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1939 LA GUERRE CONTRE LES JUIFS Assis dans les ruines de sa maison de Varsovie, en Pologne, un jeune garçon médite sur son sort. LE 21 septembre 1939, Reinhard Heydrich, chef de la Police de la sûreté de l’Allemagne nazie, expédia un message secret. Il était destiné aux chefs des corps expéditionnaires spéciaux (Einsatzgruppen) dont les responsabilités couvraient le territoire polonais contrôlé par l’Allemagne nazie après le succès de l’invasion de la Pologne, le 1 er septembre. Ce mes- sage sur la « question juive en territoire occupé » traitait des objectifs intermédiaires et des objectifs ultimes. Heydrich ne définissait pas le Endziel (objectif ultime), mais sa note était claire sur certaines étapes intermédiaires. Les Juifs devaient être rassemblés, c’est-à-dire déplacés de la campagne et des villages dans les grandes villes où les chemins de fer étaient aisément accessibles. Certaines parties de la Pologne occupée deviendraient judenrein (sans Juifs) afin de faciliter l’établissement d’Allemands. Des conseils juifs (Judenräte) furent désignés et chargés d’exé- cuter « les directives avec exactitude et célérité ». Heydrich ordonna également aux chefs des Einsatzgruppen de lui fournir des données à jour sur le nombre et l’emplacement des Juifs polonais, ainsi que sur leurs biens. Ces ordres cachaient un ambitieux plan démographique. Plus précisément, c’était un ordre d’entreprendre la ghettoïsation des Juifs polonais, décision fatale qui allait condamner des millions de Juifs, hommes, femmes et enfants. Sous couvert d’une guerre conventionnelle, une guerre différente – menée contre tous les Juifs d’Europe – commençait. Huit mois auparavant, le 30 janvier 1939, Hitler avait prononcé un discours devant le Reichstag sur l’avenir de l’Europe et en particulier sur le sort des Juifs européens. Ce discours qui dura deux heures et demie comportait des tirades antijuives alors familières, mais, à cette occasion, les prévisions mena- çantes d’Hitler furent plus alarmantes qu’à l’ordinaire. « Si les financiers juifs internationaux en Europe et au dehors réussissent à nouveau à plonger les nations dans une guerre mondiale, insista Hitler, le résultat ne sera pas la bol- chevisation de la terre et la victoire des Juifs, mais l’anéantissement de la race juive en Europe. » Hitler ne précisa pas ce qu’il avait à l’esprit. L’émigration forcée ou la réins- tallation des Juifs sur une grande échelle étaient alors les objectifs les plus en vogue. Mais Hitler prévoyait aussi d’annexer le territoire tchèque et il avait peut-être l’intention de tenir à distance l’intervention internationale en signa- lant que les Juifs du Reich seraient détenus en otage. Quoi qu’il en soit, peu d’auditeurs prirent au pied de la lettre les menaces meurtrières d’Hitler. 149

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  • 1939LA GUERRE CONTRE LES JUIFS

    Assis dans les ruines de sa maison de Varsovie,en Pologne, un jeune garçon médite sur son sort.

    LE 21 septembre 1939, Reinhard Heydrich, chef de la Police de lasûreté de l’Allemagne nazie, expédia un message secret. Il était destinéaux chefs des corps expéditionnaires spéciaux (Einsatzgruppen) dont lesresponsabilités couvraient le territoire polonais contrôlé par l’Allemagnenazie après le succès de l’invasion de la Pologne, le 1er septembre. Ce mes-sage sur la « question juive en territoire occupé » traitait des objectifsintermédiaires et des objectifs ultimes.

    Heydrich ne définissait pas le Endziel (objectif ultime), mais sa note étaitclaire sur certaines étapes intermédiaires. Les Juifs devaient être rassemblés,c’est-à-dire déplacés de la campagne et des villages dans les grandes villes oùles chemins de fer étaient aisément accessibles. Certaines parties de la Pologneoccupée deviendraient judenrein (sans Juifs) afin de faciliter l’établissementd’Allemands. Des conseils juifs (Judenräte) furent désignés et chargés d’exé-cuter « les directives avec exactitude et célérité ».

    Heydrich ordonna également aux chefs des Einsatzgruppen de lui fournirdes données à jour sur le nombre et l’emplacement des Juifs polonais, ainsique sur leurs biens. Ces ordres cachaient un ambitieux plan démographique.Plus précisément, c’était un ordre d’entreprendre la ghettoïsation des Juifspolonais, décision fatale qui allait condamner des millions de Juifs, hommes,femmes et enfants. Sous couvert d’une guerre conventionnelle, une guerredifférente – menée contre tous les Juifs d’Europe – commençait.

    Huit mois auparavant, le 30 janvier 1939, Hitler avait prononcé un discoursdevant le Reichstag sur l’avenir de l’Europe et en particulier sur le sort desJuifs européens. Ce discours qui dura deux heures et demie comportait destirades antijuives alors familières, mais, à cette occasion, les prévisions mena-çantes d’Hitler furent plus alarmantes qu’à l’ordinaire. « Si les financiers juifsinternationaux en Europe et au dehors réussissent à nouveau à plonger lesnations dans une guerre mondiale, insista Hitler, le résultat ne sera pas la bol-chevisation de la terre et la victoire des Juifs, mais l’anéantissement de la racejuive en Europe. »

    Hitler ne précisa pas ce qu’il avait à l’esprit. L’émigration forcée ou la réins-tallation des Juifs sur une grande échelle étaient alors les objectifs les plus envogue. Mais Hitler prévoyait aussi d’annexer le territoire tchèque et il avaitpeut-être l’intention de tenir à distance l’intervention internationale en signa-lant que les Juifs du Reich seraient détenus en otage. Quoi qu’il en soit, peud’auditeurs prirent au pied de la lettre les menaces meurtrières d’Hitler.

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  • Cependant, tandis que l’Allemagne nazie continuait à chercher des « solu-tions » à sa « question juive », le discours d’Hitler mettait en avant l’idée d’uneextermination qui allait par la suite devenir la politique du Reich.

    Les menaces d’Hitler d’exterminer les Juifs européens n’étaient pas parti-culièrement crédibles au début de l’année 1939, du fait du nombre relative-ment réduit de Juifs d’Europe – moins de 400 000 – qui se trouvaientdirectement sous domination nazie. Avec le temps, cependant, ce nombremonta en flèche. Ce faisant, les menaces proférées par Hitler devant le Reichs-tag, bien qu’encore loin de se réaliser, devinrent plus plausibles. Une étapedans cette direction se produisit le 15 mars, lorsque la Tchécoslovaquie dispa-rut de la carte de l’Europe.

    Dès l’automne 1938, l’Allemagne nazie avait annexé des régions de la Tchéco-slovaquie, les Sudètes. Six mois plus tard, Hitler manigança la sécession slovaquede la Tchécoslovaquie et l’établissement d’un gouvernement fantoche nazi dans lenouvel État de Slovaquie. Puis, le 15 mars, il envoya l’armée allemande dans lesprovinces tchèques de Bohême et de Moravie, leur conférant le statut de protec-

    torat dont les habitants allemands deviendraient citoyens duReich. Deux jours plus tard, le premier ministre britanniqueNeville Chamberlain proclama publiquement que son gouver-nement résisterait à toute nouvelle agression allemande. Mal-heureusement, ce vœu intervenait trop tard pour les 118 000Juifs de Bohême et de Moravie désormais sous contrôle alle-mand. 90 000 autres Juifs vivaient dans l’État fantoche de Slo-vaquie farouchement antisémite.

    Tentant d’échapper à la toile nazie qui se dilatait, les Juifs ren-contrèrent restrictions et obstacles tout au long de l’année 1939.Le 17 mai, par exemple, le gouvernement britannique publiaun document appelé le Livre blanc qui restreignait l’immigra-tion juive en Palestine, territoire que la Société des nations avait

    placé sous mandat britannique après la Première Guerre mondiale. D’autres portes demeurèrent fermées aux réfugiés juifs. Le 9 février 1939,

    le sénateur de l’État de New York Robert Wagner et la députée de la Chambredes représentants Edith Rogers du Massachusetts déposèrent une propositionde loi au Congrès des États-Unis. En vertu de cette loi Wagner-Rogers, pourchacune des années 1939 et 1940, 10 000 enfants réfugiés âgés de moins de14 ans seraient autorisés à entrer dans le pays. Ces garçons et ces filles seraientcomptés hors quota des immigrants allemands. Cependant, cette propositionsouvent amendée s’enlisa en commission. Manquant également du soutien duprésident Franklin Roosevelt, la proposition Wagner-Rogers fut abandonnée audébut de l’été.

    Au début du printemps, ayant joué sa carte tchécoslovaque avec succès, Hitlers’intéressa à la Pologne. Sans s’alarmer de la promesse formulée par la Grande-Bretagne le 31 mars de défendre les frontières polonaises, Hitler donna, le 11avril, un ordre important : la Wehrmacht devait se préparer au « Plan blanc »,nom de code donné à l’attaque de la Pologne par l’Allemagne nazie.

    Avant de lancer cette attaque, les Allemands avaient besoin de vérifier uneéventuelle opposition de l’Union soviétique. Lorsque Hitler entama les négo-ciations avec Joseph Staline, il trouva le dictateur soviétique très réceptif. Le 23août, les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie et de l’URSS –respectivement Joachim von Ribbentrop et Viatcheslav Molotov – signèrentle pacte germano-soviétique de non-agression. Outre la garantie qu’aucun desdeux pays n’attaquerait l’autre, ce traité contenait un protocole secret. Il préci-

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    Un Juif de Pologne est publiquementhumilié ; de force, on lui rase labarbe, témoignage de sa foi.

  • sait les sphères d’influence qui appartiendraient à chaque partie en cas deguerre. Plus précisément, la Pologne serait démembrée.

    Ne craignant plus l’intervention soviétique, l’Allemagne nazie envahit laPologne le 1er septembre. Deux jours plus tard, la Grande-Bretagne et laFrance réagirent à la situation désespérée de leur allié polonais en décla-rant la guerre à l’Allemagne. Avant la fin du mois de septembre, cepen-dant, l’armée allemande avait écrasé toute résistance polonaise.

    Comme la Tchécoslovaquie, la Pologne disparut de la carte de l’Eu-rope. Les forces soviétiques occupèrent la Pologne orientale le 17 sep-tembre. En octobre, les Allemands annexèrent au Reich les régions ouestet nord de la Pologne. Une grande partie du cœur du pays – notammentles villes de Lublin, Cracovie et la capitale Varsovie – devint une colonieallemande appelée Generalgouvernement.

    À l’automne 1939, la Pologne comptait au total 33 millions d’habitants.Dix pour cent d’entre eux – 3,3 millions – étaient juifs. La tactique mili-taire du Blitzkrieg adoptée par l’Allemagne nazie et le partage de laPologne placèrent deux millions de Juifs sous domination allemande. Pourle Troisième Reich, ce « problème juif » prenait des proportions sans pré-cédent. D’une certaine façon, cependant, le « problème juif » était plusfacile à appréhender en Pologne qu’il ne l’avait été en Allemagne, enAutriche ou dans le protectorat de Bohême et Moravie. Selon l’idéologieraciale nazie, les Polonais étaient très inférieurs aux Allemands. Les Juifsd’Europe orientale – et parmi eux les Juifs polonais – étaient placés encoreplus bas. En tant que « sous-hommes », comme les appelaient les nazis, lesJuifs polonais ne devaient avoir aucune raison d’attendre le minimum derespect accordé aux Juifs allemands.

    Mais le nombre même de Juifs polonais – Varsovie à elle seule encomptait près de 400 000 – créait des difficultés que les Allemandsn’avaient jamais rencontrées auparavant. Que faire des Juifs polonais ?Reconnaissant qu’« il est évident que les tâches qui nous attendent nepeuvent être appréhendées ici dans tous leurs détails », le régime dépêchade Berlin Reinhard Heydrich le 21 septembre pour contribuer à résoudrecette question.

    Alors que les plans de ghettoïsationdes Juifs polonais étaient en cours,d’autres éléments de la « questionjuive » commencèrent à émerger,quoique peu distinctement à l’époque,lorsque Hitler autorisa un programmedit « d’euthanasie ». Ce programmeconcernait les Allemands handicapésphysiques ou mentaux. Durant l’hiver1939-40, ces « bouches inutiles »furent mises à mort dans des institu-tions d’Allemagne et d’Autriche équi-pées de chambres à gaz. Par la suite,les responsables du programme d’eu-thanasie allaient utiliser leur savoir-faire dans ces entreprises de meurtrenazies que furent Belzec, Sobibor etTreblinka. Là, les Juifs allaient êtregazés par dizaines de milliers.

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    Haut : Reinhard Heydrich prôna lacréation de ghettos juifs dans laPologne occupée par l’Allemagne.Bas : Lublin fut l’un des ghettoscréés peu après l’invasion de laPologne par l’Allemagne.

  • 1939• 1939 : Environ 78 000 Juifs quittentl’Allemagne. Les objets de valeurappartenant à des Juifs sont confisquésdans l’ensemble du pays. • Publicationen Allemagne du livre antisémite deHermann Esser, La peste juive mon-diale. • Le chef SS Heinrich Himmlerest chargé de renforcer la nation alle-mande dans le Reich. Désireux d’aug-menter le taux de natalité aryen,

    Himmler ordonne à ses SS de féconderleurs femmes et d’agir en tantqu’« assistants à la conception » defemmes sans enfants âgées de plus de29 ans. • Sortie du premier numéro deDie Aktion: Kampfblatt für das neueEuropa (L’Action : journal de combatpour la nouvelle Europe), une revue depropagande antisémite diffusée horsd’Allemagne.

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    « Le fléau de Dieu »,photomontage d’un ou de plusieursartistes inconnus, montre le point devue des nazis sur les Juifs de Pologneà l’époque de l’invasion. Cetteimage, utilisée à titre de preuve lorsdes procès de Nuremberg après laguerre, parut dans le journal haineu-sement antisémite Der Stürmer.

    Bien évidemment, l’antisé-mitisme ne se limitait pas àl’Europe. Ce tract antisémiteimprimé aux États-Unis en1939, établit un lien entrejudaïsme et communisme,comme le faisait lapropagande allemandeantijuive. À l’instar d’unegrande partie de lapropagande contre lesimmigrants des années 1930,le tract accuse les Juifs de l’im-portant chômage causé par laGrande crise. De tels appelsémanant de groupesantisémites, qui exploitaientles inquiétudes économiquesd’un vaste public, s’avéraienthautement efficaces.

    Après la prise du pouvoir par les nazis, l’ignoble revue pornogra-phique et antisémite Der Stürmerde Julius Streicher, devint l’un desjournaux les plus lus d’Allemagne.Fondé à Nuremberg dans lesannées 1920, le journal futdistribué à l’échelle nationale en1939. Cette photo montre unhomme jeune regardant une afficheapposée sur le bureau du quotidienà Dantzig. Il est écrit sur l’affiche :« Les Juifs sont notre malheur », sen-timent largement partagé, résumantla position nazie face à la « ques-tion juive ».

  • • Production en Allemagne d’un filmcomique antisémite, Robert und Bertram.• Aux États-Unis, la commission sur lesactivités anti-américaines de la Chambredes représentants (HUAC) enquête surl’association pronazie German AmericanBund. • Selon un sondage Elmo Roper,53% des Américains ont le sentiment queles Juifs sont « différents » et qu’il faut leurimposer des « restrictions sociales et éco-nomiques ». • Selon un sondage Gallup,

    83% des Américains sont opposés à l’ad-mission d’un plus grand nombre de réfu-giés juifs. • Se fondant sur des instructionsémanant du Département d’État, unfonctionnaire des États-Unis en poste auconsulat de Stuttgart, en Allemagne,déclare à Ernest Michel, un Juif allemandqui avait un garant américain, que lesquotas d’immigration des États-Unis sontatteints et qu’il devrait se présenter à nou-veau dans trois ans. Curieusement, 1939

    fut l’unique année où les quotas des États-Unis furent atteints.

    • Janvier 1939 : Début de l’immigration « illégale » d’Allemagne en Palestine.27 000 Juifs immigreront clandestinementjusqu’à la fin de 1940. • Hjalmar Schacht,président de la Reichsbank, informe AdolfHitler qu’une inflation désastreuse guettel’économie de l’Allemagne.

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    Heinrich HimmlerHeinrich Himmler, appelé « l’architecte du

    génocide », était chef des SS, chef de la policeallemande et des Waffen-SS, et ministre de l’In-térieur. Dans l’Allemagne nazie, seul Adolf Hit-ler avait plus de pouvoir que lui.

    Né en 1900 dans une famille catholique dela bourgeoisie de Munich, Himmler fit desétudes d’agriculture et d’économie, maiséprouva un vif inté-rêt pour la politiquenazie. Il rejoignit laSS dès ses débuts en1925 et en devint lechef cinq ans plustard.

    Une fois les nazisau pouvoir en 1933,Himmler se vitconfier le contrôlede la police àMunich et danstoute la Bavière. Enmars de cette même année, il ouvrit le campde concentration de Dachau. À l’été 1936, ilcontrôlait la police politique et la police judi-ciaire dans l’ensemble du Reich. Himmleracquit la réputation d’un perfectionnisteimpitoyable rompu aux tactiques de terreur.

    Dirigeant les camps de concentration etles camps de la mort, Himmler contrôladirectement le processus d’extermination dela Shoah. Dans un discours adressé aux chefsSS, le 4 octobre 1943, il qualifia l’extermina-tion des Juifs de « page glorieuse de notrehistoire » et fit l’éloge des « types bien » quil’avaient mise en œuvre.

    La fin d’Himmler fut aussi ignominieuseque l’avait été sa carrière nazie. Capturé parles troupes britanniques alors qu’il était mal-adroitement déguisé, il échappa au procès enavalant du poison le 23 mai 1945.

    Cette affiche établit un lien entrel’antisémitisme et lespuissants sentimentsanti-immigrants quicaractérisaient lapolitique américainedurant les années1930. Selonl’affiche, le judaïsmeéquivaut au commu-nisme qui ne doit pasavoir de place auxÉtats-Unis. On remar-quera les traits juifs etle stéréotype du nezallongé affublé à lastatue de la Liberté.

    Les dirigeants nazis proclamèrent que le champ debataille de la femme devait être le foyer et qu’elle devaitfournir des enfants à la Patrie. Début mai 1939, les mèresprolifiques furent glorifiées aux cours de cérémonies et sevirent décerner la croix d’honneur de la mère allemande.Les récipiendaires bénéficiaient de privilèges particulierset étaient saluées par les Jeunesses hitlériennes. On distin-guait trois catégories : médaille de bronze pour lesfemmes ayant donné naissance à cinq enfants ; d’argentpour sept enfants et d’or pour celles qui avaient neufenfants ou davantage.

  • Adolf Hitler célèbre le sixième anniversaire de sanomination au poste de chancelier de l’Allemagne parun grand discours de politique étrangère. Devant leReichstag récemment reconstruit, Hitler menace d’exter-miner les Juifs d’Europe si la guerre éclate entre l’Alle-magne et les Alliés occidentaux. Considérée àl’époque comme de la propagande à sensation, lamenace d’anéantir les Juifs européens prit l’allured’une prédiction fatidique après la Shoah.

    1939• 1er janvier 1939 : En vertu du décretdu 17 août 1938, les Juifs d’Allemagnedurent adopter en deuxième prénom« Israël » ; les Juives, celui de « Sara ». • Les Juifs sont exclus de l’économieallemande ; leurs capitaux sont saisis,bien que quelques Juifs continuent à tra-vailler sous les ordres d’Allemands. • Aucamp de concentration de Buchenwald,en Allemagne, Arthur Rödl, adjoint ducommandant, ordonne à plusieurs mil-

    liers de détenus de se rassembler peuavant minuit pour une inspection. Ildésigne cinq hommes et les fait fouetterau son d’une mélodie jouée par l’or-chestre du camp. Les coups de fouet sepoursuivent toute la nuit.

    • 5 janvier 1939 : L’Allemagne déclareque les Juifs karaïtes (secte refusant laloi orale) ne tombent pas sous le coupdes lois de Nuremberg.

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    Pour pouvoir appliquer leur politique antisémite, lesnazis devaient savoir qui était Juif. Pour déterminer lesantécédents raciaux d’une personne, ils utilisèrent,entre autres, des cartes d’identité que tous les Juifsdevaient avoir sur eux. Le grand « J » sur la gaucheidentifiait le titulaire comme Juif. Après le 17 août1938, toutes les femmes juives durent adopter ledeuxième prénom « Sara » et tous les hommes celuid’« Israël ».

    En février 1939, les dirigeants de l’Agence juivepour la Palestine rencontrèrent des chefs arabes à latable ronde de St James Palace pour discuter de l’ave-nir de la Palestine. L’initiative des rencontres deLondres revenait au gouvernement britannique désireuxde réduire les tensions croissantes entre Juifs et Arabesse trouvant sous mandat britannique. Les participants àla conférence n’étant pas parvenus à un accord, lesBritanniques publièrent le Livre blanc de MacDonaldqui limitait considérablement l’immigration juive enPalestine ainsi que l’achat de terres par les Juifs.

    « Aujourd’hui, une fois de plus,je serai prophète. Si lesfinanciers juifs internationaux enEurope et hors d’Europeréussissaient à plonger lesnations dans une nouvelle guerremondiale, le résultat ne seraitpas la bolchevisation du mondeet donc la victoire de la juiverie,mais l’anéantissement de la racejuive à travers toute l’Europe. »

    —Adolf Hitler, disours devant le Reichstag,30 janvier 1939

  • • 24 janvier 1939 : Le Generalfeldmar-schall nazi Hermann Göring ordonne àReinhard Heydrich de créer un Officede l’émigration juive. Heydrich nommeà sa tête le chef de la Gestapo HeinrichMüller.

    • 30 janvier 1939 : À l’occasion du sixièmeanniversaire de sa nomination au poste dechancelier, Hitler avertit devant le Reichs-

    tag, que, si la guerre éclate, il en résulteral’extermination des Juifs d’Europe. Tour-nant en ridicule l’absence d’action huma-nitaire des Alliés occidentaux en faveur desJuifs, il fait remarquer que « c’est un spec-tacle honteux de voir comment le mondedémocratique tout entier déborde de sym-pathie pour les pauvres Juifs persécutés,mais demeure sans cœur et inflexible, dèslors qu’il s’agit de leur venir en aide. »

    • 3 février 1939 : Une bombe détruitune synagogue à Budapest, en Hon-grie, tuant un fidèle.

    • 7-20 février 1939 : La conférence de StJames Palace est organisée à Londrespour trouver une solution pacifique etsortir de l’impasse politique en Palestine.Les délégués juifs se retirent lorsque lesdélégués arabes refusent de rencontrer

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    Les passeports allemands délivrés auxJuifs perdirent toute validité après le 5octobre 1938 s’ils n’étaient pas estampillésd’un « J », indiquant l’origine juive du titu-laire. Ce passeport, accordé en 1939 àLore Oppenheimer de Hildesheim, lui per-mit d’émigrer aux États-Unis via leRoyaume-Uni. On remarquera le deuxièmeprénom « Sara », imposé par la législationallemande.

    Dans le cadre de la propagande destinée à préparer la popula-tion civile d’Allemagne à la guerre, des cartes de rationnementsont distribuées en 1939. Cette carte, délivrée à Brunhilde Brandt,26 ans, de Berlin, précise le nombre de produits qu’elle peut ache-ter, qu’il s’agisse de lait, de pommes de terre ou de sucre. Lescartes de rationnement rappelaient la nécessité d’un sacrifice surle front domestique comme sur le front des combats.

    La section de la SS Rasse- undSiedlungshauptamt (RuSHA, Officecentral de la race et de lacolonisation) était à l’origine chargéede la préservation de la pureté de larace des SS. Après l’expansion alle-mande vers l’est, elle orchestra la« germanisation » des régions nouvel-lement conquises et veilla au bien-êtredes colons. Des Allemands de souchefurent transplantés dans ces régionsdestinées à être peuplées par des SS.Ici, une représentante du parti nazi etun responsable du RuSHA expliquentles nouvelles mesures à plusieurs Alle-mandes de souche (Volksdeutsch)dans la Pologne occupée parl’Allemagne.

  • 1939leurs homologues juifs et que les Britan-niques soutiennent la position arabe.

    • 9 février 1939 : Adoption d’unelégislation antijuive en Italie.

    • 10 février 1939 : Mort du pape Pie XI.Son encyclique non publiée sur leracisme et l’antisémitisme ne va pas au-delà de la traditionnelle politique du

    Vatican à l’égard des Juifs. Cette poli-tique se fonde sur la doctrine de SaintAugustin selon laquelle les Juifs sont desCaïn qu’il ne faut pas tuer, mais qui doi-vent errer en souffrant tant qu’ils n’au-ront pas vu la lumière et choisi laconversion au catholicisme romain.

    • 20 février 1939 : Le German-AmericanBund organise un rassemblement à New

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    Consternés, les Tchèques regardent l’entrée à Praguedes divisions motorisées allemandes, le 15 mars 1939.L’occupation des derniers territoires tchèquesindépendants constituait une violation des accords signésà la conférence de Munich six mois plus tôt. À cesréunions, Hitler avait assuré au naïf premier ministrebritannique Neville Chamberlain qu’il n’avait pas d’autreambition territoriale. Le fait qu’aucune nation n’ait pris demesure catégorique contre son agression de la Tchécoslo-vaquie enhardit considérablement Hitler.

    Une affiche annon-çant un « Rassemble-ment proaméricain »sous l’égide du Ger-man-American Bundfut placardée danstout New York. L’évé-nement devant avoirlieu à MadisonSquare Garden, lesorganisateursespéraient attirer desmilliers de sympathi-sants. La majeure par-tie des 20 000personnes qui y parti-cipèrent étaient desmembres du Frontchrétien de droite dupère Charles Cough-lin.

    L’occupation de PragueLorsque, le 15 mars 1939, les troupes alle-

    mandes entrèrent à Prague, en Tchécoslova-quie, Hitler déclara qu’il resterait dans l’histoirecomme le plus grand Allemand de tous lestemps. Pour Prague, il fut certainement l’enva-hisseur le plus destructeur.

    En s’emparant des provinces tchèques deBohême et Moravie, Hitler livrait 120 000 Juifsentre les mains des SS. La moitié des quelque50 000 Juifs de Prague étaient des réfugiés d’Alle-magne. Contraints de fuir à nouveau, bon nombrecherchèrent refuge en Pologne et en Hongrie.Des milliers réclamèrent l’asile en Europe occi-dentale, en vain. En six mois, plus de 30 000 Juifsfurentcontraintsd’émigrer.Sur les90 000 res-tants, 10 000seulementallaient sur-vivre aurégime nazi.

    Des ordonnances nazies privèrent les Juifstchèques de leurs moyens de subsistance. Deslois les exclurent des professions libérales, fer-mèrent leurs entreprises, gelèrent leurscomptes en banque et confisquèrent leursbiens. Les SS lancèrent des campagnes de ter-reur : émeutes antijuives orchestrées, exposi-tions antisémites et passages à tabacsystématiques d’enfants juifs dans les jardinspublics. Des couvre-feux draconiens étaientassortis de lourdes amendes et des « chasses »spéciales aux contrevenants étaient organisées.

    La politique d’expulsion en masse de la Ges-tapo prévoyait l’émigration de 70 000 Juifs enun an. Raflé dans les provinces et parqué àPrague, un quota de 200 Juifs devait partirchaque jour – et payer une « taxe de fuite ».N’ayant pas où aller, bon nombre furent misdans des trains, transportés vers des destina-tions inconnues ou abandonnés aux frontières.

  • York. Y assistent quelque 20 000 enthou-siastes, venant pour la plupart du Frontchrétien du père Charles Coughlin.

    • 21 février 1939 : Les Juifs allemandsdoivent remettre leur or et leurargent aux autorités.

    • Février-juin 1939 : Le sénateur démo-crate de l’État de New York Robert F. Wag-

    ner, un Américain d’origine allemande etla représentante démocrate du Massachu-setts Edith Nourse Rogers déposentconjointement la proposition de loi Wag-ner-Rogers pour autoriser 20 000 enfantsallemands (juifs, essentiellement) à entreraux États-Unis sur une période de deuxans. Cette proposition est assortie de tantd’amendements qu’après les séances, ellene quitte jamais la Chambre des représen-tants ou le Sénat. Elle est vigoureusement

    soutenue par la presse et certaines Églises,et fait l’objet de nombreuses prises de posi-tion pour ou contre, émanant de per-sonnes ou d’organisations. Maisl’antisémitisme répandu dans l’opinionpublique américaine et au Congrès, ainsique l’absence de soutien du présidentFranklin Roosevelt, font tomber la propo-sition dans l’oubli. Le principal opposant àla proposition, le sénateur Robert Rey-nolds de Caroline du Nord, entretient une

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    Les Sintis et les Roms (ou Tsiganes),comptaient parmi les groupes persé-cutés dans le Troisième Reich pourraisons raciales. Les nazisconsidéraient le mode de vie « crimi-nel » des Tsiganes comme étant géné-tiquement déterminé, de même quecelui des Juifs, pensaient-ils. Le 21septembre 1939, les autorités naziesdécidèrent de déporter les Tsiganesd’Allemagne en Pologne où ils furentinternés dans des camps spéciaux.Ci-dessus, la page de titre d’un articleintitulé « Vagabonds : Nouvellesfaçons de combattre lesTsiganes. »

    Symbole de férocité et d’audace, le macabre insigne àtête de mort était à l’origine porté par les membres desTotenkopfverbände (Unités à tête de mort). Portant des uni-formes noirs et choisis pour leur inflexibilité et leurdiscipline, ces hommes constituaient une section spécialede la SS chargée de garder les camps de concentration.Au début de la guerre en 1939, ces unités devinrent lenoyau de la Waffen SS.

    George Rublee, un proche du président américain Franklin Roosevelt,dirigea le Comité intergouvernemental des réfugiés politiques, une instancecréée en 1938 par les gouvernements britannique et américain. Ilsespéraient que Rublee pourrait négocier avec le gouvernement allemandpour obtenir de meilleures conditions économiques pour les réfugiésallemands. Rublee, par exemple, souhaitait que le gouvernement allemandautorise les émigrants à emporter avec eux davantage de biens. Il échouaet quitta son poste. Cette photographie montre Rublee arrivant aux États-Unis à bord du Queen Mary, le 2 février 1939, peu après sa démission.

  • 1939relation secrète avec un agent nazi du nomd’August Gausebeck. L’associé de ce der-nier est Walter Schellenberg, le coordina-teur des activités de la Gestapo auxÉtats-Unis.

    • Février-juin 1939 : Interrogée sur sonopinion concernant la proposition de loi,Mme James Houghteling, femme d’unmembre de la commission sur l’immi-gration, murmure que le seul problème

    avec la proposition Wagner-Rogers est« que 20 000 vilains enfants [juifs]allaient bien trop vite devenir 20 000vilains adultes. » Mme Laura DelanoHoughteling est la cousine du présidentRoosevelt. • Par suite de la politique dugouvernement Roosevelt, les États-Unisoffrent refuge à moins d’enfants juifs –environ un millier de 1934 à 1945 – quela Belgique, la France, la Grande-Bre-tagne, les Pays-Bas ou la Suède.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Les habitants allemands de Memel saluent unecolonne blindée allemande entrant dans la ville, finmars 1939. Faisant partie de la Prusse orientale depuisle XVIe siècle, Memel et ses environs furent enlevés àl’Allemagne en 1919 et annexés à la Lituanie en 1923.Après s’être emparé du pouvoir en 1933, Hitler fit cam-pagne en faveur du retour de Memel à l’Allemagne.Avant d’envoyer des troupes à Memel, le parti nazi pritpeu à peu le contrôle de la politique locale ensoutenant les efforts d’Ernst Neumann.

    Des membres railleurs de la SA et de la SS semoquent de cette famille juive de Memel qui fuit lesenvahisseurs nazis. La majeure partie de la populationjuive et lituanienne avait quitté la ville avant la prisecontrôle par les Allemands. L’incertitude et la peur quise lisent sur les visages de ces personnes illustrent lasituation désespérée de ces malheureux confrontés à laforce aveugle des nazis.

    Une foule de 10 000 hommes,femmes et enfants se réunissent àColumbus Circle à New York pourécouter des orateurs condamner laprise de contrôle de la Tchécoslova-quie. Plusieurs personnes vêtues ducostume tchèque avaient participéen début de journée à un « Défilépour arrêter Hitler ». L’activité nazieen Europe passionna les Américainsd’origine européenne. Alors que lespersonnes d’origine juive, tchèqueou polonaise faisaient campagnecontre Hitler, nombreux étaient ceuxqui, dans les communautésgermano-américaines, soutinrent legouvernement nazi avant le débutde la guerre en septembre 1939.

  • • 2 mars 1939 : Le cardinal EugenioPacelli est élu pape sous le nom de Pie XII.

    • 11 mars 1939 : La Hongrie promulgueune loi permettant l’instauration du sys-tème de travail obligatoire hongrois (Mun-kaszolgálat). En vertu de cette loi, les Juifsen âge d’être enrôlés seront employés àdes travaux de construction, d’extractionminière et de fortification pour l’armée.

    • 15 mars 1939 : Les troupes nazies pénè-trent en Tchécoslovaquie et occupentPrague. Aucune nation ne prend de mesureénergique contre cet acte. Sur les quelque50 000 Juifs de la ville, 19 000 seulement fui-ront l’Europe. Des dizaines de milliersd’autres seront pris au piège lorsque lestroupes nazies entreront dans les provincestchèques de Bohême et de Moravie. La Slo-vaquie devient un satellite allemand.

    • 20 mars 1939 : Environ 5 000 tableaux,dessins et sculptures jugés « dégénérés »par les nazis sont brûlés dans un énormebûcher à Berlin.

    •21 mars 1939 : Les troupes nazies entrentà Memel, en Lituanie, contraignant les Juifsà la fuite. • Le gouvernement françaisadopte une législation proscrivant l’incita-tion à la haine raciale ; voir 27 août 1940.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    En mars 1939, le gouvernement britannique tentad’expulser dix réfugiés juifs de Tchécoslovaquie parceque leurs passeports n’étaient pas en règle. Les passa-gers ayant menacé de sauter de l’avion devant atterrirà Varsovie, en Pologne, le pilote refusa de décoller. Lelendemain, les dix furent embarqués de force à bordd’un bateau en partance pour le continent.

    Craignant une éventuelle invasion allemande, lacavalerie polonaise s’entraîne avec des lances censéeslivrer des joutes avec des tanks. Si une telle tactiquetémoigne d’une grande bravoure de la part des soldatspolonais, elle ne servit bien évidemment à rien face àla moderne armée allemande.

    Hermann GöringHermann Göring, le numéro 2 du parti nazi,

    semblait le plus ouvert des dirigeants nazis. Cen’était pas un antisémite patenté et il affirmaavoir rejoint le parti en tant que « révolution-naire – et non à cause d’une quelconque absur-dité idéologique. »

    Jovial, extroverti exubérant, capable de rirede tout cœur des plaisanteries sur sa silhouetteenveloppée, Göring semblait plus humainqu’Hitler ou Joseph Goebbels. Cette allureextérieure joviale masquait cependant soninhumanité. Très intelligent, il pouvait êtreaussi brutal que n’importe lequel de ses col-lègues, sans scru-pules ni morale, dèslors qu’il s’agissait dutraitement des pri-sonniers des campsde concentration. Ilse croyait lui-même« homme de laRenaissance », maissa vanité et son avi-dité en faisaient unsybarite nazi sedélectant du pouvoiret d’une fortuneacquise sans ver-gogne.

    Pilote accompli durant la Première Guerremondiale, Göring rejoignit le parti en 1922 eten gravit rapidement les échelons. Élu au par-lement en 1928, il reçut un portefeuille minis-tériel en 1933. En 1934, il fut nommécommandant de l’armée de l’Air et, en 1936,dirigea le plan de quatre ans destiné à prépa-rer l’économie de guerre de l’Allemagne.

    N’étant pas parvenu à éviter le bombarde-ment des villes allemandes par les Alliés,Göring tomba en disgrâce et se réfugia dansl’usage de la drogue. Condamné à mort lorsdes procès de Nuremberg, il se suicida en ava-lant du cyanure.

  • 1939• 25 mars 1939 : Devant 500 000 spec-tateurs, 20 000 manifestants défilent àNew York pour « stopper Hitler ».

    • 31 mars 1939 : Le premier ministrebritannique Neville Chamberlainannonce que le Royaume-Uni et laFrance garantiront la souveraineté dela Pologne.

    • 1er avril 1939 : La guerre civile espa-gnole se termine par la victoire desfascistes de Francisco Franco.

    • 3 avril 1939 : Le gouvernement alle-mand adopte une directive secrètepour s’emparer de Dantzig, « villelibre » de Pologne, directive qui s’in-sère dans la préparation de l’Alle-magne à une guerre d’envergure.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Des déportées du camp de concentration de Ravensbrück en Allemagnefont connaissance du système de terreur nazi. Ravensbrück, un camp pourfemmes situé à environ 80 kilomètres au nord de Berlin, ouvrit officiellementses portes le 15 mai 1939. Comme leurs homologues masculins, les prison-nières construisirent les locaux qui les abritèrent et furent astreintes autravail quel que soit le temps. Les pluies de printemps tombant dans le nordde l’Allemagne rendirent extrêmement pénibles les travaux d’excavation.

    Des membres de la communauté juive de Palestine descendent dans larue pour protester contre la décision britannique de restreindre l’immi-gration juive dans le pays. Le Livre blanc de MacDonald du 17 mai 1939limitait l’immigration juive à 10 000 personnes par an pendant cinq ans. Lapolitique du gouvernement britannique fit en sorte que le nombre réel d’im-migrants juifs soit très inférieur aux quotas prévus pour la Palestine.

    Franklin Delano Roosevelt, prési-dent des États-Unis de 1933 à1945, avait une conscience aiguëde la crise qui se développait enEurope. Affrontant d’une part lesJuifs américains qui voulaient ouvrirles portes des États-Unis auxréfugiés juifs et, de l’autre lesgroupes antisémites et xénophobesqui désiraient empêcher l’entréed’étrangers indésirables, Roosevelttenta de ne pas prendre parti. Finpolitique, Roosevelt accueillit leslobbyistes des deux bords dans leBureau ovale, écouta attentivementleurs appels et perpétua le statuquo. Comme il était confronté àtoutes sortes de problèmesintérieurs, la crise en Europe n’atti-rait pas encore toute son attention.

  • • 4 avril 1939 : Création de l’Institutzur Erforschung des jüdischen Ein-flusses auf das deutsche kirchlicheLeben (Institut pour l’étude de l’in-fluence juive sur la vie de l’Église alle-mande).

    • 7 avril 1939 : La Grande-Bretagneinstitue la conscription. • Les forcesarmées italiennes occupent l’Albanie.

    • 10 avril 1939 : Les électeurs de laGrande Allemagne approuvent l’An-schluss – l’annexion de l’Autriche àl’Allemagne en 1938.

    • 15 avril 1939 : Le président améri-cain Franklin Roosevelt demande àHitler de respecter l’indépendancedes nations européennes ; voir 28 avril1939.

    • 18 avril 1939 : En Slovaquie, une légis-lation définit les Juifs par la religion.

    • 20 avril 1939 : Le Wirtschafts- undVerwaltungshauptamt (WVHA, Officecentral de l’économie et de l’adminis-tration) est revalorisé. Il s’occupe desquestions économiques des SS, notam-ment dans les camps de concentra-tion.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    À bord du Saint-Louis, les sœursjumelles Renate et Innes Spanier,

    regardent par un hublot en atten-dant le départ pour Cuba.Lorsque le Saint-Louis se vit refu-ser l’entrée et à Cuba et auxÉtats-Unis et dut retourner enEurope, les Spanier reçurentasile aux Pays-Bas. Pendant laguerre, ils furent déportés àWesterbork, aux Pays-Bas, où

    leur père fut le médecinprincipal. Après leur libération, la

    famille émigra aux États-Unis.

    La compagnie de navigationHamburg-America délivra ce billetà Moritz Schoenberg sur le Saint-Louis pour se rendre de Hambourg(Allemagne) à La Havane (Cuba).Le prix du billet s’élevait à 508,75RM, une somme princière.

    1939104

    Le Saint-LouisLa tragique histoire du paquebot allemand Saint-Louis exprime la

    lutte désespérée et vaine que menèrent les Juifs pour s’enfuir d’Al-lemagne.

    Le 15 mai 1939, les nazis autorisèrent plus de 900 Juifs à s’em-barquer sur ce paquebot en partance pour Cuba. Les passagerspleins d’espoir détenaient ce qu’ils croyaient être des permis valides

    leur garantissant un séjour temporaire jus-qu’à ce qu’ils obtiennent des visas et unrefuge définitif aux États-Unis. Horribledéception, à leur arrivée à La Havane, 29d’entre eux seulement furent autorisés àdébarquer. Les autres se virent refuser l’en-trée en vertu des nouveaux règlementscubains sur l’immigration. Lorsque lepaquebot reçut l’ordre de quitter le port,plusieurs passagers tentèrent de se suicider.Les embarcations de la police cubaine suivi-

    rent le Saint-Louis au cas où des passagers tenteraient de sauter par-dessus bord.

    Pendant trois jours, le paquebot croisa lentement au large descôtes des États-Unis, attendant en vain que l’Amérique accepte sacargaison humaine. À la mi-juin, après 35 jours de navigation sansbut, le Saint-Louis fut contraint de retourner en Europe où les gou-vernements d’Angleterre, de France, des Pays-Bas et de Belgiquefinirent par accepter de se répartir les passagers. La presse mon-diale couvrit le triste périple du paquebot qui passa même aux actua-lités filmées.

  • 1939• 28 avril 1939 : Hitler donne uneréponse railleuse à la requête adres-sée par le président américain Roose-velt de respecter l’indépendance desnations européennes.

    • 30 avril 1939 : Suppression de laprotection des locataires pour les Juifsd’Allemagne, mesure qui pave la voieà leur relogement dans des « maisonsjuives communes ».

    • 3 mai 1939 : Espérant parvenir à unrapprochement avec l’Allemagnenazie, le dirigeant soviétique JosephStaline remplace son commissaire auxAffaires étrangères, Maksim Litvinov,un Juif, par Viacheslav Molotov, moinsfavorable aux Britanniques.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Julius StreicherAprès Hitler, on peut affirmer que Julius

    Streicher, d’une vulgarité criante et hargneuse,était l’antisémite le plus virulent et le plus invé-téré du parti nazi. Son penchant pour battre lesprisonniers politiques avec une cravache ne futdépassé que par son empressement sans ver-gogne à amasser une richesse personnelle àpartir des biens juifs confisqués.

    Vétéran décoréde la PremièreGuerre mondiale,il accusait les Juifsde la défaite et del’infortune de l’Al-lemagne. En 1919,il devint le diri-geant d’un partipolitique antisé-mite en Bavière et,deux ans plus tard,rejoignit le partinazi, amenantavec lui ses propres partisans. En 1923, il avaitcréé son propre journal, le déplorable Der Stür-mer (L’assaillant).

    Cet hebdomadaire illustré se composait derécits malsains grossièrement écrits sur desJuifs commettant des meurtres rituels et violantdes jeunes filles chrétiennes. Exposé dans leslieux publics et très lu, Der Stürmer contenaitdes caricatures pornographiques présentant defaçon très imagée des stéréotypes juifs. De grostitres mettaient en garde contre les complotsjuifs contre les Aryens et exhortaient au boycottdes entreprises juives. Pendant la SecondeGuerre mondiale, ce journal soutint la politiqued’extermination nazie.

    Streicher s’éleva dans les rangs du parti etdevint Gauleiter de Franconie. Cependant, sacorruption, sa dépravation sexuelle et un conflitavec d’autres hauts responsables du parti abou-tirent à son limogeage des postes du parti. Il futpendu pour crimes contre l’humanité en 1946.

    Tout le monden’était pas insensibleau sort tragique desJuifs d’Europe. L’acteurcomique américain JoeE. Brown fut l’une despersonnes qui leurapportèrent de l’aide.Il est ici représentétémoignant devant lacommission de l’Immi-gration de la Chambredes Représentants enfaveur d’une proposi-tion de loi qui admet-trait aux États-Unis20 000 enfantsallemands réfugiés.Brown, pour sa part,adopta deux garçon-nets juifs allemands.

    Des enfants juifs allemands réfugiés jouent à saute-mouton dans une propriété de la banlieue de Philadel-phie, en Pennsylvanie. Une cinquantaine d’enfantsbénéficièrent d’une traversée gratuite et furenthébergés dans cette propriété avant d’être placés dansdes familles d’accueil. Se voir accorder l’entrée auxÉtats-Unis nécessitait de l’argent, des relations et de lachance. Sans ces trois éléments, les Juifs européens nepouvaient entrer aux États-Unis, en dépit du fait que lesquotas d’immigration n’étaient pas atteints.

  • • 15 mai 1939 : Un camp de concentra-tion pour femmes ouvre ses portes àRavensbrück, à environ 80 kilomètresau nord de Berlin. • Le Saint-Louis,bateau de réfugiés allemand, quitteHambourg. La majeure partie desquelque mille passagers sont des Juifsqui fuient l’Allemagne nazie. Ils sontdétenteurs de sauf-conduits pour Cubaet leur nombre ne dépasse pas le quota

    qui leur permettrait d’entrer aux États-Unis dans les trois ans ; voir juin 1939.

    • 17 mai 1939 : Le gouvernement bri-tannique adopte le Livre blanc (dit deMacDonald) qui limite l’immigrationjuive à 10 000 Juifs par an, pendantcinq ans. Ce Livre blanc autorise75 000 immigrants (jusqu’à dix millepar an, plus 25 000 autres sous

    réserve de certaines conditions) àpénétrer en Palestine. Il limite égale-ment les achats de terres par des Juifsen Palestine. Par sa politique, le gou-vernement britannique réussira àconserver le nombre réel d’immi-grants juifs très en deçà des quotasprévus en Angleterre et en Palestine.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    En manchette de ce numéro dejuin 1939 de Der Stürmer de JuliusStreicher, on lit : « En quête de l’héri-tage juif : les Juifs et le roi allemandde la valse Johann Strauss / Lesintrigues de la juive Menszner-Strauss/ Un lamentable talmudisme. » Lesnazis avaient l’habitude de faire por-ter la responsabilité des défauts per-çus chez des personnalités culturellesallemandes par leurs épouses juives.Cette caricature montre le « Diable-serpent juif » agressant une jeune fillearyenne. Le Talmud est à l’arrière-plan. De nombreuses publicationsnationales-socialistes décrivaient régu-lièrement les textes religieux juifscomme des sources du mal, infinimentdangereux pour le peuple allemand.Cette première page, typique de DerStürmer, frise la pornographie.Flattant sans scrupule les bas instincts– notamment par les caricatures de« Fips », pseudonyme de l’artiste Phi-lip Rupprecht, ce journal attirait unlectorat considérable et tirait àenviron 500 000 exemplaireschaque semaine.

    Le 14 juillet 1939, le premierministre français Édouard Dala-dier (à gauche) et le ministre bri-tannique de la Guerre LeslieHore-Belisha se trouvent côte àcôte pendant un défilé militairemarquant le 150e anniversairede la prise de la Bastille. Cettedémonstration, qui célébrait lapuissance militaire du « Frontuni », comprenait des avions, desfusiliers-marins et des marines bri-tanniques. Quelques jours avantce défilé, 100 bombardiers bri-tanniques quittèrent l’Angleterrepour survoler un temps leterritoire français en uneformidable démonstration deforce.

    Des Juifs tchèques et allemands arrivent à Rhodes à bord d’un bateau enroute pour la Palestine. Après les pogroms de la Kristallnacht, le rythmed’émigration juive du grand Reich allemand s’intensifia en dépit des places limi-tées à bord des bateaux, de la rareté des visas d’entrée et de la difficulté à obte-nir les papiers nécessaires pour la traversée. Entre novembre 1938 et septembre1939, quelque 150 000 Juifs s’enfuirent d’Allemagne.

  • 1939• 22 mai 1939 : L’Allemagne signe le« pacte d’acier » avec l’Italie. • Suicided’Ernst Toller un auteur dramatiquejuif allemand en exil à New York.

    • Juin 1939 : Le Saint-Louis, bateaude réfugiés allemands atteint Cuba.Mais, devant les exigences financièresexorbitantes formulées par le gouver-nement cubain, le Saint-Louis quitte

    Cuba pour s’approcher de la côte estdes États-Unis. Le président Rooseveltordonne aux gardes-côtes d’empêchertout passager de débarquer aux États-Unis, même s’ils sautent du bateau ;voir 17 juin 1939.

    • 2 juin 1939 : Le journal de Boston (Mas-sachusetts) de l’Église scientiste chrétienneaccuse les réfugiés juifs d’être à l’origine de

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Des enfants juifs font des signesd’adieu en quittant le camp de réfu-giés de Zbaszyn, en Pologne, crééen octobre 1938. Dans le cadre duprogramme Kindertransport destinéà amener des enfants juifs enGrande-Bretagne, les jeunes repré-sentés ici purent envisager un ave-nir. La plupart des 10 000 Juifsinternés à Zbaszyn, cependant,n’eurent pas cette chance. Unaccord conclu entre la Pologne etl’Allemagne ramena la plupart desJuifs en Pologne.

    Le comité exécutif du Jüdische Kulturbund (Association culturelle juive) seréunit en juillet 1939. On distingue le directeur Fritz Wisten (à l’extrême-gauche), le chef d’orchestre Rudolf Schwarz (troisième à partir de la droite)et Werner Levie, un ancien journaliste travaillant pour Ullstein (tout à fait àdroite). En 1937, 1 425 artistes étaient membres de l’Association qui jouaun rôle important dans la préservation de la culture juive allemande jusqu’àl’année suivante ; les persécutions croissantes la condamnèrent au déclin.

    L’Association culturelle juiveorganisait des activités, entreautres, des opéras composés pardes Juifs. Cette photo montre desenfants en train de vanter l’Associa-tion durant l’entracte d’unereprésentation de l’opérette GräfinMariza, à Berlin, en juillet 1939.Les dirigeants de l’Association esti-maient indispensable au maintiende la culture juive allemande d’yfaire participer des enfants.

  • leurs propres problèmes, position adoptéepar nombre d’importants journaux protes-tants de l’époque.

    • 17 juin 1939 : L’accès à Cuba et auxÉtats-Unis leur ayant été refusé, lesréfugiés allemands du Saint-Louisaccostent à Anvers. La Belgique pro-pose d’accepter 214 passagers, lesPays-Bas 181, la Grande-Bretagne 287et la France 224. Finalement, les nazis

    assassineront la plupart des passagers,à l’exception de ceux qui furentaccueillis par la Grande-Bretagne.

    • 30 juillet 1939 : Réagissant à la poli-tique allemande antijuive et traduisantl’attitude de plusieurs autres respon-sables en Grande-Bretagne et enEurope occidentale, Neville Chamber-lain, le premier ministre britannique,écrit : « Nul doute que les Juifs ne sont

    pas des gens sympathiques ; moi-même,leur sort m’indiffère. Mais cela ne suffitpas à expliquer le pogrom. »

    • 2 août 1939 : Préoccupé par l’idée queles Allemands pourraient être les pre-miers à mettre au point une bombe ato-mique, le physicien allemand expatriéAlbert Einstein écrit au président Roo-sevelt pour lui proposer de préparerune bombe américaine.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Des tourbillons de fumée sortent du Rim, au large del’île de Rhodes, tandis que les habitants regardent lascène depuis le rivage. Le bateau transportait 600immigrants roumains clandestins en route pour la Pales-tine, lorsqu’il s’échoua et prit feu. Bien que le gouver-nement britannique ait effectivement fermé les portesde la Palestine à l’immigration légale, des milliers deJuifs européens tentèrent d’échapper à la marée nazieen pénétrant clandestinement en Palestine.

    Haut : Des réfugiés juifs du Patria sedirigent vers le rivage dans deschaloupes de sauvetage après avoirquitté l’Europe pour Tel Aviv. Les restric-tions imposées à l’immigration juive parles Britanniques contraignirent ces réfu-giés à pénétrer clandestinement enPalestine. Gauche : Après que lebateau se fut délibérément échoué surun banc de sable au large de Tel Aviv,les 850 immigrants juifs européens duPatria furent arrêtés par les autorités bri-tanniques et internés dans un camp dedétention près de Haïfa.

  • 1939• 17 août 1939 : Le ministre de l’Inté-rieur du Reich publie une liste desprénoms autorisés que les parentsjuifs peuvent donner à leurs nou-veaux-nés.

    • 19 août 1939 : Le Rim, bateau deréfugiés juifs roumains en partancepour la Palestine, s’échoue et brûle àRhodes, alors occupée par l’Italie.

    • 22 août 1939 : Hitler s’adresse auxgénéraux pour exhorter à la liquida-tion des Polonais dans la prochaineguerre, afin de gagner du Lebensraum(« espace vital ») pour les Allemands.

    • 23 août 1939 : Signature à Moscou dupacte germano-soviétique de non-agres-sion (Ribbentrop-Molotov), évitant pour lemoment à Hitler d’avoir à se préoccuper

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Joachim von RibbentropEnchanté des succès de la politique étran-

    gère de 1938-39, Hitler salua son ministredes Affaires étrangères Joachim von Ribben-trop comme « un second Bismarck » et un« génie ». La plupart des autres considéraientRibbentrop comme un parvenu incapable etarrogant (surnommé « von Ribbensnob ») etcomme un servile flagorneur du Führer.

    Joseph Goebbels, chef de la presse duReich, qualifia Ribbentrop de « stupide etpeu diplomate, susceptible et obséquieux. »

    Il fit remarquer avecmépris que Ribbentropavait « acheté son nom,épousé son argent etescroqué son poste. »

    Le mariage de Ribben-trop avec une riche héri-tière de producteurs dechampagne, ses contactsd’affaires avec l’étrangeret sa maîtrise des langues,

    le firent apparaître à Hitler comme unhomme d’expérience. Bien que Ribbentropsoit entré tardivement au parti, Hitler le pro-mut rapidement aux Affaires étrangères.Chargé de mission en 1935, Ribbentropnégocia l’accord naval anglo-allemand. Rib-bentrop devint ambassadeur en Grande-Bre-tagne en 1936 et ministre des Affairesétrangères du Reich en 1938. Il persuadaHitler que la Grande-Bretagne était faible etpeu désireuse de s’opposer à la politiqueoffensive de l’Allemagne. En négociant en1939 le pacte de non-agression avec l’Unionsoviétique, Ribbentrop pava la voie à laconquête du Lebensraum nazi.

    Ce diplomate sans scrupules fut jugé cou-pable de crimes de guerre en 1946. Ne mon-trant aucun remord, il fut le premier inculpénazi pendu à Nuremberg.

    Le pacte de non-agression entre l’Allemagne etl’Union soviétique signé le 23 août 1939 différa l’inévitable affrontement militaire entre les deuxpuissances et prépara le terrain à l’invasion de laPologne par l’Allemagne. Le pacte Ribbentrop-Molotov,comme on l’appela également, contenait un protocolesecret de partage de la Pologne entre les deux nations.On voit ici, en partant de la droite, ViacheslavMolotov, ministre russe des Affaires étrangères, le dic-tateur russe Joseph Staline et Joachim von Ribbentrop,ministre allemand des Affaires étrangères.

    Hitler prend la parole devant le Reichstag, le 1er septembre1939. La guerre contre la Pologne – et jusqu’alors sa plusgrande prise pour « l’espace vital » – avait commencé. Leshostilités débutèrent après une mascarade insensée au coursde laquelle des soldats allemands, endossant des uniformesde l’armée polonaise, attaquèrent une station de radio dansla ville frontalière de Gleiwitz.

  • d’une guerre sur le front oriental. Cepacte comporte un protocole secretprévoyant le partage de la Pologneentre les deux grandes nations.

    • 25 août 1939 : Signature de l’Al-liance anglo-polonaise en vertu delaquelle la Grande-Bretagne assisterala Pologne au cas où cette dernièreserait victime d’une agression.

    • 27 août 1939 : L’économie alle-mande se met sur le pied de guerre.Le gouvernement nazi délivre desLebensmittelkarten (cartes de ration-nement) aux Tsiganes et aux étrangersrésidant à l’intérieur du Reich. Lescartes de rationnement pour les Juifsréduisent leurs détenteurs à unrégime de famine de 200 à 300 calo-ries par jour.

    • 30 août 1939 : Par suite d’un tour-nage prolongé à New York, les acteursjuifs polonais très populaires LeonLiebgold et Lili Liliana manquent leurbateau pour retourner en Pologne,deux jours avant l’invasion de leurpatrie par les nazis. Le coupledemeura à New York.

    • 31 août 1939 : Soixante enfants juifs

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Des Juifs orthodoxes de Pologne sont réquisitionnés,une fois la guerre commencée contre l’Allemagne. À ladifférence de l’Europe centrale et occidentale où laplupart des Juifs étaient extrêmement assimilés et se distin-guaient difficilement de leurs compatriotes, de nombreuxJuifs d’Europe orientale étaient aisément identifiables dufait de leur costume traditionnel et de leur usage duyiddish, langue vernaculaire des Juifs d’Europe de l’Est.Au premier plan, les deux hommes barbus portent le cos-tume typique des Juifs orthodoxes de Pologne.

    Troupes allemandes et civils polo-nais à la périphérie de Varsovie enflammes. L’invasion du territoire de laPologne par l’Allemagne, le 1er sep-tembre 1939, s’accompagna d’uneimportante campagne aérienne quidécima Varsovie et les autres villespolonaises. Bien que les Polonaisaient vaillamment combattu les enva-hisseurs allemands, leur armée n’étaitpas de taille à rivaliser avec les per-formances de la machine militaired’Hitler. Les nazis jetèrent 1,5 milliond’hommes contre une arméepolonaise trois fois moins nombreuseet mal préparée à se défendre contreles manœuvres d’encerclement ultra-rapides exécutées par les blindés etl’infanterie nazis.

    Un train militaire allemand en partance pour laPologne au début de la guerre porte l’inscription« Nous partons en Pologne pour écraser les Juifs ». Les plans nazis de réorganisation raciale de l’Europeallaient être testés sur les 3,3 millions de Juifs dePologne. Les rapides victoires militaires furent suiviespar des déplacements massifs de Polonais, juifs et nonjuifs. Les Juifs furent regroupés dans les centres urbainset placés sous l’autorité des SS. Le processus de ghet-toïsation constitua une étape importante de la destruc-tion des Juifs polonais.

  • 1939allemands sont acheminés par train etpar bateau à travers la Hollande pourêtre mis en lieu sûr dans la ville por-tuaire britannique d’Harwich.

    • Septembre 1939 : Les nazis internentplusieurs dizaines de milliers de républi-cains espagnols en France avant de lesenvoyer effectuer un travail de forçat dansles carrières de Mauthausen, en Autriche.

    • Gerhard Leibholz, éminent juriste juifallemand révoqué de son poste à l’univer-sité de Göttingen en 1936, s’enfuit enSuisse avec sa femme et ses deux filles.

    • 1er septembre 1939 : Les forces alle-mandes envahissent la Pologne occiden-tale, déclenchant la Seconde Guerremondiale. Trois mille civils juifs meurentdans les bombardements de Varsovie. Les

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    « Si nous perdons la guerre, quele Ciel ait pitié de nous ! »

    —Hermann Göring, Septembre 1939

    L’armée d’invasion allemandetraverse une ville en flammes enPologne. L’écrasante supériorité deleur puissance de feu permit auxAllemands de broyer les villes,grandes ou petites. Les maisons auxcharpentes de bois, communes enPologne, s’embrasèrent comme desboîtes d’allumettes. Alors que lamachine militaire allemande comp-tait sur l’armée de l’air et lesdivisions blindées pour anéantirl’ennemi, de nombreux Polonais uti-lisaient des chariots tirés par deschevaux pour fuir l’avance desarmées. La vitesse était cependantun facteur décisif et des divisionspolonaises entières qui tentaient debattre en retraite furent encercléeset décimées. Le 3 septembre, deuxjours après que la Wehrmacht aitfranchi la frontière polonaise, l’ar-mée de l’air de la Pologne avaitcessé d’exister.

    Avant l’invasion par les nazis, Varsovie était l’undes centres de culture juive d’Europe, comptant unedynamique population de plus de 350 000 Juifs. Cettephotographie est prise dans le quartier juif de la ville.Les Juifs polonais, qui avaient entendu parler des atro-cités perpétrées par les nazis à l’encontre de leurscoreligionnaires allemands, s’inquiétaient à juste titrepour l’avenir.

    Hitler autorisa le programmed’« euthanasie » appelé OpérationT-4 par une lettre signée en octobre1939, mais antidatée du 1erseptembre. Le Reichsleiter PhilipBouhler et le docteur Karl Brandtfurent chargés de mettre en œuvrece programme au cours duquel desmédecins désignaient des individusjugés incurables et, après les avoirexaminés superficiellement, les met-taient à mort. Mise en œuvre immé-diatement, l’opération T-4 illustre laradicalisation de la politiqueraciale nazie : ceux qui étaientjugés indignes de vivre étaient sys-tématiquement éliminés.

  • troupes allemandes pénètrent à Dantzig,prenant au piège plus de 5 000 Juifs. EnAllemagne et en Autriche, les Juifs ne peu-vent sortir après 20 heures en hiver et 21heures en été.

    •1er septembre-1er octobre 1939 : L’opéra-tion Tannenberg, menée par les Einsatz-gruppen (escadrons de la mort) SS, conduitau meurtre des intellectuels juifs et catho-

    liques polonais et à l’incendie des syna-gogues de Pologne.

    •2 septembre 1939 : À Stutthof, en Pologne,un camp annexe est créé pour les « prison-niers de guerre civils ». • Alors que 1 400Juifs fuyant la Pologne, la Roumanie, la Bul-garie et la Tchécoslovaquie débarquent surune plage de Tel Aviv, les soldats britan-niques ouvrent le feu et tuent deux réfugiés.

    •3 septembre 1939 : La Grande-Bretagneet la France déclarent la guerre à l’Alle-magne. Le gouvernement britanniqueannule tous les visas précédemment accor-dés aux « ressortissants ennemis » ; ce qui apour conséquence, entre autres, que lesJuifs allemands ne peuvent plus se réfugieren Angleterre. • Au cours d’une réunionde l’exécutif de l’Agence juive, une organi-sation officieusement reconnue comme legouvernement juif ad hoc de Palestine,

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    En octobre 1939, Adolf Hitlerécrivit la note suivante : LeReichsleiter [Philip] Bouhler et ledocteur [Karl] Brandt sont char-gés d’étendre l’autorité de cer-tains médecins à désignernommément, afin d’accorder ladélivrance par la mort auxpatients qui, dans les limites dujugement humain, et à la suited’un examen perspicace, aurontété déclarés incurables. »

    Ces mots autorisaient l’appli-cation d’un programme nazi sys-tématique destiné à éliminer leslebensunwertes Leben (« vies neméritant pas d’être vécues »). Cespersonnes « inutiles » étaient lesAllemands et Autrichiens enfantset adultes, physiquement et men-talement handicapés, considéréscomme ternissant l’« intégritéraciale » du Troisième Reich etcomme un fardeau économiqueinacceptable pour l’État. Bienqu’Hitler ait signé l’autorisationde ce programme dit d’« eutha-nasie » en octobre 1939, le docu-ment fut antidaté au 1erseptembre – jour où commençala Seconde Guerre mondiale –afin de donner l’impression que« l’euthanasie » était une néces-sité en temps de guerre.

    La campagne d’euthanasie,baptisée « opération T-4 », reçutce nom de code d’après l’adressed’un pavillon juif confisqué au 4de la Tiergartenstrasse, devenul’adresse du siège central du pro-gramme. Hitler choisit Bouhler,chef de sa chancellerie privée et

    le docteur Brandt, l’un de sesmédecins, pour superviser le T-4.Cependant, la responsabilité dela mise en œuvre quotidienneincombait à Viktor Brack et à sonadjoint Werner Blankenberg. Lesstatistiques montrent que, sous ladirection de ces hommes, entre

    70 000 et 80 000 personnes –dont 4 à 5 000 Juifs – furent vic-times des assassinats par eutha-nasie.

    Les nazis tentèrent de camou-fler ce qui se passait, mais lorsqueles protestations publiques écla-tèrent – dont bon nombre éma-naient de dignitaires catholiqueset luthériens d’Allemagne – Hit-ler mit officiellement fin à l’opé-

    ration T-4, le 24 août 1941. Lesmeurtres n’en continuèrent pasmoins en grand secret jusqu’auprintemps 1945. De 1939 à 1945,l’opération T-4 et d’autres actionsd’euthanasie tuèrent entre 200 et250 000 handicapés.

    Un personnel médical sélec-tionnait ceux qui allaient mou-rir en fonction de donnéesobtenues dans les hôpitaux, lesmaisons de santé, et autres ins-titutions de santé publiques.Les patients sélectionnésétaient transportés dans l’undes six centres d’euthanasied’Allemagne et d’Autriche :Hartheim, Sonnenstein, Grafe-neck, Bernburg, Hadamar ouBrandebourg. Les médecins,infirmières et autres spécialistesqui travaillaient dans cescentres employaient différentesméthodes de meurtre. Audébut, on laissait les patientsmourir de faim ou on leuradministrait une injection mor-telle ; par la suite, la méthodeconsista à gazer les patientsavec du monoxyde de carbonedans des chambres ressemblantà des douches carrelées.Lorsque les dents en or avaientété recueillies, les corps étaientbrûlés dans un four crématoire.

    L’opération T-4 précéda laShoah. L’idéologie de puretéraciale du programme d’euthana-sie, les méthodes de destructionet le personnel administratifallaient jouer un rôle clé dans la« solution finale. »

    « Euthanasie » et opération T-4

  • 1939David Ben Gourion fait le serment que lesJuifs lutteront contre Hitler. Au total, unmillion et demi de Juifs combattront dansles forces armées de nations opposées àl’Allemagne : 550 000 militaires, hommeset femmes dans l’armée américaine ;500 000 pour l’Union soviétique ; 116 000pour la Grande-Bretagne (26 000 de Pales-tine et 90 000 du Commonwealth) ; et243 000 Juifs pour les autres nations euro-péennes.

    • 6 septembre 1939 : Les forces alle-mandes occupent Cracovie, en Pologne.

    • 8 septembre 1939 : Les forces alle-mandes occupent les villes polonaisesde Lodz, Radom et Tarnow.

    • 14 septembre 1939 : Les forces alle-mandes occupent Przemysl, en Pologne.

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    De jeunes Juifs se portentvolontaires dans les forcesarmées britanniques dans unbureau de recrutement de TelAviv. L’affiche à l’arrière-planproclame : « Votre place estici, enrôlez-vous ! » Lorsquela guerre éclata en Europe,David Ben Gourion, de ladirection de l’Agence juive,encouragea les Juifs àrejoindre la lutte contre Hitler.Environ 26 000 Juifs palesti-niens et 90 000 autres duCommonwealth britanniquecombattirent dans l’armée bri-tannique.

    Des Polonais de la ville de Czestochowa attendent leur exécution par lesEinsatzgruppen, escadrons SS spéciaux chargés de capturer et d’éliminerles ennemis du Reich allemand. En Pologne, les exécutions furent limitéesprincipalement, mais pas exclusivement, aux non Juifs. Les premièresvictimes furent les opposants politiques du nazisme – individus considéréscomme des menaces à l’hégémonie allemande.

    Cette photographie, qui devien-dra par la suite une carte postaleantisémite, représente des Juifs dela ville polonaise de Biatek détruitepar les Allemands au cours de leurinvasion. Une légende allemandeaccompagnant la photo dit : « LesJuifs sont les premiers à revenirdans la ville de Biatek entièrementdétruite où ils s’abattent comme desvautours sur les magasins vides. »Les nazis ressentaient fort peu decompassion pour leurs victimesqu’ils diabolisaient au momentmême où ils les persécutaient sau-vagement. Hitler ordonna que tousles Polonais soient expulsés de leurpatrie ou massacrés pour créer leLebensraum (« espace vital »)nécessaire aux arrivants allemands.

  • • 17 septembre 1939 : La Pologne orien-tale est envahie par l’Union soviétique.

    • 20 septembre 1939 : Dans la GrandeAllemagne, toutes les radios appartenant àdes Juifs sont confisquées.

    • 21 septembre 1939 : Le chef du servicede la sûreté Reinhard Heydrich ordonneaux chefs des Einsatzgruppen de créer, en

    coopération avec les autorités allemandesciviles et militaires, des ghettos dans laPologne occupée par l’Allemagne. Ildécrète que toutes les communautés juivesde Pologne et de la Grande Allemagnecomptant moins de 500 membres doiventêtre dissoutes, afin d’accélérer les déporta-tions de Juifs dans les ghettos urbains et lescamps de concentration. Heydrichordonne également la création de

    Judenräte dans les ghettos (conseils juifs).Le processus de ghettoïsation a pour prin-cipal objectif d’isoler les Juifs, de lescontraindre à produire pour l’Allemagneet de faciliter l’entreprise nazie demeurtres et de déportations.

    • 22 septembre 1939 : Création duReichssicherheitshauptamt (RSHA,Office central de la sûreté du Reich).

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Les témoins de JéhovahDe 1933 à 1945, les nazis emprisonnèrent

    10 000 témoins de Jéhovah, en exécutant plus de200 pour refus du service militaire. Près de 5 000périrent dans des camps de concentration. Endépit des persécutions, les témoins se raccrochè-rent avec ferveur à leurs croyances religieuses quine leur permettaient pas de porter des armes, etrefusèrent fermement de prêter un serment d’al-légeance à l’État nazi.

    Avant même l’arrivée des nazis au pouvoir, lesbandes SA perturbaient régulièrement les coursde Bible des témoins, passant à tabac les partici-pants. Après 1933, le régime lança une vigoureuseattaque, interdisant l’organisation. La Gestapodressa des listes de membres et, au cours de des-centes, confisqua la littérature illégale comme Latour de garde. Braver l’interdiction, c’était risquerl’arrestation, l’incarcération et la perte de sonemploi et de ses avantages sociaux. Les enfantsétaient évités, ridiculisés et expulsés de l’écolepour avoir refusé de faire le salut Sieg Heil.

    En 1935, les nazis envoient au camp de concen-tration de Sachsenhausen en Allemagne 400témoins qui avaient refusé la conscription récem-ment adoptée. En 1939, les camps détenaientenviron 6 000 témoins. Après 1939, les nazisdéportèrent également dans des camps lestémoins des pays occupés. Marqués d’un triangleviolet, les témoins de Jéhovah continuèrent à fairedu prosélytisme dans les camps, malgré lesmenaces d’exécution, de travail pénible, de tor-tures atroces et de coups administrés avec desfouets en acier. Très peu acceptèrent la liberté queleur proposaient les nazis en échange de la signa-ture d’une déclaration de reniement de leurscroyances.

    Deux Juifs polonais sont contraints de creuser leurspropres tombes. Ce fut une pratique courante duranttoute la Shoah. Non seulement, elle réduisait le travaildes assassins nazis, mais elle avait également poureffet de dénigrer davantage les victimes allant à lamort. La déshumanisation des victimes rendait la tâcheplus facile aux Allemands dans leurs macabresentreprises.

    Les Juifs du Generalgouvernement durent céder laplace aux Allemands s’installant dans la région. C’estpour cette raison que les Juifs, de plus en plus nombreux,furent transférés dans des ghettos urbains. Cette photogra-phie montre un policier allemand affichant l’annonce quecette maison est réquisitionnée pour une famille allemandequi s’installera ultérieurement dans la région. Les Juifs nereçurent aucune indemnité pour la saisie de leurs biens.Cette pratique fort répandue contribua considérablementau surpeuplement dans les ghettos.

  • 1939• 23 septembre 1939 : En ce jour dugrand Pardon, les Juifs de Pologne sontpubliquement humiliés par les troupesSS : corvées imposées, barbes rasées deforce, destruction de biens, passages àtabac, danses obligatoires. À Piotrków,les Juifs sont contraints de se soulagerdans l’école de la synagogue, puis d’utili-ser des châles de prière et des livressaints pour nettoyer.

    • 24 septembre 1939 : Des prison-niers de guerre juifs, gardés pendantdix jours sans nourriture au stade deZyrardów en Pologne, sont contraintsde nettoyer les latrines à mains nues.

    • 27 septembre 1939 : Varsovie, capitalede la Pologne, tombe aux mains destroupes allemandes • Berlin donnel’ordre de créer des ghettos en Pologne.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Réactions juivesDans leur grande majorité, les 500 000 Juifs

    vivant en Allemagne lorsque Hitler accéda aupouvoir sous-estimaient gravement le dangerauquel ils étaient confrontés. Se considérantcomme des membres loyaux de la communautéallemande, ils espéraient persévérer et survivreà la tempête nazie. La plupart ne prirentconscience que très lentement de l’ampleur dela terreur. Mais il était alors trop tard.

    Des Juifs paniqués s’enfuirent en grandnombre en 1933, mais l’émigration en massen’était guère réaliste. Les dirigeants communau-taires juifs expliquèrent que la meilleure réponseconsistait à se regrouper pour organiser l’en-traide. À l’échelon local comme à l’échelon natio-nal, les communautés juives lancèrent descollectes de fonds pour ceux qui avaient perduleurs moyens d’existence et leurs foyers. L’aidefinancière et les soupes populaires pour lespauvres apportèrent une aide immédiate. Lesagences de placement, comme les programmesde recyclage technique ou agricole, fournissaientun soutien économique de long terme.

    Les activités sociales et culturelles suscitè-rent un renouveau des traditions juives quiremontèrent le moral. L’Association culturellejuive finançait le travail des acteurs et musiciensjuifs. Les compétitions sportives et les écolesjuives nouvellement créées tentaient d’appor-ter aux jeunes stabilité et normalité, tandis queles cours pour adultes, les conférences et la fré-quentation accrue de la synagogue stimulaientune prise de conscience de l’héritage religieuxet de l’expérience commune. En fait, les Juifsallemands persécutés créèrent une sociétéparallèle – à part et, bien sûr, inégale.

    Cette réaction se fondait sur l’hypothèse nondéraisonnable que, tout en s’étant déclarésennemis des Juifs, les nazis permettraient cer-tainement aux Juifs de vivre en communautésséparées. La déportation et les massacres enmasse étaient considérés par les Juifs optimistescomme des impossibilités.

    Après l’invasion allemande, le corridor polonaiscomprenant la ville contestée de Dantzig (Gdansk,aujourd’hui), revint à l’Allemagne. Hitler exploita ledésaccord à propos de cette région pour augmenter lapression sur la Pologne, dans les mois précédantl’attaque. Cette photo montre des Allemands à Dantzigsaluant l’enlèvement de l’aigle polonais d’un édifice dela ville.

    Dans l’Allemagne nazie, la radio était le mode decommunication le plus important. Comme les autoritéssouhaitaient couper la population juive du monde exté-rieur, les Juifs durent remettre leurs radios aux autoritéslocales, sous peine d’une grave sanction.

  • • Les détenus du camp de concentrationde Dachau, en Allemagne, sont transfé-rés au camp de Mauthausen enAutriche, pour que Dachau puisse êtreutilisé comme camp d’entraînement parles Waffen-SS ; voir 19 février 1940.

    • 28 septembre 1939 : La Polognecapitule et le pays est partagé entrel’Allemagne et l’Union soviétique.

    • Les SS choisissent la semaine de lafête de Souccot pour déporter plus de8 000 Juifs de Pultusk, en Pologne.

    • Septembre-décembre 1939 : Constitu-tion en Europe orientale des circons-criptions administratives allemandes : larégion de Dantzig (nord de la Pologne),la Prusse occidentale (nord de l’Europe,près de la Baltique), la Prusse orientale

    (nord de l’Europe, près de la Baltique),et le Warthegau (Pologne occidentale).Les Juifs sont expulsés de ces régions.

    • Octobre 1939 : Lancement à Vienne,en Autriche, de l’Übersiedlungsaktion(action de réinstallation) des hommesjuifs robustes. Ces Juifs sont déportés enPologne pour être astreints au travail.• Les nazis entreprennent l’internement

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    Parmi les milliers de synagogues d’Europe orientale détruites par lesenvahisseurs nazis, voici celle d’Inowroclaw en Pologne. La démolition dessynagogues entrait dans le cadre de l’éradication de la culture juive dansles pays conquis par l’Allemagne nazie. Souvent, avant de détruire cescentres religieux juifs, les Allemands profanaient les objets de culte, notam-ment les rouleaux de la Torah.

    L’un des divertissements favoris desenvahisseurs allemands en Pologneconsistait à dépouiller les Juifs ortho-doxes de leurs barbes. Cettephotographie montre des troupes SSdu Leibstandarte SS Adolf Hitler (régi-ment de gardes du corps), rasant deforce un Juif orthodoxe de Lublin, enPologne. Cet acte, humiliant pour lavictime, bafouait en outre lesscrupules religieux de bien des Juifsd’Europe orientale.

    Des Juifs de Tluste, petit villaged’Ukraine, sont contraints de sedéshabiller avant d’être massacrés.Censés déplacer les Juifs de la cam-pagne polonaise pour les réinstallerdans les centres urbains, les Einsatz-gruppen se retrouvèrent devant unetâche gigantesque. Ils décidèrent sou-vent de tuer les Juifs sur place plutôtque de les transporter à des centainesde kilomètres au ghetto le plusproche. Après avoir éliminé les Juifspolonais de la campagne, les Einsatz-gruppen parachevèrent leur missionen incendiant les maisons et lieux deculte juifs.

  • 1939des « débiles mentaux » polonais dans levillage de Piasnica. • Hitler ordonne quedes médecins choisis soient autorisés àpratiquer l’euthanasie pour les maladesincurables ou les citoyens allemandsindésirables. Aucune justification légalen’était nécessaire.

    • 1er octobre 1939 : Le gouvernementpolonais en exil est constitué en France.

    Lorsque les hostilités s’intensifieront, cegouvernement passera à Londres.

    • 4 octobre 1939 : Visite triomphaled’Hitler à Varsovie, en Pologne.

    • 6 octobre 1939 : Dans un discours auReichstag, Hitler offre la paix à l’Angle-terre et à la France, mais seulement siles anciennes colonies allemandes sont

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Hans FrankLa Pologne vaincue devint un

    terrain d’essai de la « solutionfinale ». Les nazis y expérimentè-rent et y perfectionnèrent leursméthodes d’extermination sousl’administration de Hans Frank,gouverneur général de la Pologneoccupée.

    Frank, ancien ministre nazi dela Justice, déclara que la Pologneétait une colonie et ses habitantsles « esclaves du Reich alle-mand ». Il anéantit successive-ment l’aristocratie polonaise, leschefs militaires et politiques, lesprêtres et l’intelligentsia. Il volades trésors artistiques, exploitales ressources du pays et astrei-gnit à un travail servile desdizaines de milliers de personnes.Alors que la population souffrait,

    Frank s’installaavec ostentationau palais royal deCracovie.

    Le pouvoir deFrank fut cepen-dant constam-ment érodé par

    des conflits d’attribution avec lesSS. Agacé par l’afflux des Juifs surson territoire, il se plaignit de ladifficulté à « exécuter ou à empoi-sonner trois millions et demi deJuifs », mais s’engagea à « prendredes mesures » qui « conduiraient,d’une façon ou d’une autre, à leurextermination. » Six millions depersonnes, dont plus de la moitiéétaient juives, périrent durant laprise et l’occupation de la Polognepar les nazis. En 1946, Frank futjugé et exécuté comme criminelde guerre.

    Un ecclésiastique polonais est retenu pour interrogatoire par des membres duService de la Sûreté (SD), forces placées sous le commandement de ReinhardHeydrich, le bras droit d’Heinrich Himmler. Le SD était un élément déterminantdes forces d’occupation allemandes et était particulièrement actif dans les cam-pagnes contre les Juifs. Lorsque l’armée allemande avait vaincu l’ennemi, lesmembres du SD et d’autres sections de la SS allemande entraient en action. Engénéral, les membres du SD adhéraient fanatiquement aux idéaux du national-socialisme.

    Des détenus du camp de concentration de Stutthof, à Dantzig (Pologne), font la queue pour recevoir leur pitance. Conçu pour abriter des « prisonniersde guerre civils », le camp de Stutthof était peuplé de Juifs et d’autres opposantsau régime nazi. Au fur et à mesure que les campagnes militaires avançaientvers l’est et que d’autres camps de concentration étaient construits, les nazis utili-sèrent les méthodes qu’ils avaient perfectionnées en Allemagne durant les sixannées précédentes. Les prisonniers étaient rassemblés, acheminés sur tel ou telsite et contraints de construire l’infrastructure des camps.

  • restituées, si l’Allemagne est autorisée àparticiper au commerce international età résoudre « le problème juif ».

    •8 octobre 1939 : L’enfermement des Juifsdans des ghettos par les nazis commence àPiotrków Trybunalski, en Pologne.

    • 10 octobre 1939 : Les Allemandscréent un Generalgouvernement en

    Pologne. Il s’agit d’une région admi-nistrative non incorporée à la GrandeAllemagne. Les Allemands y installe-ront leurs camps de la mort.

    • 12 octobre 1939 : Les nazis commen-cent à déporter les Juifs d’Autriche etde Moravie en Pologne. • Hans Frankest nommé gouverneur général de laPologne occupée.

    •Mi-octobre 1939 : Les SS commencent àmassacrer en masse des « malades men-taux » dans une forêt des environs de Pias-nica, en Pologne, près de Dantzig.

    • 16 octobre 1939 : Cracovie, l’unedes communautés juives les plusimportantes depuis le début du XIVesiècle, est choisie comme capitale duGeneralgouvernement.

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    L’infanterie allemande défile dansles rues de Varsovie pour célébrer lavictoire nazie sur la Pologne. Quatrebrèves mais sanglantes semainesaprès l’invasion de la Pologne parl’Allemagne, Varsovie tomba. LaPologne fut conquise, ce qui mit enpéril la vie de ses 3,3 millions d’ha-bitants juifs. Hitler eut grand plaisirà observer ces célébrations de lavictoire utilisées par les nazis pourtransmettre dans leur pays lemessage de la supériorité aryenne.

    Les habitants de Varsovie (Pologne) fouillent les décombres de leur ville.Les attaques conjuguées de l’armée de l’air et de l’artillerie furent dévasta-trices. Bien qu’Hitler ait déclaré que l’Allemagne ne menait pas la guerrecontre des civils innocents, rien n’était plus éloigné de la vérité. Environ50 000 civils polonais furent tués ou blessés durant l’offensive allemande et25% des immeubles de Varsovie furent détruits.

    Hitler salue les colonnes de troupesqui défilent dans Varsovie pour célé-brer l’écrasement de la Pologne.Après avoir vaincu la Pologne sur lechamp de bataille, les troupesallemandes occupèrent les régionsoccidentales du pays. Les croix gam-mées nazies furent exposées bien enévidence, tandis que des soldats alle-mands, des membres de la Gestapoet des SS se déployaient dans toute larégion. La présence nazie était incon-tournable.

  • 1939• 17 octobre 1939 : Hitler explique augénéral Wilhelm Keitel et à d’autresgénéraux de la Wehrmacht la nécessitéde débarrasser les territoires du Reich,anciens et nouveaux, des « Juifs, desPolonais et autres racailles ».

    • 19 octobre 1939 : Création d’unghetto à Lublin, en Pologne.

    • 24 octobre 1939 : Les Juifs de Wlocla-wek, en Pologne, sont contraints de porterun triangle de tissu jaune les identifiantcomme Juifs ; voir 23 novembre 1939.

    • 26 octobre 1939 : La section du Tra-vail du Generalgouvernement de laPologne occupée décrète l’Arbeitsp-flicht (obligation de travailler), ren-dant le travail servile obligatoire pour

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Une femme juive de Plonsk, enPologne, plaide sa cause auprèsd’un SS. Le transfert en masse desJuifs polonais de la campagne versles centres urbains arracha les habi-tants à leurs foyers et à leurs commu-nautés. Disposant de peu de tempspour se préparer et n’étant pas auto-risés à emporter la majeure partie deleurs affaires, les Juifs furent entassésde force dans des ghettossurpeuplés. Des efforts furent investisen vain pour dissuader les nazis.Une fois les ordres donnés, leprocessus de concentration des Juifsdans des ghettos commença, et prati-quement rien ne put le différer.

    Un officier SS fouille un Juif dansla rue Grzybowska à Varsovie(Pologne), dans le cadre d’une des-cente en quête d’armes dans unquartier juif. Cette descente étaitune mise en scène destinée à« prouver » que les Juifs cachaientdes armes pour lutter contre l’arméeallemande. Une fois installée enPologne, la machine depropagande nazie travailla sansrelâche pour renforcer les préjugésantijuifs déjà très présents dans lasociété polonaise.

    Des femmes juives puisent de l’eau sur la place de Gostynin, en Pologne.L’ordre déterminant donné par Reinhard Heydrich le 21 septembre imposaitla création de ghettos dans la Pologne occupée par l’Allemagne. La dissolu-tion des communautés juives de moins de 500 membres en Pologne et dansla Grande Allemagne facilita le transfert des Juifs dans des ghettos urbains.Dans l’ensemble de la Pologne, les Juifs furent également obligés de porterune étoile de David. Cette marque extérieure renforçait la distinction entrePolonais juifs et non juifs et augmentait l’isolement des Juifs.

  • tous les Polonais, hommes et femmes,âgés de 14 à 60 ans.

    • 26 octobre 1939 – début février 1940 :En vertu d’un plan conçu par Adolf Eich-mann, les nazis déportent et « réinstallent »quelque 78 000 Juifs dans une « réserve »située dans la région de Lublin-Nisko, dansle sud-est de la Pologne. Le projet est tem-porairement suspendu lorsque le matériel

    roulant des chemins de fer est utilisécontre les Pays-Bas.

    • 30 octobre 1939 : Heinrich Himmler, lechef des SS, fixe aux trois mois suivants lapériode durant laquelle les régions ruralesde la Pologne occidentale doivent êtredébarrassées de leurs Juifs. Des centainesde communautés seront affectées et desmilliers de Juifs seront expulsés sans rien

    d’autre que ce qu’ils arrivent à emporteravec eux. • Le gouvernement britanniquepublie un rapport critique sur le traite-ment infligé aux prisonniers des camps deconcentration par les nazis.

    • Novembre 1939 : À Zossen, en Alle-magne, plusieurs généraux allemandsfomentent un putsch destiné à renver-ser Hitler, mais il ne fut jamais mis à

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    1 9 3 9 • L A G U E R R E C O N T R E L E S J U I F S

    Un vieux Juif, portantprobablement une étoilejaune confectionnée chezlui, entreprend le travailforcé. Les nazis seréjouissaient d’imposerdes travaux pénibles àdes Juifs qu’ils consi-déraient comme « réfrac-taires au travail ». Lestravailleurs juifs trimaientdans d’effroyables condi-tions, attelés à des tâchesextrêmement pénibles,mais recevaient desrations de famine.Plusieurs milliers de Juifspolonais, notamment lesmalades et les personnesâgées, en moururent.

    Les partisans s’avérèrent être une source d’irritationconstante pour les Allemands, tout au long de la guerre.Cette polonaise, Bayla Gelblung, comparaît devant un tri-bunal militaire nazi en octobre 1939. Tireuse d’élite, elleest accusée d’avoir tiré sur des soldats allemands. Onremarquera son uniforme militaire ; les civils accusés d’êtredes tireurs embusqués étaient sommairement exécutés.

    L’étoile jauneAvec l’écrasante défaite de la Pologne, les

    nazis lancèrent les mesures permettant d’iden-tifier les Juifs en public. Les Juifs furentcontraints de porter l’étoile de David, moyend’identification et d’humiliation. Le non respectde cette mesure était passible de mort.

    Tous les Juifs polonais âgés de plus de dixans furent contraints de « porter sur lamanche droite de leurs vêtements intérieurset extérieurs une bande blanche d’au moinsdix centimètres de largeur com-portant une étoile deDavid. » Ce signe stigma-tisant devint une caracté-ristique de la politiquenazie dans toute l’Eu-rope occupée. Les nazisbaptisaient cyniquementl’étoile de Pour le sémite,calembour sur la médaille militaire du cou-rage d’Allemagne Pour le mérite.

    Affubler les Juifs d’une étoile de David,c’était transformer le symbole du judaïsmeen une marque de profonde humiliation – etune forme de torture. Passer simplementdans la rue, c’était être immédiatementreconnu, surveillé, évité, maltraité et en finde compte voué à la mort. Les enfants juifs,en particulier, constituaient des cibles facilespour les attaques verbales ou physiques.

    L’emplacement, la forme et la couleur desinsignes varièrent. Au début, il s’agissaitprincipalement de triangles jaunes, certainscousus sur les revers. Les Juifs allemandsportaient une étoile jaune dans laquelle étaitécrit en lettres noires le mot Jude. À Dachau,deux triangles superposés formaient uneétoile jaune. Dans le ghetto de Varsovie, lesbra