la saga du south stream : un tournant géopolitique pour l'europe centrale et balkanique

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Fonds de dotation OSINTPOL Note d’analyse 12 août 2015 OSINTPOL La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l’Europe centrale et balkanique Yann Breault

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RésuméLa mort du projet de gazoduc South Stream annoncée en décembre 2014 et le projet alternatif de gazoduc Turkish Stream pourraient être lourds de conséquences pour l'Europe et ses relations avec la Russie. Afin d'évaluer dans quelle mesure la Saga du South Stream a affecté leurs rapports de force, cet article en retrace l’évolution depuis son chapitre d'ouverture, en 2006. En examinant les motivations des parties impliquées dans le South Stream, et en étudiant les perspectives et les défis posés par le projet alternatif vers la Turquie, il dégage trois leçons susceptibles d’orienter les efforts visant à stabiliser l'architecture de sécurité européenne: 1) La commission de l'UE a bel et bien réussi à contenir la stratégie d'intégration verticale de Gazprom; 2) La Russie a démontré qu’elle était prête à sacrifier beaucoup pour empêcher l'Ukraine de tomber dans une sphère d'influence rivale et qu’elle pourrait bien être en mesure d’atteindre son objectif; 3) Cette compétition géo-énergétique s’avère particulièrement risquée pour l’Europe centrale et balkanique et promet d’alimenter la discorde au sein de l'UE.SummaryThe death of the South Stream announced in December 2014 and the Turkish Stream gas pipeline project possible alternative could have significant consequences for Europe and its relations with Russia. In order to evaluate the extent to which the end of South Stream Saga indicates a changing power relation between Russia and the EU, this article traces the evolution of the pipeline project from its start in 2006. Dissecting the motivations of the parties involved in the South Stream and studying the prospects and challenges of the alternative gas pipeline through Turkey, it concludes with three lessons informing future efforts to stabilize the security architecture of Europe: 1) The EU commission is successfully containing Gazprom’s vertical integration strategy; 2) Russia is sacrificing a lot to prevent Ukraine for falling into a rival sphere of influence and could very well achieve its goal; 3) The ongoing geo-energy battle is particularly risky for Central Europe and Balkan regions and could increase disharmony within the EU.

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Page 1: La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l'Europe centrale et balkanique

Fonds de dotation OSINTPOL

Note d’analyse

12 août 2015

OSINTPOL

La saga du South Stream : un tournant

géopolitique pour l’Europe centrale et

balkanique

Yann Breault

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Fonds de dotation OSINTPOL

Note d’analyse

12 Août 2015

OSINTPOL

La saga du South Stream : un tournant

géopolitique pour l’Europe centrale et

balkanique

Yann Breault

Page 4: La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l'Europe centrale et balkanique

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science politique, notamment les domaines liés à la paix et aux relations

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s'inscrivent pleinement dans les débats parcourant ses sphères d'intérêt. La démarche

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Photographie : inauguration en 2013 des travaux d’assemblage de la partie bulgare du

South Stream.

Crédit : Gazprom, certains droits réservés.

Page 5: La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l'Europe centrale et balkanique

OSINTPOL La saga du South Stream

Fonds de dotation OSINTPOL

Sommaire

Sommaire ................................................................................. i

Liste des figures ........................................................................ ii

Biographie de l’auteur ............................................................... iii

Résumé .................................................................................. iv

Summary ................................................................................ iv

Introduction ........................................................................... 1

1. À la source du South Stream : l’Ukraine et le nouveau

rapport de force en Europe ................................................ 2

2. Le torpillage du South Stream : combattre l’entrée d’un

cheval de Troie ? ............................................................... 8

3. Le contournement du South Stream : l’émergence d’un axe

Moscou-Ankara ............................................................... 15

Conclusion : quelles leçons pour les acteurs d’Europe centrale

et balkanique ? ................................................................ 19

Repères bibliographiques ......................................................... 22

Page 6: La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l'Europe centrale et balkanique

La saga du South Stream OSINTPOL

ii

Liste des figures

Figure 1 : carte du projet de gazoduc South Stream reliant la Russie à

l’Europe centrale et balkanique……………………………………………………………… 2

Page 7: La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l'Europe centrale et balkanique

OSINTPOL La saga du South Stream

iii

Biographie de l’auteur

Yann Breault, Ph.D., est associé à OSINTPOL dès les origines du projet. Il

enseigne les politiques étrangères des États postsoviétiques au sein du

programme de maîtrise en relations internationales de l’Université du Québec

à Montréal (UQAM). Il est également professeur à temps partiel de politique

comparée à l’Université d’Ottawa. Sa thèse de doctorat (complétée en 2011

sous la direction de Jacques Lévesque) analyse les liens entre les

reconstructions des identités collectives et l’évolution des relations extérieures

entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie postsoviétiques. Elle est publiée sous

le titre Identité slavo-orientale et diplomatie postsoviétique (Presses

académiques francophones, 2012). Il est co-auteur de La Russie et son ex-

Empire, reconfiguration géopolitique de l’ancien espace soviétique (Science Po,

2003). Yann Breault a aussi récemment contribué à un ouvrage dirigé par J.L.

Black et M. Jones intitulé The Return of the Cold War: Ukraine, the West and

Russia (Routledge, 2015). Il est commentateur politique occasionnel à Radio-

Canada et gestionnaire du compte Twitter « Postsovietlandia ».

Page 8: La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour l'Europe centrale et balkanique

OSINTPOL La saga du South Stream

iv

Résumé

La mort du projet de gazoduc South Stream annoncée en décembre 2014 et le

projet alternatif de gazoduc Turkish Stream pourraient être lourds de

conséquences pour l'Europe et ses relations avec la Russie. Afin d'évaluer dans

quelle mesure la Saga du South Stream a affecté leurs rapports de force, cet

article en retrace l’évolution depuis son chapitre d'ouverture, en 2006. En

examinant les motivations des parties impliquées dans le South Stream, et en

étudiant les perspectives et les défis posés par le projet alternatif vers la

Turquie, il dégage trois leçons susceptibles d’orienter les efforts visant à

stabiliser l'architecture de sécurité européenne: 1) La commission de l'UE a bel

et bien réussi à contenir la stratégie d'intégration verticale de Gazprom; 2) La

Russie a démontré qu’elle était prête à sacrifier beaucoup pour empêcher

l'Ukraine de tomber dans une sphère d'influence rivale et qu’elle pourrait bien

être en mesure d’atteindre son objectif; 3) Cette compétition géo-énergétique

s’avère particulièrement risquée pour l’Europe centrale et balkanique et

promet d’alimenter la discorde au sein de l'UE.

Summary

The death of the South Stream announced in December 2014 and the Turkish

Stream gas pipeline project possible alternative could have significant

consequences for Europe and its relations with Russia. In order to evaluate the

extent to which the end of South Stream Saga indicates a changing power

relation between Russia and the EU, this article traces the evolution of the

pipeline project from its start in 2006. Dissecting the motivations of the parties

involved in the South Stream and studying the prospects and challenges of the

alternative gas pipeline through Turkey, it concludes with three lessons

informing future efforts to stabilize the security architecture of Europe: 1) The

EU commission is successfully containing Gazprom’s vertical integration

strategy; 2) Russia is sacrificing a lot to prevent Ukraine for falling into a rival

sphere of influence and could very well achieve its goal; 3) The ongoing geo-

energy battle is particularly risky for Central Europe and Balkan regions and

could increase disharmony within the EU.

Pour citer ce document

Yann Breault, « La saga du South Stream : un tournant géopolitique pour

l’Europe centrale et balkanique », Note d’analyse d’OSINTPOL, 12 août 2015.

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OSINTPOL La saga du South Stream

Fonds de dotation OSINTPOL

Introduction

Le 1er décembre 2014, le président russe Vladimir Poutine se rend à Ankara

pour y annoncer la construction d’une importante nouvelle voie gazière, le

Turkish Stream. Il s’agit en l’occurrence d’une solution alternative au South

Stream, le projet de gazoduc sous-marin en direction de l’Europe centrale via

la Bulgarie, dont Gazprom annonce simultanément la mort1. Si l’on en croit

l’explication officielle, cette mort serait directement causée par les obstacles

crées par la Commission européenne2.

Tant à Bruxelles qu’à Berlin, on peine à croire qu’il s’agit là d’un tournant

décisif. Le chef de la Commission Jean-Claude Juncker s’empresse de formuler

l’hypothèse d’un chantage politique3, tandis que la chancelière allemande

Angela Merkel encourage la Bulgarie à reprendre les négociations avec

Gazprom4. Pourtant, il appert que les efforts visant à contraindre le

consortium South Stream d’accepter les dispositions du « troisième paquet

énergie » ne fonctionneront pas. Avant la fin de l’année 2014, les trois

entreprises européennes impliquées dans le projet – EDF (France), BASF-

Wintershall (Allemagne) et EDI (Italie) – annoncent qu’elles se retirent de

l’aventure, cédant leurs parts (qui totalisaient 50 %) à Gazprom5.

Ce dénouement aussi spectaculaire qu’inattendue représente-t-il un virage

irréversible dans la relation énergétique entre la Russie et l’Europe ? Tant et

aussi longtemps que les travaux de construction du Turkish Stream ne seront

pas lancés, aucun scénario n’est à exclure. Or, compte tenu des leçons que les

États de l’Europe centrale et balkanique peuvent d’ores et déjà tirer du projet

de rapprochement avec la Turquie annoncé par Moscou, l’abandon du South

Stream promet d’être lourd de conséquences, notamment pour l’harmonie au

sein de l’Union européenne (UE).

Afin d’évaluer dans quelle mesure l’échec du South Stream traduit un

changement dans le rapport de force entre la Russie et l’UE, cet article

examine, dans un premier temps, les caractéristiques de son évolution depuis

sa naissance. Dans un second temps, il discute les motivations des principaux

acteurs impliqués dans ce projet, cherchant à cerner les contours de la

confrontation qui s’est mise en place depuis son lancement en 2006. Dans un

1 « Putin, Gazprom Say South Stream Pipeline 'Closed' », RFE/RL, 1er décembre 2014. 2 « News conference following state visit to Turkey », President of Russia, 1er décembre 2014. 3 « Russia is 'strategic problem' for EU, Juncker says », EUbusiness, 4 décembre 2014. 4 « Merkel urges Bulgaria to seek new talks with Putin on South Stream », Reuters, 15 décembre 2014. 5 E. Mazneva et J. Kraus, « Gazprom to Buy Out Partners in Canceled South Stream Project », Bloomberg, 29 décembre 2014.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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troisième temps, prenant acte des nouveaux défis posés par l’ambition russe

d’une collaboration intensifiée avec Ankara, cet article identifie les

enseignements que l’on peut tirer du dénouement de cette saga.

1. À la source du South Stream : l’Ukraine et le

nouveau rapport de force en Europe

C’est d’abord avec l’Italie que la Russie s’associe pour lancer le projet de

construction d’un gazoduc sous-marin destiné à acheminer annuellement 63

milliards de m3 de gaz russe aux Balkans, faisant de cette région un tremplin

pour les approvisionnements de l’Italie et de l’Europe centrale. En novembre

2006, Gazprom (Russie) et ENI (Italie) signent une entente stratégique « pour

la création d’une alliance internationale »6 en vue de réaliser un tel projet. Le

président Sylvio Berlusconi développe alors une relation de proximité et même

de complicité avec Poutine. Gazprom (dont l’actionnaire majoritaire depuis

2005 est l’État russe) et ENI (dont le principal actionnaire est l’État italien)

collaborent pour la construction du gazoduc sous-marin Blue Stream (d’une

capacité de transport annuel de 16 milliards de m3) reliant la Russie à la

Turquie (en opération depuis 2003)7.

Avec cette nouvelle entente, Berlusconi gagne non seulement un autre lucratif

contrat de construction de gazoduc sous-marin pour Saipem (une filiale

d’ENI), mais aussi la possibilité d’être relié à une source d’énergie avantageuse.

C’est du moins ce que l’on espère à Rome, considérant que les alliés de la

Russie parviennent à négocier de meilleurs prix ou d’autres privilèges

périphériques (comme des contrats d’armements, dans le cas de l’Italie)8. Dans

la mesure où Gazprom doit servir les intérêts de son actionnaire majoritaire, il

est notoire que les prix proposés varient en fonction du degré de coopération

économique et de soutien diplomatique offert par le client. C’est largement ce

qui explique, par exemple, que la Biélorussie, qui est membre de l’Union

eurasiatique, paie son gaz près de deux fois moins cher que la Lituanie, qui elle

est membre de l’UE9.

6 « Eni and Gazprom sign strategic agreement », ENI Press release, 14 novembre 2006. 7 « Blue Stream », Gazprom, 2003-2015. 8 Il est intéressant que souligner que Moscou a signé un important contrat d’achat de véhicules blindés multifonctions avec la firme italienne Iveco Defence Vehicles, et ce malgré des critiques internes à l’effet que les industriels russes étaient en mesure de produire de tels véhicules. « Italian Combat Vehicle in New Fight With Russian Tigr », RIA Novosti, 21 janvier 2013. 9 G. Kates et L. Luo, « Russian Gas: How Much Is That? », RFE/RL, 1er juillet 2014.

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OSINTPOL La saga du South Stream

3

Figure 1 : carte du projet du gazoduc South Stream reliant la Russie à l’Europe centrale et balkanique

Source : Gazprom, 2014.

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La Saga du South Stream OSINTPOL

4

Jusqu’en 2004, c’est-à-dire sous la présidence de Léonide Koutchma, les rabais

consentis à l’Ukraine étaient directement liés à perspective d’intensifier son

intégration dans l’espace économique eurasiatique, une perspective que laissait

alors encore miroiter Kiev. Koutchma avait alors promis à l’Allemagne et à la

Russie la possibilité de prendre conjointement le contrôle du transport gazier

(en laissant 33 % des parts à l’Ukraine)10. Or, cette situation n’est plus du tout

la même à compter de janvier 2005. Compte tenu de l’orientation clairement

euro-atlantique du nouveau président Viktor Iouchtchenko (porté au pouvoir à

la suite de la « révolution orange »), Gazprom cherche à imposer au

transporteur gazier ukrainien Naftohaz des prix qui sont alignés sur la norme

européenne.

En repoussant le plus longtemps possible les demandes russes, Kiev fait le pari

que Moscou n’osera pas décevoir ses clients. Depuis le démantèlement de

l’URSS, l’Ukraine a toujours su négocier avantageusement avec Gazprom,

sachant qu’en cas de conflit, puisqu’elle tient le robinet gazier donnant accès

aux clients européens, elle dispose d’un argument de poids. Or cette fois, cela

s’avère un mauvais calcul.

En janvier 2006, pour faire pression sur l’Ukraine, Gazprom se montre prêt à

mettre en jeu sa fiabilité comme source d’approvisionnement. N’ayant plus de

contrat d’achat en vigueur, l’Ukraine fait alors, pour la première fois, l’objet

d’une interruption de livraison de gaz correspondant au volume de sa

consommation. Les autres États se trouvant en aval du gazoduc comme la

Hongrie et l’Allemagne voient leur approvisionnement chuter11. Lors de cette

première mouture de la « guerre du gaz » russo-ukrainienne qui dure quatre

jours, Bruxelles se voir contraint d’encourager Kiev et son transporteur gazier

Naftohaz à trouver rapidement un compromis12.

Les chancelleries occidentales et les anciens États-satellites de l’URSS

dénoncent haut et fort l’agressivité de la stratégie de Gazprom (ce qu’ils

n’avaient pourtant pas fait en février 2004, lorsque Gazprom avait

momentanément fermé le robinet de son gazoduc vers un État qui refuse

l’intégration néolibérale européenne, la Biélorussie)13. En effet, en avril 2006,

lors d’une rencontre au sommet des chefs d’État de la région de la Baltique et

de la mer Noire, le vice-président américain Dick Cheney suscite des

10 Pour une discussion sur ce qui semblait être alors un scénario vraisemblable, voir la section « Vers une intégration dans le secteur de l’énergie » (p. 130-135) dans La Russie et son ex-Empire (Y, Breault, P. Jolicoeur et J. Lévesque, Paris : Sc. Po, 2003). 11 T. Parfitt, « Russia turns off supplies to Ukraine in payment row, and EU feels the chill in Moscow », The Guardian, 2 janvier 2006. 12 J. Stern, « The Russian-Ukrainian gas crisis of January 2006 », Oxford Institute for Energy Studies, 16 janvier 2006. 13 Un geste que le président Alexandra Loukashenko avait alors qualifié de « terrorisme gazier ». J. Stern, The Future of Russian Gas and Gazprom, Oxford University Press, p. 100.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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applaudissements enthousiastes lorsqu’il affirme que l’utilisation de l’arme

gazière comme levier d’influence politique ne sera pas tolérée par

Washington14.

S’il est fondamental de rappeler que c’est suite à ce conflit russo-ukrainien

qu’émerge le projet du South Stream, il faut aussi garder à l’esprit que cette

crise survient dans un contexte plus large d’affirmation de la Russie comme

« superpuissance énergétique », une formulation que l’on entend dans les

coulisses du Kremlin à la veille du sommet du G8 à Saint-Pétersbourg15.

Stimulés par la croissance de l’économie chinoise, les prix de l’énergie

grimpent en flèche et personne ne doute alors qu’il s’agit là d’une tendance

lourde. Moscou se sent désormais en position de force pour renégocier le prix

de ces exportations de gaz naturel avec chacun de ses clients.

Dans ce contexte de renégociation des prix empreint d’incertitudes, les États

qui dépendent lourdement du territoire ukrainien pour leurs importations de

gaz en provenance de la Russie se montrent naturellement intéressés par les

options de contournement de l’Ukraine. N’ayant pu prendre avec la Russie le

contrôle des gazoducs ukrainiens, l’Allemagne, qui importe 40 % de son gaz en

provenance de Russie, s’active intensivement pour se doter d’une telle police

d’assurance. Dès 2005, le chancelier allemand Gerhard Schroeder encourage

vigoureusement la construction du North Stream (d’une capacité annuelle de

60 milliards de m3) sur le fond de la mer Baltique16. Le gazoduc qui relie

directement la Russie au marché allemand entre en opération à compter

201117.

Bien entendu, l’Europe centrale espère la même chose. L’Autriche et la Hongrie

reçoivent la moitié de leur gaz de la Russie, et la totalité de ce gaz traverse

l’Ukraine. Encore plus que l’Allemagne, ces États se sentent en position de

grande vulnérabilité face au conflit russo-ukrainien.

Certes, le premier choix de Vienne et de Budapest demeure le projet de

gazoduc Nabucco18, qui ne fait pas qu’éviter le problème ukrainien, mais qui

promet de réduire la dépendance énergétique envers la Russie. L’objectif est de

14 Observations personnelles de l’auteur, qui assistait à cette conférence de Vilnius en tant que membre de la délégation canadienne. Le discours de l’ex-vice président américain est reproduit dans le New York Times, 4 mai 2006, « Cheney’s Speech in Lithuania ». 15 D. Orlov, Byt' li Rossii "energetitcheskoi sverkhderjavoi"?, Izvestiya, 17 janvier 2006. 16 B. S. Whist, Nord Stream : Not Just a Pipeline, Fridtjof Nansen Institute, 2008. 17 Il est significatif de souligner que depuis son départ de la chancellerie, Schroeder siège sur le conseil d’administration du consortium qui gère le North Stream. 18 Ce nom évoque l’opéra de Verdi qui traite de la domination des Juifs par Babylone. Au 19e siècle, il s’agit d’une métaphore historique servant à dénoncer le joug austro-hongrois sur Milan, mais lorsque le projet Nabucco émerge en 2003, il constitue une allusion subtile aux périls de l’impérialisme russe.

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La saga du South Stream OSINTPOL

6

raccorder l’Europe aux ressources de la mer Caspienne, les seules réserves

alternatives susceptibles de satisfaire la demande croissante de l’Europe

centrale.

Seulement, le Nabucco n’arrivera jamais à trouver des sources fiables

d’approvisionnement. L’Iran devait initialement être le principal exportateur

gazier relié à ce projet, mais en 2006 le pays tombe sous le coup des sanctions

européennes, ce qui bloque sa participation potentielle. Qui plus est, il appert

que les gisements du Kazakhstan et du Turkménistan ne sont pas davantage

accessibles, du moins à court et moyen terme. Les incertitudes sur le statut

juridique de la Caspienne (les lignes de démarcation du fond marin font

toujours l’objet de négociations entre l’Iran et ses voisins) rendent utopique le

rêve d’un gazoduc transcaspien qui prolongerait le Nabucco sur la rive

orientale de la mer intérieure19.

Alors que les derniers espoirs du Nabucco portent sur l’Azerbaïdjan, Bakou

enfonce le clou en 2009 en annonçant que le pays s’engagera plutôt à alimenter

prioritairement le South Stream20. La démonstration de force donnée par

Moscou au gouvernement proaméricain de Géorgie lors de la guerre d’août

2008 a contribué à rapprocher Bakou et Moscou sur cet enjeu21. Les milices

arméniennes du Haut-Karabagh occupent encore le tiers du territoire azéri et

Bakou doit admettre que l’OTAN, qui vient de laisser tomber la Géorgie, ne lui

sera d’aucun secours. L’Azerbaïdjan, qui ne peut espérer de solution à ce

« conflit gelé » sans le concours de la Russie, doit soigner ses rapports avec

Moscou.

De 2006 à 2014, la diplomatie russe gagne ainsi plusieurs batailles importantes

visant à limiter les approvisionnements de l’UE en provenance de sources

concurrentes, ou du moins à garder la mainmise sur les voies d’exportation. La

prise de contrôle par Gazprom de 100 % des actions du transporteur gazier

Beltranshaz en Biélorussie constitue l’une de ces victoires22, mais ce n’est pas

la plus importante : le South Stream a le vent dans les voiles.

En effet, on assiste au cours de cette période à la conclusion d’ententes avec

tous les États concernés, y compris la Turquie, qui accepte formellement en

2011 que le gazoduc passe sur le fond marin de son secteur de la mer Noire23.

19 A. Aliev, « Gazoprovodnyi mandat », Ekspert Online, 13 septembre 2011. 20 B. Whitmore, « Azerbaijan Could Scuttle Nabucco Over Turkey-Armenia Deal », RFE/RL, 19 octobre 2009. 21 H. Kjaernet, « Azerbaijani-Russian relations and the economization of foreign policy », in Caspian Energy Politics: Azerbaijan, Kazakhstan and Turkmenistan, sous la dir. de I. Overland, H. Jaernet et A. Kendall-Taylor, p. 154. 22 S. Wagstyl, Gazprom: winning in Belarus, Financial Times, 25 novembre 2011.

23 I. Gorst et D. O’Byrne in Istanbul, Turkey deal boosts Russia’s pipeline project, Financial Times, 29 décembre 2011.

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OSINTPOL La saga du South Stream

7

En plus de la Bulgarie, de la Serbie, de la Hongrie, de la Slovénie et de la Grèce

s’ajoutent des projets de tronçons complémentaires avec la Croatie et la

Macédoine. Fort du soutien des firmes BASF-Wintershall et EDF (auxquelles

ENI cède en 2011 plus de la moitié de ses parts), le projet n’ambitionne plus de

traverser l’Adriatique tant la liste des clients s’allonge en Europe centrale. Les

coûts de construction s’annoncent élevés, avoisinant les 40 milliards USD24,

mais dans la mesure où la demande promet de poursuivre sa croissance, on

croit en la rentabilité du projet, et surtout à l’avantage géopolitique qu’il

confère à la région. Jusqu’à l’été 2014, rien encore ne semblait pouvoir

compromettre la réalisation du projet. Les travaux débutés en décembre 2012

étaient déjà bien avancés sur la section terrestre en Russie, et les tuyaux étaient

déjà au port d’Anapa, prêts à tapisser le fond marin.

Le point culminant illustrant la force des appuis à ce projet est observé à

Vienne en juin 2014, lorsqu’en pleine crise diplomatique entourant l’annexion

de la Crimée, l’Autriche revient s’ajouter à la liste des États qui prévoient

participer au prolongement du South Stream sur son territoire25. Dans ce pays

relativement eurosceptique qui affiche publiquement son désaccord avec les

sanctions contre la Russie26, l’ambiance qui règne lors de la rencontre avec

Poutine est joviale. Le président de la chambre de commerce lui fait remarquer

qu’une partie de l’Ukraine avait déjà été autrichienne. Poutine répond à la

blague : « Qu’est que cela veut dire ? Que proposez-vous ? »27. Ce cliché

impérialiste laisse songeur, mais à l’évidence, l’accueil offert à Poutine

constitue un acte de résistance contre la politique étrangère de l’UE. Cet État

périphérique de l’Allemagne refuse d’être pris en otage dans une confrontation

émergente qui ne concerne pas uniquement que les relations russo-

ukrainiennes, mais qui touchent au cœur des relations entre Moscou,

Washington et Bruxelles.

24 B. Lewis et H. Gloystein, Russia's South Stream gas line viable but legally risky, Reuters, 16 décembre 2013. 25 G. Prodhan et M. Shields, « Austria signs Russian pipeline deal, hosts rare Putin visit », Reuters, 24 juin 2014. 26 « The Eurosceptics’ victory: Austrians flocked to populist parties », The Economist, 5 octobre 2013; J. Dempsey, « A Who’s Who Guide to EU Sanctions on Russia », Carnegie Europe, 20 mars 2014; « Austrian president says tougher sanctions on Russia “stupid and harmful step” » , Unian, 29 décembre 2014. 27 G. Prodhan et M. Shields, « Austria signs Russian pipeline deal, hosts rare Putin visit », Reuters, 24 juin 2014.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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2. Le torpillage du South Stream : combattre l’entrée

d’un cheval de Troie ?

Les exportations de gaz russe vers l’Europe totalisent annuellement 163

milliards de m3 (2013), ce qui à un prix moyen de 385 $ pour 1 000 m3,

représente des ventes de plus de 60 milliards USD28. À elles seules, les taxes

sur l’exportation de gaz naturel constituent 4 % du budget fédéral russe29. Ce

revenu, auquel s’ajoutent aussi les dividendes de Gazprom (1,7 milliard USD en

2013)30 est indispensable pour stimuler la croissance, notamment les

investissements dans l’industrie de la défense.

Pour comprendre à quel point le secteur des ressources naturelles, largement

dominé par la filière énergétique, constitue pour Poutine la principale planche

de salut de la Russie en ruines dont il hérite, on peut faire un bref retour sur sa

thèse en économie31. Celle-ci défend l’idée que pour rester un pôle géopolitique

indépendant, l’État ne doit pas laisser ce secteur stratégique échapper à son

contrôle. Bien entendu, dans une économie mondialisée, ce contrôle ne se

limite pas aux frontières politiques de la Russie.

Ce comportement n’a rien d’étonnant en soi, puisqu’il rappelle celui d’autres

États exportateur d’énergie, la Norvège par exemple, où l’État a jalousement

gardé le contrôle sur l’exploitation et la distribution des hydrocarbures.

Néanmoins, il marque une rupture idéologique avec l’ère néolibérale sous

Boris Eltsine, période pendant laquelle le salut de pays semblait devoir passer

par une subordination du politique à l’économique. Possiblement inspirée du

modèle de développement économique chinois, qui présente une croissance

beaucoup plus alléchante que celle de l’espace euro-atlantique, la mise en

œuvre de cette stratégie s’inscrit dans la reconstruction de la « verticale du

pouvoir » que Poutine a annoncée dès son arrivée au pouvoir en 2000.

Illustrant combien l’appareil judiciaire peut être efficacement mis à

contribution pour l’atteinte de cet objectif, l’arrestation de l’oligarque Mikhaïl

Khodorkovski en 2003 et la liquidation subséquente des actifs de la pétrolière

Ioukos confirme l’avènement d’une reprise en main politique des secteurs

stratégiques de l’économie32. La démonstration de force du président est

28 « Gazprom Says Europe Gas Exports Up 16% in 2013 », Sputnik, 13 janvier 2014 29 R. Dickel et al. Reducing European Dependence on Russian Gas: distinguishing natural gas security from geopolitics, Oxford Institute for Energy Studies, octobre 2014, p. 56. 30 « Russia’s oil giants bicker over ‘fair share’ of government payments », Russia Today, 15 juillet 2013. 31 H. Balzer, « The Putin Thesis and the Russian Energy Policy », Post-Soviet Affairs, vol. 21, no 3, 2005, p. 210-225. 32 M. Goldman, Petrostate: Putin, Power, and the New Russia, Oxford University Press, 2008.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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d’autant plus éloquente que l’entreprise Rosneft, contrôlée par le

gouvernement russe, met la main sur les champs pétroliers de Khodorkovski

pour une bouchée de pain, et réussit en 2006 son entrée boursière à la City33.

Dans ce contexte de centralisation du pouvoir russe, la percée de Gazprom en

Europe centrale et balkanique en indispose plusieurs34. La thèse dominante au

sein du monde anglo-saxon consiste à y voir l’expression d’un néo-

impérialisme tentaculaire qui vise à pénétrer le cœur de l’Europe pour y assoir

sa domination. Les journalistes J. Yardley et J. Becker écrivent dans le New

York Times que le South Stream constitue la pièce maîtresse d’un grand

jeu machiavélique : « Le projet le plus important de Monsieur Poutine est un

outil de puissance géopolitique et économique nécessaire pour atteindre deux

buts : maintenir l’Europe dépendante du gaz russe, ainsi qu’étendre plus loin

l’influence russe dans les États fragiles anciennement satellites de l’URSS de

manière à miner l’unité européenne »35.

Au cœur de ces inquiétudes réside la stratégie russe d’intégration verticale. En

effet, le géant gazier cherche à acquérir des parts dans les entreprises

européennes destinées au transport et à la distribution de gaz, ainsi que dans

des centrales électriques au gaz36 pour sécuriser son accès à son principal

marché d’exportation. L’influence grandissante de Gazprom en Europe

laisserait ainsi planer le spectre d’une ingérence politique russe auprès des

États membres, ce que Bruxelles et Washington voient d’un mauvais œil.

Tout comme pour le North Stream vers l’Allemagne, la réalisation du South

Stream repose sur ce modèle d’affaires qui nécessite une étroite collusion

d’intérêt entre Gazprom et les entreprises nationales engagées dans la

distribution. Sauf dans le cas de la Serbie, dont la compagnie Srbijagas ne

conserve qu’une participation minoritaire de 49 % dans le projet (qui prévoit,

en plus du gazoduc, la construction d’un nouveau réservoir géant), ces

nouveaux consortiums sont contrôlés à 50 % par Gazprom et à 50 % par une

compagnie dont l’État est le principal actionnaire. Ainsi, l’opérateur South

Stream Bulgaria est développé en partenariat avec Bulgaria Energy Holding.

Le tronçon hongrois, lui, est financé par Hungarian Development Bank. Le

33 C. Ducourtieux, « Moscou réussit l'introduction en Bourse de Rosneft », Le Monde, 15 juillet 2006. 34 Le journaliste Edward Lucas de l’hebdomadaire The Economist est probablement le plus influent porte-étendard de ces analystes qui cherchent depuis plusieurs années à mettre en garde l’UE contre le danger que représente l’influence grandissante de Gazprom en Europe. Voir The New Cold War: Putin's Russia and the Threat to the West, Palgrave Macmillan, 2008. 35 Traduction libre de l’auteur, tirée de J. Yardley et J. Becker, « How Putin Forged a Pipeline Deal That Derailed », New York Times, 30 décembre 2014. 36 Pour le detail des activités d’acquisition de Gazprom sur le marché européen, voir l’ouvrage d’Anita Orban Power, Energy, and the New Russian Imperialism, Praeger, 2008.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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prolongement autrichien du South Stream est développé conjointement avec

OMV group, et ainsi de suite37.

Or, ce modèle constitue un véritable défi pour Bruxelles et Washington, qui

rêvent au contraire de pouvoir libéraliser le marché de l’énergie, notamment

dans les anciennes républiques soviétiques, où les compagnies européennes et

américaines souhaitent pouvoir étendre leurs activités d’exploration,

d’exploitation et de transport. Comme le formule J. H. Keppler, l’objectif est de

« sanctuariser » les affaires énergétiques, c’est-à-dire « minimiser les

interdépendances avec la politique étrangère »38. Formulée au nom de l’intérêt

des consommateurs et du développement des énergies renouvelables, l’idée

centrale de ce marché européen de l’énergie est de fragmenter les grandes

entreprises d’État et d’accroître les investissements étrangers dans le secteur.

La stratégie envisagée consiste à exiger une séparation entre les producteurs de

gaz (ainsi que d’électricité) et les entreprises engagées dans le transport et la

distribution aux clients. Au sein de l’UE et des États participants à sa zone de

libre-échange, on discute depuis de nombreuses années d’un tel projet et

l’adoption des deux premiers paquets législatifs gaziers en 1999 et 2003 en

avait déjà posé les jalons, notamment en imposant la compatibilité des

systèmes de transport, ainsi que la séparation administrative des producteurs

et des distributeurs.

Cependant, dans la mesure où la mise en œuvre complète d’un tel projet

contrevient aux intérêts de grandes entreprises européennes verticalement

intégrées dont celles de la France, de l’Italie et de l’Allemagne sont les

principaux actionnaires, les Russes ne s’en inquiètent pas trop initialement.

EDF, BASF et ENI représentent les éléments fondamentaux d’une souveraineté

économique auxquels les États les plus influents de l’UE ne souhaitent pas

renoncer.

Seulement, conséquence de la première crise gazière russo-ukrainienne, mais

aussi de la guerre menée par la Russie contre la Géorgie de 2008 et, de

manière générale, des inquiétudes quant à l’attitude plus musclée du Kremlin

dans ses relations avec ses voisins, la question énergétique se transforme

rapidement en une question de sécurité39. La reprise de la confrontation

37 Pour un aperçu des ententes conclues pour chacun des tronçons terrestres du South Stream, Voir I. Dimitrova, « EU-Russia Energy Diplomacy », dans Energy Security in the Wider Black Sea Area – National and Allied Approaches, sous la dir. de E. Lyutskanov, L. Alieva et M. Serafimova, p. 18-19. 38 J. H. Keppler, « L'Union européenne et sa politique énergétique », Politique étrangère, no 3, 2007, p. 537. 39 I. Fortin, «Never waste a good crisis»: La sécurisation des questions énergétiques à l’intérieure de l’Union Européenne suite à la crise gazière entre la Russie et l’Ukraine de 2009, Article présenté au congrès 2015 de la Société québécoise de science politique, Université Concordia, Montréal, 21 mai 2015.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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gazière entre la Russie et l’Ukraine en janvier 2009 (qui perdure cette fois une

dizaine de jours qui forcent certains États à faire tourner leurs usines au ralenti

afin ne pas priver de chauffage les unités d’habitation)40 fait croître le nombre

de partisans au projet de marché de l’énergie au sein de l’UE.

Pour obtenir l’appui de la France, de l’Italie et de l’Allemagne à ce projet

législatif, Bruxelles propose de contourner l’exigence d’une séparation entre

producteurs et distributeurs. Selon la formule qui est retenue, les grandes

entreprises énergétiques européennes devront simplement se soumettre à un

mécanisme de surveillance devant travailler de concert avec la Commission, et

notamment obtenir son approbation pour les demandes de dérogation aux

règles européennes.

Ce qui importe, c’est que les contrats d’achat et de livraison ne seront

désormais plus négociés d’un point distant à l’autre, mais devront être

fractionnés dans un système formé de points multiples d’entrée et de sortie,

des points à partir desquels le prix et le volume devront être négociés pour des

termes plus courts par un plus grand nombre de joueurs. Ces points seront

répartis, non plus aux postes frontaliers, mais aux intersections de réseaux, aux

unités de production ainsi qu’aux réservoirs41. Les cinq directives et règlements

qui composent ce « troisième paquet énergétique » sont formellement adoptés

par le parlement européen en juillet 200942.

D’un point de vue géopolitique, le principal avantage pour les États membres

de l’UE réside dans le fait que le système d’entrées/sorties serait

particulièrement douloureux pour Gazprom, qui contrairement aux

entreprises européennes, doit traverser une longue distance et généralement

plusieurs frontières pour rejoindre ses clients. Pour se conformer au projet

législatif européen, le géant russe devra ainsi renégocier et faire valider par

l’UE les modalités d’acheminement de son gaz à travers de nouveaux points de

transaction, qui seront désormais accessibles aux producteurs concurrents.

Ces nouvelles mesures législatives sont naturellement perçues à Moscou

comme une attaque en règle contre ses intérêts économiques. Mais pour

comprendre le comportement de Bruxelles, il faut garder à l’esprit les leçons

qu’elle a tirées de la première guerre du gaz en janvier 2006 concernant le

risque d’une interruption des livraisons de gaz.

40 S. Pirani, J. Stern et K. Yafimava, The Russo-Ukrainian gas dispute of January 2009: a comprehensive assessment, Oxford Institute for Energy Studies, février 2009. 41 K. Yafimava, The EU Third Package for Gas and the Gas Target Model: major contentious issues inside and outside the EU, Oxford Institute for Energy Studies, avril 2013. 42 « 3rd Energy Package gets final approval from MEPs », European Parliament, 29 avril 2009.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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De toute évidence, l’Europe n’est pas déçue que l’Ukraine orangiste doive

désormais s’adapter à une tarification énergétique comparable à la sienne, en

se voyant exiger le double du prix qu’elle payait. Bien au contraire, parce

qu’elle dépossède la Russie de l’un des principaux leviers d’influence qu’elle

détenait sur Kiev, cette nouvelle tarification facilite l’intégration future de

l’Ukraine au marché européen.

En revanche, le caractère obscur de l’entente qui a mis un terme à la crise de

janvier 2006 soulève bien des inquiétudes. Bien que celles-ci n’aient pas été

publiquement communiquées par les chancelleries occidentales, les

journalistes ont été nombreux à s’interroger sur le rôle de RosUkrEnergo, une

compagnie qui achète à moindre prix le gaz en provenance d’Asie centrale et de

Russie pour le revendre beaucoup plus cher à l’Ukraine43. Cette firme suisse est

détenue conjointement par Gazprom et une autre société basée en Suisse,

Centragas Holding, dont on apprend plus tard que le principal actionnaire

(détenant 90 % des parts) est l’oligarque ukrainien Dimitri Firtash44.

Le privilège consenti à Firtash a-t-il été rendu possible grâce à ces liens avec le

chef mafieux israélien S. Mogilevitch comme l’affirmait en 2006 à la BBC l’ex-

Première ministre ukrainienne Ioulia Timonchenko45 ? C’est l’une des

nombreuses questions qui alimente la suspicion à l’égard de rôle d’acteurs

occultes dans le marché énergétique européen46. La nature opaque des

transactions gazières s’effectuant entre une compagnie contrôlée

majoritairement par l’État russe et des oligarques servant d’intermédiaires

entre les transporteurs et distributeurs locaux constitue une menace au

principe de transparence du marché cher à Bruxelles.

L’existence de ces compagnies inquiète d’autant plus qu’elles sont susceptibles

d’influencer les joutes politiques internes des États. En effet, leur capacité de

négocier des prix et des volumes de transport leur confère un levier d’influence

d’autant plus troublant que l’on n’en connaît pas directement les bénéficiaires,

ce qui alimente les suspicions d’une corruption grandissante au sein des États

développant leurs relations bilatérales avec Moscou. Si la Commission

européenne accepte plus volontiers le rapprochement entre l’Allemagne et la

Russie, elle se montre beaucoup plus inquiète en ce qui a trait aux États de

43 S. Mufson, « Closer to the West, but Closed to Scrutiny », The Washington Post, 2 décembre 2006. 44 V. Berejnoi, « Kto vladaeet oukrainskim gazom », Izvestiya, 26 avril 2006. 45 BBC One, Panorama: The High Price of Gas, Transcript, 6 novembre 2006 46 E. Reguly, « The rise and fall of Ukrainian oligarch Dmitry Firtash », The Globe and Mail, 19 avril 2014.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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moindre envergure, ceux n’ayant pas la taille nécessaire pour négocier à armes

égales avec les oligarques de l’ex-URSS comme la Bulgarie47.

Avec la chute du gouvernement ukrainien de Viktor Ianoukovich en février

2014, Bruxelles et Washington espèrent profiter de la fenêtre d’opportunité qui

vient de s’ouvrir pour amener l’Ukraine à intégrer le marché européen de

l’énergie. Afin de contraindre les oligarques à se soumettre à la libéralisation

du secteur énergétique, les États-Unis prennent les devants en s’attaquant au

principal trader gazier ukrainien. C’est du moins la lecture des choses qui

s’impose après la chute d’Ianoukovitch, lorsqu’en mars 2014, un mandat

d’arrêt international est émis par la Cour de Chicago contre Firtash, prétextant

une histoire de trafic d’influence en Inde48. En effet, la Cour régionale de

Vienne qui examine le dossier conclut que la poursuite est motivée par une

volonté d’influencer la politique intérieure de l’Ukraine et refuse d’obtempérer

à la demande d’extradition49. Le milliardaire ukrainien est libéré (en échange

de la plus lourde caution jamais exigée, 125 millions d’Euros) et demeure à ce

jour en mesure poursuivre ses activités50.

Alors que Moscou semble gagner du terrain au cœur même de la « vieille

Europe », le dernier chapitre de la saga s’ouvre sur un autre front, en Bulgarie.

Il s’agit là, bien sûr, de l’État-clé de ce projet de gazoduc si attrayant qu’il est en

train de faire des États participants au South Stream un pôle de résistance à la

politique énergétique de Bruxelles. En avril 2014, véritable bravade à l’esprit

du troisième paquet législatif, le parlement bulgare vote une loi soustrayant le

transporteur gazier devant administrer la section bulgare du South Stream à

l’obligation de permettre l’accès à des États tiers51.

Seulement, l’UE a encore des cartes dans son jeu et Washington la presse de

s’en servir. Pour contraindre Sofia à suspendre la construction du gazoduc, la

Commission annonce, le 3 juin 2014, qu’elle va interrompre les versements

prévus dans le cadre de son programme de développement régional52. De plus,

la Commission menace Belgrade de poursuites concernant les irrégularités

dans l’octroi (en mai 2014) du contrat de construction à Stroytransgaz (une

47 A. Tchobanov, « Bruxelles met Sofia de mauvaise humeur », (Dnevnik) traduit dans Courrier International, 03 décembre 2008.

48 F. Nodé-Langlois et M. Picard, « L'arrestation de l'oligarque Firtach, un signal au Kremlin », Le Figaro, 18 mars 2014. 49 Vesti, « Ukraine : les révélations d'un milliardaire mettent Porochenko en danger », Sputnik, 12 mai 2015.

50 S. Dolintchouk, « Ledi i djentlmeny: Timochenko i Firtach protiv Porochenko », Forbes Oukraina, 12 mai 2015. 51 D. Leifheit, « South Stream in Bulgaria: Closing the Gap », Natural Gas Europe, 19 mai 2014. 52 « EC suspends million of leva regional development funds payments to Bulgaria », Sofia Globe, 4 juin 2014.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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compagnie appartenant à l’oligarque russe Guennadi Timtchenko, que l’on dit

proche de Poutine) en vertu des lois antitrust de l’UE53.

Depuis la découverte de gisements gaziers dans son secteur de la mer Noire en

2009, la Bulgarie est l’objet d’une forte rivalité géopolitique, et celle-ci fait

hésiter les politiciens locaux sur la marche à suivre. La firme américaine Exxon

est impliquée dans l’exploration du secteur. Elle y développe déjà de nouveaux

gisements avec les Roumains et lorgne du côté de la Bulgarie54. Pour faire

capoter un projet de transport qui menace les perspectives de développement

d’Exxon, la diplomatie américaine s’active. On ne connaît pas la teneur des

échanges qui ont lieu en catimini, mais toujours est-il qu’en juin 2014, au

lendemain de la visite à Sofia de trois sénateurs américains, dont John McCain,

la Bulgarie annonce la suspension des travaux de construction du gazoduc55.

Le soutien subséquent offert par l’Autriche au projet laisse encore croire à la

fin de juin 2014 que cette interruption n’est que temporaire, mais au cours des

derniers mois de l’année, le projet South Stream subit une série de coups de

boutoir supplémentaires. Dès juillet, Washington s’attaque à la filière

énergétique russe en plaçant la plus grande pétrolière russe, Rosneft, ainsi que

Gazprombank, la banque de Gazprom, sous le coup de sanctions.

La position de la Russie est que le crash inexpliqué de l’avion de Malaysia

Airlines et l’intensification des combats au Donbass constituent injustement

des prétextes au durcissement des mesures punitives prises contre l’économie

russe, un processus auquel participe l’UE56. À preuve, les accords de cessez-le-

feu négociés à Minsk avec l’appui de la France et de l’Allemagne ne dissuadent

pas les États-Unis de durcir encore le ton envers Moscou. Quelques jours après

l’arrêt quasi complet de combats, soit le 12 septembre 2014, Washington

annonce la plus sévère des vagues de sanctions contre la Russie. Cette fois, on

interdit aux compagnies américaines de vendre biens et services qui pourraient

permettre aux cinq plus grandes entreprises énergétiques russes de réaliser des

projets d’exploitation en eaux profondes, ainsi que des projets d’exploitation

d’hydrocarbures de schiste57.

53 « Bulgaria halts South Stream ‘pending consultations with EU’ », Sofia Globe, 8 juin 2014. 54 A. MacDowall, « Bulgaria pins hopes on Black Sea gas », Financial Times, 27 juin 2012. 55 P. Speigel, « Bulgaria deals Russia setback over gas pipeline project », Financial Times, 08 juin 2014. 56 F. Weir, Ukraine crisis: West's sanctions target Putin, not policy, Russia insists, The Christian Science Monitor, 28 novembre 2014. 57 U.S. Departement of the Treasury, « Announcement of Expanded Treasury Sanctions within the Russian Financial Services, Energy and Defense or Related Materiel Sectors », 12 septembre 2014.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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Certes, la mesure ne vise pas explicitement le projet South Stream, mais

devant le durcissement des sanctions, les entreprises italienne, française et

allemande réévaluent à la hausse le risque qu’elles encourent dans une

collaboration avec Gazprom et le pouvoir russe. Au cours de l’automne, la

perspective de rentabilité s’assombrit davantage avec la chute brutale des cours

du baril de pétrole – liée à l’effet conjugué de l’essor de l’exploitation des

pétroles de schiste aux États-Unis et de la volonté de l’Arabie Saoudite de ne

pas abaisser sa production. En novembre 2014, le ministre italien du

Développement économique affirme que le South Stream n’est plus une

priorité58.

Sans l’appui conjugué d’ENI, de BASF-Wintershall et d’EDF, la firme russe ne

peut espérer convaincre l’UE de lui accorder, comme elle l’a fait pour le North

Stream, un statut particulier lui permettant de contourner les dispositions du

troisième paquet législatif. En décembre 2014, le président russe prend acte de

cette réalité et ajuste sa tactique en conséquence. Son regard se tourne vers la

Turquie.

3. Le contournement du South Stream : l’émergence

d’un axe Moscou-Ankara

Dans cette compétition de plus en plus tendue pour l’accès au marché

européen, l’objectif principal poursuivi par la Russie ainsi que sa stratégie

n’ont pas changé. On cherche ici à limiter l’influence des chancelleries

occidentales en Ukraine, et la meilleure manière de décourager ces puissances

rivales d’y investir est de réduire l’importance du rôle qu’elle joue dans la

géopolitique gazière. Il faut pouvoir en contourner le territoire, de façon à

anéantir son statut de carrefour énergétique. À défaut de pouvoir le faire par la

Bulgarie, il ne reste qu’une option : la Turquie.

Une précaution s’impose ici d’emblée : la saga du Turkish Stream ne faisant

que commencer, il est hasardeux à ce stade-ci de vouloir en prédire le script.

Dans la mesure où Ankara et Moscou ont des intérêts divergents en Syrie et

dans les États producteurs riverains de la mer Caspienne, les avis sont partagés

quant aux chances du succès du rapprochement qui se dessine59. On peut

toutefois formuler quelques observations.

58 « Italy’s Guidi Downgrades South Stream from Priority to “Useful” », Natural Gas Europe, 19 novembre 2014. 59 R. Weitz, « Energy Security, Wider Middle East Russia-Turkey Energy Ties: Cooperation with Conflict », Diplomaatia, Septembre 2012.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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En acceptant de participer au Trans-Anatolian Pipeline (TANAP), dont la

construction a débuté en mars 2015, la Turquie contribue au développement

d’une première voie de contournement gazière de la Russie. Celle-ci promet

d’acheminer 16 milliards de m3 de gaz azéri vers le marché européen60. Pour

l’instant, ce volume qui correspond à 10 % des exportations de Gazprom en

Europe n’est pas trop menaçant, mais dans la mesure où l’Iran serait à l’avenir

autorisé à exporter vers Europe, la donne pourrait changer61. La Turquie

pourrait alors développer de nouveaux tronçons et se retrouver en position de

jouer les Russes contre les Iraniens (avec les Azéris et les Turkmènes) pour

obtenir le meilleur prix avant de revendre le gaz aux Grecs et aux Bulgares.

On ne connaît pas les détails du protocole d’entente signé entre Gazprom et le

géant gazier turc BOTAS en décembre 2014, ni ceux des accords annoncés en

mai 2015, lesquels prévoient que le Turkish Stream entrera en activité dès

décembre 2016, soit deux ans avant la date prévue pour le début des

importations azéries à travers le TANAP. On sait seulement que Gazprom a dû

consentir à des baisses substantielles de tarifs pour convaincre les Turcs de

signer, des baisses qui ne concernent que les volumes actuels puisque rien n’a

encore été conclu au sujet des futurs contrats d’achat62. À cette incertitude sur

le prix qu’obtiendra Gazprom s’ajoute une inconnue d’ordre géopolitique

concernant la force des pressions qui seront vraisemblablement exercées par

Washington pour convaincre Ankara de renoncer ou de reporter le plus

longtemps possible la réalisation au Turkish Stream.

Pour le moment, le théâtre des affrontements se déplace immanquablement

vers la Grèce, dont la participation à la construction d’un prolongement du

Turkish Stream sur son territoire est une pièce maîtresse de la négociation de

son rapport de force avec Berlin63. Si, d’aventure, Gazprom arrive à acheminer

son gaz en Grèce, la compagnie sera bien positionnée pour réclamer un accès

aux réseaux concurrents (conformément à la nouvelle législation européenne),

notamment au projet du Trans-Adriatique pipeline (TAP) qui doit rejoindre

l’Italie64.

Par ailleurs, il n’est pas exclu que la lutte d’influence s’étende déjà à la

prochaine étape du tracé, c’est-à-dire en Macédoine. C’est la lecture des choses

que l’on formule dans les médias russes, où l’on suggère que les troubles

60 « Turkey starts implementing the Trans-Anatolian Natural Gas Pipeline project », TASS, 17 mars 2015. 61 « Turkey and Iran’s Natural Gas », Natural Gas Europe, 09 avril 2015. 62 A. Lossan, « Gazprom peaufine les détails de Turkish Stream », RBTH, 3 février 2015. 63 C. Bayou, « Russie : Le Turkish Stream, un beau cadeau à l’Europe du Sud », Regard sur l'Est, 18 mai 2015. 64 D. Bechev, « Playing the Putin Card: What’s behind the Greek prime minister’s dalliance with Moscow? », Foreign Policy, 8 avril 2015.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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récents dans cette ex-République yougoslave pourraient être alimentés de

l’extérieure afin de compromettre la participation du pays au prolongement du

Turkish Stream65.

Le principal inconnu au sujet de l’avenir de l’alliance entre Moscou et Ankara

se trouve encore toutefois en Ukraine. Au rythme où les choses évoluent sur la

scène intérieure ukrainienne, l’année de 2019 qui doit marquer la fin des

exportations russes à travers l’Ukraine apparaît bien éloignée. D’ici là, bien des

développements peuvent encore survenir dans cet État hautement fragilisé.

L’hypothèse de l’existence d’un lien entre la mort du South Stream et la reprise

des combats armés au Donbass en janvier 2015 reste de l’ordre de la

spéculation, mais l’instrumentalisation du conflit ukrainien par les grandes

puissances est néanmoins manifeste. Ces combats sont interrompus en février

2015, après un impressionnant marathon diplomatique couru par la

chancelière allemande. Les modalités d’un nouveau cessez-le-feu sont

formalisées lors de cette rencontre historique de Minsk, où les chefs d’État de

la France, de l’Allemagne, de l’Ukraine et de la Russie ont accepté de faire le

voyage. La rencontre consacre le principe d’une fédéralisation de l’Ukraine,

mais les modalités d’un règlement pacifique du différend sont audacieuses66.

Pour l’heure, l’économie est en ruine, l’inflation est galopante, les oligarques

font toujours la loi, les combats sporadiques se poursuivent, et surtout, les

partisans des groupes nationalistes radicaux commencent à s’impatienter67.

Les États-Unis, mais aussi le Canada, offrent à l’Ukraine du matériel dit « non

létal », ainsi des formations militaires et des exercices dirigés par l’OTAN sur

son territoire, mais le plan de sauvetage économique qui serait nécessaire pour

relancer l’économie et éviter que le pays ne se déstabilise davantage ne vient

pas. Même si Kiev a formellement consenti à rentabiliser son réseau de

transport gazier (en vue de le privatiser) pour convaincre le FMI de débourser

une seconde tranche d’aide économique de 17,5 milliards USD, l’instabilité

interne permet à Moscou de croire que la bataille pour l’influence géopolitique

sur l’Ukraine n’est pas encore perdue.

Le moins que l’on puisse dire est que l’avènement-surprise du changement de

régime ukrainien a considérablement fait augmenter les enchères de la rivalité

géoéconomique. À Moscou, on estime plus que jamais que la détermination des

États-Unis et de l’Europe de s’attaquer aux intérêts de la Russie doit être

contrée par des moyens supplémentaires. C’est la morale de cette histoire de

l’ours racontée par Poutine dans la dernière mouture de sa ligne directe avec la

65 G. Mirzayan, « Makedoniya platit za troubou », Ekspert Online, 17 mai 2015. 66 J. Lévesque, « La crise russo-ukrainienne accouchera-t-elle d’un nouvel ordre européen ? », Le monde diplomatique, juin 2015. 67 M. Adomanis, « Ukraine is Probably Still Doomed », Russia!, 12 mai 2015.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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nation en avril 2015 : « Si l’animal se laisse attacher, ils vont lui arracher ses

dents et ses griffes et vont lui prendre sa taïga »68.

Le spectre d’une intensification de ce conflit armé aux portes de l’Europe, c’est-

à-dire la menace d’une confrontation militaire directe avec la Russie, constitue

le dernier levier d’influence qu’utilise Moscou pour empêcher le secteur gazier

ukrainien de tomber sous le joug des puissances de l’OTAN. C’est un pari

risqué, puisqu’il entraîne des mesures de rétorsion économiques

douloureuses69.

En août 2014, il semble tout de même porter ses fruits. Les avancées militaires

des rebelles séparatistes (approvisionnés en armement et vraisemblablement

aidés par des mercenaires russes) forcent les représentants de l’EU à entrer en

négociation directe avec les leaders des pays de l’Union économique

eurasiatique à Minsk, ce que Bruxelles avait jusqu’alors toujours refusé de

faire. Signe d’un rééquilibrage du rapport des forces en faveur de la Russie,

l’UE accepte que l’Ukraine reporte à janvier 2016 la levée des barrières

tarifaires appliquées aux produits européens. Bruxelles promet aussi de

négocier avec Moscou certaines exemptions pour des produits visés par

l’entente de libre-échange entre l’Ukraine et l’UE signée sans doute trop

précipitamment en juin 2014.

Le South Stream pourrait-il faire lui aussi l’objet d’une exemption ? La

question a certainement été soulevée, mais elle est devenue obsolète, compte

tenu des vagues de sanctions touchant précisément le secteur de l’énergie.

Cette évolution se précise avec la décision de la Commission (annoncée en avril

2015) d’intenter des poursuites qui pourraient s’élever à 10 milliards d’Euros

contre Gazprom. Le géant russe est accusé de fractionner le marché européen

(en empêchant ses clients de revendre le gaz à des États tiers) et d’exiger des

prix injustes et des prises de concessions aux transporteurs locaux (en

contrepartie des ententes d’approvisionnement)70. Les négociations futures

entre Gazprom et la Commission s’annoncent difficiles.

Dans l’état actuel des choses, aucun signe ne laisse croire que le projet des

chancelleries occidentales visant à torpiller les projets d’expansion de

Gazprom pourrait être abandonné au profit d’une d’un apaisement des

tensions géopolitiques. Est-ce là une raison suffisante pour exclure un tel

scénario ? Pas nécessairement. Mais une chose est désormais certaine : la

68 « Top 10 memorable moments from Putin's marathon LIVE Q&As », Russia Today, 15 avril 2015. 69 J. Vercueil, « L’économie russe et les sanctions. Une évaluation des conséquences du conflit ukrainien »,

Note de l’Observatoire franco-russe, no 9, novembre 2014.

70 J. Kanterapril, « In Accusing Russian Energy Giant Gazprom, E.U. Begins a Test of Wills », The New York Times, 22 avril 2015.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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Turquie est devenue un joueur incontournable du processus de renégociation

du rapport des forces.

Conclusion : quelles leçons pour les acteurs d’Europe

centrale et balkanique ?

De cette saga peuvent être tirés trois principaux enseignements qui risquent

d’influencer le comportement des premières victimes de la tragédie du South

Stream, c’est-à-dire les États d’Europe centrale et balkanique.

Il importe ici de ne pas confondre ces acteurs avec cet ensemble

postcommuniste des « pays de l’Europe centrale et orientale » (PECO). D’une

part, c’est un État issu de la « vielle Europe », l’Autriche, qui demeure, par la

taille de son économie, le principal acteur de cette région autrefois sous son

joug. D’autre part, les États qui ne sont pas dépendants du territoire ukrainien

pour leur approvisionnement en gaz russe comme la Pologne et les pays baltes

se trouvent dans une situation géopolitique différente. Ne risquant pas d’être

pris en otage par la bataille pour l’Ukraine, ceux-ci peuvent plus facilement se

solidariser des efforts visant à limiter l’influence de Gazprom en Europe.

Leçon no 1 : Devant l’attaque concertée des sanctions américaines

et des menaces de poursuites judiciaires de l’UE, le

géant Gazprom est contraint de renoncer à sa stratégie

d’intégration verticale en Europe.

Le projet South Stream fut un levier d’influence dans la concurrence entourant

l’appartenance géopolitique de l’Ukraine. Sur ce plan rien n’a changé. Comme

formule de remplacement, le Turkish Stream demeure avant tout une voie de

contournement du territoire ukrainien. Seulement, les principaux acteurs ne

sont plus la même. La Turquie a pris la place de la Bulgarie comme point

d’arrivée du gazoduc sous-marin, mais surtout, Gazprom ne partage plus les

risques avec ENI, BASF-Wintershall et GDF. Dans le contexte d’une escalade

des sanctions qui touche maintenant directement le secteur énergétique, et

considérant l’incapacité de soustraire le South Stream à la règlementation

européenne, Gazprom opte pour une solution de rechange en direction d’un

État qui n’est pas membre de l’UE71, et ce même s’il doit en assumer seul les

risques financiers.

71 J. Stern, S. Pirani et K. Yafimava, Does the cancellation of South Stream signal a fundamental reorientation of Russian gas export policy?, Oxford Institute for Energy Studies, janvier 2015.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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Cet épisode consacre ni plus ni moins une reconnaissance par Gazprom qu’il

ne sera finalement pas possible d’utiliser son influence dans la région pour

forcer à l’UE à édulcorer son projet de marché commun de l’énergie. En

redirigeant le flux gazier vers la Turquie, elle espère contourner partiellement

le problème pour garder ses parts de marché. Tout de même, il lui faudra, à

terme, respecter les dispositions du troisième paquet législatif, ce qui

entraînera à coup sûr un important recul de ses positions dans le secteur du

transport et de la distribution au sein des pays membres.

Leçon no 2 : La Russie est déterminée à poursuivre la bataille

pour l’Ukraine en y incluant la Turquie et en

acceptant de militariser le champ où elle se déroule.

Pour résumer les choses simplement, on peut dire de cette concurrence

géopolitique qu’elle présente deux axes distincts. Sur l’axe économique, la

Russie, qui a toujours souhaité inclure l’Ukraine dans un espace économique

unifié, se frotte aux ambitions de l’UE d’accueillir d’autres ex-États soviétiques

dans sa zone de libre-échange. Sur l’axe militaire, la Russie lutte contre

l’expansion transatlantique dans la mer Noire, qui résulte d’une volonté

américaine, mais pas franco-allemande. L’on peut débattre inlassablement de

l’importance relative de ces deux axes, mais on ne peut nier qu’ils soient reliés.

Une tendance lourde semble se dessiner. Plus Moscou tente d’influencer ses

alliés à défier la législation européenne pour protéger ses intérêts, plus Berlin

et Paris s’inquiètent et poussent la mise en application du troisième parquet

énergétique, ce qui en retour frustre Moscou pour qui la ligne dure devient

alors une option envisageable. Cette dynamique ayant toutes les

caractéristiques d’une spirale d’insécurité torpille les espoirs initiaux d’une

interdépendance économique entre l’Europe et l’Eurasie72. L’intensité de la

concurrence pour le réseau de transport ukrainien a conduit à une nouvelle

ligne de fracture dont on ne connaît pas encore le tracé. La guerre au Donbass

nous a toutefois appris que celui-ci risque d’être déterminé manu militari, ce

qui aggrave considérablement la sécurité énergétique des États d’Europe

centrale et balkanique.

Leçon no 3 : La région de l’Europe centrale et balkanique est

gravement marginalisée par cette confrontation qui

oppose Moscou, Bruxelles et Washington pour le

partage des zones d’influence.

72 D. Trenin, « Ukraine crisis causes strategic, mental shift in global order », Global Times, 17

mai 2015.

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OSINTPOL La saga du South Stream

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La Russie ne concède pas de victoire géopolitique à l’Europe, mais effectue une

manœuvre inattendue en partageant son « arme énergétique » avec la Turquie

qui y voit une l’opportunité d’améliorer son rapport de force avec l’EU. Dans la

mesure où Gazprom annonce qu’elle cessera d’exporter son gaz à travers

l’Ukraine en 201973, le levier conféré à Turquie bouleverse l’architecture de

sécurité. Cet État de plus en plus autoritaire (mais possiblement déstabilisé par

la chute du soutien au parti présidentiel lors des élections législatives de juin

2015)74 se trouve désormais au confluent des seules sources alternatives

d’approvisionnement en hydrocarbures et est situé aux portes d’un vaste foyer

d’instabilité. L’Europe centrale et balkanique ne peut que contempler avec

inquiétude la perspective de devenir énergétiquement dépendante de ce vieux

rival historique.

Ainsi, avec la mort du South Stream, on peut dire d’une certaine façon que

l’ancien espace austro-hongrois que l’on appelait jadis la Mitteleuropa se

retrouve de plus en plus lourdement sous l’emprise de ses puissants voisins.

L’Europe du Nord, largement dominée par l’Allemagne, a ni plus ni moins

dépossédé les États impliqués dans le projet South Stream de la capacité de

conclure des ententes bilatérales incluant des clauses secrètes avec le

partenaire russe. Cela est peut-être une bonne chose en matière de

transparence commerciale, mais la région perd le peu de marge de manœuvre

qui lui restait, se retrouvant ainsi de plus de plus coincée dans le processus de

renégociation du rapport de force qui s’opère entre les plus grands pôles

d’influence que sont Washington, Berlin et Moscou, et maintenant Ankara. Les

conséquences de telles leçons ne sont pas encore perceptibles, mais on peut

raisonnablement supposer qu’elles affecteront négativement la perception du

rôle de l’UE et l’attachement de ces États à la construction de l’Europe.

***

73 E. Mazneva, « Russia Plans to End Ukraine Gas Transit for New Route after 2019 », Bloomberg, 13 avril 2015. 74 M. Jégo, « Législatives en Turquie : Erdogan voit son rêve de sultanat lui échapper », Le Monde, 07 juin 2015.

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La saga du South Stream OSINTPOL

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