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n°17 - MARS 2017 LABEX ENTREPRENDRE publications LA REFONDATION DU DROIT DU TRAVAIL Université de Montpellier LE SENS DE LA REFONDATION L’année 2015 a livré des analyses convergentes sur les défaillances du droit du travail clairement exprimées par cet aveu gouvernemental : « la double fonction assignée au droit du travail est de plus en plus mal remplie. Alors qu’il doit à la fois protéger les travailleurs et sécuriser les entreprises pour leur permettre de se développer, il ne parvient qu’imparfaitement à atteindre ces objectifs, sous l’effet conjugué des bouleversements du monde du travail ou de la sédimentation de règles devenues en partie illisibles » (V. Simplifier, négocier, sécuriser, Un code du travail pour le XXI ème siècle). Pas la peine d’en rajouter. Place alors à la réforme ou plutôt à l’accélération d’une véritable refondation engagée, depuis plusieurs années, qui déplace le centre de gravité du droit du travail vers la négociation collective. La révolution numérique démontre, s’il en était encore besoin, la nécessaire adaptation des règles aux mutations de l’économie et de l’emploi. Or, la loi, par nature, impersonnelle, permanente et générale, ne peut plus assumer seule l’organisation de cette diversité. Le relais de la négociation collective est indispensable sans que cette promotion n’ait pour ambition d’instaurer un règne qui réduirait le législateur, voire le juge, au rang de vassal. Une nouvelle répartition de compétence s’organise dans le cadre d’une articulation normative mieux précisée.

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Le sens de La refondation

L’année 2015 a livré des analyses convergentes sur les défaillances du droit du travail clairement exprimées par cet aveu gouvernemental : « la double fonction assignée au droit du travail est de plus en plus mal remplie. Alors qu’il doit à la fois protéger les travailleurs et sécuriser les entreprises pour leur permettre de se développer, il ne parvient qu’imparfaitement à atteindre ces objectifs, sous l’effet conjugué des bouleversements du monde du travail ou de la sédimentation de règles devenues en partie illisibles » (V. Simplifier, négocier, sécuriser, Un code du travail pour le XXIème siècle). Pas la peine d’en rajouter.

Place alors à la réforme ou plutôt à l’accélération d’une véritable refondation engagée, depuis plusieurs années, qui déplace le centre de gravité du droit du travail vers la négociation collective. La révolution numérique démontre, s’il en était encore besoin, la nécessaire adaptation des règles aux mutations de l’économie et de l’emploi. Or, la loi, par nature, impersonnelle, permanente et générale, ne peut plus assumer seule l’organisation de cette diversité. Le relais de la négociation collective est indispensable sans que cette promotion n’ait pour ambition d’instaurer un règne qui réduirait le législateur, voire le juge, au rang de vassal. Une nouvelle répartition de compétence s’organise dans le cadre d’une articulation normative mieux précisée.

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C’est le sens de la reconstruction du code du travail, suggérée par le rapport Combrexelle (V. J.D Combrexelle, la négociation collective, le travail et l’emploi, France Stratégie, 2015) et reprise par la loi « El Khomri » du 8 août 2016. Au législateur de mettre en œuvre cette nouvelle architecture fondée sur trois parties pour chaque subdivision du code : « les règles d’ordre public auxquelles il n’est pas possible de déroger  ; le champ renvoyé à la négociation collective ; les règles supplétives applicables en l’absence d’accord  » (exposé des motifs), le tout dans le respect des principes essentiels du droit du travail.

La loi du 8 août 2016 applique, dès à présent, cette méthode aux domaines de la durée du travail, des repos et des congés. Il en ressort une nette amélioration de la lisibilité des règles.

Pour achever cette reconstruction du code du travail, l’article 1 de la loi prévoit la mise en place d’une commission d’experts et de praticiens des

relations sociales dont la mission sera d’attribuer « une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et son champ d’action, dans le respect du domaine de la loi fixé par l’article 34 de la Constitution ». Pour l’heure, cette commission n’a pas été mise en place. Il est pourtant indispensable de poursuivre cette reconstruction. Certains regretteront que cette méthode n’entraîne pas un amaigrissement du code du travail. L’efficacité du droit du travail ne dépend toutefois pas du poids du code. Il ne faut pas se tromper de constat et d’objectif. Illisibilité, instabilité, complexités inutiles et surtout insécurité juridique sont les principaux maux du droit du travail. Réduire drastiquement le volume des dispositions législatives et réglementaires créerait un vide qui serait comblé par la jurisprudence ce qui renforcerait l’insécurité juridique.

La nouvelle architecture présente l’intérêt de bien marquer le territoire de l’ordre public et de valoriser la négociation collective tout en prenant en compte

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le fait que de nombreuses entreprises n’ont pas encore développé une culture du dialogue social apte à construite un tissu conventionnel suffisant. Le jeu de dispositions législatives applicables à titre subsidiaire est inévitable.

Dans cette opération de reconstruction, dont il ne faut pas négliger l’ampleur et les difficultés, l’essentiel tient à la place nouvelle que l’on souhaite accorder à l’accord collectif et à l’articulation entre la branche et l’entreprise. La primauté de l’accord d’entreprise mise en place par la loi Bertrand en 2008 a été érigée en principe par la loi El Khomri dans les domaines de la durée du travail, des repos et des congés : ce sont de nouveaux espaces de liberté pour l’accord d’entreprise puisque que la branche devient subsidiaire. Cette primauté devra être élargie à d’autres thèmes car c’est bien à ce niveau de proximité que l’adaptation des règles permet une meilleure conciliation des performances économique et sociale.

Rappelons que cette démarche a été préparée. Le législateur a ainsi répondu à l’appel des signataires de la position commune de 2001 demandant aux pouvoirs publics un accroissement du rôle normatif de la négociation collective en renforçant, au préalable, la légitimité des accords et celles des acteurs : en 2004, est instaurée la logique de l’accord majoritaire et la réforme va s’accélérer avec une extension programmée par la loi « El Khomri » de la majorité d’engagement (plus de 50% en faveur des organisations syndicales représentatives) pour les accords d’entreprise ; en 2008, c’est la révolution d’une nouvelle représentativité syndicale fondée essentiellement sur l’audience électorale ; en 2014, c’est au tour de la représentativité patronale avec une première détermination des organisations représentatives en 2017. Le législateur peut, dans ce contexte, plus facilement faire primer l’accord collectif sur la loi et même l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Il n’y a pas d’obstacle constitutionnel à cette nouvelle articulation des normes.

La primauté de l’accord d’entreprise n’implique toutefois pas une relégation de la négociation de branche. Le domaine de cette primauté est encore limité et la branche peut, sur de nombreux sujets, décider de limiter les dérogations offertes à l’accord d’entreprise avec notamment la mise en place d’un ordre public conventionnel. La restructuration des branches, avec un objectif de 200 branches, devrait redynamiser ce niveau de négociation.

Le pari de La négociation coLLective

Vertueuse, une réforme du code du travail donnant plus de place à la négociation collective reste toutefois un pari dont la réussite dépend fortement d’un changement de comportement des acteurs. Or, le compte n’y est pas encore. Force est de constater que les partenaires sociaux « ne se saisissent pas suffisamment des souplesses que la loi leur donne pour déroger au cadre réglementaire « standard » » (M. Valls, lettre en date du 1er avril 2015 adressée à Jean-Denis Combrexelle), même si les grandes entreprises ont, depuis des années, bien compris la fonction organisatrice de l’accord d’entreprise.

Près de 29 000 accords et avenants signés par des délégués syndicaux en 2015 avec une propension à signer (taux de signature calculés uniquement à partir des actes susceptibles d’avoir été négociés) de 94% pour la CFDT, 92% pour la CFE-CGC, 90% pour FO, 89% pour la CFTC et 84% pour la CGT. Voilà des chiffres qui rassurent la ministre : « cette activité importante s’inscrit dans un cadre légal marqué par des renvois de plus en plus nombreux au dialogue social, qui traduisent l’engagement du gouvernement depuis le début du quinquennat pour donner une place sans précédent à la démocratie sociale et renforcer ses acteurs, comme l’illustre la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ». On doit être plus ambitieux. La stabilité du nombre d’accords signés n’exprime pas vraiment un dynamisme car la place de la règle conventionnelle n’a effectivement cessé de croître et plus nombreuses sont les entreprises qui ont accès à la négociation collective via les négociateurs subsidiaires (élus qui ont signé 5163 textes en 2015, chiffre en baisse de 7% sur un an, et salariés mandatés). Il est certes prématuré de relever un frémissement né de dispositifs relookés récemment. Avec la suppression de la validation par la commission paritaire de branche des accords conclus avec les élus non mandatés et la possibilité offertes aux salariés mandatés de négocier sur toutes les mesures qui peuvent être négociées par accord d’entreprise ou d’établissement sur le fondement du code du travail, la moisson devrait être, demain, plus fructueuse. C’est en tout cas à l’aune du million d’entreprises concernées que devrait maintenant s’apprécier le bilan quantitatif de la négociation d’entreprise. Quant au bilan qualitatif, on relèvera une part encore prépondérante des accords et avenants sur les salaires toujours boostés par la négociation obligatoire. Les accords organisationnels innovants sont encore trop peu nombreux et restent l’apanage des grandes entreprises.

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La cuLture de La négociation

Aux réformes juridiques de ces dernières années doit désormais succéder une promotion de la culture de la négociation collective. Trop nombreux sont encore les témoignages de négociations marquées par des postures, des dogmes, des suspicions et des ignorances. La négociation n’est ni un combat ni une compromission. Elle requiert le respect de l’autre et une volonté réelle et sérieuse de parvenir à un accord. La démarche mérite d’être relayée par les juristes trop souvent tentés par la joute ou la chicane technique. Mais le politique a aussi sa partition à jouer. Il ne suffit pas d’offrir un environnement législatif favorable à un épanouissement de la négociation collective : l’explication politique de la place de l’accord collectif et du jeu des acteurs ne doit pas rester confidentielle. Or, le sens des réformes de la dernière décennie est encore largement méconnu de nos concitoyens, faute d’avoir été expliqué : le discours politique doit accompagner le décryptage juridique. Aux organisations syndicales et patronales de participer aussi plus activement à cet éclairage stratégique.

L’engagement des acteurs de la négociation d’entreprise doit être surtout encouragé. Côté patronal, il est encore nécessaire, singulièrement au sein des PME, de détruire la perception négative de la présence syndicale  : sans délégué syndical, pas d’accord et donc pas de droit conventionnel offrant des règles d’organisation adaptées et innovantes. En l’absence de délégué syndical, il y a certes la négociation dérogatoire avec les acteurs supplétifs (élus, salariés mandatés), mais c’est peu dire que les formules législatives pratiquées depuis 1996 n’ont pas produit les résultats escomptés et, même après la réforme Rebsamen, le doute est toujours légitime. Côté syndical, la valorisation des parcours professionnels des élus et des titulaires d’un mandat syndical, utilement généralisée par la même réforme,

doit permettre d’enrayer la crise des vocations et attirer une nouvelle génération de négociateurs conscients de l’importance des accords collectifs. Aux salariés, dont le vote est déterminant, de choisir aussi en fonction des résultats de la négociation collective.

La question de compétence des acteurs ne peut plus être occultée tant la négociation d’organisation sur des sujets nombreux et complexes est plus exigeante que celle consistant seulement à accorder des avantages. La connaissance de l’entreprise via désormais la base de données économiques et sociales, la compréhension de l’environnement juridique des négociations, la maîtrise de la technique contractuelle sans compter l’aptitude personnelle à discuter, sont autant de compétences ouvertes à la formation. L’appel du rapport Combrexelle à des formations communes, en complément de celles dispensées par les organisations syndicales et patronales, doit trouver rapidement un écho. Une mobilisation universitaire est naturelle, la formation continue faisant partie des missions de l’Université. Elle s’exprimera à Montpellier par l’ouverture, en septembre 2017, d’un diplôme d’université de droit et pratique du dialogue social proposé, en formation continue, par l’Ecole de droit social de Montpellier. Il y a toutefois des limites à la formation d’acteurs dont le quotidien est d’exercer une activité professionnelle au sein de l’entreprise. Il ne s’agit pas de former des professionnels de la négociation mais de professionnaliser les pratiques de la négociation.

La construction juridique des relations de travail requiert des équilibres et non des dogmes. Portée par un consensus politique rassurant, une nouvelle répartition des rôles entre la loi et l’accord collectif est au service d’un droit du travail soucieux de la protection du salarié et l’efficacité économique de l’entreprise. C’est la voie de son salut.

Lettre réalisée par : Paul Henri Antonmattei, Professeur à l’Université de Montpellier, Doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique, Directeur de l’EA 2996.