la recherche - université du québec

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LA RECHERCHE DANS LE RÉSEAU DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC Image de la vie quotidienne au Collège de l’Horizon, à Trois-Rivières. Le plaisir d’apprendre n’est pas démodé.

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Page 1: LA RECHERCHE - Université du Québec

LA RECHERCHEDANS LE RÉSEAU DEL’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC

Image de la viequotidienne au

Collège de l’Horizon, à Trois-Rivières.

Le plaisir d’apprendren’est pas démodé.

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Faculté d’adaptationJeté dans le creuset du Rapport Parent, le système éducatif québécois enressortait véritablement transmué. C’était en 1963. L’institution scolaire, alorsconservatrice, confessionnelle et élitiste, devenait progressiste, laïque, ouverte àtous et à tous les savoirs.

Une révolution pas du tout tranquille !Un demi-siècle plus tard, l’école québécoise ressemble à un fantastique

laboratoire. Elle s’adapte sans cesse en tenant compte des nouvelles données enneurosciences, tout comme en psychopédagogie ou en sociologie. Sous la loupede plusieurs dizaines de chercheurs du réseau de l’Université du Québec : les méthodes d’enseignement, les nouvelles technologies, les troublesd’apprentissage, le décrochage, les chocs culturels, la motivation des jeunes à s’instruire, etc.

On cherche, on trouve, on soupèse, on reconsidère tous azimuts. Or, lesquestions (à plusieurs milliards de dollars par année) demeurent, fondamentales et suprêmes. Quelle finalité donnerons-nous à l’école? Comment voulons-nousformer les prochaines générations d’élèves?

C’est que la réponse définit aussi le genre de société que nous voulons.Alphonse-Marie Parent l’avait bien compris, il y a 50 ans !

La rédaction

II

Éditorial

Ce dossier est inséré dans le numéro denovembre 2013 dumagazine Québec Science.Il a été financé parl’Université du Québec etproduit par le magazine Québec Science.

Comité éditorial :Rose-Aline LeBlanc (UQAM)Lucie Boisonneault (UQTR)Claude Gilbert (UQAC)Frédéric Deschenaux (UQAR)Jean Boileau (UQO)Maryse Delisle (UQAT)Josée Charest (INRS)Philippe-Edwin Bélanger (INRS)André Bourret (ENAP)Claude Bédard (ÉTS)Éric Lamiot (TÉLUQ)Valérie Reuillard (UQ)David-H. Mercier (UQ)Raymond Lemieux (Québec Science)

Coordination :Raymond Lemieux etValérie ReuillardRédaction :Raymond Lemieux Graphisme :François ÉmondRévision : Hélène Matteau Correction-révision :Luc AsselinBibliothèque nationale du Canada : ISSN-0021-6127

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3 LES ENFANTS D’UNE RÉVOLUTIONL’école québécoise a été le témoin d’intensessoubresauts depuis 50 ans. Et ce n’est probablementpas fini. De quoi être nostalgique?

4 L’ÉDUCATION, FLEURON DU QUÉBEC MODERNEQuelques repères pour s’y retrouver.

7 UN CHOC CULTURELLe phénomène a longtemps été négligé: l’arrivée, dansle monde du haut savoir, de jeunes dont les parentsn’ont jamais fréquenté le cégep ou l’université.

8 GÉNÉRATION NUMÉRIQUEL’école arrivera-t-elle à s’adapter aux enfants nés avec les nouvelles technologies?

10 RENOUVEAU PÉDAGOGIQUE 2.0Les troubles d’apprentissage ont pris une ampleursans précédent au Québec. Mais les technologiesinformatiques pourraient être d’un grand soutien pour les surmonter. Démonstration.

12 LE RETOUR DE L'ÉCOLE DE RANG?Les chercheurs voient maintenant des avantages àcomposer des classes avec des enfants d'âgesdifférents.

Sommaire

La recherche dans le réseau de l’Université duQuébec Éducation

«L’école n’est pas d’abord unlieu où règnent des

administrateurs et desenseignants; c’est un lieu mis

à la disposition de l’enfantpour qu’il y travaille à son

apprentissage intellectuel ethumain; l’école est l’atelier decet apprentissage. Maîtres et

orienteurs guident cetapprenti vers les instrumentset outils intellectuels – cours,laboratoires, livres, principes

de base, notions,connaissances – qui

favorisent cette évolution siintense, si active, si difficileparfois vers la maturité.»

Rapport de la Commission royaled’enquête sur l’enseignement

dans la province de Québec, vol. 3

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Page 3: LA RECHERCHE - Université du Québec

es cahiers sentaient le papier frais, lesconsignes polycopiées à l’alcool déga-geaient des odeurs suaves, les jeunesétaient tous sur leur trente-six, bien pro-pres et bien mis. Le matin du 7 septembre1965, plus d’un million et demi d’enfantsont pris le chemin de l’école. Une grandejournée; la rentrée la plus importante de

l’histoire du Québec ! Et c’est ainsi que nous avons misles deux pieds dans la Révolution tranquille.

Cinquante ans plus tard, que reste-t-il de cette fré-nésie? «Tout ! » répond Julien Prud’homme, historienen éducation, chercheur au Centre interuniversitairede recherche sur la science et la technologie (CIRST)et professeur associé à l’Université du Québec àMontréal. «On a tendance à critiquer les initiativesprises à ce moment-là, dit-il, mais on oublie les grandsprincipes qui les accompagnaient – comme celui d’offrirà tous une éducation gratuite – et qui ont fait voler enéclats le modèle scolaire de jadis pour transformer leQuébec à tout jamais.»

Ce n’était pas un luxe. Au tout début des années

1960, à peine 63% des élèves «canadiens-français»terminaient leur septième année. Le décrochage danstoute sa misère ! Et que dire du système d’éducationconstitué de 1 500 commissions scolaires qui évaluaientla qualité de leurs manuels et géraient leur programmechacune à sa façon, et de manière bien différente selonqu’on se trouvait à Gaspé ou à Valleyfield? «C’était quoi,un niveau d’éducation convenable? On n’en avait aucuneidée ! rappelle Julien Prud’homme. Il n’y avait aucunenormalisation. La qualité de l’enseignement pouvaitvarier d’une école à l’autre.»

Le gouvernement du premier ministre Jean Lesagemet alors sur pied une commission royale, présidéepar monseigneur Alphonse-Marie Parent, pour examinerce qui cloche dans le monde scolaire. Elle va siégerde 1961 à 1965. «Cela a permis l’ouverture d’unpremier vrai débat public, soutient Julien Prud’homme.Plus que la question nationale ou linguistique, c’est ladémocratisation de l’éducation qui a été le pivot de laRévolution tranquille. » De fait, le groupe d’expertsproduit un rapport qui va tout changer. En moins detemps qu’il n’en faut pour suivre un cours d’économie

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L’école québécoise a été le témoin d’intenses soubresauts depuis 50 ans. Et ce n’est probablement pas fini. De quoi être nostalgique?Un dossier réalisé par Raymond Lemieux

LES ENFANTS D’UNE RÉVOLUTION

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de l’Université du Québec Éducation

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familiale, Québec adopte des lois qui condui-sent notamment à la création d’un ministère

de l’Éducation, à la mise en place d’un réseau decollèges et d’universités, et à l’obligation pour les enfantsde poursuivre leurs études jusqu’à l’âge de 16 ans.

Le taux de scolarisation fait un bond spectaculaire.Et l’onde de choc en faveur de l’école se répercute du-rablement jusqu’aux niveaux postsecondaires. Le réseaucollégial qui, en 1968, à sa première année d’existence,attire près de 36 000 étudiants, en accueillera 160 000,35 ans plus tard. Une augmentation de 446% ! Demême, le réseau universitaire québécois compte main-tenant 187 000 aspirants bacheliers, maîtres ou doc-teurs, comparativement à 64 000 quand les Beatleschan taient Back in the USSR. Aujourd’hui, au Québec,c’est la tranche de population la plus jeune qui est laplus scolarisée. Plus de 20% des 25 à 44 ansdétiennent un diplôme d’études collégiales et 39%des autres ont au moins un baccalauréat, selon ledernier recensement national.

Cela dit, les étudiants ont bien changé. Les rentréesscolaires ont perdu de leur panache et les en-seignants se soucient moins de la tenue vesti-

mentaire de leurs élèves que de leurs éventuels troublesde comportement. «Aujourd’hui, on a tendance à dresserdes constats bien alarmistes quand on regarde l’écolesous la loupe du décrochage ou de l’échec scolaire,

constate Julien Prud’homme. Bien que ce soit là despréoccupations légitimes, il est facile d’en parler àtravers son chapeau. Du décrochage? On devrait plutôtparler d’une stagnation de la réussite au secondaire ! »

Pour Thérèse Bouffard, professeure de psychologieà l’UQAM, c’est à tous les niveaux scolaires que cemalaise étudiant peut être constaté. «Le plaisir d’êtreaux études, j’ai l’impression que c’est en train de seperdre, dit-elle. Et c’est aux niveaux collégial et universitaireque c’est surtout flagrant. Alors que les études pourraientreprésenter une des plus belles périodes de leur vie,les étudiants d’aujourd’hui reluquent la porte de sortiedès qu’ils entreprennent leur trimestre. En fait, ils n’ontplus du tout le même profil qu’il y a 50 ans. Ils sont aussi

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La recherche dans le réseau de l’U

L’ÉDUCATION, FLEURON DU QUÉBEC MODERNEPendant presque 350 ans, l’école sera au Québec l’apanage exclusif du clergé. Au point que toutes les réformes tentées pour inscrirel’enseignement dans une dynamique inspirée des Lumières seront sabotées. En 1869, le gouvernement du Québec crée un premierministère de l’Instruction publique. L’Église s’y oppose avec vigueur. Même le Vatican s’en mêle, de sorte que le Ministère sera aboli sept ans plus tard et qu’il faudra attendre jusqu’après la guerre de 1939-1945 pour oser penser à nouveau une école publiqueaccessible à tous. À partir de là, tout change.

1953De l’argent pours’instruire. La commissionTremblay, formée par le gouvernementde Maurice Duplessis, se penche surle déséquilibre fiscal fédéral-provincial. Conclusion : il faut élargirles pouvoirs du parlement québécoispour qu’il puisse prélever plusd’impôts. Mais – surprise! – on y faitaussi état d’écoles, de culture, desanté. À noter, des 240 mémoiresdéposés, 140 portent sur lamodernisation de l’éducation.

1954Un bac dans lesCantons. Une première universitéen dehors de Québec et Montréal estcréée. Elle s’établit à Sherbrooke.

1960Une charte! Une Chartede l’éducation est adoptée parle gouvernement libéral,nouvellement élu. Elle suggèred’imposer l’école obligatoirejus qu’à 16 ans

(plutôt qu’à 14 ans comme c’était lecas) et propose qu’elle soit gratuite. Etles commissions scolaires sont toutes invitées à développer unenseignement de niveau secondaire.Mais ce ne sont là que dessuggestions.

1961Cap sur le futur.Création de la Commission royaled’enquête sur l’enseignement. Ellesera menée par monseigneurAlphonse-Marie Parent.

1963Eaux troubles.Mon «amimal», mon «abre», les«pasghetti», l’«hotipal»... La dyslexie– mais aussi l’attention, la mémoire, le raisonnement – commence àpréoccuper les chercheurs quiconviennent de la définir comme un«trouble d’apprentissage».L’expression vient d’être inventée parle docteur Samuel Kirk (à ne pasconfondre avec le capitaine de StarTrek): «Un trouble d’apprentissage estessentiellement un dysfonctionnementdu système nerveux central chez unepersonne d’intelligence moyenne ou

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C’est ladémocratisation

de l’éducation quia été le pivot de la

Révolutiontranquille.

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parents, ils doivent penser à travailler, d’autant plus qu’ilssavent qu’ils accumuleront des dettes. Ça n’a rien defacile. C’est la vision d’une éducation utilitariste qui apris le dessus sur l’acquisition de connaissances. »

« Les valeurs véhiculées par le monde de l’éducationdans les années 1980 ont basculé, reconnaît Jean Ber-natchez, politologue et professeur titulaire d’admi -nistration et politique scolaires à l’Université du Québecà Rimouski. Cela coïncide à mes yeux avec le passagedes idées associées à une sorte de république dessciences – des idées fondées sur des programmes fa-vorisant l’acquisition des connaissances – aux idéesliées à une économie du savoir. C’est ce qui a entraînéla création de multiples programmes de formations en

tout genre. Ce n’est pas indépendant du courant néolibéralqui traversait les pays industrialisés dans ces années-làet qui poussait à l’élaboration de programmes utiles, di-rectement arrimés aux besoins du marché du travail.

« Les institutions se retrouvent ainsi à administrerdans le court terme, poursuit Jean Bernatchez. C’estdommage, car s’il y a un lieu, dans notre société, oùdes réflexions originales et novatrices peuvent se dé-velopper, c’est bien dans le monde du haut savoir. »

Un mauvais tournant? En tout cas, l’adéquationmarché du travail et formation universitaire a du plombdans l’aile. On traverse maintenant une sorte de crisede confiance qui touche la valeur des diplômes auxyeux des employeurs, constate Mircea Vultur, socio-logue et professeur-chercheur à l’INRS UrbanisationCulture Société et membre de l’Observatoire Jeuneset Société: «Si les institutions d’enseignement se placentdans une perspective de marketing afin d’attirer lesjeunes, on présume qu’elles pourraient montrer plusde laxisme dans la notation et dans la diplomation. »

Et si ce n’était que ça ! « L’hétérogénéité des forma-tions, dans les établissements, est difficile à suivre pourles employeurs, estime le sociologue. Certes, le nombred’emplois qui exigent une qualification assortie d’un di-plôme universitaire a augmenté de 46 % entre 1999 et2012. Mais le nombre de diplômes, tous cycles confon-dus, a bondi de 107 % pendant la même période. Onsurestime maintenant le niveau de diplomation nécessairepour occuper un emploi et, ce faisant, la valeur des di-plômés a diminué en tant que porteurs de compétences.Pour l’emplo yeur, le diplôme est nécessaire, mais passuffisant. »

Cela génère une situation pourle moins ambiguë. « Quand ondemande aux employeurs cequ’ils attendent des jeunes, c’est

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de l’Université du Québec Éducation

supérieure à la moyenne.»L’Association québécoise des troublesd’apprentissage estime aujourd’hui à10% le nombre d’élèves ayant detelles difficultés.

1963 L’éducation, pourquoi faire? Trois mois après ledépôt du premier des volumes de lacommission Parent, le projet de loi 60est déposé à l’Assemblée législative(ça ne s’appelle pas encorel’Assemblée nationale). Le projetpropose la création du ministère del’Éducation. Il faudra presque un ande débats avant que cela ne seconcrétise. C’est Paul-Gérin Lajoie qui, le premier, occupera la fonctionde ministre. La commission Parent n’a pourtant pas terminé ses travaux.

DécapantJean-Paul Desbiens signe en 1960 un pamphlet intituléLes insolences du frère Untel. Le petit ouvrage de 150 pages se vend à plus de 100 000 exemplaires! Un véritable brûlot qui s’avérera l’un des déclencheurs de la réforme scolaire. Dès le chapitre 2, Desbiens écrit :«Quand on mit le Département [de l’Instruction publique,NDLR] sur pied, il y a environ un siècle, on voulaitprincipalement éviter deux périls : la protestantisation(qu’on me passe ce mot ; il est pesant, mais il est clair)et l’anglicisation. Rien à redire à cela : c’était vaillant etlégitime. C’était quand même équivoque. On n’avait pasun but à atteindre; on avait un précipice à éviter. Onsavait où ne pas aller; on n’avait pas clairement décidéoù aller. La première racine du malaise présent plongejusque-là: le Département a été conçu comme unemachine à évitement; un tuyau d’échappement.

«On n’a jamais réussi à liquider cet héritage deconfusion et de porte-à-faux. Incompétence etirresponsabilité sont les deux bâtards engendrés dèsl’origine par madame la confusion et son maquereau, le porte-à-faux.»

Plus loin : «L’irresponsabilité du Département sereconnaît à ceci que, ne s’étant jamais engagéclairement à quoi que ce soit, il se réserve toujours lapossibilité de triturer, de revenir en arrière, de se renier,sans qu’on puisse jamais mettre la main sur un vrairesponsable. Quand on n’a de compte à rendre qu’àDieu le père, qui est aux cieux, on prend des libertésavec l’Histoire temporelle. Ce qui estquand même toujours dangereux. Maisune certaine classe,traditionnellement, manquesingulièrementd’imagination.»

L’auteur s’exileensuite en Suissependant trois ans.

Une baisse d’intérêtUne réussite, l’éducation?Soit. Mais elle compte demoins en moins aux yeux dela population. En 1966, selonun sondage CROP del’époque, 41% des Québécoisestimaient que c’était làl’activité à laquelle legouvernement du Québecdevait accorder le plusd’importance. Près de 35 ansplus tard, cette proportionavait fondu pour se situer à5%. C’est la santé qui estmaintenant prioritaire auxyeux de 52% de lapopulation. Normal, dans une société vieillissante?

Il y a plus troublant. LeQuébec semble accordermoins de valeur à l’éducationque le reste du Canada,rapportait un sondage d’IpsosReid de 2003. Pas plus de53% des Québécoisconsidèrent commeimportant d’acquérir leshabiletés permettant defréquenter un collège ou uneuniversité, contre 83% desrépondants dans le reste duCanada. Nécessaire de savoirlire, écrire et compter? AuQuébec, 81% des répondantsestiment que oui; dans lereste du Canada, c’est 94%.

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l’expérience et les qualités individuelles qui arrivent enpremier, fait-il remarquer. Il faut cependant noter quemême si le diplôme vient au dernier rang, ceux et cellesqui ne sont pas diplômés ne sont paradoxalementmême pas considérés.»

Les contestations étudiantes du printemps 2012auraient révélé un certain malaise touchant le rôlede l’éducation. «Et le comble, c’est que les autoritésont refusé d’ouvrir un débat public autour de cettequestion, intervient Julien Prud’homme. Cela auraitété plus que nécessaire.» Monseigneur Parent adû se retourner dans sa tombe.La question demeure : l’école, c’est pour ap-

prendre ou pour pouvoir travailler? « Il faut trouver unéquilibre entre les deux approches, précise Jean Ber-natchez. L’université doit être utile. Reste à savoir àquoi et à qui. Je suis de ceux qui pensent qu’elle doitd’abord être utile à la communauté.»

«Jadis, on pouvait dire : “Qui s’instruit s’enrichit.” Ce

n’est plus tout à fait le cas, ajoute Mircea Vultur. Onaffirme que la plupart des diplômés reçoivent demeilleurs salaires que ceux qui n’ont pas de qualifications,mais c’est demoins enmoins vrai. Le quart des diplômésuniversitaires ont un revenu en deçà de 18 000 $ parannée !» Sur quelle voie est donc engagé notre systèmeéducatif? Quel avenir annonce-t-il à la nouvelle génération?

«On comprend qu’offrir des formations sur mesurepour le marché du travail peut être une erreur, poursuitMircea Vultur. En effet, beaucoup de formations de-viennent obsolètes après cinq ans. Les jeunes le savent,ils se sentent en situation de précarité et cela les em-pêche de se projeter à long terme dans une entreprise.»

Choisirons-nous d’encourager la formation continuepour maintenir le niveau de compétences de tous etde chacun? Ou préférerons-nous livrer une éducationassez durable pour que le savoir acquis sur les bancsd’école puisse garder sa valeur toute une vie?

Qu’en diriez-vous, Alphonse-Marie ? �

VI

La recherche dans le réseau de l’U

1964Grand balayage.Le système scolaire est entièrementrepensé. On avait 741commissions scolaires,elles sont maintenantregroupées en 55 corporationsd’allégeancecatholique et 9 d’allégeanceprotestante. Cettegrande opération derestructuration seraterminée un an plustard. Impactscollatéraux : le transport scolaire segénéralise et des écoles secondairesdites «polyvalentes» sont construites.

1965Un bel avenir.Septembre, la plus grande rentréescolaire de l’histoire. Plus de 1,5 million de jeunes Québécois seretrouvent sur les bancs d’école.

1967Fin des classiques.Le cours classique est relégué auxoubliettes. On assiste à la naissancedu cégep – une formule unique aumonde –, qui fait maintenant le pontentre l’enseignement général donnéau niveau secondaire et l’université.Pour inciter les élèves à poursuivreleurs études au-delà de la cinquièmesecondaire, le gouvernement institueun programme de prêts et bourses,tout en étendant la gratuité au niveaucollégial. Le succès est rapide. Alorsque seulement 22 987 élèves biencomptés fréquentaient les collègesclassiques du Québec, en 1961, ils

seront 117 663 inscrits dans uncégep en 1971. Une augmentation de800%!

1968Réseau desavoir. Adoption de la loicréant l’Université du Québec.Elle favorisera l’émergence d’uneélite dans les régions. Quatreconstituantes entrent en activitéen 1970: Montréal (UQAM),Trois-Rivières (UQTR), Chicoutimi(UQAC) et Rimouski (UQAR).Suivront l’Outaouais (UQO) en1981, et Rouyn-Noranda (UQAT)

en 1983. L’Institut national de larecherche scientifique (INRS), créé en 1969, et l’École nationaled’administration publique (ENAP)intègrent aussi ce réseau, tout commel’École de technologie supérieure (ETS),en 1974. En 1992, ce sera le tour dela Télé-Université (TÉLUQ).

1979Adaptationscolaire. «Une éducation dequalité adaptée aux besoins del’élève.» Les Québécois découvrentune nouvelle réalité et un nouveauvocabulaire. Le document L’écolequébécoise, énoncé de politique etplan d’action propose de mieuxintégrer des clientèles dites spéciales,comme les enfants issus del’immigration et les écoliers quiéprouvent des difficultésd’apprentissage.

1988La décroissance.La clientèle scolaire diminue de21,9%. Le baby-boom est bel et bienterminé. Le Québec ne compte plus

que 1 028 000 élèves. Des écolesdoivent fermer, surtout dans lescentres urbains.

1999Le droit à laréussite, c’est pour tout lemonde. Le ministère de l’Éducationadopte un plan d’action afin defavoriser l’adaptation scolaire pour les élèves ayant des difficultésd’apprentissage. Il convie les écoles àorganiser leurs services éducatifs entenant compte des besoins des«tannants», des distraits et des «paschanceux». Orthopédagogues,orthophonistes, psychologues entrenten scène. Mais faut-il créer des classesspéciales pour accommoder ces élèvesou pas? On se le demande encore.

2010Un investissementcollectif. Les contribuables – ilssont près de 6,2 millions – versent enmoyenne 3 000 $ par année pourl’éducation. Au total, cela représente19 milliards de dollars en 2010. C’est23% du budget du gouvernement duQuébec. Cinquante ans plus tôt, cela

représentait 22,8% soit, en dollars del’époque, 136 millions de dollars.

2010Un nouveau venu àl’école. Le Web, ami ou ennemi del’école? On estime que la presquetotalité (98,3%) des jeunes entre 16et 24 ans sont les plus grandsusagers d’Internet au Québec. Uneenquête menée en 2009 par leCEFRIO, le réseau québécois depromotion du numérique, les qualifiaitd’utilisateurs extrêmes.

2012Contestation.Des centaines de milliers d’étudiantss’opposent à l’augmentation desdroits de scolarité que leur impose legouvernement du Québec. Ilsdéclenchent une grève – ou unboycottage – de leurs cours etréussissent une mobilisation sansprécédent. Quelques mois plus tard, un nouveau gouvernement est élu etannule la mesure annoncée. Mais lefinancement des cégeps et desuniver sités reste une questionentière. �

La recherche dans le réseau de l’U

S’il y a un lieu, dans notre société,où des réflexions

originales etnovatrices peuventse développer, c’estbien dans le monde

du haut savoir.

PIERRE PERRAULT

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Page 7: LA RECHERCHE - Université du Québec

de l’Université du Québec Éducation

VII

de l’Université du Québec Éducation

Le phénomène a longtemps été négligé:l’arrivée, dans le monde du haut savoir, de jeunes dont les parents n’ont jamaisfréquenté le cégep ou l’université. Entrevue à double voix avec Carole Vezeau,professeure associée, et Thérèse Bouffard, professeure du département de psychologie de l’UQAM.

UN CHOC CULTUREL

Les travaux portant sur les étudiants de premièregénération (EPG) trouvent un écho particulierdans le contexte des discussions sur l’avenir del’enseignement supérieur. Qui sont ces étudiants?Carole Vezeau : Ils peuvent vivre des difficultés d’adap-tation au moment de leur passage du niveau secondaireau niveau collégial, puis du niveau collégial au niveauuniversitaire.Thérèse Bouffard : C’est un choc culturel pour eux,une difficulté supplémentaire à surmonter. Car le collègeou l’université sont, à leurs yeux, des pays étranges.Rien, au sujet de ces institutions, n’a pu leur êtretransmis par la famille.C.V. Et si leurs parents valorisent tout de même lesétudes supérieures, ils n’ont malheureusement pas tou-jours les ressources pour soutenir leur enfant. L’institutiondevrait prendre en compte cette dimension et fourniraux étudiants ce que la famille ne peut pas leur donner.

Somme toute, les EPG réussissent-ils aussi bienque les autres?T.B. Bien sûr ! Tant au cégep qu’à l’université ! Ilsaccordent même davantage d’importance à leur che-

minement scolaire. Ils savent qu’ils ne sont pas là surleur erre d’aller. Même s’ils s’inquiètent de l’endettementque les études peuvent leur occasionner, ils foncentquand même. Ils savent mieux que les autres ce qu’ilsveulent faire après leurs études; ils ont une meilleureidée de leur future carrière. Ils tirent ainsi plus de sa-tisfaction des progrès qu’ils accomplissent et dessuccès qu’ils obtiennent. Aussi, on a noté qu’ils dé-montrent plus d’attachement que les autres à l’institutionqui les accueille.C.V. Il n’empêche que le choix de continuer au cégepou à l’université ne se fait pas spontanément chez eux.L’idée «tu peux réussir sans aller à l’université» est per-sistante dans leur famille. Cela ne se pose pas dansles foyers où les parents ont fait des études supé-rieures.

Quelle est l’ampleur du phénomène des EPG?T.B. Elle est importante : il concerne près de 27% desétudiants. C’est moins qu’il y a 10 ans quand on encomptait 32%, mais ça reste massif. Et il faut dire quece sont principalement les femmes qui constituent lacohorte d’étudiants de première génération. �

Surtout en régionDepuis 1993, le réseau del’Université du Québec compileles caractéristiques de sesétudiants afin d’en faire leprofil. Les plus récentesdonnées, obtenues àl’automne 2011*, ont permisde souligner que 58% desnouveaux étudiants étaient depremière générationuniversitaire (EPG); ils fontfigure de pionniers dans leurfamille. En région, cetteproportion peut aller jusqu’à67%. Les EPG proviennentsurtout du Nord-du-Québec, deGaspésie–Îles-de-la-Made -leine, du Centre-du-Québec etdu Bas-Saint-Laurent.

C’est le secteur de la santéqui attire surtout ces étudiants(qui sont, en fait, à 87% desétudiantes). Leurs autresdomaines de prédilection sontles sciences de l’adminis -tration et les sciences del’éducation. Ces EPGcomposent la majorité, soit67%, du groupe d’étudiants àtemps partiel. Notons que cesont les institutions du réseaude l’Université du Québec quienregistrent la proportion laplus marquée d’étudiants decette catégorie au Québec.D’un établissement à l’autre,cette proportion oscille entre53% et 72%, alors qu’ellen’est que de 46% dans lesautres universités franco -phones du Québec, et tourneautour de 30% dans lesuniversités anglophones. Elleest de 44% pour l’ensembledes universités du reste duCanada.* Les statistiques obtenues par laDirection de la rechercheinstitutionnelle de l’Université duQuébec sont issues de donnéescolligées auprès de 9 500répondants.

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L es enfants ont changé plus vite que l’école. Lemonde de Facebook et de Twitter, des tabletteset des téléphones intelligents ébranle sérieu -

sement les pratiques scolaires. «La tension est évidentedans le monde scolaire, dit Jonathan Roberge, pro-fesseur-chercheur en culture numérique au Centre Ur-banisation Culture Société de l’INRS. En fait, nosinstitutions sont encore en mode réactif face au nu-mérique, alors que nous aurions besoin d’une réflexionde fond pour bien définir le rôle de ces technologiesen éducation.»

Pourtant, en 1995, le gouvernement du Québec semontrait déjà préoccupé par la question et avait pousséles écoles à entreprendre un virage pour faire unebonne place au numérique. Mais on est toujours dansle virage. De nouveaux outils technologiques ne cessent,encore et encore, d’être proposés. «Après les ordina-teurs, ça a été les tableaux blancs interactifs dont onn’a même pas terminé l’installation. Maintenant, ce sontles tablettes, dit Sonia Lefebvre, professeure en tech-nologie numérique à l’Université du Québec à Trois-Ri-vières. À ce rythme, comment pouvons-nous arriver àadapter notre enseignement? C’est déstabilisant. Il nousfaut constamment renouveler notre pratique. De quoi

mettre à rude épreuve notre capacité d’adaptation.Mais c’est ça, l’enseignement ! On n’a pas le tempsd’être blasé.»

On mène actuellement toute une panoplie d’expé-riences dans diverses écoles du Québec afin d’aiderles élèves – et les enseignants – à travailler avec cesnouvelles technologies de l’information joliment appeléesTIC. «De nombreuses écoles essaient en effet d’ap-privoiser le nouvel environnement technologique. Maisil n’y a pas de mise en commun de ces multiples expé-riences. C’est bien malheureux», souligne JonathanRoberge qui est aussi titulaire de la Chaire de recherchedu Canada sur les nouveaux environnements numériqueset l’intermédiation culturelle.

«Les enseignants ont une assez bonne idée du po-tentiel des nouvelles technologies, poursuit le chercheur,mais ils ne savent pas toujours comment en assurerle bon usage une fois qu’elles sont entre les mains desenfants. Cela dit, je suis de ceux qui pensent qu’on n’apas à laisser toute la place à la technologie en classe.C’est à nous de choisir la façon de gérer notre rapportà la technologie.»

Il n’empêche que les écoliers baignent déjà dansun environnement numérique. «Cela ne leur fait pas

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La recherche dans le réseau de l’ULa recherche dans le réseau de l’U

L’école arrivera-t-elle à s’adapter aux enfants nés avec lesnouvelles technologies?

GÉNÉRATION NUMÉRIQUE

COLIN HAW

KINS/CU

LTUR

A/SP

L

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peur, fait remarquer Sonia Lefebvre. Ils l’utilisent de façon intuitive et saventrecourir aux réseaux sociaux. Nous devons compenser un gros décalageentre la maison et l’école.»

Aurions-nous donc été trop lents avec les TIC? «C’est surtout que lesnouvelles technologies imposent un autre rapport au savoir. L’enseignant n’estplus le seul détenteur de la connaissance, reconnaît Sonia Lefebvre. Il doitmaintenant accepter de partager son rôle, tout en restant un pédagogue, unguide compétent qui sache orienter ses élèves dans la manipulation de cetoutil. L’objectif reste encore la réussite scolaire des enfants. Et je peux vousassurer que l’usage des technologies accroît leur motivation. C’est un excellentvecteur d’apprentissage !»

Pour Jonathan Roberge, la réussite ira toujours de pair avec la motivation :«Si les enfants sont plus performants avec leur ordinateur à la maison qu’àl’école, ils vont s’ennuyer en classe.»

On convient tout de même de ne pas considérer le numérique comme lapanacée en matière pédagogique. C’est le fondateur d’Apple lui-même, SteveJobs, qui le faisait remarquer il y a plus de 10 ans. «On peut installer un siteInternet dans chaque classe, affirmait-il. Ce n’est mauvais en rien, sauf si celanous berce de l’illusion que l’on s’attaque ainsi aux maux de l’éducation.» Ettoc pour les TIC ! �

Pour en savoir plus :Association québécoise des utilisateurs d’ordinateurs au primaire et ausecondaire. www.aquops.qc.ca

IX

de l’Université du Québec Éducation de l’Université du Québec Éducation

Un atoutLes technologies numériquesmenacent-elles l’enseigne -ment traditionnel au collègeet à l’université? Le virtuelprendra-t-il la place de laréalité concrète d’une sallede classe? «Un mythe s’étaitinstallé, il y a quelquesannées à l’effet quel’université à distance allaittuer l’enseignement, serappelle Jonathan Roberge,professeur en technologienumérique à l’INRS. Ça nes’est évidemment pasproduit. Il y a des cours surInternet, bien sûr, mais pasde désertion des salles declasse! Cela démontre bienque l’adaptation est possible.Mieux, on a compris que l’onpouvait faire des choses quiauraient défié l’entendement,il y a quelques années.Signalons, par exemple, quela recherche universitaire aconnu une remarquableaugmentation de laproductivité grâce à cestechnologies, que la diffusiondes travaux estincomparablement plusefficace et que lesbibliothèques savantes sontplus accessibles quejamais.»

La fin des crayonsDès la petite enfance, les écoliers préfèrent utiliser le clavier plutôt que d’écrire à la main. Les instituteurs seraient-ils en retard d’une technologie? Cela augure-t-il la fin des crayons en classe?

«Entre le clavier ou le crayon, les écoliers semblent avoir fait leur choix : c’estl’ordinateur, affirme Nathalie Lavoie, titulaire de la Chaire de recherche sur la persévérance scolaire et la littératie à l’Université du Québec à Rimouski(UQAR). Cela nous force à jeter un regard nouveau sur la façon de leurenseigner l’écriture. Mais le rythme de développement des technologies est telque les enseignants ont maintenant du mal à les suivre.»

C’est une étude, réalisée l’an dernier dans des classes de maternelle et depremière année à Rimouski et à Lévis, qui a indiqué bien clairement le choix quefaisaient les enfants dès leur plus jeune âge. «Près de 70% optent en effet pourle clavier. Mais attention, cela ne leur permet pas de mieux réussir leurs

leçons», précise Nathalie Lavoie.Faut-il donc changer la méthode d’apprentissage de l’écriture? «J’ai cherché, je n’ai pas trouvé

d’études démontrant qu’un outil est plus avantageux que l’autre, explique la chercheuse. Il faut dire quela présentation des lettres sur le clavier ne correspond pas à l’ordre alphabétique. Si cela devait changerla façon d’apprendre à écrire, on devra ouvrir un autre débat. Ainsi, faut-il privilégier l’enseignement del’écriture cursive (lettres attachées) ou de l’écriture scriptée (lettres moulées ou détachées)? Notons quel’écriture scriptée participe mieux à la représentation et à la mémorisation. La reconnaissance deslettres est meilleure. En plus, les caractères reproduits sont semblables à ceux que les enfantsdécouvrent dans les livres. Cela dit, il peut y avoir, pour eux, de la confusion dans la perception decertaines calligraphies où le b ressemble au d, et le p ressemble au q.»

Au fil des ans, Nathalie Lavoie a tout de même remarqué que les élèves écrivent de plus en plus.Encore l’effet de l’ordinateur? «J’ai enseigné au primaire pendant les années 1990. C’est étonnant deconstater combien le rapport des élèves avec l’écriture a changé. Ils “clavardent”, ils “chattent”, ils“tweetent”. Jamais les jeunes n’ont autant écrit. Cependant, ils ne réussissent pas mieux leurs travaux !Et leur écriture est plutôt phonétique, sans souci de l’orthographe.» «Ojordui» plutôt qu’aujourd’hui?«Eureu» plutôt qu’heureux? À ce rythme, à quoi ressemblera la langue française en 2070?

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L a petite Sarah ne s’est pas gênée pour le dire :«Je suis dyslexique, mais on m’a fait un “profil”et les ordinateurs m’aident.» Comme ils aident

Audrey ou Fred. Ces enfants du Collège de l’Horizon,une petite école de 470 élèves de première secondairesituée à Trois-Rivières, ne cachent pas leurs difficultésd’apprentissage. «C’est déjà un immense pas de franchi,dit leur enseignante, Nancy Boivin. Et vous savez quoi?Ils vivent des réussites !»

Près de 15% des élèves inscrits dans ce collègeprésentent des troubles d’apprentissage : dyslexie,dysphasie, dysorthographie, etc. Mais l’école a mis àleur disposition les outils qui peuvent les aider. «Cen’est pas seulement l’affaire d’une personne ou d’uneenseignante; c’est toute l’école qui a dû relever le défi.

Il fallait aussi pouvoir compter sur les parents», rappelleDominique Côté, orthopédagogue formée à l’Universitédu Québec en Outaouais.

«L’école doit savoir s’adapter à ces enfants», affirmeNadia Rousseau, une des grandes spécialistes qué-bécoises des troubles d’apprentissage. Professeure àl’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), elle aentrepris, avec le Collège de l’Horizon, d’instaurer unedémarche d’accompagnement sur mesure pour lesélèves comme Sarah. «Un des moments clés de mesrecherches a été de constater combien les élèves endifficulté ont du mal à exprimer leur problème, expliqueNadia Rousseau. Ils disent : “Je suis pourri, stupide,niaiseux.” Ils sont franchement tristes d’être à l’école.Il m’a semblé assez clair que ces élèves doivent retrouver

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La recherche dans le réseau de l’U

RENOUVEAU PÉDAGO G Les troubles d’apprentissage ont pris une ampleur sans précédentau Québec. Mais les technologies informatiques pourraient être d’un grand soutien pour les surmonter. Démonstration.

L’orthopédagogueDominique Côté et

l’enseignante NancyBoivin dans une classedu Collège de l’Horizon

à Trois-Rivières

PHOTOS : JEAN-FRANÇO

IS LEBLANC

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la maîtrise de leur processus d’apprentissage. À partirdu moment où on peut leur faire reconnaître leurs pro-blèmes tout en leur redonnant confiance, ils lesacceptent mieux. Toutefois, ce cheminement doitreposer sur un lien significatif avec l’enseignant.»

«Les écoles sont en général faites pour ceux quiréussissent, pas nécessairement pour les enfants quifont les plus grands efforts et surtout pas pour ceuxet celles qui présentent des troubles d’apprentissage,poursuit Nadia Rousseau. Quand on a toujours des Aet des B, on souffre rarement d’un manque de confianceen soi. Mais quand on doit régulièrement affronter deséchecs, on est plus vulnérable. On devient ainsi plussensible aux remarques des enseignants.» Cela donnela mesure de la pente que ces enfants ont à remonter.Et c’est d’autant plus difficile qu’ils ont le souci de per-former comme leur demande l’école.

« Il y a des enfants chez qui les troubles ne sontmême pas apparents, note Dominique Côté. Ceux-làont développé des comportements qui arrivent à com-penser leurs problèmes. Mais aussi à les cacher. Ilstravaillent très fort et peuvent même être premier oupremière de classe. Ils développent aussi beaucoupd’anxiété.»

Que faire? En 2009, le Collège de l’Horizon adoptele processus dit de recherche-action, piloté par NadiaRousseau. « Ça a passablement remué les habitudes,note Nancy Boivin. Ça remettait en question notre travaild’enseignant. Certains d’entre nous n’étaient pas toutà fait à l’aise, au départ. Cependant, pour changer, ilfaut déranger.»

Dominique Côté explique qu’il faut d’abord admettreque les jeunes n’apprennent pas tous de la même ma-nière. « Il y en a qui sont plutôt visuels, d’autres plutôtauditifs, précise-t-elle. On définit donc pour chacun unprofil particulier en fonction de ses difficultés propres.»

Puis on leur adjoint un allié: l’ordinateur. «C’est unetechnologie d’aide, poursuit l’or-thopédagogue. Avec ça, ils nesont pas stigmatisés. Un élèvepeut lire 150 mots à la minute;s’il est affecté par la dyslexie, ilen lira 50, de peine et de misère.L’ordinateur ne lui enlèvera passa dyslexie, mais il compenserasa difficulté d’apprendre à lireou à écrire et lui permettra, mal-gré tout, d’avancer dans l’acqui-sition d’autres compétences.L’enfant aura un sentiment deréussite qu’il ne connaissait pas.En plus, c’est in, un portable !»

Avec un tel encadrement, l’enfant ne se définit plusà partir de ses difficultés. « Il sait qu’il doit composeravec un trouble d’apprentissage. Il le reconnaît. Et ilsait aussi qu’il peut apprendre malgré cette difficulté,résume Nancy Boivin. Cela vient dénouer toutes lesperceptions négatives qu’il avait de l’école et de lui-même. Il a une façon différente d’apprendre, mais ilapprend quand même ! »

Bien sûr, les enfants en difficulté ont besoin de plusde temps que les autres. C’est ainsi que le cours d’his-toire-géographie de Nancy se donne en trois ans plutôtqu’en deux.

Chose certaine, pour la chercheuse Nadia Rous -seau, les écoles qui veulent la réussite de leurs élèves

doivent leur accorder letemps dont ils ont besoin :«Pour cela, il faut un environ-nement qui permette la cul -ture de la réflexion. C’est trèsutile en pédagogie, il me sem-ble. » �

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de l’Université duQuébec Éducation

O GIQUE 2.0

Nancy Boivin avec unélève: «Les enfants endifficulté ont unefaçon différented’apprendre.»

Nadia Rousseau, spécialiste destroubles d’apprentissage: «À partir du moment où on peut leur fairereconnaître leurs problèmes, tout en leur redonnant confiance, ils lesacceptent mieux. Toutefois, cecheminement doit reposer sur un liensignificatif avec l’enseignant.»

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L 'école de campagne est-elle en train deredevenir un modèle pour les régions? Peut-être bien ! «Nous avons renoué avec l'école

multiâge», dit Christine Couture, professeure-cher-cheuse en didactique de la science et de la technologie

à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).Comme jadis, on rassemble des enfants de plusieurs

niveaux et de plusieurs âges au sein d'un même groupescolaire. Avec une différence de taille : un encadrementpédagogique qui ne pouvait exister dans les années1950. Une école à Godbout, sur la Côte-Nord, a eu ré-cemment à former une classe composée de 10 élèvesde niveaux différents – de la première à la sixièmeannée. «Cela représente des avantages administratifs,mais on découvre aussi des avantages pédagogiquessemblables à ceux qu’offrent les écoles alternatives»,note la chercheuse, qui agit aussi au Centre de rechercheinteruniversitaire sur la formation et la profession en-seignante (CRIFPE).

Ces classes ne semblent pas nuire à la réussitescolaire. C’est ce qu’a déjà constaté, en 2006, à l’issued’une étude conduite dans six commissions scolairesd'Abitibi, du Témiscamingue et de l’Ungava, Jean-Francois Desbiens, chercheur au CRIFPE.

Il n'empêche : «Les classes multiâges soulèvent desappréhensions chez les parents, reconnaît Christine Cou-ture. Mais après quelques années, nous sommes main-tenant convaincus que la formule peut s'appliquer sansposer de problèmes pédagogiques. Elle demandetoutefois plus de planification de la part des enseignants,qui doivent aussi intervenir de façon plus individualisée.»

Cette formule ne risque-t-elle pas de défavoriser lesélèves les plus doués? Aucune étude ne montre d'effetsnégatifs sur le rendement des élèves, lit-on dans unrapport de recherche réalisé par une quinzaine d'en-seignants du Saguenay–Lac-Saint-Jean sous la directionde Christine Couture. Ces classes seraient même su-périeures aux classes à degré unique, en ce qui a traitau développement affectif, parce que leur structure serapproche de celle de la famille.

«En réalité, quand les plus grands aident les plusjeunes à s'approprier une notion, ils consolident leurspropres apprentissages, continue Christine Couture.Et dans tous les cas, les élèves apprennent entre euxquelque chose qui leur sera toujours précieux :l'entraide.» �

Pour en savoir plus :La classe multiâge d’aujourd’hui – Enseigner etapprendre en classes cycle et intercycle, par ChristineCouture et Pascale Thériault Anjou, Éditions CEC,2011.

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La recherche dans le réseau Éducation

LE RETOUR DE L'ÉCOLE DE RANG?Les chercheurs voient maintenant des avantages à composer des classes avec des enfants d'âges différents.

Le taux de décrochage scolaire chez les Inuits reste effarant.Le phénomène est commun à l’ensemble des Premièresnations. Mais ça n’enlève pas l’importance de l’école dans leGrand Nord. Au contraire. «Les jeunes Inuits sont beaucoup plus attachés à leur identité qu’on le pense. Ils comprennentque l’éducation est importante. Mais ils n’ont pas suffisamment de modèles. Ils se disent:“Qu’est-ce que l’école peut bien nous apprendre si, au bout du compte, on veut chasser outravailler à la coopérative du village?”»

Chercheuse à l’École nationale d’administration publique (ENAP), Tatiana Garakani acherché à identifier les facteurs en cause dans le problème d’abandon scolaire chez les Inuits.«Ce qui ressort, c’est que leur conception du succès est beaucoup plus large que la nôtre», dit-elle. Est-ce à dire que notre façon de mesurer la réussite scolaire serait à revoir?

En tant qu’experte de l’Évaluation et la coordination en cas de catastrophe pour les Nationsunies (UNDAC), Tatiana Garakani en a pourtant vu bien d’autres en Ouganda, au Cambodge ouen Iran. «Même dans des situations extrêmes, on constate que l’éducation est un serviceessentiel; et l’école, un véritable environnement social. Il en va de même chez les Inuits.»

Mais cette école est-elle adaptée à leur réalité? La chercheuse reste prudente : «Jusqu’à latroisième année du primaire, les jeunes apprennent dans leur langue maternelle, l’inuktitut. Leproblème, c’est après. En effet, il n’y a pas encore assez d’enseignants inuits pour donner tousles cours du programme. Il faut donc faire appel à des qualluanat, des enseignants non inuits,qui ne connaissent pas la langue locale et ont parfois bien du mal à s’intégrer à la culture et àl’environnement nordiques.»

Un peu de patience, donc. «En somme, pour favoriser leur réussite scolaire, il faut continuerà aider les Inuits à s’approprier leur éducation, dit Tatiana Garakani. Et ça peut marcher, parceque l’on constate également que les enfants veulent pouvoir élaborer des projets d’avenir. Ilsont des rêves. C’est là un élément clé pour réussir.»

ENSEIGNER AU-DELÀ DU 52e PARALLÈLE

SOCIÉT

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