militants sont à la fois reconnaissants que Duflot les aients conduits au pouvoir, et tout autant profondément déçus de ses dérives «léninistes.» Si le co-fondateur et trublion d’Europe Ecologie-Les Verts, Daniel Cohn-Bendit a attendu la fin de la campagne législative pour dénoncer «l’arrivisme» de la secrétaire nationale, le candidat éphémère des Verts à la présidentielle 2002, Alain Lipietz, a lui haussé le temps dès les premiers mois de 2012 : à l’écouter, la direction du parti écologiste est un «bunker tenu par la bande des quatre (Duflot, Placé, Sitbon-Gomez, Braud), qui ont le profil des Jeunes Socialistes arrivés trop tôt en politique. Moi en 1968, je rêvais d’être Prix Nobel, alors que Cécile Duflot est prête à vendre père et mère pour devenir Ministre» lâchait-il au site Rue 89. Dans un référé au langage plus policé rendu le 4 mai dernier, le Tribunal de Grande Instance de Paris ne disait pas autre chose : «le conseil fédéral devra établir un nouveau scénario des candidatures aux législatives 2012. Le courant Envie a obtenu plus du quart des voix lors des élections internes et le conseil fédéral ne leur a accordé qu ’un sixième des investitures», alors que les statuts EE-LV lui imposait de les répartir équitablement entre les différentes motions. Selon le juge, le courant Maintenant de Cécile Duflot se serait en parallèle attribué plus de circonscriptions gagnables que ne le lui permettait son poids interne. La direction ignorera ce cette décision, malgré les protestations de militants dénonçant «du clientélisme de la part d’une direction qui a trop promis de postes, et qui du coup est obligée d’écraser les minorités pour récompenser les fidélités et conserver le pouvoir.» «N’importe quelle organisation a ses perversités» se défend Cécile Duflot, pour qui il faut cependant «une infrastructure pour se présenter aux élections. C’est bien qu’il y ait beaucoup de grands penseurs, mais si cela ne fabrique pas, cela n’existe pas. Moi, je suis quelqu'un qui veut que cela se traduise opérationnellement.» Selon la secrétaire nationale, il est nécessaire de se professionnaliser et de s’organiser dans un parti, avec les affres qui en découlent. Et convainc sur ce point son habituel détracteur, le polytechnicien Alain Lipietz, qui reconnaît un pêché originel à tout parti politique, du fait de «la structure du pouvoir, mais aussi de celle de l’esprit humain : toute mystique tend à dégénérer en religion, puis en bureaucratie, puis en simple enjeu de pouvoir. On peut inventer des moyens d’enrayer ce processus, le ralentir, parfois le renverser mais c’est une tendance inévitable» écrivait-il dans son ouvrage «Qu’est ce que l’écologie politique ?» en 2003. Même son de cloche dans le documentaire «La saga des écolos» où la candidate aux présidentielles de 1995 et 2007 Dominique Voynet donne raison à Cécile Duflot : «soit on considère qu’un parti politique, c’est un lieu dans lequel des gens mal de leur peau vont chercher un sens à leur vie, etc. Soit alors, on considère que c’est pour faire ce à quoi sert un parti politique, c’est-à-dire conquérir le pouvoir, si possible le garder, pour transformer vraiment les politiques publiques et alors changer la vie !» Seul hic, la colère des quelques militants parisiens est davantage nourrie par un bilan moins flatteur qu’il n’y parait. Si EE-LV n’a jamais été aussi fort institutionnellement grâce à une stratégie efficace à mettre au crédit de Cécile Duflot, le parti écologiste n’en reste pas moins structurellement fragile. Hors résultats obtenus par les candidats de l’union pour la majorité présidentielle (soutenus par le PS), les écologistes n’ont totalisé que 3,9% des voix au premier tour des élections législatives (6% à Paris). De faibles scores autonomes qui seraient une conséquence directe de la satellisation au PS. Autre effet secondaire de l’alliance avec le Parti Socialiste : l’hémorragie qui touche les troupes écologistes, déjà peu nombreuses d’habitude. Après une vague de défections enregistrées vers le Front de Gauche au cours de la dernière campagne présidentielle, le nombre de militants EE-LV serait passé de plus de 15.000 fin 2011 à moins de 10.000 en juin 2012, selon Libération. Cette même année, le taux de ré-adhésion au sein de la coopérative – une structure souple de sympathisants et non de militants – ne serait lui que de 5%...
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
133
D’autres comme Adrien sont plus partagés : «son implantation à Paris se justifie puisque son
ambition sert la stratégie du parti et les écologistes parisiens. Mais cela aurait pu se faire
d’une autre manière sur la forme : j’aurais préféré qu’elle soit un peu plus présente à Paris
ces derniers temps, ailleurs qu’à La Chocolaterie124
. Je ne lui demandais pas de faire
l’ensemble des marchés en plein hiver, simplement, ne pas déléguer tout le boulot à des porte-
flingues locaux de son courant aurait été le bienvenu.» Lui, comme d’autres, a signé la
motion «Objectif Paris», un courant essentiellement porté par des militants qui a obtenu plus
de 40% des suffrages à la dernière assemblée générale d’EE-LV Paris : ils ne s’opposent pas à
l’investiture de Cécile Duflot mais lui demandent de s’investir en retour sur le terrain, de
réfléchir «de façon collective et de ne pas seulement suivra les conseils de son politburo
composé de Jean-Vincent Placé et Stéphane Sitbon-Gomez. Nous avons bien compris la leçon
de 2008 et ne repartirons pas dans des guerres intestines, mais il faut que Cécile Duflot sorte
de sa tour d’ivoire.»
Ils réclament une primaire au sein d’EE-LV Paris où ils réfléchissent à envoyer leur candidat
contre «l’establishment des élus, coupés de la base» selon leurs mots. Il pourrait
éventuellement s’agir de Jean-Marc Pasquet, conseiller régional d’Ile-de-France et ancien
patron des Verts Paris. A moins que celui-ci n’apporte directement son soutien à Jacques
Boutault, autre prétendant à l’investiture interne mais misant lui sur une action de proximité.
«A ma petite échelle, j’ai démontré que des écologistes pouvaient être capables de gérer un
exécutif municipal» se vante le maire du 2ème
arrondissement de Paris depuis 2001. Lui qui a
annoncé sa candidature à l’Hôtel de Ville dès mai 2010 s’efforce aujourd’hui d’apparaître aux
antipodes de la carrière politique de Cécile Duflot. «On doit faire de la politique là où l’on vit,
là où l’on travaille» estime celui qui a gardé une activité à mi-temps au sein de Pôle emploi,
où il est en charge du développement durable : «la politique, ce n’est pas un métier. Il est
indispensable que les politiques soient en contact avec la vraie vie», lance-t-il encore… «Il y
aura de toute façon un débat interne chez les écologistes parisiens, pour trancher la
question : est-ce un militant historique qui a accédé depuis dix ans à des responsabilités
locales importantes qui doit porter les couleurs de l’écologie politique à Paris, ou doit-on
privilégier le spectacle politique avec une candidature plus symbolique, susceptible de mieux
drainer une adhésion ? Car si Cécile Duflot ne se présente pas, il y aura nécessairement un
élu avec une dimension nationale qui voudra récupérer sa place, que ce soit Yannick Jadot ou
124
Le nom du siège des écologistes.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
134
Augustin Legrand» parie-t-il. «L’hypothèse de présenter Jacques Boutault serait séduisante…
s’il n’avait pas l’ombre de Cécile derrière lui. Il est notre meilleur second choix» estime pour
sa part Hervé Morel, qui estime que la probabilité de voir Europe Ecologie-Les Verts
devancer le Parti Socialiste en 2014 serait moindre si Cécile Duflot n’était pas candidate.
Rendre crédible l’hypothèse d’un dépassement à l’intérieur de la majorité plurielle gérant la
ville-capitale aurait «un impact énorme pour l’écologie : les campagnes municipales de Paris
ont un écho national, cela pourrait créer une dynamique positive partout en France qui
affirmerait les élus écologistes comme des challengers du PS sur l’ensemble du territoire»
espère Yves Contassot. En réalité, c’est probablement plus cet objectif de peser davantage qui
les pousse à mettre sous pression le PS parisien que le doux rêve de s’asseoir directement
dans le fauteuil de Bertrand Delanoë. Du propre aveu de certains acteurs de premier plan,
c’est avant tout «une posture permettant de motiver les troupes. Le vrai objectif sera de faire
une percée au Conseil de Paris et d’emporter deux ou trois nouvelles Mairies, parmi celle du
3ème
, du 5ème
, du 10ème
, du 11ème
voire du 18ème
ou du 20ème
arrondissement.» «Si je vous disais
que Duflot ou Boutault serait Maire de Paris en 2014, vous diriez que je délire et vous auriez
des raisons de le penser : c’est structurellement peu probable. Mais se positionner ainsi nous
crédibilise, nous met en capacité d’accéder à des responsabilités encore plus importantes.
Est-ce que ce sera suffisant pour arriver en tête en 2014 ? Nous verrons bien, et sinon, ce
sera pour 2020 ! Quoiqu’il en soit, cette stratégie devrait nous permettre de poser les bases
d’une écologie politique puissante et de gommer nos faiblesses structurelles» argumente le
Maire du 2ème
arrondissement, Jacques Boutault.
2) Paris peut encore réserver bien des surprises
Au cours de la campagne présidentielle, Bertrand Delanoë a semblé hésiter entre son poste de
Maire de Paris et une nomination au gouvernement, en cas de victoire de François Hollande.
«J'ai été élu jusqu'en 2014 et je pronostique que je vais être maire de Paris jusqu'à cette date.
Maintenant je ne sais pas ce qu'il va se passer en 2012… Il faut savoir que l'on est dans une
période où il y a parfois des gouffres qui s'effondrent sous vos pieds et qu'il ne faut pas être
égoïste. Je ne dois pas non plus refuser d'aider» expliquait-il dans une interview au journal
gratuit Métro125
. Selon son adjointe Pascale Boistard, «il est tiraillé envers cette possibilité et
125
16 décembre 2011 : «Delanoë se lâche pendant son chat » sur Metro
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
135
celle de devoir lâcher son fauteuil de Maire de Paris. C’est son bébé…» Mais au fur et à
mesure que les chances de voir un second socialiste entrer à l’Elysée grandissaient, celui qui
n’a jamais occupé de poste d’envergure nationale ne cachait plus son intérêt pour occuper un
ministère régalien (Justice, Affaires Etrangères) : alors que sa première adjointe Anne Hidalgo
continuait à se battre corps et âme pour empêcher la venue de Cécile Duflot dans la capitale,
Bertrand Delanoë a lui brusquement fait machine arrière, acceptant même de rencontrer la
secrétaire nationale d’EE-LV en février. Car si cet «élu des grandes conquêtes est persuadé
qu’Anne Hidalgo fera moins bien que lui» selon un membre de son entourage, il enrage à
l’idée que Cécile Duflot puisse lui succéder. Dans ses plans, cette attitude conciliante et
constructive lors des législatives devait lui garantir une entrée au gouvernement le
contraignant de céder immédiatement son fauteuil à sa première adjointe, qui gagnerait dès
lors en exposition à la fois politique et médiatique. Mais malgré son volontarisme affiché,
Bertrand Delanoë ne fût pas récompensé le 16 mai au soir. Alors le 3 juin sur Canal +, il
décida de se faire plus clair : «Je suis maire de Paris, j'ai des devoirs et je les fais en étant
très heureux. Mais en même temps je ne suis pas indifférent à la réussite du quinquennat de
François Hollande. Si d'autres hypothèses [d’entrer au gouvernement] existent à un moment
donné, nous les étudierons.» Un appel du pied qui restera lettre morte : il ne fera pas partie
des quatre nouveaux ministres nommés le 21 juin. Un confidentiel du Journal du Dimanche
explique que le Président de la République nouvellement élu a préféré s’entourer de
«techniciens que de politiques» en mettant «les grandes gueules dont Delanoë dehors.» Ce
soir-là, Bertrand Delanoë décida de réunir ses troupes pour tirer les enseignements de la
séquence électorale et évoquer ses conséquences sur la capitale. Au menu donc :
l’implantation de Cécile Duflot et l’installation durable de François Fillon, qui pourraient
rebattre les cartes en vue des élections municipales 2014. «Des partisans du maire de Paris
comptent bien mettre les pieds dans le plat ce soir : Anne Hidalgo peut-elle toujours succéder
à Bertrand Delanoë ?» écrit l’hebdomadaire Le Point, qui révèle l’information. La première
adjointe est-elle la mieux placée pour barrer la route de Cécile Duflot ?
Le PS parisien s’apprête à vivre une période de turbulences mais les écologistes ne
parviendront pas forcément à en profiter pour leur ravir le fauteuil de Maire de la capitale. Car
le rapport de forces entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les Verts ne mêle pas
seulement des ambitions et des stratégies politiques, mais aussi des réalités. «Le dépassement
est impossible, ne serait-ce que pour des raisons structurelles» croit savoir Thomas Antoni,
militant socialiste du 14ème
arrondissement. «Ils n’ont quasiment pas de troupes militantes au
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
136
point que l’on nous demande de faire campagne pour leurs candidats soutenus par Solférino
aux législatives» explique-t-il. En effet, EE-LV Paris peine à dépasser le millier d’adhérents
au niveau parisien126
quand le Parti Socialiste de la capitale peut compter sur 10.000 encartés,
dont environ 7.000 militants actifs. A la veille d’une campagne, cette guerre des chiffres n’est
pas seulement symbolique.
Le fait que le PS ait encore une tradition militante et qu’il soit visible sur les marchés ou aux
métros peut rassurer l’électeur, notamment dans un scrutin de proximité. Le réseau
médiatique d’EE-LV, dont les leaders apparaissent régulièrement à la télévision, ne sera pas
forcément suffisant pour remporter une élection municipale. Surtout, cette faiblesse militante
pose un problème organisationnel : tandis que les statuts du Parti Socialiste prévoient que tout
126
Plus précisément 1256 en décembre 2011.Selon Libération, les chiffres de décembre 2011 auraient été
divisés par près de trois au niveau national, passant d’environ 16.000 à 6.000. Impossible de savoir dans quelle
mesure cette baisse a impacté les troupes parisiennes.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
137
militant doit obligatoirement être adhérent d’un syndicat et d’une association (FCPE, RESF,
Unef, LMDE mais aussi des associations défendant les droits LGBT ou l’économie solidaire),
les écologistes ne s’y investissent qu’à l’échelon individuel.
Du coup, ils ne possèdent pas de têtes de réseaux ni de leaders d’opinions susceptibles de
relayer leurs positions parmi la société civile. Les principales associations avec qui ils tissent
des liens sont… environnementalistes (La Ressourcerie, La petite rockette mais aussi AMAP,
jardins partagés) et donc déjà acquise à l’écologie politique : elles ne leur permettent guère
d’élargir leur base électorale et de s’adresser de façon subliminale à la population. Et sans
stratégie de double-adhésion à la fois partisane et syndicale ou associative, les écologistes
auront toujours autant de mal à s’implanter localement et à se faire connaître de la population.
«Nous essayons de nous trouver des relais dans des associations, car il est nécessaire d’avoir
un tissu économique, social et associatif dense si l’on veut avoir une influence locale et
concrétiser notre rêve de supplanter le PS à Paris. Mais il faut reconnaître qu’ici, ils sont très
bien implantés. Nous allons réduire cet écart d’influence petit à petit, nous n’avons pas à
rougir de nos actions» se défend Claire Marynower, membre du bureau exécutif d’EE-LV
Paris et en charge de la coopérative127
«Notre meilleure organisation combinée à la gestion de
la municipalité nous permet de continuer à tisser un lien avec la société civile et à rester
majoritaire politiquement. C’est comme ça que le Parti Communiste était parvenu à
conserver aussi longtemps sa banlieue rouge» se félicite Philippe Wehrung, le secrétaire de
section du PS dans le 11ème
arrondissement.
Pour le patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel, le Parti Socialiste parisien est également bien
aidé… par le Maire de Paris : «Bertrand Delanöe a une vision tibériste des subventions
associatives, sa distribution clientéliste de l’argent public permet au PS d’asseoir son
implantation locale. Des associations vivent aujourd’hui des subventions municipales et ont
des salariés à payer à chaque fin de mois, ils sont contraints en échange d’agiter le drapeau
du PS et de vanter la politique du Maire de Paris sur le terrain» dénonce-t-il. Chaque année,
des milliers d’associations reçoivent en effet des subventions de la part de la Mairie, dans
l’objectif d’offrir aux citoyens la possibilité d’exercer des activités aussi nombreuses que
127
La coopérative d’EE-LV Paris comptait 1476 adhérents en décembre 2011. Là aussi selon Libération, le taux
de ré-adhésion serait inférieur à 5% au niveau national. Impossible de savoir dans quelle mesure cette tendance a
impacté le réseau parisien.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
138
variées dans une multitude de domaines. Déjà en 1987, Richard Balme128
signalait les
relations d’interdépendance qui pouvaient naître entre les associations subventionnées et le
pouvoir local. A en croire, Hervé Morel, ce serait d’autant plus le cas à Paris que la ville
dispose à la fois du budget le plus important et du tissu associatif le plus dense. L’intérêt
premier de distribuer des millions d’euros de subventions pour le Maire de Paris serait en
réalité de structurer le corps électoral en un réseau de clientèles dépendantes et donc faciles à
actionner, de se doter en quelque sorte d’un moyen de contrôle politique. Il est d’autant plus
compliqué de vérifier ces accusations que les rapports de synthèse sur les associations publiés
annuellement sur le site de la Mairie, ne listent pas les bénéficiaires des subventions
municipales.
D’autres tendances structurelles lourdes de la vie politique française semblent handicaper
Europe Ecologie-Les Verts dans son ambition de conquérir l’Hôtel de Ville. A commencer
par ses propres faiblesses. «Nous n’avons pas les moyens humains ni financiers pour
répondre aujourd’hui à l’attente des citoyens parisiens. Le parti avait dû licencier la moitié
de ses salariés après les élections législatives 2007 et l’échec aux dernières élections
municipales nous a fait passer, à Paris, de 3 permanents à plein-temps à un seul à mi-
temps129
. Des intellectuels nous sollicitent mais nous ne sommes toujours pas parvenus à
structurer une fondation, alors que le PS peut compter sur les think-tanks comme Terra Nova
ou Jean Jaurès» se lamente Hervé Morel. «La surface médiatique ne fait pas naître une
présence parmi la société civile, dans les réseaux intellectuels ou encore dans les
associations. Or, la direction nationale ne fait rien en ce sens, elle se réjouit des initiatives
individuelles mais ne nous aide pas à construire des liens dans le monde des idées, de
l’entreprise ou du syndicalisme ni des réseaux parmi les chercheurs ou les hauts-
fonctionnaires» se plaint Jean-Marc Pasquet, plus véhément, pour qui «l’empathie
sociologique de l’opinion, les thématiques porteuses et l’absence de leadership au PS ne
suffiront pas si nous refusons de nous inscrire dans ces réseaux d’influence.»
Si l’administration ne fait pas gagner ou perdre une élection à elle seule, elle peut jouer un
grand rôle dans la campagne : la compilation des bonnes idées ne fait pas un projet, qui doit
nécessairement être nourri en parallèle de l’expertise d’hauts-fonctionnaires, susceptibles
d’imaginer de nouvelles politiques publiques ou d’élaborer des propositions crédibles tant sur
128
«La participation aux associations et le pouvoir municipal», 1987, Richard Balme 129
La fédération PS de Paris dispose, elle, de 4 permanents à plein-temps.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
139
le plan juridique que budgétaire. Ce qui fait dire au Maire du 2ème
arrondissement Jacques
Boutault que «la politisation de l’administration sous Delanoë peut être un frein : il sera plus
aisé pour le PS de nourri leur projet avec l’aide de l’administration, que pour nous. Dans ce
cas, nous devront associer au mieux les Parisiens à la construction de notre programme, pour
qu’ils le portent et en aient envie» raisonne-t-il. A défaut de pouvoir compter sur des comités
d’experts, les écologistes devront s’appuyer sur les notes fournies par des militants et des
personnalités, amateurs mais proches de leur mouvement, pour alimenter leur réflexion. Ce
qu’avait fait Bertrand Delanoë en 1995 et 2001, quand l’administration de la Mairie de Paris
était chiraquienne…
La bataille des municipales de la capitale ne fait aujourd’hui que commencer, et il est encore
bien trop tôt pour présumer de son résultat final. D’autres forces que le Parti Socialiste ou
Europe Ecologie-Les Verts y participeront et seront amenées à jouer un rôle important. «Ce
que l’UMP a démontré depuis dix ans sur Paris n’améliore pas vraiment notre crédibilité en
vue des municipales 2014, mais nous nous attelons à construire une stratégie politique claire,
avec un leader concentré uniquement sur la prise de Paris et disposant d’un projet novateur»
confie le conseiller de Paris (UMP) Pierre-Yves Bournazel. La droite parisienne espère tirer
profit des rivalités naissantes à gauche et qui devraient encore s’accentuer au cours de la
campagne pour montrer son nouveau visage et ainsi mettre fin à la série noire entamée depuis
plus de vingt ans.
La droite au premier tour des élections municipales de Paris, de 1989 à 2008
1989 1995 2001 2008
Suffrages obtenus par l’ensemble des listes de droite
54,8% 51,4% 44,2% 33,2%
Sièges obtenus au Conseil de Paris
141 99 71 63
Du moins, tel est le discours de ce jeune élu du 18ème
arrondissement de Paris : «les attentes
des Parisiens ont évolué. Or, on ne conquiert par une ville contre ses habitants ! Il faut sortir
des clivages idéologiques traditionnels pour nous adapter à cette nouvelle sociologie.»
Malheureusement pour lui, cette prise de conscience n’est pas perceptible chez l’ensemble des
caciques de la droite parisienne, loin de là. Et il le sait, «les responsables de la fédération
UMP de Paris n’ont pas cette volonté de reconquête de Paris car ils ont déjà tout : ils sont
soit députés-maires, soit sénateurs-maires» argumente-t-il. En effet, la majorité des cadres se
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
140
sont fait élire lorsque Jacques Chirac était encore Maire de Paris, à une époque où la droite
contrôlait encore la Mairie de Paris, la région Ile-de-France, les vingt arrondissements
parisiens et dix-neuf circonscriptions sur vingt-et-une. Après avoir perdu deux fois l’Hôtel de
Ville de Paris, trois fois le Conseil régional, douze arrondissements et treize circonscriptions,
l’UMP de la capitale semble aujourd’hui profondément défaite. Aux dernières élections
municipales, la droite semblait avoir tiré les leçons de ses erreurs de 2001 : une primaire fut
organisée pour débattre du projet et du candidat, aplanir les dissensions puis se réunir autour
du gagnant et ainsi conforter son leadership. Mais aussitôt Françoise de Panafieu investie avec
le plébiscite des militants parisiens, que les divisions entre élus de l’opposition reprirent de
plus belle. L’arrivée de personnalités médiatiques et relativement populaires – comme
Christine Lagarde, Jean-Marie Cavada ou Rachida Dati – sur ses listes aurait dû doter l’UMP
parisienne d’une image plus dynamique… si la tête de liste, bien qu’en apparence moderne,
n’était pas elle-même l’héritière d’une dynastie gaulliste investie de longue date dans la vie
politique parisienne.
Revisitant la célèbre formule «halte au feu, chasse au con» de Pierre Lellouche exprimée au
cours de la campagne fratricide de 2001, plusieurs quadras et trentenaires de l’UMP de la
capitale réclament un renouvellement générationnel. «Depuis qu’ils ont perdu le père Chirac,
ils se chamaillent et s’entretuent pour des miettes» résume la sénatrice de Paris Chantal
Jouanno130
. Ils sont conscients que les discours nationaux mais aussi l’égoïsme territorial et le
refus de la mixité sociale exprimés par une partie de leurs aînés de l’Ouest parisien ne
correspondent plus aux attentes de la majeure partie de l’électorat de la capitale. Mais la
solution n’est pas aussi simpliste que de passer un coup de balai et faire la place à de
nouveaux talents. Des rivalités politiques s’entremêlent à ce conflit de générations : Paris
donne un écho particulier à la guerre que se livre Jean-François Copé et François Fillon pour
asseoir leur leadership sur l’UMP. Pressentie depuis la fin des élections municipales de 2008,
l’arrivée de François Fillon aurait dû initialement mettre fin aux divisions de l’UMP dans la
capitale et permettre d’amorcer le processus de la reconquête de Paris. En réalité, elle n’a fait
que raviver les tensions. Déjà à l’été 2011, la préparation de la liste sénatoriale tourna à la
foire d’empoigne entre «fillonnistes» et «copéistes», cadres de l’appareil et dissidents : le
choix de la fédération de Paris d’offrir la tête de liste à l’ancienne Ministre des Sports Chantal
Jouanno ainsi que la quatrième place à un autre proche du Premier ministre de l’époque
suscita la colère d’une partie des maires d’arrondissements, soutenus par la jeune garde de
130
«L’UMP, un univers impitoyable» livre de Neila Latrous et Jean-Baptiste Marteau, 2011.
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141
l’UMP parisienne. Des listes parallèles se montèrent et remportèrent deux sièges de sénateurs
parisiens, soit autant que la liste officiellement investie. La fédération, majoritairement pro-
Fillon, expliqua alors que «les dissidences nous ont coûté» un cinquième siège tandis que les
dissidents, plus ou moins soutenus par Jean-François Copé et la direction nationale du parti,
répliqua que «ce sont les méthodes de la fédération qui nous ont font perdre.»
A ce moment, les élections municipales 2014 étaient déjà dans tous les esprits… et les
élections législatives 2012 cristallisèrent à nouveau les ambitions. La maire du 7ème
arrondissement, et ancienne Garde des Sceaux, Rachida Dati décide d’entrer en résistance
face au parachutage de l’ancien Premier ministre François Fillon, dans la 2ème
circonscription
de Paris. Mais si les jalousies et autres rivalités peuvent être considérées comme habituelles et
presque raisonnables dans un parti politique, des attaques ad hominem d’une violence inouïe
se multiplient entre ces deux acteurs : l’hôte de Matignon est accusé par les copéistes, et donc
son propre camp, de trafic d’influence à la suite de l’embauche du fils de Jean Tibéri au
Ministère des Finances, contre l’avis de Bercy. Ou encore de recel d’emploi fictif, après avoir
embauché au sein de son cabinet une chargée de mission soupçonnée de s’occuper de sa
campagne législative. Rachida Dati se plaint alors de «ne pas avoir les mêmes moyens, ni le
même pouvoir» que François Fillon. L’ancien Premier ministre se défendra lui de ne pas
respecter la parité en invoquant le fait que «Rachida Dati est un homme !». Finalement, elle se
retirera le 16 mai, en contrepartie de l’assurance de jouer un rôle de premier plan aux
élections municipales de 2014. Cela tombe bien, son rival local et jusqu’ici candidat pressenti
de l’UMP semble désormais décidé à laisser la place. Je ne crois pas aux carrières à la
Chirac. Et je préfère anticiper la future loi sur le cumul des mandats, à laquelle, je suis plutôt
favorable» aurait-il déclaré à quelques journalistes le 6 juin dernier, selon le Canard Enchaîné.
Craignant d’endosser une défaite en 2014 dans la capitale, il préfèrerait prendre la présidence
du parti à Jean-François Copé pour préparer sa candidature à l’élection présidentielle de 2017.
A moins de deux ans du scrutin, l’UMP Paris se cherche plus que jamais un candidat
susceptible de faire consensus. Au-delà de Rachida Dati et de Chantal Jouanno, correspondant
toutes les deux à la sociologie parisienne et déjà implantées dans la capitale, les noms de Jean-
Louis Borloo et de François Baroin se font comme souvent entendre.
Si l’UMP ne veut pas attendre l’échéance de 2020 et le moment où les classes moyennes
pourraient être à leur tour chassées de Paris, remettant alors en cause l’hégémonie de la
gauche, leur dernier espoir de remporter l’élection municipale de 2014 serait… de réformer la
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
142
loi Paris-Lyon-Marseille. Le but ? Organiser l’élection du Maire de Paris non plus par les
Conseillers de Paris, mais au suffrage universel, directement par les citoyens. Dans le système
actuel qui prévoit un nombre d’élus au Conseil de Paris proportionnel à la population par
arrondissement, la droite est handicapée par la carte électorale : sur les dix les plus peuplés
(du 11ème
au 20ème
) et donc les plus fournis en nombre de Conseillers de Paris (126 sièges de
Conseillers de Paris sur 163), la gauche en détient sept131
. Faisant valoir que Bertrand
Delanoë avait été élu en 2001 en étant majoritaire en sièges mais minoritaire en voix, Philippe
Séguin puis Françoise de Panafieu ont déjà réclamé ce changement institutionnel. «Une telle
réforme avant 2014 serait louable mais cela m’étonnerait que les députés s’en saisissent.
Lorsqu’elle était aux manettes entre 1997 et 2002, la gauche ne l’a pas fait donc je ne vois
pas ce qui la pousserait aujourd’hui à agir en ce sens» croit Pierre-Yves Bournazel. Si une
évolution du mode de scrutin d’élection dans les trois plus grandes villes françaises était en
cours de préparation, il devrait plutôt s’agir en l’occurrence d’un rééquilibrage
démographique que d’une refonte organisationnelle. Car aujourd’hui, le nombre de
Conseillers de Paris – qui sont les électeurs finaux du Maire - élus par arrondissements est
fixé selon… le recensement de 1975 ! Le mode de scrutin actuel ne tient pas compte des
évolutions démographiques en cours depuis bientôt quarante ans, et induit en creux que tous
les électeurs parisiens ne pèsent pas le même poids selon le quartier où ils vivent. Si la
représentation des Conseillers de Paris était ajustée au dernier recensement, les 5ème
, 6ème
10ème
, 19ème
et 20ème
arrondissements devraient chacun gagner au minimum un Conseiller de
Paris supplémentaire, au détriment des 1er
, 2ème
, 7ème
, 16ème
et 17ème
. Autrement dit, la droite
perdrait au minimum trois nouveaux Conseillers de Paris tandis que la gauche se verrait de
nouveau confortée.
Si Europe Ecologie-Les Verts et le Parti Socialiste semblent donc en capacité de se livrer un
match tout en conservant l’Hôtel de Ville tellement l’UMP ne semble pas aujourd’hui prête à
reconquérir Paris, il ne faudrait tout de même pas ajouter de la division aux divisions. Et c’est
pourtant ce que s’apprête à faire le Front de Gauche, auréolé de ses 11,1% recueilli au premier
tour de l’élection présidentielle à Paris. S’ils ne nourrissent pas l’ambition de devenir
majoritaires au niveau local, les communistes n’entendent pas rester les bras croisés pour
autant. Preuve en est, l’absence de Jean-Luc Mélenchon et de ses acolytes dans le
gouvernement de Jean-Marc Ayrault, dû au fait des nombreuses élections intermédiaires qui
131
Elle est donc assurée d’au moins 64 des 83 sièges de ces arrondissements (11ème
, 12ème
, 13ème
, 14ème
, 18ème
,
19ème
, 20ème
) puisque le mode de scrutin offre habituellement plus de trois quart des sièges à la liste majoritaire.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
143
auront lieu en 2014… dont les élections municipales. Dès lors, ils estiment avoir tout intérêt à
surfer sur leur bonne dynamique et à construire une alternative au Parti Socialiste. «Vu la
mauvaise passe économique actuelle, le contexte sera difficile pour le gouvernement en 2014.
Et à Paris, la colère ne se traduit pas par un vote Front national mais par un vote Front de
Gauche» décline le jeune président du groupe communiste au Conseil de Paris, Ian Brossat,
pour qui les écologistes ont fait une double erreur en signant un accord électoral et en actant la
participation gouvernementale : «ils sont tellement à la recherche de postes qu’ils ont accepté
d’être pieds et mains liées à la social-démocratie. Europe Ecologie-Les Verts ne semblent pas
avoir compris que plus le temps passe, plus le dilemme entre logique d’austérité et désir de
résistance se fera forte.»
Au cours de la campagne présidentielle, il est vrai que de nombreux électeurs écologistes se
sont rabattus sur Jean-Luc Mélenchon. Y compris à Paris. Est-ce imputable à la volatilité qui
caractérise ces électeurs ou assiste-t-on à une tendance plus structurelle ? Réponse en 2014.
Face à l’absence de vision de la social-démocratie et aux balbutiements éternels de l’écologie
politique, certains mélenchonistes rêvent de supplanter le tout par le retour d’une gauche
musclée. Pour l’adjointe au Maire de Paris, Pascale Boistard, «le sujet qui devrait préoccuper
les écologistes parisiens n’est pas l’organisation du dépassement du Parti Socialiste.
L’urgence pour eux, c’est de se soucier du Front de Gauche !» prévient-elle sournoisement.
Mais Ian Brossat ne compte pas leur faire plus de cadeaux au grand frère socialiste : «il faut
que le PS sorte de sa représentation qui n’existe plus : Le Front de Gauche n’a pas la même
culture politique que le Parti Communiste. Pour nous, il est clair qu’il y a deux voies à
gauche et qu’elles sont inconciliables.» A l’entendre, les socialistes n’aimeraient les
communistes que faibles et disciplinés. Et la perspective de voir son groupe prendre du poids
en 2014 les inquiéterait : «après avoir battu à Paris le record de Georges Marchais en 1981,
nous n’avons plus vocation à être les porteurs d’eau de la majorité. Nous n’avons pas encore
formellement tranché la stratégie politique pour 2014 entre union ou autonomie au premier
tour, mais c’est déjà une évolution puisque nous ne nous étions même pas posée cette
question en 2008…» se félicite Ian Brossat, qui fixe le prix de la solidarité du Front de
Gauche à 18 conseillers de Paris (contre 10 aujourd’hui) et une mairie d’arrondissement.
La dernière inconnue qui plane sur le scrutin de 2014, bien que très improbable, serait que le
dossier du Grand Paris s’accélère considérablement et que le territoire politique et
institutionnel de la capitale évolue dans les deux ans à venir. La réorganisation institutionnelle
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
144
des collectivités locales de la région parisienne induite par le projet du Grand Paris pourrait
avoir de grandes conséquences politiques : une gouvernance métropolitaine de la capitale et
de sa banlieue opèrerait de facto une redistribution des pouvoirs politiques et financiers.
Concurrencée par une structure plus vaste aux pouvoirs renforcés, la Ville de Paris intra-
muros verrait son poids politique décroître en flèche. Logiquement intéressé par la
péréquation et la refonte des pouvoirs qu’elle induirait, plusieurs élus dont le président de
l’Assemblée nationale Claude Bartolone ou le sénateur (UMP) de Seine-Saint-Denis Philippe
Dallier plaident pour la création d’une collectivité en plein exercice, en lieu et place de la
capitale et des trois départements de la petite couronne.
Au-delà de la perte de compétences et de revenus fiscaux pour Paris, une telle révolution
redécouperait également les frontières électorales favorisant aujourd’hui la gauche. Les
électeurs de ce nouveau «Département de la Seine» éliraient alors le Maire du Grand Paris
(comme il en existe un du Grand Londres), qui devrait superviser l’aménagement du territoire
et mettre en place une stratégie à long-terme. Les Maires des différentes communes et des
vingt arrondissements de la capitale se verraient eux confier la gestion du quotidien. «Le
Grand Londres est bien en avance, leur Maire est déjà élu au suffrage universel. Peut-être
que nous arriverons à leur modèle dans 20 ans, mais dans les mois ou années à venir, laissez-
moi en douter» tranche le sénateur (PS) de Paris et patron du groupe socialiste au Conseil de
Paris, Jean-Pierre Caffet.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
145
Conclusion
ette recherche devait nous permettre de mieux appréhender le conflit opposant
socialistes et écologistes parisiens, partenaires de la gauche plurielle au pouvoir
depuis onze ans, pour décrypter les enjeux des prochaines élections municipales
2014. Tout au long de ces pages, nous avons pu observer que s’ils avaient besoin l’un de
l’autre pour assurer le contrôle de la Mairie de Paris, ils ne s’en privaient pas pour étaler leurs
désaccords sur la place publique. C’est la particularité de la capitale : constamment sous le
crépitement des flashs des appareils photos et autres caméras, le Conseil de Paris se
transforme en tribune surmédiatisée poussant les élus à privilégier leurs idéologies respectives
et le débat politique, sur la gestion quotidienne municipale. Sans se connaître, le Parti
Socialiste et les Verts étaient toutefois à établir un rapport de force interne tout en travaillant
en bonne intelligence, au début de la première mandature. C’est à l’automne 2005, à un peu
plus de deux ans du prochain scrutin municipal, que la situation va dégénérer : les influents
écologistes mirent régulièrement en minorité le Maire de Paris, Bertrand Delanoë.
Bénéficiant depuis l’élection de 2008 d’une quasi-majorité absolue, le PS en serait depuis
devenu «hégémonique et peu respectueux de ses partenaires», tandis que les Verts,
sanctionnés par les électeurs qui ont considérablement réduits leur poids politique, se serait
affirmé comme «un allié loin d’être fiable.» Eux qui, contrairement aux socialistes, n’avaient
pas su capitaliser sur leur succès inattendu de 2001 profitèrent alors de la refondation du parti
vert censé leur faire passer le cap de l’adolescence et les propulser à l’âge adulte. Un an après
leur humiliation des municipales 2008, les écologistes parisiens ne sont pas loin de doubler le
score socialiste aux européennes de juin 2009. Tout en retrouvant leur position de deuxième
force de gauche derrière le PS, ils confirment leur montée en puissance lors des élections
régionales suivantes. Mais au Conseil de Paris, la situation n’évolue pas dans le sens voulu
par les écologistes : ils continuent à voter le budget mais remettent allègrement en cause
certaines politiques municipales, critiquent les orientations socialistes, et n’hésitent plus à se
désolidariser de la consigne de vote fixée par l’exécutif municipal.
Cette phase de différenciation fait partie intégrante de la nouvelle stratégie électorale
d’Europe Ecologie-Les Verts, en place depuis 2010 et qui vise à les singulariser pour mieux
les faire apparaître comme une force indépendante. Objectif ? Ne plus se contenter de
C
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
146
participer à l’exercice du pouvoir, mais peser sur les choix politiques… en prenant à terme le
contrôle de la Mairie de Paris. Pour tenter d’honorer cet objectif ambitieux, ils s’en donnent
les moyens: les élections législatives 2012 leur ont permis de régler les derniers dispositifs de
leur stratégie parisienne pour 2014. La direction nationale et les élus parisiens ont
conjointement travaillé ensemble, pour faire de la place à la secrétaire nationale Cécile Duflot
et ainsi profiter au mieux du flou régnant entre Solférino et le PS parisien. Même les aubrystes
de l’équipe de Bertrand Delanoë reprochent à Martine Aubry d’avoir favorisé la stratégie des
Verts, sans tenir compte du contexte local violent dans la capitale, depuis 2005. Plus qu’un
simple décor de rivalités entre deux partis, l’Hôtel de Ville de la capitale d’un pays aussi
centralisé que la France est un acteur du conflit : sa prise de contrôle a toujours suscité des
ambitions, alimenté les rivalités et exacerbé les divisions. L’enjeu est autrement plus
important qu’une victoire aux élections municipales dans n’importe quelle autre ville. Les
rivalités et les représentations qui en découlent, également. La conquête de la Mairie de Paris
est une source d’espoirs et de fantasmes : accélérateur de carrière nationale pour les uns, ou
vitrine permettant d’imposer au plus grand nombre ses idées, pour les autres.
Sans avoir pour ambition de prédire le résultat d’une élection dont la campagne officielle n’a
pas encore commencée, ce mémoire a, dans un second temps, cherché à dresser les atouts et
faiblesses de chaque acteur. A l’aube de 2014, le Parti Socialiste parisien semble fébrile :
tandis qu’eux s’apprêtent à tourner la page du système mis en place par Bertrand Delanoë, les
écologistes ont retrouvé une certaine autonomie et semblent prêts à tout pour profiter de cette
période de turbulences. Mais les partenaires de Duflot ne seraient «structurellement pas
suffisamment puissants» pour atteindre leurs objectifs : élus peu audibles, faibles réseaux
intellectuels, associatifs, syndicaux, peu de troupes militantes, etc… C’est oublier un peu vite
que le parti écologiste fait figure d’exception sur la scène politique française et qu’il n’a
jamais construit un succès électoral de façon ordinaire. A Paris, ils comptent jouer sur la
capacité de séduction de leur leader, qui devra être en phase avec l’évolution sociologique
engendrée par l’embourgeoisement de Paris, et tirer leur avantage de problèmes
environnementaux qui se posent avec vigueur dans les métropoles. Nul ne sait si les
écologistes arriveront à dépasser le PS parisien dès 2014, mais en raison de la place
prépondérante qu’occupe Paris dans la vie politique française, il est permis de s’interroger sur
les conséquences que pourrait avoir un tel succès dans la capitale. Permettrait-il l’émergence
d’un «écologisme municipal», qui serait le prémisse d’un dépassement national de la social-
démocratie par l’écologie politique ?
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Bibliographie
Ouvrages
«Apartés», Cécile Duflot, 2010.
«Bertrand le magnifique, enquête au cœur du système Delanoë», Yvan Stefanovitch, 2008.
«Carnets de campagne dans les coulisses d’Europe Ecologie», par Jean-Marie Bouguen, 2010.
«Comptes et légendes de Paris : enquête sur la gestion de Delaöe», Dominique Foing, 2011.
«Des écologistes en politique», Erwann Lecoeur, 2011.
«Europe Ecologie, miracle ou mirage ?», Roger Lenglet et Jean-Luc Touly, 2010.
«La face cachée de Bertrand Delanoë», Patrick Rigoulet, 2010.
«La nouvelle géopolitique des régions françaises», sous la direction de B. Giblin, 2005.
Chapitre sur l’Ile-de-France, par Philippe Subra.
«Le marchand de sable», Sophie Coignard, 2005.
«Municipales 2008 : la bataille de Paris», Bertrand Gréco, 2007.
«Socialistes à Paris, 1905-2005», Laurent Villate et Pierre-Yvain Arnaud.
«Une femme dans l’arène», Anne Hidalgo, 2006.
Articles scientifiques:
« La Nièvre, fief présidentiel », François Charmont, avril 2011.
«Les dynamiques spatiales de la gentryfication à Paris», Anne Clerval, Cybergéo, 2010.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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«Les échecs de la droite parisienne font-ils de Paris un fief de gauche ?» Matthieu Jeanne,
2009.
«Les Verts et le pouvoir, regards géopolitiques sur les écologistes français : stratégies et
représentations », Sylvie Vieillard-Coffre, Hérodote, 2001,
«Paris à contre courant», chapitre écrit par Jean Chiche et Daniel Boy en 2002 dans «Le vote
des villes »
«Paris/Londres : enjeux géopolitiques de villes capitales», Béatrice Giblin, Delphine Papin,
Philippe Subra, Hérodote, 2001
«Paris, un enjeu capital» Matthieu Jeanne, Hérodote, 2009.
Articles de presse :
Lecture régulière du cahier «Paris» du Journal du Dimanche et du Nouvel Observateur. Suivi
attentif des articles politiques du Parisien et du Monde, concernant la gauche en général et les
écologistes en particulier. Veille des différents articles, brèves ou confidentiels parus dans
L’Express, Le Point, Le Figaro, Libération mais aussi Rue 89 ou le trimestriel Megalopolis.
Audio / Vidéos :
«Paris en campagne», La suite dans les idées, France Culture le 2 juillet 2011.
« 2001, la prise de l’Hôtel de Ville », réalisé par Serge Moati en 2001.
« Paris à tout prix », réalisé par Yves Jeuland en 2001.
« La saga des écolos », réalisé par Valérie Manns et Alice Le Roy en 2010.
Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012
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Annexes
Grille d’entretiens p. 150
Calcul des Conseillers de Paris p. 153
Procès-verbal de soutenance p. 155
Résumé p. 156
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Entretiens :
- Depuis plusieurs mois, les acteurs politiques établissent les stratégies politiques de
conquête et / ou de préservation de leur pouvoir dans la capitale : en cela, ils sont les
premiers concernés par cette recherche et les mieux à même d’en parler, puisque ce
sujet traite de leurs partis, de leurs relations, de leurs ambitions, de leurs rapports de
forces ainsi que de leurs carrières. Les interviews ont varié entre discours officiel et
éléments de contexte, en off.
Pierre-Yves Bournazel (1h30 le 7 février, à l’Hôtel de Ville de Paris)
Nicolas Vignolles (1h le 16 février, à l’Assemblée nationale)
Jean-Marc Pasquet (2h le 27 février, dans un café du 11ème
arrondissement)
Yves Contassot (1h15 le 2 mars, dans une annexe de l’Hôtel de Ville)
Hervé Morel (2h le 7 mars, au siège d’Europe Ecologie-Les Verts)
Sylvain Garel (2 X 30 min par téléphone, les 5 et 12 mars)
Pascale Boistard (1h30 le 23 mars, dans une annexe de l’Hôtel de Ville)
Jean-Marie Bouguen (45 min le 23 mars, au Sénat)
Christophe Caresche (1h45 le 29 mars à sa permanence, dans le 18ème
arrondissement)
Anne Le Strat (1h30 le 11 avril, au siège d’Eau de Paris)
Christophe Girard (30 min le 19 avril, à l’Hôtel de Ville de Paris)
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Ian Brossat (1h30 le 25 avril, au siège national du PCF)
Jacques Boutault (1h45 le 26 avril, à la Mairie du 2ème
arrondissement)
Rémi Féraud (2 x 1h30 les 2 mai et 15 mai, à la Mairie du 10ème
arrondissement)
Hervé Marro (1h le 3 mai, à l’Hôtel de Ville de Paris)
Jean-Pierre Caffet (1 heure le 16 mai, à l’Hôtel de Ville de Paris)
Pierre Schapira, (45 min le 22 mai, à l’Hôtel de Ville de Paris)
- J’ai également sollicité plusieurs chercheurs et de nombreux journalistes s’intéressant
à la vie politique parisienne. La prise de recul des premiers m’a permis d’intégrer dans
ma réflexion des éléments auxquels je n’avais pas pensé au premier abord. Les
stratégies politiques utilisant à merveille les médias, les seconds sont quelque peu
acteurs à leur insu : ils m’ont donné les éléments nécessaires pour comprendre ce
conflit dans son épaisseur historique.
Bertrand Gréco (1h30 le 26 janvier, à la rédaction du Journal du Dimanche)
Dominique Foing (1h30 le 31 janvier, dans un café du 11ème
arrondissement)
Rosalie Lucas (1 heure le 6 février, dans un café du 12ème
arrondissement)
Daniel Boy (30 min par téléphone, le 8 février)
Marie-Anne Gairaud (30 min par téléphone, le 20 février)
Jean-René Bourge (1h le 5 mars, au département Science politique de l’université Paris 8)
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- Les relations entre pouvoir politique et territoire ne sont pas l’apanage des élus, mais
aussi l’œuvre d’hommes de l’ombre, qu’ils soient secrétaires de l’appareil parisien,
d’une section de quartier ou simple militants.
Claire Marynower (1h le 21 février, dans un café du 11ème
arrondissement)
Adrien Saumier (1h30 le 29 février, dans un restaurant du 10ème
arrondissement)
Adrien Delassus (1h30 le 6 mars, dans un restaurant du 11ème
arrondissement)
Philippe Wehrung (2 heures le 7 mars, dans un café du 4ème
arrondissement)
Alice Le Roy (1 heure le 9 mars, dans un café du 11ème
arrondissement)
Thomas Antoni (2 heures le 1er
avril, dans un café du 14ème
arrondissement)
- Certains acteurs que j’aurai trouvé pertinent d’interviewer n’étaient soit pas disposés à
répondre à mes questions, soit indisponibles. Parmi eux : Patrick Bloche, Danièle
Hoffmann-Rispal, Bernard Gaudillère, Nicolas Revel, Eva Sas, Lucie Schmidt,
Géraldine Chalencon, Arlette Zilberg, Fanélie Carrey-Comte, Mickaël Dudragne,
Nathalie Laville, Christine Brunet.
- D’autres acteurs ont accepté de me répondre à condition que leurs propos restent
confidentiels. Ils ne figurent bien évidemment pas dans cette liste.
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Calcul des sièges au Conseil de Paris :
La loi Paris-Lyon-Marseille régissant le mode de scrutin des élections municipales de la
capitale prévoit que la première moitié des sièges de l’arrondissement soit attribuée à la liste
arrivée en tête. La seconde moitié est attribuée elle, à la proportionnelle, avec calcul des
sièges restants selon la règle de la plus forte moyenne.
Exemple : dans le 20e arrondissement on a 13 sièges de conseillers de Paris à pourvoir. La
liste gagnante « A » a obtenu 31% des 100 000 voix, et quatre autres listes , « B », « C », « D
», « E », 24%, 19%, 16% et 10% des voix. Suivant la règle de l’arrondi et celle de la prime
majoritaire, la liste gagnante remporte 7 sièges de conseillers de Paris. Il reste 6 sièges à
pourvoir, soit un quotient électoral de 100 000 (suffrages totaux exprimés) divisé par 6 (sièges
restant à répartir) = 16667. Ensuite, le nombre de voix de chaque liste est divisé par ce
quotient électoral. Le résultat arrondi à l’entier inférieur correspond au nombre de sièges
attribués.
A a obtenu 31 000 voix, aura 31 000 : 16667 = 1,85 soit 1 siège.
B a obtenu 24 000 voix, aura 24 000 : 16667 = 1,43 soit 1 siège.
C a obtenu 19 000 voix, aura 19 000 : 16667 = 1,13 soit 1 siège.
D a obtenu 16 000 voix, aura 16 0000 : 16667 = 0,96 soit 0 siège.
E a obtenu 10 000 voix, aura 10 0000 : 16667 = 0,59 soit 0 siège.
Pour les sièges restants, on procède comme suit : les scores de chacune des listes sont divisés
par leur nombre de sièges de la première attribution plus un. Les résultats sont comparés et le
siège va à la liste au quotient le plus élevé.
Il reste dans notre exemple 3 sièges à attribuer. On calcule le nouveau quotient :
Pour la liste A, 31 000 : (1 + 1) = 15 500
Pour la liste B, 24 000 : (1 + 1) = 12 000
Pour la liste C, 19 000 : (1 + 1) = 9 500
Pour la liste D, 16 000 : (0 + 1) = 16 000
Pour la liste E, 10 000 : (0 + 1) = 10 000
La plus forte moyenne est celle de la liste D. Le premier des trois sièges à attribuer va donc à
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la liste D. On recommence pour le deuxième des trois sièges à attribuer, en ajoutant à la liste
D son siège gagné :
Pour la liste A, 31 000 : (1 + 1) = 15 500
Pour la liste B, 24 000 : (1 + 1) = 12 000
Pour la liste C, 19 000 : (1 + 1) = 9 500
Pour la liste D, 16 000 : (1 + 1) = 8 000
Pour la liste E, 10 000 : (0 + 1) = 10 000
Le deuxième des trois sièges restant à attribuer va à la liste A. Pour le dernier des trois sièges :
Pour la liste A, 31 000 : (2 + 1) = 10 333
Pour la liste B, 24 000 : (1 + 1) = 12 000
Pour la liste C, 19 000 : (1 + 1) = 9 500
Pour la liste D, 16 000 : (1 + 1) = 8 000
Pour la liste E, 10 000 : (0 + 1) = 10 000
Le dernier des trois sièges à attribuer va à la liste B. Le total des sièges est donc :
A = 7 + 1 + 1 = 9 sièges
B = 1 + 1 = 2 sièges
C = 1 siège
D = 1 siège.
E = 0 siège.
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Résumé :
Co-artisans de la prise de Paris en 2001, et depuis partenaires au sein de la majorité plurielle,
les socialistes et les écologistes de la capitale nourrissent un rapport a l'autre compliqué. S'ils
se considèrent encore aujourd’hui alliés, ils n'en sont pas moins rivaux au quotidien. Se
disputant le même électorat, sur un territoire électoralement favorable malgré un
embourgeoisement apparent, le duel parisien entre ces deux formations de gauche est d’une
intensité égale aux joutes politiques opposant habituellement droite et gauche.
Que ce soit lors des séances animées du Conseil de Paris ou dans le cadre de nos entretiens, le
Parti Socialiste et Europe Écologie-Les Verts ne font désormais plus mystère de leurs
divergences de points de vue. Dans la perspective des élections municipales de 2014 où un
successeur devra être trouvé au Maire Bertrand Delanoë, les écologistes de la capitale ont déjà
annoncé leur objectif : devancer leurs concurrents et partenaires socialistes pour prendre le
pouvoir du stratégique Hôtel de Ville de Paris.