la question n'est pas de savoir où

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La question n’est pas de savoir où, La question n’est pas de savoir quand, La question n’est pas de savoir comment... La réponse est juste avec lui. C’est mon premier voyage loin de la France, c’est mon premier voyage sans maman ou papa. J’ai pourtant 18 ans. Certes, j’ai déjà vu l’Espagne ou l’Italie mais cette fois, c’est différent. C’est ma première visite dans un pays à l’alphabet étrange, étrange et pourtant familier. Je remercie en pensées madame Poiret et ces cours de latin, de grec, de mythologie qui me plaisaient tant.... Je passe pour la fille intelligente (que je ne suis qu’à moitié) en lisant les panneaux, les déchiffrant, les devinant parfois. Le nom des villes se dessine, à la recherche de celle où nous nous rendons. Le panneau de la bonne sortie, luisant au soleil, semble nous indiquer le chemin. Après bien des périples, dont celui de faire le plaisir aux contrôleurs de l’aéroport Charles de Gaulle de lever toutes mes couches d’oignons, on la trouve enfin. Elle est là, à nous attendre sagement. Elle a un peu pris la poussière (le sol est sec) mais sa blancheur est intacte, intacte à l’idée que j’avais pu m’en faire. Elle est parfaite et nous accueille à bras ouverts, ou plutôt à portes ouvertes... Elle se détache de la colline par son éclat, et les lauriers roses sont aux aguets pour nous ouvrir le passage...Nous attendaient ils ?

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Texte réalisé pour le concours voyages Libération 2010, catégorie texte, Non retenu.

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Page 1: La question n'est pas de savoir où

La question n’est pas de savoir où,

La question n’est pas de

savoir quand,

La question n’est pas de

savoir comment...

La réponse est juste avec lui.

C’est mon premier voyage loin de la France, c’est mon premier voyage sans

maman ou papa. J’ai pourtant 18 ans. Certes, j’ai déjà vu l’Espagne ou l’Italie mais

cette fois, c’est différent. C’est ma première visite dans un pays à l’alphabet étrange,

étrange et pourtant familier. Je remercie en pensées madame Poiret et ces cours de

latin, de grec, de mythologie qui me plaisaient tant.... Je passe pour la fille

intelligente (que je ne suis qu’à moitié) en lisant les panneaux, les déchiffrant, les

devinant parfois. Le nom des villes se dessine, à la recherche de celle où nous nous

rendons. Le panneau de la bonne sortie, luisant au soleil, semble nous indiquer le

chemin.

Après bien des périples, dont celui de faire le

plaisir aux contrôleurs de l’aéroport Charles de

Gaulle de lever toutes mes couches d’oignons, on la

trouve enfin. Elle est là, à nous attendre sagement.

Elle a un peu pris la poussière (le sol est sec) mais

sa blancheur est intacte, intacte à l’idée que j’avais

pu m’en faire. Elle est parfaite et nous accueille à

bras ouverts, ou plutôt à portes ouvertes... Elle se

détache de la colline par son éclat, et les lauriers

roses sont aux aguets pour nous ouvrir le passage...Nous attendaient ils ?

Page 2: La question n'est pas de savoir où

La chambre est parfaite, la vue aussi. La mer, le soleil, le bruit des vagues... Un

cliché pourrait on dire... Mais je suis de ces éternelles romantiques élevée aux contes

de fées et à la soupe de pâtes « étoiles »... Mon voyage, c’est être dans ses bras.

Les clés de la voiture de location en poche, il nous conduit. Le prince des

contes à laisser son cheval en France (un vrai cheval j’entends, pas une autre de ces

métaphores qui aident à rendre le monde plus beau... Non il en a bien un ; un prince

vous disais-je...). J’aime tout ici, j’ai l’air des leur avec ma peau doré par le soleil.

Mais personne ne s’y trompe. Ma moitié est d’une autre couleur ; de celle qui fait que

l’on comprend tôt ou tard qu’il n’est pas d’ici, que c’est un étranger. Ne pas connaître

la langue (j’ai dit savoir lire l’alphabet, seulement l’alphabet), nous amène à nous

poser la question du comment communiquer ? Notre accent anglais approximatif ne

nous est d’aucun secours. Ici comme ailleurs, mamie ne parle que le grec et je ne la

comprends pas, mon amoureux non plus. Les auriez vous comprises vous aussi ? À

moins de ne parler le

grec auquel cas, ce

fut un coup de pouce

de la vie dont il eut

été bête de se

passer !

Nous voilà donc à

mimer la vie

quotidienne, boire,

manger, à tenter de

demander notre

chemin, une

direction, une adresse... Heureusement, les mamies rencontrées sont souvent aussi

gentilles que celle que j’ai à la maison ! On ne se perd (presque) pas ; mais

qu’importe, nous sommes tous les deux, et rien n’est plus important. Être avec lui

m’aide à m’ouvrir aux autres, je vois à travers ces yeux et ne craint plus le monde.

Par ailleurs, se perdre à souvent du bon, on s’éloigne de la foule, on découvre des

merveilles ignorées que le chemin d’origine ne nous aurait jamais offert...

Page 3: La question n'est pas de savoir où

Et tout cela me ramène immuablement à la même chose, je m’interroge sur

ces gens, ces paysages, l’identité de ce pays. Qui n’a jamais ressenti cela en

voyage ? Comment ne pas se sentir si petit et un peu perdu au milieu de la grandeur

du monde... Je vis une sorte d’exil ; au sens de séjourner à l’étranger, de vivre au

dehors de, pas celui d’être banni vous l’aurez compris. Cette notion d’exil est très

forte, des souvenirs, une histoire de famille. Ma grand-mère (venue d’Italie

clandestinement dans les années 1930), n’a pas vécu un voyage comme le mien. Un

membre de ma famille venue chercher la vie, car ce n’est pas la mort mais une

pulsion de vie qui anime les resquilleurs. Comme une personne sur cinq aujourd’hui,

l’un de mes grands parents est issu de l’immigration. Comment profiter de cette

différence qui doit me rendre plus forte, plus résistante, plus ouverte aux autres ?

Je vis mes voyages pleinement. Je profite à chaque instant d’être celle que je

suis, née où je le suis grâce à cette femme que j’ai trop peu connue. Son héritage

est implicite ; une forte sensibilité, une compassion tacite, une éducation qui s’est

transmise.

« Les voyagent forment la jeunesse » dit-on, mais la notion de voyage est

pour moi un peu plus ancrée.

J’apprends à partager celle que je suis dans un voyage avec une personne que

j’aime, qui me comprend et m’écoute, qui m’appuie et qui m’aide. Je lui donne à lire

en moi un point de mon histoire qui deviendra sienne un jour ou l’autre. Je m’ouvre

peu à peu. Car bien entendu, je compte transmettre ma chance, mon amour du

voyage à un enfant qui saura raconter d’où il vient, qui il est...

Page 4: La question n'est pas de savoir où

Nous traversons tous des difficultés qui paraissent parfois insurmontables.

Mais quel randonneur n’a pas un jour eut l’envie de s’arrêter, prétextant par exemple

la vision du paysage... L’important est de savoir puiser dans mon histoire, dans son

histoire, dans l’histoire du monde qui s’est relevé de tant de chagrin. Il nous faut

comme objectif d’être capable de transmettre le bon du monde à celui que l’on

croise, sans qu’il le demande, sans qu’il est forcement l’air d’en avoir besoin.

Bien entendu, tout est plus simple quand la question n’est pas de savoir où, ni

quand ou même comment... Lorsque l’on a trouvé une réponse, la réponse, peut

importe où vous vous rendrez, quand, ou comment vous le ferrez. L'essentiel est de

partager. Lorsque l’on est voyageur, il faut penser à offrir ce que l’on possède.

Parfois un peu de temps, un sourire, un geste, nous permettent de vaincre la

barrière de la langue, de la culture, de l’autre... Vous verrez en rentrant à la maison,

que c’est étranger qui vous arrête pourrait être vous.

Toutes ces paroles se veulent être un secret,

mais n’hésitez pas à le divulguer ;

les gens heureux pourraient vous faire goûter

au bonheur et vous entraîner un peu,

dans un nouveau voyage...