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:' , \ ' i t ! .' 1 ) - . , .... .......... ... 1 • LA FIGURE DU DOUBLE CHEZ GERARD DE NERVAL by Jacinthe Rouisse A thesis' submitted to the Faculty of Graduate Studies and&Research 1 McGil1 Univer$ity, fu1fi1rnent' of the for the degree of Master of Arts '\ j of French Language and Li terature 1 .. March 1983 --------------- -- ---- ' .. :.\\.r: .. .... " ..... ___ _

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LA FIGURE DU DOUBLE

CHEZ GERARD DE NERVAL

by

~ Jacinthe Rouisse

A thesis'

submitted to ~ the Faculty of Graduate Studies and&Research

1 •

McGil1 Univer$ity,

i~ par~iel fu1fi1rnent' of the requireme~ts

for the degree of

Master of Arts

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Depar~ement of French Language

and Li terature 1

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March 1983

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Je tiens à expr~; .. ' grati~ude au Professeur

G. Pascal-Smith pour ses conseils et son

encouragement dans l'élaboTjtion de ce travail.

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LA FIGURE DU DOUBLE CHEZ GERARD\ DE NERVAL

Le mythe du doubie qui témoigne_des pr~occupations ~~ J

qu 1 a touj ours inspiré ~ l' homme ~,~ doub1.e nature charnell e et

spirituelle a fasciné les écrivains du XIXe siècle. En France,

Gérard de,Nerval lui~~ donné ~ne des formes littéraires les

plus riches ~ l'époque romantique.

Dani ~e travail, nous avons choisi trois textes d}

cet auteur dans lesquels le motif du double est récurrent.

Puis nous avons groupé et analysé les formes que prend ce

\ dernier selon qu'il est lié au héros "(il), aux héroïnes (elles)"

ou ~u narrateur-héros (je). ~'tt :. • ..... t

, Notre étude nous" a montré <we chez Nerval la figure

du double dépa.sse très vi te les formes vtradi ti~mnelles -gour - , ?

exprimer des hantises propres à l'imaginaire personnel d~ -l'auteur. Nous avons aussi constaté que cette figur~ litté-

raire a pour effet de générer l'animation de plusieurs thèmes . . importan ts de l'oeuvre. I;nfin, il ~emble qu t Ul) coroUai re ..

significatif de ce motif du double Œpparaisse sous la forme

d'une qugte de l'unité .. Aurélia présente en effet des images , u

qui, dans la perspective initiatique adoptée par le narrateur,

semblent réconcilier les doubles aritagonistes.

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LA FIGURE nu DOUI3LE' CHEZ GERARD DE NERVAL

The myth of the "double" which ~xpresse.s man' s

preoccupation with his dual natur~, body ~nd saul, was a

source of fascination for w'ri ters of the XLXe ce~tury. ,

Among them, Gérard de Ner,val gave the "doubl~", one af the \

most· complex ,Ii terar( forms of the romani:ic period. '

In this thesis, we have selected three texts by this

wri ter in which the theme of the "double" re,curs. We theh ,

proce~d to group and analyse the literary forms taken by the

tneme of the "double". We find tha t i t occurs in three

situations accardi~g ta whether it is linked ta the hero (he),

the heroine (sher or the narrator-hero cr). Our research shows that in the writ~r's wor~, this'

, ,

them,e quickly goes i beyond tradi tional li terary forms to 1

express the o~sessions ,to which Nerval gives imaginative. \ ' v 1

expression. We glso find that the theme has the effect of

gen~rat~g many other important ideas in Nerval's work. r •

Lastly, it would seem that an important complement of the \

theme of the "double" appears in the' farm of a quest for

unity. In a perspective of the literature of initiati~n . " "'\

chosen by the writer, Aurélia offers certain images which . "'. tend~ ta reconeiie the. antagonists present in "the "douhle".

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TABLE DES MATIERES

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INTRODUC;IO~ ............•......................... ',' .... 1

CHAPITRE 1 1

Le vOLage en Orient: le double lié au Hil" .... 24 - , "Histoi.re du cal ife Hakem" ......•...... 2 6

LI "Histoire de la reine ~u Matin et de Soliman, prince des Génies" ............ 41

CHAPITRE ,1 I

Sylvie: le double lié aux "elles" .............. 53

CHAPITRE III

Aurélia: le double 1i~ au "je". Il •• •••.•••••••• 77

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CONCLUSION ...... , .... , ................ , .' •.•• •..•• ; .•.... 100

BIBLIOGRAPHIE .............. ,., ........................ 112 "

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INTRODUCTION , . .

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Depuis toujours, 1es hommes ont·été préoc~upés par ., . la nature dualiste fondamentale qui domine leur existence.

La division du corps st de l'esprit, devenue pour l'Eglise la

chair et l'âme, qui leur .rappelle sans cesse cette double

appart~nance, exerce sur eux une sorte de fascination. Celle-ci • a donné naissance très tôt à.la croyance en l'existence d'un

Do~ble accompagnant par ex'emple le.s héros des légendes et dont

les traces se retrouvent dans le folklore de plusieurs civili-. -

sations. Dans sOon étud'e intitul'ée Don Juan et'le Double

Otto Rank nous donne divers e:x;emples des forme s qu'a revêtues , ,r

ce • 1

mythe chez différents peuples. N.ns i, les hommes primitifs, 0

désarmés devant la fatalité de la mort, Gmt ressenti tr~s tôt

le besoin qe remplacer cet arrêt\implacable ~? Temps par la

croyànce en l' immortalité de l' homme. Ils n01lllllaient ombre ce

qui constituait en quelque sorte un deuxième être ·tout à fait , ,

identique au premier qu'ils percevaient comme étant la partie ,

immortelle. de tout être, 'l'âme assurant la continuité de la , , . , .

vie ap!es la rn6rt. Double fra~erne~_ bien réel, l'ombre

de.~~n·ait· d'C "la première 'objectivation'jde l'âme humàine" 1

Les civilisations grecque, romaine, chinoise ,et

égyptienne prouvent que les hommes ont persévéré dans cette "

croyance en une dualité de'l'âme humaine. En effet, dans

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, toutes ces culturrs, ~p croyai~ à l'exi,~~~~ d'un d~~x~è~e , ., ~

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moi, 'd'un Double, reproduétion . .fidèle du m~j. ;corporéi,' q~1 . ~ ~ ~~

habitait chaque. être v1vaftt'~' Son' domai~e pouvait être celui , . , . . . . , des rêves; du m0r;tde ,sPJ-ri tuél· ou'" de ce que l'on nomme ,maintenant

, ' ,. l' inconsciel!t .• -" Ce Double ~ ~r&'Qu plusi'eurs l')oms: _ c,hez les

,

Grecs, on·l:appelait Psyc~é, chez les 'Romains, Génius, chez les , • u Î 2 Perses, Frayauli et chez les Egyp~iensJ 11 étàit a~pelé Ka > •

Le deuxième moi nO, était pas 'considéré comme un 'és~rit irnmatéri~l ( .

~ ou un concept abstrait, mâis bien comme un Double doté d'une

exi8~ence physique.' Le rituel mortuaire de l'embaumement chez

le..s Egyptiens, al'nsi que, c~_~z certains autres peuples i en , .

té~oigne~ les.Egyptiens se faisaient un devoir 'd'offrir de

la nourri tare et ',différents présents aux défupts p.arce qu' il,s

étaient pe~suadés que :1'âme qui alla~t continuer à vivre

au-de-là' de la mort gar~er~it son enveloppe 'charnelle.

'En Ch~ne ~,ous r:étrouvons: cette' croyance en une

âme double, composée du "kuei"'et du l!shen l '. Au IVe siècle'

avant J. C., ce dualisme a r~j oint :celui de la cosmogonie ~ \.. ,

. officie,lie chinoise, A. savoir l' oppbsitlon du lIyln" J princip~ • - î' ,,', ~

tërrestre f.emelle et' du "yang",' priricipe célesté mâle 3. ,. • 1 •

Le' n~in" .et le l;yang" i~carnent la présence s±mult~nêe q 'un.

~ment double, non .s~ulement dans,l'!Me humaine, mais .d~ri~

toutes chose~: ct est la lumi~re 'et 1 'oDscurité, le ciel' et , >

la terre J le positif et le négat.:it J le féminin et le masGulin",

"e 'ést en somme l'exp'res$~on dù dualisme ét du complémentar1sme'

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-. '~'Lçs,Juïfs ims.·ginaient eu;x.' aU$S,i.,qué ~:fâme 6ta}.t s.t-tJ.rêe" . (" . , ;. -

, simu~tant:Smertt par deux t.~ndâ.nces cQnt~air.es qui pouviient

,l'entra!~er a1terdativement ver~ les c~oses terrestres et ver~

~) tes -chos'es c~l.es tes. De plu~., ,1,1 espri t '(lIru~hU) rie .pouvai t \. • l':

atteindre son plein 6panoui-ssemertt que par l '-union dû I/nèfesh", ~ ,

principe mâle ~ vet ,du ""c'hajah",' pr'ïncipe f~m.e~l~' 5,' ..

'-, \ ).

Dans la myth.ologie, nous -pouvons observer ~a' 'prê.senc"e '

d'une figu~ du d,ou~le, transposLtion litt6ra-iI.:e du co~èept: de . . ' ,,-

dual isme. Le mythe de Dionysos, par exemple, illustre l!a .,'

croyance selon laquelle l'univers au:r;ait' ét~ cr6é par la . coll a;bor~ d'un di~l,l et de sen r.éflet. :En .. ffe t .' Dionysos,

qui aval t été conçu ~r sa m~re et pa,r le. t:efl'et, de' celle-ci, \

est sédl1i t à son, tour 'par le reflet t\'Ue lui renvoie son miroir " . \ .. ~" ! ..

et il déc.ide. de ct-fer le mande à 1.' image de ce Double .. Moàël~

s,ur 18, cosmogonie ~.~ndo\.le, ce ~ythe est repris par, les' néop.+a ..

tonicien's et par les 'gnosti,Qlles 6. " ..

Le culte g6mellaire a ~~alement donné naissan~e à-des •

mythes qui 'i1iu~t:çent '~a: .q:toyance au .1louble; : Dan'sl ~e~ cci~pl~s.. , - "" " ~ . , .. /"

de jumeaux inythi,ques t 9't) 'de .f.rèl'es mys.t6rieùsement un~Y , ... .' , .

les plus c!1:èbr'es' son:t/J:es f,rè.res Dioscures, 'Castor et ~o11uXJ . \ • '. \ q

Rom.u.1Us, et' .Ré'ml.ls .. :·~~b,e'i ~oai~, et' 'les deti,x pr~~~go.nj'stes d.un· .' ~ , - . ", ' :: \':.',-

conte 6~p't1e-n t,t~$ ancien inti ~ul~ Utes Prê:r~~n .~: i ~~s ' ..

jumeaux' ont' pu deve~ir des hé,l'oS "tellement poplJ'la res ... e' est "'" ." ,

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craindre ~~ d' hOllPrex: leurs· m!nes. \ C'est que les j timeaux . ".

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apparaissent "connne la réal::1satlon d'un, hpmme ~u1 tl. amené

avec lui" 'son 06uble vis1b'i'e" 7 ~, Aussi do1t-~n vên~rer "la ' ',..

par1;;ie,_il!lDl0rtelle' de 'cet être qui. a acc~.s" cro'1t-on: au, mondè

des ,espri.ts, ,et accorder une foi tota'le .en, é'~~::··préd1'ct'ibn,~. QU, ~ , ~ '\. ',~\. l 1

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en ses e~pl1,Catl~hs de phénbm~rie'.s: divers. 'M~~B :'en, ,m6me ~tefll.~~',

et à cau~e Justeme~~ d'OU c.aI-act~~e' s~nà~urel. ,d~ ':.~'lè:· J!).9~b~~~' ' ", .. "~ ? ~ • :r ~ ~ "; ~ • _.. , • ~- ~.' , ~ > -

v1:gj.ble, on doj;t..:":è:ra·~nC!re ''';if~. pouvoir' .my's~é·r1eux· dJ:l'~ c'ouIr~e" et'; \ ' 4 r '.-li .. '1>"~~~ 1 • I~ .... '1 ',tU .~

neqt~a~~S~f sok,'~~~~~{;~ qù~Î~~r~1:~~.':~:"~~~~~r jÙ~~rtié~~~.~~'.~, ""1' <.:~::'":l 0: , " ',\ ,'" "it···, ,~;_.. . . ':' ,,-J"~, :~';' ..• ,,::, ' .. ,: :."

Q1,lài '. q\l "1.1 ",en soit'/' l'a na.i.~~·ê .:gémeUa1:re·:·.i:k"éti':{·p:Etr.Ç;tib~~'·' ~ ,,;.' ,~;·.:tty' • J, ' " ':' ',,'" ~~~'li:. >,.'.~, ," ~ ~;,,:~. :',:: " ~:;,'::;:,,: .;:'d:; .. i,: ~,'" -, <:.'/~',' ~ ~~U$è' 'g,e '?a prése~~~:. qu D~~~.~,~' ~~~'1P?~~~::~o.~,r{,'~~.~:.,·~~,~n~:;L ,~,', \';;~:'~:~" t~g~bl'e "dé ·~là:·J' dùal~~~" d~:' i~~irè.:!:et/·, P~'/,S~iJ$tquint':; de,' ';,:;;:~: r·, ,1, ~),"~ , .. ~ \. ,';"'.<'\ -?-",:1 " . '"";,,-,,.:i;,>"-;\\:.~~"~:i;:~: ~~~.:.:~:,.~~,~;J;~~"~ l' immbrt~~l1:té d 'UP~~JP~rt~e"'H:û mol ~:, v~~· 'iiq~,qu~i~ ·'îe.~~d~~,uk·",~ :

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autrefois Lugdunum, fondée par les Dioscures gaulois Momoros 8 et AtepoI\laros

Si un pouvoir spécifique semble souvent attribué à

ces héros ag~ssant à l'u~isson, on remarque que ~e mythe met

parfois également l'ac7ent sur l'aspect oppositîonnel du couple,

sur son càractère ambivalent porté à la fois vers le ~ien et

v~rs le mal, en présentant des jumeaux ennemis, l'un créateur

et l'autre destructeur, qui s'affrontent jusqu'à ce que l'un

d'eux périsse. La lutte sacrificielle devient inévita~le:

l'un d~es deux éléments du couple doit se soumettre ou disparaître

afin d'assurer le triomphe et la survie de l'autre 9 Cette

~ situation conflictu~lle symbolise la tension exercé~ dans

chaque être humain par les aspirations contraires de son moi.

Dans le f~lklore iroquois, par exe~ple, une légende qui

réunit le mythe des jumeaux et celui de la cosmogonie, raconte

tlu'e l'univers aurait été créé par un couple de frères ennemis.

L'un d'eux, dont l'action salutaire est à la base de toute

création positive, symbolise e~ quelque sorte le bien. L'autre,

le Mauvais Frèr~ qui règne su.r les Ténèbres, est le réprésen­

tant du mal 10.

Dans la mythologie celtique, nombreux sont les héros 1

qui évoluent de pair, sans touterois être des jumeaux. Ils

illustrent le caractère oppositionnel et complémentaire de la

dualité. Le ,couple de personnages le plus célèbre est celui

du druide et du guerrier qui représentent res~ectivement la

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-6-

sagesse et la force Il

La religion chrétienne a également joué un~le cons idérable dansl l' é labo ra tian du mythe du doubl e . En effet

la vision manichéenne du monde qui est véhicul~e par le

christianIsme a alimenté la concept~on dualiste déjà existante.

D'abord c'~st un premier principe d'opposition qui sert de

base à la religIon même: il s'agit de Dieu, incarnation

suprême du Bien, et de Satan, personnification diabolIque du

Mal. Sur cette d,ichotomie fondall'Pentale s'érige une série

paradigmatique presque infinie: le ciel et l'enfer, la vie et

la mort, l'âme et le corps, le pur et l'impur, l~ positif et le

négatif, la lumi~te et les tén~bres, l'invisible et le visible,

le divin et le terrestre. Pour le chrétien, l'univers entier

est régi par ce syst~me dichotomique: tout ce qui es~ du bon

côté mérite respect et vie, tout ce qui est du mauvais côté

mérite la persécution et doit disparaître. Selon l'histoire

chrétienne de la création du monde, c'est Dieu qui établit

cet ordre moral des choses, lequel est symbolisé par l'arbre

de la connaissance (c.f. Genèse, 2,9.). En goOiant du fruit

de cet arbre, le premier homme prena cons~ience du système

des valeurs et doit désormais s'y soumettre. Il ne peut le

modifier en aucune façon, et toute révolte devient dès lors

un péché. Cette règle, appliquée quelquefois par le peuple

chrétien avec trop de rigueur, a été cause de l'intolérance

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du christianIsme, de son ardeur à convertir des peuples qui a r

parfois entraîné l'anéantissement entier de civilisations

rvancées, comme celle des Mayas au Mexique, par exemple.

L'homme, même Chrétien,\est perçu )i(ins cette perspective

comme étant lui aussi l'objet de\cette division universelle. \.

D'une part, par suite du péché originel, le mal est montré

comme s'infiltrant insidieusement en lui; d'autre part, le

sacrifice du Chrlst, et par la suite l'eau baptismale, lui

ouvre les portes de la Rédemption. Donc, selon la pensée

chrétienne, l'homm~ demeure un être double et jusqu'à sa mort

il est déchiré entre ses m~vais instincts et ses aspirations

divines. Tout au plus peut-il, durant son séjour sur la

terre, faire pencher la balance d'un c~té ou de l'autre, Il

mais jamais de façon irrévocable.

Nous pouvons rappeler à ce propos que les Cathares,

secte manichéenne du Moyen-Age qui s'est 'répandue en France

entre les XIe et XIIIe siècles, a'préhendaient fortement

le nombre deux. Comme le souligne Roger Mazelier dans son

article, ce nombre "introduit dans le monde la ~ucidité

existentie1le" 12. Ne pouvant le nier, l'homme est forcé de

reconnaîtreOque toute chose n'existe que par la présence de ,

son contraire: le jour n'existerait pas sans la nuit de même

que le bien n'aurait aucune valeur sans le mal.

Une légende, qui prend sa source dans la Bible,

illustre bien les conséquences dramatiques qu'entraîne 'toute

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révolte contre b'ordre moral établi par Dieu. Selon cette

légende, un combat fut engagé, au début des temps, entre

les anges serviteurs de Dieu, Michaël en tête, et lès anges

ré~oltés, sous la tutelle de Satan. A l'issue du combat, les

premiers sortirent vainqueurs et

il fut.précipité, le grand Dragon, l'antique Serpent, celui qu'on appelle Diable et Satan, le séducteur du monde entier; il fut précipité sur la terre, et ses anges 'furent précipi tés avec lui. 13

Il est à noter qu'à l'origine, Satan n'était pas foncièrement

mau~als. Ce fut son désir d'usurper le pouvoir divin et de

renverser l'ordre des choses qui amena sa chute. Alors par

la suite seulement,Satan et ses anges déchus, qu'ils fussent

exilés sur la terre ou confinés en enfer, devinrent les symboles

du Mal.

Ainsi ce mythe d'une querelle primitive opposant les

puissances' célestes- symbolise bien l'éternel combat que

s~lent se livrer les bons et les mauvais esprits pour la

domination de la terre. L'être humain subit toujours les

conséquences néfastes de cette lutte, puisqu'il demeure le

jouet de ces forces en présence et la victime de leur influence

réciproque. Le mythe d'Abel et de Cain reprend, à un niveau

plus modeste, la même image. C'est l'orgueil et le dépit qui

ont fait de Caln le premier meurtrier et l'ont rangé ainsi

sous la coupe de Satan. Ce récit se rattache d'ailleurs au

mythe gémellaire dont nous avons parlé précédemment.

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Ce bref survol historique nous permet de mesurer,

l'importance qu'a toujours conservée la notion de double

malgré le temps et l'espace qui séparent les peuples. Le

double suit fidèlement l'évolution des mentalités, quelles

que soient les formes qu'on lu+_prête. On le retrouve dans

tous les domaines: ~eligieux, historique, mythologique,

psychologique et astrologique. Au XIXe siècle, c'est dans~

la littérature que ce mythe s'exprime sous les formes les

plus variées. En effet, les écrivains romantiques semblent

à la fois préoccupés et fascinés par-la notion de dualisme.

Sous leur plume, elle devient un thème savamment élaboré et

nous pouvons ,déceler la présence d'une figure du double dans

les oeuvres de plusieurs grands auteurs de ce siècle, entre

autres Hoffmann, Jean-Paul F. Richter, Byron, Musset, Gautier,

Nerval, Balzac et Maupassant. Les précurseurs du romantisme,

en particulier Goethe et Nodier, présentent déjà, dans leurs

oeuvres, une image du mythe du double.

Bien qu'une analogie évidente caractérise ce thème

dans les différentes oeuvres où il apparaît, la culture, la ,

mentalité, les croyances de chaque auteur en montrent une

exploitation très ~ariée. Ainsi chez Goethe, le mythe du

double est surtout intellectualisé. Dans\son oeuvre, cet

auteur pose le problème moral du bien et du mal qui met en

relief la dualité ressentie par l'être humain à l'intérieur

de lui-même. Le héros de son Faust, par exemple, vit d~ façon

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très intense la lutte interne que se livrent ses aspirations

contraires:

Deux âmes, hélas! se partagent mon sein, et chacune d'elles veut se séparer de l'autre: l'une ardente d'amour~ s'attache au monde par le moyen des organes du corps; un mouvement surnaturel entraîne l'autre loin des ténèbresQ vers 140 les hautes demeures de nos aieux!

Cette formule, devenue célèbre, qui exprime si bien le problème

du dualisme de l'âme, est reprise par Gérard de Nerval en

éplgraphe de la Pandora.

Nous pouvons remarquer que la littérature fantastique •

s'est avérée un véhicule privilégié du thème du double.

Ce genre littéraire, défini par Todorov "comme une perception

particulière d'événements étranges" 15, permet en effet à

l'auteur d'aller beaucoup plus loin dans l'élaboration du

mythe du double. Ainsi Hoffmann, qui est incontestablement

le poète du double, construit Les Elixirs- du Diable en

mettant l'accent sur l'étrangeté du phénomène de la dualité.

Ce livre évoque "le lieu intérieur où nous sommes en proie

à nos 'postulations' essentielles, le champ de bataille où 16 s'affrontent nos t~ndances les plus profondes" Ici,

l'auteur ne se contente pas d'une évocation abstraite; son

récit se présente plutôt comme une lllustration complexe

du concept du dualisme. Le héros, le frère Méd~d, se voyant

divisé en deux personnes distinctes, en vient à douter de sa

personnalité propre: "Je suis ce que je parais, et je ne

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-11-

parais pas ce que je suis. Je suis pour moi-même une éni~me

iJle~pl icable! Je suis en lut te avec mon moi!" 17 Cette

lutte est à la base de toute l'intrigue. Médard est po~rsuivi

par son Double diabolique, un être bien vivant identique à .

lui-même, e~ il ne retrouve une existence sereine qu'à partir

du moment où eet être étrange est anéanti. En choisissant

de traiter le motif du double dans un cadre fantastique,

Hoffmann a réussi à en donner une image forte, concrète et

très élaborée. C'est ce texte d'ailleurs qui a inspiré à

Nerval l'idée des doubles, des ressemblances miraculeuses

et de la fatalité héréditaire.

Dans son Manfred, Byron met en scène une situation

semblable, toujours dans un cadre surnaturel. Tel qu'il est

présenté, le héros apparaît comme le prototype même de l'être

miné par des aspirations contraires, car "c'est un chaos

digne d',être, admiré, un mélange de lumière et ~e ténèb~res,"'

de génie et de poussière; de passions et de pensées généreuses" 18

Ces deux tendances spnt personnifiées ici par des esprits, \

les forces du Bien et du Mal, qui se disputent l'âme de •

Manfred. Ce dernier décide de lutter de front contre eu~

et il ies rencontre. Seule la mort vient mettre un terme à

ce terrible combat:

~harles Nodier, dans un d~ ses Contes fantastiques,

offre une figure du double quelque peu différente. Béatrix~

l' hérolne de la "Légende de soeur Béatrix", revient au couvent

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-12-

après plusieurs années d'une vie dissipée, et èlle voit

apparaître devant ses yeux l'image vivante d'elle-même, ~

"non telle 'que l'âge, le'r vice et le désespoir l' avoient faite,

mais tell€ qu'elle avoit da être aux j~urs innocents de sa

jeunesse" 19. L'apparition du Double n'est pas perçue,

dans ce cas particulier, comm~ un phénomène funeste, provoqué

par une force diabolique; au ~ontraire elle permet à l'héroïne

de subir une métamorphose qu~ lui redonne les attributs

~o~formes à cette image d'i~nocence et de pureté.

Dans l'oeÛvre d'Alfred de Musset, la figure du doublè

se présente sous différentes formes. D'abord "La nuit de

décembre" met en scène un Double qui se distingue du poète,

un "étranger vêtu de noir" qui resselfible "comme un frère" au

poète 20, ~;i le suit p~~ à pas et apparaît en définitive

comme un compagnon d'infortune, un frère dans la solitude

et la détresse, un speçtateur assidu mais non importun.

Le double est ici une incarnation de la solitude, du malheur,

dU mal de vivre/qu~ doit affronter le poète.

Dans Lorenzaccio'par contre, le double n'est plus

extériorisé, mais il demeure le signe de la division intérieure

du héros. C'est par le recours au masque que l'auteur aborde

ici le mythe. Lorenzo, le héros du drame, change en apparence

de personnalité et joue le rôle de ce nouveau Lorenzo devant

les aut res . Mais b~.e'ntôt il s' aperçoi t que ce masque lui

colle tellement à la peau qu'il est incapable de retrouver

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sa première Identité: J

Par {e ciel! quel homme de cire suis-je donc! Le vice, comme la robe de Déjanire s'est-il si profondément incorporé à mes fibres, que je ne puisse plus répondre de ma l~ngue, et que l'air qui sort de mes lèvres se fasse ruffian malgré moi? 21

Le Double intérieur de Lorenzo, qui avait pu se manifester

grâce au masque, prend le héros au piè~e de son propre jeu.

L'apparence trompeuse prend la place de la réalité.

Dans La confeSSIon d'un enfant du siècle, nous

retrouvons cette même idée d'une double personnalité qui

déchire l'être. Mais si dans Lorenzaccio une des personnalités

arrive à subjuguer l'autre, ici le conflit reste sans issue.

Cette oeuvre, largement,~utobiographique, présente en effet

un héros qui adopte successivement deux attitudes diamétrale-

ment opposées. Octave n'a aucun contrôle sur les forces

contraires qui luttent en lui:

Mon propre visage, que j'apercevai~ dans la glace, me regardait avec· étonnement. Qu'était-ce donc que cette créature qui m'apparaissait sous mes traits? qU'était-ce donc que cet homme sans pitié qui blasphémait avec 22 ma bouche et torturait avec mes mains?

Bi&n qu'il soit parfaitement conscient de la présence de ---ces "fantômes" 23 à l'intérieur de lui-même, Octave doit se

soumettre ~ leur pouvoir et imposer aux autres son moi hostile.

Cette division intérieure rappelle celle que subit le héros

du roman de Benjamin Constant, Adolphe. Adolphe est lui aussi "il

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-14-

un héros déchiré entre deux personnalités qui s'opposent, tantôt

aman~ tendre et romantique, tantôt raisonneur froid et cynique.

Nous po~rrions poursuivre encor .. longtemps cette "" énumération des apparitiops de la figure du double dans les

,oeuvres littéraires du XIXe siècle. Car il y a autant d'ima-

ge~ ~ifférentes du ~ouble qu'il y a d'auteurs qui ~raitent .. du sujet. Comme le souligne Todorov, chaque oeuvre présente

un aspect et un sens particulier du double selon les

"relations qu'entreti~n.t ce thème-ci aA"E{c ~'autres" 24

C'est ce qu'il nomme "la polysémie de l'image". Le double

vient donc s'insérer dans une série de figures et de thèmes f

agencés de façon particulière, qui constitue le mythe personnel

de chaque écrivain. Partant d'une préoccupation commune,

à savoir le problème du dualisme intérieur, les auteurs

aboutissent à"la création d'une image du double toute imprégnée

de leurs phantasmes las plu~ntimes.

Appartenant à la thématique romantique entre autres

par l'intérêt manifesté pour le motif du double, l'oeuvre de

Gérard de Nerval, que nous avons retenue pour notre sujet,

offre des exemples très variés de ~ette figure. Il est

évident qu'il a puisé dans un corpus c&nsidérable de

textes ésotériques et de légendes les éléments qui

nQurrissent son mythe. Ainsi nous retrouvons à plusieuTcs

reprises dans l'oeuvre nervalienne, principalement dans le

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-15-

Voyage en Orient, l~idée du combat primiti~ entre les

puissances célestes éternellement ennemies. Par ailleurs,

l,~ apparition d'un Double, spectre du héros, conune chez

Hoffmann, caractérise r' "His~oire du calife Hakem". La

croyance selon laquelle "il y a dans tout homme, à toute heure,

deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre'~ers

Satan" 25, comme nous la rel'icontrons chez d'autres écrivains

dont ~oethe, Byr~n et Hoffmann est également exprimée chez ,

Nerval, tout particulièrement dans Aurélia. Le phénomène

des ressemblances étranges, si cher à H~ffmann et mêmé à

Nodler, est une des clés principales de Sylvie. L'deuvre

nervalienne témoigne donc des nombreuses influences qu'a

subies l'auteur. Mais ~ans l'agencement et la superposition

de ces images et de ce~ concepts repris d'écrivains antérieurs

nous pouvons déceler la singu1arisation du ,motif du double

opérée par Nervat.

Bien que ce dernier fasse allusion au problème du

double à travers toute son oeuvre, un réseau particulièrement

riche d'images construites autour de cette figure se trouve \

concentré dans trois textes: dans deux légendes du Voyage en

Orient, dans Sylvie et dans Auré~ia. Bien que certains élé­

ments au niveau du style, des images ou des concepts soient

réintroduits d'un texte à l'autre, chaque récit offre l'image

d'un nouveau rapport avec le double. Ainsi dans les deux

extraits du Voyage en Orient, la figure du double app~raît

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-16-

liée aux héros. Le narrateur, qui prétend rapporter le récit

fidèle d'hist~s e~~endues

se distingue tout à fait des

lors de.son séjour en Orient, , ~

deux ~rotagonistes. Le rapport ,

ne peut donc s'établir, au premier abord du moins, qu'entre

le double et le "il:'. Dans le premier texte, l' "Histoire , . ,

du calife Hakem", apparaît une lmage concrete du double,

soit celle d'un être physiquement identique au héros. Cette

première représentation du concept du double est assez tradi­

tionnelle. Mais nous verrons que l'atmosphère dans laquelle

elle s'anime lui confère un caractère original. Ce texte,

qui réunit la notion de double et celle des ressemblances

mystérieuses, doit son origine à l'histoire de Raoul Spifame

que Nerval inclut dans ses Illuminés en 1852. Dans~le deuxième

texte, l' "Histoire de la reine du Mat.in et de Soliman,

prince des Génies", le récit est ~ncore écrit à la troisième

personne et l~ dO~le est associé uniquement au héros.

son image prend une valeur plus exclusivement symbolique

Mais

et elle est axée sur le concept de la lutte éternelle des

ei\nemis.

Dans Sylvie, l'originalité de l'auteur est beaucoup . ,

plus manifeste et la singularisation du motif du double y

gagne. En effet, la principale figure du double est liée

aux trois héroines et elle s'imbrique dans un autre th~me

important de l'oeuvre nervalienne qui est la quête amoureuse.

A travers les visages de femmes qu'il rencontre sur son chemin,

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-17-

le narrateur ~e recherche dEsespérêment qu'une image unique

. de la fêmme aimée •. Le'troisi~me texte que nous retie~drons,

Aurélia, es~ le plus important en ce qui concerne notre . sujet. D'abord le~rêcit est fait à la-iiemière personne,

et le doub1 e apparaît 1 ié au "j e". Le héros\ et le narra téur

se fondent en un seul être pour ~ous fai~e part d'une expé-'-'-

rience troublante, la scission du moi en deux persQnnes

distinctes. Nous verrons que plusieurs éléments décelés

dans les textes précéd~nts sont concentrés ici, par exemple

l'image concrète du doubla, la lutte du bon et du mauvais

esprit, les doubles fémini~s liés à la quête amoureuse,

la notion des ressemblances troublantes. La figure du double . qui résulte de ces superpositions nbus semble très riche

de significations.

Lorsque le double est'le sujet princiPa1 d'un te~te, , commè dans Les Elixirs du Diable de Hoffmann par exemple,

il devient plus facile à cerner~et à analyser. Mais chez <

Nerval aucun des textes n'est construit de cette façon.

En effet, la figure du double apparaît, dans l'oeuvre nerva­

lienne, au milieu de plusieurs images et thèmes qui s'enche-Q

vêtrent. Aussi s'avère-t-il nécessaire pour mieux cerner ce

motif, d'analyser certains des éléments qui l'entourent.

Nous grouperons, entre autres, les 'personnag~s qui ne sont

qu' indi rectement 1 iés au double, les décors, les couleurs',

les' actions, les sentiments. Tous ces éléments ajoute~t en effet

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dans l "oeuvre des ç:aoract'~ris~tj.Qns spécifiques au , \

du double~

Ce mythe qui témoigne, çomme nous l'avons dit

pr~cédemment;, d'une pr~occupation particulière à l'~poque

rornantiqu'e i prend ,chez Nerval l'aspect d 'une véritable

obsession. Nous dêv,ons pour, des raisons pratiques, ,nous

restreindre à l'analyse de l~ figUre/~u d~uble dans trois

" textes; mais il n'en reste pas moins que celle-ci se retrouve 1

dans 1" oeuvre entière, de la Biographie singulière de Raoul

Spifame, seigneur des Granges, publiée une première fois

en 1839 jusqu'au texte posthume d'Aurélia. A propos du thème

de la dualité chez Nerval, Kurt Scharer parle_à juste titre de

"l e itmoti'v" 26. Cette hantise se reflète en effet jusque Jans

son écriture: oscillation constante du style passant brusque­

ment d'un ton humoristique et badin à un ton dramatique et

plaintif; répéti tiQ?-s, reprises de th~mes, d' imàges', dt expres-- -

s ions; util isa't,ion' de l' ant i thèse; _d.§9.oulneJn~nar+atif.

Certes, çertains de tes traits stylistiques sont da~ à des ,. J

exigences extérieures. co~e ~e souligne R~yrnond J~pn,

certaine~,répétitions~ par exemple, ~'expliquent par l'ob1i-\ .

27 -gation pour N~rvgl d'écrire ùans différents journaux . ,

, Toutefois cette'raison pratique n'e~c1ut nullement que les

1pis de l' écri ture nervalienne obéissent à d'es préoccupa.tioD'$ , .

plu$ profondes. D'ailleurs. nous retroUVQns certaines

manifestations de ce style, hors des~euvres littéraires,

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-19-

dans la correspondance générale de Nerval: "Ne m'attends

pas ce soir, car la nuit sera noire et blanche" 28 Cette

antithèse énigmatique que nous relevons dans la lettre à sa

tante'datant du 24 janvier 1855 n'est rien d'autre qu'une

ultime forme de la d~alité de l'imaginaire nervailen.

Notre étude nous permettra de juger de l'ampleur

que pre~d cette hantise clans l'oeuvre de Nerval. Elle

consistera à analyser ~es divers aspects que revêt la figure

du double dans les textes précItés. Les trois formes princI-

pales S0US lesquelles elle apparaît occuperont chacune un

chapitre. AinSI nous étudierons dans un premier chapitre \

les deux légendes du Voyage en Orient. Dans le premier

extra1 t, l' "Histoire du' calife Hakem", nous observerons

tout d'abord une image concrète du double liée au héros

Hakem, autour de laquelle se développe la notion de "ferouer" 29 .."

et une scène de mariage du double. En étudiant le contexte

dans lequel évolue ce double, nous verrons apparaître d'autres

aspects, plus profonds et personnels, de ce motif: attrait ) \

mystérieux entre certains personnages, liens mystiques entre

le héros et sa soeur, divinisation du calife, et une ébauche

de la lutte des ennemis éternels. Dans le second extrait

du Voyage .. nous retrouverons d'une part l'image du double

féminin du héros Adoniram, image qui nous est révélée par

l'attrait mystérieux et la parenté mystique des deux

p~otagonistes. D'autre part, nous verrbns qu'une seconde

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-20-

forme du motif apparaît grâ~e à l'élément de rivalIté

introduit dans ce texte. Les notions de mariage~et de lutte

primitIve viennent ici encore se greffer à la figure du ~

double.

Dans un second chapitre, nous aborderons le texte

de Sylvie. Nous remarquerons que la fIgure du double est

s:U1gularisée surtout par son rapport aux héroïnes, "elles",

qui ont de si troublantes ressemblances et répètent comme

un écho l'image obsessionnelle de l'unique femme aimée.

Nous verrons que ce motif se développe sous plusieurs formes:

notion des ressemblances étranges qui aboutit à une identifi-

catIon totale de deux héroines, opposition de deux formes

d'amour différentes, scène du mariage. Nous retrouverons

également quelques Images liées aux héros masculins qui

apparaIssent comme les rIvaux ~u narrateur auprès des femmes

aimées. Ils s'interposent entre le narrateur et les héroïnes

risquant de faire échouer sa quête amoureuse.

Notre troisième chapitre sera consacré à Aurélia.

Le double est ici lié au "je", puisque se réalise la fusion

du narrateur et du héros. Nous verrons que tous les aspects

de l~ figure du double rencontrés jusqu'ici sont approfondis

dans ce dernier texte. Ainsi nous retrouverons l'image

concrète du double lié à la notion de "ferouer", l'élément

de rivalité et la jalousie qui en découle, la scène du mariage

du double, l'idée d'une lutte p~imitive entre des ennemis

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II

-21-

éternels. Les notions des ressemblances et de migration

des âmes, la quête amoureuse et la quête de l'unité

s'élaborent également ,autour de la figure du double. Nous

pourrons donc comparer les tonalités des images liées à notre

motif .:sous la forme des trois personnes, "il", "elles". "je n : .

A l'intérieur de ces trois chapItres, nous observerons

également les divers éléments qui apparaissett dans le texte

autour de l'image du double. Nous tenterons de déterminer

la valeur respective de ces composantes par rapport à la

~igure principale. Nous observerons aussi la fonction de

celle-Cl dans le déroulement du dIscours du narrateur. Pour

ce faIre, nous étudierons le texte comme une intégrité

dynamique et autonome, suivant ainsi principalement la méthode .. structurale.

Après avoir analysé les différentes formes que prend

la figure du dpuble dans les textes choisis, nous conc~urons

notre étude sur les images,

évoquent la notion d'unité.

~----.:------(fan~ces réci ts, qui

on trW plus

particulièrement dans Aurélia, des int rrogations, des excla­

mations, des déclarations de foi qui nous incitent à penser

que le narrateur, en même temps qu'il--i'-eprésente la .division

de l'être sous la forme des doubles, ~fie sa quête d'une

unité perdue. Nous vérifierons donc ce qu'il advient du

motif du double qui semble conduire, dans ce dernier texte,

à quelques images de réconciliation et d'unité.

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-22-

NOTES

Otto Rank, Don Juan et le Double, Paris, Ed. Petite Bibliothèque Payot, 1973, p.62

Ibid., p.63

..

Jean Servier, L'homme et l'invIsible, Paris, Ed. Imago, 1980, p.76

Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, tome "PIE à Z", Paris, Ed. Seghers, 1974, p .. 4l2

IbId., tome "A à CHE", 1973, p.SO

Otto Rank, op. cit., pp.80-Bl

Ibid., p. 96

Chevaller - Gheerbrant, op. cit., tome "H à PIE H, pp.9l-92

IbId., p. 89

l,bId., p.19Q

Ibid., tome "CHE à Gif, 1973, p.189

Roger Mazelier, "Gérard de Nerval et les Cathares en Périgord", dans la revue Europe, no 516, avril 1972, p.63

, La Sainte Bible, Paris, Ed. Edi1ec l 1979, "Le livre de l'Apocalypse", 12,7. à 12,13., p.882

Goethe, Faust, Paris, Ed. Garnier Flammarion, 1964, p.64

Tzvetan Todorov, Introducti.on à la littérature fantastique, Paris, E~. du Seuil, 1970, p.97

Albert Béguin, L'âme romantique et le rêve, Paris, Lib. José Corti, 1939, p.299 ,

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28

29

li;.4t.œt:z ..... _.,.. .... -~- - -

-23-

E.T.A. Hoffmann, Les Elixirs du Diable, Paris, Lib. Stock, 1926, p.S8

Lord Byron, Oeuvres ~plètes tome XI, Paris, Ed. Delangle Fréres, 1827, ~.67

Charles Nodler~ Contes fantastiques, ParIs, Ed. Georges Cres et Cie, p.59

Alfred de Musset, Choix de Poésies, Montréal, Ed. Bernard Va1iquette, p.65

Musset, Loren~accio, Paris, Lib. Larousse, 1936, p.91

Musset, La confes sion d'un enfant du siècle, Par i s, . Ed. Gallimard, 1973, p.297

" Ibid., p.206

Tzvetan Todorov, op. cit. t p.1S1

Charles Baudelaire, Oeuvres complètes, Paris, Ed. du Seuil, 1968, "Mon coeur mis â nu", p. 632

Kurt Scharer, Thématique de Nerval, Paris, Ed. Minard, 1968, p.36

Raymond Jean.,. La poétique du désir, Paris, Ed. du Seuil, 1974, p.49

Nerval, Oe~vres l, Paris, Ed. NRF Gallimard, 1974, p.1197 ,

Jean Richer, dans ses annotations au texte du Voyage en Orient, ment ionne que Nerval a fait "touj ours â tort de ce mot un simple synonyme de 'double"'. Il cite à l'appui un extrai t du 1 ivre du baron de Bock: ~ "Les Ferouers sont, dans la religion des Parses~ les premiers modèles des êtres". Et il conclut que Nerval confond "l'archétype" cl 'un être avec son "double". (Oeuvres II, Notes et Variantes, p.1374). Pour notre part, nous utiliserons ce terlj1e, à la manière du narrateur, comme synonyme de "double".

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CHAPITRE l

Le Voyage @n Orient: le double lié au "il"

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Le Voyage en Orient apparaît comme le texte le plus

imposant qu'ait écrit Gérard de Nerval, puisqu'il constitue

à lui seul près des deux cinquièmes de toute son oeuvre.

De prime abord, le texte se présente comme un récit de,voyage.

En falt, Nerval part p'our l' Orie~t vraisembiablement le

23 dé~embr~ 1842, et en revient l'année suivante, au début

du mois de novembre. Les notes qu'il prend durant sofi

séjour là-bas, la documentation qu'il accumule en cours de

route forment les principales bases du texte qui est publié

fragmentairement dans des périodiques, par exemple dans la

Revue des Deux Mondes où des extraits paraissent en 1846,

1847, 1848, 1850. Mais, si l'on se réfère à la chronologie

établie par Jean Richer dans La Pléiade, c'est seulement

en 18 SI que Nerval pas s e un trai té "avec Charpent ier pour

l'édition définitive du Voyage en Orient" 1. Il a donc

fallu sept années à l'auteur pour composer la version

intégrale de son récit. Aussi le texte entier, qui compte

près de sept cents pages, est-il bien davantage qu'une simple

chronique de voyageur. Longuement méditée et travaillée,

qette geuvre est marquée par les figures qui hantent l'imagi-

naire nervalien, et parmi elles, le motif du double.

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Comme le fait remarquer Marie-Jeanne Durry, le texte . est construit sur un double plan narratif 2. D'abord, une

grande partie du Voyage est ~crite à la première personne,

le "je". Le narrateur, s'identifiant au héros, est un person-

nage qui raconte ses pérégrinations, ses aventures et

mésaventures lors des traversées et pendan~ son séjour en

Orient. L'auteur y ajoute ici et là des indications d'ordre

géographique, historique, sociologique et religieux ainsi

que des réflexions personnelles. Cette première partie,

présentée sous la forme d'une sorte de journal quotidIen, ..

constitue la relation de voyage en tant que telle.

A quelques reprises cependant, le "je" se transforme

en "il", ce qui modifie complètement le récit. En effet le

narrateur, abandonnant momentanément la perspective réalIste,

transporte le lecteur dans le monde merveilleux des Mille

et une nuits. Il rapporte ainsi deux légendes orientales,

l' "Mistoire du calife Hakem" et l' "Histoire de la reine du

Matin et de Soliman, prince des Génies". Pour introduire .. ces contes, le narrateur a recours à un subterfuge: il

prétend livrer au lecteur la transposition fidèle de récits

entendus'en Orient. Nous savons toutefois, comme le soulignent

Jean Richer et Albert Béguin, que l'auteur s'est référé à 3 différentes sources livresques pour écrire ces deux légendes

Ainsi po~ l'histoire de Hakem, Nerval aurait surtout puisé

dans l'oeuvre de l'orientaliste français Isaac Silvestre de

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( 1 -26-

Sacy; pour le deuxrèrne texte il se serait principalement

inspiré du chapi tri des Rois de La Bible, de l' Histoire des

juifs de FlaVIUS J~sèphe et de la Bibliothèque orientale.

Cette technique qU~ consiste à amalgamer dans un même texte

d · ff'- 1.-" d' l erentes sourcep etrangeres n est 'aIlleurs pas nouvelle 1

chez Nerval. Cet tuteur a en effet l'habitude de pUlser

chez d'àutres écri ains des sujets qui deviennent, sous

l'effet de son lns~iration, des éléments de son mythe personnel. 1

Nous pouvoms déceler, dans ces 'récits dans le récit', t 1

une exploitation p~rticulièrement approfondie de la figure 1

du double. Celle-cp apparaît 1 iée ~ux héros respectifs des ; \

deux contes, Hakem,et Adoniram. Le narrateur se démarque 1

nettement de ces p~otagonistes qu'Il a créés, et c'est à eux

qu'il lie la fIgUre du double. Le rapport qUI s'établIt

donc entre cette dernière et ces deux personnages indépendants

du narrateur est ce:l ui que nous nommerons du doub le au "il". 1

i 1

L' "Histoire du caljife Hakem"

La figure ru double que nous retrouvons dans !

l' "Histoire du ca1~fe Hakem", légende extraite du chapitre

"Druses et Maronite$" du Voya.ge en Oriént, se présente sous ..

deux formes assez différentes. Tout d'abord apparaît une

image concrète qui matérialise de façon assez traditionnelle

le concept de dualisme. Hàkem, héros du conte dans lequel

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-27-

il est présenté comme le calife du Caire, aperçoIt dans son

palais de l'île de Roddah un être id~ntique à lui-même,

vêtu de ses propres habits et jouant le rôle du maître de

maison. Il interprète ce phénomène étrange en fonction des

croyances orientales:

Il crut que c'était son ferouer ou son double, et, pour les Orientaux, voir son propre spectre est un signe du plus mauvais augure. L'ombre ~orce le corps 4 à le suivre dans le délai d'un jour .

. que N~val. en utilisant indifféremment les mots ,- ,

"ferouer" et "double", ne se -:-éfère qu.' au sens larg~ du terme

"ferouer". En effet, dan~es·" mystIques orientales, le

"ferouer tl n'est pas un sImple synonyme de double, mais il

participe à une croyance beaucoup plus complexe. Sans entrer

dans des détails qUI déborderaIent le cadre de ce travaIl,

nous pouvons indIquer seulement que le "ferouer", aussi

appelé "fravashi" dans la langue iranienne, est con,sidéré

comme l'archétype, le premier être, le premier modèle de 5

l'homme et par la suite, son double Tandis que sous

la plume de Nerval, le "ferouer" n'est plus qu'un double

dont la particularité serait, pour les orientaux, d'être

un mauvais présage.

Cette première apparition du double, ou comme le

nomme Nerval 'à la manière des orientaux, du ferouer, concourt

à engendrer une scène typiquement nervalienne: le double

s' apprête à épouser Sétalmulc, soeur du calife, à la place

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1

1

1

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-28-

, de Hakem lui-même. Comme nous le verrons dans l'analyse

des autres textes, ce mariage auquel participe le double

constitue un véritable leitmotiv dans l'oeuvre et révèle

une hantise du narrateur. Le mariage du héros nervalien

transcende généralement le domaine humain et charnel; il

n'est pas présenté comme une union banale entre deux êtres

quelconques mais plutôt comme une réunion à caract~re

mystique. Mais le double qui s'immisce dans le couple vient

toujour& troubler, sinon contrecarrer les plans du héros.

Dans la nouvelle de Sylvie par exemple, nous retrouvons une

scène de mariage idéalisée entre l'héroïne et un double du

narrateur. La vision du double prêt à épouser la femme

âimée remplIt d'angoisse le narrateur d'Aurélia. Dans

l' "HistoIre du cal'fe Hakem", le héros exprime le désIr

de s'unir à sa soeur Sétalmulc, pour former le couple cosmo-

gonique qui sauvera l'univer$ des mauvais esprits.

Devant la répétItion de ce motif dans l'oeuvre, on

comprend mIeux l'importance qu'acquiert l'échec de ce projet

privilégié quand apparaît le double usurpateur. La réaction

de Hakem est d'autant plus intéressante qu'elle diffère

considérablement de celle des héros que nous rencontrerons

dans les autres textes. Le narrateur ne fait naître en son

personnage ni haine, ni jalousie contre son double. Ce

dernier n'est pas perçu comme un rival, comme un ennemi

contre lequel if faut se battre. Certes le narrateur décrit

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-29-

chez le héros un violent désir de vengeance contre Arg~vanJ 1 ~ l "

le grand-vizir, qui l'a fait enfermer au Moristan pendant

qu'un double de lui-même occupait sa place: "Misérable,

s'écria Hakem, tu as donc cré~ un fantôme qui me ressemble

et qui tient ma place?" 6 Il fomente la révolte parmi les

criminels et les insensés, il mène la bataille et reprend

par la force sa place de calife. Mais dans toute cette lutte

que nous dépeint le narrateur, au~une action n'est entreprise

contre le double lui-même. Car ce dernier apparaît non

comme un être réel mais comme un présage annonçant au

personnage du calife qu'on cheréhe à l'empêcher de contracter 1

son mariage avec Sétalmulc. Gouverné par "quelque divinité c.

jal~use, cherchant a usurper le ciel en enlevant S§talmulc

à son frère, en séparant le couple cosmogonique et providen­

tiel" 7, le double n'est --considéré par le narrateur qtte

comme une abstraction, un message, un avertissement.

L'apparition du double-ferouer ne reste toutefois

pas longtemps mystérieuse. En effet, après avoir présenté

Hakem apercevant son image vivante auprès de sa soeur, le

narrateur l~ fait se retirer du palais pour méditer sur ~

signification profonde de ce phénomène étrange; et c'est

à ce moment-là qu'il en fournit au lecteur l'explication,

en faisant intervenir le personnage ~e Yousouf. Nous

apprenons alors que Yousouf, jeune homme rencontré par Hakem

au caJé 1. ~essemble beaucoup au héros et ~u' il se trouvait

'" _ d ,.~_.----_._-----_._------

'r 1

1 1 1

1

-30-

quelques instants auparavant dans le palais aux côtés .. de

Sétalmulc. En le voyant, Makem avait donc cru voir son

ferouer. Ce qui était dt abord présenté au lecteur comme '1>

un double abstrait et mystérieux, réduit à n'être qu'un

signe, devient un autr~rsonnage dans le récit. Ainsi

le narrateur se réserve-t-il peut-être une issue vraisem~

blable, la figure du doubl e n '·étant finalement donnée que

~ __ ~mme un mirage né d'une méprise dans l'imagination d~

oniste Hakem.

{ i l'on s'en tient à cette interprétation réaliste,

l'image du ne semble être qu'un élément utilisé par

le narrateur our introdui re une croyance orientale et, par

conséquent, accentuer. l'exotisme du conte. Toutefois,

nous remarquons dans le texte la présence de différentes •

autres composantes qui sugg,èrent au contraire un approfo~dis-

sement et une exploitation plus personnelle du motif du

double. En effet, le texte fourmille d'images plus voilées

et d'allusions qui créent une atmosphère singulière et

permettent de déceler une autre forme plus subtile et plus ..

conséquente de la figure du double.

Nous avons vu que Hakem et Yousouf étaient présentés,

physiquement, comme des sosies presque parfaits, et que cette •

ressemblance était à l'origine de la première· apparition

du double. Mais tout au long du réci t le narrateur prend

..

1

"tl~!@i~,,_ ·_ .... 111 ••• 11111l1li"' __ 111 .. 0.8 __ l!!'Ix .... JISI2I1!11, .... __ ... CO ...... ,."ZL ___ •• _. _____ +----....... __ ~ _______ ..... = ___ ............ aIlllA;"";_ •• * ... IIIl!/IIIlM~~~ ........ 41_

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-31-"

soin d'entretenir l'idée que ces deux êtres sont unis par

un 1 ien mys~rieux beaucoup plus profond. Ainsi, dès la

première rencontre, le personnage de Youso,uf est montré

comme se sentant "tout (de sui te au c'oeur une {ympathie

sec rète pour l'inconnu" 8, en l' occurence Hakem. Après

avoir pris le hachisch, et .bien qu'ils aient passé à peine

"une demi-heure l'un près -de l' ~utre", il leur semble "se

connaitre depuis mille ans" 9" '"Certes nous pourrions

attribuer au seul effet de la drogue c;ette impression de

déj à-vu que ressentent les èleux personnages. Mais le

narrateur a soin de faire dire par Yousouf que la drogue

ouvre la porte du monde des espri ts et révèle à son usager

une réali té supérieure, qu'elle ne crée rien mais rend

seulement perceptible un monde surnaturel qui reste caché

aux communs des mortels. Ainsi sommes-nous amenés à o

cro ire que le fait pour les deux personnages de s ' .. êt re

reconnus est 1 e signe qu'un lien secret et essentie 1 les

uni t. D'ailleurs le narrateur continue à se servir du "

personnage de Yousouf pour appuyer encore plus fortement

cet te idée:

Un'attrait mystérieux m'entraine' vers to i.· Quand tu as pénétré dans ce1::-te salle, une voix a crié 'au fond de mon

lO âme: "Le vo:i:là donc enfin."

Mentionnons que dans une' première version de l' "Histoire du 1

cal i fe Hakem" parue dans la Sylphidè, une solution était

donnée au lecteur puisque le lien \étrange entre les \

\ "

, .

1

r

< "

-32-\

personnages était clairement identifié. En effet, il y

avait à la fin du récit, dans un dialogue entre le narrateur

et le cheik, un texte qui mentionnait la parenté véritable

des héros: "Les deux amis, l'un calife, l'autre pêcheur,

furent ~cés dans des tombeaux pareils; ils étaient tous

deux princes, tous deux petits-fIls de Moëzzeldin" Il. Et

quelques lIgnes plus bas le cheIk, relatant le guet-apens .. dont Hakem et Yousouf sont vIctImes à la fin du récit, précIse

encore: "Les deux frères· n'avalent été qu'étourdis par

des coups de masse" Il'.

Bien que l'aspect surnaturel de l'apparitIon du double

ait été affaibli par une explication logique, soit la

ressemblance ph,sique de Hakem et de Yousouf, le narr~teur

nourrit donc constamment l'attraft inexplicable et la parenté

quelque peu mystique qu'il animJ entre le protagoniste et

son compagnon. Il adopte d'ailleurs cette attitude ambiva­

lente à plusi~urs reprises dans çe texte, ainsi que dans

d'autres récits où le double apparaît. Notons que cette

technique d'écriture qui consiste à entraîner alternativement 1

le lecteur d'un monde réaliste à un univers merveilleux, est

4l propre du genre fanta$tique. tomme ~e souligne Todorov,

• C'est npus qui soulignons.

---- - ----------- ... ,

-33-

le texte d'un récit fanfastique doit obliger le lecteur

"à hé~iter entre une explication naturelle et une explication 1

surnaturelle des événeménts évoqués" 12. Hésitation, oscllla-

tion, ambiguïté sont les termes essentiels qui caractérisent

le style du fantastique. Le lecteur, et souvent les

personnages eux-mêmes, doivent rester dans l'incertitude du

début à la fin, ils ne doivent pas trouver de solutlon dans

le texte; car "dès qu'on choisit l'une ou l'autre réponse,

on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisln" 13

C'est pourquol il est heureux que Nerval ait supprimé cette

première verSlon de l'hlstoire du callfe que nous avons'-

mentionnée plus haut. La parenté incontestablement reconnue

des deux héros détruisaIt en effet tout l'effet fantastique

en fournissant au lecteur une réponse nette et 'catégorique

A ses interrogations. Dans le texte définitif, par contre,

l'insistance du narrateur à rapprocher les personnages

rétablit le doute en restaurant le mystère dans l'esprit du

lecteur et l'incite à penser que Yousouf est une sorte de

double fraternel de Hakem.

Le mariage mystique constitue la deuxième composante

du texte qui contribue à maintenir la figure du double hors

de la réalité objective. Comme nous le verrons par ailleurs

dans les autres textes, la femme dont rêve le héros est elle-

même plus qu'une épouse ou qu'une soeur, même mystique: elle

est en somme une projection du héros lui-même. Dès le d'but

Cl

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....... P. IR' J lE ! .... 5 119 __

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-34-

du récit, un lien mystérie~x céleste et inexplicable est

décrit comme rapprochant Hakem de Sétalmulc. C'est à cause

de cet "attrait indéfi'nissable" et d'une "affection profonde

14 comme la mer, vaste COmp1e le ciel" que le héros doit

épouser sa soeur. Cette union est aussi montrée comme ayant

une fonction essentiel~e pour l'humanité tout entière:

En m'unissant à une autre femme, je craindrais de prostituer et de dissiper l'âme du monde qui palpite ~n moi. Par la concentration de nos sangs divins, je voudrais obtenir une race immortelle, un dieu définitif, plus puissant que ·tous ceux qui se sont manifestés jusqu'à présent sous divers noms et diverses apparences!

Ainsi Sétalmulc se révèle progressivement au lecteur sous

une forme nouvelle: elle est présentée comme cette seconde

partie de lui-même que le héros tente en vain de récupérer

pour retrouver son unité.

La façon dont le narrateur présente Hakem est

plusieurs fois ambiguë: tantôt ce personnage apparaît comme

un être humain au même titre que les autres, tantôt il nous

est révélé sous un aspect surnaturel. La situation équivoque

qui en résulte contribue~ maintenir dans l'esprit du

lecteur cette incertitude propre au fantastique. Ainsi - ~l

l'être qui pénètre brusquement dans les appartements de

Sétalmulc est donné comme n'étant plus tout à fait le

calife Hakem:

, l.-~

... En effet, Hakem semblait n'etre pas animé par la vie terrestre. Son teint pâle reflétait la lumière d'un autre

tIURiil':"'·

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, -35-

monde. C'était bien la forme du calife, mais éclairée d'un autre esprit et d'une autre âme. ~es gestes étaient des gestes de fantôme, et il avait l'air de son propre spectre. 15

Ici encore cette apparence et cette attitude étranges, qui

visent à retirer le héros du monde des vivants, semblent . ~ulter d'une sOlrée'à l'okel, ce café où Hakem et Yousouf

ont absorbé la pâte verte et enivrante. Mais le narrateur ,

entend bien ne pas imputer au seul hachisch l'aspect singulier

du calife. Il insiste au contraire sur le côté surnaturel

et fantastIque de la scène en répétant à trOIS reprises:

"un autre monde", "un autre esprit", "une autre âme" *.

Il vise ainsi à créer un monde parallèle auquel appartiendrait

son héros. De plus, dans un autre passage, juste avant que

Hakem soit confronté à son double, qui s'avère par la suite

être Youspuf, un phénomène -plus étrange encore se produit:

Hakem est montré se promenant parmi ses serviteurs qui ne

semblent pas même le remarquer. Pour accréditer cette ,

singularité, le narrateur décrit l'Inquiétude du héros:

Il se sentait pa~'état d'ombre, d'esprit invisible, et il continua d'avancer de chambre en chambreJ~~ traversant les groupes cbmme s'il eût eu au doi-gt l'anneau magique 16 possédé par Gygès. ~

Le narrateur incite donc le lecteur à croire que l~ calife

* C'est nous qui soulignons.

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1

-36-

a deux existences, l'une humaine possédant les mêmes pro-

priétés que tous les hommes, l'autre divine.

Cette impression est renforcée par le ~arrateur qui,

plusieurs fois, identifie clairement Hakem à un dieu. D'abord,

sous l'effet du hachisch, Hakem est montré comme ayant la

révélation qu'il est dieu, "le seul, le vrai, l'unique Dieu,

dont les autres ne sont que 161S ombres" 17 Mais cette

déification est ensuite attribuée à l'ivresse et est ainSI

en quelque sorte effacée. Puis, par l'intermédiaire du

personnage de Yousouf, le narrateur affirme qu'il ne s'agit

là que d'une "idée flxe" 18 dont les habitués de la drogue

sont tous un peu victimes. Enfermé au Moristan, Hakem continue

toutefoIs de prétendre qu'il possède une essence divine et ,~

affirme qu'il est "doublement méconnu comme calife et comme

dieu" 19. Le narrateur ne précise pas alors si le contact

des-1r s insensés inspire cette fois au héros cette idée

fixe, 0 encore s'il est véritablement atteint d'un déséqui­

libre entaI. Mais il renforce le mystère à l'aide d'une

remarque qui accorde aux hôtes du Moristan "cette seconde

vue particulière aux insensés" 20 Ainsi, comme dans le cas

de l'absorption du hachisch, la folie semble d'abord être

. une explication, mais celle-ci s'avère insuffisante. Car

si la folie peut expliquer logiquement des comportements

étranges, elle peut tout autant, devenue "seconde vue",

confirmer le caractère surnaturel de ces mêmes attitudes. \'(

_~J _______ ._. _______ ~. ------,"":, ... "',------ " \~ ~:.

1

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• •

-37-

Si le calife demeurait le seul personnage à être

convaincu de sa divinité, beaucoup de lecteurs risqueraient

malgré tout d'opter pour la première interprétation, à savoir

que Hakem a perdu la raison. C'est pourquoi le narrateur

introduit une tierce personne, un vieIl homme qui entre en

scène pour proclamer que Hakem est dieu. Ob vieillard énIgma­

tique révèle en effet au héros que s'il n'a pu jusque-là,

sauf sous l'effet du hac.isch, reconnaître sa divinité, c'est

à cause de l'enveloppe charnelle qui le dissimule aussi bien

aux autres qu' à lui~me. Et "comme daJ),s l'état de veille

un rapport inattendu unit parfois quelque fait matériel aux

circonstances d'un rêve oublié jusque-là", Hakem voit, grâce

à cette révélatIon troublante, "comme par un coup de foudre, , 21

se mêler la double eXIstence de sa vie et de ses extases" .

Ainsi Hakem est donné à nouveau comme un être double, d'une

part un calife avec son enveloppe charnelle, d'autre part

un dIeu incarné. De ce fait, et à partir du moment où il

s'adonne à la drogue, sa vie se dédouble elle aussi: d'un

côté il participe à la réalité dont il connaît les exigences

quotidiennes, de l'autre il appartient au monde du rêve qui

offre l'extase révél~nt une réalité supérieure. Le narrateur

permet en fait à son héros de découvrir par la drogue le sens

second, le mystère caché de son existence . . . Notons ici encore que la version de cette légende

parue dans la Sylphide, et dont nous avons déjà fait m,nt jan,

r illdl 1 S'WNee

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-38-

altère considérablement l'effet fantastique qui entoure

la notion de divInité. En effet, il est attesté dans ce

passage, par l'intermédiaire toujours du cheik, que Hakem

est le dieu Albar, apparu un Jour à Moëzze1din pour lui

apprendre qu'il se réincarnerait bientôt dans l'un de ses

petits-fils. Cette indiS\tion, quoique plus près sans doute

des croyances orientales, ~lève au lecteur toute incertitude

et donne au conte un caractère religieux ou merveilleux, selon

les convictions du lecteur, lui enlevant son caractère de

récit fantastique.

Un dernier élément lié au double, et que nous retrou-

vons aIlleurs dan? l'oeuvre, est ébauché dans ce texte.

Il s'agit du combat des ennemis éternels, symbole des tensions

exercées par les tendances opposées de l'homme, toujours

en lutte. Ainsi, deux des habitants'du Moristan s'identifient . respectivement l'sn au chef des dives et l'autre à Adam,

vainqueur du roi des génies rebelles. Après avoir échan~é

des propos violents, les deux "insensés" en viennent aux

poings, et le narrateur éclaire ainsi}le sens symbolique de

leur combat: "la lutte des deux ennemis allait se renouveler

après cinq milliers d'années" 22. De même lorsque Hakem est

montré comme le chef ~e la rébellion dirigée contre Argévan,

nous pouvons lire le commentaire suivant dans une note du

narrateur, placée en bas de page: "on assiste ~une de ces

luttes millénaires entre les bons et les mauvais esprits

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1

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-39-

incarnés dans une forme humaine" 23 Ici Hakem et s~

adeptes correspondent à une incarnation du bien alors qu'Argévan

et ses acolytes sont des Incarnations de Satan. En f~t,

comme le note Kurt Schàrer, le combat éternel entre les

principes contraires est vécu intensément par le protagoniste

du conte comme une aventure personnelle 24, C'est à lui

que le narrateur attribue la tâche de sauver l'humanité des

puissances infernales. Nous avons déjà observé d'ailleurs,

à propos de l'épisode du marIage cosmogonique, que le rôle

de dieu rédempteur était revendIqué par le héros . ..

L'image concrète du double apparaît donc dans ce

réci t' comme un prétexte. Le "ferouer" de Hakem n'existe pas;

par contre le personnage du calife est bien montré comme

vivant un dualisme inté!ieur, attiré et déchiré qu'il est

par les tendances co~traires qu'if sent en lui. Son drame

naît à partir du moment où le narrateur le présente comme

étant incapable de distinguer la frontière qui sépare ses

extases et la réalité. Comme le souligne Jean Richer, cette

situation déborde le cadre historique du récit. Le narrateur

du Voyage en Orient a, selon ce critique, "f)rofondément et

\ volontairement altéré la vérité historique pour donner au

conte une 5 igni fica tian personnell e" 2 5 . Il semble bien en

effet que les sources de l'histoire du calife, que nous avons

mentionnées au début de ce chapitre, aient été complètement

. _ .. _-- ., 1141 il 7:1 l 'ifiItiV;

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-40-

,. refondues par le narrat~ur qui n'en a conservé que les formes . . propres à incarner son univers imaginaire. Parmi celles-ci

se trouve la figure,du double à laquelle il communique tout

le mystère, le déchirement et l'angoisse qui caractérisent

son propre problème d'identité.

En considérant une autre source de cette légende,

soit Le rOI de Bicêtre, nous trouvons confirmation du rôle

joué par le narrateur dans l'élaboration du récit. En effet

dans ce texte, écrIt par Nerval en 1839 et inséré dans les ,

Illuminés en 1852, nous retrouvons un motif du double Iden-

tique à cel~i élaboré dans la légende orientale. Dans les

deux cas, c'est une histoire d~ sosie qui sert de point de

départ à une division de la personnalité. La notion de ~

double-ferouer est aUSSI présente. Et le héros apparaît

dans les deux cas comme un être déchiré entre son rêve et

la réalité. Spifame, protagoniste du récit, puise "tout

à coup la conscience d'une seconde personnalité" en "plongeant

son 're~ard dans celui du prince" 26, son sosie, tout comme

Hakem découvre sa double personnalité en absorbant du hachisch. \

Comme on le voit en comparant ces deux tex~es, c'est le narrateur

qui choisit de dramatiser en l'amplifiant le déchirement

intérieur des héros. Il greffe aussi sur cette division

la vision manichéenne qui est la sienne en accordant aux

tendances ennemies des va1(;rs morales. Au lieu d'une simple

forme animant une 1égende,~nous présente une opposition

l

1

1

<..

-41-

de plus en plus conflictuelle qUI fInIt par représenter les

forces ennemies du BIen et du Mal.

Selon Jean Richer, le véritable héros de l' "HIstoire

du calife Hakem" est Nerval lui-même. Il croit en effet que ce

récit serait la "transpositIon de rêves survenus au cours d'une

crise qui auraIt eu pour théâtre la SyrIe au moment du voyage

de 1843" 27, Sans nous rallier tout à fait à cette assertIon

hypothétique, personne ne pouvant prétendre connaître avec ,

certi tude les "rêves" cl 'un auteur, nous croyons cependant qu'il

y a certaines coincidences entre les probl~mes intérieurs réflé-

tés par les récits du narrateur et ceux de Nerval lui-même. Ce

dernier nous incite d'ailleurs à le croire, quand Il affirme

dans Promenades et souvenIrs qu'il fait partie "du nombre des

écrlvains dont la vie tIent Intimement aux ouvrages qui les

f - ~" 28 ont aIt connaltre . Aussi sommes-nous autorisés à penser

que par l'intermédiaIre du narrateur et des héros qu'il crée,

Nerval exprime en les sublimant ses propres hantises, son

propre drame intérieur.

\

1 ;

des Génies .. \j L' "Histoire de la reine du Matin et de Soliman, prince

Avec ce récit, nous restons dans un contexte oriental,

mais nous ne rencontrons plus la notion de double-ferouer, comme

sos ie du héros' et messager funeste. Nous n'assistons même

plus à l'apparition d'un double quelconque. En fait, la

scission est ici déjà accomplIe: la figure du double se

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. ~\ -----.- . - __ r_.____ - ~-..,..' ____ ."' ___ , ........... ' __ _

1

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1 i

-42-

présente sous la forme de deux êtres distincts, soit Adoniram

et Balkis, ayant chacun une autonomie propre.

Adoniram, principal héros de la légende, nous est tout

d'abord présenté comme un être mystérieux doué d'un pouvoir

et d'un génie créateur presque surhumains. "0 grandeur! ô

puissance du génie de ce mortel, qui soumet le~ éléments et

dompte la nature!" 29, s'écrle la reine Balkis à son sujet. Un

signe de la main lui suffit pour commander aux hommes et former

une armée de tout un peuple d'ouvriers. Le narrateur fait de

ce personnage un être taciturne qUl ne se sent pas à l'aise parml

les hommes, comme s'il voulait suggérer son appartenance à

une autre race:

Sa misanthropie le tenait comme étranger et solitaire au milieu de la lignée des enfants d'Adam; son éclatant et audacieux génie l~ plaçait au-dessus des hommes, qui ne se sentaient point ses frères. Il participait de l'esprit de lumière et du génie des ténèbres! 30

On voit Adoniram vivre fortement cette double personnalité jusqu'au

moment où, à la suite d'un voyage initiatique qui le conduit au

centre de la Terre, il apprend son appartenance aux fils du feu

en tant que descendant de Kaïn * Il retrouve alors une unité.

Dès le début du récit, le narrateur nous incite à

croire qu'un lien indicible unit la reine de Saba et l'artiste:

"Il répondit, et sa voix frappa la reine comme l'étho d'un

fugitif souvenir; cependant elle ne le connaissait point et

* Nous reproduisons ici l'orthographe du narrateur. , ,e , -.1""_ ....

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-43-

ne l'avait jamais vu" 31. A maintes reprises le narrateur

souligne cette sympathie secrète qui semble les rapprocher.

Nous apprenons par la suite qu'ils ont des ancêtres communs

et qu'ils seraient, depuis longtemps, destinés l'un à l'autre:

car Ba1kis est présentée elle aussi comme une fille du feu,

descendante de la lignée des Hémiarites, et protégée par

les pui~~ances éternelles. En conséquence, elle apparaît

à la fois comme une parente du héros et ~omme la femme promise

par ses aieux:

Ombres sacrées de mes ancêtres! ô Tubal-Kaln, mon père! vous ne m'avez point trompé! Ba1kis, esprit de lumière, ma soeur, mon épouse, enfin, je vous ai trouvée! Seuls sur la terre vous et moi, nous commandons à ce messager ailé des gênies du feu dont nous sommes descendus. 32

Ainsi, le narrateur nous suggère-t-il que la reine de Saba

est le_double féminin d'Adoniram auquel ce dernIer doit s'unir

afin de sauver la race des enfants du feu. La figure du

double est donc présentée dans un premier temps sous sa il-

forme positive: élément complémentaire et unificateur,

le double suscite à son a~parition des sentiments de plénitude.

Notons que l'élaboration du motif que nous ret~ouvors ici

reprend une situation déjà ébauchée dans le texte précédent: \

Sétalmulc apparaissait elle aussi comme un double du héros,

une épouse mystique qui pouvait seule lui permettre de

reconquérir une certaine unité perdue et de la transmettre

à l'univers.

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1 1 i

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-44-

L'élément de rivalité apparaIt dans le texte grâce au \

person~ge de Soliman. En fait ce dernier occupe simultanément

dehx rôles dans ce récit. Tout d'abord, dans la personne du roi

de Jérusalem, il incarne le pouvoir absolu. Il est alors

ridiculisé par le narrateur qui exprime, par la voix d'Adoniram,

son mépris pour l'orgueil, la suffisance et la cupidité dù grand

souverain. De même, face à Balkis, il apparaît comme un être

fat, superficiel, plein de contradictions. Cette image du roi,

symbole de l'autorité, peut également être assimilée à la figure

du père, Soliman jouant effectivement un rôle paternel auprès

d' Adonirarn'-

Mais par la suite, le statut de Soliman se modiflelcom-

plètement. Il est présenté en effet comme le rival d'Adoniram:

rival pour la conquête de Balkis, rival pour le pouvoir, mais

également rival de par son ascendance. Car, comme nous l'appre-

nona dans le récit, Soliman est issu de la lignée de Habel, J

fils du l'imon, tandl,s qu' Adonirarn descend de Ka1n, génie du Feu.

Aussi l'élément de rivalité décrit entre les deux personnages

prend-il une importance considérable dans son rapport avec le

motif du double. Le narrateur se sert des deux héros, représen­

tant tou~deux les ennemis éternels, pour que se répète dans

son texte la lutte p~mitive qui a eu pour conséquence la division •

du monde et de l'@tre humain en deux principes antagonistes.

A titre de rival, Soliman peut donc être considéré

comme une espèce de double ennemi d'Adoniram. A maintes

1\., '. F VI' '11111'

1 1 ,

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-45-

reprises, le narrateur so~ligne leur opposition. Soliman,

serviteur fidèle d'Adonaï, craint la singularit~ et la

puissance du géni~ ~e l'artiste. S'élevant contre l'aspect

subversif de certaines des créations d'Adoniram, "ces idoles

'&éa~tes qui sont en rébellion contre les types consacrés \, (,

par le rite hébralque", il le menace en termes à peine

voilés: "Mais J prends garde: la force d' Adonai est avec moi J

et ma puissance off'ensée réduira Baal en poudre" 33

Il redoute aussi qu'Adoniram ne se serve de son pouv~r pour

le détrôner. Lorsqu'Adoniram est montré comme commandant

d'un geste la foulè des tr~vailleursJ le personnage de

Soliman prend conscience de la véritable puissance royale

de son rival. Nous avons déjà vu que de son côté, Ad6~iram

est choisi par le narrateur pour exprimer son mépris face

au roi, à cause de son origine bâtal'de' et de sa-race "parasite,

envieuse et servile, travestIe sous la pourpre" :;4. Mais

c'est surtout face au personnage de Balkis, d,ouble féminin

d'Adoniram, que le Jcanflit entre 1e;; deux protag-onistes mas cu-

lins atteint son niv~au d'intensité le plus élevé .. Jusqu'ici,

nous n'avions vu que llopposition coritenue d'une puissance

et d'une magnificience royales, celles de Soliman, contr~

un génie créateur et un pouvoir mystérieux, ceux d'Adoniram.

Mais pour la conquête de Bàlkis, la violence dresse ces .t

antagonistes l'un contre, l'autre. En effet, sentant c'roitre ..

le danger que représente Adoniram auprès de la reine, le roi

~- , •• b" __ ·_~·~-~'·-~-··_'-·----v---------------------·--~----------------~----------~ ..• Si.,".&.Ù~6k.q~t~f.f.4~.I ..... 'i_'

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-46-

Soliman donne son assentiment tacite à un guet-apens dans

lequel p~rit son rival. On ne peut ignor~~ ici l'analogie

de cette situation et de l'origine de la lutte primitive

telle que le narrateur nous l'explique, par le personnage 1

de Kaïn, lors de la descente aux enfers d'Adoniram:

la réprobation d'Adonaï, me condamnant à la stérilité, donnait pour épouse au jeune Habel notre soeur Aclinia dont j'étais aimé. De là provint la pre'mière lutte des dj inns ou enfants des Eloims, issus d~ l'élément du feu, contre 3S les flls d'Adonaï, engendrés du limon.

Dans les deux CqS, c'est le personnage de la femme qUl est

la source d'~ne rivalité~vlolente qui se termine de façon

trag ique .

Nous voyons ~onc que la figure du double présente

dans cette histotre, apparaît sous deux formes. D'abord,

comme dans le téxte précédent, le double féminln du héros

'nous €st montré: c'est le double bénéfique, la partie

• complémentaire, à la fois soeur et ép'Quse my.stique. Le

personnage d'Adoniram ne semble pas plus heureux'dans sa

quête de la femme, ou du double fêminin, que Hakem: il

~urt alors qu'il s'app~gte à aller retr~uver Balkis.

Toutefois si nous considérons le b~t prOf~n~ de l'union du )

héros et de la re ine, nous ,no.us apercevons alors qu' Adoni ram ' ~ ~

a en fait accompli sa mission et, de cette façon, qu'il a

vaincu son rival. 0 C'ar, comme nous 'le révèle le narrateur

grâce au personnage de T~b.àl-Kain', Adolliram est réservé

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-47-

"à la perte de Soliman, ce hdèle serviteur d'Adonaï" 36;

de lui doi t naître "une souche de rois qui restaureront sur

la terre, en face de Jéhovah, le culte négligé du feu, cet

élément sacré" 36. Et lors de la fui te de Balkis, nous (

apprenons également que la reine emporte avec elle "un gage

précieux" de leur hymen 37 Ainsi, malgré le dénouement

traglque, Adoniram est présenté comme vaInqueur de son rIv~l,

puisque l'unIon avec le double féminin, malgré sa brièveté,

assure la contlnuitê de la race des enfants du feu . • Le double rival, incarné ici par Soliman, constitue

la seconde forme du double. Le narrateur veut, par cette

opposition, reconstituer pour le lecteur l'image des

puissances ennemies qui s'opposent. Mais, contrairement à

ce que' le lecteur pourrait attendre, il y a ici renversement

des valeurs du Bien et du Mal. Car Adoniram, pour qui la

sympathie du narrateur est manifeste, appartient à la lignée

"maudite" des fils de Kain:

Génies bienfaisants, auteurs de la plupart des conquêtes intellectuelles dont l!homme est si fier, nous sommes à ses yeux les maudits, les démons, les esprits du mal. FIls de Kain! subis ta destinée. 38

Il est clair que le narrateur tente de rétablir auprès du Q

lecteur la faveur de cette race injustement persécutée. Il

essaie de métamorphoser ces coupables en victimes. Soulignons

~ci enC0re la grande ressemblance qui rapproche Adonirarn

et l'auteur lui-même. C'est en effet à cette race maudite

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-48-

que Nerval semble s'identifier et 11 s~ sent sans doute lui

aussi, de par sa vocation littéraire, poète-maudit, génie

créateur méconnu et méprisé des autres hommes. Dans une

lettre à son père datant de 1839, il avoue que "l' homme de

lettres, lui, quoi qu'll fasse, SI haut qu'il aille, sî

patient que soit son labeur, on ne songe pas même qu'il a

besoin d'être soutenu aussi dans le sens de sa vocation" 39.

Et, chose bien pire encore que le mépris des autres, Nerval

sait que son père méconnaît son talent et désapprouve son

choix. Nous trouvons dans sa correspondance de nombreuses

lettres dans lesquelles il tente ?!~pérément de se

justifier auprès du docteur Labrunie. Elles nous confirment

l'existence d'un conflIt entre le père et le fils, par

exemple celles du 26 novembre 1839, du 30 janvier 1840, et

du 5 mars 1841. Dans cette dernière, Nerval constate amère-

ment l'échec irrévocable de leur relation:

Malheureusement, au milieu de tant de personnes qUI me sont favorables, tu parais être le seul C ••• ) qui ait conservé des préventions contre ma conduite et mon avenir. C ••• ). J'ignore jusqu'à quel point mon peu de goGt pour la profession de docteur a pu me mal placer dans ton esprit, mais je crois le mal (si40 c'en est un) irréparable désormais.

l

Aussi sommes-nous amenés à penser que le thème de l'affron-,

tement qui s'exprime dans l'histoire d'Adoniram par la figure

du double plonge vraisemblablement ses ra~ine,~ au coeur

même du drame vécu par Nerval lu~~me, cette lutte plus

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-49-

ou moins consciente menée contre son père jusqu'à sa mort.

L'analyse de la figure du double lié au "il" nous a

permis de découvrir, dans les légendes du Voyage en Orient,

une image beaucoup plus complexe qu'eile n'apparaissait au

premier abord. Ces texte~ présentent simultanément les deux

facettes du my~he: d'une part, une image positive incarnée

par les doubles féminins des héros et d'autre partI une image

négative représentée par les doubles rivaux. Les protago-

nistes des deux récits sont écartelés entre ces tendances 1

contraires, puisqu'ils peuvent à la fois bénéficier de

l'aspect unificateur et complémentaIre du double l et être

vlctimes de la scission résultant du concept de dualIsme.

La notion de rêve, qui oecupe une place essentielle

dans le premier con~ donne au mythe du double une dimensIon .....

nouvelle. En effet, le double n'apparaît plus ici uniquement

comme une représentation allégorique du problème moral du

bien et du mal ,mais il devient aussi le symbole de l'exis-

tence d'un autre monde. En présentant un héros déchIré entre

sa vie onirique et la réalité, le narrateur nous invite à

prendre conscience de l'existence d'une réalité supérieure.

Le rêve est perçu, non comme un état second, mais comme un

univers en soi. On conçoit alors l'intensité du drame que

peut vivre le héros qui est confronté sim~ltanément à ces \

deux réalités parallèles. La figure du double ainsi ~ ..

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-50-

récupérée par le narrateur devient un élément spécifique

de l'imaginaire nervalien.

Le thème de l'affrontement donne en effet à l'histoire

d'Adoniram son caractère le plus origInal. D'une part, le

conflit entre le héros et son dou~le transpose le récit au

niveau du mythe où leur rivalité devIent l'image du combat

éternel entre les "enfants des Eloims, issus de l'élément

du feu, contre les fils d'Adona\., engendrés du limon" 41.

D'autre part, dans son déSIr de r~habilitation, l'a~teur

crée un dOUb\e fémInIn et bénéfique qUI salt reconnaître

dans l' archi t~cte de Sol iman la "puissance du génie ll 42.

C'est par ces éléments nouveaux, nés de son mythe personnel

et anImés par le motIf du double que cette légende deVIent

un récIt vraIment nervalien.

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-51-

1

NOTES

1 ~erval, Oeuvres l , op. ci t. , p.XX.VII

2 Marie-Jeanne Durry, Gérard de Nerval et le mythe, Paris, Ed .. Flammarion, 1956, pp.76-77

3 Nerval, Oeuvres II, Paris, Ed. NRF Gallimard, 1978, pp.1367 et 1401

4 Ibid. , pp.389-90

5 Ibid. , p.1374 (note 1 de la page 390)

6 ibid. , p.381

7 Ibid., p.390

8 Ibid. , p. 3S 9 ,.1

:. 9 Ibid. , p.360

10 Ibid. , p.363

Il lb id. , p.1376 (note 2)

12 Tzvetan Todorov. °12· e i t. , p.37

13 \bid. , p.29

14 Nerval, Oeuvres II, °E' ci t. , p.363

lS Ibid., pp.37l-72

16 Ibid.! p.389

17 Ibid. , p.365

18 Ibid. , p.369

19 Ibid. , p.378 "-

20 Ibid.,4 p.386

21 Ibid. , p. 375

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-52-

22 Ibid., p.380

23 Ibid., p.396

24 Kurt Scharer, op. cit., p.255

25

26

Jean Richer, "Nerval et ses fantômes", dans le Mercure de France, juin 1951, p.287

Nerval, Oeuvres II, op. Clt., p.958

27 Jean Richer, "Nerval et ses fant.ô!lles", op. cit. , p.287

28 Nerval, Oeuvres l, op. cit., p.139

29 Nerval, Oeuvres II, op. cit., p.S49

30 Ibid., p.506

31 Ibld., p.527

32 Ibid., p.575

33 Ibld., p.530

34 Ibid., p.57l

35

36

3'7

38

Ibid., p.558

Ibid., p.563

Ibid., p.589

Ibid., p. 563

39 Nerval, Oeuvres l, op. cit., p.834

40 Ibid., p.892

41 Nerval, Oeuvres II, op. cit., p.SS8

42 Ibid., p.549

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CHAPITRE II

Sylvie: le double lié aux "elles"

1", UA 10 IIW .... '''.C _______ ~ -...-lo--- -~ ----- --- ------- .... -.

1

Sylvie, texte qui paraît pour la première fois le

15 août 1853 dans la Revue des Deux Mondes, est la deuxième

nouvelle du recueil Les FIlles du Feu. Le sous-titre,

"Souvenirs du Valois", nous renseigne déjà sur le contenu

du récit, qui se présente en partie comme la reconstitution

de quelques événements survenus dans le passé du narrateur

qUI a beaucoup en commun avec Gérard de Nerval. Il se

confond d'aIlleurs avec le héros qui se SOUVIent et avec le

"Je" du récIt. EprIS d'Aurélie, actrice parisienne, au point .. de se retrouver chaque soir "aux avant-scènes en grande tenue

de sOUpIrant" 1 J il se rappelle aVOIr éprouvé une fois dans 1

sa vie un sentiment aussi vif. Il s'agissaIt alors d'une

jeune châtelaine destinée f la vie relIgieuse, AdrIenne,

rencontrée lors d'une fête enfantine. Tandis qu'il revit III

en pensée cet épisode de sa jeunesse, une autre figure

féminine surgit dans sa mémoire, Sylvie, jeune compagne de

ses jeux d'enfant dans le Valois et objet de ses premiers

rêves d'adolescent. Un article de journal évoquant la

tradition de la Fête de l'Arc déclenche en lui un phénomène

de mémoire affective. Et les souvenirs ainsi ressuscités

le décident à partir vers Loisy afin d'y retrouver cette

jeune fille bien réelle et peut-être effacer ainsi

, , 1 : r:n $Pf'Wftf"a

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1

- 54-

de sa mémOIre les mirages de femmes idéalisées qu'il

poursuit.

Or, ayant retrouvé Sylvie, le narrateur passe de

désillusions en dés illusions. ~sent' ne correspond plus

au passé, et les souvenirs qui hantent son imagination ne

font qu'accentuer l'écart entre hier et aujourd'hui. Après

un,ultime effort pour retrouver la SylVIe d'autrefois et le

tendre amour qu'elle inspirait, le narrateur vaincu cède la

plac&- au Grand Frisé, son frère de lait, qui épouse la

bè Il e gantl ère.

Le texte de Sylvie est tout entIer axé sur trois

personnages féminins, Adrienne, Aurélie et SylVIe. Et la

figure du double apparaît liée principalemeht à c~ hérolnes.

A cause de l'alternance constante, dans le récit, entre le

présent et le passé, entre le rêve et la réalité, le motif

du double se développe suivant des formes plus originales

et plus variées que celles qui apparaIssaient dans les

textes précédents.

La premIère manifestation du phénomène du double a

lieu quand le narrateur rapproche clairement deux personna-

ges, l'actrice Aurél ie et la rel igieuse Adrienne. Le

sentiment qu' 11 dit éprouver pour AuréU~ est un "amour

vague et sans espoir, cqnçu pour une femme de théâtre" 2.

Or il croit que cette passion a "son germe dans le souvenir

d'Adrienne, fleur de la nuit éclose à la pâle cl~rté de la

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1 J l

/

- 55-

lune" 2. Le rapprocheme(lt de ces deux figures aimées conduit

bientôt le narrateur à une identification totale des deux

femmes: \ ~,

"Ai\ler une religieuse''''sous la forme d'une actrice! ...

et SIC' é ta i t 1 a même! - Il y a de quoi deveoir f0t\.;" 2

Cette Jtent~té expliq~l' amour Dans l'esprit du narrateur,

impossible auquel il s'abandonne pour l'actrice. 'D'aille~rs

lorsqu'à la fin du récIt il se confie à Aurélie, celle-ci

refuse de se laisser assimiler au personnage d'Adrienne.

Le charme est alors rompu et le narrateur s'efface devant

"le régisseur, - le jeune premier ridé" 3. En lui refusant

la perspectIve qu'ouvre sur le 'déjà vécu' l'image du double,

Aurélie détruit l'enchantement qui ~ourT1ssait "l'amour

vague et sans espoi r" l du narrateur.

dans

à le

~oyons 1

11, réCI t.

c eer dans

comment se développe ce phénomène du double

Deux éléments, semble-t-il, contribuent

l'esprit du narrateur. Tout d'abord, un

trait commun rapproche les deux héroines: leur rapport ~vec

l'art, plus précisément le théâtre. Nous savons qu'Aurélie !'

est comédienne et que le narrateur est ébloui par l'idole

qu'il voit évoluer sur scène, s~ns même connaître la femme

qui se cache sous ce masque. Quant à Adrienne, le narrateur

la rencontre dans une situation que nous pouvons qualifi~r

de théâtrale. Elle se trouve en effet au m~lie~ d'une

rDnde de jeunes gens et ,elle chante "une de ces anc-iennes

romances pleines de méla\Col~e et d'amour" 4

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l'actrice sur la scène, elle est le centre d'intérêt d'un

groupe de spectateurs. La nature elle-même supplée au

matériel technique et crée pour la chanteuse des feux de

rampe naturels: liA me sure qu' ell e chant ai t,l'ombre desc

dait des grands arbres, et le clair de lune naissant

tombait sur elle seule, isolée de notre cercle attentif" 4

A la seconde et dernière rencontre ·du narrateur et d'Adrienne,

l'élément théâtral est encore.plus évident. Accompagné de

~ Sylvain, frère de Sylvie, 1 e narrateur as s is te à la repré­

sentation d'une sbrte de mystère ancien dans lequel un choeur

d'anges entoure un esprit illuminé: cet esprit, c'est

"Adrienne transfigurée par son costume" s. C'est cette

Adrienne-là, transformée par le rôle qu'elle joue et le

déguisement qu'elle porte, que le narrateur croit retrouver ,

dans Aurélie, l'actrice parisienne.

Il est assez révélateur d'ailleurs que ce soit par

le truchement du théâtre, ou de la scène, qu~Auré1i~ appa-

raisse comme le double d'Adrienne. Car l'art théâtral a

bien pour caractéristique de déposséder l'actrice de toute

personnalité propre, pour lui en donner des centaines

d'autres. Il a parallèle~nt le pouvoir de "transfigurer"

la personne pour en faire un personnage, une image idéale.

Aussi, si le narrateur rapproche les deux héroïnes, c'est

qu'il crée, par ce jeu de perspectives r l'énigmatique

actrice, c'est-à-dire la femme qui englobe toutes les autres,

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-57-

grâce aux multiples identités qu'elle emprunte successivement.

La femme en elle-même lui importe peu, et "'le narrateur ne

sien cache pas quand il précise au début du réc i t: "Vue de

près, la femme réelle révoltait notre ingénuité; il fa1lâit

qu'elle apparût reine ou déesse, et surtout n'en pas .. 6

approcher" . Seules comptent les images qu 1 ~lle présente. l

Cela permet entre autres au narrateur de cons~rver une

ambigU~é sur la réalité même de son idole:

En me retraçant cés dé~ails, j'en suis à me demander s'ils sont réels, ou bien si je les ai rêvés. Le fr~re de Sylvie était un peu gris ce soir-là. 7

-Il peut ainsi douter même de l'apparition d'Adrienne: J

"est-elle aussi vraie que ces détails ~t que l' ex~stence

incontestable de l'abbaye de Châalis?" 7. se demande-t-il.

Voilà une interrogation qui tourmenterait bien davantage .­quelqu'un d'autre que le narrateur. Pour lui, au contraire,

ce doute a un charme car, comme il le dit lui-même, c'est

"une image qu' [il] poursuit, rien de plus" 8 Adrienne, --...

Aurélie et toutes les autres qui pourraient se joindre à ce

cortège, ne sont que des doubles d'une image originelle qui (

a sa source dans son univers imaginaire.

~e deuxième élément qui permet au .narrateur d'identi-

fier les deux héroines, c'est leur ressemblance phy~ique! ~

"La ressemblance d'un~ figure oubliée depuis des années se

dessinait désormais avéc une netteté singulière", précise-t-il 9

Cette figure oubli6e,~c'est celle d'Adrienne dont le narrateur

,.

. Slatl: [i!I)

- 58-

retrouve plusieurs traits chez Aurélie. Il nous confie ainsi

l'origine de sa passion pour Aurélie: il retrouve en elle

quelque chose d'Adrienne. Chose étrange, nous notons que

la reconnaissance 5 'effectue dans un ordre contraire à la

logique. En effet, le narrateur ne trouve pas immédiatement

chez Aurél ie des traits -de :.la jeune châtelaine de son enfance,

malS c'est seulement apr~s avoir longuement admiré l'a~trice

qu'il se souvient soudain~ent d'Adrienne et qu'il confond.

alors les deux images. La ressemblance de ces deux person~

nages apparaît donc comme une création à posteriori d~

héros-narrateur. D'ailleurs, Sylvie, qui a connu Aurélie,

ne semble pas du tout frappée par cette ressemblance quand

il la lui confie. Lorsque le narrateur lui demande si

l'actrice ne lui rappelle pas une personne qu'elle a connue, ~ 1

soit Adrienne, sa réponse est très -éloquente. E.lle part

10 "d'un grand éclat de rire en disant: 'Quelle idée!' "

Nous devons donc conclure que 1 ares semblance de..? deux

héroïnes est une donnée secrète de l'imagination du héros à

la~ue Ile les autres personnages n' o,nt pas accès.

Notons que la notion de ressemblance semble jouer un

rôle important, non seulement dans cette nouvelle, mais dans

toute l'oeuvre. En effet, cette idée a un grand pouvoir sur.

le narrateur nerval ien en général, par exemple sur celui du

Voyage en Orient, du Roi de Bicêtre. d" Aurélia, d-es ConfïdeIl;ces ,

de Nicolas. Ici encore il semble que la p~t:~ée du narrateur

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-59-, "

reprend beaucoup d'éléments de celle de Nerval lui-même.

Imbu des principes du néo-pythagorisme et du néo-platonisme,

ce dernier veut croire que "la ~essemblance corporelle, même '\

fugitive ou illusoire" peut lui permettre de conclure "à la

parenté ou à l' identi té des âmes" ft> Il avoue d' alileu-rs

dans la préface des Filles du Feu, par le personnage du 1

narrateur, sa croyance en ,la migration des âmes: "ne pouvant

trouver les p~euves de l'existence matérielle de mon héros,

j'ai cru tout à, cou'p à la trans\Rigration des âmes" 12. Les

ressemblances prennent donc poqr lui une valeur d'interslgne e.

et elles révè.1ent à l'initié qU'il est le fait'que sous tous

les visages ressemblants r~si~ la même âme:

Les yeux aveuglés des profanes peuvent bien ne voir dans les ressemblances que présenten~ des visage~ de femmes différentes que les jeux d'un hasard capricieux; pour l'initié, elles sont des appels du destin, d'irrécusab~es indices de l'identité f~ncière de to~tes les femmes aimées. 13

Or Nerval se dit un de ces "initiés". Aussi sa faculté de

percevoir, étant contralé~' par son imagination, il trouve

naturellement des points communs établissant des ressemblan­

c~s ~ntre les héros de la mythologie, de la fiction ou de

l'h~stoire et donnant lieu à la création de doubles. Les

nombreux doubles que Nerval s'e~t découverts. ne sont donc

que des cr~ati9ns de l'esprit. De même, les doubles qui

surgissent dans son oeuvre so~t tous des produits de

l'imagination du narrateur netvalten.

1.'" dP '.'1.

o

-60-

Le texte de Sylvie apparaît comme une illustration

particuliè~ement riche de ces concepts. Le narrateur y crée

et y Jêve la ressemblance qui fait d'Aurélie le double d'Adrienne.

Ainsi se révèle le prin€ipe même de l'amour décrit par le

narrateur nervalien et qui est fascination pour une image

répondant "à tous [ses] enthous iasmes, à tous [ses] caprices" 14

Le déplacement qui s'effectue d'une héroine à l'autre permet

à la passion à la fois de renaître, grâce à leur ressemblance,

et de rester fidèle à elle-même. On voit ainsi que le double ~

f6minin lié au ~hème de i'amour répond à l'équation que

confie la'poésle nervallenne: "La Treizième revient ... C'est

encor la premiè;e;/ Et c'est toujours la Seule" 15. Les

dédoublements de l'image féminine confirment paradoxalement

l'existence d'une figure de femme unique dans l'univers

nervalien. Et sur l'identité de celle-ci, le poète ne fait

pas mystère: "C'est la Mort - ou la Morte" 15 Cette

Absente entraîne la multiplication d'images féminines qui .~

deviennent les idoles auxquelles s'attache le narrateur.

Leur seule réalité tient dans cette ressemblanc~, ce jeu

des doubles; qui renvoie de l'une à l'autre le reflet de

l'amour perdu.

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-61-

, A l'opposé de ce double de la femme fatale, celle

qui fascine et inspire 'délice' et 'tourment', se trouve 4»

Sylvie, la jeune paysanne. Elle apparaît comme une sorte

de double ant~ste d'A~rienne et d'Aurélie. Physiquement,

elle est présentée de façon beaucoup plus réaliste:

"Sylvie, une petite fille du hameau voisin, si vive et si

fraîche, avec ses yeux noirs, son profil régulier et sa

peau légèrement hâlée!1I 16 Nous sommes loin déjà des impré­

cisions poétiques employées pour décrire les êtres aériens,

célestes et presque angéliques que sont Adrienne et son

double. C'est que, contrairement aux autres, Sylvie n'est

pas montrée comme une idole inlassablement poursuivie, mais

c8mme une femme bien vivante avec qui l'on peut penser à

partager sa vie. ~'le ~;rateur insiste sur la qualité . ,

existentielle de ce. 'personnage: , (-J>-

Et Sylvie ~ue j'aimais tant, pourquoi l'ai-je ouhliée depuis trois ans? .. C' étai t une' bien j 01 ie fille, et la plus belle de LOisy! Elle existe, ! elle, bonne et pur~ de coeui sans doute, 7

Ce que le narrateur attend d'elle, ce n'est pas une passion "',

troublante et sans espoir, clais la ~endresse, la simplicité

et la sécurité faisant suite à l'amitié amoureuse de l'enfance.

Devenue jeune femme, Sylvie est montrée certes co;me

u~ personne séduisante, mais elle garde -"des trai ts réguliers

et placides", et sa "physionomie digne de l'art antique" 18

apparaît comme le symbole d'émotions contrôlêes par la raison.

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-62-

Le narrat~rtr est attiré par Sylvie parce qu'elle offre le /

contraire de l'amour passionné engendré par Adrienne et

Aurélie. Et lorsque, adulte, il ~écide de revenir dans le

Valois, c'est en partie pour exorciser justement l'amour 1

passion que lui inspire l'actrice. Sylvie lui apparaît en

effet comme sa dernière chance d'effacer l'image qui hante'

son esprit:

Je me jetai à ses pieds; je confessai en pleurant à chaudes larmes mes irrésolutions, mes caprices; j'évoquai le spectre funest$ qui traversait ma vie. "Sauvez-moi. ajoutai-je, je 19 reviens à vous pour toujours."

Une seconde fois, il lui lance un appel au secours: "Oh! que

je vous entende!" lui dit-il, tique votre voix chérie résonne 1

sous ces voOtes et en chasse l'esprit qui me tourmente,

fat-il divin ou bien fatal!" 20 En fait, le narrateur supplie

la jeune fille de le délivrer de "l'obsession même @ cette ,

ressemblance" qui lie Adrienne et Aurélie dans son esprit 21.

- La réalité positive de Sylvie a donc peu de valeur

à côté du rôle symbolique que le narrateur lui assigne.

Ce personnagè apparaît en fait comme ayant la fonction d'une

bouée de sauvetage dont le héros cherche désespérément à se

saisir pour retrouver ces biens précieux qu'elle incarne:

enfance et adolescence, c'est-à-direison passé familial; Il

le Valois, donc un équivalent de la terre natale. ~ Sylvie

joue ainsi le rôle de "fée des lége~des éternellement

jeune" 22 chargée d'accomplir le miracle d'unir présen~ et

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-63-

passé, âge adulte et jeunesse. Mais nous nous apercevons

bIentôt que ce personnage subi t à son tour des modific'a tians ...

et que le narrateur nous présente deux images d'elle, soit

qu'il reproduise des scènes du passé, soit qu'il décrive

celle qui se dresse devant lui au moment du récit. La

seconde ne correspond plus tout à fait à l'ami~ d'enfance.

La Jeune fille qui était présentée comme un symbole de

permanence et de stabilité s'est transformée. L'enfant sau-

vage aux pieds nus est devenue une "demoiselle, presque dans

le gant de la "ville" 23. Elle étai t dentelière. une sorte

de créatrice, elle est maIntenant gantière, une sorte

d'ouvrière; elle ne lIsait pas et voilà que le narrateur

nous apprend qu'elle connaît Walter Scott et Rousseau; elle

fredonnait de vieIlles romances d'une voix fraîche et

naturelle, alors qu'elle phrase maIntenant de grands airs

d'opéra. Le narrateur découvre que ces changements

concerritnt Sylvie s'accompagnent d'autres trans form.a tions

qui l'affligent: le mobilier de la chambre de l'hérolne

a été remplacé par un autre plus moderne, des canaris

occupent maintenant la place des fauvettes dans la cage,

enfin la vieille tante qui habitait Othys est morte. Il

lui faut accepter l'action corrosive du temps et reconnaî-

tre q~e la Sylvie de ses souvenirs n'existe plus .

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-64-

La façon dont le texte est constrUIt met davantage

en relief l'écart entre le présent ~t le passé. Dans cet

enchevêtrement de souvenirs et d'instants présents, nous

décelons le parallélisme presque parfait de certaines

scènes. AinsI les scènes de la promenade avec Sylvie et du

réveil de cette dernière dans sa chambre se reproduisent-elles

à deux reprises, une fois dans l~s s~uvenirs du na~rateur

et une autre fOlS dans ïe présent narratif. Tentant

désespérément d'arrêter le temps, le narrateur voudrait,

par ces scènes, faIre coïncider le présent et le passé.

Mais le parallélIsme nous montre bien qu'il s'agit là d'une

tentative vaine, car il accentue finalement les différences

entre les époques. Le narrateur; à la poursuite de sa double

étOIle et perdu dans les souvenirs qu'il s'es~ faits,

semble être passé à côté d'un bonheur réel possible. Devant

le groupe familial composé de Sylvie, du Grand Frisé et de

leurs deux enfants, le héros songe un instant à l'existence

douce et paisible qu'il aurait pu mener lui aussi et qui

s'offrait à lui jadis. Mais sa nostalgie e~t ambiguë et

c'est sur une réserve révélatrice que se termine sa réflexion:

"Là était le bonheur peut-être; cependant ... iI 24

..., .... 11111111'-........ ~ ..... _-- ~ _..... -- - --..- -.-.- ~ - ~-- -- --- --

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-65-

"Si J'écrivaIs un roman, ,jamaIs je ne pourrais faire

accepter l'histoire d'un coeur épris de deux amours simulta­

nés" écrit le narrateur 25. Pourtant, c'est l'histoire de

ce coeur qui est racontée dans Sylvie. Car les "deux amours"

dont il parle ne désIgnent pas deux femmes aimées dIfférentes,

mais bien qeux conceptions du sentiment amoureux, ou deux

faces de l'amour. Avec AurélIe et Adrienne, l'amour devient

abandon à une passion douloureuse, rêve impossible; avec

Sylvie, l'amour est synonyme de tendresse, d'amitié durable,

de joies simples. A la fin du récit, le narrateur prend

clairement conscience de la valeur symbolIque attachée aux

doubles féminins qui ont hanté son esprit si longtemps:

ErmenonvIlle! ( ... ) tu as perdu ta seule étoile, qui chatoyait pour moi d'un doub1e éclat. Tour à tour bleue et rose comme l'astre trompeur d'Aldébaran, c'était Adrienne ou Sylvie, - c'était les deuz moitiés d'un seul amour. L'un était l'idéal sublime, l'autre la douce réa ité. 26

Dans l'esprit du narrateur ces deux faces de l'amour, incarnées

d'une part par Adrienne et Aurélie et d'autre part par Sylvie,

sont irréconciliables: "l' idéal subli~e" 26 présenté comme

inacces si bl e voile complètement la "douce réal i té" ~. jusqu'au

moment où cette réalité devient à son tour un rêve du passé.

Il accède alors à l'idéal sublime quand le narrateur fait

de Sylvie "une statue souriante dans le temple de la

Sagesse" 27. Seul l'amour sublimé captive le narrateur.

La notion de déguisement acquiert une importance • 1

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-66-

capitale dans l'élaboration de la figure du double. Nous J

avons déjà vu que les trois héroïnes pouvaient être perçues

comme' une seule et même personne: c'est l'amour sous les

traits idéalisés de la religieuse, de l'actrice et de la

petite paysanne. Nous avons égàlement souligné la présence

répétée de circonstances 11ées à l'art théâtral, qui est

un déguisement de la réalité. Ce procédé nous le retrouvons

~ussi dans une scène typiquemeTht nervalienne, celle du

mariage du double. Elle revêt dans Sylvie un caractère

spécial en raison justement de la fonction des déguisements

dans ce texte. Comme le fait remarquer Jean Richer, cet

épisode, qui prend place au chapitre VI de la nouvelle, nous

offre "une curieuse version enfantine d'un mariage du Dou­

blet! 28. Affublés des vête,ments de noce de la vie ille tante

et de son défunt mari, Sylvie et le narrateur cessent d'être

eux-mêmes pour devenir des doubles, images vivantes du passé.

Ils deviennent ainsi "l'époux et ~'épouse pour tout un beau

matin d'étét! 29. Le narrateur déguisé devient auprès de

Sylvie, elle-même transformée e~ "fée" 30, un double qui \

se substitue au héros pour accom;iir une action que celui-ci

ne désire pas véritablement dans le réel du récit. Le '1IIiI ,

narrateur confie en effet que le couple formé par son frere

de lait et Sylvie ne peut pas susciter vraiment son envie.

Ainsi la scène du mariage préfigure-t-elle la situation qui

prévaut à la fin de la nouvelle, à savoir le mariage de Sylvie

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-67-

avec un double du narrateur.

"Un simple déguisement met en mouvement l'imagina-

tion fiévreuse de Gérard et se transforme en appareil de

légendes" 31: ce commentaire sur la Pandora pourrait a'ussi

bien se rapporter à Sylvie. Le déguisement y apparaît

en effet comme un élément récurrent générateur du texte.

La singularisation de la figure du double présentée

dans cette nouvelle est étroItement liée à la quête amoureuse.

En conséquence, nous sommes face non plus à une image du

double mais à un trio de doubles féminins. Les trois héro~nes

échangent "leurs attributs et leurs rôles jusqu'à complète

identification dans l'esprit du poète, malgré tous les faits

qUI s'opposent à cette confusion ardemment déSIrée" 32;

déSIr qui semble d'ailleurs générer le texte même de Sylvie.

Presque toute la nouvelle se situe dans un passé reconstItué

au gré du narrateur, un passé qu'il veut rassurant. Et

lorsque le présent vient inévitablement interposer sa réalité,

tous les espoirs du narrateur s'évanouissent, tout son rêve

s'écroule: Adrienne est morte, Aurélie a un "faible pour

le régisseur" 33, et Sylv~e épouse le Grand Frisé. Comme

le souligne Sarah Kofman,

le réel est seulement un écho déformé du passé, un écho dé~hirant: le "présent" ne répèté le passé que dans la différence provoquant toujours une amèrè déception, la perte de l'illusion du même, la rupture d'un charme 34 -

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1

-68-

En ce sens, Sylvie s'avère raconter un échec complet, pUlsque

l!ultime tentative de conciliation en~re le présent réel

et le passé reconstitué dans l'lmagination du narrateur ne

se réalise pas.

Dans ce texte, c'est la figure du double liée aux

~rois hérolnes qUl apparaît comme la plus importante. Toutefois,

nous y trouvons également quelques images liées au "il".

Le premler double masculin ne falt qu'u~~~ève apparition

au début de la nouvelle et il n'est désigné que de façon

très discrète. Il s'agit de l'heureux jeune homme qui

Jouit, à ce moment-là du mOlns, des bonnes grâces d'Aurélie.

Ce personnage n'a en soi aucune importance pour l'économie

du récit puisqu'il n'est qu'un des adorat~urs de l'actrice,

décrits comme étant Sl nombreux à l'époque. Cependant la

descriptlon qu'en donne

particulier: c'est "un

le na~u~ lui confère

jeune homme correctement

un intérêt

vêtu, d'une

figure pâle et nerveuse, ayant des manières convE:l.,nables et

des yeux e~prel.nts de mélancolie et de douceur" 35. Ne

croirait-on pas se trouver en face\d'un portrait ~ue des

contemporains ont fait de Nerval~ Cette peinture si

• On peut consulter à ce sujet le Nerval de Raymond Jean dans lequel le critique consacre quelques pages pour tracer le portrait physique de Nerval, en se référant aux g~avures, photos et commentaires des contemporains du poète. 3

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( -69-

ressemblante semble révéler que le jeune homme est un double

de l'auteur dont la biographie d'ailleurs se confond pour

une si large part avec le passé du narrateur de Sylvie.

Cette situation conflictuelle entre un narrateur ou

un héros, son double et la femme almée, n'est pas une

nouveauté dans l'oeuvre nervalienne; nous pouvons songer à . .."

cet effet aux triangles rencontrés dans le Voyage en Orient:

Hakem - son double ferouer - Sétalmulc ou Adoniram -

Soliman - Balkis. De plus, la réaction du narrateur face

à ce rival inconnu juS~u'iCl est singulièrement calme:

Sans trop d'émotion, je ~ournai les yeux vers le personnage indiqué ( ... ) "Que m'importe, dis-je, lui ou tout autre? Il fallait qu'il y en eUt un, et celui-là me paraît digne d'av,oir été choisi". 37

Cette sérénité se comprend plus facilement si l'on admet que

le rival est un double du narrateur: ce dernier cède à

/ '"

cette autre partie de lUl-m~me l'aspect réel, humain d'Aurélie,

tandis qu'il conserve, lui, l'aspect sublimé de la comédienne.

Nous avons relevé une situation tout à fait identique dans

la scène du mariage analysée précédemment. Et de même

qu'alors, ces quelques lignes sur le rival inconnu préfigurent

la fin du récit quand Aurélie est définitivement perdue

pour lë narrateur et qu'elle choisit le régisseur. Celui-ci

devient à son tour un double, plus lointain cependant, du

narrateur et constitue donc le deuxi~me double masculin du

texte.

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-70-

Un troisième double du narTateur apparaît dans le

personnage du Grand Frisé. Ici l'identification est plus

manifeste, car le Grand Frisé est présenté par le narrateur

comme son frère de lait. Comme dans le cas précédent, les

deux personnages se disputent l'amour d'une femme, Sylvie.

Le double a donc là aussi une fonction bien déterminée

dans le récit: il souligne clairement l'échec du narrateur

dans toutes ses tentatives réelles auprès des femmes aimées,

car c'est bien avec le Grand Frisé que Sylvie s'établit et

fonde une famille. Le narrateur réagit comme il l'avait

fait en perdant Aurélie, c'est-à-dIre qu'il se dissimule

derrière un ton moqueur:

Mon frère de lait. parut embarrassé. J'avais tout compris. - C'est une fata­lIté qui m'était réservée d'avoir un frère de lait dans un pays illustré par Rousseau'38 - qui voulait supprimer les nourrices!

Ici encore il ne tente rien pour regagner le coeur de Sylvie.

Le na~rateur s'lncline d'office devant son rival en se dis-

tanciant par une plaisanterie. Puis il répond par le silence

à la nouvelle du mariage: "Le père Dodu m' appri t qu'il

était for~ question du mariage de Sylvie avèc le grand

frisé C ... ). Je n'en demandai pas plus. La voiture de

Nanteuil-le-Haudoin me ramena le lendemain à Paris ll 38. Fuyant

toujours devaftt la réalité, le narrateur choisit l'Aurélie

de ses rêves ou la Sylvie de ses souvenirs, et, finalement,

abandonne ces deux personnages, qui relèvent du réel du

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-71-

récit, à;d'autres amoureux. Le double n'est donc pas perçu

comme un:rival vainqueur mais comme un,frère différent plus

incarné, dont il n'envie pas véritablement les conquê~es

car elLes appartiennent au monde du réel dont il ne veut

plus se ,Préoccuper.

:Il est intéressant avec laquelle

se développe les sc~nes où ~pparaissent le doubles mascu­

lins. A peu de choses près, c'est exact

sltuation qui se répète: le narrateur tente de conquérir

la fe~e aimée; une tierce personne, le double, fait son . . entrée; le narrateur apprend, pHr un autre ou grâce à ses

, propres observations, q.ue c4nouveau rival s,emble avoir gagné

le coeur de l'amoureuse; il ç~;t imrnédia~ernent, sans amertume,

vers une autre image de la femme aimée. Dans un cas, c'est

Aurélie qui est abapdonnée à Paris et Sylvie qui est

retrouvée dans le Valois; dans l'autre, c'est Sylvie qu'on

délaisse à Loisy pour reconquérJr Aurélie à Paris. Comment

mieux révéler qu'il ne s'agit pas pour les héros nervaliens

de chercher la satisfaction amoureuse, mais ~u contraire,

d'éterniser la quête?

Une dernière figure du double masculin apparaît dans ~

le personnage de Sylvain, frère de Sylvie. En effet, celui-ci

semble être comme une première image du Grand Frisé, une sorte

de double protecteur pour la jeune fille. Représentant

la famille, la tradition, le Valois, il surgit à quelques

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-72-

reprises pour dresser une barrière entre Sylvie et le

narrateur~ Ainsi, apr~s le bal de Loisy, le narrateur, qui

nous est montré suppliant Sylvie de le délivrer du spectre

de sa vaine idole, est brusquement dérangé par Ce double:

) "Elle tourna vers moi ses regards attendris... En ce moment, ~

notre entreti~n fut interrompu par de violents éclats de

rire. C'était le frère de Sylvie qui nous rejoignait" 39

Le personn~ge de Sylvain a donc pour fonction ici 4e

rappeler l'héro~ne à la réalité et de' l'empêcher de s'aban­

donner au ~ànger du rêve 'tel que le pratique, le narràteur-héros.

Soulignons que le statut de ce p~rsonnage varie

pendant le récIt. Au début de la nouvelle, alors que le

narrateu~ se souvient et qu'il recompose en partie les

événements, Sylvain est présenté comme un allié du jeune amou­

reux. Dans l'épisode.d~ "Voyage à Cythère", par exemple,

'sa présence permet la réconciliation entre le petit Parisien

et la jolie paysanne: "Je voulus l'embrasser pour lui

• fermer la bou,che; mais elle me boud'ai t èncore J et il fallut

que son fr~re intervînt ,pour qu'elle m' ôffri t ~a joue" 40.

Plus tard, cependant J alor~e Sylvie est émue. par les

pri~res du narrateur, c'est son frère qui s'interpose en , t-- .,.J:>risant leur intimité par de "violents" éclats de rire".

Sylvai~, émissaire symbolique de la famille et des traditions,

veut que renaisse l'amitié entre le narrateur et sa soeur;

mais ~l ne veut pas cependant que ce dernier entraîne Sylvie

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-73-

dans son rêve. C'est à ce tit,re qu'il peut être vu comme

une première ébauche du personnage du Grand Frisé. Il

représente la famille protégeant Sylvie des illusions de

l'artiste parisien et défendant la raison, la sagesse, le

bon sens. Son éclat de rire préfigure celui de Sylvie quand , ~-le narrateur tente de lui faire admettre qu'Aurélie est la

même qu'Adrienne. Sylvain disparaît avec l'apparition du

Grand Frisé. i

Les images du double que nous propose Sylvie sont,

~ous avons p~ le constater, tr~s variées et originales. ,

Nous y retrouvons les situations chères à l'auteur, gont

prin~ipalement le mariage du double, mais sous des couleurs

tout à fait nouve~les. Ce qui ren~ la figure du double

pluS attrayante dani ce récit, c'est sans doute la construc-...

tion,particulière du texte. En effet, ce jeu dt:miroirs

1 ~ • f é é . entre le present narratl et le, pass cr e un unlvers

indéfinissable, t~ntôt lié à la réalité de 1 t intrigue J tantôt )

plongé dans les fantasmagories de la mémoire.

Enchâssé dans 'une quête de i'enfance et une quête

de l'amour, le motif du double peut adopter de.s for~es. très

diverôes. L'obsession des déguisemertts, des ressem~lances 1;)

et d~ dou~les qui ressort de la nouvelle ~émoigne du

. b~in impérieux du narrateur de fuir la réalité au

profit des soùvenirs et du rêve. Jean Richer'note quê

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-74-

cette qu~te de l'enfance témoigne d'un désir profond de

retrouver un certain Eden perdu 41. Dans la nouvelle, cet

Eden correspond pour le narrateur au passé chimérique qU'lI

peuple de l'image mul tipliée d'une femme unique.. Charmé

par le mystérieux ballet des trois doubles féminins, le lecteur

n'arrive plus à discerner si ce spectacle est "mythe 'Ou

mystification, si c'est rêve ou récit" 41. Dans~dis

imaginaire, les frontières entre rêve et réalité, entre passé

et présent, s'effacent. De même, la pèrsonnalité propre de

. chacune des héroines est détruite au profit d'une image

féminine aux multiples visages, que privilégie le narrateur.

Nous avons vu dé~à dans l' lIHistoire du calife Hakemlf, ---..

l'importance accordée au rêve par le narrateur nervalien-,-----

L'analyse des doubles féminins dans Sylvip, nous amène encote

plus loin: le rêve et l'imaginaire sont seuls dignes d'in-A

térêt pour le narrateur. Ce dernier tente d~sespérément de

t;ansformer la réalité selon les lois de son imaginaire,

A~ les doubles féminins sont-ils essentiellement sublimés

et n'ont plus 'de lien avec le monde réel. ~t si les doubles

masculins, rivaux du narrateuI' sont en somme les va~urs,

c'est parce qu'ils appartiennent au réel du récit. Le

narrateur leur ab~onne ces héroïnes qui n',ont pas su

coincider assez parfaitement a~c son rêve.

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-75-

NOTES

Nerval, Oeuvres l , °E· cit. , p.24l

Ibid. , pp.246-47

Ibid. l p.271

Ibid. , p.245

.Ibid. " p. 2S 7

Ibid. , p. 24 2 ,~

Cl

Ibid. , pp. 257 -58

rb id. , p.243

Ibid. , p. 247

lb id. , p.'273

Jean ~icher, Nerval EXïérience et Création, Paris, Lib. Hachette, 963, p.212

Nerval, Oeuvres l, 0E. cit., p.ISl

J

François Constans, "Sur la pelouse de Mortefontaine", dans les Cahiers du Sud, septembre 1948, ~.398

Nerval, Oeuvres l, °E-• J

C1 t. 2 p.241

Ibid. J p.S \ -

Ibid. l p.245

Ihid. ! p.247 .....

lbi4. , p.2S0

Ibid. ! p.259

'.Ibid., p.265

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-76-

21 François Constans, op. cit., p.400

22 Nerval, Oeuvres l, op. cit., p.255

23 Ibid.,p.263

24 Ibid., p.273

25 Ibid., p.269

26 Ibid. , p.272

27 Ibid., p.269

28 Jean Richer, "Nerval et ses fantômes", op. cit., p.294

29 Nerval, Oeuvres l, op. cit., p.256

30 Ibid., p. 255

31 R~ymond Jean,-ta poétique du- désir, op. cit., p.249

32 Jean Richer, "Nerval et ses fantômes", op. ci!., p.294

33 Nerval, Oeuvres l, op. cit., p.271

34 Sarah Kofman, Nerval le charme de la répétition, Lausanne, L'Age d'homme, 1979, p.4l

,35 Nerval, Oeuvr's l, op. cit., p.243

36 Raymond Jean, Nerval, Paris, Ed. du Seuil, 1964, pp.Sl à 58

37 Nerval, Oeuvres l, op. cit., p.243

38 Ibid., p.268

39 'Ibid., p.259

40 Ibid. , p.2S0

41 Jean Richer, Nerval Exp6ri~noe et Création, op. cit., p. 318 ,::1.

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CHAPITRE III

Aurélia: le double li& au "jeu.

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1

...

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C'est vraisemblablement en 1841, année où sa folie

est reconnue comme telle, que Nerval entreprend de traduire.

en langage littéraire son expérience psychique particulière 1

Quatorze années plus tard, SOIt le 1er janvier 1855, après

avoir succombé à d'autres crises de folie caractérisée, il

fait publIer dans la Revue de Paris le début de ce témoig~age

écrit intitulé Aurélia ou le rêve et la vie. La suite et

la fin de ce récit, retrouvées après la nuit fatidique du

26 janvier lBSS, paraissent le 15 février dans cette même

revue.

Aurélia est celui qui a le plus excité la curiosit es .

Parmi les textes.qui constituent l'oeuv~e n~r Inne,

(1

lecteurs et qUI a suscité les plus nombreux comment res

des critiques littéraires. Cette célébrité est due à la

singularité de ces pages qui nous font pénétrer dans un univers

que le narrateur lui-m@me situe à la lisière de la vei~~e

et du rêve, de la raison et de la folie. Surgi des

expériences les plus exceptionnelles de Nerval, ce récit'

réunit dans ses quelques cinqu~nte pages les principaux

thèmes qui se \etrouvent dans les écrits antér~urs, et à

ce titre en particulier, il apparaît CQ~e le texte-clé de

ltoeuvre nervalienne. En ce q~~ concerne le motif du double,

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-78-

nous trouvons aussi, avec Aurélla, le texte majeur de l'oeuvre.

Les diff~rents aspects de cette figure, qui ~taient esquissés

ailleurs discrètement ou au contralre élaborés minutieusement,

réapparaissent i~i. Toutefois le point de vue que revendlque

le narrateur vient modifier quelque peu leur sens.

Nous observons que la fusIon de l'auteur et du narrateur

s'opère dans ce récit. Dans les textes précédents, nous

avons da maintenir une certaine distinction entre le narrateur

et l'auteur. Ici par contre nous pouvons les confondre,

car nous ne faisons en cela que suivre le désir du narrateur

lui-même. En effet, ce dernier nous présente son récit, dès

le début, comme le témoignage d'une expérience ~xistentielle,

à valeur historique. Parlant de Swedenborg et de Dante,

il confie qu'il va tenter à leur exémple "de transcrire les

impressions d'une longue maladie qui s'est pa;sée tout entière

dans les mystères de [:;oIiJ esprit" 2 . ..;;,~ Il reste cependant

qu'à cause du procédé de stylisation de l'écritur~, l'artiste,

qui a le pouvoir synthétique de retracer une telle aventure,

ne peut être assimilé totalement au personnage qu'on a

conduit au poste de police en état de démence. Le double

n'apparaît donc plus dans ce texte lié à un héros ou à un 1.

cortège d' héroïnes, mais à un narrateur qui 5' identifie' à

l'auteur, qui se dit le héros de son récit et qui, par le

recours au "je"; nous livre une expérience peu commune.

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-79-

Nous retrouvons tout d'abord une figure de dédouble­

ment semblable à celle que nous avons analysée dans l' "Histo.ire

du cal ife Hakem", soi t l'image d'un être identique en tous

points au héros et jouissant d'une autonomie complète. Le

do;1lr-e se manifeste au narrateur à deux reprises. D' abo'rd,

lors de la première crise en 1841, après une nuit de vaga­

bondage qui lui vaut d'être appréhendé par les gend/rmes,

le narrateur entend la voix d'un lnconnu qui avait été i..

arrêté lui aussi: \ \.,

Par un singulier effet de vibration, il me semblait que cette voix résonnait dans ma poitrine et que mon âme se dédoublait pour ainsi dire, distinctement 3 partagée entre la vision et la réalité.

Avant même de pouvoir identifier ce mystérieux frère d'infor-

tune, l'auteur songe à la tradition allemande, semblable

à la croyance orientale au ferouer) "qui di t que chaque

homme a un double, et que, lorsqu'il le voit, la mort est

prochr" 4

peut-~tre

compl~te

Il refuse donc de recon~aître cèlui qui est

son double et choisit de rester dans l'ignorance

quant à l'identité de cet étranger mystérieux.

Mais il montre que des amis, venus pour le chercher, aU

lieu de partir avec lui quittent les lieux avec. l'inconnu,

étant donc dupes de la ressemblance. Et il s'en étonne:

"e' est moi qu'ils sont venus chercher et c'est un autre qui

sort!" 4. Désormais, il -n'y a plus de doute possible:

l'auteur a introduit, grâce à la méprise de ses amis sur

.. " .,

)

1 ",.

- 8 0-

laquelle il insiste, la preuve Indiscutable de l'existence

de son double. L'Autre a faIt son entrée dans la vie du

narrateur s~us la forme d'un être SI parfaitement semblable

a lUI que "les autres ne savent plus reconnaître entre eux

de différence.

Dans le récit qu'il fait de sa rechute en 1851, le

narrateur faIt resurgir cette Image du double. Mais cette

fois-ci, il lui est impossible de jouer la surprise, car le

double apparaît devant lui et il le reconnaît:

o terreur! ô colère! c'était mon visage, c'était toute ma forme idéalisée et grandie ... Alors je me souvins de celui qui avait été arrêté la même nuit que moi et que, selon ma pensée, on avait fait sortir sous mon nom du corps de garde, lorsque deux amis étaient venus pour me chercher. 5

Ayant da admettre la réalité physique du double, le narrateur

cherche, à l'aide de son baga~e de connaissances, à l'identi­

fier. A la question fondamentale qu'il se pose sur l'existence

de c~le, il soumet au lecteur les hypoth~ses de réponses

qui lui' viennent à l'esprit. Ainsi il suggère d'abord que

l' appari tion pourrait être perçue comme le "Double des légendes,

ou ce frère mys tique que 1 es Or ientaux appellent Ferouïr" 6;

il se demande ensuite, en s'inspirant d'une légende rapportée

par Théophile Gautier dans un de ses récits, s'il est

l'ennemi naturel dont fait état l'histoire "de ce chevalier

qui combattit toute une nuit dans une forêt contre un inçonnu

qui étai t lui-même" 6; enfin ce dou~le pourra~ t, p~nse-t-il,

, , '

1

o

-81-

, être la concrétisatIon du princIpe de dualisme du Bien et

du Mal reconnu par la religion chrétienne. Nous voyons

qu'ici, contrairement aux autres textes, le problème est

posé en toutes lettres et que le narrateur, procédant à

une vérItable enquête, fait appel à toutes ses croyances,

à toutes ses lectures. C'est que maintenant la figure du

double n'est plus le thème littéraire d'un récit fictif,

mais le témoignage d'une expérience intime pleine encore

de mystère et d'angoisse pour celui qui la raconte. Ce

dernier doit s'arrêter pour s'efforcer d'analyser le plus

froidement possible, ce phénomène étrange: son équilibre,

sa survie et son salut en dépendent. Toutefois, chercher ....

une explication ne signifie nullement remettre en question

la ~raisemblance de ce qui s'est produit, car pour l'auteur

ni la logique, ni la raison, ni le scepticisme ne peuvent

altérer la certitude qu'il a de l'authenticité de cette

vision: "je crois que l'imagination humaine n'a rien inventé

qui ne soit vrai, dans ce monde ou dans les autres, et je ne

pouvais douter de ce que j'avais vu si distinctement" 6. Il

prévient ainsi fermement toute interprétation qui pourrait

amener le lecteur à percevoir le double comme un personnage

chimérique créé par l'esErit malade de celui qui raconte.

, Quelle que soit la croyance à laquelle le narrateur

adhère pour expliquer le phénomène qu'il décrit, le double

est perçu comme un ennemi irréduçtible: tiEn tout cas, l'autre

, ." ,r ............ ----,.- --.,--- r· , f':~:~---

, ~ l ~ ~ ?

'l

i " t

1 1

;, ,"

o

-,

-82-

m'est hostile" 6. Puisque ces deux parties d'un même moi

ne peuvent s'unir, c'est qu'elles ?ont gouvernées respecti-.. vement par deux puissances opposées, l'esprit du bien et

l'esprit du mal. Dès lors, comment parvenir à les identifier ~ .

sans risquer de les confondre? L'auteur lui-même ne s'y

r e conn a î t plu 5 : " Sui s - j e 1 e bon? , sui s - j e lem a u va i s ? "

se demande-t-il 6 "Attachés au même corps tous çleux par • une affinité matérielle, peut-être l'un est-il promis à la

gloire et au bonheur, l'autre à l'anéantissement ou à la

souffrance éternelle" 6, confie-t-il au lecteur. On conçoit

aisé~ent que l'éventualité toujours présente de l'erreur

puisse devenir une véritable phobie pour le narrateur. La

méprise de ses amis, telle qu'il l'a déjà constatée, peut

devenir fatale pour lui puisqu'il est alors exclu au profit

d'un autre et qu'il est ainsi privé de son identité.

C'est cette situation déchirante qui se produit

effectivement qua~d l'auteur J;"aconte sa peur de voir l'Autre, ,~~

l'ennemi fatal, sur le point de lui voler Aurélia, la ~ 1 .~

bien-aimée, forme idéalisée de l'actrice Aurélie que nous

avons vue dans Sylvie: 1

Aur~lia n'était plus à moi! ... Je croyais entendre parler d'une cérémonie qui se passait ailleuts. et des apprêts d'un mariage mystique qui était le mien, et où l'autre allait profiter de t'erreur

6 de mes amis et d'Aurélia elle-même. 1 La sc~ne du mariage du double. présente dans tous les ~extes

que nous avons abordés, atteint ici son apogée. En fait,

1

------------------------------- ---~~~----.

,

; ,

-83-

l'auteur reprend à son compte les aventures qu'il avait , .

prêtées à son h~ros, le cal ife Hakem. N'ayant plus

d'intermédiaire entre lui et sa vision, il peut décrire la

scène avec beaucoup plus d'é~otion, et la terreur qu'il

ressent s'exprime plus librement que dans les autres textes.

Nous sommes, grâce au rêve, dans le monde éthéré des purs

esprits, Dans les textes du Voyage en Orient, le mariage

mystique était accompagné d'une union humaine entre deux ,

êtres corporels, 'Dans Sylvie, le mariage était' joué' 'et

n'existait que par ses signes extérieurs: vêtements de

noces anCIennes revêtu~ par deux jeunes gens, amoureux du

passé. Dans ce texte-ci par contre, les êtres réels sont

absents: le narrateur nous a dit qu'Aurélia est morte et

le narrateur-héros apparaît, temporairement du moins, détaché ,

de son propre corps. C'est à l'âme d'Aurélia qu'il, veut

s'un\r et c'est pourquoi le mariage mystique du double,

en usurpant l'harmonie escomptée, menace de le confiner à

jamais "au désespoir ou au néant" 7

Afin que le double n'intervienne plus de façon aussi

funeste dans la vie du héros, une seule solution semble

s 'offr ir à lui: il lui faut lut ter "contre l' espr i t fatal", . \

lutter "contre le dieu lui-même" 7. C' es\ un combat sans

merci qui s'engage dès lors entre le moi et l'Autre et

l'issue est donnée '~mm~, devant in6vi tablement être fatal~ pour l'un ou pour l'autre. Le conflit arec le double devtent~

'.

J

1 l , (

1

i

..

t. ,

o

-84-

à ce moment du récit, plus vio;ynt. Le double est montré

comme une essence négative qui devient pou,r le narrateur \

"à la fois figuration mythique du mal, absolu, image de son

mauva~s destin, personnificatlon des fautes qu'il a commises

et de celles dont il s'accuse dans ses délires" 8, et incar-

nation possible de Satan ou de tout autre dieu malfaisant.

Le narrateur doit donc se libérer de eet intrus afin ~e

retrouver la sérénité de l'âme et d'assurer son salut.

On constate par ailleurs que la figure concrète

du double subit, dans Aurélia, une évolution. Ainsi cette

image négative qU,i clôt 1~ première partie du réei t,

disparaît par la suite pour faire plae; à celle d'un double

bienveillant. Dès le début de la seconde partie, le narrateur

est amené à réinterpréter l'apparition du double et à le

voir désormais comme une manifestation divine visant à lui

porter secours. D'abord sou1agé-, il est bientôt a tteré

car, dans çette nouvelle perspective, l'agressivité qu'il a

déployée pour se défaire de ce faux ennemi devient sacrilège.

Le double qu'il croyait devoir vaincrè pour assurer sa propre

survie, c' étai t l'incarnation du Sauyeur, "e' étai t bien lui, ,

ce frère mystiquè" 9. ... '

Dès lors, Aurélia lui semble encore

plus défini ti vernent perdue, pu,isqu' il n'est lI!ême plUS digne,

d'elle. La responsabilité ~r·cette perte n'est attribuée par

le narrateur qu' A' lui seul, 'tUi _quo le <touble a é tE reconnu

comme un être dês0rmais b<ie:nveill~nt. -L,~, sen:timent de ç_y;lpab~l i té .l ~ ~

.'

j

1 ! 1

( 1

..

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. .. :.. ben 4A44 a 1

-85-

accr-oit donc encore l'intensité de son désespoir.

Il est intéressant d'observer comment la natu"{.-e du

double a pu ch-anger de façon si radicale., Le narrateur . change de point de vue en s'inspirant de l'expérience d '-un

ami, expérience analogue à la sienne pendant laquel1~ s'opère

la scission de l'être. Cet a~i m_ala; e~t montré comme aya,nt

la chance d'entretenir une relation amicale avec son qouble,

d'entamer une "conversat ion avec un être à la fois différent

et participant de lui-même" 9, et de pénétrer ainsI avec

lui le mystère divin. Nous verrons un peu plus loin q~e \

le fait de confronter les autres avec leur propre double se

répète plus d'une fois' dans Aurélia. De plus, il n'est pas

impossible~ comme l'ont pensé Jean Richer ,et Albert Bégu~n, (

que ce personnage représente davantage qu'un mai véritable,

un double du narrateur lui-m!me 10. On voit ainsi 14 _motif

du double renvoyé plusieurs fCl)-Îs p~r ce-s jeux de miroirs.

:/

Le narrateur rêve de cette harmoni'e entre le moi et son double J

harmonie qu'il n'a pas encore réussi à réaliser. Par le

recours aux enseignements de la religion, il nourrit son ... '

espoir d'y parvenir, et le doub~e, dans lequel il n'avait:

pas su reconnaître un ami et qu'il avait chassé, rélpparait. . ,

Le double n'est plus cette fois .... ci physiquement

iden.tique à l'auteur. 'Nous le retrouvons sous la forme d.'un , '

personnage du récit, un jeune solcJ,at malade à..qui,l'auteur

donne le nom de Saturnin. Le lamentable état d~~s lequ~+

J't,.', • X, \\ r , ,

. - +

...

1

· .

-86-

1 il se trouve symbolise bien tout d'abord la situation

désespérée dans laquelle le héros croit être lui-même:

Saturnin est m'Ontré comme un être exclu du monde des vivants, .. qui ne __ peut plus "ni voir ni parler" ni entendre 11 tout

comme le narrateur se sent banni du monde spirituel. Un

lien s'établit entre les deux infortunés, une sympathie

/

.,' indéfinissable les attirant l'un vers l'autre: "Il me semblait

qu'un certain magnétisme réunissait n~s deux esprits" .12,

confie le narrateur. Sans l'identifier clairement comme tel,

il semble voir dans c~ jeune malade son double venu une seconde

fois pour lui prêter assistance et permettre le rachat de ses

fautes. Il le considère "comme un interprète sublime J comme

un confesseur prédestiné à entendre ces secrets de l'âme", , ou encore comme "l'oreille de Dieu sans le mélange de la

pensée d'un autre" 12. Pour bien souligner le rôle positif

joué par ce personnage, le narrateur nous décrit un de ses

rêves, dans lequel l'esprit de Saturnin lui est apparu aux

côtés d'Aurélia, idole divinisée, lui tendant la main et

l'appelant "frère" 12. Lorsque le soldat malade retrouve

l'usage de ses sens, l'auteur l'identifie à cet esprit fra-

tellFl qui lui est apparu en songe. Saturnin lui-même le

retrouve comme ~ne connaissance de longue date: il le

re)connaî~, le "tutoyant et [1 ~ appelant frère" 13 J

Saturnin est donc décrit désormais par le narrateur comme

son double fraternel, le sauveur qui rend à nouveau tout

" 1

1 l l

'1

1

i ,) , J ,

J.

1

1 1

• -87-

possible, puisque grâce a son intervention, le héros a pu

faire le geste de charité qui l~i assure le par~on divin.

Saturnin, c'est la personniflcation de la partie ma~ade de i ,

l'auteur, ou comme le dit Jea:n Richer, du "côté infirme de

sa propre personne" 14; ce n' ~s~t plus un espri t menaçant,

mais une ~me qui a b~soin d'aide,' SatuTnin, c'est aùss,i"

la manifestation du moi bénéfique, par opposition au moi

malêfiqu~ qui occupait la première partie du récit.

Mentionnons que c'est une des rares occasiqns dans l'o~uvre

nerval ienne où le double n'apparaît plus un,iqueme~t lié à 1-.

un monde hostile au narrateur. Pour une fois, la dualité w"

intérieure de l'être est donnée comme ayant un caractère

positif et pouvant_engendrer une harmonie favorable-à

l'épanouissement du héros, plutôt qu'un écart~lement fatal

de son moi.

\.

J (~

La figure concrète du double occupe une place essentielle

. dans l'expérience personnelle que-nous communique l'auteur

dans Aurélia. Ce dernier apparaît en fait comme obnubilé

par l'idée de son deuxième moi. Son ph~ntasme atteint,d.me

telle intensité qu'il projette, chez les autres personnages

qui l'entourent, sa propre expérience; il fait d'eux, tout

comme lui, des victimes de leur double hostile. Mais ils

sont des victimes inconscientes de ce qui leur arrive car , ils fie sont pas doué~,-e~me le narrateur, d'une s~cond&

vue ,particul~ère donnant accès au monde spiritu!?l. Aussi

. '--

·. - .. -;' ...... -"" .. ..,,, -, ..,(t

-88~

souffrent-ils moins de la lutte que se livrent leurs- moi

antagonistes. La seule véritable victime, c'est encore une

fois le héros: lorsque ses amis, même les plus intàmes,

vieI'ment lui rendre visi te, ils paraissent "en proie à

l'incertitude", les deux parties de leur être intérieûr se

divisent à son égard, "l'une affectionnée et confiante, l'autre lS comme fraPl?ée de mort" Le sentiment de persécution est

exprimé ici avec force puisque le narrateur croit devoir faire .. face à une série de doubles hostiles. Les aventures du héros

liées à l'existence du double des autres ont de ce fait une . autre conséquence importante: elles l'isolent encore davan-

tage et lui interdisent de se reposer sur aucun être vivant

puisqu'il perçoit dorénavant le double menaçant de chacun.

Contrairement à ce que nous avons observé dans les

récits précédents, l'image concrète du do~e ~onstitue dans

Aurélia une entité signifiante en soi. Elle n'est plus la

simple allégorie d'un concept abstrait et ne se limite pas

davantage à une valeur symbplique dominante. Mais comme il

n'est pas donné aux communs des mortels d'avoir accès à

cette vérité supérieure de l'existence réelle du double,

le narrateur veut aider.le lecteur, sachant qu'il faut être w

dans un état d'espr~t très particulier pour pénétrer dans )

l'univers surnaturel des âmes. Il p1end soi~ en particulier ~ .

de dépeindre .attentivement l'univers singulier dans lequel

4 t

)

1

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() \ 1

,~,i'

, ... - 'f ,~, ,.,....'

-89-

il place son expérience de dédoublement. Deux facteurs

principa~~.~articipent à la spécificité de cet univers.

Il s'agit d'une part pour lui de choisir le rêve. parce qu'il

est un état privilégié qui révèle, à qui veut bien lui

porter attention, l'existence d'une vie autre que celle que .

nous connaissons. Le narrateur rappelle en effet que le "Rêve

est une seconde vie" 16; il requiert l'adhésion du' lecteur

en lui expli,quant le fonctionnement qu'il attribue' à cette

"seconde vie". L'être corporel étan~ temporairem~nt

absent de toute vie active, "le moi, sous une autre forme, o

continue l'oeuvre de l'existence" 16. Il devient donc possible,

par l'intermédiaire des songes, 'd'être mis en présence de

son double spirituel. Le narrateur, à chacun des épisodes <04

que nous avons mentionnés précédemment, se présente comme

étant justement plongé dans ce monde ,du rêve . .

Le second élément qui caractérise l.'unive~ que nous

décrit le narrateur', dans Aurélia,c'est la présence, revendi­

quée de cet autre. état part~èulier que le héros nomme

pudiquement sa "maladie" 16, et qui est en fait sa folie

caractérisée. Celle-ci a pour effet principalement de

lui faire sentir avec une acuité particulière sa dualité -

int~rieure. Sous son emprise, le narrateur en vidnt parfois

à croire que sa Ifforce" et son "act-iv'i té" sont "doublées" 16.'

Il évoqué, alor's la puissance créatrice qui peut ré sul ter de

l'union du moi et du double. Malheureusement cette harmonie

........ __ ._----- .... _-_ .. _.--------~~-~._.~--~---~"-----

, ..

Cr

- 90-

privilégiée est rarement atteinte, et nous n\en avons relevé

la trace que dans l'épisode de la rencontre ave~ Saturnin.

,La présence simultanée chez le narrateur, du rêve

et de la folie, favorise ce qu'il appelle "l'épanchement du

songe dans la vie réelle" 17. Cette expression si puissamment

, imagée révèle que le héros en est arrivé à confondre complè-• >

tement l'univers du rêve et celui de la réalité. liA dater

d~ ce moment. tout prenai t parfo is un aspect double" ,17"

confie-t-il. En nous fournissant ces impressions, il ne

cherche ~as à expliquer logiquement l'expérience qU'il .

s'apprête à.décrire,.mais simplement à dispo~er favorablement 1

l'esprit non initié du lecteur a la vraisemb~ance dU'récit

étrange qui lui est présenté.

L'idée d'une lutte primitive entre les éternels

ennemis, autre forme du motif du double que noLis avons déjà

rencontrée précédemme~t, est brièveme~ expr:~ée dans' Aurélia.

'Lors d'une de ses crises, le narrateur revit, "par une sorte

de vague intui t'ion du passé" 18, l'origine du monde. Il

décrit alors, avec une certaine désolation, la premi~re lu~te

opposant les Eloims, car ce combat funeste est de'stiné 'à se

répéter sans cesse' sous diverses formes: "Combien d'années . encore le monde aura-t-il à souffrir, car il fâut que la

veng~ance'de ces €ternels ennemis se renouvelle ~ous d'autres

cieux!" 18 Dans une premi~re version d'Aurélia, l'auteur

----.... _ ... " ...... "-~ ............... , rW'''7#;1'U.U. " Il .. t, 'u,..., "'UlJd' n .! .. J ... ~ l.:;~J,L"~",' .... \"':1

.'

.'

o.

y

-91-

insère l'idée de la lutte primitive dans une fresque

'h~~torique o~ se côtoient, entre autres, la reine Ma~éda, ~

1 l~~ fils d'Abraham, les soehrs Walkyries, Attila, les

()

\

Bourguignons, Charlemagne. Ces '~ersonnages si disparates,~ 1

appartenant à l'Histoire et" aux légend~s, sdnt présent~s •

com~ ~yant en commun un désir insatiable de violence 'qui

engendre un combat toujours re~aissant à travers les siècles.

Aussi, du "seoin de la paix naît le gerine d'une lutte de .. ~ f2 plus ieurs s ~ècles fi car ces pe'Tsonnages prest ~gieux fi sacri -.

"-\.

fieroot -à leur orgueil les peuples puissaonts" qu'ils

gouvernent 19. Le. sacrific'e de la race humaine appara~~ '" ' .

,donc pour fê nar;ateur comme la conséquence fa~ale de la , \

lutte primitive entre les bons et les mauvais esprits.

C'ést cette première division qu'il présent~ comme entrainant

le fait que ,l'homme garde toujours, comme un fardeau enfoui

au plus profond de lui-même, un double hostile toujours

prêt à rallumer, sur le. plan individuel, le flamb~au de la

guerre. Comme Hakem, le héros d'Àur~lia se présente comme

'ayanl- été' choi~i pour re~ivi-e. iCte,nSémen~. Il \' intérieur

de lui-même, la situation confllctuelle du début des temps.

". ' La derni~re figure du, dou.ble 1 iée au If j e" es t, générée {

l ,

'paF la croyance du narrateur à la migration des âmes. Nous ., " ,

av 0 n.s, mentionné, dans 'le chapi tre préc~deIit,,' l' ;!'lP',ortance' "

. accordée à cette notion dans l ',oeuvre ne,rvarienne .. Dans (

, 1 '.

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~- II ,.7. h _,w_.'. ~,., .. '. Il.r n .. J_I--'E~IJL Ubt.4411.wœf:tt*

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~I~~;:P""t!\~tfrrj!.~~~~1.Jj''''~~'~11rf~})f~/''''''''Y'''''~'V~''t1~ "'TU''''"''''''-' ~ __ ..... "'!li'_. "' ....... ~~".( _ ... O:--" ... ..,......;:..~ *\:"t<"' _ ... ~ ... 1M 1 .... ,.~'Il .. tv' \- ..... f,~({"fI"~T """~~\~tf';~ t~~""i ~':I"f .. ~·'l.4t' '.l'~''t.~''->I r"'~ ...... ( tt',.,~"t;k"~.,.J~~ <'

, ,

"

..

-92-

, Aurélia, efl~ se métamorphose à deux reprises en une . exp6rience ~ue. Dans uri premier temps, a~ narrateur voit

défiler devant ses yeux les p~rsonnages qu'il croit avoir

lui-même incarnés dans des existences antérieures:

comme si' les murs délIa salle se fussent ouverts sur des. perspectives infinies, il me semb~ait voir une cnaîne non' interrompue. d' hommes et de femmes en qui j'étais et qui étaient moi-même; ,les costumes de tous les'peuples, les images de tous le~ pays'apparaissaient 20 'distinctemen~à la fois.

Certes la vision semble plutôt imprécise, et le narrateur

ne /dit pas qui il ,;p-été en par~iculier ou qui il est appelé

à devenir, mais il affirme avec force la réalité de c~tte

i~ge multiforme. Et ce"passage nbus permet de cerner une

des formes les plus fréquentes de la "maladie" nervalienne:

la prolifération des identité"s. Le narrateur ne présente

pas une, deux ou même trois" de ces anciennes figures comme

lu'i étant dévoilées, mais une infini té ~'entre ell'es ,. Il

se voit transposé dans tous les lieux du globe, à toutes les

époques passées et futur,es. Il...) nous présente un véritable

défcerlement d'image s de soi qui constituent une nouvelle , -

approche de. la figure du doub~. Dans les multiples

existences qu'il croit lur être attribuées, le narrateuT se

découvre en effet des doubles, et il ne se contente plus de

les décrire dans l'espace, mais, aussi dans le temps" . .

Dans la seconde partie du récit, n~us retrouvons

la notion de migration des âmes. Mai,s cet,te fois-ci,

"

/ 1 ,

\ '

" "

n '

1

! ~)

"' 1\" 1 'è-xpé~ience gagne en précislÎon et le narra'teur .. di t retrôu~é't '

, \'1 , " ..

,l~ souvenir d ";U.~ de ses ~nc~ennes incarnations ~ ",11 me

semble que c& soir j fai~n m~t l'âme de N~poi~on qui

m' insp i re 'et me commande de g\tandes' choses." 21 .Ains i même , ...

si dans sa vi~ presente, celle des années ~850, ~ narrateur

sait pertinemment ,bien qu'il ~'est pas Napoléon, ~fait de' " ,

croire que l'âme de celui-ci ~~vestit la sienne lui permet , ~\,

de jouir/encore"du prestige qu'il accorde à l'empereur.'

Grâce à la réincarp.at:lon, .1es d,\0l!ble,s temporels commJlniquent

entre eux pour se transmettre l'essence immuable du modèle

"qu'ils représentent. Ces doubles sont perçus par le héros v

comme des entités tr~s positives, puisqu'ils s'unissent à

travers les années ou les siècles pour confirmer, en

l'enrichissant, l'âme réincarnée dans une nouvelle enveloppe

c0-r:porelle.

Même si ce chapitre est consacré à l'étude du

.. rapport du doubl,e au "je", nous ne pouvons passer sous silence ~- .

la présence des ,doubl~s féminins dans Aurél la. '·e-és derniers

atteignent ~ans le présent récit un certain achèvement.

Db lien vient unir le phénomèn~ des ressemblances mystérieuses

à la croyance à la migration des âmes. En effet, partant

de la réssemb1ance' de la voix, l'auteur dit qu'il croit

'ret~ouver Aurélia dans les traits d'une jeun~_ch~nteuse~

"je ne sais quoi, dans sa voix usée mais sympathique, me

~-. ________ ......... ___ ... ~_,......~ ___ L __ .......... .,....,,:--" ...... __ ........ ~ ___ ~ _..,.,........- .. ~ __ _

," .' ~ ,

, ,

(

1 '"

t

c ,

.. . , -. • . (

\ 'Ir , ~,

~9~ .. ~ ,

*

- ~ d'AuFélit. ,

regard'ai: r~ppelca ce11e Je la ses traits mêmes

'n!étaient pas ressemblance avec ,

cèuX j'avais aim~sfl 22 sans que

~ là ~ une ,identification 'totale il n'y a qu'un pas que l'au-

teur s' empre s sê! de :rtanchir:. "Qui 'sait, si son esprit n'est

pas cfa~s cette 'femme! Il 22, Toutefois, nous ne sommes encore , -

ici qu'au"sta~e des conjectures et des pressentiments.

Comme',dans Sylvie, le "narrateur

les femm:es ~imée~ ne soieIl"t que " . \ .

exprlme son désir gue toutes

des C:l:oubles ~,l '~nique ..~ l5 ..

amoùpe~5~~ à lfqueLle il se réfère const~mment; mais rien '. .

n 1 es t er~:c;~r.e. venu lui apporter, la preuv'e i rréfu table qu' u~ .~ ... '" 8.

tel désir pui~senk'e< !réal.i\er. , . .

Dans Aufl~ ia;- g~â:c'l "a';l, monde que lui ouvrent la folie ,

,et le rêve, cette cerii tude·.l~ri;~ ,est enfin 'donnée. D'abord, . .

1 • ~ars un des rêves qu'fI nous d"éc:.!"it, il assiste à la fusion

des visages féminins ~qui ont peuplé ,son enfance. Trois

fem~e; seul~ment arriv~nt à

l absolument, des parentes et

E1les ont en mêm~ temps les l -" -qu' ell,es p~uvent s' écilan~er

.

repré$enter, j'san.s leur ressembler

des amies" de jeunes~e 23.-

traits de-différentes personnes , '

à tout moment, ,"comme si elles

eussent vécu de la même vi.é", et chacune devient ainsi "un ~

composé de toutes" 24,. ,'Lé 'narrateur montre donc l'image' des

doubles féminins ~omme se formant sous ses yeux. ~ .

Enfin le narrateur,reçoit, de la bouçhe même -de la ,

déesse de ses rêves, incarnée jusqu'à maintenant dans le

~ pe!sonnage qu'il nomme Aurélia, '~a confirmation suprême de

"

~ ...

'.

, .

1

"

~-95-

1 F)

/ l! identi té unique des femmes aimées: 1f;1~ suis, la même que /

{' Marie, la même que ta mère, la même aussi'que sous toütes

les formes tu as' to~jours aimée," lui affirme-t-:-elle 25

Et elle poursuit: liA chacune de tes épreuves" j'ai quitté

l'un des masqu,es dont je, voile mes traits, et bientôt tu me 25 verras telle que je suis" L'énigme est enfin résolue

, 1

pour le riarrateur'et tous ces visag~s chéris qui ont hanté

son imagination colncident enfin; qu'il s'agisse 4e.sa mère,

~'Adrienne,Î d'Aurélie, d'Aurélia, de Balkis, Q~ d'Isis, , ,

toutes n'avaient pour différence qu~ ce masque dont La fonc­

tion était de d,issimuler les traits divins:de "la 'Seule" 26~ de c,et "être san? nom qui est la total i té 'des êtres féminins" 27

pour l'auteur.

ta richesse du texte d'Aurélia i vient du fait que ce

récit semble être le lieu où se dénouènt res intrigues" où

se résolvent les énigmes. Aurélia, c'est llaboutiss~ment ,

des images qui peuplent l'univers nervalien. Le mot~f du ,~

double, qui atteint ici une intensité uniqué, e~prim~\ grâée \ \ '

à la d,ramatisation opér.ée- par. l' auteûl': la grave et ob\sédante,

interrO,gat~on qu'il ·nO,urr.i t sur son identité •. L 1 ~ppar~ tion '

du sosie indique que t'e narrateur, confondu ici -avec le héros, .

est arrivé au paroxysme du sentiment de sa dualité: la \

scission définitive est désormais accomplie. Il ne re~te ,

plu's qu'une épreuve: tenter de réunir ,les deux moi déchirés'.

\ . 4'i"Ofl;J1US._ ...... '\ -...~..",..-, ._.- .---,---------.----- ---r ' f ,... •

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-96.:.

C'est cet ultime effort de réconciliation que nous présente

le narrateur d'Aurélia.

Nous relevons en effet dans ce récit, parall~lement' <:;

. à la hantise du double, une recherche obsessionnelle de

. ' l'harmonie. Lè n~rrateur se c~oit investi du devoir impérieux

de ~établir l'harmonie universell~. Son problème personnel

acquiert une dimension cosmique puisque J "héros vivant sous 1

le regard des dieux" 28 il perçoit les difficultés de son , existence les épreuve...! ". . auxquellel:? il doi"!;

Il comme necessalres r

se, soumettre avant "1' ini tia tioll sacré, 28 Dès lors, 1'" entrée

en scène du double devient une.épreuve qu1il doit surmonter \

'pour a·t'teindre le monde mystique dont Aurélia rui a révéré . '

l'existence. Soulignons que dans la plupart des systèmes

é~otériques, qu'ils datent d'une époque fort reculée ou qu'ils

aient encore des adeptes aujourd'hui, "l'initiat~on résul'te

de' la victo~~e des puissances du bien ,sur les forces du

mail" 29. Ce't énoncé confirme le rôlé important joué par le \

dpuble dans la démarche mystique'de l'auteur d'Aurélia.

Le pr~blème posé par l'existence des doubles devient en effet

un~'étape de son initiation et leur réconciliati~n propose

,une image dl harmonie préfigurant la "pa trie mys tiqu.e~' 30 à

laquelle il aspire.

,Dans cette perspective, Aurélia se terminet·~it. 'sur

une note positive, puisque l 1auteur sembl~ ~voir résolu son

problème personnel et, par le fait même, amené à bien la

- .

1

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1

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." -

-97-

mission qui lui était assignée. 1;1 image du doub!e. bénéfique, f' " ,

0' Saturnin, et l'image des doubles féminins réu~i.s, dans le

personnage de la déesse toute-puissante,' témoignent de cette ~ ',. ". r-< \ ,

réussi te sur le plan ini tiati'~ue: la réconciliation des deux • 1 i '

moiti~s ennemies ~u moi se ccnfond ayec l!idée d'une harmonie

universelle 'reconquise. C'est d'ailleurs ce que confie l'ipitié

triomphant à la 'fin du rêci t:,

,..," je me sens ,he-u'~eui\des convictions que ~ j 1 ai acquises, et je compare cette série dt épreuves que j' ai tr~v:ersées à ce qui," pour les anciens, -représentait l'idée 31 d'une descente aux enfers.

Le ,1l\otif du do~b1e partie {pe donc dans Au.rélia de l' expé- v

j \

-'- ri~nce la plus amb.-i t-ieuse du ,nar-r-a~eur-h~ros, celle qui' . ~

consiste à transfo'rme'r son existence en mythe, à "forcer ces i

'1

portes mystiques" 32 de 1 la "Jérusalem nouVelle" 33 dans '. '

laquelle, de narrateur 'fou' qu'il éta,it au début du ·text~ ~. "

il ~e' métamorphose à 'ra fin en messie anllonçant

nouvell'e'~ 33

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21

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r?e~Val , Promenades

-98- "

• a: NOTES

et

, ' . , .

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\. , ,

P.andora - Aur~ïia, p.IO

souvenirs Lettres à Jenul Ptris , Ed. Ga~nier-Plammarion, 1972,

(chrono1o~ie é ab1ie par Léon Ce1~i~r) " (

: Nerval, Oeuvres l ~ °E' ci t. , p.359

\ Ibid., p.364

, -?

1 "

" Ibid. , p,365 .. " "- '.-l, , 1

Ibi'd.,"'p.380

. ·'Ibid., p. 381' , .

Ibid.', 'p.382 b , , , " '" François Constans, °E' cit. , p.40~

-i Nerval, Oeuvres l , op. ci t. , p~388

l ' .. ,

'Ibid. , P. "1~29 (note de la page '387) ( ,

Q 1 'Ibid. , p.407

Ibid., p.408 , "\ :J,.

Ibid. 2 p.413

Jean Richer, HNerval ~t ses fantômes n , 0}2 • cit;.! p.290

"Nerval, Oeuvres l , , QP. cit.," p.38I "" ~ -" Ibid. , p.359

Ibid. , p.363 "0

Ibid. , p.379,

Ibid. l p.423 ~

IIbid. ! p.568 ,.-

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Ibid. ,op. 400 \ l'

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-99-

22 Ibid., p.395 ,

23 Ibid., p.372

24 ,tbid., p.373

25 Ibid. p p.399

26 Ibid., p.S

27 Jean Richer, Nerval Expérience et Création, op. cit., p.SlO

28 Nerval, Oeuvres I, op. cit., p.403

29 Gabrielle Malandain, "Sources du lyrisme et lyrisme des sources", dans la revue Romantisme, no 6, Ed. Flammarion, 1973, p.Z1'

30 Nerval, OeuVcres I, op. cit. , p.372

31 Ibid., p.414

32 Ibid., p.412

33 Ibid., p.410

1

CONCLUSION

.~ '-,

C' f.

6

_. - -_._-_ .... _------------------------_.

1

{

'.. ~ l" ~ *

L'analyse des différentes apparitions du motif du

double, dans l'oeuvre de Nerval, nous a permis de cerner

une image fort élaborée à l'époque romantique et présente ,

chez de nombreux auteurs du XIXe siècle. De plus, la singu1a­

risation opéré~ par l'auteur nous a fait découvrir le rapport

profond de ce mythe du double avec l'imaginaire ner~a1ien.

Dans chacun de nos chapitres, nous en avons approfondi un

aspect spécifique.

Ainsi, dans le chapitre premier, consacré aux extraits

du Voyage en Orient, la figute du double permet à l'auteur

d'exprimer son problème fondamental d'identité. L'impossibilité

de dissocier la vie onirique et la vie réelle apparaît comme

l'une des principales causes de son drame intérieur. Pour

l'auteur, tout comme pour son héros Hakem, rêve et réalité

s'enchevêtrent constamment, l'enfermant ainsi dans un univers

double et l'empêchant d'affirmer pleinement son identité

propre. L'élément de rivalité introduit dans l'hIstoire o

de Ba1kis et d'Adoniram, second extrait du Voyage, ajou~e à

la crise d'identité la notion de conflit: L'analyse de ce

texte nous a confirmé l'importance, pour l'imaginaire

nervalien, de la relation de rivalité qui, dans ses textes,

semble être un écho du rapport conflictuel qu'il a entretenu

o

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1

(

~ , • > ...... , ~ , .,!

-101-

toute sa vie avec son père. L'image du double ennemi·

colnciderait en effet avec celle du père, perçu comme

hostile sinon ennemi, puisqu'en désaccord avec les aspira-

tions profondes du fils.

Dans le second chapitre de notre étude; lequel est

consacré au texte de Sylvie, !e doubl~ témoigne de deux

autres obsessions de l'auteur: la quête d'un Eden perdu

et la quête de l'Amour idéalisé. La réunion des trois

hérolnes, doubles féminins, nous a permis dans un premier

temps de déceler chez l'auteur un problème de fixation face

à la femme et au sentiment amoureux. Nerval s'est 'créé une

image idéale unique de la femme ~t de l'amour qu'il poursuit

sans relâche, tout en sachant que sa quête ne peut aboutir

durant sa vie terrestre. C'est uniquement à travers ce prisme

qu'il s'efforce de voir'toutes les femmes qu'il rencontre,

et son drame nai~ à ~artir du moment o~ celles-ci refusent

de se laisser enfermer dans son univers onirique. A travers

cette recherche de l'amour, nous avons pu découvrir la présence

de la seconde quête, celle d'un Eden ~erdu. Puisque le réel

ne répond pas aux aspirations de l'auteur, ce dernièr se

réfugie dans le rêve et les souvenirs. Il tente en vain . de reconstituer son enfance qu'il perçoit comme un paradis

,perdu. Ces deux quêtes, qui témoignent des difficultés

pour Nerval de vivre en harmonie avec le présent et la

réalité, donnent naissarice à un mythe personnel dans lequel

)

• 1

(,

-102-

l'enfance et la FeJIl_m~ _ se cpnfondent.

Enfin l'analyse du texte d'Aurélia, qui constitue

notre troisième chapitre, a rendu manifeste la démarche

mystique entreprise par Nerval. Ce texte capital de l'oeuvre

nervalienne lie au mythe du double la recherche obsession­

nelle d'une unité. Arrivée à son paroxysme, l'exp~rience

du double, qui a abouti à une scission définitive de l'être,

est donnée par le n~rrateur comme une étape initiatique qui

précède l'accès à la grande Harmonie universelle. Le

texte d'Aurélia nous suggère donc que l'auteut a trouvé,

dans le mysticIsme, le moyen de résoudre son problème d'identité,

de r~ontrer la femme aimée unique et d'accéder enfin à cet

Eden perdu qu'il nomme la "patrie mys tique" 1

Quelles que soient les formes que revêt la figure

du double, nou~ avons remarqué qüe la récurrence de- son

apparition dans l'oeuvre nervalienne atteste que ce mythe '" hante véritablement l'auteur. Car, si dans un premier temps,

il ne nous est présenté qu'une im~ge conventionnelle du motif,

celui-ci est très vite repris à son compte par le narrateur

nervalien pour aboutir à une représentation tout à fait

personnelle. En effet, le double qui apparaît lié au "il",

comme c'est le cas par exemple dans le Voyage en Orient,

est abordé surtout en tant que matériau littéraire faisant

partie de la fiction: c'est une image qui est consciencieu-

-

1

f (

-" ,

-103-

sement mise en place par l'auteur. Par con~re, liée aux

"elles", dans le texte de Sylvie, la figure du double subit

des approfondissements parce qu'elle est associée à un autre

thème proprement nervalien, la quête de l'amour. Enfin,

dans Aurélia, le double, qui apparaît lié au If je", n'est

plus simplement un thème élaboré plus ou moins consciemment

par un écrivain, mais il devient un mythe dominant dans

l'imaginaire de l'auteur et c'est lui, entre autres, qui

génère chez le narrateur le désir de son récit.

Le motif du double, et ses formes variées dans

l'oeuvre nervalienne, vient révéler que l'auteur est obsédé

par i'idée de la division de son être. En cela, il anime

un thème proprement romantique dont le Faust de Goethe avait

déjà apporté les données. Pour quelques critiques actuels,

comme Jean Richer et Kurt Sch~rer, ce thème qui hante

l'oeuvre aurait été nourri par l'astrologie, Nerval étant né

sous le signe des Gémeaux 2. Ajoutons qu'à défaut de sous­

crire totalement à une telle interprétation, l'intérêt

passionné de Nerval lui-même pour' les sciences occultes en

général et l'astrologie en particulier a nourri son univers

imaginaire. Il est probable en effet que cela a joué un rôle

important dans l'élaboration du mythe du double. Toutefois,

comme nous l'avons mentionné dans l'introduction, la lecture

des romantiques allemands et des orientalistes, qui a aussi

considérablement nourri l'imagination de Nerval, est certai-

" -...... -~ ~ .. --~ .. _-~--~ .~ - ~--~-.....--p--_ .. _~-_ ... _-":----;~ ~~ .. Jl4 .. ' .... _~ ,.J}~I ','N" t"RM~ -

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1

-104-

nement responsable pour une large part du développement de ,

. la figure du double dans l'oeuvre.

Au cours de notre étude, nous avons découvert un

élément inséparable de l'image du double. Il s'agit, à côté

-de cette hantise de la division, et présente tout particu­

lièrement d~ns Aurélia, d'une quête de l'unité. Ce thème

nous semble un corollaire conséquent du motif du double.

La réunion de ces deu~ principes complémentaires est

d'ailleurs très fréquente dans la pensée romantique allemande

dont Nerval s'est beaucoup inspiré. En effet, selon les

philosophes de la Nature, entre autres Schelling, Baaden,

Novalis, le sentiment d'une dualité interne est indissociable

d'un désir profond d'unification, car lien chaque chose vit.

secrètement un germe de l'unité perdue et future, en même

temps qu'un principe d'individuation et de séparation"c 3 •

A l'origine il n'y avait qu'harmonie universelle mais à la

suite de la faute originelle, cette harmonie est détruite

et l'élément dualiste s'installe dans l'univers entier,

"sous forme de lutte entre des tendances contraires" 3.

L'essel}ce double de toute chose est ainsi pe,rçue comme un

état dénaturé, puisqu'elle est la conséquence d'une erreur

primitive, d'un péché originel. Dans cette perspective,

l'être humain, de même que la Nature toute entière, se doit (1

de retrouver l'unité perdue. Et l'homme averti peut y arriver,

'Il,' "l.'

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-1.05- •

car "toute 'polarité:, toute lutte dt forces-antag~nis~s et complémen~aires, qui n'existent que l'une avec l'autre,

se ré~out dans une synthèse supérieure" 4. Comme le note ,

encore Albert Béguin, cette idée se trouve à la base de tous

les systèm~ religleu~: au début règne uné unité divine qui

est brusquement perturbée pftr la 'chute de la oTéaturej la };

création tout entière se ~~ouve par ce fait exclue du paradis, fi

symbole de l'harmonie originelle, ,et elle cherche ,à y iI'

accéder de nouveau par nIa voie de l'union mystique" 5. (!

Sachant l'intér,êt que Nerval a porté' au courant #

romantique allemand, nous ne sommes pas étonnés de trouver

dans son oeuvre, comme" complément à la figure d,u double ~

la not\on d'unité. L'image de l'épouse mys4ique, double ()

Séminin du héros ou du narrateur, ,dont nous avons relevé la

présence dans tous l.es te3Ctes étudiés, appara!t ainsi comme , 1

une première forme de l'unité·r,ècherchée. N'oublions pas

que pour l'auteur de. Sylvie et d' Aurélia, la, femme aimée

u

est elle-même un symbole d'harmoni~, puisqu'elle incarne,

malgré les différents "masques" ~ qu'elle e~prunte successI­

vement, la "même" 7, la seule femme aimée. S'unir à cet

être mystique ~st montré co~e offrant au héros l'accès à "

l'univers spirituel, et la possibilité 'de retrouver par ce

fait l'harmonie p~imitivè. Mais cette union est constamment ~

différée et ne sPapp~oche d'une réalisation que dans de rares

textes. La brève réunion d'Adoniram et de Balkis dans la \

'" - .,' --.......:..."'"S:'"': r,t""~~'i 'Qill~!:'.l>!f .' ,. ~ ... -,~\., .... '-.' -.

" '>\'0 ,

,

-106-

seconde légende du Voyage en Orient en est un exemple. Ces

deux pers~nnages ne sont réunis que l'espace de quelques 1 0

heures, p~isque la mort du héros vient les séparer à nouveau. 1

Dans l' "Histoire du c~life Hakemlt et 'dans Sylvie, ce succès

éphémère n'est pas même permis et la quête de la femme, en

tant que génératrice d'unité, s'avère un échec. Ains~ dans " 1

le premier texte, 'le personnage de Hakem n'arrive pas' à s'unir

à sa soeur Sétalmulc, et celle-ci devient même son double

ennemi puisqu'elle projette de l'assassiner. Dans le second

texte, le narrateur n'est pas plus h~ureux puisque les héroïnes

détrui~ent l'une après l'autre sa principale tllusibn: elles

refusent systématiquement de se laisser assimiler au modèle

original unique qu'il veut leur imposer ,et èlles rendent

ainsi l'idée d'harmonie imposs~le. Il essaie cependant

de 'récupérer' son rêve en transformant la jeune villageoise \

8 en "statue souriante dans le temple de la Sagesse" . Mais

le texte ne s'en termine pas moins sur des images de solitude et

d'échec.

Dans Aurélia par contre, po~nte une lueur d'espoir,

car bie~ que l'union mystique ne soit pas encore atteinte,

le héros a~quiert enfin la .certitU'de que la divinité,. image

d'uni té et .forme vi v'ânte p.e l' Harmonie, existe au-delà de la

réalité matérielle. Il la cherche dans la "patrie mystique" 9

parmi les immortels et ce n'est qu'après la mort qu'il espère . ,

la rejoindre.

- ~----- ----. -_.-,-. -~-{):-------:."'~-~\'r'i~ .. !,,!~~;!"'.h"(J.~ ... -:I!'J-. __ .......... aJiIIIIAa .. 1 -

, L •

-107-

"C'est donc dans ce dernier texte, le 'seul~ où la quête

n'aboutisse pas explicitement à un échec, que la notion

d'unité se développe avec le plus de force. Présenté comme

une traduction de l'expérience intime du poète, Aurélia .

retrace en fait les étapes auxquelles il dit avoir été 'soumis

avant d·avoir accès à "ce pa-radis" 10 tant espéré. Comme le

déclare le narrateur lui-même, ces étapes consnituent les

.lIépreuves de l'initiation sacrée" Il. Dans les 'moments les

plus exal tés de sa mala_die" il avoue que son problème personnel

prend des dimensions cosmiques: liMon rôle me semblait être

de rétablir l'harmonie universelle par l'art cabalistique ll 12

On le voit, cette mission qu'il s'attribue est encore une

fois révélatrice de son désir profond d'unité. Assuré de ~

pouvoir un j our participer avec les immortels li cette lI·régéné­

ration de l'univers'! 13 par l'unité, le po~te dit faire face

avec confiance aux épreuves car il p~ssèdl enfin la conviction , 0,.

d'être un initié. Aussi les rêves décrits dans les

If Mémorables" sont-ils marqué'~ .par des images de "tri,omphen 14

de "pardon" divin 1,4, de "dou~ espoir" 15. L'univers onirique

lui-même évoque déjà, en effet~ "l'harmonie originelle"

établissant "une secrète connivence entre l'humain et; la

nature, entre le m,oi conscient et la moi onirique, entre

Gérard et son double u 16 Dans la perspective de l'initiation,'

ct est sur un triomphe que s'é te~mine, Àurélia: le double

hostile a disparu, faisant place à un~ble bén6fique,

-~_:.-:- r-----...--, -, -

1

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-108-

Saturnin, intercesseur auprès de la Divinité souriante qui

lui annonce la fin de ses épreuves.

Selon certains critiques toutefois) cette victoire

n'est qu'illusoire. Ainsi, pour Jean Richer, le' suicide de

Nerval' constitue la véritabJ-e conclusion du texte d'Aurélia

et i,l l' interpr~te "comme un retour offensi,f du DO~fJle: La

réconciliation de~ opposés n'était que mom~ntanée et Nerv~,

confro~té une fois encore avec l'autre, aurait tué son ennemi,

se détruisant ainsi lui-même" 17. Il est fort possible que

la' hantise du double maléfique qui obsède presque tous les

héros ou les narrateurs nervaliens, ait pu conduire Nerval "

à ce ~~ste ultime ~e déses~o~r .. Mais cette vo~ohté de mettre

fin ~ sa vie ici-bas peut' également être attribuée au désir -

de retrouver précisément le lieu paradisiaque entrevu dans

Aurélia. Ainsi, à llexemple des croy~nts; la mort serait

apparue à Nerval comme la derni~re des épreuves initiatiques

donnant accès définitivemynt à l'Unité. Et puisque "dans

la dialectique de l',initiation, il faut mour~r pour renaître,

( ... .) , 'la mort se confond avec ' la Nuit Sacrée de l'absolu' If

et,1 pour' Nerval qui s'e croit désormais initié, "elle est

une aube ~umineuse" 18

Le motif du double conduit ainsi, à travers la série , ,

d'épreuves que décrit Aurélia, ~ des images de "pardon" 19

et d'uni té. Dans les textes précédant ,ce récit posthume, la

quête de l'harmonie n~apparait qu'ébauchée, et les imagés

.~ .... , •• - °m. AI." il 'HJI\JII!t;61 JU,I.rmu -'-;' .. - 0' .. -, , 0 , .. : .. ' .. : t.',~, .• -"i':'~~'}.::'è" .' "

-109-

", de plénitude et d'unité sont rares et fugitives. Mais

dans ce dernier texte que Nerval donne comme sa "Vita nuova" 20,

on trouve --si l'on accepte la perspective de l'initiation

à laquelle, on le sait, souscrivait Nerval-- que le motif ~

du double, c'est-à-dire de la division, est accompagné de·

son complément, celui de la Réconciliation et de 'l'Harmonie. ~

Si "l'inquiétude et l'angoisse caractérisent la figure du , ,

double dans le Voyage en Orient et dan~ Sylvie, où nous l'avons

successivement ~nalysée, dans cette flseconde vie" 20 q~'est l ,

pour lui le rêve, le narrateur n~rvaliçn s'invente en quelque

sorte l'antidote à la

du double. Il réunit

terreur que~ire l~ fragmentation

les doubles ~es dans un 1

ul time effort pour résoudre son drame intérieur:, e.t pénétrer,

victorieux, dans "ce monde à la fois étranger et chéri" 21

où sont enfin réunis les espri t's immortels.

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NOTES

1 Nerval,-Oeuvres l, o~. cit., p.372 1 I~

2 Kurt Scharer" op. éit .. , pp.36-37

3 Albert Béguin, op.'ctI:\Jp,,~8

4

5

6

7'

8

9

10

Il

12

13

14

15

16

Ibid. , p.69

Ibid. , p'.68

Nerval, Oeuvres l , °E· ci t. , p.399

Ibid. , pp'.27l et 399

IbJd. , p.269

Ibid. , p.372

Ibid. , p.400

Ibid. , p.403

Ibid. , p.402

Ibid. 2 p.403

Ibid. , p.410

Ibid. , p.412 .',

Sébastien Sattentau et Michel Jeanneret, ttSur' le symbo-1 isme des couleurs dans 1'Aurél ia t", dans les Cahiers de la Société Gérard de Nerval, Nice, Ed. Belisane, 1979, p.S' ;

-ljj'

17 Jean RicheT, "Nerval et: ses fantômes", op. cit. l pp.291-92 ~

18 Gabrielle Pascal, "Le sou;rire de 11ini1;ié dans l'oeuvre de Gérard d,e Nerval", dans Li ttéra tUI'e, . Saint-Hyacinthè, Ed. Hurtubise/HMH, 1971, p.127 " .

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19 Nervl,il,. 0euv:(es I" °E- ci t." p.410 . ~

20 Ibid. p.3S9

21 Ibid. , p.371

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-112-

A- OEUVRES DE GERARD DE NERVAL

Oeuvres l (Paris: Ed. NRF Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1974)

Oeuvres II (Paris: Ed. NRF Gallimard, Bibliothèque de la PléIade, 1978)

Promenades et souvenirs - Lettres à Jenny -Pandora - Aurélia (Paris: Ed. Garnier-Flammarion, 1972)

B- OEUVRES CRITIQUES

1- hivres

ALBERES, Roger-Marie Gérard de Nerval

BEGUIN, Albert

CELLIER, Léon \ 1

CLOUARD, Henri

DEDEYAN, Charles ~ ..

DEDEYAN,' Christian

(Paris: Ed. Universitaires, 1955)

L'âme romantique et le rêve (Paris: Lib. José Corti, 1939)

Gérard de Nerval (Paris: Ed. Hatfier, 1963)

de Gérard de Nerval rasset, 1

Le nouveau mal du siècle de Baudelaire â nos jours (Paris: Société d'Edo d'enseignement supérieur, 1968) /

Nerval - Pèlerin de, la Nuit (Avignon: Ed. Aubanel, 1966)

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DURRY, Marie-Jeanne Gérard de Nerval et le mythe (Paris: Ed. Flammarion, 1956)

JEAN, Raymond

KOFMAN, Sarah

LEBOIS, Anqré

MARIE, Aristide

MAURON, Charles

POULET, Georges

RANK, Otto

"-

La poétique du désir (Paris: Ed. du Seuil, 1974)

Nerval (Paris: Ed. du Seuil, Coll,.Ecrivains de toujours, 1964)

Nerval - le charme de la répétition (Lausanne: Ed. L'Age d'homme, 1979)

Fabuleux Nerval (Paris: Ed. Denoël, 1972)

Des méta1hores obsédantes au mythe 1ersonne :Paris: Lib. José Corti, 1964)

Les métaphores du cercle (Paris: Ed. Plon,'19'61)

Don Juan et le Double (Paris: Coll. Petite Bibliothèque Payot, 1973 )

RICHARD, Jean-Pierre Poésie et ~Jofondeur (Paris: E. du Seuil, 1955)

RICHER, Jean

SCHARER, Kurt

TAILLEUX, Dominique

TODOROV, Tzv~tan

Gérard de Nerval (Roubaix: Ed. Pierre Seghers, 1959)

- Nerval - EXEérience et Création (Paris: Li. Hachette, 1'963)

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Thématique de Nerval (Paris: Ed. Minard, 1968)

L'es~ace nervalien (Parls: Lib. Nizet, 1975)

)

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2- Artlc1es

Cahiers de la Société Gérard de Nerval (Nice, Ed. Belisane, 1978, 1979, 1980, 1981)

CONSTANS, François "Ascendance mystique, existences mythiques", Mercure de France, 1er novembre 1952.

FELMAN, Shosh"ana

- "Deux enfants du feu", Mercure de France, 1er avril 1948 et 1er mai 1948.

"Sur la pelouse de Mortefontaine ll,

Cahiers du Sud, septembre 1948. ~

"Lyrisme et répétition", Romantisme, no 6, 1973.

...

JUDEN, Brian ~

"Nerval héros mythique", Mercure de France, 1er juin 1951.,

MALANDAIN, Gabrielle "Sources du lyrisme et lyrisme des sources"" Romantisme, no 6, 1973.

MAZELIER, Roger "Gérard de Nerval et les cathares en PériRord", EuroEe, no 516, avril 1972.

PASCAL, Gabrielle "Le sourire de l'initié dans l'oeuvre de Gérard de Nerva1 11

, Litt6-ratures, Saint-Hyacinthe, Hurtubise!HMH, 1971.

RICHER, Jean "Nerval et ses fantômes", Mercure de France, 1er juin 1951.

, - "Notes sur Aurélia", Cahiers du Sud, ~948.

SATTENTAU, Sébastien JEANNERET, Michel

(

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"Sur .le symbolisme des couleurs dans 'Aurélia''', Cahiers de la Soci~té Gérard de Nervà1, 1979.

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C- OUVRAGES CONSULTES

BAUDELAIRE, Charles Oeuvres compl~tes

BYRON, G.G. (Lord)

CAZOTTE, Jacques

CHEVALIER, Jean GHEERBRANT, Alain

&

GOETHE, J. Wolfgang

HOFFMANN, E.-T.-A.

MUSSET, Alfred de

NODIER, Charles

SERVIER, Jean

\ .-

(Paris: Ed. du Seuil,' Coll. l'Intégrale, 1968)

Oeuvres cornpl~tes, tome XI (Paris: Ed. Delangle Fr~res, 1827)

Le diable amoureux (Paris: Coll. Scripta Manent, 1928)

. Dictionnaire des symboles (4 tomes) (Paris: :Èd. Seghers, 1973-74)

Faust et le second Faust (Paris: Ed. Garnier-Frêres, ) (Traduction de Gérard de Nerval)

Les Elixirs du Diable (Paris: Lib. Stock, 1926) (Traduction de A. Hella et O. Bournac)

La Sainte Bibl e (Paris: Ed. Edi1ec, 1979)

Choix de Poésies (Montréal: Ed. Bernard Valiquette, )

- La confession d'un enfant du si~cle (Paris: Ed. Gallimard, 1973)

- Lorenzaccio (Paris: Lib. Larousse, Coll. Classique' Larousse, 1936)

Contes fantastiques (Paris: Ed. Georges Cr~s et Cie, )

L' homme' et l'invisible (Paris: Ed. Imago, Lib. P~ot, 1980)