la miséricorde dans la bible
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Découvrir le Dieu de miséricorde qui se dévoile dans l’Ecriture | VIALLE Catherine
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Les ouvriers de la onzième heure
(Mt 20,1-16)
1« Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand
matin, afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2Il convint avec les ouvriers d’une pièce d’argent pour la journée et les envoya à sa vigne. 3Sorti
vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient sur la place, sans travail, 4et il leur dit :
‘‘Allez, vous aussi, à la vigne, et je vous donnerai ce qui est juste’’. 5Ils y allèrent. Sorti de
nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même. 6Vers la onzième heure,
il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : ‘‘Pourquoi êtes-vous restés là
tout le jour, sans travail ?’’ – 7 ‘‘C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés.’’ Il
leur dit : ‘‘Allez, vous aussi, à ma vigne.’’
8Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘‘Appelle les ouvriers, et remets à
chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers’’. 9Ceux de la
onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d’argent. 10Les premiers, venant à
leur tour, pensèrent qu’ils allaient recevoir davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun
une pièce d’argent.
11En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison : 12 ‘‘Ces derniers venus, disaient-
ils, n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du
jour et la grosse chaleur.’’ 13Mais il répliqua à l’un d’eux : ‘‘Mon ami, je ne te fais pas de tort ;
n’es-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ? 14Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je
veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de
mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ?’’ 16Ainsi les derniers seront
premiers, et les premiers seront derniers »1.
Prenons 15 minutes de méditation personnelle, en essayant de visualiser intérieurement cette
parabole :
- Comment est-ce que je me situe dans cette parabole ?
- A la place de quel(s) personnage(s) ?
- Quels sont mes sentiments ?
- Qu’est-ce que ce récit me dit de la miséricorde de Dieu ? Du Royaume des
cieux ?
Cette parabole se situe dans le cadre de la montée à Jérusalem de Jésus, juste après l’épisode
du jeune homme riche (Mt 19,16-30) qui se termine par un discours de Jésus et par ces mots :
« Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers, premiers » (Mt 19,30). Ce
verset est repris presque à l’identique à la fin de la parabole des ouvriers de la onzième heure,
comme pour marquer le lien entre ces deux récits. Mais si le récit du jeune homme riche invite
à relativiser l’importance des biens matériels face à la venue du Royaume des cieux, la
1 Les traductions sont celles de la TOB, année 2010.
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parabole va plus loin, puisqu’elle évoque le Royaume des cieux lui-même : « Le Royaume des
cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin afin
d’embaucher des ouvriers pour sa vigne » (20,1).
C’est donc le maître de maison et sa manière d’agir qui évoquent le Royaume des cieux. C’est
donc lui qui doit d’abord faire l’objet de notre attention. Comment agit-il ? Il sort embaucher
des ouvriers, il en embauche plusieurs et se met d’accord avec eux sur un salaire. Plus tard
dans la journée, il ressort quatre fois, repère les ouvriers restés sans travail, les embauche et
cette fois, leur promet « ce qui est juste » (20,4), sans plus de précision.
Le soir, il demande à son intendant de commencer par payer les derniers arrivés. Sans doute
pour que les premiers voient ce que reçoivent ces derniers. Nous avons là un indice que le
deuxième point d’attention de cette parabole porte sur la réaction des premiers embauchés.
Or, stupéfaction tant pour les personnages du récit que pour les auditeurs de Jésus et souvent
pour nous-mêmes : les derniers reçoivent le même salaire que les premiers ! Le Royaume des
cieux est comme un maître de maison qui donne le même salaire à chacun, quel que soit son
heure d’arrivée… Il s’agit d’une belle mise en récit de ce qu’est la miséricorde de Dieu, qui va
jusqu’à dépasser notre conception de la justice, sans pour cela être injuste : les premiers ne
reçoivent-ils pas ce qui a été convenu d’un commun accord ? En principe, personne n’est lésé,
puisque ce qui est donné aux derniers arrivés est pris sur les biens du maître et non sur leur
salaire.
Alors pourquoi est-ce si difficile à accepter pour les premiers ouvriers ? Sans doute parce que
selon leur conception de la rétribution, le salaire doit être proportionnel à l’effort fourni. Mais
qui sont-ils pour juger véritablement de l’effort de leurs collègues, restés tout le jour à
attendre dans l’angoisse de ne pouvoir trouver du travail pour subvenir aux besoins de leur
famille? Qui sont-ils pour remettre en cause la manière dont le maître dispose de ses biens ?
Au cœur de leur réaction se loge finalement la jalousie, la mesquinerie qui nous pousse à
enfermer la miséricorde et la justice de Dieu dans nos catégories humaines. Or, la miséricorde
de Dieu dépasse, précisément nos catégories humaines, et notamment notre conception de
la justice. C’est sans doute pour cela qu’elle est si souvent difficile à accepter et à mettre en
œuvre… et qu’il est bon de lui consacrer une année comme a choisi de le faire le pape
François. Car sans la miséricorde, comment comprendre le Royaume des cieux ?
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Les mots pour dire la miséricorde
1. « Miséricorde ». Etymologie et définition
Le mot miséricorde n’est pas un mot très utilisé dans la langue française. Il vient du latin
misericordia qui signifie littéralement « avoir son cœur (cor) auprès des pauvres (miseri).
Selon le dictionnaire Larousse de 1999 :
1. Pitié qui pousse à pardonner à un coupable, à faire grâce à un vaincu ; pardon accordé
par pure bonté.
2. Sorte de console placée sous le siège relevable d’une stalle d’église et servant, quand
ce siège est relevé, à s’appuyer tout en ayant l’air d’être débout.
Interjection : marque la surprise accompagnée de regret, de peine ou de dépit, l’effroi,
etc.
On trouve, en plus, sur Wikipedia2, la définition suivante : « La miséricorde est une sorte de
dague ou poignard à lame mince, à deux tranchants ou à section carrée. Il est question de
cette arme dès le XIIIe siècle (…) Selon certains, cette arme fut nommée ainsi parce qu’elle
obligeait l’un des combattants à crier ‘‘miséricorde !’’ lorsqu’il l’avait sur la gorge. Selon
d’autres sources, ce nom viendrait du fait que l’on utilisait cette arme blanche pour porter le
coup de grâce aux blessés non soignables sur le champ de bataille ».
A ce qui précède, le Centre national de ressources textuelles et lexicales ajoute encore les sens
suivants3 :
1. Compassion pour la misère d’autrui.
2. Générosité entrainant le pardon, l’indulgence pour un coupable, un vaincu.
3. Dans le domaine religieux : bonté par laquelle Dieu fait grâce aux hommes.
Donc la miséricorde connote la pitié, le pardon et la compassion, mais évoque aussi la bonté
d’un Dieu qui fait grâce.
2. « Miséricorde » dans la bible hébraïque
En hébreu, le mot miséricorde correspond à plusieurs mots et expressions.
2.1. Raḥam (mxr), « avoir des entrailles de mère »
D’abord, le verbe raḥam (mxr), qui signifie littéralement « avoir des entrailles de mère »,
puisqu’à partir de la même racine on forme le substantif reḥem (~x,r,) qui signifie « matrice »,
« uterus ». Raḥam évoque donc plutôt un sentiment maternel, ce qu’une mère ressent pour
ses enfants, et, par extension, un père. On le traduit souvent par « avoir compassion », « faire
miséricorde ». Il s’emploie souvent avec Dieu pour sujet qui a compassion de son peuple4.
2 Consulté le 11/09/15, 3 www.cnrl.fr (consulté le 11/09/15) 4 Au piel.
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Ainsi, en Ex 33,19, après l’épisode du veau d’or, Dieu se révèle par ces mots à Moïse5 : « Je
ferai passer sur toi tous mes bienfaits et je proclamerai devant toi le nom de ‘‘SEIGNEUR’’ ;
j’accorde ma bienveillance à qui je l’accorde, je fais miséricorde à qui je fais miséricorde ».
Mais ce verbe raḥam est aussi traduit par « aimer »6 et peut impliquer la tendresse. Ainsi en
Ps 103 (102),13-147 : « Comme un père est tendre pour ses enfants, le SEIGNEUR est tendre
pour ceux qui le craignent. Il sait bien de quelle pâte nous sommes faits, il se souvient que
nous sommes poussières ». Et Ps 18 (17),2 : «Il (David) dit : ‘‘Je t’aime, SEIGNEUR, ma force’’ ».
Pour parler de compassion et de miséricorde, on trouve aussi le mot raḥamîm qui est un
pluriel de reḥem (matrice, utérus)8, mais peut s’appliquer aussi à un homme, au sens
« d’entrailles », puis de « pitié », « compassion ». Il se dit le plus souvent de Dieu, comme en
Ps 77 (76), 10 : « Dieu a-t-il oublié de faire grâce ? De colère, a-t-il fermé son cœur ? ». Le
verbe raḥam et le substantif raḥamîm sont souvent associés, comme dans l’oracle de Jr 42,12 :
« Je vous fais prendre en pitié (raḥamîm) : vous prenant en pitié (raḥam), il (le roi de Babylone)
vous laissera sur votre terre ».
2.2. Ḥesed (ds,x,), «amabilité, bienveillance », « grâce de Dieu et miséricorde »,
« fidélité »
Le mot « miséricorde » peut aussi être rendu par l’hébreu ḥesed (ds,x,), qui signifie à la fois
«amabilité, bienveillance », « grâce de Dieu et miséricorde », mais aussi « fidélité », en
particulier dans le cadre d’une alliance. ḥesed et raḥamîm sont parfois associés pour exprimer
la miséricorde de Dieu, comme en Is 63,79 : « Je rappellerai les bienfaits (ḥesed) du SEIGNEUR,
les louanges célébrant le SEIGNEUR, selon tout ce que le SEIGNEUR a mis en œuvre pour nous,
oui, sa grande bonté pour la maison d’Israël, qu’il a mise en œuvre pour eux selon sa tendresse
(raḥamîm), prodigue en bienfaits (ḥesed).
Toujours après l’épisode du veau d’or, Dieu accepte de restaurer l’alliance rompue avec les
fils d’Israël. Dans ce cadre, il se manifeste à Moïse par ces mots qui donne une sorte d’auto-
présentation de lui-même: «Le SEIGNEUR passa devant lui et proclama : ‘‘Le SEIGNEUR, le
SEIGNEUR, Dieu miséricordieux (raḥum) et bienveillant (ḥanun), lent à la colère, plein de fidélité
(hesed) et de loyauté’’ » (Ex 34,6).
3. Miséricorde dans la Septante et le Nouveau Testament
Dans la LXX et le Nouveau Testament, plusieurs mots et verbes expriment la notion de
miséricorde.
5 Voir aussi Dt 13,18 ; 30,3 ; Is 9,16 ; 30,18 ; 2 R 13,23, etc. 6 Dans ce cas, au qal. 7 Voir aussi Is 49,15 ; 50,4 (à propos d’une mère pour son enfant) ; 55,7, etc. 8 Cf. 1 R 8,50. 9 Voir aussi Jr 16,5 ; Lm 3,32 ; Ps 51,3.
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3.1. Splanchna (spla;gcna), « entrailles »
Ainsi, comme dans l’AT, les entrailles (splanchna ; spla;gcna) représentent aussi la
miséricorde qui vient du cœur. Ainsi en est-il dans le cantique de Zacharie, au début de
l’évangile de Luc :
« C’est l’effet de la bonté profonde de notre Dieu : grâce à elle nous a visité l’astre levant venu
d’en haut » (Lc 1,78). Ce que la TOB traduit par « bonté profonde » pourrait être traduit plus
littéralement par « entrailles de miséricorde » (splanchna eleous).
Paul exhorte les Colossiens en ces termes : « Puisque vous êtes élus, sanctifiés, aimés par Dieu,
revêtez donc des sentiments de compassion (splanchna oiktirmou), de bienveillance,
d’humilité, de douceur, de patience ». (Col 3,12).
3.2. Oiktirmos (oijktirmov"), « miséricorde », « compassion », « bienveillance »
On trouve aussi, on le voit, le mot oiktirmos (oijktirmov") qui exprime l’émotion, la douleur, la
compassion et la bienveillance :
« Ne dis pas: ‘‘Sa miséricorde (oiktirmos) est grande, il me pardonnera la multitude de mes
péchés’’, car la pitié (eleos) comme la colère lui appartiennent et sur les pécheurs s'abattra
son courroux » (Sir 5,6).
« Je vous exhorte donc, frères, par la compassion (oiktirmôn) de Dieu, à offrir vos corps en
sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu ; c’est le véritable culte venant de vous » (Rm 12,1).
3.3. Eleos (ejleo") ou ileôs, « pitié », « miséricorde », « grâce », « bonté »
Le mot eleos (ejleo") ou un mot proche ileôs, qui évoque la pitié, la miséricorde traduit souvent
l’hébreu ḥesed, mais aussi le mot ḥen qui signifie « grâce ». Il peut également signifier
« bonté ».
« Ayant appris cela, Jérémie les blâma en leur disant : ‘‘Ce lieu restera inconnu jusqu’à ce que
Dieu ait accompli le rassemblement de son peuple et lui ait manifesté sa miséricorde (ileôs) »
(2 Mac 2,7).
C’est l’expression que l’on trouve dans le Magnificat : « Sa bonté (eleos) s’étend de génération
en génération sur ceux qui le craignent. (…) Il est venu en aide à Israël son serviteur en souvenir
de sa bonté (eleos) » (Lc 1,50.54).
Le verbe eleeô (ejlevw), de la même racine, est souvent traduit par « avoir pitié de » ou « faire
miséricorde ». Ainsi en est-il dans les Béatitudes selon Matthieu : « Heureux les
miséricordieux (eleêmones), car eux ils auront miséricorde (eleêthêsontai) » (Mt 5,7).
De la même famille, on trouve le substantif eleêmosunê (ejlehmosunh) qui exprime la pitié, la
compassion, mais aussi, dans la LXX et le NT, le don charitable et l’aumône.
On le voit, quand on parle de miséricorde, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament,
c’est souvent de Dieu qu’il s’agit. La miséricorde à laquelle est appelé le croyant prend ainsi
modèle sur la miséricorde divine. Jésus lui-même, après le discours des béatitudes, exhorte
ses auditeurs en ces termes : « Soyez miséricordieux (oiktirmones) comme votre Père est
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miséricordieux » (Lc 6,36). Cette injonction prolonge les béatitudes, les enracine en Dieu et en
sa miséricorde. Et Jésus poursuit, comme pour donner des indications concrètes sur ce qu’est
être miséricordieux : « Ne vous posez pas en juges et vous ne serez pas jugés, ne condamnez
pas et vous ne serez pas condamnés, acquittez et vous serez acquittés. Donnez et on vous
donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante qu’on vous versera dans le
pas de votre vêtement, car c’est la mesure dont vous vous servez qui servira aussi de mesure
pour vous » (Lc 6,37-38).
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Le Dieu de miséricorde qui se révèle dans
l’Ancien Testament
Au-delà de la question du vocabulaire, il faut être conscient que la réalité de la miséricorde,
en particulier la miséricorde de Dieu, dépasse largement les passages où les différents mots
que nous avons évoqués sont employés. Autrement dit, la miséricorde de Dieu en œuvre se
laisse appréhender tout au long de l’Ancien Testament, même quand le mot n’est pas
employé. Evoquer de manière exhaustive la miséricorde de Dieu dans la première partie de la
Bible demanderait l’espace d’un livre entier ! C’est pourquoi je m’arrêterai plutôt sur quelques
exemples fondamentaux mettant en œuvre cette miséricorde.
1. Un Dieu juste et miséricordieux
Le Dieu qui apparait dans l’AT n’est pas toujours réputé miséricordieux. Souvent, même, les
chrétiens opposent le Dieu juge de l’AT au Dieu d’amour de Jésus. Mais souvent aussi, nous
ne connaissons pas bien l’AT et les richesses qu’il recèle et nous oublions que le Dieu que nous
révèle Jésus Christ n’est pas différent de celui qui s’est révélé peu à peu tout au long de
l’histoire du peuple d’Israël. L’AT raconte cette révélation progressive de Dieu à un peuple qui
va apprendre à connaître peu à peu ce Dieu qui fait alliance avec lui.
Il est donc important de se souvenir que l’image de Dieu a évolué au cours de l’histoire du
peuple d’Israël. Dans un premier temps, Israël comprend son Dieu à la manière des peuples
qui l’entourent : il a les attributs d’un souverain ancien, tout-puissant, peu miséricordieux et
parfois capricieux. Cette image a évolué peu à peu, avec la découverte progressive de la
justice de Dieu, puis de la justice et de la miséricorde de Dieu.
En effet, dans l’AT, un des attributs fondamentaux de Dieu est la justice : Dieu crée et
gouverne un monde harmonieux régit par sa justice, qui s’exprime à la fois dans les lois de la
nature qui gouvernent l’univers et dans la Loi, la Torah, donnée à Israël. Puisque Dieu
gouverne l’univers et qu’il est un Dieu juste, tout ce qui arrive est considéré comme le fruit de
ses justes décisions. C’est ainsi que l’exil à Babylone est relu comme un châtiment de Dieu en
raison des infidélités récurrentes des rois de Juda et du peuple à leur suite. C’est du moins
l’interprétation qui en est donnée à la fin du livre des Rois.
Il faudra du temps pour que l’image de Dieu des Israélites évolue et qu’ils découvrent, d’une
part, l’importance de la responsabilité humaine dans le cours des événements, et, d’autre
part, la miséricorde de Dieu. Dieu n’est pas responsable de tout ce qui arrive et il est un Dieu
qui fait miséricorde.
Peu à peu, en effet, la conception que l’on avait de la justice de Dieu et de l’univers qu’il
gouverne est mise à mal. Qu’en est-il de la justice de Dieu quand l’innocent souffre et le
méchant prospère diront Job et Qohéleth ? A leurs questions, la Bible ne donne pas de
réponse : elle nous confronte au mystère de la souffrance du juste, du malheur de l’innocent,
tout en maintenant quand même la justice de Dieu. Il faut alors reconnaître, comme Job, que
cette justice échappe bien souvent à notre compréhension. Reste alors l’espérance en la
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miséricorde de Dieu qui finit par venir au secours du juste. C’est la leçon du livre de Job, mais
aussi des livres tardifs de l’AT tels Tobit ou Judith : le croyant sait qu’il ne peut comprendre
tous les projets de Dieu, ses desseins le dépasse ; mais il sait qu’il peut compter sur sa
miséricorde et sa justice. Quant au livre de la Sagesse, probablement le dernier écrit de l’AT,
il projette cette espérance au-delà de la mort, dans la vie éternelle promise au juste.
Cette évolution n’est pas présentée dans l’AT de manière chronologique, puisque les textes
de l’AT ne sont pas classés en fonction de leur date de rédaction, mais plutôt en fonction de
leur contenu (Pentateuque, livres historiques, livres poétiques et sapientiaux et livres
prophétiques) et sont, de plus, le fruit d’une longue élaboration progressive qui s’échelonne
sur plusieurs siècles. Nous pouvons donc rencontrer à différents endroits de la bible, et même,
parfois, à l’intérieur d’un même livre biblique, des textes reflétant des stades très contrastés
de l’évolution de la théologie d’Israël. De plus, chaque livre biblique possède sa propre
compréhension de Dieu, en dépendance plus ou moins grande de l’époque à laquelle il a été
écrit. Ainsi, le livre d’Osée, un des prophètes les plus anciens (VIIIe siècle av. J.-C.) contient
parmi les pages les plus belles pour dire la tendresse et la miséricorde de Dieu.
2. La miséricorde de Dieu au cœur du Pentateuque
Le Pentateuque regroupe les cinq premiers livres de la Bible : Genèse, Exode, Lévitique,
Nombres et Deutéronome. Ensemble, ces cinq livres constituent la première partie de la Bible,
qu’on appelle aussi la Torah, ce que l’on traduit souvent par la Loi10 mais évoque surtout un
enseignement. De fait, le Pentateuque constitue en quelque sorte le fondement, le cœur de
l’Ancien Testament, ce que tout lecteur de la Bible doit avoir impérativement lu pour
comprendre la suite.
Le Pentateuque a été élaboré progressivement, pendant plusieurs siècles, plus ou moins entre
le Xe et le Ve siècle av. J.-C. Toutefois, dans sa forme finale, tel qu’il se présente aujourd’hui, il
est organisé selon une structure très étudiée qui contient un message théologique essentiel11.
Genèse Deutéronome
Gn 12,7 : première promesse Dt 34,4 : dernière promesse
Gn 49 : bénédiction de Jacob Dt 33 : bénédiction de Moïse
Exode Nombres
Egypte – désert – Sinaï Sinaï – désert – Moab
Ex 12 : Pâque Nb 9 : Pâque
Ex 15 – 17 : murmures Nb 11 – 20 : murmures
Ex 25 – 40 : le sanctuaire Nb 1 – 9 : le camp
Lévitique
Lv 1 – 15 : Sacrifices et prescriptions
Lv 16 : Le rituel du Grand Pardon
Lv 17 – 26 : Prescriptions et sacrifices
10 Le Nouveau Testament évoque à plusieurs reprises la Loi de Moïse ou la Loi et les Prophètes. 11 Thomas RÖMER, Jean-Daniel MACCHI et Christophe NIHAN (éd.), Introduction à l’Ancien Testament, Genève,
Labor et Fides, 2004, p. 65.
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Le livre du Lévitique est mis clairement au centre, avec le rituel du Grand Pardon : au cœur du
don de la Loi, Dieu prévoit déjà la transgression possible et le pardon. La Genèse et le
Deutéronome sont situés en parallèle comme un cadre extérieur au Pentateuque. La Genèse
raconte l’histoire des origines du monde et celle des patriarches tandis que le Deutéronome
se présente comme une suite de discours de Moïse au moment où les Israélites vont entrer
en terre promise. Cependant, ces récits, forts différents à première vue, contiennent dans leur
avant-dernier chapitre une bénédiction sur les douze fils/tribus d’Israël (Gn 49 ; Dt 33). Cette
bénédiction est donnée par les deux principales figures qui définissent l’identité d’Israël, Jacob
et Moïse, et qui meurent immédiatement après. Enfin, le discours de YHWH à Moïse en Dt
34,4 est une citation littérale de la première promesse faite par Dieu à Abraham en Gn 12,7.
L’Exode et les Nombres sont aussi mis en parallèle. L’itinéraire de Nb présente la trajectoire
inverse de celui de l’Ex et les deux livres contiennent plusieurs récits et thèmes parallèles.
Notamment, le thème du mécontentement (des « murmures ») du peuple dans le désert.
Mais en Exode, les murmures n’entraînent aucune sanction de la part du Seigneur, tandis que
ce sera le cas dans les Nombres. Entre les deux épisodes de « murmures » se situe le don de
la Loi au Sinaï (Ex 19 – Nb 10). En Nb, le mécontentement du peuple devient synonyme de
non-respect de l’alliance et de la Loi.
Au centre se trouve le Lévitique et en particulier Lv 16 qui décrit la célébration du Grand
Pardon (ha kippourim), pour les fautes dont on n’aurait pas demandé réparation durant
l’année. Ainsi, au cœur même du don de la Loi, Dieu prend en compte la faiblesse humaine :
il prévoit la transgression et l’oubli et la possibilité, toujours existante, d’obtenir le pardon
pour celui qui le désire avec sincérité. Ainsi, au cœur de la Torah, de la Loi de Moïse, au centre
du Lévitique, le livre par excellence consacré au rituel, se trouve la miséricorde de Dieu qui,
précisément, dépasse tous les rituels.
3. Le Dieu de miséricorde des prophètes
Le Dieu qu’annoncent les prophètes est avant tout juste et miséricordieux. Juste, car à travers
les oracles prophétiques, Dieu proclame que l’injustice, l’iniquité ne sont pas tolérables et ne
peuvent pas demeurer impunis. Ainsi, parlant au nom de Dieu et de la fidélité à l’alliance, les
prophètes dénoncent souvent l’injustice, l’oppression du pauvre par le riche, l’hypocrisie, les
malversations et la corruption.
On pourrait dire, en général, que le principe qui guide les prophètes dans leur prise de position
est la défense des droits de Dieu et des droits des humains, ces deux réalités étant
intrinsèquement liées. Le prophète Michée résume parfaitement cela :
« Avec quoi me présenter devant le Seigneur, m’incliner devant le Dieu de là-haut ? Me
présenterai-je devant lui avec des holocaustes ? Avec des veaux d’un an ? Le Seigneur voudra-
t-il des milliers de béliers ? Des quantités de torrents d’huile ? Donnerai-je mon premier-né
pour prix de ma révolte ? Et l’enfant de ma chair pour mon propre péché ? » (6,6-7). Le fidèle
qui est mis en scène dans l’oracle est enfermé dans une relation mercantile avec un Dieu a
priori hostile et dont les faveurs se monnaient. Pour rendre ce Dieu favorable, il doit lui offrir
ce qu’il a de meilleur : plus il donnera au Dieu, plus celui-ci le comblera de bienfait et, le cas
échéant, lui pardonnera son péché. Cette logique est mortifère : elle conduit le fidèle à
sacrifier son propre enfant – qui représente à la fois l’avenir et une vie innocente – pour
obtenir le pardon de son péché. Le prophète Michée s’élève contre une telle conception de
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Dieu. Avant tout acte cultuel, ce qui plait à Dieu est la justice, le respect du droit ainsi que la
bonté et la fidélité, toutes choses qui permettent la proximité avec Dieu :
« On t’a fait savoir, homme12, ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre
que d’accomplir la justice (mishpat ; jP'v.mi) d’aimer la bonté (ḥesed ; ds,x,ê) et de marcher
humblement avec ton Dieu ». (6,6-8)
Pour les prophètes, il ne peut y avoir de relation juste à Dieu sans qu’il n’y ait une relation
juste et bonne, ou miséricordieuse, au prochain, au frère. On peut même aller plus loin et
affirmer que, pour les prophètes, l’éthique, et donc, ici, l’attitude envers le prochain, est le
lieu par excellence d’application et de vérification de la foi. En cela, le peuple d’Israël se
montre d’ailleurs novateur par rapport aux peuples qui l’entourent et pour lesquels la relation
aux dieux se vivait presque exclusivement à travers la médiation du culte. Honorer les dieux
cananéens, égyptiens ou mésopotamiens signifiait presque exclusivement leur rendre
scrupuleusement le culte prescrit. Honorer le Dieu d’Israël se fait aussi à travers le culte,
certes, mais aussi, et au moins à égale importance, dans l’attitude que l’on adopte vis-à-vis du
prochain. Or, cette attitude implique justice et miséricorde, de la même manière que Dieu est
juste et miséricordieux. Mais, dès la création que décrit le premier chapitre de la Genèse,
l’humain n’est-il pas créé à l’image de Dieu ?
Tout au long de l’histoire d’Israël, les prophètes se sont faits les porte-parole de ce Dieu juste
et miséricordieux : Dieu est juste et demande que son peuple ait un comportement juste ;
mais c’est aussi un Dieu qui pardonne. Aussi lourde que doit la faute, le pardon est toujours
possible. Ces deux aspects sont très présents dans les textes prophétiques et il est important
de s’en souvenir. Ainsi, si Dieu menace son peuple de très durs châtiments, il ne faut pas
oublier que ce qui est recherché, c’est avant tout la conversion de ce peuple. Ainsi le montre,
par exemple, le livre de Jonas dans lequel Dieu pardonne aux Ninivites suite à leur repentir et
renonce à détruire la ville.
Dans la suite de cet exposé, je me centrerai sur deux prophètes particulièrement
représentatifs de la miséricorde de Dieu, chacun à leur manière : Osée et Jonas.
3.1. Osée
Osée exerce son activité prophétique au VIIIe siècle dans le royaume d’Israël. Dans l’ensemble,
le livre dénonce avant tout l’infidélité d’Israël qui court après les Baals comme après les
alliances compromettantes avec les nations étrangères. A cause de cela, Osée annonce
l’anéantissement du peuple, puis, en final, son salut, à cause de l’amour infini que Dieu
éprouve pour Israël. C’est pourquoi Osée est parfois appelé « le prophète de l’amour de
Dieu ». La relation entre Dieu et son peuple est exprimée en particulier à partir de deux
métaphores : YHWH y est décrit tantôt comme le père, tantôt comme le mari d’Israël. C’est
même la première fois qu’apparaît l’allégorie de la femme au cœur fidèle ou infidèle pour
symboliser Israël qui se refuse ou se donne à son Dieu. Cette allégorie sera maintes fois reprise
dans la littérature biblique.
Osée utilise de nombreuses images pour décrire l’attitude du peuple, mais aussi celle de Dieu.
Ces images relève du monde des relations humaines (père/fils, mari/femme) ou du monde
12 Au sens de « humain » (~d"Þa').
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animal ou végétal (colombe, vigne, etc.). Ainsi Dieu est-il présenté comme père et comme
époux :
« Quand Israël était jeune, je l’aimais, et d’Egypte j’appelai mon fils. Mais plus je les appelais,
plus ils s’écartaient de moi ; aux Baals ils sacrifiaient, aux idoles ils brûlaient de l’encens. Et moi
j’avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par le bras, et ils n’ont pas compris que je
prenais soin d’eux ! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour ; j’étais
pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui
et le faisait manger » (11,1-4).
L’enjeu de la prédication d’Osée est d’abord de démontrer à ses auditeurs qu’ils ne
connaissent pas véritablement qui est Dieu : YHWH, Dieu d’Israël, est bien différent d’un Baal
à qui il suffit de rentre un culte adéquat pour se mettre en règle. Le prophète renvoie alors
ses auditeurs à l’Alliance afin de les faire réfléchir à partir de cette histoire connue. Son but
est de susciter la conversion de ses auditeurs. Il se sert de l’image du père et de l’époux pour
faire découvrir la miséricorde et la tendresse de Dieu.
Le récit de son mariage avec la prostituée Gomer met également en scène le dilemme aigu qui
partage Israël entre le Dieu de l’Alliance et la religion cananéenne des Baals. Pour la religion
cananéenne, la fécondité vient du mariage de Baal avec la terre. A ce mythe fait écho le rite
de l’union sacrée par laquelle on vient s’unir dans les temples aux prostituées sacrées. En
épousant l’une d’entre elles, Osée tente de montrer en quoi l’amour humain est signe de Dieu.
Comme l’amour de Dieu est gratuit, tel sera aussi celui d’Osée : son épouse n’est pas choisie
pour son mérite, mais pour elle-même. Et cet amour est indéfectible. C’est un amour du même
type qui pousse Osée vers Gomer et Dieu vers Israël.
De même qu’Osée ne connaît, avec son épouse, que des déboires, il commente les grands
moments de l’histoire d’Israël et montre qu’ils furent tous des temps de refus. Mais cela n’a
entamé en rien la fidélité du Seigneur qui continue à accompagner Israël à travers les
péripéties de son histoire. Peut-être rencontrera-t-il enfin un cœur ouvert qui sache répondre
à sa miséricorde ?
3.2. Jonas
Contrairement aux autres livres prophétiques, le livre de Jonas n’est pas une collection
d’oracles d’un prophète qui aurait réellement vécu. Il s’agit au contraire d’un récit de fiction,
truffé d’hyperboles, écrit en prose, au service d’un message, et relativement tardif puisqu’il
est postérieur à l’exil à Babylone, donc au Ve siècle av. J.-C.13.
Plan et contenu du livre
La plupart des exégètes s’accordent pour diviser le livre de Jonas en deux parties,
correspondant à un changement spatial : les chap. 1 – 2 se déroulent sur la mer, à l’ouest,
13 Il s’agit d’un écrit tardif dont la date de rédaction est difficile à déterminer avec certitude, car il ne comporte
aucun repère chronologique et aucune mention d’un événement historique réel. De ce fait, les avis divergent et
les commentateurs situent la rédaction de Jonas entre le 5ème et le 3ème siècle, soit, après le retour d’exil et avant
le 2ème siècle puisqu’il est connu de l’auteur du Siracide (49,10).
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12
tandis que les chap. 3 – 4 se situent sur terre, à l’est. D’où le plan suivant, relativement
classique14 :
I. Première partie (ch. 1 – 2)
1,1-2 Ordre de YHWH à Jonas. Jonas doit aller à Ninive, annoncer la destruction de la
ville
1,3 – 2,11 Sur mer, à l’ouest
1,3-16 Désobéissance de Jonas, fuite sur la mer. Tempête et prière des matelots, qui
reconnaissent la souveraineté de YHWH sur les éléments, et jettent Jonas à la
mer pour apaiser la colère divine
2,1-11 PSAUME de Jonas dans le ventre du poisson
II. Deuxième partie (ch. 3 – 4)
3,1-2 Répétition de l’ordre de YHWH à Jonas
3,3 – 4,11 Sur terre, à l’est
3,3-10 Obéissance de Jonas, qui se rend à Ninive et annonce le jugement sur la ville.
Repentir des Ninivites, qui reconnaissent la souveraineté de YHWH sur la ville.
YHWH renonce à détruire la ville.
4,1-4 COMPLAINTE de Jonas, qui reproche à YHWH d’avoir changé d’avis au sujet de
Ninive
4,5-11 Conclusion à l’ensemble du livre : dialogue final entre Jonas et Dieu.
Thèmes et enjeux
Il est question d’un prophète du nom de Jonas 2 R 14,25. Mais il s’agit d’un prophète
nationaliste du VIIIe siècle qui prédit la victoire des Israélites sur les Araméens de Damas. Il n’a
pas grand-chose en commun avec le héros/anti-héros du récit. Ce nom étant peu employé, il
est possible qu’il le soit ici avec ironie.
Cela, d’autant plus que Jonas signifie « colombe » en hébreu, animal souvent associé au retour
à la paix dans le récit du déluge, à la beauté dans le Cantique des Cantiques et même à l’Esprit
Saint dans le Nouveau Testament (récit du baptême de Jésus en Mt 3,16 ; Mc 1,10 ; Lc 3,22 ;
Jn 1,32). En Os 7,11, la colombe est également considérée comme un animal stupide :
« Ephraïm est une colombe naïve, sans cervelle » ; mais il s’agit du seul emploi péjoratif du
nom.
Quoi qu’il en soit, Jonas fonctionne ici comme une caricature de prophète et le livre est truffé
d’hyperboles, d’exagérations et de détails absurdes : Si Dieu a compassion de Ninive, le
prophète, lui, veut fuir sa mission et part jusqu’aux extrémités de la terre (Tarsis) alors qu’il
reconnaît, plus tard, qu’il sait que son Dieu a fait la mer et la terre. Tout au long du récit, les
païens se montrent bien plus disponibles à la conversion que Jonas, et font ce qui est juste aux
yeux de Dieu sans même interroger le prophète. Ce dernier, même à la fin du récit, se
préoccupe davantage de sa tête que de la grande ville et de tous ses habitants.
14 E. A. KNAUF, Jonas, dans T. RÖMER, Introduction à l’Ancien Testament, p. 422.
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Ce prophète caricaturale a sans doute, en partie, été créé en réaction aux prophètes qui
comme Nahoum, Abdias et d’autres, annonçaient avec joie la destruction des nations. En
contraste, Jonas met en récit leur conversion et l’accueil de Dieu de cette conversion à travers
le retournement de Ninive, grande nation païenne par excellence.
Mais à l’époque à laquelle le livre de Jonas a été écrit, Ninive a été détruite (612). Est-ce à dire
que l’auteur du livre et son audience l’ignoraient ? Certainement pas. Alors, qu’en est-il
advenu de la conversion de Ninive et du pardon de Dieu ? Poser la question revient à oublier
qu’il s’agit d’un récit de fiction qui raconte ce qui n’est jamais advenu. Pourtant, nous dit le
livre de Jonas, Dieu aurait pu pardonner, même à Ninive, si Ninive s’était convertie. De la
même manière que Samarie et Jérusalem auraient pu probablement éviter la destruction si
elles avaient écouté les prophètes et s’étaient converties. Le livre de Jonas s’adresse au lecteur
de tout temps : est-il prêt à recevoir la miséricorde de Dieu et à agir en conséquence, comme
l’ont fait les Ninivites du récit ? Est-il prêt à être l’artisan de la conversion des nations
pécheresses ? Est-il prêt à rendre grâce, avec Dieu pour la conversion des pécheurs, même s’il
s’agit de ses ennemis ?
La réponse revient au lecteur, à chaque génération, pour chaque individu. C’est sans
doute pour cette raison que, comme la parabole du fils prodigue qui traite d’ailleurs aussi de
la thématique de la miséricorde de Dieu pour le pécheur et de la difficulté de l’accepter pour
celui qui se croit juste, le livre de Jonas a une fin ouverte : à l’interpellation de Dieu, on ne
raconte pas quelle sera finalement la réaction de Jonas. A chacun de l’inventer !
Le livre de Jonas est lu lors de la fête du Yom Kippour, une des plus importantes du
judaïsme. Elle est célébrée par un jeûne d’environ 24h, par le respect des prescriptions du
Sabbat et l’assistance à plusieurs offices à la synagogue. On y lit Lv 16, Lv 18 et Jonas. Il est de
coutume de résoudre conflits et disputes la veille de ce jour car si la célébration permet
d’obtenir le pardon pour les fautes commises envers Dieu, les fautes commises envers le
prochain nécessitent d’obtenir le pardon de celui-ci.
Cela donne une indication sur comment doit être lu le livre de Jonas ; il s’agit d’un livre
qui parle du pardon : pardon à donner, à recevoir, à accepter. Cet aspect est particulièrement
marquant dans le livre car celui qui se trouve en difficulté par rapport à ce pardon, ce n’est
pas la grande ville pécheresse, mais c’est Jonas, le prophète choisi par Dieu et qui sans doute
symbolise Israël …
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Luc 15 : les paraboles de la miséricorde
Luc 15,1-32
1Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de lui pour l’écouter. 2Et les
Pharisiens et les scribes murmuraient ; ils disaient : « Cet homme-là fait bon accueil aux
pécheurs et mange avec eux ! »
Parabole de la brebis retrouvée
3Alors il leur dit cette parabole : 4« Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et qu’il en perde une,
ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle
qui est perdue jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée ? 5Et quand il l’a retrouvée, il la charge tout
joyeux sur ses épaules, 6et, de retour à la maison, il réunit ses amis et ses voisins, et leur dit :
“Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue !” 7Je vous le
déclare, c’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus
que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.
Parabole de la pièce retrouvée
8« Ou encore, quelle femme, si elle a dix pièces d’argent et qu’elle en perde une, n’allume pas
une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? 9Et
quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines, et leur dit : “Réjouissez-vous
avec moi, car je l’ai retrouvée, la pièce que j’avais perdue !” 10C’est ainsi, je vous le déclare,
qu’il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
Parabole du fils retrouvé
11Il dit encore : « Un homme avait deux fils. 12Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi
la part de bien qui doit me revenir.” Et le père leur partagea son avoir. 13Peu de jours après, le
plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une
vie de désordre. 14Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il
commença à se trouver dans l’indigence. 15Il alla se mettre au service d’un des citoyens de ce
pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. 16Il aurait bien voulu se remplir le ventre
des gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait. 17Rentrant alors en
lui-même, il se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi,
ici, je meurs de faim ! 18Je vais aller vers mon père et je lui dirai : Père, j’ai péché envers le ciel
et contre toi. 19Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers.”
20Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié : il
courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. 21Le fils lui dit : “Père, j’ai péché envers le ciel
et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils…” 22Mais le père dit à ses serviteurs :
“Vite, apportez la plus belle robe, et habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales
aux pieds. 23Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24car mon fils que voici était
mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé.”
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« Et ils se mirent à festoyer. 25Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha
de la maison, il entendit de la musique et des danses. 26Appelant un des serviteurs, il lui
demanda ce que c’était. 27Celui-ci lui dit : “C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le
veau gras parce qu’il l’a vu revenir en bonne santé.” 28Alors il se mit en colère et il ne voulait
pas entrer. Son père sortit pour l’en prier ; 29mais il répliqua à son père : “Voilà tant d’années
que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres ; et, à moi, tu n’as jamais donné un
chevreau pour festoyer avec mes amis. 30Mais quand ton fils que voici est arrivé, lui qui a
mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui !” 31Alors le père lui dit : “Mon
enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. 32Mais il fallait festoyer
et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est
retrouvé.” »
Travail en petits groupes de 4 ou 5 personnes
1. Dans quel contexte Jésus prononce-t-il ces trois paraboles ? Regardez dans vos bibles
dans quelle partie de l’évangile de Luc elles se situent.
A qui Jésus s’adresse-t-il ? Cela donne-t-il des indications sur la manière dont ces trois
récits doivent-être lus ?
2. Quels sont les personnages de chacun de ces récits ? Quels sont leurs caractéristiques
principales ? Que font-ils ? N’hésitez pas à noter les verbes.
Comment ressentez-vous chacun de ces personnages ? Empathie, sympathie,
antipathie ? Pour quelles raisons ?
3. Quels sont les mots ou éléments communs aux trois paraboles ? Avec quelles
différences ? Qu’en tirer pour la compréhension de ces récits ?
4. Comment comprendre le personnage du fils aîné, en tenant compte de l’analyse qui
précède ? Que nous dit cette dernière partie du récit sur la miséricorde ?
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La miséricorde dans l’évangile de Luc
Du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016 se déroulera l’année sainte de la miséricorde. Elle
commencera avec la fête de l’Immaculée Conception et se terminera par la solennité du Christ
roi. Les lectures pour les dimanches du temps ordinaire seront tirées de l’évangile de saint
Luc, « l’évangile de la miséricorde ».
1. Présentation d’ensemble
L’œuvre de Luc est un diptyque qui se compose de l’évangile et des Actes des Apôtres. Ils sont
comme les deux tomes d’une même œuvre : chacun commence par une adresse à un certain
« Théophile ». Au début des Actes, l’auteur fait allusion à son premier volume : « J’ai consacré
mon premier livre, ô Théophile, à tout ce que Jésus a fait et enseigné, depuis le commencement
jusqu’au jour où, après avoir donné ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis sous l’action
de l’Esprit Saint, il fut enlevé au ciel. » (Ac 1,1-2).
L’objectif de cette œuvre est avant tout de présenter l’accomplissement et le déploiement de
l’œuvre de salut de Dieu dans le temps de Jésus puis dans le temps de l’Eglise. Pour Luc, le
temps d’Israël, le temps de Jésus et le temps de l’Eglise forment un tout : l’histoire du salut de
Dieu dont Jésus est le centre.
Selon la tradition, Luc serait le médecin dont parlent certaines lettres de Paul (« Vous avez les
salutations de Luc, le cher médecin, et de Démas » Col 4,14 ; Voir aussi Phm 24 et 2 Tm 4,11).
Peu d’informations sont données à son sujet. Il semble s’agir d’un collaborateur de Paul. De
fait, écrit en bon grec, l’ouvrage pourrait avoir été composé pour des communautés de langue
grecque fondées par Paul en Turquie ou en Macédoine dans les années 50. Toutefois, il est
vraisemblablement écrit après 80, ce qui rend difficile l’hypothèse de la tradition.
Contrairement à Mathieu, Luc écrit pour une communauté composée essentiellement de non-
juifs, en dehors d’Israël. En effet, plusieurs indices montrent qu’il connaît peu la région et ses
usages. Une de ses préoccupations va être la suivante : les promesses faites au peuple juif
peuvent-elles s’appliquer aux païens ? Le thème des païens héritiers de la promesse sera
central, dès le début de l’évangile.
Evangile de la tendresse de Dieu, Luc est aussi celui de la joie messianique et de la louange
vers Dieu. Enfin, l’Esprit Saint joue un rôle particulier dans l’œuvre de Luc, dans l’évangile et
plus encore dans les Actes.
Composition de l’Evangile de Luc
- 1-2 : Les récits de l’enfance illustrant la double origine de Jésus.
- 3,1–9,50 : En Galilée, illustration de l’origine divine. Prédication de Jean : baptême,
conversion, rémission des péchés. Dans la puissance de l’Esprit, Jésus prêche, enseigne et
guérit. Il suscite l’opposition des scribes et des pharisiens.
Découvrir le Dieu de miséricorde qui se dévoile dans l’Ecriture | VIALLE Catherine
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- 9,51–19,28 : Voyage de Galilée à Jérusalem. Dialogues, discours, paraboles traitent les
divers aspects de la notion de salut. Il est offert aux pauvres et aux exclus, et promis aux
païens.
- 19,29–24,46 : A Jérusalem, l’accomplissement du salut. L’affrontement final entre Jésus et
les chefs juifs. Il comparait devant le Sanhédrin et le Gouverneur romain. Sa mort et sa
résurrection.
- 24,47-53 : Epilogue. Jésus annonce aux apôtres leur mission : prêcher la conversion et la
rémission des péchés à toutes les nations. Il se sépare d’eux (Ascension).
2. L’évangile de la miséricorde
Luc, tant dans son évangile que dans les Actes des Apôtres, insiste sur les choix surprenants
de Dieu et sur leur proclamation par les disciples. Ainsi, selon Luc, le message de Jésus est
d’abord centré sur les petits, les pauvres et les pécheurs. Jésus est le messager de la
miséricorde de Dieu, comme l’indique la place centrale des paraboles de la miséricorde en Lc
15. Il est présenté comme « l’ami des collecteurs de taxes et des pécheurs » (7,34) ; il inaugure
son ministère en déclarant que Dieu l’a consacré pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres
(Lc 4,18), et proclame qu’il a été envoyé pour les pécheurs et non pour les justes (5,32). Le
thème de la pauvreté et du péché est également essentiel chez Luc, avec, lié, celui du danger
des richesses (voir par ex. le riche et le pauvre Lazare en 16,19-31).
2.1. Les évangiles de l’enfance, un récit programmatique
Les deux premiers chapitres de l’évangile de Luc, appelés les évangiles de l’enfance,
constituent en quelque sorte un prologue à l’ensemble du récit. Comme dans tout prologue,
des éléments essentiels y sont donnés au lecteur pour comprendre la suite. Le ton dominant
est la joie : joie des parents de Jean, joie de Marie, puis des bergers et des anges au moment
de la naissance, et plus tard, d’Anne et Syméon au Temple. La naissance de Jésus, présenté
comme sauveur, est avant tout une bonne nouvelle.
L’avènement du Royaume de Dieu qu’inaugure la naissance de Jésus est une bonne nouvelle
car elle propose un salut présenté avant tout comme l’expression de la miséricorde de Dieu
pour l’humanité. Cette miséricorde de Dieu prend des aspects très concrets, dès le début de
l’évangile. Ainsi, c’est de parents âgés et stériles que naîtra celui qui préparera la venue du
messie15, Jean, dont le nom signifie « Dieu fait grâce ».
La miséricorde de Dieu comporte une dimension politique proclamée dans le Magnificat : « Sa
bonté (miséricorde ; eleos) s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent. Il est
intervenu de toute la force de son bras ; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse ; il a
jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés
de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. Il est venu en aide à Israël son serviteur
en souvenir de sa bonté (miséricorde ; eleos), comme il l’avait dit à nos pères, en faveur
d’Abraham et de sa descendance pour toujours » (1,50-55).
15 Au-delà de toutes les interprétations symboliques extrêmement riches que l’on peut faire des personnages
d’Elizabeth et Zacharie.
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Le salut est présenté avant tout comme le pardon des péchés, décrits comme ténèbres et
ombre de mort dans la prophétie de Zacharie au moment de la naissance de son fils : « Et toi,
petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras par devant sous le
regard du Seigneur, pour préparer ses routes, pour donner à son peuple la connaissance du
salut par le pardon des péchés. C’est l’effet de la bonté (entrailles de miséricorde ; splanchna
eleous) profonde de notre Dieu : grâce à elle nous a visité l’astre levant venu d’en haut. Il est
apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas
sur la route de la paix » (1,76-79).
Jésus, lui-même, nait « dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans
la salle d’hôtes » (2,7), donc, dans une situation de précarité. Les premiers informés de sa
naissance sont des bergers, profession considérée comme marginale à l’époque et dont on se
méfiait.
2.2. Le Règne de Dieu comme guérison des cœurs et des corps
Au début de sa vie publique, la première prédication de Jésus dans une synagogue est
rapportée en ces termes :
16Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la
synagogue, et il se leva pour faire la lecture. 17On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le
déroulant il trouva le passage où il était écrit :
18L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce qu’il m’a conféré l’onction
pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération
et aux aveugles le retour à la vue,
renvoyer les opprimés en liberté, 19proclamer une année d’accueil par le Seigneur.16
20Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés
sur lui. 21Alors il commença à leur dire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous
qui l’entendez. »
Cette citation rend bien compte de ce qu’est le Règne de Dieu inauguré en Jésus Christ : bonne
nouvelle pour les pauvres, libération pour les captifs et les opprimés, guérison pour les
malades et les infirmes.
L’agir de Jésus, durant sa vie publique, manifeste cela puisqu’il est proche des pauvres de
toute sorte, pratique de nombreuses guérisons et libère bon nombre de personnes de démons
qui les oppriment. Ainsi, après la guérison de la belle-mère de Pierre : « Au coucher du soleil,
tous ceux qui avaient des malades de toutes sortes les lui amenèrent ; et lui, imposant les mains
à chacun d’eux, les guérissait. Des démons aussi sortaient d’un grand nombre en criant : ‘‘Tu
es le Fils de Dieu !’’ Alors, leur commandant sévèrement, il ne leur permettait pas de parler,
parce qu’ils savaient qu’il était le Messie ». (4,40).
16 Is 61,1-2.
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Il invite ses disciples à faire de même : « Dans quelque ville que vous entriez et où l’on vous
accueillera, mangez ce qu’on vous offrira. Guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-
leur : ‘‘Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous’’ (10,10).
2.3. « Il a élevé les humbles »
Jésus ne repousse personne : le Royaume de Dieu est ouvert à tous. Pourtant, il montre une
prédilection pour les pauvres, les humbles, dans la droite ligne de ce que l’on trouve chez les
prophètes : « Heureux, vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous » (6,20).
Les humbles sont souvent opprimés, par les puissants, ou simplement par la pauvreté. Or le
Royaume de Dieu est aussi force de libération. Ainsi, Jésus est pris de pitié pour la veuve de
Naïn qui enterre son fils unique et le ressuscite (7,11-17).
Dans l’ensemble, Luc se méfie des richesses qui encombrent le cœur et enferment, et son
évangile est celui qui insiste le plus sur les dangers que représentent celles-ci. Il est ainsi le
seul à rapporter la parabole du riche et du pauvre Lazare. « Mais malheureux, vous les riches :
vous tenez votre consolation » (5,24).
Il invite ses interlocuteurs à accueillir le Royaume de Dieu comme les petits enfants : « 15Des
gens lui amenaient même les bébés pour qu’il les touche. Voyant cela, les disciples les
rabrouaient. 16Mais Jésus fit venir à lui les bébés en disant : ‘‘Laissez les enfants venir à moi ;
ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 17En vérité, je
vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas’’»
(18,15-17).
2.4. L’ami des collecteurs d’impôt et des pécheurs
La venue du Royaume de Dieu est bonne nouvelle pour les pécheurs, ceux qui ont précisément
le plus besoin de la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi Jésus s’adresse à eux de manière
privilégiée, même si cela lui attire les foudres des personnes « bien-pensantes » de l’époque.
Ils mangent avec les prostituées et les collecteurs d’impôts. Il appelle même l’un d’eux à le
suivre : « Après cela, il sortit et vit un collecteur d’impôts du nom de Lévi assis au bureau des
taxes. Il lui dit : ‘‘Suis-moi.’’ Quittant tout, il se leva et se mit à le suivre » (5,27-28). Le riche
notable, pourtant parfait sous tout rapport, ne le suivra pas (18,18-23)…
Cela ne manque pas d’entrainer des critiques : « Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient,
disant à ses disciples : ‘‘Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les collecteurs d’impôts et
les pécheurs ?’’ Jésus prenant la parole leur dit : ‘‘Ce ne sont pas les biens portants qui ont
besoin de médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs
pour qu’ils se convertissent » (5,30-32).
C’est pourquoi Jésus va jusqu’à pardonner les péchés, ce qui est une prérogative divine. Ainsi
lors de l’épisode de la pécheresse pardonnée qui lave les pieds de Jésus, chez Simon le
pharisien : « 44Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : ‘‘Tu vois cette femme ? Je suis entré
dans ta maison : tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de
ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. 45Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis
qu’elle est entrée, elle n’a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers. 46Tu n’as pas répandu
d’huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. 47Si je te
déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup
Découvrir le Dieu de miséricorde qui se dévoile dans l’Ecriture | VIALLE Catherine
20
d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour.’’ 48Il dit à la femme : ‘‘Tes
péchés ont été pardonnés.’’ 49Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : ‘‘Qui est cet homme
qui va jusqu’à pardonner les péchés ?’’ 50Jésus dit à la femme : ‘‘Ta foi t’a sauvée. Va en paix.’’ »
Et après la conversion du collecteur d’impôts Zachée : « Car le Fils de l’homme est venu
chercher et sauver ce qui était perdu » (19,10).
2.5. L’amour des ennemis
La miséricorde de Dieu dont Jésus se fait l’image va jusqu’au don de sa propre vie qu’il annonce
lors du dernier repas : « 19Puis il prit du pain et, après avoir rendu grâce, il le rompit et le leur
donna en disant : ‘‘Ceci est mon corps donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi’’. 20Et
pour la coupe, il fit de même après le repas, en disant : ‘‘Cette coupe est la nouvelle Alliance
en mon sang versé pour vous’’ » (22,19-20).
Jésus vit lui-même l’amour des ennemis jusque sur la croix : « 34Jésus disait : ‘‘Père, pardonne-
leur car ils ne savent pas ce qu’ils font’’. » (23,34).
2.6. « Donnez-leur vous-mêmes à manger »
Tous ceux qui écoutent Jésus sont invités, à sa suite, à faire preuve de la même miséricorde :
« Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre
récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats
et les méchants » (6,35).
Au légiste qui lui demande « Qui est mon prochain ? », Jésus raconte la parabole du Bon
Samaritain (10,25-37). Mon prochain est celui qui a besoin de mon aide et dont je choisis de
me rendre proche. Ainsi l’a fait le Samaritain ; ainsi Jésus demande-t-il à son interlocuteur de
faire.
Et, lors du récit de la multiplication des pains, Jésus adresse cette demande à ses disciples :
« Donnez-leur vous-mêmes à manger » (9,13) et en vue de l’envoi en mission des disciples il
leur donne cette injonction : « Et en toute ville où vous entrez et où l’on vous accueille, mangez
ce qu’on vous sert ; guérissez ses malades et dites aux gens : ‘‘Le Royaume de Dieu est tout
proche de vous’’ » (10,8-9).
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La miséricorde dans le Nouveau Testament
Le sujet étant considérable, nous n’évoquerons que quelques passages et thèmes importants
sans avoir l’ambition d’être exhaustifs, ce qui serait impossibles dans le temps qui nous est
imparti.
1. Dans les autres évangiles
Ce que l’on trouve dans les autres évangiles n’est pas différent de ce que nous pouvons
découvrir chez Luc : à travers sa parole, ses gestes, et toute sa personne, Jésus révèle la
miséricorde de Dieu.
Ainsi, dans l’évangile de Matthieu, lorsque les disciples de Jean viennent voir Jésus pour lui
demander s’il est celui qui doit venir, Jésus résume toute sa vie publique en se référant à Is
61,1 : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds
entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11,5).
Le Royaume de Dieu se fait miséricorde à travers les paroles et les actes de Jésus. Ainsi le
résume le Cardinal Kasper17 : « Il est ému de compassion (saplanchnistheis) lorsqu’il rencontre
le lépreux (Mc 1,41) ou voit la douleur d’une mère qui a perdu son fils unique (Lc 7,13). Il a
pitié des nombreux malades (Mt 14,14), du peuple affamé (Mt 15,32) ou des deux aveugles
qui implorent sa miséricorde (Mt 20,34), des hommes qui sont comme des brebis sans berger
(Mc 6,34). Au tombeau de son ami Lazare il est pris d’émotion et pleure (Jn 11,35.38). Dans le
grand discours sur le jugement dernier il s’identifie aux pauvres, aux affamés, aux malheureux
et aux persécutés (Mt 25,31-46). Par conséquent beaucoup viennent à sa rencontre en criant :
‘‘Seigneur, aie pitié de moi’’ ou ‘‘aie pitié de nous’’ (Mt 9,27 ; Mc 10,47s). Sur la croix il a
pardonné au larron repentant et prié pour ceux qui l’avait crucifié (Lc 23,34-43) ».
La miséricorde de Dieu est révélée de manière définitive à la croix, dans le don que fait Jésus
de sa vie pour le salut de tous.
2. Dans les Epîtres de Paul
2.1. Paul, témoin de la miséricorde de Dieu
La croix est au centre de la prédication de Paul, inséparable de la résurrection, et de la
miséricorde de Dieu manifestée dans sa grâce. C’est le contenu de ce qui lui a été transmis et
de ce qu’il a vécu et dont il témoigne à son tour :
« 1Je vous rappelle, frères, l’Evangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous
restez attachés, 2et par lequel vous serez sauvés si vous le retenez tel que je vous l’ai annoncé ;
autrement, vous auriez cru en vain.
17 Walter KASPER, La Miséricorde. Notion fondamentale de l’Evangile. Clé de la vie chrétienne (Theologia),
Editions des Béatitudes, 2015 (original en allemand en 2012), p. 73.
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3Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même : Christ est mort pour nos
péchés, selon les Ecritures. 4Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les
Ecritures. 5Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. 6Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents
frères à la fois ; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. 7Ensuite, il est
apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.
8En tout dernier lieu, il m’est aussi apparu, à moi l’avorton. 9Car je suis le plus petit des apôtres,
moi qui ne suis pas digne d’être appelé apôtre parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu. 10Mais
ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine. Au
contraire, j’ai travaillé plus qu’eux tous : non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. 11Bref, que ce soit moi, que ce soit eux, voilà ce que nous proclamons et voilà ce que vous avez
cru ». (1 Co 15,1-11)
Paul évoque ce qui lui a été transmis mais renvoie aussi à ce qu’il a vécu, à sa propre
expérience de la miséricorde de Dieu. Celle-ci est relatée à trois reprises dans le livre des Actes
des Apôtres (Ac 9-19 ; 22,5-16 ; 26,9-18). Cette expérience imprègne toute sa pensée, toute
son œuvre.
2.2. La croix comme le signe le plus grand de la miséricorde de Dieu et comme
victoire sur la mort
C’est dans l’épitre aux Romains que Paul développe sa réflexion sur la miséricorde, qu’il
évoque à de nombreuses reprises.
Dans l’hymne au Christ de l’épitre aux Philippiens se trouve la théologie de la croix la plus
complète, présentée comme l’expression ultime de la miséricorde de Dieu :
5Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ :
6lui qui est de condition divine
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. 7Mais il s’est dépouillé,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes,
et, reconnu à son aspect comme un homme, 8il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
à la mort sur une croix. 9C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé
et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, 10afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre, 11et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ,
à la gloire de Dieu le Père.
Ph 2,5-11
Pour Paul, « la justice de Dieu révélée en Jésus-Christ n’est pas une justice qui punit et
condamne, mais qui rend justice ; elle nous justifie devant Dieu, par pure grâce, sans aucun
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mérite de notre part et même malgré nos péchés. Elle nous est accordée non en vertu de nos
bonnes œuvres, mais à cause de notre foi (Rm 1,17 ; 3,21s.28 ; 9,32 ; Ga 2,16 ; 3,11) »18.
Car Dieu est un Dieu de miséricorde et d’amour : « Rien ne peut nous séparer de son amour,
ni la tribulation, ni la détresse, ni la persécution, ni la faim, ni le froid, ni le danger, ni l’épée »
(Rm 8,35).
Libérés, réconciliés avec Dieu, nous devenons une créature nouvelle :
« 17Aussi, si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé,
voici qu’une réalité nouvelle est là. 18Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le
Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. 19Car de toute façon, c’était Dieu qui en
Christ réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des
hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation » (2 Co 5,17-19).
Saint Irénée, dans la 2e moitié du IIe siècle, ira jusqu’à dire que Dieu s’est fait homme pour que
l’homme devienne Dieu19.
La mort elle-même est vaincue par la résurrection du Christ qui nous ouvre la voie. Ainsi, sur
la croix, la miséricorde de Dieu ont définitivement remporté la victoire : « La mort a été
engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? »
(1 Co 15,54-55).
3. Dans les autres épitres
Les autres épitres évoquent également à plusieurs reprises la miséricorde de Dieu qui nous
sauve de la mort et nous fait renaître à une vie nouvelle. Ainsi, dans la première épitre de
Pierre, on peut lire : « 3Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande
miséricorde, il nous a fait renaître pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus
Christ d’entre les morts » (1 P 1,3).
La première épître de Jean exprime, au fond, le même message que Paul au sujet de la
miséricorde de Dieu : « 20car, si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur
et il discerne tout » (1 Jn 3,30). C’est pourquoi Jean, dans son épitre, peut dire en résumé :
« Dieu est Amour » (1 Jn 4,8.16).
18 W. KASPER, La Miséricorde, p. 83. 19 IRENEE DE LYON, Adversus haereses III, 19, 1 ; V, 1, 1.