la belle au bois dormant - cartable fantastique...la haie s’ouvrait devant lui et, au fur et à...
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La Belle au bois dormant 3
Vers Table des matières
Adaptation réalisée par Marie-Laure Bessonpour «Le Cartable Fantastique»
La Belle au bois dormant
Raconté par C.S Evans d’après le conte de Grimm
Illustration Arthur Rackhamet divers illustrations du domaine public
Traduction Marie-Laure et Louis Besson
Table des matières
Chapitre 9 : Le Prince
Chapitre 10 : Le château enchanté
Chapitre 11 : Tout et bien qui finit bien
Vers Table des matières
Chapitre 9
Le Prince
Walter Crane 1845-1915
Vers Table des matières
Cent ans passèrent.
Un jour, il arriva qu’un jeune prince qui
chassait dans les alentours vit les tours du
château enchanté qui se dressaient
au-dessus de la forêt dense.
Il n’était jamais venu dans cette région
auparavant, et n’avait jamais entendu parler
de l’histoire de la Princesse endormie.
C’est pourquoi il demanda aux première
personnes qu’il rencontra, ce qu’était ces
tours et à qui appartenait le château.
W. Heath Robinson
Vers Table des matières
Chacun lui raconta une histoire différente.
L’un prétendit que c’était un vieux château
hanté par des esprits, un autre que c’était
un lieu de rencontre des sorcières et des
sorciers du pays qui se rassemblaient là
pour pratiquer leurs rites secrets.
« Pas du tout », dit un troisième.
« Ce château est la demeure d’un géant,
et à ce qu’on m’a dit, tous les gens du
pays en ont très peur, parce qu’il vole leur
bétail et leurs récoltes, et enlève même
leurs enfants pour les prendre comme
domestiques.Gustave Doré
Vers Table des matières
Et ils ne peuvent même pas se porter au
secours de ceux qu’il a ainsi emprisonnés,
car la forêt autour du château est si dense
que personne ne peut y pénétrer. »
Et chacun y allait de son histoire, l’un
racontant une chose, l’autre une autre,
chacun répétant ce qu’il avait entendu.
À la fin, un vieux paysan s’avança.
« Il y a cinquante ans, mon Prince »,
dit-il, « mon père m’a raconté l’histoire de
ce château et comme il est né près d’ici,
je pense que c’est la véritable histoire. Je
peux vous la raconter s’il vous plaît de
l’entendre »Helen Stratton 1903
Vers Table des matières
Le prince acquiesça vigoureusement de la
tête et le vieil homme continua.
« Mon père disait que bien des années
avant sa naissance, un roi et une reine
vivaient dans ce château avec leur fille, la
plus jolie princesse que l’on eût jamais vue.
D’une façon ou d’une autre ils offensèrent
les fées, qui jetèrent un sort sur le lieu et
sur toutes les personnes qui s’y trouvaient,
si bien que tous tombèrent dans un profond
sommeil.
Mon père disait que ce sommeil durerait
cent ans, mais qu’au bout de ce temps,
le fils d’un roi viendrait réveiller la belle
Princesse et la prendrait pour épouse. »
Vers Table des matières
Lorsque le jeune prince entendit ces mots,
il sentit son cœur battre plus vite.
Il avait le sentiment que c’était lui et pas
un autre, le fils du roi que le destin avait
désigné pour écarter le sort.
Il cria : « Montre-moi le chemin qui permet
d’aller au château, car je veux tenter
l’aventure. »
Mais le vieil homme secoua la tête.
« Je ne vous ai pas encore tout dit, mon
Prince.
John B. Gruelle 1914
Vers Table des matières
Nombreux sont les jeunes gens qui ont
essayé de forcer le passage à travers
la forêt épaisse qui garde le château
enchanté.
Chacun d’eux pensait que c’était lui et
lui seul que le destin avait désigné pour
réveiller la Belle Endormie, et chacun d’eux
était parti avec de grands espoirs.
Mais aucun d’entre eux n’est revenu et
leurs os, blanchis par le vent et la pluie,
gisent parmi les épines de la haie épaisse,
tel un terrible avertissement pour ceux qui
s’y risqueraient.
Vers Table des matières
Je vous supplie donc, mon Prince, de ne
rien faire à la légère, et de bien réfléchir
avant de vous lancer dans cette quête
périlleuse. »
« Quoi ! », s’écria le prince dont les yeux
lançaient des éclairs, « resterais-je en
arrière quand d’autres ont osé ? Dans
l’instant je vais tenter d’entrer dans le
château, et si je ne reviens pas, fais savoir
chez moi comment je suis mort. »
Vers Table des matières
Alors, sans tenir compte des paroles de
tous ceux qui voulaient l’empêcher de
se précipiter vers un tel danger, l’ardent
jeune homme se mit en route, l’esprit tout
enflammé des rêves d’amour et de gloire.
Personne ne lui montra le chemin, mais
il pouvait voir les tours du château se
dressant au loin au-dessus des bois, et
lorsqu’il pénétra dans la forêt elle-même, et
que les tours lui furent cachées, chaque
sentier qu’il emprunta le conduisit de plus
en plus près de là où il voulait aller.
Il finit par arriver dans une clairière.
Vers Table des matières
Là, devant lui se dressait une haie d’épines
enchevêtrées s’étirant dans toutes les
directions, aussi loin qu’on pouvait voir.
Vers Table des matières
Chapitre 10
Le château enchanté
Carl Offterdinger 1829 -1889
Vers Table des matières
À ce moment, comme le prince s’était
approché davantage, il put constater que
la terrible histoire qu’il avait entendue
concernant cet endroit était vraie.
Emprisonnés dans l’enchevêtrement des
églantiers, gisaient effectivement les
ossements des nombreux jeunes gens
malchanceux qui avaient tenté de se frayer
un passage jusqu’au château.
Les restes de leurs beaux atours pendaient
déchiquetés aux grandes épines qui
pointaient telles des griffes acérées.
Vers Table des matières
Çà et là gisaient sur le sol des morceaux
d’armures rouillées, un casque surmonté
d’une petite couronne en or qui avait
dû appartenir à un fils de roi, un bouclier
portant la devise d’un prince, une épée
avec une poignée incrustée de pierreries
qui avait une telle valeur qu’elle aurait pu
servir de rançon à un roi.
Tous ces objets étaient posés
misérablement sur l’herbe au milieu des os
blanchis, et le lierre étalait ses feuilles pour
les recouvrir.
Le silence profond et insupportable n’était
troublé par aucun son. Pas un oiseau ne
chantait, pas un insecte ne bourdonnait.
Aucun animal de la forêt ne faisait bruire
les feuilles des arbres qu’aucun souffle de
vent ne remuait.
De tout cet endroit, seule la haie d’épines
semblait sinistrement vivante, attendant
d’anéantir l’intrus qui tenterait de percer le
mystère qu’elle gardait.
Qui pourrait blâmer le prince d’avoir
un moment presque vu son cœur lui
manquer ?
Vers Table des matières
Il n’y avait aucun espace dans cette haie,
et les grandes épines pointaient telles des
lames de poignards prêtes à lui percer la
chair.
Mais si le prince hésita, cela ne dura pas
longtemps.
« Ai-je fait tout ce chemin pour m’en
retourner maintenant ? » pensa-t-il.
« Ceux qui sont morts étaient des braves,
et, bien qu’ils aient échoué, avec un
courage aussi grand que le leur, moi je
peux réussir. » Walter Crane
Vers Table des matières
Sans attendre davantage, le prince
commença à se frayer un passage à
travers la haie.
Il constata alors avec surprise, que les
épines qui semblaient si pointues et si
cruelles devenaient douces comme du duvet
de chardon dès qu’il les touchait, et que
les branches du roncier qui traînaient, au
lieu de l’entraver, se penchaient sur le
côté telles des brins d’herbe dès qu’il les
touchait.
Walter Crane
Vers Table des matières
La haie s’ouvrait devant lui et, au fur et
à mesure qu’il avançait, des fleurs roses
d’églantier s’épanouissaient sur ses
branches, tant et si bien que la haie
enchevêtrée se transforma en une masse
de fleurs.
Le prince se trouva enfin de l’autre côté de
la haie, dans le jardin du château.
Devant lui, il pouvait voir les hautes tours
et les tourelles baignées par la douce
lumière du soleil matinal et, comme il
se hâtait dans leur direction, il remarqua
que les jardins étaient aussi soignés et
ordonnés que s’ils venaient d’être bichonnés
par les jardiniers. Herbert Cole 1906
Vers Table des matières
Il n’y avait ni mousse ni mauvaises herbes
dans les allées bien entretenues, le gazon
des pelouses était aussi court et fourni que
s’il venait d’être tondu, et dans les plates-
bandes, tout était parfaitement en ordre.
Des fleurs printanières étaient écloses, mais
elles penchaient la tête sur leur tige, et
même les arbres laissaient pendre leurs
branches comme s’ils dormaient.
Partout régnait le même profond silence.
L’air, qui aurait dû être rempli des
gazouillements des oiseaux, était lourd et
tout alangui. Gustave Doré
Vers Table des matières
Il n’y avait aucun battement d’ailes de
papillons, aucun bourdonnement de
mouches.
Les fontaines sur les pelouses ne
fonctionnaient pas, et lorsque le prince
regarda par-dessus le bord en marbre
du bassin de l’une d’elles, il put voir les
poissons rouges derrière les nénuphars
qui se tenaient immobiles, sans aucune
ondulation de la queue ni tremblement des
nageoires.
Vers Table des matières
Il traversa ainsi les pelouses et les
terrasses, sans jamais voir la moindre
chose éveillée, mais lorsqu’il s’approcha de
la cour, il vit un soldat qui se tenait là,
penché sur sa pique, la tête courbée sur
sa chemise.
Tout d’abord, le prince pensa qu’il était
mort, mais ses joues étaient fraiches et
colorées, et il était évident qu’il était tout
simplement endormi.
Dans la cour elle-même, il y avait d’autres
formes humaines, toutes calmes et
silencieuses.
Vers Table des matières
Une rangée de piquiers s’appuyaient contre
un mur et en face d’eux, étendu sur le sol,
ronflait le sergent qui faisait l’appel lorsque
le sort s’était abattu sur le château.
Un jeune écuyer, tenant sur le poing un
faucon endormi, dormait appuyé contre le
cheval sur lequel il venait de se mettre en
selle, lui-même endormi.
Non loin de là, était étendu un page tenant
un chien en laisse, tous deux dormant à
poings fermés comme s’ils n’allaient jamais
se réveiller, et à travers une fenêtre des
écuries, le prince vit un palefrenier couché,
une paille dans la bouche.
Vers Table des matières
Dans les écuries elles-mêmes, la situation
était identique.
Les chevaux dormaient le nez dans leur
mangeoire, se tenant debout sur leurs
quatre jambes exactement dans la position
où ils étaient cent ans auparavant, et
derrière l’un d’eux, était assis le chat de
l’écurie.
Çà et là sur le sol, étaient allongés des
palefreniers et des garçons d’écurie,
endormis au milieu de la paille.
Walter Crane
Vers Table des matières
Depuis les écuries, le prince poursuivit son
chemin jusqu’à la grande cuisine où il vit
un même étrange spectacle.
Il ne put s’empêcher de sourire lorsqu’il
s’approcha de la cuisinière la main toujours
tendue pour frapper l’infortunée souillon
qu’elle tenait par l’oreille.
Devant le feu pendaient les perdrix et les
volailles embrochées qui étaient en train
de cuire pour la fête d’anniversaire de la
princesse, et devant la table, une bonne
s’était endormie les mains dans un grand
pétrin plein de pâte. Charles Robinson
Vers Table des matières
Elle était en train de faire la pâte d’une
tarte lorsque le sommeil lui était tombé
dessus, et à côté d’elle, il y avait une
autre bonne qui plumait une poule noire.
Devant l’évier, un valet de cuisine se
penchait sur le pot qu’il était en train de
récurer.
Le prince pénétra ensuite dans le grand
vestibule où il vit les courtisans endormis
dans les renforcements des fenêtres ou
allongés sur le parquet ciré.
Charles Robinson
Vers Table des matières
Partout régnait un tel silence que le prince
était presque effrayé d’entendre son propre
souffle et les battements de son cœur
semblables au son d’un tambour assourdi.
Il allait et venait, à travers pièces et
couloirs, montant et descendant les
escaliers, entra dans la chambre de la
reine où il vit celle-ci ainsi que les dames
de la cour aussi calmes et silencieuses que
tout le reste.
Une de ces dames devait être en train de
lire pour la reine lorsque l’enchantement
tomba sur le château car le livre, l’histoire
de Troie, était toujours ouvert devant elle.Maxwell Parish
Vers Table des matières
Le prince entra ensuite dans la chambre
du roi, où sa Majesté était assise avec
ses ministres d’État autour de la table du
conseil.
Il s’attarda un petit peu ici, car il était très
curieux de voir ces nobles personnages
aussi silencieux et immobiles que des
statues de cire dans un musée.
Certains fronçaient les sourcils comme
s’ils étaient en pleine réflexion, et d’autres
souriaient comme s’ils s’étaient soudain
souvenu de quelque chose d’intelligent à
dire.
Le roi lui-même, à la tête de la table du
Conseil, s’était de façon évidente endormi
en plein milieu d’un discours, car son bras
était encore tendu au-dessus de la table,
un doigt pointé, et à côté de lui, son
secrétaire tenait encore à la main la plume
avec laquelle il était en train d’écrire sur un
rouleau de parchemin les paroles royales.
Le prince parcourut alors tout le château,
de haut en bas, jusqu’à ce qu’il ait visité
chaque pièce et ouvert chaque porte.
Et toujours il savait qu’il y avait autre
chose à voir, puisque nulle part il n’avait
trouvé la Princesse endormie.
Vers Table des matières
Il avait vu de nombreuses jeunes filles
extrêmement belles, mais son cœur lui
disait qu’aucune d’entre elles n’était la
jeune fille qu’il était venu réveiller.
Il redescendit dans la cour et trouva un
autre escalier qui conduisait aux remparts.
Là se tenaient les sentinelles dont le devoir
était de surveiller la campagne et d’informer
de l’arrivée de voyageurs, mais elles aussi
étaient endormies.
Edmond Dulac
Vers Table des matières
L’une d’entre elles tenait encore une corne
dans la main comme si elle allait souffler
dedans au moment de succomber au
sommeil enchanté.
Depuis les remparts, le prince grimpa dans
les tours et dans chaque tourelle, mais
il n’y avait pas être qui vive excepté les
hiboux endormis dans les crevasses des
murs et les chauves-souris qui pendaient
aux chevrons, tête en bas.
Il ne restait maintenant qu’une toute petite
tourelle à explorer.
C’était la plus vieille des tourelles, presque
en ruine, et manifestement inutilisée depuis
longtemps, car la porte de fer en était
toute rouillée et le lierre en recouvrait les
murs.
Le prince s’en approcha le cœur battant
car il savait que c’était là qu’il trouverait ce
qu’il était venu chercher.
Il ouvrit d’un coup la porte grinçante puis
d’un pas empressé, monta l’escalier en
spirale, ouvrit la porte au sommet et entra
dans la petite chambre sombre.
Vers Table des matières
Et là, – et là, il se précipita en avant
avec un cri de joie et d’émerveillement, car
il venait d’apercevoir la princesse étendue
devant l’étroite fenêtre.
Elle était étendue sur sa couche, ses
cheveux magnifiques étalés tel un fleuve
d’or ; et, oh ! aucun mot ne peut dire
combien elle était belle.
Le prince s’approcha doucement et se
pencha vers elle.
Il lui toucha la main ; celle-ci était chaude
mais immobile.
Vers Table des matières
Aucun son de respiration ne sortait de
ses lèvres entrouvertes, fraîches et douces
comme des pétales de rose ; ses yeux
étaient clos.
Le prince resta longtemps à l’observer car
il n’avait jamais vu de toute sa vie une
jeune fille aussi jolie.
Puis soudain il se pencha et l’embrassa sur
les lèvres.
Ce fut la fin de l’enchantement.
Les paupières de la princesse frémirent.
Lentement elle tourna la tête et étendit les
bras puis ses yeux s’ouvrirent et elle sourit.
« Est-ce vous, mon Prince? » demanda-t-
elle.
« Comme vous m’avez fait attendre ! ».
Vers Table des matières
Chapitre 11
Tout et bien qui finit bien
Margaret Price
Vers Table des matières
À ce moment précis, le charme fut rompu
et le château se réveilla.
Au lieu du profond silence, ce fut une
grande effervescence et une grande
confusion.
Les cloches se mirent à sonner, les portes
à claquer, les chiens à aboyer, les coqs à
chanter et les poules à glousser.
Dehors une brise se leva qui fit se
balancer et craquer les branches des
arbres.
Les colombes se mirent à roucouler sur les
toits, les hirondelles à gazouiller sous les
avant-toits, les mouches à bourdonner vers
les fenêtres, les souris à couiner derrière
les lambris et à gambader le long des
chevrons.
La fontaine dans le jardin bondit à soixante
pieds dans les airs, et les poissons rouges
nagèrent parmi les feuilles de nénuphars.
Les fourmis quittèrent leur nid en quête de
nourriture le long des sentiers, les papillons
dansèrent et virevoltèrent autour des fleurs,
qui redressaient la tête comme pour boire
les rayons du soleil.
Vers Table des matières
Dans chaque arbre du jardin, une grive se
réveilla et se mit à chanter.
Les moineaux pépiaient, les geais criaient,
les mésanges bleues jacassaient et
l’alouette lançait son étrange note.
Dans les bois un coucou appelait et un
merle répondait à un autre merle dans la
haie.
Dans les écuries, les chevaux s’éveillèrent
et s’ébrouèrent dans leurs stalles.
Le chat sauta et courut après la souris qui
se glissa dehors en passant sous la paille.
Vers Table des matières
La sentinelle à la porte de la cour
se réveilla, se frotta les yeux et reprit
complètement ses esprits, regardant mal
à l’aise tout autour de lui, croyant s’être
endormie juste quelques minutes et
craignant que quelqu’un ne l’ait vue et ne
l’ait dénoncée au sergent.
Les piquiers se réveillèrent aussi en
sursaut, ainsi que le sergent qui hurla un
ordre d’une voix forte et furieuse, car il
était honteux de s’être endormi devant ses
hommes.
Vers Table des matières
Le jeune écuyer qui partait chasser ajusta
le capuchon de son faucon et grimpa sur
son coursier.
Le page avec le chien revint vers son
maitre.
Au sommet de la plus haute tour du
château, l’étendard royal, qui s’était retrouvé
affalé le long de la hampe, se gonfla et se
mit à flotter librement dans la brise.
La haie qui avait poussée autour du
château enchanté s’ouvrit puis disparut.
Les paons s’ébrouaient et se pavanaient
dans les allées, les martinets voltigeaient
près de leurs nids sous les avant-toits, les
cochons se mirent à grogner, les bœufs à
meugler, les moutons à bêler, les corbeaux
à croasser et les enfants à rire et à
chanter.
Bref, tous les sons que nous entendons
chaque jour à chaque instant, et que nous
ne remarquons pas, étaient de retour et
semblaient si bruyants après ce silence de
mort qu’on en était presque assourdi.
Vers Table des matières
Et dans chaque pièce du château les gens
qui avaient dormi pendant cent ans, se
réveillaient et reprenaient leurs occupations
comme si rien ne s’était passé.
Dans la cuisine les flammes du feu
s’élevèrent avec force gémissements et
craquements.
La bouilloire se mit à bouillir, le faitout à
bouillonner, et la viande devant le feu à
fumer et grésiller tandis que le petit garçon
tournait la broche.
Vers Table des matières
« Prends ça », cria la cuisinière en
donnant à la souillon la claque qu’elle lui
avait promise cent ans auparavant.
« Attrape ça, petite friponne paresseuse ! »
« Bonté divine », brailla la servante qui
était en train de plumer la poule noire ;
« je me demande bien ce qui m’a fait
dormir comme ça ! En tout cas, j’espère
que la cuisinière ne m’a pas vue ! ».
Et alors, comme elle fit voler les plumes !
Vers Table des matières
Miaou ! cria dégouté, le chat qui venait
de bondir vers le trou de souris qu’il avait
repéré.
La petite souris qui avait pointé son nez il
y a cent ans venait en effet de le retirer et
de s’enfuir.
« Pauvre de moi », dit le valet qui
lavait les plats. « C’est sûr je me suis
endormi avec ce pot dans la main. C’est
une chance que je ne l’ai pas laissé
tomber ! ».
Et il continua son décrassage.
Vers Table des matières
C’était la même chose à la laiterie, où les
servantes s’étaient endormies alors qu’elles
écrémaient le lait et battaient le beurre.
Et la crème n’avait pas tourné bien que
cent ans se soient écoulés, et le beurre
n’était pas rance.
Mais une mouche qui s’était endormie sur
le bord d’un des pots de lait, se réveilla,
s’approcha pour goûter le lait, tomba
dedans et s’y noya.
Vers Table des matières
Dans l’anti chambre de la reine, les dames
d’honneur et les dames en visite se
redressèrent, bâillèrent et s’étirèrent.
Chacune pensait qu’elle était la seule
à s’être endormie, aussi elles se mirent
toutes en même temps à expliquer qu’elles
n’avaient fermé les yeux que pendant
quarante secondes.
« C’est la chaleur », se disaient-elles l’une
à l’autre.
« Le soleil est très chaud pour cette
saison ».
Vers Table des matières
Dans la salle du Conseil, le roi et tous ses
ministres se réveillèrent en sursaut.
Les ministres se frottèrent les yeux et
prirent un air penaud, car chacun pensait
qu’il était le seul à avoir fait un petit
somme.
« Votre Majesté disait … ? » dit
respectueusement le Premier Ministre, tout
en se penchant en avant.
« Je disais … » dit le Roi. « Qu’est-ce
que je disais ? »
Et il s’étira et bâilla.
« Je vous demande pardon, mes seigneurs.
Je m’étais endormi. Houp ! mes
articulations sont ankylosées. »
« Ce n’est qu’un petit endormissement
d’après repas », dit le Premier Ministre.
« Votre Majesté s’est trop dépensée lors de
la dure chasse d’avant-hier. Votre Majesté
désire-t-elle que nous poursuivions, ou
que la séance du Conseil soit levée jusqu’à
demain ? »
« Poursuivons, messieurs, poursuivons ! »
cria le roi de bon cœur.
Vers Table des matières
« Ma petite sieste m’a remarquablement
revigoré. Qu’en dites-vous, allons-nous
adopter cette loi, dont nous discutions il y
a quelques minutes ? »
Mais à ce moment, un page entra dans la
pièce avec un message de la reine, et dès
qu’il le reçut, le roi quitta son siège de la
salle du Conseil et rejoignit la reine.
Seule, parmi tous les gens du château, la
reine avait immédiatement réalisé lorsqu’elle
s’était réveillée de son sommeil enchanté,
ce qui s’était passé.
Vers Table des matières
Elle se souvenait des paroles de la
marraine fée, et elle comprit que ce qu’elle
avait prédit était arrivé, et que le sommeil
duquel, elle et tout le monde dans le
château, était en train d’émerger, avait duré
cent ans.
Sa première pensée fut pour sa fille, la
princesse Églantine.
Où était-elle et que lui était-il arrivé ?
Si elle aussi s’était simplement endormie,
tout était bien, mais si la première
condamnation prononcée par la treizième
fée avait pris effet ?
En quelques mots, elle expliqua au roi ce
qu’elle avait en tête, et sans délai des
messagers furent envoyés dans tout le
château à la recherche de la princesse.
Pendant ce temps, Églantine et le jeune
prince, bavardaient dans la tour en ruine.
Pour la première fois elle entendit l’histoire
de l’enchantement, et ses yeux s’agrandirent
de surprise lorsqu’elle écouta le récit de
son bien-aimé à propos des choses
étranges qui étaient survenues dans le
château.
Vers Table des matières
Lorsqu’il lui parla de la grande haie et de
ses cruelles épines, ainsi que de tous les
nombreux jeunes gens qui étaient morts en
essayant de s’y frayer un chemin, ses yeux
se remplirent de larmes.
« Comme ils ont eu du courage », soupira
t-elle. « Oh, si seulement je pouvais les
ramener à la vie ! »
Mais le prince sécha ses larmes et passa
rapidement sur cette partie de son récit.
Bientôt elle sourit de nouveau : elle était
heureuse, car elle comprenait que tout ce
qui était arrivé, devait arriver.Walter Crane
Vers Table des matières
Alors le prince lui prit la main, et la releva
de la couche sur laquelle elle avait dormi
si longtemps.
Ils descendirent ensemble l’escalier en
colimaçon et arrivèrent sur les remparts
où ils trouvèrent un groupe de personnes
essoufflées qui avaient couru de haut en
bas à la recherche de la princesse.
Quelle ne fut pas leur surprise de la
retrouver ici, accompagnée d’un jeune
homme qu’ils n’avaient jamais vu !
Charles Robinson
Vers Table des matières
Elle semblait avoir encore embelli pendant
son long sommeil, et ils étaient émerveillés
par sa beauté.
Et comment décrire la joie du roi et de
la reine lorsqu’ils revirent leur fille et
comprirent que la bonne fée avait tenu
parole ?
Le roi était si heureux qu’il ne pouvait
que dire « Mon Dieu! Mon Dieu! » et la
reine ne pouvait rien dire du tout, car elle
pleurait de joie.
Quelle fête il y eut cette nuit là !
En dépit des cent ans qui s’étaient
écoulés, c’était toujours l’anniversaire de la
princesse, et elle n’avait toujours pas plus
de quinze ans, puisque le temps s’était
arrêté pour elle.
Ainsi ce fut sa fête d’anniversaire en même
temps que ses fiançailles, car le roi joignit
les mains du jeune prince et de sa fille et
leur donna sa bénédiction.
Vers Table des matières
Les mots difficiles
Alentours : Lieux qui environnent un espace, un
bâtiment.
Gésir : Être couché, étendu sans mouvement.
Quête : recherche.
Ardent : Qui est plein d’ardeur ; passionné.
Enchevêtrement : Ensemble confus, incohérent
et désordonné.
Atours : Éléments de la parure d’une personne.Carl Offterdinger 1829 -1889
Vers Table des matières
Devise : Brève formule qui exprime une
pensée, un sentiment, une règle de vie, de
conduite.
Entraver : Mettre des obstacles à, embarrasser
dans ses mouvements.
Alangui : Privé d’énergie.
Palefrenier : Personne qui soigne les chevaux.
Effervescence : Agitation extrême
Se Pavaner : Marcher en prenant des poses
avantageusesJohn Duncan
Vers Table des matières
Penaud : Qui est honteux après avoir commis
une maladresse.
Ankylosé : engourdi
Revigorer : Redonner des forces, de la vigueur.
Herbert Cole