la islamique - numilog

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Page 1: LA ISLAMIQUE - Numilog
Page 2: LA ISLAMIQUE - Numilog

LA LEGITIMATIONISLAMIQUE

DES SOCIALISMESARADES

hugoc2p
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ISBN de la version numérique : 9782724684971
Page 3: LA ISLAMIQUE - Numilog

une documentation sur les publications de la fondation nationaledes scionces politiques sera envoyée sur simple demande adresséeaux presses de la fondation nationale des sciences politigues27, rue saint-guillaume, 75341 paris cedex 07

Page 4: LA ISLAMIQUE - Numilog

LA TEGITIMATIONISTAMIQUE

DES SOCTAUSMESARADES

ANALYSE CONCEPTUETTECOMDINATOIRE

ET IRAKIENSPRESSES

DE tA FONDATIONNATIONATE DES SCIENCES

POLITIQUES

UELS SCOTAIrqYPTtENt SYRTENS

Page 5: LA ISLAMIQUE - Numilog

@ 1979 PRESSES DE LA FONDATIONISBN 2-7246442Ç5 reliê

OlMsr CARRÉSociologue et orientaliste. Doctsut en sgciologie et

docteur & lottres et scisnces humaines. Plusieurc

séiours d'étude au Proche'Odsnt arabe.

Chercheur à la section < Monde arab€ D du Centre

d'étudæ st do recherches inrcmafionales (CERll de

la Fondation nationale dæ sciencæ politiques.

Chargé d'onseignoment à t'Université de Paris lll(histoir€ arabo contemporains).

Auteur de : Mahmoud Darwîsh : poèmæ palestinîens(traduction, Ed. du Corf, 1970!. i L'îdéolqiepa!ætinienne de r&istance (Præses de la FNSP'

1{721 ; Enæignement islamigue et idéal sacialiste(Beyrouth, Librairie orientalo, 19741 ; Le Proche'Oriont entro la guene et ta paix lEd. de l'Epi. 1974) ;

Le mouvenent national palætinien (Gallimard-

Jutliard, Coll. < Archivæ ,r, lgnl , Co-auteur de : Le

mal de voîr (10/18, 19761 i L'EgVpte d'auiourd'hui(Ed. du CNRS, $nl. Et auteu. de plusieurs articles,

notamment dans la Fawo dæ étudæ islamiquæ(19701, la Rêvue ftan4iæ de æience politique nfIil'19Ïtl, fa Revue franæise de æciologie (1971, 19æ,

lgnl; Proiet (1974, 19761 | Univetnlid ngn,1978l'Rewe Tîors-Monde 119'181.

NATIONALE DES SC}ENCES POLITIOUES

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( Le véritable evant met vingt bonnæannées en moyenne à effectuer la grandedécouverte, celle qui consiste à seconvaincre gue le délire des uns ne fait pasdu tout le bonheur des autres et quechacun icïbas æ trouve indisposé par lamarotte du voisin.

Le délire scientifique. plus raisonné etplus froid gue les autres, est en mêmetemps le moins tolérable d'entre tous. Maisquand on a conquis quelques facilités poursubsrister même assez chichement dans uncertain endroit, à I'aide de certainesgrimaces, il faut bien persévérer ou serésigner à crever comme un cobaye. Leshabitudes s'attrapent plus vite que lecourage, et suttout I'habitude de bouffer. t

Louis-Ferdinand Céline

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- - ---"':-:

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Table des matières

CHAPITRE 1 : Hommes du pouvoir, hommes de religion et jeunessearabe.

CHAPITRE 2: Les horizons politiques, sociaux et économiques del'enseignement aslamique au Proche-Orient arabe .

CHAPITRE 3: Système de l'analyse conceptuelle combinatoire deschapitres-clefs .. ..

Les concepts : organisation des catfuories de l'analyseLa phrase logique : la forme de l'analyseCarrière combinatoire et indications interprétatives

CHAPITRE 4 : Aperçus sur la structure familialeFemme

CHAPITRE 5 : Les appartenances communautaires et sociétales. . . ..La tribu et le tribalisme. . . . .

Les impiesLes Juifs-Chrétiens. . .

L'individuLa sociétéHumanité et humanisme.....

CHAPITRE 6: Les appartenances nationales .....L'umma et la civilisation islamiqueLa nation arabe et les ArabesLa patrie ou la nation

CHAPITRE 7 : Le pouvoir.....Le chef.L'Etat ., :--La ùura.Dæpotisme et démocratie

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CHAPITRE 8 : Paix et guerre

L'indépendance.....L'impérialisme et le colonialisme.Les nations étrangèresLe ôihâd,La paix,

CHAPITFE9:Lesbiens.Les biensl-a Zakât.Le Ribâ.Le bien commun

CHAPITRE 10: La stratification sociale

La propriété privée.Pauvres.Les riches.Classes sociales et lutte de classes.

CHAPITRE 11 : Vers quel lslam arabe progressiste 7... -..

172

174175

. 176181

191

199

2422æ214216

2n2.25zrtm23

ANNEXES

Annexe 1

Annexe 2

Annexe 3Annexe 4

Les 2. thèmes et les 217 concepts selon les deuxpôlesletS..Liste alphabétique, selon leur code en trois lettres, des217 catégories conceptuelles avec leur définition,leurs deux pôles I et S et leurs classes V, P, E.. . . . . .

Glossaire des termes techniques d'analyseListings des carrières combinatoires dæ 27 conceptsétudi&

261

265n2

n5

NOTES g5

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Chapitre 1

HOMMES DU POUVOIR, HOMMES DE RELIGION ET JEUNESSEARABE *

C'est une expérience que. nous allons tenter. Qui dit expéri mentationentend à la fois entretenir en lui un courant permanent de doute et unepulsion régulière de croyance: doute concernant I'objet soumis à

I'expérience, et concernant aussi, sans cesse, la méthode de I'expéri-mentation en cours. Croyance dans la réalité et la valeur de I'objet,et croyance dans la validité et la fidélité de Iexpérimentation depuisla première phase jusqu'au terme. Les pages qui vont suivre lasserontsouvent le lecteur comme on est, souvent, fatigué de ne voir et den'entendre, sur ltemplacement d?un futur édifice monumental gui,assure-t-on en haut lieu, dépassêra en splendeur tout ce que I'on peutimaginer, que des grues gigantesques perdues au fond d'une béancetapissée d'échafaudages. Un jour, le vide se fera plein, et tous lesréseaux compliqués d'échafaudages tomberont comme des écaillesd'un monstre mari n. Que sera-ce? Horreur ou splendeur? Est-ce quetous ces travaux,.toutes ces dépenses, toutes ces spéculations, toutesces séances de conseils multiples, aussi savamment agencés et imbri-qués que les structures métalliques elles-mêmes, toutes ces haines ettoutes ces passions, toutes ces ruses et tous ces assassinats dégui-sés, tout cela donc aura-t'il valu la peine et le coût?

ll en est de même ici , toutes proportions gardées. Ce que nousrédigeons, crest la vérification drune hypothèse. Hypothèse, crest-à-dire interrogation, supposition. Et la conclusion ne sera, ni plus nimoins que la proposition en forme de réponse à I'interrogation tellequ'elle fut formulée. Puisque nous utiliserons, dans des limites d'ail-leurs fort étroites, les servicos de lrordinateur, et qu'on a coutume, àce propos, drinterrompre I'interlocuteur en se récriant: cOh ! voussavez, lrordinateur ne ressort gue ce que vous y avez introduit! u, ilconvient d'abonder dans ce sens, bien évidemment. Mais cela n'estpas propre à ||ordinateur, C'est I'alpha et I'oméga de toute scienceexpérimentale. ll ne ressort drun moteur que ce qu'on y a mis, soit,mais, si I'expérience réussit, en appuyant sur quelques boutons,

*Les notes de ce chapitre, ainsi que celles des chapitres suivants, se trouventen fin de volume, à partir de la p.376.

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j'obtiens mon linge lavé, ma viande hachée, ma fusée en route vers lalune, ma bombe ajustée contre un camp de réfugiés ou un kibboutzgrouillant d'enfants. Bref, les conclusions ne feront que sortir de

i'hypothèse en cheminant par tout I'appareillage expérimental. Et nous

gardons dans cet ouvrage la presque totalité de cet appareillage.Le texte d'un manuel scolaire, produit conjointernent par I'appareil

de I'Etat et par I'apparei I de I'Eglise, et, qui plus est, par un Etat

révolutionnaire et par une Eglise assez volontiers mise au pas de larévolution, un tel texte répond bien à I'a priori caustique de notre

désir de jeu et de thèse, de défiance et de patience.

Nous disons nEgliser pour désigner la réal ité sociologique qu'est

I'institution religieuse en toute société, auprès de I'institution fami-

liale, de I'institution éducative, politique, etc. Nous lui donnons lesens qu'a (. institution)' dans la tradition sociologique américaine.

Nous n'entendons pas assimiler I'institution religieuse qurest l'lslamà celle qu'est I'Eglise chrétienne, sous sa dénomination catholiqueou sous toute autre dénomination, et qui est caractérisée par quelques

croyançes, absentes du credo musulman, en une hiérarçhie'assurant lecontact mystique et magique (c'est-à-dire avec un support' un signematériel, un (sacrement,) du fidèle avec la divinité. Cette significa-tion restrictive est à exclure ici, tout comme elle est exclue des

termes de clergé et de cléricalisme déjà utilisés. ll n'y a pas de sacre-

ments en lslam, ni de clergé hiérarchique, au sens'rigoureux, c'estentendu, mais, commedans toute forme de I'institution religieuse' il y ades appareils organisés et un personnel spécialisé. L'lslam' comme

I'Eglise chrétienne, entre dans la catégorie de la <rel igion fondée>,

îounded rel igion, c'est'à-direqu'ilseréclame drun fondateurqui a vrai-ment innové dans la doctrine et dans I'organisation du groupement

idéologique nfondér. Cette espèce de (mouvements idéologiques mili-tants à programme temporel socio-politique et à visées totdlitaires,,inclut non seulement les (religions fondées>, mais tout mouvement

idéologique se réclamant de I'innovation doctri nale et organisation-nelle d'un fondateur ou du premier groupe qui a interprété ce dernier,qu'il s'agisse de Jésus, de Max, de Mahomet ou de Mani. Aussi, au

lieu de (religions fondées), propose-t'on I'expression plus compréhen-

sive de (mouvements idéologiques constituésr, crest'à-dire ayant à

I'origine une Constitution. Si nous parlons d'Eglise et de clérical isme'

crest pour toute (religion fondéer, sinon pour tout (mouvement idéolo-gique constitué o1 '

Le texte envisagé, s'il descend d'en haut, s'efforce de parler effica'cement aux enfants des écoles et, par eux, plus ou moins diffusément'à leurs parents et à leurs maÎtres, bref au peuple entier. ll lui fallaitdonc rejoindre les attentes de la base et les formuler de manièrerecevable, sans trahir I'idéologie révolutionnaire établie. Un tel texteest, à notre avis, un bon lieu de rencontre de ce qu'on peut appeleridéologie implicite, d'une part, et de I'idéologie d'en haut, d'autre

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part. Ainsi, nous nrétudions pas ici les æuvres classiques de philo'sophie politique et sociale islamique et arabe avec leur descendanceactuelle, afin de cerner la pensée politique sans savoir si elle a prisequelque part sur quelqu'un. Nous ne menons pas non plus d'enquêtessur le terrain pour cribler quelques citoyens bien échantillonnés dequestions aptes à nous révéler leurs attitudes réelles. De telles en-quêtes sont difficiles à réaliser dans des pays à gouvernements autori-taires, à population en majorité analphabète et, qui plus est, par unenquêteur dont la nationalité déclare qu'il est du clan de ceux dont toutle monde, peuple, nation et Etat, cherche à se libérer.

Nous avions primitivement projeté de procéder à deux enquêtesparallèles: I'une, auprès des documents de vulgarisation que sont lesmanuels (égyptiensseulement à cettephase initiale de notre recherche) ,

Itautre (et sans relation explicite avec la précédente enquête), auprèsdes bénéficiaires des documents en question: maîtres, élèves, anciensélèves. Nous aurions eu entre les mains deux séries de textes: celledes manuels et celle des entretiens. Et ce sont ces deux textes quenous aurions soumis à une analyse en profondeur et, bien entendur com-parative. Malheureusement, un sociologue est par définition un gêneur;ou, s'il est contrôlé et judicieusement canalisé par le pouvoir, ce der-nier peut ajouter de I'eau à son propre moulin en utilisant les découver-tes (scientifiquesr du premier. Bref, on me proposa de me fournir tousles gens, en Egypte, qui seraient utiles à mes entretiens (guidés etouverts)... pourvu qu'on me les fournisse2.

Précisons maintenant notre objectif. Pourquoi interroger, entre lesmanuels scolaires, ceux d'instruction religieuse islamique ? Pourquoipas les manuels d'histoire ou d'instruction civique et sociale, ceuxqu'on appelle, en Egypte et en Syrie, les manuels de asociété arabeD?Précisément, nous avons délibérément exclu cette série de textes, carleur tâche leur était trop facile; les auteurs n'avaient qu'à monnayer auras du sol les envolées du prince. Tandis qu'une tradition islamique,une nEgliseD, dans un peuple et dans une opinion publique, ce n'estpas une chose qu'on peut laisser de côté par une pichenette. ll faut entenir compte de toute façon. ll faut la umanipuleJr, si I'on peut dire,et, ce qui revient au même, être amsnlpulé, par elle, L'interaction estinévitable. ll faut une légitimation mutuelle. Mais enfin, dira-t-on, laref igion est une atfaire personnelle et intime, la politique et le pouvoir,la révolution nationale et sociale, c'est tout autre chose. Eh bien!précisément, non. Dans toute société, et a fortiori dans une société demusulmans, le politique est religieux, la religion est politique. L'inspi-ration, la philosophie, la culture, l?idée, en un mot I'idéologie doitabsolument être une et sans fissure, et, sril y a une mutation radicale,elle emporte à la fois le politique et le religieux pour les remplacer parun nouvel être politico-religieux compact et sans fissure.

La fameuse séparation de I'Eglise et de I'Etat nrest qu'un aménage-ment drappareils organisés donnés dans des sociétés données. Elle

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n'enlève rien au fait fondamental que le pouvoir, toujours et partout,

entretient une < religion politiquer3. La non-séparation du politiqueet du religieux est congénitale au politique, fût-ce au sein d'un régime

de séparation de I'Eglise catholique romaine et de I'Etat nationaleuropéen. Dans la même ligne, mais d'un autre point de vue, c'est learéductivismsr, cher à Auguste Comte et d'après lequel c'est la sociétéqui peut sécréter elle-même, sur des bases neuves, une religion, qui

sera la simple expression de la société se réfléchissant elle-même,réductivisme indûment attribué à Marx ou à Durkheim4. Ceci étantadmis, il est généralement reconnu que la séparation de IEglise et de

I'Etat est un phénomène européen et chrétien et qu'elle est, de plus, la

condition sine qua non de lessor industriel et de tout ce qui srensuit.Selon I'idée constitutionnelle, la puissance publique est régie non pluspar la religion (et la morale et la coutume qui y tiennent) mais par un

droit d'inspiration laique inscrit dans une Constitution5. A I'inverse,la non-séparation de I'Eglise et de l?Etat serait congénitale à Ilslamet au monde musulman6.

Donc, comment liidéologie islamique reçue réagit-elle à la révolutionsocialiste arabe, égyptienne, syrienne, irakienne, mais aussi au moder-nisme tunisien, koweitien, jordanien, saoudien même et, cas tout à faitparticulier, israélien? De cette réaction et des essais de synthèsenouvelle qui en résultent, se forme-t-il un lslam politique progressiste?Ou bien est-on obligé de se ranger à I'idée courante que dire lslampolitique aujourd'hui c'est dire intégrisme, réaction, extrémisme droi-tier, entrave au progrès? C'est à cause de cette idée courante qu'estcontesté notre intérêt pour des manuels scolaires drenseignement isla-mique, Or c'est précisément à cause de cette idée courante que nousavons porté notre intérêt sur eux. Notre première hypothèse est doncqu'un lslam politique progressiste se cherche et que les manuels sco-laires en fournissent un témoignage:

Ce que nous venons d'affirmer suffit à faire comprendre que desmanuels scolaires nous intéressent en tant qu'ils émanent de Iunedes institutions fondamentales de toute société, l'éducation, mais que

l'éducation et I'enseignement en eux-mêmes ne sont pas I'objet denotre recherche. Nous ne faisons pas oeuvre ici de sociologie de lfédu-cation, dont lrutilité serait certes immense pour le monde arabe au-jourd'hui. Notre analyse pourra servir de matériau à une recherche decet ordre. Notre objectif est autre et relève de la sociologie politique:comment, dans un texte, se rencontrent et se mélangent, et mêmesraffrontent subti lementrtrois acteurs politiques, les hommes du pou-voir, les hommes de religion, les hommes de la rue.

Ayant affaire à un texte, nous I'aborderons avec cette défiance etcette patience que nous revendiquions. Nous le prendronS au sérieux,nous nous livrerons à lui avec une entière confiance, précisément pardéfiance continuelle envers nos lectures. Nous estimerons même qu'untexte de vulgarisation unique, si bref soit-il, produit à un moment donné

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et consacré à des thèmes majeurs donnés, fournit, s'il est analyséassez en profondeur, la doctrine admise et diffusée par tous les textesde vulgarisation sortis au même moment et consacrés aux mêmes sujets,pourvu, bien entendu, qu'ils émanent tous de la même autorité idéolo-gique, du même clergé politico-religieux. Sur ce point de méthode,

c'est de Durkheim que nous pouvons nous réclamer, pour qui I'analyseen profondeur d'un seul fait social total procure la connaissance de

tous les faits sociaux comparablesT. Certes, le (un seul)) est comme

corrigé, voire contredit, par le (total r. Dans notre entreprise sommes-

nous donc en droit de parler d'une totalité? Oui, dans la mesure où

les textes que nous analyserons sont un point de jonction entre troisinstitutions essentielles : politique, religieuse, éducative.

Nous ne chercherons pas une multitude de textes afin d'être sûr de

ne rien omettre, de ne laisser échapper aucune information. Nous cher'cherons, au contraire, un minimum de textes, sachant qutune analyseen profondeur lira en eux tout ce qui importe dans la totalité des autrestextes. Et, en effet, à un même moment et dans un même cercle depensée, les associations possibles enlre des idées, des notions, sonten nombre très réduit. Les formulations peuvent varier énormément,mais les assertions elles-mêmes, les phrases logiques, les contenuspurement cognitifs sont, sur un même sujet, très peu variables. Nouseslimons donc que les manuels scolaires que nous allons interrogeren profondeur nous livreront sans omission la synthèse actuellementtentée de concert par les trois acteurs concernés: le pouvoir, lesulémas, le peuple.

La mise au point d'un système d'analyse de texte en profondeurs'avère nécessaire, aussi qualitative, aussi valide (apte à répondre en

vérité à nos interrogations) et aussi fidèle (ne trahissant pas, dans latraduction en un code, le texte brut) que possible. Cette mise au pointet les garde-fous qu'elle exige fera lrobjet du chapitre 3; toute notreexpérimentation est fondée sur les élaborations de ce chapitre. Que lelecteur s'y reporte dès maintenant, stil hésite encore à fermer tout desuite le livre qu'il s'est imprudemment mis entre les mains. Drautrepart, I'entreprise dans laquelle nous nous lançons - le repérage d'unlslam progressiste en formation par une analyse en profondeur de tex-tes brefs - indique trois choses que nous ne ferons pas qu cours denotre travail. D'abord, point de sociologie historique de I'enseignementreligieux islamique dans le monde arabe: notre objet n'est pas l'école.Ensuite, point d'étude approfondie de I'idéologie nassérienne, oubaasiste, ou hachémite, etc., étude déjà faite par plusieurs chercheursauxquels nous nous référerons -n cours de route. Enfin, point drinter-prétation totale, globale, des données que fournira notre analysetextuel le8. A d'autres chercheurs la tâche d'indiquer comment etpourquoi cet lslam politique progressiste, que nous allons plus oumoins fidèlement et validement transcrire, résulte dtune histoire etd'une configuration sociales propres, de l'émergence, selon certains,

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d'une nouvelle classe moyenne ou, selon d'autres, d'une mutationinterne, à multiples étages, des mêmes classes moyennes que révèletoute I' histoire.arabo-musulmane,

La thèse est assez couramment admise, en effet, qu'une classemoyenne nouvelle (NMC, new middle c/ass), inexistante auparavant,s'est récemment formée dans les différents pays arabes9. Cette NMC

arabe serait le premier groupe de gens qui ne sont pas automatiquementmembres d'une classe par leurs liens familiaux, mais grâce à leursqualités personnelles acquises pour répondre à des besoins économi-ques nouveaux et précis, Cette thèse peut être fortement nuancée10. lln'y a pas de mutations structurelles importantes dans les sociétésarabes depuis l?impact de l'économie occidentale, mais une (accultura-tion> des classes sociales existantes et des membres de ces classes;donc, pas de nouvelle classe moyenne, mais une éducation, une cultureradicalement renouvelées. Par exemple, le secteur tertiaire, pépinièrede classesmoyennes, sidéveloppé au Liban, n'a pas réussi à créer et àstabiliser une NMC libanaise, une bourgeoisie nationale tant soit peu

homogène ou du moinspluraliste de façon harmonieuse, avec un consen-sus global minimalll. La guerre civile et religieuse du Liban, en1975-1976, confirme,hélas! amplement ce diagnostic. Les deux thèsesen présence à propos de cette fameuse NMC arabe partagent du moinscette idée-ci: il y a dans les classes moyennes des groupes gardantune éducation traditionnelle, et des groupes issus d'une éducationséculière. Cette nexpositionr à lroccidentalisation et au séculari smeest donnée par l'école et par I'armée. D'où I'intérêt, incidemment, desmanuels scolaires (prescrits par des militaires) que nous interrogerons.

A d'autres chercheurs également - ou à des idéologues peut-être?-le soin d'ausculter ou de décréter, preuves à I'appui, comment lessociétés arabes doivent et devront penser et se comporter, dans leursréseaux de luttes de classes et de combats nationaux. Est-il inutilede leur fournir un document, ni plus ni moins? Un document gue nouspourrons interpréter grâce aux ressources qu'il renferme, et qui dévoi-lent configurations sociales et conf lits de classel2.

De quel lslam politique et social parlons-nous? ll serait vain dele définir a priori. Point n'est besoin dren dire ici, en prologue, lesthèmes principaux, les doctrines politiques et sociales, I'importancequ'y a le droit, toutes choses qui affleureront, selon des nuances etdes options doctrinales propres, dans les manuels scolaires. Nousne connaîtrons d'autre lslam que celui qu'ils inculquent à leurs usa-gers. De même, il serait arbitraire de délinir, dès I'abord, ce que nousentendons par socialisme et socialisme(s) arabe(s). Ce sont lesmanuels qui nous le diront. Gommençons doncpar présenter les manuelsd'enseignement islamique de la presque totalité des pays arabes au-jourdthui, dans le contexte politique et idéologique qui est le leur.Ensuite, nous chercherons et définirons le système d'analyse en pro-fondeur des textes que nous aurons sélectionnés comme portant

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normalement les idées les plus avancées d'un lslam arabe socialisantou, du moins, progressiste: textes des manuels égyptiens, syriens,irakiens. Après quoi, nous fournirons le compte rendu et I'interprétationdes grands thèmespolitiques et sociaux soumis à notre analyse concep-tuelle combinatoire (tel sera le nom générique de notre système dtana-lyse textuelle) : la valeur centrale de solidarité, la structure familiale,les appartenances communautaires et sociétales, les appartenancesnationales, la théorie du pouvoir politique, de la paix et de la guerre,I'idéal social concemant les biens ei les groupessocio-économiques.Enfin, en conclusion, nous suggérerons dans quelle mesure le discourssocialiste arabe actuel, islamiquement légitimé, est f idèle à I'héritageproche-oriental arabo-musulman tel, du moins, que le voit et I'inter-prète lbn Khaldoûn (qui drautre que lui, en effet, jusqu'à présent,pourrait éclairer et inspirer les situations et les mutations des sociétésarabes actuelles?). Peut-être parviendrons-nous alors à savoir si lepouvoir et la rel igion fournissent à la jeunesse arabe un idéal social etpolitique qui, avec des ruptures et Iouverture à des valeurs nouvelles,poursuit la tradition arabo-musulmane, ou s'il s'agit seulement demanusls scolaires occidentaux d'instruction civique.et morale habillésde références islamiques.

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Chapitre 2

LES HORIZONS POLITIQUES, SOCIAUX

ET ECONOMIOUES DE L'ENSEIGNEMENT ISLAMIQUEAU PROCHE.ORIENT ARABE

Avant d'entreprendre I'analyse systématique en profondeur de textessignificatifs, il faut, bien entendu, considérer I'ensemble des textesdont nous disposons, afin de connaître leur contenu global et la variétédes orientations de pensée. Nous pourrons, alors, retenir ceux desmanuels scolaires qui portent le message d'un lslam progressiste,voire socialiste. Et seulement alors, il nous sera possible d'établirun système d'analyse textuelle, non pas de manière abstraite et apriori, mais d'après les indications et le contenu global des textesretenus.

En fait, lthistoire politique et sociale contemporai ne de I'Orientarabe suggère la réponse à notre désir de sélection des textes. C'estI'Egypte, la Syrie et I'lrak qui, de prime abord, produisent, dans leurensêignement religieux officiel, un horizon politique et social à pré-

tentions progressistes et socialistes.Le témoignage des manuels israéliens d'enseignement musulman

pour les écoles arabes ferait sans doute ressortir, par défaut, lesvaleurs nationales et politiques arabes auxquelles tiennent les voisinsd'lsraë|, Le Liban offrirait matière à comparer un enseignement reli-gieux sunnite et un enseignement chiite imâmite; les jeunes Druzes,pour leur part, ne reçoivent pas d'enseignement religieux proprementdit du fait de la structure même de leur secte. Quant à lrenseignementsunnite des écoles libanaises, soit privées soit gouvernementales, ilvarie d'une école à lrautre, d'une vi lle à |autre, d'un maftre à I'autre,conformément à la libre entreprise libanaise à laquelle lrécolenréchappe pas. Le Liban est unè entité particulière dont le confes-sionnalisme politique mériterait une étude particulière, notamment àtravers les manuels drenseignement. En outre, le propos même denotre recherche exclut les manuels libanais, car ils n'expriment pasle discours vulgarisé de I'idéologie politique et sociale drun Etat.Tous les autres enseignements que nous avons mentionnés émanent deIautorité gouvernementale, etaucune école, aucun maître n'a le l^isirde choisir tels manuels plutôt que tels autres. Rien de parei I au Liban.

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ll faut situer cet ensemble de manuels scolaires dans un contexte,déjà ancien, de modernisation de I'enseignement, à partir drlstanbul,à la fin du 18e siècle, puis, surtout au début du 19e siècle, à la foisà lstanbul et, grâce à Méhémet Ali, en Egypte, pour des buts militairesd'ailleurs et sans suite à la mort de ce dernier. ll faut le situer aussidans un contexte d'influence des écoles missionnaires étrangèreset derelance {u système d'enseignement amodemeD par Ali Mubârak, en1867, parallèlement à I'enseignement traditionnel des kuttâb (écolescoraniques) et de I'Azhar. Notons I'efficacité, réduite en lrak, plusforte en Syrie, du nouveau système ottoman (loi .de 1869) d'instructionélémentaire obligatoi re et gouvernementale pour tous les enfants, sansdistinction de religion, suivie de deux cycles d'enseignement secon-daire rushdiyya, puis sultaniyya, mais en langue turque (! ). Ce dou-ble système - traditionnel et islamique, moderne et gouvernemental -demeure au cours des années dtoccupation européenne et après lesindépendances nationales, mais avec un contrôle étatique plus étendu,une unification des programmes, et avec lrinsistance, face au coloni-sateur, sur Iinstruction islamique et l? langue arabe.

Aujourd'hui, dtaprès A.L, Tibawi ' et d'après les annuaires dudépartement culturel de la Ligue des Etats arabes, I'enseignementse fait comme suit.

En Egypte, après une longue tradition d'éducation réservée à lrélite,Iinstruction est gratuite et en partie obligatoire, et insiste, depuis laloi de 1953, sur I'instruction religieuse et patriotique et sur la languearabe, outre I'accent mis sur les spécialisations scientifiques; lessystèmes scolaires divers, hérités des Anglais, furent progressivementunifiés, et les programmes, y compris en instruction musulmane, sontnationaux. Depuis 1971, on insiste à nouveau sur I'enseignementreligieux devenu matière d'examen. Les manuels égyptiens sont jus-qu'à présent utilisés également dans les deux Yémens, ainsi qu'enLi bye.

En Syrie, après la domination culturelle française - y compris lefameux manuel du Jésuite Henri Lammens, La Syrie: précis historique,jugé si antiarabe et si anti-islamique -, tons les enfants d'âge sco-laire seraient, depuis 1963, intégralement scolarisés dans le cycleprimaire; comme en Egypte, il y a un cycle primaire de six ans, uncycle préparatoire de trois ans et un cycle secondaire de trois anségalement. Les programmes furent communs pendant I'union (1g5g-1961), et le restent encore sur plusieurs points.

En lrak, après la période de la diversification, due au mandat bri-tannique, selon les groupes ethnico-religieux, I'enseignement estnational et commun pour les entants de toute croyance et de touteethnie: six années d'enseignement primaire, trois drenseignementintermédiaire et trois d'enseignement secondaire, avec les mêmes pro-grammes, y compris religieux.

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En Jordanie, I'instruction, obligatoire et gratuite depuis 1955'

s'étend sur six ans d'enseignement primaire et cinq d'enseignementsecondaire; ses programmes s'adressent aussi aux enfants des camps

de réfugiés palestiniens du PaYs.

En Arabie saoudite, I'héritage scolaire ottoman du Hedjaz et I'héri-tage tribal wahhabite de Nejd ont produit un système scolaire unifié'influencé par I'Egypte mais visant à se couler dans le moule islamiqueet non à se poser à côté de lui : système particulièrement traditionneldans ses programmes et ses méthodes, le tout sous lrautorité du Muftidu royaume et non d'un ministre; I'insistance est mise, comme nullepart ailleurs, sur le Coran et l'lslam.

Au Koweit, I'instruction primaire est obligatoire depuis 1966, avec

une aide égyptienne très importante en maitres.

Au Yémen, indépendant depuis 1918 (Sanaa), le système scolaireottoman s'est perpétué à côté des écoles coraniques propres auxzaiïites et aux sunnites, mais semble s'être pl utôt ralenti avec laguerre civile de 1962 et ses suites jusqu'à ce jour.

Au Yémen populaire, indépendant depuis 1967 et cdémocratiqueo

depuis novembre 1970 (Aden), I'enseignement est à la fois marxisteet arabiste d'inspiration baasiste et, par conséquent' vise à intégrerl'lslam dans I'histoire arabe, sans craindre de soumettre le Coran et

les débuts de l'lslam à la <rdialectique historique>2. Les manuelsd'instruction islamique sont enseignés deux heures par semaine, et cesont jusqu'à présent les manuels égyptiens.

En Libye, les trois systèmes d'éducation, quravaient laissés les

années de la guerre de 1939-1945 (britannique sur le modèle égyptien;italien; français sur le modèle algérien), furent peu à peu, après ladéclaration d'indépendance et d'unité en 1951, unifiés en un cycleprimaire de six ans (obligatoire en principe), un cycle préparatoire de

trois ans et un cycle secondaire de trois ansr avec une présence égyp-tienne importante là aussi. Depuis 1970 et selon les perspectivesd'union avec I'Egypte, les programmes libyens se sont identif iés auxprogrammes égyptiens, et I'instruction religieuse, sur laquelle insistaitla monarchie sanoussie, garde son importance, mais, désormais, dansle mouvement (nassérienr des manuels égyptiens, puis dans celui des

manuels communs à lEgypte, au Soudan et à la Libye d'après laconvention culturelle de 1971.

Ajoutons, hors de notre champ d'étude, les expériences marocaines,algériennes, tunisiennes où le problème central et difficile est I'arabi-sation et le bilinguisme. L'inf luence des maÎtres et des manuels

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égyptiens sur la jeune Algérie indépendante des années 1960 est cer-taine. L'orientation tunisienne est originale, bilinguiste à la fois et à

tendance laibiste, d'où, dans I'instruction religieuse, un propos de

relativisation de l'lslam dans le chæur des religions.Les objectifs généraux communs à tous les systèmes scolaires

arabes actuels sont, en principe, les suivants: oCréer des générationsd'Arabes ayant foi en Dieu, loya'uté envers la patrie araber watan

'arabi, confiance en eux-mêmes et dans leur nation, u/nma, consciencede leur responsabilité devant leur nation et devant I'humanité... llssauront ainsi contribuer au progrès de la société arabe en défendant laglorieuse nation arabe, .umma'arabiyya, et ses droits à la liberté, à lasécurité et au bien-être> (article 1 de la Gharte de I'unité cultu-relle arabe, 1964). La marque nassérienne de cet article est évidente.

Tout autre est, sans doute, la perspective de la Résistance pales-tinienne qui, depuis 1968, a ajouté dans les camps un enseignementhistorique et civique conforme à son idéologie, enseignement non

écrit dans des manuels scolaires, a fortiori dans des manuels d?instruc-tion religieuse. Nous ne pouvons donc I'appréhender ici.

Les manuels égyptiens révèlent de manière nette une structure typede chaque manuel, applicable à la totalité du texte des dix manuels,La même structure convient aux autres séries, non égyptiennes, maisavec des variations d'intensité pour telle ou telle rubrique. Les rubri-ques sont les suivantes:Coran et HadÎth; Dogme, 'aqâ'id; Pratiquescuftuef fes, 'ibâdât; Formation morale et civique, tahdib; Histolresainte et hagiographie, sira, siyar, târ'îh, Bansiyyât istâmîyya. L'ordremême suivi dans un manuel est celui que nous indiquons ici. Lesextraits du Goran et du HadÎth sont souvent groupés en tête de I'ou-vrage sous la forme d'un recueil textuel qui constitue un livret detextes choisis. Bien entendu, les citations du Coran et du Hadith, qui

interviennent à I'intérieur d'une autre rubrique, ne doivent pas êtreextraites de leurcontexte et ne doivent pas être comptées dans la rubri-que: Goran et Hadîth. Au contraire,'cesont là les autorités scripturairesinvoquées, et notre analyse textuelle devra s'efforcer d'en mesurer lepoids et la cohérence par rapport au texte scolaire proprement dit. Larubrique Dogme s.e mêle parfois à la rubrique Formationr sous le nomenglobant de Recherches, buhût. Dans la rubriqpe Pratiques, la zakâta, dans notre optique sociale et politique, une place à part, car ellerelève d'une éthique sociale et économique, et peut aisément servir à

légitimer ou à inspirer une doctrine sociale, voire un système socia-liste. Enfin, Histoire sainte et hagiographie constituent la rubrique lamoins désagréable à lire, celle sans doute qui laissera dans l'élèvequelques souvenirs indé lébi les.

Toutefois, les éléments réel lement significatifs des intentionssociales et politiques des auteurs des manuels et des programmesof-ficiels qu'ils suivent ne sont pas contenus dans les rubriques Coranet HadÎth,Pratiques (autres que la zakâtl êt Histoire sainte. Gar, dans

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Cet ouvrage, composé sur Varityperpar Simone Guerrier à la Fondationnationale des sciences politiques,a été imprimé sur les presses de

I'Imprimerie Chirat42540 Saint-Just-la-Pendue

en avril 1979Dépôt légal 1979 N" 2457

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