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CHAPITRE 6 LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS Biocenotic diversity in the alpine belts The botanical study of the high mountains has been the subject of numerous pub- lications over the past five years (see in particular Campbell, Carlsson et al, Dahl, Dierssen, Grabher, Jenik, Körner, Nakhutsrichvili, Virtanen and Eurola, Wielgo- laski). A large part is gathered together in the book «Arctic and alpine tundras», Wielgolaski et al, 1997. However, the recording of biocenoses remains the aspect of biodiversity which is most often neglected and the comparison of chains remains barely an outline. Yet, such data are often vital for a rational conservation of this veg- etation. That is the whole purpose of this chapter, which seeks to offer some new insights along these lines. The high altitude vegetation of the high mountains of Europe belongs to three types, corresponding to the three main latitude zones of the continent (boreal, nemoral, Mediterranean): the alpine type in the strict sense, or alpine-nemoral, which presents a profound floristic and biocenotic unity in the whole of the Middle-European mountains; the Scandinavian or alpine-boreal type which seen throughout Scandinavia and incompletely but identifiably in Scotland, Iceland and the north of the Kola penin- sula and which is related to that of the Urals; the high Mediterranean type which is represented only sporadically in Europe. The vegetation of major chains situated outside Europe in Asia and North America may be considered as related to one or other of the foregoing formations. The alpine type s.str. in the Caucasus and perhaps also in central and southern Rocky Mountains. The boreal type across the Siberian chains and probably also in those of Western Canada and Alaska. Its southern limit in Asia is situated in the Baikal and Altai mountains and, in North America, around 48° to 50°N. The high Mediterranean type, thinly represented in Europe, is fully developed only further to the south in Morocco and Anatolia. Related formations remain to be stu- died in the Eastern Caucasus and the Middle East. A fourth type, which is not represented in Europe, characterises the mountains of Central Asia, from the high chains ofSouth-West Asia to Tibet and Mongolia. The alpine belt of the Himalayas, which is a very special case is treated separately in chapter 9. Despite a convergence due to the low temperatures of the high mountains and to a contact between them during the Pleistocene glaciations, the alpine and boreal-alpine types are both substantially different in terms of biocenotic organisation and origin. It 75

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CHAPITRE 6

LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

Biocenotic diversity in the alpine belts The botanical study of the high mountains has been the subject of numerous pub­

lications over the past five years (see in particular Campbell, Carlsson et al, Dahl, Dierssen, Grabher, Jenik, Körner, Nakhutsrichvili, Virtanen and Eurola, Wielgo-laski). A large par t is gathered together in the book «Arctic and alpine tundras», Wielgolaski et a l , 1997. However, the recording of biocenoses remains the aspect of biodiversity which is most often neglected and the comparison of chains remains barely an outline. Yet, such data are often vital for a rational conservation of this veg­etation. That is the whole purpose of this chapter, which seeks to offer some new insights along these lines.

The high altitude vegetation of the high mountains of Europe belongs to three types, corresponding to the three main latitude zones of the continent (boreal, nemoral, Mediterranean): • the alpine type in the strict sense, or alpine-nemoral, which presents a profound

floristic and biocenotic unity in the whole of the Middle-European mountains; • the Scandinavian or alpine-boreal type which seen throughout Scandinavia and

incompletely but identifiably in Scotland, Iceland and the north of the Kola penin­sula and which is related to that of the Urals;

• the high Mediterranean type which is represented only sporadically in Europe.

The vegetation of major chains situated outside Europe in Asia and North America may be considered as related to one or other of the foregoing formations. • The alpine type s.str. in the Caucasus and perhaps also in central and southern

Rocky Mountains. • The boreal type across the Siberian chains and probably also in those of Western

Canada and Alaska. Its southern limit in Asia is situated in the Baikal and Altai mountains and, in North America, around 48° to 50°N.

• The high Mediterranean type, thinly represented in Europe, is fully developed only further to the south in Morocco and Anatolia. Related formations remain to be stu­died in the Eastern Caucasus and the Middle East.

• A fourth type, which is not represented in Europe, characterises the mountains of Central Asia, from the high chains ofSouth-West Asia to Tibet and Mongolia.

The alpine belt of the Himalayas, which is a very special case is treated separately in chapter 9.

Despite a convergence due to the low temperatures of the high mountains and to a contact between them during the Pleistocene glaciations, the alpine and boreal-alpine types are both substantially different in terms of biocenotic organisation and origin. It

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

is hardly possible to consider a European high mountain domain to be a major division in the geobiology of Europe.

L'étude botanique de la haute montagne a fait l'objet de nombreuses publications au cours des cinq dernières années: voir notamment Campbell, Carlsson et al., Dahl, Dierssen, Grabher, Jenik, Körner, Nakhutsrichvili, Virtanen et Eurola, Wielgolaski. Une grande partie est réunie dans le volume Arctic and alpine tundras, Wielgolaski et al., 1997. Mais le recensement des biocénoses demeure un aspect de la biodiversité le plus souvent négligé, et la comparaison entre chaînes reste à peine ébauchée. Ces bases sont pourtant nécessaires à une conservation rationnelle de cette végétation. C'est la raison d'être de ce chapitre, qui tente d'apporter quelques perspectives dans cette voie.

La végétation d'altitude des hautes montagnes européennes appartient à trois types, correspondant aux trois grandes zones latitudinales (boréale, némorale, médi­terranéenne) qui se partagent le continent: • le type alpin proprement dit, ou alpin-némoral, qui présente dans l'ensemble des

montagnes médio-européennes une profonde unité floristique et biocénotique ; • le type scandinave ou alpin-boréal, le long des Scandes, incomplet mais bien iden­

tifiable en Ecosse, en Islande et dans le nord de la presqu'île de Kola, et s'appa­rente à celui de l'Oural;

• le type altimêditerranéen, représenté seulement sporadiquement en Europe.

On peut considérer comme apparentée à l'une ou l'autre des formations précédentes la végétation de grandes chaînes situées hors d'Europe, en Asie et Amérique du Nord: • Le type alpin s. str. dans le Caucase, et peut-être aussi dans le centre et le sud des

Montagnes Rocheuses. • Le type boréal à travers les chaînes sibériennes et probablement aussi celles de

l'ouest canadien et de l'Alaska. Sa limite sud se situe en Asie dans les Monts du Baikal et l'Altaï et en Amérique du Nord vers la latitude 48° à 50°.

• Le type altimêditerranéen, mal représenté en Europe, qui n'atteint son plein déve­loppement que plus au sud, au Maroc et en Anatolie ; des formations apparentées sont encore à étudier au Caucase oriental et au Moyen-Orient.

• Mais un quatrième, le type aride, non représenté en Europe, caractérise les monta­gnes de l'Asie centrale, depuis les hautes chaînes de l'Asie sud-occidentale jusqu'au Tibet et à la Mongolie. L'étage alpin de l'Himalaya, qui est très particulier, a été disjoint et reporté dans le chapitre 9.

Malgré une convergence due aux basses températures de la haute montagne et à un contact entre eux pendant les glaciations pleistocènes, les deux types alpin et boréo-alpin sont sensiblement différents par leur organisation biocénotique et par leur ori­gine. Il n'est pas possible de considérer un Domaine des hautes montagnes européen­nes qui serait une division majeure dans la géobiologie de l'Europe.

6.1 LE TYPE NÉMORAL (ALPIN PROPREMENT DIT)

Il est caractéristique des Alpes et des chaînes similaires de l'Europe moyenne: Pyrénées, Carpates, nord des Balkans, dans la limite de ce que nous avons défini (fig. 1.4) comme le Système médio-européen. On peut envisager l'existence de forma­tions analogues (aux différences floristiques près) dans le Caucase et dans la partie moyenne des Rocheuses.

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

6.1.1 Dans la chaîne alpine

L'étage alpin est très homogène dans toute la chaîne, et connu avec précision grâce aux travaux de phytosociologie.

Les premiers groupements caractéristiques avaient déjà été reconnus par Kerner [1863], en particulier l'association à Carex firma. Parmi les 62 «formations» que dis­tinguait Engler en 1903 pour l'ensemble de la chaîne alpine, 14 concernaient la végé­tation herbacée supraforestière. Mais c'est à Riibel [1911] que l'on doit les premiers fondements du modèle phytosociologique, développé ensuite par Braun-Blanquet et ses collaborateurs (Pallmann et Jenny-Lips, entre autres), avec la mise au point de techni­ques statistiques de relevés sur le terrain et l'invention d'une nomenclature hiérarchisée.

1 Roches carbonatées Roches silicieuses POTENTILLO CAULESCENTIS (pro. p.) ^ANDROSACION VANDELLI2

Lithosols Androsacetum helveticae Androsacetum vandelii 3 Saxífraga diapensioides association Saxífraga florulenta association 4 THLASPEION ROTUNDIFOLÏÏ "aNDROSACION ALPINAE Thlaspeetum rotundifolii Oxyrietum digynae

Eboulis Thlaspeetum limosellaefolium subassociation Adenostyles leucophylla association Leontidetum montani Luzuletum spadiceae Berardietum lanuginosi

YittorelLION Etangs „. . . Calhtricheto-Sparganietum _ ARABIDION CAERULEAE SALICION HERB ACEAE Combes à Arabidetum caeruleae Polytrichetum sexangularis

Salicetum retuso-reticulatae Salicetum herbaceae nei£e Caricetum focetidae

Alopecureto-caricetum CARTONEURION-COMMUTATI ^CARDAMINETO-MONTION

Sources Crateureto-Arabidetum Cardaminetum amarae Cardaminetum asarifolia subassociation

CARICION DAVALLIANAE CARICION FUSCAE Caricetum davallianae Eriophoretum scheuchzerii

Marais CARICION BICOLORIS-ATROFUSCAE Caricetum fuscae Caricetum juncifoliae Kobresietum bipartitae

CARICION FERRUGINEAE CARICION CURVULAE , . Cericetum ferruginae Caricetum curvulae C aiS Festuco-Trifolietum thalii Festucetum halleri

SESLERION VARIAE FESTUCION VARIAE Enneigement Caricetum firmae Festucetum variae modéré Seslerio-Caricetum sempervirentis Centaureto-Festucetum spadiceae

Seslerio-Avenetum montanae Festuceto-Potentilletum valderiae Venté, peu ELYNION LOISELEURIO-VACCINION enneigé Elynetum alpinum Loiseleurieto-Alectorietum ochroleucae

Fig. 6.1 Vue d'ensemble du modèle phytosociologique de l'étage alpin dans les Alpes. En italique, les bio-cénoses endémiques des Alpes sud-occidentales (d'après les données de Braun-Blanquet et de Guinochet, in Ozenda, [1985 et 1994]). A la partie supérieure, tableau général indiquant les grandes divisions écologiques (colonne de gauche) et les alliances phytosociologiques qui leur correspondent, sur roches carbonatées et silicatées respectivement, pour les groupements à déterminisme édaphique ou géomorphologique prédomi­nant (formations azonales de Grubherr, § 6.1.3 et 6.4.1). A la partie inférieure, détail des pelouses continues.

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

Tout d'abord édifié en Suisse, le modèle phytosociologique alpin a été ensuite étendu sans modifications fondamentales à l'ensemble de la chaîne (les seuls écarts notables concernant la description par Guinochet [1938] principalement, de groupe­ments vicariants dans les Alpes sud-occidentales). La figure 6.1 en rappelle une pré­sentation succincte. (Des schémas de catenas d'associations liées à la topographie se trouvent dans Walter, [1974], p. 34 et dans Ellenberg, [1996], pp. 582, 607, 612.)

Parmi les travaux postérieurs aux années 1950, beaucoup sont redondants et n'ont apporté que des variantes, à défaut de groupements vraiment nouveaux. En revanche, il faut mentionner l'application des techniques informatiques [Lacoste, 1972; Klein, 1979] et les mises au point récentes relatives aux Alpes suisses [Hegg et a l , 1993] et autrichiennes [Grabherr et Mucina, 1993].

6.1.2 Dans l'ensemble des chaînes médio-européennes

Les groupements végétaux de l'étage alpin y sont distribués suivant les mêmes grandes formations écologiques que dans la chaîne alpine : rochers, éboulis, combes à neige, marais, pelouses. C'est ce que nous appellerons ici conventionnellement bio­diversité de premier ordre (colonne de gauche de la figure 6.1 haut).

Un second ordre est représenté par des subdivisions d'après la nature du substrat (silice ou calcaire, acide ou non) et la durée de l'enneigement. Il identifie des groupes de biocénoses qui correspondent sensiblement aux Alliances reconnues en phytosocio-logie. Les différences entre chaînes apparaissent à ce niveau, et peuvent être exprimées quantitativement [Ozenda & Borel, 1994] comme suit: • L'étage alpin des Carpates du nord (représenté dans les Tatras) ne montre prati­quement aucune alliance qui ne soit également présente dans les Alpes [Braun-Blan-quet, 1930]. Les travaux ultérieurs d'auteurs slovaques n'ont introduit que des diffé­rences de nomenclature dans les pelouses. On peut donc estimer que la biodiversité d'ordre 2, exprimée par les alliances non présentes dans les Alpes est, sinon nulle, du moins inférieure à 10%. En revanche, dans l'étage alpin des Carpates roumaines [Col-dea, 1991] trois alliances sont endémiques de cette partie de la chaîne, huit autres étant (à des subtilités de nomenclature près) communes avec les Alpes: la diversité d'ordre 2 peut être exprimée ici par 3/11, soit 22%. • Le mémoire fondamental de Braun-Blanquet [1947] sur les Pyrénées orientales y décrit 17 alliances de l'étage alpin, dont 10 communes avec les Alpes et 7 vicariantes (mais dans les mêmes niches écologiques que dans les Alpes). Le coefficient de diver­sité est ici 7/17, soit 4 1 % . D'après les travaux de Gruber [1978], la situation semble comparable dans les Pyrénées centrales (sauf dans le sud de la partie espagnole, partiel­lement altiméditerranéenne). • L'étage alpin du nord des Balkans (Dinarides, hauts massifs bulgares) ne présente qu'une surface réduite. La description qu'en donnent Horvat et al. [1974] ne peut être comparée aux Alpes qu'au prix d'un retraitement excluant des formations subalpines ou d'origine secondaire: il reste alors 18 alliances, dont 10 communes avec les Alpes, soit un coefficient de diversité de 44% environ, comparable au cas des Pyrénées. On peut pousser plus loin l'analyse en tenant compte de la lithologie: la comparaison Dinarides/Alpes calcaires montre une relative similitude (diversité de 3 3 % seulement) tandis que la comparaison Macédoine-Rila-Pirin/Alpes siliceuses donne un coefficient de diversité 50%. • Les données disponibles sur l'étage alpin de l'Apennin central sont trop fragmen­taires pour permettre une statistique.

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

On peut encore pousser la comparaison un échelon plus loin, au niveau de l'asso­ciation, en regroupant les vicariantes géographiques dans les différentes chaînes (biodi­versité de troisième ordre: 3, fig. 6.1): • Ainsi, parmi les groupements d'éboulis siliceux réunis en une alliance Androsa-cion alpinae, la principale association est caractérisée par Oxyria digyna. Un Oxyrie-tum digynae typique existe dans tout l'arc alpin, des Hohe Tauern aux Alpes mariti­mes. Dans les Pyrénées, on retrouve un Oxyrio-Doronicetum viscosi, en Corse un Oxyrio-Doronicetum grandiflori, dans les Rhodopes un Oxyrio Poetum contractae. • Les groupements fontinaux (sources et suintements) sont caractérisés par un groupe d'espèces muscinales qui paraît homogène mais qui est encore insuffisamment connu, et plus concrètement parmi les végétaux vasculaires par un groupe d'espèces voisines entre elles appartenant au genre Cardamine: C. amara dans les Alpes, C. asa-rifolia dans les Alpes maritimes, C. latifolia dans les Pyrénées, C. opizii dans les Car-pates, C. chelidonia en Corse. • C'est surtout parmi les pelouses, correspondant à la seconde partie du tableau de la figure 6.1, que ces vicariances sont le mieux connues. La figure 6.2 en donne un aperçu général.

Fig. 6.2 Diversité biocénotique au niveau de l'association, ici dans trois groupes fondamentaux de pelouses de l'étage alpin: A: Type silicicole à Carex curvula et Juncus trifidus; B : Type calcicole à Carex sempervi­rens et Sesleria varia; C: Type calcicole à Carex firma (en pointillé et italique). Pour chaque groupe, le contour de la chaîne alpine a été stylisé par un cadre, et les associations placées d'une manière évoquant la disposition géographique des autres chaînes [d'après Ozenda, 1985].

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

6.1.3 Des approches nouvel les?

Le fait que la phytosociologie du complexe alpin consti tue depuis longtemps un système immuable ne suffit pourtant pas à en masquer les imperfect ions: sous-esti­mation de la surface occupée par des groupements de composi t ion intermédiaire ou mal individualisés, absence presque totale de représentations cartographiques qui per­mettraient précisément d 'apprécier la part réelle des groupements purs , formalisme et fixité de la nomenclature . En outre, mais ceci n ' e s t pas une conséquence de la métho­dologie, les facilités offertes par une systématisation maintenant bien au point ont favo­risé le foisonnement de publications redondantes , f réquemment dépourvues de tout apport original si ce n ' es t la promotion arbitraire de faciès ou de variantes locales au rang d 'associat ions nouvelles. M ê m e l ' introduction massive et trop souvent irréfléchie des méthodes informatiques n ' a pas, en dépit de débuts prometteurs , apporté de pro­grès sensibles et n ' a guère conduit q u ' à la vérification de détails déjà bien connus.

Tout en conservant le cadre phytosociologique, qui reste de toute façon une bonne approche pur une vue d 'ensemble , des t ravaux récents tendent à rendre la priorité aux divisions écologiques plutôt q u ' à une nomenclature à base floristique des grandes uni­tés, et à utiliser en première l igne le degré d 'évolut ion des groupements , depuis les lithosols et les eaux j u squ ' aux associations cl imaciques.

Ainsi Grabherr [1995] divise les biocénoses de l 'é tage alpin des Alpes , Pyrénées, Carpates et Dinarides en deux catégories majeures (correspondant sensiblement aux deux parties de la figure 6.1) : • La végétation azonale. Ce sont les groupements «spécia l isés», déterminés par des

facteurs écologiques particuliers : parois rocheuses , éboulis, marais , crêtes ventées, auxquels l 'auteur ajoute les mégaphorbiaes . Ils sont sensiblement différents d 'une chaîne à l 'autre , et riches en endémiques locaux.

• La végétation zonale. Il s 'agit essentiel lement des pelouses, parfois désignées par les auteurs d 'Europe centrale par le te rme Urwiesen («prairies très anciennes») et qui correspondent à la deuxième partie du tableau de la figure 6 .1 . Plus précisé­ment, il s 'agit pour Grabherr des trois classes Cetrario-Loiseleurietea (landines à l ichens), Caricetea curvulae (pelouses silicicoles) et Seslerietea variae (pelouses calcicoles, à l 'exclusion des groupements à Kobresia considérés c o m m e azonaux). C o m m e on l ' a déjà vu (fig. 6.2), ces formations sont très semblables d ' une chaîne à l 'autre et représentées par des associations vicariantes.

Une différence écologique fondamentale sépare ces deux grandes catégories: c 'es t la place q u ' y t iennent les relations écophysiologiques entre espèces, c 'est-à-dire la synécologie.

Dans les groupements dits azonaux, le couvert végétal est dense, et les relations de compéti t ion importantes, dans le cas des combes à neige ou les marais . En revanche, la densité est souvent si faible dans les groupements de rochers ou de pierriers, et la dis­tance entre les individus telle que les relations synécologiques peuvent être considérées c o m m e nulles ou secondaires. La distribution spatiale des individus et des espèces ne dépend que de l ' au toécologie ; un grand nombre de combinaisons aléatoires sont possi­bles, ce qui explique le foisonnement de soi-disant associations décrites, surtout dans les régions riches en endémiques .

Au contraire, Somson et Baudière [1986], reprenant l ' é tude des végétations de pierriers et d 'éboul is , insistent sur l ' instabili té de leur composi t ion floristique et sur la nécessité d ' une remise en question de la nomencla ture phytosociologique. Les types biologiques, longtemps classiques, de colonisation de ces mil ieux sont revus en

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQI*: DANS LES ÉTAGES ALPINS

fonction de facteurs plus précis (granulométrie, porosité) et les modes de croissance ainsi distingués impliquent une nomenclature nouvelle plus écologique.

De son côté, l'étude précise du fonctionnement des pelouses denses s'est révélée sur­prenante. Ainsi, dans l'association à Carex curvula le Carex lui-même apparaît comme l'élément non seulement prédominant mais presque exclusif (fig. 6.3). Les touffes de Carex constituent des clones à extension végétative qui peuvent atteindre une dimension de plusieurs mètres et un âge de plusieurs siècles [Körner]. Leurs parties souterraines constituent un feutrage presque continu, s'opposant à d'autres implantations sauf dans les parties âgées, mortifiées, des touffes. Si les lichens (fruticuleux essentiellement: Cla-donia, Cetraria) parviennent à représenter une part notable de la biomasse aérienne, leur productivité cependant est très faible, leur croissance lente et ils ne pénètrent pas le sol ; très fragiles, ils dépendent de l'abri du Carex mais celui-ci en revanche ne leur doit rien. Ainsi la stabilité de l'écosystème repose sur une seule espèce, dite keystone species ou structure builder par Grabherr [1989], qui pense qu'il en est de même dans les autres groupements zonaux alpins (Loiseleurietum notamment).

Fig. 6.3 Carex curvula (Cl. Eyheralde).

6.1.4 L'Alpin du Caucase

Les données concernant l'étage alpin du Caucase sont relativement pauvres et dif­ficilement exploitables pour une vue d'ensemble. L'écologie a été jusqu'ici beaucoup plus étudiée que la biocénotique [Nakhutsrichvili, 1999, pp. 41-46, 49-52, 55-64].

Une courte synthèse, d'après des travaux déjà anciens, a été donnée par Walter [1974, pp. 390-393]. La partie géorgienne, qui comprend l'essentiel du Grand Caucase, a été décrite récemment par Nakhoutsrichvili [1999, pp. 34-55] mais repose également en par­tie sur des publications anciennes et hétérogènes, sauf pour les niveaux subnival et nival.

L'ensemble paraît s'apparenter nettement au type némoral, bien que surmontant un complexe subalpin très différent de celui des chaînes médio-européennes.

A défaut de valeurs quantitatives ou de cartographie permettant d'apprécier la part relative des différentes formations, il ne reste qu'à suivre l'énumération donnée par les exposés généraux cités ci-dessus : • Pelouses à graminoïdes, dominées comme dans les Alpes par des Carex et des Fes-

tuca. Les fortes déclivités et les expositions sud sont occupées par une formation à Festuca woronowiï) vicariant du Varietum alpin, et dont de nombreux faciès ont été décrits (plus de cent énumérés par Nakhoutsrichvili, [1999], pp. 38-39). Carex

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

tristis serait le vicariant de C. curvula. Sur calcaire, divers Kobresia. De nombreux autres types ont été décrits, à Festuca, Nardus, Bromus.

• Prairies à Dicotylédones (carpet-like meadows) comprenant entre autres de nombreu­ses espèces $Alchemilla et, dans le Caucase occidental, Géranium gymnocaulon.

• Rochers et éboulis, hébergeant la plupart des endémiques (plus de 80%) dont le Caucase est particulièrement riche, de sorte qu'un parallèle avec les associations écologiquement analogues des Alpes n'est pas possible.

• Combes à neige à Sibbaldia, mais où manquent les Saules rampants. • Landines à lichens, sur les crêtes à faible nivosité.

Les étages subnival et nival ont été particulièrement étudiés [Nakhustrichvili et coll., 1990, 1999] tant pour la flore que pour l'écologie. Plus de 300 espèces y ont été dénombrées, sporadiquement groupées en nanocénoses de deux à quatre espèces.

Comme dans les Alpes, de nombreux groupements sont communs à l'Alpin et au Subalpin supérieur, notamment des landes basses à Rhododendron caucasium, de sorte que la limite entre les deux étages est très progressive.

Le maximum de diversité biocénotique se présente dans le Caucase central. Dans le tiers oriental du Grand Caucase et dans le Petit Caucase, la végétation d'altitude se modifie dans un sens plus xérique [Walter, 1974, p. 393].

6.1.5 L'Alpin dans les Montagnes Rocheuses Les exposés généraux de Billings [1988] et de Campbell [1999] n'abordent pas la

question d'une comparaison des chaînes de moyenne latitude de l'Amérique du Nord, entre 30° et 50°, avec l'étage alpin d'Europe.

Fig. 6.4 Répartition altitudinale des groupements de l'étage alpin dans une vallée des Rocheuses du Colo­rado, exprimée par le pourcentage de surface couverte par chacun dans une tranche d'altitude de 50 mètres (d'après des données de Haase, [19871). 1 : Sibbaldio-Caricion pyrenaicae; 2: Pediculari-Caricion scopulo-rum; 3 : Vaccinio-Danthonion intermediae; 4: autres communautées du sous-étage alpin inférieur; 5 : pelouse du Kobresio-Caricion rupestris, progressivement dominante avec l'altitude croissante et devenant quasi-exclusive dans le sous-étage supérieur. La timberline est ici vers 3300 m.

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

En revanche, on dispose des travaux extrêmement détaillés, et réalisés selon les métho­des phytosociologiques, de Komarkova [1979] sur un secteur des Rocheuses du Colorado, à la latitude de 40° N. Si les différences floristiques considérables avec l'Europe font que les associations décrites sont toutes originales, ainsi que les alliances et les ordres, l'essen­tiel reste cependant que toutes ces unités se laissent regrouper en sept classes, dont six sont identiques à celles du modèle alpin de Braun-Blanquet, la septième d'ailleurs étroitement vicariante. Elles correspondent, comme dans les chaînes alpines d'Europe, aux mêmes grands ensembles écologiques : parois rocheuses, éboulis, pelouses, combes à neige, sols humides, marais, sources. Une cartographie d'une partie de ce secteur [Komarkova et Weber, 1978] repose aussi sur la distinction d'associations au sens phytosociologique.

Une monographie d'une vallée de la même région [Haase, 1987] donne une éva­luation précise des associations aux différentes altitudes et permet même de simuler l'existence de deux sous-étages dans l'Alpin (fig. 6.4).

6.2 LE TYPE BORÉAL

Cette végétation peut être appelée étage boréo-alpin ; pour l'Europe du Nord et en particulier la chaîne Scandinave, Noirfalise [1988] a proposé le terme étage orocalédo­nien.

Ce type boréal est sensiblement différent de l'étage alpin des latitudes moyennes (fig. 6.4). Il est composé d'une formation dite toundra de montagne (Gebirgstundra des auteurs allemands). Schématiquement, la moitié inférieure de cet étage est occupée par une landine que dominent les Bouleaux nains du groupe nana (Betula nana en Europe, B. rotundifolia et B. exilis en Sibérie). La moitié supérieure est formée par un Subnival à tapis herbacé discontinu, fragmenté par la solifluction des sols et passant plus haut à un désert pierreux qui représente le Nival.

Son extension géographique comprend: • en Europe du nord, la dorsale Scandinave, le versant ouest de l'Oural, l'Ecosse,

l'Islande, et des reliefs de la presqu'île de Kola; • en Asie, l'ensemble des montagnes de Sibérie (sauf peut-être une partie de

l'Extrême Orient russe) ; • en Amérique du nord, les chaînes de l'Alaska et probablement les Rocheuses cana­

diennes.

La limite sud des toundra de montagne se situe en moyenne vers 50° N: plus préci­sément à 56° dans les Highlands d'Ecosse,, à 48° dans l'Altaï, 50° dans les montagnes du Baïkal (fig. 6.5) et approximativement sur la frontière sud du Canada (vers 49°).

6.2.1 Les Scandes

L'étude de la végétation de haute montagne de la chaîne Scandinave a été tout d'abord jalonnée par les travaux de Vestergren [1902], Samuelsson [1916], Du Rietz [1925], Nordhagen [1928], puis par les recueils formés par le Compte Rendu de la IV e Excursion phytogéographique internationale, et le volume 50 [1965] de Acta phytogeographica suecica, enfin par les mémoires fondamentaux de Gyaerevoll [1956] et de Dahl [1957]. Plus récemment ont paru les mises au point de Pahlsson [1995], Dahl [1995], Dierssen [1996], Wielgolaski [1997], Carlsson et al. [1999].

Cet étage se développe au-dessus d'une timberline formée par la ceinture subalpine du Bouleau tortueux. Il occupe, du fait de la morpholgie tabulaire de la chaîne, une

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

surface bien plus grande que dans les Alpes. La flore en est relativement pauvre en raison de la latitude élevée, de l'isolement de la chaîne et de l'ampleur des glaciations passées: 240 espèces environ [Gjaerevoll et Jorgensen, 1978] avec deux centres de diversification correspondant aux parties les plus élevées de la chaîne (§ 5.4.3). Il forme deux grands ensembles : l'un dans le haut massif norvégien, au-dessus de 1100 m en moyenne, l'autre dans le nord de la chaîne, autour de la latitude 68° et au-dessus de 800 m environ (fig. 8.17) et à plus basse altitude dans l'extrême nord [Virtanen et Eurola, 1997].

Malgré Pétirement de la chaîne Scandinave sur plus de dix degrés de latitude et la coupure que constituent les reliefs plus modestes de sa partie moyenne, il ne semble pas que sa végétation supraforestière présente de grandes dissemblances entre les deux moitiés nord et sud de la chaîne (dont on pourrait penser que l'une est plus «arctique» et l'autre plus «alpine», comme il a été observé dans l'Oural). La prédominance numé­rique des espèces qui existent tout le long de la chaîne ou de celles qui ont une répartition bicentrique, par rapport au nombre de celles qui se trouvent seulement dans l'une ou l'autre partie, le laissait d'ailleurs prévoir.

La biocénotique en a été minutieusement étudiée. Une division en trois niveaux, décrite déjà par Vestergren en 1912, a été confirmée par de nombreux travaux échelonnés le long de la chaîne. L'étude la plus détaillée de cet étage alpin et de ses trois sous-étages a été faite par Dahl [1956], dans la région de Rondane, dans le haut massif norvégien.

La limite supérieure du Bouleau tortueux se situe ici en moyenne à 1080 m. Le niveau alpin inférieur est caractérisé par la coexistence d'espèces alpines et de remon­tées subalpines (Trientalis, Solidago) et surtout par la dominance de buissons bas (Vac-cinium myrtillus, Arctostaphylos, Empetrum, Loiseleuria, Betula nana) et de lichens fruticuleux dont Cladonia alpestris (pl. II bas).

Le niveau moyen commence vers 1400 m environ, ce qui correspondrait à une moyenne de 5,5° pour les trois mois d'été (tritherme de Dahl, [1997]). Il est caractérisé physionomiquement par la teinte brune de Cetraria islandica et des communautés à Juncus trifidus; une pelouse à Car ex bigelowii est ici à son optimum.

Le passage est graduel à un niveau alpin supérieur où l'instabilité des sols due à la solifluction entraîne la dissociation des groupements, le tapis végétal ne restant continu que dans les combes à neige (Salicion herbaceae). Ce sous-étage supérieur passe lui-même très progressivement à un Nival caractérisé par la dominance des Bryophytes et des Lichens et où Ranunculus glacialis reste, comme dans les Alpes, la Phanérogame qui s'élève le plus haut.

La séparation des trois sous-étages est d'autant moins nette qu'il s'agit de groupe­ments intriqués en mosaïque (fig. 6.5). D'ailleurs Wielgolaski [1997] renonce à séparer les sous-étages moyen et supérieur.

Les descriptions détaillées des groupements végétaux se répartissent suivant deux approches : • Un classement écologique succinct des groupements a été donné par Dahl [1956,

p. 258] et par Gjaerevoll et Bringer [1965, p. 265]. La durée de la couverture nivale est, comme dans les Alpes, un facteur écologique déterminant; et ce n'est pas un hasard si les quelques groupements similaires qui se retrouvent dans les Alpes sont ceux qui sont soumis à un enneigement minimal (landines à Loiseleuria et à Empe­trum) ou au contraire de très longue durée (combes à neige). Mais la géomorpholo­gie joue un rôle prédominant, en particulier le modelé périglaciaire, en raison du faible drainage entraînant une saturation des sols en eau.

• Les travaux d'inspiration phytosociologique ne forment pas un corps aussi cohérent que dans les Alpes. Dahl [1986] donne une simple liste d'unités et d'associations

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

Fig. 6.5 L'étagement de la végétation d'altitude dans les Scandes du Nord [d'après Brinck, 1974, modifié]. Il s'agit de la région de Virihaure, en Laponie suédoise, à la latitude de 67°30' environ. La disposition en mosaïque des groupements atténue la distinction entre les sous-étages. De bas en haut: en noir, ceinture du Bouleau tortueux - 1 : prairies subalpines - 2: marais - 3: fourrés de Saules - 4: lande à Empetrum - 5 et 6 : pelouses alpines inférieures et moyennes - 7 : Alpin supérieur à végétation éparse.

pour l'ensemble de la Scandinavie. Dierssen [1996] va plus loin dans les descrip­tions, étendues à tout l'ensemble de l'Europe du nord, y compris les îles arctiques; mais le raccord tenté avec le cadre alpin ne paraît pas convaincant. Virtanen et Eurola [1997] décrivent en détail un secteur finlandais, mais les associations ne sont pas hiérarchisées.

6.2.2 Le Nord de l'Europe, hors Scandes

L'étage boréo-alpin existe en Islande et en Ecosse, mais sous une forme différente dont il sera question plus loin, chapitre 7. Il se retrouve localement sur des reliefs du nord-est de la presqu'île de Kola (Mts Chibini, Stanioukovitch, [1973], pp. 58-64 et Walter, [1974], p. 44). Le cas de l'Oural est rattaché ci-après aux chaînes sibériennes.

6.2.3 Les chaînes sibériennes

C'est essentiellement au sujet des chaînes de Sibérie qu'a été dégagé le concept de toundra de montagne. Walter [1974] puis Walter et Breckle [1987] donnent une des­cription succincte de cette formation (Gebirgstundra) dans les massifs nord-sibériens : Oural, Putorana, Monts de Verkoïansk, Anadyr, Kamtchatka. Les cartes de végétation russes représentent une bande septentrionale de toundra de montagne recouvrant les massifs cités ci-dessus (fig. 6.6, A) et une diagonale qui, partant de la Sibérie nord-orientale, se dirige vers la région du lac Baïkal et vient se terminer dans l'Altaï (fig. 6.6, B); la toundra est remplacée plus au Sud par une autre formation, caractéristique des chaînes centre-asiatiques, et dénommée sur ces cartes «pelouses xérophytes de montagne» (C).

La récente carte des régions végétales de Russie à 1/8 000000 [Ogureeva et a l , 1999] précise la répartition altitudinale des étages alpin et nival dans les diverses chaînes.

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IPERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

Fig. 6.6 Répartition des types de végétation de haute montagne dans les chaînes du nord et du centre de l'Eurasie (d'après les cartes de végétation de l'ex-URSS, simplifié, in Ozenda, [1993]). En noir, l'étage de type «toundra de montagne». A, branche septentrionale: 7 Scandes, 8 Kola, 9 Oural du nord, 10 Putorana, 11 Monts de Verkoiansk, 12 Monts Tcherski, 13 Anadyr, 14 Monts de Kolyma, 15 Kamtchatka. B, branche diagonale: 16 Djougdjour, 17 chaînes du Baikal, 18 Saians, 19 Altaï. En hachures, les chaînes à Alpin step-pique des pelouses de Kobresia: 20 Altaï mongol, 21 Tien Chan, 22 Pamir et Hindou Kouch. Noter que les surfaces attribuées à la végétation de haute montagne sont ici plus étendues que dans la réalité; dans la partie sibérienne, les cartes de végétation originales regroupent la toundra de montagne alpine avec les landes et les forêts claires du Subalpin supérieur, et de même pour la partie centre-asiatique elles réunissent sous un même figuré Alpin et Subalpin.

L'Oural Dans la ligne septentrionale, le massif le mieux connu dans sa végétation d'altitude

est l'Oural, grâce à la synthèse de Gorchakovski [1975]. La flore supraforestière de la chaîne, qui s'élève à 460 espèces, rappelle celle des Scandes et elle est pauvre en élé­ments «alpins»: un Primula, un Androsace, deux Gentiana seulement. L'étagement de la végétation comprend de haut en bas : a) un étage sommital de rochers et de mers de blocs («Goletz») à faible recouvre­

ment végétal, assimilable à un Nival ou un Subnival, dominé par les Thallophy­tes et contenant une cinquantaine de Phanérogames (§5.5.2);

b et c) une Gebirgstundra proprement dite, à faible couverture nivale en raison du vent, dans laquelle une quinzaine d'associations se partagent le terrain suivant le degré d'évolution du sol: toundra rocheuse à Lichens, t. à Dry as, t. à Mousses, t. à Betula nana et Vaccinium uliginosum, t. à Salix glauca et S. arbuscula ; cette formation paraît correspondre aux niveaux alpins moyen et inférieur;

d) un complexe prairial hétérogène, où sont regroupées des prairies subalpines vraies intriquées avec la limite supérieure des arbres, des pelouses secondaires liées au pâturage des rennes, et des combes à neige (celles-ci comparables à cel­les des Alpes, mais sans Salix herbacea).

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

Dans l'Oural du Sud, au-dessous de 61°N, la toundra passe progressivement à des pelouses de type centre-asiatique à Kobresia, ou rappelant les pelouses du type nemo­ral avec Juncus trifidus, Festuca supina, des Carex.

La Sibérie du Nord L'étage supraforestier des autres massifs nord-sibériens (ligne A de la figure 6.6)

ne paraît pas s'écarter sensiblement du type toundra de montagne tel qu'il s'observe dans l'Oural. Des espèces caractéristiques du subarctique se retrouvent constantes, des Scandes à l'Anadyr: Cassiope tetragona, Diapensia lapponica, Salix polaris, FLiero-chloe alpina, la distribution de cette dernière rappelant en outre, par son extension jusqu'à l'Altaï, le cas des arctico-alpines d'Europe (fig. 6.7). La différence la plus nota­ble entre ces massifs réside dans la nature de la limite supérieure des arbres, constituée par divers Bouleaux (Betula tortuosa en Scandinavie et en Oural, B. ermanii au Kamt-schatka), par des Mélèzes (Larix dahurica dans l'Anadyr), et dans l'extrême Est par un Pin prostré, Pinus pumila [Stanioukovitch, 1973; Walter, 1974, pp. 44-48].

Fig. 6.7 Aire eurasiatique de Hierochloe alpina (hachurée). Cette aire se prolonge en Amérique boréale.

La diagonale sud Il s'agit des montagnes de la ligne B de la figure 6.6. L'étagement dans les monts

du Baikal et dans l'Altaï sibérien est décrit par Stanioukovitch [1973, pp. 116-121 et 183-201] et par Walter [1974, pp. 91-94 et 140-148].

La végétation alpine de l'Altaï sibérien a été étudiée en détail et a fait en particulier l'objet d'une description complète, à la fois biocénotique et écologique, dans les tra­vaux de Sedelnikov [1979, 1988]. Suslov [1961] a décrit dans ce massif une division de l'étage alpin en trois sous-étages, dont on notera le parallélisme avec ceux de l'Oural et des Scandes. La limite des forêts, qui est formée ici par Pinus sibirica, est surmontée d'un «étage des prairies», comprenant des buissons, des prairies subalpines à hautes herbes (Delphinium, Aconitum, Heracleum) et au-dessus de celles-ci des prairies dites déjà alpines mais dont la flore rappelle plutôt le subalpin des Alpes. Ensuite vient un «étage de la toundra», où sont distingués trois sous-étages: a) à la base, une toundra humide, à buissons nains (Salix divers, Betula nana subsp.

rotundifolia), à Hypnum et lichens fruticuleux, et à herbacées nettement alpines (pl. III, bas);

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

b) une toundra drainée, sur les pentes bien exposées et ventées, à Eritrichium, Dry as, Alsine, riche en lichens (Cetraria);

c) au sommet, une toundra rocheuse, à végétation vasculaire pauvre et éparse, et à dominance de Cryptogames.

6.2.4 Un rapprochement Scandes-Alaska?

On doit à Gjarevoll [1968, 1983] un parallèle remarquable entre les groupements d'altitude observés par lui dans les deux territoires. Les espèces en commun sont très nombreuses (plusieurs sont aussi dans les Alpes) et d'autres sont vicariantes: Dry as alaskensis, Phyllodoce glanduliflora, Cassiope stalleriana. Les groupements peuvent être ordonnés d'une manière identique en fonction de la couverture nivale et de la nature du substrat.

Parmi les documents plus récents, l'ouvrage The Alaska Végétation classification [Viereck et al., 1992] n'est pas utilisable ici car fondé uniquement sur des caractères physionomiques; en revanche, les données citées par Campbell [1997 d'après divers auteurs], confortent le rapprochement proposé par Gjarevoll en ce qui concerne les chaînes de Brook dans le nord de l'Alaska, et de Wrangel, dans le sud. Dans cette der­nière ont été décrites une vingtaine d'associations, déterminées surtout par la durée de la couverture nivale, et trois sous-étages alpins ont été distingués.

Plus au sud, des toundras du même type ont encore été décrites [Hrapko et La Roy, 1978] dans les Rocheuses de l'Alberta, avec un notable contingent arctique. Elles paraissent représenter l'avancée extrême du boréo-alpin, car elles n'atteignent pas les Rocheuses du Montana et du Wyoming.

En définitive, l'étage boréo-alpin dessine un grand arc allant de l'Alaska à la Sibé­rie orientale, en passant par les Scandes et l'Oural (et peut-être par les reliefs du nord du Québec et du sud du Groenland).

Le nord des Appalaches (Presidential Range, en particulier) pourrait présenter dans son étage sommital, assez limité il est vrai, quelque analogie avec les Scandes: une vingtaine d'espè­ces d'affinités arctiques sont communes aux deux chaînes [Zwinger et Willard, 1972]. Malheureu­sement les données biocénotiques n'existent pas sous une forme comparable [Billings, 1988, p. 403].

6.3 LE TYPE ALTIMÉDITERRANÉEN

6.3.1 Caractères généraux

Les observations, dans les années 1930 déjà, de Humbert, de De Litardière et sur­tout d'Emberger avaient montré une haute montagne marocaine, au-dessus de 3000 m, très différente du supraforestier d'Europe. Gaussen avait proposé le terme d'Altimon-tain; nous préférons, pour des raisons d'homogénéité, celui d'Altiméditerranéen (fig. 8.10 et 8.11).

Cette formation diffère du supraforestier némoral, qu'elle relaie au sud: • par sa composition floristique: très faible proportion d'espèces de souche euro-

sibérienne [Quézel, 1955, pp. 35-48], richesse en endémiques, foisonnement d'espèces épineuses dans de nombreux genres comme Astragalus et d'autres Fabacées, et dans la partie orientale Acantholimon ;

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

• par son climat xérique : contrairement aux chaînes alpines, le maximum de précipi­tations se situe en moyenne montagne [Rivas-Martinez, 1987, pour différents mas­sifs espagnols; Poli, 1965, pour l'Etna] (climat oroxérique de Gaussen); ce qui peut expliquer l'importance des formations épineuses d'altitude;

• par la structure de ses biocénoses, mentionnée plus loin.

En se référant au fait que la base de l'étage alpin (ou limite potentielle des arbres) est située vers 2200 m à la latitude de 45°, et en admettant une élévation de cette limite de l'ordre de 100 mètres par degré de latitude, on voit (fig. 6.8) que les sommets des montagnes méditerranéennes à Europe ne dépassent que de peu cette altitude critique (sauf la Sierra Nevada espagnole et l'Etna) et que seules les chaînes du sud de F Anato-lie (Taurus s.l.) et l'Atlas marocain permettent un développement notable de la végé­tation de haute montagne.

Fig. 6.8 Situation des hautes montagnes méditerranéennes suivant leur latitude. La ligne oblique représente l'altitude théorique de la limite inférieure de l'étage «alpin», en prenant pour base 2200 m à 45°N et une pente de 100 mètres par degré de latitude. Les sommets des montagnes méditerranéennes dépassent peu cette ligne et l'étage altiméditerranéen supérieur, assimilé à l'Alpin, ne peut être que relativement réduit, au contraire de l'Alpin des Alpes et des Pyrénées (à gauche de la figure) plus hautes et plus septentrionales.

6.3.2 Deux sous-étages

En Afrique du Nord et en Anatolie, cette haute montagne méditerranéenne est essentiellement occupée par une formation de buissons épineux. Elle est elle-même surmontée, là où l'altitude est suffisante, d'un niveau à végétation seulement herbacée, de très faible recouvrement et remarquablement riche en endémiques.

C'est Emberger [1946] qui a, le premier, identifié ces deux niveaux dans le Grand Atlas marocain. Les xérophytes épineux se situent entre 3000 m et 3600 m environ; le niveau supérieur herbacé ne compte que 26 espèces, dont 20 endémiques et 2 communes

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

avec la Sierra Nevada, soit un taux d'endémisme de l'ordre de 80 %. Quézel en a donné dans le Moyen et le Grand Atlas une étude beaucoup plus détaillée [1955], reprise par Knapp [1973, pp. 527-534]:

Dans la partie médiane du Taurus (Ala Dag de Cilicie), Schiechtl et Stern [1963] ont identifié également ces deux niveaux : • des landes à coussinets épineux d'Astragalus, Onobrychis, Acantholimon, dont la

limite inférieure est vers 2000 m, probablement abaissée par la déforestation ; • une pelouse maigre décrite comme Seslerietum anatolicae, au-dessus de 2700 m

en moyenne, accompagnée sur les crêtes peu enneigées de plantes en coussinets inermes.

Les deux niveaux s'observent également dans la Sierra Nevada [Quézel, 1953]. Rien ne justifie d'appliquer à la formation des xérophytes épineux le terme de

Subalpin. Quant au niveau supérieur herbacé, il est encore moins identifiable à un étage alpin; son extension sporadique ne mérite d'ailleurs pas la distinction d'un véritable étage, et l'expression Altiméditerranéen supérieur paraît une dénomination appropriée.

Barbero, Bonin et Quézel [1971] distinguent du point de vue phytosociologique trois grands ensembles géographiques dans la végétation altiméditerranéenne : • les Erinacetalia, unité sud-occidentale, en Afrique du Nord et Espagne du Sud ; • les Daphneeto-Festucetea, unité sud-orientale en Grèce et dans l'ouest et le sud de

l'Anatolie; • les Festuco-Seslerietea, dans les montagnes du nord du Bassin.

6.3.3 Sur les marges septentrionales Dans la partie européenne (en dehors de la Sierra Nevada, et de l'Etna où une lande

épineuse à Berberis a été décrite par Poli) l'étage altiméditerranéen se présente sous une forme différente des précédentes.

Dans les hautes montagnes de Grèce [Gams 1960, Quézel 1964 et 1967] l'essentiel du terrain est occupé par des formations graminéennes rocailleuses et très ouvertes, dites «pelouses écorchées», ce faciès se rencontrant plus ou moins dans toutes les montagnes méditerranéennes.

Plus au nord, le contact entre les formations altiméditerranéennes et les némorales (de type subalpin) peut prendre la forme d'une intrication localisant les premières sur les versants d'exposition sud, les secondes en ubac: cette disposition a été mentionnée dans le sud des Dinarides [Horvat et a l , 1973 ; Trijnastic] et en Corse [Gamisans].

Plus au nord encore, la végétation passe au type «subalpin». Ainsi, dans le nord des Dinarides, de la Slovénie au sud de la Bosnie, la végétation s'apparente à celle du Subalpin némoral, hormis des groupements à Sesleria tenuifolia (S. juncifolia) qui se trouve aussi dans l'Apennin central. Les formations ligneuses, lorsqu'elles existent, se rapprochent également du type némoral: Pinus mugo dans les Abruzes, Alnus viridis subsp. suaveolens en Corse. Dans les Sierras centrales espagnoles, les pelouses sommi-tales à Festuca indigesta entrent déjà dans les Caricetea curvulae [Rivas Martinez, 1984]. Cependant, un écho appauvri de la végétation altiméditerranéenne se montre encore, sous forme de pelouses écorchées et de landines épineuses à Astragalus sem-pervirens, jusque dans les Pyrénées orientales et les Alpes ligures.

6.3.4 Des cas limites Loin des limites du Bassin méditerranéen, quelques situations évoquent l'Altimé­

diterranéen:

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

• Les parties sommitales du Hoggar et du Tibesti, où la présence d'espèces vicarian-tes méditerranéennes (Olea laperrini, Myrtus nivellei, Lavandula coronopifolia, etc.) a conduit Maire et Monod [1950] à définir un étage saharo-méditerranéen. Une liste complète a été donnée par Quézel [1997]. Mais ces espèces restent incluses dans un fond de végétation désertique, dans des conditions écologiques qui ne sont pas méditerranéennes. Elles représentent tout au plus une enclave extrazonale, étrangère aux montagnes méditerranéennes proprement dites; elles peuvent être interprétées comme un reliquat d'une période antérieure, chassé en altitude par le réchauffement et la désertification récents, par un mécanisme analogue à celui des disjonctions arctico-alpines [Ozenda 1991]. • Le Caucase oriental, et les montagnes d'Iran, où seraient à rechercher des formes de passage entre Y Altiméditerranéen et le type aride à Kobresia. • Les montagnes de la région macaronésienne, citées ici pour mémoire.

6.4 LE TYPE ARIDE CENTRE-ASIATIQUE

6.4.1 Répartition

Des groupements herbacés dominés par les Cypéracées du genre Kobresia, sou­vent à physionomie de pelouses à coussinets, forment l'essentiel de la végétation de haute altitude dans les chaînes et les hauts plateaux de l'Asie centrale: Tibet et régions limitrophes, Pamir, Tien-Chan, Altaï, Hangai.

D'après Grabherr [1995] suivant Ohba [1974], ces montagnes sont l'origine et le centre de diversification de ces formations, qui sont ici zonales. Ces groupements occupent par ailleurs, mais sous des formes différentes, de vastes surfaces dans les régions arctiques et subarctiques : nord de la Scandinavie, de la Sibérie et du Canada. En revanche, ils sont localisés et azonaux (liés à des sites très exposés au vent) dans les chaînes médio-européennes, l'Ecosse, le Caucase oriental, l'Asie nord-orientale (Kamtchatka, Kouriles, Japon).

6.4.2 Composition et écologie

La documentation la plus récente est contenue dans des travaux chinois sur la végétation du Tibet et de ses annexes: Chang [1981], Chen-Weilie et al. [1992], Chen et Zu [1992], Zheng [1992] ; plus récemment, Miehe et Miehe [2000], Des travaux rus­ses concernent le Tien-Chan [Zlotin 1975, in Franz 1978] et le Pamir [Agachanyanz 1964 à 1985, in Breckle et Agachanyanz 1994]. Des travaux polonais concernent la Mongolie: Altaï mongol et Altaï de Gobi [Volkova, 1994], Mts Kangai [Pacyna, 1986].

Les pelouses à Kobresia, caractérisées notamment par K. pygmaea et K. humilis au Tibet, K. myosuroides et K. smirnovii en Mongolie, peuvent être considérées comme un étage alpin intercalé entre des prairies steppiques (subalpines d'après Walter, [1979], p. 219) à Festuca kryloviana, Stipa glareosa, divers Car ex, et un désert rocheux sommital à Saussurea, Draba, Saxifraga et lichens crustacés (étage nival). Dans les parties les plus arides (au-delà de l'isohyète 100 mm, d'après Chang), les groupements à Kobresia passent à un faciès désertique à coussinets de Ceratoides (C. compacta au Tibet, C. papposa au Tien Chan).

D'après Chang, la plupart des espèces de l'Alpin à Kobresia sont des éléments tibétains ou centre-asiatiques d'origine sino-himalayenne; le contingent boréal est faible.

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

Des monographies plus précises sont dues : • Pour l'Altaï mongol, à Volkova [1994] qui décrit au-dessus de 2500 m de très

nombreuses associations dont certaines représentent une transition vers l'Alpin boréal de type sibérien; nous avons déjà mentionné (§ 6.2.3) que c'est dans l'Altaï que s'affrontent, dans l'étage alpin, le type boréal et le type centre-asiatique.

• Pour le Tien Chan, à Zlotin [1997] qui situe l'Alpin entre 3300 et 4000 m et y dis­tingue différents niveaux de xéricité caractérisés par diverses espèces de Ptilagros-tis et de Festuca.

• Pour le Tibet, à Miehe et Miehe [2000]. La formation principale de l'étage alpin est une steppe rase et lâche, développée entre 4500 et 5300 mètres environ, sous des précipitations comprises entre 80 et 300 mm par an. La couverture végétale est de 20 à 40 cm, caractérisée par Stipa purpurea, des Carex et des coussinets de Dicotylédones: Arenaria, Androsace, Saussurea; une vingtaine d'espèces en moyenne, la plupart endémiques. Peu de cryptogames. Les parties les plus arides de la bordure nord-ouest portent un groupement encore appauvri à Carex moorcro-ftii. Au-dessus de 5300 mètres, la steppe alpine est remplacée par un étage nival adapté à la cryoturbation, à coussinets épars de Thylacospernurn, Saussurea, Stel-laria, des Kobresia et des Carex, diverses Poacées. Dans le quart sud-est du pla­teau tibétain, la steppe alpine est remplacée, sous 400 à 800 mm par an, par la pelouse à Kobresia pygmaea, de quelques centimètres seulement mais pouvant atteindre un recouvrement de 90%; une grande partie du terrain est occupée par des stades de dégradation colonisés par des Cyanophytes et des Lichens.

6.5 DISCUSSION

6.5.1 Etage alpin et Toundra de montagne: parenté ou convergence?

L'étage de haute montagne des Alpes, des Pyrénées, des Carpates et d'une partie des chaînes balkaniques, dénommé ici étage alpin sensu stricto, constitue un ensemble original, très comparable d'une chaîne à l'autre, et caractérisé notamment par un grand développement de pelouses à fort recouvrement herbacé, dont les espèces formatrices sont essentiellement des Fétuques et des Carex. Mousses et lichens ne tiennent une place importante que dans d'autres groupements, à faible recouvrement herbacé, ou à partir de l'étage subnival.

L'étage de haute montagne des chaînes nord-eurasiatiques (Scandes et Sibérie) est au contraire une végétation à recouvrement herbacé ouvert, laissant l'essentiel du ter­rain aux Cryptogames dans toute l'étendue verticale de l'étage, et à des landes basses dans le sous-étage inférieur. Dans le nord de son aire, cette végétation est en continuité avec les toundras arctiques dont elle est la forme d'altitude, de sorte que tout ce com­plexe est désigné, jusqu'en Asie centrale, par les termes «toundra de montagne» ou «Gebirgstundra». Ici encore, la végétation est assez comparable d'une chaîne à l'autre: des sous-étages physionomiquement et floristiquement analogues, et des grou­pements vicariants, peuvent être reconnus des Scandes à l'Altaï en passant par l'Oural et les montagnes du nord de la Sibérie, et probablement jusqu'à l'Alaska.

Les deux ensembles, Alpin s.str. et Toundra de montagne, sont éloignés en Europe du fait de l'absence de hauts reliefs entre les Tatras et le sud de la Norvège. En Asie, ils pourraient entrer en contact à la faveur de la relative continuité de la grande diagonale montagneuse qui s'étend du nord-est de la Sibérie jusqu'à l'Afghanistan; ce n'est pour­tant pas le cas. Quand la toundra de montagne se termine au niveau de l'Altaï, elle est remplacée immédiatement au sud par les «steppes de montagne» des hautes chaînes

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LA DIVERSITÉ BIOCÉNOTIQUE DANS LES ÉTAGES ALPINS

d'Asie centrale, dont un trait caractéristique est le développement des groupements à Kobresia, déjà à partir de l'Altaï mongol; l'étage alpin proprement dit ne se retrouve qu'au Caucase.

Peut-on chercher un parallèle entre les trois sous-étages décrits dans les Scandes ou l'Oural et ceux de l'Alpin proprement dit des Alpes? Le sous-étage alpin inférieur, qui se limite dans les Alpes et les Pyrénées à l'étroit niveau (50 à 100 m) des «landes supra-sylvatiques» peut grimper au contraire dans les Scandes jusqu'à 400 m au-des­sus de la timberline. A l'opposé, l'instabilité des sols abaisse la base du sous-étage supérieur Scandinave, homologable au Subnival des Alpes, jusqu'à l'amener parfois au contact des landines à Ericacées et à Betula nana, rendant alors virtuel le sous-étage moyen.

C'est ce dernier qui seul paraît être l'équivalent de l'Alpin à pelouses des Alpes. Pourquoi est-il dans les Scandes si étroit, souvent mal distinct ou presque absent, alors qu'il est si développé dans les Alpes?

Il y a certes, l'effet des différences écologiques bien connues: • dans le climat: rythme de l'éclairement, oscillations diurnes de la température,

régime des vents ; • dans la physique des sols: différences dans les pentes, le drainage; phénomènes

périglaciaires dans le Boréal; • il y a surtout une différence capitale dans l'enneigement, sur laquelle nous allons

revenir.

En l'état actuel des connaissances, et sous réserve des résultats des recherches éco-physiologiques activement conduites dans les deux ensembles, Alpin et Toundra, il semble que le facteur enneigement presque partout élevé dans l'Alpin protège les grou­pements prairiaux ; la couverture nivale plus faible des montagnes septentrionales et le décapage par le vent favorisent au contraire le type toundra. Les groupements com­muns aux chaînes alpines et nordiques sont précisément ceux qui sont les plus dépendants de la couverture nivale.

Mais on peut avancer aussi une hypothèse fondée sur la différence de composition floristique. Les grandes espèces formatrices des prairies alpines ou pyrénéennes font défaut dans les Scandes, où n'existe rien d'équivalent à Car ex curvula, C sempervi-rens, Sesleria disticha, S. caerulea, Festuca halleri, F. paniculata, F. eskia, F. gautieri (sauf Juncus trifidus et Nardus stricto). Car ex bigelowii n'a pas le même pouvoir colo­nisateur que les Carex alpins. L'espace libre est alors grignoté d'un côté par la dilata­tion du sous-étage inférieur à buissons nains, de l'autre par la descente des formations subnivales.

Au-delà des raisons écologiques actuelles qui peuvent rendre compte des analogies et des différences entre les deux formations, subsiste la question de leur origine et de leur mise en place: parenté à partir d'un fonds commun, ou seulement convergence?

D'un côté, l'hypothèse d'une origine commune à partir d'un fonds ayant occupé une grande partie de l'Europe pendant les glaciations, avant d'être disjoint par le réchauffement post-glaciaire. Le schéma réductionniste de la disjonction arctico-alpine, auquel on se limite trop souvent encore, a certes joué un rôle fondamental dans la mise en place des flores et des végétations considérées ici. Mais il a été sans aucun doute d'une très grande complexité et d'une très longue durée. Il y a eu certainement, entre les montagnes alpines et l'arctique, autant de mouvements de va-et-vient que d'interglaciaires, et peut-être même d'interstades, alors qu'on a implicitement tendance

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PERSPECTIVES POUR UNE GÉOBIOLOGIE DES MONTAGNES

à privilégier le seul réchauffement holocène, postérieur à la dernière glaciation wurmienne.

D'un autre côté, il est indéniable que la flore et la végétation d'un massif monta­gneux sont au moins en partie (abstraction faite des migrations) le résultat d'une trans­formation de celles des régions planitiaires de la zone à laquelle appartient ce massif : à chaque grande zone biogéographique (zonobiome de la classification biogéographique de Walter, [1979]) correspondrait alors un peuplement montagnard particulier (oro-biome). Murray [1995] pour l'Alaska, Walter pour la Sibérie, observent que la toundra de plaine passe très progressivement à la toundra de montagne : cette dernière doit donc être regardée comme une forme d'altitude de la toundra arctique-subarctique, et non comme une forme nordique de l'étage alpin. Les apports venus du sud, ou des trans­ferts transcontinentaux, sont ici largement minoritaires.

En revanche, l'Alpin vrai, celui de la zone némorale, a une histoire beaucoup plus complexe dans laquelle les migrations ont joué un rôle essentiel.

6.5.2 L'étage alpin némoral est-il endémique de l'Europe?

Nous avons vu plus haut que Grabherr [1995] établit dans l'étage alpin des chaînes médio-européennes une distinction entre formations azonales et zonales. Il estime de plus que les formations prairiales zonales caractérisent strictement ces chaînes et qu'elles en sont, de ce fait, endémiques de l'Europe. Il doit être possible de retrouver, à travers l'histoire de leur formation, les raisons de cette singularité. Cette hypothèse ouvre certainement un vaste champ de recherches. Peut-être est-elle cependant préma­turée, en l'état encore peu avancé de l'étude biocénotique des hautes altitudes dans le Caucase, l'Himalaya et les Rocheuses du Sud.

6.5.3 Peut-on parler d'un Domaine des hautes montagnes européennes?

Gaussen [1954] avait proposé un «Domaine des hautes montagnes de l'Europe», et actuellement encore des colloques ou des réseaux internationaux sont réunis sur ce même thème. Cependant, il n'est plus possible, comme on l'a longtemps admis, de considérer comme apparentés l'étage supérieur des Alpes et du sud des Scandes. Quant à la végétation de haute altitude méditerranéenne, elle est encore plus différente. La végétation des hautes montagnes de l'Europe appartient à trois types bien séparés à la fois par leur contenu et par leur origine.

De plus, ces formations n'appartiennent pas seulement à l'Europe. L'étage boréo-alpin s'étend aux chaînes du nord de l'Asie, et probablement aussi à celles du nord de l'Amérique. L'extension extra-européenne possible de l'alpin némoral et de l'altimé­diterranéen ne peut actuellement être rejetée.

Le concept de Domaine des hautes montagnes européennes ne peut être retenu en tant que réalité géobiologique, mais il conserve tout son intérêt comme thème fédé­rateur des recherches sur le peuplement végétal et animal de ces montagnes.

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