la cour de cassation · 454 le premier, fut notre premier président et le demeura pendant...

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63me ANNEE. - 3778. JOIJRNll EDMOND PICARD 1882 - 1899 LEON HENNEBICQ 1900 - 1940 La Cour de cassation Mercuriale prononcée par M. Léon CORNIL, procureur général, à l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 15 septembre 1948 On a tendance à représenter la Cour de cassation comme une institution _dont l'()rjgine --se -pera âans la nuit des siècles rév-Olus et qui, indifférente._ aux bouleversements du monde, perpétue avec •sérénité une activité d'un au- tre âge. Que cette légende trouve des échos jusque dans certains milieux judiciaires, nous aurions tort de nous le dissimuler. Comment demeure-t-elle vivace? Juridiction suprême, nous n'exerçons point nos fonctions au milieu du tumulte des plai· deurs; l'austère silence des couloirs menant à nos locaux fait contraste avec l'agitation des autres parties du Palais. Le stagiaire qui s'y .aventure à pas f entrés y découvre, taillés d'ans Je marbre immortel mais glacial, les bustes ,des plus grands d'entre nos morts, mêlés à .ceux des juristes dont la science avait illustré provinces avant qu'un droit nouveau ;naquît de la Révolution française. Voulant s'initier au labeur d'une aussi vé- mérable compagnie, il consulte le bulletin de ,nos arrêts. Il l'ouvre au hasard et lit que le 6 juin 1940 - alors que l'Europe occidentale :tout entière retentissait du fracas des batailles ;OÙ s'affrontaient avions et chars blindés - :nous nous référions à l'article 1er du titre X , d'e la seconde partie du règlement du 28 juin :I 738 « concernant la procédure que Sa Majes· t veut être observée en son conseil », en :même temps qu'au'X articles 6 et 7 du titre II (d'une autre ordonnance de Louis XV, celle de juillet 173 7 concernant le faux principal et le Jaux incident, pour permettre à une partie ,d'établir que, par l'effet d'une erreur maté- ; rielle, un arrêt d'une cour d'appel relatait ; inexactement les noms de1s conseillers qui !l'avaient rendu (l). Sa cu'riosité est mise en éveil; il poursuit Ha lecture du bulletin et entame celle des d'is· 1cours de rentrée qui ...;Q jalonnent les années. !Il y relève que, si nos arrêts statuent sur les :requêtes de citoyens vivants qui ont appelé à motre barre d'autres citoyens vivants avec 1.esquels ils sont en litige, les procès que noùs jugeons s·ont cependant ·des procès, non entre des citoyens, mais entre la loi et des décisions de justice ; que ces décisions de justice sont, en dépit des ap·parences, les seuls d'éf endeurs qui soient attraits dans notre prétoire; que le débat se meut devant nous dans la pure abs· traction; qu'à la différence des autres cours et tribunaux, nous sommes institués dans l'in· térêt de la loi et devons demeurer sourds à celui des parties, mais que nous ne manquons néanmoins pa•s de ·rejeter les pourvois et les moyens chaque fois qu'ils ne présentent point d'intérêt p.our elles Il voit même que, bien que la Cour d'e cassation _soit placée par la Constitution dans le pouvoir judiciaire, elle participe plutôt du pouvoir législatif; qu'elle est l'agent du pouvoir législatif, chargé par celui-ci de"'amener, le cas échéant, le p·ouvoir judiciaire au respect de la loi. (1) Bull. et Pas., 1940, 1, 163. Dès lors, le malheureux renonce à compren· dre_. Il abandonne _l'ambition_ de . devenir .un jour -av-ocal à la Cour de caissat1on; n regagne!' la salle des pas perdus, il instruit ses amis de sa vaine équipée et les engage à ne jamais tenter ·de lever le voile qui enveloppe nos travaux. La légende a un protagoniste de plus. Je voudrais déchirer ce voile, dissiper la légende en décrivant, en toute simplicité et en toute clarté, ce que nous sommes, la mis· sion qui nous incombe - et que nous rem· plissons - dans la société d'aujourd'hui. A notre époque, le mystère n'ajoute plus à rautorité. Bien faible serait le prestige que l'on prétendrait maintenir par l'ésotérisme. Le nôtre n'a, point besoin ·de ces fulnées qui ne p•ourraient que l'obnubiler. Le monde sort à peine, pantelant, de la plus abominable des guerres; un grand souffle de rénovation et de progrès le secoue: il faut que la nation ait une claire conscience de l'essence et de l'utilité de ses institutions, qu'elle se rende nettement compte des fins aux· qu·elles réponde leur activité. Ce n'est que sur la hase d'une connaissance parfaite du passé et du présent que l'on peut espérer régler heureusement l'avenir, faire le départ entre ce qui est à conserver et ce qui est à supprimer, préciser les améliorations à apporter à ce qui doit être conservé. V oyant notre oeuvre dégagée des vaines formules qui la représentent sous un aspect trompeur, chacun comprendra que, n'était la Cour de cassation, le droit perd'rait jusqu'à sa raison d'être, car il serait dépouillé de ce caractère de certitude ians lequel il serait im.I?uissant . garantir la 1sécurité des ..so.cialea; 0 .,aaJ.Blssam>,exactement -la -}M)r-tée -de --OO que nous faisons, on pourra apprécier s'il se- rait possible qu·e nous le fissions mieux en- core et - s'il y a lieu de modifier certaines de nos règles. •** Ma tâche sera aisée car deux des plus émi- nents des nôtres ont assez récemment, dans des études magistrales, scruté les principe·s qui nous gouvernent, éclairé nos origines et corn· paré nos attributions à celles des juridictions suprême des pays étrangers. Il me suffira de prendre les résultatis de leurs recherches et de leurs méditations et, leurs .conclusions ne -concordent point, de faire entre elles un choix qui sera d'autant moins difficile que chacune de leurs thèses a été étayée de tous les éléments qui pouvaient lui servir d'appui. .Le ]1er octobre 1925, à cette place, le pro· cureur -général Paul Leclercq, alors premier avocat général, prononçait sur La Cour de cassation un d'i•scours marqu·é au coin de cette érudition et de cette dialectique, point tou- jours exempte de parad_oxe, qui ont fait de lui l'une des plus grandes figures - et des plue originales aussi - de la science juridi- que belge. Avant la dernière guerre, çomme nombre de bons esprits se préoccupaient de la réfor· HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE EDITEURS : Maison FERD. LARCIER, S. A. 26-28-, rue des Minimes, Bruxelles. me de l'Etat, le président 1Rolin, alors coniseil- ler, écrivait, à titre d'introduction à un avant· projet d'e mod'ification de la procédure à sui- vre devant nous, un traité De la nature et de la fonction de la Cour de èassation (2} il passait au crible de sa logique implacable la doctrine de l'illustre procureur général. *** Ainsi que je vous le disais le 1er mars 1946, lorsque nous eûmes le bonheur d'installer M. le premier président dans la haute charge :don:t il l,autorltê ··que lui con- f ère son savoir et la bienveillance que lui dic· te l'aménité de son caractère, nous sommes issus de la Révolution française. Certes, à l'audience inaugurale de la Cour de cassation, le 15 octobre 1832, le premier avocat général Plaisant, qui allait devenir p·ro· cureur général et en faisait déjà les fonctions, disait, donnant libre cours à une éloquence appropriée à la solennité de la cérémonie: « Magistrats de la Cour suprême, successeurs de ces grands corps de justice dont notre pays se glorifiait avec raison, de ces conseils sou· verains qui, dans l'ordre de leurs attributions, •.• défendirent avec tant de constance et de courage les droits de la nation, de ses prin- ces et de ses citoyens, aucun de leurs titres de gloire ne saurait vous être étranger » (3). La phrase est belle, mais il faut pourtant reconnaître que, si nous recueillons les reflets de la renommée du Grand conseil de Malines, si nous sommes fondés à ennoblir nos gale· ries par les bustes de ceux qui, tds Wielant et Peckius, en sont d'immortelles illustratiomi;, c'est surtout parce qu'à notre tour, nous som- mes la juridiction la plus haute de ces labo- rieuses contrées l'amour de la justice a toujoul"ls été particulièrement ardent, les habitants n'ont cessé de lutter pour être «trai- tés par droit et sentence », comme le portait déjà l'article ier de la Joyeuse entrée accep- tée le 3 janvier 1356 par le duc Wenceslas de Brabant. Nos attributions ne rappellent pas autrement celles du Grand conseil de Mali- nes ou des autres Cf'nseils souverains de noti -pl'Orinoes. Lorsque notre Congrès national .a édicté dans notre Constitution .(art. 95) qu'il y au- rait pour toute la Belgique une Cour de cas· sation et que cette cour ne connaîtrait pas du fond des affaires, sauf le jtigement des mi· niistres, lorsque nos Chambres ont tracé les règles de notre institution dans le titre 19r de la loi du 4 août 1832, organique de l'oridre ju- diciaire, leur intention n'a point été de ressu· sciter les conseils qui avaient marqué notre passé. Ils se sont tournés vers la France; ils ont établi chez nous la Gour de caissation de France, telle que l'avait conçue la Révolution et telle que l'avait parachevée l'Empire. En tête de nos fastes apparaît le baron de Gerlache, ancien président du Congrès, qui, (2) Centre d'études pour la réforme de l'Etat, Réforme de la procédure, t. Ill, pp. 229 et s. Cons. aussi Edmond Picard, Quelques réflexions sur le droit et le fai't en Cour de cassation, préface du t. CXI des Pandectes Belges et Marc Ancel, Réflexions SM l'étude comparative des cours su- prêmes et le recours en cassatt'on, Annales de l'Ins- titut de droit comparé de l'Université de Paris, 1938, pp. 285 et S. (3) Scheyven, Traité pratique des pourvois qn cassation, 2 8 édit., pp. 30 et 31.

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    63me ANNEE. - N° 3778.

    JOIJRNll EDMOND PICARD

    1882 - 1899 LEON HENNEBICQ

    1900 - 1940

    La Cour de cassation Mercuriale prononcée par M. Léon CORNIL, procureur général,

    à l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 15 septembre 1948

    On a tendance à représenter la Cour de cassation comme une institution _dont l'()rjgine

    --se -pera âans la nuit des siècles rév-Olus et qui, indifférente._ aux bouleversements du monde, perpétue avec •sérénité une activité d'un au-tre âge. Que cette légende trouve des échos jusque dans certains milieux judiciaires, nous aurions tort de nous le dissimuler.

    Comment demeure-t-elle vivace? Juridiction suprême, nous n'exerçons point

    nos fonctions au milieu du tumulte des plai· deurs; l'austère silence des couloirs menant à nos locaux fait contraste avec l'agitation des autres parties du Palais. Le stagiaire qui s'y .aventure à pas f entrés y découvre, taillés d'ans Je marbre immortel mais glacial, les bustes ,des plus grands d'entre nos morts, mêlés à .ceux des juristes dont la science avait illustré ~nos provinces avant qu'un droit nouveau ;naquît de la Révolution française.

    Voulant s'initier au labeur d'une aussi vé-mérable compagnie, il consulte le bulletin de ,nos arrêts. Il l'ouvre au hasard et lit que le 6 juin 1940 - alors que l'Europe occidentale :tout entière retentissait du fracas des batailles ;OÙ s'affrontaient avions et chars blindés -:nous nous référions à l'article 1er du titre X , d'e la seconde partie du règlement du 28 juin :I 738 « concernant la procédure que Sa Majes· t té veut être observée en son conseil », en :même temps qu'au'X articles 6 et 7 du titre II (d'une autre ordonnance de Louis XV, celle de juillet 173 7 concernant le faux principal et le Jaux incident, pour permettre à une partie ,d'établir que, par l'effet d'une erreur maté-; rielle, un arrêt d'une cour d'appel relatait ; inexactement les noms de1s conseillers qui !l'avaient rendu (l).

    Sa cu'riosité est mise en éveil; il poursuit Ha lecture du bulletin et entame celle des d'is· 1cours de rentrée qui ...;Q jalonnent les années. !Il y relève que, si nos arrêts statuent sur les :requêtes de citoyens vivants qui ont appelé à motre barre d'autres citoyens vivants avec 1.esquels ils sont en litige, les procès que noùs jugeons s·ont cependant ·des procès, non entre des citoyens, mais entre la loi et des décisions de justice ; que ces décisions de justice sont, en dépit des ap·parences, les seuls d'éf endeurs qui soient attraits dans notre prétoire; que le débat se meut devant nous dans la pure abs· traction; qu'à la différence des autres cours et tribunaux, nous sommes institués dans l'in· térêt de la loi et devons demeurer sourds à celui des parties, mais que nous ne manquons néanmoins pa•s de ·rejeter les pourvois et les moyens chaque fois qu'ils ne présentent point d'intérêt p.our elles Il voit même que, bien que la Cour d'e cassation _soit placée par la Constitution dans le pouvoir judiciaire, elle participe plutôt du pouvoir législatif; qu'elle est l'agent du pouvoir législatif, chargé par celui-ci de"'amener, le cas échéant, le p·ouvoir judiciaire au respect de la loi.

    (1) Bull. et Pas., 1940, 1, 163.

    Dès lors, le malheureux renonce à compren· dre_. Il abandonne _l'ambition_ de . devenir .un jour -av-ocal à la Cour de caissat1on; n regagne!' la salle des pas perdus, où il instruit ses amis de sa vaine équipée et les engage à ne jamais tenter ·de lever le voile qui enveloppe nos travaux. La légende a un protagoniste de plus.

    Je voudrais déchirer ce voile, dissiper la légende en décrivant, en toute simplicité et en toute clarté, ce que nous sommes, la mis· sion qui nous incombe - et que nous rem· plissons - dans la société d'aujourd'hui.

    A notre époque, le mystère n'ajoute plus à rautorité. Bien faible serait le prestige que l'on prétendrait maintenir par l'ésotérisme. Le nôtre n'a, point besoin ·de ces fulnées qui ne p•ourraient que l'obnubiler.

    Le monde sort à peine, pantelant, de la plus abominable des guerres; un grand souffle de rénovation et de progrès le secoue: il faut que la nation ait une claire conscience de l'essence et de l'utilité de ses institutions, qu'elle se rende nettement compte des fins aux· qu·elles réponde leur activité. Ce n'est que sur la hase d'une connaissance parfaite du passé et du présent que l'on peut espérer régler heureusement l'avenir, faire le départ entre ce qui est à conserver et ce qui est à supprimer, préciser les améliorations à apporter à ce qui doit être conservé.

    V oyant notre œuvre dégagée des vaines formules qui la représentent sous un aspect trompeur, chacun comprendra que, n'était la Cour de cassation, le droit perd'rait jusqu'à sa raison d'être, car il serait dépouillé de ce caractère de certitude ians lequel il serait im.I?uissant ~ . garantir la 1sécurité des ~elations

    ..so.cialea;0 .,aaJ.Blssam>,exactement -la -}M)r-tée -de --OO que nous faisons, on pourra apprécier s'il se-rait possible qu·e nous le fissions mieux en-core et -s'il y a lieu de modifier certaines de nos règles.

    •** Ma tâche sera aisée car deux des plus émi-

    nents des nôtres ont assez récemment, dans des études magistrales, scruté les principe·s qui nous gouvernent, éclairé nos origines et corn· paré nos attributions à celles des juridictions suprême des pays étrangers. Il me suffira de prendre les résultatis de leurs recherches et de leurs méditations et, là où leurs .conclusions ne -concordent point, de faire entre elles un choix qui sera d'autant moins difficile que chacune de leurs thèses a été étayée de tous les éléments qui pouvaient lui servir d'appui.

    .Le ]1er octobre 1925, à cette place, le pro· cureur -général Paul Leclercq, alors premier avocat général, prononçait sur La Cour de cassation un d'i•scours marqu·é au coin de cette érudition et de cette dialectique, point tou-jours exempte de parad_oxe, qui ont fait de lui l'une des plus grandes figures - et des plue originales aussi - de la science juridi-que belge.

    Avant la dernière guerre, çomme nombre de bons esprits se préoccupaient de la réfor·

    HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE

    EDITEURS : Maison FERD. LARCIER, S. A. 26-28-, rue des Minimes, Bruxelles.

    me de l'Etat, le président 1Rolin, alors coniseil-ler, écrivait, à titre d'introduction à un avant· projet d'e mod'ification de la procédure à sui-vre devant nous, un traité De la nature et de la fonction de la Cour de èassation (2} où il passait au crible de sa logique implacable la doctrine de l'illustre procureur général.

    *** Ainsi que je vous le disais le 1er mars 1946,

    lorsque nous eûmes le bonheur d'installer M. le premier président dans la haute charge :don:t il 11~,aeqWtl-e a~c l,autorltê ··que lui con-f ère son savoir et la bienveillance que lui dic· te l'aménité de son caractère, nous sommes issus de la Révolution française.

    Certes, à l'audience inaugurale de la Cour de cassation, le 15 octobre 1832, le premier avocat général Plaisant, qui allait devenir p·ro· cureur général et en faisait déjà les fonctions, disait, donnant libre cours à une éloquence appropriée à la solennité de la cérémonie: « Magistrats de la Cour suprême, successeurs de ces grands corps de justice dont notre pays se glorifiait avec raison, de ces conseils sou· verains qui, dans l'ordre de leurs attributions, •.• défendirent avec tant de constance et de courage les droits de la nation, de ses prin-ces et de ses citoyens, aucun de leurs titres de gloire ne saurait vous être étranger » (3).

    La phrase est belle, mais il faut pourtant reconnaître que, si nous recueillons les reflets de la renommée du Grand conseil de Malines, si nous sommes fondés à ennoblir nos gale· ries par les bustes de ceux qui, tds Wielant et Peckius, en sont d'immortelles illustratiomi;, c'est surtout parce qu'à notre tour, nous som-mes la juridiction la plus haute de ces labo-rieuses contrées où l'amour de la justice a toujoul"ls été particulièrement ardent, où les habitants n'ont cessé de lutter pour être «trai-tés par droit et sentence », comme le portait déjà l'article ier de la Joyeuse entrée accep-tée le 3 janvier 1356 par le duc Wenceslas de Brabant. Nos attributions ne rappellent pas autrement celles du Grand conseil de Mali-nes ou des autres Cf'nseils souverains de noti -pl'Orinœs.

    Lorsque notre Congrès national .a édicté dans notre Constitution .(art. 95) qu'il y au-rait pour toute la Belgique une Cour de cas· sation et que cette cour ne connaîtrait pas du fond des affaires, sauf le jtigement des mi· niistres, lorsque nos Chambres ont tracé les règles de notre institution dans le titre 19r de la loi du 4 août 1832, organique de l'oridre ju-diciaire, leur intention n'a point été de ressu· sciter les conseils qui avaient marqué notre passé. Ils se sont tournés vers la France; ils ont établi chez nous la Gour de caissation de France, telle que l'avait conçue la Révolution et telle que l'avait parachevée l'Empire.

    En tête de nos fastes apparaît le baron de Gerlache, ancien président du Congrès, qui,

    (2) Centre d'études pour la réforme de l'Etat, Réforme de la procédure, t. Ill, pp. 229 et s.

    Cons. aussi Edmond Picard, Quelques réflexions sur le droit et le fai't en Cour de cassation, préface du t. CXI des Pandectes Belges et Marc Ancel, Réflexions SM l'étude comparative des cours su-prêmes et le recours en cassatt'on, Annales de l'Ins-titut de droit comparé de l'Université de Paris, 1938, pp. 285 et S.

    (3) Scheyven, Traité pratique des pourvois qn cassation, 2 8 édit., pp. 30 et 31.

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    le premier, fut notre premier président et le demeura pendant trente-cinq ans. Il avait, dans sa jeunesse, été avocat à la Cour de cas· sation de France. C'est vers eUe que ,s'étaient dirigées ses pensées lorsqu'au Congrès et à la Chambre des représentants, il avait participé à l'élaboration de notre statut; c'est eUe que - à quelques modalités près - il a retrouvée en prenant po&session de son siège au Palais de Justice de Bruxelles. '

    Même notre costume est la reproduction de celui d.es magistrats de la Cour de cassation de France (4).

    Mais ce tribunal de cassation, que l'As sem· blée nationale ·constituante avait institué par son décret du 27 novembre 1790 et auquel le sénatus-consulte du 28 floréal an XII ( 18 mai 1804) avait donné le nom de cour, n'avait-il point succédé au Conseil des parties? Est-ce que, de ce côté là, nos racines ne se nourri· raient pas du suc de l'ancien régime? Est-ce que, créée à l'image de la Cour de cas,sation de France, la Cour de cassation de Belgique ne serait p·oint ainsi le prolongement dans le monde moderne de l'une des 'sections du c: Conseil du roi » dont Louis XIV avait fait les organes de son absolutisme?

    La circonstance que nous devons parfois re· courir, pour déterminer la procédure à suivre devant nous, à celle que .Louis XV « voulait être observée 'en son conseil >>, la pourpre et l'or de nos toges et de nos mortiers qui rap-pellent le manteau et la couronne des rois de France, pourraient certes induire en illusions les esprits férus de traditionalisme.

    Ces illusions, le feu de l'argumentation du procureur général Paul Leclercq les a défini· tivement dissipées et, comme je ne possède point la verve aux traits acérés de mon grand prédécesseur, je n'aurai pas la présomption de prétendre vous démontrer à nouveau com-bien il serait puéril de faire remonter les ori• gines de la Cour de cassation de France et, partant, les nôtres au delà de la Révolution française ( 5 )!.

    Sans doute, le Conseil des pm·ties Qrdonnait· il déjà des cassations, cassait-il déjà les arrêts des parlements qui avaient contrevenu aux édits et aux ordonnances. En déduire que le tribunal de cassation organisé par la Consti· tuante aurait continué le Conseil des partie's n'en serait pas moins une complète erreur: la Constituante a supprimé le Conseil des par· ties; elle l'a remplacé par le tribunal de cas· sation.

    Le Conseil des parties, c'était le roi. Tou-jours, le fauteuil du roi se trouvait placé au haut bout de · la table de tses délibérations, symbole de la présence constante du maître.

    D'après la doctrine de la royauté absolue de droit divin, le roi, souverain dispensateur de la justice, avait pouvoir de casser, d'annuler, les décisions des juges et cette cassation, cette annulation, se réalisait même parfois maté-riellement: .on a vu le· Roi de France faire rayer sous ses yeux des arrêts inscrits dans les registres des parlements ou lacérer des feuil~ les volantes portant des arrêts non encore co· piés. Le Roi avait aussi pouvoir de juger aux lieu et place des juges, soit en réformant leurs sentences, soit en s'emparant des procès.

    Le Conseil des parties, qui traduisait la vo· lonté royale, ca1ssait les arrêts pour violation des édits et des ordonnances, c'est-à-dire pour erreur de droit; il les cassait aussi pour in· justice évidente, c'est-à-dire pour erreur de fait. Ainsi que l'écrivait le conseiller Faye, de la Cour de cassation de France, « à raison même de la toute-puissance royale, (ses) attributions étaient mal définies. Toute justice émanant du roi, qui était toujours censé pré· sent en son conseil, il était loisible à celui-ci, n~n seulement d'annuler l'arrêt qui lui

    (4) Discours du procureur général à l'audience solennelle d'installation de M. le Premier président Soenens, le I er mars I 946, p. I 4·

    (5) Paul Leclercq, La Cour de cassation, mercu-riale prononcée à l'audience solennelle du 1er octo-bre 1925, pp. 7 et s.

    était déféré, mais encore d'évoquer la cause et de ·la juger au fond d'une manière défini-tive. Certaines affaires pouvaient même lui être portées directement et les parties enle. vées ainsi à leurs juges naturels ». ( 6)

    Tant et si bien que le Conseil des parties était considéré en 1789, comme l'un des pi· liers du despotisme qu'il fallait saper sans re-tard: dès le 20 octobre 1789·, la Constituante ne l'autorisait à continuer provisoirement see fonctions qu' « à l'exception... dets arrêts de propre mouvement, ainsi que des évocations avec retenue du fond des affaires, lesquel's ne p·ourront plus avoir lieu ». Dans le décret du 27 novembre 1790 portant institution d'un tri· buna! de cassation et réglant sa composition, son organisation et ses attributions - décret devenu loi par la sanction royale et promulgué quatre jours plus tard, le 1er décembre -elle a pris soin d'édi-cter expressément que le Conseil des parties était supprimé, comme l'office du chancelier de France, qui le pré-sidait lorsque le roi lais,sait son fautfï!uil vide (art. 3'~ et 31).

    Le grand souffle révolutionnaire a passé par là: le tribunal de cassation créé par la loi des 27. novembre . 1er décembre 1790 n'est pas plus le continuateur du Conseil· des parties que Jes tribunaux de district créés par la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judi-ciaire ne sont les continuateurs des parle-ments. Au contraire, ceux qui voulaient réno· ver la France ont été constamment hantés par le souci d'empêcher que les juges des nou-velles juridictions se croient les dépositaires des traditions des cours ou des conseils de l'ancien régime.

    Mais, objectera-t-on certainement, comment, dès lors, le règlement du 28 juin 1738 concer· nant la procédure à observer au Conseil des parties est-il encore aujourd'hui, partiellement tout au moins, en vigueur devant les Cours de cassation 'de France et de Belgique?

    Il semble que. la détermination de la pro-cédure de ca,ssation soit une tâche qui insp·ire une sorte de crainte révérentielle à ceux qui devraient l'entreprendre. .Le règlement du 28 juin 1738, demeuré longtemps manuscrit et publié en 1786 seulement par Tolozan, éÛlit l'œuvre du chancelier d'Aguesseau et de ses deux fils, ce qui, même en 1790, lui conférait un certain prestige. Sa longueur, la minutie de ses dispositions étaient de nature à faire hésiter le législateur devant l'ampleur et la difficulté du travail à accomplir pour lui subtstituer une réglementation nouvelle. As· saillie par d'autres problèmes, la Constituante adopta u·ne solution de facilité: la loi des 27 novembre . 1er décembre '1790 trace certaines règles, ,après quoi son article 29 . ajoute que « provisoirement et jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué, le règlement qui fixait la forme de procéder au conseil des parties sera exécuté au tribunal de ca&sation, à l'exception des p·oints auxquels il est dérogé... ».

    Ce provisoire subsiste encore en France et en BeJgique.

    Les textes français ultérieurs maintinrent le principe du référé à la procédure ancienne pour tous les points qu'ils ne réglaient pas eux-mêmets et la loi du 23 juillet 194.7, qui vient de modifier l'organisation et la procédu· re de la Cour de cassation, n'abroge, elle aussi (art. 72), que « les dispositions contrai-res », conservant ainsi leur force à de nom-breux articles du règlement de 1738.

    Chez nous, l'article 60 de l'arrêté du Prince souverain des Pays-Bas du 15 mal"ls 1815 édicta que, « dans tous les cas non prévus ... , on sui· vra les lois qui étaient en vigueur à l'époque de l'occupation de la Belgique, notamment le règlement de 173 7 » désignant ainsi le rè-glement du 28 juin 1738. L'article 58 de la loi du 4 août 1832 prescrivit que « provisoi-rement et jusqu'à ce qu'il y ait été autrement pourvu (c'est la reproduction à peu près lit·

    (6) Ernest Faye, La Cour de cassation (de France), p. 1.

    térale de la loi des 27 novembre • 1er décem· bre 1790) l'arrêté du 15 marr. 1815 sera suivi dans toutes ses dispositions, - y compris donc celle de l'article 60, - qui ne sont pas contraire1s à la présente loi ». La disposition préliminaire de la loi du 25 février. 1925 concernant la procédure en cassation en ma· tière civile n'abroge ni aucun texte antérieur à la Révolution française, ni l'article 29 de la loi des 27 novembre · pr décembre 179(), ni l'article 60 de l'arrêté du prince souverain du 15 mars 1815, ni l'article 58 de la loi du 4 août 1832.

    C'est ~insi qu'il nous arrive parfois - et le stagiaire frais émolu de l'université en avait été fort ému - de faire application de textes remontant· au Conseil des parties. Qu'on ne s'y trompe point: les quelques règles qui étaient observées au Conseil des parties et qui le sont encore à notre . Cour sont toutes des règles de pure procédure; elles visent la forme de nos travaux et n'en touchent pas le fond.

    Il n'y a pas lieu de tirer de c~tte survi· vance plus de déductions que du fait que les toge's rouges dans lesquelles nous nous dra· pons, comme les magistrats des ·cours d'appel, pour siéger aux audiences solennelles, imi-tent le costume des rois de France de la fin du moyen âge, conservé par les parlementaires d'avant 1789. Si nous les portons, ces robes rouges, c'est uniquement parce que le Premier Consul a pensé qu'il accroîtrait le prestige des juridictions créées par la Révolution en les re• vêtant d'une ap•parence extérieure qui rappe· lât l'ancien régime.

    Nous sommes l'œuvre ,de l'Assemblée natio· nale constituante.

    Quel caractère celle-ci nollis a-t-elle donné lorsqu'elle a créé le tribunal de cassation?

    Le procureur général Paul Leclercq, invo· quant des discours qui précédèrent le vote de la loi des 27 novembre · 1er décembre 1790, ct aussi des passages des travaux préparatoires de notre Constitution et de notre loi du 4 août 1832, soutenait, dans •sa mercuriale de 1925, que le tribunal de cassation de France. de 1790' était un agent du pouvoir législatif et que son héritière, la Cour de cassation de Belgique, représentait, comme lui, le pouvoir législatif auprès du pouvoir judiciaire; que, agent du pouvoir législatif, elle était chargée de surveiller l'œuvre du pouvoir judiciaire et de ramener, le cas échéant, celui-ci au respect de la loi. Après l'avoir, à trois reprise,s, qua-lifiée d'agent du pouvoir législatif, le procU· reur général Paul Leclercq était cependant contraint de reconnaître qu'elle avait part à l'exercice du pouvoir judiciaire, à l'œuvre du pouvoir judiciaire, en ce sens que ses décisions réagissaient sur l'œuvre du pouvoir judiciai·

    : re, que, lorsque la cassation se produisait, el-le anéantis,sait l'œuvre du pouvoir judiciaire qui devait la recommencer et que la cassation bénéficiait aux parties ( 7)..

    J'ai lu et relu, j'ai longuement médité la ' mercuriale de mon éminent prédécesseur. Sur

    ce point, il me faut, quoi qu'il :m'en coûte, me séparer de mon maître.

    c~est un tribunal, un organe du pouvoir ju-diciaire, que la Constituante a institué par la loi des 27 novembre · 1er décembre 1790. La Cour de cassation de Belgique, est, comme lui, un organe du pouvoir judiciaire; elle ne participe pas plus que les juridictions du fond du pouvoir législatif.

    Le corp·s qu'elle engendrait, la Constituante l'a baptisé tribunal de cassation et elle l'a bâ· ti suivant le modèle qu'elle avait adopté pour les autres tribunaux dans la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire. La Constitution du 3 septembre 1791, jurée par Louis XVI le 14, est le couronnement de son œuvre: c'est au chapitre V du titre III de cet· te constitution, chapitre intitulé c: Du pouvoir judiciaire » qu'elle a rangé toutes les disposi·

    (7) pp. 36, 41 et 54 à 56.

  • ti ons traitant du tribunal de cassation (art. 19 à 22 et 27).

    Tout au long de la sene de constitutions qui se sont succédé sous la Révolution jus-qu'à l'Empire, le tribunal de cas,sation appa· raît comme un tribunal de l'ordre judiciaire: si, dans l'acte constitutionnel du 24 juin 1793, on ne trouve aucune rubriqu·e: « Du pouvoir judiciaire », les articles relatifs au tribunal de cassation ( 98 à !nO) y sont placés immé· diatement après ceux qui règlent la justice ci-vile et la justice criminelle (85 à 9'7) et loin de ceux qui organisent le corps législatif (39 à 60!}. L'un des titres de la Constitution du 5 fructidor an III ( 22 août 1795), le titre VIII, est expressément consacré au: « Pouvoir ju-diciaire »; il contient les articles qui ont trait au tribunal de cassation (254 à 264). Le titre V (art 60 à 68) de la Constitution du 22 fri-maire an VIII (13 décembre 1799') est dé-nommé: « Des tribunaux » et vise à la fois le tribunal de cassation et les autres tribu-naux. Rapprochement identique du tribunal de caossation et des autres tribunaux dans le titre IX (art. 78 à 85) « De la ju:stice et des tribu-naux » du senatus-consulte organique de la Constitution du 16 thermidor an X ( 4 août 1802 ).' et dans le titre XIV (art. 134 à 136) < De l'ordre judiciaire » du senatus-consulte organique de la Constitution du: 28 floréal an Xli (18 mai 1804)~o dont l'article 136 donne au tribunal de cassation la dénomination de Cour de cassation en même temps qu'aux tribunaux d'appel celle de Cour d'appel.

    Et notre Constitution n'autorise, elle non plus, aucune hésitation sur la nature de la Cour de cassation de Belgique; il suffit de jeter les yeux sur les articles 92 à 107 formant le chapitre III « Du pouvoir judiciaire >> du titre III « Des pouvoirs » pour constater· que, lorsqu'ils ont voulu qu'il y eût une Cour de cassation (art. 95)1, le1s fondateurs du royaume ont entendu que cette Cour appartînt au pou· voir ju·diciaire autant que les cours d'appel et les tribunaux de première instance. La loi du 4 août 1832 qui nous a organisés était une loi

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    Comment songer à défendre la thèse que le tribunal de cassation serait l'agent du pou-voir législatif alol'ls que le pouvoir législatif n'a aucune part dans l'élection de ses mem· bres et est totalement impuissant à déclen· cher son action?

    A lire la mercuriale du procureur général Paul Leclercq, on serait tenté de comparer le tribunal de cassation à un chien de berger et le corps législatif au berger, maître du trou· peau: un juge· s'écarte-t-il de la droite voie en violant la loi, le tribunal de cassation l'y r:a· mène comme le chien du berger oblige la hre· his vagabonde à reprendre sa place place sous la houlette. Etrange chien de berger que ce chien que n'a point choisi le berger et que le berger est incapable de lancer à la pour-suite de la brebis qui s'éloigne!

    Il me reste un argument à rencontrer: l'ar· ticle 1er de la loi des 27 novembre . rr dé-cembre 1790 porte qu' « Il y aura un tribunal de cassation établi auprès du corps législatif». Ce texte est repris du décret· préparatoire de la Constituante du 12 août 1790, aux termes duquel le tribunal de cassation devait être unique et •sédentaire « auprès du corp·s légis· latif ». Il a été reproduit dans l'article 19 du chapitre V du titre III de la Constitution des 3-14 septembre 1791: « Il y aura pour tout le royaume un seul tribunal de cassation, établi auprès du corps législatif ». Ordonner que le tribunal de cassation serait établi auprès du corps législatif n'était-ce paiS en faire l'agent du pouvoir législatif? -

    Nullement. Si la Constituante a établi le tri· buna! de cassation auprès du corps législatif c'est à seule fin que celui-ci puisse plus aisé· ment veiller à ce que le tribunal de cassation n'excède pas sa mÏJssion.

    La Constituante était, nous le verrons, plei· ne de· méfiance à l'égard de l'ensemble des tribunaux qu'elle instituait et plus encore à l'égard du tribunal de cassation qu'elle pla-çait à leur tête pour réprimer leurs écarts. Elle n'a cessé de redouter que le tribunal de cassation acquière un prestige qui l'inciterait soit à •s'associer aux violations de la loi com· mises par les tribunaux ou à les couvrir, soit à lever lui-même l'étendard de la révolte en substituant, dans l'application de la loi, sa volonté à celle de la nation exprimée par le corps législatif. Pour apaiser ses craiM.tes, elle a envisagé les combinaisons les plus diverses et notamment celle de faire du tribunal de cassation une juridiction temporaire ambulante ou celle de le diviser en deux classes, l'une sié-~eant à Pads et formant le corps principal, l autre se composant de chambres réparties dans le royaume et chargées de l'instruction des causes. Finalement elle a reconnu la néces· sité d'en faire un corps unique et sédentaire mais elle a édicté qu'il siégerait auprès d~ corps législatif.

    Elle ne s'est pas bornée à affirmer ainsi le principe ·de la surveillance qu'exercerait le corps légi•slatif sur le tribunal de cassation. La loi des 27 novembre . rr décembre 1790 a précisé que < Chaque année, le tribunal de cassation sera tenu d'envoyer à la barre de l'assemblée du corps législatif~ une députation de huit de ses membres, qui lui présenteront l'état des jugements rendus, à côté de chacun desquels •sera la notice abrégée de l'affaire et le texte de la loi qui aura décidé la cassation» (art. 24) et la Constitution des 3-14. septem· hre 1791 a reproduit cette disposition à quel-ques mots p·rès (titre III, chap. V, art. 22).

    A quoi aboutira la surveillance ainsi exercée par le corps législatif sur le tribunal de cas· sation? Que pourra faire le corp•s législatif loDsqu:e cette surveillance lui révélera des choses qui ne le satisferont point?

    Cer!aine:n;tent, aviser aux mesures législati-ves necessaires pour que le tribunal de cassa-tion soit à même d'évacu~r régulièrement le•s affaires dont il est saisi. Certainement faire une I_oi nouvelle chaque fois qu'un jugement du tribunal de cassation montrera une lacune

    ou un vice de la législation existante. Certai· nement faire une loi interprétative chaque fois que la portée donnée à une loi par le tri· bunal de cassation heurtera le corps législa-tif.

    Celui-ci s~rait-il fondé à aller plus loin, à annuler, à casser les jugements du tribunal de cassation qui lui paraîtraient inexacts, à sta· tuer lui-même sur les pourvois dans le sens où il aurait voulu que le tribunal d~ cassation le fît? Ce serait, de sa part, intervenir dans le jugement des procès, •s'immiscer dans l'exercice du pouvoir judiciaire et porter atteinte au princip·e constitutionnel de la sépa· ration des pouvoirs.

    Aussi n'a·t·on vu le pouvoir législatif com· mettre pareil excès que dans une période d'ex-trême confusion, dans une période où le pou· voir législatif s'arrogeait une· tyrannique omnipotence: la Convention a, le 1er hrumai· re an II (22 octobre 1793), annulé un juge-ment du tribunal de cassation qui avait cassé un jugement du tribunal criminel du Pa•s·de-Calais par lequel un certain Flahaut avait été condamné pour introduction de faux assignats dans le territoire de la Républiqme; le décret de la Convention est rédigé comme un juge-ment; après des motifs de droit, il aboutit à ce dispositif: « Décrète que le jugement du tribunal de cassation du 3 août dernier est annulé et qu'en conséquence le ministre de la Justice donnera, sans délai, les ordres né· cessaires pour l'exécution du jugement rendu le 20 mai précédent par le tribunal criminel du département du Pas-de-Calais contre Char· les-François Flahaut » .. Le cas ne demeura pas unique ( l3) mais de quelques abus p·erpétrés par la Convention, qui a fait litière de la sé-paration des pouvoirs et •se les est appropriés tous, on ne saurait tirer argument pour l'in· terprétation de la loi du 27 novembre • 1er dé-cembre 1790 et de· la Constitution des 3-14 septembre 1791.

    La question n'offre d'aillem:s pour nous qu'un intérêt historique (14). A l'opposé des Constituants de 1789, les membres de notre Congrès national et de no•s premières Cham· bres avaient la plus grande confiance dans le pouvoir judiciaire et voyaient dans son indé-pendance la garantie suprême des droits des citoyens; ils n'ont plus songé à faire surveil-ler. la Cour de cassation par le pouvoir légis• lallf; la Cour de ca&sation de Belgique n'a pas été établie auprès du pouvoir législatif. ~an? d?~t~ celui-ci l'emporte-t-il sur le pou-

    vou JUdiciaire en ce sens que si, à la suite d'un arrêt de justice dont la doctrine lui pa-raît inadmissible, il fait une loi nouvelle la cour de cassation et tout le pouvoir judici~ire devront s'incliner, mais cette loi nouvelle. fût-elle interprétative, lais•sera debout les déci: ~io~s. ~endues définitive~ent par le pouvoir JUdiciaire avant son entree en vigueur

    . Notre loi ~u 7 j~llet 1865 a donné au prin· cip~ de. la, separatiOn des pouvoirs son appli· cation Integrale en supprimant l'intervention du p·ouvoir législatif en cas de conflit persis-

    (13) Voy. décrets du 6 brumaire an II (27 octo-bre 1793) et du 10 brumaire an II (31 octobre 1793).

    Parfois, tout. en annulant un jugement du tri-bun~! de cassatiOn ou en rejetant la pétition d'une parue qui _lui avait demandé pareille annulation, 1~ C~nv:ntton ,a , décrété des dispositions légales d app:tcatlon generale. Voy. décrets des 4-15 germ~nal an II, (24 mars-4 avril 1794) et des 28 germmal-6 floreal an II (17-25 avril 1794).

    (14) En Fra1_1ce, l'article 69 de la loi du 23 juil-let 1947 modifiant l'organisation et la procédure de la Cour de cassation édicte qu'il sera fait rap-P?rt annuellement au Conseil supérieur de la ma- · gt,st~atu:e ?e ~a marche, des proc&dures et de leurs delats d executiOn ; un etat complet des affaires non jugées, avec l'indication pour chacun~ de la date du pourvoi et de la chambre saisie, sera joint à chaque rapport annuel. Le contrôle du Conseil su-~érieur _de la magistrature tend à assurer la prompte evacuation cdes affaires déférées à la Cour de cas-sation.

    tant entre la Cour de cassation et les juridic-tions du fond et en obligeant alors la secon-de juridiction de r~nvoi à se conformer pour le jugement de l'affaire, à la décisio~ des chambres réunies de la Cour de cassation sur le point de droit.

    * ** Les fondateurs de notre droit public avaient

    de la séparation des pouvoirs une conception plus nette encore que celle des Constituants de 1789; dans notr~ Constitution et dans no-tre loi du 4 août 1832, or.ganique de l'ordre judiciaire, ils ont placé la Cour de cassation dans le pouvoir judiciaire, au sommet de ce-lui-ci, sans qu'aucune di•sposition la rattache le moins du monde au pouvoir législatif.

    Pour découvrir dans les travaux préparatoi. res de notre Constitution ou de la loi du 4 août 1832 des éléments à l'appui de la thèse qui fait de la Cour de cassation l'agent du pouvoir législatif, le procureur général Paul Leclercq a savamment disséqué les discoul'ls de quelques orateurs dont le but était surtout de mettre en lumière la différence profonde en-tre la compétence de la Cour de cassation et celle des juridictions du fond. Cette différen· ce, pour essentielle qu'elle ~Soit, n'implique ce-pendant pas, comme d'aucuns parmi les mem. bres du Congrès national ou de nos première·s Chambres l'ont peut-être cru, que la Cour de cassation ne soit pas une cour . relevant du seul pouvoir judiciaire au même titre que les cours d'appel et les tribunaux de première instance. En tout cas des opinions isolées ne sauraient prévaloir contre le texte clair et for. mel de notre Constitution et de nos loi•s.

    Voici un premier point sur lequel nous pou-vons dès à présent rassurer le jeune stagiaire effrayé par notre ésotérisme: nous sommes un organe du pouvoir judiciaire et rien d'au-tre; notre nature n'est pas plus complexe que celle d'une cour d'appel ou d'un tribunal de première instance.

    Quant à no•s attributions, elles nous sont propres. Dans l'exercice du pouvoir judiciaire! nous avons une activité qui nous singularise et diffère essentiellement de celle des cours d'appel et des tribunaux de première instance.

    Pour bien la comprendre, cette activité, il faut, encore une fois, remonter à nos origine·s, c'est-à-dire à la Révolution française.

    J'ai fait allusion tantôt à la méfiance de la Constituante à l'égard des tribunaux qu'elle créait.

    Certes les parlements avaient, dans la resiS· tance qu'ils avaient opposée à la royaut~. montré une fière indépendance qui leur avait valu quelque p·opularité. Mais nombre des protestations qu'il leur était arrivé d'élever contre les ordonnances ou les édits royaux semblaient leur avoir été dictés par la préoc· cupation de défendre leurs propres préroga. tives au moins autant que par le souci du hien public. Et même s'ils avaient pu tirer gloire de certaines remontrances qu'ils ·avaient faites au roi, encore fallait-il empêcher les tribunaux nouveaux de reprendre semblable attitude maintenant que le souverain n'était plus le roi, mais la Bation; il fallait écarter des tribunaux . nouveaux la tentation de mani-fester la moindre opposition à la volonté de l~ ~ati?n, . expr~ée, ~ans la loi par le corp•s le.gislatif; Il fallait eviter à tout p·rix qu'en ces tnbunaux nouveaux renaissent l'orgueil et l'esprit de caste des parlements. . S~n.s doute le~ juges seraient-ils élus par les JUStiCiab~es pour un terme bref, à l'expiration duque,l, Ils. ne po~rraient être continués que par reelectiOn (Loi des 16-24 août 1790 titre II, art. 3 et 4, titre III, art. 8 et titre XIi, art. 11). Force serait cependant de les choisir par-~I les personnes initiées au droit et aux pro· ces et ces personnes, on ne les trouverait que dans le monde judiciaire qui avait acquis sa formation sous l'ancien régime. La Consti· tuante s'était rendue à cette nécessité et avait. ~ort sagement, décrété que, pour pouvoir être elu d'un des tribunaux de district - les roua·

  • ges essentiels de l'organisation - il serait né-cessaire d'avoir été « pendant cinq ans juge ou homme de loi, exerçant publiquement au-près d'un tribunal (même loi, titre II, art. 9•)' 05). Le•s robins qui vivaient de la justice étaient loin de jouir de l'estime et de la con-fiance générales: la littérature du XVIIIe siè-cle ne l~s dépeignait pas plus favorablement que ne l'avaient fait Rabelais au XVIe et Ra-cine au XVIIe. Suffirait-il d'enlev~r la robe aux juges élus des tribunaux de district et de leur imposer l'habit noir avec le chapeau rond surmonté d'un ·panache de nlumes (16) pour transformer leur mentalité? N'allaient· ils point, malgré tout, essayer de reprendre le rôle des magi·strats des parlements, dont ils n'avaient supporté la superbe qu'en la jalon· sant?

    Sa méfiance à l'égard des tribunaux nou-veaux. la Constituante l'a manifestée dans la loi d'organisation judiciaire des 16-24 août 1790 dès la première disposition: moins le@ tribunaux jugeront, mieux cela vaudra. Elle ne leur a donné qu'une mission supplétive. car ce sont les arbitres q11i sont les juges na-turels. l:P. titre pr de la loi est consacré aux arbitres et son artide 1er proclame que « l'ar· hiirage étant le moyen le plus raisonnable de terminer les contestations entre les citoyens. les législateurs ne nourront faire aucune dis· position qui tendrait à diminuer, soit la fa· veur, ·soit l'efficacité des compromis ». ce que la constitution des 3-14 septembre 1791 a re· pris dans l'article 5 du chapitre V de son titre III: « Le droit des citoyens de terminer défi-nitivement leurs contestations par la voie de l'arbitrage ne peut recevoir aucune atteinte par les actes du pouvoir législatif ».

    Les tribunaux de district sont les ancP-tres de no1s tribunaux de première instance. L'ap· pel des jugements des juges de paix, lors-qu'ils sont sujets à l'apnel, est porté devant eux (Loi des 16-24 août 1790, titre III, art. 12). L'appel des jugements des tribunaux de dis· trict rendu·s en premier ressort seulement au-rait dû. semble-t-il, être déféré, lui aussi, à une juridiction supérieure. La Constituante redoutait bien trop le prestige qu'auraient fa. talement acquis des juridictions sunérieures et l'appétit d'autorité qu'il leur aurait donné; eJlf> a préféré au svstème que commandait la logi· que une combinaison ingénieuse: les tribunaux de district seront juges d'appel les uns des au-tre>S = lorsqu'il y aura appel d'un ju~ement, les partie" pourront convenir d'un tribunal entre ceux de tous les districts du Rovaume et la loi ne trace de règles que pour le cas où elles ne s'accorderaient point. en leur laissant d'ail-leurs, même alors, le plus de liberté possible (même loi, titre V, art. 1 à U):.

    Sous l'ancien régime, les édits et les ordon· nances, et la plup·art des actes royaux, devaient être transcrits sur les registres des Parlements et des tribunaux: ils ne devenaient obligatoires qu'après avoir été lus à l'au'dience et enregi1s· trés. Les parlements ordonnaient la transcrip· tion par un arrêt rendu après délibéré; ils s'au-torisaient à la refuser en faisant des remontran· ces et, pour que la transcription ait lieu, le roi devait alors tenir, au parlement de Paris, un « lit de justice » ou adresser, aux parlements de province, des « lettres de jussion ». Cette résistance de1s parlements irritait les rois, qui s'efforçaient de la briser. (17)

    (r5) Sur l'éli!!ibilité' aaux tribunaux de district, vov. aussi la loi des 2-1 1 septembre 1790, art. 1 à 8.

    Les juges de oaix pouvaient être choisis parmi les citoyens éligibles aux administrations de dépar-tement et de district ; les juges des tribunaux de commerce devaient être commerçants (Loi des 16-24 août 1790, titre III, art. 3 et titre XII, art. 9).

    (16) Loi des 2-II septembre 1790, art. 10.

    (17) Les rois voulaient que les parlements enre-gistrent d'abord, sauf à formuler des remontrances aorès coup. Telle était la portée, notamment, de l'art. 2 de l'ordonnance de Moulins de 1 5é6. Mais les rois avaient parfois besoin des parlements et ceux-ci en profitaient _pour reprendre leurs préro-

    Il ne pouvait plus être question d'une résis-tance quelconque des corp1s judiciaires sous le régime de la séparation des pouvoirs, avec pd· mauté du législatif, tel que le concevait la Cons· tituante: le 20 octobre 1789 déjà, elle décré-tait que « tous les arrêtés et décrets qui ont été acceptés ou sanctionnés par Sa Majesté soient, sans aucune addition, changement ni observation, envoyé1s aux tribunaux, munici-palités et autres corps administratifs, pour y être transcrits sur leurs registres sans modi-fication ni délai, être lus, publiés et affi. chés »; le 5 novembre suivant, elle menaçait de pouf!suites pour prévarication et forfaitu-re « toute cour, même en vacation, trihunal, municipalité et corps administratif qui n'au·· ront pas inscrit sur leurs registres, dans les trois jours ~près la réception, et fait publier. dans la huitaine, les lois faites par les rep·ré-·sentants de la nation, sanctionnées QU accep-tées par le roi » (18); dans la loi des 16-24 août 179'0, elle interdisait, à peine de forfai-

    gatives. Louis XIV avait, le 24 février 1673, re-nouvelé aux TDarlements l'injonction contenue dans l'ordonnance de Moulins; dès 17r 5, le Régent leur rendit le droit de remontrance préalable, pour prix de l'annulation, par le parlement de Paris, des dis-positions du testament de Louis XIV qui favori-saient le duc du Maine à son détriment ; il essaya bientôt de réagir et de retirer ce qu'il avait cQn-cédé ; le conflit fut ardent sous Louis XV; il n'était pas vidé en 1789. ·-voy. Dalloz, Répe-rtoir~~-v 19 Lois: D 09 133 et 134 et Organisation judiciaire, n° 77·

    (18) Les parlements ne cessèrent, jusqu'à leur suppression définitive, de déployer des efforts pour s'Ôpposer à l'entrée en vigueur du dreit révolution-naire.

    Le 3 novembre 1789, la Constituante avait dé-crété qu'ils continueraient à rester en vacance c::t que œux qui étaient rentrés reprendraient l'état de vacance, sauf aux membres des vacations à remplir leurs fonctions ; elle n'avait point touché, provisoirement, aux tribunaux inférieurs.

    Malgré les menaces de poursuitf'S que faisait pe-ser sur elles le décret du surlendemain, 5 novem-bre r789, les chambres des vacations des parle-ments ne s'inclinèrent pGint devant l'obligation qui leur était imposée d'enregistrer et de publier dé-sormais sans remontrances les actes du pouvoir législatif.

    Voy., en ce qui concerne le parlement de Rouen, le décret des ro et r2 novembre 1789, le parlement de Metz, les décrets des I7 et 25 novembre r789, le parlement de Rennes, les décrets des 8 et 15 décembre r789, la lettre patente ees 3-4 février 1790 et la proclamation des 6 février-ro mars r790, le parlement de Bordeaux, les décrets des 4 mars, 8 et 24 avril r790.

    Lorsque la loi des 6, 7-r r septembre 1790 ordonna que les cc parlements et généralement tous les tribunaux d'ancienne création, sous quelque titre et dénr,mination que ce soit, demeureront suppri-més n, que « les officiers des parlements tenant les cham bres des vacations... cesseront leurs fonc-tions, à Paris, le r ') octobre prochain, et, dans le reste du royaume, le 30 septembre présent mois n et C]Ue, ces jours là, les officiers municipaux se rendront en corps au palais, à l'heure de midi, pour y faire fermer et sceller les portes, qui servnt placées sous la garde de détachements des gardes nationales ou des troupes de ligne (art. 14 à r 6), les chambres des vacations ne manquèrent pas de protester une dernière fois. Déniant tout pouvoir à la Constituante et stigmatisant son œuvre, elles déclarèrent que l'enregistrement des lois décrétées par cette assemblée usurpatrice n'avait été opéré qu'à la charge d'être réitéré lors de la rentrée des parlements, et aue, puisque cette condition ne pou-vait olus se réaliser par suite de la suppression des p:1rlements, tootes les transcriptions devenaient nulles et de nul effet. Ce fut fe chant .du cygne des parlements ; ils voulurent exercer jusque dans les derniers spasmes de l'agonie les prérogatives dont ils s'étaient toujours targués ; ils révélèrent en même temos au'ils demeuraient sourds et aveu-gles à la révolution qui balayait un passé mort. .

    (Voy. Adolphe Wattinne, Magistrats célèbres du XVIIIe siècle, pp. 296 et 297).

    457

    ture, aux tribunaux nouveaux, de « prendre directement ou indirectement au(lune part à l'exercice du pouvoir législatif, (d')empêcher ou suspendre l'exécution des décrets du corps législatif sanctionnés par le roi » et elle leur ordonnait

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    qui, en même temps qu'elle le's ramènerait au respect de leurs · devoirs, annihilerait les actes par lesquels ils s'en étaient écartés.

    Cette censure des tribunaux, la Constituante ne l'a confiée ni au pouvoir exécutif ni, ce qui aurait pu davantage la séduire, au pou-voir légi,slatif, dont elle assurait la prédomi· nance: elle a eu la sage•sse - et c'est là un de ses titres de gloire - de vouloir que ce soit le pouvoir judiciaire qui se censure lui-même et elle a placé à sa tête u:n tribunal spé-cial, le tribunal de cassation, qu'elle a chargé de la mission d'annuler les actes dans lesquels les juge's iraient à l'encontre de la loi.

    Mais elle qui avait peur du prestige qu'ac· querraient des juridictions d'appel au point de ne point oser en créer, quelle méfiance devait lui inspirer un tribunal de cassation dont l'ac-tion s'étendrait sur le royaume entier, qui prendrait · l'allure d'une juridiction suprême régentant tous les tribunaux de France! . Pour qu'il puisse s'acquitter utilèment de sa

    tâche, il serait indi,spensable que les juges qui y seraient élus dépassent les autres par leur science et leur expérience; la nécessité commandait de recruter parmi les robins de l'ancien régime les magistrats des tribunaux de district; force serait de recourir, pour le tribunal de cas1sation, à des juristes ayant pra-tiqué pendant longtemps selon les errements abolis: lors des· trois premières élections, les-quelles se succéderaient de quatre en quatre ans, il faudrait, pour être éligible au tribunal de cassation « avoir, pendant dix ans, exercé les fonctions de juge dans une cour supérieure ou présidial, sénéchaussée ou bailliage, ou avoir rempli les Jonctions d'homme de· loi pendant le même temps » et, lors des élections suivantes, l'exercice des fonctions de juge ou d'homme de loi, pendant dix ans, dans un tribunal de district serait exigé (Loi des 27 novembre -1er décembre 1790, Forme de l'élec-tion du tribunal de ca1ssation, art. l et 6). La Constitu:ante n'avait certes pas lieu d'être plus rassurée sur la mentalité des juristes qui sié-geraient au tribunal .de cassation que sur celle des juges qui composeraient les tribunaux de district.

    Aussi, non contente d'avoir établi le tribunal de cassation auprès du corps législatif, afin que celui-ci le surveille (20), elle a, d'u:ne part, restreint autant qu'il était possible les attributions de la juridiction nouvelle et, d'au-tre part, veillé à ce que, chaque fois que le tribunal de cassation userait de son pouvoir, ordonnerait la cassation d'un jugement, sa dé· CI,Sion, loin d'être souveraine, soit, au contrai-re, elle-même soumise au contrôle d'une juri-diction inférieure.

    Dans la recherche des moyens de défense contre les excès auxquels pourrait se lais-ser aller le tribunal de cassation qu'elle app·e· lait à la vie, la Constituante a été dominée comme il se devait, par les souvenirs et le; enseignementls du passé qu'elle abolissait.

    . Du tribunal de cassation, ce qu'il fallait craindre, ce n'était pas seulement que tribunal il imitât les abus des parlements, c'é~ait aus,si que, tribunal de cassation, il se laissât entraî-ner vers ceux que l'on faisait reproche au Conseil des parties d'avoir commis dans sa censure delS parlements.

    Le 20 octobre 1789 déjà, la Constituante avait mis en lumière ce qu'elle trouvait d'es-sentiellement condamnable dans l'action du Conseil des parties lorsque, l'autorisant à continuer provisoirement ses fonctions, elle lui avait interdit formellement les « arrêts de propre mouvement » ainsi que les « évoca-tions avec retenue du fond des affaires ». ( 21)

    Il s'imposait d'écarter complètement l'éven-tua~ité que le tribunal de cassation connût ja-mais du fond des affaires: si l'on ouvrait aux parties la faculté de s'adresser au tribunal de cassation pour y faire juger à nouveau les

    (2o) Voy. ci-dessus p. 456. (2r) Voy. ci-dessus p. 454·

    p·rocès qu'elles prétendraient avoir été mal ju:-gées en fait par les tribunaux de di,strict ou si même on admettait que, après avoir cassé pour erreur de droit les jugements des tribu-naux de district, le tribunal de cassation se saisît des litiges afin de les juger définitive· ment en fait comme en droit, fatalement, d'après la Constituante, le tribunal de cassa-tion se griserait de sa souveraineté et aurait tendance à juger d'après ses propres concep-tions sans plu·s s'arrêter devant la volonté de la nation exprimée dans la loi comme devant un mur infranchissable. La Constituante a pro-clamé le principe que la compétence du tribu:-nal de cassation serait strictement limitée aux questions de droit et de forme; elle a orga-nisé l'application du principe de manière telle que, même quant à ces questions de droit et de forme, le tribunal de cassation, tout en ayant le contrôle des tribunaux de district, soit cep·endant contrôlé par eux.

    Après avoir décrété rlans la loi du 27 no-vembre - rr décembre 1790 que « sous aucun prétexte et en aucun cas, le tribunal (de cas-sation) ne pourra connaître du fond de's af-faires » (art. 3) elle donna force constitu-tionnelle à la règle dans la Constitution d~s 3-14 septembre 1791 (titre III, ch. V, art. 20·). L'acte constitutionnel du 24 juin 1793 répète que le tribunal de cassation « ne connaît point du fond des affaires » (art. 99); le principe est reproduit dans la constitution du 5 fruc-tidor an III ( 22 août 1795) (art. 255), dans celle du: 22 frimairs an VIII 03 décembre 1799) (art. 66) ; nous le retrouvons dans l'ar-ticle 95 de la nôtre.

    Quant à l'application du principe, il me ~~era aisé de vous indiquer comment la loi des 27 novembre · pr décembre 1790 l'a organisée car les mesures qu'elle a édictées sont, à bien peu de chose près, celles qu'ont reprises les premières Chambres belges dans la loi orga-nique du 4 août 1832.

    Le tribunal de ca,ssation « annulera toutes p·rocédures dans lesquelles les formes auront été violées et tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi. - Et jusqu'à la formation d'un code unique des lois civiles, la violation des formes de procédure pre,scrites sous peine de nullité, et la contravention aux loi's particulières aux dif-férentes parties de l'Empire donneront ouver-ture à la cassation. - Sous aucun prétexte et en aucun cas, le tribunal ne pourra connaître du fond des affaires. Après avoir cassé les procédures ou le jugement, il renverra le

    · fond des affaires aux tribunaux qui devront en connaître, ainsi qu'il sera fixé ci-après », tel est l'article 3 de la loi des 27 novembre -l er décembre 1790. « La Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires. - Elle cas-se les arrêts et jugements qui contiennent quelque contravention expresse à la loi ou qui sont rendus sur des procédures dans le,squel-les les formes, soit substantielles, soit prescri-tes à peine de nullité, ont été violées; elle renvoie le fond du: procès à la cour ou au tri-bunal qui doit en connaître >>, tel est l'article 17 de la loi du 4 août 1832

    La ca,ssation ne peut donc être ordonnée que pour contravention expresse à la loi dans Je jugement ou pour violation des for-mes dans la procédure, jamais pour erreur de fait, pour mal jugé au fond

    A cette fonction essentielle du tribunal de cassation - la cassation - l'article 2 de la loi de 1790, qui a trouvé sa réplique dans l'arti-cle 15 de la loi du 4 août 1832, ajoute celles « de juger les demandes de renvoi d'un tribu-nal à un autre, pour cause· de suspicion légi-time, les conflits de juridiction et les règle-ments de juges, les demandes de prise à par-tie contre un tribunal entier », c'est-à-dire d'une manière générale, de rétablir le cour~ de la justice quand il est entravé, mais sans q~e 1: tribunal de cassation ait jamais à juger lm-meme le procès qui a donné lieu à l'inci-dent.

    ;Lorosque, ayant constaté que la procédure a été irrégulière ou que la loi a été violée dans

    le jugement, le tribunal de cassation aura an-nulé, au·ra cassé, dans le premier cas, la pro-cédure et le jugement qui s'en e~t suivi, dans le second cas, le jugement seul, il ne pourra plus que se désintéresser du 'SOrt de l'affaire: puisque la procédure et le jugement ou tout au· moins le jugement sont annulés, le procès se trouve dans la même situation qu'avant la p·rocédure et le jugement ou avant le juge-ment annulés; c'était, à ce moment, un tribu-nal de district qui allait le juger; c'est un tri-bunal de district qui va le juger après la cas-·sation. Ce tribunal de district, le tribunal de cassation n'aura même point pouvoir de le choisir; il sera déterminé par les parties, dans les formes qui ont été prescrites à l'égard des appels, le demandeur en cassation étant assi-milé à l'appelant et le défendeur à l'intimé (Loi des 27 novembre- 1er décembre 1790, art. 19). (22)

    Le tribunal de district devant lequel l'affai-re reviendra ne 1sera en rien lié par la doctri-ne juridique du jugement du tribunal de cas· sation; il sera libre de juger en droit aussi bien dans le sens du premier ju·gement cassé que dans le sens du jugement de cassation. (23) « Si le nouveau jugement est conforme à celui qui a été cassé, porte la loi (art. 21, alin. Pr, in fine), il pourra encore y avoir lieu à la demande en cassation ». Vraisemblable-meut le tribunal de cassation cassera-t-il une deuxième fois. L'affaire sera portée alors par les parties devant un troisième tribunal de district, qui jouira d'autant de liberté que 1~ premier et le deuxième, « mais, lorsque le ju-gement aura été cassé deux fois, et qu'un troi-sième tribunal aura jugé en dernier res,sort, de la même manière que les deux premiers, la question ne pourra plus être agitée au tri-bunal de cassation, avant qu'elle n'ait été sou-mise au corps législatif qui, en ce cas, portera un décret déclaratoire de la loi; et lorsque ce décret aura été sanctionné par le Roi, le tri-bunal s'y conformera dans son jugement. » (art. 21, alin. 2).

    La loi des 16-24 août 179101 ordonnait aux juge,s, vous le savez (24), de s'adresser au corps législatif toutes les fois qu'ils croiraient nécessaire d'interpréter la loi. La disposition qui rend obligatoire l'intervention du corps législatif avant le troisième débat devant le tribunal de cassation est la euite logiqu~ de cette règle et on peut même s'étonner de ce que la Constituante n'ait pàts imposé le référé au corps législatif dès avant second débat de-vant le tribunal de cassation, car il semble hien que le désaccord entre deux tribunaux

    (22) L'article 21 de la loi des 27 novembre-! er décembre 1790 prescrivait que, lorsque la cas-sation aurait été prononcée pour contravention ex-presse au texte de la loi, et non pour violation des formes de la procédure, lorsque donc le jugement seul aurait été cassé, l'affaire serait portée à l'au-dience dans le tribunal qui en avait d'abord connu. C'était là le résultat d'une cc inadvertance dans les copies imprimées du décret >> de l'assemblée et uri décret rectificatif du 14 avril 1791 prescrivit que, dans ce cas aussi, l'affaire serait déférée· à un autre tribunal déterminé par les parties. Ce décret du 14 avril . 1791 reçut exécution, bien qu'il n'eût pas été sanctiOnné selon la formule alors usitée ; un arrêté du Directoire du 2 prairial an V (2r mai 1797) le confirma en ordonnant qu'il fût publié pour être exécuté comme loi de la République.

    (23) D'après le texte de l'art. 21 de la loi des 27 novembre- rer décembre 1790, dans le cas où le jugement seul aurait été cassé, l'affaire serait plaidée devant le tribunal de district sur .les moyens de droit seulement sans .aucune forme de procédure, et sans que les parties ou leurs défenseurs puissent plaider sur le point réglé par le premier jugement. Les constatations de fait du jugement cassé de-meuraient donc acquises et le second tribunal de distr~ct, était l~é par elles. On sait que la règle a été ~od1fiee depms et . que le jug: de renvoi eloit juger a _nouveau le_s pmnts de fait aussi bien que les pomts de droit. (Voy. Paul Leclercq, Mercuriale de 1925, PP· 39 et 4o).

    (24) Voy. ci-dessus p. 457·

  • de district et le tribunal de cassation suffisait à démontrer que la loi n'était pas claire et requérait interprétation.

    Envisageons maintenant l'hypothèse inver· se: le tribunal de district saisi après cassation adopte, non la thèse juridique du p·remier tri~ bunal de district dont le jugement ·a été cassé, maitS celle du tribunal de cassation. La nou-velle demande. en cassation - qui serait for-mée, cette fois, par l'autre partie - ne sera pas recevable. C'est, du moins, ce que la Cour de cassation de Belgique a déduit du fait que la loi des 27 novembre · 1 cr décembre 1790 (art. 21, alin. 1er, in fine) n'ouvre la demande en ca&sation contre le jugement du deuxième tribunal de district que si ce jugement est conforme à celui qui avait été cassé. (25)

    Le tribunal de cassation est donc étroite-ment . vin culé: il ne connaît que des questions de droit; si, sur un point de droit, il se met en opposition avec la thèse adoptée par le juge du fond dans le jugement qui lui est déféré, sa décision sur ce point de droit n'ac-quiert de force que pour autant qu'un autre juge du fond s'y rallie; au conflit existant sur un point de droit entre le tribunal de cassa-tion et un ou des tribunaux de district, un tribunal de district peut mettre définitivement fin, le tribunal de cassation est impuissant à le faire.

    Avais-je tort de vous mettre en garde con-tre le's esprits superficiels qui, se fiant à de vaines apparences, nous rep·résenteraient com-me les continuateurs du Conseil des parties, de cet organe du despotisme par lequel les rois, tenant de Dieu' tous les pouvoirs, exer-çaient la justice retenue et terminaient les procès par des décisions souveraines en fait aussi bien qu'en droit.

    Les. dispositions de la loi des 27 novembre-1er décembre 1790 que je viens d'analyser ont été reprises ou ré,sumées dans la Consti-tution des 3-14 septembre 1791 (titre III, cha p. V «Du pouvoir judiciaire», art 19 à 21). Elles sont demeurées à la base de notre institution avec ces seules innovations que la Cour de cassation désigne maintènant la juridiction de renvoi ( 26) et que, loDsque cette juridic-tion de renvoi statue dans le sens de la déci-sion cassée - contrairement, don,c, à la· thèse de la Cour de cassation - c'est celle-ci qui, sur second pourvoi, résout définitivement la questio.n de droit: aux termes de la loi du 4 août 1832 (art. 23 à 25), la cause était, sur se-cond pouryoi, portée devant les chambres réu-nies . et, si celles-ci cassaient à nouveau, le gou-verne~p.ent devait. provoquer une loi interpré· tative à laquelle les cours et tribunaux étaient tenus de se conformer dans toutes les aff~ires non définitivement jugées; la. loi du 7 juil-let 1865 a ·sup·primé le recours à la loi ùiter-prétative et édicté que; lorsque ·les chambres réunies s'en tiennent à la doctrine juridique du premier arrêt de cassation et cassent à leur tour, « le juge du fond, à qui l'affaire est ren-voyée, ·se conforme à la décision de la Cour de cassation sur le point de droit jugé par cet-te Cour » (art. 2). La Cour de cassation résout définitivement la. question de droit, mais elle· ne la résout que pour le ju:gement de l'affai-re qui a donné lieu aux pourvois successifs; les trois cours d'appel et tous les tribunaux, en eux· compris la juridiction à laquelle l'af. faire est renvoyée, demeurent libres de la ré-soudre autrement pour le jugement des au-tres affaires qui leur seraient soumises.

    (25) La Cour de cassation de Belgique a cons-ta_mm7nt attribué cette portée à la partie finale de l'alinéa 1er de l'art. 21 de la loi des 27 novembre-x er décembre 1790, jusqu'au moment où l'art. xer de ·la loi du ·7 juillet x865 a consacré sa thèse. La Coll:r de ·cassation · de France a cependant admis · un système opposé. (Voy. Scheyven, Traité pra-tique ·.des pourvois en cassation, 2e édit., n ° 196, p. 398 ; - Dalloz, Répertoire, V° Cassation, c

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    douter que la partie déboutée. et pouvant ISe plaindre d'une violation de la loi s'abstien· drait de saisir le tribunal de cassation ; ils considéraient que le danger était beaucoup plus de voir abonder les pourvois injustifiés que de constater la cal'en~ d'un intéressê lais-sant invengée la loi violée.

    Encore fallait-il cependant prévoir l'hypo-thèse qui, pour être peu vraisemblable, n'était cependant pas irréalisable, où des plaideurs renonceraient à déférer au tribunal de cassa-tion une violation de la loi ou des formes.

    La Constituante allait-èlle permettr·e· au tri-bunal de cassation de se saisir d'office de cet-te violation de la loi ou des formes? Ç'aurait été faire renaître le Conseil des parties et ses « arrêts de propre mouvement :). Elle a dé-crété que le tribunal de cassation pourrait exercer sa censure pourvu qu'il en fût requis par le ministère public, par le commissaire du roi établi auprès de lui (34)1.

    Un jugement en dernier ressort est-il c: di-rectement contraire aux lois on aux formes de procéder > et les parties l'acceptent-elles sans introduire de pourvoi, l'article 25 de la loi des 27 novembre · 1er décembre 1799 habilite le commissaire du roi à en donner proprio motu connaissance an tribunal de ca&sation. Le commissaire du roi se substituera donc aux parties.

    Mais cette initiative du ministère public ne rappellerait-elle pas de trop près encore la procédure de « propre mouvement » ? La Con•stitnante a eu la hantise qu'on pût le lui rep•rocher et elle a aussitôt précisé, d'une part, que le commissaire du roi ne serait capable d'agir que lorsque certitude serait acquise qu'aucune des parties ne le ferait, lorsqu·e le délai serait expiré, et, d'autre part, que les parties ne pourraient se prévaloir de la cas-sation ainsi ordonnée pour éluder les dispo-sitions du jugement, lequel vaudrait transac-tion pour elles (même article).

    En. violant la loi dans son jugement, u'n tri-bunal commettait un excès de pouvoir au sens large de ces termes puisqu'il substituait, pour le jugement d'une affaire, 'Sa volonté à celle de la nation exprimée par le corps législatif dans la loi Mais il était concevable que les tribunaux se rendent coupables d'excès de pouvoir plus caractérisés encore à l'égard des·

    (34) Aux termes de l'article 2 3 de la loi des 27 novembre- 1er décembre 1790, " ·il y aura, auprès du tribunal de cassation, un commissaire du roi qui sera nommé par le roi, comme les com-missaires auprès des tribunaux de district, et qui aura des fonctions du même genre ».

    ~es c~m~issaire.s du roi . sont des agents du p~uvotr executif aupres des tnbunaux. Le roi les nom-me ; il est impuissant à les révoquer : à l'inverse des juges, élus à temps, ils sont nommés à vie ; comme les juges, ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture dûment jugée par juges compétents. Leurs fonctions consistent à faire observer ·les lois dans les jugements à rendre et à faire exécuter les tug;me~ts rendus, lorsque l'ordre public y est Interesse ou lorsque les particuliers sollicitent leur intervention ; ils veillent aussi au maintien de la di~cipline et à la régularité du service dans chaque tnbunal. Au civil, les commissaires du roi exer-cent leur ministère, non par voie d'action, mais seulement par celle de réquisition, dans les procès dont les juges ont été saisis ; ils sont entendus dans les causes des incapables et dans celles qui concernent les propriétés ou les droits, soit de la nation, soit .d'une commune ; ils sont chargés en outre de veiller pour les absents indéfendus. Ils ne sont psint accusateurs publics - ceux-ci sont nommés par le peuple -; ils dénoncent au direc-teur du jury, soit d'office, soit d'après les ordres qui leur sont donnés par le roi, certains attentats délits et rébellions, mais ils sont entendus sur tou~ tes les accusations et requièrent, pendant le cours de l'instruction, pour la régularité des formes et, avant le jugem._ent, pour !'.application de la loi (Loi des 16-24 aout 1790, titre II, art. 8 et titre ':III; Constitution des 3-14 septembre 1791, titre III, chap. IV, art. 2 et chap. V, art. 2, 25 et 26).

    quels cette cassatio_n confinée dans le domaine de l'abstraction serait iD'snffisante, voire déri· soire. La Constitution des 3·14 septembre 1791 édictait que les tribunaux ne pouvaient ni s'immiscer dans l'exercice du· pouvoir législa-tif, ou suspendre l'exécution des lois, ni en-treprendre sur les fonctions administratives, ou citer devant eux les administrateurs, pour raison de leurs fonctions (titre III, chap. V, art. 3). Qn 'arriverait-il si un tribunal refusait de faire transcrire et de publier une loi afin de ne la point appliquer ou prétendait exer-cer des attributions réservées à l'exécutif? Pareilles atteintes an principe de la séparation des pouvoirs fausseraient les rouages essentiel•s des institutions et la cassation platonique or-ganisée p·ar l'article 25 de la loi de 1790 se-rait impuiiSsante à rétablir le fonctionnement normal des pouvoirs constitutionnels.

    Allait-on confier an pouvoir législatif et au pouvoir exécutif le soin de réprimer eux-mê-mes les excès commis par le pouvoir judieiai· re par empiètements sur leurs domaines res· pectifs? C'eût été subordonner le pouvoir ju-diciaire aux deux autre•s. .La Constituante ne l'admit point et, quelque méfiance qu'elle eut à l'égard du tribunal de cassation, elle cou-ronna le· chapitre de la Constitution de 1791 réservé au pouvoir judiciaire (le chap. V du titre III) par une disposition finale (art. 27) qui consacre l'indépendance de celui-ci: c'est le p·ouvoir judiciaire lui-même qui, par la plus haute des juridictions qui le composent, annulera les excès de pouvoir dont se ren· draient coupables les juges: si l'excès de pou-voir dépasse la violation de la loi ou des for· mes dans un jugement, le commissaire du roi agissant, cette fois, non point proprio motu mais sur l'injonction du ministre de la Justi· ce, en sai•sira le tribunal de cassation qui, lorsqu'il jugera que l'acte constitue réellement un excès de pouvoir, l'annulera complètement et provoquera même évenUtellement la pour-suite de ses auteurs pour forfaiture.

    Le pourvoi du procureur général dans l'in-térêt de la loi seulement, le pourvoi du pro· curenr général sur ordre du ministre de la justice p·onr excès de pouvoir sont encore d'application aujourd'hui en vertu de textes qui diffèrent peu de ceux élaborés par la Constituante (35). Ils ont un caractère trop exceptionnel pour avoir d'autre portée que de confirmer la règle que c'est aux parties inté· ressées qu'il incombe de mettre en mouvement la procédure de cassation.

    Qu~ signifie dès lors la phrase que l'on en· tend répéter comme une sorte d'adage: « la Cour de cassation n'existe que dans l'intérêt de la loi; elle n'existe pas dans l'intérêt des parties »?

    Cette formule est, comme la plupart des formules fausses, dangereuse; d'aucuns sont même tentés d'y voir que la Cour est autorisée à toutes les lenteurs qui ne compromettent pas l'intérêt de la loi - et la loi ne se plaint pas - sans qu'elle ait à se préoccuper de l'in-térêt qu'ont les parties à obtenir qu'un arrêt intervienne sur le pourvoi.

    Confiant aux parties la mission de dénoncer au tribunal de cassation les violations de la loi, la Constituante aurait fait de cette mis-sion une sorte de •service public, que le de-mandeur en cassation aurait à acc8mplir par pur devoir civique, sans qu'il ait intérêt au succès de la procédure dont il aurait à assn· mer les frais et les risques?

    Certainement pas. La Constituante a, an con· traire, spéculé sur l'intérêt que les parties au· raient à user du recours en cassation; elle a compté sur cet intérêt pour que les violations de la loi commises par les juges fussent p·or·. tées à la connaissance du tribunal de cassa· ti on.

    Comment comprendre, dans l'hypothèse où

    (35) Article Bo de la loi du 27 ventôse an VIII (rB mars r8oo), 441 et 442 du Code d'instruction criminelle et 29 de la loi du 4 août 1832.

    la partie, en dénonçant une violation de la loi à la Cour de cassation, accomplirait un servi-ce public désintéressé, que la Cour de cassa· tion puisse écarter son pourvoi sans même vé-rifier si cette violation de la loi existe et lui opposer d'office une fin de non-recevoir tirée de ce qu'elle n'a point d'intérêt à s'en pré· valoir? Tou·s les arrêts qui rejettent des pour· vois ou des moyens pour défaut d'intérêt du demandeur sont la condamnation de la thèse que la Cour de cassation n'existe pas dans l'intérêt des parties car il serait absurde de faire grief à une partie de n'avoir point in· térêt à former telle demande en cassation en· visagée in specie ISÎ l'objet d'une demande en cassation ne pouvait jamais et en aucun cas offrir d'intérêt pour elle.

    Pour les pourvois en cassation comme pour toutes les demandes en justice, on peut trans· poser en règle juridique la maxime de la Rochefoucauld que l'intérêt est la mesure des actions et c'est l'évidence même qu'une partie ne sera recevable à poursuivre la cassation d'une décision de jn:stice qui, à ses yeux, vio· le la loi, que pour autant qu'elle ait intérêt à ce que cette décision soit annulée, pour au~ tant qu'elle ait intérêt à obtenir que son pro· cès soit jugé autrement qu'il l'a été.

    En réalité, la formule « la Cour de cassa· ti on n'existe que dans l'intérêt de la loi; elle n'existe pas dans l'intérêt des parties » traduit inexactement une vérité qui doit s'exprimer de manière beaucoup plus nuancée.

    Puisque, constitutionnellement, vous ne con-naissez pas du fond delS affaires, puisqu'il vous est interdit de rechercher si la décision qui vou's est soumise et dont la cassation vous est demandée a bien ou mal jugé en fait le litige, votre mission est confinée dans la véri. fi cation de la légalité de cette décision: les formes de la procédure ont-elles été observées avant qu'elle fût rendue et son dispositif, rap· proché de ses motifs, est-il conforme ou con· traire à la loi?

    Le dispositif est-il appuyé de plusieurs mo· tifs, la condamnation à une peine unique est· elle rattachée à la constatation de plusieurs infractions, on conçoit aisément que le de-mandeur ait intérêt à faire annuler certains de ces motifs, à faire annuler la constatation de certaines de ces infractions. Cependant, il ne sera pas recevable à faire valoir cet intérêt dans le calS où, sa demande étant reconnue fondée, les autres motifs, non critiqués par lui, la constatation des autres infractions, non visées par lui dans son moyen, suffiraient à justifier le dispositif: en effet, malgré l'ac-cueil du moyen, le dispositif, rap·proché des motifs demeurés intacts puisque non attaqués. continuerait à être conforme à la loi et vous ne pourriez ordonner la cassation sans excé-der les_ bornes de votre mission.

    Pour repousser le moyen par une fin de non-recevoir, vous n'aurez pas égard à l'inté· rêt du demandeur - c'est sans doute pour cela que l'on dit qu'e vous n'existez pas dans l'intérêt des parties -; vous n'aurez égard qu'à la mission constitutionnelle de la Cour de cassation, qui est limitée à la vérification de la légalité des arrêl!s et des jugements, sans contrôle de leur bien ou mal fondé en fait -et c'est sans doute pour cela que l'on dit flUe vous n'existez que dans l'intérêt de la loi.

    Ne vaudrait-il pas mieux affirmer tout sim-plement que, quel que soit l'intérêt que le demandeur a à formuler un moyen, il n'est recevable à vous en saisir qu'à la condition que ce moyen entre dans les limites de votre compétence, qu'à la condition que, accueilli, ce moyen révèle que la déci•sion entreprise n'est pas conforme à la loi?

    Une action intentée devant la Cour de cas-sation n'aboutira qu·e si elle fait apparaître qu'un arrêt à violé la loi; si l'action telle qu'elle est intentée devant la Cour de cassa· tion, le moyen tel qu'il est p·roduit, ne sont pas Ole nature à établir que l'arrêt attaqué a violé la loi, ils sont voués à l'insuccès et, s'ils sont voués à l'insuccès, on peut, dans un cer-tain sens, dire qo:e le demandeur est sans in·

  • térêt à l'intenter ou à le produire. Aussi, au demandeur, qui, condamné à un an de prison pour trois vols qualifiés, soutient que deux de ceux-ci n'ont pas été légalement établis -et dont le moyen est donc fatalement voué à l'insuccès puisqu:e, rapproché de la constata· tion, non critiquée, du troisième vol, le dispo· sitif demeurerait conforme à la loi - peut· être répondrez-vous que son moyen est non recevable à défaut d'intérêt.

    Cette réponse elliptique troublera le jeune stagiaire dont j'évoquais l'étonnement au dé-but de ~tte mercuriale. Son émoi ne sera pas apaisé si, p·ou'r se faire expliquer votre arrêt, il s'adresse à un ami des formules· impé· nétrables qui se borne à lui déclarer senten· cieusement que la Cour à appliqué le prin· cipe qu'elle n'existe que dans l'intérêt de la loi et demeure tSourde à celui des parties.

    Messieurs, le temps s'écoule et, alors que je vais vou:s répétant que la mission de la Cour de cassation est de réprimer les violations de la loi, voici que moi-même, je suis entraîné sur la pente qui mène à la violation de la loi. Si -rarticle 222 de la loi du: 18 juin 1869· commande aux procureurs généraux près lee cours de prononcer un discours aux assem· blées générales qui suivent les vacances, c'est sans doute pour que chacun, en entendant leurs p·ropo•s sans agrément comprenne que sent passés les jours de détente et que recom· menee l'existence laborieuse; afin de vous re· plonger d'emblée dims une atmosphère de travail austère, le législateur a voulu que l'an· née judiciaire débutât pour vous par ce qu:'il y a ·de moins agréable dans vo•s fonctions: écouter votre procureur général. J'irais cepen· dant à l'encontre de sa volonté en abusant de ma prérogative et en poussant ma lecture jusqu'à faire naître en vous une invincible fa. tigue, qui placerait la reprise de vos travau'X sous le signe de la somnolence.

    Je m'arrête donc et vous donne rendez. vous à une autre audience de rentrée.

    En m'accordant termes et délais pour la suite de mon exposé, vous m'aiderez à nour· rir une illusion peut-être vaine, mais certai-nement réconfortante : l'homme a beau vieil; lir, il aime se bercer de rêves d'avenir et qu:a-lifier ces rêves de projets.

    J'ai pas mal de choses encore à vous dire. La Constituante avait de la perfection par

    la loi, et spécialement des lois que ferait le législateur nouveau, une conception que l'ex· périence a démentie; elle croyait fermement que sous le régime de la séparation des pou-voirs, les tribunaux ne participeraient plus en

    rien à l'élaboration du droit et c'est pour qu'ils ne pu'Ïssent plus participer en rien à l'élaboration du droit et se bornent à appli-quer quasi mécaniquement des lois parfaites qu'elle nous a institués; - il est aujourd'hui hors de discussion que jamais les lois ne se· ront parfaites comme le concevait la Consti· tuante et que, malgré la séparation des pou-voirs, les tribunaux sont fatalement appelés à participer à l'élaboration du' droit en inter· prétant les lois, en les complétant et en les adaptant aux nécessités nouvelles nées des transformations morales et matérielles d'une société en éternel devenir. De la participation des tribunaux à l'élaboration du droit, que nous étions destinés à empêcher, nous avons pris la direction et cette direction, il est •so· cialement indispensable qu'elle demeure con· fiée à une juridiction unique et confinée dans le domaine du droit, semblable à ce que, pour d'autres fins, la Constituante a voulu que nous fussions.

    La Constituante nous a privés d'autorité matérielle, ne nous permettant d'acquérir d'autre autorité qu'une autorité morale; cette autorité morale. nous l'avons acqui•se et il es;t socialement indispensable que nous la conser· vions pour nous acquitter de notre tâche de conducteurs de l'évolution du droit ...

    Mais p·ourquoi gâter vos vacances des pro· chaînes années en vou:s faisant entrevoir dès à présent le discours qu'une fois au moins en· core vous aurez à subir pour en payer la rançon?

    Lai&sez-moi plutôt sacrifier à la pieuse cou-tume qui nous fait évoquer, avant que nos audiences retrou'Vent leur rythme régulier, le souvenir de ceux des nôtres qui, au cour~ de ces douze derniers mois, ont cessé d'avoir part à nos joies et à nos peines ou à nos inquiétu· des : le vicomte Terlinden, le grand procu-reur général qui, par la fermeté de son âme et la vigueur de son intelligence, incarnait si magnifiquement la noblesse des fonctions du ministère public ; le bâtonnier René Marcq, cette haute figure de la science juridique, ce symbole des vertus professionnelles et civi-ques, ce cœur ardent conduit par un cerveau splendide; le président Louis Fauquel, le mo· dèle des magistrats, dont on ne saurait dire s'il était plus savant ou plus hu:main et qui, par son savoir, son esprit plein de grâce au· tant que de force, sa ponctualité à remplir ses devoirs et l'aménité de son caractère, avait su conquérir toutes les amitiés. N ons avons été durement frappés. Serrons nos rangs, unissom; nos efforts afin de nous montrer dignes de continuer l'œuvre qu'ont illustrée de tels hom· mes.

    JURISPRUDENCE Cass. ( 1re ch.), 2 juillet 1948.

    Prés. : M. SoENENS, pr. prés.

    Rapp. : M. SoENENS, pr. prés. Min. publ. : M. Raoul HAYOIT DE TERMICOURT,

    pr. av. gén.

    (Steenmans Jean-Baptiste c:. Société Nationale des Chemins de fer belges.)

    CASSATION. - Violation d'un statut disciplinaire. - Article 9 de la loi diu 25 février 1925. - Non applicaJble.

    Le statut disciplinaire du personnel de la S. N. C. F. B. n'est ni une loi, ni une disposition ayant force de loi; la violation d'une de ses stipulations ne constitue donc point la violation d'une disposition légale au sens de ces ter-. mes dans l'article 9 de la loi du 25 fé-vrier 1925.

    Vu l'arrêt attaqué rendu le 13 février 1946 par la Cour d'appel de Bruxelles;

    Sur les troisième et quatrième moy-ens, pris le troisième de la violation des articles 97 de la Constitution, 13 du chapitre XIV, intitulé Statut Disci-plinaire, du statut du personnel arrêté par la Commission paritaire en séance du 14 octobre 1932 et communiqué au personnel le 25 novembre 1932, en ce que l'arrêt attaqué, tout en reconnais-sant que le chef du demandeur n'a pas assisté à la séance du Conseil d'appel du 28 juillet 1938, n'en a pas moins décidé que l'article 13 a été respecté puisque le chef y a été représenté par M. G. ingénieur en chef et que rien ne permet de dire que celui-ci n'était pas son délégué compétent et n'avait pas une connaissance parfaite des faits re-prochés au demandeur et qu'au surplus, à la dite séance, le demandeur n'a dressé aucune critique contre la sup-pléance de M. D. par M. G., alors que:

    La décision ne constate pas que M. D., le chef, était empêché, qu'elle ne cons-tate pas davantage que M. Galle était

    461

    son délégué et qu'il avait une connais-sance complète des faits le rendant com-pétent;

    Alors aussi que le demandeur, s'il n'a élevé à la séance aucune critique contre la composition du Canseil d'appel, ce qu'il conteste d'ailleurs formellement, n'était pas forclos du droit de se préva-loir ultérieurement de la violation de l'article 13 contenant une disposition essentielle, protectrice de ses droits:

    Le quatrième, pris de la violation des articles 97 de la Constitution, 13 de la loi du 23 juillet 1926 créant la S. N. G. F. B., 14 du Chapitre XIV, intitulé Sta-tut Disciplinaire, du Statut . du Person-nel arrêté par la Commission paritaire en sa séance du 14 octobre 1932 et com-muniqué au personnel le 25 novembre 1932;

    En ce que l'arrêt attaqué a considéré comme motivé l'avis du Conseil d'appel comportant, en dehors du dictum, la punition proposée, le libellé des faits re-prochés au demandeur, la constatation que le Conseil a vu les pièces du dossier et a entendu le greffier en son rapport, le prévenu dans ses moyens de défense, de même que le représentant de la so-ciété et le défenseur du prévenu, l'affir-mation du délibéré, enfin le considé-rant suivant: « Attendu que les faits re-pris ci-dessus sont établis »;

    Alors que l'article 14 faisait un de-voir au Conseil d'appel d'envoyer le dos-sier au directeur général de la société, accompagné de son avis motivé, ce que l'on conçoit aisément d'ailleurs puisque la décision finale appartient au direc-teur général et que celui-ci doit être mis à même d'apprécier les motifs qui ont déterminé l'avis du Conseil d'appel, ce que la simple affirmation que « les faits sont établis » ne lui permet pas de faire.;

    Attendu que ces moyens reprochent à l'arrêt d'avoir soit inexactement inter-prété les articles 13 et 14 du statut dis-ciplinaire du personnel de la défende-resse, soit d'en avoir méconnu la force obligatoire entre parties;

    Attendu que ce statut n'est ni une loi ni une disposition ayant force de loi· que la violation d'une de ses stipula: tions ne constitue donc point la viola-tion d'une disposition légale au sens de ces termes dans l'article 9 de la loi du 25 février 1925;

    Attendu que, n'indiquant point com-me violées les dispositions légales rela-tives à la foi due aux actes et à la force obligatoire des .conventions erifre· par-ties, les moyens sont non recevables;

    Par ces motifs: Rejette le pourvoi. ..

    Cass. (1re ch.), 15 avril 1948. Prés. : M. SOENENS, pr. prés. Rapp. : M. LoUVEAUX, cons. Min. publ. : M. CoLARD, av. gén.

    (Lemaitre E., Michelon L., Ockier E., c. Ep. Van den Berghe-Billiet.)

    PROCEDURE CIVILE. - Enquête. Prorogation. - Fixation d'une date nGu-velle. - Appréciation souveraine du juge de fond.

    Le juge du fond apprécie souverai-nement, suivant les circonstances de fait de la cause, s'il y a lieu d'accueil-lir la demande en prorogation ou en fixation d'une nouvelle date d'enquête,

    Vu l'arrêt attaqué rendu le 21 juin 1945 par la Cour d'appel dé Gand;

    Sur le moyen unique, pris de la vio-lation des articles 255, 256, 267, 414 du Code de procédure civile, 97 de la

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    Constitution et des droits de la défen-se;

    En ce qu'après avoir constaté qu'il résulte du procès-verbal du juge com-missaire que le 1er juin 1944, date fi-xée pour l'enquête contraire, les deu parties ainsi qu'un témoin étaient pré-sents, que, « par conséquent il pouvait être procédé à l'audition du témoin présent », que, « si certains témoins n'avaient pu se déplacer par suite des d,ifficultés de communication, il était indiqué de faire entendre ces person-nes par voie de commission l"!ogatoi-re » et que « les témoins qui n'avaient pas répondu à l'assignation pouvaient être réassignés », et d'autre part, que les d:emarideurs n'avaient pas absolu-ment et inconditionnellement renoncé à l'enquête contraire, l'arrêt attaqué a décidé que l'opposition des défendeurs à la demande en prorogation ou en nouvelle fixation de date apparaissait comme fondée, qu'il n'y avait pas lieu de fixer un autre jour pour l'enquête contraire et que_ les enqu~tes étaient définitivement cloturées;

    Première branche, alors que les de-mandeurs avaient le droit -de faire en:.. tendre leurs témoins dans une enquête contraire, et qu'' en conséquence les ju-ges du fond avaient l'obligation d'ordon-ner la prorogation de l'enquête ou de fixer un nouveau jour;

    Deuxième branche, alors qu'à tout le moins l'arrêt, n'ayant pas indiqué le motif pour lequel les demandeurs peu-vent être privés du droit de faire en-tendre les témoins, n'a pas motivé sa décision, d'autant plus qu'implicite-ment il admet que les témoins absents le 1er juin étaient, par force majeure, empêchés d'~être présents à la date fixée;

    Troisième branche, alors qu'en tout cas, il est contradictoire de constater d'une part que la déposition du témoin présent pouvait être reçue, que les té-moins absents poùvaient être réassi-gnés ou devaient être entendus par commission rogatoire, et que les de-mandeurs n'avaient pas renoncé à l'au-dition des témoins, - et, d'autre part, qu'il n'y avait pas lieu à prorogation ni à une nouvelle fixation de jour pour l'enquête; ce qui revient à la fois 'à ad-mettre le droit des demandeurs à l'au-dition _des témoins et à les priver de ce droit, ce en contravention à l'arti-cle 97 de la Constitution suivant lequel une motivation contradictoire ne peut servir de base légale à une décision ju-diciaire;

    Quatrième branche, alors qu'il est également contradictoire, d'une part, d'admettre implicitement que certains témoins ont été empêchés par force ma-jeure d'être présents au jour fixé, et, d'autre part, de décider que ce n'était pas par suite des circonstances mais par la négligence des demandeurs que l'en-quête contraire n'a pu être tenue;

    Sur la première branche du moyen: Attendu que les demandeurs allèguent

    ~ue les juges du fond avaient l'obliga-tion légale d'ordonner la prorogation de l'enquête contraire ou de fixer, à cette fin, une nouvelle date;

    Attendu qu'aucun texte de loi n'impo-se pareille obligation au juge; qu au contraire celui-ci apprécie souveraine-ment, suivant les circonstances de fait de la cause, s'il y a lieu d'accueillir la demande en prorogation ou en fixation. d'une nouvelle date;

    Qu'en sa première branche le moyen manque donc en droit;

    Sur la deuxième branche du moyen: Attendu que les demandeurs soutien-

    nent qu'en violation de l'article 97 de la Constitution, l'arrêt attaqué omet d'in-diquer les motifs pour lesquels les de-mandeurs pouvaient être privés de leur droit de faire entendre des témoins;

    Attendu que l'arrêt constate qu'

  • dans de~ contrats signés après l'entrée en service de l'employé (J. Houben, La loi sur le Contrat d'Emploi, pp. 44 et 45);

    Que, pour le surplus, il serait vain d'alléguer, ià l'heure actuelle, qu'au moment même de la conclusion du contrat, il avait été convenu que celui-ci comporterait une clause d'essai; que, comme il a été rappelé ci-dessus, pareille clause ne pouvait exister que pour autant qu'elle ait été constatée par écrit, l'appelante ne peut se prévaloir de son existence au moment où parties conclurent verbalement le contrat d'emploi litigieux;

    Attendu que le premier juge a donc fait une juste application de la loi, en allouant à l'intimée, l'indemnit