la patience des concepts

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La patience des concepts Antoine GRANDJEAN Un recueil d’articles rares ou inédits de Gérard Lebrun sur Kant est l’occasion de rendre hommage à cet éminent spécialiste de la philosophie allemande disparu il y a dix ans. Ni systématique ni génétique, sa lecture a pour objectif de traquer, derrière les concepts, les problématiques qui leur donnent sens et mouvement. Recensé : Gérard Lebrun, Kant sans kantisme, préfaces de Paul Clavier et Francis Wolff. Paris, Fayard, 2009, 341 p., 22 euros. Gérard Lebrun n’a jamais autant publié que depuis sa mort, survenue en 1999. Les deux seuls livres qu’il fit paraître en français, ouvrages de référence, ont été réédités en 2003. Ils furent ainsi rendus à ceux qui, désireux de saisir la radicalité de l’intervention kantienne dans l’histoire de la métaphysique (Kant et la fin de la métaphysique, Armand Colin, 1970, rééd. Le Livre de Poche), ou la singularité du régime de discours hégélien (La Patience du concept, Paris, Gallimard, 1972, rééd. 2003), ne pouvaient faire l’économie, non pas seulement d’une lecture, mais bien d’une authentique méditation de ces livres qui ne quittent jamais totalement ceux qui les ont rencontrés. La rareté francophone de Lebrun ne s’explique pas seulement par le souci de perfection de quelqu’un qui écrivait en esthète, ni par cette intégrité qui interdit de publier pour ne rien dire. Il faut ajouter qu’il vécut longtemps au Brésil, où il jouit encore d’une aura particulière. C’est grâce à deux de ses anciens élèves, Paul Clavier et Francis Wolff, que le lecteur non lusophone a pu découvrir L’envers de la dialectique (Paris, Seuil, 2004), d’abord paru en portugais. C’est grâce à eux encore qu’il dispose désormais d’un recueil d’articles parus en français, en portugais, ou encore inédits, jalonnant 25 ans de travail (le plus ancien date de 1974, le plus récent de 1999) : Kant sans kantisme.

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La Patience Des Concepts

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  • La patience des concepts

    Antoine GRANDJEAN

    Un recueil darticles rares ou indits de Grard Lebrun sur Kant est loccasion

    de rendre hommage cet minent spcialiste de la philosophie allemande disparu il y a

    dix ans. Ni systmatique ni gntique, sa lecture a pour objectif de traquer, derrire les

    concepts, les problmatiques qui leur donnent sens et mouvement.

    Recens : Grard Lebrun, Kant sans kantisme, prfaces de Paul Clavier et Francis Wolff.

    Paris, Fayard, 2009, 341 p., 22 euros.

    Grard Lebrun na jamais autant publi que depuis sa mort, survenue en 1999. Les

    deux seuls livres quil fit paratre en franais, ouvrages de rfrence, ont t rdits en 2003.

    Ils furent ainsi rendus ceux qui, dsireux de saisir la radicalit de lintervention kantienne

    dans lhistoire de la mtaphysique (Kant et la fin de la mtaphysique, Armand Colin, 1970,

    rd. Le Livre de Poche), ou la singularit du rgime de discours hglien (La Patience du

    concept, Paris, Gallimard, 1972, rd. 2003), ne pouvaient faire lconomie, non pas

    seulement dune lecture, mais bien dune authentique mditation de ces livres qui ne quittent

    jamais totalement ceux qui les ont rencontrs. La raret francophone de Lebrun ne sexplique

    pas seulement par le souci de perfection de quelquun qui crivait en esthte, ni par cette

    intgrit qui interdit de publier pour ne rien dire. Il faut ajouter quil vcut longtemps au

    Brsil, o il jouit encore dune aura particulire. Cest grce deux de ses anciens lves,

    Paul Clavier et Francis Wolff, que le lecteur non lusophone a pu dcouvrir Lenvers de la

    dialectique (Paris, Seuil, 2004), dabord paru en portugais. Cest grce eux encore quil

    dispose dsormais dun recueil darticles parus en franais, en portugais, ou encore indits,

    jalonnant 25 ans de travail (le plus ancien date de 1974, le plus rcent de 1999) : Kant sans

    kantisme.

  • Le travail des problmes

    Lebrun, qui ne sadresse pas au lecteur en historien classique, dtonne. Par son sens

    achev de la rhtorique, qui donne chacune de ses interventions lautonomie dune petite

    uvre. Par la provocation salutaire et jamais gratuite dune voix qui, sans cder au cynisme,

    ne se prive pas de manier une ironie qui nest pas trangre son propos. Par la patience et la

    finesse de ce quil faut bien appeler un art de lire, et qui confre ses travaux lunit dun

    style.

    Lebrun nentend pas dpeindre larticulation dun systme achev, dont le tableau

    gommerait des asprits quil tient pour constitutives. Son propos nest pas davantage

    gntique, si lon entend par l la reconstitution des tapes dlaboration dune uvre,

    engageant souvent une reprsentation atomiste qui se heurte au diagnostic bergsonien :

    comment faire du mouvement avec du fix ? Lebrun entend plutt se confier ce mouvement,

    en tant quil sagit dun mouvement des problmes. Et Lebrun procde davantage par coups

    de sonde ou par petites touches que par grands panoramas, ce qui fait dailleurs que, chez lui,

    un grand ouvrage ou un recueil darticles ne diffrent pas toto genere. Ni systmatique ni

    gntique, sa lecture est donc problmatique. Elle interroge constamment motivations, enjeux

    et stratgies de la rflexion, en obissant au principe gnral selon lequel une doctrine

    philosophique digne de ce nom ne se construit jamais au seul niveau de la spculation :

    travaillant une matire problmatique issue de divers rgimes de discours (science, religion,

    concepts philosophiques prcdents, etc.), elle met en jeu des concepts

    stratgiques destins dpasser les contradictions de lactualit et non difier un systme

    philosophique de plus , concepts quil sagit dclairer quant leur fonction en cherchant,

    derrire la lettre de quelques textes classiques de Kant, les polmiques dont ils tiennent leur

    sens et les motivations qui se croisent en eux (p. 52). Il sagit de suivre des concepts-

    problmes, et la mtaphore policire est assume par lauteur.

    Pivotements

    Cette lecture problmatique prvient lillusion dunit substantielle que risque de

    vhiculer une attention seulement thmatique. Mais Lebrun ne tombe jamais dans le pige

    oppos, qui est de prtendre reprer des discontinuits totalement tanches, ce qui suppose la

    constitution de sous-units closes aussi homognes que celles que le continuisme prtend

    mettre au jour. Soulignant lenttement des problmes et la fcondit des structures

  • aportiques , Lebrun repre des virages qui sont des coupures sans rupture, ou encore, matre

    mot de sa lecture, des pivotements dont on ne peut donner ici que quelques chantillons.

    De Hume Kant, dabord. Lebrun montre que le premier nagit pas tant sur le second

    comme un rveil que comme une alarme ( Hume et la ruse de Kant ), sa censure de la

    causalit ne mettant pas en danger la science mais la mtaphysique. Dans ce cadre, dire que

    lobjet de la connaissance nest quun phnomne, cest prcisment le moyen de garantir

    lapriorit de cette dernire, et donc la porte mta-empirique de ses concepts. Cest donc la

    reconnaissance de la dficience ontologique de notre connaissance qui permet dassurer la

    destination mtaphysique de nos concepts. On notera au passage que Lebrun, sopposant

    linterprtation nokantienne de la Critique comme thorie de la connaissance, rinscrit son

    projet sous lhorizon dune mtaphysique spciale assume et requise par lusage pratique de

    la raison pure. Do une utilisation stratgique de Hume, dont la censure de la mtaphysique

    traditionnelle est dplace : Kant ne reproche pas tant au mtaphysicien son ignorance que

    son dsir de connaissance, non pas de nen pas savoir autant quil le prtend, mais de vouloir

    seulement savoir ; et cest afin de faire pivoter la rflexion mtaphysique vers lintrt

    pratique de la raison que Kant utilise les Dialogues sur la religion naturelle. Hume, dans ces

    Dialogues, critique la preuve physico-thologique de lexistence de Dieu, qui considre que la

    perfection de la nature renvoie son Crateur. Mais sil barre lun des chemins de la rflexion

    thologique, il en montre ainsi, sans le savoir, aux yeux de Kant, le sens vritable : si Dieu est

    requis, cest pour garantir le sens de laction. Il faut donc commencer par tre humien plus

    forte raison, et puiser dfinitivement toute tentation physico-thologique, pour qumerge

    une thologie moralement fonde, qui soit cette fois imprenable dtre lpreuve de Hume

    ( La troisime Critique ou la thologie retrouve ).

    De Kant Kant ensuite, Lebrun refuse les priodisations artificielles, et marque

    comment la Dissertation de 1770 vient perturber toute scansion radicale entre un Kant

    prcritique et un Kant enfin kantien (voir la dclaration limpide, p. 258). Pointant les

    embarras (p. 54) qui motivent des glissements (p. 64) et les diffrences de

    pondration ou de relief (p. 99) qui sont toujours lindice dune tension (p. 100), il met

    en vidence une volution qui nengage pas un changement de direction (p. 90), et prend la

    mesure de ce qui consiste plus en un approfondissement quen une coupure (p. 72). Sans

    entrer dans le dtail, on citera lanalyse de lapprofondissement de la rflexion sur

    lautonomie du sensible et les dplacements problmatiques de la rfrence la

  • phnomnalit des phnomnes ( Lapprofondissement de la Dissertation de 1770 dans la

    Critique de la raison pure ), ou encore les tensions luvre dans la dtermination de la

    signification de la chose en elle-mme ( Laportique de la chose en soi ).

    Effacer la scansion absolue entre deux blocs critique et prcritique permet galement

    dinquiter les lectures qui tendent unifier exagrment chacun de ses prtendus versants.

    Lebrun analyse avec beaucoup de finesse les remaniements qui interviennent dune uvre

    lautre, quils concernent la dconstruction de la preuve physico-thologique de lexistence

    de Dieu (p. 211 sq.), la thmatique de la finalit (p. 278) ou lclairage du fait moral dans

    lune ou lautre Critique (p. 224). Mais le gain de cette attention aux pivotements sillustre

    tout particulirement dans la lecture de la Critique de la facult de juger, qui montre comment

    une figure du qui perd gagne donne la clef de sa structure : encourageant dabord la

    monte en puissance de la tlologie physique, il sagit ensuite de la saper radicalement, pour

    mieux rendre sensible la ncessit dune bifurcation vers la thologie morale ; parce que la

    considration de la finalit naturelle dbouche ncessairement sur une question laquelle elle

    ne peut rpondre (en vue de quoi le monde ?), et parce que ce type de discours demeure

    toujours formellement insatisfaisant, la pertinence du questionnement rend ncessaire un

    dplacement de la rponse, quil faut chercher dans lordre pratique et dans le registre

    thologique. La patiente mise en scne de lchec tlologique nest donc que lenvers dune

    russite thologique ( La troisime Critique ).

    De Kant Hegel, enfin. Lebrun nentend pas seulement perturber tout schme

    continuiste. Il montre que cette lecture, contrairement lide rpandue, nest pas celle que

    Hegel lui-mme encourage. Et il le fait de manire magistrale sur le cas clef des antinomies,

    dont il tablit que le traitement est radicalement tranger toute dialectique au sens hglien,

    et que Hegel, prcisment, lcrit ( Lantinomie et son contenu ). Et lenjeu excde de loin

    le point en question, simple occasion de marquer en quoi la spcificit du hglianisme nest

    pas celle dun thme, mais celle dun rgime de discours, Lebrun renouant par l avec le

    propos qui fut le sien dans La Patience du concept.

    Un philosophe trs chrtien ?

    Quant aux lignes de forces thmatiques de louvrage, elles relvent essentiellement des

    motifs cosmologique, tlologique et thologique. Le premier est dabord envisag comme un

    problme thorique ( Le rle de lespace dans llaboration de la pense kantienne ;

  • Lapprofondissement ; Lantinomie ), mais il prend son sens vritable comme

    problme pratique, cet clairage nouant par ailleurs les trois fils et manifestant la cohrence de

    la Critique de la facult de juger. La lecture dcisive de Lebrun interdit en effet que lon en

    reste ce cocktail desthtique et de biologie (p. 170) quelle est pour qui ne saisit pas

    quelle senracine dans un motif tlologique, lui-mme appel par lintrt pratique de la

    raison qui conduit ncessairement la question : ce monde est-il tel que lagir moral y puisse

    avoir un sens ? ( La raison pratique dans la Critique de la facult de juger ; La troisime

    Critique ). Lebrun montre que la foi religieuse mnage seule les conditions dune

    rponse positive cette question, ou encore que, de la nature la libert, le passage, en fin

    de compte, est thologique (p. 189).

    Sur ce point, le pivotement ne relve pas seulement de lobjet dtude. Il caractrise

    galement linterprtation. Revoyant la conclusion de son premier ouvrage, Lebrun se rallie

    linterprtation thologique du kantisme, et relit le nihilisme dabord diagnostiqu

    (strilit et chec de la tlologie physique) comme ce qui permet dexhiber stratgiquement

    le fondement thologique du systme (p. 221). En finir avec la conception typiquement

    XVIIIe sicle dun Dieu tir de la nature servirait faire paratre le Dieu des chrtiens dans

    toute son authenticit. Le Dieu horloger a en effet trois dfauts, qui sont troitement lis :

    celui dtre un horloger, quand larbre nest pas une montre ; celui de ntre pas un Dieu,

    parce quil est un artisan ; celui de poursuivre une fin sur le mode de la fabrication, quand ce

    pour quoi tout existe ne saurait tre opr par une volont. La polmique antithologique

    travaillerait donc au service dun christianisme achev, c'est--dire pleinement libr des

    restes dmiurgiques inhrents au concept de Dieu que thmatise la thologie spculative (p.

    227, p. 257).

    Sans entrer dans les dtails, qui appelleraient un certain nombre de remarques (sur le

    sens de laporie tlologique ou le maintien dune fonction positive de confirmation de la

    tlologie morale par la tlologie physique), on pourrait discuter la localisation thologique

    du passage entre nature et libert : le passage est avant tout tlologique, et le moment

    thologique ne sert qu garantir la pertinence de ce quil ne saurait produire. La possibilit de

    la fin morale (le souverain bien, union de la vertu et du bonheur sous la juridiction de la vertu)

    exige que la nature (dont dpend notre bonheur) existe pour la libert (qui est le fondement de

    notre vertu), et cest cette articulation ou mdiation tlologique que dsigne le passage

    recherch. La pense de Dieu est appele par la rflexion sur les conditions sous lesquelles le

  • passage nous est pensable. Elle nadvient donc que sur sa base et, au sens strict, elle ne le

    dsigne pas. Aussi bien, si pour Kant autonomie et Cration sont insparables (p. 300),

    cest seulement au sens o le projet de la premire conduit ladmission de la seconde.

    Mieux, seule lexistence dun tre soumis la loi morale, fin en soi doue dune valeur

    absolue (dignit), est susceptible de confrer son sens lexistence du monde, sens dont la

    garantie puise la signification de la rfrence au divin. Partant, si autonomie et cration sont

    insparables, cest dabord au sens o, sans lexistence dun tre soumis la loi morale, on ne

    saurait parler de cration, et non linverse.

    Une eschatologie pour la morale ?

    Laccomplissement philosophique du christianisme que reprsente alors la philosophie

    kantienne saccompagne dun ultime pivotement, qui concerne le domaine providentiel lui-

    mme : du gouvernement de ltre celui de lagir, de la gestion de la nature la rection de

    lhistoire, la Providence a pivot (p. 195). Lebrun dfend au passage une thse singulire

    quant lessence de la philosophie de lhistoire : gale distance des tenants de la

    scularisation et des zlateurs de la scularit, il soutient que le philosophme histoire

    cristallise le sens achev de la christianit ( La raison pratique , La troisime

    Critique , Une eschatologie pour la morale ). Sur ce point, il soutient cette fois quil y

    a continuit entre Kant et Hegel : condamnant le savoir que lentendement prtend en prendre,

    dvalorisant la nature au profit de la libert spirituelle, critiquant le paradigme technique de la

    finalit externe, dboutant la thologie au profit de la religion, la philosophie kantienne de

    lhistoire est la transition qui conduit de lide classique de Providence au no-

    providentialisme hglien (p. 177), et la Critique de la facult de juger est un livre qui

    invite fermer les Dialogues de Hume pour rendre possible La Raison dans lHistoire

    (p. 229).

    Tel est peut-tre le point le plus discutable de cette interprtation. Car Lebrun note lui-

    mme que ce qui est clips, avec lhglianisme, cest le lien de motivation entre moralit

    et Histoire (p. 327). Or cette clipse nimplique rien de moins quune rvolution. Car la

    fondation morale de la philosophie kantienne de lhistoire nengage pas seulement son

    contenu. Elle concerne dabord sa porte. Ladvenir historique, en vertu de la naturalit de son

    lment, ne saurait jamais produire lavnement dune moralit laquelle seulement il peut

    prparer, en confortant la rsolution morale dont il ne pourra jamais librer la libert

    subjective. La philosophie de lhistoire na de sens que pour soutenir un projet et ne saurait se

  • transformer en sa dispense. Pas plus que la religion, elle nexcde ni le statut (rflchissant) ni

    le contenu (soutien de lagir) de lesprance. Lide est que lon ne peut vouloir longtemps

    limpossible. Mais lesprance ne saurait demander que ce que lon doit vouloir devienne

    ncessaire. Mieux, le caractre irrsistible de la moralisation ruinerait sa qualit de moralit.

    Une moralisation force perd toute valeur en cessant dtre fonde dans une libre intention.

    Son advenir, et ce sera le dernier mot de Kant, relve au fond dune manire de Grce, que

    lon entende par l la surnature quest la libert ou laide incomprhensible que pourrait

    recevoir la libert finie qui est celle des hommes. Mais la Grce, si tant est quelle soit autre

    chose que la libert, en tout cas se mrite, et se mrite librement. De sorte que sont hautement

    problmatiques et lide que la philosophie de lhistoire est ncessairement fossoyeuse de

    lindividualit au profit du troupeau (p. 302), et son explicitation comme certitude

    thoriquement infonde que laction ne fait que prcipiter la marche ncessaire des choses,

    c'est--dire comme idologie du militant (p. 192, p. 194, p. 320 sqq., p. 328 sq.). La

    philosophie de lhistoire ne dit pas llision de lindividu dans une humanit en marche ;

    elle ne fait que soutenir sa libre rsolution en faisant paratre une nature dispose

    laccueillir et apte la prparer.

    Idologie et positivit

    Ces tudes dhistoire de la philosophie laissent transparatre la maxime proprement

    philosophique que Lebrun fait sienne, et qui motive un effort constant pour faire retour la

    positivit, en dsarmant les discours qui tentent toujours de la recouvrir : depuis Kant, la

    vraie philosophie se moque de la mtaphysique. Ce nest pas que jentende par philosophie

    un positivisme sommaire, mais plutt la critique, constamment reprise, de toute mtaphysique

    (y compris dailleurs le positivisme), la mise en question des dogmes et des fausses vidences

    au nom desquelles nous prfrons douter des rsultats scientifiques plutt que de nos

    prjugs. (p. 68). Prendre la mesure de la positivit, tel nest certes pas lhorizon du concept

    kantien de philosophie, comme Lebrun contribue excellemment le faire comprendre

    Lebrun cite parfois Pascal, souvent Nietzsche, mais son style pourrait peut-tre tre qualifi

    de humien postkantien . Prendre plaisir voir la rationalit humilie dans ses prtentions

    exorbitantes, souligner combien elle-mme constitue llment natif de lillusion ( De

    lerreur lalination ), ce nest pas dsavouer la science. Cest, au contraire, la librer de ce

    qui, prtendant la fonder, ne fait que la lester de ce qui nest pas elle : Sa vraie audace [il est

    question de Hume] vertigineuse, il est vrai fut de librer le savoir du systme de scurit

    idologique appel raison universelle (p. 36).

  • Comme bien des enquteurs, Lebrun est donc un sceptique que sa passion pour le

    problmatique empchera de devenir jamais blas. Son talent rend la lecture de ses rcits

    passionnants. Et tant mieux si quelques touchantes lgendes universitaires nen sortent pas

    indemnes.

    Publi dans laviedesidees.fr, le 28 octobre 2009

    laviedesidees.fr