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La belle maison: la sémiotique du décor Lanoue, Université de Montréal, 2012

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La belle maison: la sémiotique du décor. Guy Lanoue, Université de Montréal, 2012. Pourquoi décorer l’environnement résidentiel?. Pour répondre à cette question, toutes les raisons classiques sont sans doute partiellement valides:. - PowerPoint PPT Presentation

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La belle maison: la sémiotique du décor

Guy Lanoue, Université de Montréal, 2012

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Pourquoi décorer l’environnement résidentiel?

Pour 1) satisfaire à une esthétique personnelle; 2) favoriser le confort ou une autre raison pratique (p.e., maximiser l’espace de rangement); 3) affirmer et renforcer son identité psychique, surtout quand les catégories sociales imposées («ouvrier», «immigrant», «enseignant») sont inadéquates ou trop limitées pour englober et encadrer la complexité de l’être individuel; 4) impressionner les voisins et les visiteurs à la maison pour légitimer le capital culturel, soit revendiqué ou maitrisé (gout raffiné; richesse); 5) établir, signaler et renforcer une mini hiérarchie de pouvoir («la chambre des maîtres», «la chambre d’eau principale», etc.); 6) répondre aux besoins d’un passetemps (p.e., mettre en évidence une collection privée – les allumettes, les poupées G.I. Joe, etc.).

Pour répondre à cette question, toutes les raisons classiques sont sans doute partiellement valides:

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Le décor traditionnel dans les maisons bourgeoises et de la petite aristocratie en Occident a varié énormément selon l’époque et le lieu, mais un constant depuis plusieurs siècles est que le symbolisme de certains objets décoratifs – les cadres, les photos, les portraits, les bustes et les sculptures – fait allusion à un ailleurs, soit à un espace topographique lointain, soit à un temps antérieur: une photo d’un ancêtre sur le manteau du foyer, une image bucolique de la campagne sur un mur, un petit cupidon sur un piédestal dans un coin (et donc un thème mythologique). Par contre, le décor moderne, depuis l’ascendance de la classe moyenne dans les années 1960s, a pris un autre versant. Les théories contemporaines du décor semblent implicitement favoriser le décor qui minimalise les références à l’ailleurs et soulignent l’ici, qui transforme la maison en lieu hermétique. La maison est bien décorée avec de couleurs et de bibelots, mais manque de références symboliques à l’ailleurs, soit parce que le design est minimaliste, soit parce que la décoration est abstraite et donc dépourvue de signifiés évidents. S’il y a d’objets d’origine étrangère, ils sont souvent recyclés (récontextualisés) et donc perdent leur lien à l’ailleurs.

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L’amour du décor

Le décor et les styles évoluent continuellement, et depuis une dizaine d’années ont assumé une importance toujours croissante. Pourquoi les personnes, surtout en Occident, semblent-elles avoir changé d’attitude envers les espaces résidentiels? Le décor est devenu archiimportant parmi des souches qui, jadis, devaient se contenter de standards beaucoup moins huppés, moins «cosmopolites», moins «design». Le tout est coloré par des manifestations de rectitude politique qui conditionnent les choix de matériaux, qui de préférence doivent être «verts» et «équitables». Bref, la question du décor résidentiel est devenue beaucoup plus complexe.http://www.arefinedenvironment.com/images/afterlivingroom1.jpg

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Même les éviers sont devenus des objets de design

et de luxe.

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La rénovation

Combien de fois voyons-nous, sur des chaines de télévision qui présentent les rénovations vraies ou projetées (quand les personnes désireuses d’acheter font des plans), des personnes qui se plaignent que deux salles de bain pour une famille de 4 sont inadéquates, ou que 2,500 pieds carrés d’espace vivable sont trop peu, ou qu’une cuisine sans ilot et inox est inacceptable? De plus, il y a souvent une critique continuelle des choix esthétiques des autres (p.e., voir le programme Sell This House). Le décor est devenu obligatoirement contemporain et symbole de la puissance d’agir de l’individu. Bref, l’esthétique est très politisée.

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Évidemment, ces changements aux gouts n’ont pas touché uniquement le décor: nous sommes devenus gourmets, des cordons-bleus sensibles mêmes aux nuances de poutines différentes, contrariés quand le resto birman n’a plus de place, agacés parce que le bistro du coin a épuisé le confit de canard. Le monde de la classe moyenne est devenu précieux: «Dans ce salon conjugué au présent …»«Ambiance zen et naturelle pour la chambre…» «…s'agencent à ravir …»«Pierres intemporelles…»-- toutes ces citations sont prises du site de Canale Vie, rubrique «décoration» (http://www.canalvie.com/decoration/articles/les-murs-de-pierres-4800, consulté le 5-05-2010)

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Le design contemporain semble avoir abandonné l’idée de socialité intime. La vie contemporaine semble se limiter à visionner des objets de collection. Justement, on voit Gollum (du livre et du film Lord of the Rings) devenir lui-même «précieux» par la puissance du bling contemporain.

Le Gollum et ses «précieux»

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L’innovation, l’invention du Soi, et le décor

La décoration de la maison est une tentative de décider l’utilisation et la disposition des objets, des formes et des couleurs; bref, pour contrôler les multiples significations des objets, surtout que le champ symbolique est aujourd’hui souvent étendu (cosmopolite), éphémère, et parfois contradictoire. La maitrise de ce langage complexe établit le sémiopouvoir de l’individu, la capacité de baptiser, recycler et établir la signification des objets. Bref, décorer est aujourd’hui une forme puissante d’agir.

La majorité d’entre nous n’est pas si douée pour pouvoir se réinventer continuellement comme Madonna.

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La microdécoration

Dans un monde néocapitaliste qui dicte que le pouvoir s’exprime, se manifeste et se légitime par le contrôle du symbolisme des objets (et non par le contrôle tout simple des objets eux-mêmes), ce sémiopouvoir est une forme de l’affirmation du Soi, une projection du biopouvoir. L’affaiblissement des Soi contemporains dû à la mondialisation a poussé les personnes à renforcer l’agir individuel en contrôlant davantage les microdétails du décor, soit la présentation, soit le style et l’ambiance. L’individu ne peut décider la production, la distribution, ni la reproduction du système (par processus caché de la production de la plus-value), mais il peut projeter une signification personnalisée sur des objets, autant plus si les objets sont sémiotiquement déracinés et résémiotisés.

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L’objet et l’esthétique

In 1986, Arjun Appadurai écrit, dans une collection sous sa direction (The Social Life of Things), que les objets ont une dimension sociale (et non uniquement économique, comme la majorité avait pensé jusqu’à cette époque), car ils participent dans la vie culturelle non seulement comme symboles de richesse, mais comme incarnations des valeurs d’une société.

Voilà pourquoi nous reconnaissons cet objet

comme uniquement américain; il incarne les

valeurs de l’époque –l’avion et la fusée comme signes de

vitesse et donc de mouvement et, métonymiquement,

d’évolution et du progrès (voir G. McCracken, Culture

and Consumption II, 2005.

Jadis, l’âge d’un objet définissait un espace où les personnes pouvaient y projeter de significations personnalisées. Cependant, ceci est aujourd’hui un défi, car plusieurs objets «postmodernes» éliminent ou ignorent la dimension temporelle de l’objet, car ile mettent l’accent sur la nouveauté. Les objets purement décoratifs sont souvent déracinés du temps, éliminant cet espace de sentiments et d’émotions. En revanche, ces objets décoratifs contemporains sont souvent recyclés, ce qui permet aux personnes de les personnaliser. Autrement dit, la neutralité esthétique de l’objet en fait invite les personnes à projeter ce qu’ils veulent. http://images.artnet.com/artwork_images

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Coquille recyclée en cendrier-mosaïque par l’ajout de tuiles

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Traditionnellement, le manteau de cheminée était utilisé pour point central pour attirer l’œil, surtout

aux trésors de famille, souvent des photos ou d’objets intimes. Voir D. Miller (ed.), Home

Possessions, New York, 2001. Ici, dans cette photo d’une maison grecque des années 1920, on voit une décoration typique du manteau de la cheminée: des assiettes, pour signaler la capacité de la famille de

recevoir les invités.

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L’importance du manteau était signalée par le placement de l’horloge de manteau, un objet conçu spécifiquement pour ce lieu important pour l’affichage de l’identité de la famille bourgeoise (temps=signe qu’il sont occupés, à différence des élites; c.-à-d., ils sont occupés à se définir une identité par leurs activités de gérants et d’investisseurs).

http://blogs.nyu.edu/projects/materialworld/M3998-thumb.jpg

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À la Renaissance, l’utilisation d’édifices et d’autres éléments architecturaux devient rapidement la marque de commerce de la nouvelle perspective, comme si l’artiste voulait à tout prix proclamer son adhésion aux nouvelles règles esthétiques des proportions naturelles.

Depuis 500 ans les cultures occidentales utilisent un régime visuel à la quasi-exclusion de toutes autres géométries du visuel. Ce système est désormais normalisé et somatisé. La perspective centrale (ou «linéaire») expérimentée et perfectionnée par Filippo Brunelleschi en c.1425, pour la première fois transforme les images définies par les 4 bords des deux dimensions principales (X, Y) en un simulacre de cube ayant trois dimensions et six faces; l’utilisation d’un point de convergence centrale situé à la face antérieure du cube imaginaire en effet met en relief la face qui représente l’avant-scène et donc privilégie la position spatiale et sémiotique-existentielle du spectateur vis-à-vis de l’image.

Les raisons pour cette invention son complexe (voir le PPT La Perspective et la leçon Les origines du Romantisme et la grande famine de 1315); ce qui est pertinent est que organisation géométrique des composants d’une image déclenche un dialogue silencieux entre l’arrière-plan et l’avant-plan, entre les composants d’apparence «petite» et les composants grands, entre le loin et le proche: c’est le spectateur le vrai sujet des images qui adoptent cette géométrie désormais standardisée et somatisée, mais son agir rehaussé converge avec l’idéologie de la souveraineté étatique, qui se légitime par son contrôle du territoire. Ceci déclenche une lutte sémiotique autour de la question de l’espace.

La géométrie visuelle et privilégier l’agir

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Le temps et la culture populaire

La culture populaire ne semble pas avoir un passé historique; ses éléments ne se réfèrent pas à une tradition, mais plutôt à la mémoire, ce qui suggère que la culture populaire a un passé d’une trentaine d’années – des souvenirs et des mémoires.

http://media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-s/01/1d/5c/54/memories-for-a-lifetime.jpg

Souvent, ces mémoires et souvenirs prennent une forme hautement ritualisée qui les identifie immédiatement comme des souvenirs individualisés faisant partie du domaine intime et non public. Ces souvenirs sont donc isolés des forces et dynamiques propres à la «grande» histoire officielle de la communauté. Les partager est un geste d’intimité.

Ici, on voit une photo typique qui évoque des souvenirs, le passé individualisé; paradoxalement, l’effet nostalgique se produit en quasi annulant les personnes, en créant une mise en scène où les personnes ne sont quasi pas reconnaissables parce qu’elles sont dominées par l’arrière-plan qui sert de contexte.

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Théorie du spectateur et l’agir nostalgique

En plaçant le sujet hors contexte (soit en faisant dominer le contexte [un arrière-plan pour un écran, à droite], qui annule le sujet humain,

soit en l’éliminant par le gros plan [en bas]), ce genre de photo devient nostalgique parce qu’elle oblige la personne qui la visionne à

réintroduire, inconsciemment, l’équilibre entre e contexte et sujet. Les photos

nostalgiques déclenchent la construction du texte, contexte et sous-texte; c’est une forme

de sémiopouvoir individuel.

http://5c.img.v4.skyrock.net/5c2/tiny-jo/pics/2533140261_small_1.jpg

Autrement dit, le déséquilibre entre sujet et contexte permet au spectateur de projeter le rapport contexte-sujet qu’il souhaite. La nostalgie est une opération hautement personnalisée et active. C’est une intervention temporelle de la part de l’individu, qui affirme son agir dans le temps-souvenir contre le pouvoir temporel monolithique (le temps-histoire) de l’État.

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http://homepages.tesco.net/ian.cox99/Vermeer%20-%20Girl%20with%20a%20Pearl%20Earring%20(1665).jpg

La jeune fille à la perle, Vermeer, 1667; l’arrière-plan traditionnel est éliminé, ou

plutôt projeté sur le visage de la jeune fille. Ceci transforme cette image en

objet esthétique pure; sans le dialogue traditionnel arrière-plan avant plan

(contexte-texte), on ne peut projeter de l’information pour transformer l’image en véhicule de la nostalgie. En tout cas, l’âge de cette image est trop bien connu

pour qu’elle fasse partie d’un engagement nostalgique.

http://www.cogop.org/files/Departments/General%

20Overseer/Misc%20Photos/Articles/Snapshots/Snapshots-1.jpg

Paradoxalement, comme dans la photo du couple devant le château, l’effet nostalgie peut être signalé par l’élimination de traces de l’individualité. Ou, comme dans l’instantané en haut, par l’élimination de toute l’information de l’arrière-plan. La nostalgie est donc une condition existentielle fortement ritualisée et signalée par l’adoption d’une composition visuelle où le sujet est débalancé vis-à-vis de son contexte (soit il n’y en a pas, soit il y en a trop).

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• «Nineteen-eleven,» she said, « Wait until you see the snow …»

• She kept talking. It was the worst kind of snapshot monologue, giving the background of each blurred person and each indistinct object; and describing, in minute detail, things that weren’t shown in the pictures.

p.103, My Secret History, Paul Theroux, 1989

Dans ce cas, la torture psychologique du monologue ennuyeux est pire qu’il apparait, car le protagoniste le subit involontairement, de la part de la propriétaire de l’appartement de sa copine lors qu’il est caché dans le garde-robe de celle-ci (dans le roman, nous sommes au début des années 1960).

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Le sémiopouvoir et le recyclage

Les grandes lignes de force sont déjà tracées et elles ignorent la volonté et l’individualité. La décoration permet un microcontrôle de son environnement, de l’espace (lieu d’agir de l’État) et, récemment, du temps, par le biais du recyclage symbolique (on décide la durée de vie des objets; mieux, on peut renforcer le contrôle individuel de l’espace et du temps en reformulant le but d’un objet).

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http://crushofthemonth.typepad.fr/photos/uncategorized/2008/04/23/light_bulb.jpg

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Recyclage et Réinvention

«Stewart has made herself a master of material culture.  After all, she can turn empty bleach bottles into center pieces of the dining room table.  This is not the bricolage Levi-Strauss found so interesting.  When French handymen make new objects out of old ones, the old ones remain visible.  In Stewart’s case, the foundational object disappears. Bricoleurs recycle. Stewart transforms.» (mon emphase)Grant McCracken, Transformations, p. 48  

http://www.mediabistro.com/unbeige/original/martha%20stewart.gif

La reine incontestée de la réinvention et du recyclage contemporain est Martha Stewart; même après la prison (2004, pour évasion fiscale), elle a pu reprendre le contrôle de son empire de l’esthétique. Martha fusionne le bon gout traditionnel (symbole de l’attachement au passé) avec l’innovation technique. Elle redéfinit les frontières sémantiques et sémiotiques d’objets esthétiquement banals en interprétant les vieilles techniques canoniques selon une nouvelle solution matérielle, p.e., une pièce maitresse de table fabriquée d’une bouteille de plastique.

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Mondo Martha

Elle est si talentueuse à ce jeu de réinvention qu’on ne peut distinguer les innombrables parodies de ses «vraies» réalisations. Elle n’offre pas de leçons à son public pour les aider à faire un saut vers la classe moyenne haute; elle donne plutôt la confiance d’interpréter les vieux canons du décor et du style de façon totalement personnalisée. Elle valorise l’individualité craintive de la postmodernité.

http://hastyruminations.files.wordpress.com/2008/06/martha.jpg

http://penniesonaplatter.files.wordpress.com/2009/03/dsc_8142.jpg?w=468&h=703

Un exemple de réinvention (mais pas fait par Martha): un «diaper cake» (gâteau-couches) confectionné par une madame en honneur de son amie qui a annoncé sa grossesse.

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Julia vs. MarthaJulia Childs était la doyenne de la cuisine classique (française) aux États-Unis. Elle est surtout connue pour avoir simplifié cette cuisine pour les gouts (et les horaires) américains. Martha ne simplifie pas. Ses créations sont parfois compliquées et exigent de matériaux et d’ingrédients recherchés ou quasi introuvables (p.e., la recette en haut). À différence de Childs, Stewart n’interprète pas le bon ton pour le peuple, en lui fournissant des raccourcis à l’apprentissage. Elle le redéfinit selon le gout populaire.

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http://blogs.lexpress.fr/cinema/assets_c/2009/03/mothra-9-thumb-560x399.jpg

http://www.contactmusic.com/pics/m/new_york_time_week_111008/martha_stewart_5074811.jpg

«Pork shoulder (also called pork butt) is available bone-in or boneless; you can use either for this preparation. Hard cider, or fermented apple juice, is a popular beverage in England and parts of France, where it is also used in cooking. If you prefer a nonalcoholic substitute, use a combination of chicken stock and sparkling apple cider instead (no more than half cider, or the dish will be too sweet). Heavy cream is stirred into the sauce at the end to add richness, but you can omit it if you like. Buerre manie is a thickening agent that consists of equal parts flour and softened butter, which are kneaded together by hand or with a fork. Buerre manie can be added to almost any sauce that needs a bit more body.» De la recette de Martha pour le porc braisé. (http://www.marthastewart.com/recipe/pork-shoulder-braised-in-hard-cider?rsc=ts_Homepage_Homepage)

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Martha Redux

• «St. Paul, Minn. — A new TV show produced here in Minnesota premieres on public TV stations across the country this weekend.

• MAKE:television highlights creative do-it-yourself projects that tinkers can do at home. However, one look at the show and thoughts of This Old House or Martha Stewart will quickly dissipate. »

http://images.google.ca/imgres?imgurl=http://images.publicradio.org/content/2009/01/09/20090109_john_park_33.jpg&imgrefurl=http://minnesota

.publicradio.org/display/web/2009/01/09/diy_invention_show_gets_public_television_premiere/&usg=__prdakohvLuXMqlrOY84Gg8VvXAs=&h=450&w=600&sz=95&hl=fr&start=6&um=1&tbnid=txikLF_QqtrnPM:&tbnh=101&tbnw=135&prev=/images%3Fq%3Dmartha%2Bstewart%2Binventions%26hl%3Dfr%26rlz%3D1T4GGIH_frCA257CA286%26sa%3DN%26um%3D1

Elle est tellement iconique qu’elle devient un point de référence pour tout bricolage novateur:

http://3.bp.blogspot.com/_EQx67--h07Y/Sd2gKrF9WUI/AAAAAAAAAdU/6meJdJNmwxc/s320/necktie+dyed+easter+eggs++silk+tie+dye+martha+stewart9.JPG

Martha est tellement un «brand» (voir le dossier sur la publicité postmoderne) que toute innovation ou interprétation est devenue un «Martha Stewart moment». P.e., le titre du blogue qui met en vedette l’image des œufs peints est: «Get in touch with your inner Martha Stewart» - nous sommes tous des Marthas inhibés en attente d’être libérés. Nous ne sommes pas bannis du sommet où règne le bon ton; c’est le sommet qui s’est incliné pour nous accueillir.

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Il buono, il brutto, il cattivo

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Je ne veux pas condamner l’art africain dans les banlieues (ou ailleurs), mais je veux souligner l’évolution sémiotique du masque africain : de métaphore du géographiquement loin, à une métonymie du temps (arriéré ou hyper avant-gardiste, le passé ou le futur); du beau au kitch; de l’orientalisme au bobo (bourgeois-bohème), et ceci, dans une trentaine d’années. Seulement les banlieusards culturellement arriérés ou les ultraurbains uber-cool (ou qui veulent projeter l’image de kamikaze culturel) s’adornent de ces masques aujourd’hui.

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La «bohèmisation»

• The Crazy Ethnic Lady Mostly Likely Apartment Decoration: African masksWe can all get along and do good things while enjoying those magic brownies in the shape of colorful human. They usually hail from the west coast and certain pockets in the northeast. They can be identified by flowing clothes and accessories from "different cultures." Most likely, they will not stick with Arabic, unless of course they seduce an Arab lover, but will jump on the next trend in ethnophilia.

Warning: these individuals can react to negative experiences, such as humiliating treatment by the professor, by turning hard right, into Fox News fandom. Favorite Arabic phrase: “Ahlan wa Sahlan”

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Extrait d’une typologie de personnes aptes à étudier la langue arabe, selon un blogue dédié à l’enseignement de cette langue. La «folle ethnique» est nº 4 sur une liste de 18 stéréotypes. Je ne me prononce pas sur l’étude de langue arabe, mais le masque africain ici est, comme je l’ai suggéré, une métonymie du temps figé, d’une personne bloquée dans un passé et désormais transformée en parodie.

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Les icônes du cosmopolitisme de l’époque: des objets « traditionnels » que ces banlieusards « élites » ont achetés à Puerto Vallarta, en croisière. Nous pouvons être relativement certains qu’ils vont bientôt orner leurs sous-sols.

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Du lieu à la ban-lieue

http://uglyhousephotos.com/wordpress/wp-content/uploads/2009/01/phx60sdecor1965.jpg

Notez les décorations murales «exotiques» de l’époque (1965). Le pendant en macramé et les objets «ethnographiques» fournissent une touche de «naturel» et de l’«authentique» au décor.

http://uglyhousephotos.com/wordpress/wp-content/uploads/2009/01/090106h.jpg

http://www.aspencountry.com/assets/product_images/product_lib/38000-38999/38452.jpg

Candélabre-grenouille, 1960s

Banlieue: ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1185 dr. féod. « espace (d'environ une lieue) autour d'une ville, dans lequel l'autorité faisait proclamer les bans et avait juridiction» (Beauvillé,

Recueil de doc. inédits concernant la Picardie, 1860-82, t. 4, p. 21La banlieue serait donc un non-lieu?

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Le quétaine– Selon Wiktionary: – «Possible déformation de Keaton, du nom d’une famille de Saint-Hyacinthe connue

pour ses gouts singuliers. – Selon d’autres sources, dont la comédienne québécoise Andrée Champagne, il s’agirait

d’une déformation du mot quêteux, et viserait à la base les gens ayant un style vestimentaire démodé et mal agencé, c’est-à-dire, des vêtements quêtés (quémandé).»

– http://fr.wiktionary.org/wiki/qu%C3%A9taine

http://i2.photobucket.com/albums/y38/Katwoman77/527X1927.jpg

http://www.thebiographychannel.co.uk/images/biographies/main/1672_bio_homepage_main.jpg

Victoria Gotti et ses trois fils «guido»: précurseurs de Jersey Shore, ou inspiration?

Page 26: La belle maison: la sémiotique du décor

Quétaine redux

Qu’est-ce qui transforme l’objet ou la pratique en quétaine? Généralement, l’excès, qui est signalé par un ensemble de moyens qui brouillent le lien signifiant-signifié: avec la voix, on souligne le lien entre signifié et signifiant un peu trop. Ex: une publicité pour une marque de chocolat qui proclame «C’est choco-licieux!». Avec le visuel, on ajoute trop: une bague trop grande, un diamant trop brillant; un collier trop gros et trop voyant (qui déplace et même invertit le lien signifiant-signifié, car l’oeil est dirigé vers le collier et non au cou gracieux et le décolleté discret de la madame); un chandail trop décoré; ici, l’excès signale une inversion, où les vêtements «artificiels» dominent la beauté

http://www.polyvore.com/cgi/img-thing?.out=jpg&size=l&tid=15788972

http://headshotblog.com/wp-content/uploads/2009/07/tacky-necklace-blog1.jpg

«naturelle» du corps. C’est une appropriation qui se proclame comme telle, signalant que les personnes ne comprennent pas le système de frontières.

http://uglyhousephotos.com/wordpress/wp-content/uploads/2009/04/090405midny1c.jpg

Le tacky. Ici, un motif floral est répété et assomme visuellement le spectateur: dans le tissu du divan, la nappe, l’abat-jour, le bandeau qui entoure les murs, la base art-nouveau de la table d’appoint, les deux bouquets de fleurs, le motif floral des rideaux. Vous avez compris? Je peux m’en aller maintenant?

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Le kitch Le kitch est légèrement différent du quétaine parce qu’il s’inspire d’un style ou d’une mode assez originale ou répandue, mais il n’est qu’une copie sans valeur, simplifiée ou vulgaire. Qui utilise le décor kitch est généralement conscient qu’il fait une mise en scène ironique et autoréférentielle, qu’il brise les règles. C’est un clin d’oeil à l’acte d’appropriation. Voilà pourquoi nous pouvons avoir des personnes quétaines mais rarement kitchs. On est quétaine par inadvertance, kitch par choix.

http://photos.igougo.com/images/p412-Oak_Island-Sea_Sage_Decor.jpg

http://farm4.static.flickr.com/3031/2695890874_e5bc66ac47.jpg?v=0

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/af/Garden_gnome_with_wheelbarrow-20051026.jpg/180px-Garden_gnome_with_wheelbarrow-20051026.jpg

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Le bibelot

Le bibelot est l’outil sémiotique à disposition des personnes démunies de meubles hérités, ou de sommes pharaoniques pour payer un designer privé, ou tout simplement de capital culturel en suffisance pour imposer un style cohérent et singulier utilisant des objets simples et économiques.

La puissance sémiotique d’un seul bibelot est très limitée, car chaque bibelot

est généralement un objet sans grande valeur commerciale. Ensemble,

cependant, une masse de bibelots confèrent un grand pouvoir sémiotique au designer, car la multiplicité des messages

peut annuler le «bruit» des autres objets de la résidence.

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Les bibelotsLes bibelots (trinkets, curios) sont l’expression la plus individuelle du désir de décorer. Ils sont au cœur de la décoration, mais pas du staging (mettre en valeur, lit. mettre en scène) d’une pièce ou une maison. Par définition, la valeur d’un bibelot est en grande partie cachée, car elle dépend d’une signification privée – un souvenir du lune de miel, un objet acheté lors d’une excursion à Paris, une fleur séchée souvenir d’un premier amour. Toutes ces dimensions sont réservées pour une seule personne et cachées au public. Le bibelot n’est pas un objet social (dans le sens élaboré par Appadurai), car il est au-delà de l’esthétique partagé, et sa dimension temporelle, en contraste de celle d’un vieux meuble (ou d’un meuble imitation en style classique), est un secret (ou un petit trésor) réservé pour une seule personne. Pour l’invité, le bibelot est donc jugé uniquement par ses qualités esthétiques inférieures, et donc, il devient quasi automatiquement du kitch ou du quétaine. Voilà pourquoi le bibelot n’est pas au cœur du staging – il est un objet-simulacre, unidimensionnel. À différence des l’objet décoratif utilisé dans le staging, sa dimension d’aide-mémoire privé peut évacuer sa fonction esthétique.

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Staging

Le staging utilise des arrangements de meubles et de couleurs dépourvus de leur dimension temporelle (toute trace du vécu est éliminée), à différence du bibelot, où cette dimension est cachée, mais présente. Le staging est donc imperméable aux significations individuelles que les personnes normalement projettent sur les bibelots et sur les objets principaux au cœur du décor– les meubles. Le staging ne peut que créer des mises en scène dépersonnalisées, sans esprit. Les résultats sont très efficaces sur le plan esthétique, mais impuissant sur le plan intime. Les pièces sont transformées en chambres d’hôtel de luxe, en non-lieux (dans le sens de Marc Augé). P.e., les stagers souvent préparent une table de salle à manger pour accueillir des invités, mais aucune famille ou personne normale ne laisserait sa table dans cette condition.

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Staging/2

Le staging a quasi toujours le même résultat: un espace trop parfait, presque précieux, sans traces du vécu et du parcours de vie que normalement les personnes imposent sur leur environnement. Un lieu où parle uniquement l’esthétique, mais ou est plus important le sous-texte économique: le staging se base sur l’arrangement d’objets décoratifs (pas de bibelots, en tant que tel), de fleurs, de plantes, de lumière; bref, de formes et de couleurs pures, détachées de tout contexte. L’argent se voit toujours dans les résultats, même aux dépens de la valeur des meubles. Ces derniers normalement valent beaucoup plus que les accents utilisés dans le staging, mais ont tous de fois une dimension utilitaire et temporelle. Les objets décoratifs n’ont aucune autre fonction, et donc même s’ils coutent une petite fraction des meubles qu’ils adornent, le seul message est qu’une personne se permet cette dépense supplémentaire et inutile. Dans un régime postmoderne qui ronge et affaiblit l’attachement de personnes à leurs communautés de référence (et où l’écart entre riches et pauvres devient toujours plus insurmontable) l’argent devient un des seuls moyens certains pour marquer le statut et pour négocier l’identité.

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En contraste avec les objets décoratifs des générations précédentes, les bibelots d’aujourd’hui ne sont pas des souvenirs, de cadres et de photos de famille, d’objets hérités de grand-maman placés sur la cheminée. En fait, dans les émissions censées aider les personnes qui ont de la difficulté à vendre leur maison (Bye-Bye maison; Sell this house) ou qui veulent tout simplement refaire l’ambiance (Changer de décor; Debbie Rénove) les conseils sont toujours pareils: dépersonnaliser l’espace («declutter»).

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