la chêlonomie - · pdf filenotice aussi, en bi en plus grand nomb re, hélas! ses...
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CH ONOMI E
Ll"l‘
llll«lR
PAR L'
ABBÉ S_IBIRE
Recherches surla facture et la restauration desinstruments à archet augmentée d
’une
NOTI CE et d’
un APPENDICE donnant lanomenclature des princ ipaux Luthiersdu xv° au xixe s iècle,la descript iondes violons les plus recherchés ,leur date de fabrication , leur
valeur, les caractères à l’
aidedesquels on peut les reconnaître, par L . DE PRATIS
BRU ! ELLES
A L O O S FB L'I‘
, L I B R A I R E
1 2 1 , boulevard Anspach , 1 2 1
1 88 5
N O T I C E
La C hélonomie a été imprimée deux fo is en
1 806 , à Paris ; en 1 823 , à Bruxelles .
L’
édition de 1806 , petit in- 1 2 de x- 288 pages ,porte, en regard du titre , une gravure avec cettelégende ORPHÉB, d
’
après un antique deM af cz‘
.
Le plus grand musicien de l’
antiquité est ass issur une saillie de rocher et joue du violon . Sur
une plate -forme un peu plus élevée du même
rocher, et au-dessus de la tête de l’incompa:rable charmeur, un aigle écoute immobile . A
dro ite et à gauche d’
0rphée , à ses pieds , sont
groupés divers animaux féroces , lion, tigre ,
ours, panthère , hyène , loup, etc . , domptés parles mélodieux accords du fils d
’
Apollon et de
Clio .
L’
édition de 1823 , o ù l’
on ne vo it plus la
gravure ci-dessus décrite, est aujourd’hui auss i
rare que la première .
Le princ ipal, ou, pour mieux dire, l'
uniqueauteur de l
’ouvrage est un luthier distingué
de Paris , N icolas Lapo t, qui en a fourni tousles matériaux (notes , observations , documents ,mémo ires, et c
’
est un ecclés ias tique ,l’
abbé Sibire, qui les a classés , reliés l’un àl’
autre stylés .
Apollon (Lupo t) dic tait Sib ire écrivait .Es t-ce par une modestie exagérée que l
’
h a
bi le facteur de violons n’a pas inscrit son nom
sur le titre du livre ? A—t-il craint ,en s’
en décla
ran t l’
auteur, que le public condamnât l’ou
vrage sans le lire et le cons idérât comme
une œ uvre à vues étro ites, personnelles , ou
comme une réclame de fabricant En n’
y met
tant que le nom de l’abbé S ibire , a- t—il voulu
donner à l’
Opuscule une portée plus large .
plus générale, mo ins individuelle en un mo t
cherchait—il,parcet innocent et bien pardonnablesubtœærfuge , à se dérober aux attaques de la
jalous ie , de la rivalité, de la haine , car s i
Lupot avai t ses amis et ses admirateurs , il avait
NOTICE
auss i , en bien plus grand nombre, hélas ! sesennemis et ses détrac teursToutes ces suppos itions sont permises , mais
la dern ière paraî t la plus fondée . Lupot étaitun studieux, un penseur, un inquiet, un inventeur, et, comme tous les hommes qui cherchentet qui trouvent , il a été en butte aux milletraits de la médiocrité et de la routine .
Quo i qu’il en so it, le fait incontestable et
incontesté c’
est que deux hommes ont mis lamain à la Chéloæwmia.
Vo ic i quelques détails biographiques sur l’
un
et sur l'
autre .
Le père de l’œ uvre , d’
abord.
LUPO ‘
1‘
(N icolas) est né en 1 758 dans le
royaume deWurtemberg ,à Stuttgard, capitalede ce t État , d
’un Français qui pratiquait la
profess ion de luthier. Le père revint en Franceavec son fils à peine âgé de neuf ans et se fixa
à Orléans . C‘
est dans cette ville ,et dans l’atelierpaternel, que le jeune Lupo t étudia sans relâcheles princ ipes concernant la facture des instru
ments â archet et qu’ily acquit des connaissances auss i solides qu
‘
étendues .
En 1 794, N icolas Lupo t, alors dans sa trente
4 NOTICE
s ixi eme année , quitta le chef—lieu du Lo iretpour s
’ installer â Paris , où il est resté . Aucun
luthier n‘
avait no té auss i so igneusement et neconnaissait auss i bien que lui les qualités desinstruments anciens . Stradivarius était son modèle favori , à cause de la perfection de ses
formes ; c'
est sur les patrons des beaux ins
truments du grand facteur crémonais que Lapotfi t ses me illeurs violons et des basses estimées .
Lupo t se plai sait parfo is à cho is ir des bo isconvenables pour la construction d
’un quin
tette complet, composé ,de deux violons , deux
altos et violoncelle, et à donner à ses difl‘
érents
ins truments une analogie parfai te pour la qualitédes sons . Ces collections d’ instruments ,qui sontpassées dans les mains de quelques amateurs
privilég iés , sont devenues très rares .
Lupo t,qui excellait également dans la resteuration des anc iens instruments et qui se bornaità y faire les réparat ions indispensables , est
mort à Pari s, le 1 3 aoû t 1 824, dans l’
établisse
ment qu’il avait fondé au n° 30 de la rue
Cro ix—des-Petits—Champs . Son gendre et son
élève le plus dist ingué, C .-F. Gand, lui a
succédé dans le même local et a conservé religieusement les princ ipes de son beau—père pourla facture des instruments à archet .
Aujourd’hui l’anc ienne maison Lupo t-C .
-F:
NOTICE 5
Gand est tenue par le fils de ce dernier, avec
non mo ins de conscience et d’
aptitude .
Au tourmaintenant de l’auxiliaire ,du coordi
nateur de la Châlonom‘
e .
L'
abbé S I BI RE (Anto ine) es t né à Paris en
1 757 . Après avo ir terminé ses études au sémi
naire de Saint—Sulpice , il entra dans la maisondes M iss ions étrangères de la rue du Bac, d
’
où
il fut envoyé comme missionnaire â Loango ,
capitale du royaume de ce nom, dans la Gu inéeméridionale .
Rentré à Paris un peu avant la R évolution,
vers 1 787 , l’abbé S ibire fut nommé curé de
de Saint-Franço is d’
Ass ise il perdi t cette cure
lors de la fermeture des églises, pendant l’
épo
que troublée de la première R épubli que fran
caiac . Lorsque le culte put être rétabli, il futattaché, en qualité de s imple ecclés iastique , à
la paro isse Saint—Louis , dans le quartier duMarais .
Amateur pass ionné du violon, tout en en
jouant fort mal, l’
abbé Sibire fréquen tait ass idûment l
’atelier de Lupo t dont il devint l
’
amiet le confident . C
’
est pendant ses vis ites prolongées, et en regardant travailler son ami,
6 non ce
qu’ ils eprit d’
une fanatique admirat ion pour lesinstruments des anc iens luthiers de Crémone .
Lupot, qui, bien mieux occupé qu’
à coudre
des mots et à tournerdes périodes employait,tout so n temps à perfectionner ses œ uvres et
à reposer la science sur de solides bases en
reculant au lo in ses limites lui confia les
notes et les observations qu’ il avait recueilliessur la facture de ces artistes et sur les qualitésde leurs instruments ; d’oùLA CHÉL ONOM IE ou LE PARFAIT LUTHIERL
'
abbé S i b it o est mort à Paris sous le règne
de Charles ! , au commencement de l’
année
1827 , laissant encore quelques écrits politiquesassez médiocres et tombés dans un oubli dontils ne sort iront plus .
Fétis , à qui ont été empruntés plusieurs desrenseignements ci-dessus,dit, dans son Dictionnaire biographique des M usiciens, le livre del
'
abbé S ibire n’eut po int de succès, les exem
plaires en sont devenus très rares . Le s tyle am
poule dont il se sert pour les choses les pluss imples n’
est pas exempt deIci quelques réflexions, et même quelques
rectifications .
NOTICE 7
L’
appréciation de Fétis, toute dure, toute
sévère qu ’
elle paraisse , est juste dans une certaine lim ite . Le style de l
'
abbé S ibire se ressent,il es t vrai , de l
'époque où le livre fut rédigé.
Comment pouvait —il en être autrement sous la
période révolutionnaire traversée par ce prêtre,alors que la redondance et la déclamafion se
donnaient rendez -vous auss i b ien dans la pressee t dans les livres qu
’
à la tribune ? Puis sur
vinrent le Consulat et l’
Empire qui n’
ont pas
brillé par les lettres . On sait le sort qui a été
réservé aux Ducis, aux Arnault, aux Luce de
Lancival, aux Lebrun , aux Jouy, aux BaourLormian . On ne les lit plus .
Malgré son style ampoulé et cette en
flure n’
es t qu'
intermittente, la Chilmwmie
mérite d’être consultée . C’
est un livre, curieux
et attachant, et il y a telles pages de l'
abbéSib ire celles sur le violon et sur l
’
archet
entre autres qui respirent une émotion de
bon alo i et une pas s ion sincère de l’art .
Critiquer un livre qu’ ila dans les mains , ou
lui en s ignaler les passages saillants, serai t faireinjure au lecteur à lui le so in d’appréc ier suivant ses impressions et sa nature. Passons .
Le 1 ivre n’
eut po int de succès a ditFétis,les exemplaires en sont devenus très rares
8 NOTICE
Ce sont là deux affirmations contradicto ires . S il’
opu seule est devenu très rare, c’est qu’ il a eu
du succès , c'
est qu’ il a été acheté, conservé et
transmis de père en fils par ses possesseurs . Ou
l’
on est forcé d'admettre que, les exemplaires
ne s’
écoulant pas , l’
éditeur désespéré les a
vendus au poids aux marchands épic iers du
temps , ou les a mis au p ilon pour fabriquer ànouveau du papier. Cette suppos ition do it êtreécartée , quo ique laFrance en 1 806 ne fût guère
à la Chilonomie, car le premier empire étai tfondé
_depuis deux ans ; les roulements du
tambour,les sons du fifre et de la trompette,
ou la vo ix du canon ,dominaient tout alors on
ne lisait que le M oniteur et les bullet ins rela
tant le s victo ires de Napoléon I er les jeunesrecrues qui partaient pour Vienne ou pourBerlin, songeaient plutôt â apprendre le maniement du fus il qu
’
à lire ou à emporter dans leur
g iberne laPar/ait Luthier.
Trêve â ces hypothèses qui ne sont pas sé
rieuses . Les faits se chargent de les mettre ànéant . La première édition, malgré les tempstroublés où elle a vu le jour, a été épu isée jusqu'au dernier exemplaire .La seconde , faite sousla Restauration, a été recherchée avec le mêmeempressement on n
’
en rencontre la mentiondans aucun catalogue actuel de bibliophile, on
n’
en vo it plus , depuis longtemps déjà, passer
NOTICE 9
aucun exemplaires surles tables ,dans les ven tespubliques de livres . Donc l
’
opuscule a eu du
succès . C . Q, F. D.
Tout en ne voulant pas troubler les mânesdu bienheureux abbé S ibire , je ne pu is cepen
dant m’
empêcher de dire ici quelques mo ts dut itre de l
'
Opuscule . Le mot C hélonomie
m’
agace . D’abord il est composé de deux mo ts
grecs s ignifiant le premier, tortue, par ex ten
s ion instrument de musique le second, règle ou
loi. Ensuite 1 1 nous reporte , par sa compo s it ionmême, à des temps his toriques reculés sans
rapports avec le v iolon, qui ne date que de la
fin du quinz ième siècle . J e ne sache pas que leTestator, ou Gaspar di Salo , ou Stradivarius ,se so ient jamais serv is de la carapace de la
tortue pour les éclisses , le fond ou le manche’
de leurs instruments . I ls n’
y ont certes jamaissongé et leurs successeurs ont fait comme eux .
S i j’avais été le contempora in et le co nse iller
de l’
abbé Sibire , je lu i aurais dit Efi‘
acez ce
titre, que l’
on cro irait sort ir de la plume deVadius ,et remplacez -le par celui—ci Ls VIOLON .
OBSERVATIONS ET R ECHERCHES SUR LA FAO
TURE ET LA R ESTAURATION DE S INSTRUMENTS
A AR CHET .
I 0 NOTICE
Ce titre aurait eu le mérite d’être s imple ,clair, préc is et d
'
indiquer le_
but du livre . Tout
lemonde l’
aurai t compris , combien d’artistesmusiciens , de luth iers , d
'
amateurs, ne savent
pas le grec Lupot tout le premier, car il adû ouvrir de grands yeux devant ce mot préten
tieux qui me rappelle invo lontairement le titred
’
un poème tristement réaliste et recherché parles collectionneurs que ne recherchent— ilspas ! et dans lequel le lambda est remplacépar la s ixième lettre de l’alphabet grec .
A bo n entendeur salut
Après avo irjeté quelques gouttes d‘
eau glacée
sur la plume parfo is trop enflammée de l’
abbéSibire, Fétis termine ains i l’art icle qu' il lui aconsacré :
Mais les observations de Lupo t renferment d
’
excellentes choses qui ne sont pas
assez connues des facteurs d' instruments et de
ceux qui sont chargés de la réparation des
produ its de la lutherie ancienne .
Ici rien à rectifier, rien à retrancher, rien àajouter. Tous les mots portent . il n
’
y a po intd’ergo tage possible je su is parfaitement d’ac
cord avec Fétis .
AVERTI SSEMENT
IL n ’appartient qu'
aux maîtres del ’art d'en fixer les principes . C 'est àcette source que j ’ai puisé ceux qui sontétablis dans cet ouvrage, ne se trouvent dans aucun autre ou plutôt, c 'estun de ces docteurs consommés dansl 'exercice de sa profession, qui,pour lesrendre publics en faveur des curieux,m
’
en a lui-même , en grande partie, révélé le secret .
Dépositaire de sa confiance, et tourmenté comme lui du besoin d ’être utile
,
j e prête de grand cœur ma faible plume à leur rédaction . Heureusement i lles a si bien disposés , qu’ il me suffira
ll AVERTISSEMENT
presque de les classer par ordre alphabétique en sorte que, pour ma part,jen'aurai guère à fourn ir que le style, et àcréer des phrases ; emploi commodepour l’éditeur, que celui qui se borne ànuméroter des observations étrangèresqui ne lui doivent que leur développement, et à joindre la façon , qui est s i
peu de chose, à la matière , qui est tout .En faisant briller le talent d'autrui il estdispensé d'en avoir.
Tel est donc le rôle modeste que j e mepropose de remplir encore ne me flatterai—je pas du succès :je crains bien aucontraire, qu
’après m ’avoir lu, on n’ai t
à me reprocher d ’avoir entrepris au
delà de mes forces , contre le précepted’
Horace , et de n ’avoir pas même sou
levé de mes mains ce fardeau quelconque, avant d
’
en charger mes épaules .
Mais sans doute des motifs honnê tesqu 'on doit me supposer, et des véri
tés mêmes , dont j e me constitue le
AVERTISSEMENT I I I
héraut,me feront pardonner cette indiscrétion .
Les combinaisons ingénieuses et méme originales , les expériences multipliées qui étaient à chaque pas la leçon del'exemple,les belles découvertes que j
'aiprécieusement recueill ies dans cette brochure, sous un titre trop ambitieux peutêtre pour un simple essai sur l a Lutherie,m ’ont été , presque toutes , communiquées par celui même qui les a faites .
Elles sont, en abrégé , le résultat deses conceptions profondes, et de ses
longs travaux, portent avec elles leurrécommandation, et n
'
ont besoin ni demoi, ni de personne, pour intéressergrandement .
Les mémoires instructifs qu Ilm ’a remis à ce sujet, roulent uniquement surla f abrication et la restauration des instru
ments son:j llés, tels que le violon, l'alto,
le violoncelle, et la contrebasse. J 'imagine
IV AVERTISSEMENT
cependant qu Il serait poss ible d‘en tire rparti pour quantité d ‘
autres , qui ne son t
pas aux ordres de l’
arch et . I l ne s ’agiraitque de particulariser des règles générales , susceptibles dans le détail d’unefoule d 'applications .
J 'ai bien pensé qu Il convenait d’yajouter, par forme de préambule, une
courte dissertation sur la généalog ie desinstrumens musicaux, et l ’éloge spécia lde celui qui en est reconnu pour le roi .J ’ai cru également devoir marquer avecune certaine force cette supériorité duviolon, pour donner plus d’intérêt auxrégles fondamentales consernant sa fac
ture . Car c’est précisément sa Supérioritéqui fait leur haute importance ; ellesn
’
en auraient aucune ,s ’il n ’était d ’aucunpoids .
Il es t de ma droiture , et j e me faisun vrai plaisir de nommer un artistequi, bien mieux occupé qu
’à coudre des
AVERTI SSEM ENT
mots et à tourner des périodes, emploietout son temps à perfectionner ses œ u
vrea,et à reposer la science surde solides
bases , en reculant au loin ses limites .
Cet artiste distingué, qui me parait réunir dans un degré éminent la théorieet la pratique, est le s ieur Lupot,maitreLuthier, demeurant à Paris, rue Croixdes-Petits —Champs , n°. 30,
En publiant d’après son invitation,
la première méthode existante dont ilest tout à la fois le créateur et le garant,j e lui restitue, selon son goût, la propriété dont il m
’a confié le dépôt . I lne pouvait en faire un plus noble usage ,qu’en la rendant universel le . A lui , toute la gloire ; aux musiciens , l
’
util ité . En
vertu d ’
une auss i louable destination ,
ce recueil de ses pensées est le bien dupublic .
Quant à moi , simple amateur, qui nsuis que le rédacteur de ces principes , et
VI AVERT ISSEMENT
dont pres que tout le travail consiste àles exposer dans leur j our, je m
'
appîau
dis d ’entrer dans ses vues , de partagerson z èle, et de contribuer, selon mesfaibles moyens , à propager des lumièresque tous Luthiers avant lui, tous lesauteurs avant moi , ont éternellementoublié de répandre .
2 LA CHÊLONOM I E
sa main , et plus ou moins à sa portée ,les moyens de satisfaire pleinement, àl ’aide de l ’étude, ce goût impérieux .
Contraint de les chercher, et ardentpour les découvrir, l
’homme se hâtad ’ intéresser toute la terre aux succès deson amour propre, s
’
agita en mille ma
nières pour lui arracher ou lui surprendre des secrets qui, au premier coupd ’œil
, semblaient impénétrab les , et netarda pas à s
'apercevoir que, pour réduire les masses rebel les qu ’el le recélaitdans son sein , ou poussait à sa surface,il avai t besoin tout à la fois de son génieet de son bras . Il ne s
’agissait de rienmoins que de les dompter, ces massesrécalcitrantes , qui naguère plus prévenantes encore que soumises , savaientplutôt se ployer à ses vœux que se rangerà son signal . Ce n ’est pas qu
'elles fussentdevenues sourdes à sa voix , et que leurrésistance fût totalement invincible ,maisi l fallait parler bien haut pour s e faireentendre d'elles , et toute la véhémence
OU LE PARFAIT LUTHIER 3
du despotisme ne suffi sait pas pour entriompher . Il y a s i loin de la pesanteurdes corps à leur propriété pour le son ,
que ses succès et leur rapidité sont également incompréhens ibles .
Parmi ces corps environnants ou éloignés , i l interrogea d
’abord de préférenceceux qui lui paraissaient foncièremen tsonores , ou qui , façonnés avec art, promettaient de le devenir et enfin , grâceà l’imÿrobz
‘
tt d’
un travail aussi rudequ
’
0piniâtre, i l les força tous ensembleà précipiter leurs réponses . Tributairesde cette active industrie . qui touj oursfut féconde en prodiges , et qu
’une nobleémulation rendit un iverselle dans lesclasses labrieuses d ’une société naissanteautant ils s ’étaient roidis contre son vouloir, autant ils se montrèrent en peu detemps souples , dociles , obéis sants , toutcelà en un clin—d’œ il, à la bouil lanteimpétuosité de son ardeur et à son inconcevable promptitude dans l ’exécution .
Tout fut mis par lui à contribution au
4 LA CHÉLONOM I E
profit du plais ir et des arts . Les mines
et les forêts s 'empressèrent de fournir àces vastes laboratoires les matières primordiales des instruments musicaux, etles outils nécessaires pour les élaborer .Le feret l’airain se déroulèrent en lameset s ’arrondirent en tuyaux l ’orme et lechêne, le pin et le pläne, tombèrent sousla hache . retentirent sous son marteau,crièrent sous sa scie, s
’
amincirent etsonnèrent . D ’
élégantes machines sor
tant par sympathie de ces masses bruteset mortes, empruntèrent de sa mainl 'ame qui leur manquait . C ’était plutôtle passage du néant à l ’être qu ’une sim
ple métamo rphose et la nature étonnéede voir s ’animer tout—à-coup sous le brascréateur des premiers enfans de la terre,comme sous son bras maternel , tous cesblocs informes qu ’e lle avait j etés pêlemêledans l’espace ,s
'embla s 'énorgueillirde partager avec eux sa propre toutepuissance .
Etrange et admirable révolution qui
ou LE PARFAIT LUTHIER 5
éclata dans l 'univers au moment Où ilne faisait guère que d ’éclore . Ce fait,s ingulièrement mémorable , est consignédans la plus ancienne et la plus fidèledes histoires . Adam existait encorequand un de ses petits -fils ,nommé j ubalsoumet tant à son empire et maniantaVec un égal succès le bois et les métaux , fabriqua dans tous les genres lespremiers instrumens de mus ique dontlui-méme était l ’ inventeur , et eut ladoub le gloire d’être surnommé par sescontemporains reconnaissants , et parMoïse lui—même, lepère des chanteurs auson de la harpe et de l
’
orgue, c’
e st-à-dire ,sans doute le père des Mus iciens et desLuthiers .
Cependant ces ins truments divers desa fabrique comme de son inventionn
’étaient encore qu ’une ébauche imparfaite,et comme l ’échantil lon de ceux quisont auj ourd’hui dans nos mains . Un i
quement appelés dans le princ ipe auservice d’un organe préc ieux , mais bor
6 LA CHÉLONOM IE
né, qu ’i ls étaient chargés de faire valoi r,ces esclaves de la voix humaine s
'attach èrent à elle , comme autant d’auxiliaires en sous —o rdre , pour en remplir lesvides , en varier les modulations , et enpropager les accents . Te l le était leurdestination primitive déjà ils rempl issaient dignement leur objet, du moinsau gré des individus et des peuples qui ,novices dans les arts , et ne pouvant désis irer ce qu ’ ils ne connaissaient pas, n
’
a
vaient ni droit,ni même la poss ibilité
d ’être difficiles . Tant es t que leur mécanisme se perfectionnant de j our en jour,bientôt toutes ces voix artificielles acquirent une étendue à laquelle la voixnature l le de l ’homme et de la femme nepouvait plus atteindre . Mo ins brillantedans le medium,
elles offraient dans lehaut et le bas plus de pléni tude et devérité . I l n ’
en fallait pas d’avantage pour
faire naître à chaque artis te l ’idée d’
a
grandir la sphère des propriétés respec
tives de ces nouveaux instruments qui,
o u LE PARFAIT LUTHIER 7
avec plus de tons et d’
octaves , avec plusde puissance et de nerf, ne devaient pasnon plus être éternellement réduits aurôle subalterne de simples accompagnateurs . Sî la voix humaine réclamait leursoutien , c
’
eût été trop dommage de lessoustraire à leur fin principale ; mais dumoins dans son repos ou son s ilence, i lconvenait de leur donner la parole , e t
de favoriser pendant des espèces d'entreactes le déve loppement de leur jeu . A
mesure que des ouvriers , plus ou moinshabiles, les rendaient propres auxgrands effets , des symphon istes plus oumoins intelligents composaient,pour lesfaire briller, une musique analogue àleurs tempéraments ,e tuniquement adaptée au volume et à l ’étendue de leurstons . Bientôt la partie du chant leur futconfiée avec celle des accords . L
'
harmo
nie et la mélodie s ’embrassèrent commedeux sœurs, et furent pour la premièrefois les effe ts d’une même cause . Déjàchacun d
’eux donnait isolément un
8 LA CHÉLONOM IE
ensemble qui ne laissai t à dés irer queleur réunion et leur mise en œuvre sur
un même théâtre jusqu ’aumoment enfinOù ,mêlant leurs sons brillants et homogènes, on les entendit, sous des doigtsexercés ,résonner seuls dans les concerts .
Cette nouvelle manière d 'exprimerles pensées sans le secours de la paroleet de la voix, fut pour nos bons aïeuxune j ouissance de plus j ouissancemorale et pure qui rapproche et en
chaîne les taleus , fait fraterniser les
hommes et les arts , réunit une fouled ’acteurs et d’auditeurs sous l
’
appât
d’
un innocent plais ir : j ouissance relative et comme privilégiée très-nullepeut - être pour c es froids platonistes ,
ennemis nés de l ’harmonie, statuesph ilosoflfiques dont apparemment lanature oublia d ’animer les organes ;mais infiniment délicieuse pour ces
âmes vraies et pures qui, sentant naîtrede la mus ique instrumentale, comme dela poésie e t de la peinture , une foule de
t o LA CHÉLONOM I E
les instruments de musique ,et les instruments enfin sans les facteurs et les Lnthiers ? Si même il s ’agissait de classer cestrois arts par ordre de généalogie, peutêtre serait-on contraint d’accorder la priOrité à la Lutherie, non comme l
'
empor
tant en mérite sur les deux autres , maiscomme leur donnant le moyen de se
produire et de déployer leurs ressources .
Oh ! combien cette fabrication d’instruments dût coûter à nos premiers parentsde peines et de recherches ! Que de tàtonnements et d’essais ! Que de conjectureset d’expériences ! Que de temps perdu ,
avant de trouver les mots des én igmes !Toute la matière était donnée, mais lasomme des combinaisons étant infin ie ,comment deviner ou découvrir la form e
véritable, la forme topique sous laquelle il nous sont parvenus , e t quiseule pouvait leur conveni rPrenons pour exemple leviolon commeétant d’un usage plus familier
,et afin
d‘ailleu rs de nous renfermer dans le do
O U LE PARFAIT LUTHIER I I
maine de la Lutherie . Quelle noble simplicité dans sa construction , mais en
même— temps qu 'elle s ingulière compl ication dans ses détails Une table d ’harmonie composée d’
un bois tendre , poreux, plus sensible que tout autre aux
ébranlements et plus propre au reflet ;cette table résineuse,réduite à une épaisseur déterminée mathématiquementpercée à distances égales vers les extrémités de sa largeur
,dans la partie du
centre , formant dans ces contours dess inuos ités gracieuses et parfaitementraisonnée3 pour le son
,élevée graduel le
ment eu forme de voû te plus aigue ouplus plate, selon les idées ou le goût del’
artiste , ou la qualité qu ’il veut obtenir;ensuite un fonds d
’
un autre hors vulgairement appelé repoussoir, et qu1 sansêtre le plus compact des bois ,est reconnupour le plus sonore et le plus l iant cemême fonds pratiqué sur d ’autres épaisseurs différemment graduées dans lalongueur et dans la largeur, dans le cen
1 2 LA CR ELONOM IE
tre et dans les flancs ; ces deux tablesparallè les portées sur des éclisses dumême bois que le fonds; lesquellee embrassent et ferment la circonférence ouplu tôt l’ellipse du violon puis une ame
qui soutient l’un par l ’autre ces boishétérogènes , et distribuent en portionsinégales le fardeau imposé par les cordes une barre qui n ’est que suspendueet sert néanmoins de contre poids à l ’ameet de maintien à l ’équilibre; un filet jetéavec grâce, qui semble n
’être là quepour l ‘élégance, et qui contribue à lasolidité en formant un rempart contreles accidents et les chocs ; des cordestissues d
’
intestins d'animaux, élevéessur un chevalet évidé qui domine le
centre, contenues dans leur tens ion parun bouton et des chevilles , se montantassez haut pour charger l ’ instrumentd’
un poids de 64 l ivres , avec lequel touten fiéchissant sous la plus légère pression du pouce et de l ’index, n
’
en conserve pas moins sa forme native, et tra
OU LE PALPAIT LUTHIER 1 3
verse les siècles sans affaissement et sansaltération un manche combiné avec lediapason de la table, le jeu de la main ,
la pose, les écarts et le croisé des doigts;une volute qui s ’arrondit à l ’œil d’unemaniere si fiatteuse , et qui sans être importante pour le son , est auss i difficile àtourner régulièrement, qu ’étant b ienfaite e lle est digne de terminer et decouronner le tableau . Que de détails intéressants je supprime enco re ,et à regretde peur d'allonger à perte de vue uneénumération déjà trop fatiguante à lalecture .
Voilà effectivement, du moins enabrégé , les éléments constitutifs du violon, et cependant ce n 'est pas encore lui ,puisqu 'i l manque à l ’ensemble la partiela plus essentielle, qui seule peut luidonner une énorme valeur .Quel avantage aurait—il sur la elai
rette mandoline,si comme elle il n ’
obéis
sait qu ’au mouvement convuls if d 'uneplume sèche? Si au contraire le pince
1 4 LA CHÉLONOM I E
ment des doigts était nécessaire pourl’attaquer, combien avec ses cordes plusrares , plus tendues et plus courtes , ne
serait—ilpas inférieur au s istre , à la guitare et surtout à la harpe ?Quelle est donc cette partie essentielle
qui n ’
est qu’
intégrante , et est plus que letout ; qui se dé tache du coffre barmonieux, et fait corps avec lui? Quel est cetagent principal qui , moteur électrique,pläne despotiquement, tient en respect ,et soumet à ses ordres l ’air, le bois et lescordes ; qui ébranle , dilate et met en j eules facultés sonores ,et qui faisant vibrertous le s sons qu ’il en lève , les force
’
é
clater au loin et d’évei ller les échos ?Quel le est cette baguette magique , en
chantée , qui mue dans une directionhorizontale par une main an imée, àlaquelle au même instant l’autre réponden cadence, réfléchit coup sur coup sur
l ’air obéiss ant ses oscillations inégales,calcu lées avec art, glisse sur la matièrefait jaill it le sentiment, et s embl e à cha
o u LF PAR PAIT LUTHIER 1 5
que commotion récréer l ’ame ,la diviser
et la mul tiplier ?
Quel est en un mot ce sceptre domi
na teur ( 1 ) auquel appartient l'empire
absolu et la suprématie du pouvoir,s inon l’arch e t lui -même qui dit , et le sonpart qui perpétuel lement en actioncomme les vents et les flots , tantôt se
balance majestueusement surdes cordessensibles , tantôt vole sur el les avec larapidité de l ’éclair, les brusque ou les
Les anc iens n’ont jamais spéc ifié l
'
at chet
que sous le nom de sceptre,emblème de la royauté et symbole de sa puissance . A l
’
égard de la
racine dont je le fai s dériver (ŒÛZU) . princ ipeet se igneurie , il serait po ssible que la con
sonnance des termes m’
eût induit en erreur sur
la véritable étymo logie . Je ne saurais donc garantir celle—ci trop afiirmativement . La forme
d’
arc qu'
il avait , surtout dans l'origine ,pourraitbien avo ir fixé la dénomination d’arcu,
sous
laquelle on le désignai t . Mais s ’il est vrai que surce po int nos pères n
’
aient pas en tendu finesse ,
on conviendra du mo ins qu’ ils ont bie n rencon
tré sans le voulo ir.
1 6 LA CHÉLONOM I E
caresse et touj ours les inspire, peint lapensée, et commande le chant donne àla musique son caractère, aux phrasesleur expression, aux pass ions de touteespèce leurs mouvements et met de l’ênergie j usque dans son s ilence qui filelargement les sons ou les syncope, lesprolonge ou les précipite, les détaille oules entremêle, les enfie et les désenfie àson gré, sans jamais les assourdir, lorsmême qu ’ il les attenue cette propriétéunique, inimitable, dont l 'intime communication fait du violon le plus sens ible des instruments, et dont la privationsera à j amais le désespoir de tous ceuxdont i l n
’est pas le ressort et la vie ?
Oui quelqu’
admirables qu ’ils soientd 'ailleurs , en présence du violon arméde son archet, leur charme s
'
évanouit
supprimez un instant cet instrumentdélicieux,et faites chanter tous les autresvous n
’aurez plus que des sons secs ,froids ou monotones , qui souvent pourront étourdir votre oreille, quelquefois
1 8 LA CHÉLONOM I E
voix s ’anéantit, le violon au contraire,quand il est parfaitement organ isé parl ’homme , est au même instant adoptépar la nature . I l forme avec les autresmembres de sa famil le , une caste privilégiée qui jouit privativement de ses
bonnes grâces . Sans cesse i l se fait, sepol it, s ’améliore sans cesse il acquiertun son plus soyeux, plus lisse, plus sentimenté, plus onctueux , selon que l ’archet le tient plus en hale ine et prend àtâche de le façonner . Si chez lui la quantité reste la même , la qualité augmentede j our en j our, d
’année en année, des iècle en s iècle , et nous ignorons encorejusqu a quel point de fini elle peut atte indre avant de décliner, en un mot il gagne à viei llir autant et plus que les au
tres y perdent, et son perpétue l accrois
sement est te l lement marqué, que si lamatière pouvait être immortelle, on
serait tenté de croire que ce progrèss’étend à l 'infiniC 'est donc d ’une part à cette qualité
OU LE PARFAIT LUTHIER
suprême croissante et durable ,de l’autre
au jeu brillant et express if de l’
arch et ,
ains i qu’
à l’
étonnante facilité avec laquelle il nuance , note par note , tous lestons , même dans la plus grande vitesse ,que le violon est redevable de toute sonénorme supériorité . Le violon , ce roi desinstruments , le soutien de nos voix, lebesoin de nos symphon ies , l
’ame de no sconcerts , le régulateur de nos danses ,l ’aiman t de nos spectacles , le charme denos cercles , le chef-d’
œ uvre des corpssonores , est dans son genre l’ultimaz‘um,
le necplus ultrà de l’ industrie humaine,
comme il est , pour ains i dire , en vertude son adoption , l ’enfant gâté de la nature . Le violon , cet instrument distingué qui fait c lasse à part dans l
’échellecommune , et reste seul au degré qu ’ iloccupe ; d
’
autant plus intolérant qu Il
est incomparable ne pardonnant lamédiocrité qu ’aux continuels efforts dumus ic ien pour s
’
en affranchir ; et à laperfection duquel rien ne manque , abso
20 LA CHËLONOM I E
lument rien , s inon les deux mains etl ’ame d’un Orphée le violon, si um , S I
s imple dans son mécanisme, si fécond,si vaste dans ses effets , si varié , s i prodigieux dans son étendue , d’un style sipur, d’une élégance si suave, d ’une qualité si aimable, si séduisante, si sens iblement progress ive, si indéfinimentpermanente, est à tous égards enfin si
complètement merveil leux que s'
il
n'existait pas , i l faudrait l
'
inventer.
Heureusement cette découverte magnifique, ains i que la perfection qui endouble le prix , ne sont plus des problèmes à résoudre, grâce à ces hommes si
grandement utiles à no s plaisirs , quiépuisant entre eux toutes les chances depossibilités ,et travaillant avec autant desuccès que de zèle à l’amusement deleurs contemporains et des races futures,ont épargné à leurs descendants les peines du gén ie .
Qui croirait que l ’art du démancherdût être aussi l ’obj et d ’une découverte ,
O U LE PARFAIT LUTHIE R 2 1
et que cette espèce d 1nvention ,si s impled ’après la construction des matériauxeût été si tardive? En fabriquant des violons , en dressan t des touches , en éten
dant des cordes , les Luthiers n ’
avaient
ils pas donné la racine des sons e t les
sons mêmes ? Si tous les fruits étaient là ,et n’
attendaient que des mains pour lescuelllir, se peut- il que, pendant dess iècles entiers
,les mus iciens insouciants
se so ient contentés d’
en détacher quelques—uns , quand dès le principe on les
avait mis à même d ’une moisson abondante? Ains i la musique dormai t quandla Lutherie veillait pour elle
,et semait
des perles sous ses pas . Ce profond sommeil d’
un art si intéressant , est un faitplus facile à observer qu
’
à expliquer etcomprendre .
Le temps n ’est pas encore très —éloignéoù plus graves que prestes, et marchantterre à terre,des mus iciens en perruquespromenaient len tement leurs doigtslourds au bas du manche des vio lons ,
2 2 LA CHÊLONOM I E
et n'
ava ient ni la pensée , ni la puissancede s
’
émanciper au-delà . Ce défaut d ' idées et de moyens était un double préservatif contre la dangereuse tentationde s '
évertuer à des essais , comme l ’ imprudent Icare . Qui sait si, en punitiond’
un effort contre nature, les cieux vengours n
’
eussent pas frappé subitement,comme d’
un coup de foudre, leur mainaudacieuse, et si peut—être quelque dislocation incurable, triste fruit de la liceuce, ne les eût pas mis hors de combat ?Aussi le seul tour de force qu' ils se permettaient de loin en loin , et i l étaitprodigieuxæonsütait à donner l
’
ut sur lachanterelle , par la simple extens ion del’
auriculaire . On les attendait avec malice ou frayeur à cette petite pirouette,à ce saut péri lleux . Certains auditeursqui connaissaient d
’avance les morceaux a éxécuter, disaient tout bas aux
approches de la terrible no te , g are f ut,et ouvraient labouche pour mieux juger.
Plus que tout autre le j oueur était sur les
OU LE PARFAIT LUTHIER 23
épines , suait sang et eau . S’
égarait£-il
dans ce to rtueux labyrinthe? Des trépignements ,des nuées ,des s ifflets faisaientjustice de sa témérité . Son industrieuxpetit doigt avait—ilparhaz ard l
’
indicible
bonheur d’attraper juste ? C ’était également un tapage à tout rompre , des bravos
,des bis sans fin, et toutes les mains
de claquer et de battre .
Qu’on imagine la grande révolution
qu’
eussent opérée dans cet empire toutneuf d’
un plein-chant musical , traînélourdement sur un diminu tif de violon,nos Amphions de 1 800, les Viott i, lesR ode,les Kreutzer,les Baillot,lesLafontetc . , etc . , apparaissant tout—à-coup avecleurs concertos et leurs violons , dans lescercles ou sur les théâtres . Quelle stu
peur Quels ravissements Quelle électricité universelle Sans doute on les
eût pris pour des dieux descendus sur lala terre, ou si on les eût regardés commede simples mortels , leur étrange familiarité avec les pos itions les plus sca
24 LA CHÊLONOM I E
breuses , la sûreté de leur intonation larichesse de leur mus ique, le brillant etle fini de leur j eu, les écarts , le volrapide de leurs doigts aériens dans desespaces j usqu ’alors inconnus eussentdéc idé à l ’ instant de leur apothéose .
É tonner et charmer . provoquer l’enth ousiasme et l
'
emph ase , en ivrer momentanément la ra ison même la plussévère, désordonner pour ainsi dire lessens et des hommes e t des dieux, dioumque bominumçue voluptas , telle es t doncla puissance inefl‘
able du violon , quandil s ’ébranle sous les doigts comme invis ibles d’un hab ile virtuose . D ’après cela,faut—il être surpris que la mythologie siextrême dans ses bizarres fictions, aitattribué au divin Orphée le pouvoir desuspendre le cours des fleuves au son desa lyre , (violon à trois cordes ), d
'
entraî
ner les rochers et les arbres , d'apprivoiser les bêtes féroces , et de dompterlesdéités infernales Faut —il être surprisenfin , que pour célébrer les éclatants
26 LA CHÉLONOM I E
lmgratitude des mus iciens et des Lnthiers l ’a laissé tomber dans l ’oubli , etqu ’il soit ignoré de ceux même qui doivent aujourd ’hu i à celui qui le portait,ou leur état,ou leurs plais irs .Honneur àl'
estimable famille des Amati , aux Stainer, aux Stradivare , à ces maitres
fameux qui ont atteint le but que l’inventeur n
’avait pu qu'
entrevoir, et portéà la cime de la perfection une décou
verte aus i précieuse pour nos plaisirsque pour les artsL ’auteur anonyme du modèle doit
être regardé comme citoyen de tous lespays , tant que sa patrie sera inconnueceux qui sont venus ensuite mettre ladern ière main où il avait mis la premiere , doivent partager la gloire de . cc
cosmopolite mais désormais tout estdit sous ces deux rapports , et ne pouvantplus être originaux,du moins dans toutel’
acception que ce terme présente , il nenous reste plu s que le droit et le devoirde prétendre au titre modeste de fidèles
OU LE PARFAIT LUTHIER 27
judicieux copistes , efforçons— nous d'
en
être dignes élèves des grands maîtres ,marchons pas à pas sur leurs traces ,sans toutefois nous y traîner .Cette dernière res triction n
’est pashors de propos . Être son modèle sansces ser d ’
étre soi , créer en imitant, voilàla perfection ; et c
’
est ce quimet une si
grande différence entre un ouvrier purement machinal , et l ’artiste intelligent qui raisonne ses œuvres . Celui-làne voit jamais dans son j our le tableauqu ’ il croit rendre, il le dcpie en aveugle faute d'
en sais ir l 'esprit, i l es tropiela lettre et fait honte au modèle : ense pendant à l ’o riginal , i l renonce à s erencontre r avec lui , et c ’est précisémentà force d’être esc lave qu ’ il se rend infidèle . Mais l 'artiste judicieux commencepar chercher le point d’0ptique ; puisil embrasse d'
un œ il calculateur l’ensemble et les détails , repo rte sur lavers ion le mérite du thème, converti ensa propre substance, ainsi que l ’abeille
28 LA CHÉLONOM I E
industrieuse, l e suc de s fleurs qu ’ ilexprime et la régularité des copiesqu ’ il extrait profite touj ours , et ne
souffre j amais de la latitude qu’ i l se
donne, et de cet heureux abandon quique lquefois commande des écarts . Alorsce sont les exceptions mêmes qui confirmentles règ les.
I l n ’
y a que les principes fondamentaux dont il ne soit j amais perm is des'écarter, parce qu'ils tiennent immuablement, non à l’0pinion ,mais à la nature . O r, quels sont ces principes quidirigeaient nos ancêtres dans leurs sa
vantes Opérations ? C 'est sur quoi ilnous importe d’appuyer
,après que nous
aurons consulté à ce sujet les écrivainsqui peuvent et doivent nous donner deslumières .
L 'auteur de Essen sur la musjque, tome I , p . 356, après avoir passé en revuetous les instrumens inventés depuis lacréation du monde, et tombés pour la
plupart en désuétude après s ’être éten
OU LE PARFAIT LUTHIER
du avec complaisance sur leur nature etleur formes ,leur naissance et leur chûte,et nous avoir donné sur chacun d'eux delongues dissertations , arrive enfin auviolon qu ’il daigne appeler comme nousle roi de tous les autres . Certes i l y aurait eu plus que de mconvenance àomettre précisément l 'article le plusessentiel dans un traité ex—prof esso sur
cette matière,et le public aurait été aussisurpris de voir le nom du violon oubliédans cette nomenclature que celui d
’
A
chil le dans l’
I liade , et d’Ulysse dansl’
Odyssée . Mais i l fallait des renseignements et on ne les trouve pas toujours dans son cabinet, l ’auteur nenéglige rien , et va à l ’emprunt pourse les procurer . Vite, il se met en campagne il parcourt 1 1mmense forêt del’
Encyclopédie , et ne rencontre que desbroussail les .
Puis,i l court chez un habileprof esseur,
puis , chez un amateur instruit, qui lui
promettent les plus amples éclaircisse
30 LA CHÉLONOM I E
ments , et lui manquent de parole . Aprèsavoir attendu un an entier avec impatience des déta ils curieux qui n
’arrivent j amais , voici qu
’
arrive, tout essonflé, l
’ imprimeur impatient, qui frappe àsa porte et demande le manuscrit . Comment se tirer de ce mauvais pas R iende plus simple . Quelques lignes rapidement groupées sur l ’ant iquité du violon ,sur l ’ imposs ibilité, d
’ass igner au justel 'époque de son origine, sur sa substitu
tion au R ebec, sur l ’action simultanéedes deux mains , sur la position du menton , sans oublier l
'
intéressante figure deColin M uret, qui ornait naguères le portail de St—Jul ien des Ménétriers , toutesces particularités fourn irons bien sansdoute quelques aniléas , et seront plusque suffisantes pour échapper au re
proche du s ilence . Si les deux pagesne sont pas remplies , des doléancessur l ’imposs ibilité profondément sen
tie et péniblement exprimée, de s’
é
tendre plus au long couronneront
OU LE PARFAIT LUTHIER 3 1
la finale, e t excuseront de reste les indispensables gémissements de la presse .
Nous partageons bien s incèrement lesregrets amers de l’ingénieux compi lateur; et puis , il y aurait trop de barbarieà le chicaner sur le choix des experts ,car vraisemblablement il n 'existait pasalors un seul Luthier dans toute l’Europe d
’
ou il suit évidemment que desmill iers de violons neufs qui circulaientdans son sein, étaient des effets sanscause . Or, que pouvait— il faire de mieuxen pareil cas , que de mettre dans ses in
térêts un prof esseur habile et un amateur
instruit Quand avant de procéder àla vente d ’un superbe édifice , il est
question d’
en apprécier la valeur, les
dimens ions, la so lidité , les rapports , etqu ’ i l n ’existe plus d'arch itectes pour l
’arbitrage , i l est dans l
'ordre de recueill irles vo ix des locataires mais si ceux—cis’
en vont avant le terme , la prisée etl 'adjudication doivent-elles en souffrirNon, on en sera quitte pour une es tima
32 LA CHÉLONOM I E
tion hasardée et fautive ,dont au surplusles enchères pourront couvrir ou réparerle vice .
Or voilà le triste cas o ù s’
es t trouvél ’auteur de l’E ssai i l prend la peine denous avertir qu ’il entre dans la compos itiou d’un violon ,
du bois , des cordes ,une touche , un chevalet, des chevilles , un bouton , un archet qui ne mordpas sans colophane , et nous nous en
doutions déjà bien puis , embrassant latotalité de l ’ instrument,pour rendre l
’artiele moins incomplet
,il ajoute confi
demment que la table est de cèdre, lefond et les éclisses d’un bel et bon boisde hêtre , ce que nous ignorions complètement . Il nous apprend auss i que le basdu violon , aux extrém ités de la queue ,
est la partie de l ’ instrument qui fatiguedavantage , tandis qu ’il est démontréque la charge est bien plus lourde depuisla touch e jusqu
’
au si llet, dans le haut,et aux approches du manche .
Plus son érudition est courte et en dé
34 LA CHÉLONOM I E
oracles . C ’est à cette source , auss i pureque féconde , que nous irons puiser no s
principes , d 'autant plus infaillibles , quele raisonnement qui les déduit se trouvera fortifié par l
'expérience qui les démontre . En les appliquant au violonseul, qui est comme la racine des instruments à sons filés , j e laisse à chacunle soin de transporter cette application àtous les autres du même genre , qui nesont que des dérivés , c
'est-à-dire , desviolons plus ou moins grands , depuis lapochette du maître à danser, jusqu
’
à lacontre—basse (I ) .
( I ) Tous les auteurs ont distribué largementdes brevets d’ invention à chacun de ceux qui,
les premiers , ont mis en usage l’
alto , le violoncelle, la contre—basse et à qui il n
’
apparænait
que des brevets de copie . Cette libéralité plus
que gratuite,me para ît en outre souverainementinjuste, non ,
le titre suprême de créateur n’
est
po int un titre b anal. Le rappetisseur et l’
ex
tendeur d’un modèle donné n
’
y ont aucun droit .
C’
est ce que j’o se avancer en dépit des écri
vains prodigué s , et des individus usurpateurs .
ou LE PARFAIT LUTHIER 35
L 1dentité des régles est déterminéepar celle des proportions , qui sont exactement 1es mêmes , Je dois épargner aulecteur des répétitions auss i fastidieusesque superflues , qui n
’
aboutiraient qu’à
changer une brochure en un in—folio,
J’
abrégerai d’ailleurs , autant que faire se
pourra, de peur d’
abuserde sa patience .
Certaines personnes ,qui s’
effarouch ent
au seul mot de principes ,me trouveron tnécessairement trop obscur ou troplong . Je ne saurais m
'
accommoder à leurgoût . Je n
’
ai pas l’
art d’être court avecceux pour qui tout est de trop, ni clair etlumineux pour quiconque ne veut pasêtre attentif. I l me suffira d ’engager cha
L’arch i-futh, par exemple, ne dut être jad is ,
qu '
un luth plus gros et plus allongé . S i jamaisil prend fantaisie à un music ien de commander
ou à un Luth tierde cons truire une archi-contrebasse, c
’
est—à—dire, un instrument g igantesqueentre lequelet la basse ordinaire , la con tre—basseactuelle so it moyenne pro portionne lle , l’inventeur du violon , ou sa cendre, si elle se ran ime ,aura dro it d’en revendiquer la découverte .
36 LA CHÉLONOMIE
ritablement ces sortes d Individus à se
mettre à leur aise , et à tourner sans fa
çon les feuillets qui pourront leur déplaire . Je préviens donc le publ ic que toutles détails notés ci -dessous par numeros ,sont uniquement pour les vrais artistescapables de sais ir l ’enchaînement desprincipes e td’en sentir les conséquences .
Quant aux manœuvres pour qui la f outine est tout, et la raison rien ,je leur conseil le de les passer .La fabrication du violon , ains i que de
l’
alto , la basse et la contre—basse suppose des connaissances d’une certaine étendue, sans lesquel les l
'ouvrier qui opèreà l ’aventure, ne sera j amais qu
’
un Lu
thier malgré lui, une ombre de Luthier .Or, j e réduis à huit chefs principaux cesconnaissances indispensables . L
’
équili
bre de l ’air, l a nature des bois , la grandeur des modèles , la hauteur des voûtes ,le percement des ou‘
ies, le rapport desparti es à l ’ensemble
,la compos ition et
la teinte du vern is .
OU LE PARFAIT LUTHIER 37
N° 1 L EQU ILIBRE DE L ’AIR . La capacité du violon renferme un espace vide etce vide n ’est qu
’
apparent ; autrement lapossibil ité du son se rait une pure ch imère, attendu que le néant est sanspropriété.Cet espace intime du récipient est doncrempl i par une masse d ’air, que l
’air extérieur, poussé par l'arch et, force de bondir en dehors des ou1cs , pour prendre saplace,en attendant qu
’i l soit chassé à sontour par la même cause qui a pressé sonintroduction . Cet air qui entre et sortavec un mouvement mesuré, et fait perpétuellement la navette , si l 'on peuts’exprimer de la sorte,est l ’élément unique et le véhicule de tous les sons . P lusle reboussoir est épais et dur, plus le bondde l ’air est élas tique et rapide plus latable est mince, plus el le frémit sous lesélans de l ’air . La quantité d ’air qui entreest à peu de chose près toujours lamême, parce qu ‘elle est aux ordres del’
archet, comme l’arch et est aux ordresde la main qui l'agite mais celle qui
38 LA CHÉLONOM IE
sort est indépendante de l’
un et del 'autre .L
’
aimant de l’arch et et les doigtsdu mus icien n ’y peuvent rien changer.El le est naturalisée par la constructionde l ’instrument, et modifiée par ses paro is . C ’est au Luthier à répondre de son
ouvrage, il a dû disposer ses matériauxde manière à maîtriser le fluide qui ,sans les plus grandes précautions , lesubjuguerait de toutes parts l
’
analyser
mathématiquement, l e décomposer d ’avance par pieds , pouces et lignes, en
prendre juste ce qu ’i l en faut pour fairejouer convenablement la machine, faciliter ses ondulations , le faire osciller endedans , comme le pendant d ’une pendule, préven ir avec soin son cahotage ouses secousses , et entretenir avec sagesseses doux balancements . Cet air intimedoit donc être scrupuleusement pesé, etson poids doit être soumis par l ’artistephys icien à la précis ion la plus sévère etla plus rigoureuse .
Un soupçon fait pencher le fléau . Si
OU LE PARFAIT LUTHIER 39
un globule d ’air est de tr0p, i l faut lesoustraire s
'
ilmanque , il faut l’ajouter
et l’additionner à la masse totale . Dansles sciences exactes (et la Luthe rie es t dece nombre ) , rien ne doit être laissé à1’arbitraireQuand l ’épaisseur d’
un cheveu faitune différence du tout au tout, des à—pcuprès sont nécessairement de fauss es me
sures on croit avois iner le but, ou letoucher, et on en est à cent l ieues .
Que résulte - t—il de cette inexactitudedans le calcul du poids de l ’air ? L ’
irré
gularité dans la fac ture l ’incertitude , le
vague dans les épaisseurs l Imposs ibilité de se rendre compte des effets , et
inévitablement l ’anomalie e t l ’inégalitédes sons . Ils séjournent et s ’endorment ,
quand il leur faudrait partir et voler ;quand il leur faudrait faire une pause,ils s
’
élancent et vous pincent . Enfant del ’air qui les engendre , ils tiennent defamille, et contractent tous les vices pateruels , ils sont nécessairement mal or
40 LA CHFLONOM I E
ganisés , contrefaits ,et quelquefois monst rueux. En se refoulant au dehors avectrop de pres tesse, i l s
’
ench evêtrent ets’
épointent ; en s’
accroupîssant, il creus ent et se confonden t ils prennent uneteinte sèche
, sépulcra‘e , cadavéreuse ,
qui les rendrait hideux s’ ils avaient des
couleurs . Dans ce cahos de l ’air et dess ons tout se mêle et s ’embarrasse , rienne s
’articule .
L ’at chet ordonne et n ’est pas obé1
l e musicien se désole et ses continuelsmurmures sont la j uste satyre et la con
damnation du fabricateur, qui seul es ten défaut, quand souvent il ne s
’
en doute pas . En voulez—vous la preuve Bêtablez le violon , et vous verrez qu Il a étéfait sans la moindre façon ou comme ondit ,ex œ quo et bono,et que la supputationdu volume aérien n
’
a point prés idé à saconst1uction . Je sais que très-peu de personnes tiennent compte à un Luthier dece calcul , dont la parfaite exactitude assure la bon té d’
un violon mais il n’
en
,
4 2 LA CHÉLONOM I E
comme la forme très-favorable de ses
instruments ,d ’autant moins susceptiblesde défectuos ité qu ’ils sont plus difl’
us , se
prête d ’
e l le même à la perfection , il n ’ya point d’obstacles à surmon ter pourfixer la régularité de l ’air ; ou s
’
il en
existe que lques —uns , tous les combatspour y réuss ir, sont comme nécessairement des succès et des victoires .
Mais à l ’égard du violon, c’est autre
chose . Borné par un bref et symétriquemodèle , le Luthier n
’
a ni les mêmesressources , ni le même espace . Plus laforme est s imple et courte, plus le travail est compliqué , Il faut que de longues combinaisons préparent la maind
’
œ uvre , et l ’art doit à chaque instantdompter e t enchaîner la nature . L
’
éga
lité de la surface est déjà un terribleobstacle à cel le de l ’air qu ’i l s ’agit defournir . La nécess ité d ’économiser ce
volume d ’air entre quatre cordes, dontchacune peut donner deux octaves , sansmême compter les dièz es et les bémols,
ou LE PARFAIT LUTHIER 43
en est un autre plus grand encore caril n ’
en faut ni trop, ni trop peu . Sa raretéou sa surabondance sont deux écueilsentre lesquels le Luthier est sans cessecontraint de louvoyer, et il n ’
a pourboussole que son compas . S ’il n ’est surses gardes , il heurte et se brise , son talent se noie et s ’
engloutit; tout est perdu;les sons bouchés se taisent , les sons ouverts crient, l’oseillation s
’
arrête, l’équilibre se romp, tout le système porte àfaux, le violon est manqué tant i l estvrai que le calcul de l ’air est indispensable, et que le pèse -fluide doit être tout àla fois dans la tête et la main de l ’artiste,pour assurer infail liblement le succès deses opérations .
N° 1 1 . LE CHOI ! DES BOIS qui entrentdans un instrument,est auss i d 'une hauteimportance . Le sapin et le pläne
, ou
l ’érable , doivent avoir fait tout leurcfl
’
ort, et ne plus travail ler. Si l ’air les
tourmente encore avant leur emploi , àleur tour ils se vengent de l ’air quand ils
LA CHÊLONOM I E
sont débités , et le son se sent imman
quablement de cette récrimination . Ils
doivent donc être très mûrs et très vieux ,
secs par nature et non par artifice , dépouillés par le temps seul de cet excèsde sève qui rend les sons aigus et criardssans être toutefo is de ces bois usés , piqués de vers et morts de vétusté ,lesque lsne donneraient que des sons d’
un fauxmoêlleux, sans fraich eur et sans vie .
Les bo is mâles ne sont pas assez liants .
I l n ’
y a de bon à employer que les boisfemelles . Les fils du sapin ne doiven têtre ni trop fins , ni trop gros ,mais parfaitement droits dans toute leur longueur, sans se recourber sur la côte desbords , car dans ce dernier cas ils donneraient un son trouble et louche qui tiendrait un peu de la sourdine . A l’égard
‘
du fond, les bois à œi l de perdrix , te lsqu ’on en fait usage pour les beaux ch evalets émaillés , seraient sans doute plusfavorables à la répercuss ion du son, que
les bois très fortement et très largement
OU LE PARFAIT LUTHIER 45
ondés , qui par cette raison sont d ’unecoupe très diflicile et d ’une dureté tropinégale mais comme l ’aspect de ceuxci est bien plus flatteur, peut-être faut- i lpasser aux amateurs cette petite faiblessepourvu du moins que dans le violon ces
matériaux des fondements aient d ’ailleurs toutes les autres qualités convenables ,et ne soient point sujet à se déjeter .Les Italiens surtout s
'
attachaient sin
gulièrement à chois ir, comme il faut,les bois qu ’il mettaient en usage, et c
’
està ce choix exquis , plus encore qu
’
à l’
an
cienneté de la facture , que leurs instruments son redevables de ce velours deson qui les distingue, tandis que lesouvriers de M irecourt avec leurs boisseptentrionaux, trop mous ou trop durs ,trop dociles ou trop rebelles au tranchant, n
’ont guère é tablis que des violons plus ou moins détestables .
Après avoir cho isi les arbres du meilleur acabit possible (et dans le sapin seulon en compte jusqu ’
à 2 2 sortes) il faut
46 LA CHELONOM I E
avoir égard à leur expos ition . Le côté dumidi est le plus mû r, et le plus riche enqualité . Cette qualité dégénère en raisonde l ’écart et s i les côtés du levant et ducouchant
,qui participe plus ou moins à
sa vertu, ne sont pas sans valeur, celuidu nord, qui est totalement privé decette communication , est le moindre detous
,et n ’est bon quelquefois qu
’
à don
nerdes chevalets communs , à servir demanche ou d ’outils , et à marquer fo rtement les années . Dans ce côté du m idi ,où i l y a plus de déchet à cause de la rés ine qui s ’y loge par câses , il faut chercher ensuite les parties mitoyennes,s ituées à une certaine distance de la racine , du sommet, et du cœur parceque, près du tronc, le bois est plus gras,plus compact, et pompe plus de fraicheur près de la cime, i l est grillé,calciné par le soleil , et accosté de lasève ascendante, i l est plus aqueux , plusvert que dans le vois inage de l ’écorce .
Un Luthier ne s’
y trompe pas . Veu t
ou LE PARFAIT LUTHI ER 47
i l extraire la partie superfine ? I l saittrès bien où la trouver . A- t— il plus ieursinstruments à mener de front Avant dese faire rendre compte par l’archet, i lva vous prédire tout d’
un coup, sans êtreun Nostradamus ,lequel se ra le meilleur,et les ranger par ordre de bonté , sansj amais se méprendre . La situation particulière des matériaux , voilà au fondtout son secret encore n ’
est- il pas trèssûr d'obtenir le choix , même en payantau poids de l ’or de cent cinquantelieues loin on lui fait la loi . Le pr0priétaire a son magas in tout monté il entend que tous ces arbres passent . I l lesdébite en bûches , en quartiers , en planches , les envoie à leur adresse, et ne leslache d ’une main , qu
’en touchant del ’autre le montant de l ’envoi qu ’ il n ’
ou
blie pas de bien compter . Or, ce mon
tant fait une somme ces sortes de boisne se mesurent point à la corde commeceux du chantier, et avec tous ces écus ,i l n
'
en a pas une forêt . La commande
48 LA CHÉLONOM I E
une fois expédiée, c’est au Luthier à re
tirer sa marchandise , à démêler le bon ,
le mauvais , le médiocre et à s ’arrangerà sa guise pour la rentrée de ses fondsil a son poids, son compte , rien de
mieux ; sauf à lui à se faire défrayer,dans le détail , par les consommateursde seconde main .
I l a donc pour son commerce un certain nombre de quartiers ou de plancheset le voilà monté pour un certain nom
bre d’années . Il fait la loi à son tour . Il
faut auss i que ses planches passent parmi toutes les coupes i l s ’en trouve trèspeu d
’
exquises , beaucoup de communes ,et plus encore d’
absolument inférieures ;c ’est-à-dire , qu ’il y a bien du déchet etdu rebut . Ce là est fâcheux, mais qu ’yfaire Les pratiques le dédommageront .Elles ne son t pas toutes si exigeantes .
Mais un curieux veut écrémer, comment s ’yprendre pour trier sur la masse?Le moyen est facile c 'est de payer enconséquence du choix . R ien au monde
50 LA CHÉLONOM IE
fort multipliés . Au lieu de les arrondiren cercles conce ntriques , e l le aurait mistout en surface , et en regard du sudelle aurait ordonné au soleil d’en mûrirà la fois tous les points , et épargné aufabricateur la peine du débit . Ses respec
tables inégalités sont donc évidemmentla just fication de l
’artiste ; trop heureuxsi avec les matériaux les mieux choisis ,il ne différait j amais de lui-même quepar de s imples et légères nuances .
N° I ll. LA GRAN DEUR DES MODELESdoit être fixée de manière à donner labonté suprême sous tous les rapports .
Or, quatre choses quand elles sont portées au plus haut point, consti tuent unexcel lent violon la qualité , la l iberté,l 'égalité , la force . Si donc un seul etun ique modèle les réunit toutes au dernier degré , ce lui-là seul est légitime , etles autres sont bâtards . On m
’
opposera
peut-être d’avance la plupart des an
ciens , dont je parle rai bientôt, et quitravaillaient indifféremment sur toutes
ou LE PARFAIT LUTHIER 5 1
so rtes de patrons ; j e répondrai que s i eneffet ils avaient pardessus nous la scienceet la logique de l ’art, nous avons de plusqu'eux, une chose qui leur manquait,l 'expérience . I l est démontré que lestrès g randsAmati . qui sont extrêmementrares , et les grands Stradivare , qui sontbien plus communs , e t dont la capacitérenferme exactement un pied, six poucas , une ligne , pied cube carré , et neufpieds , six lignes dans toute la circonférence, non compris les tassaux, les contre- éclisses et la barre , dont il faut fairela déduction , donnent seuls le quadruple résultat ci-dessus énoncé d 'où ilsuit que les Luthiers ne peuvent s 'écarterde ces derniers modèles , à moins quedes commandes particulières ne les con
traignent à des exceptions . Un violonpetit ou même moyen aura une chanterelle brillante , une assez belle seconde,une trois ième passable, le tout avec unerondeur médiocre mais comme il n ’
y
a pas assez d’air pour ébranler la table,
52 LA CHÉLONOM IE
la quatrième n’
ayant ni la gravité , ni lecorps q ui convient à sa nature, serapresque toujours roide, sèche et sansforce . Au contraire , un violon d’uneampleur excess ive aura une chantere l lemaigre , mince et couverte, une secondenasarde ou sourde , une troisième trèsronde, mais avec des sons entortil lés ,équivoques , ince rtains , tels que les j anaturel et d 1eze , les si naturel et bémoldu démancher il aura enfin une quatrième fort e et grosse dans le genre del’
alto ,mais molle et caverneuse avec lessi et les ut nature ls , les deux sols dièz es ,et le si bémol dans le bas , vraimentépouvantables . Aj outez à ses sons om
bragés et léthargi ques , leur indoc ilité,leur résistance aux ordres de l 'at chet, etvous sentirez qu’en exagérant le modèlecomme en le rétrécissant, vous avezcomplètement anéanti la vérité .
On vous aura commandé un violon,et en place de l ’objet attendu
,vous
n’
aurez à livrer qu 'une grande poche ou
ou LE' PARFAIT LUTHIER
un petit alto double inconvén ient, quedoit évi ter quiconque ne veut pas travailler au hasard et s
’exposer à des pertesfâcheuses , ou à des suites peu honorables . Que ferez - vous , si vous avez affai
re àun amateur difficile et un peu entendu Le fo rcerez—vous de prendre à soncompte une chose pour une autre I l sedéfendra de vos instances . Le citerezvous en j ustice Vous perdrez votrecause , en faisant preuve d ’incapacité .
On vous condamnera à remplir la con
vention , e t à garder pour vous , ou d’
au
tres dupes , une machin e amphibie quine ressemble à rien et n
’
appartient àaucune classe .
N° IV . LA GRADUATION DE S ÉPAISSEUR S mérite aussi une attention particulière , et est même d ’
une conséquencebien plus étendue . Toutes sortes de raisons m ’
obligent d’ ins ister fortement et
de m ’
appesantir sur un article auss i essentiel qu ’ i l est presque universe llementnégligé . Les épaisseurs de la table et du
54 LA CHÉLONOM IE
fond sont ici les rouages de la machine,la quadrature d’une montre , la sonneried ’une pendule . Dans cette opération si
épineuse gît principalement le talent del ’artis te . On ne saurait impunément lesinfirmer ou les amplifier, même d
’
un
atôme .
T rop fortes , elles Opposent à lapulsation et aux élans de l ’air trop derés istance trop minces , elles n
’
en op
posent pas assez . L’
immobilité ou la
stagnation des parties roides , et la flexibilité excess ive des parties molles , sontdeux vices énormes , dont le dern ier surtout e st indestructible .
C ’est ici que plus ieurs Luh iers s'
em
barrassent et se troublent . Étonnés aprèscoup, des mauvais effets qu ’ ils auraientdu prévoir et prévenir, ils se mettentl 'esprit à la torture ils cherchent avectoute l Inquiétude d’
un dépit sans raison,les causes du mal ses préservatifs etses remèdes ils s interrogent et ne serépondent pas ; leurs idées éternellementvac illantes se croisent et s 'embrouillent.
o u LF PARFAIT LUTH IER 5 5
Chez eux la théorie oublie constammentd
’
éclai1 c ir la pratique , et dans leursmains incertaines le rab0t licencieuxn
’attend pas les ordres de la pensée . Ils
commencent donc par agir, puis ils raisonnent ou en font semblant en so rtequ
’ ils passent leur vie à se donner desleçons auss i peu profitables pour l’écolier que pour le maître, à multiplier éternellement des essais infuctueux, et à se
perdre dans le vague pour ne se retrouverjamais . Demandez leur p ourquoi lesins:ruments à sons filés ont plutôt desnotes ingrates que les autres Ils ne
vous entendront pas . Pourquoi dans unviolon mal construit ,Eette surdité de laquatrième aux bémols ,la d1ez e ,sol naturel et dièz e , si et ut naturels pourquoice voile sur la troisième auxf a naturel etdièz e ,sol dièz e ,si et ut naturèls ;rourquoicette sécheresse et cette couardise de laseconde au si bémol et à l’ut cette mai
greur de la chante relle auf a naturel, soldièz e, si bémo l , ut naturel et re‘ dièz e
6
5 6 LA CHÉLONOM I B
i l ne savent rien de tout cela . Ce sontautant de logogryph es qui échappent àleur courte intell igence c 'est-à-dire
,
qu ’i ls travaillent en l 'air, et ne prennentconseil que du hasard . S Ils rencontrentmal , et cela doit être , ils font d’un violon à l ’autre, effort sur effort pour secorriger tant est que parfois ils réussissent enfin à détruire un vice pour encréer une foule d ’autres plus sérieux etplus graves à peu près comme ces bêtesempyriques qui , pour extirper sûrementun cor, coupent le doigt du pied , oucomme ses chirurgiens imprndents quiferment tout d’un coup à l ’écoulementexterne des humeurs une issue salutaire ,l'
envoient se fixer sur les parties nobles ,et ne vous délivrent d’
un utile cautèrequ 'en vous procurant une fluxion depoitrine .
Avec un peu d’attention ,ils sauraient
que les notes diatoniques ont une gra
vité spécifique qui,dans un violon , porteà l 'âme qu ’elles agitent l ’air avec plus
58 LA CHÉLONOM I E
sons ouverts sont étouffés , les sons ingrats dont la respiration demanderait àêtre interceptée expirent à raison du surcroît . Tout se choque et se brise le faible tue le fort, et le mort tue le vif plusd'égalité dans les ressorts , dans l
’air,dans la voix; plus de régularité , plus deproportion . plus de cohérence et d ’unité;confus ion un iverselle . Le mus icien ne
sait où ilen est sa main vainement laborieus e rebrousse sur les cordes ous’enfonce , tandis que la récalcitration ou
la mollesse des notes allume d'instantsen instants la colère de l'arch et .
Eh quel est donc le père d’un enfantsi mal conformé Commen t a- t- il puréus sir à endormir un amateur et à l’engouerde cette chétive production , dontpeut être il a su se faire payer au poids del ’or Au moins i l aurait dû, s ’ila de lavogue, et surtout de l ’honneur, déroberson nom à la chose , et à tous les regardsle vice de la paternité . Est—ce ignorancede sa part ? Mais sa réputation , si elle
o u LE PARFAIT LUTHIER 59
n’est po int usurpée , doit le mettre à couvert d’un pareil reproche . Est-ce la nécessité de satisfaire sur le champ à une
‘
commande pressée avec trop d’indiscrétion Mais alors il fallait faire attendreun importun trop impatient de jouir ;ou s ’en défaire honnêtement, s’ilne voulait pas entendre raison . La renomméevaut mieux que l
’or . N e serait—cc pasplutôt je ne sais quelle précipitation del ' intérêt qui fonde sur l’avarice du tempsla rapidité de la fortune ou peut—êtreencore la certitude présumée que desdéfauts auss i essentiels , étant purementintérieurs resteront longtemps ou éternellement ignorés par un aveugle en
tousias te , ivre de confiance, qui aprèsavoir payé un prix fou,ce que les bonnesgens appellent cha t en poche, ne connaitra j amais le l ivre que par la couverture?Quand à moi je n
’
y comprends rien ;j ’aime mieux supposer à ces sortes d’art istes des d istractions que des vices . Ce
que je puis dire en toute vérité , et prou6 .
60 LA CHÉLO NOM IE
ver à qui voudra l ’entendre ,c 'est que surdes mill iers de violons qui se fabriquentdepuis nombre d 'années , et sauf toutefois quelques honorables exceptions , s 'ilen existe s i peu d
’
à-peu-près passables ,
si les meilleurs ne sont souvent que lesmoins mauvais , c ’est que les épaisseursen sont mal calculées par l’impéritie , oumal soignées par la paresse, et quelquefois falsifiées par la fraude trois causesde délit très diflérentes , qu ’ il faut biense garder de confondre car l ’ ignorancecrasse d’un maladroit sans principes, etcoupable incurie d
’
un ouvrier négligent,n’ont rien de commun avec la profondeimmoral ité d’un escroc .
Osons le dire il se rencontre dans lesprovinces des bourreaux de vio lons , quiplus avides de s
'enrichir bien vite qued ’être utiles et de se survivre ,donnent depropos délibéré à leurs maudits colifi
chets une maturité précoce, sans s'
em
barrasser, si par cela seul qu ’ils vieil lissent artificiellement les tristes nou
ou LE PARFAIT LUTHIER 6 1
veautés de leur façon, ces baroquesinstruments , presque morts—nés , ne vontpas peut-être expirer subitement ausortir de leurs mains . Ils faussent lesépaisseur pour s inger le vieux et subtiliser l ’ignorance or, cette falsificationpréméditée et réduite en système, est auphysique une monstruos ité , et au moralun brigandage .
D'abord c 'est tromper la nature . Sidans son intention le violon doit prodigieusement acquérir, et que , par le faitde l ’ouvrier, i l court rapidement à sa
d1ssolution ,elle rejette l ’œuvre, e t frap
pe l ’artisan de ses anathèmes . Tandisqu ’il lui répond du soin de la fabrication
,el le se réserve donc ce lui de la
maturité ; ou si elle s'
en décharge, dumoins en apparence , ce n
'est pas sur lui .dispo siteur des matériaux , mais sur le
temps qui à cet égard est son commiss ionnaire, et que tout l
’art du monde nesuppléera jamais .
Diminuer à dessein dans lmtérieur
62 LA CHÊLONOM I E
du coffre les épaisseurs obligézs , c’est
donc avancer méchamment, comme en
serre chaude, la maturité du fruit, avecla certitude acquise de sa fausse saveuret de sa prompte putréfact ion c ’est faireavorter le son , et le tuer dans son propregerme or
,cet empiétement sur les
droits du temps , cette s ing«—rie meurtière
de la cupidité , est précisément ce quej ’appel le un outrage à la nature premier grief.Secondement, en tirant à faux sur le
pas sé au préjudice certain de l ’avenir, lecupide Luthier qui dénature exprès lesvraies épaisseurs , sait très -bien en son
âme et conscience que les données encette matière sont consacrées par les
usages et par les règles qu ’un instru
ment neuf exige une certaine épreté desons qui ne doit disparaitre qu
’
à la longue ; qu
'ains i un vio lon d’
un j our defacture, avec un son de cent ans , expo séen vente , et surfait en conséquence decette qualité factice et transitoire , est un
ou LE PARFAIT LUTHIE R 63
piége tendu à la bonne—fo i par la coquinerie et qu ’enfin ce violon hadf, murd
’
un siècle avant terme , n ’aura tout auplus d'intéressant que la séduction momentanée par la primeur, et tombera
‘
bientôt en deliquium. Ains i il se joue insolemment des ch alants trop crédules ,qu’ i l rançonne de gaî té de cœur, et à qu iil fait payer en vrai arabe, et sur le piedde la perfection même, des dégradationspitoyables , des violons de contrebande,des j oujoux d’un j our, qui seront presque nuls pour les acheteurs , et totalement
’
perdfl s pour leurs héri tiers , tandisqu’il vivra fort à son aise aux dépens desuns e . des autres filouterie secondgrief.Certes , si nos encêtres s
'étaient avisésd'une aussi indigne rubrique,leurs chefsd’œuvre
,que nous admirons tant auj our
d’
hui, eussent péris avant eux . Mais ils’
avaient trop de probité pour miner lesfondements dti son, et spéculer sur sesruines , tr0p d
'amour propre pour immo
64 LA CHÉLONOM I E
ler sans pudeur à '
un sordide intérêt, àune hypocrite rapacité
,leur gloire et
leurs ouvrages . Autres temps , autresmœurs . Quant à ces provinciaux fals ificateurs de violons, qui paraissent ne pasy regarder de si près , sans doute i l leurfaut quelque chose de plus substantielque l’estime et de plus solide que la gloire . Le doux son des métaux précieuxchatouille bien davantage les fibres deleu r tympan , que celui du etpuis au fond que leur importe Les fauxmonnayeurs ne sont pas délicats ils ne
donnent guère dans la duperie des re
mords leur morale e st dans leursoutils pourvu que leur fortune soit autitre, qu
’elle pose sur une base immuable, fût-cc même, au besoin sur les décombres de l ’un ivers , il la trouvent toujours de bon aloi . Avec elle et l’impunité, ils se consolent de tout le reste . R em,
rem,quocumgue modo, rem; voilà en cinqmots l ’unique devise dont il paraît queleur conscience s 'accommode àmerveille .
,66 LA CHELONOM I E
portée d'apprécie r sainement des rapso
dies éphémères . L ’épreuve est toute simple ; en la leur proposant, j ’y trouvel’avantage de poursuivre et d 'achever unparallèle, qui sans doute ne leur paraîtra souverainement odieux qu
'
à forced’
exactitude et de justesse .
La falsification des épaisseurs est
auss i facile à constater que celle des
espèces , et pour prononcer sur la fraude ,i l n 'es t pas plus besoin de détabler un
violon que de fondre un écu . L’
archet
est la pierre de touche, le son est l’
accu
sateur, l ’oreille est le j uge . Or, parmi lescharges suivantes , une seule suflit pourmotiver l 'arrêt qui les condamne . Si la table fléch it sous le chevalet si le violonne tient pas l
'accord s’
il y a sur les sonsun crêpe, un nuage, s i leur grosseurboursoufllée est sans ronflement et sansreflet si les notes ingrates s
’aæoupîs
sent ou rés istent à l ’aiguil lon de l’archets i elles veulent être lancées plus fo rtement pour marcher à l 'égalité des autres
OU LE PARFAIT LUTHIER
surtout si le bourdon , disproportionnéavec ses trois co llègues . rend un grosson vide , lors même qu Il est composéd’
un boyau et d'un filagramme trop finsen un mot, si cette quatrième tirant sensiblement sur la quinte ou sonnant letambour, présente à l ’oreille une vraiedétonation , ou une charge ridicule quidonne à un seul cofl're l ’air de la pluralité dès— lors la cause est finie le déficitest évident le rabot a trop entamé , lebois manque, le fond ou la table sonttr0p légers , et peut-être l
’
un et l ’autrele centre du repoussoir est mince, lesrayons sont minces , le tout est mince ; leson qui n ’
a point de saill ie , s’
avach it etne bondit plus la voix s
'éteint faute d ’éto ffe dans le physique de l ’organe, et lamollesse des matériaux prouve invinc iblement leur parfaite nullité .
Quel remède à tant de maux Aucun .
De pareils violons hors de toute épaisscur dans la concavité , doivent être horsde cours dans le commerce . Ils ne son t
68 LA C I IÉLON OM I E
pas de vente . Comme ily aurait du danger à les mettre en c irculation , et qued 'ailleurs ils ne valent pas les frais demonture, c ’est aux musiciens entre eux
à faire la pol ice et à les démonétiser ,ou plutôt à les refuser ne t
,comme
n’étant pas actu, et ne pouvant deveni rmonnaie courante et efl
’
ets commerçab les . Tout cons idéré , ce serait au feu àen faire justice , comme des pièces fals ifiées ou tronquées . Du moins la réduc
t ion des métaux procure un mas s if appréciable ,
et des lingots o nt leur val eur ;une façon nouvel le , et l
’
addition d ’unecertaine quantité de matières propres suffisent pour en tirer parti ; mais commel 'érable et le sapin ne se metten t ni enfus ion ,
n i en pâte, et qu ’au surplus lavérité e t l ’unité du son ne résulteraientpas de la s imple accolade de plus ieurspellicules ou esquilles de bo is ; tantpis pour le Luthie r . Il a beau faire ;avec ses j olie s planches transparentes ,avec ses croquets de violons , il n
’
a
o u LE PARFAIT LUTHIER 69
droit qu a des Avis à ses
pratiques .
Mais ne seraient-cc pas peut-être lespratiques elles -mêmes qui font la loi aufabricateur et lui forcent la main ? I l estvrai
,et du moins dans Paris cette exi
gence absurde est le ton o rdinaire d ’unefoule de demi connaisseurs qui , avecleur argent qu ’ ils diss ipent, et la préférence qu ’ ils font valoir, croient acheterle dro it de violenter les arts , d
’ imposerl ’ indus trie , et de contraindre un auteurà leur l ivrer, en sus de ses ouvrages,sa réputation . Partout ail leurs les ch alants ne sont pas si impérieux et si tranchants ils commandent sans agir, e t
prennent de confiance . Plus modestesdans leurs prétentions , ils laissent enpaix le rabot de l ’artiste, et ne poussentpas la main qui le dirige . Libre dans sesopérations , si l ’ouvrier manque ses
épaisseurs , le voilà dûment atteint et
convaincu de mauvaise fo i ou d’ignorance . En lu i laissant le choix des deux
70 LA CHÉLONOM I E
causes , o n a droit à ses remerc îments ;
et comme c ’est du fond des°
provincæ
qu’
arrivent journe l lement des pacotil lesde violons estropiés e t perc lus , dont lesvoix inte rmittentes expirent à nos barrières , l
’
arrêt circulaire et sans appelconcernant les facteurs , peut aller dro ità leur adresse .
Mais dans la capitale où les Luthierssont, pour la plupart, auss i avantageusement connus par leur probité que parleurs talents , e t j ouissent sur ces deuxpo ints d’une longue prescription , ce viceénorme d’altémtion des épaisseurs n ’estrien moins qu
’
indigène . Si par fo is i ls’
introduit accidentel lement, c'est de
leur part une pure condescendance en
servant le publ ic , ils ne sont pas responsables de ses travers . Il se rencontredans ce publ ic tant d’égo
‘
istes plus apresà j ouir qu
’
à transmettre ; tant d’êtresdélicats , chez qui un soupçon de verdeurdans les sons pourrait occas ionner descrispations de nerfs tant de despotes
ou LE PARFAIT LUTHIER 7 1
inconséquents qui , en commandant duneuf, veulent à toute force avoir duvieux, et auxquels il faut fournir de cesviolons hermaphrodites , sous peine dene faire avec eux aucunqu ’i l est imposs ible de les satisfaire sansprendre un peu sur les épaisseurs , et
sans contourner l ’art lu i-même au gréde leurs caprices .
Que faire en pareil cas ? Les servir,sans desservi r l ’art . Comment cela ? Levoici 1 ° avant d ’entamer l ’opération ,i l faut éclairer l 'acquéreur sur la faussetéde ses calculs , sur la chute prochaine etinévitable d’un violon fait à contre-sens ,sur les dégoûts e t les regrets qu ’ i l seprépare en faisant une fo l le dépense etsi d'abord il rés iste par amour—propre
,
vous verrez qu 'enfin il se rendra parintérêt . E n cas de pertinacité et de déraison , i l faudrait 2° lu i déclarer hautement qu ’on ne répond pas de l
’ouvrage,et comme la simple étiquette impriméeest une sorte de garantie , sur le bois
7 .
72 LA CHELONOM I E
même et en dehors du coffre, avec ousans son aveu , le Luthier graverait cesmots sacramentaux Hors des vraies
épaisseurs, par commandement exprès de
l’
acquéreur. A insi les parlements , obligésde donner cours à de mauvais édits , sedéchargeaient auprès des peuples de
toute responsabilité avec cette seuleclause libératrîce , enreg istré par ordre
exprès du souverain . A l ’aide de ce correctif, dicté par la prudence , i l pareraitde loin à toutes les fâcheuses possibilités ; si par la suite un amateur fantasque,et plus que malhonnête, se permettaitdes propos indécents , i l se trahirait luiméme , et la prétendue pièce de convic
tion qu ’ il produirait en preuve porteraitla réponse . Ces deux précautions dontl ’une tient à la délicatesse de la conscience, l ’autre au maintien de la réputation, me semblent indispensables , et
j ’ose les conseiller à mess ieurs les Lnthiers , sauf l eur meil leur avis .
N° V . LA HAUTEUR DES VOUTES, bien
74 LA CHÉLONOM I B
épargner des regrets à ses pratiques , etne pas s
’expos er même à d’injustes re
proches . Pour éviter ce double désagrément, il faut que sa manière soit uniforme et à égale distance des excès , queles voûtes ne se rapprochent pas de laplanche comme celles des Cuny, et nefassent pas le dôme comme celles desfaux Kloz mais que tenant un justemilieu, elles soient tellement raisonnées , qu
’
à partir des crans des ouies ,elles se fondent bien en douceur jusqu
’
aux filets pour obten ir dans les deuxtables l'égalité du ressort, dans tout lephys ique de l ’instrument la facilité dela respiration , et dans les sons qui enémanent la largeur et le volume . Si vousne leur donnez pas une certaine élévation , vous perdez trois choses la qualité de la voix, la solidité de la machine ,et l 'élégance des formes ; pour couriraveuglément après un surplus de force,que souvent vous n
’
attraperez pas , et
que vous n’
obtiendrez guère dans le
ou LE PARFAIT LUTHIER 7 5
grave qu ’aux dépens de l ’aigu, et dansl 'ensemble des sons , qu ’au préjudice deleur limpidité . Si au contraire, vousbombez avec extravagance, vous aiguisez les sons, et tout leur velours s
'
éva
nouit . Au lieu de glisser suavement dansles ouïes et d’onduler dans la concavitédu récipient, ils se culbutent l'un sur
l ’autre, se précipitent brusquement et
rejail lissent avec une telle impétuositéqu ’ i ls vous donnen t une quatrième aride et une chanterelle po intue :effets inévitables de l
’
exagératio n .
J’
en suis bien fâché pour mess ieursles Al lemands mais leurspains de sucreou leurs citrouilles ne sauraient faire fortune avec moi . Presque tous leurs violons, excepté les Stainer, ont un goûtde terroir auquel je ne puis me fairej ’y cherche quelque analogie avec lavoix humaine, et j e n '
y trouve que lesâpres c ris des chouettes de nos forêts .
Leurs chanterelles sont des perce—oreilles ,leurs secondes sonnent la timbale leurs
76 LA CHELONOM I E
grêles trois ièmes parlent du nez ; et leursquatrièmes sont des barres de fer ce qui
prouve qu’en tout il y a un milieu , endeçà et au—de là duquel on se trouve nécessairement aux Antipodes du bien .
N° VI . LE PERCEMENT DES OU IES estencore un obje t majeur, plus importantque ne se l
’
imagine d’ordinaire le com
mun des Luthiers . Plus ieurs d'entre euxn
’
y font pas , ce me semble , une assezscrupuleuse attention . I l est cependan tb ien nécessai re de prendre toutes ses
mesures en conséquence, et de diviser latable parfaitement j uste dans le milieu ,qui est le répondant des sons . Si nos organes avaien t été placés de travers par lanature, il y aurait difl
’
ormité dans notreconformation , et néanmoins ils feraientégalement leur service dans l ’économieanimale, mais ici la difformité auraitdes suites vraimen t fâcheuses . L ’ai rserait plus rare d’un cô té que de l
’autre,i l entrerait et sortirait par portions inégales , et entraînerait le so n sans le divi
78 LA CHÉLONOM I E
les ou 1es comme au hasard, alléguerezvous pour excuse, ou en faveur d ’unenégligence auss i évidente , l ’exemple desgrands artistes dont le style à cet égardn’es t pas toujours châtié , et dont lesinstr uments , selon vous , n ’
en sont pasmoins délicieux ? Quand je vous accor
derais qu ’avec plus de précis ion ils ne seraient pas encore meil leurs à quo i bon
,
je vous prie , transporter dans vos œuvresce qui,même de votre aveu, es t au moinsun dommage dan s les leurs ? Est-cedonc en cela
_qu’
il est beau de les imiter ?Eh faites-nous grâce de leurs défautse t montrez- nous leur vertus .
N° VI I . DU RAPPORT INTIME DETOUTES LES PARTIES A L ’EN SEMBLE, etde leur jeu mathématiquement combiné, dépendent bien plus encore que de
la s imple symétrie des ouies , l’aplombde l ’équilibre, la régularité des sons , et
la solidité de la machine instrumentale .
Leur devo ir réciproquement est de secorrespondre et de se balancer, comme
ou LE PARFAIT LUTHIER 79
celui du fabricateur es t de les y contraiudre . Dans un violon comme dans la na
ture, l’unité est de rigueur, et la loi qui
l’
ordonne ne souffre pas même une seuleexcept ion . En un mot il doit y avoir unaccord parfait, une sorte d ’identité entretous les membres intégrants du corpssonore , e t le manche même ne sauraitfaire schisme avec ces associés , sansqu ’ il résul te de cette coupable més intelligence la confus ion et le cahos .
Pour mettre en harmonie l 'ensembleet les détails de l ’ instrument, je commence par vérifier, à un scrupule près ,la puissance des cordes , afin d
’
opposer
à leur pression et à leur tirage laforcede rés istance . Je chois is , pour servird’
épreuve , non un violon trop mince quiexagérerait leur tens ion , ni un vio lontrop épais qui donnerait un effet opposé,mais un violon d ’une bonne épaisseur,bien traité, bien diapasoné, établi surun grand modèle ,armé de cordes passéesàla fi lière ; puis j e le monte et le soutiens
80 LA CHFLONOM I E
au ton de la flûte , ayant soin que lesquatre cordes posent et pèsent perpendiculairement surun chevalet de 1 4 lignes ,exactement situé au n iveau des crans desouïes .
Pendant que les trois dermeres sontcontenues par les chevilles et le bouton ,
j e pèse séparément la chanterel le avecdes marcs et autres poids jusqu
’
à cequ 'elle arrive et reste fixe au ton de laquinte puis en suivant le même procé
dé, je répète , corde à corde , sur les troisautres
, la même expérience . Il se trouveque la chanterel le pèse juste I g livres .
la seconde 1 7 , la trois ième 1 5 et la quatrième 1 3 , ce qui forme en tout 64 livres .
J ’essaie ensuite , par curios ité, une chantere lle plus fine , puis une plus grosseque l ’ancienne , en laissant subsister lereste de la monture , et j
’
ai du plus ou
du m0ins dans le résultat ce qui me
prouve évidemment la nécessité de lesproport ionner, de man iere qu
’
à parai t dela chanterel le , i l y ait touj ours , et préci
82 LA CHÉLONOM I E
l equilibre une l ivre 5 onces ,4 gros 9grains , j e tiens presque , du moins parapproximation , les épaisseurs centralesdes deux tables .
J’
observe en trois ième l ieu, que les
deux autres tiers du po ids absolu son tsupportés par les deux extrémités hauteset basses de la longueur sur laquelles’
exercent la tens ion et le tirage , c’est—à
dire dans la direction de 1 8 pouces , dont4 pouces 3 l ignes du bord au bout de laqueue ou du cordier et 1 3 pouces 9 lignesdu cordie‘
r au si l let d ’où je conclus , ettouj ours par approximatio n, le degréde force que doivent avo ir les extré
mités des tables , les bords , les partiesvois ines , et auss i les éclisses . Pati enceje suis encore loin du but ,mais au moinsj e ne m ’
en écarte pas , et j e marche dansle chemin qui doit m ’y conduire .
Ce n’est pas tout, car je tremble de
rien oub lier . Dans ce poids de 64 livresj e n ’
ai pas compris celui de l’
arch et, et
j e sens bien que ce poids adventif doit
ou LE PARFAIT LUTHIER 83
auss i entrer en ligne de compte, et s’
é
numérer au carré de huit . Je mets unelivre de plus pour ce surcroît de pesanteur, et je donne à la barre assez deforce pour en supporter 9 , au lieu de8, sa charge naturelle ; et comme cepoids additionnel se répartit sur les quatre cordes , il me répond du maintien del ’équilibre .
C ’est apparemment pour suppléer àcette augmentation d
’
une l ivre que plusieurs Luthiers barrent de travers lesviolons qu ’ ils fabriquent, ou restaurent .Je ne conseillerai à personne de pil lerleur méthode elle me paraît à moi, uncontre sens , et même un barbarisme .
Avec cette mauvaise manière de fortifierla barre , ils ne voient donc pas qu
’ ils diminuent d ’autant sa flexibilité , et conséquemment celle de la table qu ’enroidissant le ressort, ils durcissent lescordes , et font crier le son dont ils interceptent tout court la vibration et lesélans . A quoi bon empiéter de la sorte
84 LA CHELONOM IE
Qu'avez -vous à faire à droite ou à gau
che Le fi l du sapin vous trace la route .
Ne vaut- i l pas mieux le suivre droit, en
aflermissant un peu le ressort, sans toutefois le roidir, que de le serrer ou de lerompre, uniquement pour donner à labarre une figure factice, artificielle ? Quel ’art aide la nature , cela est dans l
’ordre,mais a- t-il donc bonne grâce à la contrarier Forcer la barre, c ’est constiperet racorn ir le s on c ’est changer le boisen acier le défaut contraire serait plussupportable . On a vu des auteurs la supprimer totalement . C'était,j ’en conviens ,un manvais systéme ,parce qu
’alors il fallait doubler l ’épaisseur de la table maisdans la nécess ité de l'employer, on ne
doit pas perdre de vue qu'elle n 'est qu ’un
supplément à cette exagération, que laliberté des sons tient à son élasticité, etqu’el le ne se mariera jamais avec lechevalet, tant qu ’elle traversera la tablesur laquelle il repose . Ce mariage duchevalet avec la barre , voilà le point
86 LA CHELONOM I E
Transfigurafi on. Pour un col lectionneurla tentation était délicate il voulutdonc en faire l’emplette , et sacrifia plus ieurs violons superbes , délicieux , pouren acquérir passablement mauvais ,criard , revêche , intraitable , joignant àune grande force de sons sans épaisseur,et de bois sans souplesse , beaucoup d’
a
crimonie , mais donnant, par là même,les plus hautes espérances ; du reste beaucomme un astra, conservé comme laprunelle de l ’œi l , d’
un faire achevé , ducoloris le plus éclatant,d’un suave,d ’
uneélégance dont rien n
’
approche , ayanttout ce qu ’i l faut pour séduire les regards ,un fi let
, un manche, des coins des ouglets traités en perfection tel en un motqu 'en fait de grands modèles de Stradivare , et de l ’aveu de tous les connaisseurs , nul homme sur terre ne peut direj’
ai vu lepareil. Avec de semblables matériaux, et tant de prétention de la partdu plus fameux des auteurs , 1 Instrumentne pouvait être mauvais par nature et
OU LE PARFAIT LUTHIER
l ’amateur soupçonna que ce vice extrinsèque de glappissement avait pour causeun ique la més intel ligence,
’ ou le divorcedu chevalet avec la barre . Il ne se trompait pas , et il en eut bientô t le cœur net .Le violon fut détablé, l ’opération futfaite, et la s imple substitution d ’unebarre élastique à un tronçon d ’arbre,opéra sur le champ des prodiges , dont i lest redevable aux calculs du nouvel acquéreur, ou plutôt à la main de l
’artistedont es t écrit renferme les observations .
Maintenant que, dans cet instrumentsublime , la beauté et l'excellence se
trouvent si merveilleusement assortis ,qu ’il est impossible de décider laque lledes deux l ’emporte maintenant que sonramage se rapproche de son plumage,c'es t bien selon lui
,et selon moi , le Phé
nix des hôtes de tous les étuis de l ’un ivers .
Je cesse de parler en tierce personneauss i bien, tel qui me connaît et me lit,n’est pas dupe de ma tournure ,
'
et sait
88 LA CHELONOM I E
fort bien que cet amateur, propriétairedu violon des violons , qui ne le troquerait pas pour
'
un empire , c’est moi-mê
me .Les mus iciens quici-devant croyaientlu i faire une grâce de le j ouer, et quil’
appelaient par pitié un beau violon deparade, peuvent ven ir désormais et
quand ils sentiront ce qu ’ il est devenu,ils voudront bien me dire que l est lenom qui lui convient ou s I ls sont embarrassés de le définir, du moins il neleur restera plus l ’ombre d’un doute surl 'effet incompréhensible que produitdans un violon le parfait accord du chevalet et de la barre .
J ’ai ins inué , au commencement dcet article, que le manche du violon,
bien qu’il ne semble être qu ’
une prece derapport, avait aussi sa part dans la misecommune et je n '
ai garde de me rétrac
ter sur ce point, quand je vois que sa
pos ition est déterminée par le chevalet,les épaisseurs , et les voûtes , à son tour,i l sert à les fixer
,et leur commun ique
90 LA CHÉLONOM I E
sans ployer ou se rompre . C ’
est ainsiqu ’en excédant la juste mesure , on perdd ’abo rd le son de l Instrument, puis l
’instrument lui-même .
Que serait-ce , si décomposant le man
ch e , j’
observais que la touche seule, quicependant n
’
en est qu ’une partie additionnelle, a el le-même surles sons uneinfluence marquée, soit en bien ,
soit enmal, selon qu
’elle est construite et poséeavec intell igence, ou rabotée sans précaution et jetée comme au hasard Ce
serait un surcroît de preuve , qui feraitressortir davantage l ’évidence du principe . Peut- être n ’
en faudrait— ilpas d’avan
tage pour faire tomber enfin une c rianteet très abusive méthode, si un iversel lement adoptée, qui consiste à creuser latouche , e t à formerune perfide coulisseentre elle et le mass if du manche . A quoibon cette arcade pratiquée sous la voûtede la touche, et prolongée j usqu
’
aus il let, entre l
’
ébène et l’érable ? Pourquoice long canal demi- circulaire , et par-là
OU LE PARFAIT LUTHIER 9 1
même plus attirant, ce petit caveau, toutcet espace vide , qui débauche l ’air porteur de la voix, et en entraîne une partiepour l'absorber en pure perte Ce n
’estpas le manche qui doit sonner, c
’est lecoffre . Sous le mouvement de l
'
arch et,
l’
air aggloméré doit j ailli r en masse sui
vre, en s’
élançant des ouïes la ligne perpendiculaire , pour aller frapper l
’oreilledu joueur ; et vous au contraire ,avec vo sprocédés à contre -sens ,vous l
'
étranglez àsa sortie vous en détachez maladroitement une portion qui s ’extravase et divague, se rabat obliquement, s
’
enfile
bien vite le long de vo tre gouttière, parla fatale issue que vous lui préparez ,et va se résoudre en un frém issementinutile qui étonnent la main ,et est perdupour l'organe . Quâ data porta rait. Puisque l’Union fait la force , ne serait—ii pasplus naturel d ’aider à l'ascens ion de l’airqui tend à s
'élever, que de l'
arrach er
partiellement de sa direction , de le diviser et de l’amortir ? Avec une touche
92 LA CHÉLONOM IE
pleine, et la clôture du manche , vousopposeriez à l ’air et au son une matièresolide, et une espèce de mur contre lequel ils viendraien t rebondir . La véritéest qu’une foule de personnes , courroucées très mal à propos contre les cordes ,et surtout contre la chanterelle qui estde toutes la plus sens ible, finissentpar ce réconci l ier avec elles, d 'aprèsla simple substitution d’une touchepleine à une touche vide ce qui achèvede démontrer que la touche , comme lemanche, n ’est rien moins que parasite ,
et qu ’enfin les plus minces détails, quiont trait à l ’un ité , sont toujours dans leviolon d 'une très haute conséquence .
Telles sont les observations importantes que j
’ai cru devo ir rendre publiques en faveur de ceux qui pourraient lesignorer. Ce ne sont encore que des
lueurs , mais pour un artiste qui réun it àune certaine dose d ’intell igence l’habitude du travarl, des lueurs sont des lumières .
94 LA CHÉLONOM I E
parfaitement cons titués le charme ducoloris .
N° VI I I . LA COMPOSITION ET LA TEINTE DU VERN IS te lle est la dern ière façonque le violon doit subir, et tel est auss ile dern ier article dont il me res te àtraiter .Je m
’
en abstiendrais , si l ’applicationdu vern is n ’avait une influence marquéesur l ’air, les bois et les sons . Un violonen blanc ne donnerait que des sons âcreset mordants ; i l périrait bientôt, si lasuperposition et l
’
extention d’
un liquide onctueux ne le défendaient de l 1ntempérie des saisons , et surtout de l ’haleine du j oueur mais cette robe obligéene doit pas avoir l
'effet d’une sourdine .
Puisqu ’il faut indispenæ hlement , pourprotéger les bois , d
’abord un encol
lage, et ensuite un certain nombre decouches de vern is il faut auss i queces pâtes parfaitement délayées , pluslégères que mass ives , nourissent les
matériaux sans masquer leur vertu , et
ou LE PARFAIT LUTHIER 95
adoucissent les sons sans les obstruer .Ce ne se rait pas la peine d
'avoir pristant de précautions avec le compas ,pourles annuler avec des drogues . Emaillez
tant qu ’il vous plaira, mais n ’
assourdis
sez pas . Quand je vous commande unviolon ,
j e souhaite qu ’il soit joli , maisj 'entends qu’i l soit bon et mon oreilleindignée et j alouse ne vous pardonneraitpas d
’avoir à ses dépens , travaillé pourmes yeux .
Commencez donc par supprimer vos
liqueurs acides et corros ives , dont surtout le sapin s
’
imbibe comme une éponge , et qui, furetant dans l ’ intérieur desbois où e l les n ’ont que faire , brûlent etcalcinent une sève intéressante . Ne vousservez pas non plus , ou du moins soyeztrès sobres , même jusqu
’
à l’
avarice , de
ces huiles essentielles desséchantes , dénaturées par l’alambic , qui ne valentguère mieux que vos esprits de vin et vosespèces d ’
eau- forte . Je vous passe vosl iqueurs au safran , inconnues des au
9 .
96 LA CHÊLONOM I E
ciens et que vous employez à tout propo s . Comme elles ne font ni bien ni
mal, je consens de tout mon cœ ur àleur emploi , même à leur po ssess ion .
Mais fa ites—moi grâce à votre tour,
s‘il se peut, de cette encre à la petitevertu , dont vous noircissez vos instruments , de ce sombre e t lugubre vêtement de deuil qui afflige mes regards etattriste mon âme , de cette limoneuseterre de Sienne qui dérobe sous un voileobscur les fils du sapin , et les ombresmoirées de l 'érable , don t elles devraientau contraire an imer le reflet . Gardezvons surtout de vous approvis ionnerchez les épiciers en couleurs , quand vousignorez les éléments qui entrent dans cesaggrégats bannaux, qui peuvent convenir aux panneaux de nos vis -à-vis , aux
roues de nos chars , aux meubles de no sappartements , mais qui me font frémirpour la moëlle de vos bois .
Si vous n’avez pas le superbe vernis
des anciens , on se contentera du vôtre
98 LA CBELONOM IE
seraient enroués,cotonneux, et se rap
proch eraient du sombre de l’
s lto .
J’
en ai la preuve acquise . Dermere
ment il tomba dans les mains de l ’auteur de ces principes , un violon très —saind
’ailleurs , et traité en perfection , promettant, à le voir, un son magn ifique,et mentant à sa promesse; il était enduitd
’
un vern is très—épais et très gras son
tempéramen t était robuste, mais sa res
piration était comme étouffée par ce
malheureux catharre . Le propriétairedéconcerté ne se doutait pas de la causequi empêchait la libre entée de l ’air, ouqui le suffoquait à sa sortie . L e Luthierse serait bien gardé de l’éclairer sur ce ,
point, soit pour ne pas le constituer endépense , soit de peur qu ’en enlevant deson violon un mauvais vernis , il ne courût les risques de s
’
en donner à luimême, dans un genre différent, un autrequi fût encore pire . Le propriétaire se
douta de la délicatesse de l’artis te, etexigea sa décis ion avec cette confiance
OU LE PARFAIT LUTHIER 99
que l’état du fabricateur et son caractère
le forcent touj ours de respecter . Celui-cifit part à l ’autre de sa décis ion il fallutla preuve . On dépoissa le violon pourl’
habiller à la légère . A peine dégagéde l ’oppression ,
il respira et rendit toutd ’un coup de beaux et larges sons , quidemeurèrent, malgré l
’application de
trois couches nouvelles de vern is . L ’effetsurpassa les espérances de l ’amateur, etne lui laissa aucun doute sur la cause dumal d ’où le Luthier aurait conclu ,quand i l n
’
en eût pas été très-assuréd ’avance, qu ’un vice de naissance , aussifortement prononcé, n
’aurait jamais pudisparaitre autrement, et que sans laposs ibilité de remettre à nu le violon,
pour l’endo sser d ’une étoffe plus aérienne , cette espèce de grippe originelle eûtété un mal incurable .
Je pourrais pousser bien plus lointous ces détails relatifs à la fabricationdes instruments ; mais j e m
’
arrête . Aus
si bicn , je crois entendre crier au sys
1 00 LA CHÊLONOM IE
tème contre l ’artiste profond qui cautioune ces principes , par tel grimaudqui tranche du capable , et saurait il pe ine ratisser une touche , par tel
.
bavardtrès -important qui passe pour un oracleauprès de l’ineptie , et se venge sur le
s avoir d ’autrui de sa propre ignorance .
Eh ! Mess ieurs les censeurs , vous n’
y
pensez pas . Quoi ! parce que le ra isonnement vous est étranger, vous prétendezen interdire l ’usage ? Vous défendezd ’approfondir les règles , vous ne voulezpas même qu
’on les e fflenre ! Mais àquoi donc réduisez- vous l ’art de la Luth erie , qui , sans être abstrait, a néan
moins ses règles , ses combinaisons ,même ses profondeurs , si le rabaissantau niveau des métiers les plus s imples ,vous en faites une science purementmécan ique , conjec turable, qui ne marche qu
’
à tâtons , et dont les succès fortuits sont uniquement des affaires derencontre Selon vous , i l suffi t donc dela main-d
’
œ uvre , parce qu’
apparem
1 02 LA CHELONOM IE
sures . Permettez- lui donc d ’analyserleurs idées , même quelque fois d’
y j oindre humblement les siennes et
‘ dumoins ne l’empêch ez pas d
’être homme,quand il ne vous empêche pas d
’être desmachines .
Quo ique les anciens Luthiers , toujours différents les uns des autres , etsouvent d ’eux—mêmes , eussent chacunune phys ionomie particulière , une tournure originale, et, pour ains i dire , unmagas in de sons parfaitement distincts ,néanmoins leurs opérations n
’avaientrien d’
arbitraire , et sûrement nul d'
en
tre eux ne logeait à l ’enseigne du hasard.
Dans ces j ours d ’émulation et de con
currence, où il fallait tout créer, toutmûrir à la fo is , les idées et les plans ,l ’embarras de se fixer devait nécessairement amener dans les procédés , comme
dans les résu ltats , de grandes variations .
Quand, avec de pén ibles efforts , ils traçaient des routes neuves , plus ou moinsdirectes , les diverses parties de leurs
o u‘
LE PARFAIT LUTHIER 1 03
ouvrages n’
en étaient pas moins coordonnées entre el les , subordonnées à desprincipes , et fendantes à l ’unité . La justesse ou le défaut de leurs raisonnements né pouvait se bien découvrir qu
’
à
la longue . Si les louables essais de ceshommes habiles ne furent pas touj oursdes coups de maîtres , les écarts du moment avançaient la science pour l ’avenir nous ne saurions peut-être actuellement à quoi nous en ten ir s
’ils avaienttous marché sur la même ligne et loinde leur imputer à vice des déviationsutiles aux progrès des sciences , nous devons plutôt leur savo ir gré , même dequelques erreurs involontaires , quel’
inexpérience rendait inévitable, et quisont devenues pour nous des sources delumière .
Pardonnez hommes célèbres , s i, sanspréjudice de la haute vénération quenous inspirent vos suprêmes talents ,nous osons relever ici quelques-unes deces fautes heureus es , qui échappèrent à la
1 04 LA CHÉLONOM I E
profonde sagacité de vos gén ies , et pourlesquelles mêmes nous croyons devoirvous voter des remercîments . Nous serions plus avares de nos observations s i
vous étrez moins sublimes mais du
moins aucune d ’elles ne peut nuire à vo smagnifiques ouvrages car
Quelques taches , quelques défautsNe déparent po int une belle .
Si cependant . par imposs ible , vos respectables ombres s
’
offensaient de notreliberté , quand nous ne faisons d ’ail leursque seconder le plus ardent de vos vœux ,nous prendrions celle de leur rappelerque l ’util ité publique fut touj ours legrand mobile de vos travaux , et sansdoute ce noble motif, qui nous dirigeégalement dans les nô tres , suffirait pourexcuser auprès d’elles notre indiscrétion .
Au surplus nous nous garderons bien demettre sur votre compte les torts des prétendus restaurateurs qui ont dégradé voschefs-d’
œ uvre , et nous nous bornerons à
1 06 LA CHÉLONOM IE
blaient respirer sur l ’érable , et souleverle vernis . Autour d’elles reflétaient avecgrâce des fleurs de lys , des trophées, descouronnes , d
’
ingénieuses et immortellesdevises qui rendaient le tableau pluspittoresque encore , et lui prêtaient unnouveau lustre . Auss i curieux, et peutêtre à plus juste titre que des rois , desamateurs aisés , également protecteursdes beaux arts , voulurent avoir, pourparer leurs collections , des instrumentsde la même fabrique, qui, aux figuresprès , eussent au moins pour décors , lesarmes de la France . Cette propriété n ’
é
tait alors ni crim inel le ni dangereuse , etl’
on pouvait avoir du goût sans être digne de l
'
éch afaud.
Elle n ’était pas non plus fort commune , car cette précieuse surcharge d 'ornements de luxe étant un objet de com
mande, n ’
avait l ieu que dans des circonstances particulières qui devaient êtreextrêmement rares .
Des hommes tels que les Amati
ou LE PARFAIT LUTHIER 1 07
étaient trop jaloux de leur gloire, pourla partager avec des artistes d’
un autretalent que le leur trop adroits et tropfiers pour distraire habituellement l ’attention des music iens par de semblableshors-d’œ uvre , et aussi trop ocrupés deservir le public, pour passer tout leurtemps à complimenter les puissances .
Brillante par eux-mêmes et sans fard,leurs splendides ouvrages n ’
avaient besoin ui de la pompe des armoiries,n i desprestiges de la pe inture , pour être souverainement admirables . L
’
élégante sim
plicité des formes ,j ointe à l’
exquise qua
l ité des sons , faisait pour l ’ordinaire leurparure et leur charme . En effet, l ’une etl 'autre ,s ’ailliaient merveil leusement ensemble , surtout lorsque , par hasard, lessublimes auteurs de ces modèles pleinsde grâce étaient tentés de les agrandiril est seulement fâcheux qu ’ ils aient s irarement succombé à cette heureuse tenta tion .
Leurs patrons les plus us ités sont
1 08 LA CHÉLONOM I E
donc ou petits ou moyens . Sur des éclis
ses basses reposent des deux côtes desvoûtes très- élevées et très—étendues . Les
épaisseurs de la table sont fortes au centre et les crans des ou‘
r‘es diminuent
progressivement jusqu ’
aux bords danstoute l 'étendue de la circonférence .
Celles du fond sont auss i très fortes au
centre, et beaucoup plus minces vers lesflancs . Les première et seconde cordesdonnent un son très -brillant et très pur ;la trois ième est ronde, veloutée , volum ineuse , mais tr0p souvent la quatrième aune lég ère teinte de sécheresse . La raisonen est s imple . Les instruments de ces
trois grands artistes sont communémenttrop étroits et tr0p courts pour leurs fortes épaisseurs . La preuve de cette induction ,c
’
est que ceux qui ont été établis pareux sur de plus grands modèles et sontmalheureusement en très petit nombre,sans avoir peut—être plus de force réelledanS les sons graves de la basse, ont néanmo ins plus de rondeur et de volume .
1 1 0 LA CHÉLONOM I E
autres cordes , et surtout avec la secondequi , à côté d ’elle , et bien que très brillante, a beaucoup de corps et de sub
stance . Cette chanterelle est quelquefoistrop mince et touj ours trop claire . Celaprovien t de ce que les voû tes du fond ,trop aiguës et trop étranglées , coupentau vif les oscil lations de l ’air, e t le fontpointi ller dans le haut quand il devaits’
arrondir en sorte qu ’au lieu d 'êtremâle et robuste , le mi a un son feme llequi tire un peu sur le clinquant . Pourl ’empêche r de se quintessencier et rétablir les vraies proportions , j e conseil lerais aux propriétaires de la tenir un peuélevée sur le chevalet, et de faire porterà l ’ins trument un boyau d ’une certainerondeur . En effet, défaut pour défaut, i lvaut mieux infirmer tant soit peu laproportion des cordes que de laisser subs ister dans les sons une disproportiondéplaisante . La transition d ’une cordeà l ’autre serait bien moins sensible etpeut être cette légère nuance d’un son
OU LE PARFAIT LUTHIER I I I
trop brillanté finirait- e l le par disparaitre .
Nicolas Amatus , neveu d’Antoine ,qu ’ il ne faut pas confondre avec le Nicolas , oncle d’
Anto ine , dont j’ai parlé ci
de3sus , a fait des violons très recherchéset dignes de l ’être, surtout les grandsmodèles . Portées surdes éclisses moyennes ou basses , les deux tables sont trèsépaisses dans les centres et minces dansles flancs . Le son est assez brillant etd ’une bonne force sur la chanterel le, lesbasses sont rondes et onctueuses , ains ique la troisième mais très souvent laseconde est unpeu nasale, principalementau si et à l’ut naturels . I l y aurait bienplus de franchise dans cette corde,d'harmonie et de proportion dans la totalité, si les flancs du fond étaient plusépais et les voûtes des deux tables moinspointues ce qui empêche le j eu mesuréde l ’air, et lu i donne mal à propos tropde mobilité .
Je dis très souvent, car un défaut peut
I 1 2 LA CHÉLONOM I E
être particulie r a un auteur sans se reproduire dans tous ses ouvrages . Parmiceux qui en sont exempts , i l en est deuxou trois que j e pourrais citer un entreautres, qui , sans être du grandiss imepatron . est sans contredit le pîus beauNicolas qui soit en France, et peut—êtrele plus bel Amati qui soit au monde .
Comme ses voûtes sont très pincées ,j eparie rais , cen t contre un, que l ’auteur adonné plus de force aux flancs du fond ,que ne le comporte sa méthode ordinaire sans ce correctif i l n ’aurait pas uneseconde si franche et si pure . C ‘
est à touségards , un violon sans prix s i cherqu ’on le paie ,
!
on l ’aura toujours pourrien ; la matière , la forme, le coloris , laconservation , tout en e st magnifique . On
ne peut voir un ensemble plus imposant,n i le détail ler, sans passer à chaquepas de surprise en surprise . Les accesso ires en sont auss i précieusement traitésque le fond . SeS fleurs de lys , son subli
me arabesque tous les superbes orne
1 1 4 LA CHÉLONOM IE
calculées en conséquence . Ses ou1es sonttranchées d’
un seul j et et avec une hardiesse admirable . D ’autant plus recherchés qu ’ ils sont extraordinairement raresses violons sont, pour le faire de vraiesm in iatures , et pour la voix de vrais harmanico .Le son en est plus fin et plus déliéque large et substantiel mais malgré saténuité apparente qui au loin est de laforce, i l est parfaitement l ibre, égal,étincelant . Avec cette qual ité simillanteet cristalline ,avec ce s imple fi let de voixqui crible à une grande distance les violons les plus forts , vous avez dans unStainer la crème du beau son . C ’
est unecloche la chanterelle surtout est si
transcendante qu ’elle demanderait grâcepour sa quatrième, si l ’on ne pouvaitaccuser celle-ci de faibl ir sous le doigt,comme le prétendent très faussementquelques mus iciens rustiques , qui s
’ imaginent l
’
attaquer quand ils l’
écrasent .
Plus diamant encore que velours , sessons gagnent en bril lant ce qu ’ ils ont de
OU LE PARFAIT LUTHIER 1 1 5
moins en volume . Ils continuent deparler quand les autres se taisent, et
cette portée extraordinai re est une compensation surabondante de la plénitudequi leur manque .
C 'est un genre à part dont, sans doute,les oreilles françaises ne s
’
accomode
raient pas autant que les oreil les allemandes , et nos robustes professeursautant que nos amateurs délicats et friands . Mais ces mêmes virtuoses qui, se
passionnant à juste titre pour les Stradivare, en veulent si gratuitemen t auxStainer , trouveront—ils donc mauvaisque dans une collection sagement ordonnée , un pauvre amateur curieux devarier ses plais irs , réun isse à des voixplus nourries et plus mâles , ces bellesvoix féminines qui , tout en perçant lesairs s
’
arrondissent voluptueusementdans son oreille, et énivrent son cœurD ites, tant qu
’i l vous plaira, que lemeilleur Stainer du monde est un violonde chambre plutôt que de concert, appc
1 1 6 LA CHELONOM IE
lez- lê même, si bon vous semble unebonté de convention , comme vous appelleriez beautés de fantaisie certaines figures piquantes , irrégulières ; moi , simpleamateur
, je ne m ’y opposerai pas , pourvu que vous permettiez de temps en
temps à cet instrumen t des dieux de mesubjuguer et de me séduire . J
’
admire ,
ainsi que vous , une forte basse - tai lle,ronde e t majestueuse ; mais je m
’
épa
nouis devant une superbe haute- con trequi me ravit et me transporte . Suis -jecoupable de n
’être pas exclus if Quanddans le cours d’une journée laborieuse ,le besoin de la diss ipation m ’oblige d’
in
terrompre d’
utiles travaux , j e vis ite mes
étuis ; et il faut l’avouer, en présence
du sole il, j e j oue de préférence et avecplus de délices encore , un excellen t Crémone qui , pour mo i
,comme pour vous ,
aura toujours des charmes inexprima
bles mais quand, dans le profond s i
lence d ’une nuit sans nuage , tout e stcalme a mes côtés e t enseveli dans le
1 1 8 LA CHÉLONOM IE
quent, il n’
y a au fond ni divers ité , nioppos ition , pas même de jugement toutse borne à des paroles vagues qui ne
portent sur rien . Tel vous dira tout netqu’ il n ’
y a point de Stainer, comme siles instruments précieux marqués à soncachet étaient tombés du ciel , et sortistout armés , ainsi que Minerve, du cerveau de Jupiter . Tel autre, critique lesStainer, qui, en violons allemands , ne
vit jamais que des Tyrols , et qui blasphêmant ce qu ’ il ignore, confond aveceux un tas de piteuses ébauches qui n ’
en
sont pas même des copies . Plus les modèles sont rares , plus les contrefaçonspullulent elles inondent par torren t lescabinets , les boutiques et les rues . Vousn’
y trouvez ni le style de l ’auteur, ni satournure, ni son coloris , ni sa qualité
,
ni même son étiquette . Les Luthiers,surtout dans Paris ,les vendent consciencieusement pour ce qu 'elles sont maisen revanche combien de colporteurs ub îquistes les accaparent à vil prix, bâtis
OU LE PARFAIT LUTHIER
sent des généalogies imposantes à chacune de ces croûtes , dont ils ont grandsoin de varier le blason , en glissentimpunément de droite et de gauche sousle manteau commode de l
'
anonyme ,
vous font payer bien chers de prétendues occas ions , en souti rant avec votreor, vos actions de grâces pour la préférence et ne sait-on pas que dans unsiècle où l’on voit tant de fripons sansaveu, tant de dupes sans connaissances ,les honnêtes fripiers en fait de vieuxviolons sont encore plus rares que lesStainer !Antoine Stradivare . A ce nom auguste
et vénérable j e m ’
incline profondémentdevant le patriarche des Luthiers . Laperfection , ou plutôt sa monoton ie , est
précisément le cachet du grand homme .
Personne au monde ne l ’a portée aussihaut et auss i loin que ce modèle desmodèles , pas même Stainer . Celui- ci aexcellé dans une partie, celui—là danstoutes les parties ensemble et la moin
1 20 LA CHÉLO NOM IE
dre restriction à son éloge, pour peuqu 'elle fut grave, serait un outrag e à samémoire ce qu’
on ne dira j amais desartistes les plus célèbres dans les sciences mémes les plus relevées . Tant qu ’ilfut disciple des Amati , il égala ses mai
tres , si plutôt i l ne les surpassa, et lesdéfauts qu ’ i l fut contraint de copier dansson apprentissage, appartiennent tousaux pédagogues qui crurent bonnementlui donner des leçons . Elève de la natureplus encore que le leur, et né Luthiercomme d ’autres naissent poètes , i l étaitdispensé de le devenir . A peine pût
-il
être lui-même c ’est seulement vers1 700, qu ’ il réforma ou fit son éducation ;son style est à lui seul . Persuaclé que leviolon est trop noble pour se mettre auxgages et recevoir le ton d'un instrumentroturier, assez sublime pour le donnerà tous les autres s ’i ls pouvaient y atteindre, il chercha quel pourrait être soustous les rapports le plus parfait modèle,et le trouva dans son gén ie . Ses pro fon
1 22 LA CHÉLONOM IE
pas un instant son assiette :cette égal itéde l ’air et des cordes se reproduit sur lessons . R ien n
’est gêné , rien ne déborde,tout est à sa place, et, dans le hautcomme dans le bas les quatre cordessemblent n ’
en faire qu ’une seule .
Voilà l 'effet des combinaisons exactes .
Laissez tomber perpendiculairement eten douceur dans une eau dormante , une
pierre irrégulière par sa conformationle vice se perpétue et s ’étend sur la sur
face du liquide agité . R ecommencezl ’expérience avec une boule parfaitement ronde comme celle d’
un billard,
vous verrez une foule de cercles dontelle sera le centre , se former success ivement, s
’
agrandir et se prolonger autour d’elle .
A cette égalité parfaite se j oignent, envertu des mêmes procédés , une force etune rondeur qui ne se trouve que là . Ses
sons corsés et robustes ont une plénitu
de si marquée,qu ’un fin connaisseur,
rien qu’
à les entendre, dirait comme par
OU LE PARFAIT LUTHIER
inspiration l ’instrument qu 'on j oue estun Stradivare . Si quelquefois on remoontre dans les quatrièmes de ses violonsles sons d’
un tonneau vide, comme dansle Boguay, il faut s
’
en prendre aux dégradateurs de ses chefs-d'œ uvre ils
avaient tous dans le principe des sonsépais , et jamais de gros sons ; je défied’
en trouver un seul qui sonne la quinteet soit vierge .
En travai llant pour l ’oreil le, Stradivare a également travaillé pour les
/
yeux
les formes gracieuses de ses violons , lesuperbe coloris dont il les a parés , en
sont la double preuve . Comme ses voûtes sont be lles ! Comme l ’ascens ion etla descente se nuancent imperceptible
ment Comme ces ou‘
ies sont dessinéeset tranchées ! on leur reproche cependant quelquefois d’être percées un peutrop bas , et à l ’auteur de ne pas diviserassez exactement le diapason de la table .
Mais ce défaut'quelconque est moins
celui de l ’homme que ce lui de son siècle .
1 24 LA CHÉLONOM I E
I l serait bien moins sens ible , s i pour lacommodité de nos doigts , pour le besoin de no tre mus ique du jour, ou pourd'autres raisons très exce l lentes d ’
ailleurs , nous n
’
avions pas nous -mêmesdiapasonné son modèle en allongeantson manche . Du reste le parallelisme
des fi lets est rigoureusement observéles coins , les onglets sont mâles sansafféterie et sans mignardise e t quandsa main nonagénaire commençait àtrembler
,elle n ’
en imprimait pas moinsaux ouvrages de sa ve rte vieillesse lesceau marqué d’un très grand caractère .
Mais de quel le robe fraîche et neuveen ornera-t—il la surface Le vernis brundes Nicolas et Antoine Amati le vern isjaune, foncé ou pâle des Jérome et desStainer
,est le seul bon il le conser
vera . La teinte seule lui en déplaît ; i ltrouve la bonne et l ’emploie . C’est dece coloris éclatant qu’i l a paré ses richesproductions ; ce coloris, le plus beau qui
1 26 LA CHÉLONOM I E
gagné l’
accessit mais d ’emblée , etd ’une seule voix, Stradivare eût emportéle pñx . .
Tels sont les sept sages de la Lutherie , les sept légis lateurs de l ’art, dontles six premiers ne sont qu
'
admirables ,
chacun dans leur genre, tandis que ledern ier est la perfection même .
Formés à l ’école italienne , trop fierspour ne travailler à leur compte que subdiscr
‘
plz‘
nä,JosephGouarnère, élève d’
An
toine Stradivare , et Pierre Gouarnèreélève de Jérôme Amatus , voulurent a
leur tour être originaux comme leursmaîtres ; mais ils ne s
’
apercevaient pas
que déjà les vrais principes étaient fixés ,et que tenter d ’autres routes pour a tteindre à leur gloire, c ’était se condamne rd ’avance à rester en chemin .
Auss i sont- ils d ’une classe bien inférieure . Au défaut de nos hommages , ilsvoudront b ien se contenter de nos élo
ges . C’est tout au plus ce qui leur appartient . Eu rabattant avec eux de notre
O U LE PARFAIT LUTHIER 1 27
admiration ,nous descendrons à l ’esti
me , et leurs droits seront acqu ittés .
Ce Joseph Gouarnère , au vernis et coloris près , qu’ i l emprunts de Stradivare,fut donc comme lui original , mais i ln
’eut ni la légèreté de sa main , ni lafécondité de son génie ; en se frayantune mauvaise route, il dévia du but, etn
'
atteignit pas la vérité . Soit amour—propre , soit jalous ie, soit plutôt la ridiculeambition du mieux, comme si le mieux ,qui déjà est l ’ennemi du bien ,
ne devenait pas une absurdité, du moment quela perfection exista, i l voulut avoir desprincipes ,une mé thode,des sons qui fussent à lui, et qu 'aucun de ses prédéces
seurs ne pût revendiquer ; mais opposéà eux tous sur tous les points , il n
'
en
fut pas moins toujours semblable à luimême , et conséquent dans ses procédés .
D ’abord, i l rapetissa le modèle ; ce quiparaît d ’autant plus étrange qu
’ i l fortifiait ses épaisseurs ; il applatit les voutes ,ce qui du moins était mieux raisonné
1 28 LA CHELONOM I E
d’après ce surcroît de force . Ses proportions d ’ailleurs sont exacte s ; ses voûtesparfaitement fondues ; les épaisseurs desdeux tables , parfaitement égales dansles cen tres à celles de Stradivare , augmentent progress ivement jusqu
’
aux extrém ités . Cette combinaison, bien que
régulière , n’
est pas des plus heureuses .
On dirait qu ’il a pris à tâche de se garantir des sons vol umineux , et qu ’ il a viséà leur éclat plus qu
’
à leur embonpoint .Si telle a été son intention , il est sûr
q u’ i l a bien réuss i ; non que ses violons
manquent tout- à—fait de force , mais un
éclat prodigieux est leur partie principale : la chantere lle est étince lante, laseconde est au m ême n iveau pourl
’
éclat »
la tro is ième également brillante a une
certaine rondeur ; mais la quatrreme est
sèche comme une amande roide danstoute sa longueur, rétive à chaque ton,
principalement au si et à l’ut naturels .
El le est complètement sacrifiée auxtrois autres . Il est tout simple que cet
1 30 LA CHÊLONOM I E
nécessaire de leur prodigue bienfaitrice,
et, pour parler sans figure, de prendresur le haut de ses violons pour rectifierle bas . Tout consisterait, sans altérerl ’original à transposer l ’ame, et àraisonner le chevalet de manière à obten ir l
’
égalitée . Ces deux moyens me sem
blent indispensables , s inon comme remèdes spécifiques du mo ins commepal liatifs à peu pres suffi sants ; et lesLuthiers seront éternel lement obligésd
’
y avoir recours , à moins que , renonçant à la quatrième, à laquel le on tientplus aujou rd ’hui que jamais , les mus iciens actuels ne reviennent au trie/cordondes anciens , ou que quelque révolutionimprévue ne nous fasse rétrograder toutd’
un coup jusqu’en 1 240, et au siècle de
Colin M uset, ce qui probablement n ’arrivera pas de s itôt .Pierre Gouarnère, bien plus fin i dans
son travail , était, malgré des défautsmajeurs , un exce llent ouvrier . Nousavons de lui des violons bien traités à
OU LE PARFAIT LUTH IER 1 3 1
l 'extérieur, bien filetés , bien vernis ,d ’une superbe facture . Le modèle en est
large, les formes en sont flatteuses , les
voûtes pleines ,l’
ascension régul ière . On
y voit la main du maître ;mais ce sonttrop souvent des sépulcres blanchis .
L’application du compas et la qualité dessons , trah issent les procédés intimes dela structure, et font s ingulièrement pâtirpour l ’auteur . En brusquant, on ne saitpourquoi, la matière de Jérôme, pours’
en faire une à lui, il a donné à gauche,et n ’
a pas été très-heureux en écarts . Ila eu raison de faire ses tables d’
harmo
nie égales d ’épaisseur, mais on en veutà son rabot de les avoir trop amincies
,
ainsi que les flancs du repoussoir, quiest d ’ailleurs d ’une bonne force dans lapartie du centre . Il résulte de là deuxgraves inconvénients, l’un pour la qualité de l ’ instrument lui—même, l ’autre poursa monture .
I°, Au lieu de bril ler comme l ’éclair
et de claquer comme un fouet, le s on en
1 32 LA CHÉLONOM I E
est d’
un bout à l ’autre voile, plaintä/,rapor{fique . Le bond tardif fait attendrel’
arch et , et laisse un pénible intervalleentre la demande et la réponse . Pourquoicelà ? C ’est que les proportions manquentd’
exactitude . I l y a excès dans le fluide,etdéfaut dans le so lide ; l
’air surabondantprend racine à la place que le bois devaitoccuper ; i l se pelo tonne, s ’encombre et
s’
acclimate dans le récipient . Là il se
tient comme en faction , et s’
obstine àne point admettre de remplaçant . Quandensuite l ’air extérieur fait irruption ,
etveut entrer à force ouverte en dépit deson adversaire , il reço it un rude chocde l ’air interne qui , de son côté, fait effort pour le neutraliser ou l’amortir, et
ne lui cède à regret une demi-victoirequ ’après l ’avoir longtemps balancée .
Cette exténuation des deux tablesnécess ite leur flexibilité , et conséquemment une exagération nuis ible dans latension des cordes pour les amener au
ton,tandis qu ’elles devraient y arriver
1 34 LA CHËLONOM I E
mus icien ,plein d’ardeur et de nerf, qui
longtemps aura eu pour eux plus de res
peet que d’attache, n
’
en tirerait jamaisparti
,parce qu 'il ne les j ouerait que
par complaisance et à contre cœ ur.Ils sont trop sérieux pour son âge . Lapréférence pour les attaquer appartientde droit à ces amateurs mûrs , rass is ,gourmets , de sons couverts , auss i gravesqu 'eux-mêmes , dont les irritables organes exigent de ces sons gâz és , souterrains , qui semblent provoquer au ré
cueillement et à la componction sousleurs doigts langoureux des morceauxtristes et lents , tel , par exemple, que letombeau de Gaviniés , prêteront singulièrement à l ’harmon ie imitative, etvous offriront doublement je ne sais quoide sentimental qui ira droit à votre âme .
Ains i tout est relatif aux hommes , auxtemps, aux tempéraments e t ce quij adis eût été un vice réel , est aujourd’
hui l'excellence même et la pe rfection .
Si l ’auteur a composé pour eux, si de
ou LB PARFAIT LUTHIER 1 35
loin il les a eu en vue dans ses combinaisons ou dans ses arrière—pensées , il luidoivent leurs plais irs plus que l ’art ses
progrès et leur excess ive susceptibil itéen matière de sentiment nous dispensede le recommander à leur reconnaissance .
Ce n’est pas qu
’un aussi habile Lnthier n ’ait j amais bien mérité que d ’euxseuls ; d ’autres , quoiqu
’
en petit nombre,ont pu jouir avec délices du fruit de ses
travaux . De sa fabri que sont sortis , deloin en loin, des violons pleins d'éclatet de force, dignes de rivaliser avecceux de son maître .
La fantaisie de se rapprocher des rê
gles est alors venu le distraire de lamauvaise méthode de son invention ;mais sa convers ion n
’était pas s incère .
La fureur d ’innover, et l'orgueil de fairesec te , ont rendu bien rares cette rémin iscence des principes , et cet heureuxoubli de lui—même . Il serait à sonhaiter pour la gloire de l ’art et la s ienne
I 36 LA CHÊLONOM I E
qu Il eut eu plus souvent des absences ,ou une bonne fois des remords .
Après avoir s ignalé séparément deuxauteurs originaux subalternes , dont lamanière diamétralement opposée offrele contraste piquant de tous les extrê
mes , et qui ont excellé, l’un dans legenre bri llanté, l
’autre dans le genreterne je laisse au lecteur le soin de lesconfronter, d
'après les indications quej ’ai données de chacun d'eux ; puis , ilvoudra bien deviner de quel côté lecœur me porterait si pour mes menusplaisi rs , on m
’
oflrait le choix d’un j oseph ou d
’
un Pierre ; mais je présumequ
’
à ma place , la très grande majoritése prononcerait tout d’un coup pour 10seph ,parce qu
’en général on aime mieuxrire que pleurer, et que d ’ailleurs il y a
toujours du remède à l ’excès et rarementau défaut.Au lieu de me donner l ’option, si l
’onme faisait cadeau de la paire, je remercierais doublement le bienfaiteur gêné
r38 LA CHÉLONOM I B
tre , gagnerait cent pour cent . S’il en
résultait un soupçon de verdeur dans laqual ité intrinsèque des sons, quelquesmois d’
un constant exercice emporteraient immanquablement ce léger défaut ; et l ’at chet, chargé de cette dernièreopération, rendrait bientôt au violon lemoëlleux de l 'antique . A l 'égard duPierre, j ’avoue que j e ne répondrais paségalement du succès , tout en m '
applau
dissant des tentatives que j e pourraisfaire pour l 'obteni r . Comment couvrirle déficit ? Comment fortifier sans épaiss ir, et épaissir sans doub ler et tripler ?Comment ? Le voici : 1 ° en posant labarre non directement sur le sapin original, mais sur une langue de bois po stiche qui prendrait la mesure même dela barre, et communiquerait déjà à latable un peu plus de vigueuren rétrécissant l ’intérieur du coffre au
moyen d ’
une seconde éclisse collée surla première, depuis le bouton j usqu ’aumanche, du côté attenant à la chante
OU LE PARFAIT LUTHIER
relle ; et au moins sur la partie du croissant du côté de la barre . La tableacquérerait par—là une certaine cons istance le son, de l’éclat ; et s ’il restait encore une teinte d'opacité dans la voix oude flexibilité dans le bois , la même expérience répétée sur le fond pourrait fairedisparaître à la fois tous les inconvénients . Au surplus , en m
’y reprenant àdeux fois de peur de trop étonner l'instrument, si je manquais mon coup,j e seraistoujours à même, et sans le moindrerisque, de suppriner ces éclisses de rapport .Telles sont mes deux recettes contra
dictoires au sujet des deux Gouarnères ;je les livre aux amateurs pour leur ser
vir au besoin , ee que de raison et jec rois que ceux d'entre eux qui tenterontd
’
en faire usage, pourront me remercier .Terminons enfin tou te cette énumé
ration d’auteurs originaux de premièreet de seconde classe, dont les uns nousfurent peut être plus utiles par leurs
1 40 LA cuÉw uome
erreurs , que les autres par leurs ln
mières . A travers leurs variations mêmes , le raisonnement et l
'expériencenous apprennent à découvrir les règlesimmuables de l ’art, auxquelles la nature a donné sa sanction formons—enpour nous et nos successeurs un codedoctrinal ; et, s
’
il se peut , gross issonsce recueil usuel d'observations , en ajoutant nos propres pensées à celles de nosancêtres .
Que n’
étions—nous les leurs ! Nousaurions à leur reconnaissance les droitsqu ’ils ont à la nôtre car vraisemblablement, en venant après nous , ils auraient trouvé de même la carrière parcourue et fermée . N
'
en déplaise à leursombres , une pareil le présomption n
’
a
rien de chimérique, et peut servir merveilleusement à consoler notre amourpropre . Mais hélas la nature ne l ’a pasvoulu ains i , et son vouloi r mérite nosrespects . Cédons puisqu ’il le faut, etcédons sans humeur le droit d’
aînesse à
1 42 LA CH ÊLONOM IE
celui qui , d ’après les procédés des anciens , et la sage comparaison de leursdifférentes manières , évitant leu r défauts , sais i ra le mieux les vrais principes et en fera l ’application avec plusde j ustesse celui dont les ouvrag esseront raisonnés avec profondeur, etcalqués avec autant d intel ligence quede goût sur les plus beaux modèles del 'antiquité . Sans la nécessité de retrancher certains vices accidentels de construction , de se conformer à certainsusages salutai res , d ’employer un vernistout frais , dont la nouveauté trahirainévitablement pendant quelques annéesl 'imitation la plus précise, i l faudrait
que l’i llus ion fut si complète qu 'elle en
imposât aux regards des plus hab i lesconnaisseurs , et des auteurs eux-mêmes
s’i ls revenaient sur la terre . A cettedifférence près , donnez-moi une imitation qui soit la chose , une c0pie qui soitle modèle, et je va is vous passer un brevet de pe rfection .
ou LE PARFAIT LUTHIER 1 43
Mais voilà précisément la grande difficulté Iwe opus, [de [aber est . Toutefoisil s
'ag it de vaincre et si l ’artiste estdigne de son état, le savoir et l ’adressedoivent concourir à lui assurer cette hbnot able victoire .
Certes , l’estimable auteur de ces réflexions né se flatte pas , encore moinsse vanterait- ilde l ’avoir remportée . I l yaurait autant de fatuité à le dire qued'
orgueil à le croire . Un ouvrier ne répond que de ses efforts c’est au publicà juger du succès . Les misérables forfanteries de l
’
égo‘
isme n’
influencent que
la sottise et la stupidité . Forcé de se taireet de laisser parler son ouvrage , il sesoumet donc à cette épreuve . Peut-êtreaurait- il dû s
’
y prendre plutôt, pourmettre le publ ic dans la confidence deses moyens mais il y a des nuances sifines , si imperceptibles , auxquelles i lfaut s
’
astreindre presque jusqu ’
à la pétitesse qu ’ i l a préféré d
’attendre pour serendre plus digne de ses suffrages .
1 44 LA cuâw nomm
En travaillant sur tous les modèles ,pour embrasser la totalité de son état,Stradivare est l ’auteur qu ’il s
'est plushabituellement efforcé de traduire . Comme il n
’
ignorait pas qu’ ici une traduc
tion libre serait défectueuse, que l'esprit
et la lettre doivent s’
y trouver, qu’il
fallait le mot pour le mot, la chosemême, i l s
'est interdit séverement touteespèce de l icence, au moins dans lespoints fondamentaux .
C ’est d’après ces préliminaires rigoureusement observés , qu ’il l ivre aux regards d’un public connaisseur, pouréchantil lon de sa manière, un nouveauquatuor composé de deux violons, unalto et une basse .
Il en consacre l'usufruit à MM . les
professeurs et amateurs et s ’il s ’en réserve la propriété, ce n
’est pas à desseinde s
’
en défaire, au moins pour le moment. A l 'égard des autres instrumentsqu ’i l met en vente, et qu i tous sont établis d’après les mêmes procédés , il offre
1 46 LA CHÉLONOM IE
et le bavardage de tous les autres N e
pouvant l’accuserd’
infidélité dans l ’ imitation , l
’
accuseront-ils de plagiat oud’
esclavage diront- ils qu 11 s’
astreint
trop puérilement à copier, à l imer, àpolir à sa place ma réponse serait touteprête .Mz
‘
lle routes mènent à erreur, une
seule à la véritt; et si cette sentence philo80ph ique est pour eux de l
’hébreu ou dusyriaque, il pourra aj outer que la perfection qui est une comme la vérité , ne
pe rmet pas le moindre écart dans lesrègles fondamentales ; que la servilitéconsiste à copier indistinctement les qual ités et les défauts ; qu ’i l vaut mieuxêtre fidèle avec goût, que barroque et
barbare, employer trois semaines à fini run violon que le brocher en trois j our,et donner du bon Stradivare, que dumauvais so i-même . I l sait bien que cetteexactitude presque minutieuse, qui compasse tout avec lenteur, n
’est pas le chemin le plus expéditif pour alle r à lafortune ; mais la gloire de servrr l 'art
OU LE PARFAIT LUTHIER
suffit à ses pretentions , et, du moinsavec lu1 cet un ique moyen de l ’obten iraura
'
touj ours la préférence .
Eh plût à Dieu qu ’au lieu de sacrifier à cette cupidité dévorante qui donne la ruine de l ’art pour bâse à la fortune , ou eût toujours eu le bon espritde se modeler sur des chefs-d’œ uvre ‘
Aurait-ou vu s i souvent, verra it—onencore tous les j ours , tant de charpen
tiers en violons , tant de sor-disants Lnthiers , accabler la société de leurs pitoyables ébauches , et tous ces dégoû
tants croquis de leur lourd rabot venirinsolemment se ranger dans nos con
certs , à côté des Crémone , comme pourles faire rougir d ’une tel le mésal liance .
Si le choix et la façon des bois étaientcomptés pour quelque chose, verraitou tant de galefâtres contraindre des
fo rêts d ’arbres verts à alimenter leursinépuisables fabriques ? Verrait-on sor
tir par milliers des cavernes de leurslaboratoires , des spectres de violon dont
1 48 LA cnêmouom s
la forme hideuse blesse tous les regards,e t qui, avec leur voix maigre et aigre,ont si fort besoin du tapage de nos citéset du grand air de nos rues , pour ne pasdéchirer nos oreilles ; ces violons malheureux qui , hérissés de cordes menaçantes , et secoués avec autant de roideur que de nerf par des bras irascibles , ne figurent dignement que sousles ongles redoutables de nos méné
triers ?Auss i pourquoi s
’
obstiner à fairebeaucoup, quand il ne s 'ag it que de bienfaire ? Quelle inepte fureur de tortureravec le couperet et la hache des boispatiens qui ne demandent pour respirerque l’action lente d’un léger rabot, et lascrupuleuse précision du compas ? Cesj ournaliers ignorants ou cupides ne pouvaient—ils donc vivre sans empoisonnerle public Que ne se jettaient- ils dansces autres profess ions où le corps suflite t où le talent est la force ? Tel seratoute sa vie un détestable Luthier, qui,
I 50 LA CHÉL0NOM I E
Quand ces tristes rapsodies n’auraient
pas d’
étiquette, le bout d’ore ille qui dé
cèle de très- loin les hacheurs de bois nepermettraient pas de se méprendre sur
leurs pays et sur leurs noms . I l est bonde dénoncer à l ’ indignation des music iens cette fourmillière de faiseurs detout, qui singent le talent et dévorenten pure perte la substance des artistes ;ces déplorables manœuvres qui fabriquent des violons comme des clous , fontcolporter de pays en pays ces fruitsamers du crû de leurs ateliers , vendentcomme par grosse
, (sans doute les quatre au cent) , ces espèces de souricièresqu ’ils nomment des violons et parvien
nent ains i à assassiner deux arts à lafois , la Lutherie, et la mus ique .
N on , la Luthierie n’est pas simple
ment un métier c ’est un art . Cette belleprofess ion n
’
admet que des marchandsen détail , I l ne nous en faut pas d
’autrepour monter nos concerts . A l ’égard deces fournisseurs en gros , qui vendent
ou LE PARFAIT LU THIER 1 5 1
à la douzaine,et en bloc , des ramass isqui ne son t pas même des contrefac
tions nous autres amateurs , nous ne
mettrons pas l’enchère à leurs sabots ;
nous laisserons très —respectueusementces chefs -d’
œ uvre poudreux,prendre
comme des enseignes aux numéros desboutiques de maîtres Luth iers ,ou tapisser leurs murailles ;mais sûrement nousn’
en provoquerons pas la monture, e t
no s archets dédaigneux et prudents ne
se compromettront pas jusqu’
à leurfaireles honneurs de l 'essai .Voulez—vous cependant tenter, une
fois pour toutes , cet essai dégoûtant, etjuger de l
’arbre par ses fruits ? É tablissez une sorte de comparaison mettezdans la main d’
un habile professeur unde ces détestables Mirecourt, si toutefoispour vous complaire il daigne se prêtera votre expérience mettez dans lamain de son élève, tant soit peu au fait,un violon de bonne sorte, donnez leur àexécuter un duo concertant ; puis re
14
1 52 LA CHËLONOM I E
cueillez les voix des audi teurs qui neconnaîtront d ’avance ni l
’
un ni l ’autreet vous verrez s ’iln ’auront pas tous prisle maître pour l’écolier, et l
’
écolier pourle maître .
Que je plains un jeune homme destiné à faire son état de la mus ique, quandje le vois si effroyablement monté P lusi l demande à ce cadavre, moins il reçoitde réponse ; tout lui rés iste en proportion de ses efforts ;ilne sait à quoi s
'
en
prendre . Sa droite se roidit sa gauchetouche faux ; les cordes jurent ; i l sedépite, i l enrage, il meurt à chaque note,i l maudit cent fois le j our, et jette loinde lui l ’ instrument de son supplice ,qu
’
hélas une triste nécessité le forceratrop souvent dereprendre . Quel dommage ! I l avait tant de goût, il annonçaitde si heureuses dispos itions , il seraitdevenu , peut être un très habile concertiste mais le tourment de l ’étude lui afait trop souvent tomber de la main unearme meurtrière ; et faute d’avoir jamais
1 54 LA CHÉLONOM IE
de réel et d'absolu, qui tient à plusieurscauses c ’est à l’ instrument à le rendre ,et c ’est au joueur à l’extraire or, certainement ou n
’
extrait pas l’huile d 'un
acide ou d’
un corrosif, comme Samsonle miel de la gueule du lion , ni d
’
un
violon rauque, sourd ou criard,des sonspurs , veloutés , argentins .
N e soyons pas si exigeants envers lesmusiciens qui se prêtent à nous charmer. Artisans de nos plais irs , c
’est bienassez qu ’ils nous consacrent leurs talents dispensons -les de faire des miracles et que devons -nous donc penser deces outils à sons piaillara
‘
s , si pour leurdonnerune valeur factice,momentanée,intransmiss ible, i l ne suffit pas d
'êtrevirtuose ,et qu
’ il faille encore être thanmaturge Voilà cependant à quoi nousréduisent, avec leurs prétendus violons ,ces raboteurs ineptes , qui se mêlent defaire un état dont il n
’ont pas la pluslégère notion, et auquel il n '
appartien
nent que par des patentes . Avais -je donc
ou PARFAIT LUTHIER 1 5 5
tort de poser en principe, qu’un vrai
Luthier doit connaître son art, raisonner sa main—d
’
œ uvre , mûrir ses productions , châtier sévèrement chacun de ses
ouvrages , et ne les produire au grandjour que lorsqu ’ ils sont dignes des mus ielens et de lui-mêmeIl y a mieux : la bonté totale d’
un
instument dont l ’essence est d ’êtrej ouable, résulte du concours des accessoires avec le fond : et la main mus icienne qui le met en exercice ne sauraitrectifier complètement même les défauts accidente ls . Tout ou rien ; bonviolon , bonnes cordes , bon archet, oupoint de musique . Trois conditions également essentiels . Qu
’
une seule manque tout manque à la fois ; et le plusdélicieux Crémon s n
’est plus qu ’un misérable Mirecourt . Bonum ex integ râ
eausâ,malam ex quoeamqne defeetû.
Par bonheur, nous avons tout sousla main sans bouger de place . Qu
’
avons
nous à dés irer pour être au complet ?
1 56 LA cuê1 .ouoma
D’
excellents violons Les meilleurs Lnthiers sont dans nos murs . D
’
excellentes
cordes ? Naples nous en envoie pournotre argent .D ’
excellents archets ? Noussommes à la source . N ’avons-nous pasen France à Paris le Sradivare du
genre le créateur du vrai modèlel 'homme unique, connu dans toute l’Euroupe pour le plus habile faiseur quisoit au monde; ce fameux Tourte le jeune , qui, depuis vingt ans , a porté l ’artde les fabriquer à un poin t de perfectioninimité jusqu’à présent, et peut—être inimitable, soit pour la fixité et l’équible ,soit pour l’aisance du jeu, soit enfinpour la solidité du faire et l 'élégance desformes ? Dieu soit béni Au moins nousn’
irons pas chercher nos baguettes chezl 'étranger . S ’ i l est curieux, ainsi quenous , d ’enrichir ses étuis , il voudra bienlui-même faire le voyage . Seulement,il ne s ’en retournera pas auss i vite qu
’ ilsera venu mais qu 'importe ? Pourvuqu ’ il ne s en retourne pas à vide , et
“
1 58 LA cnâw uoms
ment la partie de la facture ? Avec ceseul talent, poussé à l 'extrême , au point.si l
’
on veut, d'effacer les plus grands
maîtres , est—il Luthier dans toute laforce du terme ? N on ; il ne l 'est pasmême à demi . Cette assertion a l ’aird’un paradoxe , elle n
’est pourtant rienmoins que cela ; i l ne s 'ag it que de s ’entendre .
Observez d'abord qu I l n’
en est pas
des instruments de musique, commedes objets de consommation j ournalière,qui se détériorent et s
’
annullent par
l'usage ayant sans cesse besoin d
’êtrerenouvellés . Depuis un temps immémo
rial que la mode des violons a pris faveur, se soutient et s ’accrédite , ils sontdevenus si communs dans toute l’Europe
,qu ’ i l s 'en trouve maintenant en cir
culation une quantité suffisante pournous mettre à l 'abri de la disette .
Les approvisionnements sont faitsles collectionneurs ont leurs antiques , ets'en tiennent—là ; les cabinets sont meu
ou LE PAR FAIT LUTHIER 1 59
blés passab'
ement les salles de concertsont montées à proportion des j oueursqui s
'
y rendent ; et les trois quarts desmusiciens , n
'ayant plus à se fourni r quede cordes , n '
emploient guère les manufacturiers qu
’
à titre de réparateurs . I l estvrai qu
’
à cet égard ils ne sont j amaissûrs de leur échapper. Plus ils abondenten instruments , plus ils ont d
’
avaries àcraindre , et de risques à courir ; le plusléger acc zdent est un appel aux hommesde l ’art, et cet appel est très-fréquent .De-là cette immense variété dans lestravaux d ’une profession qui
,bornée à
la simple facture , serait trop circonscri
te . Sur un violon à établir, mille se
présentent à raccommoder .Pour peu que les Luth iers aient du
renom , ils ne savent auquel entendre , etla création qui dans tout autre état estla partie bri llante et principale , n
’estpresque dans le leur qu’un objet secondaire .
Observez en second lieu que l 'art de
1 60 LA CHËLONOM I E
la restauration sert beaucoup à perfectionner celui de la fabrique, en lui donnant une plus grand étendue . I l n ’estrien de tel pour exceller dans une profession ,
que d 'être rompu dans tous lesgenres . U n Luthier fait très—sagementd'adopte r de préférence une manièrehabituelle, mais il ne doit donner l
’
ex
clusion formelle à aucune ; autrementi l ne serait point en mesure pour contenter toutes ses pratiques , Les mus iciensn ’ont pas tous la même oreil le l 'un est
pour l ’éclat et l ’autre pour la force .
Comment les satisfaire également tousles deux ? En raisonnant différemmentles épaisseurs ; avec elles , vous pouvezprendre, parfaitement juste, la mesurede leurs sensations . Au lieu de vous astreindre à leurs idées, tenterez—vous deleur inoculer ou de leur vacciner votreunique man ière, comme étant la meilleure possible , ou la seule bonne ? Laleçon ne prendra pas ; l
'acheteur paiepour être servi, à son goût, et non pour
I 62 LA CHÉLONOM I B
qu ’elle est plus uniforme et plus invarrable . Mais ici l’uniformité serait au con
traire un défaut capital . Dans la res tanration , il n
’
y a point à se répéter . Unremède pour un mal est un poison pourl ’autre .
Autant (1 Ins truments , autant de procédés et la nature de ces procédés es t
souvent en raison inverse de la manieremême des modèles . R ien ne doit seressembler . Le mécanisme de l ’auteurdoit servir à régler la main du réparateur une table plus ou moins épaisse ,es t une donnée qu i fixe la faiblesse oula force de la barre . Des croissans plusépais ou plus minces demandent uneame plus ou moins longue, un peu plusrapprochée du chevalet ou de la barrela construction du tout exige unm ancheplus plat ou plus renversé . A des vio
lons clairs i l faut des chevalet s plus élustiques à des violons robustes, des chevalets plus forts , plus roides , plus évidés , etc . Toutes ses observations , et une
ou LE PARFAIT LUTHIER 63
foule d'autres que je supprime, avaientété faites par l ’auteur . avant que diverses altérations successives en eussenteffacé la trace maintenant il faut lesressais i r :il avait mis dans son ouvragece qui devait y être , ce qui n
'
y est plusil faut lui restituer ce qui lui appartient;c ’est—à—dire qu ’il faut être en mêmetemps , et l ’auteur et soi-même .
Que d ’ impôts à la fo is un Luthier doitpayer à son art ! P lus les réparationssont considérables , plus ses obligationssont étendues . Le nombre des modesde restauration étant incalculable , comme celui des contusions et des chocs ,c ’est presque touj ours à la justesse ducoup d ’œ i l et à l’inSpiration du moment,à diriger la main—d
’
œ uvre . Ces combinaisons manuelles de la prudence sontauss i variables dans la pratique, que lesrègles et les principes sont fixes etimmuables dans la spéculation . Il esttel le circonstance ou le besoin partienlier des ins truments force la main la
1 64 LA CHÊLONOM IE
plus habile à faire ployer les principesmêmes, et les règles . Mais il faut à furet à mesure prendre avis des événe
ments fâcheux qui changent perpétuel lement, et se compliquent à l
' infini ; i lest clair par celà seul qu 'on ne sauraitrien préciser par écrit,re lativement auxopérations restauratrices, ni leur donnerune base déterminée . L '
espace est tropvague et tmp vaste, pour qu
'il soit poss ible de l’embrasser complètement,mêmedans un ouvrage de longue haleine, àplus forte raison dans un traité élémentaire . On pourrait renfermer dans un
certain nombre de paragraphes et depages tout ce qui concerne la facturemais quand il s ’agit de la remise en état,après bien des volumes on n ’aurait pasencore épuisé , à peine même aurait-onébauché la matière .
Comme mon intention n'est pas de
m‘
enfoncer dans un gouffre immensedont j e ne sortirais j amais ; je me borne,pour abréger
,à deux ou trois exemples
1 66 LA CHÊLONOM IE
à tromper les malins . Comment vousacquitterez-vous de la commission ,
s i
vous n’êtes pas même initié dans le se
cret du fabricateur, s i vous ne vous êtesjamais exercé à extraire des c0pies d
’originaux, à composer dans le même styleet d’après les mêmes raisonnementsVous n ’avez pas le don des miracles , etl’
on vous en tient quitte . Ma is encorevoudrait—ou que la table de votre création fût, et s ’y méprendre, la résurrectionde l ’ancienne, et qu ’après un certaintemps de service , elle devin t vraimentoriginale . L'opération est délicate en
répondrez-vous au risque certain de lamanquer Vous êtes trop honnête pourdécevoir un amateur confiant qui , prenant d’avance votre coup dessai pour unchef-d’
œ uvre de maître , n’aurait pas
même l ’ébauche d’un apprenti . R enverrez-vous cette pratique à vos confrèresou vous faisant aider par eux , mettrezvous leurs bras au bout des vôtres ?Vo trebourse en souffrirait, votre crédit encore
ou LF. PARFAIT LUTHIER 1 67
plus, et l’
on crierait â l ’ ignorance les
jaloux vous déchireraient â belles dentset s
'
acharneraient d ’autant plus aprèsvotre réputation que vous ne pourriezla défendre les indifférents et les moderés se raient eux-mêmes contraints de
convenir qu ’au moins vous n ’avez pasl’
assortime‘
nt de talents qui est nécessaire à l ’exercice de votre profession .
Voici dans un genre opposé une autre commande qui vous arrive . Il s 'agit,pour ainsi dire, de réparer une maisonneuve un violon de cent ans , d ’unstyle précieux et d 'une si bel le conservation, qu
’on jurerait, â le voir, qu’il
so rt tout fraichement de la fabrique . Le
modèle n ‘est que moyen, et il faut l’agrandir, sans toutefois qu ’il y paraissele moins du monde , et de‘ manière quel 'addition du neuf au vieux ne soit quela continuation de l 'objet, et l
’
extens ion
1 5 .
1 68 LA CHÉLONOM IB
même de l ’original quant au son , i l ygagnera infailliblement plus de force etde volume car l ’ instrument, tel qu
’ i lest a trop de bois , et il se trouvera justed'épaisseur, mais l
’embarras est de sauver â l ’œ il toute espèce de disparate .
Ce serait un meurtre que, n’ayant pas
même la plus légère égrat ignure ils’
ébréch ât dans vos mains , ou fut comme on dit vulgairement, deplusieurs paroisses. Comment vous y prendrez-vouspour l’allonger et l
’
élargir, sans le déparer aucunement ? Ferez-vous resservirles bords , les coins, le filet ? Bien en
tendu c ’est chose convenu avec le propriétaire , et vous en avez contractél ’engagement . Vous allez donc vousoccuper s érieusement de remplir son
attente de cho isirentre mille les matériaux convenables d ’adapter du mêmebois à celui de l 'antique de suivrescrupuleusement le fi l et les ondes de
maintenir précieusement les formes données , et le ton même du coloris ; de
1 70 LA CHéL0NOM IR
violons neufs , que d'
en réparer un à desconditions de cette nature et qu ’imiterde la sorte sans raj eunir l ’objet, sanslaisser soupçonner la seconde main , est
cent fois plus difficile que de créer .Mais , direz—vous, pourquoi c iter un
exemple de ces cas extraordinaires , e t
peut—être métaphys iques , tels que la
substitution d ’une table, et l’
agrandisse
ment d’
un modèle ? J 'entends : ce genrede travail vous est értanger, et j e ne
m ’étonne pas que vous le déclariez toutau moins insolite . Vous m
’
apprettez
par là que, sur les deux points proposés ,vous n
’avez pas le bonheur d’
inspirer
la confiance au public . Cet équivalentaveu fait plus d’honneur à votre naïvetéqu
’
à vos lumières . Mais vous avez beauvous inscrire en faux contre ces exem
ples , s ’ i ls sont plus que rares pour vous ,ils ne le sont pas de même pour certainsde vos confrères plus expérimentés etplus adroits . Pour eux, ils se reprodui
sent plusieurs fois par année, et le suc
ou LE PARFAIT LUTHIER 1 7 1
cès couronne leurs ouvrages . Dussentils , au reste, ne se présenter pour vousqu ’une
‘
seule fois dans la vie, i l sera téméraire d ’appeler chimérique, ce quin’est au fond qu ’une grande difliculté .
Un artiste, de nom et d ’effet, ne se laissepas prendre au dépourvu , en ce qui concerne son état ; rien de neuf pour luisous le solei l ; loin de pâlir devant lesobstacles , i l les prévoit les brave, lesrenverse, et ne cède qu
’
à l ’ imposs iblevoilà le vrai Luthier ; mais c ’est devous qu Il sagitJe vous suis pas à pas et pour vous
mettre sur votre terrain, comme aussipour en finir, j e me borne désormais àun exemple j ournalier, que surementvous ne récuserez pas , et qui , pour êtrecommun, n
’
en exige pas moins, et bienplus que la facture du neuf, beaucoupd ’intelligence et de dextérité .
Il est une sorte de restauration improprement dite, purement accessoire ettoutefois capitale, qui ne suppose pas
1 72 LA cuâm uow s
une ombre de dégradation , e t à laquellenéanmoins presqu
’
aucun ancien violon ,s i bien conservé qu ’ il soit d'ailleurs , nesaurait se soustraire ; La R EBAR RAGE .
La révolution qu ’a éprouvée la musique, doit se reproduire dans la Lutherie ;quand la première a donné le ton , c
’està l 'autre à la suivre, et à mettre dansses procédés les mêmes variante s quisurviennent dans les propo rtions .
Jadis la mode était de t enir les man
ches fort en avant ; les chevalets , lestouches extrêmement bas les cordesfines et le ton modéré .
A lors la barre , ce mal nécessaire dansInstrument, devait être courte et mince, parce qu
’ il lui suffisait d 'avoir assezde vigueur pour rés ister au poids decinq à six l ivres , dont elle était chargéepar les cordes . Mais depuis que la musique , en se perfectionnant, a mis un impôt sur la Lutherie depuis que le renversement du manche, l
'
exhaussement
du chevalet, de la touche, et du ton,
1 74 LA C I IËLONOM IF‘.
veut être rétabl i la quantité altérée parla disproportion veut être renaturalisée ;avec moins de solidité , il y a moins devoix ; et j e trouve autantd
'
enfantillage
que de duperie à mettre une si grandeimportance à une originalité très menue , e t purement extrinsèque , qu
’
à
notre place, et malgré les inspirationsde l ’amour-propre , les anciens euxmêmes eussent sacrifié , sans regret,pour l ’honneur des principes .
‘
Je me trompe . I l se fussent bien gardés de faire le moindre sacrifice . Con
tents d’aj outer ce qui manque à la barre,ils l
’
eussent enchassée trés -précieusement dans des bois homogènes . Au lieude la supprimer, et de la remplacer, ilssefussent bornés à l'allonger et à l
’
épais
sir au degré convenable .
Après un si long service, et une unionintime cimentée par les s iècles , elle aplus besoin d ’aide que de réforme . Une
so rte de reconnaissance engage à luicontinuer son emploi, et l’âpreté du son
ou LE PARFAIT LUTHIER 1 75
serait la juste peine de cette espèce d mgratitude . Ce demi-rebarrage n
’
a riend ’ail leurs de dangereux . I l consolide latable sans la roidir, et l'affermit d'autantplus qu ’i l résulte de plusieurs partiescollées ensembles . l l agrandit le son,
sans le dénaturer, tandis qu ’un rebarra
ge plein l’
abâtardit et le déprave .
Au moins tel le est mon Opinion,
que je donne tout bonnement pour ce
qu ’elle est . Je m'
attends bien que cer
taines gens du métier la trouveront burlesque , et diront hardiment que la modification proposée est absolument impraticable mais avec des généralités sanspreuve , avec d
’
ineptes sarcasmes , ils neme convertiront pas et jamais, non jamais ilne me feront accroire qu’une Opération soit imposs ible, par cela seulqu ’ils n ’
en ont pas l’habitude ou l 'idée
et qu ’on ne puisse remettre un violonen valeur, sans changer en un son neufet baroque, comme on le fait tous les
j ours , un son moëlleux de deux cents
1 76 LA CHËLONOM IE
ans ; quand d’ail leurs quelques habiles
Luthiers fourn issent j ournellement ladémonstration du contraire .
Mais qu 'est- il besoin de complique rles difficultés , quand, réduite à ses moindres termes , elle est également insoluble Qui ne peut ni le plus ni le moins ,est de toutes parts en défaut ; qui n ’es tbon que pour ses instruments , ne vaudra j amais rien pour ceux d
’
autrui , soitqu ’ il s ’agisse de rafraîchir la barre, ous implement de la remplacer . Ains i cedernier exemple, aussi bien que les deuxpremiers , suffit pour consacrer le principe que j
’
avançais d’abord, savoir que la
restauration parfaite du vieux est, eneore plus que la facture du neuf, la pierrede touche du vrai talent ; et qu
'enfinelle est en même temps l’écueil de 1"
gnorance . Les menuisiers provinciauxn'
entendent rien à tout cela . Des violons, des altos , des violoncelles , bonsou mauvais, vieux ou neufs ,grands,pét its, ou moyens, sont pour eux de la boi
1 78 LA cnÉm uom s
le lieu habituel de leur résidence, se
raient des vrais incurables, s'
accommo
de assez bien de l ’exercice et du régime .
La chose est d 'ail leurs facile à concevoir ; car c
’est dans la capitale qu’
abon
dent les remèdes , et ce n ’est guère quelà qu ’on rencontre des docteurs , surtouten Lutherie .
Je m'étais fait une loi de m’
abstenir
de toute citation , mais , en vérité, j e nepuis résister au plaisirde nommer, entreautres , un homme d
’un rare mérite, qui ,avec un talent très-prononcé pour toutesles parties de l 'art, s
'est attaché spécialement â remettre sur pied, à rajeun ir cescentenaires décrépits, et à les rétablirdans leur première fraicheur ; c
'est lesieur NAMY .
De tous les points de la France, lesinstruments caducs des autres s iècles affluaient dans sa boutique, comme dansun hospice de vieillards, et se rangaîent
à la queue pour être traités par lui seul .I l est clair, que leur tour devait venir
ou La PAR FAIT LUTH IER 1 79
lentement car à grand peine pouvait-ilsuffire à toutes les commandes ; mais
il venait ; et la certitude de la convalescence faisait oublierles douleurs de l'expectative . Oh pourcelui-là s
’
il avait la vogue (et i l ne l’a
pas perdue) au moins i l en était digne,et sa renommée n ’est pas un larcin ses
preuves sont faites depuis un quart des iècle, et même elles se réitèrent j ournellement ; i l n
’est pas seulement lechirurgien des vieux violons, il en est
encore le médecin, et à bon titre . Nuln’
a étudié plus à fond leur tempéramentet leurs besoins nul n
’
a sais i avec plusde dextérité le mal sur le fait, et appliqué avec un discernement plus exquisaux diverses maladies de chacun d ’euxle topique convenable . Toutes les fo isqu ’il me tombe sous les yeux des instruments qui portent l ’empreinte de ses savantes réparations, je reconnais les traces de l
’
habile main qui les a entrepris .
Je dis tout d’un coup, voilà du NAMY
16 .
1 80 LA CHÊLONOM I E
comme je dirais , voilà un Crémone .
J’
admire la finesse de son tact, la sa
gesse de ses procédés , la fécondité deses ressources et, j usques dans les pluspetits détails , je vois partout le grandrestaurateur . Je le dis pour mon compte
, et j e ne suis en cela que l ’écho dupublic, même de ses confrères qui touslui rendent cette justice , et dont, à coupsûr, aucun ne me démentira .
Mais j e sens que ce tte petite digress ion m ’
écarte de mon sujet, et je me hâted’y revenir, pour dire au moins un motsur la remonte des voûtes , et la doublure des tables deux articles séparés , quidoivent trouver place dans le chapitredes restaurations .
D ’abord on conçoit assez, qu’au boutde deux cents ans , une table de s apin d
’
à
peu-
près une l igne d’épaisseur , sous unpoids habituel de 64 ki logrammes , peutsans miracle, s
’
affaisser d’
un demi-quartde ligne , et pencher vers la gauched ’autant plus que la barre en suspens
1 82 LA CHÊLONOM IE
convexité puis , avec cinq ou six grosses vis en fer, tournées avec force , et
serrées jusqu ’à extinction on se dépêchede la faire revenir dans son attitude naturelle , remède cent fois pire que lemal il achève le moribond au lieu dele guérir, et le tue d’
un seul coup, sousprétexte d'aider à sa convalescence .
C’
en est fait de Instrument concassé ,émietté , pulvérisé sous ce terrible pressoir de plusieurs milliers pesant, et rompu dans le moule , comme sous le piloud’
un mortier, il est frappé de mort subite, et perdu sans ressource il ne reste afaire que sa nécrologie .
Pour vous en convaincre , prenez un
morceau de sapin assez épais pour résister à l ’action compress ive des mains quis'efforcent a le faire éclater, posez-le àplat sur un établi , frappez-Ie au milieud’
un léger coup de marteau ; et vousverrez qu ’ il se brisera dans vos doigtscomme un fil . Si la secousse d'
un marteau vous paraît matière à différence,
ou LF. PARFAIT LUTH IER 1 83
employez précisément le procédé desremonteurs de tables . Prenez un morccsu de bois couvert d’
un vernis très—tenace, placez -le sous une pince visséentre deux contreparties qui portent partout également collez entre le côtépeint et la seconde contrepartie unebande de papier imprimé ou écrit ; puisserrez le tout au degré convenable ; levernis, l 'encre et le papier, tout se trouve incrusté dans le bois applati et dénaturé, qui , sans le moindre effet, et presque sans bruit, se brise dans vos mains .
Jugez d ’après cela si votre pauvre table,soumise à la même épreuve, ne subiraitpas le même sort . Tout est anéanti à lafois; le miroir du co loris ,le fi l et la moelledu sapin , la fraîcheur de la sève,l’équilibre de l ’e ir,et le ressort du son qui, tardifet lugubre , ne vous semble plus moélleux et plus fini, que parce qu
’i l est plusmol ,et qu ’i l tire à sa fin . C ’est la lumièrequi pâlit avant que de s 'éteindre , et quele moindre souffle va faire évanouir.
1 84 LA CHÉLONOM I E
Cependant, distinguons ici l ’actiondes pièces qui tuent, d ’avec la simpleapplication de pièces additionnelles , quiquelquefois raniment et vivifient . I lpourrait se fa ire que de vieux instruments fussent tellement minces d ’origine , ou à force d
’
avo ir été tourmentéspar la suite des âges , qu
’ ils ne pussentrés ister au po ids des cordes , sans une
idée de doublure . Alo rs , mal pour mal,
choisissez—le moindre ; doublez-les donc ,puisqu ’i l le faut, mais le plus légèrement possible et du moins ne les comprimez pas pour les amincir encore davantage ; ne rasez pas la place tr0p au
vif, et ne faites pas de copeaux avec l’o
riginal . La malheureuse piece n’
a pas
besoin ,pour ten ir, d ’être incrustée , ni
encadrée ; d’ailleurs la co lle interposée
ne permettrait pas l’
amalgame . Soulagez la nature , j e vous y invite , maisgardez—vous de l’accabler et ne coupezpas les jambes au paralytique qui nevous demande que des béquille3 .
1 86 LA CHËLONO I I IB
s’
enlève que pour le laisser dépourvude ses vraies épaisseurs . Si vous la maintenez , vous n ’avez qu’une force récalcîtrante, un son coriace qui éclabouæel 'organe, et expire en criant . Si vous lasupprimez , vous avez un son mat etplat, qui n
’
a plus ni épanouissement, niportée . Dans les deux cas, adieu la qual ité, le fini, la pureté du son, qui seulsportent à l ’âme et au loin, en constituant, quoiqu
’
en disent certains amateurs , la véritable force . Je perds monnom , si,dans un vaste local , et à une
certaine distance ces sortes de violons ,qui devraient faire trembler la voûte,ne sont pas enterrés par les violons lesplus ordinaires, armés au moins de
toutes leurs puissances . Ains i vousn'avez plus dans vos originaux qu ’unevaleur nominale ou putative ; l ’œi l etl ’oreille ont également à se plaindre ;et dans ces instruments décomposéset déformés tout à la fois, i l ne vousreste, en dernière analyse, que le eaput
OU LE PARFAIT LUTHIER
mortuum du son , et l ’ombre du ta
bleau .
Propriétaires de Crémones , qui , peutêtre, vous êtes épuisés pour en faire l
’acquisition , ne vous endettez pas pour lessacrifier . S' ils ont eu le bonheur d ’échapper jusqu Ici à la question et autourment des presses, remerciez le h asard . Instruits par l 'expérience de tantd ’autres qui ne j ouissent pas du mêmeavantage, gardez-vous d’avoir j amaisrecours à un remède plus que violent ,qui rarement est proposable, même àla dernière extrémité quand d ’ailleursà la fin de cet ouvrage, j e vous offre untraitement doux, calmant, restaurant ,qui détruira le mal jusques dans la racine, srsera de plus un préservatif pourvous en garantir .
Vous ne forœ riez pas impunément lanature , et c 'est survotre oreille , commesur vos instruments , qu
'elle se vengerait de vos monstruosités et de son martyre . Si déjà l’emplâtre destructeur est
1 88 LA CHÊLONOM IE
appliqué sur vos violons , et que la suppress ion puisse se faire sans péril , hâtezvous de les soulager . La faiblesse d’
un
son franc et pur est préférable à la mauvaise force d’
un son sauvage et reponssant . A l ’égard du son frais et original ,n
’
espérez pas qu’i l revienne, au moins
en totalité . Trop heureux d’
en retenirun extrait fugitif, renoncez à la masse .
L ’art de conserver la vie n ’est pas celuide ressusciter les morts et la virgin itéd’
un instrument est l'unique principe
dont dépend essentiellement la fraîcheurdes sons , et leur parfaite originalité .
Mais dans tous les cas où les vôtres auraient subi de ces pressions contre nature
, né les chargez pas trop, ne les étouffez pas avec de grosses cordes , j ouez-lesplus rarement et moins longtempspoint d'
indiscrétion , beaucoup de sobriété ; songez que dans cet état d
’
appau
vrissement, ils ont plus besoin de reposque d
'exercice, et de leur étui que de vosdoigts ménagez avec soin le souffle de
1 90 LA CHÊLONOM IE
ne soyez pas plus révolutionnaire, plusdestructeur en une minute que le tempsaprès des siècles abandonna —lui sapâture il en j ouira toujours assez tôtet du moins par respect pour vos maîtreset pour l ’art, épargnez -vous le tardifregret d'avoir porté vous—même le coupde grâce à leurs chefs—d’
œ uvre maiscette recette exis te, ains i que deux autres également utiles ; et j ’ose le dire, detoutes les trois , elles ne se trouvent quedans les mains du sieur Lupot . C
'est parcette annonce solennelle que j e termineses observations et les miennes sur l ’artde la Lutherie . Si le ciel lui prête desj ours , i l espère revenir sur chacuned ’elles et les développer encore plus aulong dans un ouvrage qu ’i l mûrit ens ilence .
Quant à moi, j ai rempli de monmieux la tâche que je m ’étais imposée .
I l ne me reste plus qu’
à annoncer sestrois grandes découvertes, re lativementaux instruments , aux vernis et aux cbr
OU LE PARFAIT LUTHIER
des ; découvertes favorables au son
comme au tableau , et tendantes toutesau perfectionnement de l ’art .
PREM I ! RE DÉCOUVERTE .
Le relèvement natureldes voûtes afiazlsstes.
De la part du sieu r Lupot, et d ’aprèsma propre expérience, je déclare qu
’ iln
’
emploie à cet effet, ni vis , ni tenaille,ni ferrement, ni compress ion quelcon
que . Eu vertu de son procédé auss i simple que doux , le bois remonte comme àcommandement, et se restitue en peu dejours , sans exiger le moindre effort, etsans perdre un iota de sa qualité primitive . L ’
équilibre revient à vue d ’œ il et,
avec lui , sa respiration, la voix, la force,l ’originalité . Une fois replacée à sonpoint, la table demeure et ne s
'inclineplus . L’auteur revit dans son ouvrage,et, rendu à lui-même, i l reparaît avecses formes, ses couleurs et toute son an
tique puissance,
1 92 LA CHÉLONOM I E
Un pareil texte peut se passer de commentaires . I l n ’
y a dans cette assertionni équivoque, n i surprise , ni ch arlata
nieme et quand la vérité saute à la foisaux yeux et aux oreilles , la preuve dufait est le fait lui-même . Il est palpableà tous les sens et i l serait aussi déraisonnable de le contredire, qu
’ i l est facilede s
’
en assurer . Un empyrique prendle ton de l’oracle ; il veut être cru surparole, et vous devez une fo i aveug le àses som ettes, en raison même de leurabsurdité .
Mais ici point d’emph âse , point degêne l iberté d’examen démonstrationrigoureuse . Vous reste-t—il un fond d’inquiétude ou vous met à votre aise on
vous fournit libéralement un moyen an
t icipé de vérification , que peut-être vousn’auriez jamais imaginé . Mettez—le en
usage ou tout autre à votre choix . S ’i lvous convient, faites votre provision de‘
pains mouillez -les de votre salivecollez—en de place en place sur votre
1 94 LA CHÉLONOM IE
n'était plus . tout est respecté tandis quela voix est éteinte, le verni s gâcheux,
le bois mort, sous les presses assassines ,dont même il est imposs ible de déroberla trace , malgré tous les masques del'
artifice le plus fin et le plus adroit.Parmi les grands avantages qui résul
tent de cette remonte naturelle des tables , i l en est un particulier, incompatible avec tout autre méthode,et vraimentinappréciable, relativement aux instruments qui ont encore la barre de hauteur. Plus dense et plus longue, en vertudes modifications indiquées à l ’articledu rebarrage , et proportionnée exactement à la charge que les cordes lui imposent, la barre se relève sans se décoller, remonte en douceur avec la tab le,dont elle fait partie, et se trouve en mesure pour supporter trois ou quatre livresde plus que son poids ordinaire . Par làle j eu naturel de la machine se ressus
cite dans son antique perfection ; toutrevit, tout marche à la fois le ressort
ou PARFAIT LUTHIER 1 95
et le reflet se raniment, l’équilibre reparait, la qual ité revient, la quantité augmente; et,au tota l, l ’ instrument acquiertprodigieusement dans la réalité , sansperdre un coma même dans l ’opinion .
Mais quels sont donc les détails de ceprocédé extraordinaire, qui consiste àrelever à la fois les tables et leurs barressans les forcer aucunement ; et par quelss inguliers moyens , l ’inventeur Doucement, c ’est son secret ; il n '
en doit aupublic et à vous qu ’un simple énoncé .
Le mode est son affaire . Au fond, pourquoi vous presser tant que vous importe le quomodo, pourvu que la chosesoit sûre, frappante, incontestable ? Lamanifestation du résultat excuse, autorise même son silence sur les moyensde l 'obtenir . De droit naturel et pos itif,l ’invention emporte le privilège, et sonauteur n ’est comptable qu
’
à l’art . I l n’
a
pas galoppé à bride abattue pendant 30ans , à la poursuite de ce qu ’ i l tient pourvous .en faire jouir en une minute . C 'est
1 96 LA CHÊLONOM IE
tout ce qu’ i l pourrait se permettre s 1 1
renonçait à son état, et manquait d ’apprentis .
Mais comme i l n ’
en es t pas encore lacomme d ’ail leurs il craindrait d ’être acharge à ses chers confrères par trop debonhomie, et de peser avant le tempssur leur reconnaissance qui sera toujoursinfin iment précieuse à son cœur il ose
les supplier, tant pour ce secret , quepour les deux suivants , de voulo ir bienla lui réserver à une époque plus oppor
tune , où il pourra l’
ambitionner sans
indiscrétion .
DEU ! IEME DÉCOUVERTE
La résurection de l’antique vernis .
La mode aussi expéditive que pem icieuse du vernis à l ’esprit de vin en
avait anéanti depuis près d’
un s ièc lel 'usage et le secret . Le nouvel inventeurest parvenu à recréer l
’
un et l ’autre . I l ya déjà longtemps qu
’ il emplo ie unique
1 98 LA CHÊLONOM IE
rience projetée Où le trouver ? AParis , au Marais, dans ma chambre .
I nf ana‘
um j ubes renovare dolorem j ’eusle malheur, i l y a quelques années , deconsentir à la dégradation d ’une magnifique basse de viole de cet auteur célè
bre, espérant tirer d’
un instrumen tpassé de mode un magnifique et délicieux violon qui serait encore l ’auteurmême . Je me trompais dans mon at
tente l ’extrait infortuné alla se dévernir et se briser dans le moule, les miettes restèrent, Stradivare avait disparu .
Cette opération informe, qui m ’a coûtébien des louis , et des remords , ne m ’alaissé de précieux que le surplus de lamasse .
Ce respectable surplus , ces beaux ettristes débris sont encore à ma dispos ition . Eh bien ; j e les consacre à l
’objet dont il s
’agit et laissant subsister ledéfi solennel porté par le Luthier à tousles chimistes, puisqu’on veut des témoins qui répondent de la chose, j
’
ap
OU LE PARFAIT LUTHIER 1 99
pel le pour en servir, tous les contradic
teurs; et j e leur défie à mon tour d’apporter leurs yeux à cette expérience, et deremporter leurs mêmes préjugés . En at
tendant ils voudront bien me permettrede pers ister dans mon opinion , et de larésumer dans le quatrain suivant:
Du plus grand des Luthiers imitateur fidèle,Lupot a recréé le vernis préc ieuxC’est de son coloris le ton harmon ieux,
Et la copie et le modèle .
TROISI! ME DÉCOUVERTE .
L’
invention des cordesfilles, harmoniques.
Depuis plus de trois cents ans, on aimaginé d ’adapter une quatrième au violon . La chose était bien vue ; car dansun instrument fait pour parler à l
’
oreil
fait pour parler a l’
œ i l , le mélangevarié des couleurs ; mais les rouets en
usage n’
en ont jamais donné de bonnes .
18
200 LA CHÉLONOM I E
Elles ont toutes un son hétéroclite, dontla qualité bizarre se communique aux
trois autres . Vous n'avez aucun moyende les assortir et de les naturaliser . Sivous raffinez le trait, e lles molliss ent etne repoussent pas plus de ronflant, plusde forces, surdité déplorable . Le son est
exact, mais pâteux . Vous j ouez sur lecoton , et le brillant des autres cordesabsorbe le sol et l’engloutit. Si vousexagérez le filagramme, autres inconvénients encore pires; le bourdon se ta it,l’
archet ne mort pas, le son chaudronne,
le démancher est impraficable, et vousn ’avez plus qu
’un trie/zoro’
on encoreest i l dégradé . Aj outez à tout cela queces cordes exotiques sortent de la proportion de deux en deux livres , qui est requise pour la parfaite égalité ; que d
’ailleurselles se défilent, se cassent, et se faussent en vieil lissant . La quatrième, denouvelle composition, est exempte detous ces défauts . Le fabricant l ’a travai llés dans son genre, comme la travaillent
202 LA cnéw s omn
instruments ,po rtant deux cordes de cettefabrique, doiven t gagner encore plus quel'autre à la recette dont il est l'inventeur comme auss i l 'un ique pmpriétz ire .
Le double avantage de ces cordes estd ’être intrinséquement plus so nores , etde rendre telles leu rs compagnes ce
qui m 'a déterminé à les baptiser sousle nom de com ms HARMON IQUES .
Je n’ai pas besoin d
‘
aj outer que cettetriple découverte a dû coûter bien dutemps et entraîner bien des frais; lespersonnes judicieuses le sentent assez .
Mais la gloire personnelle, et plus encore l’util ité publique
,sont un trop am
ple dédommagement, pour laisser à uneame honnête la tentation des regrets .
Tous les désirs de l ’ inventeur serontcomblés , si, j oignant au fond principalde l 'antique perfection , des nuances accessoires, i l réuss it à augmenter le charme des instruments à sons filés, et surtout à propager les principes et les procédés consacrés par les grands maîtres ,
OU LE PARFAIT LUTHIER 203
dont il s ’eflorcera toujours de conserverles sublimes ouvrages . Que n
'est- il enson pouvo i r de les étern iser ! Malbenreusement la chose est impo ss ible . Le
temps qui mine tout, emportera dansson cours , d ’abord les originaux desartistes fameux
,puis les plus bel les cc
pies de l eurs imitateurs , et enfin , de
s iècle en s iècle, les copies des copies .
Mais si l’
émulation et les talents se
perpétuent parmi les hommes, la Lntherie, remontan t à sa primitive hauteur, pour ne plus en descendre, n
’
en
verra désormais à la postérité que defidèles images qui, à leur tour, seront lesmodèles ; et du moins quelques—uns deses trop fragiles monuments traverseront tous les âges . Puissent- ils en êtredignes ; puisse , en les perfectionnant àj amais , LA CHÉLONOM I E étendre sa duréesur celles des s ièc les , et se survivrej usqu ’à la consommation un iverselle .
Voilà le vœ u de tous les amateurs; c 'estaussi le mien ; sans doute il s ’accom
204 LA cnéw noum
plira. Plus anc ien, et non moins stablequ’une infinité d ’
arts d ’une utilité majeure, et généralement reconnue, cet artde luxe et de pur agrément (superfludélicieux, si délicieux à nos plaisi rs) ,aura donc pris naissance dans le berceaudumonde; et il ne cessera d'exister, quepour s
’
ensevelir et s 'éteindre avec eux
dans le tombeau du monde même .
206 APPENDICE
quinz ième que l’
on commence à rencontrer les noms des habiles ouvriers quise sont l ivrés à sa fabrication .
Une nomenclature concise et auss iexacte que possible des principaux lnthiers qui, à partir du se iz ième s iècle,se sont spéc ialement consacrés au violon en Italie, en Al lemagne, dans leTyrol et en France, ne pouvait qu ’êtrebien reçue par le lecteur et trouvaittout naturellement sa place à la suitede Intéressante monographie de l ’abbéSibire .
C'est dans cet espoir que le présentappendice a été rédigé .
Testator (il Vecchi) qui, s Il ne l'
a
point précédé, a été le contemporain deGaspar di Salo, réduisit, vers la fin duquinz ième siècle, les dimensions de laviola et donna à l ’instrument ainsi réduit le nom de violino, qui n ’est que lediminutif du mot violaLes violons de Testator ressemblent,
quant à la forme, à ceux de Gaspar diSala, mais ils sont plus élevés . On n
’
en
rencontre plus dans le commerce .
APPENDICE 07
C ’est donc à la Lombardie, et grâceau Luthier milanais Tes tator, que re
vient l ’honneur des premières modifica
tions apportées dans la fo rme et dans lesdimensions du vio lon .
Pour la facilité des recherches , auss ibien que pour la clarté des renseignements , voici l ’ordre qui a été ad0pté
de préférence à tout au treECOLE LOMBARDE . A cette école s e
rattachent les villes de Brescia, Crémone, M ilan, Vérone, Padoue, Plaisance,Mantoue, Ven iseAUTRES ECOLES ITAL 1 ENN ES,à savo if
les EcolesFlorentine, R omaine et N apo
litaine;ECOLE ALLEMANDEECOLE DU TYR 0L :ECOLE FRAN ! AISE .
ÉCOLE LOMBARDE
Brescia.
GASPAR DI SAL0 . 1 5 1 0— 1 5 50. Vio
lons laissant à désirer sous le rapportdu travail et de l ’élégance . Bois très
208 APPENDICE
fort . Forme très voûtée . Sonorité vigoureuse et pleine d ’
ampleur . Vern is brunfoncé . Ouverture des droite , large,bien découpée . Le parallél isme des
deux/! est la marque la plus caractéristique de ces instruments qui jouissentd ’une grande réputation et sont d’
un
prix très élevé .
MAGGIN I (Giovanni Paolo) . 1 560
1 640 . Élève le plus distingué de Gaspardi Sala . Les vio lons de l 'élève sontd’une forme presque identique a celleadoptée par le maî tre . Différences ànoter :élévation beaucoup moins prononcée les deux filets parallèles pluslarges ; vernis d’
un rouge tirant sur lejaune , parfois d’
un brun foncé .
MAGGINI (P ietro Santo) , 1 630- 1 680 .
Fi ls du précédent . Violons scrupuleusement exécutés d ’après les principes quelui avait inculqués son père .
LAUSA (Antonio Maria) . 1 650- 1 7 1 5 .
Contemporain de Stradivarius et imitateur servile de l’école de Brescia. Violons sans traits et sans caractère dis
tinctifs . Sonorité inférieure à celle desmodèles imités .
NELLA R APHAEL . Violons , malgréleur son assez volumineux, ne possé
2 1 0 APPENDICE
père . A employé le bois de sapin oud’érable de la plus belle qualité . Vio lonsà grand format. Filets très épais . Tabled’harmonie en bois de sapin . Ouver
ture des ff bien découpée , mais un peuétroite . Manche en bois d'érable . Têtetrès belle . Vern is amalgamé d ’ambrejaune et d
’outremer . Table d ’harmon ied'
un bo is très épais à l 'endroit du chevalet .b) Antoine Amati . Forme de ses
violons pareille à la forme adoptée parson frère . Bois moins beau . Découpuresdes j f très petites .
AMATI (Nicolas ) . 1 662 - 1 692 . Filset élève de Jérôme . R éputation plusgrande que ce lle de ses prédécesseursdu même nom . Forme de ses instru
ments généralement petite, à voûte particulière . Plats aux extrémités , ils prennent brusquement une hauteur d
’
un
pouce vers le milieu , où se trouve lechevalet . Coins fort écartés l’un de l’autre . Bords arrondis . très éloignés ,n ’ayant pas la coupe droite de ceux desautres Amati . Sons doux et moelleux .
Table de résonance en bo is de sapinfoncé d ’une belle espèce . Vernis rougedoré, parfois d ’une couleur brune .
APPENDICE 2 1 1
Comme élèves et imitateurs des
Amati en trouvea) ALBAN I (Paul) . 1 650 . N ’a jamais
qui tté Crémone .
Am ! (Matthieu) . 1 660 . Établ ià Pulsano d ’
abord, il vint plus tarddans le Tyrol , où il appo rta la manièredes maîtres de Crémone . Il enseigna lespremiers principes de la constructiondu violon à Jacobus Stainer , et eut pourmaître Nicolas Amati .
e) ALBANI (Miche l) . S’est établi en
Grèce . Ses violons n’
obtinrent qu ’unerenommée très restreinte .
Les violons de ces trois Albani, quise ressemblent et ne sont qu ’une copieservile des violons des Amati , sont loind ’avoir le son ample et vigoureux desmaîtres de Crémone .
Parmi les élèves des grands luthierson peut encore mentionner:CAPPA D
’
ASSALU220 . 1 640 . Élève deNicolas AmatiGU ILIANI . 1 660 . Egalement é lève de
Nicolas Amati . A fait de très bel lescopies .
GUARNERIUS (Andreas) . 1 678- 1 696 .
Frère aîné de cette célèbre famil le deluthiers, est l ’élève de Nicolas Amati .
2 1 2 APPENDICE
Les violons d’Andreas Guarnerius, malgré leur vigueur de son , sont construitsd ’une façon fort imparfaite . Bois de
mauvaise qualité . Forme disgracieuse .
Grand fo rmat . Découpures allongéæ .
coupés droit et irrégulièrement . Fondinégal et raboteux . Vern is fait au cobalt .
GUAR NFR IUS (Joseph) . 1 704- 1 724 .
Fils et élève d’
Andreas Guarnerius . Asurpassé son père par la forme élégantede ses instruments et par leur qualitéde son . La forme de ses violons ressem
ble beauc oup à celle qu ’avait adoptéeNicolas Amati .Les violons de Jo seph Guarnerius
sont petits . découpés , assez fortementbombés , penchés vers le milieu . Vern isrouge d ’une couleur éclatante .
GUARN ERIUS ( Pierre 1 670- 1 7 1 7 .
Frère cadet d’
Andreas Guarnerius . Violons il forme peu élégante, très plats , àbords très sail lants . Son assez plein .
Vern is brun foncé . Est mort à Mantoueoù il avait transpo rté son atelier en dernier lieu .
GUARNERIUS (Joseph) , dit del Jesu .
1 700- 1 742 . Fi ls de Pierre . Élève de
Stradivarius . N ’a pas imité la forme
2 1 4 APPENDICE
mat . Bois très épais . Filets très larges .
Vern is brun foncé .
STRADIVARIUS (Antoine) . 1 640- 1 724 .
Élève de Nicolas Amati . C ’est cet incomparable luthier qui a donné auviolon le rang qu ’
il occupe actuellement . Forme superbe, régulière et minutieusement calculée . Son d ’une magnifique ampleur . Vern is excellent .On distingue quatre époques dans letravail de Stradivarius . Première époque.
Violons semblables à ceux de JérômeAmati . Forme grande et voûtée . D eu
xième époque. Format très grand . Lavoûte disgracieuse primitive à disparu .
Troisième époque . R etour au dessin primitif. Format à dimension réduite .
Quatrième opaque. Voûte peu prononcée(un demi-pouce des côtés au centre) .Bois très fort . Coins modérément saillants et non émoussés . Filets placéstrès près du bord et fortement incrustésdans le bois . Vern is d ’ambre brun obs
cur ; le vernis des violons de la première époque est rougeâtre . Le prixqu
’
atteignent ces violons est très élevé etaugmente constamment avec les années .
Parmi les imitateurs et les élèves deStradivarius on compte
APPENDICE 2 1 5
MONTADE (Gregorio) . Commencement du dix-septième s iècleCAESTA (Cajetan) . 1 677 ;BER GONZO (François) . 1 687 ;BER GONZO (Charles) . 1 684 . Le me il
leur des élèves de Stradivarius . Violonsd'
un incontestable mériteMILAN I (Franœ sco) . 1 742 . Imitateur
scrupuleux de Stradivarius . A travaillélongtemps à Milan d
’après les donnéesqu 'i l avait reçues deGUADAN IN I (Laurenz ius) . 1 7 1 0 . De
Milan . Élève de StradivariusGUADAN IN I (Jean -Baptiste) . 1 709
1 754 . Élève distingué de Stradivarius .
Quitta Crémone pour se fixer à Placentia où il mourut .Avant de quitter Crémone il faut en
core nommerPALESTIER I (Pietro) , de Crémone , et
PALESTI ER I (Thomas) , de Mantoue , élèves l
’
un et l ’autre de StradivariusGUSETTO (Nicolas Tierentîni) et ST0R Iou1 (Laurenz ius) . 1 778 .
GRANZI N I , 1 620— 1 650 . A travaillé a
Milan avec son frère .
2 1 6 APPEN DICE
SANON I (Johannes Baptistus) .
Sans rappe ler ni Testator, qui doitêtre cons idéré comme le fondateur del ’école de Milan, ni les frères Guadanini cités plus haut parmi les élèves deStradivarius , il n ’
est que juste de nom
mer : LACASSO (Anton io Maria) , SAN2ASANTINO , 1 634, TEST0R E (Carlo Giuseppo), 1 750 . Ce dernier doit être rangéparmi les bons luthiers .
Trévise .
CAESTA (Pietro Antonio della) . Imitateur assez intell igent de Stradivarius .
CAM I LUS DE CAM ILE . 1 7 1 5 . Bon élèvede Stradivarius .
Venise .
MONTAGIAN0 (Dominicus) . 1 7 1 5 . Travailla à Crémone, à Mantoue et à Venise , où il confectionna ses meilleurs
2 1 8 APPENDICE
rieur en qualité aux instruments de cesdern iers .
AUTRES ECOLES ITALIENNES !
ECOLE FLORENTINE
Florence
QU IDANTUS (Joannes Florenus)Travail consciencieux .
GABI CELI S (JohannesCRISTOFORI (Bartholomeo) .LANDOLFI (C .
Ces quatre luthiers représentent seulsl’école de Florence . Leurs violons sontreconnaissables a l
’
épaisse couche devernis dont 1 13 sont enduits .
ÉCOLE ROMAINE
R ome.
ASSALONE (Gaspard) . Est le premierqui a mis en pratique , a R ome
, lesprincipes de l ’école de Crémone .
DECHLER (David) . 1 7 1 5— 1 740 . Ln
APPENDICE 2 1 9
thier a llemand d’un grand mérite . Acommencé à Salzbourg . É tabli plus tardà Venise , i l fut forcé de quitter cette villedevant la jalous ie des luthiers vénitiens .
I l se rendit alors à R ome où il est mort .C ’
est le meilleur luthier que R ome aitpossédé .
ECOLE NAPOLITAINE
Une école de lutherie fut fondée àNaples , au commencement du dix-huitième s iècle, parGAGLIANO (Alexandre) .GAGLIANO (Janvier et Nicolas) , tous
deux fils du précédent . Violons imitésde ceux de Stradivarius et d
’
Amati.
GAGLIANO (Ferdinando, Giuseppe ,Giovanni et Anton io) ont maintenu la
réputation des ate liers fondés par leursmaîtres .
Seul de ces quatre Gagliano, Giovanni, 1 760,
sortit de l’
ornière que
suivait l ’école de Naples . Ses violonsont acquis une certaine valeur dans lecommerce .
GAGLIANO (R afael et Antonio) . Tous
2 20 APPENDICE
deux fils de Giovann i , et à qui leurpère avait transmis les principes de laconstruction des violons , ont abandonnéla lutherie pour établir une fabrique decordes d’ instruments qui est la plusrecherchée de toute l’ I talie .
Parmi les luthiers contemporainsitaliens figurentGHIBERTINL 1 800- 1 836 . Manière
toute particulière d'
enduire ses violonsd’
un vernis ressemblant à celu i desmaîtres de Crémone .
CASTELAN I , à Florence . R estaurateuradroit d ’anciens violons .
COSTA , à Gênés . Habile imitateur desviolons de Stradivarius .
ÉCOLE ALLEMANDE
Luthiers des difi‘rentes villes de l
’
Alle
magne.
BACHMANN (Carl Ludwig) . Berlin .
1 765 . Le meilleur des luth iers que
l’
Allemagne a produits . Copies exactesdes violons de Stradivarius .
STRAUBE . Berlin . 1 772 . A fait quelques bons violons .
22 2 APPENDICE
de Bachmann qui lui—même copiait lesviolons de Stradivarius . Certains violons de Schmidt portent l ’étiquette deStradivarius ; mais leur bord est pluslarge et les filets sont incrustés de façonà pencher davantage vers le milieu .
KOLDITZ (Matth . Munich . 1 748 .
KAMBEL . Mun ich . 1 635 .
R OTH 1 675 .
DIEHL (N ico lausl. Darmstadt .CHRISTA (Joseph Paulus) . Mun ich .
1 730 .
VOGLER (Joh . Vurz burg .
LUTHIERS CONTEMPORAINS
(Allemagne, Autriche, R ussie .)
BAUSCH . Leipz ig. Archets renommés .
ENGLEDER . Mun ich . Travail le avecbeaucoup d' intelligence .
RUBR ECHT . Vienne . Habile restaurateur d ’anciens instruments .
LEMBOCR . Vienne .
KITTEL . Saint-Pétersbourg . Luthieradmit et consciencieux .
APPENDICE 223
ECOLE DU TYROL
STAINER (Jacob) . A donné le premierl 'essor à la construction du violon dansle Tyrol . A travaillé d'après les principes des maîtres de Cremone, après avoirété l ’élève de Matthieu A lban i . Violonsil fo rme très voûtée . Ceux faits entièrement par J . Stainer ont une étiquetteécrite de sa propre main . Forme trèsélégante . Son des plus beaux . pluscourts que ceux des maîtres italiens , àdécoupure tout à fait ronde aux extré
mités . Bords très épais , arrondis avecsoin . Filets un peu distants du bord, trèsfinement incrustés . Trois catégories deformat très grand, moyen , pe tit . Hauteur et épaisseur du bois deux fois plusgrandes que dans les instruments deStradivarius . Table d ’harmon ie en sapinde Suisse . Fond, éclisses et manche enérable de la plus belle qualité . Tête élégamment sculptée .Sur que lques violons,tête de lion sculptée . Vern is pareil à celui des maîtres de Crémone . Souventla table d’harmonie est d’
un jaune clair,tandis que la tab le de fond a une couleur brun foncé .
KLOTZ (Aegidius) , de M itterwald, et
224 APPENDICE
P ICHLER, ont travaillé dans l 'atelier deStainer pendant sa maladie . Les instru
ments confectionnés par ces deux habiles ouvriers po rtent l ’étiquette impriméede Jacob Stainer .KLOTZ (Michael et Joh . Carl), tous
deux fils de Klotz (Aegidius) , habilesouvriers auss i , ne sont jamais parvenusau talent de leur père .
STAINER (Marcus) . Fils de Jacob . Atravaillé à Inspruck . Violons excel lents ,mais n ’ayant pas le son noble des instruments sortis des mains du père .
Parmi les imitateurs de Jacob Sta iner on compte un certain nombre deluthiers allemands ou autrichiens quiont été placés immédiatement après l’êcole du Tyrol à cause de leur spécialitémême et pour la facilité des recherches .
En voici les plus notablesSTADELMANN . Vienne . 1 740 .
W ITHALM . Nuremberg . 1 720 . A copiéStainer avec une h abileté remarquable .
HASSART. R udolstadt . Violons trèsvoû tés comme ceux de Stainer, ce quitémoigne qu ’ i l a dû prendre ce maîtrepour modèle .
R IES . Bamberg . Bons Violons .
R AUCH . Breslau . Figure parmi les
2 26 APPENDICE
Les quatre luthiers qui suivent ontpratiqué leur art à SalzbourgSIMON 1 722 ,W EISS (Jacob) , MAYER
HOFF (Andreas Perd.) 1 740, WENGER(Gregor Ferd .) 1 76 1 .
ECOLE FRAN! AISE
En France, Où les arts , les sciences etles lettres ont jeté un si vif éclat du quinz ième au dix-neuvième s iècle, l ’art de lalutherie ne compte point de représen
tant illustre . A peine quelques noms se
sont- ils fait remarquer dans cet espacede temps . Plus ieurs luthiers françaisont introduit dans la construction duviolon des principes nouveaux, incoanus avant eux, mais ces principes ne
leur ont pas survécu .
Parmi ces noms il faut relever ceuxde P IQUE, LUPOT, CHANOT .
GAND . Paris . Gendre et successeur deNicolas Lupot . Habile et consciencieuxrest.« urateur d' instruments à co rdes .
Bonnes copies des violons de S tradivarius, gagnant avec le temps .
VU ILLAUME . Paris . Belles copies des
APPENDICE 227
anciens maîtres d’ Italie . Son dur etinférieur même à celui des violonsmodernes de l
’
Italie . Malgré le talentincontestable de ce luthier, jamais ses
ins truments ne pourront figurer à côtédes instruments des anciens facteurs .
TOURTE . Archets justemen t renommês et très recherchés .
L . DE PRATIS .