la rééducation de la hanche après arthroplastie · 2011. 2. 15. · la rééducation de la...

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Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, 6, pp. 231-235 © Masson, Paris, 1983 CONDUITE A TENIR DEVANT ... La rééducation de la hanche après arthroplastie J.C. GAUTHIER M C.MK., Hôpital Saint-Luc, F69007 Lyon. Après avoir mentionné le type de l'interven- tion et les conséquences biomécaniques de la mise en place d'une prothèse scellée, l'auteur souligne la nécessité d'une rééducation bien conduite sur deux mois environ visant un résultat plus fonctionnel que performant grâce à l'indolence, une musculature, une stabilité et une mobilité retrouvées pour l'activité de la vie courante, c'est-à-dire marcher, s'asseoir, monter et descendre les escaliers, s'habiller et se chausser. Le résultat sera obtenu par une rééducation dite proprioceptive des muscles péri-articulaires recherchant des activités comparables à celle de la marche normale. Introduction L'arthroplastie de la hanche est à l'heure actuelle représentée par des interventions aux nombreuses conceptions, tant par leurs voies d'abord que le type de prothèse et son matériau. 1 Nous nous limiterons aux arthroplasties avec mise en place de hanche scellée par voie d'abord postéro-externe dont les résultats donnent une performance fonctionnelle satisfaisante avec in- dolence, mobilité et stabilité, performance qui permet aux chirurgiens de déclarer facilement que ces opérés peuvent se passer de rééducation. A nous de montrer qu'il n'en est rien. Tirés à part: J.C. GAUTHIER, à l'adresse ci-dessus. Voie d'abord et désordre mécanique LA VOIE D'ABORD POSTÉRO-EXTERNE Communément utilisée en traumatologie et en rhumatologie, elle conditionne l'état musculaire post-opératoire fonctionnel de l'opéré. Les stabi- lisateurs de la hanche ne sont pas sectionnés mais leur bonne tension dépend de la longueur du col et a une incidence sur la marche avec ou sans boiterie; le kinésithérapeute les sollici- tera immédiatement. La section des pelvi- trochantériens nous permet une kinésithérapie active contre résistance et l'appui assez rapide- ment tout en constituant une zone de fragilité qui peut être à l'origine d'une luxation post- opératoire avec un mouvement en flexion, abduction et rotation interne. (Ce mouvement est retrouvé lors d'un lever de l'opéré du côté du membre inférieur sain, d'où le conseil à ce dernier de se lever du côté du membre opéré). LES MODIFICATIONS BIOMÉCANIQUES DE CETTE NOUVELLE HANCHE Une meilleure connaissance de ces modifica- tions nous permet d'éviter toute musculation intensive et d'éviter tout surmenage fonctionnel. D'une part il y a une modification de la transmission de pressions· au niveau du cotyle et du fémur, due aux variations du module d'élasticité des différents matériaux utilisés, entraînant leur usure et une destruction du support osseux aboutissant quelquefois à un

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Page 1: La rééducation de la hanche après arthroplastie · 2011. 2. 15. · La rééducation de la hanche après arthroplastie J.C. GAUTHIER M C.MK., Hôpital Saint-Luc, F69007 Lyon. Après

Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, n° 6, pp. 231-235© Masson, Paris, 1983

CONDUITE A TENIR DEVANT ...

La rééducation de la hanche après arthroplastieJ.C. GAUTHIER

M C.MK., Hôpital Saint-Luc, F69007 Lyon.

Après avoir mentionné le type de l'interven­tion et les conséquences biomécaniques de lamise en place d'une prothèse scellée, l'auteursouligne la nécessité d'une rééducation bienconduite sur deux mois environ visant unrésultat plus fonctionnel que performant grâceà l'indolence, une musculature, une stabilitéet une mobilité retrouvées pour l'activité de lavie courante, c'est-à-dire marcher, s'asseoir,monter et descendre les escaliers, s'habiller etse chausser. Le résultat sera obtenu par unerééducation dite proprioceptive des musclespéri-articulaires recherchant des activitéscomparables à celle de la marche normale.

Introduction

L'arthroplastie de la hanche est à l'heureactuelle représentée par des interventions auxnombreuses conceptions, tant par leurs voiesd'abord que le type de prothèse et son matériau.

1 Nous nous limiterons aux arthroplasties avecmise en place de hanche scellée par voie d'abordpostéro-externe dont les résultats donnent uneperformance fonctionnelle satisfaisante avec in­dolence, mobilité et stabilité, performance quipermet aux chirurgiens de déclarer facilementque ces opérés peuvent se passer de rééducation.A nous de montrer qu'il n'en est rien.

Tirés à part: J.C. GAUTHIER, à l'adresse ci-dessus.

Voie d'abord et désordre mécanique

LA VOIE D'ABORD POSTÉRO-EXTERNE

Communément utilisée en traumatologie et enrhumatologie, elle conditionne l'état musculairepost-opératoire fonctionnel de l'opéré. Les stabi­lisateurs de la hanche ne sont pas sectionnésmais leur bonne tension dépend de la longueurdu col et a une incidence sur la marche avecou sans boiterie; le kinésithérapeute les sollici­tera immédiatement. La section des pelvi­trochantériens nous permet une kinésithérapieactive contre résistance et l'appui assez rapide­ment tout en constituant une zone de fragilitéqui peut être à l'origine d'une luxation post­opératoire avec un mouvement en flexion,abduction et rotation interne. (Ce mouvementest retrouvé lors d'un lever de l'opéré du côtédu membre inférieur sain, d'où le conseil à cedernier de se lever du côté du membre opéré).

LES MODIFICATIONS BIOMÉCANIQUESDE CETTE NOUVELLE HANCHE

Une meilleure connaissance de ces modifica­tions nous permet d'éviter toute musculationintensive et d'éviter tout surmenage fonctionnel.

D'une part il y a une modification de latransmission de pressions· au niveau du cotyleet du fémur, due aux variations du moduled'élasticité des différents matériaux utilisés,entraînant leur usure et une destruction dusupport osseux aboutissant quelquefois à un

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descellement de la prothèse. Des contrôlesradiographiques ont pu montrer des modifica­tions d'appui de la prothèse au niveau del'éperon de Merkel avec une augmentation descontraintes diaphysaires au niveau de la queuede la prothèse.

D'autre part, il y a une modification de lafriction articulaire. Si dans le cas d'une hanchenormale, le coefficient de friction est faible grâceau liquide synovial, celui des prothèses peutatteindre des valeurs élevées et être responsabledu descellement de la prothèse. (Les forces defriction sont le double pour les pièces articulairesmétal-métal par rapport à celui de cellesmétal-polyéthylène).

Enfin n'oublions pas le problème de la fixationde ces prothèses qui nécessite l'utilisation d'unciment à base de polymétacrylates de méthyleentraînant une certaine toxicité et quelquefoisdes réactions exothermiques.

LE KINÉSITHÉRAPEUTE DOIT SE SOUVENIR

qu'une mise en place d'une prothèse totaleentraîne une perte de la capsule et des récepteursarticulaires qui ont un rôle dans le contrôleproprioceptif de la marche. Notre rôle sera, parune rééducation appropriée, de solliciter toutesles suppléances (mécano-récepteurs neuro­musculaires).

Il convient donc de savoir adapter la rééduca­tion en fonction de l'opéré: sujet jeune, âgé avecarthrose diffuse (atteinte bilatérale des deuxhanches, atteinte du rachis dorso-Iombaire,fémoro-patellaire), obèse avec hypotoniemusculaire.

Enfin, ne pas oublier de demander le compterendu opératoire et l'avis du chirurgien sur lasolidité du montage et de ses limites.

La rééducation

Le but de celle-ci est de redonner à l'opéréun résultat fonctionnel le plus satisfaisantpossible en fonction de ses propres capacités.

La difficulté de la rééducation réside dans lechoix des techniques aux deux périodessuivantes :

LA PÉRIODE D'ALITEMENT

Cette phase est dominée par les soins denursing et d'installation au lit classiquement bienconnus (sujet installé en décubitus dorsal,planche sous le matelas, cales sous les pieds dulit pour prévenir les complications thrombo­emboliques, membres inférieurs maintenus enabduction par un coussin de mousse et leurmassage circulatoire associé au travail de lacheville et du pied) et aux conseils d'hygiène deVIe.

Les techniques passives et certains exercicesactifs tels que l'élévation du membre inférieurtendu sont à proscrire afin d'éviter descontraintes trop importantes. Ce sera essentielle­ment un travail musculaire péri-articulaire afind'entretenir la trophicité et récupérer la forcemusculaire; l'utilisation des contractions évo­quées par irradiation seront exécutées immédia­tement sans risque pour la hanche opérée :contraction quadricipitale déclenchée par unecontraction contre forte résistance du jambierantérieur en flexion dorsale complète de lacheville (fig. 1), celles des ischio-jambiers et dugrand fessier peuvent être obtenues par unecontraction contre forte résistance des fléchis-

Fm. 1. - Contraction irradiée du quadriceps, déClenchée parune contraction isométrique du jambier antérieur en flexiondorsale maximum du pied (contraction maintenue une dizainede secondes).

Fm. 2. - Contraction irradiée des ischio-jambiers et du grandfessier, déclenchée par une contraction des fléchisseurs des orteils.L'opéré va chercher les doigts du kinésithérapeute judicieusementorientés et exécutera spontanément une flexion plantaire de lacheville nécessaire à l'irradiation musculaire recherchée.

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FIG. 3. - Le kinésithérapeute place la hanche opérée en légèreabduction, en flexion intermédiaire et légère rotation interne, legenou en flexion, le pied en dorsi-flexion et demande au sujetde maintenir cette position contre une résistance appropriée deses deux mains.

FIG. 4. - Le placement des mains du kinésithérapeute déclencheune rotation opposée des ceintures scapulaire et pelvienne,sollicitant les deux ceintures en direction opposée.

seurs des orteils avec la cheville en flexionplantaire (fig. 2). (Noter le rôle des ischio­jambiers à l'extension de hanche et au maintiende l'équilibre du bassin dans le plan sagittal,pendant la marche) ..

- Nous utiliserons aussi les dessins cinétiquestels que une flexion abduction, rotation internede la hanche opérée pour obtenir une contrac­tion du moyen fessier et du tenseur dufacia lata(Viel) (fig. 3).

Pour préparer les muscles, nous devronssolliciter les ceintures pelviennes et scapulairesjouant un rôle dans la marche (fig. 4) (Parexemple, le sujet en décubitus latéral exécuterades poussées sur une main du kinésithérapeute,

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FIG. 5. - Contractions alternées des rotateurs internes et exter­

nes, genou en extension.a. Résistance à la dorsi-flexion de cheville;b. Résistance opposée aux muscles péroniers.

placée sur son omoplate ou sur le moignon del'épaule pour la ceinture scapulaire. Il exécuteraégalement des poussées du bassin contre unemain du kinésithérapeute, placée sur l'épineiliaque antéro-supérieure, pour la ceinturepelvienne ..

Toutes ces techniques ne sont pas limitatives;d'autres telles que la stabilisation rythmique(contractions alternées isométriques visant lastabilité articulaire) des rotateurs internes etexternes seront utilisées (fig. 5 a, b).

Cette phase dure une quinzaine de jours aulit et nous permet d'aborder la deuxième période,

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FIG. 6 FIG. 7

FIG. 6. - Le pas pelvien: l'opéré debout, écartement des piedsrespectant la largeur du pas, réalise des rotations contre résistancedu kinésithérapeute. Le bassin passe de la rotation externe à larotation interne par rapport au fémur.

FIG. 7. - La réaction de pas: le kinésithérapeute provoque undéséquilibre antérieur du membre inférieur pour asurer unenouvelle prise d'appui sur ce membre opéré.

c'est-à-dire celle du lever et de la marche dansde bonnes conditions.

LA PÉRIODE DU LEVER ET DE LA MARCHE

Le lever se fait progressivement (quelquefoisl'utilisation du plan incliné est nécessaire) et avecbandage élastique des deux membres inférieurs.Les exercices précédents seront complétés parla rééducation pieds au sol.

Tout d'abord pour l'entraînement au paspelvien, nous demanderons à l'opéré des rota­tions du bassin sur le fémur en position debout,notre main opposant une résistance appropriée(fig. 6).

Puis le kinésithérapeute se place derrière lepatient aux deux membres supérieurs croisésderrière le tronc. En appliquant une main surl'aile iliaque du sujet, .côté opéré, l'autre mainà vocation stabilisatrice sur l'aile iliaque oppo­sée, il produira un déséquilibre antérieur (fig. 7).Celui-ci obligera le sujet à une nouvelle prised'appui au sol du membre intéressé dans le

FIG. 8. - La réaction de protection contre la chute: la techniqueest identique à la précédente mais il y a progression en difficultéavec l'instabilité de la surface de réception du membre opéré. Cedéséquilibre intéresse tout le membre inférieur.

dessin cinétique de la marche avec légère flexiondu genou. (A noter l'importance de la localisa­tion de la stimulation, de sa vitesse et de sadirection). Nous avons la « réaction du pas ».Cet exercice peut être réalisé avec un déséquili­bre latéral puis postérieur.

La progression se fait avec l'utilisation duplateau de Freeman où la prise d'appui est surun plan mobile: « réaction de protection contrela chute » (fig. 8).

Bien intégré, cet exercice et ses différentesformes nous permettra d'enchaîner avec lamarche latérale résistée, sollicitant le moyenfessier du côté de l'appui (fig. 9), la marchephysiologique contre résistance (fig. 10). (Lekinésithérapeute placé derrière lui, les mains surla crète iliaque, s'oppose au mouvement derotation du bassin et au passage du pas).

Nous sommes environ vers le 21e jour aprèsl'intervention, le sujet marche librement sanscannes et sans boiterie. Il ne nous restera qu'àl'éduquer pour la montée et la descente desescaliers [marche latérale (fig. 11)].

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FIG.9 FIG. 10

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FIG. Il

FIG. 9. - Marche latérale contre résistance sollicitant le moyen fessier côté opéré dans sa fonction statique.

FIG. 10. - Marche contre résistance au mouvement de rotation du bassin et au passage du pas.

FIG. 11. - Marche latérale en escaliers.

Conclusion

Une arthroplastie totale de la hanche telle quecelle pratiquée par voie postéro-externe avecmise en place d'une prothèse scellée bénéficied'une rééducation bien conduite, c'est-à-dire nonstéréotypée.

L'objectif sera atteint vers le premier moispost-opératoire, le malade continuant des soinsambulatoires pendant un à deux mois. L'hospita­lisation en centre de rééducation ne se justifieque pour des motifs sociaux (personne seule) oupratiques (appartement dans un immeuble sansascenseur).

Pour en savoir plus ...

1. BOUFFARD-VERCELLI M., FouRMoND E., BLANQUART F.,MÉRIAU M. - Problèmes généraux de la rééducation desarthroplasties et les pièges à éviter au cours de ce traitement.Cah. Rééd. Réadapt. Fonct., 1978, 13, 193-201.

2. FRAIN Ph. - Moyen fessier et appui unipoda1 - Variationsgéométriques sur le thème des ostéotomies fémorales etpelviennes. Rev. Chir. Orthop., 1978, 64, 445-458.

3. RABISCHONG P., DE GODEBOUT J., STER J. - Etudebiomécanique et clinique des stabilisateurs de la hanche aucours de la marche. Ann. Méd. Phys., 1965, 8, 3-15.

4. VAAST D. - Exercices thérapeutiques de reprogrammationneuromotrice. ln Kinésithérapie Active, Plas F. et Hagron E.- Masson, éd., Paris, 1979, 39-75.

5. VIEL E., OGISHIMA H. - Rééducation neuro-musculaire àpartir de la proprioception. Bases kinésiologiques. Masson éd.,Paris, 1977, 179-201.