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.
l ' '/
/ /
//
/
.
CHAMBRE
SOUTERRAINE
i
\
.
PLAN
DIMITRI LABOURY
..
SECTION
LONGITUDINALE
SUR A-B-C
-Lgende-
Roche
taille
lThm Moellons Grs
B r i q u e s
CHELLE
N M
,
COUR
_.
_
Fig . 1. Coupe et plan de la tombe de Nakht (TT52
.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
51
La
porte d entre divise la paroi adosse la faade en deux smfaces ingales (fig.
2 6,
Cependant, le peintre de NakhC en a structur le dcor de la mme manire: un
registre unique se droule sur toute la largeur du mur et repose sur un soubassement
histori, bien que ce bandeau de mise en place de l image n ait jamais t ralis du
ct gauche (Sud-Est). Le registre est lui-mme scind en deux moitis: l une, la plus
proche de la porte, avec une scne unique, occupant toute la hauteur disponible;
l autre avec des personnages plus petits, rpartis en trois sous-registres. Mais l unit
des deux parties est signifie par leur appartenance un mme registre, tout comme
celle de l ensemble du dcor de chaque paroi est assur par sa structure d encadre
ment, surmonte de noeuds
khkrou.
La scne principale sur chacun des deux murs reprsente N akht suivi de son pouse,
la place de son coeur, la chanteuse d Amon, Taouy, en train de rpandre le contenu
d un
vase sur un monceau d offrandes: offrir toute chose bonne et pure (pain, bire,
boeuf, volaille), des taureaux longues et courtes cornes, ce qui est cr sur les
autels, [ Amon
s
, ] R-Harakhty, Osiris le grand dieu, Hathor qui prside la
ncropole, et Anubis sur sa butt e, dit l inscription qui accompagne la scne de
droite, tandis qu gauche, on lit mettre de la myrrhe et de l encens sur [la flamme
pour Amon, R-Harakhty, Osiris le grand dieu], Hathor qui prside Thbes e t Anubis
sur sa butte. Deux actions complmentaires de l offrande faite par les dfunts sont
donc diffrencies dans l inscription alors qu elles sont exprimes par le mme geste
dans les deux scnes, ce qui nous montre dj qu une mme image - peine modi
fie - peut tre investie de diffrentes significations. La composition est nouveau
clairement bipartite.
6
D aprs
DAVIES, Nakht, pL 12-18 (que
l on comparera
avec la photographie in situ, mais de ct,
de
SHEDID-SEIDEL,
Nacht, p, 16, fig. 6); photos couleurs dans
SHEDID-SEIDEL
, Nacht, p. 34-5,76-7; A.
LHOTE, Les chefs-d oeuvre de la peinture gyptienne
(Paris, 1954), fig. 12, p. 37 (dtail de l offrande
de la scne du mur sud-ouest), abrg ci-aprs
LHOTE, Peinture.
7
Je dsigne par cette expression l artiste en chef, le matre d atelier qui dirigea l quipe de dcora
teurs de
cet
hypoge; sur les conditions de travail
en
quipe des peintres des tombes thbaines,
on
verra M. MEGALLY,
propos
de l organisation
administrative des ouvriers la XVIIIe dynastie , Stu
dAeg
l , p. 297-311; Arielle P.
KOZLOFF,
A Study of the Painters
of
the Tomb
of
Menna, N. 69 , in
Acts
lst
lCE ,
p. 395-402; l organisation du travail tait la mme sous l Ancien Empire (L.G
LEEU
WENBURG,
Un
groupe de sculpteurs gyptiens
Leiden
,
Bulletin van de Vereeniging tot Bevordering
der Kennis van de Antieke Beschaving te s-Gravenhage 39 (1964), p. 50-4)
et
l poque
ramesside
(Dominique VALBELLE, Les ouvriers de l Tombe . Deir el-Medineh l poque ramesside (Le Caire,
1985), p. 99-103).
8
Le nom d Amon a t martel sous le rgne d Akhnaton, pmfois avec
un
certain dbordemnt
sur le reste de l inscription.
-
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DIMITRI LABOURY
J
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
53
On retrouve frquemment ce type de reprsentations sur les parois qui jouxtent la
porte d entre d une tombe
9
, ce qui montre qu il s agit d un lieu commun, d un
topos
iconographique du dcor de l hypoge thbain de la XVIIIe dynastie. Diffrents
indices, comme le titre de la scne, le geste du dfunt, le collier mnat et le sistre
hathorique aux mains de l pouse, ou les offrandes, dnotent la signification rituelle de
l acte reprsent. Bien que diffrentes divinits - d empire ou prrogatives fun
raires - soient explicitement mentionnes titre de bnficiaire de ce rite, l orienta
tion de toutes les scnes de ce type, en direction de la porte d entre de la tombe, l o
l astre du j our apparat tous les matins, semble bien dsigner le soleil comme destina
taire privilgi de l offrande. J. Assmann a d ailleurs dmontr que la plupart des
hymnes solaires inscrits dans les tombes thbaines et ddis au soleil levant se situent
sur cette paroi adosse la faade
moins qu ils ne soient, comme dans la tombe de
Nakht, gravs sur une stle devant une statue du dfunt, qui elle aussi est dirige vers
la porte d entre. Le dieu bnficiaire du rite
n est
donc pas figur ici, contrairement
l usage
ll
puisqu il apparat chaque matin dans l encadrement de la porte, entre les
deux scnes d offrande, par sa manifestation naturelle la plus tangible, l astre solaire
lui-mme. L orientation de l image et son emplacement en dterminent donc le sens
12
ct et en-dessous de la scne d offrande de la paroi de droite se trouvent des
reprsentations d activits agricoles. nouveau, cette association thmatique n est pas
rare dans la ncropole thbaine, et on la re trouve notamment dans la tombe de Djser
karasneb
13
, un contemporain de Nakht. Mais si, chez Djserkarasneb, l artiste a
rparti les deux thmes sur deux murs contigus - la relation entre les scnes tant
exprime par le rapport architectural entre les deux surfaces peintes - le peintre de
Nakht les a combins sur une seule et mme paroi. De l autre ct de la porte, sur le
mur sud-est, ce sont galement les produits des champs et de la nature en gnral qui
sont voqus derrire le couple officiant, mais cette fois un autre stade de produc
tion, non plus en cours de ralisation, mais finis, prts la consommation, et prsen
ts par des porteurs d offrandes.
9
On verra la liste propose dans
PM
l, 1 p.
470
(28[a-b]).
10 J. ASSMANN SOl1nenhymnen in thebanischen Grbern (Mayence, 1983), p. Xill-XVill (Theben, 1 .
l R.
TEFNIN
Discours et iconicit dans l art
gyptien ,
Annales d Histoire de
l Art
et d Archolo-
gie
5 (1983), p. 13-4 [republi dans GM 79 (1984), p. 55-71].
2
C est
une des conclusions essentielles de
l tude
de la
grammaire
dcorative des temples gyp
tiens, cf. Ph. DERCHAIN Un manuel de gographie liturgique
Edfou
, CdE73 (1962), p. 31-65; Id.,
Rflexions sur la dcoration des
pylnes ,
BSFE
46
(1966), p. 17-24; sur
l tude
de la grammaire du
temple, on verra encore Franoise LABRIQUE
Stylistique et Thologie Edfou
(Louvain, 1992), p. 1-9
(OLA,51).
3
TT
38, PM l, 1 p. 69.
-
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DIMITRI LABOURY
Les scnes champtres du mur sud-ouest sont rparties sur quatre niveaux spars
par une ligne de sol. On dcouvre, de bas en haut14, des laboureurs qui manient char
rues et houes, des bcherons et des semeurs, puis des moissonneurs, des cueilleuses de
lin et des fonctionnaires mesurant et rcoltant les crales, et, enfin, des vanneurs.
La
srie d'images dcrit donc la succession relle des oprations effectues dans les
champs, depuis la prparation de la tene et les semailles, jusqu'au traitement et l'en
registrement des productions, en passant par leur rcolte. L'oeil suit cet enchanement,
depuis la ligne de sol o apparaissent des bovids jusqu' la scne principale, traite
en plus grandes proportions et naturellement place au -dessus: la scne d'offrande,
qui voque le contact entre les humains et les dieux, et notamment le dieu cleste par
excellence, le soleil.
L'lment essentiel de la composition des scnes de champs est la double effigie de
N akht assis sous un dais: il est reprsent en taille dite hroque; il s'oppose, par son
attitude et par sa place dans l'image,
au
reste de la figuration; et
c est
son action qui
est dcrite par la lgende du tableau: s'as seoir sous le dais et regarder ses champs.
Toute la composition lui est donc subordonne. Il est le sujet regardant, auquel on pr
sente un objet regard. Comme Roland Tefnin
l a
bien montr, cette structure smio
tique est le fondement de la reprsentation funraire gyptienne, depuis l'Ancien
Empire
. Les exemples sont innombrables. Le sujet regardant reste toujours peu
prs immuable, tandis que l'objet regard est susceptible d'infinies variations, et
c est
prcisment l que l'artiste semble pouvoir intervenir en tant que tel.
Au bandeau de soubassement, nous trouvons une scne de charruage offerte en
spectacle Nakht (fig. 3 16. Les deux laboureurs dirigent leur attelage
l un
vers l'autre,
si bien que la composition est symtrique. Mais cette symtrie n est qu'apparente ou
partielle, car les deux membres mis en parallle ne se conespondent pas rigoureuse
ment. On pounait dsigner ce phnomne par l'expression 'symtrie gyptienne', car
une telle confrontation de concepts diffrents mais globalement synonymes ou com
plmentaires est trs frquente dans les arts plastiques, l'architecture, la religion, la lit
trature et la langue pharaoniques
17
.
Dcrire les choses travers plusieurs aspects dif-
14 HODEL-HoENES,
Leben und Tod, p. 37, propose
le mme
sens
de
lecture.
15 TEFNIN
op.cil., p. 10-13.
16
D aprs
DAVIEs,
Nakht,
pl.
18;
photos
couleurs dans WILDUNG,
Nacht,
pl.
7
(seule la partie droite
de l image est reproduite); SHEDID-SEIDEL, nacht, p. 34-5,41 Idem).
17
ce sujet: E.
HORNUNG,
Zur
Symmetrie
in Kunst und
Denken
der
gypter ,
in
Agypten. Dauer
und Wandel (Mayence, 1985), p. 71-7; Sylvia
SCHOSKE,
Symmetrophobia. Symmetrie und
Asymmetrie
in der altiigyptischen Kunst
in
Symmetrie in Kunst, Natur und Wissenschaft, 1 (Darmstadt, 1986),
p. 151-6; HORNUNG Idea into Image. Essays on Ancient Egyptian Thought (New York, 1992), p. 76 sq.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
55
frents et donc complmentaires permet de mieux les concevoir et de mieux les dire.
Cette constante mentale, ce schme cognitif, n est videmment pas sans voquer ce
qu'il est dsormais convenu d'appeler 1 aspecti
ve
>J8. Dans le cas prsent, la 'symtrie
gyptienne' oppose deux faons d'exprimer le labour la charrue: gauche, l'action
est
signifie
par un personnage coiff d'une belle penllque et adoptant une pose noble,
dans la plus pure tradition de l'art gyptien; par contre, de l'autre ct, la mme acti
vit est
reprsente
par un homme atteint de calvitie et courb sous le poids de l'ef
fort. Par ce jeu de contraste, le peintre voque la mme ide de deux manires diff
rentes, l'une codifie, l'autre plus raliste, et montre ainsi qu'il est parfaitement
conscient des conventions, de la part d'arbitraire de l 'art gyptien, et qu'i l sait en jouer
et
s en
carter pour crer des effets nouveaux.
Fig. 3.
Scne de charruage du bandeau de soubassement de
la
paroi
sud-ouest.
Derrire ces deux agriculteurs, apparat un paysage organis autour d'une ligne de
sol ondule; celle-ci reprsente les
ouadis
encore gorgs d'eau, lorsque le Nil en
dcrue vient de se retirer des tenes. La souplesse de la ligne s'carte du schma de
composition quadrangulaire hrit de l'Ancien Empire. La vision que l'artiste propose
ici est essentiellement cartographique, avec les rabattements d usage, ncessaires la
prsentation de profil des agriculteurs, des bovids et des vgtaux, ainsi parfaitement
18
Emma
BRUNNER-TRAUT,
Aspektive, in LA l (1975), col. 474-488; Id., Aspective, in H.
SCHFER
(trad. de l'aH. par J. BAINES , Principles
of
Egyptian rt (Oxford, 1974), p. 421-446.
-
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identifiables19. Les proportions et les poses des personnages sont en parfaite harmonie
avec la ligne ondule du marigot, et la dcoupe de l espace qu elle implique dans le
registre. Une scne tout fait analogue a t sculpte dans la tombe de Khaemhat
20
;
on y retrouve les hommes binant le sol avec leur houe, les semeurs et mme le
personnage qui boit l outre suspendue dans un arbre. Ce dtail apparemment anec
dotique est trs vivant dans l hypoge de Nakht (Pl. l, 1)21. Le traitement pictural du
feuillage tmoigne
d une
mancipation progressive du contour colori
22
vers un
vritable tachisme. Arpag Mkhitarian a fait remarquer que la forme de l arbre est
emprunte aux hiroglyphes, o le signe exprime notamment la bont. Peut-tre,
l origine, est-ce l ombre bienfaisante de l arbre, dans un pays o darde sans cesse le
soleil, qui a fait natre cette association d ides dans l esprit de l gyptien23. Dans
cette mme perspective, cette ralit quotidienne a engendr une image mythologique,
celle du roi allait par une desse sycomore, symbole d une nouvelle naissance
24
.
9
Sur ce procd de reprsentation, combinant la vue
en
plan et celle en lvation,
cf A. BADAWY,
Le dessin architectural chez les anciens gyptiens (Le Caire, 1948).
Pour
des raisons videntes de
cohrence de l image, le rabattement des personnages, lments essentiels de la figuration, se fait dans
le mme plan, alors que les plantes, composantes du dcor, peuvent tre redresses aussi bien vers le
haut
que vers la bas (
cf
le buisson sous le bcheron).
20
TT 57 (rgne d Amenhotep III), PM
1,
1,
p.
116 (13). Nous verrons plus loin que
d autres
dtails
de
la
tombe de Nakht se retrouvent dans celle de Khaernhat, avec une prcision qui autorise
l hypo-
thse d une vritable copie, ou de l utilisation des mmes cahiers de modles; sur l existence de
cahiers de modles, cf. ShelleyWACHSMANN, Aegeans in the Theban Tombs (Louvain, 1987), p. 12-26
(Orientalia Lovaniensia Analecta, 20); D. LABOURY, Rflexions sur les vases mtalliques des tribu
taires
Keftiou ,
Aegaeum 6 (1990), p. 93-115.
21 D aprs
MEKHITARIAN, Peinture, p. 78; autre photo couleurs dansSHEDID-SEIDEL, Nadu, p. 40.
22 Rappelons que les gyptiens eux-mmes appelaient leurs peintres scribes des contours, b
III, 480,
Il.
23 MEKillTARIAN,
Peinture, p. 72.
24 Par exemple
MEKHITARIAN, Peinture, p.
38 (VdR 34, Thoutmosis III);
sur
la symbolique de l al-
laitement, J. LEcLANT, Le rle du lait
et
de l allaitement
d aprs
les textes des
Pyramides ,
INES 10
(1951), p. 123-127;Id ., Le rle de l allaitement dans le crmonial pharaonique ducouronnement , in
Akten des XXIV. Internationalen Orientalisten-Kongresses (Wiesbaden, 1959), p. 69-71; Id., Idem, in
Proceedings of IXtII Internati onal Congress for History of Religions, Tokyo and Kyoto
1958
(Tokyo,
Maruzen, 1960), p. 135-145; Id., Sur un contrepoids de Mnat au nom de Taharqa. Allaitement et
apparition royale , in Ml. Mar., p. 251-284; W. VYCICHL,
L allaitement
divin du Pharaon expli
qu
par
une coutume africaine , Genve
-
Afrique
/
Geneva
-
Africa, Acta Africana 5 (1966), p. 261-
265; Nathalie BLOCH, La maternit en gypte et sa postrit , Annales d Histoire de l Art et
d Archologie 14 (1992), p. 144. l n est
pas
impossible qu en retour, cette icne connote symbolique
ment et religieusement la figuration profane , d autant que dans le cas prsent la compositionde notre
registre met en relation, d un ct, le petit personnage qui boit
l outre
de
l arbre
et, en face,
la
repr
sentation de Nakht assis l ombre de son dais (fig. 2).
-1
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 57
On notera d autre pa rt que dans les temples, le bandeau de soubassement des
images principales prsente habituellement une thmatique combinant les concepts
d abondance et d tendue gographique, dans le contexte de l offrande
25
; l analogie
avec ce que nous trouvons dans la tombe de Nakht parat vidente.
Trois scnes de rcolte dans les champs occupent le sous-registre juste au-dessus
26
.
Trois
27
moissonneurs, faucille la main, s avancent dans les hauts bls afin de les cou
per. Leur progression vers la droite est suggre par leur orientation et par leur bras
tendu vers un espace demeur vide. La ligne verticale dessine par les longues tiges des
crales spare cette scne de la suivante, o deux ouvriers s efforcent de refelmer une
grande hotte excessivement remplie, montrant l abondance des rcoltes sur les terres de
Nakht (fig.
4)28.
La composition de cette image est bien quilibre, fonde sur des lignes
droites, horizontales, obliques et verticales; le canevas gomtrique est assoupli par le
fond semi-circulaire du grand panier et surtout par la vitalit
du
personnage qui saute sur
un bton pour tasser les pis. L attitude de cet homme, saisi en plein mouvement, repr
sente son action alors que l effOlt de son compagnon est signifi par une pose conven
tionnelle, les bras et les paules rabattus vers l avant en signe d activit vigoureuse
29
.
Une fois de plus, le peintre a confront deux images qui expliment une mme action -
l effOlt que ncessite la fermeture du sac - l une par la reprsentation et l autre par la
signification. Cette chmmante scne apparat nouveau sur les reliefs de la tombe de
Khaernhat, o l on retrouve mme la petite glaneuse penche sous les jambes du sau
teur
30
.
Plus loin, deux jeunes filles cueillent du lin. Le fond vgtal de la scne change
brusquement de couleur, passant du jaune paille au vert, ce qui autonomise le tableau
au sein du registre. Il fait galement ressortir l clatante blancheur des robes des deux
demoiselles dont le contour disparat au contact du lin, accentuant le contraste chro
matique
3l
.
La comparaison de la seconde cueilleuse avec, par exemple, la chanteuse en
chef de la tombe de Minnakht, plus ancienne de seulement quelques dcennies, rvle
25
J.
BAINES, Fecundity Figures. Egyptian Persol1ljcations
and
the Iconology
of
a Genre
(War
minster, 1985), p. 345-7.
26 Photos couleurs dansMEKHITARIAN, Peinture, p. 73 (hommes fermant la nasse), 75 (cueilleuse de
lin);
WILDUNG,
Nacht, pl. 8 (champs de crales), 9 (cueilleuses de lin);
SHEDID-SEIDEL,
Nacht, p. 35,
39 (hommes fermant la nasse).
27
Trois, signe du pluriel,
cf WILDUNG, Nacht, passim.
28
D aprs
DAVIEs,
Nakht, pl. 18.
29
On
comparera
ce
geste avec celui des personnages des signes hiroglyphiques suivants:l homme
qui frappe avec un bton GARDINER, EG, p.
444
[A 24]), celui qui actionne un mortier (p. 446 [A 34]),
celui qui construit un difice (p. 446 [A 35]) et celui qui brasse de la bire (p. 446 [A 36]).
30
PM 1, 1,
p.
116 (13).
3
Cf. MEKHITARIAN, Peinture, p. 75; WILDUNG, Nacht, pl. 9; SHEDID-SEIDEL, Nacht, frontispice.
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Fig. 4. Scnes de rcolte de la paroi sud-ouest.
la modernit du peintre de Nakht (Pl. l,
2-3)32:
les contours dessins par celui-ci
deviennent eux-mmes peinture, jouant de pleins et de dlis, la couleur n est plus dis
pose en grands aplats uniformes mais, dilue et exempte de cerne par endroits, elle
pelmet de crer divers effets de volume et de transparence, et le fait
qu un
des deux
bras de la jeune fille soit cach par l autre tmoigne d une plus grande mancipation
vis--vis de ce que l on est souvent tent d appele r les conventions du dessin gyptien.
Aux deux registres suprieurs, on empaquette le grain et on le vanne devant Nakht
33
.
La scne de vannage est nouveau construite selon le principe de la symtrie gyp
tienne , mais celle-ci semble cette fois ne poursuivre qu un but esthtique, rompant la
monotonie inhrente toute symtrie absolue. La composition repose entirement sur
la ligne courbe: le fond de grisaille, les vanneurs debout, leurs compagnons qui se pen
chent et les crales retombes terre dcrivent autant d arcs de cercle embots les
uns dans les autres, dont la cl de vote est un objet aviforme, gristre, surmontant une
coupe
34
. L attitude des fonctionnaires qui mesurent et rcoltent le bl est plus rigide,
mais les sinuosits et la diffrence de hauteur des deux tas de grains devant et derrire
eux assouplissent et dynamisent l image. On notera que les pieds de ces trois person
nages sont dissimuls, enfouis dans l amoncellement de grains, ce qui situe ces
hommes de faon raliste dans l espace,
au
sein du tas de crales, tandis que les van
neurs du tableau au-dessus sont figurs sur un plan simplement superpos celui du
fond, un autre tas de bl, dans lequel ils sont pourtant censs avoir aussi mis les pieds.
32 D aprs
MEKHITARlAN, Peinture p. 45
et
75.
33
Photos couleurs dans SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 35, 37 (vannage), 38 (empaquetage);
Ho
DEL
HOENES,
Leben und Tod p. 40, fig. 7 (partie suprieure de la scne de vannage).
34 La nature de cet objet est incertaine. DAVIEs, Nakht p. 63-6, a propos d y voir une idole agri
cole, figuration de la desse Rnnoutet.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
59
La paroi de la tombe de Nakht qui se trouve du ct de l Occident, le lieu de sjour
des morts, est tout naturellement dcore d une stle funraire par laquelle les trpasss
peuvent se manifester depuis l au-del (fig. 5)35. Mais la stle de Nakht est peinte et non
sculpte. Elle est du type fausse-pOlte corniche gorge, et ses couleurs - du rose
mouchet de rouge, de gris et de blanc - imitent trs clairement le granit rose du Sud
de l gypte. Au centre des encadrements d inscriptions successifs, un tableau reprsente
le couple de dfunts assis devant une table d offrande. Cette parfaite copie en deux
dimensions fait sans aucun doute office de vritable stle funraire, l image ayant, aux
yeux de l gyptien antique, la capacit de susciter l existence de ce qu elle reprsente.
De chaque ct de ce succdan de stle, ont t dessins trois registres o prennent
place six personnages agenouills dont le geste des bras, par analogie au systme hiro
glyphique, signifie l offrande
36
Mais si leur attitude est commune, les prsents qu ils
apportent varient, bien que les deux hommes qui se trouvent sur un mme registre tien
nent toujours quelques objets identiques: trois tiges de papyrus et des grappes de raisin
au premier registre; deux bols vass au deuxime registre; et une natte d o pend un
bouquet de fleurs au troisime registre. ces passerelles iconographiques, ces corrla
tions de signifiants, signes de complmentarit, correspondent, sur le plan des signifis,
des rapports entre les offrandes prsentes. Au registre suprieur, le pain, le raisin et
les oignons
3
?, regroups sous l appellation d offrande divine ( gauche), constituent
avec la bire ( droite) la base du repas de l gyptien, et donc la nourriture quotidienne
de ses dieux. En-dessous, l eau ( gauche) et le vin ( droite) sont deux liquides
fr
quemment associs dans le rituel, ayant tous deux un pouvoir crateur et vivificateur
38
;
35 D aprs
DAVIEs, Nakht pl. 8; photos couleurs dans
MEKillTARIAN,
Peinture p. 18; WILDUNG,
Nacht pl. 1;
SHEDID-SEIDEL,
Nacht p. 42-4; cette situation de la scne est tout fait habituelle, comme
le notait dj
DAVIES,
Nakht
p.
30-1; sur ces monuments dans les tombes thbaines, on se reportera
l tude fondamentale d HERMANN, Stelen et celle de Cl. TRAUNECKER, La Stle Fausse-Porte du
Vice-Chancelier
Amnophis , Karnak
6 (1980), p. 197-208, sur leurs modles, les vritablesstles
fausses-portes
en
granit.
36 R.
TEFNlN, Image
et histoire. Rflexions sur l usage documentaire de l image gyptienne , CdE
54 (1979), p. 235; photos couleurs dans WILDUNG, Nacht pl. 2; SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 42-3;
HODEL-HoENES, Leben und Tod p. 41, fig. 8.
7 Les oignons avaient aux yeux des anciens gyptiens de nombreuses vertus quipeuvent inter
venir dans le contexte funraire, cf. Catherine GRAINDORGE,
Les
oignons de
Sokar ,
Rd 43 (1992),
p. 87-105;
pour
celles du raisin,
on
se reportera aux rfrences sur le vin la note suivante.
38
Sur l offrande du vin, cf. MU-CHOU Poo, Wine and Wine Offering in the Religion
of
Ancient Egypt
Londres et New York, 1995; Christine
MEYER
, Wein in LA VI (1986), coll. 1174-1177; Poo,Weinopfer
in
LA VI
(1986), coll. 1186-1190. Comme
R.
Tefnin me
l a
fait remarquer,
l eau
est voque gauche,
du ct du Nil, comme si elle en provenait, tandis que levin se trouve du ct droit, vers le fond de la
tombe et la montagne thbaine, o rgnent Osiris et Hathor, auxquels le vin est troitement associ.
-
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60
DIMITRI LABOURY
Fig. 5. Dcor de la paroi ouest.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 61
on notera que, comme sur la double paroi d entre, ces offrandes sont diffrencies par
l inscri ption, mais rep rsentes par une mme image, qui se rvle donc potentielle
ment polysmique
39
. Enfin, au registre du bas , l onguent
mc(jet,
les fards vert et
noirs
4o
gauche) et les vtements
4
droite) sont souvent prsents ensemble la
divinit et gratifient celle-ci de leurs vertus rgnratrices. Les offrandes assimilent le
dfunt un dieu, comme le confirment les inscriptions de la stle qui mentionnent
l Osiris-Nakht. Par ailleurs, le discours des offrants du second registre identifie la
puret de Nakht celles de Horus et de Seth, les deux protagonistes du mythe osirien,
qui sont rconcilis lorsque Osiris reoit la justification
du
tribunal divin et qu il renat
en qualit de patron des morts et roi de l au -del. Nakht s assimile donc Osiris , mais
pas dans n importe quel pisode mythologique puisque, runissant en lui Horus et
Seth, il devient Osiris victorieux et justifi, et non le dieu assassin et dmembr du
dbut du mythe. Cet ensemble dcoratif a donc une profonde signification religieuse
et poursuit un but fonctionnel: il assure, par la magie de l image et de l criture hi
roglyphique, un au-del bien heureux au dfunt. D autre part, il ncessite manifeste
ment une lecture , une comprhension globale, que le peintre a savamment suggre
par
des moyens iconographiques, en crant des analogies formelles entre lesdiff
rentes parties constitutives.
Comme sur la paroi prcdente, nous trouvons en-dessous un soubassement
dcor
42
,
qui, par son contenu, doit galement tre reli la figuration principale
43
.
La composition est nouveau rgle par la symtrie gyptienne . Les deux desses
39 En fait, le geste du bras semi pli prsentant un petit vase ,- gnralement globulaire,- est le signe
hiroglyphique et iconographique de l offrande, qui peut , ou non, tre prcis par une inscription
adventice, comme l a bien montr
TEFNIN, op. cit.
40
Sur l offrande de l onguent
mcUet, cf.
Eva
STROOT-KIRALY
,
Les offrandes aFec l onguent
m t,
l aiguire
nmst
et le pain blanc. Essai d intelprtati on d aprs la dcoration des temples gyptiens
(mmoire de licence prsent l Universit de Genve en octobre 1987), p. 3-14, 30-39, 55-68; Syl
vie CAUVILLE,
Essai sur la thologie du temple d Horus Eclfou
(Le Caire, 1987), p. 114-128
(BdE,
102); sur celle des fards vert et noir, Zeinab el-KoRDY, L offrande des fards dans les temples ptol
maques , ASAE 68 (1982), p. 195-222.
4 L objet apport par le personnage est le signe hiroglyphique qui sert crire le
mot
vte
ment, utilis dans la lgende de la scne, juste devant; sur ce signe et son interprtation iconogra
phique,
cf.
Agnes
RAMMANT-PEETERS,
A New Interpretation of the Hieroglyph Gardiner S 27 ,
OLP 4
(1973),
p.
71-5. Cette interpntration de
l image
et du hiroglyphe - lui-mme image - est trs rvla
trice de
la
nature smiotique de l art gyptien,
comme
l a soulign R. TEFNIN, Discours et iconicit
dans j art gyptien ,
Annales d Histoire de
l Art
et d Archologie
5 (1983), p. 5-17
[=
GM 79 (1984],
p.55-71].
42 Photos couleurs dans
WILDUNG, Nacht,
pl. 4; SHEDlD-SEIDEL,
Nacht,
p. 42,44-5.
43 Le paralllisme avec le dcor des temples est ici aussi tout fait vident, cf. supra, n. 25.
-
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62 DIMITRI LABOURY
sycomores prsentent un amoncellement de victuailles qui, par sa luxuriance et son
traitement pictural, nous voque davantage une nature morte que les tables d offrandes
vritablement hiroglyphiques que ralisrent les peintres de la gnration prcdente
(pl. II, l et fig. Il)44. Dans sa publication de la tombe de Nakht, Norman de Garis
Davies a propos de voir dans les tiges de papyrus que tiennent les deux desses non
seulement une plante, mais aussi le signe hiroglyphique qui exprime la verdeur, la
fracheur et la bonne fortune
. Les images pounaient donc avoir ici aussi plusieurs
niveaux de signification.
Le dcor du mur oriental, en face, est davantage conventionnel, tant par son icono
graphie que par sa structure et sa composition (fig. 6 46. La surface peindre est divi
se en deux registres superposs, de mme hauteur. Chacun d eux est compos de
deux moitis; d un ct, le couple de dfunts en taille dite hroque, dos au fond de la
tombe, o ils sont censs rsider, et assis devant une table d offr ande cou verte de
vivres; e n face, deux dfils de porteurs d offrandes qui viennent leur rendre hom
mage. Tout cela est assez classique et mme strotyp.
L intrt de cette paroi rside dans son tat d inachveme nt (pl. II, 2 47, car celui-ci
permet de comprendre comment travaillait le peintre gyptien, d un point de vue tech
nique. Les diffrentes tapes ont t figes par endroits et l on peut en reconstituer la
squence comme suit: la paroi tant dresse, l artiste trace un quadrillage qui facilite
l bauche de chaque lment sa place et selon ses proportions exactes; ensuite,
l
recouvre son esquisse avec les couleurs slectionnes et c est seulement la fin qu il
assure la nettet et la lisibilit de chaque figure, en l entourant d un cerne ocre fonc.
L examen du mur sud-est, galement inachev, confirme ce scnario thorique
48
Ce
44 D aprs
SHEDID-SEIDEL, Nacht, p.
44 et
Heike GUKSCH, Das Grab des Benja, gen. Paheqal17en.
Theben NI . 343 (Mayence, 1978), pl. 21, AV, 7) .
Sur
le concept de nature morte dans les reprsenta
tions pharaoniques d offrandes, cf. Margot SCHMIDT, Stillebenartige Bildelemente in der agyptischen
Flachenkunst ,
in Festschrift Max Wegner z
Uin
sechzigsten Geburtstag
(Mnster, 1962), p. 1-8; on
verra cependant les remarques de R. TEFNIN, lements pour une smiologie de
l image
gyptielme ,
CdE 131-132 (1991), p. 61-2, qui mettent
en
garde contre les dangers que prsente ce genre de distor
sion ethnocentriste.
45 DAvlES, Nakht, p. 47. Sur le signe hiroglyphique de la tige de papyrus,cf. GARDINER, EG , p. 480
M 13).
46
D aprs DAvlEs,
Nakht,
pl. 13; photos couleurs dans
SHEDID-SEIDEL,
Nacht, p.
74-5.
47
D aprs une aquarelle de Lancelot Crane, reproduite dans
c K
WILKINSON, Egyptian Wall Pain-
ting. The Metropolitan Museum
of
Art s Collection
of
Facsil17iles (New York, 1983), fig. 24, et plus
lisible que la photographie de
SHEDID-SEIDEL
, Nacht, p. 75.
48
Cf.
SHEDID-SElDEL, Nacht,
p. 76-81 (p. 19-20, cette technique est dcrite en dtails,
partir de
notre connaissance des diffrentes tombes thbaines).
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
63
Fig.
6.
Dcor de la paroi est.
procd a certainement incit les peintres thbains
prendre conscience des potentia
lits particulires de la couleur et les utiliser, s cartant ainsi de leur dfinition, pour
tant gyptienne, de scribes des contour s; la peinture peut jouer pour elle-mme, et
c est seulement dans un second temps que cette libert est bride, en apparence, ext
rieurement, par la pose des conventionnels contours. Par contre, la ralisation des
hiroglyphes suit le processus inverse: ils sont d abord esquisss par un dessin fait de
traits l encre rouge-brun; et c est partir de ce gabarit, ncessairement excut par
-
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64 DIMITRI LABOURY
un lettr ou sous sa direction
49
,
que le peintre vient colorier les signes d criture. C est
sans doute ici l obligation de connatre le systme hiroglyphique qui a impos cette
faon de procder.
Le mur nord-ouest est dcor du thme classique du banquet funraire
s
sans doute
en relation avec la Belle Fte de la Valle : en effet, le centre smantique de la scne,
l acte dcrit par l inscription, est l offrande d Amenemop, fils de Taouy, qui donne
au couple de dfunts, parmi de nombreux prsents, un bouquet mont qui semble tre
celui d Amon, que l on apportait aux trpasss l occasion de cette fte
s,
.
Cette paroi est hlas mal conserve (fig. 7 S
2,
mais elle n en comporte pas moins de
vritables chefs-d oeuvr e. Elle doi t sa notorit au groupe de trois musicien nes du
registre infrieur
s3
. Le peintre qui ralisa ce magnifique orchestre de chambre - fun
raire - l enduisi t d une couche de vernis protecteur, fait assez rare
S4
, mais non sans
parallle, qui semble montrer que l artiste lui-mme considrait ce petit tableau
comme une russite particulirement digne d tre conserve, ce que lui ont accord le
temps et les hommes.
L ensemble musical qui anime le banquet en prsence du dfunt est nouveau un
lieu commun du dcor de la tombe thbaine du Nouvel Empire, mais en gnral, les
personnages sont simplement juxtaposs et ne forment pas un vritable groupe
ss
. Des
musiciennes tonnamment ressemblantes aux ntres ont t reprsentes dans l hypo
ge contemporain de Djserkarasneb
s
mais le style reste encore paratactique. Chez
49 Nous savons, grce quelques rares signatures , que les programmes dcoratifs des tombes,
comme ceux des temples, taient composs et rdigs par des prtres spcialistes, particulirement ver
ss dans la connaissance de
l criture
et des textes religieux, un prtre-ritualiste ou un scribe des crits
divins;
cf
P. VERNUS, Les espaces de
l crit
dans l gypte pharaonique ,
BSFE
119 (1990), p. 39.
D autre
paIt, lors de la rali sation des te mples taI difs, la prsence de ces prtres dirigeant les artistes
est assure, cf Laure PANTALACCI, Remarques sur les mthodes de travail des dcorateurs tentyrites ,
BIFAO
86 (1986) , p. 267-275.
50
Sur
ce thme, on se reportera la contribution de Lise Manniche dans le prsent volume .
5 SCHOTT, Das schone Fest p. 813-827; BARGUET, Temple d Amon-R, p. 182; Christiane
ZIE-
GLER,
Une
famille de Grands des Djebels de
l Or
d Amon ,
RdE 33 (1981), p. 130-2.
52 D aprs DAVIEs, Nakht pl. 15; photos couleurs dans SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 46.
53 Photos couleurs notamment dans
LHOT
E,
Peinture
pl. 116; MEKHITARIAN,
Peinture
p. 33; WIL-
DUNG,
Nacht pl. 12; SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 52-4;
HODEL-HoENES,
Leben und Tod p. 43, fig. 10.
54
MEKHITARIAN,
Peinture
p. 34; le brillant du vernis est bien visible
sur
les photos de
SHEDID-SEI
DEL, Nacht p. 53-4, alors que la peinture gyptienne, ralise a tempera est toujours naturellement
mate.
55 titre d exemples, chez Amenemhat (TT 82, rgne de Thoutmosis III, PM I, l, p. 164 [5]) et
chez
Ouah (TT
22,
mme
priode, PM
I, 1,
p. 37
[4]).
56 PM
I, l , p. 70.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
65
Fig. 7. Dcor de la paroi nord-ouest.
Nakht, l unit du groupe est assure par l attitude de la jeune luthiste , au centre, dont
les jambes sont orientes vers la harpiste devant elle, tandis que le haut du corps est
retourn vers l arrire, en direction de sa compagne fltiste. La cohsion de l en
semble est d autant plus forte que les silhouettes des trois demoiselles se superposent
en partie
S7
. Le gnie de la composition me semble d
la savante dialectique de lignes
droites et courbes, laquelle participe la couleur. cela s ajoutent l individualisation
des personnages et la reprsentation de la dextrit des instrumentistes par les poses
sophistiques de leurs mains, en contraste vident avec les mains hiroglyphiques des
convives qui les entourent. Le fait que la taille des jeunes filles dcroisse depuis la
57 On notera cet gard l tonnant contraste entre la reprsentation de la harpe situe entre les bras
de la harpiste, donc dans les trois dimensions de l espace, et celle du bouquet mont de l officiant,
juste devant elle, qui bien qu il soit tenu dans la main droite passe derrire le bras gauche du per
sonnage pour ne pas masquer
une
partie de son corps, selon les conventions traditionnelles de
l art
, aspectif (ou plutt
non
perspectif ) de l gypte pharaonique.
-
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66
DIMITRI LABOURY
harpiste jusqu' la fltiste m'incite croire qu'ici, le peintre
n a
pas travaill
au
carreau, partir
d un
quadrillage rglant les proportions, mais bien de chic, donnant
ainsi libre cours toute sa crativit
58
.
Ces jeunes filles sont figures avec des propor
tions plus grandes que celles des invits aux banquet, assis delTire elles, ce qui cre
une sorte d'effet de premier plan, qui met le groupe musical en vidence; elles n'at
teignent cependant pas la hauteur de l 'officiant qui les devance, Amenemop, le fils de
Taouy, car celui-ci est l'acteur du rite d'offrande qu'voque l'ensemble du registre,
donc un des protagonistes essentiels de la scne. L'espace demeur vide entre les ttes
des trois musiciennes et la ligne de sparation des registres a t combl par une autre
'nature morte' que
l on
serait tent d'intituler variation sur le thme
du
vase.
De faon gnrale pour le dcor de cette paroi, le peintre de Nakht se montre beau
coup plus libre et novateur dans la reprsentation des femmes que dans celle des
hommes. Ainsi, les trois htes derrire le petit orchestre sont exactement identiques; il
s'agit en fait
d un
poncif que l'artiste a reproduit trois fois, selon le style paratactique,
et que
l on
rencontre dj souvent dans les tombes antrieures
59
.
Par contre, les nobles
dames du registre suprieur, juste au-dessus, apparaissent dans des attitudes et des
atours trs varis, qui animent considrablement la scne
6o
Nous avons cette fois
affaire un vritable groupe dont les personnages garantissent l'homognit par
diffrents gestes et contacts, selon la mme technique de composition que celle qui fut
utilise pour le petit orchestre de jeunes femmes que nous venons de voir. Ainsi deux
invites changent des fruits de mandragore ou de persa
61
avec leurs compagnes, qui
tiennent en main des fleurs de lotus ou les portent leur nez pour en respirer le
parfum. Le fruit de la mandragore ou
du
persa et la fleur du lotus sont dans la pense
gyptienne des symboles de renaissance: le lotus exalte l blouissante vigueur cra
trice du soleil, le fruit de la mandragore est un symbole d'une sensualit joyeuse qui
suscite l'acte crateur, et celui du persa voque la gnrosit du Nil fcondant la
tene
d'gypte sur laquelle il se rpand
62
.
Il convient bien videmment de considrer ces
58
Sur le travail des artistes avec des grilles de proportions,cf Gay
ROBINS
Proportions and Styles
in Ancient Egyptian
Art
( Londres, 1994), particulirement p. 21-30.
59 Par exemple, dans la tombe de Ouah, cite n. 54.
60 Photos couleurs dans
LHOTE
Peinture, fig. 13, p. 39; WlLDUNG Nacht, pl. 13; SHEDID-SEIDEL
Nacht, p. 48-51;
HODEL-HoENES
Leben und Tod, p. 42, fig. 9.
6
Ce fruit est souvent tellement stylis qu'il est impossiblede savoir s'il s'agit du fruit
du
persa ou de
la mandragore,
cf
Renate GERMER Flora des pharaonischen Agypten (Mayence, 1985), p. 148 (SDAIK,
14
62 Ph. DERCHAlN Le lotus, la mandragore et le persa , CdE 99-100 (1975), p. 65-86; sur le fruit
de la mandragore, voir galement L.
KEIMER
, La baie qui fait aimer, mandragora officinarum M., dans
l
gy
pte ancienne , Bl 32 (1951), p. 351; Kate BOSSE-GRIFFITH, The Fruit of the Mandrake , in Fs
Brunner,
p. 62-74.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
67
connotations symboliques en songeant la signification funraire de l'ensemble dco
ratif que nous examinons. Nous allons d'ailleurs voir que la mort semble effective
ment voque sur la paroi qui nous occupe.
Devant ces charmantes jeunes femmes, un homme aveugle joue de la harpe
63
.
Sa
ccit est exprime par un trait la place de l 'oeil, et sa bouche ouverte, exception
nelle pour une image gyptienne, signifie qu' il est en train de chanter. L'embonpoint
marque son ventre, son corps est entirement figur de profil et la plante de son pied
gauche vue de face surgit sous sa cuisse droite. Ces traits ralistes, qui transgressent
les conventions du dessin gyptien, dsignent notre musicien parmi tous les autres per
sonnages, crant une rupture avec le contexte dans lequel il apparat, ce qui a pour
effet premier d'attirer l'attention
64
.
Le harpiste aveugle et le ralisme qui le caractrise
constituent un topos iconographique
65
;
d'ailleurs, le chanteur infirme du banquet de
Nakht a un frre jumeau dans la tombe de Djserkarasneb
66
.
Ce thme possde en fait
un rfrent littraire bien prcis: le clbre chant du harpiste 67. Aucun ne revient
de l-bas pour nous dire leur sort ( .. ); alors suis ton coeur, passe un jour heureux ,
dit le joueur de harpe dans ce texte
68
.
Vu la signification de ce chant, le harpiste
63 Photos couleurs dans M
EKH
ITARIAN Peinture, p. 70;
WlLDUNG
Nacht, pl. 14; SHEDID-SEIDEL
Nacht, p. 23 (fig. 10), 46-9;
HODEL-HoENES
Leben und Tod, p. 42, fig. 9.
64 Sur
l'utilisation du ralisme
comme
signe ou indice smiologique, on se reportera justement
l tude de R. TEFNIN
propos d'un vieux harpiste du Muse de Leyde et du ralisme dans
l art
gyp
tien , Annales d Histoire de l Art et d Archologie 10 (1988), p. 7-26 (o notre personnage est repr
sent la p . 14, fig. 5).
65 Ibidem.
66
PM
l, 1, p. 70 (6)(1a description fournie en tte de la bibliographie ne mentionne pas ce harpiste ,
ne parlant que de female musicians, mais il est parfaitement reproduit sur la diapositive nO37.307
d Uni -Dia-Verlag).
67
Sur le harpiste aveugle et son chant, on verra, outre l'article de
TEFNIN
qui vient dt re cit,
P.
KAPLONY
'Hirtenlied, Harfnerlieder und Sargtext-Spruch671 aIs verwandte Gattungen
der
agypti
schen Literatur , CdE 90 (1970), p. 240-3; J. ASSMANN Fest des Augenblicks - V er he is su ng der
Dauer. Die Kontroverse der agyptischen Halinerlieder , in J. ASSMANN Erika FEUCHT
et
R. GRIES
HAMMER Fragen an die altiigyptische Literatur. Studien zum Gedenken an Eberhard Otto (Wiesbaden,
1977), p. 55-84; H.
ALTENMLLER
Zur Bedeutung der Harfnerlieder des Alten Reiches ,
SAK 6
(1978), p. 1-24; Lise MANNICHE Symbolic Blindness , CdE 105 (1978), p. 13-21; M.V. Fox,
The
Entertainement Song Genre in Egyptian Literature
,
in Sarah
ISRAELIT-GROLL
(d.), Egyptological
Studies (Jrusalem, 1982), p. 268-316; M.
PATANE
propos du chant du harpiste d Antef , BSEG
11
(1987), p. 99-109; M.
MALAISE
Le
symbolisme de
la
vision et de la ccit dans l
gy
pte
ancienne ,
Jl8fR 6 (1993), p. 20-21.
68 Le texte n est pas reproduit dans la tombe de Nakht, mais il est frquent que le harpiste soit
accompagn dans l 'hypoge des parolesqu il chante (cf la bibliographie cite plus haut); d'ailleurs 23
des 24 chants du harpiste conservs sont inscrits dans des tombes On peut, me semble-t-il, se deman
der si le ralisme du propos du harpiste
n est
pas mettre en rapport avec le ralisme avec lequel est
-
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68
DIMITRI LABOURY
aveugle, qui en est la traduction iconographique, semble connoter la scne de banquet,
ayant la fonction d un subtil
mennto mori
. On comprend ds lors mieux pourquoi
les invites figures juste derrire lui manipulent lotus et fruits de mandragore ou de
persa, symboles de cration et de renaissance, complmentaires la ralit de la mort
que rappelle notre chanteur. En fait, la scne du banquet ne reprsente pas, comme on
pourrait le croire
premire vue, une simple fte mondaine;
travers diffrents signes
subtils, elle runit en une seule et mme image, en une seule et mme action, la vie et
la mort, les gens d'ici-bas et les trpasss, niant ainsi le passage qui les spare
.
Comme sur les deux parois prcdentes , le dcor du mur nord -est est rparti en
deux registres, et chacun d'eux comporte, du ct le plus proche du fond de la tombe,
l'image de Nakht et Taouy assis, en train
de
se rjouir le coeur la vue
du
spec
tacle et de l'offrande qui leur sont prsents (fig. 8 71. Devant ces sujets regardant, se
droulent diffrentes scnes dont la principale, par ses proportions, est celle de la
chasse aux marais, dans la campagne du pays septentrional, o Nakht peut se voir
lui-mme,
deux reprises (fig.
9) .
Ce thme est un classique du dcor de la tombe,
attest depuis l'An cien Empire
73
.
Au Nouvel Empire, l est toujours compos de deux
activits cyngtiques, le lancer du bton de jet et la pche au harpon, qui peuvent tre
reprsentes l'une denire l'autre
74
,
ou
comme ici, et c est le cas le plus frquent,
affrontes dans une composition antithtique
75
.
On retrouve chez Nakht, comme dans
figur ce musicien prcurseur d Horace; dans l' univers idal qu voquent (et que sont censs susciter)
les images et les textes gyptiens, ce chant et celui qui le psalmodie nous rappellent la ralit de la
vie et de son contraire complmentaire et indissociable, la mort.
69 WILDUNG, Naeht, p.
57-8, relie galement la figuration du harpiste
l voca tion de la mort.
70
Une des fonctions de la Belle Fte de la Valle, voque ici par l off rande du bouquet mont,
centre smantique du tableau, est prcisment cette rencontre entre les vivants et les morts, cf Silvia
WIEBACH,
Die
Begegnung
von Lebenden und Verstorbenen im Rahmen des thebanischen
Talfestes ,
SAK
13 (1986), p. 263-291.
7
D aprs
DAVIES,
Nakht, pl. 22; photos couleurs dans
LHOTE,
Peinture, fig. 15, p. 43 (vendange,
pressoir, tenderie plumage), pli. 45 (porteurs d off randes devant
le
dais), 52-3 (chasse au marais);
WILDUNG, Naeht,
pl. 3 (dfunts sous le dais), 5-6 (tenderie),10-11 (vendange et pressoir),
15
(chasse au
harpon);
SHEDID-SEIDEL,
Naeht, p. 56-73;
HODEL-HoENES,
Leben und Tod, p. 46, fig.
Il
(vendange
pressoir).
72
D 'aprs
DAVIEs, Nakht,
pl. 22; photos couleurs, avec diffrents clichs de dtails, dans
SHEDID
SEIDEL,
Naeht,
pp. 58-63.
73 Sur la reprsentation de la chasse aux marais, on se reportera H. ALTENMLLER, Darstellungen
der Jagd
il
alten Agypten
(Hambourg-Berlin, 1967).
74
Par exemple dans le
TT
56, d Ouserhat, sous Amenhotep II,
PM
1, 1, p. 113 (15); Christine
BEIN
LICH-SEEBER,
A.G. SHEDJD, Das Grab des Userhat TT 56) (Mayence, 1987), pl. ,
13
AV, 50 .
75
Par exemple,
ALTENMLLER,
op. eit., pl. 9 (TT 69, de Menna, rgne de Thoutmosis IV).
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 69
Fig. 8. Dcor de la paroi nord-est.
Fig. 9. Dtail de la chasse au marais de la paroi nord-est.
-
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70
DIMITRI LABOURY
les autres hypoges, la monte centrale d eau - le
Wasserberg
76
-
o jaillissent les
deux poissons harponns, mais le traditionnel bosquet de papyrus au milieu de la
composition s est mu en une vritable toile de fond vgtale. Cette superposition de
plans n est pas trs frquente dans l art gyptien, mais on
en
connat cependant
d autres exemples77.
De nombreux dtails de cette scne paraissent inopportuns pour une chasse au
marais
78
. Ainsi, les personnages sont pars de leurs plus beaux atours, somptueux
vtements, perruques et bijoux, comme s ils participaient une fte ou un ban
quet. Deux jeunes femmes en grande toilette saisissent N akht p ar la taille et par la
jambe, alors qu on imagine les mouvements qu il devrait faire pour empcher que
son frle esquif ne chavire au moment de lancer son arme. Ils sont fort nombreux
pour une telle embarcation, et de plus, une oie - arrache par les fidles d Akh-
naton car considre
comme
une hypostase du dieu
Amon
- reste bien sagement
la proue du bateau alors que ses congnres sont en pleine dbcle, cherchant
chapper
l invitable massacre. Si Nakht a effectivement chass dans les marais
du Delta, cela ne s est certainement jamais pass comme cette image semble le
raconter.
Malgr la codification laquelle l art gyptien nous a habitus, cet irralisme vi
dent invite proposer pour ce tableau une interprtation non pas commmorative mais
plutt symbolique. D ailleurs, les inscriptions de la scne dnotent clairement que le
dfunt effectue un acte rituel, puisqu il s unit la matresse des proies (oiseaux et
poissons >> et qu il pratique les activits de Skhet, desse de la campagne, prsi
dant
la chasse aux oiseaux et
la pche
79
. Les reprsentations semblables que
l on
peut produire en parallle sont galement ponctues de signes religieux
8o
.
En gypte, la chasse est une activit sacralise, qui a un rle apotropaque: les
proies sont identifies aux ennemis du royaume pharaonique et de l Ordre cosmique
76
ce sujet, cf H. SCHFER (traduit de l aIl. par
J.
BAINES , Principles of Egyptictn Art (Oxford,
1974), p. 243-4.
77
Par exemple, MEKHITARIAN, Peinture,
p.
42 (TT 82, d Amenemhat, sous Thoutmosis III);
ALTENMLLER,
op. cit.,
pl. 14-5 (de l Ancien Empire); pour des exemples avec un bosquet central, Id.,
op. cit.,
pl. 9, 13.
8
Le
manque de ralisme dans la figuration de la chasse au marais a t not
par
Id.,
op. cit.,
p. 18
et Fr.
DAUMAS, Fischer
und
Fischerei,
in
LA
II (1977), col. 235, mais la prsente analyse est inspire
de celle de Ph. DERCHAIN,
La
perruque et le cristal ,
SAK
2 (1975), p. 62 sq.
9
Sur cette divinit, cf W. GUGLIELMI, Die Feldgbttin
Sb.t , WdO
7 (1973-1974), p. 206-227.
80 Par exemple, la clbre scne de la tombe de Nbamon, conserve au British Museum, Londres
(rgne d Amenhotep III), analyse par DERCHAIN,
op. cit.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
71
qu il incarne et dont il est le garant, la Mat
81
. Les volatiles sont
cet gard des ani
maux malfiques
82
, dont on anantit le pouvoir en leur tordant le cou - comme le
montrent les diffrentes reprsentations d oiseaux tus pour l offrande dans la tombe
de Nakht, notamment dans les scnes principales des deux parois sud - et c est pr
cisment l effet produit par le bton de jet de N akht
83
. Le dfunt pratique donc la
Mat, il participe au maintien de l Ordre cosmique, en apportant son concours
l vic
tion des forces du Chaos
84
, qui, de ce fait, ne peuvent pntrer plus avant dans sa
tombe et perturber son ternel repos.
cela s ajoute une autre signification base sur un jeu de mots doubl
d un jeu
d images, plus difficile dchiffrer, mais peut-tre, justement pour cette raison, plus
important
8s
. Dans l criture hiroglyphique, le bton de jet peut servir de dterminatif
deux verbes homographes, qm3, lancer et crer 86 Le premier verbe est signi
fi par le geste de Nakht, qui s apprte d ailleurs en lancer le dterminatif, un bton
de jet; l vocation du second se fait par le truchement du
jeu de mots, donnant
l image un sens connot de re-cration du dfunt. Dans cette perspective de renais
sance, les incongruits releves plus haut s explique nt aisment: les superbes per
ruques des compagnes du chasseur et l oie la proue de l embarcation peuvent avoir
une valeur rotique 87, faisant allusion
un nouvel engendrement.
8 DERCHAIN,
Rflexions sur la dcoration des pylnes , BSFE 46 (juillet 1966), p. 17-24;
ALTENMLLER,
op.
cif.
p. 24; O. KEEL, Der Bogen aIs Herrschaftsymbol. Einige unverbffentlichte
Skarabaen aus gypten und Israel zum Thema Jagd und
Krieg ,
ZDPV 93 (1977), p. 141-177;
. VAN ESSCHE, Quelques rflexions sur l espace et le rcit Mdinet Habou , Annales d Histoire
de
l Art
et d Archologie
11(1989), p. 7-24. Sur Mat, cf, bien entendu, J. ASSMANN,
Mat, l gypte
pharaonique et l ide de justice sociale,
Paris, 1989.
82 Rappelons ici l extrait du pChester Beatty III (BM 10683) qui prophtise que si un homme se
voit en songe tuant une oie =bon = (c est) tuer ses ennemis (S. SAUNERON, Les songes et leur inter
prtation dans l ancienne gypte , in Sources Orientales II (Paris, 1959), p. 33-36).
83 Photos couleurs dans
MEKHITARIAN, Peinture,
p. 71;
SHEDID-SEIDEL, Nacht
p. 59. On notera que
ce boomerang est quadruple, apparaissant deux fois parmi les oiseaux dont il brise le cou, une fois dans
la main de Nakht, prt
lancer, et une fois dans celle du garon devant lui qui lui tend l arme.
84
WILDUNG, Nacht,
p. 59-60.
85
. VAN ESSCHE, Le boomerang en gypte ancienne. tat de la question (recherche non publie,
ralise dans le cadre du cours de Paloethnographie et archologie africaines, ULB, 1989-90), p. 13.
86 Wb
V, 33-6;
GARDINER, EG,
p. 513 (T 14);
WILDUNG, Nacht,
p. 59.
87 DERCHAIN,
La
perruque et le
cristal ,
SAK 2 (1975), p. 55-74; sur la valeur rotique de la per
tuque,
on verra galement A.-P.
ZIVIE,
Une
tte en bois stuqu rcemment dcouverte
Saqqarah ,
RdE
39 (1988), p. 190
sq.
Le terme rotique ne doit pas tre compris ici comme synonyme de gri
vois, faisant uniquement allusion l intimit du couple, mais plutt comme une vocation du thme de
la renaissance
et
de la rgnration par le biais d une mtaphore biologique vidente, comprhensible
par tout tre humain.
C est d ailleurs
parfois par des images trs triviales que les gyptiens faisaient
rfrence l acte crateur (par exemple dans la cosmogonie hliopolitaine axe autour du dieu Atoum
-
7/26/2019 Laboury Nakht
15/23
72 DIMITRI LABOURY
D autre part, nous retrouvons la mme idologie dans la chasse au harpon . Il est frap
pant de constater que cette arme s enfonce chaque fois dans deux poissons en mme
temps, et qu il s agi t presque toujours d un lates et d un tilapia nilotica
. Dans la pen
se mythologique des anciens gyptiens, ces deux animaux symbolisent respectivement
la saintet et la vitalit renaissante et pur
9
. Avant de renatre dans l au-del, le dfunt
se mtamorphose et prend plusieurs formes dont la premire est celle d un lates, et la
dernire, celle d un tilapia. La figuration du propritaire de la tombe harponnant ces
deux poissons assure au trpass, par la magie de l image, la possession des veltus que
ces animaux reprsentent, et de ce fait, sa renaissance post nwrtem sur laquelle
dbouche la succession de ses transformations. On comprend ds lors l importance
iconographique du Wasserbe rg : il met en vidence les deux poissons symboliques qui
sont au coeur de la signification de la scne - tout en permettant la reprsentation du
dfunt dans une pose noble, hrite
d une
tradition royale de l An cien Empire
9o
[DERCHAIN, Hathor Quadrifrons,
Istanbul, 1972], ou lors de la naissance divine de Hatshepsout
[TEFNlN, propos
d un
vieux harpiste du Muse de Leyde
et
du ralisme dans l art gyptien , Annales
d Histoire de l Art et d Archologie
10 (1988),
p.
25]) ou la pulsion qui le suscite,
l eros
crateur
qu in-
carne la desse Hathor (DERCHAIN, op. cit.). l
me
semble que seule une explication de ce
geme pelmet
de
comprendre les innombrables scnes des tombeaux gyptiens qui montrent des animaux en pleine copula
tion au beau milieu de scnes de chasse
cf
la documentation rassemble par Salima
IKRAM,
Animal
Mating Motifs in Egyptian Funerary Representations ,
M
124 [1991], p. 51-68; on retrouve
mme
ce
thme iconographique dans les temples, le cas du temple de NiouselT Abousir tant particulirement
exemplaire, puisque ce motif y est plusieurs fois reprsent dans des scnes qui exaltent prcisment la
rgnration cyclique de la nature travers la figuration de ses saisons;
cf
Fr. W. FREIHERR von BISSING,
La chambre des trois saisons du sanctuaire solaire du roi Rathours , ASAE 63 [1955], pl.
13,23).
88
Par
exemple, ALTENMLLER, op. cit., p. 17; Erika FEUCHT, Fishing and Fowling with the Spear and
the Throw-Stick Reconsidered , in The Intellectual Heritage
of
Egypt. Studies presented to Laszlo Kakosy
(Budapest, 1992), p. 161 (fig. 3), 162 (fig. 4-5), 164 (fig. 7).
On
notera que l image de ces deux animaux
dtermine le
mot
poissons dans l inscription au-dessus de la scne qui nous occupe, fait curieux
puisque ce substantif, tant au pluriel, devrait tre accompagn d un seul
ou
de trois dterminatifs de
poisson, mais en aucun cas de deux. La suite du texte explique, je pense, cette entorse la rgle.
89
Christiane DEsRocHEs-NoBLEcouRT, Poissons, tabous
et
transformations du
mort ,
Kmi 13
(1954), p. 33-42 (contra, FEUCHT, op. cit., p. 157-169). Sur le tilapia,
dont
la symbolique dcoule
directement de
l observation
des ses moeurs vis--vis de sa progniture,
on
se reportera M.
DAMBACH
et Ingrid WALLERT, Das Tilapia-Motiv in der alUigyptischen
Kunst ,
CdE 82 (1966), p . 273-294;
pour
le
lates, on verra galement DESROCHES-NoBLEcouRT,
Une
fiole voquant le poisson
-
7/26/2019 Laboury Nakht
16/23
74
DIMITRI LABOURY
groupe de fouleurs reste assez conventionnelle, avec la classique alternance des
couleurs de peau des personnages, et elle n'atteint pas la vivacit de la clbre scne de
pressoir de la tombe d'Ouserhat
96
. La prsence d 'une scne en apparence aussi
profane sur une paroi de tombe o le dcor voque, travers de savantes et nombreuses
allusions, la renaissance du dfunt semble tonnante; pourtant il n 'en est rien
97
. Dans
l'gypte antique, comme dans d'autres civilisations, l'alcool de raisin et l'ivresse qu'il
procure pelmettent d 'abolir la barrire qui spare ce monde de celui des dieux et des
morts
98
. D'autre part, le vin est intimement li Hathor, dame de l'ivresse99, mais
aussi desse funraire, particulirement vnre dans le cirque rocheux de Deir el-Bahari
et dans la Valle des Reines, de pmt et d'autre de la ncropole de Cheikh Abd el-Gourna,
o se trouve la tombe de Nakht. Enfin, dans la pense gyptienne, le pressoir est l'image
de Shsmou, divinit du pressoir, qui possde galement des comptences funraires,
massacrant les ennemis des dieux comme ceux des dfunts dans son pressoir, le vin tant
alors conu comme le sang qui jaillit de la tte broye des opposants
100
On retrouve
donc ici, comme dans la chasse aux oiseaux, juste au-dessus, l'vocation du thme de
l'anantissement des forces du Chaos, nfastes aux dieux, aux morts et aux mortels.
La scne de tenderie qui apparat au sous-registre infrieur est frquemment atteste
dans les tombes gyptiennes, ds l'Ancien Empire
l
. Derrire la masse opaque du
96 TT 56, du rgne
d Amenhotep
II,
PM
1, 1, p. 113 (15,
II);
MEKHITARIAN, Peinture,
p.
61; Clu'istine
BEINUCH-SEEBER, A.G. SHEDID, Das rab des Userhat TT 56 (Mayence, 1987), pli. 13 , 24 (a), (AV, 50) .
97 Le rendu assez traditionnel
de
la
scne
est peut-tre dj un indice de
sa
signification profond
ment religieuse: en effet, Nadine
Cherpion
a propos
de
voir dans
la tombe de
Nakht deux styles chro
nologiquement
distincts et successifs alternant sur les parois,
l un
plus moderne, et l autre d' inspiration
plus ancienne,
CHERPION,
Quelques jalons pour une histoire
de la
peinture thbaine ' , BSFE 110
(1987), p.
41;
mais si
l on
suit les critres qu elle propose, on se rend compte que les figurations plus
traditiOlmelles apparaissent dans les scnes au caractre religieux plus fortement marqu, comme dans
la double offrande
de la
paroi adosse
la
faade ou la rception des hommages rendus aux dfunts
sur le mur oriental, alors que, comme nous l avons vu, c est
souvent
dans les dtails plus anecdotiques,
moins fondamentaux
pour
la signification du tableau, que le peintre
de Nakht
se montre plus novateur.
Ces conclusions
sont
d ailleurs confirmes par l tude
de
l 'art gyptien en gnral, H.
de
MORANT,
Peintres et
sculpteurs dans l ancienne gypte , Archeologia 79 (fvrier 1975), p. 19; R.
TEFNIN,
l
ments pour une
smiologie de
l image gyptienne , CdE 131-2 (1991) , p. 70-2.
98 Sur la signification
religieuse
du vin, on
verra
MU-CHOU
Poo,
Wine and Wine Offering in
the Religion
of
Ancient Egypt,
Londres
et New
York, 1995; Christine
MEYER , Wein,
in
LA VI
(1986),
coll. 1174-1177; POO, Weinopfer, in LA VI (1986), coll. 1186-1190.
Wb
II, 224, 9.
100 HODEL-HoENES, p. 47. Sur Shsmou, M. CICCARELLO, Shesmu the Letopolite , in Fs Hughes,
p. 43-54; W.
HELCK,
Schesemu, in
LA
V (1984), coll. 590-1.
101 Sur ce type
de
scne,
cf
Dominique
BASTIN,
propos
d une scne de
la vie quotidienne en
gypte
ancienne: la chasse au filet hexagonal , Annales d Histoire de l Art et d Archologie 6 (1984),
p. 5-14.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
75
fourr de papyrus, on distingue un personnage moiti cach, dont une seule tige de
papyrus suffit dissimuler la tte (pl. III, 2 102. La comparaison avec d'autres repr
sentations de la chasse au filet hexagonal rvle que cet homme a pour tche de faire
signe ses compagnons qui actionnent le pige, mais surtout
qu il n tait
pas nces
saire de masquer cet individu. nouveau, nous voyons que le peintre de Nakht sait
exploiter, non sans humour, les habitudes figuratives de l art gyptien, pour crer des
effets neufs
103
. Comme toute activit cyngtique en gypte, la chasse au filet hexa
gonal peut avoir une signification symbolique apotropaque, les proies captures tant
identifies aux forces du Chaos10
4
.
L'artiste a suggr cette conception par des moyens
d'expression qui lui sont propres: les oiseaux - dont aucun n chappe l'adresse de
nos chasseurs - sont reprsents dans une confusion la plus complte, qui suggre
leur effroi mais surtout nie l ordre tabli par les rgles de la composition de l image
gyptienne 105; heureusement, cette masse chaotique est enfelme dans une forme
rgulire, parfaitement circonscrite, qui, elle, est conforme aux conventions gra
phiques que
je
viens d'voquer. Cet ensemble, avec tout le contraste et la tension
qu il
renferme, est en outre mis en vidence par le fond uniformment vert sur lequel il se
dtache.
Ensuite, les volatiles malfiques sont plums et suspendus, le cou tordu ( ). La jonc
tion entre cette scne et la prcdente est ralise grce une technique de composi
tion que nous avons dj rencontre plusieurs fois dans la tombe de Nakht: le dernier
des trois pcheurs qui tirent sur le filet hexagonal est orient comme ses camarades,
mais il tourne la tte vers les deux p lumeurs derrire lui, semblant ainsi appartenir aux
deux tableaux 106 Le personnage vu de profil et le geste de son collgue qui arrache
scrupuleusement chaque plume d une oie ne manquent pas de pittoresque, mais il
s agit nouveau de poncifs, issus de cahiers de modles dj en usage l poque de
Ouah, sous Thoutmosis lII'07.
Maintenant que nous avons envisag en dtail chaque partie constitutive du dcor
de la tombe de Nakht, il est possible
d en
rechercher la cohrence structurale (fig . 10),
102 D aprs SHEDID-SEIDEL, Nacht, p. 67.
103 Ce cas est prcisment cit par
TEFNIN,
op.
cit.,
p. 81.
104 M. ALLIOT, Les rites de la
chasse
au filet dans les temples de Karnak, d Edfou et d Esneh , RdE
5 (1946),
p.
57-118.
105 Sur
l inobservance des conventions du dessin gyptien pour reprsenter les forces du Chaos,
cf
R.
TEFNIN,
Images, criture , rcit.
propos des reprsentations gyptiennes
de
la bataille de Qadesh ,
Annales d Histoire de
l Art
et d Archologie
2 (1980), p. 7-24 [republi dans
M 47
(1981), p. 55-78]
106 WILDUNG, Nacht, p. 53 .
107 TT 22,
PM
1, 1, p. 38 (5).
-
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77
m
1 5
m
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Fig. 10 Schma synoptique du dcor de la salle large.
-
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78
DIMITRI LABOURY
afin d essayer de dterminer la signification du programme iconographique mis en
place.
La conlation entre les deux parois adosses la faade est clairement exprime par
la rptition de la scne d offrande effectue par le couple de dfunts de part et d autre
de la porte, selon le principe de la symtrie gyptienne . Le tableau droit est accom
pagn de la reprsentation de diffrentes activits agricoles successives. Ces images
offrent la vue de Nakht la vie de la nature, la vie du cosmos, caractrise par son
perptuel renouvellement, auquel le dfunt peut s associer, tel Osiris. Elles manifes
tent galement les diffrentes tapes de production des offrandes ncessaires la
survie dans l au-del et l hommag e que le propritaire de la tombe dsire continuer
prsenter aux divinits. Celles-ci ont des prrogatives funraires, moins qu il ne
s agisse des dieux cosmiques d empire, Amon et R-Harakhty, par essence omnipo
tents. Enfin, l orientation des offrants, vers la porte d entre o point chaque matin le
soleil, moteur de la cration et de la vie, semble dsigner celui-ci comme le bnfi
ciaire privilgi du rite . Le dcor de ces murs forme donc un ensemble cohrent et par
faitement fonctionnel, la fois orient vers l extrieur de l hypoge et vers le lieu de
rsidence des dfunts, par la double prsence de Nakht, assis sous son dais, dos au fond
de la tombe, auquel sont subordonns les scnes des sous-registres. On notera d autre
part la double fonction des offrandes produites, prsentes, au sein de la mme paroi,
devant le dfunt et devant les divinits auxquelles Nakht et son pouse s adressent.
Sur la paroi occidentale, du ct du domaine des morts, Nakht et Taouy sont repr
sents attabls un guridon charg de victuailles, dans le panneau central
d une
stle
fausse-porte peinte. Ce monument funraire factice sert de moyen et de lieu de pas
sage entre le monde des vivants et celui des morts. C est donc l endroit idal pour
figurer les porteurs des offrandes qui sont destines aux dfunts . Ces prsents et les
inscriptions font de Nakht un dieu, mais pas n importe lequel: un nouvel Osiris renais
sant, justifi et triomphant en qualit de roi de l au -del.
En face, l Est, l o rsident les vivants, nous retrouvons la mme iconographie
des deux poux assis devant une table d offrande et recevant des prsents de plusieurs
individus. Cependant, le traitement en est tout diffrent puisque Nakht et Taouy ne
sont plus figurs comme des morts sur une stle, mais plutt comme de vnrables
personnages que l on honore . Un autre point d opposition est qu ici, comme partout
ailleurs dans la tombe, le couple tourne le dos au fond de l hypoge, alors que sur le
mur ouest, c est l inverse
8
. Vu la symbolique gographique des anciens gyptiens, il
108 Sur l importance de l orientation des personnages sur les monuments gyptiens, H.G.
FISCHER,
L criture et
l art
de l gypte ancienne
(Paris, 1986),
p.
82
sq.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT
79
semble que du ct oriental, Nakht et son pouse soient reprsents comme des
vivants , sortant de leur caveau - exprimant ainsi la conviction de la survie aprs la
mor t - a lors qu l Ouest , l o se couche le soleil chaq ue soir, ils apparaissent
comme des dfunts osiriani ss , pntrant dans la montagne thbaine et dans le
monde d outre tombe que celle-ci reprsente109.
Le dcor des deux parois du fond de la salle large obit la mme structure de com
position que celui du mur est: le couple de propritaires de la tombe, sujet regardant
de l image, apparat du ct le plus proche du caveau o il est cens rsider et se
rjouit le coeur la vue du beau spectacle qui leur est prsent, comme le prcisent
les inscriptions. Ce beau spectacle consiste en diverses activits de la vie quotidienne,
le banquet, la chasse, la pche, les vendang es, ... mais toute une sr ie d indices,
comme le harpiste aveugle ou le choix des poissons harponns, ponctuent ces scnes
et leur donnent une connotation symbolique, caractre funraire. La structure du
dcor fait que N akht et Taouy assistent leur propre survie. Quelle plus belle pro
messe de rsunection peut-on imaginer? Cette vocation du trpas se situe sur la paltie
dcore la plus proche du fond de la tombe. Elle est exprime de manire optimiste et
positive, car des allusions comme celles du lancer du bton de
jet
ou du harponnage du
tilapia et du lates font rfrence la renaissance du dfunt, et parce que, d autre part,
la mort est signifie par la vie, en parfaite runion des contraires complmentaires et
indissociables . Cette faon de dire l abstrait par le concret, travers la ralit quoti
dienne,
est
typique de la pense gyptienne, qui peroit l univers tout la fois comme
signifi et comme signifiant, comme expression et comme substance110, do nt l abs
traction se nounit de ralit, et o la ralit n a de sens qu en tant que signe de l ima
ginaireIll D autre part, diverses reprises, on trouve sur la paroi nord -est le thme de
l anan tissement des forces du Chaos, qu il faut empcher de progresser plus avant
dans la tombe, vers le lieu du repos ternel des dpouilles des deux bienheureux. Par
une telle action, le dfunt participe l Ordre cosmique, aspiration de tout gyptien
2
.
109
Le fait que les dfunts soient figurs sortant de la tombe du ct du soleil levant, donc de l aube,
et
y rentrant, du ct du soleil couchant, donc du crpuscule , voque sans doute la vieille doctrine
funraire - devenue exclusive l poque amarnienne - selon laquelle le mort passe la nuit dans sa
tombe,
qu il
peut quitter le
jour
venu; rappelons ce propos que le titre gyptien du clbre recueil
funraire que nous avons pris l habitude d appeler Livre des Morts est en fait le livre de sortir pen
dant le
jour
,
Wb
I, 520, 14.
11
R.
TEFNIN
Discours
et
iconicit dans
l art
gyptien ,
Annales d Histoire de
l Art
et d Archo-
logie 5 (1983),
p.
6
[= GM
79 (1984), p. 56]
ID.
,
lments pour une smiologie de
l image
gyptienne ,
CdE
131-2 (1991), p. 81.
112 On peut, en fin de compte, se demander
s il
ne s agit pas l du dnominateur commun des
diffrentes scnes des tombes pharaoniques et de la signification fondamentale du dcor de ces
-
7/26/2019 Laboury Nakht
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80
DIMITRI LABOURY
On notera galement que, selon l orientation gographique de la tombe, les activi
ts du nord sont opposes celles du sud, la chasse dans les marais du Delta l agri
culture telle qu elle est pratique en Haute gypte,
o
il est ncessaire d irriguer et
d exploiter la moindre quantit
d eau
laisse par la crue. Il semble en fait que le dcor
de la tombe se conforme deux orientations gographiques: l une relle, qu illustre
cet exemple et la confrontation des parois est et ouest; et l autre symbolique, dcou
lant du fait que l hypoge s enfonce dans la montagne thbaine, domaine des morts,
par dfinition l Ouest, comme le montrent les scnes de la paroi adosse la faade
ainsi que la statue stlphore de Nakht, qui dsignent l entre de la salle large comme
la direction de l Orient, alors que cette porte s ouvre en ralit vers le Sud-Sud-Est.
Il en rsulte que, symboliquement, la tombe est un lieu de passage, un point de
contact entre le monde des vivants et celui des morts, tant oriente en mme temps
vers
l un
comme vers l autre: les scnes du mur d entre sont diriges vers le monde
extrieur et celles de la paroi du fond, disposes en sens inverse, se situent dj dans
l au-del, par les allusions au trpas et la rsurrection du dfunt que nous avons
pu relever.
En conclusion, le programme dcoratif de la tombe de Nakht
n est
pas un systme
reprsenta tif, mais bien significatif et fonctionnel: il exprime et assure, par la magie de
l image, la survie du dfunt. Il se traduit dans l espace architectural du monument par
une structure cohrente, qui rpond des impratifs religieux et gographiques, et
voque diffrents aspects complmentaires de la vie post mortem des dfunts.
C est
donc la conjonction de l image, de l inscription et de l architecture qui produit le sens
de l difice, l instar de ce qui se passe dans les temples
l13
.
Cette structure planifie, sa signification profondment religieuse ainsi que les rgles
pharaoniques de la reprsentation pourraient tre ressenties comme des contraintes
pour le dcorateur du monument. Mais le peintre de N akht est manifestement un grand
artiste, et il nous a maintes fois prouv son habilet exploiter et dpasser ces
contraintes pour exercer son art et exprimer son esthtique
1l4
:
l homme qui fait signe
aux tendeurs du filet de pche (pl. VII), les trois jeunes musiciennes (fig. 7), les dites
natures mortes (pl. IV) ou les scnes de la vie champtre (fig. 3 et 4, Pl.
1 1
II, III),
rien dans la fonction de la tombe ou dans celle de l image gyptienne ne l obligeait
monuments: que ces scnes ou ce dcor soient de nature mythologique ou commmorative, ils signi
fient l intgration du dfunt
l Ordre universel, et notamment
la renaissance cyclique qui caractrise
celui-ci.
113 On verra
cet gard les rfrences
l tude de la grammaire du temple prsentes
supra
la
note 12.
114 Sur cet aspect de la recherche artistique des anciens gyptiens, cf.
TEFNIN,
op. cil
p.
60-88.
UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 81
Fig. 11. Dtail d une table d offrande de
la tombe de Benia (TT343).
leur donner la forme qu ils ont reus de sa main. Sa personnalit et son temprament
se manifestent dans les dtails, l o l idologie est moins contraignante. mon sens,
la modernit de ce peintre rside principalement dans son utilisation vritablement pic
turale de la couleur et dans son art de la composition des groupes et des parois entires,
qui tendent vers une unit certaine. Tout ceci fait de la tombe de Nakht une oeuvre
d art part entire, un bel endroit dont la vue rjouit le coeur, comme disent si bien ses
inscriptions.
Dimitri LABOURY
aspirant du FNRS
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7/26/2019 Laboury Nakht
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