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  • Franois DurpaireMichel Giraud

    Guy NumaPascal Perri

    Stphanie Melyon-ReinetteSerge Romana

    Sous la direction de Luc Laventure

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    QUELLE PLACE POUR L'OUTRE-MER DANS LA RPUBLIQUE ?

    Larvolution antillaiseLa r

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    16

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    212-5

    4378

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    www.loaloa.net

    135 x 210 mm - dos 12,5 mm

    En janvier et fvrier 2009, la rvolution antillaise a bouscul

    le compromis rpublicain construit sur la dpartementalisation

    et convoqu les vieilles douleurs. Peu habitue tant de colre,

    lopinion publique sest demand alors ce qui se cachait derrire

    la carte postale des plages de sable blanc et les doudous croles

    en robes colores que photographient les touristes.

    Pour mieux comprendre la crise qui a eu lieu aux Antilles

    franaises, en Guyane et la Runion, France , chane du

    groupe France Tlvisions, et les ditions Eyrolles ont rassembl

    les expertises dconomistes, de gographes, d'historiens et de

    sociologues reconnus.

    Lobjectif dun tel ouvrage nest pas dalimenter la repentance

    permanente, ni loubli ternel. Il sappuie sur la ralit et mobilise

    des ides nouvelles pour dvelopper des richesses locales

    durables et btir une relation neuve et quitable entre la Rpublique

    et ses anciennes colonies de larc carabe.

    Avec les contributions de Franois Durpaire, historien ; Stphanie

    Melyon-Reinette, civilisationniste ; Guy Numa, conomiste ; Michel Giraud,

    sociologue ; Serge Romana, mdecin ; Pascal Perri, conomiste et

    gographe. Sous la direction de Luc Laventure, journaliste.

    Antilles franaises : maintenant, rien ne sera plus

    comme avant

    54378_Laventure_RevolutionAntillaise.indd 154378_Laventure_RevolutionAntillaise.indd 1 26/05/09 17:31:0326/05/09 17:31:03

  • La rvolution antillaise

  • Groupe Eyrolles61, bd Saint-Germain75240 Paris cedex 05

    www.editions-eyrolles.com

    Le Code de la proprit intellectuelle du 1

    er

    juillet 1992 inter-dit en effet expressment la photocopie usage collectifsans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique sestgnralise notamment dans lenseignement, provoquantune baisse brutale des achats de livres, au point que la pos-sibilit mme pour les auteurs de crer des uvres nouvelleset de les faire diter correctement est aujourdhui menace.

    En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intgrale-ment ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sansautorisation de lditeur ou du Centre Franais dExploitation du Droit de copie,20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

    Groupe Eyrolles, 2009ISBN : 978-2-212-54378-0

  • Franois Durpaire, Michel Giraud,Guy Numa, Pascal Perri,

    Stphanie Melyon-Reinette, Serge Romana

    Sous la direction de Luc Laventure

    La rvolution antillaise

    Quelle place pour lOutre-merdans la Rpublique ?

  • Les points de vue exprims dans cet ouvrage nengagentque leurs auteurs.

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    Sommaire

    Introduction

    ...................................................................1

    Les ferments historiques dune rvolution

    ............... 7

    (Stphanie Melyon-Reinette et Franois Durpaire)

    La rsistance lesclavage, point dappui symbolique aux luttes syndicales actuelles...............12

    Lancrage des luttes sociales dans le mouvement anticolonialiste...................................15

    Musique et conscience identitaire ............................ 20

    Les dpartements doutre-mer: des conomies sous tutelle

    ...................................... 29

    (Guy Numa)

    Des dpenses de ltat peu efficaces.........................31

    Le poids de la fiscalit : lchec du protectionnisme

    ... 35

    Le niveau des prix mis en accusation........................ 37

    Monopoles, oligopoles et positions dominantes ...... 42

    Conclusion................................................................ 45

    Un nouveau dpart

    ..................................................... 49

    (Pascal Perri)

    Commerce, distribution: faire respecter la loi et actualiser les rgles de concurrence..................... 50

    Le courage de la vrit.............................................. 54

  • VI

    La rvolution antillaise

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    Des les franches ...................................................... 57

    Le retour aux fondamentaux: cultiver la terre pour se nourrir.......................................................... 59

    Prendre linitiative dun march commun des tats de la Carabe ............................................. 62

    Tourisme contre une vision quantitative de la dfiscalisation.................................................. 64

    nergie: objectif solaire une gnration ............... 67

    Pour la fondation dun modle dconomie politique pour les Antilles......................................... 68

    Les crises antillaises et le double fond de lidentit

    ..................................................................71

    (Michel Giraud)

    Mmoire de lesclavage,la Rpublique en chec!

    ........................................... 83

    (Serge Romana)

    Crise dans les DOM et mmoire de lesclavage......... 83

    Mmoire de labolitionnisme, mmoire assimilationniste ....................................... 87

    Grandeur et dcadence de la mmoire abolitionniste rpublicaine .................... 95

    Lchec de la politique mmorielle abolitionniste de la rpublique ......................................................103

    Rpublicains et nationalistes,

    menm bet menm pll

    ?.......................................106

    Franais descendants desclaves.............................109

    Franais descendants desclaves: un combat pour une nouvelle Rpublique................................. 114

  • Sommaire

    VII

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    La diaspora antillaise de France

    ............................. 117

    (Luc Laventure)

    Le terme diaspora est-il idoine, appropri, adquat? ................................................................120

    Index des noms propres

    ...........................................143

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    Introduction

    La rvolution antillaise mritait bien un livre. Unlivre est un objet qui dure, qui fixe dans le temps lefilm de lactualit, mais aussi tout ce que lactualitne dit pas.

    Au dbut de lanne 2009, le public franaisdcouvre avec tonnement et curiosit lenvers de lacarte postale antillaise. La Martinique, la Guade-loupe, la Guyane, o le mouvement a commenc endcembre 2008, et la Runion, dans locan Indien,sont des socits o sexpriment des revendicationscomplexes contre la vie chre, contre la

    pwofitasyon

    et les monopoles et o se construisent des identitsmal connues, issues de notre histoire commune etdhistoires particulires. Pour comprendre ce qui esten jeu dans ces territoires de la Rpublique, nousavons mobilis toutes les disciplines: lhistoire, lagographie, lconomie, la sociologie qui permettentde dcrypter et de trouver un sens ce qui sestpass devant les camras de tlvision pendant plusde deux mois. Cest bien peu de dire que les vne-ments sociaux et politiques aux Antilles et laRunion ont passionn lopinion. Des millions deFranais du continent qui connaissent dautres Fran-ais de la dite priphrie se sont interrogs sur

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    La rvolution antillaise

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    ces citoyens du bout du monde, sur cette France desextrmes gographiques. Ils ont voulu en savoir plussur les non-dits et dpasser les reprsentationssimplistes des plages de sable blanc et des doudouscroles en tablier color. Nous sommes membres dela mme communaut nationale, mais nous navonspas grandi lombre des mmes arbres.

    Cette rvolution a galement bouscul en profon-deur la socit antillaise elle-mme. Responsablespolitiques, partenaires sociaux, mouvances associa-tives, glises, opinion publique sont la recherchede nouveaux repres. Cest un vritable tremblementde terre. Cette rvolution peut-elle tre une chancede mieux se connatre et de se comprendre en frater-nit humaine ? Dans ses dclarations, notammentsur France , le chef de ltat, M. Nicolas Sarkozy, alui aussi admis que la Rpublique ne traitait pas tousses enfants de la mme faon. Cest une despremires fois quun prsident franais le reconnais-sait et appelait construire une relation nouvelle. Ilest vrai que dautres prsidents de la V

    e

    Rpublique,notamment le gnral de Gaulle, dans son discoursde Brazzaville, Valry Giscard dEstaing, FranoisMitterrand et mme Jacques Chirac en Nouvelle-Cal-donie, ont voqu la possibilit de nouveaux typesde relations. Mais aucun ntait all aussi loin dansla concrtisation de cette ide.

    Les textes que nous prsentons ont pour objectifde servir une meilleure comprhension des socitsde loutre-mer et des Franais qui y vivent. Ces textes

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    sadressent toute la communaut nationale. Quel-ques mots cls peuvent servir de balises pourclairer la route.

    Dabord le mot Histoire . Franois Durpaire,professeur agrg, biographe du prsident Obama etmembre du Comit pour la mmoire et lhistoire delesclavage, et Stphanie Melyon-Reinette, civilisa-tionniste, proposent un voyage dans le temps quiexplique comment les socits doutre-mer se sontconstruites et comment leur histoire claire lesconflits du prsent.

    Guy Numa, enseignant-chercheur ParisDauphine, donne du sens au mot conomie . Lescollectifs contre la vie chre ont plac les conomiesdes dpartements doutre-mer sous une loupe. Quena-t-on entendu ce sujet: conomie de plantation,conomie de rente, conomie coloniale. Avec lesrieux dun universitaire, Guy Numa sait mettre desmots et des chiffres sur la ralit conomique desterritoires concerns. Quel est le rle de ltat,comment les monopoles, oligopoles et groupesdominants ont-ils plac les Antilles, la Guyane et laRunion en coupe rgle? La colre des manifes-tants sest cristallise sur le panier de la mnagre.Ds lors, quelles solutions mobiliser pour sortir de latutelle par le haut et construire dans la dure dessocits conomiques plus justes et plus durables?Pascal Perri, professeur dconomie lcole decommerce Advancia-Negocia, suggre des pistes dereconstruction: un dispositif antitrust pour librer le

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    secteur de la distribution et limport-export dans dessocits qui importent la presque totalit de leurconsommation, lextension des zones franches, larecherche de la souverainet alimentaire et une poli-tique nergtique autonome misant sur lesressources solaires, enfin le dveloppement duntourisme de contenu, forte valeur ajoute, sados-sant un vaste programme de formation de lajeunesse.

    Mais, pour comprendre la crise antillaise, il fautaussi rentrer dans lintimit des mes. Serge Romanaa cherch limmatriel en interrogeant les notions demmoire et dhistoire. Selon lui,

    la Rpublique doitaccepter de reconsidrer sa politique mmorielle.Elle doit renoncer

    lautoglorification

    et au mythedune mmoire partage

    . Cest dans le secret desttes, que se trouve ensevelie une partie du conflit.

    Avec Michel Giraud, directeur de recherche auCNRS, nous nous interrogeons sur la fabrication desidentits, sur le rle et la pense des lites dans lacrise. M. Giraud rappelle la sympathie dun RaphalConfiant pour la Martinique qui travaille contre cellequi consomme et cherche expliquer la distanceprise par une partie des lites vis--vis du mouve-ment.

    Enfin, ma contribution sefforce dclairer la conti-nuit du mouvement n aux Antilles sur le territoirede la France hexagonale et la mobilisation desAntillais rsidant sur place, en rsonance puis enconcordance avec le mouvement populaire des

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    dpartements doutre-mer. Elle montre comment cesFranais ns aux Antilles ou originaires de ces terri-toires sont dsormais lgitims par leur participa-tion, ft-elle immatrielle ou lointaine, aux vne-ments de dbut 2009.

    La Rvolution antillaise

    doit beaucoup aux experts runis sur les plateaux de France et deRFO qui, aux cts des journalistes de la chane, ontrendu compte et dcrypt ce conflit auprs de tousles publics.

    Pour beaucoup dobservateurs aviss, lesquarante-cinq jours de la Martinique et de la Guade-loupe ont durablement et profondment chang lareprsentation que les ultramarins ont deux-mmeset de leurs territoires. Plus rien ne sera comme avant,proclament ceux qui connaissent les Antilles. Il restemaintenant construire une nouvelle place auxdpartements doutre-mer dans la Rpublique.Lambition de ce livre est de mobiliser quelquesides nouvelles pour y parvenir.

    Luc Laventure

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    Les ferments historiquesdune rvolution

    Stphanie Melyon-Reinette

    Docteur en civilisation amricaine, consultante

    Franois Durpaire

    Docteur et agrg dhistoire,membre du Comit pour la mmoire et lhistoire,

    directeur de publication de pluricitoyen.com

    Des discours anticolonialistes, empreints de rf-rences raciales, ont cours encore aujourdhui, alorsque le

    XXIe

    sicle est dj bien entam. Ils dnoncentune Rpublique franaise qui favorise et privilgie lesectarisme, les ingalits sociales, perptue unfodalisme hrit de la priode esclavagiste. Ilsmettent en lumire les dysfonctionnements et lesaccords passs entre un tat qui se dit partisan dela libert, de lgalit et de la fraternit et des chefsdentreprise, descendants des derniers colons desles sucre des Petites Antilles. Ils trahissent un ras-le-bol face des abus qui subsistent depuis dessicles, abus dune classe coloniale dominante surun colonis domin.

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    La rvolution antillaise

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    Si certains ont dnonc les propos dlie Domota,affirmant quil ne laisserait pas

    une bande debks rtablir lesclavage

    1

    , dautres ont rappelquAim Csaire, en 1950, ntait pas moins svre,lui qui vituprait:

    Moi aussi, je parle dabus, maispour dire quaux anciens trs rels on en a super-pos dautres trs dtestables. On me parle detyrans locaux mis la raison ; mais je constate quengnral ils font trs bon mnage avec les nouveauxet que, de ceux-ci aux anciens et vice versa, il sesttabli, au dtriment des peuples, un circuit de bonsservices et de complicit

    2

    .

    Dautres dnoncent un autre type de violenceverbale, qui use dune psychologie collective rele-vant du prjug:

    Quand leurs concitoyens du loin-tain ont besoin daide, les contribuables de lHexa-gone ferment rarement leur porte-monnaie. AuxFranais des tropiques qui veulent travailler lantillaise et consommer la mtropolitaine, rappe-lons quil faut labourer la terre arable pour quellelve dautres moissons que celle du songe et que,hors de la France, les Antilles seraient au mieux uneusine touristes amricains, au pire un paradis fiscalrong par la mafia, ou un Hati bis ravag par destontons macoutes moins dbonnaires quYvesJgo

    3

    .

    1. Propos tenus Tl-Guadeloupe le 6 mars 2009. 2. Aim C

    SAIRE

    ,

    Discours sur le colonialisme

    , Paris, Prsence africaine,1989 (rdition), p.20.

    3. Christophe B

    ARBIER

    , blog de LExpress.fr, 18 fvrier 2009.

  • Les ferments historiques dune rvolution

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    Le 5 dcembre 2001, le prfet Carenco, lors dunconflit touchant lANPE de Guadeloupe, traitait lesagents grvistes de fainants . Ces propos dunprfet blanc lencontre de salaris guadeloupens,descendants desclaves, avaient dj t ressentiscomme une marque de mpris raciste.

    Dans les rues de Pointe--Pitre, les voix ontcommenc slever entonnant des chants que lonpourrait qualifier de rvolutionnaires et de nationalistes . travers ces chants, les syndica-listes crient leur acrimonie: une amertume lie lillusion qui est donne depuis des dcennies auxpopulations antillaises dune galit quils diraientfantasmatique avec la mtropole . Lincongrutde cette galit est mise en exergue par les prixexcessifs, qui sont appliqus dans ces les, fixs entoute impunit par les chefs dentreprise et par ceuxqui rgulent le march, de lacheminement lagrande distribution. Lire collective qui a provoqu lamobilisation de milliers dAntillais, dans les les maisaussi dans lHexagone, au sein de la diaspora, a finipar gronder jusquau palais de llyse. Enfin, leprsident Sarkozy a entendu lappel des ultramarins.Ce nest pas un appel au secours, mais un appel larbellion contre un gouvernement que daucunspensent rpressif et guid par une politiquepaternaliste et colonialiste.

    Dans le contexte de crise qui branle les placesfinancires et les conomies mondiales, des crisesplus localises clatent un peu partout. Celle qui a

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    La rvolution antillaise

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    boulevers les Antilles ces dernires semaines nestpas purement conomique. Sous des requtes appa-remment sociales et salariales couvaient des reven-dications relevant de problmatiques beaucoup plusprofondes, et fortement en relation avec le colonia-lisme. Une vritable reconqute identitaire sembletre luvre en Guadeloupe, et ce, plus que dansles autres dpartements concerns mme si enMartinique se faisaient galement entendre desslogans que lon pourrait qualifier de nationalistes . La nature des manifestations est,elle aussi, rvlatrice de lassentiment des popula-tions, et de leur volont de se rapproprier un terri-toire. Une certaine ambivalence caractrise les rela-tions entre les ultramarins et lHexagone: entreantillanit et francit, que choisir? Ne faut-il pasrinventer la relation, en raffirmant avec la mmevigueur lexigence dgalit en citoyennet et lareconnaissance dune identit, dune histoire etdune culture qui interdisent de penser ces payscomme un simple prolongement lointain de ladite mtropole .

    En investissant les rues, en rigeant des barrages,les manifestants montrent leur mainmise sur un terri-toire quils jugent leur appartenir de plein droit. Ilsredfinissent les frontires entre ltat et le peupleen prenant le contrle de la rue, verrouillant leurtour lespace social. Cette crise, qui a dbut commeune simple grve, sest transforme en un mouve-ment rvolutionnaire, emportant la population

    via

  • Les ferments historiques dune rvolution

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    les discours, les forums sur le Net, des sites commu-nautaires antillais ou de Facebook, les confrences,les manifestations de rue.

    lie Domota, porte-parole du collectif LKP (

    LyannjKont Pwofitasyon/

    Rassemblement contre lexploita-tion abusive), a dvelopp un rquisitoire fond surle dsir de mettre en uvre un projet garantissantune socit plus quitable pour les Guadeloupens.Alors que beaucoup y voient, sous cape, un projetlibertaire avec pour finalit lindpendance. Cemouvement de grve qui a secou les Antillespendant prs de deux mois nest pas la rsultantedune ruption spontane, mais dune longue fermentation . La fermentation qui, en biologie,renvoie la pourriture de la matire organiquetraduit parfaitement lide dun phnomne qui sestgangren au cours des sicles.

    Dans cet article, nous nous attacherons dfinirquels ont t les ferments de cette crise, en mettanten perspective les priodes qui lui donnent du sens.Comme laffirme Patricia Braflan-Trobo, la mmoirecollective est un ressort essentiel de laction syndi-cale revendicative. Il y a, dans les conflits contempo-rains, une

    valorisation des anciens pour laconqute des droits actuels [] Cette lutte sembleds lors relever plus du combat pour lhonneur quepour un simple avantage sectoriel

    1

    .

    1. Patricia B

    RAFLAN

    -T

    ROBO

    ,

    Conflits sociaux en Guadeloupe, Histoire,identit et culture dans les grves en Guadeloupe

    , Paris,LHarmattan, 2007, p.112.

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    LA RSISTANCE LESCLAVAGE, POINT DAPPUI SYMBOLIQUE AUX LUTTES SYNDICALES ACTUELLES

    Notons tout dabord que les rvoltes aux Antillessinscrivent dans un cycle ponctu de deux typesdvnements: les phases de rbellion alternentavec des phases de retour au calme, avec des solu-tions apportes par le gouvernement franais, quilait t provisoire ou pas, et quelle que soit la Rpu-blique sous laquelle les conflits se produisaient.

    En second lieu, il est noter que les troubles quise sont produits aux Antilles ont pris effet alors quelenvironnement gopolitique de ces les, la Carabe,tait propice linsurrection. Depuis lindpendanceque les ngres dHati avaient arrache aux colonisa-teurs, le prestige de la puissance coloniale franaisetait largement entam. Les gouverneurs, les colonset la France elle-mme taient prcautionneux de nelaisser sous aucun prtexte les esclaves rver deschimres de libert, ou de permettre les mutinerieset les insurrections des ngres libres ou en marron-nage

    1

    contaminer toutes les plantations. Toutefois,comme lavait dit Toussaint Louverture, on pouvaitcouper la tte de la rvolution des ngres, mais passes racines. Des missaires dHati cherchaient

    1. Les ngres en marronnage sont les esclaves qui russissaient fuirles plantations et se retranchaient dans les montagnes ou dans lafort. Ils se constiturent en socits organises et fomentaient desrbellions contre le rgime colonialiste.

  • Les ferments historiques dune rvolution

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    semer les graines de la discorde sur les plantations.Les libres de couleur

    1

    , notamment, nourrissaient desambitions de libert et contribuaient fomenter dessditions dans les les de la Martinique, de la Guade-loupe et de la Guyane. En Martinique: la rvolte duCarbet en 1822, la polmique autour de CyrilleBissette, libre de couleur, entre 1823 et 1827, ou larvolte de Grand-Anse en 1833. Quant la Guade-loupe, elle connut de nombreux soulvements en1830 et 1831.

    Ds la fin du

    XVIIIe

    sicle, des rvoltes avaientclat en cho la rvolution qui grondait en Hatientre 1791 et 1793. En 1794, les insurrections enGuadeloupe sont imputables des missaireshatiens venus prter main-forte aux ngres sdi-tieux de lle. Aprs le rtablissement de lesclavageen 1802 la Guadeloupe aura connu deux abolitions, les ngres sorganisent en marronnage ou en grou-puscules arms des libres de couleur notamment et se soulvent contre le systme esclavagiste. Cesrvoltes sexpliquent par le rtablissement delesclavage, qui avait dmenti larticle 1

    er

    des Droitsde lhomme, que les hommes naissaient mais aussidemeuraient

    libres et gaux en droits

    . Et cest lque lon trouve un autre lment constitutif de cecycle: face la colre des habitants des plantations,

    1. Les esclaves affranchis ou descendants de pres matres de planta-tion et de mres esclaves (au dbut ceux-ci taient affranchis direc-tement par rapport au statut du pre. Par la suite ils suivront lestatut de la mre. Mre esclave, enfant esclave; mme multre).

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    les institutions franaises rpondent toujours par larpression ou par des mesures dictes par desapprciations conjoncturelles ou courte vue. Aprslesclavage, selon Nelly Schmidt,

    lorganisation dutravail et la revendication des droits sociaux destravailleurs figuraient parmi les proccupations prin-cipales du gouvernement provisoire de 1848 quistait engag garantir le travail tous lescitoyens

    1

    . Garantir le travail, cest assurer laprennit de ces greniers de France, de ces planta-tions cannires. Nelly Schmidt ajoute:

    Les mots delmancipation furent pourtant

    ordre, travail, famille,oubli du pass, rconciliation sociale

    et

    reconnais-sance

    lgard de la

    Rpublique mancipatrice.

    Lesproclamations des gouverneurs, des commissairesgnraux de la Rpublique, les instructions quilsreurent regorgeaient dun vocabulaire tout aussicoercitif, autoritaire que paternaliste

    2

    .

    Ainsi, abolir lesclavage conduisait maintenir unsystme paternaliste et mercantiliste, de dominant domin, dont certains affirment quil a cours encoreaujourdhui. Lun des socles de lmancipation est laproccupation du rtablissement de lordre

    dans

    et

    par

    la Rpublique Franaise. chaque tentative deremise en cause de la logique post-esclavagiste, le retour au calme reste lun des mots dordre de laRpublique. Face ce champ lexical, les syndica-

    1. Nelly S

    CHMIDT

    ,

    La France a-t-elle aboli lesclavage? Guadeloupe,Martinique, Guyane (1830-1935),

    Paris, Perrin, 2009, p.143.2.

    Ibidem

    , p.138-139.

  • Les ferments historiques dune rvolution

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    listes antillais ractivent, quant eux, lesprit

    negmawon

    1

    (ngre en marronnage). Patricia Braflan-Trobo a observ avec justesse dans les tracts etslogans syndicaux la rfrence lhrosme desanctres en lutte pour leur libration.

    LANCRAGE DES LUTTES SOCIALES DANS LE MOUVEMENT ANTI-COLONIALISTE

    Cest au lendemain de la guerre, en 1946, que laloi sur la dpartementalisation des colonies fran-aises est vote. Aim Csaire, qui est le rapporteurde cette loi, y voit une rparation pour des siclesdesclavage dans les colonies. Laccs ce statut dedpartement devait permettre lgalit de tous lescitoyens franais dans le cadre de la Rpublique. Au-del du simple principe, les Antillais esprent alorsune amlioration du quotidien, suivant loctroi desmmes lois sociales ayant cours en mtropole . Ladpartementalisation na pas port les fruitsescompts, comme le prcise Georges-AristideLouisor:

    La loi du 19 mars 1946, transformant lesdeux Antilles, la Guyane et la Runion en dparte-ments doutre-mer, ne fit pas pour autant voluer lasituation prcaire des les. Si sous la V

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    Rpublique,les lois, les rglements et les institutions des DOM

    1. Esclave ayant russi sortir de la plantation pour chapper lescla-vage.

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    vont se rapprocher de ceux de la mtropole, cetteassimilation nentranera pas le dveloppementconomique tant attendu

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    .

    En 1950, quatre annes aprs le vote de cette loi,Csaire publie

    Discours sur le colonialisme

    , qui est laplus vive critique de la logique colonialiste. Alorsdput, il avait dnonc la rpression des manifesta-tions de Fort-de-France, revendiquant que soit appli-que la loi relative la scurit sociale dans lesdpartements doutre-mer:

    Nous vous avonsdemand lassimilation des Droits de lhomme et ducitoyen. Celle que vous nous offrez, cest celle de lamatraque et des gardes mobiles. Ce ne sont pas lesmeilleurs ambassadeurs de la France

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    .

    Dj, le combat de Csaire pour lgalit desdroits lui vaut dtre tax dingrat et d insulteur dela patrie . Et, comme aujourdhui, la demande dereconnaissance la France pose lasymtrie encitoyennet entre mtropolitain et Antillais :

    Que seriez-vous sans la France?

    lui lance ledput Marcel Poimbuf. Et la rponse de Csairede fuser:

    Un homme qui on naurait pas essayde prendre sa libert

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    .

    1. Georges-Aristide L

    OUISOR

    ,

    LEurope tropicale

    , Paris, LHarmattan,1994, p.40.

    2. Propos tenus lAssemble nationale le 4 mai 1948, cit par ErnestMOUTOUSSAMY, Aim Csaire, dput lAssemble nationale 1945-1993, Paris, LHarmattan, 1993, p.37.

    3. Le dialogue, consign dans les Annales de lAssemble nationale (15mars 1950) est rapport par Roger TOUMSON, Aim Csaire Le ngreinconsol, La Roque-dAnthron, Vents dailleurs, 2002, p.134.

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    Pendant cette priode de dcolonisation, laplante entire est en bullition. La rpression dusoulvement Stif, en Algrie, date du 8 mai 1945.Cest dans le contexte de soulvement des peuplesdu Sud contre la domination ancestrale de lEuropeque les insurrections se multiplient en Guadeloupe.En janvier 1952, des ouvriers agricoles se mettent engrve. Le mois suivant, ils mettent en droute lesgardes de la Compagnie rpublicaine de scurit(CRS), qui ripostent le 14 fvrier 1952. Ces derniersarrtent Abouna, un jeune homme habitant lacommune du Moule, puis se retrouvent face auxbarricades tablies par la population sur le boule-vard Roug. Lors de laffrontement qui sensuit,quatre personnes sont abattues par les forces delordre.

    Les annes 1960 ne sont pas moins revendica-tives. Les Antillais installs en France hexagonale tudiants pour la plupart commencent sorga-niser. Albert Bville, douard Glissant, Cosnay Marie-Joseph et Marcel Manville lancent le Front desAntilles-Guyane pour lautonomie (Faga), les 22 et 23avril 1961.

    Mais ce sont les meutes de 1967, durementrprimes, qui sont les plus prgnantes danslinconscient collectif. Tout commence par lagres-sion dont est victime un ouvrier guadeloupenhandicap, molest par un Franais dorigine polo-naise le 20 mars 1967. La population sinsurge etsensuivent des meutes entre le 20 et le 23 mars. Le

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    26 mai, une grve des ouvriers est organise pourune revalorisation des salaires. Les CRS ont ordre defaire feu sur la population dans les rues de Pointe--Pitre. Le lendemain, des lycens dfilent dans lesrues afin de marquer leur solidarit avec les ouvriers.Jean-Pierre Sainton et Raymond Gama analysent Mai1967 la fois comme une rvolte de la classeouvrire contre une misre et une exploitation deve-nues insupportables et une rbellion contre lesattributs et les symboles du pouvoir blanc1 .

    Cest en 1974 que la Martinique connat sonvnement le plus marquant. Suite un mouvementde grve, des ouvriers martiniquais sont fortementrprims le 14 fvrier 1974. Cest lhabitation FondBrl, au Lorrain, que des ouvriers agricoles tombentdans une embuscade tendue par les forces armes.Une dizaine de camions militaires sont mobiliss, lesouvriers sont attaqus par jets de grenades lacrymo-gnes jetes par hlicoptre, on dplore alors denombreux blesss par balles (Guy Crtinoir, OmerCyrille, Rasroc et Franois Rosaz) et un mort, EdmondIlmany, g de 55 ans, abattu par les gendarmes Chalvet. Deux jours plus tt, la Martinique avait djdplor la mort dun jeune grviste, Georges Marie-Louise, qui avait t tu par des forces de rpression.

    Depuis les annes 1960, les mouvements rvolu-tionnaires sintensifient. De nombreux Antillaissinsurgent contre limprialisme franais , au

    1. Jean-Pierre SAINTON et Raymond GAMA, M 67, Socit guadelou-penne ddition et de diffusion (Soged), 1985.

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    moment o les les de la Carabe anglophone obtien-nent leur indpendance: la Jamaque en 1962,Guyana en 1966, Antigua-et-Barbuda en 1967,Grenade en 1974, La Dominique en 1978, Sainte-Lucie en 1979. Les organisations de libration natio-nale se multiplient. LOrganisation de la jeunesseanticolonialiste martiniquaise est cre en 1963. Sonpendant guadeloupen est fond un an plus tard. Le23 juin 1963, le Groupe pour lorganisation nationalede la Guadeloupe, cr Paris, revendique un tatsouverain. Le 10 octobre 1974, cest la cration duMoguyde (Mouvement guyanais de dcolonisation).En dcembre 1978, cest la fondation de lUPLG(Union populaire pour la libration de la Guade-loupe). Toutes ces organisations mnent des opra-tions pour discrditer ltat franais. Leurs opra-tions tiennent en des squestrations, en des prisesdotages, en des attentats contre les symboles de laRpublique (mairies, btiments dAir France, etc.).Les premires arrestations importantes, les procsdes rvolutionnaires emprisonns et le dmantle-ment des organisations rvolutionnaires commen-cent vraiment dans les annes 1980. En 1989, LucReinette, Bernard Amdien, Henri Pratout etHumbert Marbuf affirment, dans une Dclarationdintention envers le peuple guadeloupen , quilsveulent simpliquer rsolument dans la lutte poli-tique: une lutte ouverte et dynamique qui privil-giera, dans le respect de nos diffrences, la coopra-tion avec les autres formations autour dun

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    programme politique, conomique et social capablede rassembler notre peuple sur le chemin de sonmancipation [] Nous voulons uvrer durablementaux cts de tous les dmocrates et patriotes de laGuadeloupe pour faire en sorte quavant la fin dusicle et de ce millnaire, notre pays merge enfin la souverainet tant dsire .

    La dernire grande organisation est cre enGuadeloupe en 1997 par Luc Reinette: le KLNG(Konvwa pou Liberasyon Nasyonal Gwadloup/Convoipour la libration nationale de la Guadeloupe). Cetteorganisation a pour ambition de prparer la Guade-loupe sa partition davec ltat franais et lEuropedans son entier. Lesprit rvolutionnaire nest doncjamais mort en Guadeloupe. Il nest pas n mais aresurgi lors de la rcente crise.

    MUSIQUE ET CONSCIENCE IDENTITAIRE

    La musique antillaise est un lment importantdans lmergence dune conscience politique au seindes peuples guadeloupen et martiniquais. Lamusique est un mdia de masse qui a depuis lescla-vage permis de transmettre des messages la popu-lation. Aux Antilles, comme aux tats-Unis, lestambours et les chants permettaient aux esclaves decommuniquer dune plantation lautre, de donnerdes indications sur des plans dvasion. Le konpa1 en

    1. Musique traditionnelle hatienne ne dans les annes 1950 et trsapprcie dans la Carabe.

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    Hati a permis aux musiciens de se moquer de ladictature. Par la parabole, lhyperbole ou encore lamtaphore, le message politique avance masqu.Les arts contribuent forger les mythes fondateursde la nation. Des meutes qui avaient t tuesdepuis des annes sont pour la premire fois exhu-mes par des chansons qui honorent la mmoire desmartyrs. En 2004, le Martiniquais Kolo Barst sortlalbum Lot Bo So, sur lequel figure une chansonhommage Fvriy 74 . Cette dernire fait retoursur les vnements: grve, action rpressive desgendarmes, victimes dplorer du ct desinsurgs:

    FVRIER 74

    Manman, Manman kout

    Maman, maman coute

    Kout sa ki pas

    coute ce qui sest pass

    S t an fvriy, fvriy 1974

    Ctait en fvrier, fvrier 1974

    S t an fvriy 1974

    Ctait en fvrier 1974

    Adan chan zannana/tou pr komin baspwent,

    Dans un champ dananas, tout prs de la commune de Basse-Pointe

    Asou bitasyon Chalvet, k bk ni pou tayo (x2)

    Sur lhabitation Chalvet, appartenant aux bks (x2)

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    Ouvriy agwikol t ka manifest

    Des ouvriers agricoles manifestaient

    Pou bk ogmant la joun bannan la (x2)

    Pour que les bks augmentent la paye quotidienne pour labanane (x2)

    Malr byen owganiz t ka rvandik

    Les malheureux bien organiss revendiquaient

    Dj twa jou yo ka lit, negosyasyon blok (x2)

    Dj trois jours de lutte, les ngociations sont rompues (x2)

    Ng di sa p p dir, fo yo ni sa yo l

    Les ngres se disent que a ne peut pas durer, il faut quilsaient gain de cause

    Genyen sa yo mrit jusk alit san rt (x2)

    Obtenir ce quils mritent quitte lutter sans discontinuer (x2)

    Lespri t ka chof mouvman ka bat douvan

    Les esprits schauffent, le mouvement samplifie

    Pp t ni dwa kriy lanvi ba ich yo manj (x2)

    Le peuple avait le droit de crier son envie de nourrir sesenfants (x2)

    Vrit pt tt kolon ki prfr rest sr

    La vrit a clat la tte des colons qui prfrrent restercachs

    Ol yo ngosy yo kriy polysy (x2)

    Au lieu de ngocier ils ont appel la police (x2)

    Polysy ki ft pi ng kalkil avan al

    Les policiers qui sont martiniquais y ont pens deux fois

    Alow pou ramplas yo voy mitrayt (x2)

    Alors leur place ils ont envoy des mitraillettes (x2)

    Mitrayt kip a ni k aksept misyon a

    Des mitraillettes qui nont pas de cur ont accept cettemission

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    Pi ng t ka vans, pi bal ryl ka tir (x2)

    Plus les ngres avanaient, plus les balles relles fusaient (x2)

    Ouvwiy pran kouri sere, bal ryl kontiny tir

    Les ouvriers se sont enfuis en courant, les balles continuaientde pleuvoir

    D kanmarad tonb, Ilmany pi marilwouiz (x2)

    Deux camarades sont tombs, Ilmany et Marie-Louise (x2)

    Ilmany tonb Chalvet, Marilwouiz tonb apr

    Ilmany est tomb Chalvet, Marie-Louise est tomb aprs

    St an fvriy, fvriy 74 (x2)

    Ctait en fvrier, fvrier 74 (x2)

    En Guadeloupe, le slameur Ti Malo sort lalbumPawol Funk-k quelques jours avant le dclenche-ment du conflit. Un morceau Blow Man retracelhistoire dun ouvrier grviste dont le seul but estdamliorer le quotidien de sa famille. Bless parballes, il se demande si rclamer une meilleure vieserait ce point condamnable.

    BLOW MAN

    An pa endpandantis, an pa nasyonalis pou otan

    Je ne suis pas indpendantiste, ni nationaliste pour autant

    Mwen s on semp ouvwiy batiman

    Je suis un simple ouvrier du btiment

    Ka mont pawpen si pawpen Qui monte parpaing sur parpaing

    M pitit mwen ka m fen Mais mon enfant meurt de faim

    An ka konstwi tout kalt vila Je construis toute sorte de villas

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    Lutilisation du carnaval, et du Mas1 en particulier,est un des lments de la rvolution antillaise. LeMas est une rappropriation de lespace social par lepeuple. Lesmoun a Mas (les coureurs du Mas) utili-sent leur corps comme instrument de revendication.Le carnaval est une faon pour les descendantsdesclaves de se moquer des matres, puis pour lapopulation guadeloupenne de contester le rgimede Vichy sous le gnral Sorin. Le Mas Kont Pwofita-

    M fanmi an mwen an lari la Mais ma famille na pas de toit

    An vini la trankilman mand ti bwen plis lajan

    Je suis venu tranquillement demander un peu plus dargent

    Yenki d pouwsan, d pouwsan slman

    Rien que deux pour cent, deux pour cent seulement

    Pou mwen t plen an bol Pour que je remplisse un bol

    Pou mwen voy gason an mwen lkl

    Pour envoyer mon enfant lcole

    Lw gad mwen .. Blow ! Boum ! Ba! Ba!

    Mais soudain Blow ! Boum ! Ba! Ba!

    Fizi si mwen an pa ka konpwan a kil

    Des fusils sur moi, je nai rien compris

    Blow! Boum! Ba ! Ba ! Blow! Boum! Ba ! Ba !

    Fizi an mwen an do an mwen Les fusils me tirent dessus

    1. Le Mas est une des formes de carnaval pratiques en Guadeloupe.Ce dfil est moins polic que le carnaval de parade. Les dguise-ments et costumes sont souvent porteurs de messages politiquesou permettent une revendication politique, identitaire ou culturelle.Empreint de sens et exprimant la rvolte, le Mas est une revendica-tion totale qui passe par le corps. Le pas cadenc est rapide et dter-min.

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    syon a t particulirement suivi lors de la crise defvrier 2009. Grce ces marches participatives, lesGuadeloupens sont venus de plus en plusnombreux participer aux dfils du LKP.

    Malgr des priodes de fragile quitude, les deuxles volcan sont depuis longtemps au bord delruption. La colre gronde. Les peuples des Antilleset de la Guyane se sentent spolis. Pour eux, laFrance est traditionnellement colonialiste etconserve un attachement paternaliste ses dpen-dances ultramarines. Les propos dAim Csaire sontde tragique actualit: Entre colonisateur et colo-nis, il ny a de place que pour la corve, lintimida-tion, la pression, la police, le vol, le viol, les culturesobligatoires, le mpris, la mfiance, la morgue, lasuffisance, la muflerie, des lites dcrbres, desmasses avilies [] Aucun contact humain, mais desrappors de domination et de soumission qui trans-forment lhomme colonisateur en pion, en adjudant,en garde-chiourme, en chicote et lhomme indigneen instrument de production1.

    Soixante ans aprs la dcolonisation, cest dune decolonialisation2 de la Rpublique sur lesplans conomique, politique et culturel que pour-rait procder une galit relle. Au lieu de tenter de

    1. Aim CSAIRE, Discours sur le colonialisme, op. cit., p.19.2. Le nologisme provient de la langue anglaise, o le terme de

    decolonialization signifie, au-del de la simple decolonization, unprocessus de dracinement des structures et mentalits post-colo-niales.

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    rsoudre des problmes structurels tenant lqui-libre des socits antillaises par des solutionsconjoncturelles se limitant la satisfaction de quel-ques revendications matrielles , les acteursgouvernementaux devraient sassurer decomprendre la ralit gohistorique de ces terri-toires. Il faut la fois former les reprsentants deltat envoys de mtropole , comme ctaitdailleurs le cas ironie de lhistoire lpoque dela colonisation. On ne peut pas penser les ralitscaribennes en tentant de les ramener des moyennes nationales : nen dplaisent auxrecteurs ou inspecteurs dacadmie de Guadeloupeet de Martinique, labsentisme scolaire seratoujours plus important en fvrier, du fait ducarnaval, que dans le reste de la France. moins devouloir radiquer lessence mme de la culture cari-benne. Il est galement urgent de mener une actionpositive destine sassurer que les Antillais aienttoute leur place dans la gestion de leurs propresterritoires. Le slogan La Gwadloup s tan nou, s pato zot marque le dsir dappropriation dun pays,aprs des sicles de mise en tutelle. Il entend rompreavec un ancien rgime de domination exogne.Lune des priorits serait de faciliter le retour au paysdes jeunes diplms guadeloupens et martiniquais,venus se former dans lHexagone, et de renforcer lesformations endognes post-bac, notamment dans ledomaine entrepreneurial.

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    Les tats gnraux, pour quils aient un sens,devraient repenser la situation des Antilles selon unetriple chelle. Lchelle de chaque territoire, prisdans sa singularit, permettrait de sortir de la visionpost-coloniale dun ensemble homogne outre-mer . Selon le juste mot de Patrick Chamoiseau, ilconvient de pas dserter le petit contexte : Onne peut exister au monde qu partir dun lieu, duncontexte quil faut aussi traiter1. La deuximechelle celle de la Relation Hexagone-Antilles sedoit de rompre avec la logique de la centralitunique. Lorsque limpense historique peut conduireau dialogue de sourds, ltat se doit daffirmer que leprojet daujourdhui nest plus de la mme natureque celui dhier, fond sur la domination. Surtout, lerapport racial ne peut tre assaini que par uneremise en question de lhomognit ethnique desreprsentants de ltat. Le fait que la quasi-totalitdes reprsentants de ltat soient des Blancs mtro-politains, envoys dans un territoire o la majoritde la population est noire, ne peut manquerdvoquer une mise en tutelle post-coloniale. Que lefait de rclamer que les reprsentants de ltat nesoient pas tous blancs puisse tre assimil ducommunautarisme, entorse au principe rpublicain devrait-on aussi rclamer, nous objecterait-on, quedes prfets ou recteurs bretons soient envoys en

    1. Entretien de Patrick CHAMOISEAU, propos recueillis par SylianeLarcher, Les identits dans la totalit-monde , Cits, n29, Paris,PUF, 2007, p.121-134.

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    Bretagne? pose les limites dun schma rpubli-cain qui finit par se heurter au simple bon sens. Cesprincipes avalisent un statu quo qui na plus rien derpublicain, opposant deux groupes ethniques; lunconservant le monopole du pouvoir politique etconomique et lautre tant maintenu en sujtion. Latroisime chelle est celle de lenvironnementproche. En effet, la cl du dveloppement tient dansla possibilit pour ces territoires dtre pleinementinsrs dans leur bassin naturel cariben et amri-cain en brisant le lien exclusif la mtropole . Lagographie simpose lhistoire: du sud de la Marti-nique, au point Sierra, et par temps clair, ce ne sontpas les ctes franaises, mais bien celles de lleanglophone de Sainte-Lucie que lon entrevoit

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    Les dpartementsdoutre-mer:

    des conomies sous tutelle

    Guy NumaEnseignant-chercheur

    Laboratoire dconomie de luniversit Paris-Dauphine,ple Stratgies et dynamiques financires (LEDa SDFi)

    Il y a un problme de monopoles. Il y a un problmedorganisation de lconomie. Il y a un problme duneconomie insulaire qui est lhritire des comptoirs de

    lpoque de la colonisation, et qui fait queffectivementil y a quelques entreprises qui dominent au sens plein

    du terme le march de ces les.

    Yves Jgo, France Inter, 16 fvrier 2009

    Largement soutenues par les socits civiles, lesrcentes grves gnrales survenues en Guadeloupeet Martinique ont eu pour thme fdrateur la luttecontre la vie chre. Outre la dnonciation du niveauexagr des prix (notamment ceux des denres depremire ncessit), les collectifs LKP en Guade-loupe et du 5-Fvrier en Martinique rclamaient desaugmentations salariales. Mme sil existe dautresmotifs de mcontentement, la teneur conomiquedes revendications est prpondrante, elle justifieune analyse globale des maux dont souffrent les

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    dpartements doutre-mer. Ces conomies demeu-rent en ralit sous tutelle. Plus prcisment, il sagitdune tutelle deux dimensions troitement liespour des raisons historiques.

    Tout dabord, il existe une tutelle tatique quiprsente deux visages antagonistes qui nuisent son efficacit et nourrissent rancurs et sentimentdabandon. Dun ct, ltat va dpenser 16,7milliards deuros pour les DOM en 2009, lesdpenses spcifiques aux DOM slevant 7milliards; mais, de lautre, il ne remplit visiblementpas une de ses fonctions rgaliennes qui est derendre justice dans un domaine prcis, le droit laconcurrence. Il en va pourtant de la libert ducommerce et de lindustrie qui a valeur constitution-nelle, ainsi que de la protection des consommateurs.Car dans le mot tutelle , il y a un autre mot, tutlaire , qui ne semble pas tre de mise. Il fautcroire que, dans les DOM, la lgislation antitrustnest pas applique. En outre, ltat entretient et/ouavalise des monopoles dans la production de carbu-rant et le fret maritime. Mais cette explication nestpas la seule. Il existe galement une tutelle dunpetit nombre dacteurs conomiques composs enpartie de bks , les descendants de colons escla-vagistes. En Martinique, par exemple, ces derniersreprsentent moins de 1% de la population, ilsconcentreraient pourtant 52% des terres et dtien-draient 40% des magasins1. Mme si, depuis

    1. Cf. Eddy MARAJO (dir.), Bks. Puissance conomique : mythe ouralit ? , Business News, mars 2007.

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    plusieurs annes, leur pouvoir conomique sestquelque peu tiol, ils demeurent toujours puissantsdans des secteurs comme lagroalimentaire et lagrande distribution. Or ces secteurs sont fortementsuspects de pratiques restrictives de concurrence.La concentration du pouvoir conomique parcertaines familles, combine lhritage historiquequelles portent deviennent des facteurs aggravantsde tensions sociales dans les Antilles franaises.

    Notre analyse des conomies des DOM porte surle peu defficacit des dpenses de ltat, un protec-tionnisme contre-productif, le niveau des prix et lesrestrictions de concurrence.

    DES DPENSES DE LTAT PEU EFFICACES

    En parlant des DOM, certains mdias et observa-teurs ont coutume de mettre laccent sur lesdpenses de transferts sociaux oprs par ltat :avec 12% de personnes vivant en dessous du seuilde pauvret, nul tonnement de voir que la Guade-loupe compte 8% de RMIstes. Ltat est aussi trsgnreux travers sa politique de baisse descharges et de dfiscalisation (appele maladroite-ment niches fiscales ). Selon le secrtariat dtat lOutre-mer, les montants sont respectivement de 1,2milliard et de 3,3 milliards deuros. Pour quels rsul-tats ? Le PIB rgional par habitant des DOM enmoyenne slevait, en 2008, 17000 euros environ,contre 30140 euros pour la France hexagonale

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    (cf. tableau 1). En Guadeloupe, par exemple, 32000entreprises bnficient des aides sur un parccompos de 40000 units de production. Seule-ment, en considrant que 74% des units deproduction sont des entreprises unipersonnelles(aucun salari) contre un peu plus de 50% en Francehexagonale, il est vident que le tissu productif localest faiblement crateur de valeur ajoute.

    Dailleurs, cette faiblesse se traduit dans les chif-fres du chmage qui oscillent entre 22 et 25% dunele lautre. Cest notre avis le plus loquent et leplus alarmant de tous les indicateurs conomiques,particulirement celui des jeunes de 15 24 ans,deux fois plus lev. Ainsi, les quatre DOM prsen-tent le taux de chmage le plus lev des rgionseuropennes. Plus alarmant encore, Guadeloupe,Martinique et Runion se retrouvent en tte desrgions dEurope pour le taux de chmage desjeunes. On ne peut donc pas dire que les dpensesde ltat sont efficaces.

    Le secrtaire dtat lOutre-mer Yves Jgoqualifie lui-mme loutre-mer d conomie hritiredes comptoirs . Comment comprendre ce propos ?Un bref retour aux faits et la thorie conomiquesimpose. Il serait plus prcis de dsigner les cono-mies ultramarines comme des pices de choix dugrand puzzle mercantiliste orchestr par ltat fran-ais ds le XVIIe sicle. Le mercantilisme dsigne uneconception de lconomie europenne qui stend duXVIIe sicle au milieu du XVIIIe sicle et dont le but estlenrichissement par tous moyens, y compris la colo-nisation, pour disposer de matires premires.

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    En France, la politique conomique mene parColbert peut se rsumer comme suit : favoriserautant que possible les exportations y compris ensubventionnant, et restreindre autant que possibleles importations en taxant. La politique mercantilistesimpose comme un jeu somme nulle. lexcdentcommercial de la mtropole sajoute le dficitcommercial des colonies. linverse, les cono-mistes classiques qui suivront, tels Smith et Ricardo,dcriront le commerce international comme tantmutuellement bnfique. Une analyse des changescommerciaux entre les DOM et lHexagone rvleque ce schma na que peu volu depuis lpoquemercantiliste. Pour les DOM, lexport na jamais prisle pas sur limport du fait de la faiblesse du tissuproductif, notamment pour les biens valeur ajouteleve. Le pitre rsultat de cette politique est untaux de couverture qui ne dpasse pas 13%1. Il fauttoutefois relativiser lusage des concepts dexporta-tion et dimportation pour des les certes, mais quisont avant tout des dpartements franais. Il ne vien-drait lesprit de personne dutiliser ces outils pourla Creuse ou la Dordogne, par exemple.

    1. Ce qui signifie que les exportations ne couvrent que 13 % des impor-tations. Ce ratio est quilibr lorsquil est gal 100 %.

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    LE POIDS DE LA FISCALIT :LCHEC DU PROTECTIONNISME

    La meilleure preuve de rminiscence de lremercantiliste demeure loctroi de mer. Cet imptspcifique aux DOM remonte 1670, dans ce quitait alors la colonie de Martinique, sous la dnomi-nation de droit de poids . Il sagit dun droit dedouane qui frappe les biens limportation et chose qui na trangement pas t rappele par lescommentateurs dun impt indirect la consomma-tion qui frappe donc la production locale1. La taxe vade 0%, sur certains produits alimentaires comme lelait, 50%, sur le tabac. Le produit de cet octroi demer collect par les douanes (250 millions deurosen Guadeloupe en 2008) est destin aux communes.Ces dernires dfendent son maintien en arguant dufait que le produit des autres taxes locales (parexemple, la taxe dhabitation, la taxe foncire) estfaible, ce qui sexplique par la faiblesse des revenusdes mnages. Les conseils rgionaux fixent les tauxdoctroi; en outre, ils bnficient dune recette issuedune taxe additionnelle, appele octroi de merrgional , dont le taux ne peut excder 2,5%. Lajustification de loctroi de mer est laide au dvelop-pement insulaire, mais le lgislateur a oubli aupassage que cette mesure dfensive ne cre pas

    1. Lassiette de loctroi de mer est soit la valeur en douanes desmarchandises pour les oprations dimportation, soit les prix horsTVA pour les livraisons de biens produits localement.

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    dactivit conomique, ce nest donc pas une fin ensoi.

    Pour rsumer, il existe un octroi de mer et unoctroi de mer rgional, les deux sajoutent la TVA taux rduit1. Les conomies des DOM constituentdes exemples dchec des politiques protection-nistes. lheure de la globalisation, il serait plusnormal de voir les DOM changer plus fortementavec les pays et territoires de leur zone conomiquenaturelle. Mais pour changer avec autrui, encorefaut-il produire un produit ou un service prixcomptitif et/ou de qualit attractive. ce titre, faut-il remarquer, lexception de la Guyane, que lesconomies ultramarines sont peu ouvertes parrapport lle Maurice par exemple (cf. tableau 2)?On peut lexpliquer par leffet dviction de la renteadministrative : celle-ci stimule les importations,mais ses effets dcouragent lexportation. Laide deltat savre tre un substitut des exportations. Ellerend les exportations beaucoup moins indispensa-bles et beaucoup moins rentables que les importa-tions2.

    1. En Guadeloupe, Martinique et Runion, le taux normal est de 8,5%et le taux rduit de 2,1%; en Guyane, il est de 0%.

    2. Cf. Bernard POIRINE, loignement, insularit et comptitivit dansles petites conomies doutre-mer , AFD, srie Documents detravail , n 52, novembre 2007.

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    Tableau 2 Taux douverture en 2002(exportations + importations)/PIB (%)

    Source : Bernard Poirine, op. cit.

    LE NIVEAU DES PRIX MIS EN ACCUSATION

    Les manifestations contre la vie chre doivent treanalyses en ayant lesprit que la moiti des foyersfiscaux domiens gagnent moins de 7500 euros paran (contre 27,8% en France hexagonale). Par cons-quent, les mnages domiens sont composs pourlessentiel de personnes bas revenus. Or, touteschoses gales par ailleurs, la propension consommer est dautant plus leve que le revenuest faible, et, comme lenseigne la premire loidEngel, la part des dpenses affectes aux besoinsalimentaires est dautant plus faible que le revenuest grand. Inversement, la proportion de dpensesaffectes aux besoins alimentaires est dautant plusleve que le revenu est faible. Les mnagesdomiens se trouvent dans ce dernier cas, ils sont

    Guadeloupe 36

    Guyane 158

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    France hexagonale 52,2

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    donc particulirement sensibles aux prix trssouvent exorbitants des produits alimentaires. Lerapport parlementaire du dput Jean-Pierre Brard1

    rappelle le schma thorique de formation des prixdes biens produits localement (cf. figure 1).

    Figure 1 Structure thorique de formation des prixdes produits locaux

    Pourtant, il apparat que les producteurs locauxfixent leur prix de vente non pas en fonction de leurprix de revient, mais en fonction du prix du produitimport. Le prix de vente du melon produit locale-ment est ainsi systmatiquement align sur celui dumelon import [] Cette situation est videmmentnuisible pour le consommateur qui ne peut choisirquentre des produits chers. Elle est galement dfa-

    1. Jean-Pierre BRARD, Rapport dinformation relatif lamlioration dela transparence des rgles applicables aux pensions de retraite etaux rmunrations outre-mer, Assemble nationale, n3780, mars2007, p.84.

    + marge globale

    de commercialisation + TVA ou taxe

    sur la consommation

    cot deproduction

    + autres chargesdexploitation

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    + margedu producteur

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    vorable pour le dveloppement des conomieslocales, car les producteurs locaux ne sont pasincits augmenter leur production. En cons-quence, le niveau anormalement lev des margesdes importateurs et des distributeurs a galementdes consquences ngatives sur le tissu conomiquelocal et sur lemploi1 .

    Entendons-nous bien. Il nest point question ici derclamer des niveaux de prix comparables ceux quele consommateur trouve en France hexagonale. Lesmnages domiens sont mme de comprendre quelinsularit et lloignement de Paris sont desfacteurs de prix plus levs. Plus prcisment, cestle niveau des prix de certains produits pour le moinsexagr qui est en cause, notamment celui des biensproduits localement.

    cet gard, le cas de la banane illustre trs bienle problme. Il est en effet apparu, pour qui ne lesavait pas encore, que le prix de la banane produiteen Martinique ou en Guadeloupe pouvait coter40% plus cher que ce quelle cote en France hexa-gonale. Sil est bien vrai que la banane antillaisesubit un dsavantage par rapport la bananedollar2 en raison de cots de production bien pluslevs, il faut galement rappeler que les produc-teurs de bananes peroivent des subventions deltat franais et de lUnion europenne. En admet-

    1. Jean-Pierre BRARD, op. cit., p.84-85.2. Bananes produites par des gants de lagroalimentaire amricains,

    le plus souvent en Amrique du Sud.

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    tant que les aides lexportation expliquent unedcote de 40% du prix de vente en France hexago-nale, pourquoi les prix restent toujours aussi levsaux Antilles?

    De deux choses lune. Soit, en toute logique, lessubventions consistent favoriser la bananeantillaise hors de son lieu de production, sansoublier les consommateurs locaux; au total, lesconsommateurs hexagonaux et locaux bnficient deprix prfrentiels. Soit les aides perues par lesproducteurs sont partiellement dtournes de leursobjectifs, ces derniers ne pratiquant de baisse quesur les marchs europens et pas sur les marchslocaux. Cette diffrence de prix est lgitimementvcue comme une injustice. Quoi quil en soit, cetteanalyse remet en cause le bien-fond et la pratiquedes subventions qui savrent contre-productifs pourles consommateurs locaux.

    Un autre facteur dstabilisateur est la forteproportion demplois publics, qui reprsentent prsdun tiers des emplois dans les DOM, contre 20%dans lHexagone. Ces fonctionnaires bnficientdune majoration de rmunration quivalente 35% du salaire la Runion, 40% en Guadeloupe,Guyane et Martinique1. Ce surcrot de rmunrationdans le secteur public a pour double corollairedalimenter linflation et de crer un sentiment

    1. lorigine destine aux fonctionnaires mtropolitains travaillant auxAntilles, cette prime a t tendue tous les fonctionnaires en postedans les DOM.

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    dinjustice auprs de la main-duvre du secteurpriv qui ne bnficie pas dune telle sur-rmunra-tion. Au passage, remarquons que si ltat octroiecette majoration de traitement aux fonctionnaires,cela signifie quil reconnat un cot de la vie pluslev par rapport lHexagone. Dailleurs plusieursrapports sur loutre-mer ont soulign les effetspervers des sur-rmunrations des fonctionnaires1.Pour tre tout fait juste, il faut prciser que desfonctionnaires en poste dans dautres parties dumonde reoivent des sur-rmunrations bien plusleves. Donc toute tentative de rformer ce systmedans les DOM doit sinscrire dans le cadre plusglobal de la rforme de la fonction publique.

    Deux dispositions rglementaires confrent unrle crucial aux autorits publiques en matire dergulation des prix. En vertu des dcrets nos 88-1046et 88-1047 du 17novembre 19882, les prix decertains biens et services sont fixs par autorisationprfectorale. Cest le cas de la farine, notamment.

    1. Cf. Bertrand FRAGONARD, Les Dpartements doutre-mer : un pactepour lemploi, Rapport M. le secrtaire dtat lOutre-mer, 1999;Marc LAFFINEUR, Rapport dinformation sur la fonction publiquedtat et la fonction publique locale outre-mer, Assemble nationale,n 1094, septembre 20003; Anne BOLLIET, Grard BOUGRIER et JeanTENNERON, Rapport sur lindemnit temporaire de retraite des fonc-tionnaires de ltat outre-mer, Inspection gnrale des finances,n 2006-M_054-02, 2006; Jean-Pierre BRARD, Rapport dinformationrelatif lamlioration de la transparence des rgles applicables auxpensions de retraite et aux rmunrations outre-mer, Assemblenationale, n3780, mars 2007.

    2. Modifis par le dcret n 2003-1241 du 23 dcembre 2003.

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    Comment comprendre ds lors que le prfet avaliseun prix de la farine qui est de 167% plus lev quecelui de la France hexagonale? De surcrot, la loidorientation pour loutre-mer (Loom) du13dcembre 2000 prvoit, en son article 75,linstauration dans chacun des DOM dun observa-toire sur les prix et les revenus dont les membresdoivent se runir au moins une fois par an. Il a falluattendre le 2 mai 2007, soit sept ans aprs le vote dela loi, pour que le dcret dapplication de la Loomvoie le jour. Dfinie dans larticle 1er de ce dcret, lamission de ces observatoires est danalyser leniveau et la structure des prix et des revenus et defournir aux pouvoirs publics une information rgu-lire sur leur volution . Comment travaillent-ils etcomment peuvent-ils justifier le niveau des prix ?Dans son allocution du 19fvrier 2009, NicolasSarkozy a prvu une enqute sur les prix qui devrarendre ses conclusions dans trois mois , autre-ment dit la mi-mai. Gageons que les recommanda-tions qui suivront ne connatront pas le mme sortque celles de la Commission de libration de la crois-sance franais, dite commission Attali , cest--dire les oubliettes.

    MONOPOLES, OLIGOPOLES ET POSITIONS DOMINANTES

    Les restrictions de concurrence dans les DOMsemblent tre un trait caractristique des conomiesultramarines. Deux problmes illustrent le manque

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    palpable de concurrence: les monopoles et les posi-tions dominantes. Le plus emblmatique des mono-poles est celui dtenu par la Socit anonyme deraffinerie des Antilles (Sara). Ce monopole dans laproduction et la distribution de carburants remonteaux annes 1960. cette poque, ltat a vouluconvaincre les ptroliers de venir vendre de lessenceaux Antilles. En contrepartie, la Sara, dont laction-naire principal est Total (avec 50% du capital), abnfici dun monopole lgal. La tendance desmonopoles privs est de tarifer des prix plus levsen organisant, par exemple, la sous-capacit. Ensituation de monopole, la taille rduite du march(comme cest le cas pour les DOM) est moins contrai-gnante pour un monopole ou un oligopole. Ici, largu-ment de ltroitesse du march est peu recevable.Les cots de production de la Sara sont-ils relle-ment levs? Cette entreprise a nanmoins ralisun bnfice de 50millions deuros en 2007. Selonses dirigeants, le bnfice annuel depuis lanne2000 a t de 12millions en moyenne.

    Ces chiffres appellent un commentaire sur la tari-fication. En premire ventualit, la Sara reste unmonopole; dans ce cas, il revient ltat de rgle-menter la production de carburants en supervisantles prix et les quantits produites. Cest ce qui sepasse puisque le prfet fixe les prix du carburant. Leproblme est de connatre les modalits exactes defixation des prix. En novembre 2008, en Guyane, lelitre dessence valait 1,77euro. ce stade, on peut

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    sinterroger sur la transparence des cots. En unclaquement de doigts, les prix du carburant ont, eneffet, baiss en moyenne de 30centimes deuro enGuyane. Ce fait nest pas de nature rassurer lesmnages domiens sur le niveau des marges de laSara. En deuxime ventualit, la Sara nest pas unmonopole, elle doit donc tre soumise la concur-rence, ce qui devrait garantir des prix plus aborda-bles. Il faudra tout de mme passer outre certainscorporatismes locaux qui soutiennent la Sara. Plusgnralement, cest toute la filire ptrolire quilfaudrait revoir dans les DOM. Le rapport Bolliet1 sur les prix des carburants pingle un systme anticoncurrentiel, dresponsabilisant et inflation-niste . Le symbole de ce systme est lusage deleffet dit de dilatation . Le carburant est facturaux stations-service sur un volume donn latemprature de 18C, mais il leur est livr unetemprature de 30C, ce qui augmente son volume,et donc son cot.

    Les restrictions de concurrence ont aussi un autrevisage, les positions dominantes dans la grandedistribution : larticle L.430-2 du Code de commercestipulait que, dans les DOM, aucun acteur ne pouvaitvoir ses parts de march excder 25%2. Comment

    1. Anne BOLLIET, Rapport sur la fixation des prix des carburants dans lesdpartements doutre-mer, La Documentation franaise, mars 2009.

    2. Ce seuil de parts de march a t remplac par des seuils de chiffredaffaires par la loi n 2008-776 du 4 aot 2008 de modernisation delconomie.

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    imaginer quen 2007 le groupe GBH (Groupe BernardHayot) remporte un appel doffres pour la construc-tion dun hypermarch en Guadeloupe alors que cegroupe dtenait dj un hypermarch sur quatre,soit le seuil prvu par la loi cette date ?

    CONCLUSION

    En apparence, loutre-mer est sous une doubletutelle, celle de ltat, dune part, et celle dun petitnombre doprateurs dans des secteurs cls commeles carburants, lagroalimentaire et la grande distri-bution, dautre part. Cette double tutelle est anti-conomique et antidmocratique. En fait, la tutellede ltat nest quapparente, les enqutes sur les prixsont inexistantes ou trop rares, lopacit sur laformation des prix galement, la loi na pas t appli-que en matire dantitrust. Do le sentimentdabandon et de frustration des populations. On alimpression que la dpense publique sert main-tenir un quilibre social fragile, acheter une paixsociale.

    Les rcents vnements survenus dans les DOMont montr les limites dun systme bout desouffle. Si la revendication salariale peut semblerlgitime, il ne faut pas omettre que toute tentative derforme du mcanisme de formation des prix doitprendre en compte les ingalits de revenus entre lepublic et le priv. Plus gnralement, les facteurs deprix levs identifis sont: le poids de la fiscalit,

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    lorganisation anticoncurrentielle des marchs,lhypertrophie du secteur public en lien avec la sur-rmunration des fonctionnaires.

    Au total, on peut synthtiser graphiquement lesconsquences sur les prix de ces trois facteurs (cf.figure 2). La sur-rmunration des fonctionnairesprovoque une lvation de la courbe de demandeglobale. Mais le haut niveau des prix rsulte aussides taxes limportation (droits dentre, octroi demer), ce qui permet aux producteurs de pratiquerdes marges plus importantes sur les produits locaux,en salignant sur le prix des produits imports. Celaest renforc par lexistence de marchs peu ou pasconcurrentiels qui permet de faire des profits pluslevs. Le tout lve la courbe doffre globale. Finale-ment, le prix dquilibre pour les DOM se situe unniveau plus lev que celui de lHexagone.

    Figure 2 Le diffrentiel de prix par rapport lHexagone

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    Prix

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    Prix DOM

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    Demande globaleOffre globale

    Diffrentiel deprix/hexagone

    Effets des taxes limportation +

    marchs peu oupas concurrentiels

    Effets des sur-rmunrationsdes fonctionnaires

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    Tout lenjeu est dapprcier limpact exact dechacun de ces facteurs sur le niveau des prix. Seuleune enqute srieuse et approfondie des mca-nismes de formation des prix permettrait dobvier cette situation.

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    Un nouveau dpart

    Pascal PerriProfesseur dconomie Advancia-Negocia,

    docteur en gographie

    Symboliquement, il y a cette anne cinquante ansque le dpartement franais de la Martinique aprsent pour la dernire fois un solde quilibr deses changes commerciaux avec lextrieur. Au coursde ces annes, la dpendance des dpartementsfranais dAmrique (DFA) vis--vis de lextrieursest considrablement renforce, au point que lesterritoires des Antilles et la Guyane importent prati-quement 90% de ce quils consomment. Cettedpendance prsente, de surcrot, la caractristiquede lexclusivit. Les dpartements de la Martiniqueet de la Guadeloupe consomment des produits venusde France europenne pour ne pas dire de mtro-pole. Nous exclurons dailleurs le terme de mtropole qui signifie dans le Larousse: tatconsidr par rapport ses colonies, ses territoiresextrieurs. Nous verrons en particulier que ledploiement des conomies locales impose de rin-terroger la notion de centralit.

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    Les DFA souffrent notamment dtre considrscomme les points extrmes de ltoile dans uneFrance encore organise en hub and spokes, cest--dire autour dun moyeu, donc autour dun centre. Lemodle du centre polarisant est acceptable dans lecas dun territoire continu. Il perd en revanche de sapertinence quand il sagit de territoires discontinus.La seule faon de corriger les handicaps de lagographie, cest prcisment den accepter lesrgles de polarit dominante. Or, les dpartementsde la Martinique et de la Guadeloupe ainsi que laGuyane appartiennent lensemble naturel amri-cain. Ils en dpendent gographiquement, et toutdoit tre fait pour que ces territoires vivent une rela-tion conomique stable et durable avec cet environ-nement. Proposer des solutions novatrices pourrnover lconomie des DOM, cest dabord accepterde prendre une leon de gographie.

    COMMERCE, DISTRIBUTION: FAIRE RESPECTER LA LOI ET ACTUALISERLES RGLES DE CONCURRENCE

    Lors de son intervention sur France le 19 fvrier2009, Nicolas Sarkozy sen tait pris aux monopoles, surprofits, rentes de situation etformes dexploitation , autant de mots que rsumeassez fidlement lexpression de pwofitasyonutilise dans le sigle du mouvement LKP. Le premierdevoir de ltat, au-del de la dnonciation de situa-

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    tions exorbitantes du droit commun, devrait tre defaire appliquer la loi. la Guadeloupe, une plaintepour abus de position dominante dort sur le bureaudu juge depuis maintenant plus de trois ans.

    En 2005, la Chambre de commerce et dindustriede la Guadeloupe publie un appel doffres pour laconstruction dun hypermarch supplmentaire. Legroupe venden Systme U, reprsent aux Antillespar M. Parfait, est candidat. Mais, cest BernardHayot, dj propritaire dun hypermarch surquatre, qui remporte lappel doffres, au mprisdune disposition de la loi Dutreil , laquelleprvoit quun oprateur ne peut pas possder plusde 25% des parts de march dans le secteur de lagrande distribution. Le retard pris dans cette proc-dure engage devant le tribunal administratif agit enralit comme une barrire dentre supplmentaireet renforce les entreprises qui occupent dj unesituation dominante. Dans le domaine conomique,rien nest tout fait innocent. On peut agir par actionou par omission.

    Une justice administrative trop lente, et une admi-nistration de la concurrence sans moyens: on pour-rait croire que toutes les conditions sont runiespour laisser le march aux mains des distributeurs.Quand ltat est absent, les producteurs et les distri-buteurs rglent la capacit pour contrler les prix. Laconcurrence fonctionne quand de nouveaux entrantsont accs au march. Les consommateurs antillaissavent bien que la prsence de deux ou trois grandes

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    enseignes sur un territoire ferm nest pas un gagede concurrence. Les marchs de la distributionalimentaire et non alimentaire sont verrouills ethistoriquement marqus par le phnomne connudententes concurrentielles.

    La vigilance de ltat serait dautant plus nces-saire que le modle des conomies locales est forte-ment marqu par sa verticalit. Les mmes opra-teurs contrlent toute la chane, de limportation desproduits jusqu leur distribution. Nous sommespresque dans une conomie de comptoir. De grandesfamilles matrisent loffre, du conteneur jusquauconsommateur. Dans la chane de valeur, cette situa-tion de monopole est pour beaucoup dans le niveautrs lev des prix de vente sur les marchs antillais.Dans ce domaine, deux propositions peuvent trefaites ds aujourdhui:

    sur des marchs captifs, dpendants des importa-teurs, les distributeurs ne peuvent pas tre lesimportateurs. Une rglementation spcifique serapropose pour limiter les phnomnes de mono-poles verticaux1: les personnes physiques oumorales qui contrlent, soit directement soit indi-rectement, plus de 20 % de parts de march dans

    1. situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La Rpubliqueconsent un certain nombre de dispositifs drogatoires, notammenten matire de rmunration des fonctionnaires dans les DOM. Leprincipe dgalit devant la loi doit tre amnag et substitu celuidquit devant la loi, au moins pour corriger les excs de lgalita-risme rpublicain. Je propose ici des modes de rgulation cono-mique ddis aux seuls DOM.

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    la distribution alimentaire ou non alimentaire nepourront pas dtenir plus de 49 % des actionsdans les entreprises dimport-export;

    les dispositions de la loi Dutreil sur la concur-rence des enseignes devront tre renforces. Unexamen attentif des situations de concurrencemontre que le march est toujours fortementinfluenc par des phnomnes de polarit territo-riale. Les zones de chalandise reposent surlattractivit commerciale, culturelle ou adminis-trative dun point central qui entretient unecertaine forme dassignation rsidence pour lesconsommateurs. Pour dire les choses plus simple-ment, ces consommateurs sont captifs de zonescommerciales souvent domines par une seuleenseigne. Conclusion: le pluralisme des ensei-gnes sur un territoire comme la Martinique ou laGuadeloupe nest pas un gage de comptition surles prix. Des dispositions propres la situationinsulaire sont prendre durgence. Un dispositifantitrust est tudier. Je propose de durcir lesdispositions de la loi Dutreil et de ramener 15% les parts de march maximum autorisespour une enseigne ou un propritaire, personnemorale ou physique.

    Pour rsumer, ltat peut intervenir sur deuxleviers pour amliorer rapidement les conditions demarch. Dabord la ngociabilit. La loi de moderni-sation conomique (LME) en a fait un outil de baissedes prix. Mais la ngociabilit ne fonctionne que

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    lorsque le fournisseur et le distributeur ne sont pasla mme personne. Il est urgent de casser lorganisa-tion verticale des monopoles aux Antilles. Ensuite, laconcurrence. Cest le levier le plus puissant pourfaire baisser les prix. tablir les conditions duneconcurrence sincre et durable, dans le respect desrgles de gestion, revient dclencher un dispositifantitrust partir de 15% des parts de march.

    LE COURAGE DE LA VRIT

    Les pratiques dexception se multiplient auxAntilles. Elles sont non seulement contraires auxrgles dquit qui devraient prsider lorganisa-tion conomique, mais elles sont aussi trs inflation-nistes et contribuent au sentiment de vie chre. Ledmantlement des pratiques abusives est uneurgence sociale et plaide pour le dploiement trsrapide des moyens humains et techniques decontrle en matire de concurrence.

    Prenons lexemple du ptrole import et soumisau monopole de la Sara, Socit anonyme de raffi-nerie des Antilles. Les distributeurs de carburant seplaignent en coulisse des pratiques de cette entre-prise en situation de monopole. Ils expliquent que laSara procde la livraison des stations-service enpleine chaleur au moment o le ptrole se dilatesous leffet de la temprature et occupe une placeplus grande dans les cuves de stockage . Une fois latemprature redescendue, en soire ou au petit

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    matin, les jauges indiquent des quantits de produitstock trs infrieures. De nombreux pompistes ontcherch protester contre ces pratiques. En jouantsur des ractions physiques connues dans les payschauds, la Sara livre de lessence et du vide, maiselle facture le vide au prix de lessence. Les scientifi-ques seraient en mesure de fournir des solutionscls en main, mais les professionnels de la distribu-tion dessence voquent leur dpendance vis--visdu monopole et prfrent se rattraper sur les autresproduits vendus aux automobilistes , comme lesproduits dentretien et les accessoires automobiles.

    Les importations stratgiques comme les sourcesdnergie peuvent-elles tre considres comme desactifs classiques de march? Compte tenu des prati-ques en vigueur, il est urgent de placer le secteur delimportation et du raffinage de ptrole labri desabus. Une structure de partenariat public-priv, souscontrle de ladministration de la concurrence et dela rpression des fraudes, pourrait tre chargedadministrer la production et la distribution deptrole la Martinique et en Guadeloupe.

    Dans le mme esprit, les pratiques de ristournemises en place par les entreprises de fret maritimedevront tre claircies et codifies. la Martinique,tout le monde sait que les producteurs de bananesnont jamais touch le moindre centime deuro surles commissions-ristournes verses par les transpor-teurs aux intermdiaires sur le transport de bananesdes Antilles vers les ports franais. Pour fonctionner,

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    lconomie de march a besoin de rgles. Le libra-lisme conomique ne doit pas tre confondu avec lelaisser-faire. Il sadosse lide dun contrat libre-ment accept par les agents conomiques, entre-prises ou mnages, et labsence de situation demonopole. La thorie des monopoles naturelsrepose sur lide centrale de rendements croissants:plus on produit, plus le cot unitaire diminue. Or,dans le cas des Antilles, non seulement tous lesmarchs semblent contestables, y compris celui delnergie, cest--dire accessibles de nouveauxentrants, mais lexprience du pass montre que lessituations de monopole namliorent pas la producti-vit, mais renforcent au contraire la domination et lesprofits des entreprises installes.

    Les monopoles antillais nont jamais t vertueux.Comment expliquer autrement que des entreprisesagroalimentaires installes sur place proposent desproduits frais aussi chers que ceux imports. Aurisque de se rpter, il faut rappeler que seule laconcurrence, une concurrence relle et sincre faitbaisser les prix1. La tentation naturelle dun acteurdominant est de les augmenter pour amliorer sesmarges. Sur des les, o les consommateurs sontassigns rsidence, seule lintervention de ltat,par la loi ou par le rglement, peut crer les condi-

    1. M. Alain Huyghues-Despointes est propritaire des licences desmarques Coca-Cola, Orangina, Yoplait, Miko et Candia sur les deuxles.

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    tions dune comptition armes gales entre lesoprateurs conomiques.

    DES LES FRANCHES

    Le tissu conomique des Antilles est domin pardes entreprises de trs petite taille (94% des entre-prises guadeloupennes ont moins de neuf salaris).La proportion dentreprises unipersonnelles est trsleve (74%). Les entreprises des les franaises dela Carabe sont tributaires dun march intrieurtraduisant une demande erratique et irrgulire, trslargement abonde par les revenus sociaux et lacommande publique. Compte tenu de la taille dumarch et de la fragilit du tissu conomique local,certains conomistes proposent dtendre lesystme drogatoire des zones franches lensemble du territoire des dpartements franaisdAmrique. Cette ide mrite dtre approfondie.

    Les zones franches se distinguent du reste dumarch par une fiscalit drogatoire et allge et parune simplification du formalisme des entreprises. Ilnest pas sain que des entreprises bnficientdexonrations totales de charges, car les entre-prises sont des agents conomiques qui participent la cration de richesse et qui bnficient des infras-tructures mises disposition par la collectivit. Jeplaide en faveur dexonrations progressives lies la capacit contributive des entreprises.

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    Quel rapport entre le Groupe Bernard Hayot, dontle chiffre daffaires a doubl en six ans, passant de 1 2 milliards deuros, grce des situations domi-nantes et des oprations de croissance externe, etune TPE du secteur des services ou du btimentemployant quatre salaris? Les deux entreprises nepeuvent pas tre ligibles aux mmes rgles.Lgalit rpublicaine y perdra ce que le pragma-tisme conomique et le bien-tre social y gagneront.Le dispositif des zones franches ne saurait toutefoisse suffire lui seul. Les entreprises antillaises sontplus que dautres confrontes aux problmes definancement et les chefs dentreprise manquent,pour certains, de formation. Un plan global de finan-cement des entrepreneurs par le micro-crdit estsouhaitable. Non seulement ce plan aidera le finan-cement des jeunes entrepreneurs qui nont souventdautre choix que de crer eux-mmes leur propreemploi, mais il permettra aussi, sur le modle desplates-formes dentreprises, de prciser les projets,damender les moins aboutis et dencourager lesides nouvelles.

    Simultanment, il apparat essentiel pour lavenirde dvelopper les filires de formation spcialisedans lentrepreneuriat, limage de lcole sup-rieure de commerce Advancia-Negocia, fonde par laChambre de commerce et dindustrie de Paris etdsormais membre de la confrence des grandescoles. Le taux lev de dfaillance des entreprisesaux Antilles sexplique par lexigut du march, mais

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    aussi par des erreurs de gestion imputables aumanque de formation des crateurs.

    LE RETOUR AUX FONDAMENTAUX: CULTIVER LA TERRE POUR SE NOURRIR

    Dans le monde complexe et ouvert que nousconnaissons aujourdhui, on a tendance oublier lesfondamentaux du dveloppement. Le philosopheoriental Gibran Khalil Gibran, un des hommes lesplus lus aux tats-Unis, crivait au sicle dernier: Malheur un pays qui ne cultive pas ce quilconsomme et qui ne tisse pas ce dont il se vtit. Lesdiffrents paradigmes du dveloppement reposentsur des invariants de base comme la question de lasouverainet alimentaire. Tous les grands pays dve-lopps et stables ont t, un moment de leurhistoire, en mesure de produire leurs propresbesoins alimentaires. Lobjectif de rduire la dpen-dance alimentaire des dpartements franaisdAmrique est un objectif stratgique pour ces terri-toires et pour leurs populations. Tous les spcialistesdu dveloppement savent cependant que les politi-ques agricoles sont moyen et long termes. Lauto-suffisance alimentaire des Antilles est un chantier deux gnrations.

    Paul Luu, directeur de lOffice du dveloppementde lconomie agricole des dpartements doutre-mer, estime que la Martinique et la Guadeloupeproduisent environ 45% de leur consommation.

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    Encore faut-il entrer dans le dtail: 50% de laviande de buf et 90% de la volaille qui constituepourtant une base carne de lalimentation locale sont importes. On aura beau jeu de rappeler, ici,que Cuba est un des producteurs dominants devolaille dans la rgion au moment o les Martini-quais et Guadeloupens consomment rgulirementdes poulets levs en Bretagne ou dans la Sarthe etvendus dans les supermarchs locaux. La souverai-net alimentaire, pour reprendre lexpression duministre de lAgriculture M. Michel Barnier, est doncloin dtre acquise. Les pistes de sortie de crisecombinent plusieurs axes de dploiement. Enpremier lieu, une politique agricole ambitieusetendant lautosuffisance, ce qui na jamais t lecas. Fortement marque par les accords europenssur laide aux rgions ultrapriphriques, lagricul-ture de ces territoires a donn la priorit aux produc-tions exportes comme la banane ou la canne. Noussavons tous que les bananes dollars produitespar les gants de lagroalimentaire amricain commela socit Dole bnficient de cots de productiontrs infrieurs, et ce en raison de lindigence dessalaires verss aux ouvriers agricoles dAmrique duSud. Faut-il persister dans cette voie et livrer unebataille des cots par avance perdue? Le pariengag dans les Antilles franaises rappelle celuipropos un temps aux agriculteurs africains:dve-loppez les cultures ligibles aux marchs spculati