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FACULTÉ DES LETTRES DÉPARTEMENT D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION LE TRAITEMENT DE L’ACTUALITÉ INTERNATIONALE DANS LA PRESSE ÉCRITE QUÉBÉCOISE : TENDANCES ET ENJEUX DE LA SECTION « MONDE » AU JOURNAL LA PRESSE DE MONTRÉAL BAPTISTE BARBE ESSAI PRÉSENTÉ POUR L’OBTENTION DU GRADE DE MAÎTRE ÈS ARTS (M.A.) EN COMMUNICATION PUBLIQUE – JOURNALISME INTERNATIONAL UNIVERSITÉ LAVAL AVRIL 2012 © Baptiste Barbe

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FACULTÉ DES LETTRES

DÉPARTEMENT D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION

LE TRAITEMENT DE L’ACTUALITÉ INTERNATIONALE

DANS LA PRESSE ÉCRITE QUÉBÉCOISE :

TENDANCES ET ENJEUX DE LA SECTION « MONDE »

AU JOURNAL LA PRESSE DE MONTRÉAL

BAPTISTE BARBE

ESSAI PRÉSENTÉ POUR L’OBTENTION

DU GRADE DE MAÎTRE ÈS ARTS (M.A.)

EN COMMUNICATION PUBLIQUE –

JOURNALISME INTERNATIONAL

UNIVERSITÉ LAVAL

AVRIL 2012

© Baptiste Barbe

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Table des matières Introduction………………………………………..……...…...... 1

I. La presse écrite québécoise……………………..........….....… 6 1. Un saut dans l’histoire...…………………………………….………....… 6

a. Historique général………………..………..…………………………...…….. 6

b. La Presse……………………….………………………………………...…... 7

2. Aujourd’hui……….…………………………………........……….…….. 9

II. Presse de référence et caractéristiques d’une section internationale………....….…………….....… 12

1. La presse de qualité…………………………………………………….. 12

2. Deux caractéristiques de la section internationale……………………... 17

a. La dépendance aux dépêches d’agence………………………………………… 18

b. Les correspondants, une garantie sur le terrain……………………………..….. 19

3. L’international à La Presse aux XIXe et XXe siècles…..………...…….. 22

III. Collecte d’informations et analyse : la section « Monde » de La Presse aujourd’hui………..... 25

1. Le contenu des pages internationales..…………………………………. 28

a. Observations générales…………..…...…………..………………………….…. 28

b. Mise en page diversifiée………………………………..……………..………... 29

c. Sujets politiques, de société… ou plus décalés…………………............……… 36

d. Et sur le Web ? ………………...…………………………….…….....……...… 43

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iii

2. La section internationale vue de l’intérieur……………………...…...…...... 45

a. Les années 2000, un tournant……………….………..………………………..... 45

b. Une journée-type à la section internationale..…………………………..………. 47

c. Le choix des sujets……………………………….……….….………….…...…. 50

d. Un « laboratoire »…………………………….….…………….....…...………… 52

e. Sur Internet…...………..………………………………………………………... 56

f. Vers quelle direction ?.........................................................….…………...……...58

Conclusion…………………………………………….……….. 61

Bibliographie………………………………….……………….. 64

Annexes…………………………………………….…….…….. 68 - Annexe I : Un exemple de texte en « capsules »...…………….….……………68

- Annexe II : Deux montages-photos sur le conflit syrien…….…..……...…….. 69

- Annexe III : Un exemple de sujet plus décalé…………….…….…………….. 71

- Annexe IV : Un exemple de chronique d’Agnès Gruda…….…..…………...... 72

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1

Introduction Dans l’imaginaire journalistique, l’information internationale a toujours bénéficié d’un

statut particulier. Jean-Paul Marthoz souligne que « le journalisme international est

l’une des formes les plus prestigieuses et les plus exigeantes des métiers de

l’information. Guerres, coups d’État, attentats, catastrophes naturelles, élections,

scandales : très souvent les "nouvelles d’ailleurs" s’imposent en tête du menu de

l’actualité, déplaçant par leur caractère dramatique les événements de proximité »

(2008 : 8).

Rien que sur l’année 2011, nous pouvons remplir chaque catégorie énoncée ci-dessus :

guerre en Afghanistan, bouleversements politiques dans les pays arabes, attentats en

Norvège, tsunami au Japon, élection présidentielle en Argentine, scandale DSK

(Dominique Strauss-Kahn), etc. Au premier abord, l’actualité internationale est

omniprésente dans les médias. Dans un monde globalisé, cela semble inévitable. Même

s’il n’est pas question ici d’étudier spécifiquement les thèmes qui font la une de

l’actualité internationale, on remarque que ces événements ponctuels, parfois

sensationnalistes, occupent une place importante du traitement des nouvelles

planétaires.

Pourtant, en Amérique du Nord, plusieurs ouvrages ont pointé au fil des décennies une

faiblesse dans ce domaine, comme le rappelait Mylène Paradis :

Le premier constat auquel en arrivent la plupart des études traitant de l’information internationale concerne le peu d’espace tenu par ce secteur d’information. Plusieurs auteurs s’accordent en effet pour dire que l’information internationale dans les journaux nord-américains occupe souvent une place secondaire. Hachten, dans un ouvrage intitulé The World news prism, mentionne qu’au début des années 80, les médias en Amérique du Nord accordaient environ 11 % de leur espace aux informations étrangères tandis que cette proportion était de 37,5 % en Europe de l’Est et de 23,6 % en Europe de l’Ouest (1993 : 5).

Le premier argument avancé pour expliquer cette situation a souvent été le manque

d’intérêt du public pour l’information internationale. Jean-Paul Marthoz a réuni

plusieurs travaux de recherche américains :

Selon une étude du Pew Research Center for the People and the Press publiée en 1997, 4 % de la population mondiale américaine (près de 10 millions de personnes diplômées de l’enseignement supérieur) sont "bien

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2

informées sur le monde". […] Le reste de la population américaine lit des journaux régionaux qui ne consacrent qu’un maigre espace à l’actualité internationale et regarde des journaux télévisés locaux qui habituellement n’accordent que quelques secondes aux nouvelles de l’étranger (2008 : 26).

Du point de vue médiatique et du style journalistique, le voisin étatsunien est l’exemple

le plus proche de la presse du Québec. Les deux cas présentent des similarités

inhérentes au journalisme nord-américain. Plusieurs indicateurs montrent des analogies

entre le traitement de l’actualité internationale au Québec et aux États-Unis. Gaëlle

Lussiaà-Berdou notait « une tendance répandue dans les médias américains qui repose

sur la croyance générale que le public ne s’intéresse pas à (ou n’achète pas)

l’information internationale » (2003 : 156). La journaliste Chantal Lemieux ajoute :

En 1980, Paul-André Comeau, ancien correspondant de Radio-Canada et professeur à l’École nationale d’administration publique, qualifiait ainsi l’information internationale de "parent pauvre", indiquant notamment que l’information internationale occupait une place secondaire dans les bulletins de nouvelles au Québec. Ainsi, on a longtemps pointé du doigt les médias québécois pour la faiblesse de leur couverture des nouvelles étrangères (2003 : 124).

Depuis 2005, la firme privée de recherche Influence Communication publie des bilans

du contenu de l’information dans la presse québécoise. Bien que ces travaux aient été

remis en question dans le passé1, puis défendus par la firme2, ils mettent en lumière une

1 Frédérick Bastien, professeur au Département d’information et communication de l’Université Laval, mettait en doute en 2008 la méthodologie utilisée par Influence Communication pour ses données, et notamment sur le « poids médias » : « Le site d’Influence Communication n’est pas beaucoup plus transparent à ce chapitre. On y indique que "le poids médias représente la proportion de l’espace qu’ont occupé les principales nouvelles en comparaison avec la totalité des nouvelles qui ont été rapportées dans les journaux, à la radio et à la télévision au Québec" pendant une période de temps donnée. Pas de référence à Internet. Plus bas, on mentionne que la firme "offre la surveillance et l'agrégation exhaustives des journaux, de la radio, de la télévision et de plus de 7 000 sites Internet d'information". Donc, les sites web sont-ils inclus ou non ? »

2 En réponse à M. Bastien, le président d’Influence Communication répondait notamment : « Le poids médias est un indice quantitatif qui permet de mesurer la place qu'un individu ou une nouvelle occupe dans un marché donné. Il ne tient pas compte de la valeur des arguments ni du ton de la couverture. Afin d'évaluer le poids médias […], Influence Communication collige toutes les mentions dans l'ensemble des quotidiens du Québec et d'une majorité de journaux hebdomadaires, des émissions d'information et d'affaires publiques, ainsi que de certaines émissions de variétés à la radio et à la télévision. […] Une valeur est donnée à chaque mention ou texte dans chacun des médias en fonction du lectorat, du tirage et des cotes d'écoute. L'importance de chaque item médiatique (article, reportage, etc.) est ensuite pondérée en fonction de sa taille (longueur, durée), de son emplacement dans le média (par exemple: page A1 ou

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3

tendance quant à la place de l’information internationale dans les médias québécois.

D’après Influence Communication, entre 2001 et 2011, les nouvelles du monde

représentaient ainsi 1,8 % des informations des médias au Québec. L’organisme relevait

une augmentation significative de cette proportion en 2010 et 2011 (respectivement 8,1

% et 8,4 %). Ces deux années ont été marquées par des événements planétaires

d’envergure (séisme en Haïti, tsunami au Japon et catastrophe nucléaire à Fukushima,

révolutions arabes, etc.). Ainsi, selon le palmarès québécois des nouvelles

internationales de 2011 publié par Influence Communication, le dixième anniversaire

des commémorations du 11-Septembre, le séisme et le tsunami au Japon, la crise

politique en Égypte, la mort d’Oussama Ben Laden et les troubles politiques en Tunisie

arrivaient aux cinq premières places.

Au début de l’année, le directeur de la firme privée Jean-Philippe Dumas indiquait que

les premiers mois de 2012 auguraient un retour à une couverture plus faible :

Même si l’année est encore jeune, Influence Communication note une importante baisse d’intérêt des médias québécois pour l’information internationale. Comparativement à 2011, le thème de l’information internationale accuse un retard de 77 %. Ce type de nouvelles occupe présentement 1,9 % du contenu québécois. […] Le fossé est cependant immense entre la moyenne canadienne et la nôtre. Depuis le début de l’année, nous accordons près de 4 fois moins de place à l’information internationale qu’ailleurs au Canada. La moyenne mondiale est quant à elle 6 fois plus élevée que celle du Québec.

Ce sentiment d’un manque d’intérêt pour la nouvelle internationale revient

régulièrement chez les professionnels québécois de l’information. Au printemps 2011,

dans le magazine Trente, le journaliste Jean-Frédéric Légaré-Tremblay parlait de

« sortir l’information québécoise du provincialisme » :

Aujourd’hui, j’entends dire que les Québécois sont ouverts sur le monde. Soit. Sauf que les médias qui font dans la nouvelle quotidienne, ceux qui ont le rôle crucial et fondamental d’informer les Québécois sur ce qui se passe sur la planète au jour le jour, ne le sont absolument pas. […] La couverture internationale au Québec sort subitement de son hibernation lorsque surviennent des catastrophes humaines ou naturelles à l’étranger, ou encore lors de grands événements sportifs. Sinon, hormis peut-être

D8, début de bulletin de nouvelles ou fin de bulletin de nouvelles, etc.) et enfin de son format ou traitement (reportage complet, partiel, mention simple, photo, etc.). »

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l’élection d’un Barack Obama, rien. Nothing. Nada. Nichts. Enfin, presque… […] L’information internationale au Québec accapare en moyenne depuis une dizaine d’années un famélique 0,61 % de l’espace médiatique. Dans le reste du Canada, la part oscille entre 6 et 10 % selon les années et, dans le monde, des données recensées dans 160 pays indiquent que la moyenne tourne bon an mal an autour de 10 %.

Dans Le Devoir, Stéphane Baillargeon revenait en 2010 sur la réduction dans quatre

journaux britanniques de 40 % de la couverture de l’actualité internationale en 30 ans, et

portait un regard très critique sur la situation québécoise : « Les médias du Québec, eux,

n'ont jamais été ouverts sur le monde de toute manière, mondialisation ou pas... ». Plus

loin dans l’article, il poursuivait :

En plus, les rares nouvelles de l'étranger sont rarement produites par de non moins rares correspondants, essentiellement rattachés à Radio-Canada. […] Il faut un fait divers extraordinaire ou une catastrophe aux proportions bibliques pour déplacer quelques reporters d'ici, des mineurs enterrés vivants, un tsunami, un tremblement de terre. Au Devoir, la petite section internationale ne voyage presque jamais. Les périples étrangers sont réservés aux pages touristiques et culturelles, aussi bien dire aux invitations tous frais payés.

Au Québec, la presse nationale francophone se résume à trois publications : Le Devoir,

La Presse, Le Journal de Montréal/Québec. De celles-ci, La Presse propose un contenu

régulièrement plus diversifié. Récemment, Louis Cornellier3 écrivait :

Sa couverture maison de la scène internationale […] est assurément la meilleure au Québec. Seulement en 2004, par exemple, elle a envoyé des reporters au Mali, en Haïti, en Irak, en Palestine, aux Pays-Bas, en Moldavie, en Grèce et en Chine. Elle a, aussi, des correspondants permanents en France et aux États-Unis. […] Contrairement au Journal de Montréal, plutôt chiche à cet égard, elle met donc souvent ses immenses moyens au service d’une information de qualité (2005 : 100).

Pour des raisons économiques (Le Devoir) ou de politique de lectorat (Le Journal de

Montréal/Québec), les pages internationales de ces deux journaux se limitent

majoritairement à des dépêches d’agence. Il faut noter que Le Devoir publie parfois des

textes produits par sa rédaction, essentiellement des analyses ou des articles de pigistes.

3 Journaliste, écrivain et professeur de littérature québécois

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5

Cet essai a pour objectif de réaliser une étude de cas sur les pages internationales de La

Presse. Nous partons du principe que ce quotidien offre une section « Monde » plus

audacieuse que ses concurrents papier. Ainsi, quelle importance est donnée au secteur

international à La Presse en 2012 ? Les responsables du journal lui accordent-il une

place particulière ? Si oui, à quel point cela se vérifie-t-il concrètement ? Comment les

pages « Monde » sont-elles pensées et réalisées ? Qui participe à leur production dans le

journal ? Peut-on mesurer l’effectif ? Comment est-il articulé ?

Pour situer notre sujet, nous reviendrons sur l’histoire de la presse écrite au Québec,

ainsi que sa situation actuelle. Nous nous intéresserons en particulier au quotidien La

Presse, fondé à la fin du XIXe siècle, et sur l’évolution de sa section internationale.

Puis nous étudierons des écrits sur le thème du traitement de l’information

internationale, plus précisément dans les médias canadiens. Il s’agira de mettre en avant

quelques problématiques en rapport à notre sujet. De ce fait, nous parlerons d’abord du

travail du chercheur américain John C. Merrill sur la « presse de référence » et les

quality papers, qui revient notamment sur l’importance des pages internationales. À ce

sujet, nous discuterons des analyses effectuées dans les années 2000 sur Le Devoir et le

Globe and Mail. La section internationale d’un média présente quelques particularités.

Ainsi, nous nous arrêterons sur la dépendance aux agences de presse et nous aborderons

les rôles du correspondant à l’étranger et de l’envoyé spécial.

La dernière partie de cet essai sera constituée de notre étude de cas, divisée en deux

sections. Premièrement, il s’agira d’analyser le contenu des pages « Monde » de La

Presse. Nous montrerons quels types d’articles et de sujets s’y trouvent. L’objectif ne

sera pas d’en dresser une liste exhaustive, mais de faire ressortir les grandes

dynamiques, à l’aide de quelques éditions publiées en 2011 et au début de l’année 2012.

Deuxièmement, une série d’entrevues réalisées avec les acteurs des pages

internationales permettra d’obtenir un point de vue de l’intérieur de la section. Du

directeur de l’information au chef de section, en passant par les journalistes basés à

Montréal et à l’étranger, le but est de donner un aperçu complet de l’élaboration de ces

pages, grâce au croisement de témoignages, de points de vue et d’expériences. Enfin, il

s’agira de mettre en lumière la vision du quotidien pour ces pages et la direction choisie

pour les prochaines années.

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I. La presse écrite québécoise Les débuts de la presse imprimée québécoise remontent à l’époque française. Puis le

journalisme écrit a suivi les tendances émergeant siècle après siècle.

1. Un saut dans l’histoire

a. Historique général

Au Québec, la presse écrite est liée à l’histoire de la province et du Canada. À l’époque

française, celle de la Nouvelle-France, la liberté de la presse n’existe pas. Toute

publication est proscrite, comme d’autres formes d’expression. Seuls les communiqués

officiels du gouverneur sont autorisés (Bélisle et Lapierre, 2003 : 1). Le 21 juin 1764,

un an après la cession du Canada au Royaume de Grande-Bretagne par le roi français

Louis XIV, est publié le premier numéro de The Quebec Gazette – La Gazette de

Québec, un hebdomadaire bilingue (Godin, 1981 :10).

Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, les premières publications québécoises suivent le

courant de la presse européenne, notamment française. Elles sont considérées comme

des journaux d’opinion, qui prennent explicitement parti sur des sujets politiques et

sociaux.

Le virage de l’opinion à l’information s’effectue dans les premières années du XXe

siècle. « Le "nouveau journalisme" laisse de côté les dissertations savantes de la presse

d’opinion. On découvre la nouvelle, le fait brut. Dorénavant, ce seront les cataclysmes

en Indonésie, les crimes sanglants, les feuilletons, le sport et le carnet mondain qui

auront priorité sur l’opinion et le commentaire » (Godin, 1981 : 37-38). C’est l’époque

des grands tirages, dopés par l’urbanisation et l’engouement des lecteurs. Le Québec

suit la tendance européenne et américaine. La presse commerciale et populaire, et tout

ce qui en découle (concurrence, publicité, etc.) naît alors que la population du Québec

s’évalue à deux millions d’habitants.

Pour Pierre Godin, sept années situées entre la fin des années 1950 et 60 symbolisent

l’apogée de la presse : « Les années 1958-1965 sont des années de vaches grasses pour

les journalistes québécois. Il n’est pas exagéré de parler d’un âge d’or. À la disette de

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7

nouvelles des années duplessistes4 [Maurice Duplessis fut un Premier ministre

conservateur de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959] correspond, pendant quelque temps,

une surabondance – certains diront un excès – d’information » (1981 : 107).

Les années 1960-70-80 sont aussi l’époque des concentrations médiatiques modernes et

des conflits. « Les années 70 auront été des années de tumulte pour la presse écrite

québécoise [ …] : grèves et lock-out fréquents [ …] ; des quotidiens bien établis et

assurés de leur éternité qui ferment boutique [ …] ; des tirages qui fondent ou stagnent

chez les uns, mais grimpent en flèche chez les autres ; une précarité financière qui se

généralise dans une industrie qui était pourtant, jadis, une source d’enrichissement pour

les grandes familles » (Godin, 1981 : 207).

Ces événements deviennent courants et les inquiétudes n’ont pas disparu au début des

années 2000, comme le rappelait le journaliste Jean-Pierre Le Blanc dans une

contribution pour le Centre de ressources en éducation aux médias : « Dans deux

mémoires présentés en février 2001 sur le sujet, la Fédération professionnelle des

journalistes et le Conseil de presse du Québec se sont penchés sur la concentration de la

propriété des organes d’information [ …]. Au bas mot, 96 % du marché francophone de

la presse écrite quotidienne est contrôlé par deux propriétaires (Quebecor et Gesca). La

part de l’esprit critique n’est-elle pas menacée devant cet état de faits ? » (2003 : 12).

s

b. La Presse

Succédant au journal Nouveau Monde (Godin, 1981 : 27), le quotidien La Presse est

fondé le 20 octobre 1884 par William-Edmond Blumhart. Deux ans plus tard, Trefflé

Berthiaume en devient le propriétaire. La jeune publication connaît un « succès

spectaculaire » autour de 1900 (Godin, 1981 : 44). C’est, avec le Montreal Star, le

quotidien le plus lu. Jean de Bonville explique qu’ « en vingt ans, soit de 1890 à 1910,

elle [La Presse] passe de quelque 20 000 exemplaires à près de 100 000. [ …] La

plupart des journaux voient, eux aussi, leur tirage augmenter rapidement, mais moins

que La Presse qui domine vraiment son époque » (dans Godin, 1981 : 53).

4 Pour plusieurs observateurs, la Révolution tranquille qui s’est déroulée au Québec dans les années 1960, caractérisée par une désolidarisation de la population de l’Église, fut le résultat d’une contestation sociale contre le gouvernement.

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À la fin des années 50, pendant la Révolution tranquille, Pierre Godin souligne que La

Presse est un des fers de lance de l’indépendance médiatique vis-à-vis du

gouvernement :

Le mouvement d’ouverture commence au quotidien La Presse, en octobre 1958. Quinze jours de grève et les choses ne seront plus jamais les mêmes pour les journalistes de ce journal ni à vrai dire, pour l’ensemble de la profession. Tout libéral qu’il soit – et qui ne l’est pas à cette époque ? – Jean-Louis Gagnon5 aspire au journalisme non partisan. […] [Il] transforme le journal du tout au tout. Son premier objectif est de faire de La Presse le grand quotidien national du Canada français (1981 : 108).

Gérard Pelletier succède à Jean-Louis Gagnon, démissionnaire, en 1961. Six ans plus

tard, La Presse devient la propriété de Paul Desmarais6. Dans les années 1970, lui et son

partenaire économique Jacques Francœur détiennent 42 % du tirage de la presse

quotidienne du Québec (Godin : 151). Ces décennies sont le théâtre de plusieurs conflits

internes, notamment entre les journalistes et la direction, comme le lock-out de 1971-

72. La crise s’implante et le tirage diminue7.

Mais au-delà des conflits, Mylène Paradis rappelle que le « quotidien omnibus de

Montréal s’est doté au fil des ans d’une crédibilité qui lui assure une vaste clientèle.

[…] Pour la période […] 1970-1990, La Presse s’est tenue aux alentours des

200 000 exemplaires tirés chaque jour » (1993 : 28).

5 Alors qu’il est encore éditorialiste à la radio CKAC, il est appelé comme médiateur pour régler le conflit à La Presse. Fort de son succès, il est nommé dans la foulée rédacteur en chef du quotidien (Godin, 1981 : 108).

6 « 1967 : juillet : c’est l’effervescence d’Expo 67. Suite à l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi 282 précisant la situation de la propriété du journal, la corporation de valeurs TransCanada, l’une des nombreuses composantes de Power Corporation du financier Paul Desmarais achète La Presse pour un montant approximatif de 15 à 17 millions de dollars. Le quotidien avait été la propriété de la famille Berthiaume pendant 78 ans » (Bélisle et Lapierre, 2003 : 37).

7 L’éditeur adjoint de La Presse Jean Sisto témoigne en 1980 que « les tirages ont vacillé à la suite des trois conflits de travail que son journal a connus en quinze ans. […] "Pour la semaine du 5 janvier 1980 qui n’est pas une très bonne semaine, on a tiré à 177 000 exemplaires en semaine et à 262 000 le samedi. Quand on est tombé en grève en octobre 1977, donc voilà plus de deux ans, le tirage était à peu près de 205 000 en semaine et de 310 000 le samedi" » (Godin, 1981 : 229).

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2. Aujourd’hui

En 2012, on dénombre au Québec treize quotidiens auxquels il faudrait ajouter Le Droit

à Ottawa (Ontario), principalement lu par une population québécoise :

Six sont publiés à Montréal : Le Journal de Montréal (depuis 1964) et La Presse (1884) ont le tirage le plus élevé au Québec; Le Devoir (1910), The Gazette (1778); et les deux derniers-nés, Métro et Montréal Métropolitain [24 Heures aujourd’hui]. Deux sont publiés à Québec : Le Soleil (1896) et Le Journal de Québec (1967); Gatineau-Ottawa : Le Droit (1913); Deux à Sherbrooke : La Tribune (1910) et The Record (1897); Trois-Rivières : Le Nouvelliste (1920); Chicoutimi : Le Quotidien (1973); Granby : La Voix de l’Est (1935), (Bélisle et Lapierre : 4).

La Presse appartient à Gesca, elle-même filiale du groupe Power Corporation :

En 1999, Power manifestait l’intention d'accroître ses activités dans les nouveaux médias. Cyberpresse inc., devint peu après une filiale de Gesca et créa cyberpresse.ca. Le site permet un accès en ligne à l’information de La Presse, Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l’Est. Avant que Gesca n’acquière ces quotidiens, ceux-ci étaient membres du réseau Probec, un regroupement destiné aux annonceurs souhaitant rejoindre une audience nationale dans le marché francophone du Canada. cyberpresse.ca diffuse en temps réel, 24 heures sur 24, des informations d’intérêt local, régional, national et international, (Bélisle et Lapierre, 2003 : 14).

Comme une grande majorité des journaux dans le monde, les tirages des quotidiens

québécois sont en baisse dans l’ensemble. Le Centre d’études sur les médias notait que

depuis 2005, le tirage des quotidiens de la province avait diminué de 10 %, poussant

notamment La Presse à cesser en juin 2009 la publication de son édition dominicale

(2011 : 1)8. Cette baisse des tirages est deux fois moins importante que dans le reste du

Canada à la même période.

La Presse est le premier quotidien québécois en termes de diffusion et le deuxième dans

l’ensemble du Canada derrière le Globe and Mail. Selon les chiffres dévoilés par

l’Audit Bureau of Circulation Canada en septembre 2011, le quotidien montréalais tirait

à 204 948 exemplaires payés en moyenne (263 888 le samedi), contre 306 985 pour son

8 - « La presse quotidienne », Centre d’études sur les médias. Mise à jour : août 2011. [En ligne] www.cem.ulaval.ca/pdf/pressequotidienne.pdf (consultée le 19 mars 2012).

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homologue ontarien (370 180). Deuxième au Québec, Le Devoir vend en moyenne

29 812 exemplaires par jour (48 228). Infopresse, le portail du marketing, de la publicité

et des communications, indique que les tirages des deux quotidiens montréalais sont en

progrès par rapport à 2010 : + 3,2 % pour La Presse et + 4,7 % pour Le Devoir.

Dans sa note de la même année, le Centre d’études sur les médias annonce que

Montréal compte 165 000 lecteurs de plus en 2011 par rapport à 2001, grâce en

particulier à l’émergence des gratuits, très populaires chez les 18-34 ans, tout comme le

quotidien payant Le Journal de Montréal (2011 : 4-5).

En 2011 et 2012, les dirigeants de La Presse se sont félicités de la hausse des tirages et

des distinctions reçues de divers organismes. En avril 2011, le vice-président à

l’information et directeur-adjoint Éric Trottier commentait l’augmentation du lectorat :

Les données fournies par NADbank [banque de données sur l'audience des quotidiens] démontrent que le lectorat hebdomadaire de La Presse a progressé de 8 % comparativement à l'année 2009, ce qui représente 63 600 lecteurs de plus chaque semaine, pour un grand total de 834 200 lecteurs. Par ailleurs, le rayonnement combiné de La Presse et de Cyberpresse dépasse désormais le million de lecteurs dans le marché de Montréal uniquement. […] Selon les données de comScore, le site a connu la plus importante hausse de fréquentation de tous les sites d'information de premier plan au Canada entre janvier 2010 et janvier 2011 avec une hausse de plus de 30 %. Par ailleurs, les résultats de comScore de février 2011 révèlent que le site a également fracassé son record d'affluence en février dernier en atteignant un nouveau sommet historique de 2,4 millions de visiteurs uniques. Cela fait de Cyberpresse le site numéro un en information au Québec et au Canada francophone.

Un an plus tard, au début du printemps 2012, Éric Trottier se félicitait de nouveau de la

progression du lectorat. Le dernier rapport NADbank confirme une hausse en semaine

(38 200 lecteurs supplémentaires dont 21 100 âgés entre 18 et 34 ans) et le samedi

(4 700) : « La Presse se distingue dans son marché grâce à la plus importante croissance

du lectorat en semaine des quotidiens francophones payants. En effet, les données

démontrent que le lectorat de La Presse a progressé de 11 % en semaine,

comparativement à l’année 2010. »

Dans un manuel, Louis Cornellier définissait La Presse comme le « quotidien qui

suscite, chez ses lecteurs, le plus grand attachement. […] Comment l’expliquer ? Par

plusieurs raisons. La Presse, d’abord, est le plus polyvalent de tous les quotidiens

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11

québécois. Le Journal de Montréal, en politique, a des faiblesses. Le Devoir, en sports,

n’est pas riche. La Presse, elle, ne néglige aucun domaine » (2005 : 98-99).

Les années 2000 ont été synonymes de plusieurs changements en matière de graphisme

pour le quotidien montréalais (mise en page, cahiers, logo, etc.). La Presse a été

distinguée à plusieurs reprises au cours de ce début de XXIe siècle, comme le souligne

dans un autre article Éric Trottier :

Au cours des 8 dernières années, La Presse a remporté 23 prix au prestigieux Concours canadien de journalisme […] Cette semaine [du 21 au 26 février 2011], nous avons appris que La Presse a obtenu le 7e rang en 2010 au concours de la Society for News Design —tout juste derrière le New York Times. C'est la quatrième fois en cinq ans que La Presse se classe dans le top 10 de ce concours auquel participent les meilleurs journaux du monde, et qui est considéré comme la remise des "Oscars" du graphisme journalistique.

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12

II. Presse de référence et caractéristiques d’une section internationale

Au Québec, Le Devoir et La Presse se positionnent comme deux quotidiens influents de

la province. Le Globe and Mail joue ce rôle à l’échelle du Canada. Les trois se veulent

comme des publications « de qualité ». Nous verrons d’ailleurs que pour La Presse, un

changement stratégique vers cet objectif s’est opéré en 2000, avec l’arrivée du nouvel

éditeur Guy Crevier. Si aucune recherche n’a été réalisée dans ce domaine pour La

Presse, quelques éléments comparables ont été observés chez les deux autres journaux.

Les pages « Monde » d’un journal peuvent ainsi être un indice de qualité.

1. La presse de qualité

Le chercheur américain John C. Merrill est reconnu comme le grand spécialiste de la

notion de « presse de référence ». Il s’intéresse à ce sujet depuis plus de cinquante ans.

D’après lui, la « presse de référence » à travers le monde représente une catégorie

restreinte de publications :

Ces quotidiens de référence accordent une place prépondérante à l’actualité internationale et à la culture avec un grand “c”, adoptent un ton sérieux et une écriture sophistiquée, exercent une influence sur les leaders d’opinion et servent d’exemples aux journalistes professionnels. Leur couverture met clairement l’accent sur certains secteurs : la politique, les affaires étrangères, l’économie et les finances, les sciences, les arts et la littérature. Par ailleurs, la mise en page de ces journaux (typographie, illustrations, graphiques, etc.) vise à mettre en valeur le sérieux et la rigueur des contenus » (2000 : 12).

De son côté, Jean-Paul Marthoz parle d’une « élite mondiale » dont l’influence s’étend

sur une région, voire sur toute la planète : « Certains médias bénéficient ainsi d’un réel

pouvoir et exercent un authentique magistère sur l’ensemble de la profession. […]

Leurs analyses et leurs éditoriaux servent souvent de sources d’information et

d’inspiration pour les autres médias qui disposent de moins de moyens pour couvrir le

monde » (2008 : 50). M. Marthoz précise :

La couverture internationale est un élément important des journaux nationaux qui cherchent à renforcer leur image de publication de référence et de qualité. Elle peut couvrir de trois à cinq pages, voire davantage, du quotidien et l’équipe internationale peut représenter de 10 à 15 % du personnel de rédaction. Certains journaux traduisent également

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13

l’importance qu’ils accordent à l’actualité internationale en plaçant celle-ci en ouverture, dans les premières pages de leur premier cahier. […] La presse populaire nationale se distingue par le peu d’espace consacré à l’actualité internationale, mais aussi par la nature des informations sélectionnées. L’accent est placé sur la proximité (présence des ressortissants parmi les victimes d’un attentat, liens de l’actualité avec des personnalités connues), le caractère spectaculaire, anecdotique, insolite ou « exotique » de l’information (2008 : 89).

Dans le cadre d’un séminaire de management culturel de la Chaire de gestion des arts

Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal intitulé « La presse écrite au Canada »,

les auteurs Claudine Auger et Laurent Lapierre écrivent :

L’influence des quality papers est étendue ; ce sont des journaux qui rayonnent souvent hors-frontières. L’information y est approfondie, rationnelle, diversifiée et elle rejoint les leaders d’opinion et les intellectuels. Nécessitant un environnement économique solide et un taux d’alphabétisation élevé de la population, on les retrouve surtout dans les pays industrialisés. Les journaux de référence répertoriés dans les bibliothèques appartiennent à ce groupe restreint. […] Toutefois, ce segment de la presse écrite des pays industrialisés s’essouffle depuis le début des années 1980 : érosion du lectorat, manque d’intérêt des jeunes, des femmes, etc. La presse écrite réagit alors par des tentatives telles que la diminution de la pagination ou le licenciement de journalistes, mais ces mesures se révèlent insuffisantes.

En 1999, Merrill plaçait donc en première position du classement des meilleurs

quotidiens le New York Times devant le Neue Zürcher Zeitung (Suisse) et le Washington

Post. Le premier quotidien francophone, Le Monde (France), apparaissait à la sixième

place. Pour réaliser ce classement, sur lequel le chercheur américain reconnaît une part

de subjectivité, Merrill a établi en 1999 une série de douze critères précis9, le premier de

tous étant la qualité des nouvelles internationales.

9 « Voyons maintenant les critères invoqués par les répondants de 1999 pour définir cette notion de quotidien de référence. L’analyse des questionnaires permet ainsi d’établir une série de caractéristiques précises, dans l’ordre : 1. des informations internationales de grande qualité ; 2. une totale liberté éditoriale ; 3. un traitement rigoureux en matière politique et économique ; 4. une couverture solide au plan national et régional ; 5. des positions éditoriales fermes ; 6. une large part accordée à l’information scientifique, culturelle et artistique ; 7. une mise en page sobre et claire ; 8. peu d’illustrations et un grand soin porté à la qualité de la langue ; 9. un minimum de contenus “spectaculaires” ; 10. de nombreux textes explicatifs en profondeur ; 11. un leadership en matière de réforme sociale et de coopération internationale (notamment à intention éducative) ; 12. un courrier du lecteur abondant et de grande qualité » (Merrill, 2000 : 13).

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Pour lui, la « presse de référence » occupe un statut particulier au sein des médias

imprimés. « Merrill précise que ces titres prestigieux, compte tenu de la position

institutionnellement et symboliquement dominante qu’ils occupent au sein des champs

médiatiques nationaux, exercent une influence majeure dans les milieux politiques,

économiques et intellectuels... tout en ayant à assumer une responsabilité sociale,

notamment auprès des citoyens soucieux des questions ayant trait aux droits de la

personne et à la démocratie » (Watine, 2000 : 30).

Dans cet article publié dans les Cahiers du journalisme en juin 2000 , Thierry Watine

pose la question suivante : « Le Devoir est-il encore un journal de référence ? ». Pour

émettre des pistes, il a notamment interviewé en 1999 les journalistes du quotidien afin

de recueillir leur position sur cette idée : « Sur un total de 41 entrevues, 21 répondants

estiment ainsi que Le Devoir n’est plus aujourd’hui un journal de référence,

7 répondants pensent exactement le contraire alors que 13 répondants se disent partagés

sur le sujet. Les plus négatifs à l’endroit du journal sont les anciens journalistes (15 sur

21) alors que les plus positifs sont surtout les journalistes aujourd’hui en poste (6 sur

7) » (Watine, 2000 : 37).

Certains journalistes jugeaient ainsi que le journal avait perdu sa qualité de référent

dans son traitement de l’actualité internationale. Pour ceux-là, Le Devoir « présente des

faiblesses graves dans certains domaines de couverture, notamment l’international »

(Watine, 2000 : 39). On peut ainsi lire quelques citations des interrogés qui justifient

leur avis10. Un autre point relevé par ces professionnels est le manque de moyens

économiques de l’entreprise. Clairement, le journal « n’a pas les moyens de ses

ambitions, ce qui l’oblige à faire des compromis sur la qualité » (Watine, 2000 : 40).

Thierry Watine donne alors sa conclusion à la question intitiale de l’article :

10 • « Des fois, la comparaison [avec Le Monde] est cruelle. C’est vrai qu’on publie des textes d’eux. Dans le journal, y en a pas un qui arrive à la cheville de cet article-là, le jour où il est publié celui du Monde » (entrevue 2).

• « Au Québec et au Devoir, je trouve qu’on voit petit des fois [...] L’exemple de la guerre du Kosovo est un bel exemple. Je trouve qu’on en a fait une couverture lamentable. N’importe quelle bibitte constitutionnelle, chicane, passe avant cela » (entrevue 7).

• [À propos des articles achetés à Libération et au Monde] : « Je regrette que nous ayons besoin de deux béquilles de luxe » (entrevue 39) (Watine, 2000 : 39).

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15

De prime abord, Le Devoir répond aux grands principes qui fondent selon Merrill la presse de référence : 1. le journal a la prétention d’assumer une réelle responsabilité sociale au sein de la société québécoise ; 2. sa philosophie éditoriale vise à la promotion et à la défense de la démocratie et des droits de la personne ; 3. son écriture est de qualité et son apparence des plus soignées ; 4. il accorde une place importante à l’international, la politique, l’économie, les arts et la culture; 5. il continue d’être lu par les intellectuels, les universitaires et les décideurs du Québec auprès desquels il exerce une influence certaine. Cela étant, Le Devoir ne figure pas au palmarès – même élargi – des meilleurs journaux au monde établi par Merrill (contrairement au Globe and Mail). Par ailleurs, l’évolution du Devoir au cours de la dernière décennie, notamment depuis son “relookage” de 1993, ne permet pas de dire "hors de tout doute" que la priorité est systématiquement donnée à l’information plutôt qu’au divertissement (2000 : 43).

S

En conclusion, John C. Merrill ajoute une dimension supplémentaire à l’expression

« presse de référence » :

Il semble donc que la liberté de presse constitue aujourd’hui l’une des conditions sine qua non à l’existence d’une presse de référence. Mais ce n’est sans doute pas une condition suffisante à elle seule. Il suffirait d’étudier l’ensemble des journaux des pays dits « libres »... pour se rendre compte jusqu’à quel point on cherche parfois à faire passer pour du journalisme ce qui ne le mérite absolument pas ! La stabilité économique constitue peut-être un facteur plus important que tout le reste. Les meilleurs journaux doivent en effet attirer les meilleurs journalistes, faire preuve de la plus grande audace sur le plan du traitement de l’actualité internationale, posséder les meilleurs équipements sur le plan technologique, etc. Mais selon ma propre expérience des grands journaux internationaux à travers le monde, je pense que tout dépend d’abord du facteur humain, c’est-à-dire de la volonté – ou non – des dirigeants des entreprises de presse, quels qu’ils soient, de faire du bon journalisme (2000 : 14).

En 1996, Florian Sauvageau publie un texte intitulé « Le Devoir et l’avenir des quality

papers » dans l’ouvrage Le Devoir : un journal indépendant (1910-1995). Il revient sur

ces quotidiens d’élite dont le contenu tranche avec le reste de la presse écrite.

M. Sauvageau souligne que les quality papers consacrent une part plus ou moins

prépondérante à l’actualité internationale, mais se distinguent les uns des autres par les

moyens dont ils disposent : nombre de correspondants, dépendance aux dépêches

d’agence, etc (1996 : 334). Face au déclin des journaux de qualité et globalement de

l’ensemble de la presse écrite (baisse et vieillissement du lectorat, concurrence de la

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16

télévision, difficultés économiques, etc.), Florian Sauvageau se montre même

pessimiste : « La presse de qualité a-t-elle un avenir ? » (1996 : 339).

Ainsi, un journal comme Le Devoir a toujours dû, et doit encore aujourd’hui offrir à ses

lecteurs une information internationale de qualité, uniquement sur la base du fil

d’agence ou de quelques collaborations de l’étranger. Face à ce défi, le quotidien

montréalais a gardé une légitimité grâce à la sélection de ses nouvelles internationales,

et la pertinence de ses textes éditoriaux ou d’analyse. Journaliste dès les années 50-60

au Devoir, Jean-Marc Léger se souvient de l’intérêt porté par le journal à l’information

internationale avant une baisse d’intensité à partir des années 1970 : « Il y eut entre

1957-1958 en gros et 1965-1966 une sorte d’âge d’or pour l’information internationale

au Québec : nos quotidiens et les autres médias rivalisaient dans l’expression de leur

intérêt, tant par la place faite à l’information étrangère que par l’abondance des

éditoriaux et autres commentaires qui y étaient consacrés » (1996 : 303).

Un autre quotidien canadien offre une information internationale de qualité faisant de

lui, selon Merrill, un membre de la catégorie des quality papers. Il s’agit du Globe and

Mail, dont le siège se situe à Toronto (Ontario), et qui fêtera ses 170 années d’existence

en 2013. Gabrielle Lussiaà-Berdou rappelait en 2003 que le journal comptait « dans ses

rangs huit correspondants à l’étranger répartis entre Moscou, Pékin, Londres, Tel Aviv,

Washington et New York. Ce sont trois bureaux de plus qu’en 1980. Pourtant, depuis

1990, on en a fermé sept. À cette équipe s’ajoutent quatre journalistes au pupitre

international qui deviennent envoyés spéciaux outre-mer au gré des crises, catastrophes

et autres sommets internationaux » (2003 : 138).

Toutefois, l’auteure relève que le quotidien s’est dirigé entre les années 1980 et 2000

vers une diminution des informations internationales, malgré une présence plus

soutenue en une :

Un décompte du nombre de nouvelles internationales publiées dans le premier cahier du journal montre qu’en 2002, on en retrouve 46 % de moins qu’en 1980 (326 nouvelles pour le mois de septembre 1980 contre 176 en septembre 2002). Cette diminution s’est évidemment faite de façon progressive : en 1990, les nouvelles internationales avaient déjà perdu 13 % de leur importance par rapport à 1980 (284 nouvelles en septembre) (Lussiaà-Berdou, 2003 : 140).

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De plus, Gabrielle Lussiaà-Berdou note qu’avec la fondation du concurrent régional

National Post en 1998, le Globe and Mail a modifié sa stratégie :

La politique éditoriale a soudainement accordé plus d’importance et de budget aux faits divers, aux scandales et aux nouvelles nationales. À en croire Enn Randsepp, le contenu du Globe and Mail aurait alors subi une sorte de nivellement par le bas. « L’arrivée du National Post a forcé le Globe and Mail à abaisser ses critères de qualité. Ils ont ajouté du potinage et du human interest et le journal est devenu moins intelligent. » […] Le responsable des pages internationales a lui aussi pris conscience des changements apportés, tout en admettant qu’il n’est pas certain que sans ces correctifs, le Globe aurait aussi bien survécu à la situation. « Le Post est beaucoup plus axé sur le sensationnel. Il est plus intéressé par le scandale. Alors nous avons dû en faire plus dans cette direction. Ils consacrent beaucoup d’efforts aux sujets nationaux, pas aux sujets internationaux. Alors nous avons dirigé nos ressources vers les sujets nationaux. Ça été une réaction de business à une situation de compétition. Sur ce marché, nous sommes les leaders qu’on essaie de doubler. » Même son de cloche parmi les journalistes des pages internationales. Paul Knox constate entre autres une importance accrue accordée aux stars hollywoodiennes et autres personnalités hautement médiatiques » (2003 : 146).

Malgré cette évolution, le Globe and Mail conserve au Canada un statut lui permettant

de se revendiquer comme un journal de référence pour le lectorat anglophone du pays.

2. Deux caractéristiques de la section internationale

L’attention portée à la section « Monde » joue un rôle prépondérant au sein de la

« presse de référence ». Au Québec, l’organisation de la section internationale d’un

quotidien national se présente comme suit.

Généralement, un chef de division en est le responsable. Mais le type d’effectif ainsi

que le nombre de journalistes mandatés pour ces pages distinguent ces journaux. Pour la

plupart des publications, les journalistes en charge travaillent depuis le Québec. Le

Devoir et surtout La Presse se démarquent avec des collaborateurs installés à l’étranger.

Les journalistes de bureau de cette section sont généralement des rédacteurs, des

analystes ou des chroniqueurs. À ces catégories, il faut ajouter les journalistes au

pupitre. Leur rôle prend une importance particulière dans une section où les dépêches

d’agence composent en moyenne la moitié, voire la totalité des pages.

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La fonction de pupitre est souvent définie comme un travail de l’ombre. Dans le

magazine Trente, la journaliste Laurence Clavel précise le mandat :

Qu’on l’appelle chef de pupitre ou pupitreur, son rôle, essentiellement le même peu importe le média, consiste, entre autres, à trier et hiérarchiser l’information fournie par les rédacteurs, tout en s’assurant de sa pertinence. […] « Une fois l’article écrit, il n’y a que 50 % du travail qui est fait, souligne Diane Précourt, journaliste-pupitreuse depuis plus de 20 ans et responsable de la section thématique au journal Le Devoir. Contrairement à ce que plusieurs croient, le pupitreur ne fait pas que de la mise en page, poursuit-elle. Il vérifie aussi le contenu des articles, apporte des corrections, crée les titres. »

La titraille figure ainsi parmi les fonctions d’un pupitreur, tout comme la réorganisation

et la suppression de paragraphes si nécessaire.

Comparativement aux autres sections d’un journal, la rubrique internationale est plus

dépendante des dépêches d’agence et nécessite, dans le cas des journaux de qualité, un

réseau de correspondants à l’étranger.

a. La dépendance aux dépêches d’agence

Trois agences de presse bénéficient d’une renommée mondiale : Associated Press,

Reuters et l’Agence France-Presse. « L’actualité internationale est le terrain de

prédilection des agences de presse. Elles collectent l’information, la trient, la traitent et

la façonnent afin de servir l’ensemble des médias ou des institutions qui sont abonnés à

leurs services » (Marthoz, 2008 : 51).

En 2003, Camille Laville a analysé « le traitement de l’actualité internationale :

avenir… et mirages de l’information planétaire ». Elle revient sur la mutation continue

du champ de l’information jusqu’à sa globalisation dans les dernières décennies. Elle

pointe également le danger d’une uniformisation de l’information due à la création de

« conglomérats médiatiques » où un groupe économique est propriétaire de plusieurs

entreprises tous supports confondus (presse, radio, télévision, etc.). Au Québec, citons

l’exemple de Quebecor. Camille Laville signale :

Les trois agences d’information les plus importantes chargées de recueillir l’information sur un plan mondial (Associated Press, Reuters et l’Agence France Presse) sont toutes situées dans des pays occidentaux : « Only such major news agencies and global news-gathering organizations do indeed

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19

have the organization and resources, the worldwide distribution and reactive capability, to actually be first. The practical consequence is that the three majors world news agencies, the major American, British and French news-gathering organizations, have a quasi-monopoly in providing prime definitions of breaking news in the world periphery ». Ce sont ces agences et ces conglomérats qui décident si un événement va devenir une information internationale ou pas. L’information internationale est donc définie en grande partie à travers les critères des pays dominants. Or, ce qui est une information internationale pour les pays développés ne l’est pas nécessairement pour les pays en voie de développement. Les médias produisant une information internationale à partir de critères différents de ceux développés par les firmes et les agences occidentales sont encore peu nombreux : "There are only very few major non-Western medias software producers, which might provide a different perspective on the world (Laville, 2003 : 35).

En 2003, la journaliste à TVA Chantal Lemieux soulignait que les dépêches d’agence

étaient incontournables pour les médias québécois :

Selon Paul-André Comeau, ce sont les principales agences de presse (Reuters, Associated Press et l’Agence France Presse) – en concurrence sur le marché occidental – qui alimentent dans une proportion d’au moins 90 % les journalistes québécois pour ce qui est de la matière brute internationale. En clair, le Québec se trouverait dans une situation de dépendance plus ou moins totale à l’égard des grandes agences de presse occidentales (2003 : 127-128).

L’avis est partagé par Mylène Paradis : « Au Canada, les entreprises de presse qui

disposent de correspondants postés sur le globe sont plutôt rares. Les médias doivent

donc s’en remettre aux agences de presse pour remplir leurs pages internationales. Leur

rôle devient fondamental et on peut penser que sans leur existence, nous ne saurions que

bien peu de choses sur le monde » (1993 : 10).

Si les dépêches d’agence alimentent grandement les pages internationales de la presse

nationale du Québec, un journal comme Le Devoir bénéficie en complément d’un

partenariat avec Le Monde et Libération, qui lui offre la possibilité de publier

régulièrement des articles des deux quotidiens nationaux.

2

b. Les correspondants, une garantie sur le terrain

Les articles de la section internationale relatent en grande majorité, sinon

exclusivement, des événements qui se déroulent en dehors des frontières d’origine de la

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20

publication. Idéalement, ce travail est réalisé par des correspondants qui vivent à

l’étranger, au plus proche de l’actualité :

La localisation des correspondants dépend évidemment de l’importance intrinsèque des capitales dans le grand jeu mondial. C’est pour cette raison que Washington, Bruxelles et Jérusalem/Tel Aviv accueillent des centaines de journalistes étrangers. La localisation des bureaux reflètent aussi, parfois avec un certain décalage, les évolutions de la géopolitique et de la géo-économie. L’Amérique latine, par exemple, a tendanciellement "perdu" au bénéfice de l’Asie (Marthoz, 2008 : 94).

Jean-Paul Marthoz ajoute : « D’autres critères entrent aussi en ligne de compte : les

liens historiques (datant le plus souvent de l’époque coloniale), l’équipement logistique

(télécommunications, aéroport), la sécurité, l’importance et la qualité de la presse locale

(qui sert souvent de matière première aux correspondants), la liberté de la presse, les

facilités d’obtenir des visas de sortie » (2008 : 94).

Pour William A. Hachten and James F. Scotton, les critères économiques jouent un rôle

prépondérant dans la décision finale d’une entreprise médiatique de supprimer les

postes de correspondants :

Considering the demand for foreign news and the difficulties of reporting from far-flung places, there are probably too few correspondents stationed overseas. Rising costs and inflation have made maintenance of a staffer overseas quite expensive. Estimates for maintaining a newspaper bureau overseas (that is, at least one reporter) for a year range from $150,000 to $250,000, and the costs keep going up. […] It is not surprising, therefore, that many news media rely on the news agencies for foreign news (2007 : 133).

Pour des raisons essentiellement économiques et politiques, tous les médias mondiaux

ne disposent pas dans leur équipe de journalistes installés à l’étranger. Seuls les plus

grands d’entre eux possèdent un réseau de correspondants, mais là aussi de fortes

disparités apparaissent entre les entreprises. Ces différences se mesurent donc au

Canada et à l’intérieur du Québec. Si certains médias ont aboli les postes de

correspondants, d’autres envoient ponctuellement leurs journalistes sur le terrain, dans

le cadre d’un événément particulier ou d’un projet de reportage. On utilise alors

l’expression d’« envoyé spécial » pour cette spécificité de la profession, qui demande

des qualités d’adaptation tout terrain et une capacité de travailler rapidement sur chaque

événement à couvrir.

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Chantal Lemieux constate que, parmi les médias au Québec, deux d’entre eux possèdent

un réseau constant de correspondants :

Seuls le journal La Presse et Radio-Canada, deux des plus gros joueurs médiatiques de la province du Québec, ont des correspondants à l’étranger. À première vue, il y aurait donc au Québec très peu de médias suffisamment « solides » pour envoyer des journalistes partout dans le monde pour couvrir les événements. Certes, l’envoi d’un journaliste-correspondant à l’étranger coûte de plus en plus cher […]. Cela dit, les raisons financières n’expliquent sûrement pas tout : certains responsables de rédaction n’hésitent ainsi pas à dire que leur mandat n’est pas de couvrir l’international, mais d’abord et avant tout le régional et le national. Quels que soient les motifs invoqués, la grande majorité des journalistes québécois ne peuvent à eux seuls recueillir l’information internationale (2003 : 127).

Dans son texte, l’auteure se questionne sur la nécessité pour une entreprise de presse de

conserver des correspondants permanents, prenant en compte les obligations

économiques :

L’idéal serait que tous les médias québécois disposent de correspondants à l’étranger pour couvrir l’information internationale. Mais, on est loin de la réalité puisque seuls deux médias francophones au Québec ont de véritables correspondants à l’étranger. Ces derniers assurent une certaine présence au sein de la zone ciblée. Ils ne sont pas seulement là lorsqu’il y a une crise : ils vivent dans le pays. Ils s’imprègnent de la culture de ce pays et apprennent nécessairement la langue. Connaissant bien le pays, ils sont en mesure d’expliquer ce qui se passe dans cette partie du monde. Ils ont aussi acquis une certaine crédibilité avec le temps. Cela dit, on peut se demander si le journaliste a réellement besoin de s’installer dans un pays pour offrir une bonne couverture de la réalité locale. Certes, le correspondant dit « permanent » a l’avantage de bien connaître le pays où il vit, mais un « envoyé spécial » – qui y séjourne plusieurs fois par année selon les besoins de l’actualité – n’offre-t-il pas les mêmes garanties journalistiques... pour un coût largement moindre ? (2003, 130-131).

Une part de nos observations effectuées dans la dernière partie de cet essai mesurera la

place actuelle des dépêches d’agence à La Presse, et indiquera si les textes de

correspondants constituent une majorité des articles publiés quotidiennement dans les

pages « Monde ». Avant de débuter notre analyse, revenons sur deux études de cas de la

section internationale, réalisées à des périodes précises de l’histoire du journal.

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3. L’international à La Presse aux XIXe et XXe siècles

Au cours du siècle dernier jusqu’à aujourd’hui, la rubrique internationale à La Presse a

évolué au gré des politiques éditoriales de la direction.

La première étude couvre l’information internationale à La Presse sur trois décennies

entre 1884 et 191511. À la fin du XIXe siècle, l’actualité internationale occupait un

cinquième des pages du journal. À sa création en 1884, la proportion était de 50 %

(Dubois, 2011 : 4). En 1905, le chiffre descend à 10 %, avec des transformations

visuelles significatives (plus de place accordée à la photographie et à la titraille). La

Première Guerre mondiale a pour effet direct une hausse substantielle des nouvelles

internationales : plus de la moitié des pages de La Presse y est consacrée.

Judith Dubois évoque les sources d’information du journal pour cette section :

Dès son lancement en 1884, La Presse a recours aux dépêches de l’agence Associated Press et elle exploite au maximum cette nouvelle source d’information disponible. Au cours de ses premières années de publication, le quotidien reproduit des articles provenant de journaux étrangers et publie de longues correspondances de Paris, mais ces pratiques traditionnelles s’estompent rapidement par la suite. […] Même si ce journal dispose de moyens financiers appréciables, nous n’avons recensé aucun reportage provenant d’un correspondant de La Presse à l’étranger […]. Cette constatation n’est pas surprenante puisque la note de régie interne rédigée par la direction au début du siècle recommande de « donner plus de nouvelles des centres de la Province en général » et d’engager plus de correspondants « surtout dans la province de Québec » (Dubois, 2011 : 5).

Au début des années 1990, Mylène Paradis fait le bilan des vingt dernières années de la

section internationale à La Presse : « Quatre journalistes sont affectés à plein temps au

secteur international. De plus, La Presse peut compter sur les services d’un

correspondant à Paris et dispose d’un réseau de collaborateurs occasionnels (experts

dans les universités québécoises, journalistes dans certains pays » (1993 : 28).

Quant au contenu, Paradis indique qu’entre 1970 et 1990, les nouvelles internationales

avaient baissé de 158 par année à 101 (1993 : 39). Son étude précise que 28 % des

nouvelles publiées en une sont de nature internationale, contre 13 % en 1985, 14 % en

11 Cette étude a été réalisée en 2011 par Judith Dubois, professeure de journalisme à la Faculté de communication de l’Université du Québec à Montréal.

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1980, 6 % en 1975 et 23 % en 1970 (1993 : 49). L’auteure a analysé la dépendance de

trois quotidiens canadiens francophones (La Presse, Le Soleil et Le Devoir) par rapport

aux agences de presse internationales : « En moyenne, autour de 75 % des nouvelles

parues provenaient d’une seule agence de presse. […] Les nouvelles ayant comme

source deux agences constituent environ 14 % du corpus […]. Dans les autres

catégories, trois agences et quatre et plus, La Presse devance quelque peu les autres

journaux avec 11 % » (1993 : 53). Paradis note que pour le cas de La Presse, 61 %

des dépêches utilisées proviennent de l’AFP (1993 : 59).

Mylène Paradis observe par ailleurs que les États-Unis occupent un quart des nouvelles

internationales traitées par La Presse (1993 : 69) : « Les nouvelles américaines prennent

de l’ampleur et le plus fort pourcentage apparaît en 1990. Cette même année, La Presse

publie beaucoup plus de nouvelles américaines que les autres quotidiens » (1993 : 71).

Selon les propos recueillis auprès des responsables des deux journaux, « La Presse et Le

Devoir estiment que les questions internationales doivent être davantage expliquées par

les journalistes-maison » pour l’adapter au public québécois. « À défaut de pouvoir se

payer des correspondants à l’étranger, les quotidiens devraient utiliser tous les moyens

disponibles pour expliquer adéquatement les affaires internationales »

(Paradis, 1993 : 84-85). L’auteure indique que pour un responsable12 de La Presse, « la

tendance générale à la mondialisation fera en sorte "que les médias québécois seront

portés à accorder une importance accrue aux questions internationales" » (1993 : 88).

Les études répertoriées dans cette partie posent quelques balises de notre analyse. Le

contenu de la section internationale à La Presse n’a pas connu d’évolution linéaire. La

dépendance aux dépêches d’agence a toujours existé même si, à la fin du XXe siècle, la

section internationale disposait d’un correspondant à Paris et de journalistes montréalais

affectés à ces pages. La Presse s’est appuyée au fil des décennies, à l’instar de toute la

presse écrite québécoise, sur les agences de presse, qui garantissent un flux de textes

internationaux à faible coût comparé à l’installation d’un correspondant. Également en

proie, comme toute l’industrie médiatique, à des difficultés financières, ces entreprises

mondiales ont pourtant elles aussi dû limiter leur couverture dans certaines régions de la

planète.

12 Il s’agit d’André Pratte, alors adjoint au directeur du service de l’information à La Presse.

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24

Le contexte économique et les choix éditoriaux déterminent la densité du réseau de

correspondants – quand celui-ci existe – d’un journal de presse écrite. Ce réseau permet

à la publication de proposer un contenu inédit et de présenter cette valeur ajoutée à son

lectorat. La dépendance générale aux agences peut dériver vers un risque

d’uniformisation des pages internationales. Certes, chaque média présente des

particularités, comme la préférence de suivre l’actualité de telle région par rapport à une

autre. Mais, sur une région lamba, le risque final serait de retrouver des textes

provenant d’une même source. Par ailleurs, les journalistes sont installés dans des

endroits stratégiques du monde, qui sont généralement les mêmes parmi les grands

médias.

Ainsi, qu’en est-il de la section internationale à La Presse au début des années 2010 ? À

partir d’une analyse de contenu ciblée effectuée sur quelques mois des années

2011-2012 et d’onze entrevues réalisées au premier trimestre 2012, nous analyserons,

dans la dernière partie de cet essai, les pages « Monde » du quotidien montréalais.

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25

III. Collecte d’informations et analyse : la section « Monde » de La Presse aujourd’hui

La Presse imprime quotidiennement plusieurs cahiers : quatre en semaine (cahier

principal A, cahier « Arts », cahier « Affaires » et cahier « Sports ») et plus du double le

samedi13. L’information internationale est présente, de près ou de loin, dans la majorité

d’entre eux. De plus, il n’est pas rare de lire des articles signés par des journalistes de la

section « Monde » dans les cahiers « Affaires » ou « Enjeux » par exemple.

Dans le cadre de cet essai, nous nous concentrons sur le traitement de l’information

internationale dans le cahier A de La Presse : cela comprend les deux premières pages

intérieures (A2/A3), destinées à mettre en lumière un sujet du jour, ainsi que la section

« Monde », qui suit les pages « Actualités », réservées à l’information québécoise et

canadienne.

Entre la fin du mois d’août 2011 et février 2012, 60 éditions du journal ont été

sélectionnées aléatoirement, puis référencées. Ce corpus permettra de dresser un tableau

de l’actualité internationale et son type de traitement à La Presse.

La deuxième phase de cette étude de cas fera ressortir quelques tendances de la section

internationale de La Presse, en s’appuyant sur des entrevues14 avec des journalistes. En

tenant compte des recherches effectuées sur l’agenda setting15 et les gatekeepers16, nos

observations et les informations recueillies tenteront de montrer quels types de sujets

sont traités et comment ils sont décidés.

13 À ceux de la semaine il faut ajouter les cahiers « Enjeux », « Gourmand », « Maison », « CV », « Petites annonces », « Voyage » ou encore « Cinéma ».

14 Quatre interviews ont été réalisées dans la salle de presse à Montréal, quatre par téléphone et trois par échanges de courriels, entre le 9 février et le 14 mars 2012.

15 Jean Charon explique que « la notion d'agenda-setting désigne un modèle qui établit une relation causale entre l'importance que les médias accordent à certains sujets (issues) et la perception qu'ont les consommateurs de nouvelles de l'importance de ces sujets. Les médias influencent l'ordre du jour des affaires publiques dans la mesure où le public ajuste sa perception de l'importance relative des sujets à l'importance que les médias leur accordent » (1995 : 73). Par exemple, l’agenda setting peut être invoqué lors du choix de publier une nouvelle sur une double page ou par une brève. 16 « L'idée de transfert ramène la fonction journalistique à une fonction de sélection, c'est-à-dire à cette métaphore du journaliste « gatekeeper » qui laisse ou non « passer » l'agenda défini par la source » (Charon, 1995 : 79). De son côté, Grégory Derville écrit : « David White décrit par exemple le journaliste comme un "filtre" (gatekeeper), qui prélève dans le flux d'événements et de discours qui lui parviennent ceux qu'il estime les plus dignes d'intérêt, et qui les retransmet au public » (1999 : 153).

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26

Si une vingtaine de personnes collaborent à la section, leur statut et leur fréquence de

participation se distinguent les uns des autres. Il y a d’abord les journalistes permanents

qui travaillent depuis la salle de presse à Montréal : Alexandre Sirois17 (chef de la

section), Agnès Gruda18, Laura-Julie Perreault, Judith Lachapelle. On peut ajouter les

journalistes au pupitre Nicolas Dussault19 (version imprimée) et Grégory Gacougnolle

(Web). Par ailleurs, d’autres journalistes gravitent autour sans faire officiellement partie

de l’équipe « Monde » : Mathieu Perreault, Isabelle Hachey20 et Annabelle Nicoud.

Les journalistes postés à l’étranger et collaborant pour La Presse doivent être classés

dans plusieurs catégories. Marc Thibodeau21 (Paris) est le seul correspondant permanent

en Europe. Sa zone de travail s’étend sur tout le continent, mais aussi l’Afrique

ponctuellement. Nicolas Bérubé22 (Los Angeles) et Richard Hétu23 (New York)

rayonnent respectivement sur les côtes Ouest et Est des États-Unis, même si le premier

a déjà voyagé au Mexique ou en Asie par exemple. Le statut de Janie Gosselin24,

journaliste au pupitre mais installée au Proche-Orient depuis un an et demi, est un peu

17 Entré comme stagiaire à La Presse durant l’année 1998-1999, Alexandre Sirois est parti pour deux mois à Washington comme correspondant en octobre et novembre 2001, après les événements du 11-Septembre. Il a été envoyé définitivement dans la capitale américaine entre 2003 et 2006. Quelque temps après son retour à Montréal, il est devenu en 2008 le responsable des pages « Monde », prenant la succession d’Agnès Gruda.

18 Journaliste à La Presse depuis 1986, Agnès Gruda a occupé pendant un temps le poste de chef de la section « Monde ». Depuis 2008, elle s’est concentrée sur son travail de chroniqueuse internationale ainsi que d’envoyée spéciale plusieurs fois par année.

19 Les pages « Monde » sont le dossier principal de Nicolas Dussault depuis 2008 (quatre jours par semaine). Le journaliste au pupitre s’occupe aussi des pages « Actualités » et plus sporadiquement « Affaires ».

20 Avant de revenir à Montréal, Isabelle Hachey a été correspondante à Londres à partir de janvier 2001. Elle est notamment partie en Irak en février 2003, quelques semaines avant le début de la guerre. À l’époque, elle y était restée trois mois.

21 Arrivé à La Presse au début des années 1990, Marc Thibodeau a notamment été chef de la division internationale pendant environ deux mois entre 2004 et 2006. Cette année-là, il part comme correspondant permanent à Paris. Il reviendra à Montréal à la fin de l’année 2012.

22 Nicolas Bérubé est arrivé à La Presse en 2002 en participant au cahier A. À l’été 2006, il est parti s’installer à Los Angeles après l’ouverture du poste de correspondant sur la côte Ouest des États-Unis.

23 Richard Hétu a quitté son poste de journaliste permanent à La Presse en 1994 pour pouvoir devenir correspondant à l'étranger. Il est pigiste ou contractuel depuis bientôt vingt ans.

24 Entrée comme surnuméraire au pupitre en 2006, Janie Gosselin a un poste permanent à La Presse depuis le printemps 2010. Depuis un an et demi, elle est basée au Proche-Orient et pige régulièrement. Actuellement en congé sans solde, elle reviendra prochainement dans la salle de presse à Montréal.

Page 30: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

27

particulier. Mais en somme, leurs statuts se rapprochent de celui d’un journaliste de la

salle de presse à Montréal.

Enfin, il y a les journalistes pigistes, qui peuvent travailler pour d’autres médias.

Certains sont des pigistes très réguliers pour La Presse : Mali Isle Paquin (Londres),

Frédérick Lavoie25 (Russie), Marc-André Boisvert (Sénégal), Emmanuel Derville

(Inde/Pakistan), Olivier Ubertalli (Argentine, un peu moins depuis un an), Serge Boire

(Brésil), Emmanuelle Steels (Mexique). D’autres collaborent de manière plus

sporadique (quelques piges par année) : Marion Guénard (Egypte), Thomas Abgrall

(Liban), Étienne Côté-Paluck (Haïti).

Afin d’obtenir un aperçu général, tous les échelons du journal et de la section

« Monde » ont été interrogés, de la direction aux journalistes sur le terrain. Les

personnes rencontrées et leur fonction sont :

- Éric Trottier, vice-président à l’information et éditeur adjoint à La Presse26

- Alexandre Sirois, chef de la section « Monde »

- Agnès Gruda, journaliste, chroniqueuse et ancienne responsable de la section

- Nicolas Dussault, chargé de la section au pupitre

- Marc Thibodeau (Paris), Nicolas Bérubé (Los Angeles), Richard Hétu (New York), Janie Gosselin (Proche-Orient), journalistes à La Presse

- Frédérick Lavoie (Russie), pigiste et collaborateur spécial

- Isabelle Hachey, journaliste dans la salle de presse à Montréal, qui collabore occasionnellement pour la section internationale et qui a coréalisé la série de webreportages autour du monde « Des mosquées et des hommes », à l’occasion des commémorations des dix du 11-Septembre

- Grégory Gacougnolle, pupitreur Web.

25 Frédérick Lavoie a commencé à piger pour La Presse au printemps 2006 pour les élections en Biélorussie. Le 24 mars, il est arrêté à Minsk lors de la couverture d’une manifestation d’opposants au président Alexandre Loukachenko. Il a été emprisonné quinze jours.

26 Éric Trottier a été promu à ces postes en juin 2010, après avoir été directeur de l’information pendant sept années. Il prenait alors la succession de Philippe Cantin.

Page 31: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

28

1. Le contenu des pages « Monde »

a. Observations générales

Les pages « Monde » de La Presse figurent dans le premier cahier du quotidien, le

cahier A. Elles sont placées après les pages « Actualités », la principale section, c’est-à-

dire généralement au-delà de la quinzième page. Cependant, on peut retrouver une

nouvelle internationale parmi les sujets présentés en une, mais également aux pages

deux et trois, réservées à l’un des sujets du jour.

La pagination oscille généralement entre deux et six pages par jour, indépendamment de

la une et des pages A2/A3. Si elles sont un indice du nombre d’articles publiés dans

l’édition quotidienne, plusieurs facteurs sont à considérer. Premièrement, il arrive que la

publicité prenne une large place dans une page sur laquelle un seul article peut

finalement être placé. Deuxièmement, la présence de photographies peut également

absorber l’espace réservé aux textes.

Pour obtenir un résultat plus précis de l’espace réservé aux sujets écrits, nous avons

calculé le nombre de mots publiés dans les pages « Monde ». Sur les 60 éditions, la

moyenne s’élèvent à 2 600 mots pour les textes longs et quelques centaines de mots

pour les brèves. Pour les petites éditions, l’intégralité de la section « Monde » peut

représenter un millier de mots. À l’opposé, cela peut monter à 4 000 voire, à de plus

rares exceptions, 5 000 mots dans un numéro. La quantité d’articles varie par rapport au

nombre de pages. Sur une édition moyenne, environ cinq textes d’au moins 200-250

mots sont publiés.

Enfin, plus de la moitié des textes internationaux publiés proviennent de journalistes de

La Presse. La proportion est de deux tiers – un tiers entre les textes-maison et les textes

d’agence retravaillés27. Les contributeurs principaux sont les correspondants Marc

Thibodeau (33 articles), Richard Hétu (30), Nicolas Bérubé (18) et Janie Gosselin (16).

Chroniqueuse à Montréal ou envoyée spéciale sur la planète, Agnès Gruda comptabilise

22 textes signés. Membre de l’équipe « Monde » dans la salle de presse, Judith

27 Cette proportion ne prend pas en compte les quelques brèves écrites à partir de dépêches d’agence.

Page 32: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

29

Lachapelle en compte 17, souvent sous une forme originale, comme nous le montrerons

un peu plus loin dans cette analyse de contenu.

Par ailleurs, la quasi-totalité des dépêches proviennent de l’Agence France-Presse. On

retrouve occasionnellement un texte signé de l’Associated Press. En revanche, les trois

grandes agences mondiales (AFP, AP et Reuters) apparaissent dans les crédits des

photographies utilisées.

Ces premières remarques montrent que les pages « Monde » ne sont pas négligées dans

le journal. La pagination quotidienne correspond à la moyenne basse d’un journal de

qualité, selon l’un des critères relevés plus haut dans cet essai. Si ces pages sont placées

dans le cahier principal de La Presse, cela implique nécessairement qu’il n’y a pas de

cahier « Monde », comme il existe des cahiers « Sports », « Arts », « Affaires » en

semaine, complétés par d’autres le samedi. Parfois, le cahier « Enjeux » publie des

dossiers internationaux, mais ces derniers ne constituent pas l’intégralité des pages.

Par ailleurs, l’effectif affecté à la section « Monde » ne se limite pas à quelques

personnes. La majorité des textes sont écrits par des journalistes de l’entreprise et au

total, plus d’une vingtaine de signatures différentes sont comptabilisées. Toutefois,

plusieurs n’apparaissent qu’à de rares occasions : cela semble indiquer que tous ne font

pas partie de l’effectif permanent de cette section. Il s’agit de collaborations

exceptionnelles de journalistes de la salle de rédaction, de chroniqueurs ou de pigistes.

b. Mise en page diversifiée

L’un des points de départ de cet essai s’appuie sur l’hypothèse que La Presse,

contrairement au Devoir et au Journal de Montréal, propose des pages diversifiées, tant

par le contenu que par la forme. Ces dernières années, La Presse a effectué des

modifications à sa mise en page. Contrairement au Devoir, sa plus grande pagination lui

permet d’aérer l’espace entre les articles et de laisser plus de place au visuel

(photographies, infographies, etc.).

Page 33: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

30

- Brèves et articles « classiques »

Les brèves d’agence sont la plupart du temps présentées en haut d’une page, sur toute la

longueur, dans une rubrique intitulée « Le tour du globe ». On peut en retrouver moins

régulièrement ailleurs sur la page (« En bref »).

Les articles classiques28 représentent la majorité des textes de la section. Généralement,

les textes des correspondants et des journalistes de la salle de rédaction sont plus longs.

Un texte de dépêche avoisine en moyenne les 400 mots tandis qu’un papier de Marc

Thibodeau peut atteindre 700 mots, comme par exemple cet article sur les primaires

socialistes en France29. Une chronique d’Agnès Gruda équivaut à 800-900 mots. Ce fut

le cas pour des textes sur les élections en République démocratique du Congo30 et les

conséquences négatives de la sécheresse dans la Corne de Afrique31.

- Des textes en capsules

Sans réduire considérablement la taille d’un texte classique (autour de 500 mots),

certains articles de la section sont éclatés en petites capsules. Nous avons recensé

plusieurs exemples durant cette analyse. L’un des plus récurrents est le format

« Questions / Réponses », qui peut se présenter de deux façons. Dans la première,

l’article est la reconstitution d’une interview. Le 9 septembre 2011, Judith Lachapelle a

interrogé32 Vali Nasr, professeur de politique internationale à l’Université américaine

Tufts, dans l’article « Bientôt la fin du printemps arabe ? ». Dans la seconde, la

journaliste répond elle-même aux questions. Le 11 novembre 2011, Janie Gosselin

28 Pour cet essai, nous considérons comme texte classique un article qui ne présente pas d’effet de mise en page particulier, si ce n’est le titre, le lead ou chapeau et des intertitres éventuellement.

29 « Duel à haut risque pour la gauche », 11 octobre 2011.

30 « Élections sur un volcan », 26 novembre 2011.

31 « Famine, deuxième vague », 30 septembre 2011.

32 « Quelle place occupent les conflits religieux dans la révolte des pays arabes ? », « Quelle région suscite, selon vous, le plus d’inquiétude ? », « Deux grands leaders du Moyen-Orient se disputent le pouvoir dans la région : les sunnites d’Arabie saoudite et les chiites d’Iran. Qui pourra finir avec davantage de pouvoir ? », « Cette semaine, l’Institut international d’études stratégiques, à Londres, a estimé qu’il est fort probable que les groupes islamistes se lancent dans la conquête du pouvoir politique dans les pays arabes. Doit-on s’en inquiéter ? »

Page 34: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

31

apportait des précisions sur la demande d’adhésion de la Palestine à l’ONU dans

l’article « Les Palestiniens suspendus au vote du Conseil de sécurité ».

Ces articles fragmentés prennent différentes formes. En pleine course à l’investiture

républicaine, Richard Hétu découpe son article « Anatomie d’une course en montagnes

russes »33 en cinq paragraphes (9.02.12). Les parties reviennent sur les derniers

développements des primaires et les forces en présence chez les candidats.

Le 7 septembre 2011, à l’occasion d’un discours du dalaï-lama à Montréal, Laura-Julie

Perreault revient sur six moments-clés34 de la vie du chef spirituel des Tibétains. Le 22

septembre, Janie Gosselin s’arrête sur « L’initiative palestinienne à l’ONU en quatre

symboles ». Les termes sélectionnés sont « 194 » (comme le 194e pays à intégrer

l’ONU), « Drapeaux », « Un siège » (de couleur bleue comme ceux de l’ONU) et

« Mouqataa » (quartier général de l’Autorité palestinienne). Dans le même style, Judith

Lachapelle s’arrête sur la révolution au Bahreïn35 dans une rubrique nommée

« Décodage » pour l’occasion. Huit thèmes sont ainsi sélectionnés :

« L’événement », « Qui sont-ils ? », « Combien sont-ils ? », « Une méthode

controversée », « L’enjeu », « L’enquête indépendante », « Les réformes promises »,

« Et l’économie ? ».

- Le rôle des doubles-pages

Les doubles pages consacrées à un thème précis sont une autre originalité du traitement

de l’actualité internationale à La Presse. Elles sont présentes soit en pages A2/A3, soit à

l’intérieur de la section « Monde », et prennent différents aspects. Sur les éditions

étudiées, trois numéros consacrent les pages A2/A3 à un sujet international. Les États-

Unis en sont le point commun. Les deux premiers exemples sont liés aux

commémorations du 11-Septembre. Les pages A2/A3 de l’édition du 11 septembre

2011 comprennent de longs extraits du témoignage exclusif d’un taliban, recueilli par

l’envoyée spéciale au Pakistan Michèle Ouimet. L’article, long de plus de 1 300 mots,

s’intitule « Confidences d’un taliban : "Nous étions tellement heureux" ». Sur la page 33 Annexe I.

34 « Dans un autre corps », « De la naissance à la reconnaissance officielle », « Un apprentissage du pouvoir au Tibet », « Un leader en exil », « L’homme de la voix du milieu », « Les habits du moine ».

35 « Révolution derrière les barreaux », 3 février 2012.

Page 35: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

32

figurent également trois mini-articles (« Talibans afghans », « Talibans pakistanais » et

« Al-Qaïda) ainsi qu’un texte du directeur principal de l’information Mario Girard à

propos du traitement des dix ans du 11-Septembre par La Presse.

Il y a autant de formules que de doubles-pages possibles. Le 12 septembre 2011, celle

consacrée au lendemain des commémorations est composée d’un long texte de Richard

Hétu ainsi que de trois photos : elle montrent les deux faisceaux lumineux sur

l’emplacement des deux tours du World Trade Center, l’hommage rendu lors d’un

match de football à New York et les deux couples présidentiels (Barack et Michelle

Obama, George W. Bush et Laura Bush), lors de la journée à New York.

Le 24 septembre 2011, une double-page s’intitule « La Palestine à l’ONU ». On y

trouve deux textes de nouvelles, l’un de Richard Hétu36 revenant sur la demande de

Mahmoud Abbas à l’ONU, l’autre de Janie Gosselin37 racontant sur place la réaction de

la population palestinienne à Ramallah. Agnès Gruda contribue également au dossier

avec une chronique38. Une brève et quelques notes, indiquant les États reconnaissant la

Palestine au sein de l’Assemblée générale, complètent la double-page.

Dans le dossier « Portrait de famille des républicains » (1er octobre 2011), Alexandre

Sirois traite les primaires républicaines aux États-Unis en vue des élections

présidentielles de l’automne 2012. Un long texte vertical fait un état des lieux de

l’investiture39. L’originalité de cette double-page résulte de l’importance de

l’infographie représentant des symboles du parti républicain et le visage, dans des

cadres, des dix prétendants. Cette infographie, qui occupe les deux tiers de l’espace, est

complétée par des courts textes sur les dix concurrents.

Outre ses chroniques, Agnès Gruda est souvent en reportage à l’étranger. Parmi les

dossiers recensés dans les numéros étudiés, deux sont réalisés par elle. Le premier

(« La révolte se mondialise »), composé de deux textes et de cinq photographies, revient

sur le phénomène « Occupy Wall Street » et ses réverbérations partout dans le monde.

36 « "Le temps est venu" », 24 septembre 2011.

37 « Ramallah en liesse », 24 septembre 2011.

38 « Le moment de vérité », 24 septembre 2011.

39 « Contrer la "tyrannie" d’Obama », 1er octobre 2011.

Page 36: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

33

Un deuxième dossier, « La drogue, une affaire de santé », s’intéresse au cas portugais

quant à son approche unique face aux consommateurs de drogues. Ces derniers n’y sont

pas considérés comme des criminels, mais comme des malades. Un long reportage

illustré de 1500 mots fait le bilan de cette politique sur le terrain. Quelques courts textes

donnent des précisions sur cette réforme et ses effets.

Dans l’édition du 7 novembre 2011, la réforme du système de santé aux États-Unis, qui

suscite un vif débat entre les démocrates et les républicains, fait la une et les pages

A2/A3 de La Presse. Dans le texte principal40 (1 100 mots environ), Richard Hétu fait

le point sur cette initiative qui ne fait pas l’unanimité chez les politiques et au sein de la

population. Un deuxième article41 du correspondant revient sur la réforme. En plus de la

série habituelle de photographies, la double-page est complétée par une manchette, sur

toute la longueur, qui contient six citations « choc » de candidats à l’investiture

républicaine. On y trouve notamment celle de Michele Bachmann : « ObamaCare est un

crime contre la démocratie ».

Durant l’automne 2011, les révolutions arabes et leurs suites ont également fait l’objet

de plusieurs double-pages (A2/A3 ou section « Monde ») dans le quotidien. Sur les

soixante éditions analysées, on en recense cinq. La première date du 23 août 2011 alors

que la capitale libyenne Tripoli a été abandonnée par le colonel Kadhafi. La page

comprend trois photos et quatre textes : deux de Judith Lachapelle42, un texte de

l’AFP43 et une chronique44 d’Yves Boisvert sur l’intervention militaire internationale

dans le pays. Enfin, une carte de la Libye et un plan de Tripoli permettent de visualiser

les zones contrôlées par les opposants ou les forces kadhafistes. Deux mois et demi plus

tard, le dossier « Libye : la fin de l’ère Kadhafi » s’arrête sur la mort du colonel

survenue la veille. Un long texte45 d’Isabelle Hachey revient sur les événements

entourant sa mort et sur ses quarante-deux années au pouvoir. Cinq photographies

40 « Le salut ou la perdition d’Obama », 7 novembre 2011.

41 « Le "RomneyCare" coûte cher au Massachusetts », 7 novembre 2011.

42 « La bataille de Tripoli » et « L’après-Kadhafi », 23 août 2011.

43 « Saïf al Islam, fils de Kadhafi, est toujours en liberté », 23 août 2011.

44 « La dure responsabilité de protéger », 23 août 2011.

45 « La mort d’un dictateur », 21 octobre 2011.

Page 37: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

34

résument la journée, un autre article46 relaie la réaction du gouvernement canadien

tandis que la chronique47 d’Agnès Gruda pointe les enjeux à venir pour le pays.

Le lendemain, les événements en Libye laissent place à l’organisation des élections en

Tunisie, premier pays à lancer sa révolution arabe au début de l’année 2011. Le

journaliste Karim Benessaieh est envoyé sur place. Le 22 octobre 2011, il publie deux

articles48 (plus de 1 500 mots au total) mettant en contexte le déroulement du scrutin à

venir et les forces en présence. On remarque aussi dans ces pages deux grandes

photographies et une colonne « Carnet de notes » qui met en lumière sept chiffres-clés :

le nombre de postes d’élus à combler, d’électeurs, de listes, de candidats, de journalistes

étrangers présents, un sondage sur la perception de la démocratie en Tunisie et la date

fixée pour l’annonce des résultats. Ces chiffres sautent aux yeux grâce à leur taille

beaucoup plus grande que le texte et leur couleur rouge49, comme le bandeau qui

présente la double-page (« Tunisie : place aux élections »).

Un mois plus tard, c’est une autre journaliste de la salle de rédaction qui est envoyée en

Afrique du Nord. L’habituelle chroniqueuse Rima Elkouri s’est déplacée en Égypte où

l’on s’interroge sur la possibilité d’une deuxième révolution. La double-page, plutôt

sobre, est composée de deux photos et deux longs textes de 700 mots, un reportage50 de

Rima Elkouri et une chronique51 d’Agnès Gruda.

Le 18 février 2012, deux pages de la section internationale sont consacrées à la menace

iranienne52. Contrairement aux autres doubles-pages étudiées, celle-ci accorde encore

plus de place au visuel (photos et infographies). L’article principal, « Israël bluffe-

t-il ? », fait environ 300 mots. On compte au total une vingtaine de textes courts

(quelques dizaines de mots) ou citations de personnalités politiques, sur des angles bien

précis : « Les sanctions imposées à l’Iran », « Gagner du temps ? », « Le droit à 46 « Une disparition saluée à Ottawa », 21 octobre 2011.

47 « Les leçons et les périls d’une révolution », 21 octobre 2011.

48 « Après la révolution, un scrutin au jasmin » et « Recette pour une minorité », 22 octobre 2011.

49 Le rouge est la couleur dominante du drapeau tunisien.

50 « La deuxième révolution égyptienne », 23 novembre 2011.

51 « Place Tahrir, prise 2 », 23 novembre 2011.

52 « Bombe à retardement », 18 février 2012.

Page 38: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

35

l’uranium », « La main du Mossad ? », « Chronologie », « Une bombe à améliorer »,

« Et la suite ? ». Deux infographies prennent une grande place dans ce dossier. L’une

occupe 25 % de la double-page. C’est une carte de la région, centrée sur l’Iran, le

Proche et le Moyen-Orient. Le territoire de l’Iran ressort d’une couleur différente.

Plusieurs symboles nucléaires sont placés pour pointer certaines villes abritant des sites

en relation avec le programme nucléaire. À côté de cette infographie, des paragraphes

indiquent le rôle joué par ces sites (production d’électricité, extraction, enrichissement

ou conversion d’uranium, production d’eau lourde, base militaire, fabrication de

combustible). Cette carte accompagnée d’informations écrites permet de visualiser

l’enjeu. La deuxième infographie, « Cycle du combustible nucléaire », est elle aussi

accompagnée par des petits textes, expliquant le processus d’utilisation du nucléaire

(extraction, conversion, enrichissement) et ses deux utilisations possibles (civile ou

militaire). Finalement, l’image est prépondérante dans cette double-page. Elle prend

plus de place que le texte et offre une information différente mais non moins riche.

- Photographies : illustration et information

La place des photographies dans la section « Monde » n’est pas négligeable. Les plus

grandes, généralement disposées dans les doubles-pages, peuvent équivaloir à un texte

de 700-800 mots. Outre les photographies de complément aux articles, les pages

« Monde » comportent souvent des clichés accompagnés d’un texte d’une centaine de

mots repris d’une agence de presse. La photographie de presse joue un rôle informatif

de premier plan. Pour les brèves illustrées, elle permet de rendre compte directement de

la nouvelle. Par exemple, celle publiée le 2 février 201253 montre le moment où le

candidat socialiste à l’élection présidentielle française François Hollande est enfariné

pendant un discours. Quelques lignes mettent en contexte l’événement, mais la

photographie illustre très bien la situation. Dans le cadre du conflit en Syrie, plusieurs

montages-photos, accompagnés d’une légende, ont été utilisés pour témoigner de la

violence de la situation. Cela a été le cas dans les éditions du 9 et du 10 février 201254.

53 « Hollande enfariné, Joly menacée », 2 février 2012.

54 Annexe II.

Page 39: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

36

Après ce tour d’horizon, on constate que la section « Monde » bénéficie des mêmes

outils typographiques et visuels (titraille, photographies, infographies, espacement,

couleur, etc.) dont s’est munie La Presse pour la totalité des pages du journal.

À une époque où la tendance est à la réduction de la pagination et des articles, les

doubles-pages, pas seulement publiées en A2/A3, sont un moyen d’approfondir le

traitement d’événements, de faits de société ou d’enjeux internationaux. Soumis à

l’immédiateté de la nouvelle, les quotidiens ont moins l’habitude de proposer des grand-

angles, contrairement aux hebdomadaires et autres périodiques d’actualité. Toutefois, la

section internationale ne réalise pas des doubles-pages tous les jours. En effet, si celles-

ci ne sont pas uniquement réservées à des sujets à la une de l’actualité, ces dossiers

restent encore ponctuels.

Après avoir dressé ce tableau général de la section internationale de La Presse, il s’agit

maintenant d’observer le type de nouvelles sélectionnées.

c. Sujets politiques, de société… ou plus décalés

- Politique et diplomatie

Les sujets de politique internationale sont traités en priorité par la section « Monde ».

Une attention plus marquée a été portée sur quelques événements qui ont animé la fin

2011 et le début 2012.

Comme tout au long de l’année 2011, le thème des révolutions arabes apparaît souvent

dans les pages étudiées. À la fin du mois d’août, les troupes rebelles s’emparent de

Tripoli en Libye. Durant la semaine du 22 août et les jours suivants, il y a au moins un

article publié par jour. Pour donner du poids au traitement de la situation, le

correspondant Marc Thibodeau écrit plusieurs reportages55 durant cette semaine-là. Ses

textes racontent sur place les derniers avancements et ses descriptions donnent une

réelle impression de terrain. Le lecteur est informé sur l’état des dégâts dans la ville, le

sentiment et les attentes de la population libyenne, etc. Mise à part la capitale Tripoli,

55 « Entre euphorie et soulagement », « Les périls de l’après-Kadhafi » (24 août 2011), « Dans les ruines du fief Kadhafi », « Tripoli, ville morte » (25 août 2011), « Kadhafi appelle à la résistance » (26 août 2011), « Vision d’horreur à Tripoli » (29 août 2011), « Les rebelles se préparent pour la bataille de Syrte » (30 août 2011), « Les sympathisants kadhafistes forcés de se faire oublier » (31 août 2011).

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37

Marc Thibodeau s’est également déplacé dans le désert, jusqu’à la ville de Misrata, l’un

des points centraux de la révolution. Le 29 août, le reporter est l’un des premiers à

témoigner de la découverte macabre d’un charnier de prisonniers : « La Presse a pu

compter au moins une trentaine de squelettes au sol. Une puissante et nauséabonde

odeur se dégageait de l’ensemble, forçant les personnes présentes à se boucher le nez

avec des foulards ou des masques chirurgicaux. »

Que ce soit pour les événements en Libye, Tunisie ou Égypte, on remarque un dispositif

particulier préparé par La Presse. D’abord, des journalistes de l’équipe sont envoyés sur

le terrain : Marc Thibodeau en Libye, Karim Benessaieh en Tunisie ou Rima Elkouri en

Égypte. Leurs textes sont accompagnés par ceux des journalistes de la salle de rédaction

qui donnent un décryptage de la situation, comme par exemple Judith Lachapelle, et

parfois leur point de vue (Agnès Gruda). Il faut ajouter à l’ensemble les dépêches

d’agence qui complètent le travail des journalistes de la rédaction.

Si les événements dans le monde arabe, les dossiers israélo-palestiniens et l’actualité

française apparaissent régulièrement dans la section, l’actualité américaine domine tous

les autres sujets. Cette observation n’est pas étonnante pour plusieurs raisons. D’abord,

il s’agit du seul pays où La Presse dispose de deux contributeurs permanents : Nicolas

Bérubé (Los Angeles) et Richard Hétu (New York). Sur l’échantillon analysé, les

journalistes signent quarante-huit papiers, soit 15 % de la totalité des textes longs de la

section (qui ne comprennent pas les brèves). Il faut ajouter à cela les contributions

ponctuelles d’Alexandre Sirois ainsi qu’un ensemble de sujets dans lesquels les États-

Unis ne représentent pas l’unique rôle. Il y a aussi l’explication géographique. Le

Canada et les États-Unis sont les deux principaux pays de l’Amérique du Nord avec le

Mexique, et partagent près de 9 000 kilomètres de frontière. Par ailleurs, les liens

historiques, économiques et sociaux sont forts entre les deux États.

Parmi les sujets qui reviennent souvent dans l’actualité américaine, la course à

l’investiture républicaine en vue de la présidentielle de 2012 occupe le premier rang.

Des deux correspondants installés dans le pays, Richard Hétu est le plus actif sur ce

sujet. Les décisions politiques de l’administration Obama, les enjeux des prochaines

élections ainsi que le dixième anniversaire des commémorations du 11-Septembre

complètent le quatuor de tête.

Page 41: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

38

- Sujets de société

En dehors des sujets à caractère uniquement politique ou diplomatique, les pages

« Monde » de La Presse proposent toute une série de reportages sociaux. Les thèmes

sont multiples. À la veille du 11 septembre 2011, Mari Isle Paquin fait état de la montée

de l’extrême droite en Angleterre et des partis islamophobes sur le continent européen56.

Le 14 septembre, Emmanuelle Steels rapporte la liesse au Mexique alors qu’une statue

de cire à l’effigie du pape Jean-Paul II et une capsule contenant des gouttes de son sang

tournent partout au pays57. Dix jours plus tard, Frédérick Lavoie nous éclaire sur cette

partie de la population active russe quittant une situation professionnelle avantageuse

dans la capitale au profit d’un travail moins stressant en campagne58. À Los Angeles, un

reportage de Nicolas Bérubé raconte comment un aréna s’est transformé en hôpital

public : « Au total, 800 bénévoles médicaux ont pu traiter plus de 5000 patients durant

les quatre jours de l’événement. Parmi les dizaines de types de soins offerts, les plus

populaires sont la dentisterie et l’optométrie, deux services que l’assurance publique

californienne Medi-Cal ne couvre plus depuis des années59. » Deux semaines plus tard,

le correspondant revient sur le vote majoritaire des électeurs du Mississipi contre la loi

établissant l’embryon humain comme une personne, et donc pour le maintien du droit

d’avorter60. En février 2012, un reportage de Serge Boire au Brésil met en lumière la

vague d’immigration de sinistrés haïtiens qui ont fui leur pays après le séisme de 2010,

mais qui « se retrouvent complètement démunis, à chercher un toit et de la

nourriture61 ».

- Faits divers et affaires judiciaires

Les catastrophes naturelles, faits divers et affaires judiciaires sont également couverts.

Depuis Londres, Mali Isle Paquin donne62 les derniers avancements dans l’affaire du

56 « La charia dénigrée » et « La montée des partis islamophobes en Europe », 10 septembre 2011.

57 « "Jean Paul est parmi nous !" », 14 septembre 2011.

58 « Les Russes découvrent la dolce vita », 24 septembre 2011.

59 « Des soins de santé dans un aréna », 25 octobre 2011.

60 « Le droit à l’avortement maintenu », 9 novembre 2011.

61 « L’eldorado, c’est l’enfer », 2 février 2012.

62 « L’étau se resserre autour d’Assange », 3 novembre 2011.

Page 42: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

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chef de WikiLeaks (organisme mondialement connu pour la divulgation en ligne de

documents), extradé en Suède où il est recherché pour une affaire d’agressions

sexuelles. Le 14 octobre 2011, deux textes judiciaires traitent de procès se déroulant de

part et d’autre de l’Atlantique. En Europe, Marc Thibodeau raconte l’histoire « aussi

sordide que troublante » de ce médecin allemand jugé en France pour le meurtre d’une

victime de 14 ans63. À Los Angeles, dans le procès du docteur de Michael Jackson,

Nicolas Bérubé rapporte que les experts dénoncent le travail de Conrad Murray le jour

du décès du chanteur64. L’annonce en Allemagne de l’existence d’un groupuscule

néonazi auteur de plusieurs assassinats contre des personnes d’origine étrangère fait

l’objet d’un article de Marc Thibodeau65. À Hollywood, Nicolas Bérubé évoque66 la

réouverture d’une enquête vieille de trente ans sur la disparition de l’actrice américaine

Natalie Wood.

- Sujets décalés

En plus des sujets diplomatiques, des faits divers et des affaires judiciaires, la section

« Monde » de La Presse propose ponctuellement des papiers que l’on qualifiera de plus

légers. Cela peut aller d’une information people ou décalée concernant une personnalité

politique, à des sujets de société originaux. Dans une petite ville du Maine (États-Unis),

la journaliste Isabelle Audet conte67 le déroulement du championnat du monde de

transport de femme : « Cinquante hommes, un but : franchir le plus vite possible un

parcours avec sa femme sur le dos pour gagner son poids en bière ». Le 21 octobre,

Marc Thibodeau revient68 sur la naissance de la fille du couple présidentiel Sarkozy,

sans que la politique ne soit bien loin, le journaliste demandant si le président de la

République peut en tirer bénéfice dans les sondages. Sur un modèle ludique, Alexandre

Sirois propose un quiz69 pour retrouver les auteurs, en l’occurrence des candidats

63 « Bronzage, sexe et enlèvement », 14 octobre 2011.

64 « Le docteur Murray sur le gril », 14 octobre 2011.

65 « Le drame qui choque l’Allemagne », 16 novembre 2011.

66 « La mort mystérieuse d’une légende d’Hollywood », 19 novembre 2011.

67 « Championnat de transport de femme », 11 octobre 2011.

68 « Un bébé à l’Elysée », 21 octobre 2011

69 « Républicains : controverse 101 », 12 novembre 2011.

Page 43: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

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républicains américains, de « déclarations controversées, gaffes ou faux pas ». Comme

pour un jeu, il faut lier la lettre (A, B, C, D, E, F, G, H) attribuée au candidat, au court

texte résumant son actualité.

Le 9 février, la journaliste Nathalie Collard revient sur l’étude sérieuse d’un

paléontologue pour lequel « le comportement des singes et des politiciens peut parfois

coïncider. Ainsi, il compare François Hollande à un orang-outang et Nicolas Sarkozy à

un mâle dominant chimpanzé ». En guise d’illustration de l’article, la photo des deux

hommes politiques français est confrontée à une photo des espèces nommées70.

- Les dix ans du 11-Septembre : une couverture accentuée

Une fois n’est pas coutume, La Presse a publié un cahier spécial de vingt-quatre pages,

à l’occasion des dix ans du 11-Septembre 2001. Il était séparé des autres cahiers du

journal et s’intitulait « Sur les cendres de l’innocence ». Le dossier a été primé au

concours de la Society of News Design en 2011.

Treize longs textes (de 500 à plus de 2 000 mots), des petits encadrés, des photos en

grand format et quelques infographies composent ce cahier spécial. La première et la

dernière page du cahier représente une œuvre inédite du peintre Marc Séguin, « Petite

fille au hidjab », réalisée exclusivement pour l’occasion. On y voit une jeune fille

couverte jusqu'à là tête par un voile représentant le drapeau américain, et qui porte avec

la main droite une arme levée vers le haut. En haut de la page de une, un surtitre « 11

septembre – 10 après » est écrit de telle sorte que deux bâtons verticaux symbolisent à

la fois les deux tours du World Trade Center et le nombre 11.

La dizaine de reportages a été réalisée par des journalistes du quotidien, à l’exception de

la contribution de l’écrivain Kim Thuy, à qui La Presse avait demandé de rédiger une

oeuvre sur le thème du 11-Septembre. Pour le reste, les reportages ont été réalisés aux

États-Unis, au Québec, en Irak, en Égypte et au Pakistan. Les journalistes de Montréal

(Rima Elkouri, Marc Cassivi, Judith Lachapelle, Pierre Foglia, Michèle Ouimet,

Alexandre Sirois, Agnès Gruda) et les correspondants (Richard Hétu, Nicolas Bérubé)

ont été mobilisés. La longueur des textes, globalement beaucoup plus importante

qu’habituellement, indique l’intérêt marqué qu’a voulu porter le journal dans ce cahier.

70 Annexe III.

Page 44: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

41

Par ailleurs, les angles très diversifiés permettent de placer plusieurs problématiques en

perspective.

Le premier reportage, écrit par Rima Elkouri, est un portrait71 de jeunes Américains qui

ont perdu un parent dans les attentats. Aux États-Unis, Richard Hétu raconte le parcours

opposé72 de deux femmes qui, après avoir perdu un membre de leur famille, ont

développé une approche très différente quant à la politique du gouvernement. Parmi les

autres reportages du dossier, Nicolas Bérubé souligne la montée de l’islamophobie aux

États-Unis73, Pierre Foglia – qui a voyagé quatre fois en Irak – revient sur dix années de

malheurs dans ce pays74, Michèle Ouimet est partie à la rencontre de la population

pakistanaise victime de ses confrères islamistes75, Agnès Gruda écrit sur l’islamisme

égyptien76, Richard Hétu et Judith Lachapelle abordent la représentation que se font les

jeunes d’aujourd’hui en Amérique du Nord77. Le dernier article, qui est à nouveau le

travail de Richard Hétu, raconte l’expérience d’un survivant des attentats du World

Trade Center, dernier à avoir quitté l’une des tours avant son effondrement78. Les

reportages font ressortir les témoignages de personnes touchées directement par les

attentats ou indirectement, suite aux répercussions qu’a eu le 11-Septembre dans le

monde musulman.

La présence de l’image (photographies et infographies) est continue dans ce cahier

spécial. Chaque long reportage est accompagné d’une photographie qui occupe au

moins la moitié d’une page. On retrouve notamment certains clichés célèbres qui

avaient déjà fait le tour du monde. À la page 2, il y a cette photo de Marcy Borders,

employée dans l’une des deux tours, recouverte de poussière et de cendres dans une rue

71 « Les orphelins de la terreur », 10 septembre 2011.

72 « Après la douleur, la riposte », 10 septembre 2011.

73 « L’Amérique côté sombre », 10 septembre 2011.

74 Le 11-Septembre tous les jours », 10 septembre 2011.

75 « Les otages des islamistes », 10 septembre 2011.

76 « Hidjabs et leggings à l’ombre des pyramides », 10 septembre 2011.

77 « Les analphabètes du 11-Septembre », 10 septembre 2011.

78 « À deux secondes de la mort », 10 septembre 2011.

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42

de Manhattan à l’univers apocalyptique. L’une des photographies les plus marquantes

du cahier se situe sur la totalité de l’avant-dernière page. Elle est présentée ainsi :

« Photo-choc : dix ans plus tard, la photo de l’ "homme qui tombe" est toujours aussi

choquante et fascinante. Elle montre un homme qui vient de se jeter dans le vide. »

Dans un court texte, Laura-Julie Perreault souligne que c’est l’une « des images les plus

fortes de la tragédie ».

Ainsi, l’extrême majorité du contenu de la section internationale conserve un ton

sérieux. En s’appuyant sur les recherches de Merrill et Marthoz, on constate que

l’actualité est traitée de manière rigoureuse et ne néglige aucun sujet de premier plan.

Les grands événements géopolitiques et diplomatiques (révolutions et élections dans le

monde arabe, demande d’adhésion de la Palestine à l’ONU, etc.) ont été couverts. Ce

suivi garantit aux lecteurs une mise à jour quotidienne satisfaisante de l’actualité

internationale. À propos des sujets plus étalés sur une année, il faut à nouveau pointer

ici que leur couverture est directement liée à la situation géographique. Par exemple, la

préparation de l’élection présidentielle américaine de 2012 (primaires républicaines,

politique de l’administration Obama, etc.) est davantage mise sous les projecteurs. À

l’inverse, on ne retrouve pas ce genre de traitement plus régulier sur d’autres continents

comme l’Asie, l’Amérique du Sud, l’Afrique ou l’Océanie.

Parallèlement à cette information dite sérieuse, quelques sujets plus anecdotiques ou

insolites sont présentés. Cela semble être le résultat d’une volonté d’ouverture à un

lectorat plus large. Par ailleurs, certains sujets politiques, comme la comparaison entre

les comportements des singes et des politiciens, sont traités sur un ton plus décalé. Si

ces observations ont été faites sur des cas ponctuels, elles rappellent celles de Thierry

Watine quand il remarquait des traces de divertissement dans l’information du Devoir

au début des années 1990. Enfin, l’accent mis sur la proximité, propre à la presse

populaire, que Jean-Paul Marthoz relève, est sporadiquement perceptible. Citons

l’exemple de l’arrestation au Mexique de la ressortissante canadienne Cynthia Vanier.

Toutefois, ce type de cas s’observe dans l’ensemble des médias, y compris la presse de

référence.

Page 46: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

43

d. Et sur le Web ?

- Plus d’articles sur le site

Comme tous les grands médias de presse écrite, La Presse est également présente sur

Internet. Si l’on peut consulter l’édition imprimée, le site Web met en ligne davantage

de nouvelles. Pour cette analyse, il n’est pas prévu de réaliser une étude approfondie de

l’information en ligne. Néanmoins, nous pouvons faire quelques remarques.

Tout d’abord, l’onglet « International » – et non pas « Monde » comme sur la version

papier – est le deuxième sur la liste, derrière « Actualités ». L’ordre respecte celui du

cahier A. Sur la page d’accueil du site, il peut arriver que la nouvelle principale ait un

caractère international. Les récentes modifications effectuées sur le site Web permettent

désormais de faire ressortir quatre nouvelles : la plus importante bénéficie d’un espace

et d’une photographie plus grands, les trois autres sont placées côte à côte en dessous de

la nouvelle principale. Il s’agit de la même structure lorsque l’on accède à la section

« International ».

Cette section est sous-divisée verticalement en différentes sous-sections. En avril 2012,

elles étaient les suivantes : « Crises dans le monde arabe », « États-Unis », « Europe »,

« Moyen-Orient », « Asie & Océanie », « Afrique », « Amérique latine », « Ailleurs sur

le web ». On les retrouve dans les onglets en haut de la page, à deux exceptions près :

« Crise dans le monde arabe » n’apparaît pas tandis que « Dossiers » y est ajoutée.

Trois observations générales ressortent à propos du contenu. D’abord, on remarque que

l’intégralité des textes publiés dans l’édition imprimée est mise en ligne, sans délai. Ils

sont disponibles gratuitement comme l’ensemble des articles du site. Deuxièmement,

les pages sont complétées quotidiennement par des dépêches d’agences de presse qui ne

figurent pas sur le papier, y compris les zones du monde un peu moins couvertes dans

l’édition imprimée. Troisièmement, quatre articles sont mis en avant sur la page

principale de la section, avec une photographie pour le premier. Au fur et à mesure de la

journée, il y a donc un roulement. Il faut entrer plus en profondeur dans le site et cliquer

sur la section en question pour obtenir la liste des nouvelles plus « anciennes ».

Page 47: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

44

- Le webreportage « Des mosquées et des hommes »

En plus de son cahier spécial, La Presse a lancé un autre projet pour marquer le coup

des dix ans du 11-Septembre. Deux journalistes de l’équipe ont parcouru le monde afin

de décrire les relations entre deux mondes. La série « Des mosquées et des hommes »79

est présentée ainsi sur le site : « On a dit que le monde ne serait plus jamais le même.

On a parlé du choc des civilisations. Dix ans plus tard, comment se portent les relations

entre l’Occident et le monde musulman ? D’ici la fin septembre, nos journalistes

Isabelle Hachey et Martin Leblanc tenteront de le découvrir en visitant sept mosquées,

d’un bout à l’autre de la planète. »

Dans l’ordre chronologique, les journalistes ont réalisé des reportages à New York,

Murfreesboro (Tennessee, États-Unis), Hambourg (Allemagne), Bagdad (Irak), Kaboul

(Afghanistan), Jakarta (Indonésie) et Inuvik (Territoires du Nord-Ouest, Canada). Ils

étaient composés de textes écrits, publiés sur le blogue et parfois dans la version

imprimée, comme par exemple « Dans Kaboul assiégé » de l’édition du 14 septembre.

Chaque arrêt dans une ville a fait également l’objet d’un reportage télé d’une durée de

cinq minutes : « La mosquée du Ground Zero » (New York), « La mosquée de la

discorde » (Murfreesboro), « Comment devenir terroriste » (Hambourg), « La tragédie

irakienne » (Bagdad), « Le spectre des talibans » (Kaboul), « L’islam et les minijupes »

(Jakarta), « La mosquée sur la banquise » (Inuvik).

Ce webreportage apporte un autre type de couverture de l’information internationale,

dans un contexte où les entreprises de presse diversifient leurs supports. L’idée de

mélanger des reportages écrits et audiovisuels se développe sur le Web. Les grands

médias présents en ligne produisent ou diffusent de plus en plus de webreportages et

autres webdocumentaires. « Des moquées et des hommes » semble s’inscrire dans une

stratégie générale à La Presse de s’ouvrir à l’information vidéo en ligne.

Ainsi, nous observons globalement que La Presse se donne pour mandat de couvrir

l’actualité internationale partout dans le monde. Tous les continents sont couverts mais

des disparités existent. Les événements en Amérique du Nord (principalement les États-

Unis et le Mexique) et en Europe sont beaucoup plus suivis que ceux d’Amérique du

79 [En ligne] http://www.cyberpresse.ca/international/dossiers/11-septembre/ (consultée le 5 avril 2012).

Page 48: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

45

Sud, d’Asie et d’Afrique, même si la couverture des révolutions arabes et du Proche et

Moyen-Orient modère cette observation. Cette inégalité est une conséquence du

positionnement sur le globe des collaborateurs les plus réguliers du journal, lui-même

résultant du choix du journal de privilégier certaines zones. Le vide des régions

géographiques non couvertes par les correspondants permanents et collaborateurs

spéciaux est comblé par les dépêches d’agence de presse. Comme le remarquait Camile

Laville, ces agences exercent un monopole sur les breaking news selon les critères des

pays dominants dont elles sont originaires. Par conséquent, les dépêches sont plus

nombreuses pour certaines régions du monde, et cela se répercute sur la fréquence de

mise à jour des différentes sous-sections, par continent, d’un site Web national comme

La Presse. Par ailleurs, le quotidien montréalais met clairement en avant les textes écrits

par ses journalistes (longueurs, disposition, etc.).

Grâce aux interviews réalisées avec les journalistes de La Presse, nous allons montrer

comment s’effectue l’élaboration de la section et quelles stratégies sont privilégiées.

2. La section internationale vue de l’intérieur

a. Les années 2000, un tournant

De l’avis de toutes les personnes rencontrées, la récente évolution de la section

« Monde » à La Presse va de pair avec l’arrivée de Guy Crevier comme président et

éditeur de La Presse ainsi que président de Gesca Ltée.

Éric Trottier affirme ainsi que la couverture de l’actualité internationale a pris une

importance manifeste à cette époque, afin de changer de standing : « Les années 1990

étaient des années d’austérité où l’on ne dépensait pas. Le journal n’investissait pas

beaucoup en information. On se contentait de couvrir la région de Montréal. La

décision la plus importante qu’a prise Guy Crevier à ce moment-là a été de passer d’un

journal local à un journal d’envergure nationale. Il a donné les moyens à La Presse de

pouvoir jouer sur le même terrain que des journaux comme le New York Times ou le

Globe and Mail, qui sont devenus pour nous des références. Toute notre politique

d’information a été axée sur la qualité et la profondeur, en allant vivre nos expériences

Page 49: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

46

de reportages sur le terrain, à travers le monde, plutôt que de prendre seulement des

papiers d’agences, plus impersonnels. »

Le correspondant Marc Thibodeau confirme qu’avant les années 2000, il y avait moins

de reportages sur le terrain : « Le poids des agences était plus élevé. Il y avait plus

d’articles écrits de Montréal, à travers une combinaison de dépêches, d’informations

trouvées à gauche et à droite. Souvent, à la fin de l’article il y avait plusieurs sources

de référence. »

Pour Agnès Gruda, l’ancien vice-président à l’information Philippe Cantin, qui a

précédé, Éric Trottier, a enclenché ce changement de cap dans l’équipe de rédaction :

« Un journal évolue tout le temps. Au cours des années 2000-2001, La Presse a voulu se

positionner comme un grand journal national, en proposant une information de qualité

sur les grands enjeux. C’était une volonté affirmée. Avant 2000, l’information

internationale n’était pas mise en valeur. La Presse ne s’y intéressait pas autant. »

Ce changement de politique s’est effectué quelques mois avant les événements du

11-Septembre 2001, qui a joué un rôle de « catalyseur ». Revenue à Montréal après

plusieurs années à l’étranger (Europe et Moyen-Orient), Isabelle Hachey confirme que

La Presse a choisi de couvrir davantage l’international, en y accordant plus de

ressources et d’efforts : « J’ai l’impression que pour l’ensemble des médias québécois,

le 11-Septembre a ouvert une porte sur le monde. Il y a eu un intérêt incroyable. On

aurait pu aller n’importe où. On avait toujours des réponses positives à nos

propositions de sujets. J’ai pu voyager dans plusieurs pays d’Europe et du Moyen-

Orient. Londres fonctionnant comme une plaque tournante, c’était facile pour moi de

rayonner. » Toutefois, elle souligne que l’intérêt peut monter et descendre assez

vite. Un sentiment partagé par le journaliste au pupitre Nicolas Dussault : « Depuis les

attentats du 11-Septembre, il y a une plus grande sensibilité dans l’information

internationale. On a découvert que nos lecteurs s’y intéressaient. »

Comme ses collègues, Marc Thibodeau a également ressenti la nouvelle position du

journal : « La Presse est devenue beaucoup plus réactive en matière de couverture

internationale. Dès qu’il y avait un sujet d’actualité qui s’imposait, en général, le

réflexe instantané était d’envoyer un journaliste sur place. Le 11-Septembre a alimenté

cette tendance. D’une certaine manière, ça "tombait à pic". »

Page 50: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

47

Au-delà des multiples critères économiques, l’importance du facteur humain soulignée

par Merrill trouve ici un exemple caractéristique. L’arrivée d’un nouvel éditeur qui a

voulu élever le quotidien La Presse à un niveau supérieur de qualité, notamment en

intensifiant sa couverture de l’international, a, semble-t-il, servi de déclencheur. Il faut

désormais identifier comment cette volonté initiale s’est traduite concrètement dans les

pages « Monde ». De plus, dix ans après ce changement de cap, la section se retrouve-t-

elle confrontée à de nouveaux enjeux ?

b. Une journée-type à la section internationale

- Le chef de section

Il faut attendre le milieu de matinée pour que la préparation des pages « Monde » du

lendemain devienne concrète. Après avoir pris connaissance de la publicité présente

dans le journal, le chef de section Alexandre Sirois découvre l’espace sur lequel il

pourra compter : « On commence à avoir une bonne idée de la publicité qu’il y aura

dans le journal vers 11 heures. On peut alors discuter du nombre de pages sans avoir

peur que tout soit bousculé par l’arrivée de nouvelles pubs. On peut déjà décider de

donner plus ou moins d’importance à certains dossiers. Vers 13-14h, il n’y a

pratiquement plus de pubs qui rentrent : on peut discuter plus sérieusement de nos

pages. »

Le bureau du chef de la section internationale est installé à côté de ceux des pages

« Actualités ». La matinée est ainsi l’occasion d’entamer un « bras de fer » pour la

pagination, comme l’aiment bien dire amicalement les responsables des deux sections.

Si Alexandre Sirois indique qu’un nombre de pages minimum est bloqué, une

négociation constante s’opère afin d’obtenir, le cas échéant, davantage d’espace, et donc

plus de pages.

Il est maintenant temps de choisir la composition des pages. Une fois rédigés, tous les

articles se retrouvent dans le logiciel central Mediaware Center : « C’est l’outil le plus

essentiel dans notre travail, explique Alexandre Sirois. Toutes nos affectations y sont

centralisées. On l’appelle aussi le budget. On y inscrit le menu de demain pour avertir

toute l’équipe du journal. Tous les textes des journalistes y sont versés. C’est ici qu’on

va les lire, les corriger, que le pupitre va les titrer. On y retrouve les nouvelles

Page 51: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

48

d’agence, les photos, les affectations ou encore les maquettes versées par les

pupitreurs. De plus, on y place les textes qui seront publiés dans quelques jours, des

"sans date" ». Une fois les textes téléchargés, les journalistes ne peuvent plus les

modifier. Alexandre Sirois dispose d’un accès particulier lui permettant d’atteindre les

articles. Il y a ainsi trois niveaux de correction : le chef de section, le pupitreur et

l’équipe de correcteurs.

La journée du chef de section se déroule habituellement entre 9h et 18h. Il s’assure du

bon fonctionnement de ses pages. Il joue un rôle central dans la validation des sujets

même s’il n’est pas l’unique proposeur. Il corrige certains textes, écrit

occasionnellement des articles. La réécriture et la correction des dépêches d’agence sont

partagées avec le journaliste au pupitre. Durant la journée, Alexandre Sirois suit

régulièrement le fil du réseau social Twitter et se branche sans interruption sur la chaîne

d’information en continu américaine CNN, pour se tenir proche de l’actualité. Il

travaille quotidiennement avec le directeur de la photographie pour sélectionner les

clichés qui seront publiés. En plus des agences de presse habituelles (AFP et AP, pour

le texte, auxquelles il faut ajouter Reuters pour le fil photos), La Presse est aussi

abonnée à Graphic News par exemple.

- Au pupitre

Nicolas Dussault est le pupitreur attitré des pages « Monde » à La Presse. Sa journée

commence vers 14h30-15h. Son rôle final est de réaliser la maquette. Avant cela, il relit,

corrige les textes. Ses responsabilités s’accroissent le week-end, pour l’édition du lundi,

lorsque Alexandre Sirois ne travaille pas. Il devient alors un chef de section officieux

tout en s’appuyant sur les planifications (répartition et commandes des textes, espace

disponible). Si le travail de répartition des textes est effectué à 90 % par le chef de

section, le pupitreur est totalement responsable pour le journal du lundi. Habituellement,

la journée au pupitre se termine au plus tard à 23h30, heure d’envoi des maquettes.

Les prérogatives du pupitreur sont claires : il peut corriger le texte, le modifier ou le

couper en fonction de la maquette. Il s’occupe de la titraille, ce qui comporte

notamment le choix des titres. Nicolas Dussault explique : « On s’adapte souvent à

l’espace qui nous est offert. Je suis très visuel, j’aime créer en fonction de la maquette

que j’ai devant moi. C’est un mariage entre le contenant et le contenu. Ainsi, pour les

Page 52: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

49

titres, j’essaie évidemment de respecter le texte le mieux possible, mais je vais

m’adapter aussi beaucoup au format. Au secteur international, il faut toujours trouver

le bon ton. D’un point de vue général, La Presse est un journal assez sobre, prudent.

Parfois à l’international on peut se permettre d’être un peu plus fantaisiste sur certains

sujets, d’être un peu plus audacieux. On ne se permettrait pas d’être irrévérencieux

envers la classe politique québécoise, mais on va l’être un peu plus envers la classe

politique étrangère, tout en restant très subtil. »

Le pupitreur partage le travail sur les dépêches d’agence avec le chef de section qui agit

plus majoritairement sur les brèves et la sélection des dépêches. Son travail d’édition

peut prendre plusieurs formes : réécriture ou réduction de dépêches, mais aussi synthèse

entre plusieurs textes. L’enjeu principal ici est d’éviter la redondance dans le texte

obtenu. En effet, certaines dépêches peuvent se regrouper : le risque est de retrouver

deux paragraphes quasi identiques à deux endroits différents du texte. « Le dimanche

pour l’édition du lundi, on publie toujours une chronique de Richard Hétu

(correspondant à New York), précise Nicolas Dussault. Occasionnellement on aura un

texte de collaborateurs mais il arrive souvent que le sujet du jour soit un texte d’agence.

À ce moment-là, il y a plusieurs possibilités : soit les textes sont très bien faits sans

modifications, soit il faut les adapter un peu. Par exemple, l’AFP a un système

d’écriture un peu monotone. Quand on réalise un mélange de dépêches, on essaie de

privilégier l’information pertinente. » Enfin, le pupitreur rédige les légendes des

photographies.

- Les correspondants

Contrairement aux journalistes de la salle de rédaction, le déroulement des journées de

travail des correspondants à l’étranger présente autant de possibilités qu’il y a de

journalistes. L’horaire dépend des commandes d’articles et du délai pour les rédiger. De

plus, certains pigistes collaborent avec d’autres médias et ne consacrent pas l’intégralité

de leur temps à La Presse. Par exemple, le journaliste Frédérick Lavoie estime que ses

articles pour le quotidien représentent entre 40 % et 60 % de ses revenus.

Installé dans une ville, leur rayonnement s’étend au pays, voire même à une plus grande

région encore. Journaliste russophone, Frédérick Lavoie couvre actuellement l’actualité

en Russie. De son côté, le choix de Janie Gosselin pour le Proche-Orient a d’abord été

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50

le résultat d’un intérêt personnel : « J'ai appris l'arabe à l'université, puis continué en

prenant des cours pendant un mois au cours de voyages en Tunisie, au Maroc, en

Égypte et au Liban. J’avais écrit quelques articles en 2007 en Égypte. L’année suivante

j’ai visité la région : Liban, Syrie, Jordanie, Israël et les Territoires palestiniens. Au

printemps 2010, je me suis installée deux mois et demi au Liban. À cette occasion, j'ai

écrit plusieurs articles pour La Presse et dans un blogue sur cyberpresse. »

Installé en Californie, Nicolas Bérubé est à Los Angeles la plupart du temps.

Régulièrement, il se déplace tout le long de la côte Ouest nord-américaine mais aussi en

Arizona, au Nevada par exemple : « La plupart du temps je suis en Californie. En 2011,

je me suis déplacé dans la Silicon Valley. Quand Steve Jobs est mort, je suis allé à Palo

Alto pour recueillir les réactions des habitants. C’est à une heure d’avion, donc c’est

vraiment facile de s’y rendre. » Mais il lui arrive aussi de traverser la frontière : « L’an

dernier, je suis allé au Japon après le tsunami et pendant la crise nucléaire. J’ai voyagé

également au Venezuela ou au Mexique par exemple. Il s’agit de voyages ponctuels qui

durent entre et sept et dix jours. » En 2011, le journaliste a publié environ 130 articles,

ce qui représente, en comptant les congés, deux ou trois articles publiés chaque semaine

dans la section « Monde » du cahier principal, mais aussi dans les cahiers « Affaires »

ou « Enjeux » par exemple. De l’autre côté des États-Unis, Richard Hétu affirme écrire

au moins 150 textes par année.

Marc Thibodeau, installé à Paris, est l’unique correspondant permanent en Europe.

Outre l’actualité française, il est amené à voyager annuellement dans plusieurs pays du

Vieux Continent : « Dès l’ouverture du poste, il était prévu que je parte faire des

reportages en Europe. Dans mon esprit, il était très clair que j’aurais la possibilité de

me déplacer. J’ai eu une latitude exceptionnelle. Les deux, trois premières années, je

suis parti entre dix et quinze fois par année hors de France. Je suis même allé en

Afrique et au Moyen-Orient, de manière plus irrégulière, en fonction de l’actualité. »

Durant l’été 2011, il a ainsi réalisé une série de reportages en Somalie et en Libye.

c. Le choix des sujets

En tant que chef de section, Alexandre Sirois coordonne le choix des sujets couverts

dans le journal. Il donne l’accord final mais n’est pas le seul à proposer. En effet, c’est

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51

un travail de dialogue et d’échange avec les journalistes de la salle de rédaction, et

surtout les correspondants. M. Sirois explique : « Je suis là pour avoir des idées. Eux

[les correspondants] sont nos yeux, nos oreilles sur le terrain. » Depuis New York,

Richard Hétu dit qu’il communique presque quotidiennement avec le responsable de la

section : « Je propose des sujets, il m'en commande, c'est environ 50-50. »

Nicolas Bérubé parle également d’une répartition 50-50 entre ses propositions et les

commandes en provenance de Montréal : « Chaque matin, je lis les journaux pendant

une heure et demie pour essayer de dénicher un sujet qui intéresse les Québécois sur ce

qu’il se passe ici. Parfois Alexandre Sirois voit quelque chose de son côté, à CNN par

exemple, et me demande mon avis. C’est un peu ma tâche d’allumer sur des sujets. Avec

les années, on a vraiment développé une collaboration. » Le journaliste prend parfois

l’initiative d’écrire un article quand l’événement s’impose : « À la mort de Whitney

Houston, qui est décédée à Los Angeles, je ne me suis même pas posé la question.

C’était évident que j’allais écrire un texte. À Montréal, ils étaient contents d’avoir un

papier terrain. C’est le même processus pour d’autres événements qui font la nouvelle

tels les fusillades. » Mais au-delà des sujets très médiatisés, Nicolas Bérubé ajoute que

son rôle consiste aussi à chercher des idées originales. L’an dernier, il est allé dans la

petite ville de Victorville, dans le désert, à une heure de Los Angeles. Beaucoup de

maisons y avaient été construites pendant le boom immobilier. Quand la bulle a éclaté,

les familles ont déménagé et ces maisons ont été abandonnées. Aujourd’hui les quartiers

sont complètement fantômes, les maisons sont à moitié construites. Il y a des noms de

rues, des panneaux « Arrêts », mais aucune maison. Il a eu l’accord pour partir écrire

pour le cahier « Affaires ». Nicolas Bérubé souligne qu’il doit apporter une valeur

ajoutée à ses articles pour se démarquer des autres médias : « Les journalistes des

agences de presse vont aussi sur le terrain, mais souvent au sujet de la grande nouvelle

du jour. Je dois sortir de ce cadre et apporter des idées qui ne seraient pas dans le

journal si je n’étais pas posté ici. Par exemple, si Barack Obama fait une déclaration et

les républicains le critiquent, on va retrouver cinq textes sur le fil d’agences. Mon rôle

est plus d’aller vers des sujets qui ne seraient pas traités, ou alors pas de la même

façon. »

Marc Thibodeau affirme que la situation a un peu évolué depuis sa première année à

Paris en 2006 mais dans l’ensemble, cela reste un échange permanent avec Montréal :

Page 55: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

52

« Initialement j’étais en autonomie totale. Dans 80 % du temps, je suggérais des

assignations et elles étaient approuvées. Avec Alexandre Sirois, c’est interactif. Je vois

des sujets et je les propose. Dans un contexte de resserrement financier, ils font un

contrôle plus étroit sur les déplacements qui doivent être approuvés. »

Certains journalistes sur le terrain indiquent qu’ils font davantage de propositions qu’ils

ne reçoivent de commandes. « Outre les sujets politiques évidents, je propose

généralement plus, indique Frédérick Lavoie. Mais il arrive aussi qu'Alexandre Sirois

ait lu un article sur la Russie et qu'il me propose d'écrire sur le sujet. Parfois, il peut

être difficile de jauger ce qui intéressera ou non nos lecteurs, lorsqu'on a soi-même les

deux pieds dedans. C’est pourquoi nous discutons des angles ensemble. » De son côté,

Janie Gosselin témoigne que dans 99 % des cas, c'est elle qui propose le sujet en

premier.

d. Un « laboratoire »

- Des textes signés La Presse

Au-delà des articles issus de dépêches, y a-t-il un style propre à la section « Monde » à

La Presse ? Les journalistes interrogés observent tous que depuis quelques années, le

travail sur le terrain permet d’obtenir des articles à dimension humaine. Plusieurs

emploient le terme feature.

Au pupitre, Nicolas Dussault a remarqué cette évolution : « Il y a plus de sujets sociaux,

moins de diplomatie. Plus de témoignages, moins d’analyses même si depuis quelques

années, La Presse a fait un effort pour ces dernières. Contrairement à il y a dix ans, on

voit plus de faits divers nationaux, de catastrophes naturelles, d’accidents, etc. Avant,

ce genre d’histoires-là n’était pas forcément traité dans les pages internationales, qui

étaient plus cloisonnées et consacrées essentiellement à l’information politique

étrangère. On les traitait plutôt en informations générales. Maintenant, les pages

internationales se sont ouvertes à toutes formes de sujet : sociaux, people, etc. »

Lorsqu’il est parti en Grèce pour couvrir la crise économique, Marc Thibodeau précise

qu’il voulait aller plus loin que l’information économique : « Mon intérêt premier était

de montrer les conséquences sociales après les mesures d’austérité. Je m’appuyais

Page 56: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

53

notamment sur la statistique révélant que le taux de suicide avait augmenté de 40 % les

six premiers mois de l’année 2011. À cette époque, il y avait eu beaucoup d’articles,

très arides, sur les mécanismes de la crise de l’euro dans les journaux. C’est d’ailleurs

un peu le problème du journalisme économique qui est désincarné, alors que

l’économie touche tout le monde. Il n’y a rien de plus incarné que ce domaine. Une

sorte de théorisation s’est installée et l’aspect humain est un peu négligé. » Sur le

thème de la crise de l’euro, le journaliste a réalisé plusieurs reportages, notamment dans

la section « Affaires ». Ils traitaient des répercussions humaines en Islande, en Irlande,

en Espagne, en Grèce ou encore au Portugal. Le pupitreur Nicolas Dussault situe ce

genre de textes à mi-chemin entre l’économie et le social : « L’approche magazine est

intéressante. C’est un virage entrepris depuis une dizaine d’années qui ne vaut pas

seulement pour la section internationale. On voyait moins de features dans les

quotidiens dans le passé. »

Nicolas Bérubé est aussi dans cette d’optique : « Quand j’écris à propos de la mort de

Whitney Houston, je n’apprends à personne son décès. Les lecteurs sont déjà au

courant. Aujourd’hui il faut être plus créatif, plus curieux, aller voir les gens, avoir du

matériel, des photos et des histoires originales. C’est ainsi qu’on arrive à capter

l’attention. J’ai reçu les meilleures réactions de lecteurs quand j’ai raconté une histoire

simple sur un problème de société. Les lecteurs s’identifient. » En Russie, Frédérick

Lavoie affirme qu’évidemment certains sujets liés à la politique ou aux relations entre le

Canada et la Russie sont incontournables : « Mais il y a aussi certains sujets plus

décalés ou qui touchent des aspects de la société que je remarque moi-même. Je trouve

parfois mes idées grâce à mes observations de la vie quotidienne ou en lisant la

presse. »

Pour Nicolas Bérubé, « la presse écrite peut se démarquer en publiant des textes qu’on

ne retrouve pas ailleurs, au-delà des grands titres. Personnellement, je peux aller sur

place, rencontrer des gens, passer quelques jours, ramasser des informations et rendre

un résultat intéressant pour les lecteurs. Il y a de l’avenir pour ces reportages qui vont

plus loin que la nouvelle, la manchette ».

Dès le début des années 2000, La Presse a opéré ce virage. En 2002, Marc Thibodeau

se souvient être parti en Afghanistan peu de temps après la chute du régime taliban :

« Le projet était d’écrire des articles sur l’Afghanistan post-taliban, raconter la vie de

Page 57: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

54

la population, le régime ». Cet exemple témoigne cette volonté de montrer ce qu’il se

passait dans d’autres sociétés du monde, sur des sujets comme la santé, l’éducation, etc.

Les articles de La Presse ont donc une teneur plus diversifiée qu’auparavant.

Parallèlement aux textes de nouvelles, Agnès Gruda écrit tout au long de l’année des

chroniques qui lui donnent l’occasion d’informer et de commenter l’actualité

internationale : « Cela me permet d’écrire des textes plus personnels, qui touchent

davantage les lecteurs. J’ai vraiment plus de liberté, mais je me sens aussi libre de ne

pas avoir d’opinion. » Elle peut écrire ses textes depuis Montréal, tout effectuant la

plupart du temps des appels téléphoniques à l’étranger pour recueillir des témoignages,

comme celui de cette Syrienne, habitante de Homs80. Agnès Gruda se déplace

quelquefois à l’étranger où elle rapporte aussi bien des textes de nouvelles que des

chroniques : « C’est plus facile pour moi si j’ai senti le terrain81. Au minimum, je me

contente d’appels depuis Montréal. »

- Un compromis entre le fond et la forme

À La Presse, les textes classiques n’occupent plus l’intégralité des pages. Comme notre

analyse de contenu l’a montré, certains articles sont mis en page différemment,

découpés en plusieurs morceaux. Des sujets sont mis en valeur en occupant une double-

page. Alexandre Sirois aime utiliser l’expression « laboratoire » pour qualifier la section

internationale : « Aujourd’hui, les journaux ne peuvent plus se contenter de publier un

texte de nouvelle et une photo de longueur égale pour chaque item. Une des forces du

journalisme, c’est de pouvoir s’adapter et diversifier ce que l’on offre aux lecteurs.

Internet a changé la donne. On doit maintenant penser à des reportages plus courts,

plus ludiques et moins linéaires, succédant à des reportages longs et en profondeur. Il

faut un mélange des deux. Les sujets d’importance moindre doivent occuper un espace

plus limité. »

Pour le pupitreur Nicolas Dussault, cette évolution générale dans les pages « Monde »

rend le résultat « plus attrayant sur le plan visuel. On fait le tour d’une question d’une

80« "Nous sommes au-delà de la peur" », 10 février 2012. Annexe IV.

81 Ces dernières années, Agnès Gruda a entre autres voyagé au Liban, en Haïti, en Palestine, au Portugal mais aussi dans trois pays africains : « Mon bon format : dix jours de déplacements, ce qui comprend deux ou trois jours pour le voyage », explique-t-elle.

Page 58: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

55

façon plus synthétique. Personnellement, j’aime les longs textes, mais les journalistes

ne sont jamais un public cible. Apparemment, c’est un virage nécessaire ». Le

journaliste Frédérick Lavoie déclare par exemple que certains sujets russes « sont trop

compliqués malheureusement pour être traités, car ils demanderaient une mise en

contexte que la longueur qui m'est allouée ne permettrait pas ».

Le correspondant Marc Thibodeau possède un avis plus tranché sur la question : « Je

n’aime pas l’idée qu’il faille tout déconstruire, capsuler, mettre en forme, etc. Je

comprends la volonté de rendre l’information plus digeste, voire la présentation plus

dynamique. Mais en même temps, je pense qu’il faut faire attention à ne pas sombrer

dans une espèce de "surgadgétisation" au détriment de l’espace réservé à l’analyse. »

Pour le journaliste, il y a un débat à lancer sur la capacité de concentration et

d’absorption d’information de la part des lecteurs. Il s’érige en faux contre l’idée qu’il

faille tout décomposer à sa plus simple expression : « Les gens qui ont un intérêt pour

l’information sont capables de lire des textes de 600, 700, 800 mots bien écrits, sans

souffrir d’épuisement intellectuel. » Selon lui, il s’agit d’une discussion éternelle à

l’intérieur d’une rédaction, reconnaissant que le journal est une construction

quotidienne subjective, où plusieurs points de vue se confrontent.

En dehors de la longueur et de la structuration des textes, le chef de section Alexandre

Sirois encourage le développement graphique, comme le spread graphic, lorsque le

sujet s’y prête. Le dossier sur le nucléaire iranien (édition du 18.02.12) en est un bon

exemple. Il a été initié quelques semaines avant sa publication. Le 9 février, une

rencontre entre Alexandre Sirois et la journaliste Judith Lachapelle a permis de faire un

bilan des recherches réalisées et des informations collectées. L’objectif était de voir

quelles cartes et photographies seraient utilisées, quelles villes d’Iran et quelles

fonctions seraient essentielles à indiquer. Les journalistes voulaient donner une vue

d’ensemble de la situation via différents procédés (carte graphique, photographies,

encadrés, citations, dates, chiffres, etc.). Pour que le dossier soit réalisable, c’est

l’équipe de graphistes qui s’est chargée de la conception des deux pages.

Pour Nicolas Dussault, le spread graphic est « une façon d’informer en un coup d’œil.

C’est une synthèse, un moyen d’expliquer un enjeu d’une façon très visuelle. Il y a dix

ans, on aurait eu deux fois plus de texte et beaucoup moins d’images. Il faut s’adapter à

l’époque. Pour certains sujets, l’exercice est intéressant et donne des résultats heureux.

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56

Pour d’autres, on peut regretter des textes plus longs ». Marc Thibodeau, ancien chef

de la section « Monde », trouve le résultat réussi mais pondère : « Ce sujet justifiait ce

type de mise en forme d’autant plus que le cas iranien est un conflit difficile à saisir.

Structurer l’information de manière graphique nécessite énormément d’effort. Le fait de

le décomposer de cette manière-là a donné un beau résultat. En voulant aller trop loin

dans la mise en forme, le risque pour moi est de sacrifier de la complexité. »

À la nécessité d’une longueur standard suffisante pour obtenir un article plus complet,

se confronte donc le raccourcissement des textes observé dans la presse écrite

quotidienne. Cette opposition s’inscrit en partie dans le cadre d’un conflit générationnel.

Auparavant, les journaux consacraient plus d’espace aux longs textes. Aujourd’hui, si

l’ensemble des journalistes jugent qu’un article allongé permet de dresser un aperçu

plus complet d’un sujet, les jeunes journalistes considèrent plus facilement l’idée

d’écrire des papiers courts. L’éclatement des articles en plusieurs capsules suit cette

nouvelle dynamique. Le texte contient autant de mots qu’un article classique, mais sa

présentation l’en distingue. L’actuel chef de la section explique d’ailleurs que cet

exemple fait partie des choix assumés afin de s’adapter à un nouveau mode de lecture.

Toutes ces évolutions s’inscrivent dans une politique d’élargissement du lectorat, plus

jeune et habitué à s’informer différemment.

e. Sur Internet

La section « Monde » du site cyberpresse est composée des articles publiés dans

l’édition imprimée de La Presse, ainsi que de textes supplémentaires tirés du fil

d’agences de presse. Au pupitre Web entre 7h et 15h82, Grégory Gacougnolle indique

qu’il rencontre différents cas de figures. Il peut reprendre intégralement le contenu

d’une dépêche mais aussi devoir les retravailler : « Il y a des fautes dans les dépêches

d’agence. Parfois il faut réécrire le lead. De plus, il faut adapter le style "franco-

francophone" de l’AFP à l’écriture d’ici. » Il publie automatiquement les textes de

l’édition papier, les dépêches d’agence et les photographies.

Le journaliste ajoute qu’il n’a pas de politique de longueur à suivre, ni même de quota

d’articles. Toutefois, alimenter trop fréquemment le site en nouvelles « pousse » les 82 Il y a une permanence pour le pupitre du site Web jusqu’à minuit.

Page 60: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

57

précédentes à devenir moins visibles. Comme nous l’avons vu dans notre analyse de

contenu, seuls les titres les plus récents apparaissent sur la page d’accueil de la section.

Le site Internet contient également le webreportage « Des mosquées et des hommes »,

réalisé à l’occasion des dix ans du 11-Septembre 2001. Isabelle Hachey, l’une des deux

journalistes partis autour du monde, raconte que le projet a été pensé en mars 2011.

« J’étais intéressée par ces relations entre l’Occident et le monde musulman qui, en dix

ans, ont été pas mal chamboulées. » Le fil conducteur du projet, à savoir la mosquée,

autour de laquelle chaque histoire était basée, a parfois joué un rôle secondaire. Au

total, le voyage a duré un mois : « L’idée était de faire des reportages vidéo. Au début,

j’ai publié dans le journal quelques textes. » En raison de problèmes de temps, le texte a

été abandonné mis à part quelques billets sur le blogue. « Au final, je pense que le texte

manquait, concède Isabelle Hachey. À cause du temps, on donne très peu d’information

dans une vidéo. Mon texte de commentaire n’équivalait qu’à quelques paragraphes.

Nous faisions le montage dans l’avion tellement notre temps de travail était limité. »

Isabelle Hachey dresse tout de même un bilan positif de l’expérience. Elle pense que

d’autres projets de ce genre seront lancés dans le futur, avec la création d’un secteur

vidéo à La Presse. Certains journalistes spécialisés ont intégré la rédaction tandis que

d’autres, issus de la presse écrite ou de la photographie, sont formés à ce média.

Depuis quelque temps, les journalistes ont envahi les réseaux sociaux numériques,

notamment Twitter. En plus du compte officiel « La Presse Monde », une majorité de

collaborateurs de la section internationale (Alexandre Sirois, Agnès Gruda, Laura-Julie

Perreault, Nicolas Bérubé, Richard Hétu, Janie Gosselin pour ne nommer qu’eux)

possède un compte personnel. Si leur fréquence d’utilisation du réseau diffère, chacun

s’en sert généralement pour deux raisons principales : récolter et diffuser de

l’information. Nicolas Bérubé explique qu’il a lancé de lui-même l’initiative d’ouvrir

son compte : « J’utilise beaucoup plus Twitter pour trouver de l’information que pour

en donner. Quand je travaille sur un dossier, la recherche par mots-clés me permet de

trouver les tout derniers développements. Le réseau est encore plus pratique pour les

nouvelles principales. Tout est réuni sur une plate-forme, plus besoin d’aller chercher

sur vingt sites différents. » Le journaliste diffuse des observations et de l’information

principalement sur les États-Unis. Pour le moment, le travail de publication sur le

réseau social reste à la discrétion des journalistes. Il n’est pas encadré par une charte

Page 61: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

58

officielle. Nicolas Bérubé se souvient avoir reçu quelques consignes de

fonctionnement : vérifier que l’information, parfois retweetée, soit exacte, etc. Il s’agit

de précautions valables pour tout travail journalistique.

f. Vers quelle direction ?

- Une vitrine pour le journal

Pour le chef de section Alexandre Sirois, les pages « Monde » prennent une place

conséquente dans le journal, compte tenu du contexte : « On aurait le goût de pouvoir

être un journal comme le New York Times. Mais avec nos moyens actuels, on arrive à

montrer que l’international est l’une de nos priorités. » Selon lui, les doubles-pages,

parfois placées au tout début du cahier A, sont un exemple explicite : « On n’hésite plus

à faire la "2-3" du cahier principal, qui sont réservées pour un dossier auquel on veut

donner plus d’impact. On n’a pas peur de mettre en valeur notre travail. »

Parmi les journaux nord-américains, il considère que peu d’entre eux utilisent deux

pages pour traiter un seul sujet, à part dans le cas d’événement particulier. À La Presse,

l’édition de fin de semaine, mieux garnie en termes de pages, permet aussi d’ouvrir sur

d’autres sujets : « On peut se payer le luxe d’informer nos lecteurs plus en profondeur

sur des informations qui ne sont pas nécessairement d’actualité brûlante. On se permet

un samedi de prendre deux pages vierges pour aller en profondeur sur un sujet. »

Alexandre Sirois pense que la section internationale doit être divisée en deux grandes

tendances : « Il faut couvrir les grandes crises. Par exemple, pendant les révolutions

dans le monde arabe, on est allés dans une demi-douzaine de pays prendre le pouls,

raconter les événements. Mais il faut aussi proposer à nos lecteurs des sujets originaux

auxquels ils n’auront pas nécessairement accès ailleurs, des sujets un peu moins collés

sur l’actualité. Il faut jouer sur les deux tableaux. C’est ce qui fait notre force. »

De son côté, Nicolas Dussault rappelle que l’information internationale demeure un

combat quotidien : « Il y a des jours où il faut se battre pour obtenir de l’espace parfois

très restreint. On serait heureux d’avoir quatre pages par jour, mais c’est rarement le

cas. À mon avis, l’information internationale pourrait être un peu plus visible en une. »

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59

- Privilégier les envoyés spéciaux

Pour Éric Trottier, le traitement de l’actualité internationale passe obligatoirement par

des reportages réalisés sur le terrain : « Dès qu’il se passe un événement, on envoie des

journalistes sur place. On ne se prive pas d’aller là où ça compte. »

Actuellement, le quotidien dispose d’un seul correspondant permanent (Marc

Thibodeau) auquel s’ajoute des correspondants très réguliers et des pigistes. M. Trottier

signale que La Presse n’a jamais eu dans son effectif plus de deux correspondants à la

fois. La raison est principalement économique : « Installer quelqu’un dans une ville,

généralement une grande métropole, coûte extrêmement cher. Par exemple, le poste à

Londres avec Isabelle Hachey, qui a été couronné de succès notamment avec son

voyage de quatre mois en Irak en 2003, coûtait entre 200 000 et 250 000 dollars par

année. À un moment donné, on avait étudié l’idée de mettre en place un correspondant

régulier en Chine : ça nous aurait coûté entre 400 000 et 500 000 dollars par

année. Aujourd’hui, on a un correspondant régulier à Paris qui va rentrer à la fin de

l’année 2012. En principe on devrait le remplacer pour garder une présence en

Europe. On a aussi une pigiste régulière à Londres. Je ne suis pas certain qu’on devrait

développer plus que ça. »

Pour Éric Trottier, l’aspect humain joue également dans le choix de développer le

modèle des envoyés spéciaux au lieu des correspondants permanents : « Quand on est

installé dans un pays pendant plusieurs années, il y a toujours un risque de

"s’endormir". C’est humainement normal qu’après deux ou trois années passées dans

une ville, on ne voit plus des faits pourtant surprenants. Mais je ne veux pas blâmer un

correspondant actuel. Sans parler d’économie d’argent, je trouve plus efficace

d’envoyer des gens avec des yeux neufs. »

Pour Isabelle Hachey, conserver un correspondant sur le terrain offre plus de garanties à

la couverture de l’actualité l’internationale. Considérant que les envoyés spéciaux sont

une forme d’engagement, il serait déplorable que tous les postes de correspondants

soient amenés à être fermés. De son côté, Marc Thibodeau pointe un risque : « Si on

coupe les postes de correspondants et décide d’envoyer des journalistes à la pièce, le

risque le plus évident est de réagir de moins en moins souvent. C’est beaucoup plus

facile de laisser passer un événement depuis Montréal. Il faut une volonté soutenue de

Page 63: La section "Monde" à La Presse (Montréal).pdf

60

la part de la direction et des journalistes pour s’assurer que l’information

internationale ne soit pas grugée. Plus le nombre de correspondants est réduit, plus on

a de chance de voir la couverture réduite. Le correspondant apporte l’assurance au

journal d’être alimenté par un flot d’articles de l’extérieur. »

Pour les deux journalistes, vivre dans un pays est le meilleur moyen de se faire un

réseau de contacts, de connaître la région en profondeur, et non pas seulement d’en

avoir une impression. Marc Thibodeau explique qu’il y a une grande différence entre le

fait d’être installé dans un environnement politique, social, culturel de manière

permanente, ou d’être bombardé à gauche et à droite : « On a une appréhension plus

superficielle de la situation. On va nécessairement capter une part sans avoir la même

profondeur d’analyse. En Europe, j’ai visité une quinzaine de pays. Pour certains, j’y

suis allé trois, quatre ou cinq fois. Désormais, en arrivant dans l’un d’entre eux, j’ai

une connaissance plus approfondie de la politique, de certains aspects sociaux qui

peuvent être particuliers : le travail est facilité ».

Nous discernons donc deux tendances. Globalement, les anciens et actuels

correspondants soutiennent que des articles de meilleure facture sont produits lorsque le

journaliste habite dans le pays de l’événement, ou y a déjà voyagé. Prenant en compte

les obligations économiques, le vice-président à l’information Éric Trottier considère

qu’un travail de qualité égale peut être effectué via des envoyés spéciaux de Montréal.

Idéalement, ces reportages devraient être réalisés par les journalistes les plus

expérimentés de la section, habitués à couvrir des événements internationaux.

Même si le journal présente des garanties pour suivre l’actualité sur le terrain, les

envoyés spéciaux n’écriraient pas d’articles depuis l’extérieur sur une base aussi

fréquente qu’un journaliste installé à l’étranger. Cependant, lors des périodes où ces

envoyés spéciaux demeurent à Montréal, ils participent à la section « Monde ».

Actuellement, une petite équipe de la salle de rédaction suit d’ailleurs ce mandat. Pour

écrire leurs textes, ces personnes effectuent leurs recherches via le Web ou le fil

d’agence de presse. Elles peuvent contacter des sources et recueillir des informations

par téléphone. Si ce travail est réalisé par des journalistes qualifiés pour le domaine, les

résultats se montrent satisfaisants dans certains cas (analyse, bilan, état des lieux d’une

situation, etc).

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61

Conclusion

Motivée par l’ambition de devenir un véritable journal de référence au Québec, La

Presse effectue un effort plus soutenu depuis plus d’une décennie sur sa couverture des

événements planétaires. Ce développement s’inscrit en effet dans une optique plus

large : intégrer la catégorie des quality papers. Éric Trottier souligne que « partout en

Amérique du Nord, les journaux en proie à des difficultés financières ont décidé de

couper dans la qualité des reportages et se sont tournés vers leur marché local.

Certains sont même tombés dans l’hyperlocal. Malheureusement pour eux, souvent cela

accélère la spirale ».

D’un point de vue général, l’information internationale est en recul dans les médias. Ce

constat s’observe dans les médias québécois qui, historiquement, accordent moins

d’intérêt aux nouvelles du monde, comparativement aux médias européens par exemple.

Parallèlement, le manque de ressources et les exigences de rendement limitent la

couverture continue et approfondie de l’information internationale, générant une

tendance vers la focalisation sur des événements spectaculaires, parfois à connotation

people ou insolite.

Sans vouloir caricaturer le Québec qu’il qualifie de société tolérante, Marc Thibodeau

souligne qu’une société ouverte vers le monde est une nécessité : « Pour moi, une

société où les médias ne s’intéressent pas à l’international est frileuse. Elle se replie sur

elle-même, est susceptible de mal comprendre tout ce qui vient de l’étranger et de se

sentir menacée, alors que l’étranger est porteur de richesses en général ».

Dans ce contexte, la pagination internationale à La Presse oscille aujourd’hui autour de

trois pages, et peut grimper en cas d’événements marquants ou de dossiers approfondis.

Cependant, parmi la douzaine de cahiers indépendants proposés par le journal en

semaine ou le samedi, il n’existe pas de cahier « Monde ». Contrairement à des cahiers

tels « Arts », « Affaires », « Maison », où la publicité sectorielle est plus forte,

l’actualité internationale rencontrerait des difficultés pour attirer les annonces. Cette

observation rappelle que le facteur humain, la volonté d’une direction et d’une équipe

de rédaction pour couvrir sérieusement l’international doit faire face aux obligations

économiques et de rentabilité liées aux entreprises de presse d’aujourd’hui.

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La section « Monde » de La Presse se démarque tant sur le fond que sur la forme. Grâce

à son réseau de journalistes dans la salle de rédaction à Montréal et de correspondants

(du pigiste au permanent), presque 70 % des textes publiés sur l’édition imprimée sont

exclusifs. Parmi ce pourcentage, il faut préciser qu’un tiers est écrit depuis Montréal.

Sur les grands sujets internationaux comme les révolutions arabes de 2011, le journal

envoie ponctuellement sur place des membres de l’équipe. Les textes d’agence de

presse restent nécessaires afin d’obtenir un panorama complet des événements. En

complément des articles diplomatiques et politiques, La Presse aborde l’information de

manière plus humaine. Les reportages de société sont fréquents. Toutefois, les régions

les plus régulièrement couvertes, les États-Unis en premier, correspondent à la position

géographique des journalistes qui travaillent pour l’entreprise.

Sur la forme, La Presse dit s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation de la

l’information observées en ce début de siècle. Certains articles sont désormais

« capsulés » en plusieurs parties, rendant la lecture plus dynamique. Le journal accorde

beaucoup d’importance au visuel. La photographie est présente continuellement tandis

que d’autres procédés graphiques sont apparus. Ainsi, à l’occasion d’un dossier sur le

nucléaire, une carte complétée d’indications a remplacé un article faisant état de la

situation. Le graphique permet au lecteur de mieux visualiser la situation. L’exercice

semble pertinent ici, mais pour d’autres cas, le texte pourrait s’avérer plus efficace.

C’est sur cet équilibre entre textes et images que le chef de section actuel Alexandre

Sirois tente de jouer.

Les doubles-pages de dossiers constituent un bon aperçu du contenu général des pages

« Monde » de La Presse : articles d’analyse ou reportages, photographies, infographies,

encadrés, brèves, etc. La sélection de nouvelles s’opèrent sur trois critères principaux :

l’intensité d’un événement, l’originalité du sujet et les moyens humains (correspondant

ou envoyé spécial sur place par exemple). Les deux derniers s’appliquent

principalement pour le cas des articles produits par des journalistes-maison.

Sur Internet, le site cyberpresse est un prolongement de l’édition papier. Tous les

articles s’y trouvent en plus d’autres dépêches d’agence. La plate-forme Web permet

également de diffuser des reportages audiovisuels réalisés par des journalistes de La

Presse, comme le webreportage « Des mosquées et des hommes ». Le numérique, avec

notamment le développement des tablettes, apporterait de nouveaux avantages.

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Actuellement, le journal travaille sur cette perspective et réfléchit jusqu’à quel point la

tablette numérique, notamment l’iPad d’Apple, pourrait se placer comme le support

pourrait s’avérer plus généreux. Alexandre Sirois ajoute que l’application sur tablette

offre des possibilités inédites en termes d’infographie et d’interactivité.

La Presse opte pour une couverture-maison de l’actualité internationale. D’après Éric

Trottier, cette politique ne passe pas nécessairement par l’installation en permanence de

correspondants, mais par une production continue d’articles écrits par des journalistes

depuis Montréal ou envoyés le plus possible sur le terrain. À ce sujet, Marc Thibodeau

estime qu’un journal doit avoir un réseau de correspondants structuré, pas uniquement

composé de pigistes qui sont de plus en plus jeunes par ailleurs. Il alerte sur les dérives

qui peuvent apparaître : « Les jeunes manquent d’expérience et choisissent

généralement de partir dans un endroit plus dangereux pour attirer l’attention, puisque

les débouchés dans le journalisme international sont limités. Or, avec mon vécu, j’ai

gagné en capacité d’analyse et de mise en perspective.» Par exemple, le journaliste

témoigne que son voyage en Libye en août 2011 s’est bien déroulé grâce à sa

connaissance des situations tendues. D’autres facteurs sont à prendre en compte selon

lui. Pour son voyage en Somalie, La Presse a payé une assurance et un service de

sécurité privé. En général, un pigiste ne reçoit pas un appui logistique complet.

Ainsi, par son traitement de fond et sa mise en page diversifiée, La Presse joue, avec le

Devoir, le rôle de fer de lance de l’actualité internationale dans la presse écrite

québécoise. Une étude plus approfondie du Devoir et du Journal de Montréal est

cependant nécessaire pour confirmer le propos. Depuis une dizaine d’années, le modèle

de La Presse s’appuie sur un réseau de journalistes réguliers et de pigistes. Après le

retour à Montréal de Marc Thibodeau fin 2012, il faudra surveiller si le quotidien

choisit de reconduire l’unique poste de correspondant permanent à Paris, qui sert

également de plaque tournante en direction des autres pays d’Europe, de l’Afrique et du

Moyen-Orient. La fermeture de ce dernier poste, dans l’hypothèse où elle se réalise,

pourrait influer sur la réactivité, la production et la fréquence d’articles sur le terrain. La

légitimité de La Presse quant à la qualité de son traitement de l’information

internationale ne serait pas remise en cause, à condition de conserver un réseau régulier

de journalistes expérimentés à l’étranger, et de spécialistes dans la salle de rédaction.

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Bibliographie

Ouvrages et articles scientifiques

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Numéros de La Presse

Août 2011 [7]

23.08.11, 24.08.11, 25.08.11, 26.08.11, 29.08.11, 30.08.11, 31.08.11. Septembre 2011 [17]

2.09.11, 6.09.11, 7.09.11, 9.09.11, 10.08.11, 11.09.11, 12.09.11, 13.09.11, 14.09.11, 16.09.11, 17.09.11, 19.09.11, 22.09.11, 23.09.11, 24.09.11, 29.09.11, 30.09.11. Octobre 2011 [12]

1.10.11, 3.10.11, 6.10.11, 7.10.11, 11.10.11, 13.10.11, 14.10.11, 15.10.11, 21.10.11, 22.10.11, 25.10.11, 27.10.11.

Novembre 2011 [14]

1.11.11, 3.11.11, 7.11.11, 9.11.11, 11.11.11, 12.11.11, 15.11.11, 16.11.11, 18.11.11, 19.11.11, 21.11.11, 22.11.11, 23.11.11, 26.11.11.

Février 2012 [10]

1.02.12, 2.02.12, 3.02.12, 4.02.12, 6.02.12, 8.02.12, 9.02.12, 10.02.12, 11.02.12, 18.02.12.

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Annexes

Annexe I : Un exemple de texte en « capsules »

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Annexe II : Deux montages photos sur le conflit syrien

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70

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71

Annexe III : Un exemple de sujet plus « décalé »

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72

Annexe IV : Un exemple de chronique d’Agnès Gruda