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La responsabilité internationale des Etats-Unis pour les dommages causés par les précipitations acides sur le territoire canadien par OLIVIER CORTEN and ANNEMIE SGHAUS Extrait A nnuaire canadien de D roit international T ome XXVII, 1989

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La responsabilité internationale des✓Etats-Unis pour les dommages causés par les

précipitations acides sur le territoire canadien

par

O L IV IE R C O R T E N

and

A N N E M IE SG H AU S

Extrait

A n n u a i r e c a n a d i e n d e D r o i t i n t e r n a t i o n a l

T o m e X X V II, 1989

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précipitations acides sur le territoire canadien

O L I V I E R G O R T E N * et A N N E M I E S C H A U S f

I n t r o d u c t i o n

IE PH É N O M È N E D ES “ PRECIPITATIO N S ACID ES” 1 constitue actuelle- .J ment le cas le plus répandu de pollution atmosphérique trans­frontière. Depuis de nombreuses années déjà, les scientifiques ont

lancé un cri d’alarme: le problème est de dimension planétaire.2 En revanche, le droit international semble marquer un temps de retard : si la question est fréquemment abordée sur un plan général,3 aucune étude ne s’est encore attachée à démontrer la responsabilité

* Chercheur au Centre de droit international de l’Université de Bruxelles, t Avocate au barreau de Bruxelles.

Texte présenté dans le cadre d’un séminaire offert à l’Université Libre de Bruxelles par le professeur Daniel Turp, trimestre d’hiver 1989.

1 Le terme “ pluies acides” apparaisse pour la première fois en 1872 dans un ouvrage de R. R. Smith, Air and Rain: The Beginning of Chemical Clima- tology} cité dans E. F. Murphy, United States-Canadian Expériences in Combating and Controlling the Àirborne Pollutants in Transboundary Air Pollution (Netherlands, 1986), p. 33 et ss.

2 “ S.O.S. Environnement. 200 savants s’adressent aux 3 milliards et demi de terriens,” U N ESCO , Le Courrier, juillet 1971, p. 4-5.

3 Voir, par exemple, les deux colloques organisés par l’Académie de Droit In­ternational de L a Haye; Colloque 1973, La protection de Venvironnement et le droit international (Leiden: Sijthoff, 1975), 650 p., et Colloque 1984, L ’ avenir du droit international de l’environnement (Leiden: Nijhoff, 1985), 672 p.

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internationale d’un État pollueur en particulier.4 Pourtant, il s’avère urgent d’exercer une pression sur certains gouvernements afin qu’ils réduisent les émissions de substances polluantes sur leur territoire. Et le mécanisme de la responsabilité internationale apparaît à cet égard particulièrement approprié car, comme le soulignait Ian Brownlie : “A major rôle of State responsibility and the law of claims is psychological and moral: that of putting a hard edge on légal rights and duties.” 5

Les précipitations acides sont produites par une transformation chimique de deux pollutants, l’anhydride sulfureux (SO2) et l’oxyde d’azote (N O x) qui, en présence de l’humidité de l’ air, s’oxydifient pour retomber sous forme de précipitations acides (neige, pluie, brouillard, dépôts secs). Ces substances, émises principalement par les industries et les gaz d’échappement, sont ainsi transportées sur des centaines, voire des milliers de kilomètres.6

Les États-Unis émettent annuellement plus de 25 millions de tonnes métriques d’anhydride sulfureux et 13 millions de tonnes métriques d’oxyde d’azote :7 ils occupent donc le rang peu enviable de premier “ producteur” de précipitations acides au monde. Pour des raisons météorologiques (direction des vents), le Canada en est la principale victime.8

Le 14 juillet 1989, le Président Bush a transmis un nouveau pro­jet de loi au Congrès,9 Les mesures qu’il contient sont sans précé­dent: adoptées, elles apparaîtraient comme les premières jamais prises par les autorités américaines qui soient de nature à atténuer substantiellement la pollution transfrontière par dépôts acides. Mal-

4 Plusieurs articles ou chapitres d’ouvrages sont consacrés aux relations améri­cano-canadiennes sur les précipitations acides, mais aucun ne semble prendre une position claire sur la responsabilité d’un État pollueur. Voir, par exemple, J. Piette, “La protection de la santé publique et la réglementation nationale et internationale de la pollution par les pluies acides” (1985) 2 R .Q .D .I., p. 139-54; G. F. Fitzgerald, “ The Proposed Canada-United States Transboun- dary A ir Pollution Agreement: The Légal Background,” (1982) 20 C Y IL , p. 219-43, I. Van Lier, A cid Rain and International Law, (Ghap. V II ) , (Toronto, 1981), 278 p.

5 I. Brownlie, “The Causes of Action in the Law of Nations,” (1979) L B Y IL13, à la p. 40.

s “Les pluies acides: Une pollution venue d’ailleurs,” U N E SCO . Le Courrier, janvier 1985, p. 21-22; J. Piette, op. cit. supra note 4, p. 139 et ss.

7 Ibid., p. 141, Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, janvier 1986, p. 12. Voir aussi les statistiques du Ministère canadien de l’environnement, Halte aux pluies acides, Brochure, 6 p. (pt. 7}.

8 Ibid., pt. 8.9 “Not Much Gleaner Air,” International Herald Tribune, July 26, 1989, p. 4.

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heureusement, le projet suscite déjà une vive opposition parmi les industriels, qui seront les premiers à supporter le coût de la purifi­cation de l’air: son adoption est dès lors loin d’être acquise.10

Il s’avère donc urgent de faire pression sur les États-Unis afin que ces mesures législatives soient mises en œuvre. C ’est pourquoi nous nous emploierons dans cette étude à montrer que, tant qu’il main­tient son attitude laxiste, cet État viole le droit international. Pour y parvenir, nous comparerons le comportement effectivement adopté par les États-Unis au comportement requis par le droit international en pareilles circonstances. Ainsi, nous tenterons de démontrer: dans une première partie que, en fait, les États-Unis n’ont pris que des mesures très limitées pour prévenir le dommage causé par les pré­cipitations acides; dans une seconde partie que, en droit, les États- Unis devaient prendre des mesures rigoureuses pour prévenir un tel dommage.

I . M e s u r e s t r è s l i m i t é e s p r i s e s p a r l e s É t a t s - U n i s

Les mesures américaines doivent être qualifiées de très limitées puisque, malgré les dommages importants causés au territoire cana­dien par les précipitations acides ( A ) , les États-Unis n’ont pas tout mis en œuvre pour lutter contre ces précipitations (B).

A . LE S PRÉCIPITATIO N S ACIDES PROVOQUENT D ES DOM M AGES SUR LE

TERRITOIRE CANADIEN

La justification principale avancée par les États-Unis pour dénier leur responsabilité consiste essentiellement en une contestation du lien de causalité entre, d’une part, les émissions d’anhydride sulfu­reux et d’oxyde d’azote et, d’autre part, les dommages constatés sur le territoire canadien.11 Pour démontrer son manque de pertinence, nous verrons tout d’abord qu’il est établi, avec un très haut degré de probabilité pour une partie d’entre eux, que les précipitations acides causent des dommages importants sur le territoire canadien,

10 F. Sergent, “Bush ne lésine pas sur les dollars pour purifier l’air,” Libération,27 juillet 1989, p. 9.

11 Voir, par exemple, G, Fitzhugh, Associate A dministrator U.S. Environmental Protection Agency, Background Briefing, Conférence internationale des minis­tres sur les pluies acides, Ottawa, 21 mars 1984, p. 7 et suiv. De même, G. F. Fitzgerald, op. cit. supra note 4, p. 223-24. Il s’agit là de l’argument classique des États pollueurs; A. Rosencranz, “ The ECE Convention of 1979 on Long- Range Transboundary A ir Pollution,” (1981) 75 A JIL 975, à la p. 980; condamné par une recommandation du Conseil de l’Europe, Recom. n° 977 (1984.) on Air Pollution and Acid Rain, in (1987, I) A ID I, p. 196.

Les dommages causés par les précipitations acides 229

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ensuite que le droit international ne requiert pas l’existence d’une preuve absolument formelle.

i. Preuve concluante des dommages

Les dégâts causés par l’acidification ont pris une ampleur consi­dérable au Canada, Ils touchent d’abord l’ensemble des lacs du pays, avec des conséquences dramatiques pour toutes les activités d’exploi­tation qui y sont liées, et en particulier la pisciculture. Par ailleurs, l’immense étendue de territoire canadien, bordé de forêts, en subit les effets : des milliers d’arbres meurent chaque année, tandis que les sols se stérilisent. Enfin, on a observé un phénomène de dégradation qui toucherait bon nombre de constructions et bâtiments,12

A ux coûts directs liés à la perte de ces ressources, il faut ajouter les répercussions sur l’emploi dans chacun des secteurs concernés, ainsi que le déclin du tourisme dans certaines régions attaquées.1311 faut aussi relever le caractère irréversible d’une partie des dom­mages. L ’ensemble de ces derniers se chiffrerait à plusieurs centaines de millions de dollars, selon le ministère canadien de l’environne­ment.14 Quant au revenu tiré des ressources menacées, il représente­rait près de 10 % du PN B.16

Bien entendu, on ne peut attribuer la totalité de ces dommages aux seuls anhydrides sulfureux et oxydes d ’azote émis aux États-Unis qui, portés par les vents dominants, atteignent le territoire canadien sous forme de précipitations acides. Tout d’abord, le Canada “ pro­duit” lui-même 50 % des précipitations acides dont il est la victime.1*5 Ensuite, l’état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas de déterminer exactement dans quelle mesure les émissions de SO2

12 Le temps perdu. Cri de ralliement contre les pluies acides. Rapport du Sous- Comité sur les pluies acides, Chambre des Communes, (1983-84.), p. 7 et suiv. Notes pour Vallocution du Ministre de VEnvironnement du Canada M. Charles Caccîa à la Conférence ministérielle canado-européenne sur les pluies acides, Ottawa, le 20 mars 1984, 5 p.

13 I b i d G. F. Fitzgerald, op. cit. supra note 4, p. 220.14 Notes pour une allocution de la Ministre de Venvironnement Suzanne Biais-

Grenier à l’ occasion d’ une conférence de presse sur le plan d’action relatif aux pluies acides, Ottawa, le 6 mars 1985, 6 p,

15 Backgrounder on the U .N . Economie Commission for Europe, Convention on Long-Range Transboundary Air Pollution, Ottawa, March a i, 1984, 2 p.

1(5 Le temps perdu. Cri de ralliement contre les pluies acides, op. cit. supra note 12, p. 43; G. S. Westone, A. Rosencranz, assisted by S. A. Foster, Acid Rain in Europe and North America: National Responses to an International Prob- lem: A Study for the German Marshall Fund of the United States. An En- vironmental Institute Publication (1983), p. 19.

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et de N O x sont à l’origine des dommages observés17 puisque des sources d’acidification autres que les précipitations acides ont été relevées : utilisation de certains fertilisants agricoles, méthodes inadé­quates de sylviculture ou encore variations climatiques extrêmes.18

Cependant, il est incontestable que les substances polluantes en provenance des ÉtatsjUnis provoquent une part considérable des dégâts dus à P acidification. En ce qui concerne les eaux des lacs, les données scientifiques attestent que seules les précipitations acides sont à l’origine de leur dégradation.19 Sur cette seule base, on peut déjà affirmer de manière certaine que les activités polluantes se déroulant aux États-Unis causent des dommages substantiels. Quant aux forêts, aux sols et aux bâtiments, la communauté scientifique est unanime : les savants les plus sceptiques admettent que ces précipi­tations constituent en tout cas une des causes des dommages observés.20 Enfin, les effets néfastes sur la santé s’avèrent hautement probables: certains organismes comme l’O M S semblent tenir pour acquise l’existence d’un lien de causalité;21

En définitive, si les incertitudes scientifiques empêchent une éva-

17 I. Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 39-40. Les autorités canadiennes le re­connaissent, Transboundary Air Pollution, memorandum dated June 1, 1987, Légal Bureau, in (1987) 25 C Y IL , p. 403-4,

18 I. Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 41 ; L. Chartrand, “ Qui tue les arbres?” ,& actualité, décembre 1987, p. 43.

19 Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, M. Drew Lewis (É.-U.), M. William Devis (Canada), janvier 1986, p. 16; G. S. Westone,A. Rosencranz, op. cit. supra note 16, p. 28; B. Lanoin, “Acidification in the U .K .,’5 (Oct. 1983), A cid News, p. 4.

20 II existe un large consensus pour attribuer le dépérissement des forêts aux précipitations acides; Rapport c o n jo in t ,.. , op. cit., p. 25; Weston, Rosen­cranz, op. cit. supra note 16, p. 28; CEE; proposition de règlement instau­rant une action communautaire contre les incendies et les pluies acides, Doc. Dossier n° 189, 13 juillet 1983, p. 2 (7Ème considérant), Avis de la commis­sion de Vénergie, de la recherche et de la technologie sur la proposition de directive du parlement européen sur la lutte contre la pollution atmosphé­rique du 4 octobre 1983, Conseil de l’Europe, p. 5; Air Pollution and En- vironmental Damage: A Description of the Problem and the Position of the European Environmental Bureau (EEB) , Bruxelles, 19,85, 11 p. Pour les effets de l’agriculture: Commission de Vagriculture, Avis sur les effets des pluies acides sur l’ agriculture et les pêches, Conseil de l’Europe, 19 sept. ><983, 29 p. Enfin, pour l’affirmation d’un lien de causalité d’une manière générale: Report from the Expert Meeting, 1982 Stockholm Conference on Acidification of the Environment, June 21-24, 1982, Stockholm.

21 Rapport 1979 de l’O M S cité dans Parlement européen: Le point sur le phénomène des pluies acides, Document-Dossier, 4 mai 1983, n° 184, 18 p. Par ailleurs, CEE: Proposition de directive concernant les normes de qualité de l’air pour le dioxyde d’azote, Doc. N° 193, le 28 sept. 1983, 11 p.

Les dommages causés par les précipitations acides 231

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luation précise du dommage provoqué par les précipitations acides en provenance des États-Unis, il n’en demeure pas moins qu’elles permettent d’affirmer, non seulement que ce dommage existe, mais aussi qu’il revêt un caractère substantiel.22 Il recouvre donc de ma­nière certaine l’ensemble des dégâts qui touchent les lacs, ce qui est déjà énorme, et avec un très haut degré de probabilité ceux qui affectent les autres ressources.

2. Le droit international ne requiert pas Vexistence d’une preuve formelle

En théorie, toute réclamation qui ne s’appuie pas sur des faits démontrés doit être rejetée.23 La règle est classique: elle concerne tant le dommage lui-même que son fait générateur et le lien de causalité entre les deux.24 Cependant, sa rigueur doit être fortement atténuée: lorsque la preuve est impossible à apporter, le droit peut se contenter d’une “ certitude raisonnable.” Gomme l’a affirmé Batti- fol: “ Le plus souvent, les juges recherchent dans une affaire com­plexe quelle est la thèse la plus probable, la plus vraisemblable, ce en quoi ils s’appuient sur l’idée que leur mission n’est pas d’établir le vrai en soi, ce qui excède (trop) souvent les possibilités hu­maines.” 25 Nous allons voir que cette position peut s’appuyer sur une

22 Rappelons en outre le caractère irréversible d’une partie de ces dommages: A cid Rain: À Review of the Phenomenon in the E.E.C. and Europe. Final Report Prepared for the Commission of the European Communities, Direc- torate General for Environment ERL, June 1983, p. 145 et suiv. On relèvera d’ailleurs que toute la lutte internationale contre les précipitations acides est fondée sur un tel constat, cf. W. Rudolf, in “L a pollution de l’air à travers les frontières nationales,” (1987, I) 62 A ID I, p. 275) Section 2.

23 J. J. A. Salmon, “ Le fait dans l’application du droit international,” (1982, II) 175 R C A D I 257, à la p. 306. Les applications sont nombreuses. Dans l’affaire de la Fonderie de Trail, le Tribunal a refusé d’indemniser les É.-U. pour des préjudices causés au bétail. Il a considéré que la preuve d’un dom­mage distinct n’avait pas été apportée, dans la mesure où un tel dommage était dû à une baisse de la qualité des pâturages, baisse ayant entraîné elle- même réparation. Cf. E. De Pontavice, La réparation du dommage en matière de pollution transfrontière in Aspects juridiques de la pollution transfrontière (Paris, 1977), p. 453. Pour un cas plus récent, Scott Foresman and Co. v. Iran, 16 Iran-U.S. Claims Tribunal Reports (ci-après C .T .R .), p. 108, Star­rêt Housing Corp. v. Iran, 4 Iran-U.S. C .T .R ., p. 107.

24 II peut aussi s’agir de Pimputabilité ou encore l’existence d’un acte juridique; Salmon, op. cit. supra note 23, p. 306.

25 H. Battifol, Observations sur la preuve des faits in La preuve en droit (Bruxelles, 1981), p. 305. V oir en ce sens Foriers, Considérations sur la

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Les dommages causés par les précipitations acides 233

jurisprudence abondante issue non seulement d’arbitrages mais aussi d’affaires portées devant la Cour internationale de Justice.

Les décisions arbitrales contenant une condamnation malgré l’ab­sence de preuve formelle sont innombrables. D ’une manière géné­rale, on rappellera les propos de M ax Huber dans l’affaire des Biens britanniques au Maroc espagnol, affirmant que: “ il [lui était] loi­sible . . . d’établir des responsabilités sur la base de probabilités suffisantes, résultant de l’ensemble des éléments d’information mis à sa disposition.” 26

Le juge adoptera plus fréquemment cette attitude dans certains domaines particuliers. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’allouer au plaignant un lucrum cessans, on est par définition obligé de se contenter d’une approximation.27 Il en va très souvent de même dans l’évaluation de certains dommages, comme par exemple la valeur d’une société28 ou la dépréciation monétaire d’une dette non payée.29

Mais l’acceptation d’une allégation présentant un haut degré de probabilité semble pouvoir concerner absolument tous les aspects d’une réclamation internationale. Ainsi le tribunal des différends irano-américains a-t-il été jusqu’à considérer établie la nationalité du réclamant sur base de simples présomptions, la charge de la preuve étant en l’espèce jugée “ excessive.” 30

preuve judiciaire in La preuve en droit, op. cit., p. 318. Pour Jean Salmon, “ la recherche de la vérité ou de la conformité avec la réalité n’e s t . . . qu’un idéal. En pratique, le droit va se contenter d’une certitude raisonnable,” op. cit., p. 304.

26 Affaire des biens britanniques au Maroc espagnol, Réclamation n° I, Ier mai 1925, II R .S.A., p. 654. Nous soulignons. Voir en ce sens les déclarations du juge américain Mosk, Ultrasystems Inc., 2 IR A N -U S C.T.R., p. 121 (opinion conc.), William Pereira Ass. v. Iran, 5 IR AN -U S C.T.R., p. 231 (opinion conc.), Schering Corp. v. Iran, 5 IR A N -U S C.T.R., p. 375 (op.

diss. ).

27 Voir, par exemple, Aff. Schuffeldt, La Fontaine, (1902, I ) , Pasicrisie, p. 398- 402; Amoco v. Iran, 15 IR A N -U S C.T.R ., p. 262. Comme le remarque Whiteman, les profits anticipés doivent être “ probable and not merely pos­sible,” Damages in International Law, Vol. IIÏ (Washington, 1943), p. 1837 (nous soulignons).

28 A I G Inc. v. Iran, 4 IR A N -U S C.T.R., p. 109.

29 O . Corten, A. Daems et E. Robert, “Les questions monétaires devant le tri­bunal des différends irano-américaine,” (1988, I) 21 R B D I 142, aux p. 176 et ss.

30 Fiexi-Van Leasing, Inc., 1 IR A N -U S C.T.R., p. 457. Voir également Aff. Robert John Lynch, V R.S.A., p. 18-19. Dans d’autres domaines: Aff. Oscar C. Franke, I V R.S.A., p. 602, Responsabilité de VAllemagne en raison des

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234 Annuaire canadien de Droit international 198g

L a Cour internationale de Justice a elle aussi fait application d’ar­guments similaires. L ’affaire du Détroit de Corfou, dans laquelle l’Albanie a été condamnée sans qu’on ait pu prouver irréfutablement qu’elle avait violé une obligation internationale, est un exemple clas­sique.31 Plus récemment, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a été amenée à suppléer à l’absence de preuves formelles dans son appréciation des faits : “ bien qu’elle ne soit pas aussi parfaitement informée à ce sujet qu’elle pourrait le désirer, la Cour tien t. . . pour établi que certaines incursions militaires transfrontières dans le territoire du Honduras et du Costa Rica sont en fait imputables au Gouvernement du Nica- ragua.

Malgré l’extrême diversité des cas d’espèce et des domaines abordés, on peut relever un point commun à cette jurisprudence: dès qu’une preuve s’avère impossible à apporter, une approximation sérieuse peut suffire. C ’est pourquoi, même si les Américains préten­dent que les connaissances scientifiques ne permettent pas de démon­trer avec une certitude absolue l’existence d’un lien de causalité entre les émissions d’acides aux États-Unis et les dégâts touchant les forêts et les bâtiments canadiens, on peut considérer, au regard des règles de preuve, que ce lien est suffisamment établi,38 La question ne se pose évidemment pas à-propos des dommages affectant les lacs, puisque nous avons vu que, sur ce point, le lien de causalité est établi de manière certaine.

actes commis postérieurement au 31 juillet 1914 en avant que le Portgual ne participât à la guerre, II R.S.A,, p. 1040; Aff. Cornesse Frères, T A M ger­mano-belge, I V Recueil des décisions, p. 88, O V C et O V C , ibid., p. 706, R.A.A. (K ehn), ibid., tome V I, p. 729; Compagnie pour la construction du chemin der fer d’ Ogulin à la frontière, S.A., V I T A M hungaro-serbe-croate slovène, ibid., p. 509, Banque d’ Orient, V I I T A M turco-grec, ibid., p. 974, Aff. de la Tubantia in Salmon, op. cit. supra note 23, p. 305-6; enfin, Aff. Irlande c. R .U ., Cour européenne des droits de l’Homme, Arrêt du 18 janvier1978, Série A , n° 25, p. 65.

31 Aff. du Détroit de Corfu, arrêt, Recueil 1949, p. 18. L a Cour a conclu par des présomptions que l’Albanie avait eu connaissance du mouillage des mines. Cf. op. diss. Badawi Pasha, Rec. 1949, p. 59 et 60.

32 Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui- ci, Recueil 1986, p. 87, § 164. Voir à ce sujet K . Highet, “ Evidence, the Court and the Nicaragua Case,” (1987) 81 A JIL 1, aux p. 49 et ss.

33 Remarquons que dans l’Aff. des Essais nucléaires, l’Australie a affirmé qu’ellen’était pas obligée d’établir la portée exacte du danger provoqué par lessubstances radioactives. G. Handl, “ Territorial Sovereignty and the Problemof Transnational Pollution” (1975) 69 A JIL 50 à la p. 52.

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Les dommages causés par les précipitations acides 235

B. M ESU R ES LIM ITÉES P R ISE S PAR L E S É T A T S-U N IS

Nous venons de voir que le lien de causalité entre les émissions de substances polluantes aux États-Unis et les dommages causés au Canada était suffisamment établi. Il reste à découvrir ce que les autorités américaines ont mis en œuvre pour lutter contre les pré­cipitations acides.

Le gouvernement fédéral a souvent exprimé son intention de lut­ter contre la pollution transfrontière. O n ne peut cependant que douter de la sincérité de ces déclarations puisque, d’une part, les mesures prises en ce sens par les États-Unis sont rares et inappro­priées et, d’autre part, cet État refuse d’adopter les mesures qui se révéleraient adéquates.

1. Les mesures américaines

A u plan national, l’unique législation relative à la pollution de Pair est le Clean A ir A ct adopté en 1972 et modifié en 1977 ( C A A ).34 O r le C A A n’est pas de nature à atténuer le problème spécifique de la pollution transfrontière, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, le C A A comprend essentiellement des standards relatifs à la qualité de l’air ambiant,35 c’est-à-dire qu’il tient compte de la concentration de polluants pour un volume d’air donné et non des charges totales à*émissions à la source de substances polluantes.30 Afin de respecter cette législation, il a donc suffi aux industriels de recourir à des méthodes de dispersion et non de réduction de la pollution (principalement par la construction de hautes chemi­nées).37 O n comprend aisément que de telles pratiques ont facilité le transport des polluants au-delà des frontières.

Il est vrai que certaines dispositions réglementent la pollution à la source. Néanmoins, il s’agit de remèdes dérisoires par rapport à l’ampleur du mal envisagé. Ainsi, les gaz d’échappement des auto­mobiles sont soumis à une stricte réglementation38 et, pourtant, on

34 Fitzgerald, op. cit. supra note 4, p. 232 et ss.

85 Ces standards appelés “ Uniform National Air Quality Standards” (N A A Q S) sont appliqués et contrôlés par 1’ “ Environmental Protection Agency” (EPA) ; ibid.

30 Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, D. Lewis (États- U nis), W. Davis (Canada), janvier 1986, p. 21.

37 Ibid. ; V an Lier, op. cit. supra note 4, p. 175.

38 Le temps perdu. Cri de ralliement: rapport du sous-comité sur les pluies

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236 The Canadian Yearbook of International Law 1989

prévoit une augmentation considérable des émissions de N O x aux États-Unis dans les prochaines années.39 D ’autre part, divers pro­grammes d’assainissement40 instaurant une procédure complexe et contradictoire d’autorisation41 et de permis pour toutes nouvelles ac­tivités polluantes ou autres projets pouvant avoir un effet sur l'en­vironnement43 se sont également avérés inefficaces, le remplacement des anciennes installations par des nouvelles étant resté un phéno­mène marginal.43

Finalement, la seule section du C A A relative à la pollution at­mosphérique internationale44 ne prévoit qu’un mécanisme d’égalité d’accès et de non-discrimination pour les étrangers désirant béné­ficier de la protection législative et administrative américaine en

acides, Chambre des Communes, Canada, 1983-84, p. 12; Adoption de normes anti-pollution plus sévères pour les nouveaux modèles de voitures, Communiqué, CO-AC-o85~i5, p. 1-3; Notes pour une allocution de la Minis­tre de Venvironnement Suzanne Biais-Grenier à l’ occasion d’ une conférence de presse sur le plan d’ action relatif aux pluies acides, Ottawa, 16 mars 1985, p. 61.

39 On prévoit une augmentation des émissions de N O x jusqu’à 50 % d’ici l’an 2000 : voir G. Westone, "A ir Pollution Control Laws in North America and the Problem of Acid Rain and Snow,” (1980) Env, Law Rep., p. 50007, et une augmentation de 20 °/o en 1989-90: voir I. Austen et M. Clarck, “ Little to Show from the Final Summit,” Maclean’s, M ay 9, 1988, p. 26-27; M . Nichols, S. Flory et W, Lowther, “ O ur Threatened Planet,” Maclean’s, Sept. 5, 1988, p. 38-41.

40 Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, op. cit. supra note 36, p. 21-22; Piette, op. cit. supra note 4, p, 151-52; E. F. Murphy, United States-Canadian Expériences in Combating and Controlling the Air- borne Pollutants in Transboundary Air Pollution (Netherlands, 1986), p. 5 0 “5i*

41 C ’est-à-dire que les étrangers susceptibles de subir des dommages consécutifs à la pollution transfrontière ont le droit d’être informés et d’influencer la décision d’autorisation de la même manière que les nationaux conformément aux principes d’égalité d’accès et de non discrimination prônés par l ’OCDE. Voir L ’égalité d’accès en matière de pollution transfrontière dans les pays membres de l ’O CD E, Rapport de synthèse préparé par le Secrétaire de l’O CD E, in Aspects juridiques de la pollution transfrontière, O C D E (Paris, *977), P- 66-94.

42 Section j 08 du Clean A ir A ct; Art. 102 (c) du “National Environmental Protection A ct.”

43 Rapport conjoint. . ., op. cit. supra note 36.

44 Section 115 in (1981) X X IL M , p. 768. Voir aussi Amendment of the Clean Air Act to Provide U .S. with Législative Protection to that Offered to Canada under U.S. Clean Air Act, December 17, 1980 in (1981) X X IL M , p. 762.

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Les dommages causés par les précipitations acides 237

matière d’environnement, et ce, sous réserve de réciprocité. Cette législation ne prévoit donc rien quant au fond du problème.

Les mesures américaines prises en dehors du C A A ne sont pas davantage appropriées.

Sur le plan interne, les nombreuses études et recherches sur la pollution atmosphérique45 et les nouvelles technologies non pol­luantes46 n’aboutissent à aucun résultat concret puisqu’aucune norme de réduction de la pollution n’est imposée aux industriels. Sur le plan international, les multiples enquêtes, échanges d’informations, négociations et rapports conjoints47 n’ont pas abouti à une réduction substantielle de la pollution atmosphérique transfrontière.48

En définitive, on ne peut que rappeler la permanence des flux de polluants pénétrant sur le territoire canadien.40

45 En 1978, un groupe bilatéral de recherche États-Unis—Canada a été établi afin d’effectuer des travaux sur le transport à longue distance des polluants atmosphériques ayant pour mandat de faciliter l’échange de renseignements et de jeter les bases scientifiques et juridiques à partir desquelles les deux pays pourraient élaborer des solutions. Voir Les pluies acides: Rappel des événements, Ministère de l’environnement du Canada, Ottawa, septembre1986, p. 1 ; un accord spécial concernant la recherche dans le domaine des aspects météorologiques du transport à longue distance des polluants atmos­phériques a etc conclu à Ottawa le 23 août 1983 in (1983) X X II ILM , p. 1017.

46 Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, op. cit. supra note 36, p. 22; Le temps perdu. Cri de ralliem ent. . . , op. cit. supra note 12, p. 7 et suiv, ; M. McDonald, “ The Biggest Deal in History,” Maclean’s, April 6,1987, p. 10-12; “ U .S.: A Problem that Cannot Be Buried,” Time, Oct. 14, 1985, P- 32-41-

47 Voir Les pluies acides; Rappel des événements, op. cit., p. 1-4; voir, par exemple, United States—Canadian Joint Statement in Ottawa, July 26, 1979., in Digest of United States Practice in International Law 1979, (1983), p. 1612-16; Canada—United States: Memorandum Concerning Transboundary Air Pollution, in (1981) X X IL M , p. 690-92; Canadian—United States Re­port on A cid Rain, 8 janvier 1986, in (1986) X X V IL M , p. 769; J. Carter, Message to the Congress Environmental Prîorities and Programs, August 2,1979, in Digest of United States Practice in International Law 1979 (1983), p. 1610-12. Voir aussi en général sur les relations États Unis—Canada: Mur- phy, op. cit. supra note i 3 p. 42 et ss.; A. Kiss, Problèmes juridiques de la pollution de l’air in La protection de l’ environnement et le droit interna­tional (A.D .I., Colloque, 1973), p. 208.

48 Communiqué, CO-AC-087-05, 22 janvier 1987, p. 1-3; Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 175-77, ! 83; M. Clarclc, “ Faring the Issues,” Maclean’s, M ay 2, 1988, p. 12-13.

40 Ibid., note 48. Voir en outre Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, op. cit. supra note 19, p. 21; Murphy, op. cit. supra note 1, p. 50.

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238 Annuaire canadien de Droit international 1989

2. Refus des États-Unis de prendre les mesures appropriées

Les États-Unis pourraient pourtant prendre toute une série de mesures d’aspect tant quantitatif que qualitatif pour lutter contre la pollution atmosphérique transfrontière.

D ’un point de vue quantitatif, les mesures idéales restent les ré­ductions d’anhydrides sulfureux et d’oxyde d’azote. O r, les États- Unis s’opposent à toutes mesures de réduction de ces polluants.50

Pourtant, partout dans le monde, les États s’engagent en ce sens. C ’est ainsi que dix gouvernements ont signé une déclaration affir­mant leur intention de réduire les émissions nouvelles de polluants51 à la Conférence d’Ottaw a en 1984, En 1985, des réductions de 30 % sont stipulées par l’accord d5Helsinki52 et en 1986, 35 États signent le protocole à la Convention de Genève de 1979, prévoyant au moins les mêmes réductions.63

Le mouvement est tel qu’on appelle ces États le “ Club des 30 La France64 et le Canada55 ont même été plus loin; ils se sont en­gagés inconditionnellement à réduire leur émission de 50 % dans la plus grande partie de leur pays. Et, au moment où les dernières don-

50 Les Ê.-U. n’ont que le statut d’observateur à la Conférence d’Ottawa sur les pluies acides et ne signent pas l’acte final. V oir Communiqué final de la Conférence Internationale des Ministres sur les pluies acides, Ottawa, ai mars 1984, p. 1-2; Déclaration on Aeid Rain, Canada-Europe Ministerial Conference on A cid Rain, Ottawa, March 21, 1984, in (1984) X X III ILM , p. 662-63. Ils ne signent ni l’accord d’Helsinld (v. C. Rousseau, “Chronique des faits internationaux,” (1986) 90 R G D IP , p. 200); ni le protocole à la Convention de Genève de 1979 (v. C. Rousseau, “Chronique des faits inter­nationaux,” (1987) 91 R G D IP , p. 642-43). Les États-Unis estiment devoir bénéficier d’un avantage à raison de leurs réductions antérieures d’émission de N O x, mais acceptent d’examiner le projet dès que possible! V oir Rapport de la consultation des chefs des délégations des pays représentés à l’ organe exécutif, Conseil économique et social, Genève, 27-28 avril 1988, p. 1 et suiv.

51 Communiqué final de la Conférence International des Ministres sur les pluies acides, Ottawa, 31 mars 1984, p. 12; Déclaration on Acid Rain, op. cit. supra note 50, p. 662-63.

52 Accord d’Helsinki du 9.7.1985 sur la prévention de la pollution par les pluies acides, op. cit. supra note 50, p. 200.

63 D éjà cité note 50.54 V oir Intervention de Madame H. Bouchardeau, Secrétaire d’Êtat à l’ environ­

nement et à la qualité de la vie à la Conférence Internationale des Ministres sur les pluies acides, Ottawa, 21 mars 1984, p. 1-4; voir aussi le projet de convention entre la République Fédérale d’Allemagne et la République Fran­çaise pour la limitation et la prévention des pollutions transfrontières, (1987) R ev. Jur. de l’E n v p. 99-114..

65 Piette, op. cit. supra note 4, p. 153; G. Handî, Transboundary Resources in North America Prospect for a Comprehensive Management Regime in Trans­boundary Air Pollution (Dordrecht, 19.86), p. 69.

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Les dommages causés par les précipitations acides 239

nées alarmantes sont énoncées à la Conférence de Toronto en juin 1988,56 divers traités sont signés à Sofia en octobre, et même PURS S, jusqu’alors réticente, s’engage envers la Finlande à réduire de moitié les émissions sulfuriques de ses usines de la péninsule de K ola.57

D ’un point de vue qualitatif, les recherches sur les pluies acides ont mis en avant d’autres méthodes possibles pour diminuer la pol­lution de l’air. Ainsi, s’avèrent particulièrement idoines le lavage du charbon à haute teneur en soufre, son remplacement par du charbon à faible teneur en soufre et enfin l’épuration du charbon et l’élimi­nation du soufre des gaz à la sortie des chaudières.58

À défaut de réduire les émissions de polluants, les États-Unis au­raient pu mettre en œuvre ces nouvelles techniques. Tel n’a pas été le cas.

Force est dès lors de constater que la politique américaine de lutte contre les précipitations acides est réellement laxiste compara­tivement aux actions entreprises dans le reste du monde.

II. L e s É t a t s - U n i s d e v a i e n t p r e n d r e d e s m e s u r e s

RIGOUREUSES

Après avoir observé le comportement effectivement adopté par les États-Unis pour résoudre le problème des précipitations acides, nous allons à présent déterminer quel est le comportement requis en pa­reilles circonstances par le droit international. Dans un premier temps, nous constaterons que, puisqu’il y a pollution transfrontière substantielle, les États-Unis sont soumis à une obligation de préven­tion particulièrement élevée (A) . Dans un second, nous relèverons que cette obligation était encore renforcée par les circonstances de l’espèce (B).

A. OBLIGATIONS D ES É T A T S-U N IS

Avant d’examiner le contenu de l’obligation (2), nous démon­trerons son existence ( 1 ).

Comme l’a remarqué Pîerre-Marie Dupuy, “ il existera toujours une pollution transfrontière résiduelle que l’on pourra considérer

50 Conférence de Toronto sur la pollution atmosphérique (juin 1988), C. Rous­seau, “ Chronique des faits internationaux,” (1988) 92 R G D IP, p, 972.

67 Convention U.R.S.S.-Finlande du 12 mai 1988, C. Rousseau, “ Chronique des faits internationaux,” (1988) 92 R G D IP, p. 992.

58 Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, op. cit. supra note 36, p. 21 ; Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 30 à 36.

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1. Les États-Unis sont liés par ¥ obligation coutumière d’utilisation non-dommageable du territoire

comme licite.’559 Cependant, il en va tout autrement lorsque les dommages causés par cette pollution revêtent un caractère substan­tiel.60 Certes, aucune convention a portée générale n’interdit la pol­lution transfrontière, fut-elle massive.*1 On a parfois évoqué les droits de l’homme, et en particulier le droit à la santé.62 Mais il semble

59 P. M. Dupuy, La responsabilité internationale des États pour les dommages causés par les pollutions transfrontières in Aspects juridiques de la pollution transfrontière (O CD E, Paris, 1977), p. 377.

00 Dans l ’affaire de la Fonderie de Trail, le caractère substantiel du dommage avait été requis, III R.S.A., p. 1965; J. E. Read, “ The Trail Smelter Dis­pute” (1963) I C Y IL 213. Cette condition a toujours été maintenue, même si elle n’est pas toujours énoncée explicitement dans tous les instruments. Cf. J. G. Lammers, Balancing the Equities in International Environmental Law in L ’avenir du droit international de l’ environnement, Académie de droit international de La Haye (Colloque 1984), p. 155. De même, travaux de l’ ID I, La pollution de l ’air à travers les frontières nationales, (1987, I) 62 A ID I. L a C D I travaille également sur cette base dans son projet sur la Responsabilité internationale pour lès conséquences préjudiciables découlant d’activités qui ne sont pas interdites par îe droit international. Cf. Rapport de la C D I sur les travaux de sa 40^me session, AG, Doc. off., Sup. n° 10 {A/43/10), p. 22, § 63.

Remarquons également que le dommage doit être matériel et non pure­ment moral; Handl, op. cit. supra note 33, p. 51 et ss. Enfin, le dommage ne peut être purement la conséquence de phénomènes naturels, A ID I, op. cit., p. 165; (art. 1 du projet), Rapport C D I (1988), op. cit., p. 15 § 39 et C. Rousseau, Droit international public, tome IV (1980), p, 511.

61 Les conventions multilatérales existantes ne concernent que certains aspects de la pollution; A. ICiss, “ Du nouveau dans Pair: des ‘pluies acides’ à la couche d’ozone,” (1985) 31 A F D I , p. 812-13. Les conventions bilatérales sont nombreuses ; voir pour un répertoire complet dans le domaine des fleuves et des lacs dans J. J. A. Salmon, La pollution des fleuves et des lacs et le droit international, Rapport, ID I, Genève (1979), p. 194 et ss. Il existe un traité de 1909 liant le Canada et les États-Unis dont l’art. 4 interdit la “ pollution” des eaux frontalières, ibid,, p. 196. Cependant, en vertu du prin­cipe d’interprétation selon la pratique ultérieure des parties, cette notion doit être précisée en prenant pour base les normes établies par les traités de 1972, cf. A. C. Kiss et C. Lambrechts, “ L ’accord entre le Canada et les États-Unis relatif à la qualité des eaux dans les Grands Lacs,” (1974) 20 A F D I 797. V oir les relevés opérés par le “ réseau de surveillance de l’acidité des eaux de surface” ; État de l’ acidité des lacs de la région hydrographique de l’ Ou- taouais, Dir. de la qualité du milieu aquatique, Min. de î ’Environnement du Québec, mars 1988, 99 p.

62 V an Lier, op. cit. supra note 4, p. 134 et ss; art. 3 de la Déclaration U ni­verselle des Droits de l’Homme et art. 4 de la Convention Interaméricaine in ( 1970) IX IL M p. 639. L a Nouvelle Zélande a notamment invoqué un argu­ment similaire, CIJ, II Pleadings, Oral Arguments, Documents: Nuclear Tests Cases, p. 8. Voir aussi le principe 1 de la Déclaration de Stockholm et à ce sujet L. B. Sohn, “ The Stockholm Déclaration on the Human Environ-

240 The Canadian Yearbook of International Law 198g

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Les dommages causés par les précipitations acides 241

qu’il s’agisse de règles beaucoup trop imprécises pour pouvoir être appliquées en l’espèce.63

Il existe toutefois une règle coutumière d’utilisation non-domma­geable du territoire dont nous verrons, dans un premier temps, qu’elle présente un caractère général, et dans un second qu’elle lie incontestablement les États-Unis.

L ’utilisation non-dommageable du territoire a été reconnue en tant que règle coutumière par une jurisprudence limitée mais con­cordante. Le cas le plus célèbre reste l’incontournable affaire de la Fonderie de Trail, où le tribunal arbitral a affirmé: “ under the prin- ciples of international law . . . no State has the right to use or permit the use of its territory in such a manner as to cause injury by fumes in or to the territory of another or the properties of persons therein, when the case is of a serious conséquence.” 64 L ’affaire du Lac La- noux a également été évoquée, même si la règle n’a été en l’espèce énoncée qu’a contrario,65

Mais on peut relever d’autres précédents. Ainsi, dans l’affaire rela­tive au Fleuve San Juan, l’arbitre Cleveland a considéré que le Nicaragua pouvait effectuer des travaux d’aménagement à sa fron­tière avec le Costa Rica, “ à condition toutefois que, du fait de ces

ment” (1973) Harvard International Law Journal, p. 451-55 et E. David, “ Le droit à la santé comme droit de la personne humaine,” (1985) 2 R Q D I 63, à la p. 75.

63 Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 136; A. Kiss envisage cependant un affine- ment prochain de ces règles; A. Kiss, Droit international de Venvironnement (Paris, 1989), p. 23 et ss. Voir aussi les discussions de l’ ID I, A ID I (1987), op. cit. supra note 60, et Salmon, op. cit. supra note 61, p. Qio et ss.

64 III R .S.A., p. 1965. Certains ont atténué la valeur de cette sentence en se référant au compromis d’arbitrage dans lequel le Canada reconnaissait sa responsabilité; P.-M. Dupuy, op. cit. supra note 59, p. 383. Cependant, on peut au contraire considérer que le dictum a une valeur renforcée par ce même fait puisque le tribunal n’était nullement tenu de dégager l ’état du droit international sur ce point. Aujourd’hui, il est en tout cas généralement considéré comme l’expression du droit coutumier. Voir, par exemple, G. J. Cano, Trends in International Environmental Law with Particular Reference to the Western Hemisphere in L'avenir du droit international de Venvironne­ment, op. cit. supra note 60, p. 401 et ss. ; A. C. Kiss, Problèmes juridiques de la pollution de l’air in La protection de Venvironnement et le droit inter­national, (Colloque 1973), A C D I de L a Haye, p. 173. Pour une jurispru­dence en ce sens antérieure à l’affaire, voir J. Andrassy, “ Les relations internationales de voisinnage” (1951, II) 79 R C A D I 73, à la p. 123.

05 “ On pourrait soutenir que les travaux avaient pour conséquence une pollu­tion définitive des eaux. . . . L ’Espagne aurait alors pu prétendre qu’il était porté atteinte à ses droits,” X II R.S.A., p. 285 et 303.

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242 Annuaire canadien de Droit international 198g

ouvrages, le territoire costaricain ne se trouve pas occupé, inondé ou endommagé.” 66

Enfin, de nombreuses décisions internes, qui se réfèrent tantôt au droit international proprement dit,67 tantôt au droit régissant les re­lations entre États fédérés,88 consacrent la notion d’utilisation non- dommageable du territoire.

Le caractère coutumier de la règle a été fraîchement réaffirmé par l’immense majorité des États dans la Déclaration sur l’environne­ment de Stockholm, dont le principe 21 dispose : “ Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les États o n t . . . le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres É tats.. . .” 69 Même si cet instrument a parfois été critiqué pour certaines de ses composantes,70 sa valeur déclarative du droit international en ce qui concerne l’utilisation non-dommageable du territoire a été abondam­ment reconnue.

Tel a été le cas tant de l5Assemblée Générale des Nations-Unies71 que de la Commission du droit international,73 deux instances dont

66 La Fontaine, Pasicrisie, p. 298 et suiv.

G7 Aff. de la Donauversinkung, Wurtenberg c, pays de Bade, 1927, O U Doc. E /E C E /136, p. 13; Aff. Détournement de VArkansas citée dans J. Balleneg- ger, La pollution en droit international (Lausanne, 1975), P- 53 et 55.

68 Arrêts de la Cour Suprême des États-Unis et du Tribunal fédéral Suisse cités dans J. Ballenegger, op. cit. supra note 67, p. 49 et ss. Pour cet auteur “ l’opinion unanime a rapproché cette jurisprudence quasi-internationale et les solutions de la pratique internationale stricto sensu” (p. 47-48). Voir d’autre part J. F. Chambault, “Le juge administratif français et le droit international de l’environnement: Réflexions sur un arrêt récent” (1986) 90 R G D IP 597 et les commentaires de A. Kiss d’arrêts du Conseil d’État fran­çais, in (1983) Rev. jurid. env., p. 353-57 et (1986), p. 307-9.

69 J. Y . Morrn, F. Rigaldies et D. Turp, Droit international public: Notes et documents, tome II (Montréal, 1988), p. 552.

70 P. M. Dupuy fait la distinction entre la reprise codificatrice du principe d’utilisation non dommageable du territoire et l’innovation que serait la référence à 1’ “environnement” ; La responsabilité . . . , op. cit. supra note 59, p. 380.

71 Voir not. resol. 2996 (X X V II) du 15 décembre 1972, 3129 (X X V III) du 13 décembre 1973. De même, § 30 de la Charte des Droits et Devoirs Éco­nomiques des États, (1975) X I V IL M , p. 251, art. 2 ïb de la Charte Mon­diale de la Nature, Res. 3717, 28 octobre 1982.

72 Le projet de la C D I sur les conséquences préjudiciables d’activités non- interdites par le droit international s’inspire largement de ce principe. Q.Quentin-Baxter le qualifie de “necessary ingrédient of any légal system,”

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Les dommages causés par les précipitations acides 243

on sait que les positions peuvent être considérées comme codifica- trices de la coutume.78

Tel a aussi été celui d’une doctrine presqu’unanime.74 Les articles et ouvrages affirmant l’existence de l’obligation de ne pas utiliser son territoire aux préjudices d’autres États sont innombrables.75 Quant à l’International Law Association et à l’institut de droit interna-

(1980, ÎI) 2ème partie, A C D I, p. 159. Plus récemment, Rapport 1985, (1985) A C D I, p. 98, § 5; Rapport 1986, (1986) A C D I, p. 207, § 25; Rap­port 1987, (1987) A C D I, p. 109, § 14.3; Rapport 1988, op. cit. supra note 60, p. 15-16, § 42. V oir à ce sujet M. G. W. Pinto, “ Reflections on Inter­national Liability for Injurious Conséquences Arising O ut of Acts Not Pro- hibited by International Law ” (1985) X V I N Y IL 17, à îa p. 34 et D. B. Magraw, “ Transboundary Harm: The International Law Commission3s Study of ‘International Liability” ’ (1986) 80 A JIL 305, à la p. 308.

73 Aff. des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt, CIJ, Recueil 1986, p. 100-1, § 190 et 191, et p. 107, § 203 et 204.

74 II devient difficile de trouver des auteurs affirmant encore le caractère non- obligatoire de la Déclaration de Stockholm. Voyez toutefois Morin, Rigaldies et Turp, op. cit. supra note 69, p. 399. Certaines affirment que la déclaration a acquis valeur coutumière à la suite, d’une part de la pratique convention­nelle la réaffirmant, de l’autre des résolutions de TAG le reprenant; A. Kiss, op. cit. supra note 63, p. 81-82. Rappelons que la Convention de Genève du 13 novembre 1979 sur les pollutions atmosphériques transfrontières à longue distance reproduit le principe 21 en le qualifiant d’ “ expression de la con­viction commune” (“which expresses the common conviction” ). Cf. (1979) X X V I II IL M , p, 1442. La pratique internationale connaît diverses recom­mandations de l’O C D E ; Principles Concerning Transfrontier Pollution (Nov.14, 1974) in (1975) X X I V IL M , p. 236, Recom. on Equal Rights of Access in Relation to Transfrontier Pollution (M ay 11, 1976) in (1976) X X V IL M , p. 1218; Recom. for the Implementation of a Regime of Equal Right to Access and Non-Discrimination in Relation to Transfrontier Pollution (March 18, 1977) in (1977) X X V I IL M , p. 977.

75 Jennings, McDouglas, Seidl-Hohenveldern, Colliard, McWhinney, Sette- Câmara, Verzijl, Zemanek, Ziccardi et Zorlek cités par Salmon, op. cit. supra note 61, p. 216. Voir aussi C. Rousseau, “ Principes de droit international public,” (1958, I) 93 R C A D I 370, à la p. 436; G. Handl, “Liability as an Obligation Established by a Primary Rule of International Law ,” (1985) X V I N Y IL 4.9, p. 52; M . Koskenniemi, International Pollution in the System of International Law (1984), p. 100 et ss. Dans des domaines plus particu­liers, voyez notamment G. Fischer, “Droit international et expérimentation des armes nucléaires,” (1956) 2 A F D I 309, à la p. 316; F. Florio, “ Water Pollution and Related Principles of International Law,” ( 19.79 ) X V II C Y IL 134, aux pages 146-47. Certains affirment l’existence de la règle au titre de principe général de droit; par exemple, J. G. Lammers, Balancing the Equi- ties in International Environmental Law in L ’avenir du droit international de Venvironnement, op. cit. supra note 60, p. 155 et ss., B. Vukas, Concluding Observations on General International Law and New Challenges in the Field of Transboundary A ir Pollution in Transboundary Air Pollution (Dordrecht, 1986), p. 350.

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tional, ils ont maintenu en ce sens une position claire et constante.715La coutume dont nous venons de constater l’existence est incon­

testablement opposable aux États-Unis.O n ne peut relever aucune ambiguïté en ce qui concerne Y opinio

juris de cet État. Dès le moment du litige concernant la Fonderie de Trail, le Département d’État a clairement affirmé que la pollution transfrontière subie privait les États-Unis, “ of the free and untram- meîled use of [its] territory in a manner which we as a sovereign State have an inherent and incontestable right to use it. O ur right is essentially a sovereign right.” 77 Plus récemment, les États-Unis ont accepté sans réserve le principe 21 de la Déclaration de Stockholm. Après avoir voté favorablement à des résolutions de l’Assemblée Générale le reprenant,78 ils ont reconnu dans un mémorandum de 1980 conclu avec le Canada que: “ their existing international. . . obligations . . . [included] those set forth in . . . the ig72 Stockholm Déclaration on Human Environment.” 79 L ’examen de la pratique des autorités américaines mène à une conclusion similaire. Ainsi, au Mexique, qui envisageait la construction d’une route susceptible de causer certains dommages en Californie, les États-Unis envoyèrent une note selon laquelle ils se réservaient, “ ail the rights . . . [it might] have under international law in the event that damage in the U.S. result[ed] from the construction of the highway.” 80 Par ailleurs, le 5 juillet 1985, l’administration américaine pressait le Mexique de

76 IL A , Report of the $snd Conference: Helsinki 1966 (1967), p. 496-97 (Art. X ) ; IL A Report of the s8th Conference: Manila, ( ï 979)3 p. 397, ( i 979> II) A ID I, p. 196 (Art. h, 3 et 5) et (1987, I) 62 A ID I, op. cit. (art. 2). Selon certains, une telle quasi unanimité de la doctrine ne peut être ignorée, lorsque le domaine est un de ceux où le droit international n’est que fraîche­ment établi; G. E. Do Nascimiento e Silva, Pendîng Problems in Interna­tional Law of the Environment in L ’avenir du droit international de Venvironnement, op. cit. supra note 60, p. 207-28.

77 Whiteman, Digest of International Law, vol. 5 (1965), p. 183. Voir aussi un câble des autorités nord-américaines au sous-secrétaire canadien en ce sens: cité in K . B. Hoffman, State Responsibility in International Law and Transboundary Pollution Injuries, (1976) 25 IC L Q 509, à la p. 518.

Ts Par exemple, la Résolution 2996 précitée. Voir E. F. Murphy, op. cit. supra note 1, p, 46. D ’autre part, les États-Unis sont parties à îa Convention de Genève de 1979 reprenant le principe 21 (v. supra note 74). Voir la déclara­tion conjointe reprenant le principe 21 in (1972) X I IL M , p. 1416,

79 Canada-United States: Memorandum Concerning Transboundary Air Pollu­tion in (1981) X X IL M , p. 690-92.

80 Whiteman, Digest of International Law, vol. 6 (1965), p. 263. La pratique avec le Canada va en ce sens; voir G. Handl, Transboundary Resources in North America: Prospects for a Comprehensive Management Regime in Transboundary Air Pollution, op. cit. supra note 1, à la p. 84, note 34.

244 The Canadian Yearbook of International Law ig8g

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Les dommages causés par les précipitations acides 245

limiter les émissions d’anhydride sulfureux d’une nouvelle fonderie de cuivre située près de la frontière commune.81

O n constate que les États-Unis sont bel et bien soumis à une interdiction de polluer substantiellement un État voisin. Cette inter­diction découle de l’obligation coutumière d’ “ utilisation non- dommageable du territoire.” On pourrait aussi la déduire d’autres règles de droit international: les autorités américaines ont cité la souveraineté de l’État.82 Mais on peut encore évoquer la souverai­neté permanente sur les ressources naturelles,83 le principe du bon voisinage84 ou la notion d’abus de droit.85

81 Les pluies acides: rappel des événements, Ministère canadien de l’environne­ment, Fiche d’information, Ottawa, 1986, p. 3 (point 31) .

82 Supra note 77; L. F. E. Goldie, A General View of International Environ- mental Law, A D I (Colloque 1973), p. 101-2 (Goldie parle d’infraction à l ’art. 2 § 7 de la Charte des Nations Unies), Handl, op. cit. supra note 33, p. 55; Koslvcnniemi, op. cit. supra note 75, p. 119; Lammers, op. cit. supra note 75, p. 154.

83 Ibid., L. B. Sohn, “The Stockholm Déclaration on Human Environment”(1973) Harvard International Law Journal, p. 486.

84 Andrassy, op. cit. supra note 64, p. 80-81 et n o et ss.; Ballenegger, op. cit. supra note 67, p. 21 et 72; Salmon, op. cit. supra note 23, p. 203-4; Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 103-9. Pour d’autres principes, voir Lammers, op. cit. supra note 75, p. 154 et ss.

85 Cela suppose que l’abus de droit existe de façon autonome en droit inter­national. En ce sens, N. S. Politis, “Le problème des limitations de la sou­veraineté et la théorie de l’abus des droits dans les rapports internationaux,” (1925, I) 6 R C A D I I, p. 1-121; A. C. Kiss, Uabus de droit en droit inter­national (Paris, 1953), p. Ï953. Quoi qu’ il en soit, il est incontestable que, comme le remarque R. Ago, “ States [Are] Under an International Obliga­tion Not to Exercise Their Rights under a Certain Limit,” (1971, II) A CD I, p. 221, § 68; S. Jovanovic, Restriction des compétences discrétionnaires des États en droit international (Paris, 1988), p. 217 et ss. Ceci découle du principe de bonne foi, réaffirmé récemment, Aff. des Actions armées fronta­lières et transfrontalières, CIJ, arrêt, Recueil 1988, p. 105, § 94. Il est évi­dent que ces concepts sont particulièrement pertinents dans notre espèce; l ’État ne pourrait invoquer son droit de souveraineté pour polluer substantiel­lement un autre; Remarques sur la notion de devoir international des États en matière de protection de l’environnement, Note du Secrétariat in Aspects juridiques de la Pollution transfrontière (O CD E, Paris, 1977), p. 435 et ss. Certains affirment que l’abus de droit n’est pas pertinent car il n’existe pas de “ droit de polluer” (cf. Silva, op. cit. supra note 76, p. 427 et Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 11 1) . Cependant, l ’abus ne concernerait pas un “ droit de polluer” mais le droit d’exploiter les ressources sur son territoire. V oir H. Lauterpacht, International Law, vol. I (1957), p. 346, note 5, et Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribunals (London, 1953), p. 130, qui rangent l’Affaire de la fonderie de Trail sous le principe d’abus de droit.

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246 Annuaire canadien de Droit international 1989

2. Obligation de diligence due particulièrement élevée

Nous venons de voir que les États-Unis sont soumis à la règle coutumière d’utilisation non dommageable du territoire. Il reste donc à déterminer exactement le contenu de cette obligation. Nous allons voir qu’il s’agit d’une obligation de diligence due dont le degré de vigilance est extrêmement élevé.

Le principe d’utilisation non-dommageable du territoire tel qu’é noncé par le principe 21 de la Déclaration de Stockholm et dans l’affaire de la Fonderie de Trait,86 peut être considéré comme un cas d’application de l’obligation énoncée par la GIJ dans l’affaire du Détroit de Corfou: “ tout État a l’obligation de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’ autres États”*7 Il s’agit du corollaire de la souveraineté territoriale qui ne peut plus être considérée comme un droit absolu.

Comme l’a affirmé M ax Huber, “ la souveraineté territoriale im­plique le droit exclusif d’exercer les activités étatiques. Ce droit a pour corollaire un devoir: l’obligation de protéger, à l’intérieur du territoire, les droits des autres États,” 88 Le devoir de diligence n’existe donc que lorsque le territoire est utilisé à l’encontre des droits d’autres États.89

L ’utilisation non-dommageable du territoire constitue assurément un affinement de ce principe puisqu’il précise qu’une pollution transfrontière substantielle est contraire aux droits d’un État.90 Nous nous trouvons donc en présence d’une obligation de diligence due91

80 Voir supra § 28, note 64. Principe 21 : voir note 69.87 Aff. du Détroit de Corfou, GIJ, arrêt, Recueil 1949, p. 22.88 Affaire de Vile de Paimas, XI R.S.A., p. 839.89 Le droit lésé était en l ’espèce le droit de passage inoffensif. Voir M. Soren-

sen, Principes de droit international public, Cours général, {1960, II) 101 R C A D I, p. 196; Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 116; Kiss, op. cit. supra note 63, p. 73.

90 Ibid.91 A. C. Kiss, Problèmes juridiques de la pollution de l ’air in La protection de

Venvironnement et le droit international, A D I (Colloque 1973), p. 168; G. Handi, “Liability as an Obligation Established by a Primary Rule of Inter­national Law ,” (1985) X V I N Y IL 49, à la p. 55; A. Rest, Responsability and Liability for Transboundary A ir Pollution Damage in Transboundary Air Pollution, (1986), p. 315; J. L. Hardy, “Nuclear Liability: The General Principles of Law and Further Proposais,” (1960) X X V I B Y IL 223, à la p. 229; Dupuy, op. cit. supra note 59, p. 186; P. M. Dupuy, Le droit inter­national de l’environnement et la souveraineté des États in L ’avenir du droit international de Venvironnement, A D I (Colloque 1984), p. 29-30; T . Treves, “ L a pollution résultant de l’exploitation et de l’exploration des fonds marins en droit international,” (1978) 24 A F D I 827, à la p. 872; P. M. Dupuy,

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Les dommages causés par les précipitations acides 247

ou selon le projet de la Commission du droit international sur la responsabilité des États, “ l’obligation d’empêcher par un moyen de son choix la survenance d’un événement donné” (Art. 23).92

La diligence due constitue en principe une obligation de moyen. Pourtant, certains considèrent, parfois en se référant erronément à une responsabilité sans acte illicite,93 que l’utilisation non-domma­geable du territoire est une obligation non pas de moyen mais de résultat.94 Cette tendance, représentée principalement par le Canada,

“ Sur des tendances récentes dans le droit international de l’environnement/’(1974) 20 A F D I 815, à la p. 816; Andrassy, op. cit. supra note 64, p. 110; (1987) A ID I, op. cit. supra note 60, p. 201-4; Van Lier, op. cit. supra note4, p. 100 et ss. ; Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier et A. Pellet, Droit interna­tional public, éd. (Paris, 1980), p. 700-1, § 631; L . Condorelli, “L ’im­putation à l’État d’un fait internationalement illicite: solutions classiques et nouvelles tendances,” (1984, V I) 18g R C A D I 13, à la p. 137; Sous-Comité des experts économiques: Note sur certains problèmes de la pollution trans­frontières, O CD E, Direction de l’environnement, AEV/Env/72.23, ig dé­cembre 1972, p. 9; Ballenegger, op. cit. supra note 67, p. 49 et ss. et p. 66 et ss.

92 Art. 23, C D I, (1978, I I ) , A C D I, 2ème partie, p. 91 et ss.

93 On ne peut en cette matière parler de responsabilité sans acte illicite. En effet, la violation du principe de l’utilisation non dommageable du territoire constitue bien un acte illicite et ce système de responsabilité ne trouve donc plus à s’appliquer. II revêt en l’espèce un champ d’application extrêmement limité et n’est envisageable que de manière conventionnelle (voir par exem­ple l’art. 2 de la convention sur la responsabilité pour les dommages causés par les objets spaciaux de 1971 et l’art. 22 § 3 de la Convention de Genève sur la Haute Mer de 1958). Sous réserve du cas particulier de l ’art. 35 du projet de la Commission du droit international sur la responsabilité des États.

Voir M. B. Akehurst, “ International Liability for Injurious Conséquences Arising O ut of Acts Not Prohibited by International Law ,” (1985) X V I N Y IL i, p. 1 -16, qui parle de “ Faise Cases of Liability sine Delicto” et de “ True Cases of Liability sine Delicto.” Il faut plutôt parler alors de respon­sabilité objective mais à condition de voir dans le principe d’utilisation non dommageable du territoire une obligation de résultat. Voir, en général, C. W. Jenks, “Liability for Ultra-Hazardous Activities in International Law ,” (1966, I) 117 R C A D I 99, à la p. 122; Rest, op. cit. supra note 91, p. 336; Dupuy, op. cit. supra note 59* p. 68-174; L. Gundling, “Verantwortlichkeit der Staaten für Grenzüberschreitende Um welt beeintrachtigungen,” (1985) Zeitschrift für auslandisches offentliches Recht und volkerrecht 265, aux p. 285-90; G. Handl, “ International Liability of States for Marine Pollution,” (1983) X X I C Y IL 85, à la p. 94; Quoc Dinh, op. cit. supra note 91, p 700; P. M. Dupuy, Ressources naturelles partagées et ressources de l’humanité in Ressources naturelles en droit international, (1984/85/86) Annuaire A A A , vol. 54/55/56, P- 22 ï -22.

94 La pollution transfrontière: Responsabilité et compensation. Note de la délé­gation du Canada in Aspects juridiques de la pollution transfrontière, op. cit. supra note 85, p. 296-320 et spéc. 301; CIJ, Aff. des Essais nucléaires, Mémoires australiens, p. 96; Plaidoiries, p. 17-18, 23-31; A. G. Kiss et J. D.

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l’Australie et le Tiers Monde, met en exergue le caractère absolu à la fois de la souveraineté et de l’inviolabilité du territoire, pour le conférer à l’intégrité de l’environnement. Sur cette base serait établi un. régime fondé sur l’interdiction presqu’inconditionnelle de polluer.

Il suffirait seulement de démontrer un dommage et son imputa- bilité pour prouver le manquement à la règle et engager la respon­sabilité de l’État pollueur, à moins pour ce dernier de prouver une cause d’exonération. Cependant, toute séduisante qu’elle soit,95 cette théorie ne correspond pas à l’état actuel du droit international.96

Il est vrai que dans l’affaire de la Fonderie de Trait, le Canada était tenu de réparer tout dommage futur, qu’il ait ou non respecté les nonnes qui lui étaient imposées par le tribunal.97 Néanmoins, ce faisant, le tribunal ne prévoyait que la conséquence d’une violation

Sicault, “L a Conférence des Nations Unies sur l’environnement,” (1972) 18 A FD I, aux p. 1 o 1 et ss.; L . F. E. Goldie, “Liability for Damage and the Progressive Development of International Law ,” (1965) X IV IC L Q 1189, à la p. 1238; Jenks, op. cil. supra note 93, p. 12a; J. B. Sohn, “ The Stock­holm Déclaration on the Human Environment,” (1973) 14 H ILJ 423, â la p. 485. Référence est faîte à la “strict liability” de la common law, voir L. F. E. Goldie, Devoir et responsabilité selon la “ Common Law ,” in Aspects juridiques . . . , op. cit., p. 321.

Cette tendance peut se prévaloir d’un appui certain au sein de la Com­mission du droit international, le rapporteur Barboza ayant souligné que la notion de responsabilité objective n’est pas entièrement étrangère au droit international; réf. voir infra note 95, p. 126.

95 En effet, on ne peut que se réjouir d’une protection accrue de l’environne­ment. Toutefois, l ’inconvénient de ce type de régime est l’absence de dif­férenciation entre des États selon leur degré de développement économique et dès lors de leur possibilité de contrôle. Ainsi, en appliquant un tel régime, l’Inde aurait-elle dû réparer les dommages causés par l’entreprise Union Carbide si ceux-ci avaient été produits sur un territoire étranger. Voir en ce sens Magraw, op. cit. supra note 72, p. 320. Voir à ce sujet, Rapport C D I sur la responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables dé­coulant d’ activités qui ne sont pas interdites par le droit international, Rap­port sur les travaux de la 3gème session, 1987, AG , Doc. off. : 42ème sess., Sub. n° 10 (A /4 2/10), § 172 et suiv. et Rapport 1988, op. cit. supra note 60, Art. 3 du projet et p. 19 § 59 et ss.

9(5 Voir recommandations de l’O C D E du 14 nov. 1974 Rec. C (74) 224 et rap­ports du Comité O C D E sur la pollution transfrontière: La responsabilité internationale des États pour les dommages causés par les pollutions trans­frontières D O C . O C D E A E U /T F P / EN V/74.3 et le devoir international des États en matière de pollution transfrontière, D O C . O C D E EN V/76/3 ; O CD E Principles Concerning Transfrontier Pollution, Annex to Rec. n° C/74/224 of Nov. 21, 1974, of the O C D E in Env. Pd. Law, vol. 1, n° 1, June 1975, p. 44-46; G. Handl, “ State Liability for Accidentai Transnational Environ- mental Damage by Private Persons,” (1980) 74 A JIL 525, à la p. 536.

9T “ Or notwithstanding the maintenance of the regime, an indemnity shall be p a id . . I I I R .S.A., p. 1941. Nous soulignons.

248 The Canadian Yearbook of International Law ig8g

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Les dommages causés par les précipitations acides 24g

d’un régime spécifique qui ne pouvait être mis en place qu’en vertu d’un compromis d’arbitrage. Cette partie de la sentence est donc loin de prétendre révéler l’état du droit international général.98

Quant au principe 21 de la déclaration de Stockholm, les travaux préparatoires ne peuvent être interprétés que comme stipulant une obligation de moyen, ce que la présence du principe 23 confirme d’ailleurs.09

Cela étant, l’expression du principe 21 selon laquelle les États ont le devoir de faire en sorte ( de s’assurer — to ensure ) de ne pas cau­ser de dommage, ne peut être comprise que comme instaurant une obligation de moyen extrêmement élevée.1®0

Ceci est confirmé par l’examen de la jurisprudence. Tant dans l’affaire du Lac Lanoux101 que dans celle du Fleuve San Juan,102 l’arbitre a affirmé que la responsabilité d’un État pouvait être en­gagée en cas de survenance du dommage. S’il n’excluait pas ex­pressément la possibilité d’invoquer un comportement diligent, il focalisait cependant l ’obligation sur la survenance du dommage.

Cette jurisprudence prête peut-être à interprétation quant à l’exis­tence d’une obligation de résultat, et, selon une règle bien établie,103 on doit préférer en cas de doute la règle générale à l’exception. L ’obligation de moyen restant ici la règle générale, il faut conclure à son maintien. Or, s’il s’ agit d’une obligation de moyen, il est in­contestable que la jurisprudence lui donne un contenu très strict en matière de pollution transfrontière.

Telle est également la position de la doctrine la plus éminente10*

98 Magraw, op. cit. supra note 72, p. 320.09 P. M. Dupuy, La responsabilité internationale des États pour les dommages

d’origine technologique et industrielle, {1976), p. 181, Texte de l’article 23, infra § 46.

100 J- J- A. Salmon in (1987, I) A ID I, op. cit. supra note 6o, p, 199-200; Kiss, op. cit. supra note 63, p. 80-81 et 203. Le principe 21 est un compromis entre ceux qui prônaient une obligation de résultat et ceux qui s’attachaient au devoir de vigilance (voir travaux préparatoires). V oir Handl, op. cit. supra note 96, p. 536; V an Lier, op. cit. supra note 4, p. 129.

101 Aff. du Lac Lanoux} X I I R .S.A., p. 285. V oir citation note 65.102 Aff. relative au Fleuve San Juan, réf. supra note 66 (§ 28).108 Aff. du Lotus, CPJI, Série A, n° io, p. 18, et Aff. Wimbledon, Série A ,

n<> i, p. 24.104 Gondorelîi, op. cit. supra note 91, p. 135-37; Remarques sur la notion de

devoir international des États en matière de protection de l’environnement, Note du Secrétariat, in Aspects juridiques de la pollution transfrontières, op. cit. supra note 85, p. 416; Gundling, op. cit. supra note 9,3, p. 282 et ss,; Dupuy, op. cit. supra note 99, p. 259 et ss.; Kiss, op. cit. supra note 63, p. 81.

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250 Annuaire canadien de Droit international 198g

et en particulier celle de l’ institut de droit international.105 On peut enfin se référer au projet de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats pour les conséquences préjudiciables dé­coulant d’activités qui ne sont pas interdites par le droit interna­tional.106 Ce projet contient une disposition sur le devoir de diligence. Or, les commentaires soulignent qu’il est essentiel d’éviter les dom­mages dus à la pollution plutôt que de les réparer et insistent dès lors sur la nécessité de déployer une diligence particulièrement stricte.107

En définitive, nous constatons qu’en matière de protection de l’environnement la mesure de la diligence exigible est éminemment élevée. Et ce, particulièrement dans le domaine de la pollution at­mosphérique parce que l’air est diffus et mobile, et propage donc un dommage beaucoup plus facilement. Habituellement, on requiert aussi d’ autant plus de vigilance que l’État responsable est contigu au territoire de l’État lésé.108

105 A ID I (1987)* op. cit. supra note 60, p. 199-200.

106 Certes, le projet dans son ensemble “s’inscrit dans le cadre du développe­ment progressif du droit et non de sa codification,” Rapport 1987, p. 109 § 143; Rapport 1988, p. 12 § 29; D. M. McRae, “The International Law Commission: Codification and Progressive Development after Forty Years,” (1987) X X V C Y 1L 355 et sp. 367; mais la commission y a inclus certaines obligations précises du droit international général et en particulier l’obliga­tion de diligence due. Sur ce point le projet peut être considéré comme codificateur. Rapport 1988, p. 11 § 25 et p. 13 § 37; S. C. McCaffrey, “ Cur- rent Developments : The 39th Session of the IL C ,” (1988) 82 A JIL 144, aux pages 150-51. On remarquera que le projet n’est pas limité à la respon­sabilité sans acte illicite. En effet, s’il n’est pas illicite d’exercer une activité pouvant entraîner une pollution, il n’en demeure pas moins qu’il est illicite de ne pas empêcher qu’une pollution transfrontière résulte de cette activité: voir Akehurst, op. cit. supra note 93, p. 8.

107 En ce qui concerne l’obligation de prévention, l’art. 9 dudit projet dispose: “ Les États d’origine prennent toutes les mesures de prévention raisonnables pour éviter ou minimiser les dommages pouvant résulter d’une activité sus­ceptible de comporter un risque” (Rapport 1988, p. 10).

Remarquons que les cas de pollution continue semblent entrer dans le champ d’application de cet article. Voir Rapport 1988, p. 11 § 25 et 26;S. C. M cCaffrey, “ The Fortieth Session of the IL C ,” (1989) 83 A JIL 153, à la p. 170. Or, les commentaires sur cet article ont précisé qu’il contient une obligation stricte de diligence due, voir Rapport 1988, p. 29, § 92 et suiv.; également en ce sens: Rapport 1986, p. 211, § 3 et suiv,; p. 219, § 43 et Rapport 1987, p. 119, § 167.

108 Remarques sur la notion de devoir international des États, op. cit. supra note 104, p. 416; C. Rousseau, Droit international public, tome II I (Paris, ï 977 )> P- 286-87.

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Les dommages causés par les précipitations acides 251

b . l ’ o b l i g a t i o n d e p r é v e n t i o n

Nous venons d’examiner la règle générale de diligence due à la­quelle sont soumis les États-Unis. Cette obligation se référant à un comportement requis se révèle encore à certains égards obscure. Nous nous attacherons donc à la préciser encore, et ce en prenant en compte les circonstances de l’espèce. Ces dernières nous permettront, dans un premier temps d’affiner le contenu de la règle de droit (Section 1 ), dans un second, de dégager les critères à l’aide desquels cette règle doit être appliquée au cas d’espèce (Section 2).

1. L 3obligation de diligence

S’agissant d’un standard, le degré de vigilance requis par l’obli­gation de prévention est essentiellement déterminé par les circon­stances de l’espèce.109 L ’une de ces circonstances est l’existence d’une obligation conventionnelle de diligence que nous examinerons préa­lablement.110

a. Obligation conventionnelle de diligence

L ’article 2 du mémorandum du 5 août 1980 liant les États-Unis et le Canada dispose :

To combat transboundary air pollution, both governments shall:a/ develop domestic air pollution control policies and stratégies and

. . . seek législative or other support to give efïect to them;b / promote vigorous enforcement of existing laws and régulation as

they require limitation of émissions in a way which is responsive to the problems of transboundary air pollution... ,11:L

11)9 Aff. du détroit de Corfou, CIJ, arrêt, Recueil 1949, p. 37; Aff. relative au personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, CIJ, arrêt, Recueil 1980, p. 32; Aff. des biens britanniques au Maroc espagnol, II R .S.A., p. 644; Aff. de Vile de Palmas, II R .S.A., p. 839; Aff. de VAlabama,II R A I, p. 891; P. M. Dupuy, “Le fait générateur de la responsabilité in­ternationale des États,” {1984, V ) R C A D I 1, à la p. 37; D. Levy, “L a responsabilité pour omission et la responsabilité pour risque en droit inte- national public,” {1961) 65 R G D IP, p. 753; P. A. Zannas, La responsabi~ lité des États pour les actes de négligence (1952), p. ïoo et ss.

110 Ce devoir est surtout renforcé par voie conventionnelle en matière d’inves­tissement. V oir J. P. Laviec, Protection et promotion des investissements (Paris, 1985), p. 172; D. Berlin, “ Les contrats d’État et la protection des investissements internationaux” (1987) D P C I, p. 205.

111 Canada-United States: Memorandum Concerning Transboundary Air Pol­lution in (1981) X X IL M , p. 690-92.

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Nous allons voir que ce mémorandum oblige les États-Unis à dé­ployer une certaine vigilance puisque, d’une part, il possède bien la valeur contraignante d’un traité, d’autre part, il comporte une obli­gation de diligence.

L ’accord de 1980 contient de véritables obligations juridiques. Gomme l’a précisé l’auteur de référence en la matière, Michel Vi- rally, “ le caractère juridique ou purement politique d’un engage­ment figurant dans un texte international de nature incertaine dépend de l’intention des parties . . . et, notam ment. . . [de] l’exa­men des termes employés pour exprimer cette intention, des circons­tances dans lesquelles le texte a été adopté et du comportement ultérieur des parties.” 112

Reprenons successivement les trois critères énoncés :

( 1 ) Les termes du mémorandum sont clairs. L ’emploi du terme “shall” — par opposition au “should” contenu dans divers textes à portée déclarative — a bien pour sens ordinaire l’ins­tauration d’une obligation. Les articles du mémorandum sont par ailleurs qualifiés d’ “ engagements” (“ undertakings” ) .

( 2 ) Les circonstances dans lesquelles le texte a été adopté ne lais­sent aucun doute sur la volonté des États-Unis de s’engager conventionnellement. En effet, une série d’instruments juri­diques antérieurs attestent la détermination de ce pays de réduire effectivement la pollution transfrontière. Ainsi, une déclaration commune Canada-États-Unis de 1979113 auquel se réfère expli­citement celui de 1980 prévoit que les deux pays “ share a com­mon détermination to reduce or prevent transboundary air pol­lution.” 114

Les États-Unis sont également parties à la Convention de Genève de 1979, qui comporte une disposition similaire.115 On peut encore citer en ce sens divers actes de l’O C D E .116 Tant

110 M. Virally, Rapport à l’institut de droit international (1986, I) 60 A ID I, p. 192 et ss.

113 United States—Canadian Joint Statement in Ottawa, July 26, 1979, in Digest of United States Practice in International Law 1979 (1983), p. 1612-16.

114 Ibid., p. 1614.115 UN Convention on Long-Range Transboundary Air Pollution, Geneva, Nov.

I3> 1979; in (1979) X V III IL M , p. 1442-50.116 Voir, par exemple, Sous-Gomité des experts économiques. Note sur certains

problèmes de la pollution transfrontière, O CD E, Direction de l ’Environne­ment, A EU /EN V/72-73, 19 décembre 1972, p. 1 et ss.; O CD E , Principles Concerning Transfrontier Pollution, Annex to Rec. n° C/74/224 of Nov. 21, 1974, of the O E C D in (June 1975) 1 Env. Pol. and Law, p. 44-46.

252 The Canadian Yearbook of International Law 198g

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Les dommages causés par les précipitations acides 253

en vertu de la règle de l’effet utile que du principe de bonne foi, ces engagements ne peuvent être interprétés que comme établissant des circonstances favorables à la conclusion par les États-Unis d’un accord contraignant.117 Étant donné ces cir­constances et les termes clairs du mémorandum, il est indéniable que celui-ci contient des obligations juridiques.

(3) L ’examen de l’attitude ultérieure des parties ne remet pas en cause cette analyse. En effet, on ne peut conclure que le mémo­randum est perçu comme non contraignant puisque le Canada a émis à plusieurs reprises des protestations auprès du gouverne­ment américain considérant “ that this inaction [is] incompat­ible with the U.S. government’s commitments under inter alia the 1980 M O I” 118 et que cet État a par ailleurs exécuté celui- ci110 en réduisant considérablement ses émissions de substances polluantes.

Le contenu de mémorandum instaure bien une obligation de vigi­lance particulière. Les États-Unis s’y engagent à déployer une poli­tique qui soit de nature à combattre la pollution transfrontière. Le contenu des mesures à prendre est d’ailleurs dans une certaine me­sure précisé puisqu’elles devraient se traduire par un “ vigoreux ren­forcement” des lois et règlements propres à réduire les émissions de substances polluantes. En outre, le préambule qualifiant le problème des précipitations acides d’ “ urgent,” ces mesures devraient être adoptées avec une certaine diligence.120

En conclusion, l’engagement conventionnel des États-Unis cons­titue une circonstance qui ne remplace pas, mais renforce l’obligation coutumière de diligence due existant en matière de pollution atmos­phérique transfrontière.

h t Voir pour la notion d’effet utile: Aff. du Détroit de Corfou, GIJ, arrêt, Receuil 1949, p. 24, et Aff. de V inter prêtât ion des traités de paix, CIJ, arrêt, Recueil 1950, p. 229; voir pour la bonne foi Art. 26 de la Convention de Vienne de 1969; Aff. des Essais nucléaires, CIJ, arrêt, Recueil 1974, p. 268 et 473 ; voir en ce sens B. Vukas, Concluding Observations on General International Law and New Challenges in the Field of Transboundary Air Pollution^ in Transboundary Air Pollution, op. cit. supra note 40, p. 349; Remarques sur la notion de devoir international des États en matière de protection de l ’environnement, op. cit. supra note 23, O CD E, p. 435; Handl, Transboundary Resources . . . , op. cit. supra note 40, in Transboundary Air Pollution, p. 69.

118 Cité par Handl, ibid., p. 86, note 47.

110 Voir supra, § 22, note 55.

120 Réf. supra note n i .

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254 Annuaire canadien de Droit international ig8g

b. Circonstances habituellement retenues par la jurisprudence pour apprécier le degré de vigilance requis

Tant dans les affaires du Détroit de Corfou et du Personnel diplo­matique à Téhéran que dans celle des Activités militaires au Nica­ragua, la responsabilité d’un État pour omission illicite a été engagée ou non selon l’examen de deux critères :131

( i ) La connaissance du dommage potentielC ’est bien parce que l’événement dommageable n’avait pu échapper à la connaissance de l’Albanie, que la Cour a retenu sa responsabilité internationale,122

( 2 ) La possibilité d’empêcher ce dommageC ’est en vertu de ce principe qu’a été examiné le degré de vigilance adopté par les autorités iraniennes notamment lors d’autres attaques d’ambassade que celle qui a mené à la prise d’otages.123

Ces deux critères se retrouvent aussi dans la jurisprudence arbi­trale.124 Us ont également été retenus lors des travaux de codification de la commission du droit international sur la responsabilité des États.125 Appliquons-les au cas d’espèce.126

Les États-Unis savent que les émissions de N O x et de SO2 causent des dommages au Canada. Ceci ressort clairement des nombreux instruments auxquels les États-Unis sont parties.127 En outre, lorsque

121 Aff. du Détroit de Corfou, GIJ, arrêt. Recueil 1949, p. 22; Aff. relative au Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, GIJ, arrêt, Recueil 1980, p. 37; Aff. des Activités militaires et paramilitaires au Nica­ragua et contre celui-ci, CIJ, arrêt, Recueil 1986, p. 85.

122 Aff. du Détroit de Corfou, op. cit., p. 22.123 Aff. relative au personnel diplomatique . . . , op. cit., p. 32-33.124 Aff. Poggioli, X R.S.A., p. 689; Aff. Wypperman, III Moore Arbitration, p.

3041; Aff. Janes, IV R.S.A., p. 86; Aff. Chapman, IV R.S.A., p. 632; Aff. des biens britanniques au Maroc espagnol, II R.S.A., p. 644; Aff. Home Frontier and Foreign Missionary Society on the United Brethren in Christ, V I R.S.A., p. 42. Voir en ce sens Zannas, op. cit. supra note 109, p. m ; Handl, op. cit. supra note 91, p. 85; A. Kiss, “ L ’état actuel de l’environne­ment en 1981: problèmes et solutions,” (1981) Clunet 499, à la p. 514; P. M . Dupuy, La diligence due dans le droit international de la responsa­bilité, in Aspects juridiques de la pollution transfrontière, op. cit. supra note 94, p. 401 et ss.; Koskenniemi, op. cit supra note 75, p. 160; Levy, op. rit supra note 109, p. 744.

las Commentaire de l’art. 23 C D I, in (1978, II) A C D I , i ère partie, A /C N A / 307 et add. 1, p. 5§ 9, p. 7 §19, §21, p. 12, §14 et p. 13 § 26.

126 Hardy, op. cit. supra note 91, p. 229.127 Voir supra note 47 et également note n i .

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Les dommages causés par les précipitations acides 255

la pollution est de type continu comme dans le cas des précipitations acides, l’État est forcément au courant de son existence. Ainsi, tout comme la fréquence des attaques de l’ambassade américaine à Téhé­ran renforçait le devoir de vigilance des autorités iraniennes, le ca­ractère continu de la pollution renforce le devoir de vigilance dont doivent faire preuve les autorités américaines.128 Dans ce cas, cer­tains parlent même d’une pollution intentionnelle.129

Enfin, le Canada a de nombreuses fois rappelé au gouvernement américain le dommage qu’il subissait du fait des précipitations acides.130 Or, la jurisprudence retient les appels et plaintes de la victime comme circonstances aggravantes,131

Les autorités américaines semblent plutôt avoir invoqué l’argu­ment du manque de moyens afin de limiter leur obligation de dili­gence, puisqu’elles ont maintes fois affirmé que l’application de mesures techniquement appropriées à la lutte contre les précipita­tions acides entraînerait un coût socio-économique excessif,132

Cet argument doit être apprécié sur base de critères comparatifs. Ainsi, dans son arrêt de 1986, la Cour internationale de Justice a considéré que le Nicaragua avait déployé une diligence suffisante parce que: “ S’il est vrai que l’ampleur exceptionnelle des moyens mis en œuvre par les États-Unis n’a nullement empêché le trafic d’alimenter la guérilla salvadorienne, cela implique encore plus net­tement l’impuissance dans laquelle se trouvait le Nicaragua, qui dis­pose de moyens bien plus faibles pour maîtriser ce trafic. . . ,” 183

Le droit international de l’environnement reprend abondam­ment ce critère et notamment l’article 23 de la Déclaration de Stockholm qui dispose: “ il faudra dans tous les cas tenir compte . . .

12B Aff. relative au personnel diplomatique . . . , op. cit., p. 32-33 ; Q . Quentin- Baxter, Rapport préliminaire sur la responsabilité pour les conséquences pré­judiciables découlant d’ activités ncn interdites par le droit international, UN Doc. A/CN.4/334, p. 9. Dans VAffaire de la Fonderie de Trail, la responsa­bilité du Canada a notamment été retenue parce que cet État était au cou­rant de la pollution transfrontière occasionnée. Voir Handl, op. cit. supra note 91, p. 6 i, note 58.

129 Ibid.s p. 58.130 V 0ir supra note 118.

131 Aff. de VAlabama, II R A I, p. 891; Aff. relative au Personnel. . . , op. cit., p. 11 et 31; Aff. des Phares, X II R .S.A., p. 215-16; Aff. Reveno, X R A I, p. 582; Aff. G. A. Kennedy, IV R.S.A., p. 194.

132 Rapport conjoint des envoyés spéciaux sur les pluies acides, op. cit. supra note 7.

133 Aff. des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, GIJ, arrêt, Recueil 1986, p. 85, § 157.

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des possibilités d’application qui sont valables pour les pays les plus avancés mais qui peuvent ne pas être adaptées aux pays en voie de développement et être pour ces pays d ’un coût social injustifié.”

O n peut encore citer en ce sens l’article 3 du projet de la Com­mission du droit international sur la responsabilité des États pour les conséquences préjudiciables d’activités qui ne sont pas interdites par le droit international.184

À l’évidence, l’argument américain ne peut être retenu. L a prise en compte des moyens d’un État vise à déterminer s’il a raisonnable­ment la possibilité matérielle d’empêcher un dommage135 et sert en général à la protection des pays sous-développés plutôt qu’à celle de la première puissance économique mondiale.136 La pratique démon­tre aussi que, lorsque l’on a imposé des normes strictes à des entre­preneurs occidentaux qui avaient eux aussi invoqué le coût excessif de la lutte antipollution, ces derniers ont trouvé les moyens de les appliquer.137

En outre, nous avons eu l’occasion de mesurer l’ampleur des ini­tiatives dans le domaine de la réduction des émissions de SO2 ou de N O x. De nombreux États, qui sont pourtant loin de posséder des moyens supérieures à ceux de l’économie américaine, se sont en­gagés dans ce sens.138

La comparaison démontre donc que les États-Unis devraient être à la pointe de la lutte contre les précipitations acides, en mettant en œuvre moyens de prévention existants.

En conclusion, les deux critères habituellement pris en compte pour préciser le contenu de l’obligation de diligence due confèrent à celle-ci une rigueur particulière.139

134 Rapport 1988, p. 9 et 23 § 68 et suiv.135 Dupuy, op. cit. supra note 124, p. 402; Handl, op. cit. supra note 96, p.

537; Kiss, op. cit. supra note 124, p. 5 17; Hardy, op. cit. supra note 126,p. 229.

130 Voir principe 23 de la Déclaration de Stockholm; M. Bedjaoui, Towards a New International Economie Order (1979), p. 61 et suiv.; C. De Visscher, De l’équité dans le règlement arbitral ou judiciaire des litiges en droit inter­national, p. vii; M. Flory, Droit international du développement (1977), p. 47 et suiv.

137 Dans les affaires des Mines de Potasse, ou de la pollution de l’Esquire, ou encore La salination des eaux du Colorado, les pollueurs ont finalement trouvé des solutions techniques; cf. J. G. Lammers, Balancing Equities in International Environmental Law in L ’avenir du droit international de Ven­vironnement, A D I (Colloque 1984), p. 158.

138 Voir supra, § 22 et les notes.139 L ’obligation de diligence due est déjà particulièrement précise en droit inter­

national de l’environnement. En effet, il existe des standards minimum de

256 The Canadian Yearbook of International Law 1989

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Les dommages causés par les précipitations acides 257

2. Nécessité de Vapplication stricte de la règle générale

Certains auteurs considèrent que la généralité de la règle d’uti­lisation non-dommageable du territoire empêcherait le juge de l’ap­pliquer telle quelle à un cas d’espèce et qu’il devrait dès lors ne l’utiliser que conjointement à d’autres normes plus précises de droit international.140

L ’argument est sans pertinence. En effet, à supposer que malgré les critères d’application que nous venons d’examiner et qui affinent considérablement l’obligation de diligence due, la règle soit encore imprécise, le juge prendra alors en compte des considérations d ’équité et non pas une règle supplémentaire de droit internatio­

comportement essentiellement déterminés par les résolutions, recommanda­tions et décisions des organisations internationales tels l ’O CD E, le PNUE, les N U ou la CEE, Celles-ci établissent outre des objectifs fondamentaux, des normes de qualité de l ’environnement, des normes techniques ou des seuils à ne pas dépasser qui précisent l ’obligation de vigilance. Sont, par exemple, particulièrement sévères les principes 26-28 de la Déclaration de Stockholm sur la protection des forêts (lourdement touchées par les pluies acides). Si on peut considérer qu’il s’agit là de “ Soft Law ,” elle fournit en ce domaine de nombreux critères. L ’opinion publique joue également un rôle important. Et finalement, on attend de l’État qu’il contrôle strictement les activités susceptibles de causer une pollution. Voir Condorelli, op. cit. supra note 91, p. 135-37; C*. De Klemm, Le patrimoine naturel de l’huma­nité in L ’Avenir du droit international de Venvironnement, op. cit. supra note 137, p. 141; R. J. Dupuy, Conclusion du colloque in ibid., p. 489; P. M. Dupuy, Le droit international de l’environnement et la souveraineté des États in id., p. 34, 45, 49; A. Abelhady, Nécessité d’établir des normes uniformes relatives à l’environnement in Ressources naturelles en droit inter­national (1984/1985/1986), Annuaire A A A , vol. 54/55/56, p. 230; A. Kiss, “D ix ans après Stockholm: une décennie de droit international de l ’environ­nement,” (1982) 28 A F D I 784, aux, p. 792-93; Dupuy, op. cit. supra note 99, p. 259 et ss. et 270 et ss.; voir aussi Conférence de la forêt (Paris, février 1986), C. Rousseau, “ Chroniques des faits internationaux,” (1986)90 R G D IP , p. 639-40.

En ce qui concerne les Nations Unies pour l’Europe, voir A. Kiss, “ La coopération pan-européenne dans le domaine de la protection de l’environne­ment,” (1979) 25 A F D I 719; V . Y . Ghebali, “L ’acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et les Nations-Unies,” (1975) 21 A F D I 73.

En ce qui concerne le PNUE, voir P. H. Sand, Environmental Law in the United Nations: Environment Program in L 1avenir du droit international de l’environnement, op. cit., p. 51-58; A. Kiss, Le programme des Nations Unies pour l’environnement, (1985) Rev. fr. d’adm. publ., p. 65-69.

140 B. Johnson Theutenberg, The International Environmental Law: Some Basic Viewpoints in L ’ avenir du droit international de l’ environnement, op. cit. supra note 137, p. 336; C. G. Caubet, “Le droit international en quête d’une responsabilité pour les dommages résultant d’activités qu’il n’interdit pas,” (1983) 39 A F D I 99.

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Annuaire canadien de Droit international 1989

nal.141 Précisément l’équité permet au juge d ’appliquer à un cas d’espèce une régie énoncée en termes généraux. C ’est elle qui in­staure “ l’harmonie entre les faits et la norme par la considération de la situation en l’espèce.” 142

Nous envisagerons donc le litige américano-canadien des précipi­tations acides à travers l’équité,148 pour constater que le degré de vigilance imposé par le droit international aux États-Unis ne s’en trouve pas atténué.

L a balance entre les intérêts des parties constitue indéniablement un des principes “ équitables” reconnus par le droit international. Appliqué à plusieurs reprises par la jurisprudence,144 il imprègne tout le droit international de l’environnement : chaque instrument le composant le réaffirme systématiquement.145 Or, la prise en compte

141 Suat Bilge, L e nouveau rôle des principes équitables en droit international in Festschrift für Rudolf Bischedler, Zurich (1980), p. 108 et ss. Gomme le souligne M ax Huber: “ l ’équité est celle qui, entre plusieurs interprétations possibles du droit, tient le mieux compte de la situation individuelle des parties en litige . . (1934) A ID I, p. 333.

C ’est l ’équité, et non une autre règle, qui doit donc être utilisée pour préciser une norme; Quoc Dinh, Daillier et Pellet, op. cit. supra note 91, p. 320; op. indiv. M. Hudson dans Y Aff aire des Prises d'eau à la Meuse, CPJI, Série A /B , 110 10 p. 76-77 et op. diss. de Sir Gerald Fitzmeurice, Affaire de la Barcelona Traction, CIJ, arrêt Recueil 1970, p. 84-86.

142 K . Strupp, “ Le droit du juge international de statuer selon l’équité,” (1930,III) 33 R C A D I, p. 468.

143 M. Koskenniemi considère l’emploi de l ’équité comme particulièrement ap­propriée dans le cas le l ’utilisation non dommageable du territoire, Interna­tional Pollution in the System of International Law, (1984), p. 135; Lam­mers op. cit supra note 75, p. 155.

144 Dans Y Affaire de la Fonderie de Traïl, le Tribunal a pris en compte à la fois les intérêts des agriculteurs américains et des industries canadiennes,III R .S.A., p. 1938-39 et Read, op. cit. supra note 60, p. 224-25; Goldie, op. cit. supra note 94, p. 1226; Andrassy, op. cit. supra note 64, p. 94-96; Q . Quentin-Baxter, Second Report on International Liability for Injurious Conséquences Arising Out of Acts not Prohibited by International Law, U N Doc. A/CN4/346, Add. 1, p. 1 et suiv.; Bin Cheng, op. cit. supra note 85, p. 132. V oir d’autre part Y Affaire du Lac Lanoux, X II R.S.A., p. 303 et surtout 316; Koskenniemi, op. cit. supra note 75, p. 157. Par ailleurs, Affaire de l’ Oder, CPJI, Série A , n° 23, p. 27. Voir la solution retenue par la BIRD dans sa médiation dans le conflit entre l’ Inde et le Pakistan; G. Fischer, “ La Banque Internationale pour le Reconstruction et le Développe­ment et l’utilisation des eaux du bassin de l ’Indus,” (i960) 6 A F D I 669. Enfin, Anglo-French Continental Shelf Case, X V III R.S.A., p. 94, § 198.

145 Le principe 21 en est l ’exemple typique puisqu’il réaffirme le droit de la souveraineté dans un premier temps, pour le limiter en fonction des droits des autres États dans un second; voir texte supra, § 291, réf. note 69, Sohn, op. cit. supra note 94, p. 492, et Van Lier, op. cit. supra note 4, p. 115.

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Les dommages causés par les précipitations acides 259

de ce principe n’allège pas l’obligation de diligence due, et ce pour deux raisons.

( 1 ) Il n’existe aucune disproportion entre les intérêts des États-Unis et ceux du Canada. O n ne peut affirmer que le dommage subi par celui-ci est minime par rapport à l’importance des revenus tirés des activités dommageables par les États-Unis. A u con­traire, toute l’ampleur du préjudice a déjà été mesurée.146 On ne trouve donc aucun principe équitable qui imposerait au Canada de supporter le coût occasionné par des activités indus­trielles dont il ne profite en rien.

(2) Par contre, il semble équitable d’opposer aux intérêts améri­cains, non plus les seuls intérêts du Canada, mais ceux de la communauté internationale toute entière. En effet, comme les instances internationales compétentes le reconnaissent, la dégra­dation du milieu naturel provoquée par les précipitations acides est de nature à menacer les systèmes écologiques globaux.147 À terme, ce sont les ressources naturelles de toute la planète qui sont menacées. Le concept de “ patrimoine commun de l’hu­manité” apparaît donc bien comme un des critères d’équité à envisager.148

Certaines circonstances naturelles peuvent également à ce titre être prises en compte. La Cour internationale de Justice, dans dif­férentes affaires portant sur la délimitation de plateaux continentaux, a précisé que l’existence d’ “ anomalie” géographique (comme la con­cavité excessive de la configuration générale d ’une côte) représentait

w 6 V oir supra, § 6 et suiv.

147 Les ressources naturelles ont été reconnues “patrimoine commun de l’huma­nité” dans la Convention de Genève de 1979 in (1979) X V III IL M , p. 1442. L a Charte Mondiale de la Nature (Res. 37/7, 28 oct. 1982) est im­prégnée d’une telle vision, tout comme le D raft World Charter for Nature, Res. 35/7, 5 nov. 5980 in (1981) X X IL M , p. 4.64-67 (art. 11) et la D é­claration sur la protection de l’atmosphère, L a Haye, 11 mars 1989, in (1989) 93 R G D IP, p. 538-39. Cette déclaration reconnaît que le problème et la solution sont planétaires. Voir enfin P. Tavernier, “ L ’année des N.U ., I e r janvier 1982—31 décembre 1982: Questions juridiques,” (1982) 28 A F D I 634, à îa p. 671.

148 V oir A. Kiss, “ La notion de patrimoine commun de l’humanité,” ( 1982, II ) 175 R C A D I, p. 176 et ss.; Condorelli, op. cit. supra note 91, p. 135; Thatcher, Serving Future Générations in L ’ avenir du droit international de Venvironnement, op. cit. supra note 137, p. 451-69, et E. Brown Weiss, Inter­national Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity: Research in Progress in ibid., p. 445-49; R. J. Dupuy, Conclusion du colloque in ibid., p. 500; G. De Klemm in id., p. 138 et ss.

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un critère à retenir pour aboutir à une solution équitable.149 D ’autre part, on sait que divers instruments juridiques prêtent une attention particulière aux intérêts des États géographiquement défavorisés.

Or, les circonstances naturelles intervenant dans le phénomène des précipitations acides défavorisent considérablement le Canada. Les conditions métérologiques, les directions générales des vents transpor­tant les substances polluantes du nord des États-Unis vers l’est du territoire canadien, alors que les flux en sens inverse se révèlent en­viron quatre fois moindres, ont pour effet de rendre cet État plus vulnérable.150 Les États-Unis ne peuvent se prévaloir de cette ano­malie de la nature au titre d’équité.

En conclusion, l’utilisation non-dommageable du territoire est une règle qui doit s’apprécier avec autant de rigueur que son application aux circonstances de F espèce le requièrent, eu égard aux principes équitables généralement admis en droit international. L ’obligation de diligence due liant les États-Unis ne s’en trouve donc par atténuée.

C o n c l u s i o n s

Dans la première partie de cette étude, nous avons examiné le comportement effectivement adopté par les États-Unis pour tenter de limiter la pollution atmosphérique transfrontière par les précipi­tations acides. Dans la seconde, nous avons dégagé le comportement requis par le droit international en pareilles circonstances. La dis­proportion est manifeste.

Les mesures américaines sont restées sommaires et inadéquates: leur résultat est proche du néant.

Pourtant, les États-Unis sont soumis à une obligation coutumière de vigilance, déjà singulièrement renforcée en droit international de l’environnement et qui l’est plus encore dans le cas des précipitations acides. En effet, cet État a parfaitement conscience de la présence sur son territoire de l’origine d’un mal dont il possède les remèdes, et auquel il s’est engagé conventionnellement à apporter un soin particulier. Des considérations d’équité finissent de conférer à la règle toute sa rigueur.

On aboutit ainsi à une solution très proche de l’obligation de ré­sultat, non pas en vertu de théories se référant à une responsabilité objective encore de lege ferenda, mais en application aux circon-

149 Voir à ce sujet Koskenniemi, op. cit. supra note 75, p. 14 et ss.

160 Supra note 8.

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stances concrètes de la règle bien établie en droit international de diligence due.

Eu égard à l’importance de l’écart séparant comportement suivi et comportement requis, il est incontestable que les États-Unis ont lourdement enfreint le droit international. Peut-on pour autant par­ler de crime international, en évoquant le § 3(0) de Partiele 19 du projet de la C D I qui qualifie comme tel toute “ violation grave d’une obligation internationale d ’importance essentielle pour la sauvegarde et la préservation de l’environnement humain, comme celles inter­disant la pollution massive de F atmosphère. . . .” 15a Si l’obligation coutumière dont il est question semble parfaitement entrer dans le cadre de cette définition,162 il peut paraître excessif de conclure à une violation d’une telle gravité qu’elle constituerait un “crime inter­national.” Prétendre que la pollution substantielle infligée au Ca­nada ne constitue pas un acte illicite le serait cependant bien davantage.

Il est fondamental et urgent de réagir vigoureusement aux con­séquences catastrophiques d’un productivisme forcené. Faire pres­sion sur les États-Unis afin qu’ils entament un combat effectif contre le phénomène des précipitations acides en est l’occasion. Il y a presque 150 ans déjà, un homme qui a marqué son siècle affirmait, “ la société bourgeoise qui a fait surgir de si puissants moyens de pro­duction et d’échange ressemble au magicien qui ne sait plus maîtriser les puissances infernales qu’il a évoquées.” Puissent les membres du Congrès des États-Unis tenter à l’avenir de donner tort à ce qui apparaît aujourd’hui comme une prémonition fondée.

151 ( 1976, II) A C D I, 2Ême partie, p. 89 et commentaire p. m j 66. Voir, par ailleurs, Gundling, op. cit. supra note 93, p. 290; Condorelli, op. cit. supra note 91, p. 135. Enfin, discussions de l’ ID I, in (1987) A ID I, op. cit. supra note 60, p. 241 à 245.

152 (1976, II) A C D I, op. cit. supra note 151, p. 100-1, § 30 à 32.

Les dommages causés par les précipitations acides 261

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262 Annuaire canadien de Droit international 198g

Summary

The International Responsibility of the United States for Damage Gaused by A cid Rain on Canadian Territory

în this article, the authors argue that, given that there is now strong evidence to the effect that acid rain from the United States has caused and is causing damage in Canada, the United States must bear respon­sibility for this damage at international law. The principal conséquence of U.S. responsibility is that the United States must take decisive steps to prevent further damage caused by acid rain in Canada.

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