la revue du projet n°28

48
N°28 JUIN 2013 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF P. 6 LE DOSSIER P. 26 LE GRAND ENTRETIEN NOUS NE VOULONS PAS QUE NOTRE PEUPLE SOIT GOUVERNÉ, NOUS VOULONS QU’IL GOUVERNE Pierre Dharréville P. 41 STATISTIQUES CE N’EST PAS LA CRISE POUR TOUT LE MONDE Michaël Orand P. 40 SONDAGES ÉLECTEURS DE GAUCHE : ENTRE ESPOIR ET DÉSILLUSION Nina Léger LA RETRAITE UNE BATAILLE CAPITALE

Upload: lr-2013

Post on 22-Mar-2016

235 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

La revue du projet n°28

TRANSCRIPT

Page 1: La revue du projet n°28

N°28JUIN2013

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

P.6 LE DOSSIER

P.26 LE GRAND ENTRETIEN

NOUS NE VOULONSPAS QUE NOTREPEUPLE SOITGOUVERNÉ, NOUSVOULONS QU’ILGOUVERNEPierre Dharréville

P.41 STATISTIQUES

CE N’EST PAS LACRISE POUR TOUT LE MONDEMichaël Orand

P.40 SONDAGES

ÉLECTEURS DEGAUCHE : ENTRE ESPOIRET DÉSILLUSIONNina Léger

LA RETRAITEUNE BATAILLE CAPITALE

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page1

Page 2: La revue du projet n°28

3 ÉDITOGuillaume Quashie-Vauclin La soupe

4 POÉSIESFrancis Combes Edoardo Sanguineti

5 REGARDAmbre Blondeau Pour une vie meilleure

6 u23 LE DOSSIERLA RETRAITE : UNE BATAILLECAPITALEÉdito : Jean-Luc Gibelin La retraite  : un enjeu de sociétéChristian Chevandier Fixer les travailleurs, puiscombattre la misère  : les retraites aux XIXe etXXe sièclesIgor Martinache Vingt ans de (contre-)réformesCatherine Mills Les retraites : un progrès de civi-lisationFrédéric Rauch Cotisation sociale vs fiscalitéLucien Sève Combattre les dramatiques contre-vérités sur la vieillesseYannick Marec Les métamorphoses de la vieil-lesseBernard Friot Un salaire à vie. Pourquoi ?Yann Le Lann Le modèle suédois et la redéfini-tion néolibérale de la répartitionLaurence Cohen Pour l’égalité des pensions deretraite entre les femmes et les hommesPierre Concialdi Penser les retraites, penserl’emploiEvelyne Van Der Heym Quelle logique pour déter-miner le niveau  de pension ?

Sylvie Durand Retour sur la négociation desrégimes complémentairesClaude Chavrot Un même régime pour tous : unefausse évidenceMarcel Bluwal Faites tout ce que vous voulezmais existez !

24 FORUM DES LECTEURS

26 u29 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENPierre Dharréville Nous ne voulons pas que notrepeuple soit gouverné, nous voulons qu’il gou-verne BRÊVES DE SECTEURAnne Mesliand Mobilisation citoyenne pourchanger d’orientation Amar Bellal Progressistes : une nouvelle revuedu PCF

30 COMBAT D’ IDÉESGérard Streiff L'intellectuel, le clown et l'expert

32 MOUVEMENT RÉELIsabelle Garo Marx, théoricien de l’art ?

34 HISTOIREAnnie Lacroix-Riz Écriture de l’histoire et colla-boration : les voies historiographiques de la« réhabilitation » du grand patronat

36 PRODUCTION DE TERRITOIRESWilliam Berthomière Nouvelles dynamiquessociodémographiques en Israël

38 SCIENCESSacha Escamez La révolution épigénétique.

40 SONDAGESNina Léger Électeurs de gauche : entre espoiret désillusion

41 STATISTIQUESMichaël Orand Ce n’est pas la crise pour tout lemonde

42 REVUE DES MÉDIAAnthony Maranghi Le combat contre le mariagepour tous, porte d’entrée du « Printemps fran-çais »

44 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• LIRE : Patrick Coulon, Une droite bleu-brun ?• Fondation Gabriel-Péri, Les politiques écono-miques de la gauche en France (1936-2002)• Domenico Losurdo, Contre histoire du libéra-lisme• Henri Pena-Ruiz, Marx quand même• L’alternative à l’insécurisation de l’emploi,c'est possible ! Économie et Politique, n°702-703

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

SOMMAIRE

Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.Parce que prendre conscience d'un problème, c’est déjà un premierpas vers sa résolution, nous publions, chaque mois, un diagrammeindiquant le pourcentage d'hommes et de femmes s’exprimant dansla revue.

HommesFemmes

Emparez-vous deLa Revue du projet

Abonnez-vousAbonnez autour

de vous !

Assurez sa pré-sence aux fêtes

fédérales.

Réagissez aux articles, exposez

votre point de vue.Écrivez à

[email protected]

2

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page2

Page 3: La revue du projet n°28

3

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

3

GUILLAUME QUASHIE-VAUCLIN, RÉDACTEUR EN CHEF

ÉDITO

LA SOUPE «M ange ta soupe, ça fait

grandir ! » Amer et com-mun souvenir de cuille-

rées vertes… mais, « pour maman »,on en reprend bien une cuiller etpuis, après tout, peut-être que ça faitvraiment grandir…En politique, en revanche, une choseest sûre, la soupe ne fait grandir per-sonne : ni adhérent, ni parti poli-tique, ni mouvement populaire. Onnous sert pourtant à tant de repascette « zuppa eclectica » brocardéepar le philosophe brésilien CarlosNelson Coutinho qu’aimait à citer legrand historien Eric Hobsbawm.Vous savez, cette soupe concoctéepar maints mitrons et marmitonsmédiatiques et politiques où ils fontsurnager comme carottes et navets,des petits dés de pensées contradic-toires : une louche d’Edgar Morin,une autre d’Alain Touraine, un quar-tier de Jacques Julliard, un zeste deMichel Onfray voire, pour les ama-teurs d’épices, une pincée de SlavojŽižek. Qu’importe la différence deniveau d’élaboration des pensées, lasoupe éclectique mélange tout :polygraphe médiocre, charlatanpatenté, intellectuel honnête, pen-seur majeur. Qu’importe même lateneur des pensées conviées commeéléments d’assaisonnement : libé-rales, antilibérales, fondamentalistes,laïcs, marxistes – marxistes ? pointtrop n’en faut tout de même, ça irriteles palais sensibles… De toute façon, on ne les sollicite paspour ce qu’ils pensent mais pour leurstatut de vedette. C’est bien sûr dela pure, simple et parfaitement irres-pectueuse instrumentalisation ;pourtant, cette diversité de pacotilledonne à celui qui la suscite un sou-rire satisfait : on est ouvert quandmême ! Mais, car il y a un « mais ». Est-il cer-tain que le surhumain collectif com-muniste, avant-garde cosmique, neverse pas lui aussi, à l’occasion, dansce travers de l’époque ? D’autant quenous y sommes bien plus poussés

que d’autres, sommés de répondreaux sanglantes accusations : « tota-litarisme », « sectarisme ». De fait, nedéléguons-nous jamais et sur aucunsujet la réflexion à d’autres, quandbien même ces autres ne partagentpas grand-chose avec nous, notam-ment sur l’essentiel ? Disons-le toutnet et ne semblons accuser nul autreque nous-mêmes : La Revue du pro-jet elle-même donne parfois un peudans la soupe éclectique, malgré quenous en ayons. C’est aussi qu’il estdifficile d’affronter de manière cohé-rente toutes les grandes questionsdu temps. Alors, parfois, par facilitéaussi peut-être, nous déléguons.Mais après tout, est-ce si grave ?S’ouvrir à d’autres pensées, ce n’estpas grave, c’est vital ! Mais déléguer,c’est autre chose : c’est létal… Outrel’irrespect qu’il y a à demander àquelqu’un son avis et à n’en tenir parla suite aucun compte, à n’engageraucun échange suivi, il y a problèmepour notre écho politique lui-mêmeet la puissance conséquente dumouvement populaire. C’est que la soupe éclectique, ennous concentrant sur ses pâles poi-reaux, nous détourne d’un travailsérieux de mise en cohérence etd’approfondissement de notre pro-jet. Un tel pense ceci et c’est intéres-sant ; un autre pense cela et c’estintéressant ; et nous, que pensons-nous ? que proposons-nous ? Ehbien, que ceci et cela, c’est intéres-sant… Et pourtant, quel est le problème dutemps ? C’est que le capitalismedétruit la planète et l’humanité. C’estque nos propositions pour sortir del’impasse, quoique majoritaires dansles têtes bien souvent quand ellessont prises une à une, peinentencore à former un bloc qui paraisseproposer un chemin alternatif cré-dible : « ce serait bien… mais ce n’estpas possible ». Or, qu’est-ce qui faitla crédibilité d’un projet ? Qu’est-cequi emporte la conviction ? Qu’est-ce qui met en mouvement ? C’est

assurément, pour une part, la cohé-rence qui propose nettement un che-min et non dix esquisses contradic-toires sur chaque question. Voyez ceque fait la droite qui, quoiqu’elle soitidéologiquement dans une difficultéhistorique, emploie toute son éner-gie organisée à remonter la pente enopposant un projet cohérent, de savision de l’humanité égoïste au fonc-tionnement économique, environ-nemental et social tout entier guidépar la visée du profit individuel,moteur et but exclusif.Bien sûr, je noircis le tableau et lesamateurs de citations wikipediaauront beau jeu de dire avec leTalleyrand internaute : « tout ce quiest excessif est insignifiant », etc.,etc. Reste que marier ouverture etconstruction collective d’un projetcommuniste global et cohérent estun impératif de notre temps et unimpératif complexe. Se délivrer com-plètement des ornières de « l’huma-nisme éclectique » à la Garaudy(selon les mots de Lucien Sève)demande bien de la sueur. C’est lechemin qu’ouvrent les assisescitoyennes de cette mi-juin. C’est lechemin que, mieux encore que parle passé, il va nous falloir essayer detracer avec vous avec La Revue duprojet. Donner à lire plus et mieuxde la complexité et de la finesse denos positions. Donner à lire claire-ment les éléments intelligents dedébat lorsque des désaccords noustraversent. Trouver les voies d’undialogue poursuivi avec ceux qui,hors de nos rangs, ont des choses àdire que nous devons entendre. Voilàquels pourraient être les axes denotre méthode. Voilà la roborativeviande qu’on vise, garantie sanssoupe ! Alors, bon été, et à vos bar-becues… pardon, à vos abonne-ments ! n

Note aux amis végétariens : viande, c’estvivanda, c’est-à-dire, ce qu’il faut pourvivre ; c’est donc à entendre dans un sensplus large que la chair animale. Vous êtesdonc vous aussi invités !

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page3

Page 4: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

44

POÉSIESEdoardo Sanguineti

Né en 1930 à Gênes et mort, dans cette même ville, en2010, Edoardo Sanguineti est l’une des figures majeuresde la vie poétique et intellectuelle italienne de l’après-guerre. Après une enfance marquée par des problèmesde santé (une maladie de cœur diagnostiquée à tort), lejeune Edoardo fait ses études à Turin et entre en con-tact avec les milieux littéraires. Ses premiers textes nesont lus que par un tout petit cercle d’amis. Mais bien-tôt, dans les années soixante, après la parution de sonpremier livre Laborintus, Sanguineti s’affirme commeun chef de file de la néo-avant-garde italienne, lesNovissimi, avec notamment Balestrini et Porta.Poète, essayiste, romancier, auteur de pièces de théâ-tre, Sanguineti fut un intellectuel italien engagé dans ledébat politique et idéologique de son pays. Pendant desannées, il a exercé, à travers son œuvre et son travailcomme professeur de littérature italienne à l’universitéde Gênes, une forte influence sur des générationsd’étudiants. Il a traduit Joyce, Molière, Brecht, desauteurs grecs anciens. Et a collaboré avec le musicienBerio. Marxiste, il s’est impliqué dans de nombreux com-bats, aux côtés du Parti communiste italien (PCI), et aété député indépendant sur sa liste, de 1979 à 1983. Déjà, dans un poème de Stracciafoglio (1979) il expri-mait sa préoccupation devant l’évolution de son pays(a posteriori, on peut se dire que son constat ne valaitpas que pour le PCI) :

« je voulais [te] dire que le marxisme est en train dedevenir fort rare, autour de moi, […] (que ce n’estpas la chute de la courbe des voix qui m’inquiète,mais la débâcle d’une idéologie). »

En France, son œuvre est peu connue. Bien qu’il aitentretenu des relations avec quelques-uns des écri-vains marquants des années 1970, comme JeanThibaudeau (qui a traduit deux de ses romans),Jacques Roubaud ou Denis Roche. Et qu’il ait été admis

en 2001 en tant que membre du collège dePataphysique, avec le titre de satrape.

« Aujourd’hui, mon style, écrit-il, c’est de ne pas enavoir ». Ses poèmes, qui jouent volontiers sur le regi-stre de langues et de formes différentes, relèvent tou-jours d’une sorte de journal, en prise avec la vie, l’ac-tualité, la biographie.

Dans un des poèmes du recueil Postkarten, il livre son« art poétique » qui démystifie de façon très salubre leprocessus de l’écriture poétique :

Sa poésie, qui peut au premier abord paraître trèsabstraite et « intellectuelle » est en fait un festin d’in-telligence critique, de culture et d’ironie, en mêmetemps que de sensualité, d’appétit de vivre. Le poèmequi suit en donnera un avant-goût.

FRANCIS COMBES

Edoardo Sanguineti, Postkarten. Traduction de Vincent Barras. Éditions L’Âge d’homme, 1985.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page4

Page 5: La revue du projet n°28

La Cité nationale de l'histoire de l'immigration proposecinquante photographies en noir et blanc de GéraldBloncourt, prises en France et au Portugal entre 1954 et1974. L'exposition présente un témoignage militant del'immigration portugaise, pendant les Trente Glorieuses,où près d'un million de personnes quittent le Portugalpour la France de façon officielle ou clandestine. Lephotographe, né en 1926, fut chassé de son pays natal :Haïti. De cet exil forcé, Gérald Bloncourt garde uneextrême sensibilité face à la douleur de l'étranger dansun pays qui n'est pas le sien. C'est en se rendant sur leschantiers, notamment celui de la tour Montparnasse,que Gérald Bloncourt rencontra des immigrés portu-gais dans les années 1960. S'interrogeant sur leurs

conditions de vie, il découvrit leurs habitations, situéesnotamment dans les bidonvilles de Champigny et Saint-Denis. À travers ses clichés, le photographe révèle lequotidien difficile de ces familles portugaises qui onttout quitté et fui la dictature dans l'espoir d'une viemeilleure. Mais il ne s'agit pas uniquement d'unedénonciation de la misère. Les portraits d'enfants sonttrès présents et leur regard plein de vie est aussi por-teur d'espoir. Le but de l'exposition est de rappeler cequ'a été l'immigration portugaise et de montrer que lasolidarité familiale et le courage de ces populationssont à la base de la réussite des immigrés portugais enFrance.

AMBRE BLONDEAU

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

REGA

RD

55

Pour une vie meilleure

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page5

Page 6: La revue du projet n°28

PAR JEAN-LUC GIBELIN*

La retraite, passage à l’inactivité ounouvelle période de la vie sociale est-elle un temps utile pour la société ?

Les retraités sont-ils une charge ou uneutilité sociale ? Faudrait-il travailler pluslongtemps quand on vit plus longtemps ?L’important n’est-il pas d’arriver à laretraite en bonne santé ?Les choix effectués relèvent de la naturede notre vie en société, du rôle et de laplace des retraités. C’est une exigence dejustice sociale avec la sécurisation du par-cours de vie de la naissance à la mort etun financement, intergénérationnel etsolidaire, s’appuyant sur les richessescréées par le travail.

CE QUE L’ON ENTEND UN PEU PARTOUT !Il faut travailler plus, plus longtemps,pour… toucher moins avec une baissedes pensions, une augmentation desannées de cotisation et un recul de l’âgede départ en retraite à taux plein. Les dif-férentes réformes mises en œuvre depuiscelle de 1993, celle de 2003 puis celle de2010 ont amené un allongement de ladurée de cotisation, une perte de pouvoird’achat des pensions et des difficultésaccrues pour des millions de retraités.Le chômage, la précarité font qu’il est deplus en plus difficile d’espérer partir avecune retraite à taux plein. Jamais le patro-nat n’a bénéficié d’autant d’exonérations.Le recul de l’âge de départ et l’allonge-ment du nombre d’années de cotisationsne feront qu’aggraver la situation.

LES ENJEUX DE LA PÉRIODENous avons à faire face à un enjeu de civi-lisation majeur devant un choix de

société : les anciens, charges, sources deprofits, ou des citoyens à part entière ayanttout leur place dans notre société pourvivre dignement leur retraite dans debonnes conditions, après une vie de tra-vail. L’appauvrissement des retraités nepeut qu’entraîner un nouveau recul social.

Lors du conflit de 2010, le mouvementsocial a imposé le concept de régime parrépartition. Même à droite maintenant,cela semble une chose entendue, la capi-talisation n’est pas « vendable », la crisefinancière l’a montrée sous son vrai jour !Pour autant, la répartition ne suffit pas.Le système mis en place à partir de 1946c’est de la répartition à prestation définie,c’est-à-dire que le niveau de la pensionest établi au départ en retraite et n’est pasune variable d’ajustement, ce sont les coti-sations qui évoluent éventuellement.Il existe des systèmes par répartition àcotisation définie, comme les comptesnotionnels à la suédoise. Dans ce cas-là,le niveau des cotisations est bloqué, cesont les niveaux des pensions qui sontune variable d’ajustement ; comme c’estplutôt à la baisse, cela est, de plus, utilisépar le monde financier pour promouvoirdes compléments assuranciels de retraitesce qui est une nouvelle source de profitpour les assurances et les banques.Il est donc déterminant de réaffirmernotre attachement à la retraite par répar-tition à prestation définie, ma précisionest importante !Est-ce normal de travailler plus en fonc-tion d’une augmentation de l’espérancede vie ? C’est régulièrement présentécomme inexorable. Nous le contestons.Les gains d’espérance de vie n’ont pasvocation à augmenter la durée de sou-mission au travail mais plutôt d’augmen-

ter la vie hors travail. Nous considéronsque 60 ans est la bonne limite pour par-tir en retraite, pour avoir une nouvelle viesociale et personnelle. La vie ne doit pasêtre uniquement liée au rapport au tra-vail. C’est une bataille idéologique quenous n’avons pas l’intention de lâcher…

L’annonce, par le premier ministre, dumaintien de l’âge ouvrant droit au départen retraite à 62 ans peut apparaîtrecomme une garantie. En fait, cetteannonce est associée à celle de la pour-suite de l’allongement de la durée de coti-sation, cela reculant l’âge limite de départen retraite mais aussi et surtout la limitede calcul de la décote inventée par laréforme de 2003. Le projet amènerait doncà maintenir un âge ouvrant droit au départmais à diminuer le montant de la pensionpossible à cet âge. En conséquence, ceserait la personne demandant à partir quidéciderait « d’elle-même » de retarder sondépart pour diminuer la décote… Il estdonc urgent de remettre en cause lesréformes depuis 1993 et d’imposer ledépart à 60 ans à taux plein.

LE DÉPART À 60 ANS À TAUX PLEIN, UNEIDÉE D’AVENIROui, cette belle idée de la retraite inven-tée par Ambroise Croizat et actualisée parle mouvement social est plus que jamaisd’avenir. Notre pays en a les moyens.Oui, partir en retraite à taux plein à 60 ans,c’est l’avenir. n

*Jean-Luc Gibelin est membre du comitéexécutif national et du comité de pilotage duprojet du PCF, en charge de la santé et de laprotection sociale. Il est le coordonnateur dece dossier avec Igor Martinache, rédacteuren chef adjoint de La Revue du projet.

LE DOSSIER

6

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

La retraite : une bataille capitale

Alors que, « réformes » après « réformes », la situation matérielle des personnesâgées se dégrade ; alors que, parmi les actifs, les conséquences de ces mesuressévissent avec chômage et allongement de la durée de cotisation, une nouvelle« réforme » de même orientation se profile. Comme nous l'avions dit en 2010,toutes ces mesures antisociales ne cessent de montrer leur inefficacité. Nos pro-positions et notre projet n'en ont que plus d'actualité. Ce dossier entend ainsidonner à voir un premier tour de la question des retraites, pour nourrir les lutteset les conquêtes nécessaires.

LA RETRAITE : UN ENJEU DE SOCIÉTÉ

ÉDITO

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page6

Page 7: La revue du projet n°28

FIXER LES TRAVAILLEURS, PUIS COMBATTRE LA MISÈRE : LES RETRAITES AUX XIXe ET XXe SIÈCLESLa question des retraites est récente dans l’histoire du travail, plus encore dans celle de l’humanité. Cen’est que lorsque hommes et femmes ont vécu plus longtemps que l’on s’est demandé comment ils pour-raient subvenir à leur existence lorsqu’il leur est presque impossible de travailler.

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

77

PAR CHRISTIAN CHEVANDIER*

Sous le règne de Louis XIV, l’Étatprend quelques initiatives enmatière de solidarité, domaine

jusque-là réservé à l’Église, notammentsur le plan local des paroisses. L’Hôpitalgénéral est institué à Paris en 1656, pourrecueillir et héberger les plus miséreux,et l’Hôtel des Invalides ouvert en 1670,destiné aux vieux soldats. Dans ces deuxcas, il s’agit aussi de mesures d’ordrepublic pour que les personnes accueil-lies ne sombrent pas dans la délin-quance. En 1673, la Caisse des Invalidesde la Marine est instituée pour financerla demi-solde des matelots blessés, éten-due au début du XVIIIe siècle à l’ensem-ble des vieux marins. La Révolution, en1790, systématise des dispositions quidéfinissent le droit à pension des per-sonnels civils et militaires de l’État.

POLITIQUES PATRONALESL’idéologie libérale de la Révolution fran-çaise, qui perdure dans les régimes sui-vants, interdit à l’État de se mêler desrapports au sein des entreprises, doncdu devenir des personnes qui ne peu-vent plus travailler. S’ils le désirent, cesont les patrons qui s’en chargent. C’estrarement par philanthropie, mais pourune raison plus pragmatique : en cestemps où les travailleurs qualifiés défen-dent leur autonomie en changeant d’em-ploi régulièrement, l’intérêt bien com-pris des employeurs est de garder debons professionnels en compensant dessalaires bas par l’éventualité d’uneretraite dont priverait la démission (oula grève). C’est particulièrement le casdans les chemins de fer, au travail si spé-cialisé qu’il ne peut s’exercer ailleurs.

Pour cela, très vite, en 1845, laCompagnie du Paris-Orléans instaure unrégime de retraite alimenté de fondspatronaux. Dans les années suivantes, lesystème se généralise dans les princi-pales compagnies. Dans les mines, éga-lement pionnières en matière de droitssociaux, se développe un système deretraites unifié par une loi de juin 1894.En dehors de ces deux secteurs, moinsd’un salarié sur vingt-cinq peut, dansl’industrie privée, prétendre toucher unepension.

LOIS RÉPUBLICAINESCe sont les révolutionnaires qui, en 1791,affirment le principe d’une « dettesociale » à l’égard des vieillards. Et ce sontdes lois de la IIIe République qui, un siè-cle plus tard, mettent en place différentsrégimes permettant de prendre saretraite. Après celle de 1894 pour lesmineurs, celles de 1909 puis 1911 uni-fient le régime de retraite des cheminots.Plus largement, la loi de 1905 établit l’as-sistance obligatoire pour les infirmes, lesincurables et les vieillards. Celle de 1910sur les retraites ouvrières et paysannesrepose sur la contribution de l’État maissurtout les cotisations des employeurset des salariés. Le poids des retenues etle caractère incertain de leur bénéfice, àun moment où l’espérance de vie est de

moins de cinquante ans, explique l’hos-tilité de la CGT à « la retraite pour lesmorts ».Dans les mois qui suivent la Libération,en une dynamique de progrès social sanséquivalent dans l’histoire du pays, laquestion resurgit. Le régime général deSécurité sociale, créé en octobre 1945,comprend quatre branches, dont « vieil-lesse et veuvage ». Le projet initial deregroupement de tous au sein du régimegénéral se heurte à l’hostilité de certainsgroupes patronaux. Dès lors, les régimespionniers, ceux des cheminots ou desmineurs par exemple, subsistent,dénommés « régimes spéciaux » ; lesfonctionnaires, régis depuis 1946 par unstatut, bénéficient de dispositions par-ticulières. Mais la grève d’août 1953, quifait reculer un gouvernement s’attaquantaux retraites des fonctionnaires, puis desrevendications récurrentes laissent laretraite au centre des préoccupations dumonde du travail. Alors que le droit àpension était ouvert, sauf dispositionsparticulières, à 65 ans, une ordonnancede mars 1982 abaisse à 60 ans l’âge dedépart à la retraite pour trente-cinqannées de cotisation.Une durée de vie qui ne cesse de croîtredepuis deux siècles, le fait que l’on par-vienne en bonne santé à un âge avancé,la hausse des revenus des retraités et ledéveloppement d’un travail féminin don-nant lieu à cotisation, tout joue pour cephénomène sans précédent dans l’his-toire de l’humanité : la vieillesse n’estplus, au milieu des années 1980, l’âge dela misère et du malheur. n

*Christian Chevandier est historien. Il estprofesseur d’histoire contemporaine à l’uni-versité du Havre.

Une ordonnancede mars 1982 abaisse

à 60 ans l’âge de départ à laretraite pour trente-cinq

années de cotisation.“

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page7

Page 8: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

La retraite : une bataille capitale

8

LE DOSSIER

PAR IGOR MARTINACHE*

Si la mise en place des régimes deretraite a consacré le droit pour lestravailleurs de couler paisiblement

leurs vieux jours, hors de la mainmise dumarché, celui-ci est loin d’avoir étéconquis sans heurts, ni remises en causerécurrentes. Les deux dernières décen-nies ont ainsi été le théâtre d’un reculsans précédents, opéré par touches suc-cessives.

Brandissant chaque fois l’argument du« déséquilibre démographique », les gou-vernants ont en particulier passé outrela résistance sans équivoque des sala-riés. Il faut dire que les différents textesde loi venus modifier notre complexesystème de retraites n’ont pas simple-ment progressivement rogné un acquissocial fondamental, mais sont plus pro-fondément venus infléchir la philoso-phie même de ce dernier, minant en par-ticulier le principe de solidarité qui lesous-tend. Petit retour circonstancié.

DES CHOIX POLITIQUES NON ASSUMÉSLa première « réforme », dite Balladur,intervient en 1993. Est alors brandi ledéficit « record » de la Caisse nationaled’assurance vieillesse (CNAV) de 40 mil-liards de francs (soit un peu moins de7 milliards d’euros courants). Le com-blement d’un tel déséquilibre appelle

deux types de solutions : augmenter lesrecettes ou diminuer les dépenses – lesdeux n’étant pas exclusifs et pouvant setraduire en pratique de diversesmanières. Or, si la baisse des prestationsapparaît politiquement inacceptable,c’est bien cette option qui est en pratiqueretenue alors par la majorité de droite,mais de manière indirecte avec l’allon-gement de la durée de cotisation de 150à 160 trimestres, soit 37,5 à 40 annuités,afin d’obtenir une pension à taux plein.À défaut, une décote de 10 % par annéemanquante est appliquée sur le mon-tant de la pension versée. Par ailleurs, laloi prévoit que celui-ci sera désor mais

calculé sur la base non plus des dix maisdes vingt-cinq meilleures années desalaires, et enfin que son évolution seraindexée sur l’augmentation des prix plu-tôt que sur celle des salaires. En outre,un Fonds de solidarité vieillesse est misen place pour assurer le versement deprestations non contributives, comme

le minimum vieillesse, ce qui entérine lalogique libérale d’un filet de protectionsous conditions de ressources, avec sesconséquences stigmatisantes qui vien-nent miner le sentiment d’interdépen-dance entre l’ensemble des travailleurs.Enfin, l’application de la loi est étalée surquinze années afin de faire passer lapilule. Et de fait, cette loi suscite alorsrelativement peu de contestation, ce quine sera pas le cas deux ans plus tard,lorsque le nouveau premier ministre,Alain Juppé, projette d’étendre la loiBalladur, qui ne s’appliquait qu’au sec-teur privé, à la fonction publique. Maisdevant le plus important mouvementsocial depuis Mai 1968, le gouvernementfait finalement marche arrière.

DES FONDS DE PENSION À LA FRANÇAISEMais cet échec dissimule une victoire :celle des assureurs qui obtient enfévrier 1997 le vote de la loi Thomas. Celle-ci instaure en effet les plans épargne-retraite, qui incitent les salariés à consti-tuer individuellement auprès desorganismes privés une épargne supplé-mentaire pour leur retraite en sus des sys-tèmes de base et complémentaires.Lorsque le Parti socialiste revient au gou-vernement quelques mois plus tard,celui-ci ne revient pas sur ces derniers etrouvre une négociation sur les retraitesdans la fonction publique qu’il doit refer-mer presque aussitôt. Mais cela n’em-pêche pas l’État d’étendre son emprisesur la direction de la Sécurité sociale,notamment après la mise en place duvote annuel de la loi de finances de laSécurité sociale par le parlement qu’apermis la révision de la Constitution du22 février 1996. En 1999, Lionel Jospinmet ainsi sur pied un Fonds de réserve

Passant outre un mouvement social massif,

la loi Fillon d’août 2003 vientallonger une nouvelle fois la durée

de cotisation tout en alignant la fonction publique sur le régime

général.

“”

VINGT ANS DE (CONTRE-)RÉFORMESLes réformes successives de nos régimes de retraites, passant outrela résistance des salariés ont mis à mal le principe de solidarité etencouragé les systèmes par capitalisation.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page8

Page 9: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

99

> SUITEPAGE 10

des retraites dont le principe est de consti-tuer un surplus durant les années de fortecroissance pour les placer sur les mar-chés financiers et pouvoir ensuite com-bler les déficits lorsque l’activité ralentit.L’année suivante, le gouvernement meten place le Conseil d’orientation desretraites (COR) chargé de produire une« expertise » sur le financement desretraites, et ainsi de contribuer à réduireun enjeu politique à une question « tech-nique ». L’année suivante, la loi Fabiuscrée le Plan partenarial d’épargne sala-riale volontaire, accompagné là encored’exonérations sociofiscales incitatives,et qui vient relancer la promotion del’épargne-retraite d’entreprise inaugu-rée par les ordonnances de 1967, en l’élar-gissant notamment aux entreprises demoins de cinquante salariés.

UNE INDIVIDUALISATION RAMPANTEPassant outre un mouvement social mas-sif, la loi Fillon d’août 2003 vient allon-ger une nouvelle fois la durée de cotisa-tion tout en alignant la fonction publique

sur le régime général. Elle prévoit ainsiun allongement progressif de la duréede cotisation à quarante-deux années àl’horizon 2020, instaurant en contrepar-tie un plancher de retraite à 85 % duSMIC hors décote, ainsi que le disposi-tif « carrières longues » permettant auxsalariés entrés les plus jeunes dans la vieactive de partir à la retraite dès 59 anss’ils ont cotisé quarante-trois ans et demi.Mais plus encore, ce texte vient claire-ment entériner l’individualisation dufinancement de la retraite à travers plu-sieurs dispositifs : la possibilité de« racheter » des trimestres non-cotisés,un mécanisme de surcote où chaqueannée de cotisation au-delà du mini-mum requis rehausse la pension verséede 3 %, et surtout la mise en place duPlan d’épargne pour la retraite populaire(PERP), nouveau produit de capitalisa-tion individuel promettant une rente via-gère, et le Plan d’épargne-retraite collec-tif (PERCO) pour les entreprises, abondéà la fois par les salariés et leursemployeurs, qui viennent encore élargir

les possibilités d’utilisation et les exoné-rations fiscales des dispositifs précédents.De nouvelles lois en 2006 et 2008 vien-nent encore favoriser et même rendreobligatoires les plans d’épargne-entre-prise. En plus d’avoir relevé l’âge légalde départ à la retraite de 60 à 62 ans etde 65 à 67 ans celui du départ sansdécote, la réforme de novembre 2010 aapporté sa pierre à l’édifice de la progres-sion rampante de la capitalisation, enpermettant entre autres aux salariésd’opérer des versements volontaires auxcontrats d’assurance-vie collectifs à coti-sations définies régis par l’article 83 duCode général des impôts. Adoptée làencore en dépit d’un fort rejet populaire,cette énième réforme était censée « sau-ver » le système de retraites par réparti-tion. En réalité, elle venait y enfoncer unnouveau coin, tout en encourageant tou-jours plus les systèmes par capitalisa-tion. Jusqu’à la suivante ? n

*Igor Martinache est rédacteur en chefadjoint de La Revue du Projet.

PAR CATHERINE MILLS*

Les plans gouvernementaux sur lesretraites sont dangereux. Ils visent àrelever l'âge de la retraite et la durée

de cotisation, à réduire les pensions et lefinancement solidaire de ces dernières.Les retraites sont présentées comme unecharge, alors qu’articulées à une politiquefamiliale moderne ainsi qu'à un finance-ment nouveau lié à la promotion de l'em-ploi et des salaires, elles contribueraientà une issue de progrès à la crise systé-mique que nous traversons.

LES PROBLÈMES DÉMOGRAPHIQUES Il convient de les relativiser et de répon-dre aux enjeux qu’ils portent. Certes, lapart des 60 ans et plus dans la populationaugmente mais l’accroissement de l’es-pérance de vie permettrait de réaliser laconquête sociale que représenterait uneretraite « active ». Les retraites permettentle remplacement et le renouvellement dela force de travail, les retraités laissent la

place à de nouveaux travailleurs et peu-vent grâce à l'augmen tation de la longé-vité participer à des activités sociales utileset créatrices (formation, vie associativeet culturelle). L'enjeu est alors surtout definancer de façon solidaire le risquedépendance en créant un nouveau ser-vice public de l'autonomie. Autre enjeu :les inégalités d’espérance de vie. Celles-ci sont de sept ans entre les ouvriers et lescadres supérieurs et plus élevées encorepour l'espérance de vie en bonne santéet doivent être combattues en agissantnotamment sur les causes de la mortalitéprématurée des hommes ouvriers. Il fautaussi lutter contre les inégalités en matièrede pension et revaloriser les plus basses,qui concernent particulièrement lesfemmes, inférieures de 38 % à celles deshommes.Il faut encore rompre avec la régressiongénérale du pouvoir d’achat des retraités.Ceux-ci sont loin d’être tous des « nan-tis », et l'on voit resurgir l'importance desretraités pauvres. Il faut ainsi établir un

plancher à 75 % du revenu net d'activitépour une carrière complète, avancer l’âgede la retraite, notamment pour ceux quiont commencé à travailler tôt et exercentles métiers les plus pénibles.

SÉCURISATION DE L’EMPLOI ET DE LAFORMATIONCe projet doit s'inscrire plus générale-ment dans la sécurisation de l’emploi etde la formation, à tous les âges de la vie,avec notamment l'instauration d'une allo-cation-autonomie-formation pour lesjeunes et la prise en charge de leursannées d’études comme période cotisée.Le taux d’activité et d'emploi des seniorsdoit également être accru : il faut rompreavec l’éviction des travailleurs vieillis-sants : 2/3 des salariés sont en effet sor-tis du monde du travail dès 55 ans (retraiteanticipée forcée, chômage, RSA…). Celaentraîne une décote de leur future pen-sion, mais aussi des cotisations en moinspour le système de retraite et des presta-tions chômage supplémentaires, un phé-nomène aggravé par le report de l'âge dela retraite.La sécurisation de l'emploi et de la for-mation assure les cotisations, en outre,cela s'accompagnerait d'une prise en

LES RETRAITES : UN PROGRÈS DE CIVILISATIONL’accroissement de l’espérance de vie, une chance pour conquérir ledroit à une retraite active. Un financement nouveau lié à la promo-tion de l’emploi et des salaires, une issue de progrès à la crise.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page9

Page 10: La revue du projet n°28

10

La retraite : une bataille capitaleLE DOSSIER

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

SUITE DE LAPAGE 9 > charge par des cotisations des années

d’interruption non voulues de la carrièreou d'insertion.

GARANTIR LE FINANCEMENT DE LARETRAITE PAR RÉPARTITIONUn nouveau financement de la retraitepar répartition constituerait un outilmajeur de l'alternative à construire contrela réforme programmée par Hollande etpour une réforme de progrès des retraites.Il faut garantir le financement de laretraite par répartition. Celle-ci ci reposesur la solidarité intergénérationnelle, lescotisations d'aujourd'hui sont immédia-tement versées aux retraités actuels. Ellesalimentent la consommation, la crois-sance et l'emploi, alors que la capitalisa-tion repose sur l'épargne individuelle etles placements financiers au détrimentdes retraites, de l'emploi et de la crois-sance réelle.Or, les dogmes libéraux présentent lescotisations sociales comme un boulethandicapant l’emploi, en prétendant quecela élève de façon excessive le coût dutravail et s'oppose à la compétitivité desentreprises. Au contraire, les cotisationssociales favorisent la demande, en offrantdes débouchés aux entreprises, et ainsila croissance, à l'opposé de la logiqued'austérité. Les salariés cotisent en fonc-tion de leur capacité contributive etreçoivent des prestations sociales enfonction de leurs besoins.

Au PCF, nous sommes opposés à la fis-calisation de la protection sociale (CSG,TVA). Celle-ci vise la réduction des coti-sations sociales, notamment patronales,et exerce une pression à la baisse sur lessalaires et sur les retraites. Cela réduit lesgestions paritaires. La CSG, loin d’êtreplus juste que les cotisations, ne reposeque sur les ménages (et pour 88 % sur lessalariés et les retraités tandis que, lesrevenus financiers ne contribuent quepour 11 %).

DE NOUVEAUX MOYENS DE FINANCEMENT Il est donc essentiel de dégager de nou-veaux moyens de financement pourgarantir l'avenir. Plusieurs pistes s'ou-vrent à nous : tout d'abord, on peut réfor-mer l’assiette des cotisations patronaleset accroître le taux et la masse des cotisa-tions sociales patronales. Une modula-tion du taux de cotisation patronale enfonction de la part des salaires dans lavaleur ajoutée de l'entreprise permettrait

en outre de relever celle-ci, et ainsi dedévelopper l'emploi, les salaires et la for-mation, et par suite, cette hausse de l'em-ploi et des salaires amènerait une haussedes cotisations perçues. Inversement, lesentreprises qui licencient et réduisent lapart des salaires dans la valeur ajoutéepour fuir dans la croissance financière,seraient assujetties à un taux de cotisa-tion beaucoup plus lourd.Il est également possible et nécessaire decréer une nouvelle cotisation sur les reve-nus financiers des entreprises et des ins-titutions financières. Ceux-ci s’élèvent àplus de 300 milliards d’euros par an etéchappent largement aux prélèvementssociaux. Nous proposons donc de les sou-mettre au taux de la cotisation patronalesur les salaires, 10 % pour les retraites, cequi apporterait plus de 30 milliards d’eu-ros au système de retraites : cela contri-buerait à la croissance réelle, contre lafinanciarisation. Notre projet constitueune transformation sociétale de trèsgrande ampleur, c'est un véritable enjeude civilisation. Nous voulons instaurer unservice public des personnes âgées, ainsiqu'une sécurisation tout au long de la vie,qui vont de pair avec la promotion desactivités créatrices des retraités et desdépendants. n

*Catherine Mills est économiste. Elle estmaître de conférences honoraire à l'univer-sité Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

Les retraités laissent la place à de nouveaux travailleurset peuvent grâce à l'augmen tation

de la longévité participer à desactivités sociales utiles et créatrices

(formation, vie associative etculturelle).

“”

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page10

Page 11: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

1111

> SUITEPAGE 12

PAR FRÉDÉRIC RAUCH*

Les 9 et 10 juillet derniers, le gouver-nement lançait sa « grande conférencesociale », visant à faire valider un

« nouveau compromis social historique »par « les partenaires sociaux ». La réformedu financement de la Sécurité sociale,réforme de l’assurance maladie et réformedes retraites, figuraient au menu, aux côtésde la réforme du marché du travail et del’emploi, ainsi que de la réforme dite decompétitivité-emploi.

Les deux dernières ont donné, dans l’or-dre chronologique, la création d’un allé-gement fiscal de 20 milliards d’euros autitre de la compétitivité, le crédit d’impôtcompétitivité et emploi (CI-CE) et la trans-position intégrale dans la loi du texte del’accord national interprofessionnel du11 janvier 2013 (ANI) qui sécurise les licen-ciements plutôt que l’emploi. Fort heu-reusement, la réforme du financementde la Sécurité sociale a partiellementéchoué, la CGT refusant le relèvementmassif de la CSG initialement prévu.

L’ESPRIT DU RAPPORT GALLOISPourtant l’ambition gouvernementaleétait ferme. Dans un contexte de crise oùles entreprises françaises seraient confron-tées à une perte de compétitivité, impu-table selon elles à un coût du travail tropélevé, il s’agissait de réduire les « charges »sociales des entreprises. Ce qui induisaità la fois un transfert du financement dela protection sociale en général, et de laSécurité sociale en particulier, des entre-prises vers les ménages au nom des équi-libres des comptes sociaux, ainsi qu’unebaisse de la dépense publique sociale aunom des équilibres budgétaires de l’État.C’était tout l’esprit du rapport Gallois.

Si ce projet était arrivé à son terme, il auraitalors profondément modifié le visage denotre système de protection sociale enactant la fiscalisation massive du finan-cement de la Sécurité sociale. Celle-cireprésentant actuellement 37 % dessources de financement (2 % en 1990),elle aurait largement contribué à affaiblirencore plus la place de la cotisation socialedans le financement de la Sécurité sociale.

UN PRÉLÈVEMENT MUTUALISÉ GÉRÉ PARLES TRAVAILLEURSOr ce glissement est loin d’être neutre, carla nature du financement de la Sécuritésociale est un enjeu politique majeur, ence qu’elle qualifie le choix de civilisationporté par la protection sociale dans sonensemble. Pour s’en convaincre, il suffitde revenir sur les raisons qui ont justifiéle choix de la cotisation sociale par les fon-dateurs de la Sécurité sociale : la cotisa-tion sociale est un prélèvement sur larichesse produite par le travail dans l’en-treprise. Ni affecté aux salaires, ni affectéaux profits, ce prélèvement est mutualisépour répondre aux besoins sociaux destravailleurs résultant des aléas de la vie.Indépendant de l’État, il est géré par lestravailleurs eux-mêmes, sources de la créa-tion des richesses. Déconnecté de toutrapport salarial marchand, ce prélèvementet son affectation ne répondent donc àaucune équivalence marchande. Il n’y apas d’équivalence entre ce qui est versé etce qui est reçu, chacun reçoit selon sesbesoins et contribue selon ses moyens. Etil n’y a pas plus de lien entre celui qui verseet celui qui reçoit, c’est le principe de soli-darité universelle intra et intergénération-nelle.

UN TERRAIN ESSENTIEL DE LA BATAILLEDE CLASSES Partie de la valeur ajoutée soustraite duprofit pour une réponse à des besoinssociaux, la cotisation sociale ainsi définiefait donc du financement de la Sécuritésociale un terrain essentiel de la bataillede classes pour l’appropriation desrichesses produites, qui accompagne cellepour les salaires mais sans se confondreavec elle. Assise sur les salaires versés dansl’entreprise qui lui servent de base de cal-cul, elle postule que ce financement s’ins-crit dans une dynamique économiquequi lui assure une croissance régulière, à

partir de l’emploi et des salaires qui ensont les leviers. De sorte que la nature dela cotisation sociale justifie pleinementle droit d’intervention des salariés sur leschoix et critères de gestion patronaux del’entreprise, pour la défense et la promo-tion de l’emploi et des salaires au nom del’intérêt collectif et général.Pas étonnant donc, que dans ces condi-tions, le patronat ait fait de la remise encause de la Sécurité sociale un de ses che-vaux de bataille les plus importants et dela cotisation sociale sa cible privilégiée.Pas plus surprenant non plus, qu’il aitencouragé les gouvernements cherchantà fiscaliser ce financement en transfor-mant ce prélèvement sur la valeur ajou-tée produite dans l’entreprise par un pré-lèvement sur les revenus du travailessentiellement (« TVA sociale » de l’UMP,CSG du PS, CRDS du RPR, voire taxe éco-logique de EEVL).

LA FISCALISATION ACCROÎT LES REVENUSFINANCIERSCar c’est bien pour lui l’enjeu essentiel.Fiscaliser les ressources de la Sécuritésociale permet un déplacement de lasource du financement de la valeur ajou-tée de l’entreprise sur les revenus d’acti-vité, en particulier du travail, distribuéspar l’entreprise une fois le partage entresalaire et profit effectué. Ce qui augmenteen contrepartie d’autant les revenus finan-ciers distribués par l’entreprise (dividendeset intérêts versés aux actionnaires et auxmarchés financiers) et accroît ainsi le coûtdu capital supporté par l’entreprise. C’estle cas des exonérations de cotisationssociales patronales : 30 milliards d’euros,pour l’essentiel compensés à la Sécuritésociale par une dotation publique. Cesexonérations n’ont jamais créé d’emploiset pèsent même sur l’évolution des bassalaires (effet de trappe à bas salaire), maiselles ont été absorbées dans le finance-ment des charges d’intérêt imposées parle système financier aux entreprises oupar la rémunération des actionnaires.Depuis 1990, 290 milliards d’euros ontainsi été soutirés de la richesse produitepar le travail dans l’entreprise, et donc dela cotisation sociale, pour être transférésau financement des dividendes et des inté-rêts exigés par le système financier auxentreprises. C’est encore le cas de la CSG,fiscalité qui pèse exclusivement sur lesrevenus des ménages mais laisse intactsles prélèvements du capital sur la richesseproduite.Et dans cette bataille, le patronat trouveun allié de poids : l’État. Lorsque le 12 avrildernier, Marisol Touraine, alors candidate

COTISATION SOCIALE VERSUS FISCALITÉUn vrai débat de société est au cœur du mode de financement de lasécurité sociale.

Il n’y a pas d’équivalence entre ce qui est versé et ce qui est

reçu, chacun reçoit selon ses besoins et contribue selon ses

moyens. Et il n’y a pas plus de lien entre celui qui verse et celui

qui reçoit, c’est le principe de solidarité universelle intra et

intergénérationnelle.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page11

Page 12: La revue du projet n°28

12

LE DOSSIER La retraite : une bataille capitale

SUITE DE LAPAGE 11 > potentielle au poste de ministre de la

Santé et de la protection sociale, décla-rait, après bien d’autres ministres, que laquestion du financement de la Sécuritésociale se résoudrait autour de la CSG,notamment par un basculement massifdes cotisations sociales vers la CSG(comme le proposait alors l’autre plate-forme commune MEDEF-UPA-CGPME-CFDT-CGC-CFTC, « Approche de la com-pétitivité française » du 11 juin 2012), ellen’entérinait rien d’autre qu’un renforce-ment de l’intervention directe de l’Étatdans l’architecture du financement de laSécurité sociale afin de la subordonner àses objectifs et contraintes budgétaires,et de l’enfermer dans le carcan d’une soli-darité garante uniquement de la cohé-sion sociale, elle-même tributaire de l’or-dre du capital ! Ce qui constitue ni plus nimoins qu’une remise en cause appuyéedes grands principes de 1946 !

Il y a donc un enjeu politique essentielderrière la nature du financement de laSécurité sociale. La cotisation sociale ren-voie à une conception de la société met-tant en valeur la maîtrise de la régulationéconomique et sociale par les travailleurseux-mêmes, et donc à une civilisation oùles travailleurs sont auteur et acteurs deleur devenir. Tandis que la fiscalité, quelleque soit sa forme, renvoie à une régula-tion maîtrisée par l’État, et donc par lesrapports de forces et de classes dont il estle lieu, c’est-à-dire à la civilisation occi-dentale libérale telle qu’elle estaujourd’hui. Il va donc sans dire que labataille qui s’annonce autour du finan-cement de la Sécurité sociale, qui prendactuellement forme dans les réformes desretraites et de l’assurance maladie de cetteannée, et qui se poursuivra à l’automnedans la réforme du financement de laSécurité sociale, bataille que le patronatveut remporter de manière définitive enprofitant du contexte économique, socialet politique actuel, est une bataille capi-tale. Et c’est sans jeu de mot… n

*Frédéric Rauch est rédacteur en chef d'Éco-nomie et Politique.

Depuis 1990, 290 milliards d’euros ont ainsi été

soutirés de la richesse produite parle travail dans l’entreprise, et doncde la cotisation sociale, pour être

transférés au financement desdividendes et des intérêts exigés par

le système financier auxentreprises.

PAR LUCIEN SÈVE*

Le « troisième âge » devient une capi-tale question sociale et humaine, por-teuse d'un immense enjeu de classe.

C’est bien pourquoi elle est posée defaçon dominante en des termes qui sontde dramatiques contre-vérités. Deux, enparticulier. La première part de la démo-graphie. Avec l’allongement de la duréede vie, la France va bientôt compter vingtmillions de seniors. Dès lors le rapportentre actifs qui cotisent et retraités quiperçoivent, qui était jadis de trois pourun, tend aujourd’hui vers un pour un :concluez vous-même ! Il s’imposeraitdonc de retarder l’âge de la retraite, alour-dir les cotisations, réduire les pensions– « il n'y a pas d’alternative ! », commedisait Margaret Thatcher…

UN ÉNORME MENSONGE SOCIAL PAROMISSIONOr la vérité démographique recouvre iciun énorme mensonge social par omis-sion. Car en même temps la producti-vité réelle du travail ne cesse d’augmen-ter, de sorte que ce même salarié produitbien davantage de richesse. S’il y a unvrai problème du financement de laretraite par répartition – principe essen-tiel de démocratie sociale –, il vient d’ail-leurs : chômage et bas salaires de masse,graves défauts de la cotisation patronale.Oui, il y a une alternative : changer pro-fondément de politique économique,sociale et fiscale.

D’énorme conséquence, et trop peucombattue encore, cette premièrecontre-vérité est du moins bien identi-fiée. Une deuxième au contraire, d’ordrepsychologique, passe pour évidente,même très à gauche : c’est l’idée ances-

trale que le psychique vieillirait forcé-ment comme le physique, ce quicondamnerait la personne âgée à la déca-dence et à l’inutilité sociale. Dès lors cesplus de soixante ans en foule croissantene pourraient guère être que des inac-tifs sociaux, voire des assistés à la chargepublique trop onéreuse, et un vaste mar-ché d’oisifs offert à la mise en couperéglée par les juteuses entreprises pri-vées du « troisième âge », du tour-opé-rateur à la maison de retraite.Or cette vision des choses est aussi mys-tificatrice que la précédente. Que legrand âge voue fatalement à la déca-dence psychique et l’inutilité socialeconstitue une flagrante contre-vérité,comme le suggèrent tant d’exemples delongévité créatrice, de Fontenelle àPicasso, de Verdi à Mandela. C’est quela personnalité sociale est tout autrechose que le doublet de l’individualitébiologique : si l’individu a l’âge de sesneurones, la personnalité a celui de sonemploi du temps – j'ai développé lon-guement cette vue essentielle sur le vieil-lissement, inspirée de Marx et nourriede la psychologie de Vygotski, dansPenser avec Marx aujourd’hui, « L’homme? ». On peut être en bon état physiqueet ne mener qu’une vie sénile, ou aucontraire avoir bien des handicaps etrester néanmoins très productif.

EN FINIR AVEC LE PRÉJUGÉ « ÂGISTE »Il est donc largement temps d’enga-ger en grand la bataille d’idées pourcommencer d’en finir avec le préjugé« âgiste », tout aussi réactionnaire-ment borné que les préjugés racistesou sexistes, pour concevoir et organi-ser avec ambition le temps de ce qu’ilfaut penser non comme un « troisièmeâge » réduit mais bien comme unetroisième vie à part entière. Puisqu’onpeut espérer vivre plusieurs décenniesen bon état après la vie de travail, laquestion est que ces décennies fas-sent de la « retraite » une entrée activedans une existence certes de repos etde loisirs bien gagnés, mais aussi detransmission d’expérience et desavoirs, de nouveaux apprentissages,

Organiser une vraie troisième vie soustraite à l’emprise directe ducapital pour vingt millions de retraités, une fantastique bataille declasse.

COMBATTRE LES DRAMATIQUES CONTRE-VÉRITÉS SUR LA VIEILLESSE

Une vraie vie à la fois pour soi et pour les autres,

changeant radicalement l’image de la vieillesse.“

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page12

Page 13: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

1313

> SUITEPAGE 14

de participations bénévoles multiplesà la vie sociale, de poursuite d’activi-tés créatrices de tous ordres. Une vraievie à la fois pour soi et pour les autres,changeant radicalement l’image de lavieillesse.Or il faut bien le voir : c’est d’une vraierévolution qu’il s’agit. Et qui commenceà l’entreprise. Car pour une grande par-tie du patronat, on est vieux avant même

cinquante ans, de sorte que la fin de vieprofessionnelle tourne pour nombre desalariés au cauchemar, alors que c’est unmoment-clef pour se préparer active-ment à la suite : l’actuel traitement desquinquagénaires confine en plus d’uncas au crime social. Mais, plus largement,l’enjeu est gigantesque : il s’agit d’orga-niser une vraie troisième vie soustraiteà l’emprise directe du capital pour vingt

millions de retraités. Une fantastiquebataille de classe s’amorce. La questionde la vieillesse est une part majeure decelle même d’un avenir communiste.Combattre bien davantage les contre-vérités dominantes sur la vieillesse estbel et bien devenu une tâche politiquecruciale. n

*Lucien Sève est philosophe.

ENTRETIEN AVEC YANNICK MAREC*

IGOR MARTINACHE : Pierre Bourdieu disait que«  la jeunesse n’est qu’un mot », ne peut-on pasen dire de même de la vieillesse finalement, ausens où cette condition serait très variableselon les époques, les lieux et les milieuxsociaux  ?Yannick Marec : Tout à fait, le problèmeest que l’on se focalise sur un âge pourdéfinir la vieillesse, en général 60 ans. Etce, même sur le plan international, alorsque les conditions et l’espérance de viesont très variables selon les pays. La vieil-lesse prend des formes très différentesselon les catégories sociales : il y a desvieillesses aisées et des vieillesses misé-rables. Cela pose le problème de la péni-bilité au travail, etc. Ceci dit, certaineschoses ont évolué fortement : l’âge sansgrande dépendance par exemple a reculé.Des travaux d’historiens ont bien mon-tré que l’âge de la vieillesse était unenotion relative. Selon les époques, il y ades manières de se la représenter diffé-remment. Cela étant, il faut bien adop-ter des dispositions collectives. Fixer laretraite à 60 ans est important sur un plansymbolique et permet de poser une bar-rière pour les catégories qui sont fragili-sées, car même s’il y a une augmentationréelle de l’espérance de vie, certainescatégories sont fragilisées. Par exempleles femmes, qui ont des parcours de car-rière heurtés. Au-delà, le chômage évi-demment fragilise les trajectoires de tousles salariés. On ne peut pas simplementinvoquer l’augmentation du niveau devie comme argument pour faire reculerl’âge de la retraite. Il faut prendre encompte toutes les fragilisations sociales,et les inégalités. On fait face à ce para-doxe aujourd’hui qu’il reste encore ungrand nombre de petites retraites, maisqu’en moyenne le niveau de vie des retrai-tés est assez proche de celui des actifs.

L’image du vieillard indigent que l’on avaitpendant tout le XIXe et la première moi-tié du XXe siècle s’est toutefois estompée.

I.M.  : De manière plus générale, comment aévolué le regard sur les plus âgés dans lessociétés européennes depuis le XVIIIe siècle  ?Y.M. : Ce regard est globalement asseznégatif. On avait bien sûr la représenta-tion du sage, mais jusqu’à la secondemoitié du XXe siècle, la vieillesse est sou-vent associée à la pauvreté, à la margi-nalisation. Un changement se produitdans les années 1960, avec notammentla publication du rapport Laroque en1962. Cette vieillesse indigente n’a pascomplètement disparu, mais s’est résor-bée sous l’effet du développement dusystème de retraite. Aujourd’hui, ce

regard social est devenu assez ambiva-lent : la fragilisation de l’ensemble dusalariat vient miner le principe de soli-darité intergénérationnelle. Et parfoisl’inverser : les retraités ne sont plus seu-lement des assistés, ils peuvent à leurtour aider leurs descendants, par le biaisdes moyens dont ils disposent. On parleégalement aujourd’hui beaucoup de ladépendance, du fait que de plus en plusde personnes parviennent au-delà de80, 85 ans. De ce fait, la vieillesse estdécomposée. Enfin, certains font remar-quer que l’on n’a pas encore pris plei-nement conscience des implications dufait que la part des 60 ans a pris une

ampleur inédite dans les sociétés occi-dentales, mais aussi en Chine ou auJapon.

I.M.  : On se focalise beaucoup sur les retraites,mais la prise en charge par la société des per-sonnes âgées, notamment par leur famille,prend des formes très diverses  : commentcette prise en charge a-t-elle évolué ?Y.M. : C’est une vaste question. OlivierFaure a par exemple récemment montrél’importance de cette clientèle âgée dansle développement des cliniques privées,avec la chirurgie, mais aussi l’accueil despauvres, auquel l’hôpital public ne sem-blait pas s’intéresser. Une thèse que jenuance fortement car en réalité il y a eutout de suite dans les hôpitaux et les hos-pices une volonté de prendre en chargeces populations. Il y eut même des éta-blissements spécifiques, commel’Hospice des ménages à Issy-les-Moulineaux. Il y a donc bien une priseen charge publique, mais c’est vrai qu’ily a un secteur privé qui s’est développédans ce domaine, notamment pour ceuxqui avaient les moyens. Depuis laRévolution, l’hospitalisation fait égale-ment l’objet d’une certaine méfiance, enraison de son coût, mais aussi parce qu’onl’accuse de détruire les liens de famille.L’aide sociale à domicile fait dès lors l’ob-jet d’une certaine promotion, et la loi de1905 va lui donner priorité à travers lesbureaux de bienfaisance, qui vont deve-nir les Centres communaux d’actionsociale dans les années 1950. C’est unthème que l’on voit resurgir aujourd’huisous l’effet des difficultés financières,mais dès les années 1960-1970, les poli-tiques ont de nouveau promu le main-tien des personnes âgées à domicileautant que possible, avec les aides ména-gères, à côté des structures hospitalièresassociées de manière parfois injuste à laréclusion, voire à la maltraitance. Il fautmentionner enfin la corésidence, c’est-à-dire la persistance d’une tradition, sur-tout forte en milieu rural, d’accueil despersonnes âgées dans la famille. Celle-ci

LES MÉTAMORPHOSES DE LA VIEILLESSE

On fait face à ce paradoxe aujourd’hui qu’ilreste encore un grand nombre

de petites retraites, mais qu’en moyenne le niveau de vie

des retraités est assez proche de celui des actifs.

“”

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page13

Page 14: La revue du projet n°28

14

La retraite : une bataille capitale

SUITE DE LAPAGE 13 >

LE DOSSIER

PAR BERNARD FRIOT*

La pension de retraite a été construiteavec comme objectif syndical lacontinuation à vie du salaire atteint

à 55 ans. Le modèle a été le régime de lafonction publique, étendu à l’EDF (oùon parle de « salaire d’inactivité »), à laSNCF et aux autres entreprises publiques.

UNE CONQUÊTE RÉVOLUTIONNAIREAinsi, au début des années 1990, le tauxde remplacement du dernier salaire netdans la première pension nette était dansle privé en moyenne de 84 % pour unecarrière de 37,5 ans. L’objectif de la CGTn’était pas encore atteint, mais on s’enétait considérablement rapproché. Lesaxes de l’action syndicale ont été lahausse du taux de cotisation afin d’arri-ver à un taux de remplacement de 75 %du meilleur salaire brut, soit 100 % dunet, à un âge le plus bas possible (55 anset 50 ans pour les métiers pénibles), avec

indexation sur les salaires de la pension.

La hausse constante du taux de cotisa-tion (passé entre 1945 et 1995 de 8 à 26 %du salaire brut), en reconnaissant tou-jours davantage la valeur économiqueproduite par les retraités, a ainsi permisune croissance non capitaliste du PIB.Car revendiquer qu’à 55 ans on toucheà vie son meilleur salaire, ce n’est pasrevendiquer le droit au loisir après unevie de travail, mais c’est affirmer qu’à unâge politique on peut enfin travailler enétant payé à vie, décider de son travailsans employeur et sans actionnaire. Lesretraités sont libérés non pas du travailmais de l’emploi et du profit pour tra-vailler dans la liberté. Et ils montrent quecela pourrait être le cas de tout le monde.

LA POSITION DES RÉFORMATEURSC’est à cette conquête révolutionnaired’une nouvelle pratique de la valeur éco-nomique que s’attaquent les réforma-teurs. Prenons les positions de la CFDT :plus d’âge politique le plus bas possible,mais un âge plancher au-delà duquel onprend sa retraite quand on veut, plus dehausse du taux de cotisation mais sa sta-bilité sur le long terme, plus de pension

remplaçant le meilleur salaire mais unepension calculée sur la base de la sommedes cotisations de la carrière, indexationnon plus sur les salaires mais sur les prix.La référence au salaire a disparu, et avecelle toute idée que les retraités travail-lent et que, sur ce modèle, il serait pos-sible de libérer tous les travailleurs dumarché du travail et de la propriété lucra-tive des entreprises. Il s’agit au contrairede réaffirmer la pratique capitaliste dutravail : ne travaillent que ceux qui sontsoumis au capital, les autres ont droit àun revenu différé obtenu grâce à une pré-voyance en répartition et en capitalisa-tion.

RETROUVER L’OFFENSIVE Comment retrouver l’offensive face auxréformateurs ? En poussant plus loin lesconquêtes du salaire à vie. Il s’agit de reve-nir à la revendication de retraite pour tousavec 100 % du meilleur salaire à 55 ans,qui montre bien que la retraite n’est pasune libération du travail mais une secondecarrière libérée de l’emploi. L’initiativedes retraités (et on sait combien les jeunesretraités débordent d’initiative) devraitêtre soutenue par un financement desinvestissements nécessaires à leur travail.Si les retraités passent des épreuves dequalification, ce salaire à vie pourrait

UN SALAIRE À VIE. POURQUOI ?La retraite n'est pas une libéra-tion du travail mais une secondecarrière libérée de l'emploi.

commence à faire l’objet de recherches.De même, on s’intéresse de plus en plusà la question des aidants familiaux, parceque l’on s’aperçoit que ces personnes quiassistent leurs parents âgés peuvent ren-contrer des difficultés face à la lourdeurde la tâche, notamment quand ceux-cisont atteints de la maladie d’Alzheimer.Il s’agit d’aider les aidants. Il existe ensomme une multiplicité des formes de

prise en charge de la vieillesse et de leurscombinaisons qui a pu évoluer au fil dutemps. Les anciens hospices sont deve-nus par exemple les Établissements d’hé-bergement pour les personnes âgéesdépendantes (EHPAD), parfois critiqués,mais qui sont amenés à prendre de l’importance. D’autres questions émer-gent également : la fin de vie, la robotiquedans l’assistance du quotidien, les pen-

sions de reversion des veuves, ou pluslargement la place sociale des retraités.Autre exemple problématique : malgrédes revenus plus élevés que certainsactifs, certains retraités ne peuvent avoiraccès au crédit devant le refus des éta-blissements concernés. n

*Yannick Marec est historien. Il est profes-seur d’histoire contemporaine à l’universitéde Rouen

.

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page14

Page 15: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

1515

continuer à augmenter par passage à undegré supérieur de qualification : la pro-duction de valeur économique ne s’ar-rête pas avec la retraite ! On pourra, surcette base, revendiquer un abaissement

progressif de l’âge du salaire à vie… Etaussi s’adresser aux jeunes avec le projetd’attribuer automatiquement à 18 ans lepremier niveau de qualification (et lesalaire qui va avec) et d’enrichir ainsi lamajorité politique par la reconnaissancede la contribution de chacun à la produc-tion de valeur économique.Affirmer que la retraite est l’entrée dansun travail libéré de sa pratique capita-liste suppose que les cotisations necomptent plus dans le calcul de la pen-sion, que ce soit par des annuités ou pardes points. Ce n’est pas parce que nousavons travaillé que nous avons droit à laretraite, c’est parce que nous avonsconquis le droit de travailler commeretraité, avec une qualification attribuéeà la personne et non plus au poste de tra-vail. La production de valeur correspon-

dant à ce salaire à vie est faite par lesretraités eux-mêmes. Supprimer toutecondition d’annuité (et le calcul parpoints à l’ARRCO-AGIRC) supprimeradu coup la seconde peine des femmes :si leurs 22 % de salaire en moins relati-vement aux hommes se traduitaujourd’hui par 47 % de pension enmoins, c’est à cause des annuités et despoints. On retrouve ici le cœur de larevendication de nouveau statut du sala-rié de la CGT : attribuer la qualificationà la personne et non pas au poste, c’estaussi payer à vie la personne puisque cen’est plus son poste qui est rémunéré,mais elle-même. n

*Bernard Friot est économiste et socio-logue. Il est professeur émérite à l’universitéParis-Ouest Nanterre-La Défense.

On n’a pas suffisamment pris la mesure du nouvel âge de lavie que représente la retraite. Vieillir aujourd’hui ne se traduitplus de la même manière qu’hier. Malgré de persistantes iné-galités de classe, les gens sont globalement plus en forme,plus actifs et ont devant eux du temps de vie, dont les meil-leures années sont à partir de 60 ans.

60 ANS UN REPÈRE !La revendication portée durant des années d’un droit au départen retraite à 60 ans a été concrétisée par la loi en 1982. C’estune des avancées de la gauche  ! Cela constitua dès lors unsymbole pour le patronat et la droite à remettre en cause coûteque coûte. Ce que Sarkozy est arrivé à faire avec la réformede 2010. Pour ce qui nous concerne, nous sommes fortementattachés à cette limite du travail à 60 ans. Nous considéronsque c’est le bon moment pour pouvoir bénéficier d’une autrevie après le travail, d’une autre partie de sa vie.C’est pour cela que notre proposition est d’affirmer un départen retraite à 60 ans à taux plein pour une carrière complète.Nous voulons concrétiser une revendication portée par lesgénérations qui nous ont précédés. Nous voulons aller plusloin que le « simple âge ouvrant droit au départ » en lui subs-tituant le droit au départ en retraite à 60 ans pour tous.

UNE PARITÉ DE NIVEAU DE VIE POUR UN TRAVAIL LIBREDe l’activité associative à la vie familiale en passant par l’ani-mation culturelle, c’est le travail libre des retraités qui est enjeu.  Il faut reconnaître l’activité utile des retraités qui méritetout autant d’être payée par un salaire dont la traduction comp-table passe par les cotisations sociales et par une ligne du bud-get de l’État pour les fonctionnaires. La retraite c’est la conti-nuation du salaire hors de l’emploi.La société considère que chaque salarié peut travailler unnombre donné d’années jusqu’à un âge déterminé. Elle doitlui fournir un travail jusqu’à cette limite. Ensuite ce dernier a

droit à une retraite qui lui assure une parité de niveau de vieavec les actifs. Il faut maintenir ces principes fondamentauxsans lesquels le caractère social et solidaire de la retraite seraitdétruit.

DEUX BORNES D’ÂGE, MARQUEURS SOCIAUX SÉCURISÉS : 18 ET 60 ANSD’un côté, 18 ans, l’âge de l’entrée à part entière dans la viesociale, avec l’ensemble de ses droits et devoirs, la fin de l’obli-gation scolaire et de la prise en charge complète par la familleet la collectivité nationale. Cela implique une allocation d’au-tonomie-formation de la jeunesse, une validation des annéesd’étude pour les jeunes qui donnerait lieu à un revenu et uneouverture des droits à la retraite.

De l’autre, 60 ans, le départ à la retraite et l’occasion de pour-suivre sa vie par le déploiement d’activités sociales libres dontl’intérêt commun n’échappe à personne et où la formationpeut encore jouer un grand rôle. Ce serait l’âge pour tous d’undépart en retraite à taux plein, c’est-à-dire en percevant 75 %du salaire de référence (dix meilleures années du secteur privé,salaire moyen des six derniers mois dans la fonction publique).Cela signifie qu’à partir de 18 ans, toutes les périodes d’acti-vité professionnelle (insertion, formation, stage, tutorat etemploi) pourraient donner lieu à des revenus et droits cotisés.Cette continuité des droits sécuriserait tout le cycle de vie, au-delà des alternances de situation, de l’entrée dans la vie activejusqu’à la retraite. Enfin, il y a un débat idéologique qu’il fautouvrir le plus largement possible. Les années d’espérance devie gagnées petit à petit sont-elles destinées à rester plus long-temps au travail ? C’est la version portée par le patronat maisbien au-delà. Ce serait une évidence. Nous vivons plus vieuxdonc travaillons plus longtemps ! Non ! L’augmentation de l’es-pérance de vie peut aussi être utilisée pour cette autre vieaprès le travail, pour la vie sociale, pour la vie sans le travail. n

LA RETRAITE, UNE AUTRE VIE APRÈS LE TRAVAILL’augmentation de l’espérance de vie, une chance pour une vie sans le travail.

Revendiquer qu’à 55 ans on touche à vie

son meilleur salaire, ce n’est pas revendiquer le droit

au loisir après une vie de travail,mais c’est affirmer qu’à

un âge politique on peut enfintravailler en étant payé à vie,

décider de son travail sans employeur et sans

actionnaire.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page15

Page 16: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

16

LE DOSSIER La retraite : une bataille capitale

Bien qu’il fonctionne sans accu-mulation d’actifs financiers, cesystème suédois singe en perma-nence la capitalisation.

ENTRETIEN AVEC YANN LE LANN*

La Revue du projet : Le gouvernement suédoisa mis en œuvre une importante réforme deson système de retraite dans les années1990  : en quoi a-t-elle consisté  ?Yann Le Lann : Le système suédois desretraites a connu une réforme radicale aucours des années 1990. Le gouvernementlibéral a décidé, sans consulter les syndi-cats, de geler le taux de cotisation retraiteà 18 % des salaires. Ce flux est désormaisorienté vers deux types de pension :‐ 16 % financent l’inkomstpension : uneretraite en répartition fondée sur unestricte contributivité individuelle entreles cotisations accumulées au cours dela vie active et la somme des pensionsversées au cours de la retraite.‐ 2 % financent une pension publiqueobligatoire en capitalisation gérée parun fonds de pension.

RDP : L’inkomstpension se rapproche-t-elledavantage des systèmes par répartition tradi-tionnels ou des mécanismes de capitalisation  ?YLL : Comment fonctionne l’inkomst-pension ? Chaque travailleur suédoisaccumule fictivement ses cotisations surun compte individuel appelé « comptenotionnel » pendant toute sa périoded’activité. Fictivement, au sens où ce

cumul ne donne pas lieu à épargne, lescotisations de l’année finançant les pen-sions de l’année. Lorsque le cotisant parten retraite, le montant de sa pension estcalculé en divisant la somme actualiséedes cotisations qu’il a versées par l’espé-rance de vie de sa génération à la datede la liquidation.Prenons un exemple : un cotisant né en1960 aura en 2022 une espérance de vieestimée à 28 années. Si son comptenotionnel présente un solde de 1 000(couronnes ou euros par exemple), sapension annuelle sera de 1 000 diviséspar 28. S’il attend d’avoir 63 ans, sonsolde sera augmenté des cotisations de

l’année et ne sera plus divisé que par 27.Plus l’espérance de vie croît, plus le tra-vailleur est incité à prolonger sa périoded’activité (car l’augmentation du déno-minateur doit être compensée par uneaugmentation plus importante du mon-tant des cotisations au numérateur).

RDP : Ce système suédois constitue selonvous un cheval de Troie de la capitalisation.Pourquoi  ?YLL : Ce système est un cheval de Troie caril fait entrer les représentations de l’épargnedans la répartition. Bien qu’il fonctionnesans accumulation d’actifs financiers, ce

modèle singe en permanence la capitali-sation. Lorsque l’espérance de vie aug-mente, vous êtes obligé de travailler pluslongtemps pour obtenir une pension quise rapproche de votre salaire. Votre taux deremplacement est strictement proportion-nel à votre durée de cotisation. La logiquede ce système est donc analogue à celle del’épargne individuelle.Les systèmes continentaux de pension,décriés par l’Union européenne, sonthistoriquement fondés sur une décon-nexion entre contributions et prestations.Les droits à pension s’y construisent enréférence au salaire de fin de carrière.Les réformes Balladur puis Fillon ont déjàattaqué cette référence essentielle.Appliquée au système français, laréforme suédoise rendrait automatiquel’allongement de la durée de cotisation.Celle-ci se ferait désormais sans négo-ciation et sans débat politique. Avec lamise en œuvre du système suédois, onassisterait ainsi à la fin des projets éman-cipateurs de pension.

RDP : Ce système de retraite suédois estaujourd’hui érigé en modèle par certaines ins-titutions internationales, mais aussi parquelques chercheurs français défendant pour-tant le système par répartition. Pour quellesraisons selon vous  ?YLL : Le problème vient à mon sens dufait que ces économistes et ces socio-logues sont aujourd’hui arc-boutés surle seul slogan : « sauvons la répartition ».C’est un bon point de départ ! Mais jecrois que la promotion du système sué-dois montre qu’il faut aller plus loin. Laquestion centrale aujourd’hui est : àquelle répartition aspirons-nous ? Leterme de répartition renvoie aussi bienà un système de compte notionnel qu’àcelui que nous défendons. Il est donc enpartie miné. Soit c’est un droit garantis-sant le salaire de fin de carrière, soit c’estun système de transfert dans le tempsdes ressources cotisées. Il s’agit donccertes de préserver la répartition, maisen posant en grand la question de lanature des droits qu’elle ouvre. À ne pasavoir les idées claires sur ce sujet, ceschercheurs en arrivent à défendre unerépartition vide de sens. n

*Yann Le Lann est sociologue. Il est docto-rant à l’université Paris-Ouest Nanterre-La-Défense.

LE MODÈLE SUÉDOIS ET LA REDÉFINITIONNÉOLIBÉRALE DE LA RÉPARTITION

La logique de ce système est analogue à celle

de l’épargne individuelle.“ ”

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page16

Page 17: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

1717

> SUITEPAGE 18

PAR LAURENCE COHEN*

En France, une retraitée sur trois vitsous le seuil de pauvreté : la retraitemoyenne des femmes est de

900 euros tandis que celle des hommesest de 1 552 euros. Les femmes subissentla double peine : alors qu’elles sont plusdiplômées, elles occupent des postesmoins qualifiés donc moins rémunérés.C’est le résultat du rôle social attribuéaux femmes, à savoir s’occuper du foyer,de la garde et de l’éducation des enfants,puis de l’accompagnement des anciens(parents et/ou beaux-parents). Ne justi-fiant pas d’une carrière complète, ellestouchent des pensions considérablementamputées. La loi de novembre 2010concernant l’ouverture des droits à laretraite, impulsée par le gouvernementSarkozy, vient encore amplifier les iné-

galités entre les femmes et les hommes.Si cette réforme est injuste pour l’ensem-ble des salariés, elle a des effets particu-lièrement désastreux pour les femmes.Remarquons au passage que toutes lesréformes du précédent gouvernementont nettement aggravé les inégalités éco-nomiques, sociales et politiques entreles hommes et les femmes.

INÉGALITÉS D’EMPLOI, DE SALAIRES ET DERETRAITESAu fil de l’histoire, les femmes ont investimassivement le marché du travail.Comme pour les hommes, leur taux d’ac-tivité est le plus élevé entre 25 et 49 ans :entre ces âges, 82,9 % des femmes et94,9 % des hommes sont actifs. Mais c’estégalement à cette période de la vie oùl’on élève ses enfants que l’écart entre lescomportements d’activité masculins etféminins est le plus grand. Malgré cet

investissement, les femmes salariéesvivent, tout au long de leurs carrières, desinégalités professionnelles qui se réper-cutent sur le niveau de leurs retraites. Lessalaires des femmes à temps complet sontinférieurs en moyenne de 27 % à celuides hommes et 30 % des femmes occu-pent aujourd’hui un emploi à temps par-tiel. Les inégalités salariales n’ont pasreculé, bien qu’il existe un grand nom-bre de lois pour promouvoir l’égalité pro-fessionnelle entre les hommes et les

femmes. En réalité, il n’y a toujours pasde volonté politique tangible pour leurapplication. Nous sommes même devantdes facteurs aggravants avec l’explosiondu temps de travail partiel, la forte aug-mentation du chômage, l’arrivée d’em-plois mal reconnus comme tous ceux quiconcernent les services à la personne, lecommerce, l’hôtellerie, la restauration.Qui dit travail partiel, dit en effet salairepartiel et retraite partielle. La loi de 2010

POUR L’ÉGALITÉ DES PENSIONS DE RETRAITE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMESLes inégalités économiques, sociales et politiques entre les hommeset les femmes se sont aggravées au fil des dernières réformes.

L'égalité professionnelle réelle entre les hommes et les

femmes rapporterait plus de 52 milliards d’euros de

cotisations. “

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page17

Page 18: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

18

LE DOSSIER La retraite : une bataille capitale

SUITE DE LAPAGE 17 > accroît les effets des lois Balladur, Fillon

de 1993 et 2003, en matière d’inégalités.Elle creuse l’écart de la pension de 40 %en moyenne entre les femmes et leshommes. Bien que son application nesoit pas encore totalement effective, 34 %des femmes ont validé moins de 25 tri-mestres pour 4 % des hommes. Un quartd’entre elles part en retraite à 65 ans.Qu’en sera-t-il pour les femmes ayantsuspendu leur activité pour éduquerleurs enfants, du fait de faibles qualifi-cations, de salaires dérisoires ou parmanque de places d’accueil de la petiteenfance ?

DIRE STOP À L’HUMILIATIONLa dimension sexuée est le plus souventmarginalisée – voire totalement absente –

de la plupart des réflexions sur les rai-sons et les enjeux de ces inégalités. L’accord national interprofessionnel(ANI), porté par le gouvernement Ayraultet que la droite soutient, amplifie encoremobilité et temps de travail partiel, doncatteint de plein fouet les femmes. Menerune politique de gauche, c’est remettreà plat le dossier des retraites en ayantpour objectif une politique d’égalité etde satisfaction des besoins humains. Enmai 2012, une majorité d’hommes et defemmes ont rejeté la réforme de 2010 etdit stop à l’humiliation. Il faut au plusvite supprimer les mesures allongeant ladurée de cotisation et le système dedécote. Il faut revenir au principe de laretraite par répartition à taux plein à 60ans et au moins égale au SMIC.

Le gouvernement doit choisir le campde celles et ceux qui produisent lesrichesses, en ne faisant aucune conces-sion aux patrons des entreprises qui s’en-richissent des inégalités. Et qu’on nevienne pas nous dire que les moyensmanquent pour y parvenir. Tout simple-ment parce que l’égalité professionnelleréelle entre les hommes et les femmesrapporterait plus de 52 milliards d’eurosde cotisations. À elle seule, la résolutiondes inégalités salariales entre les femmeset les hommes permettrait donc deréduire de moitié le déficit cumulé de laSécurité sociale. n

*Laurence Cohen est responsable du sec-teur Droits des femmes/féminisme duConseil national du PCF. Elle est sénatrice.

PAR PIERRE CONCIALDI*

La précarité salariale ne cesse des’étendre, minant les perspectives deretraite des travailleurs. Depuis plus

de vingt ans, les transformations du sys-tème de retraite ont renforcé cette pré-carisation. Ces changements vont àrebours de l’histoire de la protectionsociale dont la finalité a été de construireun statut protégeant les salariés desrigueurs de la logique marchande. Il esturgent de briser ce cercle vicieux.

UN ALLONGEMENT FORCÉ DE LA DURÉEDU TRAVAILLa retraite est une des formes majeuresde réduction de la durée du travail.Conséquence : le recul des âges légauxde départ à la retraite décidé en 2010constitue un allongement forcé de ladurée du travail. Avec un sous-emploimassif, cette mesure n’a pas tardé à pro-duire ses effets sur le chômage et l’em-ploi. Les salariés âgés (55-64 ans) ont étéincités à rester sur le marché du travail :entre fin 2010 et fin 2012, leur taux d’ac-tivité – part de la population considéréequi est en activité, c’est-à-dire qui occupeun emploi ou en recherche un – a aug-menté de 15 %, alors qu’il est resté sta-ble toutes classes d’âge confondues. Uneproportion croissante de ces salariés âgés

s’est retrouvée au chômage ; dans lemême temps, le taux d’emploi – part dela population considérée qui occupe unemploi (cela exclut donc les chômeurspar rapport au taux d’activité) – de cetteclasse d’âge a aussi augmenté. Unehausse des taux d’emploi qui s’est faite

au détriment des plus jeunes : depuis lacrise financière de 2008, le taux d’emploia augmenté pour les salariés de 50 anset plus tandis qu’il a diminué dans toutesles autres classes d’âge.L’allongement de la durée de coti -sation nécessaire pour percevoir uneretraite complète (à taux plein) est aussiune injonction à « travailler plus ». Le gou-vernement projette de l’augmenter encorealors que la durée de la vie profession-nelle se réduit depuis des décennies (de37,5 ans pour les hommes de la généra-tion 1950 à 35 ans pour ceux de la géné-ration 1970). Résultat : de plus en plus desalariés ne pourront pas partir à l’âge

minimum légal avec une retraite com-plète. Pour la génération 1974, par exem-ple, au moins 75 % des salariés (femmeset hommes) seront exclus du bénéficed’une retraite à taux plein – même à 62ans désormais – compte tenu de la duréed’assurance validée aujourd’hui par cettegénération.

La dégradation ainsi programmée duniveau des pensions risque de pousserde plus en plus de retraités à cumuler leurpension avec un emploi, une possibilitédésormais ouverte sans garde-fou avecla libéralisation de ce cumul depuis 2008.Depuis cinq ans, le nombre de ces retrai-tés-travailleurs a plus que doublé pouratteindre environ 500 000. Nécessité ouvéritable « choix » de la part des salariés ?Difficile de le dire faute d’informationsprécises. Il reste néanmoins un fait objec-tif. Ce dispositif favorise des pratiquesqui permettent, d’un côté, aux em -ployeurs de proposer des salaires réduitset, de l’autre, aux retraités-travailleursd’accepter ces faibles salaires grâce aubénéfice d’une pension. Résultat : moinsd’emplois accessibles aux non-retraitéset une concurrence accrue entre salariésqui abaisse les normes salariales. La pen-sion de retraite n’est plus la possibilitéd’un temps libre et autonome, délivré descontraintes du travail marchand subor-donné. Elle devient une forme de sub-vention ou de substitut au salaire.

FAVORISER L’ACCÈS DE TOUS À L’EMPLOILe projet libéral se résume, en définitive,à cette formule : travailler plus pourgagner toujours moins de retraite et de

PENSER LES RETRAITES, PENSER L’EMPLOILe recul des âges légaux de départ à la retraite pèse sur le chômageet l’emploi de toutes les générations.

Le projet libéral se résume, en définitive, à cetteformule : travailler plus pour

gagner toujours moins de retraiteet de salaire.

“”

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page18

Page 19: La revue du projet n°28

1919

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

salaire. Inverser ce mouvement est unenécessité. Non seulement pour rétablirdes conditions d’accès à la retraite cohé-rentes avec les possibilités offertesaujourd’hui aux travailleurs pour accé-der à l’emploi, et favoriser ainsi l’accèsde tous à l’emploi. Mais aussi pourrééquilibrer le rapport de forces en faveurdes salariés et améliorer des conditionsde travail et de rémunération de plus enplus dégradées. Car le but n’est pas pure-ment quantitatif. La prise en compte de

la pénibilité au travail dans la détermi-nation des droits à retraite est aussi unlevier nécessaire, à la fois pour permet-tre aux salariés concernés de ne pas arri-ver « cassés » à la retraite, mais aussi pourinciter les employeurs à améliorer lesconditions de travail et faire en sorte quedes salariés ne passent pas le plus clairde leur vie dans des métiers usants.Penser la retraite c’est donc nécessaire-ment penser l’emploi et, plus générale-ment, l’organisation des temps sociaux

tout au long de la vie. Une réflexion quirisque d’être occultée avec une réforme« systémique » qui réduirait la retraite àl’équivalent d’un simple compte detemps de travail et entretiendrait la fic-tion d’un « libre choix » des salariés. Un« choix » qui reste un leurre dans unesociété minée par le chômage. n

*Pierre Concialdi est économiste. Il estchercheur à l’Institut de recherche écono-mique et social.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page19

Page 20: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

20

LE DOSSIER La retraite : une bataille capitale

PAR EVELYNE VAN DER HEYM*

Selon le discours dominant, les retrai-tés seraient des nantis, des privilé-giés corvéables à merci : « Au

royaume des aveugles, les borgnes sontrois » ! Les retraites seraient « conforta-bles » au regard des salaires moyens demaintenant… Dont acte : les salariésayant fait valoir leurs droits à la retraiteau cours de ces dix dernières années,ont pu bénéficier d’une carrière pluslongue et plus complète, avec moins dechômage, de temps partiel, de précaritéet des salaires évoluant sensiblementplus que le coût de la vie…

Il en ressort aujourd’hui, selon l’INSEEque le revenu moyen des personnes deplus de 65 ans en 2009, est de23 530 euros par an, soit 1 877 euros parmois. De 1970 à 1990 ce revenu moyena évolué, ni plus ni moins comme lerevenu moyen des actifs, dont il suitl’évolution par indexation. Mais depuis1993 il a chuté de près de 10 % !

UNE BAISSE CONTINUE DES PENSIONSEn effet, la suppression par la loi Balladurde l’indexation des retraites du régimegénéral sur les salaires et son remplace-ment par l’indexation sur les prix ontrompu le lien de solidarité intergénéra-tionnelle qui est la base du système derépartition. Ainsi, non contents de consi-dérer les salariés à la retraite comme des« sous-produits » de la communauténationale, nos gouvernants de droitecomme de « gauche » n’ont eu de cesseque de puiser dans le porte-monnaiedes salariés retraités. Il est vrai que c’estplus facile que de taxer le capital ou sou-mettre à cotisation les revenus finan-ciers. Les différentes réformes qui se sontsuccédé depuis les années 1980, tou-chant autant le régime général que lesretraites complémentaires n’ont eu decesse que de ponctionner les retraites –l’argent pour vivre… jusqu’à la fin de lavie !Les prélèvements sur les retraites (coti-sation sociale, CSG, RDS) institués à par-tir de 1980 par le gouvernement Barre,ont été multipliés par deux et demientre 1993 et 1997, tant pour les retrai-tés du privé que du public. Ils représen-

tent actuellement plus d’un mois deretraite net… auquel s’ajoute pour l’an-née 2013 la « contribution additionnellede solidarité pour l’autonomie » de 0,3 %pour les retraités imposables : autrementdit la double peine !Ainsi, loin d’être des nantis, les retraitésvoient leurs pensions se réduire à la por-tion congrue. Selon le dernier rapportdu Conseil d’orientation des retraites(COR), en 2011 le minimum contributif

concernait près de 5 millions de retrai-tés de la Caisse nationale d’assurancevieillesse (CNAV) pour une pension de678 euros, sur un total de 11 millions deretraités ! Toujours selon le COR, le mon-tant moyen de la pension de droit pro-pre s’élevait en moyenne à 1 552 eurospour les hommes et 899 euros pour lesfemmes ! On a envie de dire, comme lepoète : « Est-ce ainsi que les hommesvivent ? »

VIVRE UNE NOUVELLE VIE APRÈS LETRAVAILEt la prochaine réforme qui se profile,risque de frapper « fort », autant les sala-riés actifs/chômeurs que les retraitésactuels et futurs. Les recettes sontconnues : allonger les années de cotisa-tion des actifs avec, au bout, plus de chô-meurs âgés sans droit (!) ; comme pourles retraites complémentaires, actée avecle « dernier accord », une indexation en-dessous de l’évolution des prix et, enréflexion, une réforme qui remettrait encause les droits des cotisants…Salariésactifs et retraités n’ont pas à payer pourles banques, les entreprises du CAC 40,les spéculateurs des paradis fiscaux quiveulent à tout prix préserver leurs pri-vilèges d’exploiteurs ! Il faut combattrecette idéologie de renoncement à la viequi s’abat sur les millions de salariés

retraités, coupables d’avoir travaillé,cotisé et qui veulent encore vivre long-temps en bonne santé et heureux : quelleoutrecuidance !Le niveau de pension et sa garantie sontla condition indispensable pour vivre entoute citoyenneté et plénitude cette nou-velle vie après le travail, créatrice autantpour les individus que la société. Vivrepleinement la vie hors travail, profiterde la retraite le plus longtemps possiblesont des aspirations fortes et unanimespour porter dans le mouvement demobilisation de masse une logique debesoins, utile socialement et efficaceéconomiquement.

DES MESURES INDISPENSABLESÀ l’opposé de la logique d’austérité etde paupérisation des retraités, il fautfinancer les retraites à la hauteur desbesoins sociaux selon le fil rouge de pré-servation de son niveau de vie « vieactive/retraite ». Dans l’immédiat il s’agitd’inscrire comme une urgence socialele rattrapage des revenus des retraitésau regard de la perte de pouvoir d’achatau cours de ces dernières années, avecl’objectif qu’aucune pension nette soitinférieure au SMIC net. Il faut revenir àl’indexation sur la moyenne de l’évolu-tion des salaires (retraite de base etretraites complémentaires)A contrario de la baisse programmée dutaux de remplacement, il faut reconqué-rir comme exigence première, un tauxde remplacement du salaire par laretraite d’au moins 75 % pour garantirla continuité du niveau de vie (le tauxde remplacement étant le rapport entrele dernier salaire perçu et la premièreretraite). La question de la période deréférence est posée pour établir le mon-tant des pensions : il faut abolir lamesure de 1993 portant le calcul despensions sur les vingt-cinq dernièresannées et revenir pour le moins sur labase des dix meilleures années desalaires. Pour les salariés des secteurspublics, il faut préserver le maintien dusystème actuel des six derniers moiscomme base de calcul. Cette dernièreexigence suppose, pour établir le mon-tant des retraites d’intégrer la totalitédes rémunérations : primes, heures sup-plémentaires, actionnariat salarié…

Salariés actifs et retraités n’ont pas à payer pour

les banques, les entreprises du CAC 40, les spéculateurs

des paradis fiscaux qui veulent àtout prix préserver leurs privilèges

d’exploiteurs !

“”

QUELLE LOGIQUE POUR DÉTERMINER LE NIVEAU DE PENSION ?Vivre longtemps, en bonne santé et heureux, nécessite de reconquérir comme exigence première, un tauxde remplacement du salaire par la retraite d’au moins 75 % pour garantir la continuité du niveau de vie.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:08 Page20

Page 21: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

2121

Afin de réduire les très grandes inégali-tés sociales qui touchent singulièrementles femmes, trois mesures sont indis-pensables :– relever le minimum contributif durégime général, versé à 60 ans pour unecarrière complète et à 65 ans sans condi-tion de versement de cotisations à aumoins 60 % du SMIC (niveau de 1993) ;- modifier les règles d’attribution de lapension de réversion et augmenter sontaux à 60 % – déjà fortement pénaliséespar les bas salaires, le temps partiel et

les carrières incomplètes, les femmessont de loin les plus nombreuses à nepas bénéficier de ce droit ;- préserver, en les étendant aux hommes,les années octroyées, sans condition deressources, au titre du nombre d’enfantsélevés, éduqués.Ces quelques dispositions essentiellespour « redonner goût à vivre » aux mil-lions de retraités, salariés d’hier ayantcontribué à la pérennité de notre sys-tème solidaire de protection sociale, parleur travail, leurs cotisations, s’inscri-

vent bien évidemment dans la formida-ble bataille politique qu’il va nous fal-loir mener pour préserver cette solida-rité intergénérationnelle fondée sur larépartition et démontrer qu’il est possi-ble de financer les retraites, aujourd’huicomme hier ET comme demain, tout enaméliorant le niveau de vie des généra-tions futures. n

*Evelyne Van Der Heym est ancienne direc-trice d’hôpital. Elle est membre du secteurSanté et protection sociale du PCF.

PAR SYLVIE DURAND*

L e MEDEF était entré en négociationen novembre dernier avec une exi-gence : équilibrer sur le long terme

les régimes de retraite complémentairesAGIRC (organisation qui gère le régimecomplémentaire pour les cadres portantsur la partie du salaire supérieure au pla-fond de la Sécurité sociale) et ARRCO(association qui gère le régime complé-mentaire de l’ensemble des salariés dusecteur privé) sans augmenter leurs res-sources.

Compte tenu de l’accroissement du nom-bre de retraités et de leur espérance devie, ce parti pris idéologique a pour effetmécanique de faire baisser tant les futursdroits à retraite des actifs que les pensionsliquidées des retraités. L’idée fondamen-tale du MEDEF était en effet de devancerla réforme des régimes de retraite des sec-teurs privés et publics, prévue d’ici la finde l’année 2013, en imposant dans lesrégimes complémentaires « sa » solution,que le législateur n’aurait plus eu qu’àétendre ensuite à l’ensemble des régimes.

UN TABOU A ÉTÉ LEVÉConscients de ces enjeux, notre objectifa été de créer et maintenir au fil des septséances de négociation un consensus syn-dical autour d’une idée : il faut augmen-ter les cotisations – et d’abord la partpatronale de celles-ci – en augmentantleur taux dit contractuel , ce qui permet-

trait d’améliorer le niveau des futures pen-sions, qui seront perçues par les salariésaujourd’hui en activité, tout en apportantdes ressources immédiates à l’AGIRC età l’ARRCO.Face à ce front syndical, le MEDEF a dûrenoncer à son objectif politique d’unéquilibrage des régimes à ressourcesconstantes. Il a ainsi échoué à imposer lalogique du système suédois qui sera aucœur des futurs débats nationaux, lequel

système s’interdit toute augmentation descotisations ou de leur assiette.Il n’en sort pas moins comme le grandgagnant de l’affaire : en 2014 et 2015 lescotisations contractuelles à l’AGIRC etl’ARRCO n’augmenteront que de 0,10point par an, soit une augmentation de0,20 point en tout !

Du coup l’essentiel de l’effort de rééqui-librage repose sur les retraités et les futursretraités : dès 2013 les droits à retraiteAGIRC et ARRCO ne seront plus revalori-sés selon l’inflation. La mesure de sous-indexation porte sur trois ans et aboutira

à une perte de pouvoir d’achat de l’ordrede trois points pour l’ensemble des retrai-tés tout en faisant décrocher le niveau desfutures pensions. Et les petites pensions,celles des femmes en particulier, ne serontpas épargnées même si les retraitesARRCO en 2013 perdront seulement 0,75point contre 1 point pour les retraitesAGIRC : les deux années suivantes la pertesera de 1 point dans les deux régimes.

JACKPOT POUR LE MEDEF !Le bilan financier de l’accord montre quela contribution au rééquilibrage desrégimes s’établit pour les actifs et retrai-tés à 80 % du total et pour les employeursà 20 %. Pour autant cet accord ne règlerien, le déficit des régimes à l’horizon 2017n’est pas épongé. La suite est aisée à devi-ner. Après avoir obtenu la désindexationdes droits à retraite de l’évolutionmoyenne des salaires en 1993, puis ladésin dexation de ces mêmes droits parrapport aux prix en 2013, le MEDEF n’auraplus qu’à obtenir la baisse du montantnominal des pensions, pour équilibrer lescomptes des régimes de retraite complé-mentaires.Il est donc plus que jamais nécessaireaujourd’hui de revendiquer avec force desaugmentations de cotisations – patro-nales en premier lieu – pour rétablir àterme un niveau de pension représentantau minimum 75 % du salaire de fin de car-rière, toutes primes comprises. À défaut,il faudrait choisir entre un départ enretraite à 70 ans ou une pension qui nereprésenterait plus, à 62 ans, que moinsde 50 % du salaire de fin d’activité ! n

*Sylvie Durand est syndicaliste. Elle est spé-cialiste des retraites.

La mesure de sous-indexation porte sur trois

ans et aboutira à une perte depouvoir d’achat de l’ordre de trois

points pour l’ensemble des retraitéstout en faisant décrocher le niveau

des futures pensions.

“”

RETOUR SUR LA NÉGOCIATION DES RÉGIMES COMPLÉMENTAIRESL’équilibre des comptes des régimes de retraite complémentairesexige une augmentation des cotisations patronales.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page21

Page 22: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

22

LE DOSSIER La retraite : une bataille capitale

PAR CLAUDE CHAVROT*

Il est nécessaire de revenir sur ce qui afondé la création de nos régimes deretraite en 1945. Mais aujourd’hui, où

en est-on ? Des disparités importantesexistent entre le régime général et lesrégimes spéciaux et particuliers dans uncontexte où la notion « d’équité » estopposée à celle de « solidarité intergé-nérationnelle ». En cela, vient l’idée d’unrégime « universel » fusionnant tous lesrégimes existants du public et du privé.Faudrait-il ainsi aligner tout le mondepar le bas ? En cette année 2013 où estposée la question d’une réforme systé-mique de nos régimes de retraites, celamérite d’être approfondi.

LA SITUATION AUJOURD’HUI Les régimes complémentaires sont indis-pensables aujourd’hui pour compléterune retraite du régime général au maxi-mum à 50 %. Les dernières négociationssur l’AGIRC et l’ARRCO ont abouti à unedésindexation des prestations servies parrapport à l’inflation. Les taux de rempla-cement, en cumulant la pension durégime général et celle des régimes com-plémentaires, ont considérablementbaissé ces dernières années, notammentpour les cadres.Les régimes particuliers et spéciaux résul-tent de conditions d’activité dans cer-tains secteurs professionnels, souventliés à la permanence du service public24h/24 – sept jours sur sept (fonctionpublique, santé, énergie, transports…).Ils sont liés au statut spécifique des sala-riés de ces secteurs. L'alignement desrégimes spéciaux sur le régime généralconstituerait une étape vers une remiseen cause globale du régime de solidariténationale des retraites : introduction desacteurs privés dans le financement desretraites, fin du financement par répar-tition… Pas de débat sur le financement,et les financements entre caisses desretraites, informations contradictoires,stigmatisation des régimes spéciaux parl'argument massue : « est-il normal quecertains travaillent moins longtemps qued'autres ? ». Les dernières réformes ontsérieusement mis à mal les régimes spé-ciaux et particuliers, tout comme le

régime général, en imposant un recul del’âge de départ à la retraite et une aug-mentation de la durée de cotisation.

Selon les fondements de 1946 le systèmede retraite garantit la continuité de sonniveau de vie à toute la population sansexception, avec un minimum de pen-sion qui permette à un retraité de vivreconvenablement et dignement, c'est-à-dire de satisfaire ses besoins élémen-taires mais aussi d’accéder aux loisirs età la culture. Le taux de remplacementavait été fixé pour la fonction publiqueà 75 % du traitement.

Pour le PS et la CFDT, malgré les grandesdifficultés du régime suédois (comptesnotionnels), l’idée d’un tel système enFrance à cotisations définies (et à pres-tations variables) n’est pas abandonnée.Le MEDEF demande un recul de l’âge dedépart et une augmentation de la duréede cotisations ; l’objectif de développerla capitalisation pour « compléter » despensions insuffisantes, reste toujoursprésent. Le gouvernement dit être ouvertà toutes les pistes à explorer. Malgré sesdémentis, le thème des retraites, et pluslargement celui du financement de laprotection sociale seront de fait au cœurde la conférence sociale du mois de juin.

LES PROPOSITIONSLe PCF et le Front de gauche propo -sent un régime général avec :- un départ possible à 60 ans à taux plein,avec un taux de remplacement (montantde la pension par rapport au derniersalaire d’activité) de 75 % pour une car-rière complète. Les années gagnées dansl'espérance de vie n'ont pas vocation àêtre destinées au travail mais sont untemps pour bien vivre à la retraite…- une « maison commune » des différentsrégimes de retraite pour solidariser l’en-semble des trente-sept régimes actuels,tout en gardant les spécificités de cha-cun, avec des départs possibles avant 60ans en tenant compte de la pénibilité etun taux de remplacement de 75 %.Défendre les régimes spéciaux de retraitec'est défendre le régime des retraites toutcourt !- la prise en compte de la pénibilité d’unefaçon générale, même si elle l’est déjà

dans certains régimes spéciaux, doit per-mettre aux salariés exerçant leur activitédans des conditions difficiles, de pouvoirpartir plus tôt en retraite. Il reste que l’ob-jectif reste de partir et de vivre une retraiteen bonne santé. D’où l’importance de laprévention et d’une plus grande atten-tion aux conditions de travail.

La base devant être un régime généralavec un socle minimal permettant auxretraités de vivre dignement. Les régimesspéciaux et particuliers ne doivent pasêtre alignés par le bas sur le régime géné-ral, ni fusionnés. C’est une fausse bonneidée. Ils doivent être des points d’appuipour améliorer la situation de l’ensem-ble des retraités et, dans le contexteactuel, perdurer car ils sont bien souventdes avancées et des acquis sur lesquelsdevraient pouvoir s’appuyer l’ensembledes salariés.La notion d’équité, opposée à celle desolidarité intergénérationnelle, n’est pasl’essentiel pour les retraités si leur pen-

sion, même « équitable » ne leur permetpas de vivre correctement, et de main-tenir le niveau de vie qu’ils avaient à leurdépart en retraite. Si, lors du conflit de2010, le mouvement social a imposé leconcept de régime par répartition, lapérennité du système mis en place en1946, par répartition à prestations défi-nies n’est pas hors de danger. Ladémarche de solidarité intergénération-nelle reste à défendre et à consolider. Leschoix qui seront effectués seront avanttout de nature politique car rien n’inter-dit de mettre à contribution les profitset les revenus financiers pour financernos retraites et assurer leur avenir. n

*Claude Chavrot est animateur de l’Institutd’histoire sociale de l’UGICT-CGT.

UN MÊME RÉGIME POUR TOUS : UNE FAUSSE ÉVIDENCELes régimes spéciaux sont bien souvent des avancées et des acquissur lesquels devraient pouvoir s’appuyer l’ensemble des salariés.

Solidariser l’ensembledes trente-sept régimes actuels,

tout en gardant les spécificités dechacun, avec des départs possibles

avant 60 ans en tenant compte de la pénibilité.

“”

Réagissez à ce dossiercontactez-nous !

[email protected]

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page22

Page 23: La revue du projet n°28

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

2323

La Revue du projet : Les Vieux calibres, c’estl’émergence d’une préoccupation pour le sortdes personnes âgées ?Marcel Bluwal : Si j’ai voulu traiter duproblème des personnes âgées, ce n’estpas parce que je viens de prendre 88ans ! En réalité, ça fait longtemps que jem’occupe de cette question : 1967 !Pour une émission d’Éliane Victor, LesFemmes aussi, j’ai fait un reportage surles vieux et notamment toutes cesfemmes qui vieillissent dans unemisère noire à Nice, où tant d’enfantsenvoient leurs parents. Et puis en 1974,juste après l’explosion de l’ORTF, j’aifait une fiction, Mourir au soleil, sur uncouple de vieillards (avec notammentOrane Demazis qui avait près de 80ans) qui vivaient misérablement dansune soupente à Nice au cœur d’unquartier très bourgeois. Le fils, petit-

bourgeois de province les avait expé-diés là pour avoir la paix : ils l’atten-daient pendant tout le film et il nevenait jamais…

Et puis, il y a deux ans, j’ai décidé de faireun film de nouveau sur les vieux, maisune comédie qui dirait des chosessérieuses. C’est ce que j’ai essayé de faireavec Les Vieux calibres. Comme c’étaitun film comique, on ne pouvait pas trai-ter d’une maison de retraite à 1 200 € parmois ; on est donc allés chez les riches.

RDP : Ce film, c’est un appel à la vie contrel’étouffement et toute existence subie ?M.B. : Comment on peut échapper à lavieillesse ? En restant actif, en pervertis-sant le système : c’est un peu ce quemontre le film. Faites tout ce que vousvoulez : volez, truandez, faites du scan-dale mais existez !Le problème, et c’est vrai pour toutes lesmaisons de retraite, c’est le fait de mettreles vieux en groupe, c’est de les infantili-ser systématiquement. Des vieux qui onttoute leur tête qui sont traités comme des

enfants de 6 ans : « Il a bien mangé le mon-sieur ? » Être vieux en troupe, c’est se fairedéshumaniser. Notre société fait avec lesvieux ce qu’on fait avec les fous : les met-tre en troupe pour ne plus les regarder.

RDP : Est-ce que ça veut dire l’objectifd’une vie sans retraite ?M.B. : Oui ! Avant que tu n’arrives, jeparlais de mon prochain scénario.Danielle Lebrun [née en 1937, alias Émi-lienne] joue. Michel Aumont [né en 1936,alias Irénée] joue : il a même eu un priximportant cette année ! Roger Dumas[né en 1932, alias Double] joue. Jean-LucBideau [né en 1940, alias Titi] joue. Ilsn’arrêtent pas de travailler en jouant !Nous, le but, c’est de mourir en scène,comme Molière ! On pratique un métieroù l’activité sans retraite est le but pour-suivi. Pourquoi pas les autres ? Pourquoine pas rêver d’une société où, au lieu demettre les gens au rencart, on ne les feraitpas continuer une activité, pas forcé-ment professionnelle bien sûr, mais uneactivité qui entretienne les neurones etles muscles jusque fort tard dans la vie ?C’est un peu idéaliste, ce que je raconte,je le sens bien, mais quand même, aufond, c’est ça.

RDP : La vieillesse, ce n’est quand même pas leparadis, si ?M.B. : Ce qui m’a le plus frappé pendantce tournage qui se déroulait dans unevraie maison de retraite, c’est la peurpanique des seniors qui ont toute leurtête face à la cohabitation avec desséniles réels. On vous crée des activitéscommunes, on vous fait manger ensem-ble : c’est assez effrayant. La maison deretraite me semble vraiment une des plusmauvaises solutions possibles. Bien sûr,il y a peut-être des gens qui s’y trouventbien mais, au fond, ça ne s’impose quepour les grabataires. Et puis, je ne connaispersonne qui m’ait dit : « Hourrah ! C’estle début de la vie, j’entre en maison deretraite ! » Tout ça ne veut pas dire queles maisons de retraite doivent être jetées

et, surtout, qu’elles ne doivent pas êtredes lieux dignes parce que, ce qui est abo-minable, c’est l’indignité d’un certainnombre de lieux où les vieux vivent.

RDP : L’argent et l’exploitation ne sont pasabsents des Vieux calibres d’ailleurs.M.B. : Évidemment, dans les maisonsde retraite, quand on ne paie pas, on estviré. Il y a trois mois de ça, on avait finile tournage, on apprend qu’une femmede 92 ans s’est retrouvée comme ça, à laporte de l’établissement. Le fait de réi-fier les gens et de les considérer commedes sources de profit, c’est toujoursaffreux mais, c’est peut-être encore pluslaid quand on est vieux… Le fait de faireun bénéfice à deux chiffres pour héber-ger des vieux, c’est quand même un petitpeu dégueulasse.

RDP : La thématique des personnes âgées sedéveloppe quand même au cinéma : Quartet,Amour…M.B. : Il y a, à l’heure actuelle, une repré-sentation de plus en plus volumineusedes vieux, généralement à traversAlzheimer d’ailleurs… Mais une petitedifférence qui peut exister entre mon filmet Amour ou Quartet, c’est que ces gens-là s’aiment à fond et la société autourd’eux favorise plutôt ça. Les patrons duQuartet de Dustin Hoffman sont à leurspetits soins. Or une vieille héréditémarxiste me prouve qu’un patron resteun patron ! Catherine Jacob [qui joue ladirectrice de la maison de retraite] tra-duit ça parfaitement d’ailleurs. Je lui aiécrit un rôle où elle ne parle que par chif-fres, ce qui me paraît, pour un patronsoucieux de rentabilité, assez logique…

RDP : À rebours, on sent une vraie empathiepour les héros du film qui rappelle, par certainscôtés, La Belle Équipe.M.B. : J’ai une tendresse pour ces per-sonnages-là, y compris pour les person-nages jeunes de l’aide-soignant et de l’in-firmière en chef qui, même s’ils ne sontpas cégétistes (rires), font la grève quandmême ! Cette tendresse rappelle peut-être en effet celle que Janson professaitdans La Belle Équipe où il y a une espèced’optimisme foncier qu’on met sur lecompte du Front populaire. J’avais 12ans en 36 et c’est vrai que je suis toujoursresté un pessimiste gai. n

*Marcel Bluwal est scénariste et metteur enscène.

FAITES TOUT CE QUE VOUS VOULEZ MAIS EXISTEZ !Au lendemain de la diffusion de son dernier téléfilm, Les Vieux calibres,Marcel Bluwal* reçoit La Revue du projet pour parler personnes âgées.

Faites tout ce que vous voulez : volez, truandez, faites du

scandale mais existez !“ ”Notre société fait avec

les vieux ce qu’on fait avec les fous : les mettre en troupe pour

ne plus les regarder.“”

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page23

Page 24: La revue du projet n°28

La crise de cette idéologie optimiste peut cependant connaître deux issues douteuses. D’une partcelle d’un nihilisme morbide, où tout se vaut et s’équivaut dans un monde insensé, de bruit et defureur. Celle, d’autre part, d’un moralisme atemporel, réhabilitant le mythe d’un naturel humain.Cette option est défendue par William Pfaff pour qui « non seulement rien n’est venu attesterl’existence d’un progrès moral, mais il ne faut en attendre aucun » : si l’homme s’est « amélioréen compétences, savoir et bonnes manières », il existerait néanmoins « une permanence morale »de sa condition ontologique. Dès lors que la Providence, l’Histoire, la Science ne sauraient révé-ler une vérité certaine et définitive, dès lors qu’aucun Jugement Dernier ne prononcera le der-nier mot, la responsabilité de chacun(e) n’en est que plus engagée. La découverte scientifique,l’invention technique, la création artistique, l’événement politique, la rencontre amoureuse onten commun de produire du nouveau authentique et d’engendrer des possibles inédits. En histoirecomme en économie, il ne s’agit plus seulement de calculer des trajectoires régulières, mais dedéterminer au champ de possibilités effectives, dont l’une deviendra réalité. Que l’avenir ne soitplus exactement prévisible n’implique pas que le présent et ses contradictions ouvertes soientdevenus inintelligibles. Devoir renoncer aux prédictions historiques n’invalide pas les projets detransformation sociale. Au contraire, le conflit demeure. Et qui dit conflit dit choix, décision, pariraisonné entre plusieurs lendemains. Si « l’Histoire ne fait rien », nous la faisons. Plus que jamais,pour le pire souvent, pour le meilleur parfois. Terrible charge, mais exaltant défi laïque que detravailler, sans certitude rassurante mais avec une énergie absolue, pour l’incertain. À cette for-mule de Saint Augustin, Pascal ajoutait : « Quand on travaille pour demain et pour l’incertain, onagit avec raison. »

Extrait de Daniel Bensaid Les incertitudes du progrès.M. T.

Les incertitudes du progrès

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

2424

FORUM DES LECTEURS

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Caroline Bardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, AmarBellal, Marine Roussillon, Côme Simien, Renaud Boissac, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, MichaëlOrand, Pierre Crépel, Florian Gulli, Franck Delorieux, Francis Combes - Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère - Mise en page :Sébastien Thomassey - Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) - Imprimerie Public Imprim(12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) - Dépôt légal : juin 2013 - N°28 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Alors que le groupe coréen STX a déclaré qu’il envi-sageait de céder ses chantiers en France, le gou-vernement refuse d’envisager la nationalisationcomme une alternative.La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les chan-tiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).Samedi, le groupe sud-coréen de construction navaleSTX, plombé par une énorme dette, a affirmé qu’ilenvisageait de céder ses sites de construction debateaux en France et en Finlande. Pour Joël Cadoret,secrétaire général de la CGT STX à Saint-Nazaire,« cette annonce d’intention de vente n’est pas ras-surante, cela ajoute de l’inquiétude à l’inquiétude.Les ex-Chantiers de l’Atlantique ne se trouvent pasdans une situation confortable, avec un taux de chô-mage partiel important et un carnet de commandesmanquant de visibilité ». L’annonce survient alorsque le site avait reçu une commande record, aprèsdeux ans de vache maigre. En décembre, ils avaientsigné un contrat pour réaliser un paquebot de typeOasis d’une valeur d’un milliard d’euros pour lecompte de la compagnie américaine Royal CaribbeanInternational. Une bouffée d’air frais qui ne suffitpas à remettre les chantiers à flot, selon JoëlCadoret. « L’Oasis ne sera pas suffisant pour répon-dre à tous les emplois, on a besoin de nouvellescommandes. » Alors que les chantiers sont suspen-dus à cette cession, le gouvernement tente de ras-surer sur l’avenir de STX France, détenu à 33 % parl’État français et à 66 % par STX Europe, filiale du

sud-coréen STX Shipbuilding. Pierre Moscovici, minis-tre de l’Économie, a affirmé que l’activité de Saint-Nazaire n’était pas menacée. Il a rappelé que « legouvernement serait toujours aux côtés desChantiers de l’Atlantique et suivait de près le dos-sier ».Ça coince en revanche quand les syndicats, dont laCGT, évoquent la nationalisation du site comme solu-tion. Pour Nathalie Durand, de FO « le moment estvenu que l’État nationalise le dernier grand chan-tier naval ». Même son de cloche du côté deChristophe Morel, de la CFDT, qui assure : « On inter-pellera le gouvernement sur une augmentation dela part de l’État. » Mais Arnaud Montebourg, minis-tre du Redressement productif, ne l’entend pas decette oreille. Lui qui avait porté l’idée d’une natio-nalisation pour ArcelorMittal à Florange, avant quele gouvernement abandonne cette piste, est beau-coup plus mesuré sur le dossier STX. « Les chan-tiers ont besoin de commandes et pas d’un nouvelactionnaire. La nationalisation est un outil pragma-tique, pas idéologique », a-t-il tranché dans un entre-tien au journal Le Monde. Jacques Auxiette, prési-dent PS du conseil régional des Pays de la Loire, estun peu plus mesuré : « La vigilance est indispensa-ble sur la composition du nouvel actionnariat. Lanationalisation, c’est ce que tout le monde a en tête,mais le vrai objectif, c’est une politique industrielle. »

L’Humanité, 05/05/2013

Recomposition politique à droite,

crise à gauche« On en oublierait presque la criseéconomique et ses maux ». On enoublie que tout ce beau monde, cespoliticiens – voire politichinelles –sont là pour nous faire croire qu'il ya une crise économique – pour lesuns – et une formidable occurencede s'enrichir encore davantage, pourles quelques autres. Que ces profes-sionnels du mensonge ne sont là quepour continuer à mentir, mépriser,et se méprendre. (Ils sont tellementprofessionnels qu'ils sont capablesde se mentir à eux-mêmes, et à croireen leurs propres mensonges).

F.A.

(Bul

Un débat sur les nationalisations à partir du cas de Petroplus, est organisé, le lundi 3 juin, à Grand-Couronne, (Seine-

Maritime) autour du numéro demai de La Revue du projet.

PETROPLUS

« Nationaliser pour ne pas couler les chantiers »INDUSTRIE

NAVALE

La nationalisation, on en parle...

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page24

Page 25: La revue du projet n°28

ABONNEZ-VOUS !À LA REVUE DU PROJET

(Bulletin à découper ou photocopier et à renvoyer à : Association Paul-Langevin – 6, avenue Mathurin-Moreau - 75167 Paris Cedex 19)

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page25

Page 26: La revue du projet n°28

26

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

LE GRAND ENTRETIEN

TRAVAIL DE SECTEURS

Des assises pour la refondation sociale etdémocratique de la République se tiendront le16  juin, à l’appel d’un nombre croissant d’orga-nisations. Quels en sont les objectifs  ?Il faut rappeler le déclencheur  : l’affaireCahuzac. Parmi d’autres affaires, elle ajoué le rôle de révélateur de cette criseprofonde de la démocratie dont nousparlons depuis longtemps déjà.Dans la population, l’idée qu’il faut unchangement fondamental grandit maisdans le même temps, des forces dange-reuses, pour la démocratie elle-même,gagnent du terrain en profitant del’écœurement. Face à cela, il y a besoind’une réponse populaire, progressiste,de haut niveau. Le problème majeur estaujourd’hui l’emprise de la finance surla démocratie. Dans ce contexte, nousvoulons poser la question de la souve-raineté populaire, nous voulons mettreles citoyennes et les citoyens en mou-vement pour qu’elles et ils se réappro-prient la politique. Ces assises ne sontqu’un premier pas pour permettre àtoutes celles et tous ceux qui veulentque le changement advienne, de croi-ser leurs réflexions. Elles seront l’occa-sion de faire grandir des idées neuvespour une refondation sociale et démo-cratique de la République. Ces deuxdimensions sont pour nous essentielleset liées.

Dans le débat qui s’engage largement, quellespropositions porteront les communistes  ?Les communistes sont très préoccupéspar la réduction de plus en plus forte dela souveraineté populaire et de l’espacede l’intervention citoyenne. Nous pen-sons que la Ve République est à bout desouffle. Les déséquilibres inscrits danssa première version ont été aggravéspar la suite. Pas seulement par lesabandons de souveraineté liés à la

construction européenne mais aussipar un approfondissement du présiden-tialisme. Nous constatons avec lescitoyennes et les citoyens que dans cecadre, la politique fait de plus en plus ladémonstration d’une forme d’impuis-sance construite institutionnellement.Pour en sortir, nous voulons mettre en

œuvre une reconquête démocratique,étendre le champ de la démocratie auxsphères économiques avec notammentun nouveau mouvement d’appropria-tion sociale et publique. Nous présente-rons également des propositions pourconstruire une démocratie fondée surla participation active et non la déléga-tion de pouvoirs totale et permanenteque tout encourage aujourd’hui.

Alors que les Français souffrent du chômage, ducoût de la vie… en quoi la VIe République quevous proposez constitue-t-elle une perspectiveconcrète de mieux vivre  ?Bien souvent, on a constaté à l’issue detelle ou telle élection que la manièredont les institutions sont faites, lesmodes de scrutin modifiés, conduit audélitement progressif de la démocratie.On se dit qu’il faut vraiment agir pourune VIe République, et puis on finit parlaisser cette bataille de côté en sedisant que cela ne fait pas partie despréoccupations immédiates de la popu-lation. Or aujourd’hui, l’accumulationdes restrictions démocratiques est telleque, dans ce cadre, obtenir la moindreavancée est d’une difficulté croissante.Il y a urgence à mener bataille pour desconquêtes démocratiques, c’est unedes conditions pour changer le rapportde forces face au MEDEF et à la finance.

En charge du secteur République, démocratie et institutions, Pierre Dharréville,répond à La Revue du projet entre la marche du 5 mai pour la VIe République etles assises citoyennes prévues le 16 juin à Montreuil.

Nous ne voulons pas quenotre peuple soit gouverné,nous voulons qu’il gouverne

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

Ces assises ne sontqu’un premier pas pour permettre

à toutes celles et tous ceux quiveulent que le changement

advienne, de croiserleurs réflexions. Elles seront

l’occasion de faire grandir des idéesneuves pour une refondation

sociale et démocratiquede la République.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page26

Page 27: La revue du projet n°28

27

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

tiques se succéder à intervalle régulierpour mener une politique sous la pres-sion permanente des marchés finan-ciers. Il faut renforcer le rôle du parle-ment pour qu’il cesse d’être soumis aux

ordres du président de la République eten même temps créer les conditionsd’une large participation citoyenne auxdécisions politiques. Il ne s’agit doncpas de procéder à des ajustements à lamarge, mais de changer profondémentde logique. Nous ne voulons pas quenotre peuple soit gouverné, nous vou-lons qu’il gouverne.

Pendant que le débat prend forme sur laVIe République, le gouvernement avance surl’acte III de la décentralisation. Votre point devue a-t-il évolué sur la question depuis que leprojet de loi a été repris et scindé en trois  ?Non, absolument pas. Ce projet conservesa cohérence. La première partie quivient en discussion introduit des modifi-cations substantielles dans la vie de nosinstitutions. Nous allons mener bataille

pour que l’ensemble du projet soit misen échec et imposer une nouvelleréflexion. Il n’est pas possible de procé-der à des changements si importantssans un large débat. Ce projet est extrê-mement néfaste car son objectif n’estpas de renforcer la démocratie mais derépartir l’austérité sur le territoire touten organisant la compétition libérale. Ils’agit d’une révolution à l’envers puisqueles communes, cellules de base de laRépublique, sont appelées à devenir descoquilles vides. Par ailleurs, l’inégalitéinstaurée entre territoires de laRépublique par ce projet pourrait être unmotif de requête devant le Conseilconstitutionnel. Le résultat du référen-dum en Alsace montre que les citoyens,même s'ils sont critiques, ne sont pasprêts à détruire les cadres démocra-tiques existants. Le gouvernement feraitbien d’entendre ce signal.Nous sommes porteurs d’un tout autremodèle fondé sur le principe de coopé-ration pour donner plus de force auxexigences populaires et répondre auxbesoins. Par exemple, nous ne nionspas l’intensification des interactions surce qu’il est d’usage d’appeler les airesmétropolitaines, mais nous refusons lesreculs démocratiques proposés. Nousvoulons des projets bâtis dans la coopé-ration, au service de la population avecun État qui joue son rôle. Il faut inven-ter des institutions de type nouveau,notamment à cette échelle.

Nous voulons permettre à toutes celleset tous ceux qui critiquent la politiquesur son incapacité à changer concrète-ment leur vie, de faire tomber les obsta-cles, de repartir sur de nouvelles bases.Celles d’une République profondémentrefondée. On ne pourra pas se conten-ter d’élire une Constituante. Il faudrapartout des débats populaires pourfaire de la nouvelle constitution uneconstruction collective du peuple, de lanation.

Les détracteurs de l’idée de VIe République vousaccusent de vouloir revenir à la Républiqued’avant  : la IVe République. De quelle manièrevotre projet se démarque-t-il d’un modèle dupassé  ?D’abord un constat  : la Ve Républiquen’est pas un succès. La IVe Républiquen’est pas notre modèle. La questionqu’il faut poser c’est  : peut-on se satis-faire d’une situation où le peuple ne sesent plus représenté, où sa diversitépolitique est de moins en moins pré-sente dans les assemblées et aux pre-mières responsabilités  ? Pouvons-nousnous satisfaire d’avoir des élus dési-gnés avec 25 % des électeurs ? Le tauxd’abstention est le signe d’une démo-cratie malade. Le présidentialisme àtous les étages est un obstacle à l’exer-cice plein et entier de la démocratie.Pour ressourcer la vie démocratique denotre pays, il faut rompre avec la situa-tion actuelle qui voit deux forces poli- > SUITE

PAGE 28

Ce projet est extrêmement néfaste car

son objectif n’est pas de renforcer la démocratie mais de répartirl’austérité sur le territoire tout en organisant la compétition

libérale.

“”

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page27

Page 28: La revue du projet n°28

Comment imaginez-vous les rapports d’uneVIe République avec l’Union européenne quiapparaît de plus en plus clairement aux peuplescomme un carcan  ?Nos gouvernements ont contribué àforger ce carcan qui impose les poli-tiques libérales et des contraintesensuite utilisées pour expliquer qu’iln’est pas possible de faire autrement. Ilfaut repenser les institutions euro-péennes. Le problème central résidedans le fait qu’elles sont au service desmarchés, de la rentabilité du capital, dela concurrence libre et non-faussée.Nous voulons des coopérations àl’échelle européenne d’un type nou-veau, fondées sur l’objectif de progrèssocial. Il est nécessaire de refonder enEurope les rapports entre peuples sou-verains, avec l’obsession de la démocra-tie et l’objectif du progrès social. Direcela ne signifie pas renvoyer le change-ment aux calendes grecques  : si notrepays parle d’une autre voix, les chosesseront très différentes.

28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

TRAVAIL DE SECTEURS

Quel regard portez-vous sur la publication despatrimoines mais aussi sur les modificationsconstitutionnelles qui seront examinées cet étéà propos du Conseil supérieur de la magistrature,du statut civil du président de la République ouencore de la «  démocratie sociale  »  ?Sur la publication des patrimoines, onest fondé à se poser une question sim-ple  : «  et alors  ?  ». Cela ne change rien.Ce dont on a besoin c’est d’une justicequi fonctionne et de services publicsqui contrôlent. On a beaucoup parlé demoralisation de la vie politique mais, enréalité, la question n’est pas seulementd’ordre éthique, elle touche à la justice,à l’égalité de traitement. L’évasion fis-cale, c’est le moyen par lequel une oli-garchie se place au-dessus des règlescommunes. Y mettre fin suppose desmoyens mais aussi une refonte globalede la fiscalité. C’est une question essen-tielle parce qu’elle est au cœur de lalutte des classes pour déterminer ladestination des richesses produites.Quant aux réformes constitutionnelles,

elles visent dans l’énoncé à poser desbornes à la suite de la façon dont NicolasSarkozy a exercé son mandat, mais sontde portée très limitée et il faudra vérifierdans le détail leur contenu. Nous avonsdes propositions pour le Conseil supérieur

de la magistrature et le Conseil constitu-tionnel. La réforme du dialogue social esten revanche d’une très grande gravitépuisqu’elle prend pour modèle l’accordnational interprofessionnel (ANI) qui bou-leverse la hiérarchie des normes. La forcede la loi et la capacité d’interventionpublique sont donc à nouveau attaquées.

L’évasion fiscale,c’est le moyen par lequel

une oligarchie se place au-dessusdes règles communes. Y mettre fin suppose des moyens mais

aussi une refonte globalede la fiscalité.

“”

SUITE DE LAPAGE 27 >

Le 5 mai dernier, manifestation pour la VIe République,180 000 citoyens prennent la Bastille à Paris.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page28

Page 29: La revue du projet n°28

29

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

BRÈVES DE SECTEUR

Mobilisation citoyenne pour changer d’orientation Le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche(ESR) de la ministre Geneviève Fioraso a été présenté, le22 mai, à l’Assemblée nationale.

Des décennies de politique libérale ont considérablementmis à mal ce secteur, comme les autres services publicsen restreignant les moyens de l’État, en orientant son finan-cement vers des fondations privées, en soumettant larecherche à la recherche de contrats tout en diminuantses crédits récurrents, c'est-à-dire en sacrifiant les condi-tions de son fonctionnement indépendant et créatif. L’accèsdes jeunes vers les formations de l’enseignement supé-rieur est toujours plus difficile, la réussite universitaire estmarquée par les inégalités, sociales et culturelles... Autantdire que le chantier était immense pour une orientationde gauche, transformatrice !

D’autant que la production de connaissances nouvelles,leur diffusion et leur appropriation citoyenne massive,sont absolument décisives pour notre société : la réponseà tous les défis d’aujourd’hui, écologiques, économiques,sociétaux, c'est-à-dire du développement humain, passepar l’existence d’une recherche dynamique et libre, qui sedéploie au plan mondial dans la coopération de tous lespeuples.

Mais la loi proposée est bien en deçà des attentes et desbesoins !

Son projet reste dans la logique de la stratégie de Lisbonne,dont l’objectif de réaliser dans l’Union européenne « l’éco-nomie de la connaissance la plus compétitive du monde» vise à la marchandisation généralisée des connaissances.En faisant du « transfert technologique » la mission ultimedu système universitaire et de recherche publique, il consa-cre une vision d’asservissement de l’activité de rechercheau profit. Conforme à la logique du « pacte de compétiti-vité », il se met également dans la roue du projet de décen-tralisation : la responsabilité de ce secteur pourtant essen-tiel à l’ensemble de la nation risque de se déporter vers lesrégions, voire les métropoles. Rien n’inscrit dans ses dis-positions l’objectif d’une relance énergique de la démo-cratisation de l’ESR, de la hausse significative du niveaude qualification de l’ensemble de la population, ni lesmoyens d’améliorer la réussite des étudiants. L’emploipublic, particulièrement affaibli dans ce secteur gangrenépar la précarité, n’est pas rétabli dans son statut essentiel.Enfin, la gestion démocratique et la collégialité, fortementrestreintes par la loi « LRU », ne connaissent pas le déploie-ment qui serait nécessaire.

Au-delà de la déception, il n’y a décidément qu’une seulevoie pour qu’une tout autre orientation s’impose pourl’ESR : celle de la mobilisation citoyenne !

ANNE MESLIANDENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE

Une nouvellerevue du PCF

ProgressistesSCIENCE, TRAVAIL & ENVIRONNEMENT

Le premier numéro est sorti le 1er juin. Il s'agit d'un trimestriel en édition élec-tronique qui sera envoyé à tous les adhérents du PCF dis-posant d'un courriel, mais également téléchargeable surle site du PCF à tout moment. C'est un outil au service descommunistes sur les thématiques de la science, des tech-niques, du monde du travail, en lien avec les enjeux envi-ronnementaux et sociétaux. Le travail des commissionsdu parti (écologie, énergie, agriculture, enseignement supé-rieur et recherche.) a été très important ces dernièresannées : on retrouve logiquement dans le comité de rédac-tion plusieurs animateurs de ces secteurs. La Revue duprojet en réservant depuis deux ans, une rubrique« sciences » et en consacrant des dossiers sur ces théma-tiques, y a contribué également.

Chaque trimestre, nous traiterons d'un thème spécifiqueà travers un dossier d'une quinzaine de textes. Par exem-ple, pour le premier numéro qui couvre juin-juillet-août :« Industrie et planification écologique ». On trouvera régu-lièrement, indépendamment du dossier, trois rubriques :science et technologie, travail-entreprise-industrie, etenfin, environnement et société. Chacune de ces rubriquessera constituée de plusieurs articles.

Le besoin de réinvestir ces questions, de bien les articu-ler et de sortir des oppositions stériles, sortir des confu-sions aussi, est apparu comme une nécessité lors de lacampagne de 2012, mais aussi pour nourrir la réflexionautour du projet communiste. Au sein du Front de gauche,et à gauche tout court, ces sujets font particulièrementdébat, et nous devons contribuer à ce qu'ils soient portésau plus haut niveau de la réflexion. Une idée directricesera de réhabiliter l'idée de progrès et de la nourrir deréflexions nouvelles, idée de progrès battue en brèche etméprisée ces dernières années à un point où ce mot estplus souvent prononcé par la droite que par la gauche. Ily a nécessité de renouer avec une réflexion sur toutes lesgrandes questions du moment : le développement scien-tifique et technique et sa maîtrise démocratique, le typedu mode de développement que nous voulons, la naturedes besoins mondiaux tant en quantité qu'en qualité, etce, en lien étroit avec la nécessaire préservation de notreenvironnement.

Le comité de rédaction est constitué d'hommes et defemmes issus de diverses disciplines : sciences humaines,sciences exactes, ingénierie. Les contributeurs seront sol-licités aussi bien à l'intérieur du PCF qu’à l'extérieur. Àbientôt sur les pages Progressistes !

AMAR BELLAL, REVUE Progressistes

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:28 Page29

Page 30: La revue du projet n°28

D’ IDÉESCO

MBA

T «Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réaliste,

Par GÉRARD STREIFF

tion, s’il en est une, est de parler, dans lamesure de nos moyens, pour ceux quine peuvent le faire ». Zola, et l’affaireDreyfus, en fut le prototype. Un philo-logue allemand disait qu’en France,« prétendre avoir de l’influence sur la viepublique est inutile, aussi longtemps quel’on ne s’est pas rendu maître du motparlé et écrit ». Bien sûr la chose n’est pasexclusivement française ; voire le Sud-africain Breyten Breytenbach face àl’apartheid ou le Palestinien Edward Saïdcontre l’occupation israélienne.Parler de silence est discutable. Si onprend les dernières présidentielles, l’in-telligentsia s’est manifestée. NicolasTruong, dans Le Monde (5/5/2012), doiten convenir : « Jacques Attali, RaymondAubrac, Élisabeth Badinter, Ulrich Beck,Ernesto Laclau, Françoise Héritier, Jean-Luc Nancy, Michel Wieviorka, AlainTouraine, Philippe Raynaud, EzraSuleiman, Charles Taylor… la liste estlongue des intellectuels qui ont donnéleur point de vue sur ce scrutin attendu.Les écrivains ne sont pas en reste. AnnieErnaux a dénoncé la récupération du1er mai par le candidat de l’UMP. Quantà Yves Simon, Jean d’Ormesson, RenaudCamus, Alexandre Jardin et des adeptesdu roman noir emmenés par JérômeLeroy, ils se sont clairement engagés der-

rière des candidats ». On pourrait ajou-ter Edgar Morin, Régis Debray, MoniquePinçon-Charlot et Michel Pinçon, avecune mention particulière pour le trèsattachant Stéphane Hessel…

L’ÉPUISEMENT DE LA DÉMOCRATIEEn même temps n’y a-t-il pas une partde vérité dans cette histoire de silence ?Le politologue Alain-Gérard Slama, évo-quant les années soixante-dix ou qua-tre-vingt, note : « Si on regardeaujourd’hui les signatures des pétitionsen faveur de Sarkozy ou de Hollande,comme le paysage a changé ! On y relèvepeu de grands noms, peu d’écrivains,romanciers ou essayistes, mais beau-coup de professeurs, d’experts ensciences sociales, et même des écono-mistes. Par comparaison avec les débutsdu règne de François Mitterrand, la com-paraison est cruelle. » Ce fait n’est pas dûà une baisse de niveau de la pensée fran-çaise, les romanciers, créateurs, inven-teurs, nobelisables sont toujours aussinombreux. Il n’est pas dû non plus à unedisparition des enjeux ; au contraire, lesinjustices n’ont jamais été si criantes, lesingérences jamais aussi obscènes, lesbesoins de solidarité et d’égalité jamaisaussi forts. Alors ? Il se dit souvent quela faute en revient au système média-

Le « silence des intellectuels » est un marronnier, un de ces sujets récur-rents qui refont la une régulièrement. Cette expression, ce constat sontgénéralement contestés. Pourtant des commentateurs appuient l'idée, par-lent d'épuisement de l'espace démocratique, de la fin d'un modèle culturelfrançais. État des lieux.

ur Internet, le thème du « silence des intellectuels » renvoie à plusde deux millions d’occurrences.L’expression n’est pas nouvelle, elle datede 1983, elle est de Max Gallo, alors porte-parole du gouvernement de gauche. Maiselle revient volontiers chaque fois que seprofilent de grands enjeux, des conflits,des événements politiques marquants ;on parle par exemple du silence des intel-lectuels à propos des révolutions arabes,de la Syrie ou encore des dernières élec-tions présidentielles. Le couplet est rodé :mais où sont nos Voltaire, nos Zola, oùsont passés les enfants des Lumières, oùsont les Malraux, Sartre, Camus,Foucault, Bourdieu d’aujourd’hui ? Ilexiste une définition franco-française del’intellectuel. En l’occurrence ici, il s’agitmoins de l’individu raisonnant, compre-nant, goûtant aux choses de l’esprit quede gens, comme le disait Jean-Paul Sartre,« qui, ayant acquis quelque notoriété pardes travaux qui relèvent de l’intelligence »sortent de leur domaine pour « se mêlerde ce qui ne les regarde pas ». AlbertCamus ajoutait : « Notre seule justifica-

S

L'intellectuel, le clownet l'expert

30

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page30

Page 31: La revue du projet n°28

n projet réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

tique. C’est ce que pense par exemple lepsychanalyste Roland Gori, de « l’Appeldes appels ». Interrogé par Marianne2,il estime que « le silence ou l’apathie desintellectuels s’explique par l’épuisementde l’espace démocratique dans lequel ladignité de penser a été confisquée d’unepart par la technocratie, avec le pilotagedes chiffres, d’autre part par la gestiondes émotions collectives, avec une pro-pagande spectaculaire envahissante, cequi aboutit à faire apparaître ces rallie-ments aussi pathétiques qu’insigni-fiants ». Comme si, entre les clowns etles « technos », l’intellectuel ne trouvaitplus sa place. C’est en partie juste. Il y aencore autre chose. Tout se passe commesi la mondialisation influençait, et refa-çonnait, le modèle culturel français.Alain-Gérard Slama, déjà cité, et qui estbien payé pour le savoir, écrit : « Depuisla fin des années 1980, la ruine des idéo-logies a détrôné l’intellectuel en le ren-voyant à son ignorance. Le souffle de lamondialisation a achevé de balayer lemodèle littéraire français en portant aupremier rang l’expert-spécialiste dessciences sociales, juriste ou politologue.Notre pays a importé des États-Unis ceslaboratoires de l’expertise collective quesont les fondations. Les seuls intellec-tuels qui aient sauvé une partie de leur

prestige sont les historiens et les philo-sophes mais on ne les perçoit pluscomme des généralistes. On attend d’euxdes consultations » (Le Figaro, 23 mai2012).

Il est vrai que la figure de « l’expert » estmédiatiquement omniprésente. Depuisun quart de siècle, à toutes les étapes del’aiguisement de la crise, l’expert a tou-jours été là, sans que son expertise calmeaussi peu que ce soit la dite crise.L’explication donnée par l’expert est rela-tive, souvent fausse, généralementopportuniste. Ses insuffisances partici-pent en dernière instance du discréditgénéral de la vie publique et du désarroidu politique. Mais surtout, aucun expert

31

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

n’a jamais été en mesure de dire un pro-jet, de donner une ambition, de fixer desrepères. Ce que pouvait, et peut faire l’en-gagement de l’intellectuel, à côté du poli-tique. Lui, il peut intervenir sur l’imagi-naire, mobiliser des énergies, rameuterdes rêves, ce qu’aucun expert-compta-ble jamais ne fera. C’est un peu commesi L’Aurore, en 1898, au lieu d’ouvrir sescolonnes au tonitruant Zola, pour son« J’accuse », avait fait appel à un expertpour nous parler des arcanes singuliersde la haute administration militaire.Gageons que dans ce cas, Dreyfus auraitété irrémédiablement condamné !Rallumer les étoiles, ça passera aussi parle retour des intellectuels dans le débatpublic.. n

L'écrivain haïtien réside au Québec ;il s'exprime ici dans « La Presse »(extraits).Celui qui ne prête allégeance ni auprince, ni même au peuple, c'est l'in-tellectuel. Quand tout va bien, l'intel-lectuel devient sujet de moquerie. Maisquand la barque se trouve prise enpleine tempête, c'est vers lui que tousles regards se tournent avec un seulcri : « Mais où sont passés nos intel-lectuels ? » […] L'intellectuel diffère dujournaliste en allant plus loin que leconstat. Le journaliste est un sismo-graphe qui fournit des éléments pré-cieux à l'intellectuel. Celui-ci réfléchit,consulte les livres d'histoire, regardeautour de lui, écoute la rumeur de lacité pour finalement sonner le tocsin,s'il y a lieu. Quitte à déplaire parfois,ou à mettre en danger son confort per-sonnel, l'intellectuel doit aussi interve-nir à contre-courant, sans se croireobligé de le faire contre toute logique.J'ose le dire : la première qualité d'unintellectuel c'est le courage. Et c'est cequi manque le plus souvent de nosjours. Le courage intellectuel, c'est celuide faire face à un problème en l'ana-

lysant sous tous les angles possibles,sans chercher à l'édulcorer au momentde l'écriture. L'intellectuel doit avoiraussi le courage physique de se mouil-ler, même quand une situation ne sem-ble pas, à première vue, le concerner.Or que remarquons-nous ces jours-ciface à nos problèmes de société ? Nosintellectuels brillent par leur absence.[…] La classe intellectuelle s'est cou-chée dernièrement. Elle s'est couchéedevant Bush, en ne protestant pas assezfort lors du « Patriote Act» qui a faitreculer une démocratie qui faisait déjàl'objet de grande suspicion. […] Elles'est couchée au Québec devant cettemontée de la droite qui, comme d'au-tres ailleurs, sait exciter le peuple avecla menace de l'immigration. […] Si l'in-tellectuel ne doit faire taire personne,il doit tenter d'éviter que le débat netourne en un lynchage social. C'est enouvrant les fenêtres pour aérer la mai-son que l'intellectuel devient d'utilitépublique. Qu'il devient cet empêcheurde penser en rond si nécessaire dansune démocratie. Qu'il devient enfin unvéritable intellectuel. (2007)

DANY LAFERRIÈRE CONDAMNELE SILENCE DES INTELLECTUELS.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page31

Page 32: La revue du projet n°28

MOUVEMENT RÉEL

PAR ISABELLE GARO*

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelonscommunisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellementexistantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

32

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

e plus simple est de commen-cer par une remarque aussi évidente quedéroutante  : en dépit des théoriesmarxistes de l’art qui ont cherché leurssources dans son œuvre, ce qui n’est enrien illégitime, il faut reconnaître qu’unetelle esthétique marxienne est introuva-ble. Il n’en demeure pas moins que laquestion de l’art apparaît régulièrement,tout au long de son œuvre et en despoints cruciaux de l’analyse. Elle méritedonc qu’on s’y arrête.

LA CRÉATION ARTISTIQUE, UNE ACTIVITÉSOCIALE AVANT TOUT Parallèlement aux nombreuses citationsde poèmes, de tragédies et de romans,et aux remarques littéraires qui parsè-ment l’œuvre et la correspondance deMarx, on peut affirmer que c’est avanttout comme activité sociale que la créa-tion artistique se trouve abordée et sys-tématiquement reliée à deux autres ques-tions : celle du travail en mode capitalistede production et celle du développementnon aliéné des facultés individuelles, unefois que sera dépassé et aboli ce mêmecapitalisme.En effet, Marx esquisse la perspectived’une émancipation humaine, dont l’ac-tivité artistique offre, en contrepoint eten complément de la lutte sociale et poli-tique, une préfiguration concrète. Et cela,alors même que cette activité demeurenécessairement marginale, latérale par

rapport à la question de l’organisationde la production. Mais si la perspectivecommuniste ne vise nullement à faire dutravailleur un artiste, il s’agit bien de réor-ganiser socialement la production enfonction non seulement des besoinssociaux mais aussi des aspirations du tra-vailleur lui-même en tant qu’individu,aspirations auxquelles s’alimentent defaçon essentielle les luttes sociales etpolitiques, et cela au sein même du capi-talisme.C’est sur ce point que l’approchemarxienne de l’art, en dépit de son carac-tère épisodique et incomplet, s’avère àla fois la plus féconde et la moins explo-rée, associant l’analyse d’une activitésociale d’un genre particulier à une cri-tique globale et concrète de l’exploita-tion et de l’aliénation. Et si l’on suit, toutau long de l’œuvre marxienne, la genèsede cette réflexion inachevée et non thé-matisée comme telle, il est possible demettre en évidence le statut probléma-tique – plus encore que dialectique – del’activité artistique chez Marx.Ce statut tient à la double nécessité depenser l’activité artistique, d’une part,comme la possibilité véritable, mais excep-tionnelle et isolée, d’une activité humainelibérée de l’aliénation et, d’autre part,comme activité socialement déterminéepar les formations historiques où elleprend place, formations caractériséespar les rapports de domination et d’ex-ploitation qui culminent dans le mode deproduction capitaliste.Comme toujours chez Marx, cette ana-lyse s’effectue en plusieurs temps, sansrupture, mais au rythme des étapes quiscandent l’œuvre tout entière. À la suited’une première recherche sur l’art chré-tien, qui prend la forme d’une critiquevirulente de l’art prussien officiel, le jeune

Marx réoriente sa réflexion sur l’art enmême temps qu’il redéfinit son projetd’ensemble.À partir du début de l’année 1843, alorsque Marx rompt définitivement avecArnold Ruge et avec les Jeunes Hégéliens,Marx s’intéresse d’emblée et avant toutà la dimension sociale de l’activité artis-tique : il y lit l’expression de la réalité his-torique contradictoire qui en est contem-poraine. On trouve longtemps trace decette réflexion philosophique et esthé-tique de Marx, dans les Manuscrits de1844 bien sûr, mais également dansl’Introduction de 1857, qui explique pardes facteurs historiques et non par descauses strictement esthétiques, la séduc-tion persistante qu’exerce l’art grec surles hommes du XIXe siècle.Avant ce texte, dans l’Idéologie allemande,l’art ne jouit plus du caractère exception-nel propre à une activité qui serait inté-gralement émancipatrice  : resitué dansle cadre de la division du travail, il cessed’être un modèle de libération pour deve-nir plus modestement l’un des objets del’explication historique que Marx s’efforcede construire. Il l’inclut alors dans lasphère d’une idéologie dépourvue de l’au-tonomie absolue que lui prêtent les jeunesHégéliens  : «  Il n’y a pas d’histoire de lapolitique, du droit, de la science, etc., del’art, de la religion, etc.  ». C’est là ren-voyer dos à dos l’esthétique idéaliste etsa critique matérialiste, en rejetant lecloisonnement d’une l’histoire de l’artséparée de l’histoire sociale.

L’ART REPLACÉ DANS LE CONTEXTEÉCONOMIQUE ET SOCIALSi le thème de l’art devient alors secon-daire, c’est parce que, au même titre quetoute activité, il doit pour Marx êtrereplacé dans le contexte économique et

*ISABELLE GARO est philosophe. Elle estprofesseur au lycée Chaptal.

Marx, théoricien de l’art ?

L

La question portant sur les rapports de Marx à l’art est complexe, multiple.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page32

Page 33: La revue du projet n°28

33

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

social qui est le sien et relié à une pers-pective révolutionnaire et émancipatrice,dont les artistes ne sont ni les premiersacteurs ni les principaux porteurs, du faitmême de la relative protection dont ilsjouissent face aux dégâts humains pro-duits par l’organisation capitaliste de laproduction. Mais ils s’y insèrent pourtant.C’est bien en ce point que cristallise cequ’on peut nommer le paradoxe de l’es-thétique marxienne. Quelques lignesaprès avoir souligné le caractère collec-tif du travail d’un peintre renommécomme Horace Vernet, la coopérationqui préside à la production de vaudevilleset de romans ainsi qu’à l’observationastronomique, Marx dénonce dansl’Idéologie allemande « la concentrationexclusive du talent artistique chezquelques individualités, et corrélative-ment son étouffement dans la grandemasse des gens ».Deux thèmes en relative tension réci-proque se superposent alors. Le travailartistique est, comme tout autre, dépen-dant de l’organisation d’ensemble de laproduction. À ce titre, il ne jouit d’aucunprivilège. Mais dans le même temps, Marxfait bien de l’artiste une exception : il estl’un des rares hommes à développer sonpouvoir créatif, et la critique porte alors

seulement sur le caractère spécialisé etpar suite étroit de ce talent, qui neconcerne qu’une partie des facultéshumaines et, surtout, qu’une fraction del’humanité.Pourtant les deux arguments ne sont nul-lement du même ordre : d’un côté, le pein-tre est un travailleur comme un autre, del’autre, il est au moins l’esquisse de l’in-dividu complet, dont la figure apparaîtdès cette œuvre  : «  Dans une sociétécommuniste, il n’y aura plus de peintres,mais tout au plus des gens qui, entre

autres choses, feront de la peinture  ».Marx ne saurait mieux exprimer le carac-tère contradictoire d’une pratique socialequi subit l’aliénation tout en frayant lesvoies de son abolition. L’art semble êtreà la fois déterminé et autonome, aliénéet libérateur, écho des contradictions duréel et ferment révolutionnaire de leurdépassement. Il est clair que la question,telle qu’elle se trouve formulée ici, appellesa reprise.C’est au cours d’un troisième temps queMarx s’efforcera de concilier cette dou-ble intuition de l’art comme activitésociale déterminée et comme épanouis-sement exceptionnel de quelques indivi-dus préfigurant la société future. La liai-son entre art et travail se resserre, sansdevenir pour autant une identification  :au contraire, la mise en tension des deuxcomposantes de l’activité artistique sem-ble inciter Marx à mieux définir ce quepourrait être la suppression de l’aliéna-tion et de l’exploitation.À partir de 1857, Marx peut combiner auxdéveloppements de la critique de l’éco-nomie politique les acquis d’une notiond’idéologie élaborée en 1845, qui à la foisconnecte les éléments superstructurelsà la base à laquelle ils demeurent liés, etles en distingue. Il peut dorénavant insis-ter sur la totalité différenciée que consti-tue l’ensemble de toutes les activitéshumaines au sein d’une formation éco-nomique et sociale donnée.Il ne s’agit pas pour Marx de promouvoirun modèle esthétique quel qu’il soit, maisde penser l’activité artistique comme for-matrice de l’individu humain lui-même, aumême titre que le travail, tout en mainte-nant son caractère déterminé. L’analyseest complexe car elle doit inclure la spéci-ficité d’œuvres qui ont un effet sur leursspectateurs en tant qu’êtres sensibles aptes

à accéder au sentiment élaboré du beau.Il est alors possible d’affirmer conjointe-ment l’exceptionnalité de l’artiste, et larelative exterritorialité sociale de l’acti-vité artistique, tout en maintenant l’idéed’une cohésion essentielle de toute for-mation économique et sociale. L’artisteanticipe simplement sur des possibilitésde développement, individuel et collec-tif, qui existent à l’état virtuel et préfigu-rent le dépassement possible et néces-saire des contradictions à l’œuvre dansle présent.L’art, comme le travail, transforme lemonde extérieur et élabore la matièreselon des procédés techniques qui évo-luent au cours du temps. Mais à la diffé-rence de la production, le développementtechnique n’y est pas piloté par l’exigenced’une productivité croissante et de l’éco-nomie du temps de travail, pas plus quepar la tendance à l’intensification et à lamécanisation des tâches. Même si, dansle capitalisme, l’œuvre aussi est une mar-chandise.Ainsi, la question de l’art semble-t-elleainsi constituer un passage à la limite quipermet à Marx à la fois de tester et d’en-raciner concrètement la perspective d’uneémancipation du travail et du travailleursans verser dans l’utopie. Considéréesous cet angle, la question de l’art, pourdemeurer discrète, n’est nullement secon-daire, si l’on s’avise qu’elle permet à Marxde corroborer sa définition du commu-nisme sous l’angle du «  libre développe-ment de chacun » comme « condition dulibre développement de tous », et l’affir-mation que «  l’histoire sociale deshommes n’est jamais que l’histoire deleur développement individuel  ». n

*Isabelle Garo est philosophe. Elle est profes-seur au lycée Chaptal.

Il ne s’agit pas pour Marx de promouvoir

un modèle esthétique quel qu’ilsoit, mais de penser l’activitéartistique comme formatrice

de l’individu humain lui-même, aumême titre que le travail, tout en maintenant son caractère

déterminé.

Frédo©

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page33

Page 34: La revue du projet n°28

34

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

Écriture de l’histoire et collaborationhistoriographiques de la « réhabilitaLe public, confronté aux « révélations » médiatiques de l’histoire, voit en celle-cile fruit de découvertes indépendantes. Sa fabrication doit au contraire beaucoupà l’influence, renforcée par la longue crise en cours, des maîtres de l’économie.

epuis plusieurs décennies, legrand capital, auto-baptisé « entreprise »(terme largement agréé vu la neutralisa-tion du courant marxiste), a développé une« communication » enjolivant son rôle dansla société et l’histoire françaises.

HISTOIRE ÉCONOMIQUE, « ENTREPRISE »ET COLLABORATIONIl a exercé une tutelle croissante sur l’his-toire économique, par le double truche-ment de l’Union européenne et d’institu-tions à visées officiellement historiques,créées par de grands groupes privés etpublics (Banque de France, SNCF, RATP,haute banque, etc.). Les financements yafférant de projets de recherche et de col-loques ont pesé d’autant plus lourd que lescrédits publics s’étiolaient. Le respect desélites de l’argent a grandi consécutivement,sur fond de « droitisation » générale, nonspécifique à la discipline. Ainsi s’est effri-tée la conviction, largement partagée – his-toriographie comprise – entre la Libérationet les années 1980, de la responsabilitécruciale du grand patronat dans la «  col-laboration » franco-allemande.Le programme du Conseil national de laRésistance (15  mars 1944) en avait fait lefondement officiel des « Mesures à appli-quer dès la Libération du territoire » pouraffaiblir l’emprise mortifère des milieuxfinanciers sur le pays. Sauf exception – la

de la Commission nationale interprofes-sionnelle d’épuration (CNIE) des Archivesnationales, correspondance d’après-Libération comprenant copies de courriersde 1940-1944) que pour les bénéficiaires,les seuls communicants de la session.Il fallut encore plus de dix ans pour amé-liorer l’accessibilité du trésor. En 1994, l’ou-vrage de Sonia Combe, Archives interdites,fustigeant les privilèges d’accès aux sourcesoctroyés aux historiens «  raisonnables  »,souleva une vive controverse. Le scandalemédiatique accéléra à l’évidence la sortiedu long Guide des sources conservées enFrance 1939-1945 des Archives nationales(1995).Publication de «  guide  » ne valait certespas dérogation générale, mais les chosess’orientèrent favorablement avec la circu-laire Jospin du 2 octobre 1997 : elle assou-plissait, pour la période 1939-1945, l’appli-cation de la loi générale sur les archivesde 1979, dont la prescription trentenaire,apparemment généreuse, n’avait été obser-vée que très irrégulièrement, et de moinsen moins au fil des ans.

DE L’ACCÈS DES ARCHIVES À LEUR (NON)USAGE CONGRU. - L’ère des grands «  témoins »Alors que la route escarpée des archivess’aplanissait, se maintinrent des obsta-cles ou s’en dressèrent de nouveaux,presque aussi funestes à la rechercheindépendante que l’absence de sources.Quand le dépouillement des fonds publics(les privés restant hors de portée de l’his-toriographie indépendante) put enfincommencer, le grand patronat étaitdevenu tabou.Y avait œuvré la promotion, dans lesannées 1970, des grands « témoins » priés

PAR ANNIE LACROIX-RIZ*

HISTOIRE

Dfort complaisante Histoire de l’épurationdu « monde des affaires » de l’ancien fas-ciste et instrument patronal (caractéris-tiques alors ignorées) Robert Aron, en 1954– l’imputation de la collaboration aux puis-sances d’argent n’était guère contestée.La famille Wendel dut d’ailleurs alors renon-cer à faire célébrer les «  250 ans de l’en-treprise » et le défunt François par des uni-versitaires pourtant chèrement embauchésà cet effet. Comme l’a montré DenisWoronoff dans sa biographie du chef de ladynastie, les scrupules des intéressés lacontraignirent à recourir aux services, moinsgratifiants, du moderniste vulgarisateurPierre Gaxotte, fasciste et collaboration-niste notoire dont les œuvres nourrissaientles fiches des Renseignements générauxdepuis l’entre-deux-guerres.Les historiens non mandatés par « le mondedes affaires » ne pouvaient encore traiterdu grand patronat sous l’Occupation : l’inac-cessibilité des sources, de l’État et desfirmes (qui avaient détruit, parfois via l’in-cendie, leur correspondance ou en avaientinterdit l’accès), empêchait toute étudesérieuse de l’économie d’occupation.

LES ARCHIVES D’OCCUPATION, DU BOUCLAGE À L’OUVERTURECe verrouillage dura : Robert Paxton, auquelles Archives nationales avaient au tour-nant des années 1960 refusé tout accèsaux fonds, rédigea sa France de Vichy (tra-duite en 1973), centrée sur la collaborationde «  l’État français  », grâce aux archivesallemandes d’occupation saisies parWashington. Les sources françaises s’en-trouvrirent en 1983 pour un colloque surles nationalisations de Libération (1984),sur dérogation individuelle  : la sélectionfut stricte, tant pour les fonds (la série F12

*ANNIE LACROIX-RIZ est historienne. Elleest professeur émérite d’histoirecontemporaine à l’université Paris Diderot.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page34

Page 35: La revue du projet n°28

35

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

par les historiens d’exposer, sans êtreconfrontés aux sources, comment ilsavaient géré l’économie française entreCrise et Occupation. C’est alors que com-mença à s’imposer en auxiliaire obligédes historiens François Lehideux, neveude Louis Renault et directeur général dela Société anonyme des Usines Renault(SAUR) dans la décennie 1930, «  chefd’entreprise asocial  » selon «  sesemployés et fonctionnaires » - avis d’unconnaisseur, le grand nazi Otto Abetz,« pourrisseur », de 1933 à 1939, des élitesculturelles et de presse française et com-mensale des « gens très bien » (expres-sion suggestive transformée parAlexandre Jardin en titre d’essai), nomméen juin  1940 «  ambassadeur  » du Reichvainqueur.Le chef d’une guerre de classe impitoya-ble se mua depuis 1970 en bienfaiteur etexpert social et économique de la Sociétéanonyme des usines Renault (SAUR) dutemps de crise dans l’Histoire des UsinesRenault d’avant-guerre de PatrickFridenson. Le grand synarque Lehideux,champion de la « pré-collaboration » avecle Reich, antisémitisme inclus, et du com-plot contre la République – absents deson « témoignage » d’avant-guerre – avaitdominé la collaboration  : notammentcomme «  directeur responsable  » duComité d’organisation de l’automobile(octobre  1940-août 1944) et ministre dela production industrielle de février 1941à avril  1942.Il n’en devint pas moins jusqu’à sa mort(1998) l’expert en chef de l’histoire éco-nomique de Vichy : héraut de « l’histoireorale  » des chefs d’entreprise en voguedepuis les années 1990, il clama qu’il avait,comme ses pairs, toujours défendu l’in-térêt national en bernant ces crétinsd’Allemands. Lehideux, muni de l’onctionscientifique de ses correspondants, telEmmanuel Chadeau, qui en fit en 1998le guide moral de son oncle Louis Renaultmoins vigilant, devint le personnage clé

de la «  réhabilitation  » de la phase sui-vante.- Tous collaborateurs, sauf le grandpatronatL’historiographie dominante française oscil-lait depuis l’ouverture des sources entredeux options convergentes  : elle niait leconcept de collaboration et, quand elle l’ad-mettait, désignait d’autres protagonistesque le haut patronat.Elle reprit à son compte le terme d’« accom-modement » avec l’occupant - plus distin-gué que le gros mot de « collaboration » -appliqué en 1995 à presque toute La Franceà l’heure allemande 1940-1944 par l’histo-rien suisse Philippe Burrin. Elle s’employadès 1992, avec Dominique Barjot, HenryRousso et Michel Margairaz, à initier des«  approches nouvelles  » permettant de«  dépass[er] la dialectique traditionnellede “collaboration ou résistance” », via unnuméro spécial de la revue Histoire, éco-nomie et société consacré aux entreprisesfrançaises pendant la Seconde Guerre mon-diale (no 3). Puis, frappant plus fort contreles attardés, elle prescrivit avec Jean-ClaudeDaumas et l’équipe de l’ouvrage L’Occu -pation, l’État français et les entreprises(2000) «  l’effort pour historiciser lesconcepts […,] absolument indispensable » :il fallait abandonner «  la notion de colla-boration  » et cesser d’«  épouser les taxi-nomies d’époque  » en s’accrochant auxconcepts non scientifiques de 1944-1945.Le XXIe siècle s’ouvrit sur la création d’un« groupement de recherche » du CNRS sur«  les entreprises sous l’Occupation  ».Mandaté en 2002 par tous ses aînés fran-çais susmentionnés, son directeur HervéJoly sollicita la « confiance des entrepriseséventuellement réticentes, par crainte d’uneutilisation polémique, à ouvrir leurs archivesaux historiens » : elles n’avaient rien à crain-dre des universitaires à « label scientifique »rebelles à toute «  polémique ». Leur réti-cence n’a pas été surmontée.Quand le terme de « collaboration » étaittoléré, le grand capital, certifié gestion-

naire et/ou patriote, était évacué du champde vision. Journalistes économiques(Renaud de Rochebrune et Jean-ClaudeHazera, en 1995) et historiens avaienttrouvé d’autres coupables  :1- l’État français, accablé en 1992 par HenryRousso et Michel Margairaz dans une revuedéjà citée  : Vichy avait voulu «  intégrer lacollaboration économique en grande par-tie forcée des entreprises, des branches etdes secteurs dans le cadre d’une politiqued’ensemble, la collaboration économiqueet financière d’État, […pour en] contrôlerle processus, limiter éventuellement lespertes et en tirer un profit politique  »(« Vichy, la guerre et les entreprises »)  ;2- les petits «  forbans et soutiers », ciblede Philippe Burrin et des travaux suivants :à leur « recherche effrénée du profit » s’op-posait la pure «  logique de gestion  » ducapital concentré. On découvrit même, ense passant des sources originales 1940-1944, des grands «  patrons résistants  »,tels les Peugeot  : leur historien attitré,Jean-Louis Loubet, opposa longtemps(jusqu’en 2011) ce modèle à la «  brebisgaleuse » Louis Renault.Complétée par l’interdit, archivistique, main-tenu jusqu’en 1999, et historiographique,définitif, jeté sur les rapports entre grandcapital et Reich avant - 1940, la conjonc-ture se prêtait aux grandes offensives. Troisans après que Denis Kessler, vice-présidentdu MEDEF, eut sonné l’hallali du « modèlesocial français [...] pur produit du Conseilnational de la Résistance », et enjoint l’Étatd’en «  défaire méthodiquement le pro-gramme » pour « raccroch[er] notre paysau monde ! » (Challenges, 4 octobre 2007),fut tentée une « réhabilitation » désormaissans péril. Préparée de longue date par lespetits-enfants de Louis Renault, celle deleur cher « grand-père » fut lancée le 8 jan-vier 2011 par Le Monde, via le long dossierde deux journalistes, dont un agrégé d’his-toire, Thomas Wieder (Le Monde Magazine,«  Renault. La justice révise les annéesnoires »). n

oration : les voieshabilitation » du grand patronat

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page35

Page 36: La revue du projet n°28

PRODUCTION DE TERRITOIRES

Par WILLIAM BERTHOMIÈRE*

État d’Israël vient de célébrerle 65e anniversaire de sa création et lasituation géopolitique demeure peut-êtreplus complexe qu’elle ne l’a été au coursde ces dix dernières années. D’un pointde vue général, tout semble figé puisqu’au-cune avancée n’a été réalisée sur le plandes négociations de paix entre l’Autoritépalestinienne et le gouvernement israé-lien  ; le premier mandat du présidentObama n’ayant permis aucune relancevéritable des discussions entre MahmoudAbbas et Benyamin Nétanyahou. Chaqueannonce d’une reprise de dialogue entreles deux parties voit revenir la questiond’un gel des constructions dans les colo-nies de Cisjordanie et l’annonce conco-mitante d’un accord de l’administrationmilitaire pour le développement de nou-velles constructions comme ce fut le castrès récemment pour la colonie de BeitEl, située à proximité de Ramallah. Àl’échelle régionale, l’instabilité des régimesen place et la guerre en Syrie viennentcompliquer la situation. Si l’inquiétude devoir un embrassement de la région reste

Nouvelles dynamiquessociodémographiquesen Israël

*WILLIAM BERTHOMIÈRE est géographe. Ilest directeur de recherche au CNRS.

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme àson milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination,urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

de l’ordre d’une probabilité faible, chaquejour écoulé connaît un événement quivient ajouter à un renforcement du niveaude tension  : implication des forces israé-liennes dans des opérations de bombar-dements sur Damas, manifestation anti-israélienne au Caire, renouveau detensions dans les relations entre la Turquieet Israël…«  L’urgence de la paix  » pour reprendreune formule souvent utilisée dans lesannées 2000 pour définir la situation géo-politique résonne aujourd’hui avec d’au-tant plus de force que la population pales-tinienne n’a vu qu’un renforcement desdifficultés de ses conditions de vie, que lenombre de réfugiés syriens ne cesse decroître au point de déborder les capacitésd’action de la Jordanie et que la popula-tion israélienne, même si elle vit dans desconditions qui n’ont bien sûr rien de com-parable à celles des Palestiniens et bienplus encore des populations prises dansle conflit syrien, est dans l’incapacité dese projeter – comme les populations voi-sines – dans l’idée d’un avenir plus stable.

LA SITUATION SOCIODÉMOGRAPHIQUED’ISRAËL À cette lecture rapide de la situation géo-politique moyen-orientale, il convient pour-tant de signaler, qu’à l’échelle de la sociétéisraélienne, la situation actuelle n’a riende comparable avec celle des années 2000.Trop souvent laissée dans l’ombre de l’ac-tualité des tensions régionales, la lecture

des évolutions qu’a pu connaître la situa-tion sociodémographique d’Israël nousinforme sur les nouveaux contours sociauxde cette société  ; et dont les caractéris-tiques ne sont pas sans conséquences surl’avenir possible de la région.Depuis ses fondements, le processus deconstruction nationale israélien a placé aucentre de sa dynamique la question démo-graphique et plus précisément son rapportà l’immigration juive. La démographie israé-lienne a depuis connu des changementsprofonds et a vu se modifier très sensible-ment ses caractéristiques (cf. tableau 1). Sil’année 2013 est celle qui voit la populationdu pays dépasser les huit millions et ainsifaire d’Israël le premier État d’établisse-ment de la communauté juive mondialedevant les États-Unis et la France (respec-tivement 6 millions, 5,5 millions et 500 000personnes selon les estimations), cetteannée est aussi celle qui voit se confirmerla stabilisation de l’immigration juive (appe-lée aliyah en Israël) autour de 16  000entrées par an. Ce niveau d’immigrationjuive fait donc de la croissance naturellela principale source de croissance de cettepopulation (1,8 % en 2012) et vient confir-mer le fait que le processus de construc-tion nationale franchit une nouvelle étape.Nul n’est en mesure de connaître ce quesera le futur de l’aliyah au sein de la com-munauté juive mondiale mais la stabilitéde son niveau sur les cinq dernières annéesalors que près de la moitié de ces immi-grants est originaire de l’ex-Union sovié-

36

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

Quelle sera l’influence sur la société israélienne de la seconde génération d’en-fants de migrants et de réfugiés ?

L’

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page36

Page 37: La revue du projet n°28

tique (qui avait alimenté la dernière grandevague migratoire au cours des années post-1989) laisse se dégager l’idée de la fin dela singularité de son régime démogra-phique. Ce constat, qui prend égalementappui sur un rétrécissement notable desécarts entre dynamique de croissance despopulations juive et musulmane, est d’au-tant plus fortement ressenti qu’au tour-nant des années quatre-vingt-dix, Israëls’est trouvé inscrit dans le processus demondialisation migratoire. Comme son voi-sin libanais, Israël connaît le développe-ment de nouvelles migrations internatio-nales qui s’inscrivent dans lesrecompositions sociales que connaissentces pays. En Israël, l’inscription dans lesréseaux migratoires internationaux s’estfaite sur la base d’une double dynamiqueimpulsée à la fois par la nécessité de rem-placer la main-d’œuvre palestinienne, quin’était plus autorisée à accéder à ses postesd’emplois suite à la fermeture des Territoiresoccupés, et par les contrecoups de la miseen place de la «  forteresseEurope », qui a eu pour effetde repousser de plus en plusde migrants venant de paysdu Sud en Méditerranéeorientale. À cette populationde travailleurs étrangers, esti-mée à plus de 150 000 per-sonnes originaires du mondeentier (cf. tableau 2), est venus’ajouter un flux de deman-deurs d’asile essentiellementcomposé de populations sou-danaises et érythréennes.Ces nouvelles migrations ontfait l’objet de nombreuxdébats qui, jusqu’aux événe-ments de mai 2012, n’avaientpas donné lieu à de vérita-

bles actes xénophobes en Israël. La sociétécivile israélienne et notamment différentesassociations comme Kav LaOved, Hotlinefor migrants workers ou bien encore lamunicipalité de Tel Aviv, ont œuvré à laprotection des droits de ces migrants. Enl’absence de la définition d’une véritablepolitique migratoire israélienne, ces popu-lations sont toutefois soumises à des formesd’exploitation et au non-respect de leursdroits comme a pu en témoigner le récentrenvoi de mille réfugiés soudanais vers leurpays d’origine à l’insu du Haut commissa-riat des Nations unies pour les réfugiés(HCR). Il n’en demeure pas moins que cesnouvelles migrations ont pu constituer l’es-pace d’un débat démocratique qui parti-cipe à la recomposition des contours de lasociété israélienne. L’émergence d’uneseconde génération d’enfants de migrantset de réfugiés en Israël a donné lieu à dif-férentes mobilisations qui ont conduit legouvernement à une opération de régula-risation et à envisager l’ouverture de la

citoyenneté israélienne à ces enfants. Auquotidien, les quartiers au sud de Tel Aviv,qui accueillent majoritairement cesmigrants, composent de nouveaux espacesd’hospitalité réciproque  : celle offerte àune population de migrants internationauxpar des citadins et celle offerte par unmonde de migrants « mondialisés » à descitadins en quête d’ailleurs.

LES « PETITS ÉVÉNEMENTS » DU QUOTIDIENEn tant qu’observateur, depuis plus d’unevingtaine d’années, de la géographie desmigrations internationales en Israël et deses effets sociodémographiques, il convientd’insister également sur ces « petits évé-nements » du quotidien car ils participentdu futur d’Israël. Même si les jeunes géné-rations israéliennes comme celles desautres États de la région peuvent appa-raître comme marchant dans les pasde  modèles  occidentaux de société deconsommation, il n’en demeure pas moinsvrai qu’elles placent aussi au cœur de leurquotidien des formes de mobilisation quiaffirment leur volonté d’autonomie dansleurs choix de société, dans leur souhaitde participer à une redéfinition des rap-ports à l’État, à la religion… À Tel Avivcomme à Beyrouth, les jeunes générationspartagent de mêmes objectifs comme celuide la possibilité d’un mariage civil, sanspour autant s’affirmer contre une appar-tenance religieuse. La récente reconnais-sance au Liban d’un premier mariage civilet les débats qu’a pu susciter la présencedes migrants étrangers autour de cettequestion renforcent ces dynamiques au

sein des jeunes générations. Il nes’agit pas ici de faire de cet exemplel’élément qui témoigne d’une conver-gence des attentes de ces jeunesgénérations, qui permettraient dedépasser les tensions régionales, maisil convient de laisser toute sa placeà la connaissance de ces dynamiquessociales au sein d’États qui voients’opposer leurs enjeux diplomatiquesmais converger, au prisme de la mon-dialisation, des formes de vie quoti-dienne qui puisent également leurssources dans la rencontre de nou-velles populations comme lesmigrants internationaux qui s’inscri-vent dans la vie locale des grandesvilles de la région. n

37

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

TABLEAU 2 - PRINCIPAUX PAYS D'ORIGINE DES PERSONNESAYANT REÇU UN PERMIS DE TRAVAIL EN 2011

Source : Central Bureau of Statistics

THAÏLANDE 9,8 95

Nombre de permisde travail

Proportiond'hommes (%)

EX-URSS 5,8 7

PHILIPPINES 5,4 13

INDE 3,0 38

NÉPAL 1,8 15

SRI LANKA 1,8 20

CHINE 1,3 96

ROUMANIE 0,9 32

TOTAL 32,7 49

TABLEAU 1 - CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE ET PART DE L'IMMIGRATION

Source : Central Bureau of Statistics

1948-1960 805 000 8,2

Population totalePÉRIODE Croissance annuelle(%)

1961-1971 2 150 400 3,2

1972-1982 3 115 600 2,4

1983-1989 4 033 700 1,8

1990-1995 4 559 600 3,5

1996-2000 5 612 300 2,6

2001-2008 6 369 300 1,8

2009-2011 7 419 100 1,8

64,6

Part de l'immigrationdans la croissance

37,7

19,6

5,9

56

39,1

14,7

11,7

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page37

Page 38: La revue du projet n°28

38

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

*SACHA ESCAMEZ est biologiste. Il estdoctorant en biologie moléculaire et cellulairedes plantes à l'Université d'Umeå (Suède)

COMPRENDRE LA VIELa biologie, cette science qui étudie lavie, n’a cessé de croître en influencedepuis le XIXe siècle. L’explosion de sonessor provient de la combinaison desprogrès conceptuels – tels que la théoriede l’évolution de Charles Darwin – et desprogrès techniques comme le perfec-tionnement des microscopes. Ces der-niers permirent par exemple l’observa-tion des cellules, qui sont l’unité duvivant. En effet, tout ce qui vit, tout orga-nisme est constitué d’une ou plusieurscellules. Certaines formes de vie sontunicellulaires, telles les levures, les bac-téries ou certaines algues, auquel caschaque cellule est un organisme vivantindépendant. D’autres organismes, dontla plupart des plantes terrestres et desanimaux, sont pluricellulaires. Chez lesorganismes pluricellulaires, les cellulesforment différents tissus et organes quiremplissent différents rôles au sein del’organisme. Ainsi, chez l’être humainpar exemple, il est clair qu’une cellule defoie et une cellule de peau sont diffé-rentes. Pourtant, toutes deux, de mêmeque toutes les autres cellules de l’orga-nisme, proviennent d’une seule et même

cellule née de la fécondation. Commentalors expliquer qu’une cellule uniquepuisse engendrer tant de cellules si diffé-rentes ? Pour la biologie contemporaine,c’est grâce à l’épigénétique.

UN XXe SIÈCLE GÉNÉTIQUESi la biologie contemporaine nous parled’épigénétique, il est nécessaire de rap-peler que dans le passé elle n’a parfoisjuré que par la génétique. Durant laseconde moitié du XIXe siècle, GregorMendel démontra que certaines caracté-ristiques des êtres vivants (dans son cas,la couleur ou la forme des petits pois)sont transmises à leurs descendants  : ilexiste donc une forme d’information quipermet à un organisme de mettre enplace des caractères particuliers et cetteinformation se transmet de façon héré-ditaire. Par la suite, les biologistesdécouvrirent que le support de l’infor-mation héréditaire se trouvait dans lenoyau des cellules qu’ils observaient. Eneffet, à l’exception des bactéries, les cel-lules des êtres vivants sont organiséesen compartiments. Ceux-ci sont, pourune cellule, ce que les organes sont à unorganisme  ; l’un de ces compartiments,de taille importante et entouré d’uneépaisse enveloppe, est appelé le noyau.Le noyau des cellules renferme les chro-mosomes. Or, au début du XXe siècle, desétudes démontrèrent que ce sont ces

chromosomes qui sont le support phy-sique de l’information héréditaire. Grâceà cette démonstration qu’il existe uneinformation héréditaire dont le supportphysique est identifié, une nouvellescience fut créée pour étudier les lois quirégissent la transmission héréditaire descaractères. Son nom : la génétique.Parce qu’elle apporta beaucoup à lacompréhension du fonctionnement de lavie et de sa reproduction à travers lesgénérations, la génétique devint la disci-pline majeure de la biologie au cours duXXe siècle. Cependant, elle fut parfoismal interprétée, par exemple avec l’eu-génisme qui prétend que tout comporte-ment est déterminé par les gènes, sansla moindre influence de l’environnement.La génétique fut aussi combattue pourdes raisons idéologiques, notamment, untemps, en URSS par Lyssenko. En toutcas, le XXe siècle a été génétique, mais ildonna aussi le temps aux scientifiquesd’approcher les limites de cette disci-pline et de se rendre compte qu’elle nepermet pas de tout expliquer. Il faut alorsplus que la seule génétique pour com-prendre le fonctionnement des orga-nismes vivants.

L’ÉPIGÉNÉTIQUE, MAILLON MANQUANTENTRE LA GÉNÉTIQUE ETL’ENVIRONNEMENTPeu après la découverte que les chromo-

La révolution épigénétiqueVa-t-elle réconcilier les gènes et l'environnement, l'inné et l'acquis ?« Le XXIe siècle sera-t-il épigénétique, voire méta-génétique » ? C'estainsi que le scientifique et philosophe Bernard Dugué titre un articlepublié sur le site Agoravox où il nous livre ses réflexions sur l'avenir dela biologie.

Par SACHA ESCAMEZ*

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page38

Page 39: La revue du projet n°28

39

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

somes sont le support de l’informationhéréditaire et le fondement de la géné-tique, de nombreux chercheurs se heur-tèrent à des questions auxquelles ils nepouvaient pas répondre malgré leurs avan-cées récentes. Par exemple, toutes les cel-lules d’un organisme pluricellulaire pro-viennent de la même cellule-œuf, et toutes(ou presque) ont le même ensemble dechromosomes  : alors comment des cel-lules qui contiennent les mêmes chromo-somes, et donc la même information géné-tique, peuvent-elles devenir différentes ?Pour y répondre, en 1942, le paléologiste,généticien, embryologiste et zoologiste,Conrad Waddington créa une discipline dela biologie étudiant le lien entre l’influencede la génétique et celle de l’environne-ment dans le développement des orga-nismes vivants. En écho à la théorie del’épigénèse d’Aristote, qui avait montréque les embryons de poulets ne sont pasdes répliques miniatures de poulets adultes,mais plutôt que leurs organes se mettenten place progressivement, Waddingtonnomma sa nouvelle discipline : « épigéné-tique ». L’épigénétique permet donc d’étu-dier comment l’héritage génétique d’unindividu et son environnement détermi-nent son développement. Mais commentcela se traduit-il concrètement ?

COMMENT FONCTIONNE L’ÉPIGÉNÉTIQUE ?En 1953, James Watson et Francis Crickpublient une découverte révolutionnaire :la structure de l’ADN. L’ADN, ou acide dés-oxyribonucléique, est un type de moléculequi forme de longues chaînes faites dequatre différentes «  briques  », souventappelées bases. L’enchaînement de cesbases forme une sorte de code qui ren-ferme l’information héréditaire au seindes chromosomes, d’où l’expression « codegénétique  ». Au sein de ce «  code  », dif-férents « messages individuels » sont appe-lés les gènes. Un gène est comme le moded’emploi pour assembler un type de pro-téine, et si des protéines sont produitesd’après le «  mode d’emploi  » renfermédans un gène, on dit que ce gène estexprimé. L’importance de l’expression desgènes provient de ce que les protéinessont les molécules qui exécutent les fonc-

tions biologiques, comme les contractionsmusculaires ou la transmission des signauxnerveux. Or différentes cellules accom-plissent des fonctions distinctes, ce quisignifie qu’elles possèdent différentes pro-téines. Ainsi, les chercheurs démontrè-rent que seule une partie des gènes d’unorganisme est exprimée dans chaque cel-lule, et que différents gènes sont expri-més dans différents types de cellules. Àce stade, on voit que certaines parties dumême code génétique sont lues dans cer-taines cellules. En d’autres termes, «  lagénétique renvoie à l’écriture des gènes,l’épigénétique à leur lecture  : un mêmegène pourra être lu différemment selonles circonstances ». Ceci est vrai égale-ment au sein d’une même cellule, enréponse à des changements dans l’envi-ronnement (température, luminosité, ali-mentation…). Le fait que des gènes soientplus ou moins exprimés/lus en fonctionde conditions différentes est permis parl’existence de marques chimiques ajou-tées sur la molécule d’ADN elle-même, ousur les protéines qui sont attachées à l’ADNpour former les chromosomes. Cesmarques sont comme des marque-pagessur le code génétique. Elles peuvent êtreenlevées ou ajoutées à divers endroits,pour indiquer quelles parties du génomedoivent être lues ou non. Si certaines deces marques sont placées en réponse àl’environnement, alors elles correspon-dent à des caractères acquis, et non innés.Qu’arrive-t-il à ces caractères acquis autravers des générations ?

L’ÉPIGÉNÉTIQUE, L’INNÉ ET L’ACQUISL’idée dominante depuis les travauxd’August Weismann et Wilhelm Roux en1883 était qu’il n’y a pas de transmissionhéréditaire des caractères acquis. Ainsiprofessait-on jusque dans le milieu desannées 2000 au sein de l’enseignementsecondaire que «  ce n’est pas parcequ’un homme a développé ses musclesen faisant beaucoup de sport que sesenfants seront musclés ». Et en effet, desétudes plus récentes ont montré quelors de la fécondation, les marques épi-génétiques sont effacées du génome, aumoins chez la plupart des animaux.

Pourtant, dans certains cas, desmarques sont conservées sur plusieursgénérations. Il y a donc une transmissionhéréditaire, bien que limitée, des carac-tères acquis chez les animaux. Cettetransmission héréditaire des «  marquesde lecture  » sur le génome est mêmechose commune chez les plantes. Cesexemples montrent que l’environnementinteragit avec les gènes dans le dévelop-pement et le comportement d’un orga-nisme vivant, non seulement à l’échelleindividuelle, mais aussi à l’échelle trans-générationnelle. En ce sens, l’épigéné-tique constitue un changement de para-digme au sein de la biologie, qui permetd’intégrer la génétique et l’environne-ment, l’inné et l’acquis, pour comprendrele fonctionnement de la vie. De ce faitl’épigénétique est également porteusede perspectives.

LE XXIe SIÈCLE SERA-T-IL ÉPIGÉNÉTIQUE ?Alors que le développement des sciencesdu vivant et de l’environnement est encroissance exponentielle depuis la fin duXIXe siècle, il semble que la biologie seraen mesure de fournir à l’humanité des pro-grès scientifiques et technologiques d’uneampleur au moins similaire à celle de lachimie, et de la physique avant elle. Lechangement de paradigme qu’apportel’épigénétique à la biologie ouvre d’im-pressionnantes perspectives dans ledomaine de la santé, ou dans celui de l’agri-culture. L’épigénétique promet égalementd’apporter dans son sillon de nouvellesquestions éthiques sur l’utilisation du vivantet sur la propriété intellectuelle en lienavec les êtres vivants et les processusnaturels associés à l’expression des gènes.Scientifiquement parlant, à l’heure actuelledéjà, des débats existent : des chercheurstels que Jean-Jacques Kupiec récusent lathéorie épigénétique au profit d’idées alter-natives, mais, si d’autres théories complé-mentaires ou opposées existent, l’épigé-nétique désormais prédomine au sein dela biologie. Le XXIe siècle sera donc épigé-nétique même si nous ignorons ce quesera son bilan global. n

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page39

Page 40: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

SONDAGES

Électeurs de gauche :entre espoir et désillusion Les électeurs de gauche – ceux du PS et du Front de gauche –sont les plus nombreux à penser que la politique peut chan-ger les choses. Ce point n'est pas le seul à rapprocher cesdeux électorats : tous deux ressentent avec acuité la conti-nuité entre le gouvernement précédent et celui qu'ils ontporté au pouvoir… Ajoutons que les Français ayant choisiFrançois Hollande dès le premier tour sont encore plus sévères :31 % des électeurs socialistes interrogés pensent que la situa-tion s'aggrave depuis mai 2012. On peut lire en creux l'im-portance de la déception de ces électeurs, celle-là même quifait dire à d'aucuns que la gauche est pire que la droite qui,

elle, fait ce qu'on attend d'elle… Le paradoxe est alors criant :ceux-là même qui pensent que le politique peut changer lavie sont aussi les plus nombreux à tirer un trait d'égalité entrePS et UMP… Incomparablement plus nombreux, par exem-ple, que les électeurs du FN, pourtant bercés par la dénon-ciation de « l'UMPS », qui ne sont, eux, que 9 % à penser queles choses ne changent pas vraiment depuis mai 2012. C'estdire si le peuple de gauche est disponible, c'est dire si lesforces prêtes à investir le politique existent. Il y a, dans cepays, une place pour la construction d'une réelle alternative.Reste à l'investir. n40

Par NINA LÉGER

D’APRÈS LE SONDAGE IPSOS « ENTRE CONTRAINTES ET VOLONTARISME, QUEL RÊVE FRANÇAIS ? »

Sondage réalisé du 15 au 20 mars pour Le Monde et Lire la Société.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page40

Page 41: La revue du projet n°28

41

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

STATISTIQUES

Ce n’est pas la crise pour tout le mondeOn s’en doutait, évidemment, mais l’exploitation de l’enquêtede l’INSEE sur les revenus fiscaux et sociaux en 2010 leprouve une bonne fois pour toutes : les effets de la crisefinancière commencent à se sentir concrètement sur leniveau de vie des Français, notamment par un accroissementdes inégalités. En bref, et au risque de flirter avec les clichés,les riches sont de plus en plus riches, et les pauvres de plusen plus pauvres.

En 2010, donc, le niveau de vie médian des Français a baissé. Ilétait de 19 270 euros, contre 19 360 euros en 2009. La baissereste certes modeste en niveau (moins de 1 %), mais le faitimportant est que c’est la première fois depuis 2004 qu’onconstate une telle baisse. Dans le détail, cette baisse a lieu pourquasiment l’ensemble des Français, à une exception, notable,près : les 5 % les plus riches : leur niveau de vie a augmenté de1,3 % entre 2009 et 2010. En fait, ce n’est que la continuité d’unphénomène que l’on observe depuis 2004 : les inégalités necessent de s’accroître en France (graphique 1). L’année 2008,celle du début de la crise, marque cependant une rupture : alorsque jusque-là le niveau de vie des plus riches et des moinsriches évoluait de manière à peu près parallèle, l’écart com-mence à se creuser de manière importante, en particulier àcause d’une baisse marquée du niveau de vie des 5 % deFrançais les moins riches.

Naturellement, le résultat de ces évolutions est que les indi-cateurs d’inégalité augmentent sensiblement entre 2009 et2010. Le plus parlant reste sans doute la répartition de lamasse financière selon le niveau de vie : les 10 % de Français

les plus riches possèdent ainsi 24,9 % de la masse totale desniveaux de vie en 2010, contre 24,0 % en 2009. En clair : 1 %de l’argent possédé par les Français a été transféré aux 10 %les plus riches entre 2009 et 2010. Dans le même temps, les10 % les moins riches, qui possédaient 3,6 % de cette massetotale en 2009 ont plutôt perdu, puisqu’ils n’en possèdentplus que 3,5 % en 2010.

Le système social français, pourtant, permet de compenserassez efficacement les inégalités. Avant transferts sociaux, lerevenu des 10 % de Français les moins riches baisse de plus de4 % entre 2009 et 2010, au lieu de 1 % de baisse après redistri-bution. Symétriquement, si le niveau de vie des 5 % les plusriches n’augmente « que » de 1 % environ entre 2009 et 2010,c’est parce que les transferts sociaux viennent équilibrer ladonne : sans eux, le revenu des plus riches augmente de prèsde 2 % entre 2009 et 2010.

Malgré cet effet égalisateur, le système social français neprotège malheureusement pas aussi bien qu’on pourrait lesouhaiter l’ensemble des Français, et notamment les plusprécaires (graphique 2). Alors que les actifs en emploi main-tiennent leur niveau de vie médian entre 2009 et 2010, celuides retraités diminue de 1,4 %. Depuis 2004, pourtant, leniveau de vie de ces deux catégories évoluait sensiblementde la même façon. Pour les chômeurs, le constat est encoreplus inquiétant : leur niveau de vie médian a baissé de 3,7 %entre 2009 et 2010, ramenant celui-ci à un niveau proche decelui de 2007.

Par MICHAËL ORAND

GRAPHIQUE 1 - ÉVOLUTION DU NIVEAU DE VIE DES FRANÇAIS ENTRE 2004 ET 2010.

Source : INSEE, enquête revenus fiscaux et sociauxLecture : en 2010, le revenu des 5 % de Français les moins riches valait 1,02 fois

celui de 2004, le revenu médian valait 1,07 fois celui de 2004 et le revenu des 5 %des Français les plus riches valait 1,10 fois celui de 2004.

GRAPHIQUE 2 - ÉVOLUTION DU NIVEAU DE VIE POUR DIFFÉRENTESCATÉGORIES DE POPULATION ENTRE 2004 ET 2010

Source : INSEE, enquête revenus fiscaux et sociauxLecture : en 2010, le revenu médian des actifs occupés valait 1,07 fois celui de

2004, le revenu médian des chômeurs valait 1,02 fois celui de 2004 et le revenumédian des retraités valait 1,06 fois celui de 2004.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page41

Page 42: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

42642

Par ANTHONY MARANGHI

REVUE DES MÉDIA

À la suite du débat concernant le projet de loi pour le mariagepour tous, un mouvement d’opposition à la loi a vu le jour, lePrintemps français. Depuis, les militants multiplient les manifes-tations et les actions violentes. Un mouvement qui suscite intérêtet interrogations dans les média.

elon la quasi-totalité desmédia le mouvement Printemps fran-çais est apparu le 24  mars lors d’unrassemblement « Manif pour tous » àParis. Ce jour-là une partie des oppo-sants au mariage pour tous décide defranchir les interdictions de la préfec-ture de police de Paris. Ils se séparentdu cortège général et foncent vers lesChamps-Élysées. Pour Libération(13/04), ce groupe d’opposants étaitvenu seulement dans le but d’unaffrontement avec les services d’or-dre : «  affrontements, gaz lacrymo-gènes… une aubaine pour ces radi-caux ». Une scission s’opère alors chezles opposants au mariage pour tous :d’un côté le mouvement mené parFrigide Barjot se refusant à la violenceet prônant les manifestations fami-liales ; de l’autre, ce nouveau groupenommé Printemps français. Une rup-ture qui s’était produite dès janvierselon La Croix (13/04) « Une premièrescission au sein des opposants au

Le combat contre le mariage pourtous, porte d’entrée du« Printemps français »

mariage pour tous avait eu lieu l’an-née dernière le 18  novembre puis le13 janvier 2013 quand l’institut Civitasa organisé sa propre manifestation ».Dans les semaines précédant l’adop-tion de la loi au Sénat puis àl’Assemblée le 23  avril dernier, lesmanifestations violentes et les acteshomophobes se sont multipliés. Dèslors, les média ont cherché à savoirqui étaient les membres du Printempsfrançais et surtout « qui se cache der-rière le label  ». Rue89, Midi libre, LeMonde, Libération et La Croix se sontintéressés à la question.

LE PRINTEMPS FRANÇAIS, COLLECTIFD’ORGANISATIONS D’EXTRÊME-DROITEDès l’apparition dans la presse de l'ex-pression «  Printemps français  » il aété immédiatement question «  d’ex-trême droite ». Libération (13/04), LaCroix (19/04) et Le Parisien (21/04)sont unanimes pour qualifier le mou-vement de «  radical  » où se mêlent« catholiques traditionalistes, militantsdu Groupe union défense (GUD), duRenouveau français des jeunessesnationalistes et du Bloc identitaire »,prônant «  le recours à la violence  ».

Parmi l’ensemble de la presse, le quo-tidien Le Monde (10/04) s’est davan-tage préoccupé de la naissance duPrintemps français sans hésiter àdénoncer des facettes plus «  som-bres  ». Le Monde a été le premier àamener sur le devant de la scène leurrelation avec ICHTUS, institut catho-lique ultra-conservateur. Dans le mêmearticle on retrouve la base du mouve-ment. «  L’expression Printemps fran-çais a été évoquée pour la premièrefois par Jacques Tremolet de Villersdébut février  ». Et le quotidien designaler la formation de ce mêmeJacques Tremolet par l’Action fran-çaise et son rôle fondateur dans lacréation d'ICHTUS.

DU PRINTEMPS FRANÇAIS AU FRONTNATIONAL… ET INVERSEMENTL’apparition du Printemps françaismarque sûrement la fin de la banali-sation du FN dans les média depuisl’arrivée de Marine Le Pen. Terminé letemps des propos xénophobes de Jean-Marie Le Pen étalés dans la presse…Depuis son accession à la tête du parti,Marine Le Pen est plus politiquementcorrecte que ne l’a été son père. Une

S

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page42

Page 43: La revue du projet n°28

43

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

43

stratégie politique qui a amené unedédiabolisation du FN au sein desmédia. Avec le Printemps français unemajorité des média commencent à fairele rapprochement entre groupusculesd’extrême droite et Front national.L’émission Dimanche + (21/04) a reçuMarine Le Pen sur son plateau. À cetteoccasion, un reportage sur le Printempsfrançais intitulé «  FN, la dédiabolisa-tion jusqu’où ? » a été diffusé. Le repor-tage lève le voile sur les passerellesqui existent « depuis plus de 40 ans »entre le FN et le GUD, syndicat étudiantcréé par d'anciens activistes fascisantsd'Occident. On y voit des membres duGUD, croix nazies et bras tendus lorsde manifestations anti mariage pourtous puis en photo aux côtés de jeunesdu FN dont Marion Maréchal Le Pen.Le reportage marque également le lienentre Marine Le Pen et FrédéricChatillon, ancien dirigeant du GUD. La

globales. Jean-Yves Camus, polito-logue spécialiste de l’extrême droite,interrogé par Christophe Carrez surEurope 1 (21/04) estime que lePrintemps français est un mouvementen phase de globalisation. Pour Jean-Yves Camus le mouvement vient segreffer à la Manif pour tous et a prisle parti d’aller uniquement dans lesmanifestations importantes dans leseul but  de «  visibilité  ». Le journa-liste lui demande alors si le débat surla loi Taubira n’est qu’une tribune pourles militants du Printemps français :«  ils savent très bien que le projet vaêtre adopté, ils pensent déjà à lamanière de faire perdurer le mouve-ment. Le débat sur le mariage pourtous n’est qu’un point d’entrée ». SurFrance info (10/04), le politologue avaitété entendu brièvement sur la mêmequestion. « le Printemps français struc-ture une nouvelle droite afin de véhi-culer un mouvement politique tradi-tionaliste… qui trouverait à s’exprimerdans les élections municipales de2014  ». Dans Le Monde (19/04),Clémentine Autain, militante du Frontde Gauche, écrit : «  le fait de lancerun appel à manifester le 5 mai à l’oc-casion de l’anniversaire de l’électionde François Hollande, exprime à luiseul la globalisation du propos ».Unanimité donc sur le fait que lePrintemps français soit constitué degroupuscules d’extrême droite,quelques média seulement pour appro-fondir la question en les alliant auFront  National et peu d’informationsur l’avenir du mouvement au-delà ducombat contre le mariage pour tous.Certes, les média se sont amplementexprimés sur le Printemps français etont mis en avant les nombreux débor-dements et la brutalité dont ils ont faitmontre. On note cependant qu'aucunmembre du gouvernement n'a étéinterrogé quant aux mesures envisa-gées pour enrayer la montée et la radi-calisation de l'extrême droite enFrance. n

présentatrice, Anne-Sophie Lapix,reprend les propos du reportage devantune Marine Le Pen assez déstabilisée.Blandine Grosjean, rédactrice à Rue89(17/04), tisse aussi des liens entre descadres du FN et le Printemps français.La journaliste cite un à un des diri-geants du FN participant sur lesréseaux sociaux où dans certainesactions au mouvement Printemps fran-çais. « Un cadre du FN nous dit que lasection du Maine-et-Loire participebeaucoup aux actions du Printempsfrançais, mais pas trop celle d’Île-de-France, plus proche du siège et doncplus cadrée ». Difficile alors pour MarineLe Pen de démentir l'implication deson Parti dans ce mouvement.

DU COMBAT CONTRE LE MARIAGE POURTOUS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES DE2014 ?Peu de média se sont penchés sur ledevenir du Printemps français. Aprèsl’adoption de la loi pour le mariagehomosexuel, les manifestations et lesdébordements du mouvement ontcontinué sans pour autant se porteruniquement contre le mariage pourtous mais vers des revendications plus

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page43

Page 44: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - MAI 2013

44644

CRITIQUES

LIREPAR PATRICK COULON

La porosité entre la droite dite de gouvernement et leFront national ainsi que sa radicalisation prend de l’am-pleur chaque jour un peu plus. La publication croissanted’ouvrages la constatant, ou l’analysant en témoigne.

Lorsque l’UMP est créée en 2002, après le choc du 21 avril,beaucoup doutent de sa longévité. Cette refondation enforme de fusion va pourtant transformer la droite fran-çaise en l’espace de dix ans. L’organisation du nouveauparti, très indexée aux cycles électoraux, s’appuie sur uneforte professionnalisation et sur la mobilisation des outilsmarketing. Ces transformations qu’analyse Florence Haegeldans Les droites en fusion. Transformations de l’UMP, cal-quées sur le modèle de l’entreprise n’ont pas conduit àl’effacement des cultures et des idéologies partisanes. Bienau contraire, le peuple de droite existe toujours et l’UMPen constitue un creuset où prime un ordre social tradition-nel fondé sur une hiérarchie des genres et des générationset où s’exprime aussi une fibre populaire. Avec le sarko-zysme, la droite partisane française a opéré une radicali-sation idéologique qui s’explique autant par les stratégiesnationales déployées à l’égard du FN que par l’existencede certaines cultures politiques locales proches de l’uni-vers de l’extrême droite. cette directrice de recherche dela Fondation nationale des sciences politiques montrecomment l’opposition gauche/droite est structurée autourde deux dimensions : la première sur la question de l’in-tervention de l’État et de la régulation de l’économie, laseconde intègre les conflits culturels portant sur l’ordremoral et sur la question de l’immigration.

Par rapport aux droites européennes, la française étaitplus acquise à intervention de l’État et assez tolérantesur la question des mœurs (conséquence de la séculari-sation de la société) mais avec une perception plus néga-tive de l’immigration or c’est ce « potentiel » qui a été uti-lisé puisque c’est sur la question de l’identité nationaleque la radicalisation s’est opérée. Auparavant, l’européa-nisation de l’UMP fut travaillée par Juppé et Sarkozy paral-lèlement à la diffusion interne du modèle entrepreneu-rial. La radicalisation entendue comme droitisation etrevendiquée comme telle par Nicolas Sarkozy est miseen œuvre après sa conquête du parti fin 2004 lors de lacampagne de 2007 relancée à l’été 2010 puis lors de lacampagne de 2012. Cette stratégie se trouve depuis pro-pulsée au cœur des débats internes de UMP.

LA DROITE RÉCUPÈRE LES THÈMES DE PRÉDILECTION DU FNConfrontée à la montée de l’extrême droite la droiteeuropéenne expérimente un certain nombre de straté-gies. La droite française n’a pas choisi de faire allianceavec le FN mais de récupérer ses thèmes de prédilec-tion. Avec succès en 2007, et échec en 2012. Quoi qu’ilen soit, cette ligne de conduite n’a finalement pas contri-bué à réduire l’audience du FN qui, dans le même temps,s’est lui-même partiellement transformé. L’impassepourrait se transformer en spirale infernale : le refusd’alliance entretiendrait l’extrême droite dans des posi-tions radicales, la récupération de ses thèmes contribueà les légitimer auprès des électeurs.

La perte de l’Élysée puis du Palais Bourbon au printemps2012 a provoqué un traumatisme tel à droite que nom-bre de ses responsables sont convaincus que s’ils avaientpoussé la ligne Buisson un peu plus loin, s’ils avaientpassé une alliance en bonne et due forme avec le FN, ilsse seraient sauvés.

Tragique méprise : la droite se divisera et Marine Le Penn’a pas l’intention de faire du FN un supplétif de l’UMP.Son ambition n’est pas d’aider, de secourir la droite fran-çaise. Elle veut la détruire, la remplacer, l’achever. C’estce que propose à l’analyse le directeur de la rédactiondu Nouvel Observateur, Renaud Dely dans La Droitebrune. Il montre comment la droite est passée du gaul-lisme qui voulait rassembler à cette droite qui divise. Ilmontre comment celui qu’un journal anglo-saxon nom-mera Nicolas Le Pen a développé une ligne qu'il quali-fie de « populisme à la française » pour arracher à lagauche et à l’extrême droite l’appui des classes popu-laires. Dans cet ouvrage, on approfondira le rôle deBuisson, de Peltier, des députés de la Droite populaire,et on découvrira les ressorts de la mutation du FN (accé-der au pouvoir) et à ses tentatives construites pour trou-ver des partenaires, nouer des alliances en s’appuyantsur ce qui unit droite et FN : l’anti gauche ! L’auteur a lebon réflexe de montrer que ces alliances ont d’ailleursdéjà eu lieu dans un passé pas si lointain (en Europedans les années trente et quarante). Souvenons-nousdes ententes lors des régionales de 1998…

DES PARTIS D’EXTRÊME DROITE SONT OU ONT ÉTÉASSOCIÉS AU POUVOIRIl est nécessaire d’interpréter le contexte européen per-mettant la normalisation de l’extrême droite en Europe.

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des livres, des revues...

UNE DROITE BLEU-BRUN ?

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page44

Page 45: La revue du projet n°28

45

MAI 2013 - LA REVUE DU PROJET

45

C’est ce que fait Jean-Yves Camus dans le livre collectifLa Banalisation de l’extrêmisme à la veille de la prési-dentielle, une extrême droite ne portant plus les stig-mates du fascisme et du nazisme. Il rappelle : les partisd’extrême droite sont ou ont été associés au pouvoirdans des pays aussi divers que l’Autriche, la Grèce, laRoumanie, la Pologne, la Serbie, la Suisse, les Pays Bas,la Slovaquie, le Danemark (soutien sans participation)l’Italie, la Lettonie.

ÉMERGENCE DE MOUVEMENTS CONTESTATAIRES ÀL’INTÉRIEUR D’UNE DROITE EN RECOMPOSITIONPERMANENTEGaël Brustier est docteur en science politique. Jean-Philippe Huelin est professeur d’histoire-géographie. Tousdeux constatent que paniques morales face aux popula-tions issues de l’immigration islamique, crise de l’État-nation dans l’intégration européenne ou hantise du déclas-sement de la civilisation européenne semblent nourrirconstamment l’émergence de mouvements contestatairesà l’intérieur d’une droite en recomposition permanente.C’est tout un pan des sensibilités politiques qui s’est laissédéporter par cette puissante dynamique.

Combinant conservatisme et esprit contestataire, mono-polisant la définition du débat politique, la droite a gagnéle combat pour l’hégémonie culturelle dans les sociétésoccidentales, poussant aussi bien les droites conserva-trices que les droites extrêmes à opérer de nombreusesmutations.

Les auteurs exposent avec une grande concision les spé-cificités de la droitisation actuelle, qu’ils observent nonseulement aux États-Unis, avec les Tea Parties, mais aussien Italie, en Allemagne, en Espagne, en Belgique et auxPays-Bas, en Suisse, en Suède… dans un véritable tour

d’Europe, avant d’étudier le cas particulier de la France.Le livre plonge dans l’histoire des néoconservateurs amé-ricains, ces démocrates ralliés à Reagan à la fin des années1970 : ce sont eux, avec les théoriciens du thatchérisme,qui, sur la base d’un anticommunisme et d’un antigau-chisme farouches, ont pensé et réussi à propager leurconception droitière dans les années 1980 et 1990…jusqu’à la flambée qui a atteint l’Europe continentaledans les années 2000.

DROITE SUBVERSIVEIl y a les orientations politiques et puis il y a les hommes,les femmes, les individus, regroupés ou non dans desstructures qui sont la chair incarnée de la porosité et dela radicalisation constatée. Des courants qui prennent ladénomination de « nationaux », « droitistes », « d’extrêmedroite », de « droite extrême », de « nationaux-populaires »,« suprémacistes », « ethno-différentialistes » « patriotes »de « socialistes-nationaux » « royalistes » « monarchistes »,« solidaristes », « identitaires » ou de nationalistes. JacquesLeclercq s’attache depuis quelques années à suivre lesévolutions de ces organisations, partis ou revues appar-tenant aussi bien à l’aile radicale de la droite parlemen-taire qu’aux courants plus conservateurs, nationaux ounationalistes. Il publie De la droite décomplexée à la droitesubversive Dictionnaire 2010-2012. Il prévient : les cou-rants les plus ultras continuent de foisonner. Certainesont d’ailleurs pour objectif de monter des petites struc-tures un peu partout sur le territoire, et d’être prêt… pourleur « Grand soir ». Ça ne relève pas du fantasme d’ima-giner des poseurs de bombes, des organisateurs d’atten-tats visant à troubler et à déstabiliser, comme dans lastratégie de tension qu’a connue l’Italie dans ses « annéesde plomb ». D’autant plus au cas où la gauche reviendraitaux affaires…

Bibliographie

• Florence Haegel,Les droites enfusion.Transformationsde l’UMP, LesPresses deSciences Po, 2012.

• Renaud Dely, La droite brune,UMP-FN  : Lessecrets d’uneliaison fatale,Flammarion, 2012.

• Brigitta Orfali (dir.),La banalisation del’extrêmisme à laveille de laprésidentielle.Radicalisation ouDé-radicalisation  ?L’Harmattan, 2012.

• Gaël Brustier,Jean-PhilippeHuelin, Voyage aubout de la droite.Des paniquesmorales à lacontestationdroitière, Mille etune nuits, 2011

• Jacques Leclercq,De la droitedécomplexée a ladroite subversive.Dictionnaire 2010-2012, L’Harmattan,2012.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page45

Page 46: La revue du projet n°28

LA REVUE DU PROJET - JUIN 2013

46646

CRITIQUESLes politiques économiques de la

gauche en France(1936-2002)FONDATION GABRIEL-PÉRI

PAR MATTIA GAMBILONGHI

Dans une période marquée par leretour d'un socialiste à l'Élysée, unetâche essentielle d'une gauche quiveut saisir les potentialités del'heure ne peut qu'être d'entrepren-

dre une réflexion sérieuse et approfondie sur sa proprehistoire. Dans ce sens, on doit avant tout enquêter sur lesexpériences qui, au long du XXe siècle, ont vu les gauchesau gouvernement, afin de saisir les raisons des échecs oudes succès remportés par les projets de transformationsociale. En publiant les actes du colloque des 20 et 21 mai2011 sur « les politiques économiques de la gauche enFrance (1936-2002) », la Fondation Gabriel-Péri se dirigeprécisément dans cette direction. Les contributions pré-sentes dans le volume se caractérisent avant tout par lapluralité des points de vue et des approches : présenceaussi bien de chercheurs que d'anciens dirigeants syn-dicaux et politiques. Le livre s'articule en quatre sectionsdifférentes : la première consacrée à l'expérience du Frontpopulaire et à l'influence de ce dernier sur le Conseilnational de la Résistance (les historiens Serge Wolikow etAlain Bergounioux, ainsi que le journaliste BernardFrédérick) ; la deuxième concernant l'évolution de la cul-ture politique des forces promotrices de l'Union de lagauche et de la construction du Programme commun (lesociologue Jean Lojkine, le politologue Guy Groux, leshistoriens Mathieu Fulla et Ismail Ferhat et les ancienssyndicalistes Gerard Alezard et Jean-Louis Moynot) ; latroisième destinée à identifier les traits de la politiquemenée par les gouvernements de gauche entre 1981 et1984 et les transformations apportées par ceux-ci à lasociété française (le conseiller d'État et ancien ministreAnicet Le Pors, le syndicaliste Gérard Alezard, les écono-mistes Paul Boccara, Philippe Herzog et Elie Cohen, l'avo-cat Tiennot Grumbach) ; la dernière consacrée à un bilande l'expérience gouvernementale de la gauche plurielle(les économistes Catherine Mills et Henri Sterdyniak etle sociologue Gérard Grunberg). Un des aspects les plusintéressants du volume réside sans doute dans le retourapprofondi sur le tournant des années 1980 et des gou-vernements Mauroy-Fabius (1981-1986). Grâce aux témoi-gnages des deux représentants majeurs de la section éco-nomique du PCF de ces années – Paul Boccara et PhilippeHerzog – on mesure combien le tournant social libéraleffectué alors par le PS face aux mutations du contexteéconomique et financier était loin d'être un impératiféconomique. Ils montrent ainsi qu'à la stratégie mitter-randienne fondée sur la désinflation compétitive, la déré-glementation financière et les licenciements liés auxrestructurations, existait une alternative résidant dansune politique économique en mesure de conjuguer undirigisme décidé dans le domaine financier – et donc,

contrôle politique des mouvements de capitaux et ges-tion sélective du crédit et des taux d’intérêt – avec desnouveaux critères de gestion pour les entreprises, tels lerenforcement de la capacité de contrôle des travailleurssur le processus productif et la réalisation d'un rapportdifférent valeur ajoutée/capital via la formation et la qua-lification continues des salariés.

Contre-histoire dulibéralismeLa Découverte, 2013

DOMENICO LOSURDO

PAR BRADLEY SMITH

Hégémonique depuis les années1980, momentanément ébranlépar le krach financier de 2008, lelibéralisme préside de plus belleà la stratégie européenne pour lut-

ter contre la crise, avec les résultats que l’on connaît.François Hollande, qui avait suscité un espoir de chan-gement lors de son élection en mai 2012, appelle désor-mais de ses vœux à une « politique de l’offre », qui s’ins-crit dans la démarche du libéralisme radical de RonaldReagan et de Margaret Thatcher. Dans un tel contexte, laparution de Contre-histoire du libéralisme par DomenicoLosurdo tombe à pic.

Contribution précieuse à l’effort de récrire l’histoire dupoint de vue des plus démunis, cette « contre-histoire »se propose d’« attirer l’attention sur des aspects […] lar-gement et injustement négligés » du libéralisme. Il s’agitd’analyser « non pas la pensée libérale dans sa puretéabstraite, mais le libéralisme en tant que mouvement, etles sociétés libérales dans leur réalité concrète ».

Cette réalité s’avère fort paradoxale. La pensée libéraleprône la liberté contre l’oppression d’un pouvoir arbi-traire sans limite. Or, Domenico Losurdo fait état d’un« étrange accouchement gémellaire » du libéralisme etde l’esclavage en Hollande, en Angleterre et aux États-Unis d’Amérique. « L’historisme vulgaire » tend à mini-miser ce paradoxe. Mais comme le démontre Losurdo, cen’est pas « malgré le succès des trois révolutions libérales» que l’esclavagisme, l’extermination des indigènes etl’exploitation des serviteurs se développèrent ; aucontraire, c’est grâce à elles que ces pratiques purent pren-dre leur essor.Pourtant, Losurdo ne tombe pas dans le simplisme. Leslibéraux étaient eux-mêmes conscients de ces contradic-tions. À la Révolution américaine, par exemple, colonsrebelles et Britanniques nous offrent le spectacle d’une« démythification réciproque », en se reprochant mutuel-lement des pratiques indignes d’un peuple amoureux dela liberté. Néanmoins, si celles-ci furent abolies ou mieuxcontrôlées ultérieurement, ce n’est pas le fait des libé-raux, mais de l’intervention de l’État et de la lutte des tra-

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page46

Page 47: La revue du projet n°28

47

JUIN 2013 - LA REVUE DU PROJET

47

vailleurs pour limiter le pouvoir des patrons.S’il existe bien une chose qui anime les libéraux depuisle début, c’est la volonté des propriétaires des moyens deproduction de dominer la force du travail, sans l’inter-vention de l’État ni de l’action collective. On voit cettevolonté à l’œuvre aujourd’hui dans l’accord national inter-professionnel, ce projet cher au MEDEF qui est sur lepoint d’être transcrit en loi. Décidément, le parti libéralest en train de marquer des points.

Marx quand mêmePLON, 2012.

HENRI PENA-RUIZ

PAR FLORIAN GULLI

Ce livre est une invitation à redé-couvrir Marx. Il est aussi un bonmoyen de le découvrir pour qui ne

l'aurait pas lu. L'auteur est, en effet, on ne peut plus péda-gogue. Mais il ne s'agit pas simplement d'histoire desidées. Henri Pena-Ruiz s'emploie à montrer de façonconvaincante l'actualité de l'auteur du Manifeste. Aucunedes questions cruciales de notre temps ne peut être abor-dée sérieusement sans passer par les analyses de Marx.

L’alternative à l’insécurisation del’emploi, c'est possible !

Économie et Politique,n°702-703

PAR IGOR MARTINACHE

Un déni de démocratie. Contrai -rement à ce que prétendent sesopposants, cette accusation nes'applique pas à la loi sur le«mariage pour tous », adoptéeaprès plus de cent cinquanteheures de débats parlemen-taires, mais s'avère en revanche

tout à fait appropriée s'agissant du texte sur la « sécuri-sation de l'emploi » qui doit venir transposer dans la loil'Accord national interprofessionnel (ANI) conclu entrele MEDEF et quelques confédérations syndicales le 11janvier dernier, mais pas la CGT et FO. Pour autant, sespromoteurs n'hésitent pas à présenter cet accord commeune avancée de la « démocratie sociale », et en dépit derésistances dans l'hémicycle venues de la gauche du PS,le débat ne semble guère percer dans l'espace public. Lesenjeux sont pourtant aussi cruciaux que complexes, cequi rend les décryptages proposés dans ce numérod'Economie & Politique d'autant plus utiles. Dans la purelogique de la novlangue pointée par Orwell, le texte pré-pare en effet tout le contraire de ce que son titre suggère,

à savoir une flexibilisation accrue des salariés au profitdes dirigeants et actionnaires. Des contreparties sontcertes prévues, comme la présence de représentants dessalariés au conseil d'administration avec voix délibéra-tive ou la généralisation de la couverture maladie com-plémentaire dans les entreprises, mais celles-ci ne concer-nent en réalité qu'une minorité de firmes, quand elles nesont pas simplement renvoyées à des négociations ulté-rieures, ainsi que le montre Aurianne Cothenet dans uneanalyse serrée du texte. Il ne faudrait pas pour autantpenser que le texte instaure une rupture radicale : il a aucontraire été préparé par plusieurs lois et jurisprudencesantérieures, explique aussi Aurianne Cothenet. Si la tech-nicité volontaire du texte rend cependant difficile sonappréhension par le plus grand nombre, le dossier pro-pose un argumentaire en six fiches simplifiées révélantle décalage entre les annonces et les implications réellesde la loi, non sans oublier de proposer un certain nom-bre d'alternatives afin de mettre en place une réelle sécu-risation des trajectoires professionnelles, à commencerpar la mise en place d'un véritable service public de l'em-ploi et de la formation, incluant l'anticipation des muta-tions économiques.

Comment comprendre le « retour du religieux » sans pren-dre en compte le rôle social de la religion dans une crisequi a commencé à toucher les catégories populairesdepuis plusieurs décennies ? Comment imaginer sortirde la crise écologique en refusant d'identifier sa cause ?Car le capitalisme se développe en épuisant le travailleurmais aussi la terre. Comment comprendre la « déshérence» contemporaine, ce sentiment d'une crise de civilisa-tion, d'une perte de valeurs ? Faut-il refuser de la voir ?L'Église par exemple fait du désarroi postmoderne uneconséquence de la laïcisation et du recul de la foi. Faut-il lui abandonner le terrain ou revenir à Marx en réinscri-vant le désenchantement du monde dans la dynamiqueexpansionniste du capital ? Mais ce n'est pas seulementla critique de l'économie politique que retient Henri Pena-Ruiz. L'ouvrage se concentre aussi sur la perspectiveesquissée par Marx, le communisme. Lui aussi demeureplus que jamais d'actualité. Le communisme est d'abordla valorisation de ce qui est commun à plusieurs ou àtous, à tous les niveaux, « de la classe sociale à la com-munauté humaine universelle, en passant par la nationou le groupe de nations ». Le communisme est ensuitesur le plan économique et social, l'appropriation collec-tive des moyens de production pensée comme un idéalrégulateur politique, « davantage un processus qu'uneconfiguration surgissant tout achevé ». Plus qu'une lec-ture, c'est une actualisation que propose Henri Pena-Ruiz.

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:09 Page47

Page 48: La revue du projet n°28

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

Marc Brynhole, Olivier Dartigolles, Jean-Luc Gibelin, Isabelle Lorand, Alain Obadia, Véronique Sandoval.

Pierre LaurentResponsable

national du projet

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Xavier Compain [email protected]

CULTUREAlain Hayot [email protected]

Jean-François Tealdi Média et [email protected]

DROITS ET LIBERTÉSFabienne Haloui Droits des personnes et libertés -Migrants - Racisme et [email protected]

Ian Brossat [email protected]

DROITS DES FEMMES ET FÉMINISMELaurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIEHervé Bramy [email protected]

Pierre [email protected]

ÉCONOMIE ET FINANCES

Valérie GoncalvesÉ[email protected]

Yves Dimicoli [email protected]

Catherine MillsÉconomie et [email protected]

ÉDUCATIONMarine [email protected]

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - RECHERCHEAnne [email protected]

JEUNESSE

Isabelle De Almeida [email protected]

MOUVEMENT DU MONDEJacques Fath [email protected]

PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICESAlain ObadiaIndustrie - Services [email protected]

Yann Le Pollotec Révolution numé[email protected]

TRAVAIL, EMPLOIVéronique Sandoval Travail - Droit du travail - Chômage, Emploi - Formation, insertion - Pauvreté[email protected]

Pierre DharevilleRéformes institutionnelles - Collectivité[email protected]

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Annie MazetLaïcité et [email protected]

Fabien Guillaud BatailleSécurité, [email protected]

Nicole Borvo Cohen-Seat Institutions, [email protected]

Patrick Le [email protected]

PROJET EUROPÉEN

Isabelle Lorand [email protected]

VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Stéphane [email protected]

Pascal BagnarolRuralité[email protected]

Sylvie Mayer Économie sociale et [email protected]

Hélène BidardRédactrice en chef

adjointe

Davy CastelRédacteur en chef

adjoint

Guillaume Quashie-Vauclin

Rédacteur en chef

Igor MartinacheRédacteur en chef

adjoint

Frédo CoyèreMise en page/

graphisme

Caroline BardotRédactrice en chef

adjointe

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

COMITÉ DE PILOTAGE DU PROJET

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

&

Renaud BoissacPresse

Côme SimienHistoire

Alain VermeerschRevue des

média

NicolasDutent

Mouvementréel/Regard

Gérard StreiffCombat d’idées

Nina LégerSondages

Corinne LuxembourgProduction

de territoires

Florian GulliMouvement

réel

Marine RoussillonCritiques

Amar BellalSciences

Michaël Orand

Statistiques

Étienne ChossonRegard

Francis CombesPoésies

Franck DelorieuxPoésies

Pierre CrépelSciences

LéoPurguetteTravail de secteurs

SPORTNicolas Bonnet [email protected]

SANTÉ, PROTECTION SOCIALEJean-Luc Gibelin Protection sociale - Retraites et retraitésAutonomie, handicap - Petite enfance,[email protected]

RdP-28_V9_RDP 28/05/13 11:10 Page48