la loire - nouvelles Éditions pages du monde
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La LoireLe Grand Fleuve
Jean-Louis MATHON
éditions Pages du Monde
collection Anako
ISBN 9782915867398
Sommaire
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Naissance d’une grande sauvage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Les hommes des hauts plateaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
La Haute-Loire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Le chemin de Compostelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
La lentille verte du Puy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
La dentelle du Puy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Un long fleuve pas toujours tranquille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Les gorges de la Loire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Un roman-fleuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Le grand voyage de la Loire navigable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Le patrimoine mondial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
La Voie royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Beuvez toujours, meurrez jamais, la Touraine de Rabelais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Sur les terres du roi René . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Pour ne pas perdre la boule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Voyage sous la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Ultime parcours vers l’océan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Clin d’œil complice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
L’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Mont Gerbier-de-Jonc
Le Puy-en-Velay
RetournacSaint-Etienne
Roanne
Digoin
Nevers
Sancerre
ChambordBloisChaumont-sur-Loire
Chenonceau
Tours
VillandryUssé
ChinonMontsoreauFontevraud
Saumur
Angers
Les Ponts-de-Cé
St-Florent-le-VieilNantes
Saint-Nazaire
Briare
Sully-sur-Loire
Orléans
Cosne-sur-Loire
Barrage de Villerest
Barrage de Grangent
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d’Orléans
Vienne
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Je ne sais, si vous, lecteur qui me faites
l’honneur de feuilleter les quelques pages
qui vont suivre, vous avez remarqué que
les histoires commencent souvent de la
sorte : « Il était une fois… » Ou mieux
encore : « C’était à l’époque où… »
Comme si rituellement nous devions pui-
ser nos références dans nos souvenirs
intimes pour retrouver nos propres raci-
nes. Je ne dérogerai donc point à ladite
règle, ainsi établie, pour m’immerger à
mon tour dans cette mémoire et remuer
quelque peu des clichés ou des odeurs que
je croyais enfouie à tout jamais. Mais la
magie de l’écriture n’a-t-elle pas des ver-
tus thérapeutiques parfois surprenantes ?
C’était donc à l’époque où je portais
encore des culottes courtes et les che-
veux en brosse, avec les oreilles bien
dégagées, comme disait le coiffeur dans
sa petite échoppe aux relents suaves de
gomina et de laque. Quand la fin de
semaine de chez nous ne s’appelait pas
encore le « week-end » mais, bien évi-
demment, le samedi et le dimanche. Je
précise au lecteur que nous ne connais-
sions pas non plus le charme délicat des
usines de la consommation que sont
aujourd’hui les super, hyper, méga et
autres stores ou markets de la langue de
Shakespeare…
Je revois mon grand-père endosser sa
superbe veste de velours noir du diman-
che que l’on sortait de l’armoire à linge
sentant la naphtaline pour « l’occasion
», comme disait ma grand-mère. Il se ren-
dait au marché hebdomadaire dans la cité
de Chinon distante d’une dizaine de kilo-
mètres de notre maison adossée au
coteau. C’était tout un cérémonial
immuable et parfaitement orchestré. Ma
grand-mère s’agitait fébrilement autour
de son grand bonhomme de mari planté
au centre de la cuisine, comme pour une
énième inspection avant son départ. Puis,
quand tout semblait parfait, elle lui glis-
sait amoureusement un mouchoir de
Cholet copieusement imbibé d’eau de
Cologne Mont-Saint-Michel dans la poche
intérieure de sa veste. Mon grand-père lui
décochait alors un formidable sourire
complice comme pour la remercier de
tant de tendresse et de bonté. C’était le
signal d’un départ pour le moins immi-
nent. Avec ses gestes parfaitement rodés,
la musette de toile jetée en travers (…)
Avant-propos
Les géographes annoncent 1 012 kilomè-
tres de la source dans les sucs de l’Ardè-
che jusqu’aux effluves salés de l’océan
Atlantique à Saint-Nazaire. C’est ainsi,
que le Grand Fleuve remporte, en l’ab-
sence de véritable rival sur le territoire
français, le record absolu de la distance.
Mais, avant tout développement, l’eau
naît du feu d’un volcan situé à une dis-
tance équivalente entre la lentille verte
du Puy et les fameux marrons glacés de
la cité ardéchoise de Privas, au cœur de
ce que l’on nomme généralement la
Cévenne volcanique vellave. Le mont
Gerbier-de-Jonc bénéficie alors du privi-
lège d’être le lieu le plus visité chaque
année par la gent touristique en marche
vers un pèlerinage géographique. Les
gens viennent fouler le lieu mythique de
la source de la Loire, au pied d’un formi-
dable ensemble volcanique qui ressem-
ble à s’y méprendre à une sorte de
titanesque pain de sucre érigé sur un pla-
teau qui culmine vers 1 400 mètres et
souvent balayé par des vents violents. Le
mont Gerbier-de-Jonc (1 551 mètres) et
son proche cousin, le mont Mézenc (1
754 mètres), semblent être les gardiens
immuables d’un panoramique à 360° qui
offre sans retenue une vue sur la chaîne
des Alpes comme sur le parc des volcans
d’Auvergne.
Nous sommes au cœur du Massif cen-
tral, forgé durant la période tertiaire, par
les plissements pyrénéens et alpins. Ce
bouleversement sans précédent du pay-
sage avec des poussées formidables
exercées par les pressions latérales
forme un relief pour le moins contrasté.
L’activité volcanique allait battre son
plein et, sans nous lancer ici dans un
cours de géologie approfondie, nous
dirons seulement que ces hauts four-
neaux de la Terre créeront une forma-
tion typique de la région, les fameux
sucs d’Auvergne. Le mot suc trouverait
son origine dans l’étymologie locale,
pour le moins très ancienne. Il désignait
autrefois un petit mont isolé. Par une
extension quelque peu systématique, le
suc est souvent associé à une qualité de
roche volcanique : la phonolite. Mécani-
quement et plus sobrement, la formation
de tels sucs résulte d’une formidable
explosion dans des cratères qui peu à
peu ont été comblés par la lave (…)
Naissance d’une grande sauvage
A cinquante kilomètres de la source, la
jeune Loire creuse son lit au fond de gor-
ges profondes et arrive ainsi au pied de la
première ville digne de ce nom sur son
long parcours : le Puy-en-Velay. George
Sand la décrit très bien, un site remarqua-
ble où la cité s’intègre harmonieusement
dans le relief volcanique.
Cette préfecture du département de la
Haute-Loire de 25 000 âmes est un carre-
four commercial, administratif et reli-
gieux dont le dynamisme rejaillit sur tout
le département. Mais sa vocation touristi-
que est indéniable, puisque l’on considère
que chaque année plus de 800 000 visi-
teurs y font étape. Ce qui frappe ici est
l’indéniable présence religieuse avec en
point de mire, perchée sur son piton
rocheux et surplombant ainsi toute la
cité, une monumentale statue de la Vierge
à l’Enfant (Notre-Dame de France). Cette
dernière ne s’épanche pas forcément
dans l’élégance ou bien la finesse (ce qui
n’était pas la préoccupation première des
artistes de l’époque Napoléon III, milieu
du XIXe siècle). Pour la petite histoire
locale, la fonte qui recouvre l’œuvre pro-
vient d’une prise de guerre de 200 canons
lors de la bataille de Sébastopol ! Cer-
tains lecteurs, quelque peu avisés, pour-
ront noter que c’est un juste retour des
choses. En effet, bien souvent durant les
conflits, les bronzes et autres métaux
divers, des civils comme des religieux,
ont servi à couler des canons et à tourner
de jolis petits obus… pour compléter la
panoplie du parfait militaire. (…)
La Haute-Loire
Quant à la beauté du Velay, je ne pourrais jamais te la décrire. Je n’imaginais pas qu’il y eût
au cœur de la France des contrées si étranges et si imposantes. La ville du Puy est dans une
situation unique probablement. Elle est perchée sur des laves qui semblent jaillir de son sein et
faire partie de ses édifices. Ce sont des édifices de géants mais ceux que les hommes ont assis
aux flancs et parfois au sommet de ces pyramides de lave ont été vraiment inspirés par la gran-
deur et l’étrangeté du site.
GEORGE SAND, Le Marquis de Villemer, 1861.
Si l’année 2000 n’a pas été l’année du
« bug » tant redoutée par le monde virtuel
de l’informatique, elle nous a offert en
contrepartie la reconnaissance très offi-
cielle de ce patrimoine du Val de Loire
par l’Unesco. Le 30 novembre 2000, les
280 kilomètres d’un territoire, compris
entre Sully-sur-Loire en région Centre
jusqu’à Chalonnes-sur-Loire dans les
Pays-de-la-Loire (cent cinquante commu-
nes concernées) étaient inscrits sur la
liste du Patrimoine de l’Unesco. Le Val de
Loire est désormais le site le plus vaste
jamais répertorié en France par ces hau-
tes instances. Cette inscription gravée
dans les tablettes constitue bien évidem-
ment la consécration de plusieurs décen-
nies de tractations dans le cadre d’une
politique publique, avec en point de mire
le fameux plan Loire grandeur nature
signé en 1994. En dehors d’une simple
(mais nécessaire) reconnaissance, c’est
surtout la valorisation de tout un patri-
moine culturel, d’une identité ligérienne
et de la protection environnementale des
rives du fleuve qui sont pris en compte.
Ici, la notion de patrimoine s’appréhende
dans un sens global. Il faut considérer
que les atouts majeurs de ce capital sont,
bien entendu, mis en valeur par cette
signature de l’Unesco comme peuvent
l’être les châteaux prestigieux et les sites
historiques de tout premier plan. Aux-
quels il faut ajouter les paysages naturels
et les nombreux écosystèmes, les trésors
oubliés de la navigation fluviale (les
quais, les ponts, les cales, etc.), la politi-
que d’un renouvellement de la batellerie
avec la marine en bois et ses traditions.
Dans une plus large mesure, l’objectif
avoué est de préserver toute l’activité
autour du fleuve comme un trésor pré-
cieux, ce qui englobe, vous en convien-
drez, beaucoup de facteurs divers sur une
zone aussi étendue. Sans dresser une liste
qui ne serait pas exhaustive, on peut pen-
ser aux traditions liées directement à la
Loire, comme la pêche, la navigation et
ses contraintes dues aux débits irrégu-
liers, ou plus ou moins éloignées comme
la viticulture et le maraîchage, la préser-
vation des sites troglodytes, etc.
Le patrimoine mondial
Détail du château de Blois, la
résidence officielle de
François Ier.
Page 73 : Résidence privée
dans la région des vignobles
de Sancerre
Les jardins d’ornement de Villandry
L’abbaye royale de
Fontevraud est la plus
importante subsistant en
Occident. Elle fut fondée par
Robert d’Arbrissel en 1100.
Le grand fleuve entame la fin de son
majestueux parcours après le passage
des Ponts-de-Cé, lieu oublié d’un drame
épouvantable de la folie humaine. Ici,
huit cents filles de joie furent jetées dans
les remous de la Loire en 1570 pour « pur-
ger » l’armée du capitaine Strozzi des
ribaudes qui accompagnaient son armée.
La rive nord laisse entrevoir au loin la cité
d’Angers sur son affluent la Maine. Pour
la petite histoire, la Maine reste la plus
petite rivière de notre territoire, seule-
ment dix kilomètres jusqu’à Angers avant
de se séparer en un triangle avec le Loir,
la Mayenne et la Sarthe. Les coteaux de
Savennières et leurs fameuses coulées de
vins blancs plongent sur les bords du
fleuve, et les îles forment un labyrinthe
sans cesse renouvelé sur son cours. La
Loire change de physionomie en s’élargis-
sant considérablement, et l’on sent bien
que déjà elle rêve du grand large. Il faut la
contempler à Saint-Florent-le-Vieil, la
patrie de Julien Gracq et le dernier bal-
con de la corniche angevine durant les
crues spectaculaires du mois de mars.
Toute la plaine qui s’étale au pied de
l’église abbatiale, héritage d’un monas-
tère bénédictin, à cinquante mètres au-
dessus de la Loire se retrouve alors sous
les eaux sur des dizaines de kilomètres
de largeur, prenant ainsi des faux airs de
Saint-Laurent dans la Belle Province,
mais mâtiné d’une douceur bien angevine
tout de même.
L’océan n’est plus très loin et l’on sent
déjà ses effluves salés. Les vins se font
plus légers et fringants. Sec et fruité, le
muscadet de Sèvre-et-Maine fait l’hon-
neur des fruits de mer du pays nantais.
C’est que la Loire bretonne arrive dans sa
dernière escale historique et ambiguë : la
ville bretonne ou la cité des Pays-de-la-
Loire ou les deux à la fois ?
Ultime parcours vers l’océan
Inondation dans la région de l’Anjou
Pages 114-115 : Une ferme
isolée sur un tertre pendant
les crues de la Loire aux
environs de Montjean
La gabarre est la pièce
majeure de la marine de
Loire.
Un train de bateaux à voile
La Brière près de Saint-
Nazaire accueille la plus
grande concentration de
chaumières du territoire
français.