la biomasse

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CHERCHEURS D’éNERGIES Cahier spécial réalisé avec le soutien de la direction scientifique de TECHNOLOGIE La biomasse, une énergie en plein essor éCONOMIE La biomasse, un gisement d’or vert SOCIéTé « Les bioénergies doivent confirmer leur potentiel durable », interviews de Caroline Rantien, chargée d’études à l’ADEME, et de Benoît Gabrielle, chercheur à l’INRA. 2. La biomasse Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies. Très productive, riche en lignocellulose, peu exigeante en intrants et surtout non valorisable pour l’alimentation, le miscanthus, une graminée vivace originaire d’Asie, intéresse de près les scientifiques en quête de nouvelles ressources de biomasse pour fabriquer des biocarburants avancés.

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Cahier spécial réalisé avec le soutien de la direction scientifique de TOTAL

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Cahier spécialréalisé avec

le soutien de la direction scientifique de

TechnOLOgieLa biomasse, une énergie en plein essor

écOnOMieLa biomasse, un gisement d’or vert

sOciéTé« Les bioénergies doivent confirmer leur potentiel durable », interviews de Caroline Rantien, chargée d’études à l’ADEME, et de Benoît Gabrielle, chercheur à l’INRA.

2. La biomasse

Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies.

Très productive, riche en lignocellulose,

peu exigeante en intrants et surtout non valorisable

pour l’alimentation, le miscanthus, une

graminée vivace originaire d’Asie, intéresse

de près les scientifiques en quête de nouvelles

ressources de biomasse pour fabriquer

des biocarburants avancés.

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LA BIOMASSE TECHNOLOGIE

86 • La Recherche | JUILLET 2011 • nº 454

Le Centre de stockage de Claye-Souilly valorise actuellement le biogaz issu des déchets non dangereux pour produire une quantité d’électricité équivalente à la consommation électrique hors chauffage d’une ville de 228 000 habitants, ainsi que du biométhane carburant.

Pendant longtemps, la bio-masse, qui désigne l’en-semble de la matière orga-nique d’origine végétale et animale, fut la source d’énergie la plus exploitée

par l’homme. Son utilisation remonte à la maîtrise du feu, il y a environ 450 000 ans. Puis vint la révolution industrielle au xixe siècle. L’énergie du bois fut alors remplacée par les énergies fossiles : le charbon et sur-tout les hydrocarbures. Cependant, la biomasse connaît aujourd’hui un renouveau. La lutte contre le réchauf-fement climatique a en effet permis de redécouvrir les bienfaits de cette res-source. L’énergie tirée de la biomasse est notamment considérée comme re-nouvelable. De plus, son bilan car bone est théoriquement favorable vis-à-vis de l’effet de serre, puisque le gaz car-bonique émis dans l’atmosphère n’est autre que celui absorbé auparavant par

la plante lors de sa croissance. Autre intérêt : sa diffusion pourrait permettre de réduire les problèmes de dépen-dance énergétique. Il faut cependant tenir compte de l’énergie nécessaire à l’agriculture, aux transports et à la transformation de la biomasse.

Comment produit-on de l’énergie à partir de la biomasse ? Les réponses sont nombreuses tant la ressource et les procédés de transformation sont variés. « La combustion du bois reste la voie la plus importante », explique Olivier Bertrand, chef du département Bioénergies du Syndicat des énergies renouvelables en France. Les applica-tions vont du simple feu de bois domes-tique aux chaudières industrielles. Les rendements énergétiques des meil-leures technologies de chaudière ont fait de grands progrès ces dernières années, atteignant 90 % en utilisant des granulés : un combustible bois à haut pouvoir calorifique et faible taux

d’humidité. L’innovation réside aussi dans la capacité des installations à brûler différents types de biomasse : bois, sciures et autres copeaux. « Il s’agit également de limiter au maximum les rejets des émissions polluantes », indique Christian Hamon, directeur de l’Ins-titut de recherche sur les matériaux avancés (Irma). Ce centre a développé un catalyseur spécifique en forme de nid-d’abeilles permettant de réduire la teneur des fumées en monoxyde de carbone (CO), en composés orga-niques volatils (COV) et en méthane.

Le principe de cogénérationMais la combustion du bois ne peut se résumer à la seule production de cha-leur. Elle fournit aussi de l’électricité. Dans les faits, on combine même les deux : c’est le principe de la cogéné-ration, une option particulièrement retenue dans les Pays scandinaves, en Allemagne et en Autriche. Dans ce cas, la chaleur dégagée sert à chauffer de l’eau. Celle-ci se transforme alors en vapeur, dont une partie sera utilisée pour alimenter des réseaux de chauf-fage urbains. L’autre partie est envoyée sous pression vers des turbines qui font fonctionner un alternateur, produisant à son tour un courant électrique. « La cogénération offre l’avantage de pro-duire une électricité non intermittente, à la différence de l’éolien par exemple », souligne José Carlos Valle Marcos, chef de projet Biomasse à EDF. Reste qu’elle nécessite un fort besoin de chaleur dans la ville ou les usines proches du lieu de production d’énergie, sinon le procédé perd tout intérêt.

D’autres alternatives se dévelop-pent, à l’image de la pyrolyse, une dé-composition thermique de la biomasse qui donne du charbon, une huile et des gaz. Toutefois, les chercheurs se fo ca-lisent sur la gazéification. Ce procédé consiste à chauffer la biomasse dans une atmosphère en défaut d’air. Les élé ments carbonés réagissent avec la vapeur d’eau et le dioxyde de carbo ne (CO2), on obtient alors un gaz com bus-tible composé de monoxyde de car-bone (CO) et d’hydrogène (H2), appelé gaz de synthèse. L’intérêt réside dans l’obtention d’un combustible gazeux

La biomasse, une énergie en plein essorPrincipalement issue des forêts et de l’agriculture, la biomasse est aujourd’hui considérée comme une source d’énergie alternative et propre. Chaleur, électricité, biocarburants, chimie : ses voies de valorisation sont multiples. Mais des défis se posent encore pour le passage à une production en masse.

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Jean-Paul Cadoret, biologiste à l’Ifremer.

nº 454 • JUILLET 2011 | La Recherche • 87

La biomasse marine pourrait devenir une source importante de biocarburant. Certaines espèces de microalgues peuvent fixer le dioxyde de carbone par le mécanisme de la photosynthèse et accumuler des lipides, lesquels peuvent être transformés en carburant. « Ces micro-organismes produisent jusqu’à dix fois plus de litres d’huile par hectare que des oléagineux. Cependant, la sélection des algues les plus adaptées est un défi et l’extrac-tion de l’huile contenue dans des organismes de quelques microns est un vrai challenge qui dépendra des avancées techniques en filtration », explique Jean-Paul Cadoret, biologiste à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Enfin, vaut-il mieux cultiver les algues en bassins ouverts ou en photobioréacteurs, sortes de tubes plastiques transparents ? À l’heure actuelle, soit le risque de contamination est impor-tant, soit les coûts sont très élevés, et il faut disposer d’une grande surface d’éclairement. Les bilans énergétiques des procédés de transformation restent également à améliorer. Un litre de biodiesel issu de micro-algues coûte aujourd’hui 10 euros. Mais la possibilité de valoriser la biomasse marine sous la forme de composés d’intérêt, en alimentation ou en cosmétique, comme cela se fait déjà dans de nombreuses PME de part le monde, pourrait jouer en faveur de ce dispositif. En France, le projet Green Stars, réunissant laboratoires de recherches et industriels, doit initier la création de cette filière.

d’origine fossile, comme en Allemagne, en Suisse, en Belgique ou en Suède », indique Olivier Bertrand. En France, certains gaz épurés devraient faire leur entrée dans les tuyaux.

La promesse des biocarburantsSur le devant de la scène médiatique, les biocarburants constituent un autre champ d’application très prometteur. Une première génération, mélangée à l’essence et au gazole, est déjà com-mercialisée. On distingue le biodiesel, fabriqué à partir d’huiles (colza, tour-nesol, soja, palme). Et le bioéthanol, pour les moteurs à essence, un alcool produit par fermentation du sucre issu de plantes (betteraves, cannes à sucre), ou d’amidon issu de céréales (blé, maïs). Problème : selon les pays, ces deux filières rentrent en concur-rence avec les surfaces cultivées ou d’élevage nécessaires à l’alimentation humaine, alors que la FAO calcule qu’il est nécessaire de doubler la production alimentaire d’ici à 2050. De nouvelles sources d’huiles végétales sont donc à l’étude pour alimenter les unités de production de biodiesel de 1re géné-ration. Parmi elles, on compte des plantes non valorisées à ce jour pour l’alimentation, comme le jatropha ou le miscanthus, n’ayant cependant pas le même rendement énergétique.

Mais c’est surtout du côté des biocarburants de 2e génération que les regards se portent. De quoi s’agit-il ? « Cette fois-ci, c’est la partie non ali-mentaire de la plante que l’on cherche à valoriser, comme le bois ou les déchets végétaux tels que la paille, les rafles et tiges de maïs, ou la bagasse de canne à sucre », indique Daphné Lorne, in-génieur économiste Biomasse à IFP Énergies nouvelles. Cette filière re-pose sur l’exploitation de la biomasse lignocellulosique, constituant princi-pal des parois de cellules végétales. À ce jour, 157 projets de production de biocar burants de 2e génération sont en cours dans le monde, mais aucune usine n’a encore atteint l’échelle >>>

beaucoup plus facile à transporter, avec un rendement de transformation de ma tiè re élevé. C’est pourquoi cette techno logie est particulièrement adap-tée à la cogénération. Mais la présence de goudrons dans le gaz de synthèse, qui viennent encrasser le moteur à gaz pour la production d’électricité, est son talon d’Achille.

« L’une des solutions est de décompo-ser les goudrons grâce à l’action de cata-lyseurs comme le charbon de bois ou le fer, explique Anthony Dufour, chargé de recherche au laboratoire Réactions et génie des procédés du CNRS. On peut également augmenter la tempéra-ture pour augmenter la con version des goudrons. » Des résultats prometteurs ont ainsi été obtenus à petite échelle en utilisant une torche à plasma pour craquer les goudrons qui se reforment en CO et H2. Une vingtai ne de centrales électriques pilotes dans le monde ex-ploitent la gazéification de la biomasse pour faire de la cogénération. Leur nombre devrait vite augmenter, au vu de leur potentiel. « Nous considérons la cogénération par gazéification comme une alternative à la combustion pour les productions de petite puissance », indique José Carlos Valle Marcos.

Au-delà du bois, les ordures ména-gères, les boues de stations d’épuration et autres sous-produits issus de l’in-dustrie laitière sont étudiés de près. Et pour cause : la matière organique qu’ils contiennent peut aussi être convertie

en énergie. Une application intéres-sante est la fabrication de biogaz, provenant de la dégradation de la bio-masse humide en l’absence d’oxygène. Ce phénomène naturel s’observe dans les marais ainsi que dans les décharges, mais on peut aussi l’initier dans des digesteurs, sorte de gros silos. À l’in-térieur, les déchets fermentent sous l’action de micro-organismes, d’où la formation d’un gaz combustible princi-palement compo sé de méthane, de gaz carbonique, d’hydrogène sulfuré et de vapeur d’eau. « Le gisement énergétique issu des déchets est important, d’autant plus qu’on peut le valoriser de multiples façons », indique Murat Isikveren, directeur programmes R&D Énergie chez Veolia Environnement. On peut ainsi valoriser le biogaz produit en cha-leur et électricité (via la cogénération), et même en carburant (biométhane) pour véhicule. « On commence aussi à injecter du biogaz dans les réseaux de transport et de distribution de gaz

LES DIFFÉRENTES VOIES DE VALORISATION ÉNERGÉTIQUE DE LA BIOMASSE

TRANSFORMATIONTHERMOCHIMIQUE

TRANSFORMATIONPHYSICOCHIMIQUE

SYNGAZ

BIOGAZMÉTHANISATION

PYROLYSE/GAZÉIFICATION

BIOMASSEDÉCHET

CULTURESÉNERGÉTIQUES

ÉLECTRICITÉ

ÉLECTRICITÉ

CHALEUR

CHALEUR

FERMENTATION/EXTRACTION

D’HUILE VÉGÉTALE

BIOMÉTHANE

BIOCARBURANT(huiles, éthanol, GNV, hydrogène…

COMBUSTION

CULTURESÉNERGÉTIQUES

BIOMASSEDÉCHET

DEs bIOCarburaNTs DE 3E GéNéraTION à parTIr D’aLGuEs

Deux grandes familles de procédés permettent de valoriser la biomasse en énergie : les procédés thermochimiques et les procédés physiochimiques. Le produit final obtenu peut être de la chaleur, de l’électricité, éventuellement les deux, produites simultanément par cogénération. Ou encore un combustible intermédiaire liquide (biocarburant), gazeux (biogaz) ou solide (charbon).

Source : enea consulting

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LA BIOMASSE TECHNOLOGIE

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C omment faire face à la demande croissante en biomasse ? Alors que le bois constitue une forme d’énergie renouvelable de plus en plus recherchée pour produire de la chaleur ainsi que des biocarburants, cette question mobilise

les scientifiques. L’une des solutions pourrait venir de nouveaux modes de culture. Des chercheurs de l’INRA travaillent sur un système appelé taillis à courte rotation. Il s’agit de plantations très denses de peupliers que l’on coupe très jeunes, avant 6 ans. « Cette méthode présente l’avantage de pouvoir mobiliser la biomasse plus rapidement et plus simplement », indique Jean-Charles Bastien, de l’unité de recherche Amélioration, génétique et physiologie forestières. Ainsi, elle permet plusieurs cycles de production-récolte en un temps très court. De plus, c’est une biomasse homogène récoltable de façon mécanisée. Un autre champ d’investigation concerne la compréhension des mécanismes génétiques, biochimiques et moléculaires à l’origine des propriétés du bois et du développement de l’arbre. Objectif : sélectionner puis croiser des variétés riches en cellu lose et peu consommatrices en eau et en engrais. Les chercheurs ont ainsi obtenu un hybride capable de produire de 10 à 12 tonnes de matière sèche par hectare et par an, tMS/ha/an (rendement moyen d’une forêt de peupliers : 6,7 tMS/ha/an). « En combinant hybridation et taillis à courte rotation, tout en valorisant des intrants tels que cendres, boues de stations d’épuration ou résidus du process de fabrication des biocarburants, nous devrions atteindre un rendement de 15 à 18 tonnes », assure Jean-Charles Bastien.

des miniforêts plus énergiques

LES FILIÈRES BIOCARBURANT DE 2e GÉNÉRATION

Biométhane pour alimentation de véhicules GNV

Résidus agricoles (pailles) et forestiers

Gaz de synthèse

Sucres

Fermentation

Éthanol

Hydrocarbures

Voie biochimique(hydrolyse enzymatique)

Cultures dédiées(taillis à croissance rapide)

Ré d l H d b

V(

C l dédié

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Éth l

Voie thermochimique(gazéification) Synthèse

CH4

Mélange à l’essence

Mélange au gazole

>>>com merciale. Parmi les installa-tions les plus avancées, celle d’Abengoa Bioenergy aux États-Unis produit un biocarburant à partir de paille de blé.

La France s’est aussi engagée dans les deux filières de développement actuelles. Dans la voie biologique, la biomasse subit une hydrolyse qui transforme la cellulose en sucres plus simples qui seront ensuite fermentés pour donner de l’éthanol. Elle fait l’objet du projet Futurol, qui réunit notamment l’Institut national de re-cherche agronomique (INRA), l’Office national des forêts, ARD, IFP Énergies nouvelles et Total. Un prototype doit entrer en activité en 2015. « Il a pour but de démontrer la faisabilité de cette filière », indique Philippe Marchand, directeur Biocarburant chez Total. Plusieurs verrous technologiques subsistent. Pour accéder à la cellu-lose, il faut notamment déstructurer la matière lignocellulosique, compo-

sée de trois polymères enchevêtrés les uns dans les autres : la cellulose, l’hémicellulose et la lignine. « Parmi les divers procédés de prétraitement visant à libérer les sucres de la plante, il reste à déterminer le procédé le plus efficace à une échelle industrielle pour une ressource variée », explique Frédéric Monot, coordinateur projet Biomasse chez IFP Énergies nouvelles. De plus, la cellulose est une longue molécule dif-ficile à transformer, ainsi le développe-ment de cocktails d’enzymes capables de la « découper » est essentiel.

Enfin, une autre piste d’inno-vation est l’identification de micro-organismes capables de fermenter un maximum des sucres libérés par la biomasse, notamment ceux prove-nant de l’hydrolyse de l’hémicellulose, actuellement inutilisés. La voie ther-mochimique, quant à elle, a donné naissance au projet BioTfuel, pour la production de biodiesel, auquel par-

ticipent IFP Énergies nouvelles, Total ou le CEA. Il s’agit d’une gazéification suivie d’une succession de réactions chimiques connue sous le nom de « Fis-cher-Tropsch », où le gaz de synthèse est converti en hydrocarbure liquide. L’intérêt de ce procédé réside dans la production d’un carburant d’excellente qualité, directement utilisable dans les moteurs Diesel. Mais le principal inconvénient tient ici à la présence de composés sulfurés dans le gaz de syn-thèse, responsables de la détérioration des catalyseurs utilisés.

Ainsi, l’un des objectifs des démonstrateurs est la mise au point de procédés de purification du gaz de synthèse assez performants pour envisager un déploiement industriel. « La conception de procédés de broyage et autres prétraitements nécessaires pour injecter de grands volumes de matières premières d’origines différentes dans les gazéifieurs est également un enjeu de taille », ajoute Jean-Marc Sohier, direc-teur Recherche chez Total raffinage marketing.

Des espoirs fondés sur la rechercheOn l’aura compris, les pistes de valori-sation de la biomasse sont très diversi-fiées, de même que les ressources, ce qui nuit encore à la maturité techno-logique de la filière.

De grands espoirs reposent toute-fois sur les biotechnologies, à l’image du projet TWB (Toulouse White Biotechnology), dont l’objectif est de construire les outils biologiques (enzymes, micro-organismes…) ou-vrant de nouvelles voies de production pour les biocarburants mais pas seule-ment. La biomasse s’inscrit désormais dans une logique de bioraffinerie. Ce concept traduit un processus durable de transformation de la biomasse en énergie mais aussi en molécules biosourcées pour l’alimentation, les produits chimiques et autres maté-riaux. « L’exploitation de la biomasse n’a de sens que si l’on parvient à valo-riser la plante entière, indique Daniel Thomas, président du pôle de compé-titivité Industries et agro-ressources. Nous devons donc mettre en place un véritable métabolisme industriel, où la consommation d’énergie est optimisée et où tous les sous-produits sont exploi-tés. » Dans ce but, le projet Picardie innovation en végétal enseignement recherche et technologie (Pivert) vi-se la conception d’une bioraffinerie modèle s’intéressant plus particuliè-rement à la valorisation des plantes oléagineuses comme le lin. Pivert vient d’être sélectionné comme Institut d’excellence dans les énergies décarbo-nées, dans le cadre du programme sur les investissements d’avenir.

Encore au stade de démonstrateur, la 2e génération correspond à la valorisation de biomasse lignocellulosique (bois, déchets agricoles, déchets verts) à travers des procédés thermochimiques (gazéification) ou biochimiques (hydrolyse enzymatique et fermentation). La production de biocarburants de 2e génération représentait environ 0,1 % de la production totale de biocarburants en 2009.

Source : IFP Énergies nouvelles

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LA BIOMASSE éCONOMIE

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Source : rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

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De toutes les énergies vertes, la biomasse est celle qui possède le potentiel de croissance le plus important. Selon

les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), c’est l’énergie renouvelable qui progressera le plus à l’horizon 2030. Elle pourrait même fournir 30 % de l’énergie consommée dans le monde d’ici à 2050, contre 10 % aujourd’hui. Elle constitue déjà un marché de plusieurs milliards de dollars. L’essentiel est aujourd’hui tiré du bois, qui représente 80 % des ressources. Parmi les adeptes de la biomasse se trouvent les pays

Les prévisions sont formelles : la biomasse est une filière pleine d’avenir. Encore faudra-t-il sécuriser son approvisionnement et assurer sa rentabilité économique à grande échelle.

La biomasse, un gisement d’or vert

qui disposent d’importantes forêts et surfaces cultivables, comme les États-Unis, le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie, le Canada, mais aussi la Finlande et la Suède. « Le potentiel est très important pour les pays en développement disposant de terres et de conditions climatiques favorables, et où de nombreuses populations dépendent du bois pour le chauffage et la cuisson », ajoute Sylvie Mouras, chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). De son côté, la France dispose d’un grand parc forestier, premier marché européen pour le chauffage domestique à bois,

avec 6 millions de foyers équipés. Cependant, les surfaces et la biomasse ont déjà souvent d’autres usages, ou ne sont pas facilement accessibles. Et le bilan est positif puisque le prélèvement est inférieur à l’accroissement naturel de la forêt. « Le marché de la biomasse devrait croître de 40 à 50 % entre 2008 et 2020 en France », explique Philippe Gattet, spécialiste de l’énergie au sein du cabinet d’études Xerfi. Pour autant, la filière de valorisation accuse un retard par rapport à ses voisins européens. « L’une des raisons tient au fort morcellement de la propriété de la forêt française et à l’absence de filière d’approvisionnement. Or garantir la pérennité de la ressource est crucial », indique Jean-Philippe Laurent, directeur Marketing chez Dalkia. Véritable alternative à la production d’électricité classique, la cogénération à partir de biomasse représente un marché émergent. Elle s’est fortement développée aux États-Unis, alors que de grandes disparités demeurent en Europe. La production n’était que de 4 % en France en 2006, contre plus de 50 % au, Danemark, pour une moyenne européenne de 11 %. La forte production nucléaire française fait en effet de l’Hexagone un cas particulier. Néanmoins, « la cogénération devrait peu à peu progresser, tirée par les objectifs du Grenelle, souligne Olivier Bertrand, en charge de la biomasse au Syndicat des énergies renouvelables. Ceci

étant, la plus forte progression attendue en France est celle de la production de chaleur à partir de biomasse pour les secteurs de l’industrie et du collectif, en substitution d’énergies fossiles », ajoute-t-il. Autre secteur en croissance, les biocarburants font l’objet d’investissements massifs, même si les recherches butent encore sur des coûts de production élevés. Ils étaient évalués à 7 milliards de dollars en 2009 selon le Programme des Nations unies pour l’environnement. De multiples start-up se sont lancées sur ce créneau, à l’image d’Amyris ou de Biomethodes, mais aussi de grands groupes comme Total, ExxonMobil ou DuPont de Nemours. Les États-Unis se placent largement en tête de la production mondiale, suivis par le Brésil, la Chine loin derrière, puis la France et le Canada. Selon l’AIE, les biocarburants pourraient représenter dans le domaine des transports 27 % des besoins mondiaux en carburants à l’horizon 2050, contre 2 % à peine, aujourd’hui. Ce succès reste à confirmer. « Pour l’heure, les filières de production des biocarburants avancés ne sont toujours pas matures et rentables, indique Philippe Marchand. Leur déploiement sera fonction des progrès technologiques mais aussi de l’évolution des prix du baril de pétrole et des incitations fiscales, donc de l’économie de ces filières et de leur durabilité. S’ils représentent déjà 10 % de la consommation en 2020, ce sera un beau succès. » En outre, le prix de la biomasse est très volatile et dépendant des aléas climatiques, alors que ce prix est un élément constitutif essentiel du prix des biocarburants. Cela nuit aux bilans économiques de ces filières.

ÉNERGIE NUCLÉAIRE 2,0

PART DES ÉNERGIES RENOUVELABLES DANS L’APPROVISIONNEMENT ÉNERGÉTIQUE MONDIAL

BIOMASSE

10,2

ÉNERGIE SOLAIRE 0,1

ÉNERGIE MARINE 0,002

ÉNERGIE ÉOLIENNE 0,2

ÉNERGIE HYDRAULIQUE 2,3

ÉNERGIE GÉOTHERMIQUE 0,1

CHARBON28,4

GAZ22,1

PÉTROLE34,6

ÉNERGIESRENOUVELABLES

12,9

LA PRODUCTION DE BIOÉNERGIE La bioénergie, essentiellement utilisée pour la cuisson des aliments et le chauffage traditionnels dans les pays en développement, représente actuellement environ 10 % de l’approvisionnement énergétique mondial, soit environ 50 exajoules (EJ) par an. La bioénergie pourrait fournir de 100 à 300 EJ d’ici 2050, selon le GIEC. À titre de comparaison, 314 EJ correspondent à plus de trois fois l’approvisionnement énergétique annuel des États-Unis d’Amérique en 2005.

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LA BIOMASSE sOCIéTé

90 • La Recherche | JUILLET 2011 • nº 454

La biomasse est-elle une source d’énergie verte ? Benoît Gabrielle Elle présente d’in-déniables atouts environnementaux. Son premier avantage est d’être une source d’énergie renouvelable, puisqu’elle fonctionne comme une sorte de batterie naturelle pour stoc-ker l’énergie solaire, grâce au pro-cessus de photosynthèse. De plus, son utilisation participe à la réduc-tion des émissions de gaz à effet de serre. Brûler de la biomasse émet du dioxyde de carbone, mais ce dernier n’est autre que celui qui a été extrait récemment de l’atmosphère par pho-tosynthèse lors de la croissance de la

plante, alors que ce processus a eu lieu il y a plusieurs millions d’années pour les ressources fossiles. Caroline Rantien Néanmoins, le débat sur la durabilité du système reste ouvert. Doit-on considérer qu’en replantant les arbres le bilan carbone est véritablement nul ? Le phénomène de stockage de carbone est un processus beaucoup plus lent que le déstockage qui s’opère instan-tanément lorsque l’on brûle de la biomasse. Des discussions d’experts ont lieu en ce moment pour établir un positionnement sur ce sujet. Dans tous les cas, les prélèvements de biomasse doivent être intégrés plus largement dans un système de gestion des sols, afin de maintenir la durabilité des systèmes. Sans cela, la production d’une telle énergie peut avoir de lourds impacts environne-mentaux.

C’est-à-dire ? C. R. Face à la demande énergétique, on assiste dans certaines régions à une surexploitation massive, voire à une déforestation, comme c’est le cas en Indonésie ou au Brésil. Or le fait de défricher une forêt pour planter des biocarburants provoque l’émission de tout le carbone qui est contenu dans les arbres et en partie dans le sol. Dans ce cas, le bilan carbone devient vite négatif. En outre, la production de biocarburants contribue au chan-gement d’usage des sols, passant par exemple de cultures vivrières à des cultures énergétiques, ce qui peut poser problème en termes de sécu-rité alimentaire.

benoît Gabrielle est chercheur en bioclimato-logie à l’INRA.

Sur le papier, la biomasse affiche un bilan environnemental très intéressant. Dans les faits, sa contribution au développement durable n’est pas toujours si évidente. Changement d’usage des sols et pollution sont deux écueils à prendre en compte dès maintenant.

Les bioénergies doivent confirmer leur potentiel durable

B. G. Le risque est aussi de voir se développer des cultures intensives, accompagnées d’engrais nocifs. Cette pression sur le milieu conduit déjà à l’eutrophisation des milieux aqua-tiques, un phénomène lié à un ap-port excessif en nutriments comme l’azote, nuisant à la biodiversité et à la qualité de l’eau. Mais ces effets nui-sibles dépendent de la ressource uti-lisée. Les forêts, qui nécessitent peu d’intrants, sont moins concernées. À l’inverse des cultures énergétiques, dont on cherche bien souvent à aug-menter le rendement. La situation est d’autant plus tendue que les temps de jachère tendent à diminuer, d’où une baisse de la fertilité des sols.

Comment évalue-t-on précisément l’impact environnemental de la biomasse énergie ? C. R. Pour ce faire, nous avons re-cours à un outil baptisé « analyse du cycle de vie », ou ACV. Cette méthode normalisée revient à quan-tifier l’impact sur l’environnement de toutes les activités impliquées dans la production de la biomasse : depuis l’énergie consommée pour fournir les engrais jusqu’à son trai-tement en fin de vie, cycle souvent qualifié « du champ à la roue » en ce qui concerne les biocarburants. Plus concrètement, les consommations de matières et d’énergie, les rejets et émissions dans l’air, l’eau et les sols, et la production de déchets sont évalués à chaque étape du cycle de vie et exprimés en termes d’indica-teurs d’impacts potentiels sur l’envi-ronnement par rapport aux énergies fossiles. B. G. Dans les faits, deux grandes tendances se dessinent. De ma-nière générale, la biomasse est une source d’énergie qui apparaît plus polluante au niveau local que les énergies fossiles, du fait des intrants utilisés. Sans oublier les émissions liées à la combustion du bois dans

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Ce cahier spécial a été réalisé avec le soutien de la direction scientifique de

Comité éditorial :Jean-François Minster, Total - Olivier Appert, IFP Énergies nouvelles et ANCRE - François Moisan, ADEME - Bernard Salha, EDF - Bernard Tardieu, Académie des technologies Jean-Michel Ghidaglia, La Recherche.Rédaction : Jérôme ViterboConception graphique et réalisation : A noir,Crédits photographiques : Christophe Maitre/INRA, Photothèque Veolia/Alexis Duclos, H. Raguet/ Shamash 2007/LookatSciences, ADEME, DR

Retrouvez ce cahier spécial en français et en anglais sur le site

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les pays du Sud notamment, où les équipements sont moins per-formants. En revanche, les effets positifs sur l’émission de gaz à ef-fet de serre sont indéniables mais modestes pour les biocarburants de 1re génération. Ceux-ci permettent aujourd’hui d’économiser 1 % de nos rejets en CO2 par an. De son côté, la cogénération utilisant le bois réduit les rejets de 70 % en moyenne par installation.

Observe-t-on des différences d’une région à l’autre ? B. G. Oui. Prenons le Brésil par exemple. Sur place, la production d’éthanol, un biocarburant de 1re génération, est très efficace. Plu-sieurs usines brûlent en effet la bagasse, résidu de la canne à sucre, que l’on a passé dans le moulin pour en retirer le suc, pour fournir de la chaleur puis de l’électricité par cogénération au dispositif. Dans ce cas, l’ACV est très favorable. Ces biocarburants permettent ainsi d’économiser près de 80 % des émissions de CO2.

En revanche, en Europe et aux États-Unis, l’énergie nécessaire au procédé de conversion provient de ressources fossiles, la biomasse se révèle donc moins intéressante. Le gain tombe à 20 %. L’écobilan est aussi une question d’usage. Certains choisissent d’exploiter la biomasse là où elle obtient de meilleurs rende-ments d’un point de vue énergétique, et donc environnemental. Le Dane-mark produit peu de biocarburant, et préfère miser sur la cogénération en exploitant la paille.

Au cœur des enjeux socio-économiques se trouve la question des surfaces disponibles pour les plantations énergétiques de type lignocellulosique, nécessaires aux biocarburants de 2e génération. Ces dernières pourraient atteindre entre 400 Mha et 800 Mha à l’horizon 2050. Mais pour affiner ces évaluations, le Cirad a mené en collaboration avec Total une étude sur le terrain dans trois pays (Madagascar, Brésil et Mali). Conclusion : l’agriculture familiale offre un réel potentiel de production sans mettre en danger la production alimentaire. Mais les rendements observés, même dans les zones bioclimatiquement favorables, peuvent être 2 à 5 fois inférieurs aux rendements théoriques espérés. Des progrès sont toutefois attendus d’une meilleure association entre cultures énergétiques, production agricole et surtout élevage, en vue de dégager des surfaces disponibles. L’expérience du Brésil montre ainsi comment la diversification entre le maïs, les légumineuses et le ricin peut permettre d’augmenter les rendements. Dans tous les cas, l’introduction de nouvelles cultures doit se penser en cohérence avec les échelles des exploitations concernées.

Caroline rantien est chargée d’études Biomasse énergie à l’ADEME.

le gisement énergétique est impor-tant. Aux conditions économiques actuelles, la France disposerait d’ici à 2020 d’environ 4 millions de tonnes équivalent pétrole par an de biomasse disponible supplémentaire à des fins énergétiques, provenant uniquement de la forêt. Il se pose néanmoins des questions relatives à la mobilisation de ces gisements : freins sociaux, organisationnels et technico-économiques.B. G. Malgré les idées reçues, la biomasse ne sera bientôt plus une filière marginale. Dans un rapport publié récemment, le GIEC présente cette dernière comme la première des énergies renouvelables. Reste à savoir quelles seront les voies de valorisation employées. Toutes n’ont pas les mêmes performances envi-ronnementales.

Ainsi, certaines espèces sont plus économes en intrants que d’autres, à l’image du miscanthus. De même, la voie biochimique pour obtenir des biocarburants nécessite moins d’éner-gie pour la conversion, même si son rendement est inférieur. Par contre, la voie thermochimique nécessite des volumes très importants pour être rentable, de l’ordre du million de tonnes par an. Ce qui pose des problèmes d’approvisionnement complexes et risque d’exacerber la concurrence pour la biomasse. PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRôME VITERBO

La biomasse représente-t-elle une véritable opportunité énergétique durable ? C. R. Sans aucun doute, même si force est de constater que de nom-breuses inconnues demeurent pour évaluer avec précision l’impact envi-ronnemental de la biomasse énergie. Il est important de poursuivre les tra-vaux dans ce domaine. En théorie, les biocarburants de 2e génération devraient permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80 %. Ce qui devrait aussi s’ac-compagner d’une pression réduite sur les surfaces cultivées, puisque toute la plante est valorisée. De plus,

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« en théorie, les biocarburants de 2e génération devraient permettre une réduction de 80 % des émissions de gaz à effet de serre. »