la revue du projet n° 41

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N°41 NOVEMBRE 2014 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS LA PReMIÈRe GUeRRe MONdIALe dOSSIeR P. 32 LE GRAND ENTRETIEN POUR UN NOUVEAU MODÈLE AGRICOLE Xavier Compain P. 47 STATISTIQUES LES DÉPARTEMENTS : 33 MILLIARDS D’EUROS D’AIDE SOCIALE Michaël Orand P. 36 COMBAT D’IDÉES GROS APPÉTIT DÉMOCRATIQUE Gérard Streiff Parti communiste français

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Page 1: La Revue du Projet n° 41

N°41 NOVEMBRE 2014 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

LA PreMiÈre GUerre

MoNdiALedossier

P.32 LE GRAND ENTRETIEN

POUR UN NOUVEAUMODÈLE AGRICOLEXavier Compain

P.47 STATISTIQUES

LES DÉPARTEMENTS : 33 MILLIARDS D’EUROSD’AIDE SOCIALEMichaël Orand

P.36 COMBAT D’IDÉES

GROS APPÉTITDÉMOCRATIQUEGérard Streiff

Parti communiste français

Page 2: La Revue du Projet n° 41

3 ÉditoGérard Streiff idées de droite, espoir de gauche

4 PoÉsiesFrancis Combes Nazim Hikmet

5 regardStephanie Haus Lili reynaud dewar

6 u30 Le dossierLa Première guerre moNdiaLePrésentation : Stève Bessac, Côme Simien L’effroi et l’espoirFrédérick Genevée un nouveau monde René Gallissot guerre à la guerre Rémy Cazals Contrainte ou consentement ? retour sur un débathistoriographiqueAndré Bach refuser la guerre : 1917, le temps des mutins ?Guy Fischer réhabiliter les fusillés pour l’exemple : encore uneoccasion manquéeAnnie Lacroix-Riz une guerre de somnambules ou l’issue d’une crisegénérale du capitalismeFrançois Boulloc Profiter de la guerre... et s’en défendreJean-Louis Robert Première guerre mondiale et mutation du salariatCatherine Coquery-Vidrovitch L’afrique francophone dans la premièreguerre mondialeLuciano Canfora mussolini entre en scèneSerge Wolikow révolution et guerre : des liens indissociables ? Jean-Paul Scot Les socialistes français et la guerre (1912-1920)Mélanie Tsagouris 1914-2014 : construire la paixFrançoise Germain-Robin La guerre de gazaOlivier Barbarant 1914-2014 : La grande guerre : entrée en modernitéartistique et littéraire ? Patrick Staat, Raphaël Vahé L’araC, témoin et acteur depuis un siècle

31 LeCtriCes & LeCteursFrédéric Boccara thomas Piketty et Le capital au XXIe siècle

32 u33 traVaiL de seCteursLe graNd eNtretieNXavier Compain « Pour un nouveau modèle agricole »BrêVes de seCteur- Bolivie : le PCF salue la victoire d'evo morales à l'électionprésidentielle- transition énergétique : un projet de loi qui ne nous convient pas !- Prix Nobel de la paix : Le combat courageux de malala est universel

36 ComBat d’idÉesGérard Streiff gros appétit démocratique

38 MOUVEMENT RÉELAntoine Casanova Le pape, le capitalisme et le combat pour la paix

40 HistoireRené Nouailhat Ce que l’idée de « religion » doit à l’antiquité romaine

42 ProduCtioN de territoiresJulien Thorez ukraine : repositionnement géopolitique etfragmentation nationale

44 sCieNCesAntoine Vayer sport et sciences (1/2)

46 soNdagesGérard Streiff La mauvaise image du medeF

47 statistiquesMichaël Orand Les départements : 33 milliards d’euros d’aide sociale

48 reVue des mÉdiaJacky Gerault Le traitement de l’information sur la Corée du Nord :entre rumeurs et désinformation

50 Critiques• Lire : Stève Bessac 1914, année charnière• Jean Rabaté Les mutins de Calvi, révoltes et procès oubliés• Yves Citton (dir.) L’économie de l’attention• Claude Mazauric Destins : quatre « poilus » originaires de Collorguesdans la Grande Guerre (1914-1918)• Europe, août-septembre 2014• Recherches internationales, janvier-mars 2014

54 daNs Le texteFlorian Gulli et Jean Quétier Forces productives et rapports deproduction

57 BuLLetiN d’aBoNNemeNt

59 Notes

SOMMAIRE

THÈMES DES PROCHAINSNUMÉROS DE VOTRE REVUE :

Liberté ! ; média ; politisation...

Vous avez des idées sur cesdossiers n’hésitez pas à nouscontacter : Écrivez à[email protected]

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacRédacteur en chef : Guillaume Roubaud-Quashie • Secrétariat de rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : CarolineBardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Clément Garcia, Maxime Cochard, Alexandre Fleuret,Marine Roussillon, Côme Simien, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand,Pierre Crépel, Florian Gulli, Jean Quétier, Séverine Charret, Vincent Bordas, Anthony Maranghi, Franck Delorieux, Francis CombesDirection artistique et illustrations :Frédo Coyère • Mise en page :Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, ave-nue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : Novembre 2014 - N°41.

Un grand merci à Jacques Tardi pour le dessin de couverture et dedernière page ! Planche extraite de Jacques Tardi, Putain de guerre, 2008, p.5, publiée avec l'aimable autori-sation de la maison d'édition Casterman. © Casterman.

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ÉDITO

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Idées de droite, espoir de gauche

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NOVEMBRE 20143

es idées de droite semblent occuper tout le terrain.La parole patronale est omniprésente en économie.Les technocrates piétinent la démocratie à coups dechiffres définitifs. L’inégalité et la brutalité seraientredevenues la règle dans les rapports humains. La

misère de masse prend ses quartiers d’hiver. des intégristesen tous genres brandissent censure et interdits. C’est commesi on entrait dans la grande régression. et ne parlons pas del’image donnée du monde, dominée par des bruits de bottes,des sauvageries sans nom et des menaces d’épidémiessoudain venues du fin fond des âges. on voudrait nous imposerun imaginaire réactionnaire qu’on ne s’y prendrait pasautrement.

L’essentiel des média est dans ce tempo de droite, et les raresséquences différentes (on pense ici au téléfilm sur France 2d’Yves gaonac’h, Tête haute, sur la lutte des ouvriers de laFonderie du Poitou) ont des airs d’étoiles filantes, d’ovni dansun paysage uniformément débilitant. La banalisation del’extrême droite participe de ce courant, avec, dernier exempleen date, le lamentable opuscule du socialiste serge moati, LePen, vous et moi.

du Monde au Figaro, de Libération à tF1, le catastrophismeest aujourd’hui le sentiment le mieux partagé. on nous martèleque la société française est sur le point d’imploser, si ce n’estdéjà fait ; on glose (on rêve) sur d’imminents affrontementsintercommunautaires, d’inéluctables victoires des fachos-bobos du FN… et les mêmes en tirent, en chœur, argumentpour imposer toujours plus de potion libérale, toujours moinsde social et de démocratie. une surenchère sidérante se livreentre le pouvoir Hollande/Valls, qui pratique sans vergogneune politique de droite, et une opposition de droite qui enrajoute, histoire aussi de ne pas être en reste.

Les débats tournent souvent à la caricature comme ce récentface-à-face alain minc/Éric Zemmour ; le premier a écrit LeMal français n’est plus ce qu’il était, l’autre Le Suicide français(à moins que ce ne soit l’inverse, mais quelle importance ?) ;on dirait une joute mondaine entre l’avenue Foch et l’avenueVictor-Hugo, le reste du pays devant contempler ce chahutde nains et compter les points, comme si la France de 2014se réduisait à ça.

La pensée unique est plus unique que jamais. Cela n’est passans effet sur les mentalités. L’institut tNs/soFres, qui publietous les deux ans une enquête intitulée « le Baromètre desvaleurs des Français », juge que le Français moyen version2014, c’est « moi, beau et méchant », soit un personnagenombriliste, provocateur et bling-bling. du sarkozy aprèssarkozy. Les idées libérales (individualisme, fric, risque, etc.)n’en finiraient plus de s’incruster.

Cela n’est pas faux mais cela n’est pas tout. même éparpillée,intimidée, marginalisée, culpabilisée, blessée, désenchantée,la gauche est là. et ses idées itou. Le journal L’Humanité publiait,le jour de sa fête, une intéressante enquête iFoP dont ilressortait que l’opinion, en ce début d’automne, saitparfaitement ce que c’est qu’être de gauche. un mot l’incarne :c’est « plus », plus de droits, plus d’égalité, plus de solidarité,plus de social. et à gauche, ils sont très largement majoritairesceux qui pensent que « la gauche peut, si elle le veut, défendreses idées et ses principes sans se renier quand elle est aupouvoir ». À gauche, on reste attachés à de grandes notions,comme la liberté, la solidarité, la laïcité, l’égalité. À gauche, onest tout à fait d’accord pour dire que les richesses ne doiventpas être accaparées par une minorité. À gauche, on auraittendance à penser que les chantiers prioritaires à ouvrir, cen’est pas la dilapidation de fonds publics aux patrons, auxbanques ou à la finance, mais une meilleure redistributiondes richesses ou l’égalité des droits entre toutes les catégoriesde la population.

Cette opinion de gauche, si malmenée dans le débat public,commence à mieux se faire entendre depuis l’été. L’idée deremettre la gauche sur ses pieds fait son chemin. des signesse multiplient. il y eut l’accueil réservé au secrétaire nationaldu PCF par les militants socialistes lors de l’université d’étédu Ps à La rochelle ; il y eut les débats nombreux etencourageants lors de la Fête de l’Humanité ; il y eut depremiers rapprochements, de gauche, lors des joutesparlementaires ; il y eut la participation de Pierre Laurent auxtravaux de « maintenant la gauche » de marie-Noëlle Lienemannet emmanuel maurel, où l’on put entendre un participantqualifier le dirigeant communiste de « trait d’union entre lesgauches » ; il y eut la présence de Pierre Laurent encore à cetautre courant de gauche du Ps, « un monde d’avance » ; il yeut cette envie, affirmée aux journées d’étude desparlementaires communistes et Front de gauche, de créerdes convergences avec d’autres. autant de traces d’unrassemblement anti-austéritaire qui se cherche et d’un espoirqui reprend forme. À gauche. n

L

GÉRARD STREIFF,vice-rédacteur en chef

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POÉS

IES

J’ ai participé courant octobre à un festival de poésieen turquie. J’avais été invité par ataol Berhamoglu,l’un des poètes les plus populaires du pays, qui dit

ses poèmes accompagné d’un chanteur qui les interprète.Poète à la personnalité forte, mélange de mélancolie et decombativité, ataol est souvent présenté comme un héritierde Nazim Hikmet. Ce qu’il est pour une part.

J’ai d’ailleurs pu mesurer lors de ce voyage l’attachement àNazim Hikmet. il est possible de croiser son portrait, par exem-ple dans une boutique de souvenirs près du Passage des fleursà istanbul, ou en effigie dans le bureau du maire d’eskesehir,au centre de l’anatolie, une des rares grandes villes du paysadministrée par la gauche… mais il est surtout présent dansles cœurs.

Lors du festival nous avons ainsi entendu des jeunes gensd’une vingtaine d’années, assis dans le public, accompagnerle musicien et chanter sa « Chanson de ceux qui boivent lesoleil », de 1928…

Nazim Hikmet ran est né en 1901 à salonique ; (son grand-père paternel en était le pacha). et il est mort en 1963, à moscou.entre ces deux dates, une vie de passion dans laquelle il a

« brûlé comme Kerem », le personnage légendaire qui seconsume en dénouant la chemise de sa bien-aimée. Non seu-lement pour l’amour des femmes, mais pour l’amour humainen général et l’idéal de la révolution. Nazim Hikmet a révolu-tionné la poésie turque. ayant côtoyé maïakovski et les futu-ristes à moscou, il y a introduit les mots, les images et les idéesdu nouveau siècle, en rupture avec la tradition ottomane dela poésie du divan. tout en conservant de l’héritage orientalbeaucoup : toute une culture poétique et aussi le goût de lanostalgie qui chez lui se mêle à l’optimisme du révolution-naire. on sait qu’accusé d’agitation communiste il a passéseize ans de sa vie en prison. C’est d’ailleurs là qu’il a appro-fondi sa connaissance du peuple turc et qu’il a construit cemonument de la poésie du xxe siècle que sont Les Paysageshumains dans lequel il dépasse la séparation classique entrevers et prose.

en France, il a été salué par aragon, qui a mené campagneavec sartre pour le faire libérer, ou Philippe soupault qui écri-vait : aucun de ceux qui ont lu ou entendu ses poèmes « n’estplus le même qu’avant cette lecture ou cette audition ». et ila notamment été adapté en français par Charles dobzynski,qui a travaillé avec lui sur ses traductions quand il était en exil.Charles dobzynski qui vient de nous quitter…

Nazim Hikmet

FRANCIS COMBES

DimancheC’est dimanche aujourd’hui.Pour la première fois, aujourd’huiils m’ont laissé sortir au soleilet moipour la première fois de ma vie,j’ai regardé le ciel sans bougerm’étonnant qu’il soit si loin de moiqu’il soit si bleuqu’il soit si vaste.Je me suis assis par terreplein de respectet j’ai collé mon dos contre le mur blanc.Il n’est pas question en cet instantde me jeter dans les vagues.Pas de combat en cet instantpas de liberté et pas de femmeTerre, soleil et moi.Je suis un homme heureux

Nazim Hikmet (1938)

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LA REVUEDU PROJET

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REGARD

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STÉPHANIE HAUS

Nouvellement acquises par le muséenational d'art moderne, trois vidéosde Lili reynaud-dewar y sont visi-

bles jusqu'au 31 décembre 2014.

renouvelant la relation entre esthétiqueet politique, ces œuvres nous montrent

l'artiste maquillée entièrement en noirreproduire les danses de Joséphine Bakerdans le musée. Cette reprise silencieused'une figure de l'activisme noir et de larésistance française, n'est pas tant unereconstitution que l'interrogation du deve-nir des œuvres d'art quand la sortie de

leur contexte les éloigne de leursinfluences politiques .Jusqu'au 31 décembre 2014 au CentrePompidou, Paris

Lili Reynaud DewarLili Reynaud-Dewar - I am intact and I don't care - 2013, 3 vidéos HD (couleur et noir&blanc) - © Lili Reynaud Dewar

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L’effroi et l’espoir

La « Grande guerre » au scanner, ou les mille et une manières d'ex-plorer cette boucherie fondatrice : la mutinerie, la finance, le profit,la classe ouvrière... et la Révolution, bien sûr.

premières lueurs du mois d’août 1914,purent goûter de nouveau aux dou-ceurs de la paix, à l’automne 1918 ?Dans les charniers du Nord-Est de laFrance, en Asie Mineure, en Afrique,sur terre comme sur mer, loin des cha-leurs de la fraternité humaine, broyéspar un subit emballement du temps,ils furent quelque 10 millionsd’hommes à perdre la vie, au milieude l’indicible et de l’absurde.L’horreur dura quatre ans. Quatreinterminables années à scruter les pro-fondeurs de l’abîme. Chaque bataillefut un vertige. En 1915, dans le détroitdes Dardanelles, Winston Churchill,premier lord de l’Amirauté, futur hérosdu monde libre en 1940, lança uneattaque des forces alliées contrel’Empire Ottoman. D’avril 1915 à jan-

vier 1916, plus de 100 000 individus yperdirent la vie : Turcs, Anglais,Français, mais aussi Canadiens,Australiens, Néo-Zélandais, Indiensenrôlés par la puissance impériale bri-tannique. Quelques semaines plustard, de février à décembre 1916,Français et Allemands s’affrontèrent à

Verdun. Sur les bords de la Meuse, leciel ne fut que feu. Le temps, meur-trier, prit pour rythme le bruit sourddes bombes. Des millions de bombes.Pour quelques kilomètres disputés, labataille emporta avec elle 700 000 sol-dats (morts ou blessés).L’horreur dura quatre ans. Cela lui suf-fit largement pour devenir l’immenselaboratoire d’une sophisticationinouïe de l’industrie de l’armement.Gaz toxiques, aviation, sous-marins…tout fut « amélioré », du moment queces modifications pouvaient permet-tre de tuer mieux, de tuer plus. L’horreur dura quatre ans. Cela futbien assez pour s’enrichir. La criseéconomique traversée par le capita-lisme mondialisé, à la veille de 1914,ne joua pas un mince rôle dans le

déclenchement du premier conflitmondial. Une fois la guerre déclarée,le grand capital sut en tirer maintsprofits. Pour lui, l’horreur ce futd’abord une bonne affaire. FrançoisBouloc et Annie Lacroix-Riz le rap-pellent assez dans les pages qui sui-vent.

PAR CÔME SIMIEN ET STÈVE BESSAC*

uand nous sommes arri-vés par ici au mois denovembre, cette plaineétait alors magnifique avecses champs à perte de vue,pleins de betteraves, par-

semés de riches fermes et jalonnés demeules de blé. Maintenant, c’est lepays de la mort, tous ces champs sontbouleversés, piétinés, les fermes sontbrûlées ou en ruine et une autre végé-tation est née : ce sont les petits mon-ticules surmontés d’une croix ou sim-plement d’une bouteille renverséedans laquelle on a placé les papiersde celui qui dort là ». Michel Taupiac a 29 ans en 1914,lorsqu’il est mobilisé. Il en a 30, enfévrier 1915, lorsqu’il écrit ces lignes.Dans le monde d’avant, celui qui pré-céda la folie et le carnage, il était filsd’ouvrier agricole, dans le Tarn-et-Garonne. Il survécut à la PremièreGuerre mondiale, ce « grand massa-cre des prolétaires ». Au milieu desplaines du Nord-Est, enlisés dans laboue, au fond des tranchées, exposésau feu dévastateur de l’ennemi, avecpour seul horizon les croix de leurscamarades déjà tombés, avec pourseule perspective leur propre déses-pérance et le souvenir d’un avenirperdu, furent-ils si nombreux que celaceux qui, comme lui, mobilisés aux

LA PreMiÈre GUerre MoNdiALeDOSSIER

« De cette horreur qui dura quatre ans,naquit aussi l’espoir. Cet espoir, de portéeuniverselle, fut celui de la Révolution. »

LA REVUEDU PROJET

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PRÉSENTATION

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L’horreur dura quatre ans. Elle surgiten partie de l’opaque diplomatie despays de la vieille Europe. Les puis-sances coloniales ne manquèrentcependant pas d’emmener avec elles,au combat, dans leur perte, les « indi-gènes » de leurs empires respectifs.L’horreur dura quatre ans. À sonterme, chaque commune érigea sonmonument aux morts, signe tangible,quotidien, des pertes locales, de l’ab-sence des disparus. La guerre étaitfinie. La guerre était encore partout.Inoubliable. Elle laissa derrière elledes « gueules cassées » par milliers,visages déformés, membres arrachés.Comment surmonter le trauma-tisme ? À l’orée des années 1930, PaulNizan, jeune écrivain et militant com-muniste, marqué par la violence del’expérience guerrière, pouvait résu-mer, d’une formule devenue célèbre,le mal-être d’une génération meur-trie : « J’avais vingt ans. Je ne laisse-rai personne dire que c’était le plusbel âge de la vie ».

De cette horreur qui dura quatre ans,naquit aussi l’espoir. Cet espoir, deportée universelle, fut celui de laRévolution. L’émancipation deshommes était de nouveau à l’ordredu jour. Ce vent révolutionnaire seleva à Saint-Pétersbourg, un certainmois d’octobre 1917. Bientôt, il trouvades échos hors de Russie. On leretrouve avec force, en Allemagne,autour des spartakistes de RosaLuxembourg et de Karl Liebknecht.

En France, alors que les années 1919-1920 sont marquées par de grandesgrèves ouvrières, un débat tiraille lavieille SFIO : faut-il ou non rejoindrela troisième Internationale ? Aucongrès de Tours, en décembre 1920,la majorité des socialistes choisitl’Internationale communiste : notreforce politique est née au milieu destourments de cette histoire.Pourquoi s’intéresser aujourd’hui àce conflit, tout juste centenaire, dansune revue politique ? Pourquoi céderà notre tour à la tentation commémo-rative ? Quel « projet » pour l’avenirpeut-il y avoir là-dedans ? Posons laquestion autrement : est-il inactuelde s’interroger sur la guerre, sur cequi a pu l’engendrer, sur l’attitude desforces de l’argent au cœur du conflit ?Est-il vain, aujourd’hui, de rappelerà notre souvenir ceux qui refusèrentjadis d’être les victimes expiatoires depolitiques gouvernementales déshu-manisantes ; ces hommes et cesfemmes qui se rassemblèrent pourchercher ensemble d’autres voies,faites de solidarités, d’égalité et de fra-ternité ; ces révolutionnaires qui, aucœur de l’anéantissement, frayèrentd’autres chemins, tendus vers larecherche du bien commun ? Sont-ce là autant de problématiques dépas-sées ? La guerre a-t-elle à ce point dis-paru de notre présent qu’il paraisseimpertinent de s’interroger sur lessolutions envisagées, il y a moins d’unsiècle, pour garantir le « plus jamaisça » ? Alors que l’ONU, née en 1945,

au lendemain du second conflit mon-dial, est plus que jamais confrontée,en 2014, à de nombreuses difficultéspour accomplir sa mission de paix,n’est-il pas pertinent de réfléchir à sasœur aînée, la Société des Nations,née du charnier de la Première Guerremondiale, y compris dans sesmanques les plus criants ?«Moi quand je ferme les yeux, je rêveque je peux rentrer chez nous, à lamaison, parce que les chars sont par-tis. Ce que je souhaite le plus fort, c’estque bientôt, on soit en paix et que cesoit pour toujours ». Ces propos sontceux d’Asma, en juillet 2014. Ce sontceux d’une enfant de 9 ans, grandis-sant dans la bande de Gaza où ellefréquente une école de l’ONU. Noussommes en 2014. La guerre fait rageautour de nous, en Ukraine, enAfrique, en Irak et en Syrie. Le bruitdes bombes s’est enfin estompé, enPalestine. Pour combien de temps ?Pour pouvoir un jour répondre auvœu simple d’une enfant de 9 ans, leplus légitime de tous – être en paix« et que ce soit pour toujours » –, undétour par la Première Guerre mon-diale nous a paru nécessaire. n

*Côme Simien et Stève Bessac sontresponsables de la rubrique Histoire.Ils sont les coordonnateurs de cedossier.

UN NoUveAU MoNde

PAR Frédérick Genevée*

La Première Guerre mondiale afondé le XXe siècle, le courtXXe siècle comme l’écrivait Eric

Hobsbawm. Qu’elle fût à la racine desprocessus historiques qui suivirent ouqu’elle accélérât des mouvements defond antérieurs, de cette guerre,comme en eurent conscience d’unemanière ou d’une autre ses contem-porains, naquit un nouveau monde.

Elle marqua les consciences, les terri-toires, les forces politiques ; elle donnaau siècle dernier son visage. Bien sûr,en histoire il n’existe pas de mono-cau-salité et d’autres événements expli-quent le XXe siècle, en particulier laSeconde Guerre mondiale, mais onverra que sans parler d’une uniqueguerre européenne de 1914 à 1945,voire même de guerre civile euro-péenne, ces deux déchaînements deviolence se rattachent l’un à l’autre.

reCoNfiGUrATioN desrAPPorTs de forCes eNTreiMPériALisMes Elle produit une recomposition géo-politique d’ensemble qui touched’abord les frontières et l’existencemême des États. Lors des traités depaix dont celui de Versailles, signé en1919, la carte de l’Europe est redessi-née : nouvelles frontières pourl’Allemagne, l’Italie, la Russie, laRoumanie et les autres pays balka-

DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

La Première Guerre mondiale, dont les causes sont multiples – crise du capi-talisme dans l’une de ses phases de mondialisation, affrontements inter-impérialistes et coloniaux, déchaînements des nationalismes et logiqueimplacable des alliances politico-militaires – accouche d’un nouveau monde.

s

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c’est à une autre échelle, une échelleglobale et mondiale. Ils interviennentsous la présidence de Wilson au nomd’un idéalisme démocratique certainmais aussi pour défendre et étendreleurs intérêts commerciaux et écono-miques. Ils sont ainsi en passe de deve-

nir la première puissance mondiale.La Première Guerre mondiale pro-voque aussi l’écroulement du régimetsariste balayé par les révolutionsrusses de février et octobre 1917. Avecla prise du pouvoir des bolcheviks naîtla Russie soviétique appelée à deve-nir l’Union des républiques socialistessoviétiques (URSS) en 1922. Ce nou-vel État révolutionnaire qui a distri-bué les terres, reconnu les minoritésnationales et déclaré la paix au mondeest assailli dès sa création par lesforces impérialistes à tel point quel’on pourrait dire que la PremièreGuerre mondiale ne s’achève pas en1918 mais en 1920 avec la fin de l’in-tervention étrangère. Une deuxièmepuissance mondiale voit ainsi le jour,même si ses contemporains – enne-mis ou amis – ne lui prédisaient pasune longue existence. Les États-Uniset l’URSS, ces jeunes états pionniersdeviennent ainsi des acteurs de la

géopolitique mondiale et leur affron-tement mais aussi leurs rapproche-ments ponctuels comme pendant laSeconde Guerre mondiale vont déter-miner les relations internationalespendant des décennies.

UNe GUerre ToTALeLa guerre 1914-1918 n’est pas seule-ment mondiale mais totale par lesmoyens mobilisés. Il s’agit d’aborddes hommes : des dizaines de mil-lions sont mobilisés, près de dix mil-lions meurent au front pour uneguerre qui n’est pas la leur, toutes lespopulations sont soumises à la mobi-lisation au front comme à l’arrière,dans les métropoles comme dans lescolonies. On ne dira jamais assez ceque représentèrent pour ces millionsd’êtres humains les combats, lesdéplacements forcés, la pression dela propagande permanente. Les effetsde la guerre sur la natalité sonténormes notamment pour la Francequi mettra bien du temps à rattraperce choc démographique.Après les expériences inouïes et sau-vagement meurtrières de la guerre deSécession (1861-1865), des guerrescoloniales et de la guerre des Boer(Afrique du Sud, 1899-1902), laPremière Guerre mondiale consacrepour de bon un principe guerrier d’ungenre nouveau : il ne s’agit plus seule-ment de vaincre l’adversaire mais del’anéantir complètement. Il en est ainsidu génocide des Arméniens en 1915.

L’iNTerveNTioN de L’éTATdANs L’éCoNoMieLa Première Guerre mondiale metaussi en évidence l’intervention del’État dans l’économie. Il n’y a pas delibéralisme pur dans le capitalisme, niaujourd’hui ni au XXe siècle. Mais lesbesoins militaires et les nécessités de

niques, renaissance de la Pologne,création de la Tchécoslovaquie et dela Yougoslavie, disparition del’Autriche-Hongrie et de l’Empireottoman. L’Europe qui voit le jour en1919 est peu ou prou celle que nousconnaîtrons jusqu’en 1991. C’est aussi

tout le Proche-Orient qui est redes-siné, région où les affrontements entrepuissances impérialistes redoublent.Ces changements ne sont pas neutreset indiquent une reconfiguration desrapports de force entre impérialismes.La France et le Royaume-Uni qui ontgagné la guerre semblent demeurerles grandes puissances. Elles sontpourtant contestées par de nouveauxacteurs : les États-Unis, le Japon etmême, dans une moindre mesure,l’Italie qui les ont accompagnés dansla guerre et la victoire. L’interventionétats-unienne a grandement contri-bué à faire basculer le rapport de forcesmilitaires au profit des forces del’Entente. Cette participation signe l’in-terventionnisme des États-Unis dansles affaires du monde. Contrairementà la légende, les États-Unis étaient déjàintervenus au-delà de leurs frontièreset au-delà des Amériques, notammentaux Philippines en 1898, mais cette fois

« Les États-Unis et l’URSS, ces jeunes Étatspionniers deviennent ainsi des acteurs de lagéopolitique mondiale et leur affrontementmais aussi leurs rapprochements ponctuels

comme pendant la Seconde Guerremondiale vont déterminer les relationsinternationales pendant des décennies. »

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DOSSIER

LA REVUEDU PROJET

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s

© Jacques Tardi, Putain de guerre, 2008, Éd. Casterman.

Page 9: La Revue du Projet n° 41

DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

LA REVUEDU PROJET

NOVEMBRE 20149

*Frédérick Genevée est membre duComité exécutif national du PCF. Ilest responsable du secteur Archiveset de mémoire du Conseil nationaldu PCF.

la mobilisation légitiment l’interven-tion de l’État. En France, des dirigeantssocialistes comme Jules Guesde,Marcel Sembat ou Albert Thomas ytrouvent des raisons pour justifier leurparticipation au gouvernementd’Union sacrée. Mais cette interven-tion de l’État – provisoire dans de nom-breux secteurs – au travers des bud-gets militaires est au service de laguerre, de la recomposition impéria-liste et ne sert en rien la promotiond’une économie plus sociale et soli-daire. Il en ira ainsi tout au long duXXe siècle : elle ne signifie en rien un

pas vers le socialisme si elle n’est pasmise au service d’une autre produc-tion et de la réduction des inégalités.Enfin, le règlement de la paix malgréla tentative avortée de la créationd’une organisation mondiale de réso-lution des conflits – la Société desNations – est une véritable bombe àretardement. En faisant del’Allemagne la seule responsable dela guerre, le traité de Versailles n’estque la formalisation de la victoired’impérialismes contre d’autres. Et cene sont pas les compromis des années1920 concernant les réparations duespar les Allemands qui y changerontquelque chose. Le nazisme y trouverale terreau d’une influence de masseen exploitant le sentiment d’humilia-tion des Allemands. Pareillement, enItalie entrée en guerre du côté del’Entente avec la promesse d’uneextension territoriale pas totalementsatisfaite, les fascistes pourrontexploiter le sentiment de frustrationnationaliste des Italiens. On mesurealors l’importance du mot d’ordre bol-chevik d’une paix sans annexion, mal-heureusement sans lendemain.

MoNTée eN PUissANCe dUNAzisMe eT dU fAsCisMeBien sûr, dans la montée en puissancedu nazisme et du fascisme, il est d’au-tres raisons que les conséquences dela Première Guerre mondiale : un anti-

sémitisme renouvelé, une fragilitéd’États récents, une conception mili-taire du monde, de l’économie et dela société, une critique ancienne dela démocratie, une peur tout aussiancienne des rouges, tout cela jointaux effets dévastateurs de la crise éco-nomique de 1929. Mais les consé-quences de la Première Guerre mon-diale cristallisent cet ensemble decauses. Alors la Seconde Guerre mon-diale n’est plus très loin. Différentede la première car irréductible à unaffrontement inter-impérialiste, ellerecomposa pour un temps les

alliances, conduisant au rapproche-ment antifasciste des États-Unis et del’URSS et permettant à cette dernièred’être réintégrée dans le jeu des rela-tions internationales et légitimée pourun temps dans son existence.

NAissANCe dU MoUveMeNTCoMMUNisTeLa Première Guerre mondiale est aussià l’origine du mouvement commu-niste du XXe siècle. Le communismeest bien antérieur à 1914 mais il vaprendre sa forme organisée etmoderne à l’occasion de ce conflit. Ilnaît d’abord du refus de la grandeboucherie et de la trahison des élitessocialistes engagées dans le soutienà leur gouvernement respectif. Il naîtaussi des mutations du capitalismequ’a accéléré la guerre : concentra-tion ouvrière, développement du tay-lorisme, production de masse… Larévolution d’Octobre 1917 et la créa-tion du premier parti communiste enRussie, de l’Internationale commu-niste à la suite et surtout du premierÉtat se réclamant du prolétariat capa-ble de signer la paix puis de résisteraux offensives militaires des puis-sances impérialistes, redessinent tota-lement le paysage du mouvementouvrier dans le monde. En France, ila la particularité de donner naissanceà un parti communiste par un votemajoritaire au sein du parti socialiste.

Là encore, ni la guerre, ni la révolu-tion russe ne sont les seules causesdu congrès de Tours en 1920. L’histoirerévolutionnaire ancienne en France,le souvenir de la Commune de Paris,la tradition syndicaliste révolution-naire, mais aussi l’échec aux électionsde 1919 face au Bloc National, expli-quent également cette décision majo-ritaire. Il reste qu’en France commedans les autres pays les circonstancesde la naissance et de la victoire duparti de Lénine colorent le commu-nisme de formes tout à fait particu-lières. Il n’est pas anodin de voir dansla forme organisée des partis com-munistes bientôt affectés par le sta-linisme les conséquences d’une visionmilitarisée de la politique née de laPremière Guerre mondiale et du capi-talisme taylorisé. L’URSS sera finale-ment un compétiteur fragile des rela-tions internationales malgré le rôleessentiel joué dans la victoire de 1945et l’émancipation des peuples colo-nisés, malgré aussi la concurrencequ’elle représenta pour le bloc capi-taliste obligé pendant les années decroissance d’accepter une forme decompromis social que l’on nommeparfois État social. En effet, l’URSS futsouvent assaillie et menacée dès larévolution d’Octobre. Aussi, ses diri-geants n’arrivent pas à sortir d’unevision de citadelle assiégée et à ima-giner un modèle de développementcentré sur la démocratie. Et quand lesréformes gorbatchéviennes tententde donner un second souffle au com-munisme, il est trop tard. L’appareild’État soviétique se reconvertit vite àun capitalisme prédateur, agressif etmilitarisé.En ce début de XXIe siècle, après la finde l’URSS, alors que nous vivons dansun monde instable où se déchaînentà nouveau les nationalismes, que lesimpérialismes s’affrontent, que laguerre économique fait rage, que lesforces progressistes sont affaiblies etdivisées, sommes-nous dans unesituation semblable à celle de la veillede 1914 ? Suffirait-il d’attendre lagrande explosion et de revenir auxformes du combat communiste duXXe siècle ou du socialisme de la findu XIXe siècle ou d’avant 1914 ? Poserla question c’est y répondre, l’histoirene se répète pas, et surtout il fautapprendre du XXe siècle. À nousd’imaginer les formes de l’émancipa-tion humaine du XXIe siècle. Du com-munisme de notre temps. n

« La révolution d’Octobre 1917 et lacréation du premier parti communiste enRussie, de l’Internationale communiste à la

suite et surtout du premier État seréclamant du prolétariat capable de signerla paix puis de résister aux offensivesmilitaires des puissances impérialistes,redessinent totalement le paysage dumouvement ouvrier dans le monde. »

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10

PAR RENÉ GALLISSOT*

L es commémorations sont lespires des choses. Elles serventà conforter l’idéologie domi-

nante, ce que montre aujourd’hui lacélébration de la guerre de 1914-1918.L’expérience est éteinte ; reste le bla-bla ; les derniers témoins sont morts.On ne s’intéresse même plus auxtémoignages, aux récits qui ont suiviimmédiatement la guerre, ni à la lit-térature d’époque. Henri Barbusse estun nom de rue qui ne correspond plusà rien. De surcroît, la médiatisationpousse encore plus les historiens aucommentaire d’albums familiaux età se complaire dans l’exercice dereconstitution du « vécu » des com-battants et du sort « subi » par lespopulations. Le roman des malheursde la guerre remplace l’analyse his-torique des ruptures de l’ordre social.La complaisance commémorativerelève d’un provincialisme français,aussi exclusivement français que lescartes de la météo : à la télévisionnationale, la pluie s’arrête aux fron-tières de l’hexagone sur la vieille cartedes écoles qui remonte la Corse pourl’incorporer…Or dans cette guerre s’ouvrent lesannées de révolutions de 1917 à 1923.Jamais ne s’est reproduite la pousséede grèves et de luttes sociales quisecoua le monde en 1919-1920 ; laChine est entrée en révolution et enAmérique flambe l’exemple de larévolution mexicaine. Cette guerre,qui commença dans les Balkans, futd’abord le conflit extrême des natio-nalismes d’Europe, avant de devenirmondiale par l’entrée en action desÉtats-Unis et autres alliés pour lafinale, et avant de passer à un nou-veau partage du monde, à une redis-tribution des colonies et au montagefinancier de la suprématie du dollar.Mais prononcer le terme d’impéria-lisme s’avère une grossièreté malve-nue.

reToUr à L’hisToire-bATAiLLe, CeTTe foisiNTérioriséeIl se trouve que la démarche des his-toriens, en France particulièrement,avait contesté l’histoire-bataille : cellequi s’employait au récit événementiel

GUerre à LA GUerre

des combats. La critique venait despartisans d’une histoire économiqueet sociale autour de la revue LesAnnales et, par la suite, de l’influenced’une approche historique se récla-mant du marxisme. Or voici que l’his-toire-bataille fait retour mais de l’in-térieur, par la psychologie descombattants, des victimes et de leurentourage, des grands-parents auxenfants. Album de famille ou téléréa-lité ?Cette quête subjective n’est pas le faitdes seuls historiens ; la mode de lasubjectivité relève de la dérive dessciences sociales qui prétend se défierdes « grands récits idéologiques » ;entendez : jeter à la poubelle, par anti-communisme, la compréhension desrapports sociaux et des inégalités dansles rapports internationaux et la signi-fication des antagonismes collectifs.L’attention doit aller à l’individucomme si l’individu existait en dehorsde relations sociales ; pure inventiondu libéralisme. La subjectivité résultede relations qui sont donc intersub-jectives par situation, position, condi-tion sociale.

Ce recul en revient à une histoire lit-téraire, celle des récits intimes quipermettent certes de discerner leseffets traumatiques des combats,voire d’exposer les crimes de guerre,et aussi de suivre l’accoutumance àl’horreur. Mais plus foncièrement, ils’inscrit dans une régression patrio-tique qui consacre l’Union sacréedans la guerre. Cette complaisances’écarte même de ce que l’historienfrançais, Pierre Renouvin, lui-mêmeblessé de guerre, nommait les « forcesprofondes », ces mobilisations d’idéo-

logie nationale jusqu’à la mort. Eneffet, le patriotisme n’est pas vucomme une adhésion collective maiscomme un sentiment personnel ensouffrance. Les oubliés de la commé-moration sont les opposants, ceux quiont dit non à la guerre contre le natio-nalisme dominant.

PreMier oUbLi : Le reNverseMeNTidéoLoGiqUe de L’eNNeMihérédiTAire ANGLAis eNeNNeMi ALLeMANd, LeboCheEn 1898, le conflit armé a failli écla-ter entre l’armée coloniale britan-nique et l’armée française au sud duSoudan à Fachoda. L’ennemi de laRépublique française coloniale étaitalors l’empire britannique ; le racismedisait l’ennemi « héréditaire ». Maisaprès l’affaire Dreyfus, le patrioterépublicain et professeur de sciencesde l’éducation à la Sorbonne (la socio-logie n’est pas encore reconnue)Émile Durkheim veut garantir l’unitédes Français contre la lutte de classeset le syndicalisme révolutionnaire : le

« lien social » sera l’instrument del’union patriotique. La division desFrançais par l’Affaire Dreyfus est sur-montée par l’union nationale pour laguerre. Celle-ci va devenir l’Unionsacrée contre l’Allemagne pourl’Alsace-Lorraine. « Tu seras soldat,mon fils » disait le résumé des chapi-tres d’histoire du manuel d’école pri-maire d’Ernest Lavisse, dont le frèreétait colonel puis général par unesorte de division familiale du travail.En moins de 20 ans, l’opinion a changéd’ennemi héréditaire. Quel tour de

« La mode de la subjectivité relève de ladérive des sciences sociales qui prétend sedéfier des “grands récits idéologiques” ;entendez : jeter à la poubelle, par

anticommunisme, la compréhension desrapports sociaux et des inégalités dans lesrapports internationaux et la signification

des antagonismes collectifs. »

Le roman des malheurs de la guerre remplace l'analyse historique des rup-tures de l'ordre social. Les oubliés de la commémoration sont les opposants,ceux qui ont dit non à la guerre contre le nationalisme dominant.

DOSSIER

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

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force médiatique ! L’expansion del’empire d’Allemagne de Guillaume IImenace celle de la Grande-Bretagneen Orient et celle de la France notam-ment au Maroc. Le succès du renver-sement idéologique en France est plusfacile en chantant de reconquérir le

Rhin français : le « boche » devientl’ennemi. Les immigrants polonais etitaliens sont aussi traités de boches.Les « métèques » restent eux les enne-mis de l’intérieur. Dans ce contexte,la Ligue des droits de l’homme acceptedonc l’alliance franco-russe avec leplus monstrueux des régimes de ter-reur et de bannissement : l’empire dutsar.En Angleterre, il y a fort à faire : le roiest de famille germanique, lesHanovre, et le gouvernement est auxprises avec le soulèvement d’Irlandeporté par les travailleurs migrants etanimé par le parti socialiste de JamesConnoly. Aussi, la famille royalechange de nom pour s’appelerWindsor et en 1916 l’Angleterre écrasela République d’Irlande qui refuse laguerre impérialiste de l’alliance anglo-franco-russe. Le nationalisme d’em-pire britannique est redoublé par lacélébration de l’Empire des Indes, afinde bénéficier du concours des troupescoloniales et du prélèvement de tra-vailleurs coloniaux venant de l’Océanindien et même de Chine. En Franceégalement, on opérera le même appelaux coloniaux, dont les « travailleursnord-africains ».

seCoNd oUbLi : LesoPPosANTs à LA GUerre de1914Pour le mouvement ouvrier organisédans la IIe Internationale, la menaceest dans le nationalisme qui veut arrê-ter la marche au socialisme : l’appelva à la grève générale contre la guerre.Cette opposition est accusée de tra-hison par le chantage patriotique quipratique le « bourrage de crâne ». Lamajorité du grand parti allemand voteles crédits militaires. À la veille de laguerre, il ne reste guère que Jaurèsavant son assassinat ; le communardÉdouard Vaillant rallie également lamobilisation patriotique.Les opposants à la guerre sont partouttrès minoritaires : au parti social-démocrate de Russie, Lénine a perdu,voué à la clandestinité et à l’exil.Minoritaires également, « le partiétroit » de Bulgarie et le grand inter-nationaliste Christian Rakovski qui serale premier président de la Républiquesoviétique d’Ukraine ; même constatpour les groupes syndicalistes révolu-tionnaires en Europe centrale ; mêmechose en France et en Grande-Bretagne avec l’Independant LabourParty. Rosa Luxemburg, isolée, irajusqu’au bout, dénonçant depuis laprison le nationalisme, à commencerpar le nationalisme allemand.Ces opposants à la guerre se retrou-vent en Suisse à Zimmerwald et àKienthal. Lénine ne parvient pas àimposer sa ligne dite bolchevik-révo-lutionnaire consistant à sortir de laguerre par l’insurrection. La confé-rence de paix à Stockolm en 1917 estle dernier acte impossible de la IIe

Internationale. Pendant ce temps, leministre français de l’intérieur, lesocialiste SFIO Albert Thomas, tergi-verse sur la délivrance de visas auxdélégués français.Il faut attendre l’appel de 1919 à for-mer une IIIe Internationale pour quereprenne le mouvement anti-guerre,

en soutien à la Révolution des sovietsde Russie, à la révolution spartakisteen Allemagne en 1919, puis aux révo-lutions communistes d’Europe cen-trale qu’écraseront les ligues « d’an-ciens-combattants » de la guerre de1914-1918.Tandis que la droite s’empare dumouvement ancien-combattant,anarcho-syndicalistes et commu-nistes poursuivent « l’action anti » :antimilitariste, anticolonialiste et anti-cléricale. Le ralliement communisteà la Défense nationale en 1935-1936suspendra cette action anti-guerre.Mettant fin au boycott de la cérémo-nie et à la dénonciation de l’Unionsacrée, L’Humanité titre le 11 novem-bre 1935 : « Le poilu a retrouvé sescamarades » : Quel autre retourne-ment !

Au lieu de se complaire dans une « his-toire subjective » des hommes enguerre, il n’est pas interdit de sedemander si mourir et donc tuer pourl’Alsace-Lorraine est réellement « lesort le plus beau ». La boucherie dela guerre de 1914-1918, les gazages,bref la barbarie et la responsabilitédu traité de Versailles (1919) dans lemalheur aux vaincus, les destructions,la spoliation des colonies et l’avène-ment d’Hitler conduisent à s’interro-ger si la raison de l’humanité n’étaitpas du côté des opposants à la guerre.Guerre à la guerre : une campagne àreprendre. Les écologistes ne parlentplus guère des déchets nucléaires et,moins encore, de l’arme nucléaire.Pourquoi ne plus faire campagnecontre les ventes d’armes et pour ladénucléarisation du Proche Orient etdes grandes puissances elles-mêmes ?Guerre à la guerre ! n

*René Gallissot est historien.Il est professeur émérite d’histoirecontemporaine à l’universitéParis-VIII-Saint-Denis.

« Guerreà la guerre : unecampagneà reprendre. »

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1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920

28 juin 1914Attentat de Sarajevo

3 août 1914L’Allemagne déclare la guerre à France

Février-décembre 1916Bataille de Verdun

Mars-juin 1917Mutineries

31 juillet 1914Assassinat

de Jean Jaurès Juillet-novembre 1916Bataille de la Somme

Génocide arménien

GUERRE DE

MOUVEMENT

GUERRE DES

TRANCHÉES

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DOSSIER

LA REVUEDU PROJET

NOVEMBRE 2014

PAR RÉMY CAZALS*

A u cours des années 1990, dansl’historiographie de laPremière Guerre mondiale, est

revenue la vieille théorie du consen-tement patriotique des acteurs à laguerre, avec même un prolongement,celui de leur consentement à ses vio-lences. Tous devaient aspirer à pren-dre part à la lutte. Les médecinsdevaient se sentir dévalorisés de nepas combattre ; les prisonniers deguerre devaient se sentir exclus et vou-loir s’évader afin de retourner auxtranchées, « passer de la périphérie aucentre », suivant une formulation bienabstraite. Une « culture de guerre »,faite de haine pour l’ennemi et d’es-prit de croisade, se serait emparée detous les esprits, liée à une « brutalisa-tion » (c’est-à-dire une transforma-tion en brutes) des individus et, parextension, des sociétés européennes.C’est en tout cas ce que l’on essayaitde nous faire croire, en atteste la « tra-duction » sans scrupule du titre dulivre de George Mosse, Fallen Soldiers,Reshaping the Memory of the WorldWars [littéralement : « Les soldats tom-bés. Une refonte de la mémoire desguerres mondiales »]en De la GrandeGuerre au totalitarisme. La brutalisa-tion des sociétés européennes.

CoNTrAiNTe oU CoNseNTeMeNT ?reToUr sUr UN débAT hisTorioGrAPhiqUe

Quelques témoignages bien choisisétayaient cette théorie ; ceux quigênaient étaient balayés avec une ver-tueuse indignation au nom de « l’his-toricité » devant ce qui était désignéde manière péjorative comme « la dic-tature du témoignage ».

CréATioN dU Crid 14-18Cette thèse prospéra, profitant de lavogue de l’histoire culturelle et del’inattention des historiens reconnus.La mansuétude de ces derniers estd’autant plus étonnante qu’ils étaientaccusés d’avoir renoncé, dans leursouvrages, aux règles élémentaires dela méthode historique. Cette absencede réaction, le rôle des média et le relaisdes programmes d’enseignement per-mirent à la théorie « consentement –culture de guerre – brutalisation – dic-tature du témoignage » de dominer,marginalisant ceux qui ne la parta-geaient pas. Mais ces derniers finirentpar se réunir et formèrent le Collectifde recherche internationale et de débatpour l’histoire de la Première Guerremondiale (CRID 14-18). Baptisé à tort« école de la contrainte », ce groupeextrêmement varié, puisqu’il rassem-ble universitaires, étudiants, profes-seurs du secondaire et du primaire etchercheurs de terrain, a fini par se fairereconnaître. Il a produit des thèses,

organisé des colloques et des exposi-tions, publié quantité de volumes indi-viduels ou collectifs ; totalement excludu comité d’historiens pour le 90e anni-versaire de l’armistice en 2008, il estbien représenté dans le comité scien-tifique de la Mission du Centenaire en2014. Ses positions, qui ont fait évo-luer la recherche, sont données ci-des-sous dans les grandes lignes.

de LA PLeiNe AdhésioN à LA soUMissioN eTL’obéissANCeL’utilisation du mot « consentement »n’est pas satisfaisante car il peut avoirdes sens différents, depuis la pleineadhésion jusqu’à la soumission etl’obéissance. Les témoignages des sol-dats de base illustrent le deuxièmesens. Même ambiguïté dans « culturede guerre » : peut-on parler d’une cul-ture au sens ethnographique du termelorsqu’il s’agit seulement de dire queles représentations des acteurs de1914-1918 étaient marquées parl’existence même de la guerre ? Ducôté du CRID 14-18, on préfère par-ler d’une imprégnation plus ou moinsforte de « discours dominant » selonles individus et leur position dans laguerre, tandis que persistaient lestraits culturels extrêmement variésdu temps de paix.En effet, la recherche, la publication,l’analyse et la confrontation de cen-taines de témoignages montrent quela haine de l’ennemi était plus répan-due dans les journaux bourreurs decrâne que dans les tranchées de pre-mière ligne où les trêves tacites etmême les fraternisations furent fré-quentes, encouragées par la proxi-

s

Le collectif de recherche internationale et dedébat pour l’histoire de la Première Guerre mon-diale veut retrouver une histoire sociale un peutrop oubliée, en analysant en particulier les témoi-gnages écrits des catégories populaires.

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1918 1919 1920

2

7Octobre 1917Révolution d’Octobreprise de pouvoir par les Bolchéviks

3 mars 1918Traité de Brest-Litovsk : paix séparée entre la Russie soviétique et l’Allemagne

11 novembre 1918Armistice

Janvier 1919Révolte spartakiste en Allemagne.

(Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés)

25 décembre 1920Congrès de Tours

GUERRE DE

MOUVEMENT

GUERRE SOUS-

MARINE

1921

28 juin 1919Traité de Versailles prévoyant la création de la SDN

Mars 1919Fondation de la IIIe

Internationale

Mai 1920Grandes grèves

en France

Juin 1919Grandes grèves

en France

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

mité (étroitesse du no man’s land,similitude de situation des deux côtés,dans la boue et sous les obus).Plusieurs combattants réservaient lahaine pour les dirigeants qui n’avaientpas su éviter la guerre ni marcher versla paix, pour les généraux qui nesavaient pas économiser les vieshumaines, pour les jusqu’au-bou-tistes de l’arrière, en particulier lesjournalistes. Tous condamnaient lesembusqués, mais presque tous cher-chaient un filon pour obtenir uneplace moins exposée au danger. Loinde se sentir honteux, les médecinsétaient fiers de soigner et de sauverquelques vies, regrettant de ne pou-voir faire mieux dans des conditionstrès difficiles. La grande majorité desprisonniers de guerre pensaient avoirfait leur devoir et ne souhaitaient pasretourner sous le feu. Dans les tran-chées, la ténacité des poilus s’expliquepar un faisceau de facteurs quijouaient différemment selon les indi-vidus, leur formation et leur grade,selon l’exposition au danger, selon ladurée de l’expérience combattante :un peu de chauvinisme, du patrio-tisme défensif, le poids de lacontrainte sociale, le strict encadre-ment militaire et surtout l’importanceaccordée au regard des autres.

Le vériTAbLe PATrioTisMe,voULoir Le boNheUr de sAPATrie Au départ, le mot « patriote » avait unsens positif. Puis la réalité de la guerreconduisit certains à penser que Jaurèsavait raison de dire que le véritablepatriotisme était de vouloir le bon-heur de sa patrie et non de la lancerdans des guerres destructrices contred’autres patries. Le « patriote », dansles témoignages de combattants, finit

par être considéré de manière péjo-rative : celui qui, de l’arrière, poussaità la continuation de la guerre« jusqu’au bout ». Les termes jauré-siens de « patriotes de parade et detapage », désignant les nationalistesd’avant 1914, se retrouvent dans lestémoignages de Victorin Bès (« lespatriotes déclamateurs »), HenriFauconnier (« les professeurs depatriotisme »), Jean Jury (qui ose laformule « le patriotisme paon-nesque »), et de quantité d’autres.Les membres du CRID 14-18, esti-ment qu’il faut retrouver une histoiresociale un peu trop oubliée. La bru-talité de la guerre civile en Russie etdu fascisme italien ont de profondescauses sociales et ne sont pas seule-ment le produit d’une accoutumanceà la mort de masse entre 1914 et 1918.Quant à la cruauté de la guerre civileespagnole de 1936-1939, quel rapportavec une guerre de 14-18 danslaquelle l’Espagne était restée neu-tre ? Il ne faut pas exagérer en parlantd’une « brutalisation » des sociétéseuropéennes qui serait née de laPremière Guerre mondiale. Le livrede George Mosse évoqué ci-dessusn’emploie d’ailleurs le mot qu’à pro-pos de la « brutalisation du champpolitique allemand » ; et encore nefaut-il pas oublier que le parti naziobtint moins de 3% des voix aux élec-tions législatives de 1928 : c’est la crisede 1929 qui porta Hitler au pouvoir.Le souci d’histoire sociale nousconduit à rechercher les témoignagesécrits provenant des catégories popu-laires. Parmi les 250 témoins analy-sés en 1929 par Jean Norton Cru, 78 %appartenaient aux classes dirigeanteset au monde des intellectuels et 22 %étaient des étudiants, destinés à lesrejoindre. Dans 500 Témoins de la

Grande Guerre, livre collectif publiépour le Centenaire, 50% sont des cul-tivateurs, artisans, ouvriers, petitscommerçants, employés de bureau,instituteurs de villages. Et la « GrandeCollecte », organisée notamment parles dépôts d’archives, va accentuercette tendance bien venue.S’il y a un thème qui revient dans laplupart des correspondances, c’estbien la découverte ou la redécouvertede l’amour conjugal, du fait de lalongue séparation. La plupart deshommes qui ont vécu dans la bruta-lité de la guerre, dans un certainensauvagement, qui ont été trauma-tisés parfois très gravement, ne sontpas devenus des brutes. LouisBarthas, caporal d’infanterie, termineainsi son témoignage qui en rejointbien d’autres (Les carnets de guerre deLouis Barthas, tonnelier, 1914-1918 :« Revenu au sein de ma famille aprèsdes années de cauchemar, je goûte lajoie de vivre, de revivre plutôt.J’éprouve un bonheur attendri à deschoses auxquelles, avant, je ne faisaisnul cas : m’asseoir à mon foyer, à matable, coucher dans mon lit, chassantle sommeil pour entendre le ventheurter les volets, lutter avec lesgrands platanes voisins, entendre lapluie frapper inoffensive aux carreaux,contempler une nuit étoilée, sereine,silencieuse ou, par une nuit sans lune,sombre, évoquer les nuits pareillespassées là-haut… » n

*Rémy Cazals est historien. Il estprofesseur émérite d’histoirecontemporaine à l’universitéToulouse-II.

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DOSSIER

LA REVUEDU PROJET

NOVEMBRE 2014

PAR ANDRÉ BACH*

Les CAUses LoiNTAiNesLa thèse de Guy Pedroncini selonlaquelle le mouvement était en rela-tion quasi-exclusive avec l’échec del’offensive Nivelle (1917) est désor-mais considérée comme trop réduc-trice et trop monocausale. En fait,l’événement s’inscrit culturellementdans un processus de plus longuedurée. À partir de 1916, s’était géné-ralisée la tenue du front avec un mini-mum de troupes tout en maintenantà l’arrière-front le reste des forces àl’instruction, prêtes à être engagéescomme réserves sur les lieux qui lenécessitaient. Ainsi à Verdun, sur laSomme, les divisions entraient dansla fournaise, étaient retirées avant des-truction tactique totale, mises aurepos et à l’instruction avant d’être à

nouveau réemployées, après que leseffectifs eurent été recomplétés et leurinstruction faite. Pendant ces périodesde repos-instruction, les hommes onteu la latitude de réfléchir collective-ment à leur situation. Le Contrôlepostal, chargé de la surveillance ducourrier écrit par les Poilus, n’a pasvraiment pu saisir la progression desraisonnements chez certains tandisque le Comman dement ne s’est pasinquiété des refus collectifs ponctuelsde 1916, vite jugulés.L’hiver 1916-1917 se passa dans lapréparation de la grande offensive deprintemps. Sur un espace restreint,les troupes vinrent se concentrer,essentiellement pour bâtir l’infra-structure de l’offensive à base de ter-rassements. Les temps morts furentnombreux, la presse très lue. Prioritéresta naturellement à l’hypothèse dela victoire obtenue par la percée déci-sive, manière non conflictuelle desortir de la guerre. Mais le nouvel

refUser LA GUerre :1917, Le TeMPs des MUTiNs ?

échec militaire au Chemin des Damesvint cette fois s’insérer au sein d’unenvironnement national et interna-tional en changement. Un des plussolides alliés de la France, la Russie,était entré en turbulence, l’autoritéhiérarchique militaire y était contes-tée, voire conspuée et l’hypothèsed’un pays sortant de son propre chefde la guerre, sous pression populaire,paraissait quitter le champ de l’uto-pie. De plus, en France, au sortir d’undes plus rudes hivers du XXe siècle,l’arrière, soumis aux privations, s’étaitmis à bouger avec l’apparition degrèves et de mots d’ordre critiques.Tous ces événements furent suivisavec attention et commentés dansles lieux de cantonnement, lieu d’in-cubation de l’idée qu’il était peut-être possible, au sein de petitsnoyaux révolutionnaires, de peser

sur la décision politique. Ces calculsfurent faits par des hommes qui, dufait des pertes, étaient d’origines trèsdiverses, et qui prenaient consciencede leur condition commune« oubliés du front ».

LA CriseL’État-Major n’a semble-t-il pas saisicette fermentation. Pour la descrip-tion physique des mutineries, on peuts’en rapporter à l’excellente descrip-tion factuelle qu’en fait Denis Rolland(La « grève » des tranchées. Les muti-neries de 1917). Il faut ensuite se plon-ger dans la lecture du livre d’AndréLoez pour comprendre sociologique-ment qui furent « les mutins » (14-18.Les refus de guerre. Une histoire desmutins). Surpris, dépassé, durant lestrois « chaudes » semaines courantde fin mai à la première quinzaine dejuin, le commandement militaire aeu du mal à s’adapter. Le premierréflexe explicatif officiel fut que l’on

avait à faire à des défaitistes, payéspar l’argent allemand.

UNe MAsseMAJoriTAireMeNTMéCoNTeNTeSaisir l’ampleur des mutineries de1917, suppose de comprendre aupréalable que ceux des soldats quiconsidéraient les conditions réuniespour un soulèvement révolutionnaireétaient une « minorité » ; mais, aussiminoritaires qu’ils aient été, ils dispo-saient d’un matériau particulièrementinflammable : la quasi-totalité deshommes présents sur l’arrière-front,tous prêts à suivre un mouvement leurassurant le respect de leur droit à lapermission tous les quatre mois. Faceà la perspective d’une guerre sans fin,la possibilité de revoir les siens, sapetite patrie, à quelques heures dechemin de fer du front, était le mini-mum non négociable pour eux ; unesorte de contrepartie à leur maintiendans les tranchées en dépit de la per-ception globale d’un conflit sans issueprévisible. La désinvolture duCommandement depuis plusieursmois à ce sujet, la suspension de cedroit à la permission avant la grandeoffensive, couplés à la découvertequ’après l’offensive, on en était tou-jours au même point, avait développéune irritation massive. Elle a offert aux« agitateurs » la disponibilité d’unemasse de manœuvre même si cettemasse ne partageait qu’à des degrésdivers certains des slogans avancés,comme celui de la sortie unilatéralede la guerre, quoi qu’il en coûtât.

UN éCheC dû à des MesUresPoNCTUeLLes MAis sUrToUTà UN refUs soCiéTAL deL’AveNTUreEn rétablissant les permissions encatastrophe, en communiquant sur ledésir d’améliorer les conditions de vie,le commandement militaire a en par-tie cassé la dynamique du mouvementen privant les plus déterminés de cettemasse qui les protégeait. Mais surtout,si le commandement n’a pas étédébordé par le phénomène, c’est qu’enréalité il a pu bénéficier d’un environ-nement qui le lui a permis.

« L’un des points de divergence durs entresocialistes et communistes fut l’attitude

prise lors des mutineries. »

L’armée française a été secouée entre mai et juillet 1917 par un mouvement dedésobéissance collective d’une grande violence symbolique, lourd demenaces pour les institutions : les mutineries.

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

*André Bach est général et historien.Il est cofondateur du Collectif derecherche internationale et de débatsur la guerre de 14-18 (CRID 14-18).

PAR GUY FISCHER*

En pleine période du centenairede la Grande Guerre, les nom-breuses publications ou émis-

sions qui fleurissent de toutes partsnous invitent à revisiter cet événe-ment. Malheureusement, peu nom-breuses sont celles qui permettent unevision historiquement complète destenants et aboutissants de ce conflit.

Dans un monde à l’époque en pleinecontradiction entre le développementd’une industrie moderne et un monde

rural resté archaïque, les grandes puis-sances se sont affrontées pour le par-tage des richesses, des marchés et desressources, pour la conquête des colo-nies, pour la recomposition dessphères d’influence.Cette guerre fut une accumulationd’horreurs pour les soldats commepour les civils. Censée être courte, elle

réhAbiLiTer Les fUsiLLés PoUr L’exeMPLe :eNCore UNe oCCAsioN MANqUée

montra vite l’état d’impréparation desgouvernements et des élites quidurent improviser une guerre de plusen plus meurtrière pour les soldatsau service des profiteurs de guerre.

fUsiLLés PoUr L’exeMPLe Ceci fit naître ou croître des résistances,des prises de conscience. « Guerre à laguerre », le slogan de Barbusse, com-mença à conquérir les cœurs de nom-breux soldats, conscients d’être la pié-taille, les sacrifiés au cœur d’uneboucherie sans nom.La question des « fusillés pour l’exem-

ple » s’inscrit en plein dans cette dou-ble et funeste problématique malassumée : à l’époque, le commence-ment de révolte des simples soldats,nationaux et étrangers, jetés avec uncynisme absolu dans l’arène meur-trière des tranchées par un capita-lisme insoucieux de leur sort ; plustard, y compris à présent, le refus

d’analyser historiquement les causeset conséquences de cette guerre.Ces soldats furent passés par les armesaprès des conseils de guerre improvi-sés et sommaires et sous des prétextesdivers : sentinelle endormie, insulte àofficier, battue en retraite sans auto-risation, mutinerie, désertion… sanscompter, malheureusement, ceux quifurent abattus par un officier à boutportant au détour d’une tranchée, soitpour rébellion, soit, ne l’oublions pas,pour leur appartenance connue à desorganisations ouvrières militantcontre la guerre.Selon les travaux les plus récents, lenombre des fusillés pour l’exempleest évalué à plus de 600 pour plus de2 500 condamnations à mort pronon-cées sur 140 000 jugements.Dès la fin de la guerre de 14, lesfamilles de fusillés, relayées par dif-férentes associations (dont l’ARAC, laLigue des droits de l’homme et laLibre-Pensée) ont exprimé la reven-dication de les réhabiliter. Une qua-rantaine l’a été par la justice (Cour deCassation) dans l’entre-deux-guerres,dont certains dès janvier 1921.Cette revendication a connu un regainen novembre 1998 lorsque lors d’unecérémonie sur le plateau de Craonne,Lionel Jospin, alors premier ministre,avait souhaité que les soldats « fusil-lés pour l’exemple […], victimes d’une

« “Guerre à la guerre”, le slogan deBarbusse, commença à conquérir lescœurs de nombreux soldats, conscients

d’être la piétaille, les sacrifiés au cœur d’uneboucherie sans nom. »

La juste révolte de simples soldats, nationaux et étrangers, jetés avec uncynisme absolu dans l’arène meurtrière des tranchées par un capitalismeinsoucieux de leur sort n’est toujours pas reconnue.

s

Tout d’abord, le commandement decontact, officiers et sous-officiers, n’apas suivi le mouvement. L’enca -drement a été composé sur la duréede la guerre par presque 200 000 offi-ciers et 6 à 700 000 sous-officiers, issusessentiellement de la conscription. Ilest resté rétif à l’aspect révolutionnairedu mouvement. Faisant partie de ceuxayant été le plus imprégnés de l’ensei-gnement de l’école républicaine – l’ac-cession au commandement obligeantà disposer d’une certaine aisancerédactionnelle pour rédiger la pape-rasse militaire – les cadres étaient poli-tiquement à l’image du parlementqu’ils avaient élu en mai 1914 : radi-caux-socialistes et socialistes modé-

rés. Critiques éventuellement enversle Haut Commandement, envers leshommes politiques, ils ne souhaitaientpas, par la défaite, attenter à laRépublique, perçue comme vecteurd’espérance en l’avenir et d’ascensionsociale.Ensuite, l’arrière lui-même, une foissatisfait par des mesures catégorielles,n’a pas suivi, phénomène qui a brisél’élan des plus virulents, obligés dèslors de stopper tout prosélytisme aurisque d’être incarcérés. On retrouvecertains de ces meneurs en 1920 lorsde la scission du Congrès de Tours. Eneffet, l’un des points de divergencedurs entre socialistes et communistesfut l’attitude prise lors des mutineries.

Ce mouvement de désobéissance enpleine guerre demeure dans lamémoire collective un événement depremière grandeur, qui a déstabiliséhommes politiques et commande-ment militaire. Aujourd’hui encore,la signification qu’on lui accorde estun marqueur des différences struc-turant les conceptions politiques dansnotre communauté nationale. n

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*Guy Fischer est sénateur honoraire(PCF) du Rhône.

discipline dont la rigueur n’avaitd’égale que la dureté des combats[…], réintègrent aujourd’hui notremémoire collective nationale. »Dix ans plus tard, devenu président

de la République, Nicolas Sarkozy quiavait auparavant, comme l’ensemblede la droite, vivement protesté contrecette déclaration, nuançait fortementsa position le 11 novembre 2008 enlaissant entendre qu’il n’était pas hos-tile à une réflexion sur la question.Quoi qu’il en soit, les gouvernementsqui se sont succédé ont toujoursconclu à la nécessité de « faire un tri »entre ces jeunes gens, selon qu’ilssoient présumés déserteurs, mutins,droit commun…

PoUr UNe réhAbiLiTATioNCoLLeCTive eT PUbLiqUe C’est la raison pour laquelle, avec mongroupe, nous avions redéposé en 2011un texte proposantune réhabilitationcollective et publique des fusillés pourl’exemple. Pour 650 d’entre eux envi-

ron, notons qu’il existe un dossier etdes témoignages écrits, à l’instar dusous-lieutenant Jean-Julien Chapelant,Rhodanien réhabilité grâce aux effortsdes associations et de sa famille.

Je profite de cet exemple pour rappe-ler que d’importantes associations sesont investies de longue date dans cecombat pour la réhabilitation desfusillés pour l’exemple : l’ARAC(Association républicaine des ancienscombattants), l’Union pacifiste deFrance, le Mouvement de la Paix etbon nombre de sections de la Liguedes droits de l’homme, la Libre-Pensée.Lorsque nous avons examiné ce texte,le 19 juin dernier, dans un soucid’apaisement notre rapporteur,Michèle Demessine, a défendu unamendement sur notre propre texte(qui défendait une réhabilitation col-lective et sans condition) afin de leremplacer simplement par : « LaNation rétablit dans leur honneur lessoldats de la Première Guerre mon-

diale fusillés pour l’exemple ». Cetamendement précisait en outre que« ... leurs noms peuvent être inscritssur les monuments aux morts » (etnon sont inscrits, tel que formulé dansla version originale). Cette rédactioncomportait également, à mon sens,l’avantage de ne pas troubler nosdébats par la question récurrente deslois dites « mémorielles ». En effet,nous nous placions en l’espèce surun texte de portée beaucoup plussymbolique que normative, à l’instarde ce qui avait été fait au Royaume-Uni. Malgré tout, au terme d’un débatqui n’a pas pris en compte nos con-cessions, donnant à entendre au con-traire des positions militaristes rigides,somme toute peu différentes de cellesqui prévalaient à l’époque de laGrande Guerre, notre proposition deloi a été rejetée. Le gouvernement s’estcontenté de proposer qu’une salle soitdédiée à ces hommes au sein duMusée de l’Armée à Paris…Il y aurait beaucoup plus à dire sur cetteaffaire emblématique. Je me bornerai,en l’espace qui m’est imparti, à consta-ter que les préjugés ont la peau dure etque la vieille France des Versaillais n’ena pas fini avec notre peuple et ses mar-tyrs. Alors, nous, les héritiers desCommunards, ne craignons pas derétorquer : « … tout ça n’empêche pas,Nicolas, qu’la Commune n’est pasmorte ! » n

s

« Ceux qui furent abattus par un officier à bout portant au détour d’une tranchée,soit pour rébellion, soit, ne l’oublions pas,

pour leur appartenance connue à des organisations ouvrières militant

contre la guerre. »

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DOSSIER

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

PAR ANNIE LACROIX-RIZ*

qUeL A éTé Le rôLe dUGrANd CAPiTAL frANçAisdANs LA PreMiÈre GUerreMoNdiALe ? La campagne lancée dans l’Unioneuropéenne depuis 2013 a un dou-ble but. Premièrement, général : niertout rapport entre la guerre et la crisesystémique du capitalisme surgie en1873, jamais réglée jusqu’à l’explo-sion de l’été 1914 ; limiter le « partide la guerre » aux décideurs « poli-tiques », en omettant leur fonctionde délégués du capital le plus concen-tré. Deuxièmement, plus spécifique :

désigner le ou les coupables, la Russieimpérialiste et expansionniste et sonauxiliaire serbe, qui auraient entraînédans le cataclysme l’Angleterre, pour-tant sur le point de conclure avecl’Allemagne un compromis satisfai-sant, et la France, prisonnière d’unealliance fatale absurdement respec-tée par l’hyper-« nationaliste »Raymond Poincaré ; laver le Reich desa responsabilité dans le conflit,qu’avait solidement établie l’histo-rien ouest-allemand Fritz Fischer(pourtant ancien nazi) en 1961, dansLes Buts de guerre de l’Allemagneimpériale 1914-1918 - sa thèse de« l’aspiration à l’hégémonie mon-diale » de l’impérialisme allemand,assuré d’un consensus intérieurexceptionnel incluant le puissantparti social-démocrate (SPD), s’est

UNe GUerre de soMNAMbULes oU L’issUed’UNe Crise GéNérALe dU CAPiTALisMe ?

en effet imposée malgré des assautsacadémiques répétés.Cette propagande récemmentrelayée, via un éditeur allemand, parl’économiste Philippe Simonnot[Non, l’Allemagne n’était pas coupa-ble, Notes sur la responsabilité de laPremière Guerre mondiale, éditionbilingue, français-allemand] a média-tisé des historiens adaptés à sesobjectifs. En France, le médiévisteNicolas Offenstadt, qui a troqué saspécialité pour « les mémoires » de laGrande Guerre, prescrit, pour « enfinir avec dix idées reçues sur laguerre de 14-18 », de tordre le cou aux« interprétations marxistes des ori-gines de la guerre [qui], derrière les

réflexions de Lénine sur l’impéria-lisme comme stade suprême du capi-talisme, allouent une place centraleaux rivalités économiques accentuéespar la baisse tendancielle du taux deprofit, et au caractère prédateur desmilieux industriels » [Le Monde,4 novembre 2013]. En « Occident »(France comprise), Christopher Clark,professeur à l’université deCambridge, spécialiste d’histoire cul-turelle du XIXe siècle, d’histoire reli-gieuse et d’histoire de la Prussedepuis 1600, s’est hissé depuis 2012au vedettariat « européen » avec LesSomnambules. Été 1914 : commentl’Europe a marché vers la guerre, dis-tribuant les mauvais points (russo-serbes) et les bons points (alle-mands). Aussitôt traduit, cet ouvragea bénéficié d’une campagne mon-

diale qui rappelle celle du Livre noirdu communisme (1997).Ce courant a pris pour tête de Turcl’affreux « nationaliste » buté RaymondPoincaré, sans préciser que celui-ciavait été l’instrument de son capital financier national, comme sespairs des autres belligérants, à com-mencer par le pangermaniste GustavStresemann, porte-parole de lagrande industrie allemande que l’his-toriographie « européiste » a trans-formé en Saint-Père de l’Europe. C’esten effet le Comité des forges en géné-ral, la dynastie de Wendel en parti-culier, qui firent de Poincaré un éluet un homme politique clé, commenombre de ses contemporains (telAlbert Lebrun) et successeurs fran-çais (tel Robert Schuman).

LA GUerre dU CoMiTé desforGes, dU CoMiTé deshoUiLLÈres eT de LA hAUTebANqUeLa seule lecture de Bel-Ami deMaupassant révèle que c’est laBanque de Paris et des Pays-Bas quidécida de conquérir le Maroc et enobtint les moyens de l’État. Il suffitde dépouiller les procès-verbaux duconseil général de la Banque deFrance, consultables en ses archives,pour saisir que ce club des financiersdu coup d’État du 18 Brumaire deBonaparte dirigeait depuis sa fonda-tion (1802) l’État, via le ministère desFinances. Mais l’historiographiedominante nie le rôle décisionnairedu capital financier, pour l’imputeraux politiques et aux militaires, res-ponsables, en période d’activité, del’achat d’armements par les Étatsfrançais et étrangers, et gratifiés à leurretraite de luxueuses sinécures parles groupes financiers concernés.« La volonté de paix prêtée au capi-tal financier, au sein des grandespuissances – thème majeur de lacampagne contre “les réflexions deLénine” et contre “les somnambules”[…] hantés par des chimères maisaveugles à la réalité de l’horreur qu’ilss’apprêtaient à déchaîner sur lemonde » (Clark), déboucha en effet,sur fond de crise et de rivalités éco-nomiques insurmontables, sur « unpartage et […] un repartage du

« Tordre le cou aux interprétationsmarxistes des origines de la guerre [qui],

derrière les réflexions de Lénine sur l’impérialisme comme stade suprêmedu capitalisme, allouent une place centraleaux rivalités économiques accentuées

par la baisse tendancielle du taux de profit,et au caractère prédateur des milieux industriels. »

L’historiographie dominante de la première guerre générale de l’impérialismenie le rôle décisionnaire du capital financier pour l’imputer aux politiques etaux militaires.

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monde ». La décennie précédant l’ex-plosion de 1914 avait illustré, parl’ampleur des conflits inter-impéria-listes surgis en toutes zones, « la tran-sition du partage pacifique au par-tage non pacifique » [Lénine,L’impérialisme, stade suprême ducapitalisme. Essai de vulgarisation] :la violence des guerres économiques

coloniales ou « périphériques » (dansl’Europe balkanique) annonça « l’hor-reur » qui allait suivre. L’extermi -nation des Hereros (dans l’actuelleNamibie) n’avait pas relevé du seulgénéral prussien Lothar von Trotha.Helmut Bley, pionnier de l’étude de ce génocide de 1904-1905, cite la Deutsche SüdwestafrikanischeZeitung, porte-parole du grand capi-tal colonial, pressée (le 2 mai 1906)d’appliquer à la Russie, riche Ukraineen tête, le « droit du plus fort » label-lisé par le modèle africain : « Qu’est-ce qui nous empêche de rapporter[le] principe [du] droit du plus fortnon seulement à la politique colo-niale, mais à l’ensemble de la poli-tique ? Est-il pire d’étendre nos ter-ritoires et de les développer auxdépens des Blancs inférieurs à nous[les sous-hommes slaves] qu’auxdépens de Noirs sans défense ?L’Allemagne est surpeuplée : pour-quoi son drapeau devrait-il flotter surles rives sableuses d’Angra Pequenaet de Swakopmund et non sur lesfermes des steppes faiblement peu-plées mais très productives de laRussie centrale et méridionale ? »Comme l’a observé Elikia M’Bokolo,spécialiste de l’Afrique, l’expropria-tion coloniale, quels qu’en fussentles artisans et bénéficiaires, enBelgique, France, Allemagne,Royaume-Uni, etc., avait anticipétoutes les atrocités des deux guerresmondiales.Il n’y a pas eu d’équivalent françaisaux études précoces du cas allemandpar Fischer et par Gerald Feldman,dont le remarquable tableau desclasses sociales en guerre a démon-tré l’hégémonie des « chefs de l’in-dustrie lourde » sur les politiques etsur « les chefs de l’armée », qu’ils

caseraient bientôt dans leurs conseilsd’administration. Le retard n’a pasété rattrapé, l’évolution droitière ducorps académique bloquant depuisles années 1980 l’histoire de l’impé-rialisme français. Le rôle joué dansl’entrée en guerre, la conduite duconflit, les conditions de sa conclu-sion et ses suites, par le trio décision-

naire Banque de France, Comité desforges et Comité des houillères n’estguère traité.C’est ce trio, constitué entre 1802 etle Second Empire, qui avait avant-guerre guidé l’État dans toutes sesentreprises extérieures. C’est lui qui,sous le paravent de l’hyper-dévelop-pement des attributions étatiques,fixa au plus menu détail l’organisa-tion de l’exploitation, usant des ser-vices des éléments les plus droitiersde la CGT de Jouhaux et de la SFIO.Albert Thomas, théorique sous-secré-

taire d’État à l’Artillerie et auxMunitions, qui depuis 1915 servaitdirectement « l’orgie de profit » ducapital le plus concentré (formuleque Feldman applique au cas alle-mand) eut fin 1916 cet accès de fran-chise sur l’impuissance de l’État oùses tuteurs lui avaient assigné un stra-pontin : « nous sommes obligés depayer les prix qu’ils exigent ; malgrénos négociations, malgré nos retards,malgré nos sommations, ne pouvonsrien obtenir […] ; il faut céder, céderle plus rapidement possible pour nepas amener des retards et pour créerl’enthousiasme de l’industrie indis-pensable ». En juin, un des grandsbénéficiaires de la guerre, person-nage si typique d’une relation franco-allemande faite de rivalités et d’en-

tente en temps de paix comme entemps de guerre, François de Wendel,avait cyniquement déclaré à laChambre : « l’État est à l’heureactuelle dans l’impossibilité absoluede se substituer à l’industrie privée,et dans ces conditions, force lui estbien de se servir des moyens qu’il aà sa disposition » [Journal Officiel desdébats, 9 juin 1916]. C’est le mêmetrio qui, depuis 1914, exposa à l’ec-toplasme étatique comment, en casde victoire, « contribuer à l’expan-sion économique de la France sur lesmarchés du monde » et « bannir chez[les Alliés] l’étiquette teutonne ». C’estlui qui fixa jusqu’au tracé des nou-velles frontières, « la paix dure » dutraité de Versailles, avant d’empêcherle même État-berger de le mettre enœuvre, la modification du rapportdes forces avec les deux impéria-lismes dominants, américain et alle-mand l’exigeant désormais.François de Wendel, véritable roi deFrance, cumula au sortir de la guerrela présidence « du puissant Comitédes forges, 7, rue de Madrid » (y suc-cédant à Eugène Schneider) et larégence de la Banque de France. Luiet les siens établirent les règles de lapaix puis de la guerre suivante, quine résulta pas non plus des fantasmesde somnambules. Ses héritiers etleurs pairs conservent une puissancesimilaire, symbolisée par un récentprésident du principal syndicat

patronal, le MEDEF, héritier de laConfédération générale de la produc-tion française (CGPF) et du Conseilnational du patronat français (CNPF).Il serait temps, alors que « l’euro-péisme » célèbre l’Europe de la paixoù la guerre gronde – autour del’Ukraine, comme en 1914 et 1939 –de reprendre l’étude des véritablesdécideurs et bénéficiaires de la pre-mière guerre générale de l’impéria-lisme. n

« L’expropriation coloniale, quels qu’enfussent les artisans et bénéficiaires, en

Belgique, France, Allemagne, Royaume-Uni,etc., avait anticipé toutes les atrocités

des deux guerres mondiales. »

DOSSIER

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« François de Wendel, véritable roi deFrance, cumula au sortir de la guerre la

présidence du puissant Comité des forges(y succédant à Eugène Schneider) et larégence de la Banque de France. »

*Annie Lacroix-Riz, est historienne.Elle est professeur émérite d’histoirecontemporaine à l’université Paris-VII-Diderot.

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

PAR FRANÇOIS BOULOC*

«S e rangeant dans le girond’une Union sacrée qui,si elle s’impose en tant

que norme à tous les citoyens, serévèle singulièrement plus attrayantepour les dominants de l’ordre social,les milieux patronaux passent,comme l’officier de Julien Gracq dansUn balcon en forêt, une sorte de « fleurà la boutonnière » avec l’entrée enguerre. Tendant à neutraliser lacontestation interne, l’union natio-nale joue en effet nettement en faveurde ceux qui ont intérêt à la préserva-tion de l’ordre en place. La réparti-tion inégale des pertes et profits maté-riels et/ou symboliques inhérents àla paix civile instaurée est d’ailleursmarginalement perçue depuis le bas

de l’édifice social. De cette prise deconscience résulte d’abord de l’indi-gnation puis une démarche de pro-position qui vient interférer avec leconsensus, sans jamais toutefois êtreen mesure de dépasser ce cadre deréflexion obligé. […]Vilipendée, l’élite socio-économiqueest suspecte a prioride bénéficier sansrisque de la guerre. Ainsi mis en causeet mis en position-limite vis-à-vis dela communauté nationale, les capi-talistes français de tous ordres sontcontraints de produire une argumen-tation sur les finalités de leur actionde temps de guerre. Or il n’est pas sicommun que les individus ou groupessis au faîte de l’édifice social aient àse justifier, se trouvent acculés àendosser la charge de la preuve. […]Dans le cas qui nous intéresse, c’esten effet un groupe socialement domi-nant, dans son ensemble, qui seretrouve pris à partie et comme boutéhors de la nation et du corps citoyenau nom d’une attitude indigne. Ceci n’est pas à proprement parlerspécifique à la Grande Guerre, et lacontestation de l’ordre établi et deceux qui sont installés en son sein

ProfiTer de LA GUerre… eT s’eN défeNdre

n’est pas, entre 1914 et 1918, chosenouvelle. Non, ce qui est ici remar-quable, c’est l’élargissement considé-rable de l’assise de la remise en causedes fondements de l’ordre capitaliste,et du premier d’entre eux, la légiti-mité du profit. Tout se passe commesi le changement de référentiel fon-damental du discours anticapitalisteet de contestation sociale par rapportà l’avant-guerre avait permis uneexplosion de l’audience de celui-ci.Le capitalisme industriel et financiern’est plus contesté primordialementau nom des idées socialistes, il l’est,et par les socialistes eux-mêmes,d’abord et avant tout au nom de lanation. Du fait de la guerre, en d’au-tres termes, la bourgeoisie écono-mique doit donc se protéger et repen-ser ses méthodes de justification de

soi en tant que classe privilégiée. […]L’entrée en guerre redistribue lescartes. Désormais, sinon le capita-lisme, du moins ses résultantes vontêtre mis en balance avec le sacrificede masse. […] Là où les socialistescontestaient le capitalisme théorique-ment et au nom de l’observation dumonde social – misère ouvrière,conditions de vie des couches popu-laires, etc. – et, ce faisant, se coupaientde l’audience d’une certaine partiedes dominés, enclins non pas à serévolter contre les inégalités, mais aucontraire à suivre des stratégies indi-viduelles de mobilité sociale ascen-dante ou de simple survie, la guerresimplifie tout : le sacrifice de chacunau nom de tous délégitime touteforme de profit. Il se produit ainsi uneévolution du jugement collectif, quimet en péril de façon bien plus largequ’auparavant la place du capitalismedans le consensus social. Désormaisconsidéré comme contraire non plusseulement à des principes égalitaires,mais aux intérêts de la nation, celle-là même pour laquelle les camarades,mais aussi les fils, les frères, les maris,les fiancés risquent leur vie, le profit

capitaliste ou même simplementmarchand est banni en son principe.Il y a là péril en la demeure pour lesélites socio-économiques. Leur légi-timité se trouve controversée au nomd’une idéologie unanimiste d’abné-gation et de mobilisation. Ce que lesmilieux industriels et d’affairesgagnent d’un côté en quiétude socialeet politique, ainsi qu’en carnets decommandes bien remplis, ils le per-dent en quelque sorte de l’autre,quant à la solidité des assises symbo-liques de leurs positions. […] Cesfranges de la population ne jouis-saient déjà pas, avant-guerre, d’unelégitimité inconditionnelle : la situa-tion ne risque pas de s’améliorer avecl’exacerbation des sensibilités induitepar les hostilités. Avant même de justifier leurs profits,les administrateurs doivent créer lesconditions de leur acceptation, aumoins relative, dans la communauténationale. Quelle peut être, dans cetteoptique, la méthode supérieure enefficacité à celle qui consiste à s’amal-gamer aux ouvriers patriotes et, bienmieux, aux combattants ? […] La réfé-rence à l’union nationale est telle-ment efficace pour les milieux indus-triels qu’elle fait question : doit-onaccorder crédit aux discours patrio-tiques unanimistes émanant desmilieux qui nous occupent ici, oudoit-on au contraire n’y voir que de« nobles péroraisons fraternitaires »menant le cas échéant à une « instru-mentalisation de l’Union sacrée » (P.Milza, présentation de M. Barrès, LesDiverses Familles spirituelles de laFrance ? […] Un patronat solidaire etpresque partageur, soumis à l’intérêtgénéral […] : voilà bien une mue ausein des rapports de production… oubien un judicieux et ponctuel calculà plusieurs facettes, permettant d’ac-quérir une paix sociale nécessaire enpériode d’activité intense par l’auto-légitimation et le soutien tout à la foisvolubile et matériel offert aux travail-leurs » n

« Il se produit ainsi une évolution dujugement collectif, qui met en péril de façonbien plus large qu’auparavant la place ducapitalisme dans le consensus social. »

*François Bouloc est historien. Il estdocteur en histoire contemporaine.Extraits de François Bouloc, Lesprofiteurs de guerre, Paris, ÉditionsComplexe, 2008.Extraits reproduits avec l’aimableautorisation de l’auteur.

Ou quand le capitalisme financier est contesté au nom de la nation.

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PAR JEAN-LOUIS ROBERT*

La Première Guerre mondiales’accompagne d’une mobilisa-tion de l’économie et de la

société par l’État : c’est la guerre totale.La priorité est alors à la productionde guerre, à une production de massequi doit vite se développer après untemps de désorganisation grave.Les premiers mois de la guerre sont,en effet, marqués par une chute bru-tale de la main-d’œuvre employéedans les usines, les services ou lescommerces, et une hausse massivedu chômage. La mobilisation des

jeunes hommes par l’armée est l’ex-plication première de ce phénomènequi s’accompagne d’une baisse bru-tale des salaires par les patrons.Mais très vite, l’état-major réclametoujours plus d’armes, de munitions,de canons, puis des chars, desavions… Des mécanismes complexessont mis en place pour retrouver unemain-d’œuvre : diverses lois permet-tent de faire revenir dans les usinesde guerre des centaines de milliersd’ouvriers qualifiés mobilisés ; l’em-bauche des femmes est égalementmassive ; la main-d’œuvre étrangèreet coloniale se développe aussi, bienqu’à un moindre niveau.

déveLoPPeMeNT MAssif desUsiNes de GUerre Toujours est-il qu’en 1916, le niveaude main-d’œuvre active, industrielleet commerciale, de la veille de laguerre est retrouvé, puis largementdépassé en 1917-1918. Mais la situa-tion des secteurs professionnels estbouleversée : la métallurgie (le cœurde l’usine de guerre) triomphe, dépas-sant pour la première fois le textile-habillement qui recule. L’industrie

PreMiÈre GUerre MoNdiALe eT MUTATioN dU sALAriAT

chimique, mais aussi plus inattendule personnel des banques et assu-rances, prennent une forte extension.Le bâtiment, le commerce et le livrerégressent.Le développement massif des usinesde guerre est le fait des entreprisesprivées, les arsenaux de l’État n’y suf-fisant pas. Une énorme accumulationde capital, au bénéfice de quelques-uns, se produit : que l’on songe àCitroën ou Renault dont les usinesconnaissent une formidable expan-sion. Ces industriels bénéficient ausside prix élevés dès lors qu’ils répon-dent aux exigences de production del’armée.

Mais la priorité absolue donnée à laproduction favorise aussi occasion-nellement les ouvriers des usines deguerre. Pour éviter les grèves et lesconflits, l’État est parfois amené à fairepression sur les patrons pour qu’ilscèdent, au moins partiellement, auxrevendications ouvrières. Et ce d’au-tant que le ministre de l’armementcontrôle à sa guise les ouvriers déta-chés du front.

UNe NoUveLLe CoNCePTioNdes rAPPorTs soCiAUxCe contexte s’accompagne d’unevisée à plus long terme, particulière-ment en France ; non sans lien avecle fait que de 1915 à 1917 le ministrede l’armement est le socialiste AlbertThomas. Il veut se saisir de la guerrepour créer les conditions favorablesà une économie française moderneet à une production efficace. Il mul-tiplie les moyens pour que l’usine soitrationalisée, standardisée et ait unhaut niveau de productivité. La chaîneet les ouvriers spécialisés (OS) appa-raissent. À court terme, cela répondaux exigences de l’armée qui veutminimiser le nombre d’ouvriers rap-

pelés à l’arrière. Mais au-delà, c’est àun vrai projet à long terme que s’at-tache le ministre. À la modernité dela production s’ajoute une nouvelleconception des rapports sociaux :patronat et salariat doivent collabo-rer pour que cette modernisation sedéveloppe de manière satisfaisante.Il convient donc d’assurer auxouvriers des conditions de travailaméliorées et une forme de représen-tation : ce sont les délégués d’atelierque les usines de guerre se voientcontraintes de mettre en place.Des forces – notamment à la direc-tion de la CGT qui s’est ralliée à ladéfense nationale et à des formesd’union sacrée – veulent se saisir decette démarche pour mettre en placeun syndicalisme de présence ou decollaboration. Mais cette démarchese heurte à de nombreuses résistanceset des alternatives apparaissent.

LA CroissANCe de LACoNsCieNCe de CLAsseUn des paradoxes apparents de cettepériode est que la classe ouvrièreparaît dispersée (pour part au front,pour part à l’arrière), bouleversée parles incessantes mutations de main-d’œuvre, segmentée entre civils,mobilisés, femmes, étrangers – sanscompter l’apparition dans les usinesnouvelles des ouvriers spécialisés(OS), qui n’héritent pas immédiate-ment de la culture ouvrière desmétiers. Et pourtant la conscience de

classe, par des médiations complexes,ne cesse de croître. Cela tient en par-tie à des causes attendues : le débatsur le pacifisme qui parcourt aussi lemonde ouvrier, la revendication dehausse des salaires pour atténuer les

« Une énorme accumulation de capital,au bénéfice de quelques-uns, se produit :que l’on songe à Citroën ou Renault dont les

usines connaissent une formidableexpansion. »

Un des paradoxes apparents de cette période est que la classe ouvrière paraîtdispersée, bouleversée, segmentée. Et pourtant la conscience de classe, pardes médiations complexes, ne cesse de croître.

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DOSSIER

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« La lutte contrel’exploitation

patronale devientalors, aussi, la luttecontre celui qui

s’enrichit du dramede la guerre. »

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

L’AfriqUe frANCoPhoNe dANs LA PreMiÈreGUerre MoNdiALeLa Première Guerre mondiale fut un tournant clef pour l’Afrique subsaha-rienne, et particulièrement pour l’Afrique française à l’ouest et l’Afrique britan-nique dans le reste de l’Afrique intertropicale et australe. Ce fut un moment àla fois de grande ouverture et de grande souffrance.

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effets d’une cherté de la vie brutale-ment croissante. Mais il faut faire éga-lement toute sa place aux systèmesde représentations dans ce temps deguerre, marqués par le primat absolude la morale de guerre. Tout s’ordonneen un conflit entre le combattant etle profiteur. Le langage de la guerredéfinit rapidement le premier des pro-fiteurs : le marchand de canons. Lalutte contre l’exploitation patronaledevient alors, aussi, la lutte contrecelui qui s’enrichit du drame de laguerre. Mais dès lors c’est bien « lutte »qui s’impose.La guerre est ainsi marquée par desluttes sociales considérables. Lesgrèves de 1917 et 1918 sont d’uneampleur supérieure aux grèves de1906 ou 1910. De grandes grèves, tantféminines que masculines, éclatentdans de nombreux secteurs, de lamétallurgie à l’habillement et du bâti-ment aux banques. Dans la régionparisienne, la couronne des usines deguerre devient le lieu de mouvementsincessants. Les ateliers sont parfoisoccupés, des manifestations éclatent.L’institution des délégués d’atelierqu’Albert Thomas voulait collabora-

tive est alors détournée par lesouvriers révolutionnaires. Ce sontainsi les délégués d’atelier de la Seinequi appellent à la grande grève de lamétallurgie parisienne de mai 1918.Ces grèves souvent spontanées, rare-ment lancées par les directions syn-dicales, sont fréquemment des suc-cès. Car là encore l’État fait pressionpour que la grève s’éteigne rapide-ment. Toutefois lorsque le conflit luisemble menacer la défense nationale,l’État pratique une vive répression,en particulier en renvoyant au frontles ouvriers mobilisés grévistes. Deplus une majorité des ouvriers reste,dans tous les cas et même lorsqu’ilsaspirent à la paix, attachée à ladéfense de la patrie républicaine.Ainsi apparaît un chemin alternatifau syndicalisme de présence : celuid’une action directe et d’une luttesociale vive qui s’accompagnent demanière croissante après la guerred’une expression révolutionnaire.Mais les deux chemins procèdentbien des mêmes conditions : l’impor-tance de l’usine de guerre, l’impor-tance de la mobilisation économiqueet la présence forte de l’État. Il est

frappant d’ailleurs de voir que laquasi-unanimité de la CGT (réfor-mistes ou révolutionnaires) se fait ennovembre 1918 sur l’adoption d’unprogramme minimum qui manifesteun productivisme aigu (« le dévelop-pement ininterrompu de l’outillagenational ou industriel ») et exige lanationalisation de pans entiers del’économie. Un programme qui mar-quera tout le XXe siècle.La guerre a entraîné des mutationsvives de la main-d’œuvre et de l’or-ganisation du travail. Le « métallo »en est la plus forte image symbolique,qui au sortir de la guerre fait figureprivilégiée d’une classe ouvrière,certes plus hétérogène que jamais etextrêmement divisée politiquement,mais qui ressort du conflit avec le sen-timent que sa place est désormais aucœur du pays. Et ce même si l’immé-diat après-guerre est marqué par unecontre-offensive libérale. n

*Jean-Louis Robert est historien. Ilest professeur émérite à l’universitéde Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

PAR CATHERINE COQUERY-VIDROVITCH*

P our la première fois, lesAfricains de qui jusqu’alors lesEuropéens n’exigeaient que

soumission et travail, furent sommésde participer à la mondialisation encours par leur contribution physiqueet matérielle au conflit mondial.

eNGAGeMeNT des AfriCAiNsCelui-ci fut très tôt engagé sur le solafricain. En Afrique occidentale (AOF)comme en Afrique équatoriale (AEF),les colonies des belligérants secôtoyaient. Dans les premières annéesde la guerre, le Togo en AOF et leCameroun en AEF, deux colonies alle-mandes, passèrent sous contrôle fran-çais et britannique, non sans dégâts

du côté africain : en 1914 le chefDouala (Cameroun) Douala MangaBell fut pendu avec son secrétaire parles Allemands qui l’accusèrent d’avoirvoulu pactiser avec les Français. LesBritanniques mirent aussi la main surle Tanganyika allemand et, par le biaisde la république sud-africaine (indé-pendante depuis 1910 et membre duCommonwealth), sur le Sud-ouestafricain (aujourd’hui Namibie). Sousla conduite des Français, des troupesafricaines, les « tirailleurs sénégalais »,menèrent le combat. On envoya aussides Africains « originaires » des qua-tre communes du Sénégal de statutmunicipal français (Gorée, Saint-Louis du Sénégal, Dakar et Rufisque)pour remplacer les fonctionnairesfrançais appelés au front. Les recru-tements allaient devenir systéma-

tiques à partir de 1916. C’est en effetà cette date que le député du Sénégalau parlement français, Blaise Diagne(ce fut, en 1914, la première fois qu’unNoir était élu dans la colonie), négo-cia la reconnaissance de la citoyen-neté française pleine et entière pourles « Originaires » engagés sur leschamps de bataille métropolitains.Jusqu’alors, il avait été exclu d’armerles soldats noirs autrement que pouraider à la conquête d’autres colonies.Face à l’hécatombe des tranchées,allait triompher la proposition dugénéral Mangin, jusqu’alors repous-sée, de lever une « force noire » pouren compenser les pertes. Près de200 000 « tirailleurs » allaient êtremobilisés en AOF (un peu plus auMaghreb, contre environ 10 000 enAEF et 50 000 en Indochine), dont

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*Catherine Coquery-Vidrovitch, esthistorienne. Elle est professeurémérite d’histoire africaine àl’université Paris-VII-Diderot.

PAR LUCIANO CANFORA*

«C ontinuons à observer lesdestins du socialismeeuropéen face à la guerre

en suivant la carte géographique :c’est un problème vaste, qu’il fautconsidérer au cas par cas. Nous avonsdéjà parlé de l’Allemagne et de laFrance. Voyons l’Italie. Elle se trouvedans une situation singulière, et pourdeux raisons : d’abord et avant tout,parce qu’elle n’est pas en guerre. Bienque la Triplice constitue une cageassez pesante, avec des clauses quipourraient obliger le gouvernementitalien à entrer dans le conflit, cer-tains événements, certains compor-tements ont fait en sorte que le gou-vernement italien a pu, en toutelégitimité, se déclarer neutre […].

MUssoLiNi eNTre eN sCÈNe

En Italie, non seulement les socia-listes – qui sont présents auParlement, en minorité, certes, maisune minorité combative – mais éga-lement le président du Conseil,Giolitti, le principal représentant dela force hégémonique, le parti libé-ral, sont contre la guerre. […] Doncl’Italie reste neutre, ce qui permet auxsocialistes italiens de proclamer leurinternationalisme : leur idée est quela guerre est un crime, qu’on n’a pasle droit de conduire le prolétariat àcombattre les prolétaires des autrespays. En un sens, les socialistes sontfavorisés par cette neutralité del’Italie : elle leur permet d’assumer lamême attitude que celle des minori-tés socialistes allemande et françaisequi sont hostiles à la guerre mais ne

peuvent peser. […] Les timides etsympathiques socialistes italiens(Turati, etc.) se trouvent donc d’ac-cord avec Lénine et les bolcheviks,quelque diverses que soient, sousd’autres rapports, leurs positions. Enparticulier, un des plus importantsdirigeants socialistes italiens d’alors,Benito Mussolini, qui se trouve éga-lement avoir été peu de mois aupa-ravant – début juin 1914 – un desorganisateurs de la « Semaine rouge ».[…] Benito Mussolini est égalementun dirigeant influent du parti, c’estle directeur de l’Avanti ! [...] À peinele conflit a-t-il éclaté, à peine est-ilclair que l’on va vers la guerre, queMussolini publie dans l’Avanti ! unarticle très véhément, intitulé « À basla guerre » […].

DOSSIER 135 000 furent envoyés en France où

30 000 furent tués.

TrAvAiL forCé AU NoM deL’efforT de GUerre Sur place, le prix fut d’autant plus cherà payer que, devant les pénuries fran-çaises, pratiquement tous les produitstropicaux d’exportation furent consi-dérés comme « stratégiques » ; la pro-duction « indigène » d’oléagineux tro-picaux (huile de palme et d’arachide,bois, gomme...) mais aussi les vivrespour approvisionner les troupes(manioc) devinrent pour les paysansdes cultures obligatoires à développerau maximum pour des prix fort basfixés par l’administration. Cette poli-tique provoqua d’importantescarences. On eut recours au nom del’effort de guerre au travail forcé, pour-tant interdit officiellement. Les soldatsrecrutés fournis par les chefs locauxfurent souvent des gens de peu (onestime que les ¾ d’entre eux étaientd’origine servile). Les exigences devin-rent telles que le gouverneur généralde l’AOF, Van Vollenhoven, qui n’étaitpourtant pas un tendre, se rebella,arguant qu’on ne pouvait à la foisdépeupler le pays de ses bras tout enexigeant une production accrue.Devant l’obstination du ministère, ildémissionna et s’engagea en 1917 surle front où il mourut en 1918.Bien que les « originaires » des qua-tre communes aient obtenu de faireleur service militaire en qualité deFrançais, ces troupes subirent de plein

fouet le choc des grandes batailles oùelles servirent parfois de chair àcanon. L’ensemble de l’AOF fut doncpaupérisé et bouleversé par ces évé-nements.

des Prises de CoNsCieNCeÀ terme, les effets politiques et sociauxde la guerre allaient se révéler déter-minants dans l’évolution de l’AOF. Ducôté français, la guerre fit compren-dre les dangers de l’exploitation aveu-gle menée jusqu’alors. Le ministre desColonies, Albert Sarraut, allait en tirerun ouvrage qui inspira toutes les ten-tations de réformes de l’entre-deux-guerres : La mise en valeur des colo-nies (Payot,1923). Du côté africain, lessoldats engagés en France découvri-rent un aspect des colonisateursjusqu’alors ignoré : les Blancsn’étaient pas faits d’un seul bloc et sefaisaient une guerre sans merci. Lessoldats noirs constatèrent que leracisme ambiant dans les coloniesn’avait pas cours de la même façonen métropole. Ce fut pour eux unerévélation car jusqu’alors la censureavait tenu les colonisés dans l’igno-rance. Il y eut aussi des rencontresavec les jeunes Françaises, avec lesfamilles, et surtout la découverted’une presse qui leur parut très libre.Les anciens combattants furentrécompensés après-guerre par la dis-pense de l’indigénatqui limitait stric-tement les droits des « sujets » (dis-pense supprimée par le gouvernementde Vichy en AOF lors de la Seconde

Guerre mondiale). Une fois rentrés aupays, cela leur donna une liberté deparole interdite jusqu’alors. Leur expé-rience retentit jusque dans les villagesoù la plupart revinrent après-guerre.En outre, éventuellement couverts degloire et de décorations, beaucoupd’entre eux, partis anciens esclaves,revinrent en relatifs privilégiés. L’arméeles avait formés au « français tirailleur »,un français simplifié. L’administrationcoloniale eut tendance à se reposer sureux, et en nomma plus d’un chef devillage, ce qui provoqua une véritablerévolution sociale interne. Un certainnombre resta en France, où ils lancè-rent les premiers mouvements« modernes » de résistance à la colo-nisation : ainsi Lamine Senghor (sanslien de parenté avec l’ancien présidentdu même nom), ancien tirailleur de laPremière Guerre mondiale, adhéra auParti communiste français et devintl’un des piliers de la résistance antico-loniale clandestine dans les milieuxmétropolitains noirs de l’entre-deux-guerres. De même, Tiemoko GaranKouyaté lança en 1931 un journal clan-destin, Le Cri des Nègres, et mourutexécuté par les nazis en 1942.La Première Guerre mondiale ouvritdonc une ère nouvelle, aussi bien ducôté français que du côté africain. n

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

*Luciano Canfora est historien. Il estprofesseur de philologie grecque etlatine à l'université de Bari (Italie).Extraits de Luciano Canfora, 1914,Flammarion, 2014 (1ère édition enitalien : 2006) reproduits avecl’aimable autorisation de l’auteur.

Ce qui frappera de stupeur non seu-lement les contemporains, mais aussiles historiens qui continuent à seconfronter à ce personnage, c’est sonbrutal revirement : en quelques mois,il passe dans le camp de l’interven-tionnisme, rompant du même coupavec le Parti socialiste italien. C’estalors qu’il fonde son organe de pressepersonnel, Il popolo d’Italia (« Peupled’Italie »), et lance une campagnepour l’entrée en guerre de l’Italie, ensyntonie avec Gabriele D’Annunzio,avec le parti nationaliste, avec les cer-cles militaires et économiques italiensqui poussent à la guerre. Ce change-ment de front sera déterminant pourl’avenir. Par exemple, la façon dontl’Italie est entrée en guerre, en mai1915, sous la pression de la rue etcontre la volonté du parlement, fut,

comme on l’a dit, quasiment un coupd’État du roi, le premier coup d’Étatdu roi, avant celui de la « marche surRome » d’octobre 1922. Les célèbres« radieuses journées de mai » de mai1915 sont de facto un coup d’État quiconduit l’Italie dans cette aventurequi sera ensuite la matrice du fas-cisme. Qu’est-ce qui a déterminé cechangement de front imprévisible ?[…] Une agitatrice anarchiste nom-mée Marie Rygier, qui fut très prochede Mussolini, publia en 1926 un écrittrès polémique – publié en Italie à lachute du fascisme, en 1945 […] –, inti-tulé Mussolini agent de la police fran-çaise. Marie Rygier accusait Mussolini,documents à l’appui, d’avoir étéapproché et acheté, engagé par lesservices français, pendant un de sesexils politiques en France. Comme la

France avait un besoin vital que l’Italiese détache de la Triplice, la conver-sion improvisée de l’ultra-internatio-naliste et socialiste Mussolini à lacause de la guerre est probablementdue au fait que ses supérieurs fran-çais ont trouvé en lui, alors, l’hommequi devait porter l’opinion publiquevers le choix de la guerre. Dans l’artde mener l’opinion publique où ilvoulait, il avait un talent immense,c’était un agitateur inégalable » n

révoLUTioN eT GUerre : des LieNsiNdissoCiAbLes ?Émergence révolutionnaire et guerre sont intimement liées sous desformes différentes selon les lieux et les époques.

PAR SERGE WOLIKOW*

La lecture historique de la guerrede 1914-18 comme matrice dela révolution internationale est

aujourd’hui globalement ignorée.Pourtant, les bouleversements géo-politiques comme les ébranlementssocioculturels que la guerre a engen-drés sont très souvent évoqués dansles ouvrages publiés récemment.L’évitement de la question révolution-naire empêche de comprendre l’ori-ginalité de ce conflit, aujourd’hui tropdissocié de l’histoire politiquecontemporaine. L’influence de laguerre de 1914-18 sur l’histoire desforces politiques est bien souventréduite à l’émergence après-guerredes mouvements paramilitaires d’ex-trême-droite. Le rôle essentiel jouépar le conflit mondial dans la recom-position des courants politiques dela gauche et de l’extrême gauche estquant à lui largement sous-estimé.Même les histoires internationales dela révolution évoquent cette guerrecomme le décor d’une scène où larévolution se déploie selon sa proprelogique. En réalité, guerre et révolu-tion sont imbriquées de telle sorteque l’émergence révolutionnaire estproprement incompréhensible endehors de sa relation intime avec la

guerre, non seulement dans ses ori-gines, mais aussi dans ses formes, sonimaginaire et finalement son dérou-lement.

LA GUerre, MATriCe de LA révoLUTioNLa guerre est la matrice de la révolu-tion au sens où la révolution prolongela guerre par d’autres moyens sansjamais s’en affranchir, au moins pen-dant une décennie, de 1917 à 1927.L’ébranlement de l’ordre politiqueeuropéen et international est insépa-rable des effets du conflit mondial quiprogressivement mine le systèmeinternational dont les contradictionspolitiques et sociales semblaient, dansun premier temps, avoir été surmon-tées par le basculement dans unconflit militaire généralisé. En 1914et jusqu’en 1916, le nationalisme etles machines étatiques de guerreconfèrent à chaque système la possi-bilité d’une domination sans précé-dent sur les peuples convoqués pourse battre les uns contre les autres etsommés de se soumettre à la domi-nation coloniale. Le basculement de1917 représente un tournant majeur.L’écroulement de l’Empire russe,associé à un immense mouvementde masse des soldats paysans etouvriers, inaugure un processus de

déstabilisation globale qui prend desformes diverses et se propage inéga-lement selon les pays dans les conti-nents européen et asiatique. Onassiste à une reconfiguration majeurede la carte géopolitique dans une par-tie de ces zones. Le processus révo-lutionnaire est le plus profond dansles empires multinationaux qui dis-paraissent et est également indexé surle sort des armes : victoire ou défaitemilitaire ont des effets inverses car lenationalisme conforté permetd’étouffer les revendications socialestandis que la défaite discrédite lesgroupes dirigeants. Partout, la politi-sation des masses s’élargit et prenddes formes nouvelles. Les mouve-ments grévistes connaissent uneampleur inédite dans la plupart despays européens, même en Grande-Bretagne et en France, tandis qu’enItalie ils revêtent la forme d’occupa-tions d’usines et qu’en Allemagne, unan après la Russie, se forment desconseils ouvriers dans les entreprises.

LA révoLUTioN rUsse eT LeCoMMUNisMe de GUerrePour autant, la révolution russe soussa forme spécifique d’une prise dupouvoir de l’appareil d’État par uneorganisation révolutionnaire politico-militaire reste l’exception. Le pouvoir

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révolutionnaire russe est confronté àla guerre internationale qui se pro-longe et qui prend même uneampleur nouvelle avec l’entrée desÉtats-Unis dans le conflit. Ensuite, cequi va s’appeler le communisme deguerre, de 1918 à 1921, correspond àun moment historique où les mobi-lisations politiques et militaires sesuperposent quand elles ne seconfondent pas. La guerre civiledevient la forme principale de l’af-frontement au sein duquel les forcesrévolutionnaires qui ont pris l’appa-reil de l’État, loin de le faire disparaî-tre, s’emploient à l’utiliser pourconserver un pouvoir menacé de l’ex-térieur et de l’intérieur. La transfor-mation sociale et la socialisation desmoyens de production passent par laconfiscation et la réquisition sousl’autorité du pouvoir politico-mili-taire tandis que l’appropriation col-lective par les salariés de leur outil detravail est reportée sine die. Il en vade même des paysans, même si l’ac-cession à l’exploitation libre de la terreleur est promise pour gagner leur sou-tien politique au pouvoir révolution-naire. La fin des échanges marchandset du marché est envisagée commeun moyen de répondre aux besoinsde la guerre mais aussi de réaliser sansdélai une organisation socialiste dela société. Le pouvoir révolutionnairerusse survit contre toute attente en1919-1920 malgré l’échec des révolu-

tions sociales dans les autres payseuropéens car il bénéficie d’unegrande sympathie dans les milieuxpopulaires des grandes puissances,qui ne peuvent donc intervenir mili-tairement sur le territoire russe

comme elles l’entendaient. Le sort dela révolution apparaît encore lié auxexploits de l’Armée rouge lors de laguerre contre la Pologne comme l’at-teste l’espérance retrouvée des diri-geants bolcheviks en une prochainerévolution mondiale lors du IIe

congrès de l’Internationale en juillet1920. Après les déconvenues de larévolution allemande en 1923, c’est

sur la Chine que se focalisent les pré-visions d’une prochaine expansionrévolutionnaire. L’échec de 1927sonne le glas d’un horizon proche : sil’éloignement de la perspective estentériné lors du VIe congrès del’Internationale, en 1928, le passageobligé par la guerre civile est réaf-firmé. Dans la pratique cependant,puis dans l’activité politique forma-lisée, la lutte contre la guerre va pro-gressivement conduire le mouvementcommuniste à s’affranchir de cettedémarche associant nécessairementrévolution et guerre. La lutte antifas-ciste, même si elle soulève la ques-tion de la guerre, conduit à revoir ceschéma qui n’a jamais été complète-ment et explicitement abandonnéavant la Deuxième Guerre mondiale.Il reprend d’ailleurs vigueur aumoment des guerres de libérationnationale en Asie, en Afrique puis enAmérique latine, des années 1950 auxannées 1980. Depuis la PremièreGuerre mondiale et la Révolutionrusse, le rapport entre guerre et révo-lution a beaucoup évolué ; même sicette imbrication constitue un lourdhéritage dans la perspective d’unerévolution démocratique durable. nDOSSIER

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*Serge Wolikow est historien. Il estprofesseur émérite d’histoirecontemporaine à l'université deBourgogne.

« Victoire oudéfaite militaire ontdes effets inversescar le nationalismeconforté permetd’étouffer lesrevendications

sociales tandis quela défaite discrédite

les groupesdirigeants. »

Les soCiALisTes frANçAis eT LA GUerreLa Première Guerre mondiale n’a pas seulement interrompu les progrès desforces démocratiques en Europe, elle a profondément transformé le mouve-ment ouvrier et le socialisme.

PAR JEAN-PAUL SCOT*

A u congrès de Bâle en septem-bre 1912, Jaurès exhortaitl’Internationale ouvrière et

socialiste « à faire pénétrer partout saparole de paix, à déployer partout sonaction légale ou révolutionnaire pourempêcher la guerre, ou sinon àdemander des comptes aux criminelsqui en seront les fauteurs ». Les par-tis membres de l’Internationale fail-lirent à leur mission.

Les CoNséqUeNCes de L’UNioN sACréeJaurès assassiné, l’opposition à laguerre s’effondre : « Ils ont assassiné

Jaurès, nous n’assassinerons pas laFrance » titre La Guerre sociale.Édouard Vaillant donne le ton géné-ral : « En présence de l’agression, lessocialistes rempliront tous leur devoir.Pour la France, pour la République,pour l’Internationale ». Et LéonJouhaux, le secrétaire de la CGT, d’af-firmer : « ceux qui partiront demainsauront remplir leur devoir. […] Nousserons les soldats de la liberté… ». Le4 août 1914, les députés socialistesvotent à l’unanimité les crédits deguerre, les pleins pouvoirs et l’état desiège. Jules Guesde et Marcel Sembatentrent au gouvernement. Face au ral-liement de tous ces dirigeants à l’Unionsacrée, la classe ouvrière n’est pas par-

tie au front la fleur au fusil, mais rési-gnée, « le cœur meurtri » ; les refus dela mobilisation ont été exceptionnels. Les dirigeants socialistes qui en 1912déclaraient la « guerre à la guerre »,participent jusqu’au bout à cetteguerre « juste », « défensive », pour le« droit ». La guerre favorise par ail-leurs la mise en place d’un syndica-lisme de collaboration de classe sousl’égide du socialiste « réformiste »Albert Thomas, ministre del’Armement, qui joue un rôle capitalpour intégrer le syndicalisme dansl’Union sacrée (délégués d’atelier,commissions mixtes pour l’effort deguerre, satisfaction de revendicationsminimales).

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DOSSIER > LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

*Jean-Paul Scot est historien. Il esttitulaire honoraire de la Chairesupérieure d’histoire du lycéeLakanal (Sceaux).

fAibLesse des oPPosiTioNsà L’UNioN sACréeIl faut attendre mai 1915 pour qu’unefédération socialiste (Haute-Vienne)demande que la direction de la SFIO« tende une oreille attentive à toutetentative de paix, d’où qu’elle vienne».En septembre 1915, à la conférence deZimmerwald réunie en Suisse pourcoordonner l’action internationalecontre la guerre, ne participent quedeux « minoritaires » de la CGT :Merrheim et Bourderon. Ce n’est qu’à partir de janvier 1916 queles objectifs zimmerwaldiens (paixsans annexion ni indemnité sur la basedu droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) pénètrent la CGT et la SFIO.Dans la SFIO, face aux «majoritaires »soutenant jusqu’au bout l’Unionsacrée (Blum, Renaudel), s’affirmentalors des « minoritaires » regroupésderrière Jean Longuet. « Centristes »,ils continuent à voter les crédits deguerre pour préserver l’unité des socia-listes tout en espérant la « reconstruc-tion » du socialisme international. En1916, seuls trois députés socialistesrefusent de voter ces crédits ; mais ilscontinuent de rejeter, dans le mêmetemps, le « défaitisme révolution-naire ».Pendant la guerre, la question natio-nale supplante le plus souvent la posi-tion de classe. Et à l’opposition tradi-tionnelle avant 1914 entre socialisteset syndicalistes, se substitue désor-mais le conflit dans chaque organisa-tion entre réformistes et révolution-naires. La CGT et la SFIO serapprochent et collaborent dansl’Union sacrée, alors que des oppo-sants minoritaires s’affirment peu àpeu en leur sein.

Les Crises de 1917-1918La révolution russe de février 1917,l’échec sanglant des offensives mili-taires à outrance, les mutineries duprintemps sur le front et les premièresgrèves ouvrières à l’arrière suscitentdes aspirations nouvelles pour en finiravec le grand « massacre des prolé-taires ». Face au mécontentementpopulaire, les ministres socialistesquittent le gouvernement Clemen -ceau en septembre 1917. Mais la SFIOcontinue à voter les crédits de guerre.La révolution soviétique d’Octobre1917 ne provoque pas en Franced’ébranlement profond comme dansd’autres pays d’Europe. La grandepresse déchaîne aussitôt un tir de bar-rage contre les bolcheviks « agents sti-pendiés du Kaiser », contre Lénine etTrotski et plus encore contre ces«Russes qui nous lâchent », qui « nouspoignardent dans le dos » après lasignature de la paix séparée de Brest-

Litovsk (mars 1918), conclue entre leReich et la jeune république bolche-vique. La direction de la SFIO, elle, dénonce« le coup de folie » de Lénine.Clemenceau réprime et neutralise lespuissantes grèves de la métallurgieparisienne et stéphanoise au prin-temps 1918 en s’appuyant sur unedirection de la SFIO toujours ralliée àl’union nationale. De plus en plus desocialistes « centristes » répudientl’Union sacrée et rejettent dans lemême temps l’expérience soviétique.En octobre 1918, ils prennent enfin ladirection de la SFIO : Ludovic-OscarFrossard devient secrétaire général etMarcel Cachin directeur deL’Humanité. Si une aile droite restefidèle à l’union nationale, une petiteaile gauche préconise, seule, l’exem-ple des soviets.

Les MUTATioNs dUsyNdiCALisMe eT dUsoCiALisMe eN 1919-1920Mais, dès l’armistice, les luttes poli-tiques et sociales ressurgissent àl’échelle nationale et internationale.La croisade militaire antibolcheviquelancée par Clemenceau aboutit auxmutineries de toute la flotte de la merNoire (février-avril 1919), de Toulonet de Brest. En dépit d’une répressionsans merci, le gouvernement doit«mettre bas les pattes devant la Russiedes soviets ». Le 1er mai 1919, de puis-santes manifestations éclatent, surfond de crise de reconversion de l’éco-nomie de guerre. À leur suite, lesgrèves se multiplient. Ces mouve-ments revendicatifs débordent le plussouvent les dirigeants confédéraux etremportent des succès notables :hausses des salaires, journée de 8heures, contrats collectifs. La CGT tri-ple ses effectifs d’avant-guerre etdevient enfin une organisation demasse (1, 6 million début 1920). Mais la grève générale déclenchée le1er mai 1920 subit un cuisant échecface à la résolution du gouvernementvoulant à tout prix « gagner la bataillede la Marne sociale » face aux « agentsde Moscou » : la contre-offensivepatronale isole l’avant-garde révolu-tionnaire peu expérimentée (plus de20 000 révoqués). Tétanisée par cet échec, la directionde la CGT, très réservée face à l’expé-rience soviétique, reste aux mains deJouhaux et des réformistes. Néan -moins, le glissement à gauche s’am-plifie au sein d’une SFIO qui triple lenombre de ses adhérents : 180 000 endécembre 1920. Ses effectifs sontrenouvelés aux 4/5e ; sa base socialeest inédite, majoritairement compo-sée d’ouvriers de l’industrie et des

transports. Sa direction, en revanche,reste aux mains d’élus, de journalisteset d’intellectuels. Aux élections denovembre 1919, la SFIO obtient1,7million de suffrages, soit 21 % desexprimés et un gain de 6,6%. En dépitde la victoire écrasante de l’Unionnationale et de la perte d’une trentainede députés, le Parti socialiste gagne eninfluence en exprimant la radicalisa-tion d’une classe ouvrière et d’une pay-sannerie qui entendent faire payer àla bourgeoisie le prix de la guerre. Mais si le courant réformiste de la SFIO– qui refuse catégoriquement l’adhé-sion à la IIIe Internationale fondée àMoscou tout en se réclamant du socia-lisme révolutionnaire et de la dictaturedu prolétariat – perd du terrain, le cou-rant révolutionnaire reste, lui, trèsdivisé : il s’affirme en partie hors de laSFIO dans le Comité pour l’adhésionà la IIIe Internationale qui rassembleanarchistes, syndicalistes révolution-naires et socialistes de gauche. Dans laSFIO, l’aile gauche (plus d’un tiers desadhérents au Congrès de Strasbourgde février1920) pousse la majorité cen-triste à envoyer Frossard et Cachin «enmission d’enquête et de négociation »à Moscou. À leur retour, ils se font lespropagandistes de l’adhésion sanscondition à la IIIe Internationale àlaquelle le Congrès de Tours décided’adhérer le 29 décembre 1920, par3 208 voix contre 1 022, en créant leParti communiste français. Les principales motivations sontd’abord l’hostilité aux « socialistesbourgeois », puis à l’Union sacrée etau socialisme de guerre, la volonté derompre avec le réformisme et la col-laboration de classe, et enfin le sou-tien à la Révolution russe. Ainsi s’ex-prime consciemment la rupture avecla politique menée par la SFIO pen-dant la guerre. La guerre a donc entraîné une mue dusystème politique français. À la vieilleopposition droite/gauche issue de laRévolution française et de la Répu -blique se superposent désormais l’an-tagonisme majeur de la lutte de classesentre bourgeoisie et prolétariat ainsique le conflit dérivé entre réformisteset révolutionnaires. Il est vrai que lastratégie de Jaurès de la voie françaisevers le socialisme démocratique parle réformisme révolutionnaire a étébien oubliée. n

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PAR MÉLANIE TSAGOURIS*

P lus de 10 millions de morts etautant de blessés. La PremièreGuerre mondiale fait figure de

tournant jusque-là inégalé, par letraumatisme qu’elle a constitué pourtoutes les générations du XXe siècle,par les conséquences généraliséesqu’elle a eues sur les peuples d’Europeet du monde, par son caractère trèsmeurtrier et par l’aveuglement despuissances de l’époque ayant promisune guerre éclair, rapide, efficace…

des ALLiANCes qUidéCLeNCheNT UNeMbrAseMeNT de ToUTeL’eUroPeLes origines de la Première Guerremondiale sont enchevêtrées les unesaux autres. Elle est le résultat des sys-tèmes d’alliance qui se sont consti-tués depuis 1871. Le début du XXe siècle est marqué parl’essor des échanges commerciauxentre les différents pays d’Europe, etpar de très fortes rivalités dans ledomaine de l’expansion coloniale desdifférentes puissances européennes.Le capitalisme, le colonialisme, l’im-périalisme génèrent des rivalités d’in-térêts et des tensions internationales.Les nationalismes à l’œuvre enEurope sont exacerbés. La seule réponse imaginée alors estcelle des alliances défensives consti-tuées par la Triple Entente entre laFrance, l’Empire russe et le Royaume-Uni qui se constitue contre la TripleAlliance de l’Empire allemand,l’Empire austro-hongrois et l’Italie.

Loin d’être un barrage à la guerre, cesalliances déclencheront un embrase-ment immédiat de l’ensemble del’Europe.L’assassinat de l’archiduc héritierd’Autriche-Hongrie fait figure de déto-nateur du conflit. Des tentatives deconciliation sont alors menées par lesgrandes puissances, toutes rejetéespar l’Autriche-Hongrie qui, assuréedu soutien du IIe Reich, a décidé demettre fin à toutes velléités nationa-listes des Slaves du Sud. Pendant leconflit lui-même, un système diplo-matique complexe et opaque se meten marche, occasionnant divers trai-tés binationaux gardés secrets. Àchaque fois, motivés par la préserva-tion des intérêts nationaux de cespays, aucun de ces accords n’a per-mis un règlement généralisé duconflit.

À l’issue de la guerre, le traité deVersailles donne naissance à la Sociétédes nations (SDN). Cette premièreorganisation mondiale visant à assu-rer la sécurité collective est dépour-vue de réels pouvoirs. Elle se révèleincapable de prévenir les conflits des

années 1930 et les velléités impéria-listes du nazisme. Après la SecondeGuerre mondiale, la SDN est rempla-cée par l’ONU. Cette nouvelle insti-tution veut corriger les erreurs de lapremière, en se dotant de moyensd’action réels et d’une Charte qui faitde l’assemblée générale des 193 Étatsqui la composent, une assemblée sou-veraine. Pourtant au fil des années,sous l’influence des grandes puis-sances, l’ONU et ses principes ont étémarginalisés et l’assemblée générales’est vue départie de ses pouvoirs auprofit du conseil de sécurité.

UN reGAiN des TeNsioNsArMées eN 2014Cent ans après l’embrasement de laPremière Guerre mondiale, le regainde violence et de conflits armés quimarque cette année 2014, rend plus

que nécessaire une réflexion appro-fondie sur les ressorts de la guerre. Si le contexte historique a évidem-ment connu de profonds boulever-sements en un siècle, il reste que nousdevrions avoir retenu que la solutionaux tensions internationales n’est

« Cent ans après l’embrasement de laPremière Guerre mondiale,

le regain de violence et de conflits armésqui marque cette année 2014, rend plus que nécessaire une réflexion

approfondie sur les ressorts de la guerre. »

1914-2014 : CoNsTrUire LA PAixNotre combat pour la paix aujourd’hui comme hier est notre identité. Laguerre n’est pas la solution de règlement des conflits internationaux.

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jamais dans la surenchère militaire.En République Centrafricaine, auMali, en Libye, en Syrie, en Ukraine,partout prévalent des logiques deguerre qui ne font qu’exacerber lestensions, étendre les troubles et l’in-stabilité. Cette escalade sans issue quiinstrumentalise l’ONU aux mains desgrandes puissances et donne toutpouvoir à l’OTAN, est le fruit d’unnouvel impérialisme qui fait peser surle monde des menaces à nouveau trèsgraves.À l’heure où Barack Obama vient d’en-gager l’OTAN, dont la France, dans unenouvelle croisade contre « l’État isla-mique », qui peut oublier que les diri-geants occidentaux n’ont cessé dejouer avec le feu, soutenant les piresdictateurs dans un premier temps, puisarmant des groupes régionaux contreces mêmes dictateurs, pour préserverles seuls intérêts économiques desgrandes puissances et les ressourcesen matières premières ? Qui a déjàoublié l’échec retentissant des inter-ventions occidentales dans cette par-tie du monde, qui plongèrent les paysdans le chaos et les peuples dans lamisère et l’humiliation ? C’est cettepolitique qui a donné naissance au ter-rorisme le plus cruel, comme celuiqu’incarne aujourd’hui « l’État isla-mique ».C’est un esprit également belliciste quia présidé au sommet de l’OTAN, les 4et 5 septembre derniers à Newport.Pour soi-disant régler le conflit ukrai-

nien, l’Alliance atlantique ne prévoitrien d’autre qu’un nouveau déploie-ment de forces militaires aux portesde la Russie, créant ainsi le terreaud’une escalade de la violence et pro-voquant une nouvelle course à l’arme-ment.Loin d’accroître la sécurité du monde,ces choix dominés par les grandespuissances nourrissent les violenceset créent de l’insécurité pour les peu-ples et pour les relations internatio-nales.

NoTre CoMbAT PoUr LA PAixUN CoMbAT esseNTieL Comme l’affirmait cette année PierreLaurent : « Le refus de la guerre estancré au fond du patrimoine com-muniste. Notre parti est né de ladénonciation de 1914-1918 et ceuxqui furent ses fondateurs ont portéhaut et fort le refus de la guerre et le“plus jamais ça”... Ils avaient raisond’être fidèles à Jaurès en refusant depenser que le règlement des conflitsinternationaux pouvait passer par laguerre. » Pour les communistes, la paix est lerésultat d’une conception du déve-loppement et de la sécurité danstoutes leurs dimensions : c’est la satis-faction des besoins sociaux, la luttecontre les inégalités et les injustices,la laïcité, le respect des indépen-dances, la maîtrise des choix natio-naux, la coopération et les solidaritésnécessaires face aux nouveaux défis

mondiaux, qui peuvent être la sourced’un monde de paix.À l’heure où des menaces nouvellesse font jour concernant les ressourcespremières de la planète, mais où tantde progrès technologiques peuventpermettre un partage plus équitabledes richesses, nous devons être capa-bles de modifier profondément lesoutils dépassés de régulation dumonde pour en imaginer de nou-veaux : • L’OTAN n’a aujourd’hui plus aucuneraison d’être. Elle est illégale au regardde la Charte des Nations unies. C’està une Organisation des Nations uniesdémocratisée, à un conseil de sécu-rité élargi, et à une assemblée géné-rale souveraine qu’il est nécessaire deconfier le développement de nou-velles règles internationales. • L’Europe doit pouvoir se dégager dudogme libéral qui l’étrangle et del’OTAN qui l’entraîne dans ses choixbellicistes pour être en mesure demettre en œuvre des politiques decoopération et de solidarité avec lemonde. Ces choix sont à la portée des peu-ples. La paix est redevenue un com-bat urgent. C’est le nôtre. n

*Mélanie Tsagouris, est membre dusecteur International du Conseilnational du PCF.

LA GUerre de GAzA100 ans après, le capitalisme toujours fauteur de guerre. Israël teste ses armes surGaza et occupe maintenant le cinquième rang mondial des marchands d'armes.

PAR FRANÇOISE GERMAIN-ROBIN*

Le 20 septembre dernier, moinsd'un mois après la fin des bom-bardements israéliens sur Gaza,

un Salon d'un genre particulier s'estouvert en Israël. Baptisé « IsraëlUnmanned Systems » [mot à mot :« systèmes sans humain »] et organiséchaque année en partenariat avec lesÉtats-Unis, il est consacré aux enginssans pilotes (drones volants, terres-tres et marins) construits par l'indus-trie militaire israélienne. Cette foisencore, la date était bien choisiepuisque les Israéliens ont pu faire étalage des « magnifiques perfor-mances » réalisées lors de la cam-

pagne de Gaza. Comme l'explique lerécent rapport de l'AURDIP(Association des universitaires pourle respect du droit international enPalestine), « la Palestine a longtempsservi de laboratoire à l'industrie desécurité intérieure d'Israël pour tes-ter et perfectionner ses armes ».

GAzA, LAborAToire PoUr Le« TesT AU CoMbAT »Cela a continué et s'est accentué lorsdes dernières opérations militairescontre Gaza. Celle de 2008-2009(Plomb durci) avait servi à tester desarmes à sous munitions et certainesarmes états-uniennes (telles que lesbombes US «GBU 39 » qui avaient été

livrées à Israël début décembre 2008,juste à temps pour l'offensive). Cellede 2012 a servi à perfectionner le sys-tème des drones (tel que le droneHermes de la société Elbit qui avaitdéjà été utilisé au Liban en 2006, puisà Gaza en 2008 et dont la dernière ver-sion, plus meurtrière, a été testée pourla première fois cet été ; l'entreprisefrançaise Thales en a acheté la licenceet en développe avec l'armée britan-nique une nouvelle version baptisée« Watchkeeper »), branche danslaquelle l'industrie israélienne est laplus avancée avec celle des États-Unisdont on sait quel usage abusif ils enfont pour des assassinats ciblés enAfghanistan, au Pakistan, au Yémen

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et ailleurs. Car Israël partage volon-tiers les résultats de ses « zones test »avec son meilleur allié, les États-Unis,qui financent chaque année à hau-teur de 3 milliards de dollars ce qu'ilest convenu d'appeler « la défensed'Israël », soit un quart de son bud-get militaire.L'un des organisateurs de l’événe-ment, Avner Benzaken, commandantde la division technologie de l'arméeisraélienne, explique dans le maga-zine allemand Der Spiegel l'avantagequ'il y a à avoir sous la main un ter-ritoire comme celui de Gaza, avec sapopulation captive : « Si je développeun produit et que je peux le tester surle terrain, si à 5 ou 10 km de ma baseje peux voir ce qui se passe avecl'équipement, j'ai le processus dedéveloppement le plus rapide et leplus efficace ». Cela permet à Israëlde vendre ses équipements avec lelabel « testé au combat » et à ses entre-prises d'armements de faire de fabu-leux profits (du 9 au 12 novembre àTel Aviv se tiendra une conférenceinternationale sur les systèmes desécurité pour faire profiter tous lesclients potentiels de l'expertise israé-lienne en la matière, « dans uncontexte marqué par le phénomèneterroriste »).

déveLoPPeMeNT deL’iNdUsTrie MiLiTAireisrAéLieNNeOn ne peut être plus cynique. Maiscette absence totale de sens moral apermis à l'industrie militaire de croî-tre de manière spectaculaire au coursdes dix dernières années, au pointqu'Israël occupe désormais le cin-quième rang mondial des marchands

d'armes et commence à concurren-cer ses anciens fournisseurs. Israëlvend ses drones dans le monde entier,notamment pour la répression desmanifestations (des drones de sur-veillance ont notamment été vendusà la Turquie, à l'Inde et au Brésil l'andernier et plus récemment à laSuisse). Aujourd'hui, les ventesd'armes israéliennes occupent 7 %

du marché mondial de l'armement.Mais le plus important, c'est l'attituded'Israël dans la région, l'état de guerrepermanente qu'y fait régner le refusobstiné de son gouvernement de met-tre fin à l'occupation de la Cisjordanieet de Gaza et de laisser s'installer unÉtat palestinien pourtant promis parl'ONU depuis 1947. À cause de ce dénidu droit international et des guerressuccessives qu'il a entraînées depuis1948, la région du Moyen Orient restele premier client des marchandsd'armes du monde entier, à commen-cer bien entendu par les États-Unis,qui se taillent la part du lion. Ces der-niers ont d'énormes stocks d'armesen Israël et s'en servent pour les tes-ter et pour affirmer leur présence enMéditerranée – et pendant la dernièreopération à Gaza, Washington a auto-risé l'armée israélienne, à court demunitions, à y puiser.Selon une récente étude du Groupede recherche et d’information sur lapaix et la sécurité (Sur les traces desarmes dans le dédale proche-orien-tal) : « depuis la fin de la Guerre froide,

c'est la région qui a importé le plusd'armements : les dépenses militairesy atteignaient 123milliards de dollarsen 2011 contre 78 en 2002 soit+ 58% ». Parmi les plus importantes,celles de la Jordanie, des Émirats etde l'Arabie saoudite ont augmenté de+ 90% entre 2002 et 2011. La part desÉtats-Unis dans ce florissant marchéa atteint 80 % entre 2008 et 2011

contre 30% entre 2004 et 2007. La partde l'Europe a régressé dans le mêmetemps de 35 % à 9 %. Un bon pointcar certaines ventes d'armes ont étérefusées pour respecter le « code debonne conduite » de l'UE. Quelquespays, dont l'Espagne, ont annulé deslivraisons en cours cet été.Si Israël n'existait pas, les marchandsd'armes devraient l'inventer. Et peut-être aussi les marchands de béton etde fers à béton qui vont profiter des5 milliards de dollars qui viennentd'être alloués par la Conférence desdonateurs du Caire à la reconstruc-tion de Gaza, de ses 10 000 maisonsdétruites, de ses hôpitaux et de sesécoles, de son réseau d'eau et d'élec-tricité. 5 milliards dont l'essentiel iraà des entreprises israéliennes puisquele blocus de Gaza n'est toujours paslevé. Les affaires sont les affaires et laguerre un éternel recommence-ment. n

« Les ventes d'armes israéliennes occupent7 % du marché mondial de l'armement. »

La « der des ders » ou l'atroce et sanglant berceaud'une radicalité esthétique nouvelle

*Françoise Germain Robin estjournaliste.

LA GrANde GUerre : eNTrée eN ModerNiTéArTisTiqUe eT LiTTérAire ?

PAR OLIVIER BARBARANT*

«N ous déchirons, ventfurieux, le linge desnuages et des prières, et

préparons le grand spectacle du désas-tre, l’incendie, la décomposition » : ceprogramme d’un « Manifeste Dada »daté par Tristan Tzara du 23 mars 1918

paraît suffire à montrer que la Guerrede 1914-1918 a provoqué, comme unatroce et sanglant berceau, une entréeen modernité. Ainsi, le désastre d’unecivilisation aurait conduit les artisteset écrivains qui y survécurent à uneradicalité nouvelle, par laquelle unecoupure devait se faire avec un« Monde d’hier », comme l’appelaitStefan Zweig, absolument discrédité.

Dès lors, il ne s’agit plus seulementd’apporter « du nouveau ». L’on n’in-vente plus des « formes », mais l’ontouche au socle même du langage –malmené, décomposé, réduit parexemple à la seule sonorité – ; l’on nepropose plus des « valeurs », mais l’onrévèle leurs mensonges et sape leurfondement ; l’on vise moins à créer desobjets esthétiques qu’à expérimenter

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des intensités. La matérialité dusigne intéresse plus que le message,l’expérience existentielle plus quetoute élaboration d’une forme : à cestraits, l’on a souvent et longtempsdéfini la modernité artistique et lit-téraire.

des rACiNes ANTérieUresà LA GrANde GUerrePourtant, l’indéniable relation entrele Dadaïsme (né en 1916, en Suisseneutre cependant) et la PremièreGuerre mondiale ne saurait conduireà des simplifications qui ne résistentpas à un examen plus méticuleuxdes termes et des dates. Ce que l’onnomme d’ordinaire « modernité »remonte bien plus avant. Avantmême la théorisation du terme parBaudelaire, l’idée de « modernité »esthétique se fonde dès la fin duXVIIIe siècle dans une Allemagne enmarche vers le romantisme. Pours’en tenir à une « modernité » pluscirconscrite, dans sa belle étudeAvant-Gardes du XXe siècle, SergeFauchereau pose pour jalons chro-nologiques « 1905-1930 », des datesqui pourraient être débattues, maisqui montrent à la fois une antécé-dence et une continuité, et donc unecausalité moins sommaire que celleselon laquelle la modernité naîtraiten réaction à la Guerre.

La plupart des « ismes » qui mirentl’éclatement des formes au cœur dela création (puisque c’est là aussiune définition donnée de l’aventuremoderne) naquirent en effet avant-guerre : le cubisme de Braque etPicasso (Les Demoiselles d’Avignondatant par exemple de 1907), les bal-lets russes de Diaghilev qui se mani-festèrent dès 1909 sur la scène duChâtelet… Le nom « expression-nisme » fut lâché notamment en1912 à la galerie Der Sturm, leManifeste futuriste de Marinetti estdaté de 1913. Par prescience ou noireironie, c’est sans doute même au

seuil de la guerre, en 1913, que serévèle l’année la plus fastueuse dela modernité. Une admirable ana-lyse collective en fut jadis menée endeux volumes (L’Année 1913) où l’onput mentionner, pour la seuleFrance, les parutions d’Alcoolsd’Apollinaire et du premier volumed’À la recherche du temps perdu deMarcel Proust. On le voit, ni lesavant-gardes à proprement parler,ni une vision plus large de la moder-nité ne découlent directement del’horreur des combats. Le dégoût del’aplatissement positiviste, l’ouver-ture de champs de conscience nou-veaux chez Bergson et Freud remon-tent aux dernières décennies duXIXe siècle. Est-ce à dire qu’un évé-nement aussi fondamental que laguerre, qui marque incontestable-ment la naissance du XXe siècle surtous les plans, ne se serait pas tra-duit par une révolution décisive dansl’histoire esthétique ?

LA GrANde GUerre CoMMe ACCéLérATeUr de LA ModerNiTéUne célèbre anecdote permet peut-être de mieux saisir les liens.Découvrant les camouflages que despeintres et décorateurs de théâtreréquisitionnés par l’armée françaiseà partir de 1915 avaient réalisés,Picasso se serait écrié (selon GertrudStein) : « C’est nous qui avons faitcela ! ». Si la véracité du propos estdouteuse, il est en revanche certainque la décomposition chromatiquepropre au camouflage s’est nourriedes procédures cubistes. Ainsi, laguerre a réalisé au sens propre ceque la modernité esthétique avaitpressenti. Dans une tout autre direc-tion, le futurisme italien a vu (sansdégoût et avec une extase annoncia-trice du fascisme de Marinetti) sonéloge de la technique, de la force etde la violence prendre toute saconsistance dans la frénésie descombats de ce qui fut la premièreguerre industrielle à dimensionmondiale.

LA ModerNiTéProvisoireMeNTPArALysée PAr LesTrANChéesLes avant-gardes ont donc pu pres-sentir la violence souterraine d’uneépoque et devancer de la sorte uneexpérience qu’elles ont, inverse-ment, peiné à représenter quand elleest passée du plan de l’œuvre à celuidu monde. Apollinaire lui-même,ébloui par l’éclat des fusées, a pu s’yperdre, disant comme on sait laguerre « jolie »… La représentation

de la guerre, quand elle eut lieu, futdès lors plutôt le fait de formes tra-ditionnelles : c’est le naturalisme deBarbusse, la langue classique deGenevoix qui dirent d’abord, autemps des combats, ce qu’il en fut.Dans les autres arts, Philippe Dagena remarquablement mis au jour Lesilence des peintres, qui, mêmeconduits en mission devant les tran-chées, eurent recours au dessin plu-tôt qu’à la peinture, aux formes réa-listes plutôt qu’aux distorsions. Seulpeut-être Otto Dix a-t-il pu lacérerles corps et les couleurs pour fairede son expressionnisme, après coup,la plus tragique représentation desmutilés de guerre.Et la génération de Dada, et donc lesfuturs surréalistes ? Enrégimentés etconfrontés pour la plupart d’entreeux à l’expérience des combats,longtemps ils ne purent en parler.Assurément, leur révolte est-elle liéeà l’expérience des combats, maissous la forme d’un traumatisme,analysé rétrospectivement parAragon dans Pour expliquer ce quej’étais (texte inédit de 1942), d’unnon-dit – à l’exception (notable)d’Éluard, écrivant et publiant lespoèmes du Devoir puis Le Devoir etl’inquiétude en 1916 et 1917 maisdans une poésie transparente etlyrique qu’on jugerait peu moderne.

Rien des invectives et de la furiedadaïstes ne se comprend sansremonter à la source de la guerre.Pourtant, ce n’est pas tant dans l’his-toire des formes que celle-ci a mar-qué une pliure que dans celle de leurvaleur pour les artistes et de leurréception. La guerre produit incon-testablement une autre époque del’écriture, qui relègue vers le XIXe siè-cle les proses d’un Alain-Fournierou d’un Péguy, pour ouvrir aux ono-matopées dada et au « flux deconscience » d’Ulysse de Joyce (1922)et de l’écriture automatique. Elle a,surtout, confronté une génération àun retour furieux sur ce que pouvaitavoir d’euphorique, pour les créa-teurs précédents, le déploiement desformes nouvelles. Du feu d’artificemoderne au feu du front, elle adécidé d’un passage de la seule cri-tique précédente à une crise de lareprésentation. C’est de l’affronter,mais aussi d’en sortir, que s’estrenouvelée l’aventure de la moder-nité. n

*Olivier Barbarant est poète etdocteur ès lettres. Il est inspecteurgénéral de l’Éducation nationale.

« Du feu d’artificemoderne au feu dufront, elle a décidéd’un passage de laseule critique

précédente à unecrise de la

représentation. »

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Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

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Depuis sa création en 1917, en pleine Première Guerre mondiale, l’Associationrépublicaine des anciens combattants et victimes de guerre (ARAC), à l’imagede ses fondateurs (Georges Bruyère, Raymond Lefebvre, Henri Barbusse, PaulVaillant-Couturier) a la forte conviction qu’un monde pacifique, solidaire etfraternel est possible.

L’ArAC : TéMoiN eT ACTeUr dePUis UN siÈCLe

PAR PATRICK STAAT ET RAPHAËL VAHÉ*

Créée dans ce but, l’ARAC n’ajamais cessé de dénoncer lescauses des guerres et leurs

conséquences. Pour cela, elle lie l’his-toire et le travail de mémoire à laréflexion sur le monde actuel, où lacrise économique et financière ducapital mondialisé et la mise enconcurrence des peuples, des nationset des régions conduisent à des ten-sions lourdes. Le capitalisme a tou-jours utilisé la guerre pour sortir descrises qu’il engendre. La guerre de 14-18 est déclarée trois jours après l’as-sassinat de Jaurès qui en dénonçait lecaractère impérialiste. Elle eut pourcause essentielle le partage du mondeau travers de la colonisation. Elle futaussi un moyen de s’opposer aux pre-mières avancées sociales et démocra-tiques notamment en Europe.Les Poilus qui se sont opposés à laguerre, comme les Résistants de 1939-1945, n’ont pas laissé faire et ont ditnon. C’est ce courage-là qu’il faut rap-peler sans cesse à l’occasion des com-mémorations. C’est ce courage-là qu’ilfaut mettre en avant à un moment oùla société se délite et où le repli sur soirend difficile toute forme de révolte.

Le CoMbAT PoUr LA PAixCette triste réalité guide encore lemonde. Le mensonge sert de prétexteau déclenchement des hostilités et lessoldats qui y meurent ne tombent quepour défendre les intérêts des grandescompagnies pétrolières et gazières, ouautres multinationales que la recons-truction va enrichir toujours plus.La guerre est toujours synonyme demort, de crimes, de désolation, de des-truction et de victimes. C’est pourquoinous récusons les « va-t-en-guerre »qui soutiennent les interventions auprétexte de l’urgence humanitaire maisdans l’intérêt de profiteurs. L’ARACmilite pour une meilleure connaissancedu tournant de 1945, à l’origine de laCharte de l’ONU et de la Déclarationuniverselle des droits de l’homme de1948 (actualisée en 1986 par le droit audéveloppement) qui donnent les clefsfondamentales de la marche vers un

monde de droit, de droits et de paix.L’ARAC, comme en 1917 fait du« guerre à la guerre », selon le cri deBarbusse, son combat contre lescauses des guerres, sa principale rai-son d’être. S’opposer à tout acte deguerre, c’est construire l’humanité dedemain. Poussés par la crise, les payscapitalistes sont engagés présente-ment dans une nouvelle répartitiondes richesses de la planète : c’est cequi fait craindre à l’ARAC, pour l’hu-manité, une nouvelle guerre mondiale.Nous militons pour un désarmementnucléaire universel, suivant la résolu-tion de l’ONU du 24 novembre 1961,et pour l’abolition des armes chi-miques et bactériologiques. Dans lemême esprit, nous refusons quel’OTAN installe en Europe un bouclierantimissile. Nous exigeons le retrait dela France de cette organisation ainsique sa dissolution.La France s’honorerait plutôt enmenant une politique extérieure fon-dée sur la défense de l’intérêt des peu-ples, la coopération, le droit interna-tional et le renforcement de l’ONU :bref, en menant une politique qui par-ticipe à la construction d’un mondede droits contre un monde de domi-nations.

s’eNGAGer PoLiTiqUeMeNT, Le devoir de L’ArACL’ARAC, par son histoire singulièredepuis bientôt cent ans, a vocation às’exprimer et à intervenir dans la viepolitique, ce qui l’amène à être soli-daire des luttes populaires et du com-bat pour l’émancipation, pour la réha-bilitation de l’idée de progrès.L’ARAC réaffirme hautement que lasouveraineté nationale doit l’empor-ter sur les intérêts des marchés finan-ciers. Nous voulons œuvrer à une autreconception des relations entre les peu-ples qui ne soit pas enfermée dans lescarcans du profit et des dominations,qu’incarnent notamment les traitéseuropéens qui réduisent inexorable-ment les souverainetés. Chacun enmesure au quotidien les conséquencespolitiques, économiques et sociales quiconduisent déjà à des tensions et desconflits au cœur même de l’Europe.

L’Europe n’a de sens que si sa construc-tion est la volonté de Nations souve-raines, répondant aux besoins et auxattentes de leurs peuples. Cettedémarche serait une garantie de sécu-rité et un gage de démocratie. Cela passepar la révision des traités européens.

Le devoir d’ALerTeL’ARAC appelle et agit pour renforcerla solidarité concrète envers les vic-times de la crise, de plus en plus nom-breuses. Le capitalisme fait le jeu del’extrême droite, de tous ceux qui uti-lisent la détresse sociale et morale desgens pour se parer d’une image sansjamais ouvrir de véritable alternativepolitique, sans rassembler pourconstruire vraiment quelque chose.Calomnier, salir, jouer avec les peursn’ont jamais fait une politique.L’histoire montre que la République,la démocratie et les libertés n’ont rienà attendre de l’extrême droite. L’ARAC,par son mensuel Le Réveil des combat-tants estime de son devoir d’alerter surles montées de l’extrême droite, desnationalismes et des intégrismes, enFrance, en Europe et dans le monde.Pour conclure revenons à Jean Jaurès :« L’humanité est maudite, si pour fairepreuve de courage, elle est condam-née à tuer éternellement. Le courageaujourd’hui ce n’est pas de maintenirsur le monde la sombre nuée de laguerre. Le courage ce n’est pas de lais-ser aux mains de la force, la solutiondes conflits que la raison ne peutrésoudre. »Il reste beaucoup à faire pourconstruire ce monde pacifique, libreet fraternel, « bien commun » de l’hu-manité auquel rêvaient les poilus de1914-1918, un monde sans armes. n

*Patrick Staat est secrétaire généralde l’ARAC et Raphaël Vahé estprésident de l’ARAC.

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suite à l'analyse de l'ouvrage de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle, parue dans le n°40 de LaRevue du projet, frédéric boccara* nous propose un autre regard sur cet essai ; le débat continue.

thomas Piketty nous apprend dans son ouvrage intitulé Le Capitalau XXIe siècle que les inégalités ont augmenté. merci beaucoup.on avait remarqué. L’establishment médiatique américain aapprécié. Les économistes établis aussi : la très orthodoxeeuropean economic association lui a décerné son prix. Étrange… ?Pas tant que cela. d’autant qu’il s’agit de jeter marx par-dessusbord. Ce qui n’est pas très original ! mais, ô étrange étrangeté, nibanques, ni crédit, ni activité de la finance dans les 970 pagesde l’ouvrage. Ni même l’essentiel du capital des entreprises.Basses et bien trop concrètes choses. [...]

1. Le capital des entreprises presque entièrement excluL’auteur commence par réduire le capital au patrimoine desménages et de l’État. et donc par exclure du capital tout le capitaldes entreprises ! il va considérer en effet que les entreprises et lesbanques ne peuvent pas posséder de capital. C’est que, selon lui,seules les personnes physiques (ou l’État) pourraient posséderdu capital : «le capital peut être possédé soit par des individus pri-vés (on parle alors de capital privé) soit par l’État ou les adminis-trations publiques (on parle de capital public) » (p. 83). Le choix de th. Piketty est donc le suivant. Lorsque le capital dePeugeot est accumulé par la famille dans la société Psa et resteau sein de celle-ci il ne va pas compter ! Pour Peugeot ne vontcompter dans le capital de Piketty que les actions que la familledétient [...]. Le besoin de capital pour produire, le besoin d’inves-tissement est complètement ignoré, les enjeux autour de l’utili-sation des machines, de leur amélioration, etc.

2. Le capital produit… sans travail ni travailleursComprendre cette relation en partie variable entre quantité decapital et production nécessite de réintroduire le travail et lestravailleurs, ainsi que la technologie. en effet, outre la qualité del’investissement, dans la réalité trois éléments fondamentauxrendent compte de l’efficacité de la production, et donc de l’im-portance relative du revenu distribuable. Ce sont : (1) le travailfourni, son efficacité, ses conditions d’exercice, son intensité,sa pressurisation possible, etc. (2) les qualifications des travail-leurs eux-mêmes (dépendant tout particulièrement de leursalaire présent, de leurs conditions de vie et des services publicsd’éducation) (3) la technologie.L’usage du mot « actif » pour définir le capital pourrait mettre lapuce à l’oreille. sous une apparence neutre et comptable, il esttrès idéologique : il signifie que le capital est « actif », l’auteurnous affirme en fin d’ouvrage : « une fois constitué, le capital sereproduit tout seul (sic !), plus vite que ne s’accroît la produc-tion » (p. 942). une perle !il faut reprocher à Piketty cette théorie et non une absence dethéorie comme le fait Husson.

3. Une approche néoclassique clivant production etrépartition et ne rendant compte ni des crises ni destransformations systémiquesPour se développer plus vite que le revenu total, le revenu du capi-tal (le profit) doit s’affronter au revenu des travailleurs (conflit derépartition et lutte des classes) et peser dessus. La limite quethomas Piketty ne veut pas voir renvoie à la suraccumulation : untrop-plein de capital accumulé par rapport aux exigences de ren-tabilité et à la production des revenus dont le revenu du capital.mais th. Piketty prête à marx comme « principale conclusion ceque l’on peut appeler le principe d’accumulation infinie ». tout lecontraire de la suraccumulation au cœur pourtant des travaux demarx. et si frappante dans la crise actuelle… sans parler des trans-formations technologiques et sociales liées au cycle long (sécuritésociale, nationalisations, rôle nouveau de l’État dans le crédit, édu-cation obligatoire et généralisée).

4. des statistiques ahurissantes et des procédésgraphiques inacceptablesmais tout son discours est appuyé sur une masse de statistiques.et donc devrait être accepté au nom de l’empirie ?eh bien, non. Premièrement ses statistiques reposent commeon l’a vu sur une délimitation contestable de ce qui est mesuré,le capital. on ne sait pas ce que l’on trouverait si on utilisait uneautre définition du capital.deuxièmement, les données elles-mêmes sont critiquables.Leur transparence est toute relative : la source mentionnée est« source : piketty.ens.fr ». et lorsqu’on va sur le site indiqué, ànouveau ce n’est clair, ni bien transparent. [...]Par ailleurs, beaucoup de données sont interpolées, estimées,ce qui est inévitable pour des données historiques portant surau moins deux siècles, mais les choix présidant à ces estima-tions sont largement ad hoc, sans mention de fourchette, sanscourbes alternatives. [...] . C’est l’économie des lieux communs,où les corrélations entre statistiques parfois douteuses se subs-tituent aux causalités. il s’engouffre d’une part dans la réductiongénéralisée de marx à une vulgate de la dénonciation de l’oppo-sition entre riches et pauvres. tout le contraire d’une analyse declasse, liée au rôle des travailleurs dans la production et au typede revenu perçus. Par ailleurs, même sur les inégalités (sa spécialité), les constatsde Piketty posent problème, tant sur la présentation que sur l’in-terprétation tendancieuse qui en est tirée (voir Économie &Politique, juillet-août 2014).

5. que faire ?Le livre de Piketty a le grand mérite de réintroduire l’exigence destatistiques de longue période, fiables, sur le capital. et ce n’estpas rien. mais il le fait avant tout par ses manques, absences etdéfaillances. il souligne aussi le rôle décisif de la question du rap-port capital/produit. mais bien évidemment à nouveau « encreux » : au rebours d’une stabilité de ce ratio : qu’en est-il deson évolution ?L’ouvrage de Piketty montre bien les limites d’une alternativefondée sur une fiscalité étroitement redistributive et correc-trice. Non qu’il n’en faudrait pas, ni qu’elle n’a pas besoin d’amé-liorations fortes. mais plutôt qu’elle ne fonde pas une alternativede société, ni même une issue à la crise profonde.Ces absences et failles indiquent des enjeux majeurs du débatsocial sur l’économie : la création monétaire et le crédit, la maî-trise de l’utilisation du capital dans les entreprises, une réparti-tion active portant sur le développement des gens et leurs capa-cités, donc sur les dépenses pour les services publics.La question d’un véritable pacte de responsabilité sociale pourles institutions productives que sont les entreprises est aujourd’huiposée dans les faits ! Pour une gauche et des progressistes n’op-posant pas demande et offre, répartition et production, sanscéder aux illusions du soutien du profit égoïste comme solutiondes difficultés sociales.

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* Frédéric Boccara est économiste. Il est maître deconférences associé à l’Université de Paris 13 – Nord. Il estmembre du Conseil national du PCF.

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TRAVAIL DE SECTEURS

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

Le GrANd eNTreTieN

Pour un nouveaumodèle agricoleAlors que la colère monte dans le monde agricole comme en atteste l'actua-lité, xavier Compain, responsable du secteur Agriculture du Conseil nationaldu PCF, dresse un état des lieux. Il dessine les contours d'un nouveau modèlede production agricole conjuguant l'impératif écologique à la nécessité denourrir l'humanité.

e mécontentement dans lemonde agricole est trèspuissant. des biens publicsont été dégradés à Morlaix.quel regard portez-voussur la situation ?

Le nombre d’exploitations agricoles n’acessé de diminuer depuis plusieurs décen-nies. en 10 ans, un quart des exploitationsagricoles a disparu. La majorité des agri-culteurs est victime d’un modèle agricoleproductiviste, qui dans un contexte delibéralisation des marchés agricoles,conduit certains à s’agrandir ou à inten-sifier leur activité alors que d’autres sontcondamnés à cesser leur métier.L’agriculture est de plus en plus duale avecune minorité d’entreprises agricoles deplus en plus grandes intégrées aux mar-chés internationaux et aux filières agro-industrielles et beaucoup d’agriculteursqui vivent souvent dans une grande pré-carité et dont l’activité est remise en ques-tion au gré des crises agricoles. il y a troisfois plus de suicides chez les agriculteursque dans la population totale. de nom-breux jeunes renoncent à s’installer. Lemontant des investissements nécessaires,les perspectives de revenus et le difficileaccès au foncier (coût et concurrence)constituent autant de freins à l’installa-tion. Le renouvellement des générationsen agriculture est actuellement insuffi-sant pour maintenir le nombre d’exploi-tations agricoles qui continue à s’effon-drer au rythme de 20 000 par an.L’agriculture s’inscrit aujourd’hui dans depuissantes filières agro-financières domi-nées par l’aval et par l’amont (agrobusi-ness et grande distribution). Les récentsscandales alimentaires témoignent desdérives de l’agro-industrie, fondée sur larecherche du moins-disant social et envi-ronnemental et où priment les seuls inté-

rêts financiers. Le développement desfirmes en amont et en aval s’accompagned’une captation croissante de la valeurajoutée agricole au détriment des agri-culteurs et des consommateurs et d’unedétérioration de la qualité des aliments.depuis les années 1990, la libéralisationdes marchés agricoles a peu à peu suc-cédé aux efforts entrepris les décennies

précédentes pour disposer de politiquesagricoles fortes afin d’assurer la sécuritéalimentaire. depuis 1992, les réformessuccessives de la Politique agricole com-mune (PaC) dans le cadre de l’offensivelibérale, ont progressivement conduit àla suppression des outils de régulation età l’ouverture des marchés agricoles à laspéculation financière, ce qui entraîne

L

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TRAVAIL DE SECTEURS

une forte volatilité des prix agricoles. Lesystème d’aides directes, fondamenta-lement injuste et créateur de rentes, favo-rise la concentration de la production ausein de chaque pays et renforce la concur-rence entre les agricultures européenneset entre l’europe et de nombreux pays dusud. Lors de la récente renégociation dela Politique agricole commune (2014-2020), le Front de gauche comme le Partide la gauche européenne (Pge) ontdénoncé la soumission de l’agricultureeuropéenne à la mondialisation libérale. Cette dernière mouture de la PaC pour-suit le démantèlement des mécanismesde protection douanière et de gestion desmarchés (quotas laitiers en 2015) alorsqu’elle favorise les mécanismes d’assu-rances privées. en matière écologique, le« verdissement » de la PaC n'aura consti-tué qu’un écran de fumée. Le système

d’aides directes restera inégalitaire entreterritoires et entre agriculteurs. Les rentesde situation seront maintenues pour lesplus grosses entreprises. Le gouvernement ne porte pas de projetde rupture avec le modèle actuel, maisun projet d’agriculture « duale » : certesil affirme sa volonté de soutenir l’agricul-ture biologique mais au nom du respect

de la « diversité » de l’agriculture, il neremet pas en cause le libéralisme pour lamajorité des systèmes et sur la plus grandepartie du territoire au nom de la « com-pétitivité » de l’agriculture. La colère des légumiers bretons étaitempreinte de tous ces maux qui minentl'agriculture, même si je pense que ciblerdes biens publics était mal choisi.

dans les ventes militantes de fruits etlégumes organisées avec le Modef,vous dénoncez les marges de lagrande distribution qui étranglent lesproducteurs comme les consomma-teurs. Comment y remédier ?Les stratégies de marge de la grande dis-tribution continuent d'être appliquéessans vergogne. Les gouvernements suc-cessifs depuis deux décennies ont au tra-vers des lois de modernisation (Lme) et

de régulation économique (Lre), permisaux distributeurs d'avoir les coudéesfranches. Faute de police des prix, la puis-sance publique laisse les producteurssubir des prix d'achat trop souvent infé-rieurs au coût de production.Pour la distribution, l'accroissement desimportations vise à compresser toujoursplus les prix d'achat aux producteurs.

Cette dernière qui affiche maintenantl'approvisionnement en fruits et légumeslow cost, aux conditions de dumpingsocialet environnemental quasi affichées.Le ticket de caisse des consommateursflambant, le plus grand nombre d'entreeux ne peut satisfaire les recommanda-tions de la santé : consommer cinq fruitset légumes par jour. Pour couronner letout, les pratiques salariales de ce sec-teur sont malheureusement souvent à lapointe de la déréglementation du travail :des salariés contraints au travail à duréedéterminée, horaires dérégulés, ruptureconventionnelle… Face aux actionnaires de ces groupesdominateurs, il ne peut suffire d'en appe-ler à leur simple « responsabilité » pour« ne pas spéculer sur une baisse descours » comme l'a indiqué récemment leministre de l'agriculture aux parlemen-taires, à la manière d'un ancien présidentde la république qui voulait moraliser lecapitalisme.

« Faute de policedes prix, la

puissance publiquelaisse les

producteurs subirdes prix d'achattrop souvent

inférieurs au coûtde production. »

« Cette dernière mouture de la PACpoursuit le démantèlement des

mécanismes de protection douanière et degestion des marchés alors qu’elle favoriseles mécanismes d’assurances privées. »

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quelles sont vos propositions ?si pour nous communistes l'augmenta-tion des salaires, la revalorisation des pen-sions, porter le smiC à 1 700 euros sontles conditions de conquête du pouvoird'achat, nous proposons dans l'immédiatle blocage des prix des denrées alimen-taires de base.rémunérer justement les producteurs etmieux répartir la valeur ajoutée dans lesfilières agricoles est essentiel à toute ambi-tion de nouveau type de développementagricole. L'initiative de vente solidaire defruits et légumes du PCF, en partenariatavec le syndicat agricole modeF posel'exigence d'encadrement des marges etpratiques de la grande distribution.Propositions auxquelles les parlemen-taires communistes donnent un prolon-gement dans les hémicycles, en deman-

dant l'application immédiate ducoefficient multiplicateur. Nous en fai-sons un des premiers engagements degauche nécessaire et responsable.

Le PCf défend l'agriculture pay-sanne. quels en sont les contours ?Le PCF s’engage pour un nouveau modèleagricole produisant une alimentation saineet de qualité, accessible à tous ; assurantune juste rémunération aux agriculteurs,comme aux salariés des filières agroali-mentaires ; créant des emplois par uneréappropriation sociale et une relocalisa-tion de l'alimentation, et contribuant àengager la transition agro-écologique del’agriculture une véritable révolution des modes deproduction est nécessaire pour passer àune agriculture agro-écologique, respec-tueuse de la santé des agriculteurs, dessalariés de l’agriculture et de la popula-tion, protégeant l’environnement et la bio-diversité et contribuant à la lutte contrele changement climatique. repenser lessystèmes de production et les pratiquesagricoles est indispensable. La produc-tion doit s’orienter vers des systèmes plusécologiques, autonomes et diversifiés,faiblement consommateurs de res-sources non renouvelables (carbone fos-sile) pour sortir des impasses dans les-

quelles la logique productiviste a conduitl’agriculture française. il nous fautaujourd’hui stopper la consommationtoujours plus importante de pesticideset d’herbicides de synthèse, inverser leprocessus d’hyperspécialisation des ter-ritoires qui occasionne des pollutions envi-ronnementales, fragilise l’économie ter-ritoriale ou éloigne la production desbassins de consommation. La relocalisation des productions et ledéveloppement de circuits de proximitéconstituent un des fondements de la tran-sition écologique de l’agriculture. il s’agitde développer les productions fourra-gères, en les associant étroitement auxproductions animales et aux autres pro-ductions végétales, afin de reconquérirnotre indépendance protéique (utilisa-tion de plantes fourragères produisant

des protéines à partir de l’azote atmo-sphérique) et de diminuer l’utilisation d’en-grais chimiques, tout en limitant les conta-minations de l’environnement par lesnitrates ; de rapprocher les lieux de pro-duction et d’utilisation des produits agri-coles (consommation humaine et trans-formation) afin de diminuer les coûts etles conséquences écologiques du trans-port, tout en facilitant l’accès à tous à desproduits de qualité. Le PCF défend une politique foncièrerénovée pour juguler le processus d’ur-banisation des terres agricoles et stop-per la spéculation sur les terres dans l’at-tente d’un changement d’affectation dusol. il faut soustraire les élus locaux auxpressions qu’ils subissent pour l’artificia-lisation (perte de leur caractère agricole)des terres de leur territoire. Cette poli-tique foncière doit également permettred’inverser le processus de concentrationde la production et garantir l’accès au fon-cier des jeunes agriculteurs qui souhai-tent s’installer et des plus petites exploi-tations, notamment à proximité des villesoù la spéculation foncière est la plus forte.La création d’emplois directs dans le sec-teur agricole et la fin de l’exclusion desexploitations les plus fragiles sont indis-sociables de notre projet car l’agriculturepaysanne requiert beaucoup plus d’em-

plois. il s’agit également d’inverser le pro-cessus de concentration de la terre et dela production qui condamne à la diminu-tion inexorable du nombre d’exploitationsagricoles. L'agriculture paysanne vise aussil’amélioration des conditions de travailpour les agriculteurs et les salariés : tra-vailler moins et mieux, diversifier lestâches, améliorer la sécurité au travail,mais aussi retrouver le sens du travail avecle vivant. il faut repenser le travail saison-nier, le statut des aides familiaux et évi-demment la place des femmes dans lesecteur (paysannes ou salariées dans l’in-dustrie de la transformation).

est-ce un modèle en mesure derépondre aux besoins de l'huma-nité ?Le modèle agricole que nous voulons doitassurer une juste rémunération des tra-vailleurs de l’agriculture sans quoi l’attraitdu métier de paysan et la pérennité et lacroissance des emplois sont compromis.La restauration de prix agricoles rémuné-rateurs passe aussi par la remise en causede l’alignement des prix agricoles sur lescours mondiaux calqués sur les produc-teurs les plus compétitifs – souvent aumépris du respect des droits des travail-leurs et de l’environnement. Les marchésagricoles doivent être sortis de la logiquede libéralisation et régulés. La politiqueagricole doit répondre aux objectifs desatisfaction des besoins humains en assu-rant la souveraineté alimentaire deseuropéens tout en préservant et en ren-forçant les agricultures fragilisées des paysdu sud. Le PCF souhaite le renforcementdes mécanismes de régulation des mar-chés agricoles. Les politiques agricoleseuropéenne et française doivent soute-nir les systèmes agricoles qui maintien-nent ou créent des emplois et qui préser-vent l’environnement. il faut abandonnerla ritournelle libérale qui pose en principela recherche d’une plus grande « compé-titivité » de l’agriculture. Le budget de laPaC doit être maintenu mais la réparti-tion des aides doit être complètementrepensée pour viser une plus grande jus-tice et servir l’objectif de transition éco-logique de l’agriculture.

L'année internationale de l'agriculture vase clore fin 2014, alors qu'à tous les niveauxles défis alimentaires sont à relever.L'agriculture paysanne, la pêche artisa-nale sont de nature à répondre à l'ambi-tion d'un nouveau type de développe-ment humain durable auquel veutrépondre le projet communiste. n

« Une véritable révolution des modes deproduction est nécessaire pour passer d’un

modèle agricole productiviste à uneagriculture agro-écologique, respectueusede la santé des agriculteurs, des salariés del’agriculture et de la population, protégeant

l’environnement et la biodiversité… »

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Bolivie : le PCF salue la victoired'Evo Morales à l'électionprésidentielleLe Parti communiste français salue la très belle vic-toire d'Evo Morales à l'élection présidentielle de cedimanche 12 octobre. Pour la troisième fois, une grandemajorité des Boliviens a exprimé son souhait d'allerplus loin dans les transformations qui ont redonné àla Bolivie la maîtrise de ses richesses, utiliséesaujourd’hui pour le développement humain. Plus d'undemi-million de personnes a pu sortir de la pauvretégrâce à l'action déterminée du gouvernement qui apermis l'accès à l'éducation, à la santé et à une retraitedigne.

Le Parti communiste français adresse ses plus chaleu-reuses félicitations au président Evo Morales Ayma, auvice-président Alvaro Garcia Linera, au peuple boli-vien et réaffirme sa solidarité avec la révolution démo-cratique et culturelle qui entre dans une nouvelle étaperenforcée par les résultats de cette élection.

SECTEUR INTERNATIONAL

Transition énergétique : un projetde loi qui ne nous convient pas !Les députés communistes n’ont pas voté la loi de tran-sition énergétique pour la croissance verte débattue àl’Assemblée nationale.

Cette loi comporte des objectifs que nous ne partageonspas et pour certains incohérents.Si nous partageons le développement des énergiesrenouvelables, cela doit se faire dans un cadre maîtriséau sein d’une filière professionnelle. Il n’est plus possi-ble de faire supporter le surcoût exorbitant aux Françaisvia leur facture. Rien que pour les deux projets d’éolienoffshore, c’est 35 milliards d’euros.

La réduction de la part du nucléaire de 75 % à 50 % àl’horizon 2025 est édictée comme un dogme. Et estcontradictoire avec l’objectif de réduire nos émissionsde CO2. Notre production d’électricité est décarbonnéeà plus de 85 %, ce n’est donc pas dans ce secteur quenos efforts doivent se concentrer mais dans le secteurdu transport, qui est le premier contributeur de nosémissions de CO2 et le gouvernement n’y prête guèreattention. C’est le grand oublié de la loi !

Quant à la réduction par deux de notre consommationd’ici 2050, cela occulte complètement la nécessaire réin-dustrialisation de notre pays. Cette perspective est com-plètement incohérente avec l’évolution démographiquede notre pays dont les prévisions s’acheminent vers 70millions d’habitants en 2050.

Faire le choix de la mise en concurrence des barrages,

c’est le choix de la destruction de la cohérence du poten-tiel national au seul profit des appétits des grands groupesprivés, le choix de la mise en cause de la stabilité de lafourniture d’électricité, le choix de la hausse des prixpour les ménages et les entreprises. Cela fera peser desrisques inconsidérés pour les fonctions sociales et éco-logiques des barrages, notamment en matière de ges-tion de l’eau.

Quant à la lutte contre la précarité énergétique, nousavons réussi à inscrire la reconnaissance d’un droit àl’énergie et nous pouvons nous en féliciter. Par contre,la mise en place du chèque énergie avec la disparitiondes actuels tarifs sociaux pour l’électricité et le gaz risquede laisser beaucoup de familles sur le carreau. Nous nesavons toujours pas à quelle hauteur il sera financé, niquelles seront les conditions de son obtention et de sonextension au bois et au fuel.

Si la rénovation énergétique dans les logements faitconsensus, le financement reste flou. Et la politique dugouvernement de réduction budgétaire ne nous rassurepas ! Il aurait fallu, pour être en mesure de dégagerdemain les financements, d’évaluer les montants desinvestissements. Le Parti communiste français conti-nuera, lors du passage de la loi au Sénat, à tenter d’ap-porter les améliorations nécessaires

SECTEUR ÉCOLOGIE-ÉNERGIE

Prix Nobel de la paix : Le combatcourageux de Malala estuniverselAu nom du Parti communiste français, Laurence Cohen,responsable de la commission Femmes-féminismetient « à saluer l’attribution du prix Nobel de la paix àMalala Yousafzaï. Chacun se souvient de l’acte barbarecommis par les Talibans contre cette jeune Pakistanaise,volontairement prise pour cible, parce qu’elle défen-dait le droit à l’éducation des jeunes filles, le droit desfemmes, la laïcité. Cette reconnaissance internatio-nale rend hommage à son courage et sa déterminationface aux idées extrémistes et rétrogrades. »« Nous adressons nos plus vives félicitations à Malalapour ce prix qui honore les valeurs qu’elle défend etque nous partageons. Son combat courageux est uni-versel : celui de toutes celles et de tous ceux qui veu-lent voir triompher le progrès, l'égalité et le respecthumain » conclut-elle.

SECTEUR FEMMES-FÉMINISME

BRÈVES DE SECTEUR

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alaise, fatigue, désen-chantement, l'essouf-flement de la démocra-tie se décline sur tousles tons. Le bilan estlourd : abstention mas-

sive, promesses méprisées, pouvoirsconfisqués, présidentialisme métho-dique, parlement bafoué. Valls citeBonaparte ou Clemenceau et s'autoriseune sortie contre « une intenable repar-lementarisation à outrance » on entre-prend des réformes, comme celle descollectivités territoriales, on négocie destraités, comme le traité transatlantique,à la hâte, sans concertation aucune. Ladémocratie se porte mal. Pourtant cer-tains observateurs euphémisent, tel ledésinvolte michel rocard : « Faiblessepolitique de la démocratie ? C'est uneconstante. Jamais nulle part la démo-cratie n'a enthousiasmé sauf là où ellemanque. » or s'il est une constante danstoutes les études d'opinion, et depuisfort longtemps, c'est le désir citoyend'être consulté, de dire son mot, decompter.

Gros appétitdémocratiqueOn entend dire volontiers que l'actuelle crise démocratique résulterait,entre autres, d'un manque d'intérêt du citoyen, d'une indifférence coupa-ble de sa part pour les affaires de la cité. Le pékin serait passif, point. C'estfaux. Les enquêtes d'opinion montrent au contraire « une réelle appétencepour la participation aux décisions publiques ». Singulièrement dans lescatégories les plus modestes, les plus critiques sur l'état de la démocratie etles plus en demande de participation.

Premier élément de cette étude : lesFrançais interrogés expriment une fortedemande d’écoute et de prise en comptede leur voix dans les processus décision-nels. Ce qui n’est pas à proprement par-ler la voie choisie par le pouvoir.Près de la moitié des personnes interro-gées estime ainsi que demander direc-tement l’avis des citoyens avant de pren-dre des décisions serait la meilleuresolution pour améliorer le fonctionne-ment de la démocratie. Les autres pistes

proposées (lutter contre l’influence desgroupes de pression, vérifier l’efficacitédes lois, chercher des points d’accordentre partis différents, lutter contre lesconflits d’intérêts, demander l’avis d’ex-perts) arrivent loin derrière ce qui appa-raît aux Français comme un indispensa-ble préalable.on notera avec intérêt que cet appel à

être davantage consulté s’exprime danstoutes les catégories de la populationmais est particulièrement présent chezles plus modestes.dans le même ordre d’idées, selon lasoFres, les pouvoirs publics, pour laquasi-totalité des Français, doiventdavantage consulter et tenir compte del’avis des citoyens. il s’agit même d’unepriorité pour 55 % d’entre eux. Là encore,l’attente est particulièrement forte chezles moins diplômés qui ont, davantage

que les autres, le sentiment de ne pasêtre pris en considération dans l’élabo-ration des décisions publiques.

Voilà qui balaie radicalement les consi-dérations désinvoltes, et trop à la mode,sur la passivité des milieux populaires.quand on leur demande leur solutionpréférée pour améliorer la manière dont

« Près de la moitié des personnesinterrogées estime ainsi que demanderdirectement l'avis des citoyens avant deprendre des décisions serait la meilleuresolution pour améliorer le fonctionnement

de la démocratie. »

PAR GÉRARD STREIFF

M

COMBAT D’IDÉES

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on prend des décisions, les deux-tiersdes Français se disent avant tout enattente d’une consultation directe descitoyens  ; seul un quart propose laconsultation d’organismes représenta-tifs (associations, syndicats, patronat…) ;les partisans de cette dernière optionse retrouvent singulièrement chez lescadres et les jeunes.toujours selon l’institut, ce développe-ment de la participation des citoyens estattendu à tous les niveaux : communes,départements, régions, national, euro-péen. Les sondés veulent des modesd’information et d’expression directedans des proportions massives : 96 %au niveau des communes, 84 % au planeuropéen !

L’étude estime qu’un Français sur cinqa pris part depuis deux ans (on est enjuin 2014 donc) à une réunion publique,un débat public ou une conférence decitoyens ; ces personnes semblent engarder le souvenir d’une expérience posi-tive puisque la quasi-totalité serait prêteà le refaire. « Ces niveaux de recomman-dation très élevés, commente la soFres,prouvent à nouveau cette forte appé-tence des Français pour la participationaux décisions qui les concernent ». elleajoute que la demande de participations’exprime d’autant plus fortement queles Français portent un regard sévère surle modèle politique actuel : ils sont 54 %à juger qu’à l’heure actuelle, la démocra-tie fonctionne mal dans le pays.Les plus critiques se retrouvent parmiles catégories populaires, les sondés lesplus modestes, les moins diplômés, ceuxqui vivent aussi à l’écart des grands cen-tres urbains.« Cette perception se nourrit entre autreschoses du sentiment, très présent dansles discours, du décalage de plus en plusimportant entre d’une part les citoyens,le « peuple » et d’autre part les décideurs,l’élite, qu’elle soit économique, adminis-trative ou politique. Les Français ont lesentiment que le fossé entre ces deuxunivers n’a cessé de se creuser entraî-nant une incompréhension mutuelle,d’où une difficulté pour eux d’appréhen-der et de consentir à des décisionspubliques qui seraient prises sans eux ».

dans tous les domaines testés (éduca-tion, social, sécurité, santé, logement…),les sondés considèrent à une large majo-rité qu’ils ne peuvent pas faire entendreleur point de vue dans le processus dedécision publique. Les deux secteurs oùles Français se sentent le moins sollici-tés (deux Français sur trois) sont l’éco-nomie et l’énergie.« une très large majorité n’a d’ailleurs pasle sentiment que les pouvoirs publicsaient fait des efforts (ces dix dernièresannées) pour davantage prendre encompte leur avis. » L’opinion est cepen-dant un peu plus positive concernant leniveau local, où un tiers des sondés noteune amélioration.est-ce que le développement d’internetet des réseaux sociaux pourrait permet-tre de participer davantage ? Les son-dés sont partagés à 50/50 sur cettequestion, les jeunes et les catégoriessociales supérieures (CsP) le pensent,les milieux plus modestes ou plus âgésen doutent.en majorité, les Français jugent que là oùils habitent, la démocratie locale fonc-tionne bien, et ce constat est partagéaussi bien par les cadres que par les

ouvriers. Pour eux, cet échelon local,c’est-à-dire celui des communes (et àl’échelle intercommunale), est vu comme« un espace où ils peuvent plus facile-ment participer ». Plus on s’élève dansles institutions (département, région,national, europe), moins ils pensent pou-voir se faire entendre.La même enquête pointe les souhaitset les inquiétudes des citoyens : attenteforte d’informations comme préalableà une participation utile ; sentiment mas-sif (72 %) que dans les débats publicsactuels, la décision est déjà prise, l’inter-vention citoyenne ne servant à rien ;méfiance à l’égard des « experts ».Le reste de l’enquête sur la modernisa-tion de la vie démocratique est nette-ment moins pertinent et fait, curieuse-ment, l’impasse sur la pratique deréférendum qui, tout de même, enmatière de débat public et d’avis citoyen,n’est pas anodine. À ce propos, on rap-pellera qu’un sondage publié cet été dansl’Humanité indiquait que 69  % desFrançais voulaient un référendum sur laréforme territoriale. n

FORTE DEMANDEDE PARTICIPATION

«L es français expriment une forte demande de participation : ils atten-dent d'être plus souvent consultés, écoutés, pris en compte et ce à tous

les niveaux de décision. Ce souhait est d'autant plus fort que les français por-tent un jugement sévère sur le fonctionnement actuel de la démocratie et semontrent méfiants à l'égard des institutions et du personnel politiques. à cetitre, ils sont donc en attente de garanties d'indépendance et de neutralité, pré-requis indispensable à leur participation.

Plus largement s'exprime le souhait d'un renouvellement des formes de la par-ticipation et d'accompagnement : par de la pédagogie et de l'information surles modalités de concertation mais aussi en rassurant les citoyens sur le faitque leur participation aura un effet sur la décision publique.

Autant d'éléments qui passent aux yeux des français par une meilleure sensi-bilisation des décideurs à l'écoute et au dialogue avec les citoyens afin de com-bler le fossé qui s'est creusé entre eux. »

Préface de l'enquête TNs/sofres pour la CNdP, 12 juin 2014

COMBAT D’IDÉES

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MOUVEMENT RÉEL

Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L’Idéologie allemande.

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ans ses prises de parole etses initiatives pour la paix, lepape François a fait réfé-rence, au long des mois, auxrisques de marche à une troi-sième guerre mondiale, au

travers des guerres locales en cours quiont leur base dans les contradictions dusystème économique mondialementdominant. dans cette démarche, il sesitue « au-delà des frontières et desappartenances » (radio Vatican) commeaussi au-delà des seuls référents histo-riques, célébrant des messes « pourtoutes les victimes de toutes les guerres »et pas seulement celles d’hier. Cesguerres (notamment la Première guerremondiale) sont, pour le pape Françoisqui reprend les mots de Benoît xV en1917, des « massacres inutiles ». depuisses appels au dialogue pour la syrie àl’automne 2013, pour l’ukraine, pour l’irak,en « terre sainte », dans les jardins duVatican, ou aussi en revenant en avionde Corée du sud en août 2014, le papeFrançois estime qu’il y a urgence. urgencepour les êtres humains, pour les peuples,à se rassembler, à agir pour la paix contreune « troisième guerre mondiale dissé-minée », car « aujourd’hui, nous sommesen guerre partout ! » (Conférence depresse en revenant de séoul, le 18 août2014)Pourquoi ? À la racine de ce type de mul-

Le pape, le capitalismeet le combat pour la paix

tiplication des conflits « disséminés », ily a les processus essentiels qui sontaujourd’hui ceux du système capitaliste« néolibéral » financiarisé. Le pape en acerné et identifié les traits majeurs dansson exhortation apostolique Evangelii

gaudium publiée à l’automne 2013 (PapeFrançois, La joie de l’Évangile. Exhortationapostolique, Bayard Éditions – Éditionsdu Cerf, 2013). Ces traits sont ceux d’unsystème qui « tue ».

voiCi Ce qUe Le PAPe LUi-MêMe éCriT :« de même que le commandement de‘‘ne pas tuer” pose une limite claire pourassurer la valeur à de la vie humaine,aujourd’hui, nous devons dire ‘‘non à uneéconomie de l’exclusion et de la dispa-rité sociale”. une telle économie tue. iln’est pas possible que le fait qu’une per-sonne âgée réduite à vivre dans la ruemeure de froid ne soit pas une nouvelle,tandis que la baisse de deux points enbourse en soit une. Voilà l’exclusion. onne peut plus tolérer le fait que la nourri-ture se jette, quand il y a des personnesqui souffrent de la faim. C’est la dispa-rité sociale. aujourd’hui, tout entre dansle jeu de la compétitivité et de la loi duplus fort, où le puissant mange le plusfaible. Comme conséquence de cette

situation, de grandes masses de popu-lation se voient exclues et marginalisées :sans travail, sans perspectives, sans voiesde sortie. on considère l’être humain enlui-même comme un bien de consom-mation, qu’on peut utiliser et ensuite

jeter. Nous avons mis en route la culturedu ‘‘déchet’’, culture qui est même pro-mue. il ne s’agit plus simplement du phé-nomène de l’exploitation et de l’oppres-sion, mais de quelque chose de nouveau :avec l’exclusion est touchée, dans saracine même, l’appartenance à la sociétédans laquelle on vit – on ne situe plusalors dans les bas-fonds, ni dans la péri-phérie, ou sans pouvoir, mais on est endehors. Les exclus ne sont pas des‘‘exploités’’, mais des déchets, des‘‘restes’’.dans ce contexte, certains défendentencore les théories de la ‘‘rechute favo-rable’’, qui suppose que chaque crois-sance économique, favorisée par le libremarché, réussit à produire en soi uneplus grande équité et une inclusionsociale dans le monde. Cette opinion,qui n’a jamais été confirmée par les faits,exprime une confiance grossière et naïvedans la bonté de ceux qui détiennent lepouvoir économique et dans les méca-nismes sacralisés du système écono-mique dominant. en même temps les

« On considère l’être humain en lui-mêmecomme un bien de consommation, qu’on

peut utiliser et ensuite jeter »D

Le pape François estime qu’il y a urgence pour les êtres humains, pour lespeuples, à se rassembler, à agir pour la paix contre une « Troisième guerremondiale disséminée ».

PAR ANTOINE CASANOVA*

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MOUVEMENT RÉEL

exclus continuent à attendre. Pour pou-voir soutenir un style de vie qui exclut lesautres, ou pour pouvoir s’enthousias-mer avec cet idéal égoïste, on a déve-loppé une mondialisation de l’indiffé-rence. Presque sans nous en apercevoir,nous devenons incapables d’éprouverde la compassion devant le cri de dou-leur des autres, nous ne pleurons plusdevant le drame des autres, leur prêterattention ne nous intéresse pas, commesi tout nous était une responsabilitéétrangère qui n’est pas de notre ressort.La culture du bien-être nous anesthé-sie et nous perdons notre calme si lemarché offre quelque chose que nousn’avons pas encore acheté, tandis quetoutes ces vies brisées par manque depossibilités nous semblent un simplespectacle qui ne nous trouble en aucunefaçon.Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent.une des causes de cette situation setrouve dans la relation que nous avonsétablie avec l’argent, puisque nousacceptons paisiblement sa prédomi-nance sur nous et sur nos sociétés. Lacrise financière que nous traversonsnous fait oublier qu’elle a, à son origine,une crise anthropologique profonde : lanégation du primat de l’être humain !Nous avons créé de nouvelles idoles.L’adoration de l’antique veau d’or (cf.Exode 32, 1-35) a trouvé une nouvelle etimpitoyable version dans le fétichismede l’argent et dans la dictature de l’éco-

nomie sans visage et sans but. La crisemondiale qui investit la finance et l’éco-nomie manifeste ses propres déséqui-libres et, par-dessus tout, l’absence graved’une orientation anthropologique quiréduit l’être humain à un seul de sesbesoins : la consommation.

alors que les gains d’un petit nombre s’ac-croissent exponentiellement, ceux de lamajorité se situent bien loin du bien-être decette heureuse minorité. Ce déséquilibreprocède d’idéologies qui défendent l’au-tonomie absolue des marchés et la spé-culation financière. Par conséquent, ils

nient le droit de contrôle des États char-gés de veiller à la préservation du biencommun. une nouvelle tyrannie invisi-ble s’instaure, parfois virtuelle, qui imposeses lois et ses règles, de façon unilaté-rale et implacable. de plus, la dette etses intérêts limitent les pays dans leurschoix économiques et les citoyens dansleur pouvoir d’achat réel. » (La joie del’Évangile. Exhortation apostolique)

sAUver LA PAix AveC Les PeUPLesdans ce cadre, la racine des conflitsréside dans « le maintien » d’un systèmeéconomique qui « n’est plus viable »(entretien le 13 juin 2014 au journal cata-

lan La Vanguardia). « Pour survivre »,analyse le pape, le système « doit fairela guerre comme l’ont toujours fait lesgrands empires ». mais, « étant donnéqu’on ne peut pas faire la troisièmeguerre mondiale, alors on fait des guerreslocales. » Le développement des initia-

tives, des partages, leur amplificationsont indispensables pour sauver la paixavec les peuples. dans l’avion qui leramène de séoul, en août dernier, ildéclare que, lorsque les activités degroupes fanatiques criminels le rendentnécessaire, « il est licite d’arrêter l’agres-

seur, je dis bien arrêter, je ne dis pas bom-barder ou faire la guerre » et cela ne peutse faire que dans le cadre de l’oNu et deson Conseil de sécurité. et en poursui-vant par ailleurs les efforts pour rassem-bler les peuples pour construire et impo-ser la paix sans cesse. Ces propos sontdans le prolongement de ce que le papeavait écrit dans son exhortation apos-tolique de 2013 : « la disparité socialeengendre tôt ou tard une violence quela course aux armements ne résout nine résoudra jamais. elle sert seulementà chercher à tromper ceux qui réclamentune plus grande sécurité, comme siaujourd’hui nous ne savions pas que lesarmes et la répression violente, au lieud’apporter des solutions, créent desconflits nouveaux et pires. » (La joie del’Évangile. Exhortation apostolique)en septembre 2015, le pape doit pren-dre la parole à l’oNu, à New York, cin-quante ans après Paul Vi qui y déclara :« Plus jamais la guerre ! »dans les luttes pour la paix, ces paroleset ces actes ont une portée immensepour l’humanité. n

« Pour pouvoir soutenir un style de vie qui exclut les autres, ou pour pouvoirs’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation

de l’indifférence. »

« La crise financière que nous traversonsnous fait oublier qu’elle a, à son origine, unecrise anthropologique profonde : la négation

du primat de l’être humain ! »

*Antoine Casanova est historien. Ilest directeur de La Pensée.

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HISTOIRE

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

a question religieuse surgitdans l’effervescence de l’ac-tualité. elle se traduit en ques-tion culturelle : comment faireavec tant de ruptures de trans-mission, d’amnésie, d’inculture

religieuse ? elle se développe en ques-tion de société : comment gérer le pluri-religieux, l’hétérogénéité culturelle, lesrevendications communautaristes iden-titaires ? et elle se décline en questionspécifiquement disciplinaire : commentmettre en mots les sujets spécifique-ment religieux ? Comment traiter desreligions dont les traditions sont souventsources de crispations, de fermetures,d’intolérance et de fanatisme ? il fauttout d’abord bien préciser ce que l’onentend dans les expressions « fait reli-gieux  » et «  religion  ». expressionsambiguës, car chargées d’une histoirequi surdétermine la première du seulpoint de vue christiano-romain et quimaintient la seconde dans un flou.

Les oriGiNes dU MoTreLiGioNLe terme français « religion » vient dulatin religio. dans l’antiquité, ce terme

Ce que l’idée de « religion »doit à l’Antiquité romaineTraiter de la religion dans son développement historique devrait permettre derendre lisible le patrimoine dont nous héritons. L'enjeu est ici d’ordre social etpolitique, et au vif des problèmes d'aujourd'hui.

caractérisait le rituel qui assure le ras-semblement. il exprimait le comporte-ment civique qui consiste à respecterce qui est sacré. il relevait du vocabu-laire de la citoyenneté, avant qu’il ne soitinvesti par une autre conception, venued’une nouvelle institution à la fois théo-logique et politique : le christianismed’empire.

La double étymologie de religio portecette ambiguïté et ce glissement de sens.Religere est un verbe qui désigne unepratique, l’accomplissement scrupuleuxdes observances rituelles, ce qui est del’ordre de la piété et du respect. Les pre-miers chrétiens du monde latin ne seretrouvaient pas dans cette définitiond’une religion finalement sans croyance.La religion romaine était celle de la citéromaine, civitas Romana, c’était uneaffaire civique, un peu comme les célé-brations républicaines d’aujourd’hui qui

mettent en avant les valeurs de mémoireet de respect indépendamment desconvictions et des engagements per-sonnels.Plus tard les disciples du Christ ont reprisle terme de religio, mais en le faisant déri-ver d’un autre verbe latin, religare, relier.relier l’homme au divin : cette vertica-lité fonde le rassemblement horizontal,la communion humaine, l’Église. et enrégime d’empire et de religion d’État, reli-gare et religere vont fusionner. aucontrôle des pratiques rituelles (litur-giques et sacramentelles) s’ajoute celuides consciences (les croyances et lafaçon de bien les formuler et de se com-porter conformément à celles-ci). Lechristianisme devient alors « vera reli-gio », la seule « vraie religion du vrai dieu »selon l’expression de tertullien dans sonApologétique en 197. La religion institu-tionnalisée en religion d’État va structu-rer le régime de chrétienté.

LA reLiGioN ChréTieNNe, LAJUGe eT LA JAUGe deToUTes Les AUTresCelui-ci a fini par modéliser ce qu’onappelle la « religion ». Cette conceptions’est si bien imposée qu’elle est deve-nue une sorte de référentiel obligé. si,pour chaque croyant chrétien, sa reli-gion est considérée comme la religion,la religion chrétienne devient la juge etla jauge de toutes les autres, le maître

« La religioninstitutionnalisée enreligion d'État va

structurer le régimede chrétienté. »

PAR RENÉ NOUAILHAT*

L

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HISTOIRE

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étalon à partir duquel toute autre formereligieuse, a priori inférieure, est évaluée.La religion ainsi entendue est devenueune catégorie générale et anhistorique,

et a fonctionné de la sorte pour nommeret appréhender tout ce qui sera désor-mais défini comme « religion ». Ce piègede l’ethnocentrisme, qui se retrouve danstous les courants culturels, a été parti-culièrement dévastateur dans un mondeoù le christianisme a aussi été la religiondes grandes entreprises coloniales del’expansionnisme européen. La tenta-tion d’universaliser une expérience sin-gulière a marqué les analyses prétendu-ment scientifiques des religions. mauricesachot, qui a bien analysé ce phéno-mène du « christianocentrisme », enparle en termes d’autisme intellectuelet d’aveuglement. il relève par exemple,dans un ouvrage de l’éminent spécia-liste de la culture des anciens grecs quefut Jean-Pierre Vernant, cette étrangedéfinition toute en négatif de la religiongrecque, présentée au seul regard de lareligion chrétienne : « La religion grecquearchaïque et classique est étrangère àtoute forme de révélation : elle n’a connuni prophète ni messie. Cette traditionreligieuse n’est pas uniforme ni stricte-ment fixée ; elle n’a aucun caractère dog-matique. sans caste sacerdotale, sans

clergé spécialisé, sans Église, la religiongrecque ne connaît pas de livre sacré oùla vérité se trouverait une fois pour toutesdéposée dans un texte. elle n’impliqueaucun Credo imposant aux fidèles unensemble cohérent de croyancesconcernant l’au-delà » (Mythes et reli-gion en Grèce ancienne).La définition de la « religion » héritée duchristianisme latin et romain ne sauraitcaractériser l’ensemble du phénomènereligieux. elle ne s’applique ni auxsagesses grecques, ni au bouddhismeni à l’animisme, et pas davantage auxcourants religieux d’aujourd’hui héritésd’une chrétienté éclatée dans des tra-ditions déconstruites ou autrementrecomposées. Parler de religions boud-dhistes ou animistes, c’est appliquer àces phénomènes une grille conceptuelletirée non de leur observation générale,ce qui serait la plus élémentaire des règlesépistémologiques, mais d’une religionsingulière abusivement modélisée.Les premières communautés chré-tiennes ne se reconnaissaient pas dansce concept de « religion ». Pour dire leurexpérience de croyants, les chrétiensdes premiers siècles ont préféré le termede foi, en latin fides, terme venu d’unréférentiel juridique romain pour direl’attitude de qui s’en remet à une autrepersonne. Pour le chrétien, cette per-sonne, c’est le Christ. Ce qui s’est passépour la catégorie de «  religion  » seretrouve pour toutes les façons de direce que vivent les chrétiens. ils ont reprisdes expressions et des catégories anté-rieures, nécessairement inadéquates,avant de créer leur propre discours.il en a été de même avec les représen-tations picturales : les premières figura-tions du Christ sont reprises des mytho-logies du temps. sur les élémentsdécoratifs des lieux de culte (peintures,plus tard mosaïques ou sculptures) ousur des objets du quotidien (lampes àhuile, cuillers, peignes, etc.), le Christ futd’abord représenté en nouvel Hercule,en dieu soleil Hélios, en Bon Pasteur à lafaçon du mythe d’orphée. Les premières

basiliques qui deviendront églises autemps de l’empire chrétien n’exprimentque leur ancienne fonction de grandesalle publique de l’administrationromaine. il faut attendre plusieurs siè-cles pour que s’affirme un art chrétienoriginal.

Le CoUrANT ChréTieNLes sociétés humaines, sur toute la pla-nète et de tous les temps, à petite ougrande échelle, se sont structuréesautour d’un originaire, décliné en ori-gines historiques, en moments fonda-teurs, en figures emblématiques, en réfé-rences sacrées. Le spirituel porte laquestion de cet originaire. Les religionsont institutionnalisé cette « fonctionméta » dans un ensemble théologico-politique. et cet ensemble, quand il seconstitue historiquement en structurede pouvoir, quadrille la vie sociale, réguleles croyances et dirige les consciences.Le cas du courant chrétien est exem-plaire. École de sagesse ou de philoso-phie en régime de pensée grecque, il s’estinstitutionnalisé en « religion » dans lecadre impérial de son développementromain. devenu « christianisme », avecla figure du Christ qui accomplit à la foisl’originaire et l’origine, il a joué ce rôlestructurant par excellence dans nossociétés occidentales pour l’espace etle temps, de la naissance à la mort, etjusqu’à nos représentations collectiveset personnelles. dans un pays commela France, l’Église catholique a pu ainsidevenir le grand « service public » desvies personnelles et de toute la nation. n

« La définition dela “religion“ héritéedu christianismelatin et romain nesaurait caractériserl'ensemble duphénomènereligieux. »

*René Nouailhat est historien. Il est le fondateur de l'Institut deformation à l'étude etl'enseignement des religions (IFER)du Centre universitaire catholique deBourgogne.

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

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Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

e 22  février 2014, malgré lesconditions de sortie de crisenégociées quelques jours aupa-ravant, le président ukrainien V.ianoukovitch, qui avait ennovembre 2013 refusé de signer

un accord d’association avec l’union euro-péenne, était contraint d’abandonner lepouvoir après plusieurs mois de contes-tation populaire. en mars 2014, le nou-veau gouvernement, rassemblant desanciens ministres, des technocrates pro-occidentaux et des nationalistes, étaitincapable d’empêcher la Crimée, seulerégion majoritairement peuplée par desrusses, d’être annexée par la russie à l’is-sue d’un référendum non reconnu par lesautorités de Kiev ni par la communautéinternationale. un mois plus tard, des com-bats se déclenchaient dans les régionsorientales (donetsk, Lougansk) entre desforces sécessionnistes soutenues par larussie et l’armée régulière ukrainiennerenforcée par des bataillons de volon-taires essentiellement issus de la mou-vance nationaliste. début septembre, uncessez-le-feu fragile est signé, alors queles combats ont fait plusieurs milliers demorts, notamment civils, et conduit, selonle HCr (Haut Commissariat des Nationsunies pour les réfugiés), plus de 500 000habitants du donbass à se réfugier dansd’autres régions d’ukraine et en russie.

Entre contestation sociale, fractures nationales et rivalités internationales lacrise questionne tout autant la trajectoire post-soviétique de l'Ukraine que laredéfinition des équilibres géopolitiques en Europe.

de même que la « révolution orange », quiavait vu l’arrivée au pouvoir des « proeu-ropéens  » V.  iouchtchenko et i.timochenko contre le «  pro-russe  »V. ianoukovitch en 2004, la crise actuellese déroule à différentes échelles, entre

contestation sociale, fractures nationaleset rivalités internationales. elle questionnetout autant la trajectoire post-soviétiquede l’ukraine que la redéfinition des équi-libres géopolitiques en europe.

MéCoNTeNTeMeNT soCiAL,Crise PoLiTiqUetout au long des manifestations organi-sées au cœur de Kiev sur la place maïdanau cours de l’hiver 2013-2014, une pro-fonde aspiration au changement s’estexprimée, alors que le pays, gangrené parune oligarchie corrompue, connaît une

situation économique et sociale dégra-dée depuis plusieurs décennies. elle afédéré un spectre politique hétéroclite,allant des anarchistes de gauche à desgroupes nationalistes néonazis influents,en passant par des partis libéraux proeu-

ropéens ou des organisations de défensedes droits de l’homme. Cette oppositiona été particulièrement forte à Kiev, dansles régions centrales et plus encore dansles régions occidentales, tandis que lesrégions méridionales et orientales, quiavaient porté V. ianoukovitch au pouvoir,sont plutôt restées en marge de la contes-tation.de nombreux motifs de mécontentementont guidé les ukrainiens engagés de prèsou de loin dans maïdan : le niveau de vie,la corruption, l’affairisme, le déficit démo-cratique, le positionnement géopolitique

PAR JULIEN THOREZ*

L

Ukraine : repositionnementgéopolitique etfragmentation nationale

Présidentielle 2014 en Ukraine : score de Petro Porochenko (en % des exprimés)

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

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pro-russe de V. ianoukovitch, etc. depuisl’accession au pouvoir du nouveau gou-vernement, la politique menée sous lahoulette du président-homme d’affairesP. Porochenko conserve toutefois uneorientation libérale mais elle privilégie uneapproche euro-atlantiste. elle fait déjàl’objet de critiques de la part de certainsmilitants « révolutionnaires », alors queles mesures visant à empêcher l’actiondu Parti communiste ukrainien, qui n’avaitpas soutenu la contestation, laissent pla-ner le doute sur les pratiques démocra-tiques du nouveau régime. Par-delà le ren-versement d’un clan, la question duchangement de système reste entière-ment posée.

UN éTAT éCLATé ?Le manque de légitimité du nouveau pou-voir dont l’une des premières mesuresannoncées fut de proposer de réviser lestatut de la langue russe dans les régionsorientales, a été tel dans ces régions rus-sophones qui avaient plaidé pour unefédéralisation de l’État ukrainien, que l’uniténationale a été rapidement remise encause. or, comme l’ensemble des paysd’europe orientale, l’ukraine est uneconstruction territoriale récente : sesrégions occidentales (galicie, Volhynie,transcarpathie, Bessarabie), où résidentaujourd’hui environ neuf millions d’habi-tants, essentiellement ukrainophones, nefurent intégrées à la république socialistesoviétique d’ukraine que pendant laseconde guerre mondiale. Jusqu’à cemoment, la galicie fit ainsi partie del’empire austro-hongrois puis de laPologne. et à la veille du conflit, la popu-lation de Lviv, quelquefois décriteaujourd’hui comme la « capitale cultu-relle de l’ukraine », comprenait une moi-tié de Polonais et un tiers de Juifs.Cette population des régions occiden-tales, où siègent les églises uniates, estdonc porteuse d’une histoire très diffé-rente de celle des régions méridionaleset orientales, plus russifiées, plus sovié-tiques et orthodoxes. si le récit de laseconde guerre mondiale valorisant leshéros soviétiques de la « grande guerrepatriotique » est dominant dans les régionsindustrielles de l’est, les mouvementsnationalistes ukrainiens ayant collaboréavec l’occupant nazi jouissent d’une réellepopularité dans l’ouest où le pouvoir sovié-tique mena une répression implacablecontre leurs militants. Cette ligne de frac-ture continue en partie de structurer lechamp politique, économique et social,opposant des aspirations nationalistesukrainiennes adossées à une orientationeuro-atlantiste à un positionnement pri-vilégiant les relations culturelles, écono-miques et politiques avec la russie.

Ces disparités, qui témoignent des diffi-cultés de l’État ukrainien à forger un dis-cours national permettant à l’ensembledu corps social de se construire un ave-nir commun, sont instrumentalisées parles acteurs politiques et géopolitiquesdepuis le début de la crise. Les uns accu-sent les autres d’être des « fascistes » oudes « banderistes », du nom du leadernationaliste ukrainien s. Bandera qui avaitcollaboré avec l’allemagne nazie ; lesseconds dénoncent les premiers d’êtreles alliés d’une russie toujours animéepar des ambitions impériales. C’est dansce contexte de fragilisation de l’unité natio-nale que la Crimée a fait sécession et aété annexée par la Fédération de russie.Ce déplacement de la frontière est unemodification inédite de la carte politiqueissue de la dissolution de l’urss, quoiquedes régions de moldavie (transnistrie) etde géorgie (abkhazie, ossétie) aient déjàdéclaré leur indépendance, avec le sou-tien d’une russie voyant dans ces Étatsde facto un moyen de pression sur lespays proches.

exPANsioNNisMeeUro-ATLANTisTe vsiMPériALisMe rUssePar-delà l’action des différents acteursukrainiens, la dimension internationaleest une composante essentielle de la criseactuelle. Le terrain ukrainien voit s’oppo-ser la russie à l’union européenne et àl’otaN, lesquels, dans une approche stric-tement géopolitique, souhaitent étendreleurs aires d’influence respectives. Cespuissances agissent directement ou indi-rectement, ouvertement ou clandesti-nement, pour défendre leurs intérêts dits« stratégiques ». L’ue et l’otaN dénon-cent le soutien de la russie aux séces-sionnistes et craignent que l’agressivitéde la politique étrangère russe ne menacela sécurité de l’europe orientale. de soncôté, la russie, qui avait proposé en 2008de refonder l’architecture géopolitiquedu continent sur la base d’une coopéra-tion approfondie entre les différents Étatspour réduire les tensions, a mis en avantles menaces pesant sur la pérennité desa base navale de sébastopol, située enCrimée, et sur le statut des populationsdes régions russophones d’ukraine pourjustifier ses prises de position. Plus large-ment, elle désapprouve l’extension del’otaN et de l’ue vers l’est et la constitu-tion d’un bouclier antimissile en europede l’est par l’organisation transatlantique.depuis le début de la crise, l’action desrusses pas plus que celle des occidentauxn’a concouru à trouver une solution poli-tique permettant de préserver l’uniténationale de l’ukraine ni à lui garantir lapossibilité d’établir des relations apaisées

et constructives avec l’ensemble de sesvoisins. au contraire, la russie, réactivantla notion de « nouvelle russie », a contri-bué au démantèlement de l’État ukrai-nien sur son flanc oriental. et les puis-sances occidentales, qui soutiennentactivement les nouvelles autorités, signenten hâte des accords de coopération etde défense avec l’ukraine, qui apparais-sent comme des mesures hostiles et pro-vocatrices aux yeux de la russie. Car cesmécanismes d’intégration régionale pro-posés par l’union européenne, de mêmeque ceux constitués par la russie autourde l’union économique eurasiatique, exi-gent de l’ukraine un positionnement géo-politique univoque, nécessairement géné-rateur de tensions. aucune des puissancesinternationales ne semble pouvoir conce-voir que l’ukraine se développe commeun pays de l’entre-deux. Pourtant le paysoccupe une situation d’interface donttémoigne la distribution géographique deses échanges économiques et de seséchanges migratoires.Cette confrontation entre l’occident etla russie rappelle par certains aspects lestensions entre les blocs capitaliste etsocialiste dans le système géopolitiquebipolaire. un des arguments avancés parle camp pro-occidental pour dénoncerla politique russe est d’ailleurs de souli-gner sa filiation directe avec les ambitionsde puissance de l’urss. mais la crise quise déroule aujourd’hui en ukraine nedécoule pas d’une opposition idéologique :la russie de V. Poutine n’est pas porteused’un projet politique alternatif à la mon-dialisation libérale, elle souhaite simple-ment se voir garantir une place géopoli-tique majeure dans le monde globalisé,dont la constitution d’un ensemble régio-nal eurasien serait un élément.

au terme d’un an de crise, l’ukraine s’ar-rime au monde euro-atlantiste. mais lepays, amputé de la Crimée et secoué parla guerre civile, reste particulièrement fra-gile. aucun consensus politique ne s’estpour le moment dégagé pour définir unmodèle d’organisation territoriale assu-rant l’intégrité du territoire national ukrai-nien et le respect des aspirations auto-nomistes des régions orientales. etl’économie nationale, déjà précaire,connaît un repli sensible que les condi-tionnalités imposées par les accordssignés avec les puissances occidentalespourraient à court terme accentuer. dèslors, loin des préoccupations expansion-nistes des puissances internationales, lapopulation ukrainienne risque de connaî-tre un nouvel hiver difficile. n

*Julien Thorez est géographe. Il est chargé de recherche au CNRS.

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SCIENCES

LA REVUEDU PROJET

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. etnous pensons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu’une impasse.

u étais entraîneur chezfestina en 1998 à l’époqueoù les affaires de dopagedans le cyclisme ontéclaté au grand jour. àquoi pouvait-on voir que

les coureurs se dopaient ?au départ, le non-dit. Bruno roussel,ancien entraîneur et manager, aumoment de mon embauche (septem-bre 1995) en tant qu’entraîneur ( j’ai étéle premier de ce milieu !), m’avait claire-ment dit : « tu t’occupes de l’entraîne-ment, c’est nouveau, comme noussommes les premiers à avoir embauchéun diététicien, mais les docteurs et soi-gneurs savent ce qu’ils ont à faire ; tu net’en occupes pas ». Cela avait le mérited’être clair. ensuite les tests. J’entraînaisdes motos. mes repères en physiologie(volume maximal d’oxygène, lactates àl’effort) étaient caducs. La récupérationmonstrueuse, les capacités parfois inhu-maines de faire des efforts intenses, sispectaculaires. Lors de certains stages,pendant des cures de clenbutérol, auréveil, certains avaient le cœur au reposà 80 pulsations minute au lieu de 35-40

sport et sciences (1/2)

à la normale. Les muscles poussaient lanuit… et à vue d’œil… et puis, je n’étaispas « invité » à certaines réunions oùle staff et les coureurs parlaient ouver-tement des sommes à investir dans le« suivi ». mais ensuite, certains m’en par-laient. Édifiant. aussi, ce qui transpirait,était le fait d’être « au-dessus des lois ».

de la physiologie mais aussi du reste. ily a les stigmates psychologiques, lesaddictions visibles et celles physiques.

Les dirigeants du Tour de france etde l’Union cycliste internationale(UCi) ont d’abord nié puis minimisé.L’amélioration des performancesest aussi due à celle du matériel, del’état des routes, etc. Commentpeut-on faire la part des choses ?C’était l’argument de Jean-marie Leblanc,en réponse à mon guide d’entraînementLa pleine puissance en cyclisme (ed.Polar, 2002), quand je mettais en causearmstrong. en pourcentage, la techno-logie, etc. cela représente peu de chose,très peu par rapport à une bonne cureePo-HgW-corticoïdes… (HgW est unehormone de croissance). en 2014, l’en-traînement et le suivi non dopant per-

mettent d’arriver à des niveaux de per-formances élevés, mais 10 % en moinsà la hauteur des grandes années (410watts au lieu de 450).

Peut-on dire qu’avant les années1990 on se dopait juste aux amphé-tamines pour les courses etqu’après il y a eu un dopage « scien-tifique » tout au long de l’année ?Non. avant, il y avait aussi pas mal dechoses. Corticoïdes-anabolisants-tes-tostérone etc. Les courbes de puis-sances suivent les différents dopants.mais l’ePo est arrivée avec des docteursdopeurs « pointus », un sacré booste !(Voir http://www.cyclisme-dopage.com/bibliographie/lapreuve-par21.htm)

quels sont les produits et, au vu deleur dangerosité, quel est alors lesuivi médical des coureurs ?L’oxygénation du sang (ePo, transfusion)+ hormones de croissance + testosté-rone + corticoïdes (fond de jante dudopage) et quelques cures anaboli-santes, c’est la base. on ne sait pasapprécier la dangerosité ! Peu d’étudesen général, pas d’études épidémiolo-giques. Les experts médicaux au procèsFestina ont dit qu’ils ne pouvaient se pro-noncer sur l’association d’une dizainede produits actifs différents par jourquant aux effets sur l’organisme… il n’ya pas de suivi, si ce n’est vérifier le tauxde fer et les paramètres sanguins.

Les sciences ont envahi les sports : matériels, terrains, méthodes d'entraî-nement, diététique, tout change. Pour le meilleur (par exemple les nou-velles possibilités pour les handicapés) et pour le pire. Commençons par lepire et le dopage. Nous aborderons d'autres aspects dans de prochainsnuméros.

ENTRETIEN AVEC ANTOINE VAYER*

T « je n’étais pas“invité” à certaines

réunions. »

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SCIENCES

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y a-t-il un poids des laboratoirespharmaceutiques dans la produc-tion de produits dopants et dansleur profusion dans le monde dusport ?sandro donati, expert italien, a démon-tré que les filières sont les mêmes quecelles de la drogue, du moins une de leursbranches. Les fabricants d’ePo saventqu’ils fournissent avant tout le mondedu sport, plutôt que les cancéreux…

Combien peut coûter une cam-pagne d’un an de dopage pour uncoureur parmi les dix premiers dutour ?Je ne sais pas. armstrong avait en exclu-sivité le dr Ferrari et le payait très cher, ilpayait le docteur et ses posologies.maintenant, les produits valent aussi unefortune. avant, un cycliste qui mouraitétait presque une pharmacie qui brûlait.Je ne pense pas que, cette année 2014,les budgets aient été importants (saufpour le 1er), dans la mesure où Peraud(2e), Pinot (3e) et Bardet (6e) étaient« sains », je pense.

La science des stimulants et pro-duits dopants a-t-elle toujours uncran d’avance sur celle du dépis-tage ?Bien sûr, pour celui qui veut, il existe unefoultitude de produits ou de méthodesindétectables. Les micro-doses, les hor-mones de croissance, les auto-transfu-sions. il suffit de jouer avec les fenêtresde détection. maintenant si on voulait,avec un vrai suivi, on pourrait tout voir,changer le statut des « pros » et les arrê-ter sans preuves « directes ». C’est unequestion de volonté politique.

Tu as travaillé avec des physicienspour étudier les performances  ;pourquoi avoir choisi la puissancedéveloppée par le coureur plutôtqu’un autre indicateur ?Parce qu’il est criant de vérité. La puis-sance, c’est l’énergie par unité de temps,c’est la meilleure mesure de l’effort, onsait cela depuis Leibniz. C’est un témoinindirect mais tellement révélateur. depuis15 ans qu’on l’utilise, nous ne sommespas trompés… a posteriori. on peut sereporter au site Chronoswatts.com, pouren savoir plus : les calculs y sont détail-lés par Frédéric Portoleau, ingénieur enmécanique des fluides.

qu’était exactement le systèmescientifique, méthodique et norma-tif d’Armstrong ?il était très simple. L’ePo, puis le chan-gement de sang, associés à la testosté-rone, les corticos, l’igF-1 (insuline growthfactor 1, une autre hormone). Basiquemais efficace. et puis un encadrementqui savait s’adapter avec complicité. Lescontrôles antidopage classiques ontmontré avec armstrong leur inefficacitéet leurs limites.

on tremble un peu qu’il y ait tou-jours des produits nouveaux et plusefficaces. il y a eu moins de scan-dales au Tour de france ces der-nières années. est-ce vraimentmoins de dopage ou bien un dopageplus rusé ?oui, il y a de nettes améliorations dansles mentalités. C’est un fait. moins dedopés et surtout pour le cyclisme, descoureurs qui ne veulent pas en enten-dre parler. C’est nouveau. maintenantceux qui veulent « jouer » jouent, mais lanouvelle structuration de l’union cyclisteinternational (uCi) fait que cela devientdifficile. avant, tout le monde le faisaitparce que « tout le monde le fait ». dansla mesure où il y en a qui ne le font plus,ou pas, cette dynamique va peut-être

*Antoine Vayer est professeurd'éducation physique et sportive(EPS) à Plérin (Côtes-d'Armor) etchroniqueur.Propos recueillis par Pierre Crépel

l’emporter. il faudrait qu’elle se rebelleun peu plus, mais des progrès considé-rables sur cette mentalité ont été réali-sés.

selon les sports, les produitsdopants stimulent la force ou lesréflexes ou autre chose. Commentse font les répartitions de ces pro-duits chez les dopés ?C’est fonction des besoins, de l’expé-rience des coureurs, entraîneurs et four-nisseurs. malheureusement, à maconnaissance, il existe très peu d’étudesindépendantes pour les autres sports,mais la base reste essentiellement lamême.

est-ce uniquement la place de l’ar-gent dans le sport qui engendre cesphénomènes ou y a-t-il d’autres fac-teurs importants ?Non. dans l’ordre on se dope 1/ parceque les autres le font. 2/ parce que celapermet de gagner de l’argent. 3/ parceque les contrôles sont inefficaces. 4/Parce que l’on veut gagner quelquechose, des victoires, pour ses proches.

selon toi, l’augmentation du nombrede compétitions est-elle de nature àfavoriser le dopage ?Pas forcément. sauf si on demande per-formance et rendement.

que proposer à court et à longterme pour enrayer ces dérives etpromouvoir un sport épanouis-sant ?donner les rênes de la lutte antidopageà des gens compétents, de conviction,sans aucune relation avec le mondefédéral, et à qui on donnerait carteblanche. Cela ne suffit pas, il faut met-tre le paquet sur la prévention, en parti-culier chez les jeunes. aujourd’hui lesantennes antidopage ont des budgetstrès limités et sont plus ou moins lais-sées à l’abandon. il faut les relancer etleur donner les moyens. n

« Donner les rênesde la lutte

antidopage à desgens compétents,de conviction, sansaucune relationavec le monde

fédéral, et à qui ondonnerait carteblanche. Cela nesuffit pas, il fautmettre le paquet

sur la prévention, enparticulier chez les

jeunes. »

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PAR GÉRARD STREIFFSONDAGE

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La mauvaise imagedu Medef

au moment où manuel Valls paradait devant les patrons réu-nis en université d’été, sur le campus de HeC, fin août, onrepensait à ce récent sondage BVa/Le Parisien : six Françaissur dix ont une mauvaise opinion du medeF.Parmi les sympathisants de gauche, ils sont 84 % à avoir unemauvaise opinion et 61 % des électeurs de droite au contraireen ont une bonne opinion. Plus exactement 74 % des sym-pathisants umP ont une bonne opinion, alors qu’elle est mau-vaise pour 61 % des électeurs FN.

L’écrasante majorité des sondés considère que l’organisa-tion patronale « défend davantage les grandes que les petitesentreprises » (77 %) et qu’il « défend surtout les intérêts des

plus riches » (69 %). 62 % estiment qu’il « ne comprend pasles problèmes des salariés » et il est « politiquement troplibéral » pour 61 %. L’impopularité de Pierre gattaz est encorebien plus forte que celle de son organisation.

interrogé par Le Figaro (27/8/14) sur l’impopularité des patrons(« Comment expliquer la persistance de stéréotypes ? »demande benoîtement ce quotidien), Bernard sananès, pré-sident de l’institut Csa parle de « boucs émissaires » enpériode de crise et ajoute : « Certaines représentations sontlongues à changer. ainsi le profit reste une notion négativepour un Français sur deux, et notamment parmi les sympa-thisants de gauche. »

quelle est votre opinion du medeF ?Bonne : 37 %mauvaise : 57 %NsP : 6 %

Pensez-vous que le medeF :*défende plus les grandes entreprises ? 77 %*défende surtout les plus riches ? 69 %

est-ce que le medeF comprend les salariés ?*oui : 38 %*Non : 62 %

est-ce que le medeF est trop libéral,*oui : 61 %*Non : 39 %

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PAR MICHAËL ORAND

STATISTIQUES

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À quoi servent les départements ? À rien, s’il faut en croire ledébat récent sur la réforme territoriale : au mieux, ils seraientun numéro un peu folklorique sur les plaques d’immatricula-tion, auxquels les Français sont tellement attachés qu’il estimpossible de les faire disparaître ; au pire, ils ne sont qu’unecouche inutile du fameux « millefeuilles territorial », source dedépense publique inefficace à supprimer absolument au nomde l’austérité. Évidemment, les choses sont un peu plus com-pliquées que cela.

en particulier, les départements sont un des premiers pour-voyeurs d’aides sociales en France. Les conseils généraux demétropole y ont ainsi consacré en 2012 plus de 33 milliardsd’euros, soit environ 60 % de leurs dépenses de fonctionne-ment. Ces dépenses concernent principalement quatre typesd’aides : les dépenses d’allocations et d’insertion du rmi puisdu rsa, pour 8 milliards d’euros, les aides aux personnes âgées,pour 8 milliards d’euros, les aides aux personnes handica-pées, pour 7 milliards, et l’aide à l’enfance, pour 7 milliards éga-lement.

en dix ans, les dépenses d’aide sociale des conseils générauxsur ces quatre grands postes ont été multipliées par près de2,5, passant d’environ 12 milliards en 2002 à 30 milliards en 2012(graphique). La principale raison de cette augmentation impres-sionnante est la délégationaux conseils généraux du rmi, puisdu rsa, à partir de 2004. mais au-delà de cette rupture, lesdépenses sociales continuent d’augmenter plus vite que l’in-flation, en particulier depuis la crise de 2008 et à l’augmenta-tion du nombre de bénéficiaires du rsa socle. entre 2011 et 2012l’augmentation des dépenses sociales a ainsi été de 1,5 % eneuros constants.

en matière de bénéficiaires, le rsa est l’aide la plus importante,avec un million et demi de bénéficiaires. Par ailleurs, 700 000personnes âgées et 200 000 personnes handicapées ont béné-ficié d’une aide à domicile, et 150 000 enfants ont été accueil-lis à l’aide sociale à l’enfance. au total, près de 3,5 millions d’ac-tions ont été menées en 2012 par les conseils généraux au titrede l’aide sociale. 3,5 millions de preuves que les départementsne sont pas la couche administrative inutile qu’on nous pré-

Les départements : 33 milliards d’euros d’aide sociale

ÉVOLUTION DES DÉPENSES D’AIDES SOCIALES DES CONSEILS GÉNÉRAUX DE 1996 À 2012(EN MILLIARDS D’EUROS)

Source : DREES – Enquête aide sociale

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près six semaines d'ab-sence inexpliquée, le lea-der nord-coréen est réap-paru auprès du public ens'appuyant sur une canne(Le Monde, 14/10/2014).

Jusqu'alors, les hypothèses allaient bontrain : « Kim Jong un pourrait mourir d’uneoverdose de fromage », voilà ce qu’énon-çaient les média occidentaux (TheInquisitr, 10/2014). que ce soient lestabloïds anglo-saxons ou les journauxnationaux, tous annonçaient que le lea-der suprême de la république populairedémocratique de Corée (rPdC) souf-frait de la goutte car il mangeait tropd’emmental. Le traitement de l’informa-tion relatif à la Corée du Nord semble demoins en moins respecter les principesles plus élémentaires du journalismecensé être fondé sur un acte réflexif etnon sur un acte réactif, émotionnel. C’estnotamment ce que souligne VincentCoquaz sur la diffusion des rumeurs quiont trait actuellement sur le pays (Arrêtsur images, 10/2014).

Le traitement del’information sur laCorée du Nord :entre rumeurs etdésinformationRE

VUE DES MÉDIA

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L’AbANdoN dU JoUrNALisMeAU serviCe dUseNsATioNNALisMesi on lit ce que disent les média à pro-pos de la Corée du Nord, il sembleraitque le pays fût le sujet de rumeurs aussiimprobables que ridicules. Les titrestapageurs à l’égard du régime nord-coréen ne manquent pas comme on apu récemment le voir à propos de l’on-cle du leader Kim Jong un, assassiné quiaurait été dévoré par 120 chiens (LesLacets des faits, 03/2014) ou encorel’exécution de membres de l’orchestrenord-coréen unhasu dont on a eu undémenti final courant mai 2014 : une deschanteuses du groupe, Hyon song-wol,supposément exécutée, a fait une réap-parition publique à la télévision nord-coréenne. Plus récemment, de nom-breux média occidentaux ont affirméque la coupe de cheveux du dirigeantnord-coréen a été imposée à tous lesjeunes Nord-Coréens (NouvelObservateur, 03/2014). il aurait suffi deconsulter les informations provenantdes média nord-coréens pour se rendrecompte que ces rumeurs étaient infon-dées. gareth Johnson, gestionnaire duYoung Pioneer Tours installé à Pékin, a

déclaré au site de NK News qu’aucun deses collègues n’avait perçu de change-ment dans les coupes de cheveux nord-coréennes. selon ce dernier, la chaîneBBC – qui a repris l’information – doittrouver chaque semaine une « histoire »à raconter sur la Corée du Nord (NKNews, 03/2014). La recherche du sen-sationnalisme des média occidentauxleur fait parfois oublier le principe fon-damental du journalisme qui repose surla « vérification des sources » (le “fact-checking”) comme le rappelle sébastienFalletti, correspondant du Point et duFigaro à séoul. un tweet satirique peutainsi devenir quelques jours plus tardune « information » qui sera publiée dansde nombreux média occidentaux.Comme le note Frédéric ojardias, jour-naliste correspondant de rFi et du jour-nal La Croix à séoul, l’heure du journa-lisme en ligne, le fait de publier avant devérifier les faits permet d’avoir l’exclusi-vité d’une fausse information qui seraprogressivement modifiée sans que lelecteur en soit informé.

Bruce Cumings, éminent coréanologueà l’université de Chicago, souligne l’inté-rêt stratégique de cette désinformation

PAR JACKY GERAULT

A

Comment des journalistes peuvent manipuler l'opinion en cédant à un sen-sationnalisme qui n'améliore en rien le sort de la population locale.

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REVUE DES MÉDIA

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à l’égard de la Corée du Nord : « faire fui-ter de faux renseignements au sujet desdirigeants nord-coréens est l’une des pra-tiques habituelles des services secretssud-coréens et des ambassades de Corée

du sud autour du monde, depuis que laCorée du Nord existe ». elle est souventalimentée par le Nis (National intelligenceservice) qui cherche à détourner l’atten-tion des occidentaux des turpitudes sud-coréennes d’autant plus que récemmentla responsabilité du gouvernement a étémise à mal avec le naufrage du sewol quia fait plus de 300 victimes (KyunghyangShinmun, 05/2014). Christopher green,de l’oNg Daily NK, note que les décideurspolitiques nord-coréens savent très bienutiliser les média occidentaux : « la Coréedu Nord agit sur le postulat qu’une décla-ration faite sur un marché de Hyesan,shinuiju, Namyang peut finir dans les pagesdu Chosun Ilbo. La rumeur s’amplifie etfinit par se transformer en fait en étantreprise dans un article du New York Timesqui informe directement le gouvernementaméricain » (sinoNK, 07/2012). La Coréedu Nord instrumentalise les média occi-dentaux afin de relayer ses revendicationspolitiques.

LA déMissioN de LA PeNséeAU déTriMeNT d’UNe qUêTed’iNTeLLiGibiLiTéPatrick maurus, professeur à l’institutnational des langues et civilisations orien-tales (iNaLCo), s’est intéressé aux repré-sentations associées à la Corée du Nordet met en avant l’orientalisme persistantaussi bien vis-à-vis du régime nord-coréen que du régime sud-coréen : « LarPdC, dictature asiatique, ne peut êtreexpliquée, de façon non problématique,que par barbarie, danger, secret, ano-malie, foule, autre, pluriel, retard, méta-physique, copie, inachevée, fanatisme,ce qui ouvre à la description d’un peu-ple uniformément victime d’une cliquemalfaisante. Comprenne qui pourra, cela

dure depuis 60 ans » (NK News, 01/2013).Le discours médiatique occidental ampli-fie la rhétorique de Pyongyang non sansl’avoir au préalable tronquée afin de pou-voir mieux la diaboliser. une rapide ana-

lyse sémantique des articles sur la rPdCest éclairante. Le pays et ses dirigeantssont aussi bien «  mystérieux  »,« étranges », voire « diaboliques ». Lesuccès des articles sur la Corée du Nordse remarque par leur orientalisme et lesreprésentations fantasmées d’une tyran-nie familiale, aussi cruelle que perverse.en dépit de l’existence d’une multitudede pays autoritaires voire dictatoriaux –dont les chefs d’État ont recours au cultede la personnalité – peu de pays font

l’objet d’un traitement aussi désinvoltede la part des média. au vu du nombrede lecteurs et de personnes qui parta-gent toute « information » liée à la Coréedu Nord, on peut observer une fascina-tion pour ce pays même si personne nese soucie du contenu de l’informationdont il est question.

si la Corée du Nord est un pays assezdifficile à traiter, en raison des difficul-tés évidentes rencontrées pour couvrirl’information qui lui est consacrée, lesexcuses habituelles – fondées surl’axiome « on ne peut rien vérifier » – sontpratiques mais de moins en moins jus-tifiées. Certes, il est très difficile pour unjournaliste de se rendre en Corée duNord où il reste très contrôlé et où il nepeut sortir de la capitale, Pyongyang.toutefois, le nombre d’informations

issues du régime nord-coréen est tou-jours plus important depuis les années1990 et les graves crises alimentaires quiont forcé le pays à relâcher le contrôlede la frontière sino-nord-coréenne et àun flot de réfugiés à la frontière chinoisecomme en Corée du sud. de plus, lasociété nord-coréenne n’est pas figéedans un « totalitarisme stalinien », il y ade plus en plus d’hommes d’affairesétrangers qui investissent dans les zoneséconomiques spéciales (Zes) (rason àla frontière russe, Hwanggumpyong à lafrontière chinoise, Kaesong à la frontièresud-coréenne ou encore l’ouverture auxtouristes du site de Kumgangsan) et quiobservent les bouleversements écono-miques et sociaux que traverse le pays.aux travailleurs humanitaires présentssur le sol nord-coréen, on peut ajouterle nombre de plus en plus élevé de tou-ristes étrangers qui visitent la Corée duNord (Korea Analysis, 10/2014). enfin, ilexiste à séoul plusieurs oNg (Daily NK,Rimjin Gang) ou encore des sites d’in-formations de qualité tels que NK News,North Korean Economy Watch, ouencore 38 North, qui entretiennent des

correspondances avec des contactsnord-coréens souvent bien placés, aussibien au sein du Parti du travail de Coréeque dans les entreprises nord-coréennes. on pourrait parfois mettreen cause leur manque d’objectivité maison pourrait faire de même avec certainesrédactions qui n’hésitent pas à publiercertaines rumeurs anti-Corée du Nord.Cette compréhension – souvent par-tielle et réductrice du pays et de sonrégime – est le fruit d’un traitement del’information manquant de rigueur jour-nalistique. n

« La recherche du sensationnalismedes média occidentaux

leur fait parfois oublier le principefondamental du journalisme qui repose sur

la « vérification des sources »

« Le discours médiatique occidentalamplifie la rhétorique de Pyongyang non sans l’avoir au préalable tronquée afin de pouvoir mieux la diaboliser. »

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CRITIQUES

LA REVUEDU PROJET

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Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projetdes communistes.

1914, année charnièrePAR STÈVE BESSAC

Le centenaire du début de la Première Guerre mondialea donné lieu à la publication, à la traduction et à la réédi-tion de nombreux travaux historiques sur la Grande Guerre.Parmi ceux-ci L’année 14 de Jean-Jacques Becker et 1914de Luciano Canfora reviennent sur cette année charnièreoù l’Europe bascule dans la guerre, entraînant dans sonsillage de nombreuses parties du globe. S’intéresser à cettedate permet d’éviter d’adopter une vision téléologique,fataliste du conflit et rend à certains acteurs toute leurliberté, leurs marges de manœuvre, leurs responsabilités.

des diverGeNCes sUr LA resPoNsAbiLiTéPoLiTiqUe de CerTAiNs ACTeUrsLes deux auteurs divergent toutefois quant à la responsa-bilité politique de certains acteurs politiques commeBethmann-Hollweg, le chancelier allemand au momentdu déclenchement de la guerre. Alors que Jean-JacquesBecker considère qu’« il n’y avait pas […] de volonté bel-liqueuse » (p. 129) chez lui, position dominante dans l’his-toriographie, Luciano Canfora le qualifie, au contraire, de« chancelier de guerre ». Pour cela, le philologue italiens’appuie sur l’étude du Journal de Kurt Riezler, conseillertrès écouté du chancelier Bethmann-Hollweg, en mon-trant qu’il s’agit d’une réécriture et non de la publicationde notes d’époque. Or ce journal a contribué à étayer lathèse du chancelier « pacifiste ». Derrière ce cas, se pro-file une différence de fond : tandis que Jean-Jacques Beckersoutient l’idée que c’est une conjoncture de hasards indi-viduels qui a conduit à la guerre, Luciano Canfora consi-dère que le conflit est dû à une « responsabilité collectiveprofonde » (p. 114) qui, si elle n’uniformise pas les respon-sabilités de chacun, n’en exonère personne pour autant.

UN Choix ChroNoLoGiqUe différeNTLe choix chronologique adopté par les deux auteurs dif-fère également, ce qui est significatif. Jean-Jacques Beckerdécide de rythmer son livre par les dates marquantes del’année, rendant compte au plus près des différents évé-nements. Il revient d’abord sur l’atmosphère pacifiste quiprédomine en Europe occidentale dans les années 1910,soulignant que le 20 janvier 1914, pour la première foisdepuis la guerre franco-prussienne de 1870, le présidentde la République française, Raymond Poincaré, dîne àl’ambassade d’Allemagne. L’auteur analyse ensuite endétail le 28 juin 1914, jour de l’attentat de Sarajevo ainsique les « Trois malheureuses » (30 au 31 juillet et 1er août)qui font basculer l’Europe – et le monde à sa suite – dansla guerre. Enfin, l’ouvrage se termine par l’évocation del’enlisement de la guerre, de l’enfouissement des soldatsdans la terre avec le début de la guerre des tranchées àpartir de novembre 1914.De son côté, Luciano Canfora opte pour une chronologie

plus longue, à la fois en amont et en aval tout en gardant1914 comme point nodal, tout en considérant 1914 comme« l’année décisive » où « l’Europe [qui] était au bord dusocialisme, mais aussi de la guerre, en quelques jours esttombée dans l’abîme » (p. 23). Il cherche ainsi à expliquerles causes du conflit qu’il voit dans un plus long terme età comprendre la bifurcation de 1914. L’auteur montre quedans la décennie précédant la Première Guerre mondiale,il y a un « croisement constant » entre la guerre et la révo-lution. Deux dates symbolisent bien ce croisement. D’unepart, la Russie de 1905, marquée par la guerre russo-japo-naise et la révolution, avortée, qu’elle entraîne. D’autrepart, l’Allemagne de 1912 qui voit la victoire des sociaux-démocrates aux élections législatives avec 110 parlemen-taires élus et quatre millions de voix et, en même temps,l’essor de la ligue pangermanique Alldeutscher Verbanddont l’empereur Guillaume II est proche ainsi que le débutdes guerres balkaniques (1912-1913). Ces années sont éga-lement marquées par les tensions coloniales, notammententre la France et l’Allemagne au Maroc, en 1905 puis en1911. Luciano Canfora considère que ces conflits impé-rialistes contribuent à exacerber les nationalismes. L’auteur

italien ne cède donc pas au déterminisme historique maischerche cependant les causes profondes de la guerre. Àl’instar de Jean-Jacques Becker, il revient ensuite sur l’été1914 en insistant sur la « guerre des esprits » et celle despropagandes qui rendent difficiles un arrêt du conflit. Ilévoque notamment l’incendie de la bibliothèque deLouvain et les nombreuses exactions perpétrées sur lescivils belges – pays neutre – qui correspondent à la stra-tégie allemande de terroriser les populations. Cette fuiteen avant qui déshumanise l’adversaire de part et d’autredu front contribue à enliser durablement le conflit.

L’ATTiTUde des soCiALisTes eUroPéeNsEnfin, une autre raison du déclenchement et du prolon-gement de la guerre, mise en avant par Luciano Canfora,est l’attitude des socialistes européens. Tout au long deschapitres 16, 17 et 18, l’auteur montre les différentes posi-

« Tandis que Jean-JacquesBecker soutient l’idée que c’estune conjoncture de hasardsindividuels qui a conduit à laguerre, Luciano Canforaconsidère que le conflit

est dû à une “responsabilitécollective profonde”. »

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tions adoptées par les socialismes européens, s’autorisantà aller en aval de 1914. D’abord, il évoque – et regrette – leralliement de nombreux socialistes à la guerre, notam-ment de la social-démocratie allemande alors la plus puis-sante sur le continent qui vote les crédits de guerre. Pourl’auteur, ce choix correspond « au social-chauvinisme de

la social-démocratie allemande qui croit en une amélio-ration du niveau de vie de la classe ouvrière allemande encas de succès guerrier » (p. 220). Luciano Canfora reprendalors à son compte la distinction opérée par Lénine entre« social-patriotes » et « socialistes authentiques » (chapi-tre 16). Il analyse ensuite le cas de l’Italie qu’il connaît bien.Dans la péninsule, le président du Conseil, GiovanniGiolitti, principal représentant du Parti libéral qui est hégé-monique, est hostile à la guerre ce qui explique dans unpremier temps la neutralité de l’Italie. Puis, sous pressiondu socialiste Benito Mussolini et de son journal Il Popolo,le pays entre en guerre au côté de l’Entente. Ces choix

socialistes sont alors majoritaires mais d’autres alterna-tives existent. L’auteur évoque notamment la position derefus de la guerre de Lénine mais aussi, en Europe occi-dentale, la conférence de Zimmerwald (5 au 8 septembre1915) qui réunit alors les socialistes hostiles au conflit maisa peu d’écho ou encore la dénonciation du « social-chau-vinisme » allemand par Edmond Laskine dans le pam-phlet Socialistes du Kaiser.

Deux ouvrages donc sur 1914, deux ouvrages qui se recou-pent sur de nombreux points factuels mais divergent éga-lement sur des points d’interprétation majeurs. À vrai dire,l’objectif des deux auteurs dans ces livres n’est pas le même,d’où une approche différente : alors que Jean-JacquesBecker souhaite analyser au plus près L’année 14, LucianoCanfora, qui reprend une analyse léniniste, cherche à com-prendre pourquoi l’Europe a basculé dans la guerre et nondans la révolution en 1914. Chemins qui bifurquent encoreen 1917 et dans les années d’après-guerre… n

« Luciano Canfora reprendalors à son compte la

distinction opérée par Lénineentre “social-patriotes” et“socialistes authentiques”. »

BIBLIOGRAPHIE :• Jean-Jacques Becker, L’année 14, Armand Colin,2013 (1ère édition : 2004)

• Luciano Canfora, 1914, Flammarion, 2014 (1ère

édition en italien : 2006)

Les mutins de Calvi,révoltes et procès oubliés

Albiana 2014

JEAN RABATÉ

PAR LÉO PURGUETTE

Ancien journaliste à L’Humanité, JeanRabaté signe un bref ouvrage – d’unesoixantaine de pages – dans lequel il meten lumière un épisode oublié de l’entre-

deux-guerres. Avec Les mutins de Calvi, il revient sur l’his-toire de cinq jeunes engagés dans la marine qui n’ont paspu ou pas voulu se plier aux règles militaires. Envoyés parmesure disciplinaire au sinistre Fort Charlet, situé à Calvien Corse, ils se soulèvent contre le traitement qu’ils y reçoi-vent. Privations, brimades, coups, affreux sévices… Toutel’inhumanité du bagne militaire éclate en 1930 à l’occa-sion de leur procès devant le tribunal maritime de Toulon.Le Parti communiste français et le Secours rouge interna-tional décident de se saisir de l’affaire. L’Humanité se dis-tingue du reste de la presse en rendant compte en détaildu procès. Le député communiste André Marty, lui-mêmeinitiateur dix ans plus tôt d’une mutinerie en mer Noirefondée sur le refus de combattre la Révolution russe, défendà la barre les accusés et la ligne « classe contre classe » deson parti. « Nous sommes à côté de ces jeunes marins cou-rageux parce que ce sont des ouvriers. La classe ouvrièredemande leur acquittement ».

Contre toute attente les juges acquittent « à la majorité »les cinq matelots. Un verdict qui ne se répétera pas cinqmois plus tard lors d’un nouveau procès visant les auteursd’une nouvelle mutinerie.En apportant des éléments de contexte, Jean Rabaté per-met au lecteur de s’immerger en quelques pages dans unepériode marquée par la crise économique et l’antimilita-risme du mouvement ouvrier. Le parcours de l’un desacquittés qui deviendra maire adjoint du Blanc-Mesnil,dirigeant de la FSGT après avoir été résistant est plaisantà découvrir même si l’on peut regretter que l’auteur n’aitpu retracer en détail les vies de ses compagnons d’infor-tune.Ouvrage facile d’accès et illustré, Les mutins de Calvi se litd’une traite.

L’économie de l’attentionLa Découverte, 2014

YVES CITTON (DIR.)

PAR IGOR MARTINACHE

Les cours d’économie commencent sou-vent paresseusement par définir celle-ci

comme la gestion de la rareté des ressources, induisantauprès des étudiants l’idée trompeuse selon laquelle laditerareté constituerait un fait absolu et non une construc-tion sociopolitique relative. L’information constitue elle-même un exemple parfait de ce constat dans la mesure

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les archives départementales, Claude Mazauric retrace laguerre de ses aïeux. Membres du XVeCorps d’armée, accuséà tort de lâcheté par des responsables politiques aprèsl’échec de l’inconsidérée offensive française en Lorraineen août 1914, Albin et Michel sont blessés par balles etobus, subissant de plein fouet la puissance destructricedes armes modernes. Le premier est fait prisonnier, conduiten Allemagne où il reste durant tout le conflit. Armand,quant à lui, combat quatre ans sur différents fronts (lefront français mais également dans les Balkans à partir de1917) sans connaître la moindre blessure grâce à son métierde maréchal-ferrant qui, du fait de sa compétence tech-nique, lui permet d’être en deuxième ligne et de ne pasessuyer directement les tirs de feu. Ceci est paradoxal àl’heure de la raréfaction de l’usage militaire des chevauxau profit des chars et armes mécanisées. Le cadet, Georges– père de l’auteur – est également blessé au cours de laguerre. Tous les quatre reviennent toutefois vivants àCollorgues en 1918 alors que sur les quarante-trois appe-lés du village, douze meurent à la guerre. D’après l’auteur,la vie des deux aînés, Lucien et Armand, reprend son coursnormal bien que « leur psychisme en ait été durablementmarqué » tandis qu’Albin est traumatisé par sa longueexpérience de réclusion. Georges, quant à lui, semble, deson propre aveu, avoir été sorti de la misère par la bles-sure qu’il contracte à la guerre et qui lui procure pensionet emploi réservé dans les chemins de fer en lieu et placede la vie de journalier agricole qui lui semblait durable-ment promise.À travers cet ouvrage, Claude Mazauric mène une réflexionépistémologique stimulante sur la micro-storia, méthodequi vise, à l’origine, à prendre en considération les « petits »et les personnes concrètes. L’auteur reconnaît à ce cou-rant historiographique ce mérite mais en souligne aussiles limites heuristiques : « aucune nécessité pensable nepeut éclairer l’histoire des individus embarqués dans lesguerres : la rationalité ne se découvre que dans la convo-cation statistique du grand nombre, corrélé aux donnéesde l’économie, de la puissance, des rapports de forces glo-baux, des modes de production qui dominent les socié-tés de classes. La micro-histoire des individus-soldatstrouve là sa limite et finit par ne rien dire ». Afin de saisirle(s) réel(s) historique(s), il s’agit donc de conjuguer lesdifférentes méthodes et échelles d’analyse afin d’en éli-miner les inconvénients réciproques et d’en agréger lesmérites.

Europeaoût-septembre 2014

PAR VINCENT METZGER

Europe est une revue mensuelle. Les lec-teurs un peu habitués ont pu remarquer

que les numéros font alterner des dossiers concernant desécrivains ou des littératures lointaines (bien au-delà del’Europe), des classiques revisités, des contemporains plusou moins méconnus et des auteurs qui font débat. Lenuméro de cet été, consacré à Péguy, appartient à ce der-nier groupe.Dans une note de lecture à propos de Jacques Darras,Lucien Wasselin cite une conversation entre Thorez etAragon, rapportée par le dernier. Voici ce que dit Thorez :« Pourquoi est-ce que toi, tu ne montres pas pourquoiPéguy est aussi bien à nous, aux ouvriers, qu’aux autres…peut-être davantage ? »La revue ne cherche pas la récupération. En histoire litté-raire, les choses sont dites : hostilité croissante, après l’ami-

où c’est son excès plutôt que son défaut qui pose problèmeà nos contemporains, leur imposant un travail de tri quecertains intermédiaires se proposent d’effectuer à leurplace. Dans un tel contexte, capter l’attention des publicssemble ainsi devenu le nerf de la compétition indissocia-blement économique et sociale qui caractérise la phaseactuelle du capitalisme. Cette attention, une fois acquise,pourrait en effet représenter un capital qui s’entretient ets’accumule et apporte des dividendes. Telle est la pers-pective ouverte dès les années 1970 – soit bien avant l’avè-nement d’Internet ! – par le sociologue allemand GeorgFranck et que reprennent à leur compte les différentscontributeurs de cet ouvrage collectif dirigé par Yves Citton,professeur de littérature. Sociologues, philosophes, écri-vains, historien ou neurologue (!), chacun d’entre eux s’em-ploie à explorer l’une des nombreuses implications decette centralité prise par l’attention. Les uns et les autresproposent ainsi un certain nombre d’outils conceptuelspour mieux la saisir, mais surtout battent en brèche uncertain nombre d’idées reçues, telle l’opposition que l’onfait usuellement entre concentration et distraction.Significativement, manquent seulement à l’appel les éco-nomistes, qui reçoivent ainsi une invitation stimulante àse saisir de la question, même si l’on peut à bon droit pen-ser que, tout intéressant qu’il soit, ce modèle ne peut suf-fire à embrasser l’ensemble des enjeux politico-écono-miques de notre temps.

Destins : quatre « poilus »originaires de Collorgues dans laGrande Guerre (1914-1918)

Les Éditions de la Fenestrelle,2014

CLAUDE MAZAURIC

PAR STÈVE BESSAC

Dans cet ouvrage surprenant, ClaudeMazauric, grand spécialiste de la

Révolution française, se propose de retracer l’histoire deson père et de ses oncles pendant la Première Guerre mon-diale. Ce livre s’inscrit alors dans le renouveau historio-graphique de la Grande Guerre qui tend à développer leshistoires familiales comme le dernier ouvrage de StéphaneAudoin-Rouzeau, Quelle histoire, un récit de filiation (1914-2014) afin, notamment, de prendre en compte « lesmodestes acteurs, les acteurs involontaires en vérité » dece sanglant conflit. D’emblée, l’auteur précise qu’il n’estpas question de commémorer et encore moins de célé-brer la Grande Guerre. Cette posture invite d’ailleurs àréfléchir : histoire militante ou, au contraire, histoire dansla plus pure tradition universitaire dissociant l’historiendu militant et/ou du citoyen ?Tout au long de la centaine de pages de l’ouvrage, ClaudeMazauric alterne histoire collective et histoire individuelleen commençant par tracer un « spectre » de la GrandeGuerre puis par dresser un tableau du village de Collorguesà l’été 1914. La sécheresse qui frappe alors ce petit villagedu Gard contraste avec la pluie d’invectives qui se répanddans les chancelleries et encore plus dans les journauxautrichiens et serbes, orage européen inconnu des pay-sans de Collorgues mais qui va pourtant les précipiter dansun long et terrible conflit. L’auteur poursuit en traçant lagénéalogie de la famille Mazauric, lignage protestant pré-cocement républicain. Albin, Lucien et Armand, les aînésde la fratrie sont mobilisés dès août 1914. À partir de témoi-gnages recueillis et des feuilles de service conservées dans

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tié solide, contre Jaurès, marquée par des propos que l’onjugerait aujourd’hui impardonnables (un Jaurès dénoncécomme « traître ») mais après un combat dreyfusiste sansfaille ; retour de la foi catholique, mais avec une menacede mise à l’index de la part du Vatican ; développementd’un nationalisme opposé à l’Allemagne dès 1906, maisaussi intransigeance sans faille face à l’antisémitisme (deuxfois on évoque dans ce numéro le meeting tenu dans cequi deviendra le gymnase Japy, et le comportement des« guesdistes » vigoureusement dénoncé, notamment pourl’antisémitisme). Voici incontestablement un Péguy vivantet vivant par son œuvre (quand des tentatives de récupé-ration vichystes sont vivement repoussées sousl’Occupation — les témoignages de l’école d’Uriage etnotamment de l’irrécusable Jean Lacroix sont clairementprésentés). À qui est Péguy ? demandait implicitementThorez avec une réponse anticipée. En tout cas cetteréponse n’est pas simple, ni en politique ni en poétique.Autant dire que rien n’est réglé et même si le désir de réha-bilitation conduit parfois à des excès – ainsi la vigueurpolémique de Guillemin est-elle balayée d’un revers demain – la revue maintient le débat ouvert, et après toutc’est là sa mission.Sans faire référence à tout, signalons aussi, pour les agré-gatifs, la rapide et audacieuse étude que Cecilia Suzzoniconsacre à La Boétie et qu’elle place sous le signe de RobertAntelme et du René Char des Feuillets d’Hypnos.

RecherchesinternationalesN°98, janvier-mars 2014

PAR ALEXIS COSKUN

Une région cruciale sur l’échiquier mon-dial : l’Asie du Sud-Est est le sujet du dossier central. Bientrop souvent ignoré par les analyses des grands média cesous-continent niché entre l’Inde et la Chine constituepourtant la priorité géostratégique du Président BarackObama.Cette question de la place et de l’importance de l’Asie duSud-Est dans les contradictions et les oppositions inhé-rentes à la mondialisation capitaliste est particulièrementétudiée par Barthélemy Courmont et Éric Mottet dans leurcontribution « L’Asie du Sud-Est : pré carré chinois ? » ; lelecteur y apprendra non seulement que 30 % du traficmondial maritime transite via l’Asie du Sud-Est et notam-ment via les détroits de Malacca mais aussi que les mêmesvoies maritimes font transiter plus de 40 % du pétrole auplan planétaire. L’article souligne l’importance de l’in-fluence chinoise dans cette partie du globe, appuyée parsa diaspora qui compte près de trente millions de mem-bres dans l’ensemble des pays du sous-continent, influencequi s’exprime notamment par la signature de nombreuxaccords transnationaux de développement et bilatérauxde libre-échange. Comme le soulignent les auteurs cettepuissance n’est cependant pas absolue et doit faire face àd’autres concurrents régionaux comme le Japon ou laCorée ou encore internationaux avec la montée en puis-sance des États-Unis d’Amérique après l’élection de BarackObama réinsufflant de la puissance à l’influence histo-rique de l’impérialisme étasunien sur certains pays commela Thaïlande ou les Philippines héritée de la guerre froide.À l’heure de débats français et européens sur le sauvetageet le redéploiement des capacités de production indus-trielle le texte de Jean-Raphaël Chaponnière et de MarcLautier « Le modèle de développement de l’Asie de l’Est »recèle un intérêt particulier. Les auteurs se refusent à une

généralisation simpliste de la situation des pays de la régiontant les réalités sont disparates entre nations, en témoignel’éloignement profond de la construction historique depays comme le Vietnam ou la Thaïlande. Sans évacuertoutes nuances, des caractéristiques communes au déve-loppement de ces pays existent. L’idée que l’Asie du Sud-Est a pu se développer rapidement grâce au libéralismeet à la non-implication de l’État dans l’économie, thèseclassiquement exprimée, est récusée par les auteurs quidémontrent qu’un engagement réel des autorités publiquesexiste dans nombre de ces Nouveaux pays industriels(NPI). Cet engagement de l’État en soutien des monopolesnationaux tels les chaebols coréens se traduit par d’im-portantes subventions à l’exportation, une orientation del’investissement par l’État ou encore une administrationforte permettant, si ce n’est une planification de l’écono-mie, de donner une orientation globale au développe-ment de l’appareil productif national, il peut ici être faitréférence au Board of Investment thaïlandais. Cela neremettant en rien en cause les rapports de productiondans les pays capitalistes.Toujours dans le dossier thématique il faut remarquer l’ar-ticle de Patrice Jorland relatif à la construction interéta-tique régionale : « l’ASEAN, objet international à identi-fier » qui offre au lecteur un grand nombre d’informationsutiles ainsi qu’une analyse fine de cette institution. Bienqu’il organise également pour partie le marché à l’échellecontinentale cet organe n’est cependant pas identique àl’Union européenne qui place, elle, la concurrence au cœurde son fonctionnement.La chronique ne serait pas complète sans évoquer lescontributions hors dossier. Il s’agit tout d’abord de l’arti-cle d’Alain Joxe, « Colombie : une succession de proces-sus de paix et de guerre à deux ou trois camps » qui retraceles évolutions du conflit opposant État colombien etrebelles des FARCS ou de l’ELN et ses fluctuations depuis1948. Alors qu’une fenêtre d’opportunité pour la paix existedu fait des négociations entre les différentes parties quise déroulent toujours à La Havane, la lecture de ce texteest salutaire. Un article similaire est consacré au proces-sus de paix en Turquie relativement au conflit opposantles Kurdes à l’État central. Nous ne partageons pas l’en-semble de l’analyse qui est développée même si celle-cidemeure intéressante et pertinente. Plus concrètement,c’est sur les raisons du coup d’État de 1980 et sur l’ana-lyse du régime de Recep Tayip Erdogan que nous faisonspart de nos divergences de vue avec l’auteur. Nous esti-mons en effet que la montée d’une gauche progressisteet le rôle de l’OTAN sont sous-estimés pour la premièrethématique tandis que le caractère foncièrement antidé-mocratique et liberticide du gouvernement Erdoganmanque pour la seconde.Enfin le lecteur découvrira dans ce numéro de Recherchesinternationales deux très bons articles abordant les thé-matiques cruciales pour la bonne compréhension desenjeux de notre époque. Le premier, de Jean-Claude Paye,« Fusion du droit de la guerre et du droit pénal : France,États-Unis » démontre notamment les nombreuses intru-sions du droit militaire dans les libertés civiles et politiquessur les deux rives de l’Atlantique et le second d’AnthonyMaranghi, relatif à la politique étrangère de la Chine et del’utilisation en son sein du confucianisme qui n’avait pour-tant plus droit de cité sous le président Mao.Fournis, divers et s’intéressant à une région du monde aucœur de laquelle les antagonismes impérialistes mon-diaux côtoient des nouvelles voies de développement cenuméro de Recherches Internationales constituera pourle lecteur intéressé une ressource riche !

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DANS LE TEXTE

LA REVUEDU PROJET

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Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que Marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La revue du projet propose des éclairagescontemporains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

forces productives etrapports de productionComment expliquer les grandes transformations histo-riques ? Sont-elles portées par de nouvelles idées, véhi-culées par des groupes sociaux organisés ?

Pour Marx, si l’on veut rendre intelli-gible une « époque de révolutionsociale », le passage d’un type de sociétéà un autre, il faut partir, non pas desidées ou de la conscience des acteurs,mais de la production matérielle. Lesrévolutions sociales sont préparéessouterrainement par des transforma-tions dans la production, par l’évolu-tion des relations entre « forces pro-ductives » et « rapports de production ».Elles ne sont donc pas possibles à toutmoment ni en tout lieu. Les conditionsobjectives ne suffisant jamais, l’actionpolitique conserve un sens ; elle doitse méfier néanmoins de l’aventurismerévolutionnaire qui s’imagine que latransformation du monde n’est qu’af-faire de volonté.

Les TrANsforMATioNssoCiALes à LA LUMiÈre de LAdiALeCTiqUe des « forCesProdUCTives » eT des« rAPPorTs de ProdUCTioN »L’expression « forces productives »désigne les moyens de production(outils, machines, système demachines), l’ensemble des hommesqui les utilisent, ainsi que les savoirsindispensables au travail (savoir-fairedes métiers traditionnels, connais-sances techniques et scientifiques).Rapport de l’homme à la nature, la pro-duction est toujours et en même tempssociale, rapport des hommes entre eux.Il est impossible de penser la produc-tion dans les sociétés humaines sur lemodèle du travail de Robinson Crusoé,seul sur son île. Les « rapports de pro-duction » désignent donc le type derapports que les hommes établissententre eux lorsqu’ils produisent. Il existepar exemple des rapports de produc-tion esclavagistes. L’esclave n’est pasun homme libre, il est la propriété d’unmaître qui organise son travail et luifournit ses outils. Le servage, à l’époquemédiévale est un autre exemple de rap-port de production. Le serf est attachéà une terre et à un seigneur ; il n’est paslibre de les quitter à sa guise. Il est en

PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER

À un certain stade de leur développement, les forces

productives matérielles de la société entrent en contradic-

tion avec les rapports de production présents, ou ce qui

n’en est qu’une expression juridique, les rapports de pro-

priété, à l’intérieur desquels elles s’étaient mues jusque-

là. De formes de développement des forces productives

qu’ils étaient, ces rapports se changent en chaînes pour

ces dernières. Alors s’ouvre une époque de révolution

sociale. Avec la transformation de la base économique fon-

damentale se trouve bouleversée plus ou moins rapide-

ment toute l’énorme superstructure. Quand on examine

de tels bouleversements, il faut toujours distinguer le bou-

leversement matériel des conditions de production éco-

nomique, que l’on peut constater aussi rigoureusement

que dans les sciences de la nature, des formes juridiques,

politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref

des formes idéologiques sous lesquelles les hommes pren-

nent conscience de ce conflit et le mènent à terme. Pas plus

qu’on ne peut juger de ce qu’est un individu d’après l’image

qu’il a de lui-même, on ne peut juger d’une telle époque

de bouleversement d’après sa conscience ; il faut bien plu-

tôt expliquer cette conscience par les contradictions de la

vie matérielle, par le conflit existant entre les forces pro-

ductives sociales et les rapports de production. Une for-

mation sociale ne disparaît jamais avant que soient déve-

loppées toutes les forces productives qu'elle est assez large

pour contenir, et jamais de nouveaux rapports de produc-

tion supérieurs ne la remplacent avant que les conditions

d'existence matérielles de ces rapports n'aient éclos au sein

même de l'ancienne société. L'humanité ne s'assigne donc

jamais que des tâches qu'elle peut résoudre car, à y regar-

der de plus près, il se trouvera toujours que la tâche ne naît

elle-même que là où sont déjà présents soit les conditions

matérielles de sa résolution, soit au moins le processus de

leur devenir.

Karl Marx,

« Avant-propos » de la Contribution à la critique de l'économie

politique (1859), Les Éditions sociales, Paris, 2014, p. 63.

Traduction de Guillaume Fondu et Jean Quétier.

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DANS LE TEXTE

LA REVUEDU PROJET

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outre contraint de travailler gratuite-ment une partie de la semaine pour leseigneur. Le salariat est un autre typede rapports de production. Le salarién’est pas propriétaire des moyens deproduction qu’il utilise au cours de sontravail. Marx explique que le salarié estnéanmoins un travailleur « libre » ence sens qu’il n’est pas la propriété d’unmaître et qu’il s’associe au capitalisteau moyen d’un contrat. Mais la libertéjuridique du salarié est en réalité unjeu de dupes dans la mesure où les rap-ports de production capitalistes lecontraignent à vendre sa force de tra-vail pour subsister. « Forces produc-tives » et « rapports de production »n’existent jamais indépendamment lesunes des autres. Ils sont nécessaire-ment imbriqués. La production est lamise en œuvre de forces productivesdans le cadre de rapports sociaux déter-minés, elle s’inscrit donc toujours dansune histoire.Marx estime que les transformationssociales profondes adviennent lorsquele développement des « forces produc-tives » entre en contradiction avec les« rapports de production ». Ces der-niers favorisent d’abord l’essor desforces productives mais finissent tou-jours par devenir de véritables« chaînes » s’opposant à leur déploie-ment. À l’aube du capitalisme, écritMarx dans le Manifeste du parti com-muniste, « le métier, entouré de privi-lèges féodaux, fut remplacé par lamanufacture. La petite bourgeoisieindustrielle supplanta les maîtres dejurande ; la division entre les différentescorporations disparut devant la divi-sion du travail dans l’atelier même ».Ainsi, la contradiction évoquée précé-demment constitue l’un des facteursqui entraînent la crise du mode de pro-duction féodal : les rapports de pro-duction liant les maîtres à leurs com-pagnons dans de grandes corporationsde métiers sont autant d’entraves à lagénéralisation de la division du travaildans la manufacture, laquelle exige la

réunion, la réorganisation, voire la frag-mentation, des anciens métiers. Lacontradiction entre forces productiveset rapports de production n’est pas laseule explication mobilisée par Marxpour expliquer la transition entre féo-dalisme et capitalisme. Dans le Capital,il insistera par exemple sur le rôle jouépar l’expropriation violente de la popu-lation rurale anglaise au XVe siècle.

CriTiqUe des LeCTUresidéALisTes desTrANsforMATioNs soCiALeseT iMPLiCATioNs PoLiTiqUesLa contradiction entre forces produc-tives et rapports de production estobjective, c’est-à-dire qu’elle échappeen partie aux intentions et aux projetsdes hommes. La conscience humaine,ses productions intellectuelles et ins-titutionnelles ne constituent pas lasource principale des changementssociaux. Marx retrouve ici les analysesde L’Idéologie allemande qui condui-saient à relativiser la force des idées.S’il les répète, c’est parce qu’en matièrede « révolutions sociales » les explica-tions idéalistes vont bon train. La bour-geoisie voit dans la Révolution fran-çaise l’avènement de la philosophiedes Lumières. Les contre-révolution-naires la considèrent comme le résul-tat d’un complot ourdi par ces mêmesphilosophes contre la tradition. Dansles deux cas, l’événement est pensécomme la réalisation d’idées. Le rôlede la production, et de ses contradic-tions, est purement et simplementignoré. Ces deux lectures sont super-ficielles ; le mouvement historique estexpliqué à partir des productions idéo-logiques des hommes comme si cesproductions ne devaient pas, à leurtour, être réinscrites dans l’histoire.Faire de la contradiction entre forcesproductives et rapports de productionle moteur ou, tout au moins, la sourcedes révolutions sociales n’est évidem-ment pas sans conséquence. D’unepart, une telle affirmation doit conduire

à ne pas se montrer trop volontaristeen matière d’action politique. La révo-lution ne se décrète pas, elle ne germepas non plus dans n’importe quellesconditions. Marx lui-même en a faitl’expérience en observant le reflux quia suivi la période de bouillonnementrévolutionnaire de 1848. En cela, letexte peut être considéré comme uneréponse à tous les agitateurs « hors-sol » qui, comme Blanqui(1) à l’époquede Marx, s’imaginent pouvoir réduirela question de la révolution sociale àcelle de la stratégie menant à la prisedu pouvoir. L’action politique ne peutdonc pas se dispenser d’une analyseapprofondie de la situation sociale, dumoment historique dans lequel elleprétend intervenir. Toutefois, affirmerla centralité de la contradiction entreforces productives et rapports de pro-duction n’a pas simplement pour Marxune fonction critique. C’est aussi uneoccasion de mettre en évidence les pos-sibilités de transformation sociale déjàincluses dans le présent. On retrouvelà l’idée, déjà exprimée dans leManifeste du Parti communiste, selonlaquelle « la bourgeoisie produit sespropres fossoyeurs ». En insistant surle rôle du développement des forcesproductives, Marx ne se livre pas à unplaidoyer en faveur d’une expansioneffrénée de la production, comme celaa parfois été affirmé : il insiste dans cetexte sur le lien qui existe entre boule-versements dans la production et bou-leversements sociaux. Il serait fauxnéanmoins de s’imaginer que Marx enconclut que le capitalisme s’effondrerasous le poids de ses propres contradic-tions. Si « l’humanité ne s’assignejamais que des tâches qu’elle peutrésoudre », c’est bien de tâches qu’ils’agit, d’actions à accomplir. Dire quela sortie du capitalisme est possible, cen’est pas dire qu’elle est automatique.En nous faisant entrevoir la contradic-tion qui existe aujourd’hui entre desforces productives qui permettraientde garantir le bien-être des individus(nous pouvons soigner des maladiesgraves, nous pouvons partager desconnaissances essentielles) et d’autrepart des rapports de production dontla seule finalité est de garantir aux capi-talistes un taux de profit maximal, letexte de Marx nous donne aussi l’oc-casion d’envisager un autre mode deproduction que celui dans lequel nousvivons. n

1859, UNE PREMIÈRE ÉTAPESUR LA ROUTE DU CAPITALà la fin des années 1850, Marx travaille déjà à son grand projet de critique del'économie politique. s'il n'en est pas encore à expliquer ce qui fonde l'exploi-tation capitaliste proprement dite, il expose déjà, dans l'ouvrage qu'il publie en1859, les rouages de l'échange marchand et de la circulation monétaire. Marxentend à la fois mettre en évidence le fonctionnement du mode de productioncapitaliste et faire la critique des catégories couramment employées dans lediscours des économistes de son temps (valeur, marchandise, argent, etc.). Ceprojet occupera Marx jusqu'à la fin de sa vie et le conduira à rédiger des milliersde pages, dont une partie seulement sera publiée de son vivant.

(1) - Louis-Auguste Blanqui (1805-1881) : révolutionnaire socialiste fran-çais, partisan d'une insurrection vio-lente menée par un petit nombred'activistes.

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