la chevelure

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Litteratura.com Collections Litteratura.com Collections AXE DÉTUDES XXXIII. LA CHEVELURE I NTRODUCTION Ce poème de « Spleen et Idéal », plutôt axé vers l’idéal présente un schéma original en ABAAB avec 7 quintiles d’alexandrins. Dans une tonalité lyrique, il est surtout invocatif et mélange des éléments descriptifs et narratifs. Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormants dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! Nage sur ton parfum. J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire À grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur. in Les Fleurs du Mal (1861) CHARLES BAUDELAIRE (1821–1867) Quelques pistes et réflexions pour l’étude de textes littéraires. Litteratura.com Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse ! Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! Toujours ! Ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

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Poème de Baudelaire!

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Page 1: La Chevelure

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AXE D’ÉTUDES

XXXIII. LA CHEVELURE

INTRODUCTION

Ce poème de « Spleen et Idéal », plutôt axé vers l’idéal présente un schéma original en ABAAB avec 7 quintiles d’alexandrins. Dans une tonalité lyrique, il est surtout invocatif et mélange des éléments descriptifs et narratifs.

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure Des souvenirs dormants dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d’autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! Nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève ! Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire À grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

in Les Fleurs du Mal (1861)

CHARLES BAUDELAIRE (1821–1867)

Quelques pistes et réflexions pour l’étude de textes littéraires.

Litteratura.comJe plongerai ma tête amoureuse d’ivresse Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse ! Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m’enivre ardemment des senteurs confondues De l’huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! Toujours ! Ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

Page 2: La Chevelure

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I PARADIS SENSUEL

1. L’ANIMALITÉ On relèvera ici la métonymie « Ô toison » (La première allusion à la

femme se fait par la chevelure.) puis la métaphore filée avec « toison », « moutonnant », « encolure », jusqu’à la « crinière lourde » qui nous plonge dans un monde plus sauvage et sensuel.

2. LE MONDE SENSUEL L’ »alcôve obscur » marque le désir et l’intimité, « Je la veux »,

« j’irai là-bas », et l’opposition « dormant »/ »agiter » nous indique la détermination de l’auteur et son désir d’ouverture vers un autre monde.

On relèvera la métaphore « forêt aromatique » d’où l’on tire une correspondance visuel/olfactif ; la personnification des continents « langoureuse Asie », « brûlante Afrique » qui ajoute à la sensualité puis la gradation « lointain, absent, presque défunt » en opposition avec « langoureuse », « brûlante » annonçant un voyage plus spirituel.

II PARADIS SPIRITUEL

1. LE SOUHAIT D’ÉVASION On note à nouveau les correspondances tactile/aérien/olfactif :

« voguent sur la musique », « nage sur ton parfum ». On a l’impression d’un décollage lent avec quelques mouvement de ressac mais allant toujours plus loin, jusqu’au passage au monde complètement moral ; les « fortes tresses » apparentées à des cordages puis la « houle » qui l’enlève.

2. LE PORT : LIEU D’UNITÉ DU MONDE « mer d’ébène » nous donne la correspondance liquide/solide,

l’ »éblouissant rêve » s’annonce, on ne voit plus la réalité.

REPÈRES

25 juin 1857 : Les Fleurs du Mal, première édition, contenant tous les poèmes écrits par Baudelaire depuis 1840

20 août 1857 : Procès des Fleurs du Mal. Baudelaire se voit condamné pour outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs, six des poèmes seront retirés.

« Un port retentissant où mon âme peut boire » ; noter ici le rassemblement des domaines auditif, visuel, spirituel, sensuel et tactile à la fois et la dimension mystique avec la « gloire d’un ciel pur », l’unité du ciel et de la mer.

Ensuite le rêve devient réalité, « Mon esprit que le roulis caresse », le poète devient vaisseau. C’est là que réside le véritable voyage.

III RETOUR À LA RÉALITÉ

La sensualité se fait plus forte avec les différents mouvements de la chevelure « bord duveté », « tordue », les bijoux colorés jusqu’au retour final : « la gourde ou je hume…le vin du souvenir » marquant l’union de la sensualité avec la spiritualité.

CONCLUSION

L’unité sera ici le maître mot, unité du monde, unité mer/ciel, unité physique/ moral. Baudelaire signe un poème d’une grande modernité en tentant d’atteindre la spiritualité à partir la femme, proposition nouvelle.