la revue du projet - n°2

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Parti communiste français P. 23 NOTES L’ENJEU CULTUREL ET LE PROJET Par ALAIN HAYOT u P. 6 LE DOSSIER LES SERVICES PUBLICS P. 30 ACCÉLÉRATION SOCIALE ET/OU PÉTRIFICATION DE LA SOCIÉTÉ Par HARMUT ROSA P. 32 SCIENCES NANOTECHNOLOGIES : CAUCHEMAR DE LA TECHNO-SCIENCE OU ESPOIR POUR L’HUMANITÉ ? Par GÉRARD CHOUTEAU N°2 NOV. 2010 REVUE THÉORIQUE MENSUELLE DU PCF COMMUNISME EN QUESTION

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Dossier sur les services publics

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P a r t i c o m m u n i s t e f r a n ç a i s

P.23 NOTES

L’ENJEU CULTURELET LE PROJETPar ALAIN HAYOT

u P.6 LE DOSSIER

LES SERVICESPUBLICS

P.30 ACCÉLÉRATIONSOCIALE ET/OUPÉTRIFICATIONDE LA SOCIÉTÉPar HARMUT ROSA

P.32 SCIENCES

NANOTECHNOLOGIES :CAUCHEMAR DE LATECHNO-SCIENCE OU ESPOIR POUR L’HUMANITÉ ?Par GÉRARD CHOUTEAU

N°2NOV.2010

REVUETHÉORIQUEMENSUELLE

DU PCF

COMMUNISME EN QUESTION

LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

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4 FORUM DES LECTEURS/LECTRICES

6u17 LE DOSSIER

LES SERVICES PUBLICSDanièle Lebail Les services publics, pilier d’unesociété nouvelle Anicet Le PorsUne histoire, une théorie, un avenirPaul BoccaraUne nouvelle civilisation, un bien commun Geneviève AzamServices publics et enjeux écologiquesJean-Michel Gaveau De l’efficacité du service public André Brunstein L’eau au 21e siècle  : un défi à releverGérard Piel Des transports publics pour une autre mobilitéClaude Chavrot Quelle prise en charge de la dépendance  ?

Michel Rizzi Pour une nouvelle entreprise publique Jean-Michel Drevon Les états généraux du Service public Denis Durand Un autre crédit est possibleStéphane Bonnery Accroître le pouvoir de penserCatherine Mills Sécuriser l’emploi et la formation

18 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff Un nouvel espace critiqueSONDAGES : La banalisation du FN

21u24NOTES DE SECTEURSJacques Fath Bamako 2010Jean-Luc Gibelin Une campagne pour la santéNicolas Bonnet Sport bizness ou sport émanci-pation, que voulons-nous ?Alain Hayot L’enjeu culturel et le Projet

25 REVUE DES MEDIASAlain Vermeersch, Le retour du social

27CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon

29 AGENDA APPEL À COMPÉTENCES

30COMMUNISME EN QUESTION

Harmut Rosa, Accélération sociale ou pétrification de la société(extrait de son ouvrage : Accélération)

32SCIENCESGérard Chouteau Nanotechnologies  : cauchemarde la techno-science ou espoir pour l’humanité

34CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

SOMMAIRE

FORUM DES LECTEURSMerci à toutes et à tous Le premier numéro de la Revue du Projet a fort heureuse-ment suscité nombre de remarques de votre part, des félicitations, bien sûr ! des déceptions également... Nous vousinvitons à continuer à participer activement à la réussite de cette nouvelle publication en nous écrivant à [email protected]. Certains nous interrogent sur la possibilité de pouvoir disposer d’une version papier. Cette perspective, légitime, est enreflexion, avec la volonté d’intégrer enjeux économiques et écologiques. Nous invitons cependant chacune et chacun àsolliciter les sections et les fédérations pour répondre à cette demande.Cette revue est d’abord un outil militant. Elle doit s’améliorer encore, cela dépend de nous tous. Pour la recevoir par mail écrivez à [email protected]

J’ai découvert avec régal laRevue du projet. Il y avaitlongtemps que je ne m’étaispas enthousiasmé. C’est unexcellent outil de travail.

PATRICK KACZMAREK, SOMME

Je pense que nous devons présenter un projet pour le moinstransversal : celui d’une Vle République ! Pour contrer lesdégâts de la réforme des collectivités territoriales et répon-dre en même temps à l’urgence d’une vraie démocratie !Dans ce projet de Vle République, il faut mettre en avant leprincipe électoral de la proportionnelle à toutes les élec-tions,   ainsi que le principe de la participation des citoyensnon pas dans les lieux de consultation, mais surtout dans leslieux de décision, cela afin d’éviter de donner trop de pouvoiraux seuls élus ou pire encore à la "bureaucratie"... Quelquesidées comme ça à vif sur lesquelles j’aimerais bien que l’onaffine collectivement la réflexion...n

ANAÏS RODRIGUEZ, CONTRIBUTION D’UNE MILITANTEET CONSEILLÈRE MUNICIPALE, HAUTE-GARONNE

Très déçu de ce premier numéro un peu fourre-tout et beaucoup trop densepour organiser un débat en section. Prendre le thème de l'insécurité commepremier sujet de réflexion m'interpelle. Je propose de revenir à un documentplus court et de cibler plus clairement les idées à débattre. n CORDIALEMENT, JOËL GOUBERT

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NOV 2010 - LA REVUE DU PROJET

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N ous avons reçu du cour-rier. Beaucoup. Tantôtenthousiaste, souvent

très critique. Presque acerbe,parfois. Nous avons lu chaquemail que vous avez bien voulunous envoyer. A nos yeux, cescourriers sont un témoignageprécieux : celui d’un désir,d’une volonté que cette Revuedu Projet existe. La critique laplus juste à nos yeux tient dansces mots simples : sommes-nous à la hauteur de ce quenous avons annoncé : est-cevraiment une “Revue duProjet” ? Pas encore. Vous avezraison. Ce n’est pour le momentqu’un désordre de volonté.Nous n’avons pas encore trouvéle Nord. Mais nous n’avons pasnon plus trouvé d’autresméthodes que de marcher etmarcher encore jusqu’à sortirde la forêt, selon le mot de RenéDescartes. Alors continuons àmarcher. Et le temps fera sonœuvre. Aussi rapidement quepossible, nous l’espérons.

***

A l’heure de ce rendez-vousmensuel, je veux vous entrete-nir quelques instants de lasituation à droite et de sesconséquences. Ma thèse estque la droite, plus largementles forces dominantes sontentrées dans une posture« d’ancien régime ». Au fond, ilssont arrivés au point deconclusion que la défense deleurs intérêts essentiels nepasse plus nécessairement parles Etats nationaux et les pro-cessus démocratiques. Ainsi,les classes dominantes envoientleurs enfants à HEC et non plusà Science Po. L’OMC, les

banques, les multinationales,les institutions régionales sontles lieux du pouvoir et de larégulation.

Ce que je dis n’est pas nouveau.Les conséquences non plus. Dupoint de vue matériel, s’ensuitune dégradation continue desprincipaux services collectifs etleur réorganisation dans uneoptique mercantile. L’écolen’échappe pas à cette règle : lesystème éducatif, au sens glo-bal, public et privé, est réorga-nisé avec comme seule ligne defuite la rentabilité immédiate.D’un point de vue idéologique,les conséquences sont aussisimples à analyser : le popu-lisme, c’est-à-dire la dégrada-tion continue des conditionsdu débat démocratique,l’abaissement de la politiquedevient une nécessité absolue.La mise en scène du débatpublic comme arène d’unaffrontement aussi violent questérile est au bout du chemin.La société est priée de se frag-menter, de « s’émotionnali-ser », la colère, l’envie, la détes-tation, les passions prennent lepas sur la raison. Et le tour estjoué, l’essentiel a disparu. Etcet essentiel, c’est la capacitédu peuple à délibérer. Le cirquea remplacé l’agora.

Ces quelques réflexions ne sontpas tournées vers l’actualité.Elles sont tournées vers l’aveniret vers notre union. En effet, cetétat dégradé du débat publicest le témoignage du besoind’aller au fond sur les pro-blèmes contemporains. Lepeuple vit l’alternance depuisdeux décennies et constatel’absence d’alternance écono-mique. Notre peuple vit le

développement des médias,nouveaux et anciens, leur frag-mentation, et constate sonexclusion de l’espace média-tique. Notre peuple vit le déve-loppement, privé et public,d’offres multiples de formationinitiale et continue et pourtantconstate son exclusion durabled’un système éducatif perfor-mant.

Chacune de ces questionscomme toutes les autres posentau cœur le problème de ladémocratie. Je veux attirer votreattention sur un sondage àparaître dans l’Humanité-Dimanche du jeudi 4 novembre.Que l’on me pardonne de céderaux charmes de la démocratied’opinion mais ce sondagemanifeste un mouvement pro-fond du peuple français. Aufond, plus de vingt ans après lachute du mur, nos concitoyensregardent tranquillement le murde l’argent et constate que celui-ci n’est toujours pas tombé... Et le droit populaire à la critique du capitalisme reprend sesdroits avec simplicité dans lesconsciences. Tout y passe :riches, salaires, immobilier, ser-vices publics. Tout y passe et sur-tout l’essentiel : ce vieux peupleest décidemment impossible à normaliser et attend desréponses claires à la crise ducapitalisme. Ce sondage, commebeaucoup d’autres, révèle en fili-grane une idée simple : nousavons changé de période histo-rique. Nous ne sommes plus autemps de l’hégémonie idéolo-gique du capitalisme, noussommes au temps du doute pro-fond et à la recherche deréponses nouvelles.

Au mois prochain.

PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

LE CIRQUE ET L’AGORA

LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

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Je viens de lire le premiernuméro de la Revue du projet.Bravo pour ce travail essentielafin de convaincre autour denous sur un sujet aussi sensibleque celui de la sécurité.. Clair,agréable à lire... Vivement lesuivant ! PASCAL ARROS, LYON

FORUM DES LECTEURS

LE TITRE « PROJET » EST À LUI SEUL UN DÉFI QUANT AU RÔLE ET AU CONTENU DE CETTE REVUEEst-ce du communisme et du capitalisme dont on veut par-ler ou plus modestement du programme politique ?   Est-cede la marche de l’Humanité, des évolutions du monde, deleurs mécanismes ou plus modestement des mesures à fairevaloir, à proposer aux salariés et aux citoyens dans lapériode ? S’agit-il de faire uniquement de la « théorie » ouseulement d’élaborer des propositions programmatiques ?Y aura-t-il de la place pour l’analyse des expériences mili-tantes et de luttes, sur la stratégie et l’organisation de l’ou-til communiste ? L’un des défis de la revue sera certaine-ment d’articuler tout cela en restant accessible aux mili-tants sans jamais cesser d’être exigeant quant au contenu.La revue devrait me semble t-il, donner de la profondeur àla réflexion théorique des communistes, mettre en perspec-tive les propositions communistes au regard de la marchedu monde, aider à l’élaboration d’un regard critique sur lesstratégies et propositions des autres forces politiques, don-ner à voir sur la portée de l’engagement militant, du mou-vement social, de l’organisation et de la stratégie du Parti etenfin et peut-être surtout de cerner les clés que recèle leconcret pour transformer   l’évolution de la société. Par rap-port à ce dernier point, une rubrique sur la science est uneexcellente chose. Elle mériterait plus de place pour permet-tre une véritable vulgarisation des perspectives offertespar ce qui se joue dans ce secteur.(...) Encore faut-il que ledossier ne soit pas juxtaposition de problématiques ou depoints de vue comme j’ai perçu celui sur la « sécurité ».Nous avons besoin de cohérence face à celle du Capital. Lasolution pour maintenir une multiplicité des points d’entréeest peut-être possible à travers une « table ronde-inter-view » qui peut amener les intervenants à raccorder parl’échange leurs angles de vue. Cela libérerait d’ailleurs de laplace pour d’autres articles de la dimension de celui de L. Bonnelli. n

FRANCIS VELAIN, 92 – COLOMBES

« Une très bonne initiative. Peut être les prémices d’un véri-table retour à la notion du PCF "intellectuel collectif". (sansdoute la nostalgie de la "Nouvelle Critique", des "Cahiers duCommunisme" et de "France Nouvelle"). Je compte faire sui-vre à des camarades qui ont quitté le Parti ou qui en sontproches. n MICHEL WENIG, CELLULE D. FÉRY - VILLECRESNES

Je viens de prendre connaissance ducontenu de ce 1er numéro. Il répond auxattentes de chacun. Cette initiative de faireparaître un tel document est à saluer. n

JEAN GARDETTE

Je regrette, mais je ne pense pas que le premier sujettraité par cette revue corresponde vraiment à l'objectifqui était fixé. Je croyais qu'il s'agissait de définir unprojet politique pour le PCF, pas de formuler un pro-gramme électoral ! Lequel doit, selon moi, rester de lacompétence du Front de Gauche. L'insécurité est,certes, un problème, mais c'est insoluble dans le cadredu capitalisme. D'ailleurs aucun pays capitaliste ne l'arésolu ! Tout au plus l'a-t-on, parfois, circonscrit. Aussije pense que le nouveau projet communiste doit,d'abord et avant tout, critiquer le capitalisme, montrerses limites qui sont largement atteintes en Francecomme en occident, définir une voie pour le dépasserdéfinitivement et, repositionner idéologiquement leparti communiste pour attendre cet objectif. Le militantdu 21e siècle a besoin du Manifeste de 1848, mais aussidu savoir qui s'est accumulé depuis, avec les ajuste-ments qu'il convient d'adopter au regard de l'expé-rience des trois demi siècles passés depuis. C'était dansce cadre que j'attendais la Revue du Projet, pas pourproposer, in fine, un autre « Changer de Cap » ! n

C.N. (46400)

Elu dans une commune à risques majeurs - Seveso - crues dela rivière ou du Rhône - je suis intéressé par ce premier dos-sier sur la sécurité. Nous sommes en révision du POS versPLU. n FERNAND FRANCÈS, MAIRE-ADJOINT PCF

Plusieurs articles survolés m'ont paru très intéressants, àvoir de plus près. Cette revue me paraît nécessaire s'il s'agitréellement de donner la parole aux adhérents, même s'il fal-lait critiquer leurs propos. Mais j'espère que la suite différeradu premier et seul numéro de la Revue semblable qui étaitparue sous la responsabilité de Marie-Pierre Vieu en novem-bre 2002... n EDOUARD HESSER 92130 VÉTÉRAN (1948 )

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NOV 2010 - LA REVUE DU PROJET

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FORUM DES LECTEURS

Bienvenue, félicitation ! A l'heure d'internet , il nous man-quait cette revue ! Bien dommage pour notre journal l'hu-manité, mais parfois, certains petits salaires n'ont pas lesmoyens d'acheter la presse, et même si nous pouvonsnous rendre sur le site de l'Humanité, une revue supplé-mentaire que nous pourrions partager avec nos amis dunet ( ce qui permet d'évoquer nos idées et notre but poli-tique), était devenue nécessaire ! Voilà, c'est chose faite !je partage dés maintenant ce lien avec mes contacts !Longue vie à La Revue ! n ANNE BUQUET

« Remarquable ! Prochaines rubriques : réseau entreprises ;bataille médias, propositions PCF ». JEAN-FRANÇOIS TÉALDI

Je viens de me pencher sur la revue Projet que j’ai reçu surinternet. Doit-on la comprendre comme une adaptationmoderne de "feu" Les Cahiers du communisme ? Elle a le méritede mettre sur la table un certain nombre de questions sensiblesliées à la situation actuelle dans un cadre moderne etbien rythmé. Elle n’a qu’un seul "défaut" majeur. Elle vient desortir du chapeau. Alors il faut qu’elle se confronte à tous lescommunistes, horizontalement, verticalement, en biais, enfincomme on veut selon les contextes. Dans ce cadre, il serait bonde créer (à moins que je ne l’ai pas compris si elle est prévue)une possibilité de réactivité par internet en rapport avec ceuxqui, aujourd’hui, ne communiquent plus que par ce biais sansoublier les autres, en boule de neige, voire en avalanche.L’intellectuel collectif que nous recherchons aujourd’hui nes’arrête pas, même si l’apport de Bourdieu et de quelquesautres est très utile, à l’étalage de la réflexion de tous ceux quiont l’habitude des plateaux de confrontation médiatique.Notre défi, c’est bien de sortir du bois, donc de nous confron-ter aux réalités diverses d’une société dans laquelle la prise deparole, en introduction comme en conclusion, est encore tropbouclée par un encadrement médiatique professionnel struc-turé et faussement rassurant, surtout quand, après avoir écoutéde beaux principes de réflexion on se retrouve confronté à ladure réalité de l’environnement quotidien savamment enca-drée par les gendarmes de l’idéologie dominante.(...) Autrequestion. Quid des relations avec l’Humanité, qui est aussiun lieu très dynamique d’échanges, irremplaçable à sonniveau, même si cela coûte si cher d’exister dans la cage auxlions de la presse nationale ? Fraternellement. n

NICOLAS LANGLOIS,SECRÉTAIRE DE SECTION DIEPPE (76)

Salut je suis un camarade de la Somme

(Santerre) je trouve ce forum pas mal. Depuisle mois de juin 2010, nous avons mis en placeun comité des privé(e)s d'emploi et travailleursprécaires à la CGT UD-Amiens. Tous les trimes -tres, nous avons une commission paritaireavec la directrice territoriale du pôle-emploi. Sicertains camarades sont intéressés par cetteaction, je peux leur en faire part afin del'étendre sur tout le territoire. nSALUT FRATERNEL ! Les copains de Mézières

Pages réalisées par CÉCILE JACQUET

La Revue du Projet. Quel beau titre, etcombien d'espoirs il soulève. Aussi cen'est peut être pas étonnant que ce pre-mier numéro suscite en moi autantd'intérêt que de déceptions. La décep-tion majeure, c'est qu'on n'y aborde jus-tement pas la question du projet.Pourtant, de programmes en tentativesde projets, les congrès successifs du PCFn'ont pas cessé de se casser les dents surcette question. N'est-il pas temps del'aborder de front et de chercher, parexemple, les causes des échecs succes-sifs à formuler un projet reconnucomme tel ? J'en donnerai un seulexemple, car la loi du genre de ces d'in-terventions est qu'elles doivent êtrebrèves, ce qui est difficile sur ce type dequestion. Dans son éditorial, Patrice

Bessac écrit « Socialisme ou barbarie,cette alternative est probablement plusque jamais aujourd’hui au bout de cettetentative de penser l’avenir ». Mais préci-sément « socialisme » n'est il pas aucœur du débat sur le projet ? Le débat neporte-t-il pas en grande partie sur« socialisme ou communisme » ?Socialisme, c'est à dire la primauté àl'État, la prise de pouvoir (démocra-tique) comme condition préalable sinon suffisante au changement desociété, versus Communisme, proces-sus de transformations de la société,dans lequel la prise du pouvoir est undes éléments d'un faisceau de transfor-mations, et pas obligatoirement le pre-mier ? De cette primauté, de ce choixpour l'avenir, découle à mon sens tout le

projet, et faire l'économie de cette dis-cussion, choisir sans débat l'une oul'autre option, ou ne pas choisir et resterdans le vague, est, à coup sûr l'un desingrédients de l'échec de toute tentativede faire un projet. Évidemment, cedébat sera long et c'est précisément l'in-térêt d'une revue de pouvoir se donnerle temps d'en faire le tour. Il me sembleque ce devrait être l'un au moins desobjectifs de cette revue, qui devrait yconsacrer une rubrique tous les mois,afin de confronter les positions sur cettequestion, et d'aller au fond de toutes lesquestions que soulèvent chacune desdeux options. Dépasser cette contradic-tion sera, je pense, une étape impor-tante pour permettre de dépasser lecapitalisme. n JANINE GUESPIN

LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

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Les services publicsÉdito

LE DOSSIERAu nom de la concurrenceet de la compétitionmondiale la droite et leMedef s’acharnent à livrerau marché les servicespublics et les entreprisesnationales.

La reconquête de leurmaîtrise publique est ainsid’une brûlante actualité.

Les auteurs qui ontcollaboré à ce dossierrappellent que la notion deservice public s’estconstituée au carrefour devaleurs fondamentales etqu’il faut aller plus loinvers la construction deservices publics étenduset démocratisés.

Associer l’exigence de l’utilité sociale à celle del’efficacité économique,pour répondre aux besoinsde notre époque, constituealors la pierre angulaire dunouveau mode dedéveloppement que nousmettons en débat.

PAR ANICET LE PORS*

Lorsque Philippe le Bel décide à la findu XIIIe siècle la création du Conseild’État du Roi, il entend par là signi-

fier que les affaires contentieusesconcernant le royaume ne peuvent êtretraitées par les juridictions ordinairescar elles relèvent du « bien commun » ;il opère ainsi une distinction franche

public-privé qui participe toujours denotre identité nationale. Au cours dessiècles suivants, la monarchie se doteradans le même esprit, d’une administra-tion fortement structurée. Les inten-dants (préfigurant les grands corps)apparaissent dès le XVe, les ingénieursdes Ponts et Chaussées au XVIIe siècle.La Révolution française accentuera ladichotomie en faisant interdiction aux

UNE HISTOIRE, UNE THÉORIE, UN AVENIRLa conception française du service public est l’aboutissement d’unelongue histoire. C’est à cette histoire, à la démarche de rationalisa-tion et à l’éthique dans la conduite des politiques publiques que s’op-pose le sarkozysme. Mais s’ouvre ainsi, pour le peuple français, unestratégie de reconquête de son histoire, de la démarche scientifiqueet de la morale républicaine.

LES SERVICES PUBLICS, PILIER D’UNE SOCIÉTÉ NOUVELLE

I l n’est pas anodin que le deuxième grand dossier discuté et mis en débat dans laRevue du Projet porte sur l’enjeu du service public. En effet dans un moment decrise profonde où se développent précarité, insécurité, inégalité mais aussi dans

un moment de révolte où monte l’exigence d’une culture de partage, de justice et desolidarité, la question des services publics resurgit au cœur des débats comme uneréponse incontournable structurante d’une nouvelle société.

Il faut inverser la machine capitaliste qui, depuis des décennies, au nom d’uneconcurrence libre et non faussée, sur l’autel de la libéralisation a donné aux préda-teurs financiers des pans entiers de nos services : offensive contre les entreprises deservice public, contre les systèmes publics, contre les services de proximité avec laréforme territoriale et la RGPP (Révision générale des politiques publiques) laissantsur le carreau les hommes et la planète.

Dans ce monde en mouvement, où les questions posées s’aiguisent, il nous fautdonc être offensif et concrétiser l’ambition portée d’un grand service public.Qui dit service public doit définir quel nouveau modèle d’entreprise publique nous vou-lons avec quels critères de gestion démocratique et quels personnels avec quel statut.Qui dit service public doit déterminer quels sont les champs nouveaux que nousdevons extraire de la sphère marchande.Qui dit service public doit exiger des financements nouveaux et une réforme fiscale.Qui dit service public doit réfléchir à quels services publics Européens et mondiaux.Qui dit service public nous impose de donner à voir quelle responsabilité publiquenationale sur les biens et les services.C’est donc l’objectif de ce dossier d’affiner le débat pour des propositions qui serontle pilier d’une société nouvelle solidaire, démocratique qui place la satisfaction desbesoins humains et le respect de notre planète au cœur des choix politiques desannées à venir. n

* Danièle Lebail est responsable nationale Services Publics et solidarités du PCF

PAR DANIÈLE LEBAIL*

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NOV 2010 - LA REVUE DU PROJET

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justice, éducation, etc.). Simple à l’ori-gine, la notion de service public n’acessé de se complexifier. La doctrine aconsidéré qu’il y avait service publiclorsque trois conditions étaient réu-nies : une mission d’intérêt général, unepersonne morale de droit public, unjuge et un droit administratifs spéci-fiques. Le service public devait être cou-vert par l’impôt et non par les prix. Lesuccès rencontré par cette conception aconduit à une forte extension du servicepublic, mais l’a dans le même tempsrendu plus hétérogène, brouillant ainsila distinction public-privé. La loi qui enréglementait l’exercice a, de plus enplus, été concurrencée par le contrat.La contradiction s’est exacerbée dansle cadre de la construction de l’Unioneuropéenne qui ne reconnaît, pourl’essentiel, que les services d’intérêtéconomique général et affirme la pri-mauté du principe de concurrence.

UNE HISTOIRE FRANÇAISEC’est à cette histoire, à la démarche derationalisation et à l’éthique dans laconduite des politiques publiques ques’oppose le sarkozysme. Comme l’asouligné le philosophe Marcel Gauchet,sa stratégie c’est finalement la « banali-sation de la France », sa mise auxnormes européennes, tant en ce quiconcerne le service public, que la tradi-tion de la France-terre d’asile, la réalitédes nombreuses collectivités territo-riales, la laïcité, etc. qui sont présentéscomme autant d’anomalies qui doiventêtre résorbées. Mais s’ouvre ainsi, pourle peuple français, une stratégie dereconquête de son histoire, de ladémarche scientifique et de la moralerépublicaine. Plus précisément, s’agis-sant du service public qui représentedans notre pays le quart de la popula-tion active, la crise financière a montréqu’il constituait un important « amortis-seur social » du point de vue de l’emploi,du pouvoir d’achat, de la protectionsociale, des retraites, mais aussi d’unpoint de vue éthique face à l’immoralitéspectaculairement affichée par le sys-tème financier fauteur de crise.Cette stratégie en faveur de la concep-tion française du service public ne peutêtre seulement défensive. Elle s’ancreen effet dans une mondialisation quin’est pas seulement celle du capitalmais qui affecte la plupart des secteursde l’activité humaine et appelle par là,au cœur même de la crise du système,l’émergence de valeurs universelles et

Parlements d’intervenir en politique eten posant des principes fondateurs. LaDéclaration des droits de l’homme et ducitoyen de 1789 mentionne dès son arti-cle 1er l’« utilité commune » et la« nécessité publique » en son article 17 ;la IIe République en 1848 évoque le« bien-être commun » et l’« ordre géné-ral ». Autant de formulations qui recou-vrent ce que nous appelons aujourd’huil’« intérêt général » et son vecteur prin-cipal le « service public ».

UNE CONCEPTION AUTORITAIRECes notions ont souvent été jugéesexcessivement générales et consen-suelles, récusées car ne relevant pasd’une « analyse de classe ». Ce fut làune lourde erreur, car elles sont aucontraire le siège de profondes contra-dictions. C’est une conception autori-taire du service public qui a prévalusous le Consulat et l’Empire, puis pen-dant la majeure partie du XIXe et la pre-mière moitié du XXe siècle. Elle a néan-moins conduit à la fin du XIXe à laconstitution par les voies jurispruden-tielles et universitaires d’une école fran-çaise du service public qui en a fixé lesprincipes et les règles de fonctionne-ment. Il était alors fait peu de cas desconditions matérielles et morales desfonctionnaires et agents publics régispar le principe hiérarchique d’obéis-sance. C’est essentiellement par la voiejurisprudentielle que se construirontleurs garanties fondamentales tandisque les organisations de fonctionnairesdénonceront l’idée d’un statut-carcan.Le premier statut des fonctionnairesvoit d’ailleurs le jour en 1941 sous lerégime de Vichy et il faudra la Libérationpour que se produise un renversementde conception.

La définition de l’intérêt général etl’identification du service public onttoujours été problématiques. Les éco-nomistes néoclassiques ont considéréque si chacun poursuit rationnellementson intérêt individuel on doit ainsi par-venir à l’« optimisme social » pour lasociété tout entière ; or, dans notre pays,pour les raisons historiques qui ont étéprécédemment rappelées, l’intérêtgénéral n’est pas la somme des intérêtsparticuliers. Le juge administratif, plusprudent, a estimé que l’intérêt généralrelevait de la responsabilité du pouvoirpolitique s’il pouvait, pour sa part,reconnaître son existence dans desfonctions sociales majeures (défense,

de dispositions relatives à la gestion debiens communs : l’eau et de nom-breuses ressources du sol et du sous-sol,des services techniques appelant parnature une coordination planétaire, demême que la recherche scientifiquedans de multiples domaines, des ser-vices administratifs assurant la coopé-ration des pouvoirs publics nationaux,l’organisation de la sûreté au niveaumondial, la protection de l’écosystème.La caractéristique majeure de notreépoque est bien celle de l’émergenced’un « en-commun » auquel doit cor-respondre une prise de conscience dugenre humain de la nécessité d’enassurer la maîtrise collective demanière efficace et démocratique.

L’ÂGE D’OR DU SERVICE PUBLICC’est dans cet esprit que le XXIe sièclepeut et doit être « l’âge d’or » du servicepublic sous des formes extrêmementdiverses aux niveaux national, conti-nental, mondial.Des conséquences doivent être tirées decette analyse concernant : la base maté-rielle de ces services publics, les disposi-tifs juridiques les établissant, l’évolutioncorrélative de la citoyenneté. On veut iciseulement souligner l’importancedécisive de la propriété publique, ouplus exactement de l’appropriationsociale qui suppose, au-delà du trans-fert juridique de propriété au bénéficede l’État ou d’une collectivité publique,une articulation étroite avec, d’unepart, une économie des besoinssociaux et, d’autre part, l’interventiondes travailleurs concernés dans la ges-tion. Mais l’appropriation socialerépond aussi et d’abord à la nécessité decréer avec le capital un rapport de forcesmettant fin à sa domination et permet-tant un changement de système. Il fautdonc dire clairement, au plan national,quels sont les organismes bancaires etfinanciers, les entreprises industrielleset commerciales qui doivent être natio-nalisés. Il importe tout autantaujourd’hui de promouvoir dans lemonde cette conception du servicepublic et du secteur public nécessaire-ment associé que la France a développéau fil de son histoire et à laquelle ellereste en situation d’apporter une contri-bution éminente. n

*Anicet Le Pors est Conseiller d’État, ancienministre de la Fonction publique

LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

Par PAUL BOCCARA*

DES DÉFIS À RELEVERLa révolution technologique informa-tionnelle, les exigences écologiquessans précédent, les révolutions paren-tales (avec l’émancipation des femmes),la révolution démographique (de la lon-gévité et du vieillissement), la révolu-tion migratoire des populations du Sudvers le Nord, etc... nous mettent devantun certain nombre de défis à relever.Pour les services publics existants, onassiste à la marchandisation, la privati-sation, l’ouverture à la concurrence,l’emprise de la rentabilité financièresur les gestions, aux pressions contreles dépenses, avec notamment lavolonté de suppression d’un poste defonctionnaire sur deux partant à laretraite, aux pressions sur les condi-tions de travail. Mais ces régressionsfondamentales s’appuient sur lesconditions nouvelles au plan tech-nique et sur le refoulement de cer-taines progressions. En effet, lesrégressions et les privatisations ten-dent souvent à répondre à une mon-tée considérable, mais jugée intoléra-ble pour l’État et les marchés finan-ciers, des besoins et des dépenses.Ainsi, en France, la dépense totale desanté, est passée, en raison notam-ment des exigences du progrès tech-nique des thérapies ou encore desbesoins du vieillissement, de 5,6 % duPIB en 1970, à 9,1 % en 1991 et 11,2 %en 2008. De ce fait, on s’efforce de fer-mer des hôpitaux publics de proximitépour favoriser les groupes privés et onaugmente les dépenses pesant sur lesménages aux ressources limitées. Entre2001 et 2009, le budget santé desménages a augmenté de 40 %, tandis queles dépenses de santé sont couvertes à75,5 % par la sécurité sociale, mais à13,8 % par les complémentaires privées,et à 9,4 % di rect ement par les ménages.

péen et internationaliste avec lesorientations d’une démocratie partici-pative et d’intervention de chacun, dulocal à l’international.

DE NOUVEAUX POUVOIRS PARTAGÉS AVEC LES USAGERS Une transformation fondamentale, deportée révolutionnaire, doit concernerde nouveaux pouvoirs de coopérationcréative des usagers, directs ou indi-rects comme les parents, avec tous lespersonnels. Ainsi, un malade à l’hôpi-tal, au lieu d’être traité comme un objetpassif, doit pouvoir participer de façoncréative à son propre traitement, avecl’aide d’associations, de formation, desites d’information.Cette coopération des usagers avectous les personnels va de pair avec ledéveloppement des pouvoirs de tousles personnels et de leur formation. Cedéveloppement non étatiste fait qu’onpourra parler de « services publics etcommuns ».

UNE NOUVELLE EFFICIENCE, DU LOCAL AU MONDIALLes exigences des calculs et indicateursde résultats dans les services publicsrépondent aux pressions du rationne-ment et de la rentabilité financière.Mais elles correspondent aussi à desbesoins novateurs d’efficacité. D’où lapossibilité d’élaborer de nouveaux cri-tères d’efficience sociétale, de nou-veaux instruments de mesure et indi-cateurs. Une autre décentralisationdéveloppera, à l’opposé de la concur-rence et pour la dépasser, l’émulationpour l’efficience sociétale et la coopé-ration pour mettre en place les meil-leures solutions.Des coopérations internationalesintimes seront aussi développées,jusqu’à l’instauration de services etbiens communs publics de l’humanité.Les biens publics mondiaux ont étémis en avant par le Programme desNations unies pour le développement(PNUD). On emploie aussi de plus enplus l’expression de « Biens communsde l’humanité ». Cela comprend l’envi-ronnement, la santé, la culture, l’eau,l’alimentation, l’énergie, les transports,les communications, l’éducation, lascience, la formation, mais aussi lapaix. Et ils comprennent encore, selonnous, la monnaie et la finance parta-gées, jusqu’à une monnaie communemondiale, ou l’emploi-formation et lecodéveloppement des peuples.Il ne faut pas céder à une vision idéali-

Les services publics

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LE DOSSIERUNE NOUVELLE CIVILISATION, UN BIEN COMMUNNous avons besoin d’une expansion extraordinaire des servicespublics, alors que leur progression est attaquée et refoulée. Non seu-lement leur défense mais une nouvelle progression est possible,depuis le plan local, régional et national. Et cela peut contribuer àune autre construction aux plans européen et mondial. Cette ques-tion est au carrefour de toutes les solutions à la crise systémique dela civilisation occidentale mondialisée..

UNE PROMOTION DES SERVICES PUBLICSET DE LEUR FINANCEMENTLa promotion des services publicsconcerne les services classiques : l’édu -cation, la santé, le logement social, letransport, la poste, la recherchepublique la sécurité, l’information.Cependant, on vise aussi des transfor-mations fondamentales, comme unservice public de sécurisation de l’em-ploi et de la formation. On institueraun nouveau service public socialisé ducrédit et de la création monétaire,depuis des Fonds publics régionaux,un Pôle public financier national, uneautre Banque centrale européenne, etaussi un Fonds monétaire inter -national refondu. On organisera unservice de planification stratégique etincitative, décentralisée, pour la poli-tique indtrielle et de services et pour denouvelles gestions, et un service d’inci-tation à des coopérations internatio-nales pour le codéveloppement.On créera enfin des services tout à faitnouveaux : pour l’écologie, pour lapetite enfance, pour les personnesâgées, avec la promotion des activitéssociales hors travail tout le long de lavie afin de bénéficier de la longévité,dans le cadre d’une autre civilisation.L’ampleur des besoins de finance-ment renvoie d’abord à des prélève-ments publics et sociaux accrus. Mais,l’augmentation très importante desdépenses des services publics peutaussi s’appuyer sur une modificationdes règles de la Banque centrale euro-péenne. Celle-ci devra prendre destitres de dette publique grâce à sa créa-tion monétaire, à l’instar de la FederalReserve des États-Unis ou de la Banqued’Angleterre, mais à l’opposé de cesdernières, avec affectation aux diffé-rents services publics. Cela s’effectueraavec l’affectation des fonds publicsnouveaux aux services publics par unFonds de développement social euro-

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«rares», l’individu est renvoyé à lui-même et à son «mérite» pour assurersa vie personnelle et sociale, la solida-rité est opposée à la liberté. Le bilanparle de lui-même : approfondissementdes inégalités, souffrance sociale,dégradation parfois irréversible des res-sources naturelles, crise démocratique.

SE RÉAPPROPPRIER LES BIENS COMMUNS SOCIAUXFace à la crise écologique, les servicespublics, pour le transport, le logement, lagestion du foncier, la santé, l’énergie,l’eau, sont les moyens essentiels pourpermettre une transition qui assure lajustice sociale, la soutenabilité écolo-gique et le débat démocratique. Toutefois, ces services publics ne peu-vent être conçus comme simples trans-ferts de propriété et comme soutiens despolitiques de croissance économique.Le caractère public des services ou desbiens ne saurait en effet suffire à définirles choix sociaux. La crise écologique etles exigences du vivre ensemble surune planète finie, exigent une recon-version de certaines activités et unediminution forte de l’empreinte écolo-gique, une sortie du modèle de crois-sance, qui, sur une Terre finie, ne peutse poursuivre que par l’expropriationdu plus grand nombre au profit dequelques-uns. Les services publics sontdes moyens de réduire les consomma-tions privées au profit de consomma-tions collectives plus justes et moins

prédatrices, de s’échapper de la prisondu productivisme et de l’enchaînementaux besoins d’expansion du capital, des’affranchir du temps économique et dela vitesse pour retrouver le temps socialet le temps biologique. Alors que la glo-balisation a dévitalisé les territoires, lesservices publics sont un moyen irrem-plaçable pour relocaliser les activités.Leur affaiblissement et la disparition deservices publics de proximité appau-vrissent les régions rurales et les péri-phéries urbaines, renforçant le doublemouvement de polarisation des activi-tés dans certaines zones et de désertifi-cation ou d’abandon pour le reste.Le caractère public ne suffit pas nonplus à assurer une gestion démocra-tique et une véritable communalisationdes conditions de vie et de travail.Soustraire des productions à l’emprisedu marché ne peut se limiter à lesremettre aux mains d’un État supposéneutre et redistributeur : c’est unmoyen de soumettre ces productionsau choix démocratique de la société, demettre en discussion les choix produc-tivistes, étatiques ou privés.De même la crise écologique enseigne

que les systèmes de protection sociale,construits depuis plus d’un siècle etfondés sur la solidarité entre les per-sonnes, sont des remparts face à unefuite en avant qui précarise les per-sonnes et les rend dépendantes d’uneaccumulation privée de biens censésles protéger. Ils ne peuvent être finan-

sée des biens communs, sous-estimantles efforts de récupération dominatricedes entreprises multinationales,comme avec les propositions d’un« capitalisme vert ». Cela renvoie à desavancées des agences de l’ONU concer-nant les Biens et Services communs del’humanité. Cela concerne aussi les rela-tions entre les pouvoirs et critères nou-veaux des services publics avec d’autrespouvoirs et d’autres critères d’efficacitésociale dans les entreprises de produc-tion, tandis que sans eux, la seule avan-

cée de la propriété publique et la natio-nalisation ont montré leur caractère lar-gement insuffisant pour l’émancipationdes dominations sociales. Face à l’effon-drement des espérances et des illusionsétatistes et même aux dérives totalitairesdes sociétés s’étant réclamées du socia-lisme, c’est une autre espérance qui peutgrandir, avec des transformations auplus près de la vie de chacun, et de sonpouvoir de participation et d’interven-tion. Cela concerne la montée d’uneculture de partage, du commun, depuis

chacun, et d’une éthique de participa-tion créative depuis les solidarités deproximité jusqu’à toute l’humanité,dans une autre civilisation. n

* Paul Boccara est agrégé d’Histoire, Maître de conférences honoraire en SciencesEconomiques, membre de la CommissionEconomie du PCF. Dernier ouvrage : Transformations et crisedu capitalisme mondialisé. Quelle alterna-tive ? Le Temps des Cerises, 1ère édition2008, 2e édition augmentée 2009.

SERVIVES PUBLICS ET ENJEUX ÉCOLOGIQUESRetrouver le sens du Bien commun, se réapproprier les biens communs et les services collectifs, sontdes manières d’opposer la coopération à la concurrence, la solidarité à la domination des humains et dela nature, des voies pour conjuguer justice et liberté, pour promouvoir l’usage des richesses au lieu deleur destruction dans la consommation privative ; en un mot ce sont des chemins pour Bien vivre.

PAR GENEVIÈVE AZAM*

L a crise actuelle témoigne de l’effon-drement d’un système, qui, en seglobalisant, se heurte aux limites

physiques de la Terre et ne peut poursui-vre son expansion qu’au prix d’uneaccélération de la ponction sur les biensnaturels et sur les activités humaines, auprix d’une concurrence accrue pour lacaptation de l’ensemble des ressources.Toutefois, la globalisation ne signifiepas seulement l’extension géogra-phique du capitalisme. Elle procèdeégalement de son approfondissementpar une expropriation sans précédentdes ressources communes, humaines,sociales et matérielles, et par leurtransformation en marchandises. Lanature et la société, dans leurs ressortsles plus profonds, dans leur capacité dereproduction et de création, sont absor-bées dans la sphère économique de lavalorisation marchande. Le travail, labiodiversité, l’atmosphère, la connais-sance tendent à devenir des marchan-dises comme les autres, soumises à laloi de la concurrence et du profit.Partout, les services publics sontdémantelés, les systèmes de protectionsociale défaits et les biens communsnaturels accaparés par quelques trans-nationales qui entendent contrôler lescapacités de reproduction de la vie surla planète, la santé et l’alimentation. Lapropriété privée est exaltée au nom deson efficacité à gérer des ressources

LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

LE DOSSIER

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Les services publics

La sphère publique en France est étendue àtous les secteurs d’activités que l’on peut classeren sept grands secteurs : sécurité, défense,éducation, santé, protection sociale et assu-rance, action sociale et animation, servicespublics. La polémique sur la fonction publiqueest focalisée sur le nombre de fonctionnaires etleur réduction, comme ci celle-ci était un gaged’efficacité. Si l’efficacité est une question cen-trale, l’objectif ne doit pas être de diminuer l’of-fre de services publics mais au contraire de ren-forcer la légitimité en décentralisant la gestiondes services tout en assurant une cohérence ter-ritoriale à l’échelon national. C’est aussi travaillerà une fiscalité plus juste incluant tous les reve-nus et une répartition des dépenses publiques laplus équitable possible.

SUITE DELA PAGE 9 > cés que par une nouvelle répartition

des richesses, qui, en réduisant lesrevenus des plus riches, réduiraitl’empreinte écologique d’une surcon-sommation devenue modèle et condi-tion du bien-être.

RÉCUPÉRER LES BIENS COMMUNS NATURELSL’accaparement de la vie sociale et laprivatisation des personnes s’accompa-gnent de l’expropriation des biens com-muns naturels : l’eau, la terre, les forêts,l’air, les ressources halieutiques, levivant, la biodiversité. Le développe-ment des bio-industries se fonde surl’expropriation des «ressources» biolo-giques et des populations qui les entre-tiennent, sur la captation des savoirscommuns transformés en «droits depropriété intellectuelle». La crise écolo-gique et l’épuisement des ressourcesnon-renouvelables sont devenus denouvelles opportunités pour liquider cequi reste des biens communs naturelset engager un processus de privatisa-tion sans précédent, car désormais labiodiversité et l’atmosphère se trou-vent dans le processus de marchandi-sation et de gestion économique.Face à ce mouvement de privatisation,qui accélère la dégradation légale desressources, de multiples mouvementssociaux réaffirment la nécessité d’uneréappropriation démocratique desbiens communs, afin de les maintenir,d’en assurer le renouvellement, d’enpermettre l’usage selon des règles col-lectivement choisies : c’est le casnotamment de la gestion municipale oucommunautaire de l’eau, de la produc-tion et de l’usage des semences pay-sannes, de la gestion collective du fon-cier, de la production d’énergies renou-velables. Ces initiatives sont souventissues de mouvements de base auto-organisés qui œuvrent pour la recon-naissance et la préservation des res-sources communes, y compris en fai-sant appel à des lois et des décisions dejustice. Fondées sur la mise en avant del’usage et de l’entretien du bien au lieud’une propriété-acquisition, sur desrègles collectivement élaborées, ellesdessinent de nouvelles relations de soli-darité entre les humains et avec lanature, au lieu des rapports de domina-tion et d’expropriation. n

Geneviève Azam est membre du conseilscientifique d’Attac.

De l’efficacité du

PAR JEAN-MICHEL GAVEAU*

L’EMPLOI, DES CONTREVÉRITÉS À CONNAÎTRE :Première remarque : Les services publicsou services d’intérêt général ou collec-tifs emploient majoritairement dessalariés qui relèvent du droit privé etpour cause, l’Etat et les collectivitéslaissent au secteur privé des pansentiers d’activités (eau, déchets, trans-port, énergie, télécoms, santé, éduca-tion,…). Notons que de nombreux ser-vices ne fonctionnent que grâce à desfinancements publics et sont souventen surendettement.Deuxième remarque : Selon la nature de larégulation, ces services sont soumis àdes activités marchandes, de moins enmoins à des activités non marchandes.Ainsi, les hôpitaux sont publics etreprésentent environ un équivalent de

850 000 emplois. Ce chiffre est à rap-procher des 520 000 salariés du sec-teur privé de la santé. S’y ajoutent250 000 praticiens libéraux (méde-cins, dentistes, infirmiers, Kinés…).Comparons encore les personnels descollectivités territoriales (administra-tifs, techniques, crèches, actionsociale, animation…) évalués à envi-ron 1 000 000 salariés et les 1 130 000salariés travaillant dans les associa-tions d’action sociale subventionnéesou autres associations à but nonlucratif, les assistantes maternelles…Nous pouvons faire la même démons-tration dans l’éducation, les trans-ports, l’énergie, les assurances etmutuelles…Chaque année, l’activité marchandegangrène les activités d’intérêt généralet in fine les fonds publics et l’emploipublic. Y compris les 2, 2 millions de

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service public

fonctionnaires publics d’Etat, en fait lafonction publique au sens large compte5,3 millions de salariés. En y ajoutantl’ensemble des organismes publicsfinancés sur fonds publics ainsi que ceuxdes entreprises publiques, nous parve-nons à environ 7 millions de salariés, soitenviron 28 % de l’emploi total enFrance. S’il y a bien une priorité poli-tique à mener, c’est bien celle du statutdu salarié, de sa rémunération, de saformation…

L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L’ETATUN LEVIER INDUSTRIEL INUTILISÉ :L’Etat est présent dans de nombreusesentreprises publiques, industrielles etcommerciales classées aujourd’huidans la sphère marchande et concur-rentielle. Les privatisations ont considé-rablement réduit la place de l’Etat entre-preneur. Il n’empêche que des représen-tants de l’APE, organisme public quigère les participations de l’Etat, ont leurmot à dire dans les conseils d’adminis-tration.Le gouvernement et ses ministèresconcernés ont la possibilité d’avoir unréel état des lieux sur la stratégie et lefinancement d’une centaine de grandesentreprises françaises. En réalité, les représentants de l’APEdans les conseils d’administration n’ontpour mission que de travailler à la valeuractionnariale de l’entreprise en vue d’exi-ger en retour des dividendes ou un retrait

total ou partiel de l’entreprise à court etmoyen terme. On évalue actuellement àenviron 850 000 emplois dans ces sec-teurs. Nous pouvons tripler ce chiffre enincluant les emplois découlant de la sous-traitance et de l’externalisation.Les régulations sectorielles néolibé-rales, au nom de l’adaptation à la mon-dialisation, ont plongé pratiquementtout le secteur public français dans unecrise d’identité : modification du statutdes entreprises publiques, privatisa-tions partielles ou totales, financiarisa-tion des entreprises, concurrencecomme leitmotiv, précarisation del’emploi, sous-traitance, externalisa-tion des activités et des grands servicespublics. L’activité marchande gangrènetous les échelons des services publics,du secteur public. Tous les rouages del’Etat sont au service du capitalismefinancier.

UN POLE PUBLIC FINANCIER PERMETTANTD’AVOIR DES CAPACITÉS DE FINANCEMENTLa globalisation financière a bouleverséle schéma traditionnel qui veut quel’épargne des ménages finance l’inves-tissement des entreprises et qu’ainsi lebudget de l’Etat soit en équilibre.La crise financière est l’aboutissementd’une stratégie d’abondance de liquidi-tés n’allant plus à l’emploi et à laréponse des besoins sociaux mais à laspéculation. Aujourd’hui, l’endette-ment des ménages s’accélère, le déficit

de l’Etat se creuse, les entreprises seconcentrent sur la rémunération deleurs actionnaires.Le besoin de financement est mesurédans la comptabilité nationale parl’écart positif entre l’investissement etl’épargne. Cet écart peut être comblé enpuisant dans le patrimoine ou en utili-sant une source de financementexterne. Au niveau national, un besoinde financement peut aussi être analysécomme l’écart entre les importations etles exportations de biens et de services.En quelques années, le déficit nationals’est creusé. Contrairement aux Etats-Unis qui cherchent à faire financer leurdéficit par des entrées de capitauxétrangers à la recherche de placementsattractifs, la France emprunte de plusen plus à l’étranger, le gouvernementestimant que ces emprunts se réalisentdans de bonnes conditions du fait detaux d’intérêts extrêmement bas.Cette situation serait acceptable si cetargent allait à la réponse des besoinssociaux, au développement industriel,à l’emploi et aux salaires.Réorienter le crédit par des institu-tions démocratisées doit devenir lapriorité. Donner aux acteurs locaux,syndicalistes, politiques, acteurs éco-nomiques, collectivités territorialesdes moyens réels d’interventions. n

Jean-Michel GAVEAU est syndicaliste de laFonction territoriale, cadre, administrateurde la CGT

• Agence pour la diffusion de l'informationtechnologique (ADIT).

• Aéroport de Bâle Mulhouse.• Aéroports de Paris (ADP).• Aéroports de province demeurant de la res

ponsabilité de l'Etat.• Air France KLM.• Arte France.• Autoroutes de France.• Caisse nationale des autoroutes.• Casino d'Aix les Bains.• Charbonnages de France (CDF).• Civi.pol conseil.• CNP Assurances.• Compagnie générale maritime et financière

(CGMF).• Développement des agro industries du Sud

(DAGRIS).

• DCN.• Défense conseil international groupe DCI.• Entreprise minière et chimique.• Electricité de France (EDF).• ERAP.• Etablissement public de financement et de

restructuration (EPFR).• Etablissement public de réalisation de défai

sance (EPRD).• France Télécom.• France Télévisions.• Gaz de France (GDF).• GIAT Industries.• Laboratoire français du fractionnement et des

biotechnologies (LFB).• La Française des jeux.• La Monnaie de Paris• La Poste.

• Ports autonomes.• Radio France.• Radio France international (RFI).• Régie autonome des transports parisiens

(RATP).• Renault SA.• Réseau ferré de France (RFF).• Safran.• SEMMARIS.• Société concessionnaire française pour la

construction et l'exploitation du tunnel routiersous le Mont Blanc (ATMB Autoroutes ettunnel du Mont Blanc).

• Société de gestion de garanties et de participations (SGGP).

• Société de gestion et participations aéronautiques (SOGEPA).

• Société des chemins de fer luxembourgeois.

• Société des participations du CEA (AREVA).• Société financière de radiodiffusion (SOFI

RAD).• Société française d'exportation de systèmes

avancés (SOFRESA).• Société de valorisation foncière et immobilère

(SOVAFIM)• Société française du tunnel routier du Fréjus

(SFTRF).• Société Imprimerie nationale.• Société internationale de la Moselle.• Société nationale des chemins de fer français

(SNCF).• Société nationale des poudres et explosifs

(SNPE).• Société néo calédonienne d'énergie ENERCAL.• Thales• TSA.

ENTITÉS RELEVANT DU PÉRIMÈTRE DE L’AGENCE DES PARTICIPATIONS DE L'ÉTAT

Source APE 2010

LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

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Les services publicsLE DOSSIER

des écosystèmes aquatiques et mêmedes eaux distribuées ne se dégrade-t-elle pas de façon inquiétante ? Lamobilisation scientifique est elle suffi-sante ? L’eau sera-t-elle à l’origine deguerres ?

A l’échelle de la planète le problème del’eau est conditionné par trois paramè-tres principaux :• L’évolution de la démographie et sarépartition dans l’espace ; La popula-tion terrestre augmente de 70 millionsd’habitants par an.• L’évolution des habitudes alimen-taires avec l’augmentation du niveaude vie, principalement en Chine et enInde, qui se traduisent par une aug-mentation des consommations d’eaudu fait de la consommation supplé-mentaire de viande ; à l’inverse onobserve le remplacement des cultures

très exigeantes en eau comme le riz parcelle du blé et de la pomme de terre.• Les évolutions climatiques. Il nesemble pas que la programmation deséquipements nécessaires à satisfairecette demande soit faite à l’échellemondiale, ni du point de vue tech-nique ni du point de vue financier.Jusqu’ici, les aléas climatiques qui fontchuter dans un pays donné la produc-tion ont été couverts par les excédentsmondiaux venant pour l’essentiel dublé américain ou européen. Des ten-sions sur le marché des céréales se sontfait sentir, les stocks sont très bas. Onse dirige à grand pas vers une crisemajeure.L’étude de l’évolution du climat doitdonc être prioritaire. Mais toutes cesquestions, ces constats, ont en com-mun d’être pertinents, de devoir êtretraités et de ne pas être l’expression de

Par ANDRÉ BRUNSTEIN*

L’UNESCO a rappelé qu’au-jourd’hui dans le monde, unepersonne sur quatre n’a pas

accès à l’eau potable. Comment résou-dre les problèmes de l’eau au 21ème siè-cle dans un contexte à évolution trèsrapide ? Allons-nous manquer d’eau ?L’Europe qui considère trop souventl’eau comme une ressource inépuisa-ble est-elle à l’abri d’une pénurie ? Nosmodes de vie seront-ils affectés ? Auproblème de l’eau potable ne va-t-ilpas s’ajouter une crise alimentaire avecle retour des grandes famines dans lespays en voie de développement du faitdes besoins croissants en eau de l’agri-culture de plus en plus difficiles à satis-faire ? La fonte des neiges et glaciersva-t-elle affecter le régime des fleuves ?La qualité générale des eaux naturelles

L’EAU AU 21e SIÈCLE : UN DÉFI VITAL À RELEVERL’eau est au centre des interrogations vitales en ce début de siècle. Seule une réflexion approfondie ettransversale aux différentes disciplines concernées, prenant en compte le bien commun, débarrasséedes convoitises marchandes permettra d’apporter une réponse.

Si la loi sur l'eau et les milieux aqua-tiques édicte le principe d'un droit,force est de constater que ce droit n'esten aucun cas mis en oeuvre dans notrepays. Pour des milliers de familles pré-caires, le poids de la charge d'eau,auquel s'ajoutent les charges liées aulogement, est devenu insupportable. Ilest donc urgent d'agir pour toutescelles et tous ceux qui font des effortsconsidérables pour s'acquitter de leurfacture d'eau. Le plus souvent, cesfamilles ne bénéficient d'aucune aidepour l'eau, tant est complexe le sys-tème de solidarité actuelle via les FSL(Fond de solidarité pour le logement) :elles écartent tous les locataires qui nesont pas titulaires d'une facture et rési-dent en logement collectif.Comment affirmer un droit quand lelégislateur en prive l'essentiel de lapopulation ? Comment accepter lecreusement des inégalités quand pourcertains ce poids représente 0,8% etpour d'autres près de 10% ?

Il est donc urgent d'œuvrer pour undispositif qui garantisse enfin l'équité,la réduction des inégalités territorialeset la réduction du poids de la charged'eau dans le budget des ménages.Les communistes se prononcent pourla création d'une allocation eau versée parles CAF avec, pour son financement, lacréation de fonds régionaux avecpéréquation et mettant à contributionles entreprises de l'eau, l'Etat, les col-lectivités territoriales, les syndicatsd'eau et d'assainissement.On pourrait fixer un seuil plafond de 3%des ressources des ménages comme le pré-conise l'OCDE. Ainsi, ce nouveau dispositifne se limiterait pas à un traitement cura-tif de l'impayé d'eau, mais inscrirait lespersonnes dans le droit comme celaexiste pour le droit au logement avecl'APL, même si celui-ci est largementdévalorisé par le gouvernement Fillon.Cette allocation pourrait être ensuite dis-tribuée par les Caisses d'allocations fami-liales (CAF) soit à l'allocataire, soit au bail-

leur, qui le déduirait des charges. Les CAFétant titulaires des données sociales,elles garantiraient ainsi la fiabilité et lacohérence du dispositif, favorisant unemise en oeuvre rapide ainsi qu'un coût degestion amoindri puisqu'il serait pris encharge par les fonds régionaux.Il est nécessaire de créer un large ras-semblement pour extirper l'eau de la loidu marché, comme l'a porté le mani-feste co-signé par de multiples associa-tions à la fin de l'année 2009, et exigerainsi une vraie loi garantissant la miseen œuvre du droit à l'eau.L'objectif poursuivi est bien de contribuer àrenforcer les coopérations entre mouve-ments sociaux, associations et organisationsde la société civile dans le domaine de l'eau,de l'environnement, de la démocratie et desdroits humains et sociaux. Il s'agit d'obtenirla reconnaissance de l'eau comme un biencommun mondial, promouvoir la maîtrisepublique dans la préservation de la ressourceet la participation citoyenne à la définition etau respect des règles de gestion de l'eau.

Face à l'augmentation conséquente du poids de la facture d'eau dans le budget des ménages et desinégalités territoriales criantes du prix à payer par les usagers et notamment les plus démunis, ils'agit aujourd'hui de s'interroger sur le respect réel de l'accès aux droits fondamentaux.

L'EAU : UN NOUVEAU DROIT SOCIAL ET UNIVERSEL

NOV 2010 - LA REVUE DU PROJET

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craintes de rumeurs ou d’angoissesirrationnelles auxquelles il serait scien-tifiquement plus difficile d’apporterdes réponses. Elles ont la caractéris-tique principale de traverser les fron-tières des disciplines scientifiques clas-siques et de nécessiter un examen enassociant étroitement les réflexionsdes spécialistes des sciences de la Terreet de l’Univers, mais aussi des histo-riens, des démographes, des écono-mistes et plus généralement des spé-cialistes des sciences humaines, desclimatologues, des écologistes, desagronomes, des nutritionnistes, desspécialistes de la santé humaine, desspécialistes des problèmes de l’éner-gie, du dessalement de l’eau de mer,des urbanistes, des spécialistes del’analyse du risque, des créateurs descénario de notre vie future. On nepeut apporter des corrections qu’en

examinant l’ensemble de ces facettes.Il n’y a pas à ce jour de consensus mon-dial pour prendre les problèmes del’eau dans leur ensemble.Le Conseil mondial de l’eau est basé àMarseille. Jusqu’à présent il n’a étéenvisagé que de confier au privé unegrande part de la mise en place desinvestissements gigantesques néces-saires à la résolution des problèmesd’adduction. Cette vision est estimée à160 000 milliards de dollars US. Ce tra-vail est soutenu par l’UNESCO et laBanque mondiale. C’est une visionanglo-saxonne, mercantile des pro-blèmes sans envisager toutes lesdimensions historiques, sociales, reli-gieuses et techniques. Les grandsgroupes privés français qui se sont lan-cés dans cette approche se sont heur-tés à des problèmes énormes, auxconséquences économiques désas-

treuses et marquent un point d’arrêt.Les amortissements sont très lourds ets’amortissent en siècles plutôt qu’endécennies.En Europe le problème est très insuffi-samment abordé. Les projets sont trèsmal financés. Il y a un manque decohérence entre les différentes direc-tives, en particulier celle de la PAC,avec les objectifs de la qualité de l’eau.En France il y a des avancées faites parle CNRS, le BRGM, l’INRA. Mais danstous les cas, toutes les études sontinsuffisamment financées.Les Communistes ont toute leur placedans ce combat multiforme qui s’en-gage parce que le système actuel nepeut pas répondre aux multiples pro-blèmes posés. n

* André Brunstein est ingénieur, membre dela commission nationale écologie.

DES TRANSPORTS PUBLICS POUR UNE AUTRE MOBILITÉ

Par GÉRARD PIEL*

Depuis des années les transports,qu’ils soient de passagers ou demarchandises, sont placés sous le

signe de la déréglementation et desdirectives européennes. Ce ne sont pasles habillages écologiques façonGrenelle de l’environnement quimodifieront cette donnée essentielle.Cette préparation n’est, ni plus nimoins, que la découpe du service inté-gré, la filialisation des métiers, la miseen jachère du fret. Les préoccupationsécologiques n’ont que très peu d’im-pact dans cette affaire. L’abandon duwagon isolé en fret, le rôle de la SNCF àtravers Geodis sur le transport routier,le renoncement aux trains grande ligneet le désintérêt pour les TER corres-pondent à une politique décidée àBruxelles et à l’Elysée et appliquée aveczèle par Guillaume Pepy et ses équipes.Heureusement pour les usagers que lesTER ont été transférés aux régions,sinon le bilan serait totalement négatif !

Le fret routier ne cesse de progresser.Les camions (bientôt 44 tonnes) nesont en réalité que les stocks des don-neurs d’ordres. En vingt ans, lesréserves des hypermarchés ont vu leursurface divisée par deux. Les auto-routes bradées à des grands groupes(Vinci, Eiffage…) sont devenues degigantesques couloirs à camions géné-rateurs de pollutions.

La réponse écologique aux déplace-ments des passagers et des marchan-dises devrait prendre en compte :Pour les passagers, la gratuité destransports de proximité (bus, tram...).Déjà des communes ou des commu-nautés d’agglomérations sont passéesà la gratuité pour les transports urbainset interurbains, le nombre de passa-gers augmente, la circulation urbaines’apaise, les citoyens se réapproprientle service public.Au niveau des régions, les TER doiventaussi être accessibles à tous ! Le coûtpeut être couvert par l’extension duversement transports aux régions, parune taxe spéciale sur les autoroutes ycompris sur les camions, enfin par lereversement du produit des amendesradar pour le développement du trans-port collectif.Les infrastructures ferroviaires sontvétustes et non entretenues. RFF(Réseau Ferré de France) ne fait que sol-

liciter les collectivités, essentiellementles régions, afin qu’elles financent larégénération des voies. De fait, la mise àniveau du réseau, y compris pour laréouverture et la création de lignes, estune impérieuse nécessité. Là aussi laquestion financière est posée. Là aussila réponse ne peut être traditionnelle.La concentration des moyens de laSNCF sur les TGV, le développement deLignes à grande vitesse sans lien avecles réseaux TER ou grande ligne sontdevenus insupportables tant du pointde vue des transports que de celui del’urbanisme et du développement sou-tenable.Le changement de niveau d’engage-ment de l’Etat à travers la SNCF et RFF,la modernisation du service public fer-roviaire avec l’abandon du référentiel(concurrence et déréglementation)doivent être le nouveau credo.30 000 postes de cheminots supprimésen six ans ! La déshumanisation des gares et destrains, la casse du fret, rien de tout celane répond à l’urgence écologique etévidemment sociale.Il me semble que ces questions méri-tent débat, que rien n’est perdu et quela volonté de résistance et de(re)construction existe fortement. n

* Gérard Piel est conseiller régional enrégion Provence-Alpes-Côte-d’Azur

Alors que tout milite pour un ser-vice public de transports ferro-viaires de passagers et de fret,la ligne conductrice de la direc-tion de la SNCF est de se « pré-parer à la concurrence ».

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Les services publicsLE DOSSIER

Par CLAUDE CHAVROT*

Nous sommes devant un choix fon-damental de société pour les per-sonnes vivant une situation de

dépendance et de perte d’autonomie :ou elles doivent pouvoir continuer àvivre leur vie sociale au travers des dis-positifs solidaires, ou elles sont considé-rées comme des charges à tous points devue et prises en charge dans le cadre dedispositifs assuranciels en fonction desressources que les intéressées pourrontmettre pour cotiser à ces dispositifs.

DE QUOI PARLE-T-ON ?Dans cet article, nous nous limiterons àla situation des personnes âgées.

QUEL ÉTAT DES LIEUX ?Si l’espérance de vie (de la naissance àla mort) s’accroît (77,8 ans pour leshommes et 84,5 ans pour les femmes),l’espérance de vie en bonne santé estbeaucoup moins élevée et a peu évolué(63 ans pour les hommes, 64,2 anspour les femmes). Il faut y rajouter ladégradation des conditions de travailpendant toute une vie professionnelle.Le nombre de personnes âgées dépen-dantes varierait de 300 000 à 1 500 000selon la définition de la dépendance.L’augmentation prévisible du nombrede personnes âgée à l’horizon 2040serait de 1 à 1,5% par an.La dépense publique actuelle au titre dela dépendance des personnes âgées

représente près de 22 milliards d'eurospar an, dont 13,4 milliards pris en chargepar la Sécurité sociale, 4,9 milliards parles départements, 2,9 milliards par laCaisse nationale de solidarité pour l'au-tonomie (CNSA). Une part importantereste à la charge des familles. Ajoutonsque le nombre de Français ayant sous-crit une assurance dépendance aug-mente chaque année. Il représente prèsde 5 millions de personnes.

LES PROJETS DU GOUVERNEMENTLe rapport de la commission desaffaires sociales de l'Assemblée natio-nale, présenté par Valérie ROSSO-DEBORD (UMP, Meurthe-et-Moselle)1

préfigure le futur projet de loi.Il s’agit de remplacer une démarche soli-daire ou chacun cotise en fonction de sesmoyens et reçoit en fonction de sesmoyens, par une démarche assurancielleindividuelle ou chacun cotise en fonc-tion de ses possibilités pour recevoir enfonction de ce qu’il aura pu cotiser.L’objectif de fond est bien de faire finan-cer la dépendance par ses bénéficiairespotentiels et d’instituer une assuranceobligatoire gérée par le secteur assuran-ciel privé avec l’abandon de la créationde la 5ème branche de la Sécurité sociale…

QUELLES PROPOSITIONS ALTERNATIVES À CES PROJETS ?• en termes d’orientations : Une grandepolitique de la dépendance doit êtremise en œuvre dans notre pays. Elle doit

se faire dans la concertation, l’écoute,l’expression et l’évaluation des besoinsavec des propositions de financementssolidaires pour répondre à ces besoinset un retour à une démarche solidairede prise en charge en favorisant lemaintien à domicile.En termes d’organisation et de struc-turation :• Pour arriver et rester à la retraite enbonne santé, cela passe par l’améliora-tion des conditions de travail et ledéveloppement de la prévention et desservices de santé au travail. • Proposition de création d’un servicepublic et commun de sécurisation etde promotion des personnes âgéesvisant tant les seniors en emploi, lesretraités ayant des activités sociales,les personnes du 4e âge, autonomes oudépendantes. • Développement des structurespubliques… .En termes de prise en charge et definancements : Donner toute leur placedans notre société aux personnes âgéesen répondant à leurs besoins dans l’en-semble des domaines et favoriser leur viesociale. La prise en charge et son finan-cement doivent relever de la solidariténationale à partir des richesses crées parle travail dans les entreprises. n

* Claude Chavrot, de la CommissionNationale Santé Protection Sociale du PCF,rapporteur général du projet de loi sur lesretraites.

QUELLE PRISE EN CHARGE DE LA DÉPENDANCE ?Le gouvernement annonce une réforme du dispositif de prise en charge de la dépendance. Nous sommesdans la continuité de la réforme des retraites et des restructurations hospitalières. C’est une attaque d’en-semble contre notre système de protection sociale.

POUR UNE NOUVELLE ENTREPRISE PUBLIQUEDeux décennies de politiques libérales ont fait exploser le modèle français de service public. Le mono-pole public reste l’organisation la plus pertinente en termes d’efficacité, mais n’a de sens que s’il n’estplus soumis à la seule logique de rentabilité financière.

Par MICHEL RIZZI*

Sur fond d’ouverture des marchés, lescapitaux privés ont successivementinvesti Air France, France Télécom,

EDF, GDF. Déjà transformée en Sociétéanonyme, La Poste est censée suivre lemême chemin. Et si la SNCF et la RATPdemeurent encore à ce jour des établis-

sements publics, l’alignement de plus enplus marqué de leur gestion sur les cri-tères de rentabilité, les restructurationsinternes et les filialisations d’activités lesinscrivent clairement dans un processusde même nature.Ce mouvement de privatisation des ser-vices publics se retrouve partout àl’échelle planétaire. L’entreprise pub -

lique serait-elle ainsi devenue une vieillelune condamnée par l’Histoire ?Selon l’idéologie sociale-libérale, le carac-tère public ou privé de l’opérateur de ser-vice public n’aurait pas d’importance, unebonne régulation suffisant à garantir laprise en compte des intérêts des citoyens.Sans doute y a-t-il beaucoup à faire à ceniveau, par exemple pour imposer dans

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les cahiers des charges accompagnant lesappels d’offres des clauses sociales et envi-ronnementales de haut niveau ; ou encorepour gagner l’harmonisation par le hautdes statuts des personnels de chaque sec-teur, afin de combattre le dumping socialporté par la logique de concurrence.Cependant cette thèse néglige un pointessentiel. Les activités de service publicen réseau (énergie, communications,transports, eau) sont caractérisées pardes rendements croissants : le taux derentabilité s’accroît à mesure que l’onaugmente le niveau des capitaux inves-tis. Ceci explique que l’ouverture desmarchés ait débouché sur un processusde concentration du capital. Danschaque secteur, les anciens monopolespublics ont été remplacés par des oligo-poles privés constitués d’un très petitnombre de groupes à l’échelle mondiale.Pour leurs besoins de services publics,les collectivités territoriales (État, régionou ville) se retrouvent ainsi confrontées àdes mastodontes qui leur imposent leurloi à travers leur poids économico-poli-tique et leur capacité d’expertise supé-rieure, voire leurs ententes. C’est le phé-nomène dit de « captation du régulateurpar l’opérateur » : dans l’élaborationcomme dans le suivi du contrat de ser-vice, c’est l’opérateur qui tient lemanche. En France, l’exemple bienconnu de l’eau en fournit l’illustration laplus emblématique. Cette évolution témoigne du fait que lescitoyens ne peuvent espérer acquérir la

pleine maîtrise de leurs services publicsqu’en maîtrisant aussi directement leurproduction. C’est cela qui fonde lamodernité de la notion d’entreprisepublique.Le monopole public, à la conditionexpresse qu’il soit géré de façon réelle-ment démocratique, est certainementl’organisation la plus pertinente entermes d’efficacité. Mais supprimer laconcurrence, notamment à travers unemodification en profondeur des traitéseuropéens, ne peut pas être un préalablepour avancer. Un premier objectif estcertainement de conserver, de conquérirou de reconquérir un opérateur publicdans chaque grand domaine concerné,tout en admettant qu’il sera nécessaire-ment et pour une longue durée en com-pétition avec des sociétés privées. Cette entreprise publique ne peutcependant être la réplique de ce quenous avons connu, encore moins de cequi subsiste et est profondément gan-grené par les orientations libérales.La première innovation majeure à opérerconcerne sa gouvernance qui doit êtreprofondément démocratisée. C’est lesens de la proposition de transformer lacomposition des conseils d’administra -tion : non plus 2/3 de représentants dugouvernement et de personnalités dési-gnées par lui comme aujourd’hui, mais,aux côtés des représentants salariés, 1/3de représentants des usagers et 1/3d’élus de la Nation.Ensuite, et à l’inverse de ce que l’on y

constate actuellement, l’entreprisepublique n’a de sens que si elle porte unmode de fonctionnement qui contredisela tendance à soumettre le service publicà la seule logique de rentabilité finan-cière. D’une part en mettant en oeuvredes critères de gestion qui traduisent lesobjectifs de service public. D’autre part àtravers un mode de relations coopératifavec les collectivités territoriales. Enfinau moyen d’une stratégie de développe-ment qui tourne le dos aux logiques pré-datrices trop souvent à l’œuvre et s’ins-crive dans une perspective de co-déve-loppement des peuples, y compris par lebiais d’alliances à l’international. L’entreprise publique peut à ces condi-tions être le bras armé des citoyens dansla mise en œuvre concrète du droit detous à l’énergie, à l’eau, à la mobilité, à lacommunication… Mais elle a aussi etparallèlement un autre rôle à jouer : celuide levier pour faire évoluer l’ensembledes rapports économiques et sociaux.Aujourd’hui, c’est l’entreprise privée quiexerce une influence dominante dansl’économie, par sa place, mais aussi parceque ce sont ses critères, ses modes de ges-tion et ses pratiques de management quiservent de référence, y compris dans lepublic. Inverser les rôles, imposer un nou-veau modèle d’entreprise, tel est aussil’enjeu de la reconstitution d’un grandsecteur public et de sa rénovation. n

* Michel Rizzi, Administrateur de la RATP,Secrétaire de la section RATP du PCF.

LES ÉTATS GÉNÉRAUX DU SERVICE PUBLIC Impôts, tarification, cotisations… Quidde la « gratuité » ? Quelle démocratiepour les usagers, les citoyens, les per-sonnels, les éluEs ? Enfin quels agents ?Pourquoi et comment la défense du sta-tut face au contrat ?Les 29 et 30 janvier 2011 nous convo-quons à Orly les États généraux duService Public, avec les collectifslocaux, les personnalités et les cher-cheurs, les organisations et nous tente-rons de finaliser une charte commune.Car nous le sentons bien, les débats defond entre nous, mais surtout avec l’en-semble du peuple de gauche reviennenten force. n

* Jean-Michel Drevon est responsable natio-nal FSU, animateur du comité national pourdes états-généraux des services publics.

1) « il faut arrêter la dégradation du discourspolitique » dans le numéro du 26 septembre.2) « Face à la crise de civilisation le chaînonmanquant du « projet » - Tribune du 27 sep-tembre 2010.

Résister mais aussi faire despropositions pour des servicespublics de qualité réduisant lesinégalités.

PAR JEAN-MICHEL DREVON*

Olivier Duhamel dans Le Monde(1)

comme Patrice Cohen Seat dansl’Humanité(2) insistent sur l’impé-

rieuse nécessité de ne pas en rester à ladénonciation mais de construire un« nouveau projet de civilisation ». C’estparce qu’elles partagent cette convic-tion que plus de quarante organisationspolitiques, syndicales, associatives, ontlancé les États généraux du ServicePublic. La RÉSISTANCE, dans laquellenous sommes tous engagés, face à lacasse, la privatisation, la dégradation

des missions, que ce soient par la RGPP,la privatisation de la poste, la loi LRU, laloi Bachelot… est indispensable.Mais elle ne saurait se suffire à elle-même. Nous devons reprendre l’offen-sive et PROPOSER des services publicsplus démocratiques, réalisant effective-ment l’égalité des droits pour tous, plusefficaces partout et pour tous. Face auxcrises qui frappent la planète et détrui-sent les solidarités, le Service Public estun outil pour réduire les inégalités,instaurer une autre répartition desrichesses, construire un développe-ment économique, culturel et socialqui soit durable.Et pour cela il faut ré-interroger lesbesoins, le niveau (monde, Europe,nation, collectivités territoriales).Quelle propriété publique ? Quelleplace du privé ? Quels financements ?

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LE DOSSIER Les services publics

Par DENIS DURAND*

L es banques ont une énorme respon-sabilité dans la crise actuelle. C’est lesoutien du crédit bancaire aux opé-

rations spéculatives qui a déchaîné l’ex-pansion démente des marchés financierspuis la récession, l’explosion du chômageet la crise des finances publiques. Le cré-dit peut, au contraire, être l’outil le pluspuissant pour sortir de la crise. Si lesbanques finançent en priorité les projetsles plus porteurs d’emploi, les plus éco-nomes en moyens matériels de produc-tion pour permettre davantage dedépenses en salaires, en formation, enrecherche, alors il devient possible, d’unmême mouvement, de réduire la dépen-dance de nos économies vis-à-vis desmarchés financiers et de relancer defaçon saine les productions efficaces et lepouvoir d’achat salarial qui leur ouvriraun débouché.

POUVOIR ET RESPONSABILITÉ DES BANQUESLes banques ont un pouvoir exorbitant :créer de la monnaie. Une simple signa-ture sur un contrat de prêt, et elles met-tent en circulation le montant correspon-dant de moyens de paiement. Quelle res-ponsabilité ! Rien de moins que laconfiance des citoyens dans leur mon-naie. Un crédit de qualité, gagé par lacréation de richesses réelles tirées du tra-vail des êtres humains, relève donc biend’un véritable service public.

Insuffisance de la prise par l’Etat ducontrôle et de la direction des banquesIl faut un pôle financier public ! Mais il nesuffit pas que l’État prenne le contrôle etla direction des banques, ou d’une partied’entre elles. C’était le cas au début desannées quatre-vingt : le système finan-cier français était cloisonné, soumis à uncontrôle étroit des mouvements de capi-taux, et 85 % des banques étaient natio-nalisées. Mais ce système étatique, éloi-gné des citoyens, était devenu profondé-ment inefficace. Lorsque sa crise s’est ins-tallée, il a suffi de quelques années – entre1983 et 1990 – pour que la libéralisationfinancière et la pression des marchés fas-sent voler en éclats tout ce dispositif.Qu’a-t-il donc manqué ? Que la puis-sance des mobilisations sociales crée unrapport de forces capable de l’emportersur la puissance des marchés financiers.Qu’au-delà du contrôle étatique, lescitoyens aient de véritables pouvoirs enmatière de crédit et de financement del’économie.

DE NOUVEAUX POUVOIRS DÉMOCRATIQUESOù peuvent s’exprimer ces pouvoirsdémocratiques ? Dans l’entreprised’abord, à travers les luttes pour l’inter-vention des travailleurs dans la gestion,avec de nouveaux critères. Mais aussi, defaçon cruciale, dans les relations entrebanques et entreprises. Ainsi, toute lalogique des fonds régionaux pour l’em-ploi et la formation proposés par le Parti

UN AUTRE CRÉDIT EST POSSIBLEUn crédit de qualité, gagé par la création de richesses réelles tiréesdu travail des êtres humains, relève d’un véritable service public.

ACCROÎTRE LE POUVOIR DE PENSER

communiste est de mobiliser les leviersd’action économique des régions (bonifi-cations d’intérêt, garanties d’emprunts)pour imposer aux banques de financerles projets viables, soutenus par les popu-lations, d’autant plus vigoureusementque ces projets comporteront plus decréations d’emplois et plus d’efforts deformation.Un pôle financier public, au niveau natio-nal, a vocation à être un partenaire privilé-gié de ces fonds régionaux, qui sont, enretour, un point d’appui indispensable àson action. Mais la portée de ces proposi-tions ne s’arrête pas là. Les projets –publics ou privés – validés par des fondsrégionaux doivent bénéficier d’un refinan-cement privilégié de la part de la Banquecentrale européenne et de la Banque deFrance. Comme point d’appui des luttespour une refonte des pouvoirs et des mis-sions confiées par les traités à la BCE, etsans même attendre une modification for-melle de ces traités, il y a là la base d’unepolitique monétaire sélective, pénalisantle développement des marchés financierset encourageant au contraire les investis-sements les plus favorables à l’emploi et àla croissance réelle.Du local au mondial, en passant parl’Europe, un nouveau service public ducrédit donnera ainsi aux citoyens, pour lapremière fois depuis le début du capita-lisme, une prise pour réorienter radicale-ment le comportement des banques et, àtravers lui, celui des entreprises et del’économie toute entière. n

* Denis Durand est membre de la commissionéconomique du PCF. Un autre crédit est possi-ble ! Mobiliser l’argent pour le développementdes êtres humains, contre la tyrannie des mar-chés financiers, Le Temps des Cerises, 2005.

Seul un service public redyna-misé peut relever le défi de laformation du citoyen et tisser unsentiment d’appartenance com-mun à la Nation de demain.

Par STÉPHANE BONNERY*

A vec les progrès scientifiques, lessavoirs sont plus nombreux etcomplexes. Ils irriguent les formes

de travail, la culture, l’information... Leservice public d’enseignement doit pré-parer chaque futur adulte à vivre pleine-

ment dans ce monde-là, le doter desconnaissances et des façons de penserqui lui permettent d’exercer son pou-voir d’appréciation et d’action.L’évolution des savoirs accroit les possi-bles progrès comme les risques.Risques avec la droite, de n’enseignerque la dimension utilitariste des savoirs,par exemple en économie : apprendreles outils de la « bonne gestion » sansconnaître les théories qui ont fondé cesoutils ou qui les critiquent. Risque derenoncer, même pour certains à gauche,à enseigner le même programme à tous :c’est la logique du « socle commun ».

Progrès possibles car ces savoirs com-plexes appellent, pour les manier, desadultes mieux formés. Ces exigencesachèvent de rendre obsolète la situa-tion actuelle où, faute d’une poli-tique de démocratisation adéquate,une part des élèves ne se voit pasconduite à « comprendre » mais justeà « retenir » des éléments épars.L’exemple de la philosophie ou dessciences économiques et sociales estéclairant : trop souvent, les élèvesarrivent avec l’envie de découvrir cesdisciplines pour « dire » ce qu’ils pen-sent du monde sans saisir qu’il faututiliser les savoirs du cours pour ali-menter leur réflexion, et sont vitedéçus en se contentant alors de « réci-ter » les auteurs sans développer leur

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Par CATHERINE MILLS*

Pleinement réalisé, ce système ten-dra à assurer à chacun un emploiou une formation rémunérée pour

revenir ensuite à un meilleur emploi,avec une continuité de revenus et dedroits. Cela impliquera une expansionsystématique de la formation continuerémunérée. II s’agit d’aller bien au-delàde ce qu’on a appelé le plein-emploiqui maintient un taux de chômage de 4ou 5 %, et de construire un véritabledépassement du chômage.Notre proposition de sécurisation del’emploi et de la formation2 avance denouveaux principes du droit du travailpour passer de la précarité à une sécu-risation des contrats de travail et desparcours professionnels, un nouveaustatut du salarié, un droit à la forma-tion continue longue et accrue, denouveaux pouvoirs des salariés.Un nouveau principe fondamental : l’af-filiation universelle obligatoire et auto-

matique de chaque résident, à partir dela fin de l’obligation scolaire, à un nou-veau Service public et social de sécurisa-tion de l’emploi et de la formation.Dans l’immédiat, celui-ci visera à l’op-posé des pressions sur les chômeursde Pôle emploi, un accroissement radi-cal du taux et des durées d’indemnisa-tion, des conditions d’admission à l’as-surance-chômage. Sa mission devraaussi concerner une aide véritable auretour à l’emploi et à une insertion dequalité avec le droit effectif à la forma-tion continue, ce qui impliquera unecoopération avec les institutions de for-mation. Un nouveau financementindispensable impliquera notam-ment une modulation et un accroisse-ment des taux de cotisations patronalespour l’indemnisation du chômage. Onaccroîtra fortement la contribution desentreprises qui recourent aux emploisprécaires et aux licenciements.Pour les jeunes, nous proposons uneallocation autonomie-formation, un

SÉCURISER L’EMPLOI ET LA FORMATIONFace à l’aggravation de la crise systémique et au chômage massifrelancé, monte le besoin d’alternatives. La construction, de portéerévolutionnaire, d’un système de Sécurité d’emploi ou de formation1

viserait la suppression du passage par la case chômage.

propre réflexion. Le défi est justementque chacun connaisse et utilise lesthéories contradictoires pour déve-lopper sa propre pensée. Selon lafaçon dont ils sont enseignés, lessavoirs peuvent devenir des instru-ments pour développer sa pensée per-sonnelle, pour s’émanciper, pouraccroître le pouvoir d’appréhender lemonde. Tel est le défi à tous les âges,dans toutes les disciplines y compriscelles dont les enfants ne peuventavoir eu connaissance, ni entrevu l’in-térêt dans leur famille.De plus, cette culture commune de hautniveau, fut-elle mobilisée avec désac-cord, est indispensable pour tisser unsentiment d’appartenance commun àla Nation de demain.

LE POUVOIR DE PENSER POUR CHACUN :À QUELLES CONDITIONS ?Il ne suffit pas d’avoir de l’ambitionpour l’éducation nationale : l’espoirdéçu engendre le fatalisme. Tous lesélèves sont capables d’apprendre des

savoirs difficiles, mais pas dans n’im-porte quelles conditions.Nos propositions précises seront abor-dées dans le prochain n° de la Revue duProjet, consacré à l’école. Pointons icique les défis évoqués supposent l’allon-gement du temps de scolarisation obli-gatoire (de la maternelle à 18 ans), lagratuité, la non-marchandisation del’enseignement, la laïcité. Ils impliquentl’égalité des objectifs et résultats entrejeunes et entre territoires, que seule peutgarantir un service public national, avecdes personnels fonctionnaires d’Etat ennombre pour assurer l’égalité de recru-tement et de formation, dans des éta-blissements égaux et non pas en concur-rence selon les ressources locales.Ces défis obligent aussi à repenser lesfaçons d’enseigner, donc à donner desmoyens à la recherche en éducation, àrecréer autrement la formation desenseignants, et à libérer du temps (doncdes postes de remplaçants) pour que lesenseignants puissent échanger, êtreingénieur de leurs pratiques. Il est indis-

pensable que cela s’accompagne d’unepolitique de démocratisation d’ensem-ble qui donne un cap politique à laréflexion pédagogique : pour quel élèvele système est-il orienté ?53 % des élèves de collège ont desparents ouvriers, employés ou sans acti-vité, qui n’ont pas bénéficié d’étudeslongues : la leçon ne peut pas êtrerefaite à la maison. Pour les commu-nistes, ces catégories sociales gagne-raient beaucoup si le cœur du systèmescolaire était bâti sur le modèle de l’en-fant qui n’a que l’école pour apprendreles savoirs plus complexes. Les autresenfants aussi, en étant libérés du trans-fert croissant des missions de scolarisa-tion vers les familles.Tout ceci implique des moyens. Chacunsait aujourd’hui qu’ils sont abondants,gâchés par la finance ou dans des éta-blissements du genre « fac Pasqua ».

* Stéphane Bonnery est enseignant chercheuren sciences de l’éducation. Responsable natio-nal du PCF.

statut du stagiaire, une aide à l’inser-tion professionnelle, de nouveauxcontrats de sécurisation dès l’entréedes jeunes dans l’emploi à temps pleinavec un salaire décent, un volet forma-tion rémunéré, un tutôrat, ainsi qu’unpourcentage de jeunes obligatoiredans les entreprises.Pour les salariés, de nouveaux pouvoirsdans l’entreprise. Cela impliquera desmoratoires suspensifs contre les licen-ciements pour des propositions alter-natives, des droits de reclassementétendus. Il s’agit aussi de gagner despouvoirs de participation aux confé-rences régionales et nationalesannuelles ainsi que des Fonds publicsrégionaux et nationaux pour l’emploiet la formation. n

* Catherine Mills, maître de conférenceshonoraire en Sciences économiques à l’uni-versité de Paris 1, membre des commiss-sions économie et santé-protection socialedu PCF, membre du comité de rédactiond’Economie et politique.1) Paul Boccara[2002], Une Sécurité d’em-ploi ou de formation. Pour une constructionrévolutionnaire de dépassement contre lechômage, Le Temps des Cerises.2) Economie et Politique, janvier- février2007, « Pour une Sécurisation sociale del’emploi et de la formation ».Dernier ouvrage de Catherine Mills avecMichel Limousin, septembre 2010 : La pro-tection sociale en danger. Etat des lieux etstratégie pour une alternative. Le temps desCerises. 2e éditions.

Dans deux mois : synthèse ! Avec les responsables nationaux, nous travaillerons à une fiche de synthèse permettant de résumer sur chaque dossier traité, et ce deux mois après, le pointde vue du PCF. C’est le temps nécessaire pour recueillir avis, propositions, critiques. Vous pouvez être acteur, actrice, de cette rubrique. Si vous souhaitez partager une expérience, faire partde votre point de vue sur tel ou tel sujet, vous pouvez le faire par mail. Nous publierons certains extraits ou textes qui nous seront parvenus. [email protected]

Tempo idéologique et tempopolitique ou social sont relativementautonomes. On connaît des périodes oùles idées conservatrices gagnent enaudience alors que le climat politiqueest au changement politique, lesannées 80 par exemple ; en mêmetemps, il est des événements publicsqui accélèrent le mouvement desidées ; ce fut le cas en 1995, avec larelance du mouvement social, puis en2005, lors du référendum sur l’Europe.1

Un récent article du journal Le Mondedatait de 1995 le « retour d’une intelli-gence radicale ».2

Il est vrai qu’après vingt années d’hé-gémonie croissante de l’idée libérale (lephénomène commence à se manifesterau milieu des années soixante-dix pourgagner ensuite en force), l’air du tempsactuel invite plus volontiers au débat, àla contestation, à la rébellion. Le termede retour s’impose volontiers. RazmigKencheyan intitule son livre « Le retourde la pensée radicale. Hémisphèregauche. Une cartographie des nou-velles pensées critiques »3 ; BernardJouve signe lui « Ville : le retour de l’es-prit critique ». Howard Zinn écrit « KarlMarx, le retour » 4,  etc. On comprend lemessage ; pourtant le terme est impro-pre   car il ne s’agit évidemment pas dela reconstitution à l’identique du pano-rama ancien ; celui-ci a explosé etcomme l’eau de la rivière, il ne repas-sera plus. Nous ne sommes plus, pour

dire vite, dans les années Sartre,Foucault,   Lefebvre, Althusser... Le pay-sage a radicalement changé et lacontestation croissante de l’hégémonielibérale a pris des formes nouvelles. Il ya eu une redécouverte, une réappro-priation de la critique marxiste, querésume à sa manière un récent petitpamphlet de Bernard Maris, « Marx, ô Marx, pourquoi m’as tu aban-donné ? »5.

Le nouveau se traduit par l’apparitionde clubs   (Attac, Copernic, L’Appel desappels...) qualifiés parfois de « contre-experts » ; par la revitalisation dudébat philosophique avec l’interventionde penseurs comme Alain Badiou,Slavoj Zizek, Toni Negri, Yvon Quiniou,Jacques Bidet ou encore CynthiaFleury6 ; par des travaux remarqués desociologie critique (Bourdieu publie« La misère du monde » en 1993 etfonde la maison d’édition « Raisonsd’agir » en 1995 ; le couple Pinçon-Charlot, voir l’encadré, décortique avecminutie la classe dominante) ou de poli-tistes (Louis Chauvel qui actualisel’analyse des changements sociaux7);  par la multiplication ou la réactivationde (petites) maisons d’édition(Amsterdam, Les prairies ordinaires,Zones, Raisons d’agir, La fabrique,Agone, Syllepse) ; par l’émergenced’une presse internet dynamique(Médiapart, Rue 89...).

La crise est fortement présente aussidans la littérature ; le monde de l’entre-prise (exploitation, harcèlement, domi-nations diverses, licenciements, planssociaux, délocalisation) sert de cadresà de nombreux romans cet automne etChristine Rousseau, dans « Le mondedes livres » notait que « la veine socialeest l’une des tendances lourdes decette rentrée littéraire 2010 »8. Degrands enjeux comme l’école, l’écolo-gie, le féminisme, le travail, les médias9

font l’objet de travaux pointus10. Debelles recherches aussi sont menéessur la décomposition politique, la crisede la gauche et le glissement à droiteen France et en Europe. Accordons unemention particulière aux livres dePierre Musso, « Télépolitique ? Le sar-koberlusconime à l’écran »11, du linguisteitalien Raffaele Simone, « Pourquoil’Europe s’enracine à droite »12, de MonaChollet aussi, « Rêves de droite »13 quiont le mérite d’explorer l’imaginaire dedroite (frénésie consumériste, vacuitédu divertissement culturel, populisme,bling-bling et culte du self-made-man)qui a progressivement colonisé lesesprits ; ces auteurs posent aussi laquestion qui fâche : où est l’imaginairede gauche, à qui Raffaele Simone, parexemple, reproche d’être passé à côtéde « la culture de masse, en la considé-rant depuis toujours comme marginalepar rapport à ce qu’elle présumait êtrele vrai pouvoir : le pouvoir politique et

D’ IDÉES

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LA REVUE DU PROJET - NOV 2010

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BAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

On parle depuis 1995 de retour de l’esprit critique, après vingt ans d’hégé-monie libérale. Retour à Marx, nouveaux clubs, nouveaux débats, nouveauxéditeurs, travail relancé sur les classes, l’école, l’écologie, l’économie...Meilleure appréhension du nouvel « imaginaire de droite ». Une actualitéqui ne peut qu’intéresser le PCF, lequel, à son dernier congrès, a décidé deremettre « les idées au premier plan ». Etat des lieux rapide.

Par GÉRARD STREIFF

Un nouvel espace

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réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

LES PINÇON, DEUXSUR NEUF CENTSMonique Pinçon-Charlot et MichelPinçon explorent depuis une ving-taine d’années (Dans les beauxquartiers est sorti en 1989) le conti-nent de la grande bourgeoisie dansdes ouvrages savants et populaires.À une époque où enquêter sur leriche était malvenu, ils ont creuséleur sillon avec ténacité et ils ontpersévéré, seuls ou presque. Dansun récent entretien pour la revueCassandre, Monique Pinçon-Charlotnote : « Pour vous donner une idée de labataille idéologique, sur 900 sociologuesen France, nous sommes deux à travaillersur la classe dominante ! »On retiendra notamment leursrecherches sur La chasse à courre(1993), Les Grandes fortunes (1996),Voyage en grande bourgeoisie(1997), Nouveaux patrons (1999),Châteaux et châtelains (2005), Lesghettos du Gotha (2007) ou Les mil-lionnaires de la chance (2010).Leur dernier opus Le président desriches. Enquête sur l’oligarchie dansla France de Nicolas Sarkozy(Zones) n’est pas qu’une « prome-nade en Sarkozie » ; il situe bienl’actuelle crise de société (« De lalutte à la guerre des classes » ditl’introduction) et propose, en

c o n c l u s i o n ,quelques pistesa l t e r n a t i v e s ,telles que « resti-tuer l’intelligibi-lité des rapportsde classes » ou« mettre fin àl’oligarchie poli-

tique, économique et financière ».Retenons encore cet épilogue :« Que faire des riches ? La réponsetient en peu de mots : il faut fairedes riches notre exemple. Leur puis-sance est due à leur solidarité. »

À lire, d’urgence.

critique

le pouvoir économique ».14 La refonda-tion de la pensée économique est éga-lement à l’ordre du jour, réclamée parexemple par « les économistes   atter-rés »15, lesquels constatent que « lelogiciel néolibéral est toujours le seulprésenté comme légitime malgré seséchecs patents ». Bien d’autres travauxmériteraient d’être cités ici, commeceux d’Espaces Marx16 de la FondationGabriel Péri17 ou d’économistes commePaul Boccara.

A son 35e congrès, le PCF a notammentchoisi de remettre « les idées au pre-mier plan », de « redonner toute saplace au combat d’idées ». C’est danscet esprit qu’est annoncé un colloque,fin novembre, sur « le Projet », à l’ini-tiative du « Lieu d’étude sur le mouve-ment de la connaissance et desidées »   (LEM)   où devrait rebondir ledébat sur tous ces enjeux au cœur desaffrontements d’idées d’aujourd’hui,nouveaux modes de développement,financements, migrations, institutions,citoyenneté, Europe, travail, fiscalité,féminisme, énergie, ressources natu-relles, croissance-décroissance, indus-trie, culture, éducation. Une place est àprendre dans ce foisonnement d’idées,une manière aussi de faire écho à l’ap-pel sur lequel Gilles Châtelet concluaitson ultime essai18 : « Et si le cyber-bétail redevenait un peuple, avec seschants et ses gros appétits, une mem-

brane géante qui vibre, une humanité-pulpe d’où s’enrouleraient toutes leschairs ? Ce serait peut-être une défini-tion moderne du communisme : A cha-cun selon sa singularité. De toutemanière, il y aura beaucoup de pain surla planche, car nous devrons vaincre làoù Hegel, Marx et Nietzsche n’ont pasvaincu. » n

1) De nombreux commentaires soulignent lasingularité de la pensée radicale dans lespays anglo-saxons, aux USA par exemple,sans doute aussi parce que le néolibéralismey a fait plus de ravages qu’ici. Ce pourrait êtrele sujet d’un autre papier.2) 5 juin 20103) Zones, 316p, 20104) Place publique, n°155) Les Echappés, 156p, 20106) La fin du courage, Fayard, 20107) Les classes moyennes à la dérive, Seuil, 20068) Le Monde, 20 août9) Voir les travaux d’Henri Maler et d’Acrimed10) François Dubet, Marie Duru-Bellat,Antoine Vérétout, Stéphane Bonnery11) Editions de l’Aube, 200912) Gallimard, 201013) La Découverte, 200814) ibidem15) Askenazy, T. Coudrot, A. Orléan et H.Sterdyniak16) www.espaces-marx.net 17) www.gabrielperi.fr18) Vivre et penser comme des porcs. Folioactuel, 1998

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D’ IDÉESCO

MBA

T SONDAGES

Si une courte majorité de Français considère encore le Front natio-nal comme un parti « à part », la majorité de la droite parlemen-taire, elle, trouve que c’est un parti « comme les autres ». La bana-lisation de l’extrême droite est en route.

L es Français, dans leur grande majorité,66 %, jugent que les positions de Nicolas

Sarkozy sur l’immigration et la sécurité se rap-prochent de celles du Front national, selon unsondage BVA/ Canal+, fin septembre dernier.Parmi les sympathisants de droite, 34 % pen-sent que les positions de l’UMP sont prochesde celles du FN ; ils sont 58 % à avoir le mêmeavis à l’extrême droite et 88 % à gauche.

Sarkozy souhaite ainsi séduire une part crois-sante de l’extrême droite. Ses électeurs doi-vent revenir dans «  le cercle républicain » ditBesson. De fait 51 % des électeurs FN disaientsoutenir le gouvernement début septembre, ilsn’étaient que 32 % au début de l’été.

Cependant l’opération est périlleuse. Non seu-lement, une partie de la droite classique n’ap-précie pas ce rapprochement mais surtout lepouvoir est en train de banaliser ainsi les pro-positions du Front National.   Si pour 57 % desFrançais, le FN reste un parti « à part », il y atout de même aujourd’hui 42 % des sondéspour considérer que l’extrême droite forme unparti « comme les autres ». Et puis, chez lessondés qui se réclament de la droite parlemen-taire, 57 % jugent que le FN est devenu unparti « classique ». Pour Gaël Sliman, direc-teur adjoint de BVA, « c’est une évolutionforte. Pendant vingt ans le FN était rejeté parune large majorité ; mais depuis l’élection deSarkozy et la venue de Marine Le Pen, ce partisemble plus acceptable ».

Le FN au gouvernement ? Cette hypothèse estrejetée par 81 % des Français (76 % à droite).Pour l’heure.

Banalisation du FNPAR GÉRARD STREIFF

Fig. 1 LES POSITIONS DU GOUVERNEMENT EN MATIÈRE SÉCURITAIRESONT-ELLES PROCHES DE CELLES DU FN?

Fig. 2 LE FN EST-IL UN PARTI « À PART »? (POUR L’ENSEMBLE DES FRANÇAIS)

Fig. 3 LE FN EST-IL UN PARTI « COMME LES AUTRES »? (POUR LA DROITE PARLEMENTAIRE)

Pages réalisées par GÉRARD STREIFF

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NOTES

L’actualité sociale rime avec la bataille idéologique.

Aux logiques demarchandisation de tous les secteurs de l’activitéhumaine, nous opposonsd’autres choix.

NICOLAS BONNET,responsable national de la commission Sportanalyse le rapport« Douillet » qui veut scellerdans le marbre le « sportbusiness » ; il développe despropositions alternatives etémancipatrices, en particulierpour « reconquérir du tempset des espaces libérés ».

JEAN-LUC GIBELIN,animateur de la commissionSanté,protection sociale, faitle point sur l’application de la loi Bachelot, dite « Hôpital,Patients, Santé, Territoires ».Contre la privatisation de la santé publique, il propose de promouvoirpartout « la démocratiesanitaire participative de proximité ».

La question culturelle est unélément fondamental de notreréflexion prospective, mais aussi « la condition de la politique » ; c’est ce qu’explique ALAIN HAYOT,pour le collectif Culture du PCF. Un séminairenational organisé avecEspaces Marx débute au moisde novembre et se déroulerajusqu’au mois de juin 2011.

JACQUES FATH, responsablede la commission Relationsinternationales, paix etdésarmement, tire, quant à lui, les enseignements du sommet international de Bamako auquel il aparticipé.

INTERNATIONAL

Bamako 2010Le colloque international « Bamako2010 » fut un événement politiquepour le sens qu’il recouvrit et pourses contenus. Il y avait cependantune autre raison à cela : l’objet mêmede l’initiative. Marquer 50 ans d’indé-pendance en Afrique ne pouvait pasêtre un acte anodin. On s’étonned’ailleurs qu’un tel anniversaire aitsuscité si peu d’actes ou d’expres-sions politiques et de débats. Undéfilé militaire le 14 juillet à Paris etquelques commémorations officiellesen Afrique… C’est à peu près tout.

L e colloque « Afrique-France-Europe,cinquante années après les indépen-

dances, bilan et perspectives », coorga-nisé par le PCF et l’Union malienne-Rassemblement démocratique africain,les 25 et 26 septembre à Bamako, auradonc été probablement la seule initia-tive politique collective franco-africaineayant vocation à traiter le bilan du néo-colonialisme, les enjeux du développe-ment, l’avenir des relations franco eteuro-africaines…Ce n’est pas un hasard. Certains ont dumal à imaginer en effet que ce continentoù, aujourd’hui, quasiment tout vient del’extérieur - les financements, les tech-nologies, les experts et surtout les pres-criptions et les injonctions…- puisseavoir un destin indépendant. Pourtant,le temps de l’Afrique viendra. Parcequ’il s’agit d’un continent jeune aux res-sources humaines, culturelles, maté-rielles énormes. Les dynamiques poli-tiques qui le traversent -et dont notrecolloque a témoigné- le montrent bien.Mais aujourd’hui on constate des indé-pendances sans souveraineté, une crois-sance sans développement, des aspira-tions démocratiques trop souventbafouées. D’où l’interpellation d’AminaTraoré : « la question de la pensée cri-tique est centrale », dit-elle, « noussommes des peuples en danger, des peu-ples ajustés » (par allusion aux plansd’ajustement structurels néo-libéraux).Un des débats du colloque porta doncsur le sens du combat à mener enAfrique. À quelles forces faut-il d’abordrésister ? À celles qui confisquent le

pouvoir et constituent (dans la corrup-tion) une menace permanente pour leslibertés et la démocratie ? Il faut doncsortir la question démocratique de laseule « transparence » des urnes pour laposer dans toutes ses dimensions…Faut-il plutôt résister à l’ensemble desacteurs du monde globalisé - France,Europe, Institutions financières, OTAN…- qui font peser sur l’Afrique une dépen-dance structurelle et l’emprise d’uneprédation systématique… Chacun vou-lant sa part de « la chair de l’éléphant »,ces extraordinaires richesses du conti-nent. On conviendra aisément que lespriorités ne s’excluent pas mais se nour-rissent l’une l’autre.Etat, migrations, enjeu démographique,emploi, droits des femmes, panafrica-nisme… l’éventail des thématiques dediscussion ont touché à l’essentiel : àl’histoire, aux relations sociales, aux pro-cessus économiques de la domination,aux problématiques politiques…jusqu’à la question française, soulevéepar Pierre Laurent : « pourquoi l’an-cienne puissance coloniale a-t-elle tantde mal à assumer son propre passé ? »Pour quelles raisons politiques desactes de réhabilitation du colonialismemarquent trop souvent l’actualité, cequi fait surgir avec force l’importancedes valeurs dans les confrontations poli-tiques et sociales ? Puisqu’à l’évidence,un pouvoir qui cherche à imposer lerecul de tous les droits a besoin aussi,pour y parvenir, d’une régressionéthique et idéologique.

Bamako 2010 fut donc un momentd’échanges privilégié sur un éventaild’enjeux décisifs… avec une dimensionparticulière pour le PCF : après la ren-contre internationale de novembre 2008(avant le 34e Congrès) et après celle quirassembla, en janvier 2010, l’ensembledes progressistes européens et latino-américains, ce colloque international futpour notre parti la troisième expériences’inscrivant dans la réflexion et l’actionsur la question d’un internationalismede nouvelle génération : commentconstruire des solidarités et des conver-gences concrètes, sans formalisme, avecl’ambition de nourrir en commun desluttes et des avancées utiles pour l’ave-nir ?Bamako 2010 fut un pas de plus sur cechemin. n

JACQUES FATHResponsable des relations internationales

Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :ù

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SANTÉ

Une campagne pour la santéLa commission Santé protectionsociale est engagée depuis l’originedans l’opposition à la loi « Hôpital,patients, santé, territoires », HPSTdite loi Bachelot. Nous l’avions com-battue au stade du projet en initiantde très nombreux débats et rencon-tres, nous nous opposons à sa miseen œuvre dès maintenant. Il n’estpas question d’attendre 2012 pourenvisager une opposition aux mau-vais coups d’autant que le pouvoirfrappe fort et que les dégâts seraienttrop importants si nous attendions.

LES AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ. La montée en charge des Agences régio-nales de santé et en particulier leurdirecteur général (DG ARS) est préoccu-pante. Leurs premières décisions tom-bent rapidement. C’est notamment lecas avec les territoires de santé. Lesdécoupages des régions en territoiresde santé actuellement connus mon-trent une très grande diminution parrapport aux secteurs sanitaires existantspour l’instant. Nous sommes très endeçà du nombre de départements, parexemple 5 territoires pour 8 départe-ments en Rhône-Alpes, 2 territoirespour 4 départements en Champagne-Ardennes, 1 territoire pour 3 départe-ments en Limousin. La volonté du pou-voir est ainsi de diminuer d’autant lesétablissements de santé et médico-sociaux publics.En effet, la loi prévoit que les établisse-ments sanitaires et médico-sociauxpublics soient regroupés au sein d’uneentité unique, la Communauté hospita-lière de territoire (CHT). Ces restructura-tions vont être très importantes pour ledomaine sanitaire et médico-social maisaussi en terme de réponses aux besoinssanitaires de la population, d’emploipublic, de maillage du territoire, de pertede change pour les usagers…Il est donc nécessaire de construire desactes politiques forts pour s’opposer àces décisions éminemment politiqueset idéologiques du pouvoir actuel. C’estd’autant plus important que nousavions déclaré lors des élections régio-

nales notre volonté de faire du niveaurégional un lieu de contre-pouvoir poli-tique, de résistance à la politique deSarkozy.

LES ASSISES RÉGIONALES DE SANTÉLes assises régionales de santé peuventcontribuer à faire ce que l’on a dit, àtransformer en acte notre volonté defaire de la politique autrement en met-tant en œuvre les engagements pris encampagne électorale. Ces assises régionales de santé sont desactes politiques forts. Il ne s’agit pas defaire une initiative de communicationpour le président du conseil régionalmais d’avoir une démarche ancrée dansla proximité, dans les cantons, les villeset les villages, les départements. Les assises régionales sont pour nousune structure pérenne, un lieu de recen-sement des besoins sanitaires etsociaux, de détermination des réponsesà apporter à ces besoins et de contrôlede la mise en œuvre de ses réponses,c’est un lieu de l’intervention citoyennedes professionnels, des personnels, desusagers, des élus. C’est une concrétisa-tion de la démocratie sanitaire partici-pative de proximité.

LA CAMPAGNE NATIONALE SANTÉLa démarche d’une campagne nationaleSanté a été décidée par le CN de septem-bre. Nous voulons la travailler avec ungroupe de pilotage transversal proposé àd’autres secteurs, commissions et col-lectifs qui sont concernés : retraités,entreprises, économie et finances, fémi-nisme et droits des femmes, JC et UEC,ANECR, économie solidaire, environne-ment, etc. Il nous faut imaginer unemise en phase de la campagne natio-nale, des rendez-vous d’étape, la listedes thèmes à traiter. Nous proposonsd’ores et déjà : Les retraites, La psychia-trie, L’hôpital public au cœur de notresystème de santé, IVG / Contraception/Santé des femmes, Centre de Santé etmédecine de proximité, mais aussi enperspective : La médecine du travail et lasanté au travail, La dépendance, Labioéthique, La recherche médicale, Lemédicament, Santé/ Précarité (CMU/AME…), Les complémentaires et lefinancement de la protection sociale,Santé/ Environnement.

«GLOBULE ROUGE INFO» ET LA VIE DE LA COMMISSIONNous publions par Internet tous les moisGlobule Rouge Info pour faire état del’actualité et des positionnements de la

commission et quatre fois par an « Acœur ouvert » en direction des salariésdu secteur. N’hésitez pas à donner descoordonnées à l’adresse: [email protected]. n

JEAN-LUC GIBELINanimateur de la commission

Santé / Protection sociale.

NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

SPORT

Sport bizness ou sportémancipation, que voulonsnous ?La rentrée sportive dans les clubss’effectue avec beaucoup de ques-tionnements. Cette année encore,beaucoup de clubs sont dans l'inca-pacité d'accueillir tous ceux qui veu-lent s'y inscrire. De nombreux prési-dents et élus locaux expriment lebesoin de plus d'installations, plus desalariés et plus de moyens pour lesbénévoles qui accueillent les prati-quants. N’y a-t-il pas une certaineindécence quand dans le même tempsle marché des transferts qui concer-nent une vingtaine de footballeursprofessionnels atteints plusieurs cen-taines de millions d'euros ?

Il est grand temps de répondre à cettequestion : Quel sport voulons-nous ?Celui du business, qui en fait une

marchandise, avec son cortège dedopage, de violence, de tricherie, ou unsport porteur d'émancipation pourtoutes et tous ? il ne s'agit pas d'opposer « amateur » et «professionnel », on ne construit pas unepolitique sportive à travers cette sépara-tion. Il s'agit de questionner les idées quifondent l'avenir du sport. ArnaudLagardère a récemment donné sa posi-tion : « ce que je fais, ce n'est pas du mécé-nat, c'est un business à part entière ».Voila la volonté de certains. De son coté,le gouvernement se préoccupe avanttout « d’aider les clubs à assumer com-plètement leur mutation vers l’entreprisede spectacle sportif que la compétitionéconomique et sportive exige »(1). C’estécrit dans le rapport Besson, fil conduc-teur de tout ce qui a occupé le gouverne-

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Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

ment ces dernières années. Dans sonrapport, David Douillet(2) explique à sontour qu'il faut limiter les aléas sportifs etgarantir aux investisseurs une certainesécurité. C'est également le sens du pro-jet de loi qui doit parachever cette muta-tion en permettant l’autonomie desligues professionnelles vis-à-vis desfédérations. C'est-à-dire la fin de la soli-darité entre amateur et professionnel, lafin de l’unité du mouvement sportif.Le schéma est clair : le sport profession-nel est placé entre les mains de mar-chands, le sport de haut niveau est sousla tutelle de l’Etat et le sport pour touteset tous est confié aux collectivités terri-toriales qui sont invitées à se concentrersur des missions de cohésion sociale.D’ailleurs, avec la réforme des collectivi-tés territoriales, si les communes n'ontplus de financements croisés, ellesauront beaucoup de difficultés à finan-cer seules la construction d'une piscine,d’un gymnase ou d'un stade.

NOTRE VISION EST TOUT AUTRENous n’acceptons pas ce piège de laréduction de l'intervention publique etl’abandon du sport à des marchands.Pour cela il faut affirmer clairement :Est-ce que le sport entre dans la catégo-rie des droits humains ?Si oui, alors il faut une interventionpublique réaffirmée avec des moyenshumains et financiers à la hauteur. C’està dire un ministère avec un budgetconséquent, des collectivités territo-riales ayant les moyens d'intervenir avecdes financements croisés et une loi défi-nissant les responsabilités de chacun. Sic'est un droit, les règles du marché nedoivent pas s’appliquer à la pratiquesportive. Sa spécificité doit être recon-nue et protégée dans la législation natio-nale et européenne.Si le sport est un droit, il faut rebâtir sagouvernance pour qu’il soit l'affaire detous, licenciés ou pas. Cela exige sa maî-trise par les hommes et les femmes quile pratiquent avec la création d’une ins-tance nationale de concertation et sadéclinaison locale.L’émancipation par le sport doit êtreau cœur de notre projet car l’appro-priation de chacune et de chacun deson corps, de son espace et de son envi-ronnement est fondamentale. L’appropriation des savoirs, des tech-niques, de la culture pour progresser estun élément essentiel pour sa propreliberté. Débattre de l’émancipation,c’est aussi réfléchir aux modificationsdu monde du travail et ses consé-

quences sur le temps des loisirs, c'est-à-dire la conquête « du temps libéré » et «des espaces libérés ».Comme l’ont déjà fait JoffreDumazedier(3), au sujet de la civilisationdes loisirs et Norbert Elias(4) dans « sportet civilisation », notre réflexion doit s’éle-ver au niveau de l’avenir des civilisationshumaines, de leur objet et de leur but.Nous devrions par exemple nous pen-cher sur l’évolution des compétitions etdes performances et de la relation entrele progrès et les frontières de l’humanité.Lors de notre université d’été, SébastienFleuriel et Manuel Schotté(5) nous ontinvités à réfléchir sur l’acceptation parnotre société du statut précaire de laquasi-totalité des athlètes : « des prolé-taires de la performance » liés à desagents par des contrats soumis auxrésultats sportifs.Le sport est à la croisée des chemins, ilest donc urgent d’initier un débat pourpermettre aux hommes et aux femmesde notre pays de s’en emparer.Pour conclure, regardons à cette belleimage ; celles de ces professionnels etamateurs de la montagne qui ont esca-ladé les plus hauts sommets de notrepays pour afficher leur colère contre lapolitique gouvernementale.L’insurrection des consciences est là, par-tout. Je pense aussi aux actions localesorganisées par des clubs comme àBagneux et à Ivry sur Seine ou encore autravail du collectif « le sport est un droit ».

Jacques Rouyer, dans son dernier éditopour la revue Contre Pied(6) évoquaitl’idée de « stimuler les résistances créa-trices ». Il nous invite à une vision del’activité physique et sportive commeune culture de résistance et de l’alterna-tive. Résister, ce n’est pas seulementfaire face, lutter, éviter le pire, ce doit êtreun moyen de se transformer, s’engager,s’enrichir et reconquérir. Si le mouve-ment sportif veut garder son indépen-dance et sa capacité d'initiative, si l'onveut ensemble assurer le droit au sportpour chacune et chacun, il va falloirmener le combat. n

NICOLAS BONNETResponsable de la commission

sport du PCF

1) Eric Besson, Accroitre la compétitivité desclubs de football professionnel français, laDocumentation française, novembre 2008.

2) David Douillet, l’Attractivité de la Francepour l’organisation de grands évènementssportifs, la Documentation française, juillet2010.

3) Joffre Dumazedier, Vers une civilisation duloisir ? , Seuil, Paris, 1962; réed 1972.

4) Norbert Elias et Eric Dunning, Sport et civi-lisation : La violence maîtrisée, Fayard, 1994.

5) Sébastien Fleuriel et Manuel Schotté,Sportifs en danger. La condition des travail-leurs sportifs, Editions du croquant, 2008.

6) Jacques Rouyer, EPS : la réussite de tous enéchec ?, Contre Pied, Centre national d’étudeet d’information EPS et société, n°25 mars2010.

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CULTURE

L’enjeu culturel et le ProjetIl est grand temps, à gauche, desavoir comment refaire de la cul-ture, de l’imaginaire et du symbo-lique, le creuset d’une pensée surl’avenir et sur l’alternative.

Ce qui est en cause aujourd’hui dansle mouvement social et surtout surle plan politique c’est notre capa-

cité à définir le sens, la portée, l’ambi-tion d’un projet culturel se situant lui-même au cœur d’un projet politique detransformation des actuels rapports dedomination et d’aliénation.L’urgence de refonder une pensée poli-tique de gauche est en soi une questionculturelle. Elle est d’autant plus forte

que nous savons que tout projet desociété transformateur - à commencerpar le nôtre - doit désormais procéderd’une intervention citoyenne et de laparticipation de tous à l’élaboration età la construction d’une alternativeémancipatrice durable et solidaire à lasociété actuelle.Peu à peu se fait jour l’idée que la ques-tion culturelle est, non seulement unematière fondamentale de notre travail surle Projet, mais peut-être aussi une clé dudébat général. Face à l’« effondrement dupolitique » l’angle culturel est l’angle d’at-taque incontournable, parce que la cul-ture est la condition de la politique.Notre approche de la question cultu-relle n’est pas nouvelle. La culture est unobjet de réflexion et un champ d’actionauxquels les communistes ont long-temps accordé une place déterminante.Cette démarche a toujours été animéed’un double refus : celui de considérerla culture comme un luxe réservé à une

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NOTESélite ou comme un simple produit valo-risable, et faire de l’enjeu culturel unenjeu politique émancipateur pour lapersonne humaine et transformateurdes rapports sociaux.Force est de constater que depuis plu-sieurs années maintenant, la créationartistique, la démocratisation culturelleet la promotion de la diversité culturelleconnaissent une stagnation, voire unerégression très sensible.Cette crise est à la confluence d’aumoins trois phénomènes :• Sur le plan économique, avec le déve-loppement d’une industrie et d’uncommerce symptômes d’une marchan-disation accélérée : les industries cultu-relles.• Sur le plan politique, par le démantèle-ment systématisé depuis l’arrivée aupouvoir de Nicolas Sarkozy, des poli-tiques publiques de la culture, duministère lui-même avec la RGPP, ainsique par les attaques contre les collecti-vités locales avec la réforme actuelle.• Sur le plan idéologique et moral, parl’offensive intellectuelle menée depuisplusieurs décennies autour d’uneconception libérale des rapportssociaux (la guerre du « tous contretous »), et d’une régression intellec-tuelle inédite, avec la résurgence deconceptions qu’on pensait révolues.

Les questions ne manquent pas, que cecourt article n’épuisera pas, comme parexemple :• Comment redonner du sens au sou-tien public à la création contempo-raine ? • Comment repenser les conditionsmêmes de l’exercice de la liberté decréation face au poids de l’argent et àl’interventionnisme politique ? • Comment être particulièrement atten-tif à l’innovation et aux formes émer-gentes de la création artistique ?• Comment réfuter cet « air du temps »qui fait de l’art un luxe insupportable entemps de crise ? • Comment montrer que l’art est « cemoyen qu’a trouvé une femme ou unhomme pour raconter à un(e) autre sonrêve par lequel il révèle et constitue saréalité intérieure » (Roland Gori, Cigale-2010) ou encore que c’est ce qui incite lespectateur ou le lecteur à reconfigurerson « partage du sensible » (JacquesRancière) sans lequel il n’y a pas desociété qui vaille ?• Comment renouer avec l’ambitiondémocratique du partage des œuvres etdes pratiques artistiques avec la néces-sité de relancer, sous des formes nova-trices et citoyennes, l’éducation popu-laire dans tous les territoires, y compriscelui du travail ?

• Comment le faire sans prendre encompte les pratiques culturelles réellesdes Français, en particulier depuis l’ir-ruption du numérique et le poids crois-sant des industries culturelles ?• Comment inventer une autre écono-mie de la culture respectueuse desdroits des créateurs, de la liberté de cir-culation des œuvres tout en refusant lasoumission aux exigences de la repro-duction du capital ?Et surtout comment refaire de l’enjeuculturel un enjeu de société, un enjeupolitique pour ceux à gauche qui réflé-chissent aujourd’hui aux formes dudépassement d’un capitalisme à boutde souffle mais qui ne s’effondrera pasde lui-même ? Comment penser unealternative à cette société de l’éphé-mère, du reproductible, du jetable, durentable ?Dans son discours au « monde de laculture » à Nîmes en janvier 2009,Nicolas Sarkozy affirmait que la culturen’était pas un secteur de l’activité gou-vernementale parmi d’autres mais « cequi donnait le sens à toute l’actionpublique ». La droite semble en effetavoir compris l’enjeu gramscien de laconstruction d’une hégémonie cultu-relle à l’échelle de la société, singulière-ment dans les classes populaires. Lesliens étroits désormais établis entre lemonde des médias, en particulier l’au-diovisuel, celui de l’édition et de lapresse, participent de cette construc-tion. L’offensive pour intégrer l’école etl’université à ce dispositif relève de lamême ambition.« La culture est la condition de la poli-tique parce qu’elle est la condition dudébat, de la circulation de la parole, desopinions et des jugements, de l’accès à lacitoyenneté dans la liberté et l’égalité àtravers les gestes de la pensée et de lacréation » (Marie-José Mondzain, dans Cigale2010).n

ALAIN HAYOTDélégué national à la culture du PCF,

Contact : [email protected]

Le collectif culture national du PCF, avecEspaces Marx, prépare un séminaire delongue durée autour de cette question, denovembre 2010 à juin 2011, avec notammentYves Clot, Cynthia Fleury, Marie-JoséMondzain, Pierre Musso, Jacques Rancière,Jean-Louis Sagot-Duvauroux, OlivierDonnat, Valérie de Saint-Do (…).

Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :

SUITE DE > LA PAGE 23

ERRATUM : la note du secteur économiesignée le mois dernier par Alain Morin a étéen fait rédigée par Yves Dimicoli. Toutes nosexcuses auprès de celui-ci.

NOV 2010 - LA REVUE DU PROJET

REVUE DES MÉDIAS

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Le retour du social

Par ALAIN VERMEERSCH

Romans, films, documentaires, fictions traitent de la vie socialesur fond de crise financière depuis la rentrée de septembre.

Le roman social s’inspire dumonde de l’entreprise. Il peut s’agirde raconter une restructurationcomme chez Nathalie Kuperman(Nous étions des êtres vivants,Gallimard) ou de suicide à la modeFrance Télécom comme chez ThierryBeinstingel (Retour aux mots sau-vages, Fayard) et Philippe Claudel(L’Enquête, Stock). D’autres thèmesémergent comme la crise climatique(Philippe Vasset, Journal intimed’une prédatrice, Fayard), l’immigra-tion et la polygamie (Celles quiattendent, Fatou Diome, Flam -marion) ou la précarité (Libre, seulet assoupi, Romain Monnery, DiableVauvert).

AU CINÉMAfilms et documentaires traitent desmêmes sujets. Depuis la fin août, onpeut voir à l’écran : Clevelandcontre Wall Street (La ville assigneen justice les 21 banques jugées res-ponsables des saisies immobilières),Wall Street : l’argent ne dort jamais(La décadence de la cité financièreaprès la crise de 2008), AO le der-nier Néandertal pose les questionsde l’homme face à la nature. Moi, lafinance et le développement dura-ble, ce documentaire de J. Lemaire-Danaud est « une réflexion sur laschizophrénie dans laquelle nousenferme le système capitaliste » dit-elle. Entre nos mains de MarianaOtero raconte l’histoire d’une Scopde lingerie. En novembre, Severn, lavoix de nos enfants nous entraînerasur l’avenir de la planète, une enfantinterpelle les responsables, 18 ans

après le sommet de Rio. Inside jobde Charles Ferguson raconte ladépression économique avec desinterviews de DSK et de ChristineLagarde.

LES CHAÎNES DE TÉLÉVISION Elles ne sont pas en reste. Le mer-credi 6 octobre, France 2 a diffuséles premiers épisodes de « Lesvivants et les morts » de GérardMordillat. Comme l’écrit L’Humanité,« Jamais vous ne voyez à la télévi-sion un ajusteur-outilleur, un comp-table, un couvreur, un charpentier,soit des gens qui ont un métier et unsavoir. Et aussi une culture. Car latélévision suppose là aussi que lemonde du travail est inculte, illettré,réduit à regarder la télévision et àfaire les mots fléchés des journauxgratuits… » (3,32 millions de télé-

spectateurs).Canal+ programme un documen-taire sur les politiques d’immigrationen France et en Europe(Immigration, aux frontières dudroit) et sur la production et laconsommation de viande et lesimpacts sur l’environnement (GlobalMeat).France 5 diffusera une série dedocumentaires : Terres agricoles :le grand Monopoly sur la vente desterritoires dans les pays en voie dedéveloppement. Le Peuple desordures mène l’enquête en Inde, auGhana et au Nicaragua sur le traite-ment des déchets ménagers. Le tra-vail : un peu, beaucoup, à la folie,sur sa place dans notre société.Orange, douce ou amère ? FranceTélécom : le temps de l’après... trai-tera de la place de l’humain dansl’entreprise. Sale pour la planète etJ’ai vu changer la Terre expliquentles effets dévastateurs du réchauf-fement climatique.

DU CÔTÉ DES REVUESLes dernières livraisons des revuespolitiques, économiques et socialessont riches d’intérêts.

La dernière livraison de la revue LeDébat (Gallimard, n°161-septembre-octobre 2010) poursuit la contro-verse engagée il y a quelques moissur le déclin de la gauche occiden-tale. Alain Bergounioux met enlumière les facteurs susceptibles dedonner un nouvel élan à la social-démocratie. Il avance l’idée que« les difficultés de la gauche

France 2 : Les vivants et les mortsde Gérard Mordillat

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REVUE DE LIVRESsociale-démocrate sont sans douteliées à celle de l’Europe même... àl’affaiblissement durable de la crois-sance qui entrave les possibilités dela redistribution sociale ». Selon lui« les problèmes de la social-démo-cratie ne relèvent pas d’une idéolo-gie dépassée... Ils tiennent avant toutaux difficultés de réalisation des pro-grammes sociaux-démocrates dansles conditions actuelles ». Il admet« Avec la crise qui frappe... l’Europedepuis la fin de 2008, le temps del’inventaire est venu... La criseappelle des remèdes de naturesociale-démocrate ». Mais explique-t-il, ces partis « ont été associés parune partie de leurs électorats à lavoie qui a mené à cette crise ».Dans ce numéro, Marcel Gauchet etJacques Julliard dialoguent sur lasituation des forces politiques. M.Gauchet comme une réponse à A.Bergounioux souligne l’idée que « lecapitalisme s’est installé comme unhorizon indépassable parce qu’ilplaide l’ouverture des marchés dansun monde mondialisé... Les gauchesde gouvernement, en Europe, se sontpersuadées qu’il s’agissait d’unesituation inéluctable... La politique,désormais, c’est tout simplementl’adaptation à la mondialisation éco-

nomique ». Il conteste cette réalité« Il devient manifeste qu’on a besoindu politique pour faire marchercette machine économique quidéraille ». Il remarque « En l’absenced’alternative crédible, c’est la démo-bilisation anxieuse qui prévaut ». Il insiste sur l’idée que « la dispari-tion de l’horizon révolutionnaire n’apas libéré l’imagination réformiste...La pauvreté de la discussionautour... de l’avenir de l’Etat-provi-dence en est le symptôme ». Maisobserve-t-il « L’affaiblissement deSarkozy profite à la gauche ». Iladmet l’existence d’une nouveautédans le paysage politique avec leFront de Gauche. « Nous sommesdevant un phénomène nouveau, quin’est pas non plus le communismetel que nous l’avons connu, mais quiconstitue une espèce de varianteradicale de la social-démocratie ausens très large du terme ».

Actuel Marx (La Découverten°48/2010) consacre son derniernuméro au communisme. Dans laprésentation, on peut lire le regaind’intérêt pour l’idée, le projet, voireles politiques communistes. Lesauteurs qui y participent ontrépondu à une adresse formulée en

ces termes : « On assiste aujourd’huià une réhabilitation du “commu-nisme”... Il n’est guère de philosopheradical qui ne reprenne ce terme àson compte.. C’est bien quelquechose du ’communisme’ qui se mani-feste sous la forme d’utopies pra-tiques sur le terrain du militantismepolitique et social, de l’autogestion,de l’écologie, de la communicationInternet, de même que dans la sub-version culturelle... dans le “tousensemble”, dans la démocratiedirecte des rebellions sociales, dansla radicalité des options et desdévouements personnels et collec-tifs. La question se pose naturelle-ment de savoir pourquoi revient cenom de communisme. D’où parle lecommunisme ? De quelle forcesociale, réelle ou supposée ? De quelmonde ? Même s’il s’agit d’un motpolitique, de ces vocables qui don-nent lieu à des affrontements etretournements sans fin, y-a-t-ilquelque sens à l’utiliser en dehorsd’une conceptualité analytique etstratégique définie et communica-ble ? » Franck Fischbach, MichaëlLöwy, Etienne Balibar, Toni Negri,Jean-Luc Nancy, Slavoj Zizek,Chantal Mouffe et Jacques Bidetcontribuent à ce numéro. n

LA REVUE DES BULLETINS Les bulletins internes des différentes commissions nationales

Ê RAPSE, Réseau d’Action pour Promouvoir

Sécuriser l’Emploi.

Ê FÉMINISME/COMMUNISMELe bulletin de la commission

Droits de femmes /Féminisme

Ê CIGALE : Bulletin annuel de la commission culture.

Mais aussi... n COMMUNISME ET ÉCOLOGIE, lettre électronique n GLOBULE ROUGE revue de lacommission santé n LRI, lettre des relations internationales n COMMERCE ÉQUITABLE revue de lacommission économie sociale et solidaire n TERRE MER revue de la commission Agriculture, Pêche...

CRITIQUESChaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

RACHID BOUCHAREBHors-la-loi, film franco-algérien 2010.

Par STÉPHANIE LONCLE

Hors-la-loi raconte une partie de la résistance arméedu FLN sur le territoire français pendant la guerred’Algérie du point de vue d’un cadre du mouvementde libération. Ouvrier dans l’industrie automobile, ilvit avec sa famille dans le bidonville de Nanterre. La

narration, chronolo-gique, conduit du massa-cre de Sétif à la manifes-tation du 17 octobre1961. Ces événements,certains de nos cama-rades les ont vécus, d’au-tres, plus jeunes, en ontau mieux une connais-sance historique quimanque souvent d’inter-prétation politique. Lefilm en propose une quisera utile à la construc-tion d’un débat entre les

communistes et à la transmission des mémoires.Il construit un parallèle entre les militants algériens duFLN sur le sol français et la Résistance française quipermet de faire ressortir l’héroïsme et la légitimité ducombat des militants du FLN mais aussi de soulignerles différences entre ces deux résistances. En effet, lamisère et l’isolement des militants, le fait d’être immi-gré sur le territoire ennemi, mais aussi la fragilité del’organisation et la faiblesse politique du combatnationaliste font de la résistance algérienne qui estmontrée à l’écran un problème et pas seulement uneévidence. Tandis que L’Armée du crime de Guédiguiansoulignait la solidité de la culture politique commu-niste qui animait les résistants à l’occupation nazie(n’oubliant jamais qu’ils sont « du côté de la vie »),Hors-la-loi met l’accent sur les contradictions de laproblématique nationaliste.S’il s’agit certainement d’un point de vue sur la guerred’Algérie n’ayant pas vocation à représenter l’ensem-ble des aspects du mouvement de libération, ce pointde vue est particulièrement intéressant dans lecontexte actuel. En refusant tout romantisme révolu-tionnaire pour aborder la question de la légitimité ducombat nationaliste, ce film particulièrement coura-geux prend la mesure de sa responsabilité dans notreactualité. En faisant dialoguer la guerre d’Algérie avecla Résistance et avec le présent, ce film permet de sor-tir de l’amalgame que produit parfois la liste des« grands combats du XXe siècle » pour s’assurer de latransmission du savoir-faire et des cultures militantes,afin d’enrichir et de renforcer le militantisme actueldans les combats qu’il doit mener. n

LOUIS MAZUYAlternative au capitalisme, Syllepse, 2010.

Par IVAN LAVALLÉE

Dans l’Humanité du 16 septembre, François Taillandierdéplore qu’on n’écrive plus sur l’expérience concrète dutravail, ses processus, son sens, son but humain. Ilconclut ainsi : « s’opposer ce n’est pas répondre diffé-remment aux mêmes questions, c’est poser d’autresquestions ».Alternative au capitalisme, de Louis Mazuy, pose lesquestions autrement, dans la pure tradition marxiste,celle qui analyse des situations concrètes et qui les «monte » au niveau théorique, quitte à remettre en causedes schémas de pensée qui bien qu’ayant eu leur perti-nence, sont aujourd’hui à revisiter. Louis est élu commu-niste à Maubeuge, ingénieur Arts et Métiers chez AREVAet représentant du personnel au conseil d’administrationde son entreprise. Au fil de son analyse, il discute de nom-breux travaux et concepts, ouvre un dialogue avec lesthéories de la révolution informationnelle, s’inscrit dansla lignée de R. Leguen ou de L. Lavallée, mais néglige mal-heureusement un auteur qui aborda en d’autres tempsles mêmes problèmes, le philosophe R. Richta (La civili-sation au carrefour, 1966).Un ouvrage à lire par tout militant révolutionnaire encette période d’élaboration de projet. n

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CRITIQUES

Critiques coordonnées parMARINE ROUSSILLON

Sous la direction de CHOUKRI BEN AYEDL’école démocratique : vers un renoncementpolitique ? 2010.

Par CÉCILE BARON ET CHARLINE RANGÉ

Cet ouvrage coordonné par Choukri Ben Ayed, sociologueet professeur, propose une analyse scientifique de l’évolu-tion de l’école. Des chercheurs et des enseignants engagésy décortiquent les mécanismes qui détournent l’école del’objectif fondamental, porté par sa démocratisation,d’émancipation de chacun et de perfectionnement de lasociété.L’école se retrouve coupée du monde qu’elle est censéetransformer ; sa sanctuarisation renforce le sentimentd’insécurité, la difficulté scolaire est individualisée tan-dis que les entreprises de soutien scolaire fleurissent, lascolarisation à 2 ans recule et les jardins d’éveil payantsse généralisent. Nées d’une volonté de justice et decohésion sociale, les politiques d’éducation prioritaireaboutissent aujourd’hui à une différentiation de l’offreet à un éclatement concurrentiel des systèmes éducatifs.Mobilisé par des ressources financières et culturellesinégales, le libre choix de l’école, voulu par la disparition

de la carte scolaire,attise les convictionslibérales et individua-listes des familles touten consacrant la peurdes autres. La poli-tique de formation desélites au détriment decelle des masses estpourtant un échec fla-grant : pour tous leniveau baisse et lesécarts se creusent.Revenant sur les luttessociales et les évolu-tions du syndicalismedans l’enseignement,les auteurs montrent

comment la stratégie de segmentation des réformes, eninduisant un décalage temporel et revendicatif entre lesmobilisations des enseignants, chercheurs, étudiants etenseignants-chercheurs, a permis de faire passer cesréformes. Depuis 7 ans, le rôle structurant du néolibé-ralisme dans les réformes de l’enseignement (LRU,« retour aux fondamentaux », mastérisation de la for-mation,…) ont rapproché les chercheurs et le milieuenseignant dans l’analyse et l’action. Mais la sectorisa-tion et l’absence de mise en commun des analysesempêchent de comprendre les cohérences et lescontradictions de la politique éducative. Les auteursdéfendent donc un rapprochement entre enseigne-ment et recherche, à la manière des CHU.En s’attachant à « désanctuariser » l’école, l’ouvragemontre comment les réformes en cours participentd’une logique globale de privatisation et de marchandi-sation des missions de service public et de casse du sta-tut des travailleurs. n

ANDRÉ CHASSAIGNEPour une terre commune, éd. Arcane 17, 2010.

Par PIERRE LAROCHE

André Chassaigne, député communiste, analyse la placede l’écologie dans la vie économique, culturelle, socialeet politique, à la fois en sortant des limites héritées d’uncommunisme « culturellement productiviste » et entenant à distance la proposition d’une « décroissance ».Il relève le défi qui consiste à imaginer un développe-ment humain libéré de toute conséquence dommagea-ble pour l’environnement (et, en conséquence, pour ledéveloppement humain lui-même). À partir de l’idée de« Terre mère » chère à la culture amérindienne, ilconstruit le concept de « Terre commune », qui reven-dique une société de mise en commun et conçoit la pla-nète comme un héritage qu’il importe de transmettre.L’auteur s’oppose à l’exploitation des hommes et des

femmes comme de la planète parune minorité de « fortunés »pour qui l’écologie est une varia-ble d’ajustement et le « dévelop-pement durable » un simple outilpour conserver ou développerdes parts de marché. Il montrecomment la pollution, devenueune marchandise et une sourcede profit, est légitimée par le« capitalisme vert » et il fournitdes clés de lecture des rapportspolitiques, économiques etsociaux, de Grenelle à

Copenhague, jusqu’au « guet apens idéologique duGrenelle de l’environnement ».Il propose une transformation écologique de notre éco-nomie qui passe par une appropriation populaire de sesobjectifs et de ses circuits de financement. La démocra-tie, l’ambition de donner aux citoyens les connaissancesqui leur permettent de décider de leur vie et de se réap-proprier un patrimoine public, est au cœur de cettetransformation. Elle est ainsi, selon l’auteur, la seuleréponse possible à la question du partage de l’eau pota-ble. Ce projet implique de s’opposer aux tentatives deréduire le rôle de l’État. L’exemple de l’énergie est par-lant : en France, le programme du CNR, les nationalisa-tions et le développement des services publics ontconstruit un modèle alliant innovation et sécurité,aujourd’hui rapidement défait par les exigences de laseule rentabilité financière. L’auteur affirme à la fois lanécessité d’une nouvelle politique énergétique, l’utilitédu nucléaire et l’exigence d’une transformation de laconsommation. Le plus important est l’exigence poli-tique de transformations sociales. Chassaigne met lamixité dans toute ses dimensions au centre de ce projet :logement, proximité d’équipements publics, diversitécitoyenne, activités économiques. Invité par PierreGosnat à voir les transformations prévues à Ivry, il étu-die les travaux et projets en cours pour une « reconquêtede la ville ». n

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n APPEL À COMPÉTENCE« Beaucoup mettent de l’énergie à résister , il en faut tout autant qui se mêlent du débat politique ! »Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a invité ainsi, l’ensemble des forces sociales, syndicales, associatives, à investir ledébat d’idées et à participer à la construction d’une véritable alternative politique à gauche.Il s’agit d’ouvrir des espaces de travail par réseaux thématiques dans tout le pays.Nous voulons nous appuyer sur l’expertise professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant à contribution toutes les intelligences et les compétences.La Revue du Projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idées, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer à ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacités avec d’autres ?

LAISSEZ-NOUS VOS COORDONNÉES, NOUS PRENDRONS RAPIDEMENT CONTACT AVEC VOUS.Nom-Prénom : ..........................................................................................................................................................................................

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Vous connaître nous intéresse, contactez-nous à l’adresse suivante : [email protected]

Merci à toutes celles et tous ceux qui nous ont déjà contactés.

RACISME‚ MERCREDI 10 NOVEMBRE • LE BLANC-MESNIL Hôtel de Ville - 17 place Gabriel Péri Ë La Ville de Blanc-Mesnil et le Forum organisent

un Forum de lutte contre le racisme et les discrimina-tions racistes en France. Avec des contributions de chercheurs, d’élus, d’habitants, d’agents publics,d’associations et d’artistes. Etat des lieux le matin,avec entre autres Joël Roman et Joëlle Bordet. Trois ateliers l’après-midi :1 • Art et racisme : en quoi l’art fait-il bouger la question du racisme, en quoi le racisme nourrit-illa question de l’art ? 2 • Jeunes, démocratie et lutte contre le racisme etles discriminations racistes. 3 • Les habitants, les professionnels et les élus faceau racisme, aux discriminations racistes et auxenjeux de la démocratie. 19 h : création théâtrale de Thierry Bédard, Desruines… la liesse et l’oubli.Entrée libre sur inscription auprès de Mission luttecontre les discriminations. (www.blancmesnil.fr).(Tél. : 01-48-67-45-80 ; [email protected]

ISRAËL-PALESTINE‚ MARDI 16 NOVEMBRE 19 H 30 • PARIS 5e

Centre culturel La Clef, 34, rue Daubenton, Ë « Les juifs français, les Français d’origine ou de

sensibilité juive et le conflit israélo-palestinien »,table-ronde avec Esther Benbassa, et Denis Sieffert,

CONTRE LA FAIM DANS LE MONDE‚ JEUDI 18 NOVEMBRE, DE 15 H À 18 H 30 • PARIS 7e

Sciences Po, amphithéâtre Chapsal, 27 rue Saint-Guillaume Ë Conférence-débat « Veut-on nourrir le monde ? Quelles

insécurités alimentaires pour quels intérêts ? », avecnotamment Jacques Berthelot. (Informations pratiqueset renseignements : Paula Cusi Echaniz (CIHEAM),[email protected], 01-53-23-91-23).

RENCONTRE DU PROJET‚ 26-27-28 NOVEMBRE • PARIS 19e Espace Niemeyer2 place du Colonel Fabien - M° Colonel Fabien Ë Cette rencontre nationale réunira des militants-e-s et

des élu-e-s communistes, des intellectuel-le-s, desacteurs et actrices du mouvement social et associatif.Elle permettra d’engager les réflexions et la construc-tion d’un projet partagé, utile à toute la gauche répon-dant aux problèmes de la société, aux espérancespopulaires et en rupture avec les logiques libérales.

LES DROITS DES FEMMES EN EUROPEAssemblée «El-FEM» ‚ 3 DÉCEMBRE• PARIS 19e Siège national du PCF2 place du Colonel Fabien - M° Colonel Fabien Ë Rencontre organisée avec le PGE (Parti de laGauche Européenne)

AGENDA

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Le sentiment de tout observa-teur que sa propre époque est d’unecertaine manière « détraquée, sonregard critique repérant presque inévi-tablement les symptômes d’une« période de crise », n’est certaine-ment pas nouveau, l’histoire culturellea montré qu’il est constitutif de toutesles tentatives de définir une époque.Cependant, une nouvelle expérienceapparaît à l’horizon de la modernité,comme l’a montré R. Roselleck dansplusieurs de ses ouvrages : le senti-ment voire la conviction intime, quec’est le temps lui-même qui s’est détra-qué45 et que la persistance de la criseest ainsi le résultat d’une crise dutemps. De ce point de vue, les observateurs dela modernité sont d'accord sur le type

Times, Modern Places, peut faire ceconstat tranchant : « Ce qui est encause quand on parle de modernité,c'est l'accélération du temps ».Cependant, l'expérience fondamentalecaractéristique de la modernité danstoutes ses phases, celle que « tout va deplus en plus vite », que tout serait prisdans un mouvement permanent, et quele futur, par conséquent, serait totale-ment ouvert, incertain et désormaisimpossible à prévoir à partir du passé etdu présent, ne caractérise qu'un aspectde la grande majorité des analyses cri-tiques contemporaines du temps. Enparallèle s'est développée une autreanalyse sociologique, diamétralementopposée, qui avait déjà été formulée parM. Weber et A. Kojève et qui s'étaitmaintenue sous forme de « sous-texte » de la période moderne dès l'ori-gine. Cette analyse, qui n'a gagné duterrain que dans la phase développéede la modernité et qui s'est renforcéevers la fin du XXe siècle, rejoignait alorsapparemment la réalité de l'expérience

de transformation qu'a connu le temps,même s'ils sont loin d'être unanimesquant à l'évaluation du phénomène :depuis environ 1750 (soit l'époque qua-lifiée de Sattelzeit – littéralement le« seuil d'une époque » ), donc bienavant le début de la révolution indus-trielle, et avant la Révolution française,paraissent à un rythme toujours plussoutenu des témoignages trahissant laplupart du temps un grand désarroi –qui expriment le sentiment d'une gigan-tesque accélération du temps et del'histoire. Ce sentiment se renforceencore tout particulièrement avec l'ap-parition du chemin de fer, pour venir aucours de la révolution industrielle, senourrir d'une multiplicité d'expériencespratiques et quotidiennes. La suite del'histoire de la modernité voit apparaî-tre des vagues successives de nouveauxdiagnostics qui constatent l'accéléra-tion du rythme (de la vie, du monde, dela société, de l'histoire – et jusqu'autemps lui-même), si bien que P. Conrad,dans son volumineux ouvrage Modern

Accélération sociale oupétrification de la société

Par HARMUT ROSA*

* Harmut Rosa est né en 1965, il appartient àla quatrième génération de la « théorie cri-tique » allemande, projet d'articulation dumarxisme, de la philosophie et des sciencessociales.

COMMUNISME EN QUESTION

L'expérience majeure de la modernité est celle de l'accélération. Nous le savons,nous le sentons : dans la modernité, « tout devient toujours plus rapide ». Or letemps a longtemps été négligé dans les analyses des sciences sociales sur lamodernité au XXe siècle. La sociologie s'est principalement intéressée à desquestions de rationalisation, d'individualisation, etc. C'est cette lacunequ’Hartmut Rosa tente de combler avec son ouvrage, Accélération. Harmut Rosa nous présente deux diagnostics de l’époque, celui d’une accélé-ration sociale et celui d’une pétrification de la société, deux approches qui nesemblent contradictoires qu’à première vue. Nous publions ci-dessous quelquesextraits de son livre(1).

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d'une accélération, sociale et celuid'une pétrification de la société, nesemblent contradictoires qu'à premièrevue. Dans la métaphore parlante de« l'immobilité fulgurante » que nousdevons à P. Virilio, les deux perspectivess'assemblent dans le diagnostic d'uneposthistoire dans laquelle le déchaîne-ment de l'histoire événementiellemasque à grand-peine l'immobilité desidées et des « structures profondes ».La complémentarité de ces expériencescritiques du temps n'est pas seulementune construction universitaire coupéedu monde, mais elle s'exprime puissam-ment dans la culture des sociétémodernes. On peut observer cettestructure fondamentalement para-doxale du temps de la modernité, et afortiori de celui de la postmodernité,non seulement au niveau du temps del'histoire, mais également à celui dutemps de l'existence individuelle et de lavie quotidienne. L'histoire de la moder-nité est ainsi émaillée de plaintes récur-rentes à propos de l'élévation durythme de vie, d'un rythme de vie deplus en plus frénétique, auquel on attri-bue toutes sortes de propriété patho-gènes, source d'hyperexcitabilité et desurmenage. Il est intéressant de consta-ter qu'elles sont constamment assortiesd'un « sous texte » inverse qui déplore,lui, l'ennui de la vie moderne, vided'évènements – l'ennui devient un motd'ordre précisément à un moment où,lors de la révolution industrielle, lavitesse augmente « dans tous les regis-

tres de l'expérience humaine ». Celas'accompagne du sentiment que la vie« file » de plus en plus vite, malgrél'augmentation constante de l'éspé-rance de vie dans les sociétés occiden-tales. L'expérience du « temps immo-bile » prend la forme pathologique de ladépression clinique, dont nombre depsychologues font l'hypothèse qu'elleest une réaction à des contraintes d'ac-célération excessives que le sujet n'estpas en mesure de supporter. De nom-breuses enquêtes indiquent que lespathologies dépressives sont de plus enplus répandues dans les sociétésmodernes. n

1) Avec l’aimable autorisation des EditionsLa DécouverteHarmut Rosa, Accélération - Une critiquesociale du temps, traduit de l'allemand parDidier Renault, Éditions La Découverte,Paris 2010. www.editionsladecouverte.fr.

Copyright : ISBN 978-2-7071-5482-8En application des arti-cles L.122.10 à L.122.12du code de la propriétéintellectuelle, toutereproduction à usage col-lectif par photocopie,intégralement ou partiel-lement, du présentouvrage est interdite sans

autorisation du Centre français d'exploita-tion du droit de copie(CFC, 20, rue desGrands-Augustins, 75006 Paris). Toute autreforme de reproduction, intégrale ou par-tielle, est également interdite sans autorisa-tion de l'éditeur.

de la grande majorité des contempo-rains. Il s'agit ici de l'expérience d'une« cristallisation » culturelle et structu-relle de sa propre époque, perçuecomme une « cage d'acier » immobile,dans laquelle rien d'essentiel ne setransforme et où rien de neuf ne peutplus se produire. De ce point de vue surla société moderne, l'époque vécue secaractériserait précisement par la fin detout mouvement : les énergies uto-piques s'épuisent, parce que toutes lespossibilités de l'esprit et des idées sem-blent avoir déjà été exploitées, et unpesant ennui vide de tout événementmenace de s'installer. Cette thèse estbien sûr formulée de la manière la plusprégnante dans les discours sur la pos-thistoire et dans l'ouvrage de F.Fukuyama sur la « fin de l'histoire »,mais elle est également présente dansles définitions négatives de l'époque,comme une période d'« après », du« post-» et de la « fin de » - fin de la rai-son, du sujet, des valeurs, de l'éduca-tion, des récits, de la politique, de l'his-toire, etc. Ces diagnostics récents nesont nouveaux que dans la mesure où,par comparaison avec des tentativesprécédentes, ils semblent bancals ou« amputés » : ce sont des constatsd'une époque de bouleversements,mais privés de la perspective d'un« renouveau culturel » et, par consé-quent, de celle d'un enchaînementcohérent du passé, du présent et dufutur.Ces deux diagnostics de l'époque, celui

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Ces objets ont atteint unelimite où il est possible de compter lesatomes qui les composent. Si un cubede silicium de 1 mm de côté contientcinquante milliards de milliardsd’atomes, un cube de 10 nanomètres decôté n’en contient plus que 50 000. Enréalité, cette affaire des nano-objetsne date pas d’aujourd’hui. Déjà leségyptiens de l’Antiquité savaientinclure dans leurs céramiques desnanoparticules métalliques, de taillebien contrôlée, pour obtenir des pig-ments colorés (le fameux bleud’Égypte). Les gaulois savaient parmartelage introduire des défauts destructure à l’échelle de quelques

atomes dans le bronze de leur glaivepour le rendre résistant aux chocs.Les chimistes quant à eux, notammentles spécialistes de chimie organique etmoléculaire savent construire depuisfort longtemps des molécules com-plexes aux propriétés contrôlées,objets nanométriques   s’il en est,« brique » par « brique » (voir les tra-vaux du prix Nobel de Chimie 1987,Jean-Marie Lehn, par exemple), sansavoir recours à des moyens techniquescoûteux, comme ceux de la microélec-tronique, loin de là. Citons égalementles nanotubes de carbone, d’un diamè-tre d’une dizaine de nanomètres, for-més d’une ou deux couches monoato-miques de graphite, enroulées surelles-mêmes, couramment utilisés dansles matériaux composites.C’est, cependant, le développementimpétueux des techniques liées à l’in-dustrie de la microélectronique qui està l’origine de l’irruption des nanotech-

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Nanotechnologies : cauchemar de latechno-science ouespoir pour l’humanité ?

PAR GÉRARD CHOUTEAU*

GÉRARD CHOUTEAUest physicien, membre dela Commission RechercheEnseignement supérieur

Un millimètre, c’est une longueur qui évoque quelque chose, nous l’avonsappris à l’école. Un micromètre, c’est encore accessible à notre entende-ment : un cheveu a un diamètre de 50 à 100 microns. Mais un nanomè-tre ? C’est un milliardième de mètre. Difficile d’imaginer un objet ayant desdimensions de quelques nanomètres. Ce sont pourtant de tels objets queles nanotechnologies et les nanosciences fabriquent et manipulent.

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NOV 2010 - LA REVUE DU PROJET

nologies sur le devant de la scène.Pour s’en convaincre, il suffit de se sou-venir qu’en 1975, on gravait des traitsde 10 microns de largeur dans les pucesélectroniques et qu’aujourd’hui on enest à 22 nanomètres, soit 450 foismoins. Une autre avancée considérablea été l’invention de deux outils excep-tionnels, eux aussi couronnés par l’at-tribution d’un prix Nobel en 1986, lemicroscope à effet tunnel et le micro-scope à force atomique, qui, non seule-ment permettent des observations àl’échelle atomique, mais rendent possi-ble la manipulation d’atomes un par undans des opérations de routine. La pré-diction qu’énonça en 1959 le physicienRichard Feynman, encore un Nobel,selon laquelle « on pourra un jourécrire l’intégralité de l’EncyclopædiaBritannica sur une tête d’épingle » esten train de se réaliser.Si la définition même des nanotechno-logies fait encore l’objet de débats, passeulement sémantiques, si l’on a par-fois tendance à étendre le terme nano-technologies à des objets qui sont plu-tôt micrométriques, (question demode !), il n’en est pas moins vrai queleur développement paraît irréversible.Pas de mois sans l’annonce de réalisa-tions étonnantes. On sait fabriquer desengrenages ou des moteurs molécu-laires. Les physiciens conçoivent desobjets étranges : boîtes ou fils quan-tiques contenant un nombre contrôlé…d’électrons. Nul doute que dans lesdécennies à venir on saura élaborerdes rétines artificielles et guérir cer-taines cécités. On peut, dès aujourd’huipar implantations de micro-électrodesdans des régions déterminées du cer-veau, actionner des prothèses de mem-bres par la pensée. La récente création

d’une cellule contrôlée par un ADN arti-ficiel ouvre la voie à la création de cel-lules répondant à des besoins spéci-fiques.Le champ d’application des nanotech-nologies semble donc illimité. Si illimitéque certains n’hésitent pas à construiredes programmes démiurgiques tel que« Façonner le monde atome paratome », objectif incroyablement ambi-tieux (sic) affiché par les promoteurs amé-ricains de la « National Nanoinitiative »,mis en lumière par BernadetteBensaude-Vincent dans son ouvrageLes vertiges de la techno-science. Laphysicienne Hélène Langevin-Joliotdans ses travaux récents a montrécomment au travers du concept detechno-science on tend à brouiller lesfrontières entre recherche fondamen-tale et appliquée, recherche et mana-gement. Le marché mondial quereprésentent les nanotechnologiespourrait être de 1000 milliards de dol-lars vers 2015. On est là au cœur desquestionnements éthiques et socié-taux que pose aujourd’hui le dévelop-pement des connaissances et dessciences.Les méthodologies sont bousculées parles approches nouvelles. Les équipessont de plus en plus transversales etinterdisciplinaires, regroupant physi-ciens, biologistes, mathématiciens,informaticiens, neurologues etc... Parailleurs, la démarche classique « duhaut vers le bas », c’est à dire de larecherche fondamentale vers l’applica-tion et le développement se trouvesouvent inversée. Du fait de la naturemicroscopique des objets élaborés,c’est à la physique quantique qu’il fautfaire appel. Mais les êtres quantiquessont étranges, à la fois corpuscules et

ondes, doués d’ubiquité, gouvernés pardes lois probabilistes, ils ne se connec-tent pas facilement au monde exté-rieur. Il y a donc une forte exigence derecherche fondamentale, dans unedémarche inédite « du bas vers lehaut » pour mieux comprendre le com-portement de ces nouveaux objets.Dans ce domaine, il vaut mieux parlerde nanoscience, plutôt que de nano-technologie. Cette exigence derecherche fondamentale dans unedémarche transversale coopérativeest en contradiction frontale avec lapolitique que le gouvernement tentede mettre en œuvre. Politique entière-ment axée sur le transfert des connais-sances pour accroître le profit desentreprises.Le problème des rapports entrescience et société n’est pas nouveau.Ce qui est nouveau c’est que les consé-quences des résultats de la recherchese font sentir dans des délais de plus enplus courts et ont des impacts socié-taux lourds. Il faut aller au-delà despeurs, toujours irrationnelles et sou-vent fantasmées, que suscitent lesrisques (réels) des avancées scienti-fiques. À la question : « la science pourquoi faire et pour qui ? » on ne peutrépondre que par une exigence fortede démocratie, de transparence et demaîtrise publique des résultats de lascience. La dialectique complexe desrapports entre scientifiques, indus-triels, politiques et citoyens est à inven-ter. Elle ouvre un champ d’expérimen-tation sociale tout aussi exaltant queles perspectives offertes par le nano-monde. n

Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

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Olivier Dartigolles [email protected]

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Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

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COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

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LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010