l’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · pdf...

147
Faculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 N ICOLA C IANFERONI L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail ? Réorganisation du travail et santé des salariés à La Poste Suisse Mémoire de Maîtrise ès Socioéconomie Directeur : prof. Jean-Michel Bonvin Juré : prof. Michel Oris 2008 – 2009

Upload: trinhquynh

Post on 03-Feb-2018

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

Faculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve

1211 Genève 4

NICOLA CIANFERONI

L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail ? Réorganisation du travail et santé des salariés

à La Poste Suisse

Mémoire de Maîtrise ès Socioéconomie

Directeur : prof. Jean-Michel Bonvin

Juré : prof. Michel Oris

2008 – 2009

Page 2: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

2

Page 3: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

3

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ................................................................................................. 5

PREMIÈRE PARTIE : Présentation de l’étude .......................................................... 8

1. MÉTHODOLOGIE ET TERRAIN.................................................................. 8

2. TRAVAIL ET SANTÉ DES FACTEURS .........................................................23

DEUXIÈME PARTIE : Hypothèses pouvant expliquer un taux d’absence élevé........35

3. INTENSIFICATION DU TRAVAIL...............................................................36

4. DÉSTABILISATION DES COLLECTIFS.......................................................53

5. CLIMAT CONFLICTUEL ..............................................................................64

6. DÉNI DU POUVOIR D’AGIR ........................................................................76

TROISIÈME PARTIE : Critique de la prévention et de la promotion de la santé.......87

7. GESTION DE LA SANTÉ ..............................................................................87

8. PISTES POUR UNE PRÉVENTION PLUS EFFICACE............................... 106

CONCLUSION ................................................................................................... 112

ANNEXES .......................................................................................................... 114

A . L a j o u r n é e d ’ u n f a c t e u r ( o b s e r v a t i o n e x p l o r a t o i r e ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 4

B . T r o i s i è m e p h a s e d u p r o g r a m m e p r o p r é s e n c e ( o b s e r v a t i o n e x p l o r a t o i r e ) . . . . . . . . . . . . 1 1 8

C . R é u n i o n d e b i l a n d u c e r c l e d e s a n t é ( o b s e r v a t i o n e x p l o r a t o i r e ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 9

D . L e t t r e d ’ a c c o m p a g n e m e n t a u q u e s t i o n n a i r e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2 0

E . Q u e s t i o n n a i r e e t r é s u l t a t s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2 1

F . G r i l l e d ’ e n t r e t i e n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 3 5

G . D o c u m e n t « I n f o r m a t i o n à l a c l i e n t è l e » d u 6 n o v e m b r e 2 0 0 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 3 8

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 139

INDEX DES GRAPHIQUES ............................................................................... 145

INDEX DES TABLEAUX ................................................................................... 147

INDEX DES ENCADRÉS ................................................................................... 147

Page 4: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

4

Page 5: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

5

INTRODUCTION

La lecture de la presse ne peut qu’inquiéter : de plus en plus d’articles constatent l’existence d’un malaise ressenti par les salariés sur leur lieu de travail, qui serait lié entre autres au stress, au harcèlement ou au mobbing. Le cas de France Télécom, où ce malaise est à l’origine de 25 suicides et de 15 tentatives au sein du personnel au cours des deux dernières années1, est le plus parlant. Le quotidien zurichois TagesAnzeiger nous a livré un autre exemple concernant La Poste suisse. Dans une série d’articles publiés en 20082, le journaliste Romeo Regenass a témoigné des conditions de travail dans le centre de tri de Zurich-Mülligen. Il explique : « Chrampfen bis zum Umfallen. Stundenlang an der gleichen Maschine. Nie wissen, wie lange man überhaupt noch Arbeit hat. Und das zu einem Lohn von 24 Franken die Stunde, inklusive Ferien- und Feiertagzuschlag. Das ist die Realität von rund 450 Temporärarbeiteitskräften, die seit August 2007 im Briefzentrum Mülligen oder in der Sihlpost am Hauptbahnhof arbeiten. »3 Le journal syndical Comtexte a donné la parole aux salariés d’un autre centre de tri, celui d’Härkingen, dans un article intitulé : « "J’aimerais être traité comme un être humain!". Le travail (temporaire) au centre de tri des paquets de Härkingen : reportage. »4 Ces phénomènes interrogent profondément la relation entre le travail et la santé au sein des entreprises. En nous appuyant sur des données empiriques d’ordre qualitatif et quantitatif, notre but consiste à étudier les conditions de travail d’une grande entreprise tout en évaluant les politiques managériales de prévention et de promotion de la santé qu’elle met en œuvre. Alors que dans une étude précédente nous avons retracé les restructurations des services postaux, de 1987 à 1997, au sein de l’entreprise des Postes, téléphones et télégraphes (PTT)5, cette fois-ci notre étude s’intéresse au travail des facteurs de La Poste Suisse. Nos analyses entendent formuler des éléments de réponse à deux questions. Premièrement, la modernisation de cette entreprise porte-t-elle atteinte à la santé des salariés ? Les services postaux connaissent des restructurations profondes depuis la fin des années 1980, c’est-à-dire depuis que les premiers jalons d’un marché postal à l’échelle européenne ont été posés. Dans cette évolution, la gestion du personnel et le rapport aux usagers de la plupart des entreprises de « service public » se sont rapprochées de ceux des entreprises privées. Deuxièmement, les programmes de prévention et de promotion de la santé constituent-ils un véritable appui pour les salariés ? Dans cette étude, nous nous intéressons tout particulièrement au système de gestion des présences pro présence6 développé par GloboSana, une entreprise spécialisée dans l’élaboration de concepts pour une gestion plus efficace de la santé7. Ce dispositif

1 Cf. article « Nouveau suicide d'un salarié de France Télécom » paru le 15.10.2009 sur le site internet du quotidien Libération (http://www.liberation.fr) 2 Cf. TagesAnzeiger du 27.03.2008, 05.04.2008 et 15.04.2008. 3 « Bosser jusqu’à en tomber. Plusieurs heures à la même machine. Ne jamais savoir pour combien de temps encore on aura du travail. Tout cela pour un salaire de 24 francs l’heure, indemnités de vacances et jours fériés compris: voilà le quotidien d’environ 450 employés temporaires travaillant au centre de tri de Mülligen depuis 2007 ou à la Sihlpost [située à proximité] de la gare centrale [de Zurich]. » Cf. article « Malochen bis zum Umfallen – bei der Post » paru dans le TagesAnzeiger du 27.3.2009 4 Cf. Comtexte du 04.05.2007 5 Cf. CIANFERONI 2007 6 « Pro présence » est la traduction française du terme allemand « pro präsenz » qui désigne le système de gestion des absences développé par GloboSana. 7 Cf. http://www.globosana.ch/

Page 6: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

6

permet d’appliquer la « détection précoce » fixé par la 5e révision de l’Assurance invalidité (AI). Il a été introduit à La Poste en 2006, mais aussi dans d’autres grandes entreprises suisses, comme les Chemins de fer fédéraux (CFF)8 ou la Migros9. Ce travail se compose en trois parties. Dans la première, la démarche vise, d’une part, à exposer les prémisses théoriques et méthodologiques de cette étude en présentant le « terrain » et la méthode (chapitre 1), et, d’autre part, à comprendre la manière dont les salariés perçoivent leur santé (chapitre 2). Dans la deuxième partie, les données empiriques du « terrain » sont utilisées pour tester des hypothèses susceptibles d’expliquer un taux d’absence relativement élevé. Nous en avons retenu quatre : l'intensification du travail due à la réorganisation de la production (chapitre 3), la déstabilisation des collectifs de travail qui pourrait affaiblir les ressources collectives des salariés (chapitre 4), l’existence d’un climat conflictuel dans un cadre où les résistances ne trouveraient pas une expression structurée et légitime (chapitre 5) et la perte du sens que les salariés accordent à leur travail, que nous appellerons le « déni du pouvoir d’agir », qui résulterait d’une nouvelle pratique professionnelle (chapitre 6). Ensuite, dans la troisième partie, nous nous intéressons aux politiques de l’entreprise ayant pour objectifs la prévention et la promotion de la santé au travail, à travers l’exemple du programme pro présence et du cercle de santé (chapitre 7). Enfin, l’étude se conclut avec des propositions pour une prévention de la santé plus efficace (chapitre 8). Même si nous pouvons présumer que tout travail entraîne une usure des corps, nous ne disposons pas des instruments nécessaires pour savoir si le métier de facteur affecte la santé sur le long terme. La vérification empirique d’une telle hypothèse nécessiterait une étude longitudinale permettant de suivre un échantillon de salariés sur une période d’au moins dix ans. C’est pourquoi nous préférons limiter nos analyses à la manière dont les salariés perçoivent leur santé en relation avec les contraintes de l’organisation du travail. Par cette démarche nous souhaitons également approfondir le thème de la souffrance des salariés, non seulement physique mais également psychologique, qui fait l’objet d’un débat sur lequel se sont penchés de nombreux ouvrages. L’objet de cette étude a pour ambition de susciter la discussion, la réflexion et l’action sur les lieux de travail, dans le but de réduire les maladies, les accidents et la souffrance des salariés. Nous serions très heureux si les thèmes développés pouvaient contribuer à élargir la discussion sur le travail et la santé, voire à la susciter lorsqu’elle est encore au stade embryonnaire. Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous tenons à exprimer notre reconnaissance à Peter Marthaler (responsable de la santé à PostMail), à Michel Tschann (gestionnaire de la santé à PostMail) et au directeur de la Région de distribution courrier (RDC), qui constitue notre « terrain », pour leur intérêt et leur soutien. En acceptant de collaborer à cette recherche, ils nous ont permis d’accéder à des informations indispensables tout en respectant la démarche universitaire et indépendante de cette étude. Nous espérons que cette collaboration fructueuse puisse se poursuivre dans d’autres projets. Nos remerciements sont adressés également aux salariés qui ont répondu au questionnaire et qui se sont entretenus avec nous lors des observations exploratoires et des entretiens. Nous exprimons aussi notre gratitude au prof. Jean-Michel Bonvin, pour la disponibilité et le soutien qu’il nous a apportés en acceptant de diriger cette étude, et au prof. 8 Cf. Site internet du Syndicat suisse des mécaniciens de locomotive et aspirants (VSLF – Verband Schweizer Lokomotivführer und Fahrdienstanwärter). Accès : http://www.vslf.com. Consulté le 30 mai 2009. 9 Cf. Site internet de Migros et de la Chambre de commerce de Saint Gall et Appenzell (Industrie- und Handelskammer St.Gallen - Appenzell). Accès : http://www.migros.ch et http://www.ihk.ch. Consultés le 30 mai 2009.

Page 7: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

7

Michel Oris pour la supervision du traitement statistique. Enfin, nos remerciements sont adressés à Anita Rochedy (pour ses corrections du français), à Nicolas Bühler (pour la révision des traductions de l’allemand vers le français) et à toutes les personnes qui ont pris le temps de discuter avec nous mais qui ne sont pas mentionnées ici. Enfin, il va de soi que les opinions exprimées dans ce mémoire n’engagent que son auteur.

Page 8: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

8

PREMIÈRE PARTIE : Présentation de l’étude

1. MÉTHODOLOGIE ET TERRAIN

Le « terrain » : un centre de distribution postale Le « terrain » d’une enquête sociologique désigne les lieux, les espaces et les personnes observés pour donner une base empirique à l’analyse des phénomènes sociaux ; celui de ce mémoire est une Région de distribution courrier (RDC) appartenant à la division PostMail, chargée de la distribution d’une partie du courrier traité par La Poste. Cette division emploie l’équivalent de 17594 personnes à plein temps en 200810. La RDC est située au cœur d’une région urbaine, dans laquelle le courrier est acheminé aux ménages et aux entreprises. Le choix de ce « terrain » est le résultat d’un accord de collaboration négocié entre l’auteur de l’étude et La Poste, avec la caution de l’Université de Genève, qui prévoit principalement trois dispositions. Tout d’abord, le sujet de l’étude porte sur une évaluation des politiques de promotion de la santé au travail mises en œuvre aujourd’hui par La Poste. Ensuite, le traitement et la publication des données empiriques ne doivent en aucune façon porter préjudice ni aux salariés ni à l’entreprise, c’est pourquoi il a été décidé que ni le nom des personnes interrogées ni celui de la RDC ne seront mentionnés. Enfin, les représentants de La Poste nous ont demandé de formuler des propositions concrètes pour améliorer l’efficacité des programmes de prévention et de promotion de la santé. Elles font l’objet du dernier chapitre. Périodiquement, nous avons rendu compte du déroulement de l’étude aux représentants de La Poste, M. Marthaler et M. Tschann, tout en bénéficiant d’une pleine liberté dans la démarche et le développement de nos analyses. Nous tenons également à souligner que La Poste n’a pas participé aux coûts de cette recherche. La plupart du courrier traité provient du centre de tri d’Éclepens : la RDC s’intègre donc à la réalisation du projet REMA (Reengineering Mailprocessing)11, qui permet la fluidification du traitement du courrier. REMA a doté PostMail d’une structure productive souple et capable de mener à bien l’activité malgré les aléas du volume de courrier. Pour cette raison, l’entreprise a introduit des teams composés de cinq à dix facteurs qui coopèrent pour prendre en charge le courrier de plusieurs tournées. Les teams se distinguent principalement par quatre caractéristiques : la responsabilité collective, la polyvalence, le partage du travail et la direction par un teamleader. Au sein du team, les facteurs se partagent le travail dans le cadre prescrit par l’organisation du travail, en tenant compte des contraintes de l’activité et des ressources disponibles. La polyvalence a été introduite pour que les salariés, étant interchangeables, puissent adapter l’organisation de leur team aux fluctuations du courrier. Ce métier, auparavant plutôt individualiste (chaque facteur se voyait attribuer une tournée), a pris ainsi un caractère collectif.

10 Cf. La Poste Suisse, Rapport de gestion, 2008, p. 61 11 Engagé en 2003 et achevé en 2009, REMA permet la centralisation, la standardisation et la fluidification du traitement du courrier à l’échelle nationale, par la construction d’un réseau composé de trois centres de tri principaux, situés sur la ligne ferroviaire du Pied du Jura (Olten–Bienne–Neuchâtel–Yverdon–Lausanne). Il s’agit notamment des centres de Zurich-Mülligen (Est), Härkingen (Centre) et Eclépens (Ouest).

Page 9: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

9

Au sommet hiérarchique de la RDC figurent un directeur, deux chargés de planification et trois chefs de conduite. Ils planifient les ressources, organisent l’application des objectifs de la direction de PostMail et veillent au bon fonctionnement de la RDC. Chaque chef de conduite dirige entre sept et dix teams, en s’entretenant régulièrement avec les teamleaders dont ils sont responsables. À l’échelon inférieur, il y a les teamleaders et les teamleaders-adjoints. Choisis par la direction de la RDC, leur cahier des charges consiste à répartir les tâches entre les différents membres de leur team et à gérer la polyvalence, à organiser le temps de travail, à planifier les vacances, à mener les entretiens annuels d’évaluation et à mener des contrôles. Dans chaque team, travaillent deux catégories de facteurs : ceux dont le contrat est à durée indéterminée et ceux dont le contrat est à durée déterminée. Ces derniers sont des salariés d’appoint, communément appelés « EF 2 »12 ou « distributeurs de base » ; ils sont chargés de soutenir le team dans la distribution. Ne participant pas au tri du courrier, ils ne travaillent que de 8h00 à 12h00 environ. Enfin, les équipes peuvent compter un ou deux facteurs remplaçants. La RDC regroupe également des fonctions transversales, telles que le service qualité, la comptabilité, la gestion de la santé, etc. L’organigramme de la RDC est résumé dans l’encadré no 1. La RDC se caractérise par un taux d’absence moyen d’environ 8%, soit le double de celui de l’entreprise (4%)13 ou de l’ensemble des entreprises suisses (3,7% en 2007)14. Le taux d’absence est très variable, situé entre 5% et 12% de 2007 à 2008 (cf. graphique no 1). La moyenne se situe à 8,38%. Cela signifie que les salariés de la RDC sont absents en moyenne 18 jours par an, si l’on considère qu’un an compte 220 jours ouvrables.15 Le graphique montre que le taux d’absence est plus faible pendant l’été, lorsque la charge de travail diminue. Les absences calculées en heures de travail (cf. graphique no 2) mettent en avant l’importance des maladies, lesquelles constituent en moyenne 76,20% des absences, alors que les accidents non professionnels représentent seulement 17,41% des absences et les accidents professionnels 6,39%. S’agissant de moyennes, ces données ne nous permettent pas de calculer le poids des absences de longue durée. L’intérêt de La Poste consisterait donc à comprendre les raisons d’un taux d’absence relativement plus élevé dans la RDC qui fait l’objet de cette étude.

12 « EF 2 » signifie « échelle de fonction 2 » dans le jargon des postiers. 13 La Poste, Journal du personnel, n. 5/2009, p. 16 14 Cf. Office fédéral de la statistique (OFS), Statistique du volume du travail (SVOLTA). Accès: http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/03/02/blank/data/06.html#parsys_00071 (2.10.2009) 15 L’art. 1 de l’Ordonnance fédérale sur la déduction des frais professionnels des personnes exerçant une activité lucrative dépendante (du 14 décembre 2006) considère qu’un salarié travaille 220 jours par an pour une activité exercée à plein temps.

Page 10: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

10

Encadré no 1 Organigramme simplifié de la Région de distribution courrier (RDC)

Source : documents internes à l’entreprise

Page 11: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

11

Graphique no 1 Indice de présence à la RDC Données : documents internes à La Poste

Graphique no 2 Poids relatif des catégories d’absences en heures de travail

Données : documents internes à La Poste

Page 12: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

12

Méthode Trois observations exploratoires ont été effectuées lors de la première phase de l’étude. Premièrement, nous avons accompagné un facteur tout au long de sa journée de travail, dans une période caractérisée par un volume de courrier très élevé, pour comprendre les contraintes auxquelles les salariés sont confrontés chaque jour (cf. annexe A). Puis, nous avons assisté à une réunion sur la troisième étape du programme pro présence, concernant la prise en charge d’une personne présentant des problèmes de santé (cf. annexe B). Enfin, nous avons assisté à une réunion de bilan du premier cercle de santé de la RDC (cf. annexe C). Les informations recueillies et la littérature sociologique nous ont permis d’avancer quatre hypothèses susceptibles d’expliquer un taux d’absence relativement plus élevé par rapport à la moyenne nationale de l’entreprise.

Nous avons également décidé de réaliser cette étude en nous basant sur des données empiriques quantitatives et qualitatives. Cette double approche permet l’élaboration d’analyses reposant sur des données empiriques. Un questionnaire anonyme a été distribué auprès du personnel de la RDC et des entretiens ont été effectués avec des salariés concernés par le dispositif pro présence. Le questionnaire a été distribué aux salariés par les teamleaders, comme c’est le cas pour les enquêtes annuelles sur la satisfaction du personnel, avec une lettre d’accompagnement expliquant notre démarche (cf. annexe no D). Le taux de réponse est très satisfaisant puisque plus de la moitié des personnes sollicitées (51,8%) ont répondu, 189 salariés sur 365 ayant retourné le questionnaire par courrier postal à l’Université de Genève. L’ensemble des résultats est mis à disposition dans l’annexe E. La saisie et les calculs statistiques ont été effectués en utilisant le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS). Nous avons consacré environ une heure d’entretien à chacun des salariés choisis par les gestionnaires de santé, à savoir trois facteurs, une factrice et une trieuse.

Nous nous sommes également entretenus individuellement pendant une heure environ avec chacun des cinq salariés qui ont été choisis par les gestionnaires de santé de Suisse romande. Il s’agit de trois facteurs, d’une factrice et d’une trieuse. Nous avons adopté une démarche compréhensive, en élaborant une grille d’entretien visant à favoriser une dynamique de conversation (cf. annexe F). pour stimuler les personnes interrogées à parler de leur vécu au travail. Jean-Claude Kaufmann (sociologue et directeur de recherche au CNRS) explique que « la démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures, mais des producteurs actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus ; elle commence donc par l’intropathie. »16 Sur cinq entretiens effectués, quatre ont été enregistrés et retranscrits verbatim tandis qu’un seul a fait l’objet d’une prise de notes, la personne n’ayant pas donné son accord pour l’enregistrement. Les entretiens ne permettent pas de décrire de façon exhaustive le comportement des salariés de la RDC : la grande diversité des réponses reçues nous amène à adopter une certaine prudence quant à leur interprétation. En conséquence, la validation des résultats est du ressort de la direction et des salariés de La Poste qui s’entretiendront avec nous dans la dernière phase de l’étude. Les salariés ont exprimé des sentiments et des opinions très personnels en répondant à nos questions

16 KAUFMANN 2007, p. 26 L’intropathie désigne la faculté de la personne de comprendre ce qu’elle ressent.

Page 13: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

13

pour les entretiens comme pour le questionnaire, raison pour laquelle ces informations sont traitées de manière strictement confidentielle. Il faut néanmoins considérer la possibilité que certaines réponses soient biaisées en raison du statut social de son auteur : à plusieurs reprises, nous avons eu le sentiment d’être assimilés à la direction et à l’encadrement au sens large. Autrement dit, il est tout à fait probable que des salariés ne se soient pas toujours exprimés librement avec nous. Ce biais est parfaitement compréhensible : les entretiens portaient sur un sujet très sensible (santé, gestion des présences, conditions de travail, etc.), chargé de souffrances profondes qui touchent à leur intimité. De plus, une distance culturelle et sociale est difficile à éviter du fait que nous sommes extérieurs à La Poste et que nous appartenons à un milieu – l’université – plus valorisé socialement. Nous nous engageons à respecter le traitement confidentiel des informations de deux manières. D’une part, les propos des salariés ne seront pas directement cités dans cette étude et ne seront pas non plus reportés à des tierces personnes. D’autre part, ne sera reportée aucune indication pouvant permettre l’identification des salariés interrogés. Ne seront pas non plus donnés des exemples concernant le travail de tri : seules les situations concernant les facteurs seront soulevées. Nous avons considéré toutefois utile, parfois, de compléter nos analyses en reportant une ou deux phrases déconnectées de tout contexte personnel et professionnel, sans faire de distinctions entre les entretiens et les remarques apportées aux questionnaires. L’étude s’appuie sur la littérature sociologique française qui s’est principalement intéressée ces dernières années à plusieurs aspects du travail, notre intention étant d’ouvrir la compréhension du sujet à plusieurs regards. Nous pouvons signaler tout d’abord la littérature qui s’intéresse à la réorganisation du travail et aux nouvelles politiques managériales, en cherchant à comprendre la transformation des contraintes qui pèsent sur les salariés. Il s’agit d’auteurs tels que Danièle Linhart, Marcelle Stroobants, Vincent de Gaulejac, Jean-Pierre Le Goff et Jean-Pierre Durand. Nous signalons également la longue enquête sur la condition ouvrière aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard de Stéphane Beaud et de Michel Pialoux. Ensuite, nous avons intégré des ouvrages présentant une approche théorique nouvelle, la psychodynamique du travail, pour comprendre les enjeux liés à l’implication des salariés dans leur activité professionnelle. C’est le cas d’Yves Clot, de Philippe Davezies, de Christophe Dejours et de Fabienne Hanique, lesquels se sont intéressés au sens que les salariés donnent à leur travail. Enfin, nous nous sommes également intéressés aux atteintes que la modernisation des entreprises peut provoquer à la santé des salariés. Ce thème a fait l’objet de nombreuses études en France, notamment celles de Serge Volkoff, Michel Gollac, Annie Thébaud-Mony et Yvan Roy. Dans ces enquêtes, le nombre croissant de salariés touchés par des accidents, des maladies et des suicides à caractère professionnels témoigne de la nécessité d’une véritable politique de prévention impliquant l’ensemble des acteurs concernés : les employeurs, les salariés, les organisations syndicales, les médecins du travail et les chercheurs d’université. D’autres auteurs comme Laurence Théry, Sophie Béroud et Stephen Bouquin se sont intéressés aux formes de résistances que les salariés développent contre l’intensification du travail. Enfin, nous avons lu des articles réalisés sur la poste française et plus particulièrement sur les facteurs. Nous pouvons indiquer le texte de Dider Demazière, qui développe une ethnologie de la tournée du facteur, mais aussi des articles sur la réorganisation du travail dans d’autres secteurs : l’industrie automobile, le centres d’appels, les abattoirs, les chauffeurs routiers, etc. Ces lectures

Page 14: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

14

permettent de saisir les spécificités et les similitudes de la distribution postale par rapport à d’autres métiers. Nous aurions pu nous pencher sur une littérature différente, d’une autre langue (anglaise, allemande ou italienne par exemple) ou adopter une orientation idéologique moins critique à l’égard des pratiques managériales. Cependant, la littérature française qui s’intéresse à l’organisation du travail et aux rapports sociaux au sein de l’entreprise nous a semblé la plus à même de comprendre l’impact que le travail peut avoir sur la santé des salariés et de développer une critique des politiques de prévention et de promotion de la santé. Une certaine prudence est néanmoins nécessaire dans l’utilisation de cette littérature puisque les relations de travail en France ne s’inscrivent pas dans la même tradition que celles en Suisse. À titre d’exemple, une présence et une activité syndicales sur les lieux de travail sont légitimes en France alors qu’en Suisse la conflictualité s’exprime moins souvent par des actions collectives et syndicales puisque les relations entre patrons et salariés sont régies par la « paix du travail »17. Dans une étude, le choix des termes utilisés est important en raison de leur portée idéologique. Autrement dit, le langage est un support par lequel est véhiculée une vision spécifique de la société.18. C’est pourquoi nous tenons à expliciter les raisons qui nous ont amené à choisir le terme « salarié », plutôt que « travailleur », « employé » ou « collaborateur », dans cette étude. Le terme « salarié » nous semble définir au mieux le fait qu’une personne soit contrainte, pour garantir sa propre subsistance, de vendre son temps et sa qualification à une entreprise, en échange d’une rémunération. Cet échange marchand permet à l’employeur de disposer, dans le respect des lois et selon les usages, de ce temps comme il l’entend. Afin de ne pas alourdir le texte, nous utilisons le terme « salarié » au masculin pour désigner à la fois les hommes et les femmes. Caractéristiques socioprofessionnelles des salariés concernés par l’étude Nous pouvons constater tout d’abord qu’un nombre plus élevé d’hommes (71,5%) que de femmes (28,5%) travaille à la RDC. On y trouve surtout des facteurs chargés de la distribution du courrier, qu’ils soient exécutants (57,5%) ou teamleaders-adjoints (4,4%). En moindre mesure, on trouve des salariés qui travaillent à la logistique (15,3%) et au tri (9,6%). Parmi les membres de l’encadrement, il y a un nombre plus important de teamleaders (6,0%) que de cadres (1,4%). Les catégories qui ne correspondent pas à ces critères constituent 5,8% des salariés. Ces données, résumées dans le graphique no 3, reflètent les tâches de la RDC : étant donné qu’il s’agit du dernier maillon de la chaîne qui relie l’expéditeur au destinataire, ce sont surtout des facteurs chargés de distribuer le courrier aux ménages et aux entreprises qui y travaillent. Un nombre réduit de personnes se consacre exclusivement au tri du courrier que les machines ne parviennent pas à traiter. Enfin, le fonctionnement du centre de distribution nécessite aussi l’attribution de tâches relevant de la logistique. À cela, nous pouvons ajouter que la plupart des salariés (67,4%) travaillent à plein temps (cf. graphique no 4).

17 La « paix du travail » désigne une résolution des conflits collectifs entre employeurs et salariés par la négociation, en renonçant à des mesures de lutte comme la grève et le lock-out. En Suisse, la « paix du travail » naît avec un accord signé le 19 juillet 1937 entre syndicats et patronat de la métallurgie et des machines. Cf. Dictionnaire historique de la Suisse. Accès : http://www.hls-dhs-dss.ch 18 Cf. BIHR 2007

Page 15: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

15

Deux variables expliquent le taux d’occupation des salariés. La première est l’ancienneté : la part des salariés embauchés les douze derniers mois avec un contrat à temps plein (13,8%) est bien inférieure à la moyenne (67,4%) (cf. tableau no 1). La deuxième variable est le sexe : la proportion des femmes travaillant à temps plein est inférieure à la moyenne (écart à l’indépendance de – 23,2%). En revanche, la fonction ne semble avoir aucune incidence sur le taux d’occupation. Les écarts à l’indépendance19 reportés dans les graphiques no 5 et 6 montrent une présence féminine plus élevée parmi les salariés à temps partiel (l’écart est de + 14,3% pour un taux d’occupation de 41 à 60%), mais aussi dans le tri et la logistique (+ 14,5%). Nous pouvons considérer que ces données reflètent la « ségrégation horizontale » entre hommes et femmes que l’on retrouve dans la société. En effet, les femmes travaillent souvent à temps partiel, dans les secteurs se caractérisant par des conditions de travail précaires. Selon Marcelle Stroobants (sociologue du travail à l’Université libre de Bruxelles), « au fil des années, la qualité du travail à temps partiel s’est dégradée. Le temps partiel tend à recouvrir des emplois moins rémunérés, moins protégés, moins qualifiés, dotés de moindres perspectives de carrière. De plus en plus, le temps partiel se conjugue avec l’emploi temporaire »20.

Graphique no 3 Répartition des salariés par taux d’occupation à la RDC Données : documents internes à La Poste N = 365

19 Les écarts à l’indépendance mesurent en % les écarts entre les effectifs réels (du questionnaire) avec les effectifs théoriques (ceux que l’on obtiendrait si aucune relation n’existait entre les variables) 20 STROOBANTS 2007, p. 117

Page 16: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

16

Graphique no 4 Répartition des salariés par fonction à la RDC Données : documents internes à La Poste N = 365

Graphique no 5 Écarts à l’indépendance des femmes selon le taux d’occupation à la RDC

Données : documents internes à La Poste N = 365 ; Chi-2 : 0.000

Page 17: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

17

Graphique no 6 Écarts à l’indépendance des femmes selon la fonction à la RDC

Données : documents internes à La Poste N = 365 ; Chi-2 : 0.000

Tableau no 1

Taux d’occupation selon l’ancienneté

Ancienneté

Taux d’occupation

0-1 ans 2-9 ans 10-19 ans 20-29 ans 30-39 ans > 40 ans Total

81-100% 11

(13,8%)

46

(76,7%)

86

(87,7%)

69

(78,4%)

28

(84,8%)

6

246

(67,4%)

61-80% 0

(0,0%)

3

(5,0%)

4

(4,1%)

4

(4,5%)

2

(6,1%)

0

13

(3,6%)

41-60% 51

(63,8%)

6

(10,0%)

8

(8,2%)

14

(15,9%)

2

(6,1%)

0

81

(22,2%)

0-40% 18

(22,5%)

5

(8,3%)

0

(0,0%)

1

(1,1%)

1

(3,0%)

0

25

(6,8%)

Total 80

(100,0%)

60

(100,0%)

98

(100,0%)

88

(100,0%)

33

(100,0%)

6

365

(100,0%) Données : documents internes à La Poste Chi-2 : 0.000

Le graphique no 7 montre que les salariés sont plutôt âgés. Le 31 décembre 2008, l’âge moyen est situé à environ 41 ans et six mois. Nous pouvons constater une faible proportion de jeunes (20-29 ans) et de salariés s’approchant de la retraite (> 60 ans). Nous pouvons expliquer ce dernier constat par la politique favorisant les préretraites, qui est appliquée par La Poste depuis les

Page 18: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

18

années 1990 déjà.21 Enfin, l’âge de la grande majorité des salariés (82%) est compris entre 30 et 59 ans. L’usure des corps pourrait expliquer le taux d’absence relativement élevé qui caractérise la RDC, dans la mesure où des salariés plutôt âgés y travaillent. Ce constat montre l’intérêt d’une étude longitudinale sur l’usure des corps provoquée par le travail. En revanche, les données sont moins homogènes pour l’ancienneté (cf. graphique no 8) : plus d’un cinquième des salariés n’a pas travaillé à la RDC plus de 12 mois (21,9 %) alors que les salariés dont l’ancienneté dépasse les 30 ans est encore plus faible (11,6%). Les données dont nous disposons ne nous permettent de connaître ni les conditions d’embauche à la RDC ni celles de retraite.

Graphique no 7 Répartition des salariés par âge révolu au 28 février 2009 à la RDC

Données : documents internes à La Poste N = 365

Graphique no 8 Répartition des salariés par ancienneté (au 31 décembre 2008) à la RDC

Données : documents internes à La Poste N = 365

21 Cf. La Poste Suisse, Rapport de gestion, 1993, p. 27

Page 19: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

19

Néanmoins, l’ancienneté de l’ensemble du personnel est fortement corrélée avec l’âge des salariés (cf. graphique no 9). Autrement dit, la probabilité de trouver un employé « ancien » dans l’entreprise est liée à l’âge, ce qui n’est pas le cas des entreprises ayant un renouvellement du personnel très élevé. Cette corrélation est statistiquement significative et la relation entre les deux variables est intense : le coefficient de détermination R² est de 0,453 sur une échelle de 0 à 1. L’âge explique donc presque la moitié des variations de l’ancienneté dans une relation linéaire22. Cet indicateur nous laisse supposer une stabilité élevée du personnel qui concerne surtout les salariés à temps plein, dont l’âge dépasse les 30 ans. Cette stabilité nous semble positive dans la mesure où les « anciens » jouent souvent un rôle important dans la transmission des expériences professionnelles et du savoir-faire. Mais elle implique aussi qu’une part importante du personnel est ancrée dans une routine qui ne doit pas faciliter la réception des innovations relatives à l’organisation du travail.

Graphique no 9 Régression linéaire entre l’âge et l’ancienneté Données : documents internes à La Poste N = 365 ; R2 = 0,453

22 Olivier Martin définit la relation linéaire comme suit : « Deux variables entretiennent une relation linéaire entre elles si la variation relative de l’une d’entre elles entraîne immanquablement une variation relative constante de l’autre. Autrement dit, les variables X et Y sont linéairement liées si une variation de p % de X entraîne toujours une variation constante de q % de Y » (MARTIN 2007, p. 88)

Page 20: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

20

Représentativité des personnes ayant répondu au questionnaire En comparant les données fournies par La Poste avec celles du questionnaire, nous pouvons évaluer la qualité de l’échantillon qui a répondu à nos questions. Nous pouvons constater avant tout que les hommes sont surreprésentés de 3,9% par rapport aux femmes, mais cela n’est pas déterminant pour le traitement des données. Ensuite, la fonction des salariés trouve aussi une bonne représentation dans l’échantillon, bien que les teamleaders-adjoints et les facteurs soient sous-représentés de 4,4% (cf. graphique no 10). Quant au taux d’occupation, les salariés à plein temps se trouvent surreprésentés de 10,4% (cf. graphique no 11), ce qui nuit à la représentativité de l’échantillon.

Graphique no 10 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon la fonction

Données : questionnaire (N = 186) ; documents internes à La Poste (N = 365)

Graphique no 11 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon le taux d’occupation

Données : questionnaire (N = 180) documents internes à La Poste (N = 365)

Page 21: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

21

L’âge des salariés est représenté de manière satisfaisante par le questionnaire en raison des écarts dont l’ampleur ne dépasse pas 3,6% pour chaque tranche d’âge considérée (cf. graphique no 12). En revanche, il apparaît clairement que l’échantillon sous-évalue de l’ordre de 14% les salariés dont l’ancienneté ne dépasse pas une année (cf. graphique no 13). Une certaine précaution sera donc nécessaire dans le cadre des analyses bivariées qui touchent le personnel à peine embauché dans l’entreprise.

Graphique no 12 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon l’âge

Données : questionnaire (N = 177) documents internes à La Poste (N = 365)

Graphique no 13 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon l’ancienneté Données : questionnaire (N = 177)

documents internes à La Poste (N = 365)

Page 22: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

22

Dans l’ensemble, toutes les caractéristiques socioprofessionnelles des personnes travaillant à la RDC nous semblent à peu près représentées dans l’échantillon, à l’exception des salariés à temps partiel dont l’ancienneté ne dépasse pas une année. Il apparaît donc que l’échantillon est globalement de bonne qualité et se prête à une analyse empirique du terrain. Une pondération des sous-groupes n’est donc pas souhaitable compte tenu de la taille réduite de l’échantillon: même les écarts les plus élevés ne justifient pas une pondération.

Page 23: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

23

2. TRAVAIL ET SANTÉ DES FACTEURS

Le travail : un déterminant socioéconomique de la santé L’organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »23 L’absence d’une maladie ou d’une infirmité n’est en effet pas toujours synonyme de bien-être. Les différences d’espérance de vie au sein d’une population attestent que les inégalités sociales dans le domaine de la santé n’ont pas disparu. Le Rapport national sur la santé 2008, édité par l’Observatoire suisse de la santé, explique qu’un certain nombre de déterminants socio-économiques peuvent favoriser ou dégrader la santé : ceux-ci « sont ancrés dans une multitude de structures sociales, de conditions de vie et de comportements de santé et s’influencent mutuellement. Il en résulte des types bien définis d’interaction entre facteurs et conditions de risque – mais aussi avec des facteurs de protection, comme le confirment des études scientifiques toujours plus nombreuses. »24 La santé ne serait donc pas uniquement le résultat de choix individuels, mais d’une multiplicité d’éléments dont le caractère relève des structures sociales. Ce rapport regroupe les déterminants de la santé selon trois domaines. Le premier concerne les facteurs socio-économiques et environnementaux, c’est-à-dire les conditions sociales dans lesquelles les personnes vivent, se socialisent et travaillent. Le deuxième a trait aux mœurs et aux styles de vie : la qualité de l’alimentation, la consommation de tabac ou d’alcool, etc. Le style de vie ne dépend toutefois pas uniquement d’une responsabilité individuelle puisque les choix sont tributaires de facteurs sociaux, comme par exemple la socialisation des habitudes et les inégalités sociales. Le troisième domaine est lié aux caractéristiques individuelles comme par exemple l’âge, le sexe et le patrimoine génétique. L’ensemble des déterminants socio-économiques de la santé forme un « système », conceptualisé dans l’encadré no 1, dans la mesure où ils sont étroitement liés entre eux et forment un processus cumulatif. Le rapport explique à ce propos : « On ne saurait trop insister sur le fait que l’un des défis les plus importants du concept de déterminants de santé est de montrer l’interaction entre divers déterminants du point de vue de la santé. » Ensuite, il ajoute que « les déterminants s’accumulent et se renforcent mutuellement dans la vie quotidienne, en particulier dans la vie quotidienne des personnes socialement défavorisées. »25 Le caractère cumulatif des interrelations entre les différents déterminants de la santé explique pourquoi certaines personnes vivent dans une précarité multiforme, touchant à la fois aux conditions de travail, au logement, à l’intégration sociale, etc.

23 Cf. http://www.who.int/about/definition/fr/print.html 24 MEYER 2008, p. 17 25 idem, p. 22

Page 24: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

24

Encadré no 2 Déterminants socioéconomiques de la santé

Source : Dahlgren G. et Whitehead M. (1991), Policies and strategies to promote social equity in health, Stockholm : Institute of Futures Studies, cité in MEYER 2009, p. 20

Cette étude s’intéresse à un déterminant socio-économique de la santé en particulier : les conditions de travail. Selon Serge Volkoff (directeur de recherche au Centre d’études sur l’emploi) et Annie Thébaud-Mony (directrice de recherche à l'École des hautes études en sciences sociales), « les conditions et l’organisation du travail et de l’emploi ont des effets directs sur la santé et sur la production des inégalités sociales de santé. »26 La relation de travail serait, d’une part, une expérience par laquelle les personnes construisent leur identité et, d’autre part, un rapport social qui reproduit les inégalités puisque le choix du métier s’explique souvent par l’origine sociale. Le travail expliquerait aussi les conditions matérielles propres à chaque personne ainsi que l’intégration sociale : c’est-à-dire « la place qu’on occupe dans la société, donc les conditions de vie, de revenu, de logement et de protection sociale, y compris lorsque les personnes sont exclues. »27 Journée type de travail d’un facteur Toute activité professionnelle sollicite le corps des salariés puisque l’utilisation d’objets requiert le mouvement des articulations, la force des muscles, l’engagement émotionnel, etc. La mobilisation du corps des facteurs telle que nous l’avons observée renforce-t-elle ou dégrade-t-elle la santé ? La journée type des facteurs est structurée autour de leur tournée. La taille de cette dernière est calculée en fonction du temps estimé pour le tri et la distribution d’un volume moyen de courrier à un certain nombre de ménages et d’entreprises. Le comptage des envois et le chronométrage des étapes de la tournée permettent d’estimer précisément combien de temps de travail attribuer à chaque personne pour distribuer un certain volume de courrier. 26 VOLKOFF S. et THÉBAUD-MONY, « Santé au travail: l’inégalité des parcours », in FASSIN D., GRANJEAN H., KAMINSKI M. et al. (éds.) 2000, p. 349 27 Ib.

Page 25: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

25

Le facteur entre en service entre 6h00 et 6h30. Jusqu’à 7h00, il le trie le courrier « A »28, tout en préparant les recommandés, les actes de poursuite et les mandats de payement. De 7h00 à 7h30, il confectionne le courrier en liasses. Ces derniers sont réparties dans des sacs qui seront déposés dans des entrées d’immeubles sécurisées situés sur le parcours de la tournée, permettant ainsi au facteur de recharger sa charrette. Entre 7h45 et 8h00, le facteur se rend au quartier où il effectuera la distribution jusqu’à 12h00 ; une pause d’un quart d’heure lui est accordée pour se reposer dans la matinée. De 12h30 à 12h30, il effectue une pause-repas et se rend ensuite aux locaux de la RDC. À partir de 12h45, il trie le courrier « B », pour la tournée du lendemain, tout en traitant les envois non distribués. Un samedi sur deux, le facteur travaille sur sa propre tournée et sur celle d’un collègue, mais ce jour-là il ne trie alors que le courrier « A ».

Encadré no 3 Journée type de travail d’un facteur

Heures et cahier de charges Lieu Intensité Explications de l’intensité

6h00 – 6h30

Entrée en service

-

6h00 – 7h00

Tri du courrier A

Élevée

7h00 – 7h30

Confection du courrier en liasses et tâches administratives (mandats de payement, tri des recommandés, actes de poursuite)

Très élevée

Départ des sacs de dépôt à 7h30 au plus tard

7h45 – 8h00

Déplacement de la RDC au quartier de la tournée

Intérieur (2h)

Élevée Réduction du temps nécessaire au déplacement

8h00 – 12h00

Tournée avec 15 min de pause obligatoire

Extérieur (4h) Moyenne Difficulté à comprimer le temps de la tournée en raison des contraintes topographiques

12h00 – 12h30

30 min de pause obligatoire à midi

- -

12h30 – 15h00

Tri du courrier B et traitement du courrier non distribué

Intérieur (2,5h) Faible Absence de délais contraignants pour terminer le travail

Sources : observations exploratoires

28 Les lettres en courrier « A » parviennent déjà à destination le jour ouvrable suivant alors que les envois en courrier « B » sont distribués au plus tard le troisième jour ouvrable qui suit le dépôt, samedi excepté.

Page 26: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

26

La journée type de travail, résumée dans l’encadré no 3, se caractérise par des rythmes de travail très variables, élevée surtout le matin, auxquels s’ajoutent les intempéries lors du travail à l’extérieur les jours de pluie, de vent et de neige. Nous pouvons l’expliquer par quatre éléments. Premièrement, le volume de courrier à acheminer varie fortement. Aux fluctuations saisonnières (les mois de novembre et décembre sont les plus chargés alors que le volume baisse généralement en été) s’ajoutent les variations quotidiennes : les jours les plus chargés sont le lundi et le mardi ainsi que la fin du mois, en fonction des tous-ménages ou des mandats de payement à distribuer. Deuxièmement, les facteurs doivent respecter des délais surtout le matin, ce qui les amène à accélérer la cadence. Troisièmement, la compression du temps semble plus toucher le tri que la tournée, où la rationalisation se heurte à des contraintes topographiques, techniques et sociales. Quatrièmement, les ressources pouvant être utilisées pour effectuer le travail sont elles aussi variables, selon les absences et le recours à des facteurs à temps partiel, auxquels les teams peuvent faire appel lors de la distribution. Les jours où il y a « de la casse », c’est-à-dire quand les ressources sont largement insuffisantes pour distribuer tout le courrier, la pression amène les salariés à accélérer considérablement leur rythme de travail. Pour les facteurs, c’est « un réflexe naturel » de l’être humain de travailler plus vite quand « on lui met plein de travail dans les bras » : pour garantir la tension au flux, ont-ils d’autres choix que de prendre sur eux-mêmes les défaillances de l’organisation du travail ? L’acheminement du courrier, tout particulièrement de celui prioritaire, ne peut pas être reporté au lendemain et c’est donc au facteur de faire en sorte que le courrier soit livré le jour même. À l’intensité du travail s’ajoute la pénibilité d’une activité menée surtout à l’extérieur. Les facteurs travaillent en dehors des locaux de la RDC entre 4 et 5 heures par jour en moyenne, ce qui fait qu’ils sont très exposés aux variations du climat et aux intempéries. « On est au froid, dedans, dehors, au froid, à la pluie… mais bien sûr qu’on tombe malades. Et puis, moi je suis désolée, mais si j’ai une petite grippe et je travaille au bureau, assise et au chaud, bien sûr que je viens travailler. Mais si je dois sortir… c’est totalement différent » nous a-t-on expliqué. Pendant leur tournée, les facteurs sont en contact permanent avec la clientèle.29 Les aléas du flux de courrier rendent les horaires de travail difficilement réguliers et prévisibles. Un taux d’emploi à plein temps correspond à une moyenne de 41 heures hebdomadaires, mais l’annualisation du temps de travail permet une gestion flexible du personnel. D’après la Convention collective de travail (CCT), cette disposition doit permettre, d’une part, de planifier à long terme l’occupation des effectifs, d’autre part, de réagir à temps aux variations à court terme du volume de travail et, enfin, de tenir compte des besoins des salariés et des équipes30. Il faut préciser que les restructurations et la mécanisation du travail humain ne manqueront pas, ces prochaines années, de bouleverser radicalement la journée du travail que nous avons décrite. Selon Michel Kunz, directeur général de La Poste, du 1er avril au 14 décembre 2009, un projet est à l’étude pour que les journaux soient acheminés tôt le matin, les envois pour les entreprises, en fin de matinée et le courrier privé, dans l’après-midi : « Aujourd’hui, les facteurs trient les envois en fonction de l’ordre des destinataires durant leur tournée de distribution. Afin de baisser nos coûts, ce tri fastidieux se fera de plus en plus souvent mécaniquement. Dans les années à venir, les facteurs seront déchargés de 29 Le terme de « clientèle » est couramment utilisé par les facteurs pour designer les personnes qui reçoivent le courrier. Nous ne parlons donc pas d’« usagers » même si La Poste garde l’image d’une entreprise de « service public ». 30 Cf. CCT « Poste », annexe 3

Page 27: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

27

cette tâche et, si nous ne changeons rien, ils auront terminé leur travail à midi. Grâce à la distribution l’après-midi, nous pourrons éviter de réduire leur taux d’occupation. » 31 Au cours de nos observations exploratoires (cf. annexe A), nous avons rencontré un en proie à de graves douleurs. Quand nous lui avons demandé quelle en était l’origine, elle nous a répondu : « C’est le résultat de presque trente ans de service. Les douleurs sont survenues suite à l’usure de mon propre corps ». Ce témoignage nous amène à questionner la relation que le métier de facteur entretient avec la santé. Dans la distribution postale, les conditions de travail peuvent-elles provoquer des atteintes à la santé sur le moyen-long terme ? Ce métier provoque-t-il une « usure » des corps ? Et si tel est le cas, quelle forme prendrait-elle ? Les données empiriques de cette étude ne suffisent malheureusement pas pour répondre à ces questions. Seule l’application d’une méthode longitudinale, consistant à connaître l’évolution de la santé d’un échantillon de salariés pendant plusieurs années, y apporterait une réponse. Le questionnaire et les entretiens nous donnent la possibilité toutefois de mettre en relation la perception de l’état de santé avec les contraintes vécues dans le travail. Poids, mouvements et outils Au cours des entretiens, nous avons constaté que le soulèvement de charges, les mouvements répétitifs exécutés à un rythme soutenu et les outils de travail non adaptés occupent une place importante dans la mémoire des personnes confrontées à des problèmes de santé. Certains facteurs nous ont expliqué que les charges à soulever ont augmenté au cours des dernières années, à cause des tous-ménages, alors que le temps mis à disposition s’est réduit. « Avant, on avait les lettres et ça allait plus ou moins. Maintenant, on a les tous-ménages qui sont parfois lourds, et on a des délais : il faut faire ce jour-là et pas un autre, qu’on ait du travail ou pas du travail. Donc ça rajoute… » Certains facteurs associent la fatigue aux charges soulevées, aux outils de travail (la charrette et le scooter) et à l’espace restreint (lié à l’aménagement des locaux de la RDC). Parfois, elle peut même générer des maladies ou des accidents. « Quand on a des poids pareils… c’est ça. » Les facteurs que nous avons suivis au cours des observations exploratoires soulevaient des sacs et des caisses, traînaient une charrette très lourde et tenaient les enveloppes sous un bras pour ouvrir les portes des immeubles ou distribuer le courrier aux particuliers. Les facteurs motorisés ne sont nullement avantagés puisqu’ils sont également confrontés au poids de leur scooter, celui-ci devant être soulevé et déplacé après chaque distribution du courrier dans un immeuble. La répétitivité des gestes sollicite un grand nombre d’articulations comme les coudes, les épaules et les mains. La pénibilité des mouvements est couramment associée aux rythmes de travail et à l’espace restreint. Des facteurs nous ont expliqué qu’à partir d’un certain âge des douleurs peuvent apparaître aux articulations. « Les articulations ont été sollicitées beaucoup à cause du poids et de la vitesse des gestes. » Le poids à soulever est-il trop élevé ? La vitesse demandée est-elle trop rapide ? Les directives du chargement maximal des sacs et des caisses sont-elles respectées ? Les informations dont nous disposons ne nous permettent pas de répondre, mais ces questions nous semblent pertinentes si l’on s’en tient aux propos qu’un salarié a exprimé à haute voix, dans le halle de la RDC, le jour où nous avons suivi un facteur (cf. annexe A) : « Si seulement

31 Cf. La Poste Suisse, Rapport de gestion 2008, p. 14

Page 28: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

28

les inspecteurs de la SUVA passaient ici pour peser les sacs, ils sauraient que les normes légales ne sont pas respectées ! » L’inadéquation des outils de travail aux exigences de l’activité a aussi été évoquée à maintes reprises. La hauteur et l’épaisseur des casiers utilisés pour le tri seraient loin d’être ergonomiques, rendant les mouvements plus pénibles. Les facteurs de taille plus petite peinent, par exemple, à remplir les casiers situés en hauteur. Ce même avis a été exprimé à l’égard de la charrette, dont l’ouverture, située à l’extrémité supérieure, obligerait les facteurs à prendre le courrier avec une mauvaise posture. « Regardez-la : nous devons plier notre dos pour prendre le courrier. On a proposé d’équiper les charrettes d’une fermeture éclair, mais la direction affirme que cela coûterait trop cher » nous a-t-on expliqué. Représentativité des récits Les données du questionnaire indiquent de manière plus précise la relation entre la santé et la mobilisation du corps au travail. Nous avons demandé aux salariés quel degré de difficulté présentent les tâches suivantes : soulever et déplacer des charges, travailler à un rythme élevé, respecter les délais, effectuer des mouvements répétitifs, travailler dans un espace restreint, travailler à l’extérieur et gérer les relations avec la clientèle. Les réponses montrent que les difficultés la plus élevée résident dans le travail à un rythme soutenu, dans le respect des délais, l’espace restreint et la répétitivité des mouvements (graphique no 14). Ces difficultés ne sont pas liées à une tâche spécifique (dans la mesure où le facteur peut y être confronté entre le début et la fin de sa journée), mais aux cadences et à l’environnement de travail. Il semble que les situations spécifiques à la tournée (travailler à l’extérieur et en contact avec la clientèle) constituent une contrainte plus faible.

Graphique no 14 « Comment estimez-vous la difficulté des tâches suivantes » Données : questionnaire N = cf. annexe E

Page 29: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

29

Une analyse de composante principale (ACP) permet de mettre en relation l’ensemble de ces données sur un plan à deux axes. Les deux axes du graphique no 15 sont constitués par les deux variables qui expliquent le mieux l’évolution de la variance du modèle : le rythme de travail (34%) et la relation avec la clientèle (21,8%). La qualité globale est confirmée par le résultat significatif du test de Bartlett : 0,000. Nous pouvons distinguer deux groupes de variables, lesquelles répondent à deux logiques distinctes. Autrement dit, les corrélations sont fortes entre les variables à l’intérieur d’un même groupe mais faibles entre celles de groupes distincts. Dans le premier groupe, on retrouve les situations qui nécessitent l’engagement du corps des salariés d’un point de vue physique : il s’agit du soulèvement et du déplacement de charges, du rythme de travail élevé, du respect des délais, des mouvements répétitifs et de l’espace restreint. Nous pouvons supposer que ces difficultés sont liées à la mobilisation du corps sous la pression du flux tendu. Les gestes des salariés peuvent apparaître mécaniques, mais ne sont pas comparables à ceux d’une machine. Roland Gauthy (chercheur à l’Institut syndical européen pour la recherche, la formation et la santé-sécurité) illustre la complexité de gestes qui peuvent paraître simples au premier abord : « Comme on nous l’a sans cesse répété, ce n’est pas avec le dos qu’il faut soulever mais avec les jambes et, surtout, avec le cerveau qui doit intervenir préventivement pour ne pas blesser ce dos. »32 Une cadence de travail élevée pourrait être à l’origine d’un stress rendant plus contraignants les mouvements et le soulèvement des charges, ce d’autant plus si l’espace de travail est considéré restreint.

Graphique no 15 Analyse de composante principale des difficultés à effectuer des tâches

Données : questionnaire Bartlett's Test of Sphericity : 0,000 32 GAUTHY 2007, p. 14

Page 30: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

30

Les situations concernant la tournée se retrouvent dans le deuxième groupe de variables. La relation avec la clientèle et le travail à l’extérieur sont deux activités considérées comme moins difficiles. Travailler à l’extérieur peut être contraignant du fait des contraintes météorologiques et géographiques, mais la plupart des facteurs semble valoriser ce moment de la journée. Nous pouvons l’expliquer par les relations sociales qu’ils entretiennent avec la clientèle lors de la tournée. Il semble aussi que la tournée reste le moment de la journée où le facteur exerce encore une certaine maîtrise sur son temps de travail. Y a-t-il des risques liés aux contraintes organisationnelles ? Au cours des observations exploratoires, nous avons constaté que les facteurs soulèvent souvent des charges de manière peu ergonomique. Nous pouvons supposer que la pression de l’activité augmente le risque que les gestes soient effectués systématiquement dans une posture inappropriée. Une partie non négligeable d’entre eux n’aurait ni le temps ni la concentration requise pour faire attention à la manière dont les mouvements sont effectués, ce qui les empêche de préserver l’intégrité de leur corps. Il faut également ajouter qu’un espace de travail insuffisant augmente le risque de mauvaises postures. Ce constat est partagé par plus d’un tiers des salariés : pour 41,6%, le travail dans un espace restreint comporte un niveau de difficulté très élevé. L’image ci-contre montre pourquoi un mauvais soulèvement de charges est à l’origine de douleurs dorsales.

Exemple de mauvaise posture dans le soulèvement de charges

Source : Brochure « Bien porter. Bien portant » de la Ligue suisse contre le rhumatisme

La compression des temps risquerait également de dégrader les relations avec la clientèle et de pousser à la violation des normes de sécurité au travail. Le port du casque lors de la conduite d’un scooter, le respect des règles de la circulation routière et le poids maximal à soulever ne sont que des exemples parmi d’autres de normes parfois négligées pour que le travail soit terminé dans les temps. Ce serait le cas quand « il faut prendre et il faut y aller » pour respecter les délais lorsqu’il y a une situation inattendue ou une charge de travail élevée. Les résultats du questionnaire nous semblent confirmer cette appréciation : la difficulté à respecter les délais est élevée pour 32,6% des personnes travaillant à la RDC. Les salariés qui sont amenés à violer des normes de sécurité pourraient être doublement sanctionnés. D’une part, le risque qu’un accident survienne est

Page 31: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

31

plus élevé pour eux. D’autre part, l’entreprise et les assurances pourraient attribuer la responsabilité de l’accident aux salariés eux-mêmes puisque les mesures de sécurité prescrites par la maîtrise n’ont pas été respectées. Troubles musculo-squelettiques (TMS) Les maladies consécutives à une exposition prolongée du corps à l’environnement du travail prennent souvent la forme de troubles musculo-squelettiques (TMS). Roland Gauthy définit ces troubles comme « toute affection de l’appareil locomoteur qui se manifeste au travail et qui provoque inconfort, gène ou douleur lors de l’exécution du travail. »33 Il explique l’émergence des TMS par la combinaison de trois ingrédients qui sont : la répétitivité des gestes, le stress et la faible autonomie dans la conception du travail. Aux nuisances de l’environnement du travail s’ajoutent toutefois l’affaiblissement du corps par le travail et le vieillissement (cf. encadré no 4). Si le risque de TMS augmente proportionnellement à l’accumulation des trois variables de ce modèle, il n’y a pas pour autant de fatalité. Une politique de prévention et de promotion de la santé qui agit sur les conditions de travail et sur la prise en charge des premiers troubles de la santé peut réduire considérablement le risque de TMS.

Encadré no 4 Altération de la santé d’un salarié

en fonction des années et des expositions

Source : GAUTHY 2007, p. 16 (adaptation)

33 GAUTHY 2007, p. 12

 troubles  musculo-­‐squelettiques  (TMS)    

affaiblissement  du  corps  par  le  travail  

expositions  aux  nuisances  de  l’environnement  du  travail  

affaiblissement  du  corps  par  le  vieillissement  

Page 32: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

32

Le développement des TMS suit trois étapes34. Dans la première, les douleurs se manifestent seulement durant le travail sans pour autant affecter la productivité ; elles disparaissent ensuite. Dans la deuxième, les douleurs persistent après le travail et motivent souvent les premières visites médicales. Les performances professionnelles commencent à diminuer à ce stade. Dans la troisième, les douleurs sont permanentes, perturbent le sommeil et peuvent entraîner des absences prolongées. Un TMS n’apparait donc pas du jour au lendemain, puisque son développement entraîne une dégradation progressive de la santé. Il n’y a pas de liens automatiques entre les conditions de travail et les pathologies à l’appareil locomoteur. Néanmoins, nous pouvons supposer que les conditions de travail que l’on retrouve à la RDC peuvent accroître la prédisposition aux TMS parmi les salariés. L’activité en flux tendu ne laisse que des marges de manœuvre étroites aux teams puisque la possibilité d’agir sur l’organisation de travail nous semble relative. Auto-évaluation de la santé Au moment de l’enquête, plus de la moitié des salariés considère que sa santé physique et/ou psychique est « mauvaise » ou « passable (cf. graphique no 16). Ces personnes sont les plus exposées à une dégradation ultérieure de leur santé et donc à des absences prolongées. Nous avons également demandé aux salariés s’ils étaient confrontés à des problèmes de santé pouvant se présenter jamais, toutes les deux ou trois semaines ou presque tous les jours. De ces problèmes, nous avons retenu la liste suivante :

- troubles du sommeil (difficultés à s’endormir ou réveils nocturnes) ; - nervosité et irritabilité ; - épuisement physique ; - épuisement psychique ; - douleurs au cou ou aux épaules ; - douleurs au dos ou aux lombaires ; - maux de tête ; - problèmes gastriques ou digestifs ; - problèmes circulatoires (hypertension, vertiges) ; - problèmes cardiaques.

La lecture des fréquences présentées dans le graphique no 17 montre que les problèmes les plus fréquents concernent les douleurs au dos et aux lombaires, ainsi que l’épuisement physique. Ce dernier touche 17,4% de salariés presque tous les jours et 41,3% toutes les deux ou trois semaines. En revanche, 16,8% des personnes souffrent de douleurs dans le dos ou aux lombaires presque tous les jours et 35,2% toutes les deux ou trois semaines. Nous pouvons supposer que le soulèvement et le déplacement de charges ainsi que les mouvements répétitifs soient à l’origine de ces douleurs, le métier de facteur nécessitant une mobilisation importante du corps des salariés.

34 Cf. documentation de l’Agence de la santé et des services sociaux du Québec. Accès : http://www.santeautravail.qc.ca (Page consultée le 12.7.2009).

Page 33: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

33

Graphique no 16 « Globalement, comment évaluez-vous votre condition de santé ? »

Données : questionnaire N = 183

Graphique no 17 « Quels problèmes de santé présentez-vous régulièrement ? »

Données : questionnaire N = cf. annexe E

Page 34: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

34

D’après les données des tableaux no 2 et 3, si 23,8% des salariés souffrent presque tous les jours de douleurs au dos ou aux lombaires, cela concerne 50% des salariés ayant des difficultés à soulever ou à déplacer des charges et 37,7% de ceux ayant des difficultés à effectuer des mouvements répétitifs. Il apparaît clairement que la probabilité d’avoir des douleurs au dos ou aux lombaires est plus élevée pour les salariés rencontrant ces difficultés.

Tableau no 2 Douleurs dans le dos ou aux lombaires

selon la difficulté à soulever et à déplacer des charges

Difficulté à soulever et déplacer des charges

Douleurs au dos ou aux lombaires

Insignifiant Faible Moyen Élevé Total

Pratiquement jamais 2

18 (60,0%)

36 (49,3%)

14 (25,0%)

70 (41,7%)

Toutes les deux ou trois semaines

6 8 (26,7%)

30 (41,1%)

14 (25,0%)

58 (34,5%)

Presque tous les jours 1

4 (13,3%)

7 (9,6%)

28 (50,0%)

40 (23,8%)

Total 9

30 (100,0%)

73 (100,0%)

56 (100,0%)

168 (100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0,000

Tableau no 3 Douleurs dans le dos ou aux lombaires

selon la difficulté à effectuer des mouvements répétitifs

Difficulté à effectuer des mouvements répétitifs

Douleurs au dos ou aux lombaires

Insignifiant Faible Moyen Élevé Total

Pratiquement jamais 5

19 33 (54,1%)

21 (34,4%)

69 (42,1%)

Toutes les deux ou trois semaines

8 10 21 (34,4%)

17 (27,9%)

56 (34,1%)

Presque tous les jours 1

8 7 (11,5%)

23 (37,7%)

39 (23,8%)

Total 14

28 61 (100,0%)

61 (100,0%)

164 (100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0,009

Page 35: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

35

L’analyse des relations que les variables entretiennent entre-elles permet de déterminer si les salariés cumulent certains symptômes. À cet effet, nous effectuons à nouveau une analyse de composante principale (ACP), laquelle permet d’établir un plan constitué par les deux variables expliquant au mieux l’évolution de la variance du modèle : les douleurs au dos ou aux lombaires (30,4%) et les problèmes cardiaques (19,5%). La qualité globale est confirmée par le résultat significatif du test de Bartlett : 0,000. Étant donné qu’il ne s’agit pas de symptômes à proprement parler, l’épuisement physique et psychique n’a pas été retenu dans ce modèle. Nous distinguons à nouveau deux logiques opposées quant aux problèmes de santé ressentis par les salariés (cf. graphique no 18). D’une part, se retrouvent des symptômes consécutifs à une mobilisation excessive du corps durant la journée, lesquels n’ont pas forcement de conséquences immédiates sur la santé. Il s’agit de troubles du sommeil, de nervosité et d’irritabilité, de douleurs au cou ou aux épaules, de douleurs au dos ou aux lombaires, de maux de tête et de problèmes gastriques ou digestifs. Certains facteurs en bonne santé semblent également concernés par ces troubles : « À la fin d’une journée de travail, même moi qui était en bonne santé physique, je sentais quand même des tensions au niveau du dos et de la fatigue dans les épaules, ce genre de choses, oui. » D’autre part, il y a les symptômes liés à des dysfonctionnements du corps dont l’impact est plus aigu sur la santé. Il s’agit des problèmes cardiaques et circulatoires (hypertension, vertiges).

Graphique no 18 Analyse de composante principale des problèmes de santé Données : questionnaire Bartlett's Test of Sphericity : 0,000

Les informations récoltées au cours des entretiens et les réponses au questionnaire révèlent l’intérêt, voire la nécessité, d’étudier l’impact du travail sur la santé des personnes travaillant à la RDC depuis longtemps. Ces connaissances scientifiques seraient très utiles si elles permettaient de réduire l’exposition des salariés aux nuisances de l’environnement du travail.

Page 36: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

36

DEUXIÈME PARTIE : Hypothèses pouvant expliquer un taux d’absence élevé

3. INTENSIFICATION DU TRAVAIL

Flux tendu Lors de la crise économique des années 1970 et 1980, les entreprises tentèrent de dépasser les contraintes d’une production de masse (fordiste) en l’organisant en flux tendu. Dans un contexte de concurrence exacerbée entre entreprises et de forte conflictualité entre capital et travail35, l’augmentation de la productivité tendait à diminuer tandis que la structure de l’entreprise se révélait trop lourde pour faire face à une demande plus diversifiée et moins prévisible. Jean-Pierre Durand (sociologue à l’Université d’Évry) explique que la production en flux tendu est structurée selon les demandes spécifiques et variées du marché : « Ainsi, chaque poste amont (ou chaque sous-traitant ici assimilé à un poste amont) doit livrer au bon moment, en bonne quantité et qualité (c’est-à-dire en juste-à-temps) le poste aval. Les salariés sont moins nombreux (automatisation) et responsables non plus d’une machine, mais d’un segment productif. Il subsiste un flux informationnel d’amont vers l’aval (la planification qui prévoit la présence du brut pour fabriquer), mais celui-ci est dominé ou asservi par le flux informationnel tirant du pilotage par l’aval. Enfin, il n’y a plus de stock commercial final, ni d’encours entre les postes ou entre les segments de production. »36 Travailler en flux tendu peut générer un sentiment d’insécurité, de fragilité et de stress chez les salariés pour deux raisons. D’une part, chaque segment de production est relié à une chaîne invisible qui nécessite une mobilisation permanente des salariés pour assurer que le flux ne soit pas interrompu. D’autre part, le travail s’est complexifié et son organisation requiert la polyvalence, les salariés étant dorénavant responsables collectivement d’un segment productif. La vulnérabilité du flux constituerait donc toute sa puissance. Selon Durand, « (…) elle est un atout managérial, qui à la fois révèle les goulots d’étranglement à traiter d’urgence et met en permanence les salariés sur le pied de guerre, parce qu’ils doivent veiller à ce que le flux soit maintenu tendu. »37 Dans la distribution, le flux est matérialisé par le courrier qui parvient à la RDC et qui doit être distribué selon les délais prescrits. Ce flux est « tendu » dans la mesure où la quantité de courrier et le nombre de salariés pouvant faire face à l’activité sont très variables, alors même que le travail doit être effectué selon les délais prescrits par les normes. La pression s’exerce sur les salariés quand les effectifs planifiés ne correspondent pas aux effectifs réels (maladies, accidents, etc.) et/ou aux exigences de l’activité (dysfonctionnements, événements imprévus, etc.). Les salariés doivent se mobiliser sans cesse pour garantir l’acheminement du courrier quelles que soient les conditions. Le respect des délais et la charge de travail peuvent constituer une contrainte très lourde pour les 35 La conflictualité propre à la Suisse est à relativiser par rapport à d’autres pays comme la France ou l’Italie. Néanmoins, c’est un élément dont il faut tenir compte dans la mesure où la production en flux tendu alourdit la pression sur les salariés qui mènent des actions syndicales « classiques » comme des actions collectives ou des grèves. En conséquence, le conflit entre capital et travail tend à s’exprimer différemment depuis la fin des années 1970. Cf. BÉROUD S., DENIS J.-M., DESAGE G. et al. 2008 ; GROUX G. et PERNOT J.-M. 2008 36 DURAND, 2004, p. 56 37 Idem, p. 61

Page 37: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

37

facteurs, que ce soit lors du tri ou de la distribution, quand ils doivent pallier eux-mêmes les déficiences de l’organisation du travail (par exemple : quantité élevée et inattendue de courrier, livraison tardive ou défectueuse des envois, personnel insuffisant, etc). Deux études sur les conditions de travail De nombreuses enquêtes institutionnelles et universitaires, menées en Suisse et en Europe, témoignent d’une intensification du travail. Nous en retiendrons deux. La première, réalisée en l’an 2000 par Daniel Ramaciotti et Julien Perriard, avait pour but l’évaluation des coûts du stress en Suisse. La seconde est la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail, réalisée en 2005 par la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail. Dans leur étude sur les coûts du stress en Suisse, mandatée par le Secrétariat à l’économie (SECO), Daniel Ramaciotti et Julien Perriard ont demandé à 906 personnes (faisant partie de la population active) d’indiquer avec quelle régularité ces derniers pouvaient être sujets au stress. Plus d’un quart ont répondu « souvent ou très souvent » (26,6%), plus de la moitié « parfois » (56%) et moins d’un cinquième « jamais » (17,4%)38. L’activité professionnelle est indissociable de cette perception puisque les pressions sont ressenties sur les lieux de travail pour 94,5% des répondants et/ou dans la sphère privée pour 40,9% des personnes interrogées39. Ramaciotti et Perriard sont de l’avis que la dégradation des conditions de travail se conjugue avec une augmentation des exigences des individus en matière de santé, mais ils ajoutent que ces deux éléments n’ont pas la même importance : « À la lumière de la littérature actuelle, on peut toutefois penser que la péjoration des conditions de travail joue un rôle prépondérant en raison de quatre facteurs : intensification du travail imputable aux processus de rationalisation, nouvelles méthodes d’évaluation du personnel, augmentation du nombre d’emplois précaires et craintes de licenciement. »40 La quatrième enquête européenne sur les conditions de travail mesure l’intensité du travail par trois indicateurs: « travailler à des cadences élevées », « travailler selon des délais très stricts et très courts » et « ne pas avoir assez de temps pour terminer le travail ». Le rapport constate une intensification du travail, tout particulièrement dans les pays fondateurs de l’Union Européenne : « L’une des tendances les plus frappantes est la hausse, au cours de cette période, des niveaux perçus d’intensité du travail : déjà manifeste en 2000, cette hausse est confirmée dans la plupart des États membres par les enquêtes nationales sur les conditions de travail. Une intensification du travail a été manifestement et régulièrement perçue au cours des quinze dernières années dans la quasi-totalité des membres de l’ancienne UE15. »41 En 2005, la Suisse a participé pour la première fois à cette enquête européenne sur les conditions de travail, ce qui montre une prise de conscience par les institutions des risques que le travail présente pour la santé. Il est toutefois étonnant de constater l’absence de données relatives à la perception de l’intensité du travail en Suisse, que ce soit dans l’enquête européenne ou dans les résultats retenus par le SECO, dans le cas de la Suisse42.

38 Cf. RAMACIOTTI et PERRIARD 2000, p. 42 39 Idem, p. 115 40 Ib. p. 116 41 PARENT-THIRION et al 2007, p. 63 42 Cf. MAGGI, PEKRUHL et al. 2007

Page 38: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

38

Intensification du travail et santé des salariés Il n’y a pas de relation linéaire entre l’intensification du travail et la dégradation de l’état de santé puisque les salariés peuvent développer des stratégies de défense individuelles et collectives pour faire face au stress. Pour Isabelle Gernet (Psychopathologue à l’Université Lille III), ces stratégies ont un rôle crucial dans la préservation de la santé des salariés : « L’entrée dans la maladie s’amorce lorsque les différentes défenses mises en places échouent à conjuguer la souffrance issue de la confrontation à l’organisation du travail. »43 Selon les deux enquêtes mentionnées ci-dessus, l’intensification du travail semble avoir des répercussions négatives sur la santé des salariés. Dans l’étude de Ramaciotti et Perriard, 39% des salariés interrogés ont répondu affirmativement à la question : « Est-ce que le stress a des effets négatifs sur votre état de santé ? »44 Le tableau no 4 montre qu’il existe une relation statistiquement significative entre le stress et la perception globale de la santé. Sur l’ensemble des salariés qui affirment être souvent ou très souvent stressés (26,6%), ceux en mauvaise santé sont en nombre supérieurs à la moyenne (46,6%).

Tableau no 4 Stress selon la perception globale de la santé (en Suisse)

Perception globale de la santé

Stress ressenti Bonne Mauvaise Total

Jamais 143 (18,1%)

15 (12,9%)

158 (17,4%)

Parfois 460 (58,2%)

47 (40,5%)

507 (56,0%)

Souvent/Très souvent 187 (23,7%)

54 (46,6%)

241 (26,6%)

Total 790 (100,0%)

116 (100,0%)

906 (100,0%)

Données : RAMACIOTTI et PERRIARD, 2000, p. 63 Selon les données de la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail, 25% des absences en Suisse sont dues à des problèmes de santé liés à l’activité professionnelle (sans compter 11% d’absences expliquées par des accidents professionnels).45 Le tableau no 5 met en évidence que, dans l’étude de Ramaciotti et Perriard, le nombre de salariés souvent ou très souvent stressés s’absentent plus souvent que la moyenne pour des raisons de santé. Les deux auteurs sont de l’avis que les absences augmentent avec l’intensité du stress. Ils expliquent ainsi cette relation : « D’une part, l’absence peut être interprétée comme la conséquence d’un malaise, en d’autres termes

43 GERNET I. (2009), « Les relations entre santé et travail du point de vue de la psychodynamique du travail », Mouvements, 58, pp 79-84 44 Cf. RAMACIOTTI et PERRIARD 2000, p. 64 45 Cf. MAGGI, PEKRUHL et al. 2007, p. 20

Page 39: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

39

comme un effet du stress. D’autre part, on peut voir dans le fait de s’absenter une forme de protection, afin de se mettre provisoirement à l’abri des pressions ressenties sur le lieu de travail. L’augmentation de la fréquence des absences peut également être liée aux différences qui opposent les personnes plus ou moins stressées en matière de satisfaction au travail. »46 Les salariés de la distribution postale ressentent-ils aussi une intensification de leur travail ? Si tel est le cas, dans quelle mesure l’intensification peut provoquer des atteintes à la santé des salariés sur le moyen-long terme ? Enfin, peut-on expliquer le taux d’absence relativement élevé de la RDC par une intensification du travail ressentie par les facteurs ?

Tableau no 5 Absences pour des raisons de santé selon le stress ressenti (en Suisse)

Stress ressenti

Absences pour des raisons de santé

Jamais Parfois Souvent/très souvent Total

Oui 40 (25,3%)

196 (38,7%)

112 (46,5%)

348 (38,4%)

Non 118 (74,7%)

311 (61,3%)

129 (53,5%)

558 (61,6%)

Total 158 (100%)

507 (100%)

241 (100%)

906 (100%)

Données : RAMACIOTTI et PERRIARD, 2000, p. 69 Densité du travail Le rythme est un indicateur utilisé pour mesurer la cadence du travail ressentie par les salariés de la RDC (cf. graphique no 19). 1,7% des personnes interrogées ont déclaré travailler à un rythme lent (difficulté à suivre le rythme de travail et recours à l’aide des collègues) ; 45,3% normal ; 46,4% rapide et 6,6% intenable (nécessité de courir pour terminer le travail à temps). Moins de la moitié des salariés de la RDC estiment travailler à un rythme normal ou lent : cette proportion nous semble très faible. Nous pouvons remarquer d’ailleurs que ce phénomène concerne l’ensemble des salariés du site : en effet, il n’y a pas de relations statistiquement significatives entre le rythme de travail et la fonction, le sexe, l’âge et l’ancienneté. Le fait de travailler à un rythme soutenu est considéré comme une contrainte pour une part importante de salariés (cf. graphique no 20). Seuls 2,3% des répondants jugent la difficulté de travailler à un rythme rapide « facile », 9,1% la qualifie de « faible », tandis qu’ils sont 40,7% à parler de difficulté « moyenne » et 41,8% à parler de difficulté « élevée ». Il est toutefois étonnant de constater l’absence de liens significatifs entre la perception du rythme et la difficulté à suivre des cadences élevées. La difficulté à respecter les délais est un autre indicateur pertinent pour mesurer la densité du travail. Elle est insignifiante pour 4,7% des salariés, faible pour 17,4%, moyenne pour

46 Cf. RAMACIOTTI et PERRIARD 2000, p. 117

Page 40: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

40

44,8% et élevée pour 32,6%. Plus d’un tiers des salariés estime donc que les délais constituent une contrainte dans leur travail.

Graphique no 19 « En général, à quel rythme travaillez-vous ? » Données : questionnaire N = 181

Graphique no 20 « Comment estimez-vous la difficulté des tâches suivantes ? »

Données : questionnaire N = 176 (difficulté à travailler à un rythme élevé) N = 172 (difficulté à respecter les délais) Des nouvelles normes temporelles La mise en place des teams s’est accompagnée de l’introduction d’un scanner qui enregistre des tâches spécifiques (par exemple : distribution d’un recommandé) ainsi que les étapes qui marquent la journée de travail (par exemple : début et fin du tri, de la tournée, des pauses, etc.). Cet instrument flexibilise la gestion du personnel, ce qui permet la planification de son déploiement en

Page 41: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

41

fonction du flux. Cependant, nous sommes d’avis que le scanner a une finalité supplémentaire : il impose aux facteurs l’apprentissage de nouvelles normes temporelles. En effet, la rationalisation des métiers agit aussi sur le temps et l’espace de chaque salarié. Avec l’introduction du flux tendu dans la production, la gestion du temps est devenue le vecteur par lequel la mobilisation des salariés s’opère. Une quantité donnée de courrier doit ainsi être distribuée dans un temps et un espace donnés. Nous pouvons supposer qu’avec l’introduction des teams et du scanner, les facteurs ont perdu en l’autonomie dans la gestion du temps de travail. Le scanner permet de mesurer les temps afin de réduire ceux dont l’usage est improductif (dits temps « morts ») et de comprimer ceux dont l’usage est productif : il s’agit donc d’un instrument à travers lequel s’opère une rationalisation de la production selon les principes du taylorisme. L’organisation scientifique du travail (OST) vise à déterminer les temps d’exécution de chaque tâche en mesurant les gestes nécessaires à sa réalisation. Parallèlement, le contenu de la tâche est très clairement défini par la prescription, laquelle s’inscrit dans la division du travail qu’on trouve au sein de l’atelier de production. « Ce concept de tâche joue un rôle fondamental car il sert de lien entre l’aspect théorique du problème – la nécessité de la détermination scientifique des temps et des modes opératoires – et son aspect pratique – l’organisation à mettre en place pour déterminer ces temps et ces modes opératoires et pour les faire respecter par les travailleurs »47, explique Michel Pouget. Le taylorisme prévoit également un encadrement rigide des salariés, à travers une surveillance stricte de l’exécution du travail, et l’augmentation des salaires ; l’objectif est d’imposer une baisse généralisée des qualifications et d’assurer le respect des directives. Enfin, au niveau de la structure de l’entreprise, Taylor propose de séparer la conception de l’exécution. Dans l’entreprise « post-fordiste », les méthodes issues des théories tayloriennes sont associées à des nouvelles contraintes, en particulier temporelles, liées aux exigences du flux tendu. La mise en place des centres d’appels dans les entreprises du secteur des services est un exemple emblématique de la compression des temps productifs et improductifs dans les entreprises produisant en flux tendu. Matthieu Amiech nous semble expliquer pertinemment par quels mécanismes les téléopérateurs sont amenés à comprimer les différents temps de leur activité. « Or précisément, en centres d’appels, le travail est la plupart du temps normé et soumis à une exigence de rentabilité. Celle-ci est construite autour de critères tels que le nombre d’appels à traiter, le nombre d’appels tolérés en attente, le nombre de minutes ou de sonneries tolérées avant une réponse, le temps moyen ou limite à consacrer à un interlocuteur, le nombre de contacts argumentés réussis ou d’accords obtenus. »48 La compression des temps se révèle nécessaire pour garantir la tension au flux et pour satisfaire la productivité exigée par l’employeur. Dans le cas qui nous occupe, l’introduction du scanner semble avoir un effet ambivalent sur la densité du travail. La plupart des facteurs nous ont appris que les temps improductifs ont été effectivement réduits depuis son introduction, mais que, paradoxalement, le rythme de travail n’a pas pour autant augmenté D’après le témoignage d’un facteur, aujourd’hui la plupart des salariés « travaillent au rythme auquel faudrait travailler ». Cela s’explique par le fait que les facteurs ne sont plus tenus à terminer leur tournée ou leur journée de travail à une heure précise, ce qui leur

47 POUGET 1998, p. 92 48 Matthieu Amiech, « Les centres d’appels téléphoniques : une certaine idée du service au client », in LINHART et MOUTET 2005, p. 249

Page 42: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

42

permet d’allonger la journée du travail. En baissant leurs rythmes, les salariés auraient ainsi développé une stratégie défensive vis-à-vis des contraintes du flux, en adaptant le nombre d’heures travaillées par jour au volume de courrier. L’abaissement du rythme de travail est un élément, combiné à d’autres comme par exemple les aléas du flux et l’insuffisance des ressources, qui pourrait expliquer la grande quantité d’heures supplémentaires que déclarent les salariés de la RDC (cf. graphique no 21) : 38,3% en effectuent une à trois fois par mois, 38,8% une à trois fois par semaine et 8,9% quatre à six fois par semaine. Seuls 10% n’effectuent jamais d’heures supplémentaires, tandis que 4,4% ne savent pas. Il semble donc que pour presque la moitié des interrogés, il soit courant de rester au travail plus longtemps que les 41h heures moyennes prévues par la Convention collective de travail (CCT). Nous pouvons d’ailleurs constater que, d’après les indications du tableau no 6, ce phénomène concerne davantage les teamleaders-adjoints et les facteurs que les salariés affectés au tri et à la logistique. La fréquence des heures supplémentaires est d’une à trois fois par semaine pour 43,8% des teamleaders-adjoints et des facteurs alors qu’elle est de 15,8% seulement pour les salariés du tri et la logistique.

Tableau no 6 Fréquence des heures supplémentaires selon la fonction

Fonctions

Fréquence heures supplémentaires

Cadre et teamleaders

Teamleaders-adjoints et facteurs

Logistique et tri

Autre Total

Jamais

0

6 (5,7%)

8 (20,5%)

4

18 (10,1%)

1-3 fois/mois 5

34 (32,4%)

23 (59,0%)

7

69 (38,5%)

1-3 fois/semaine 12

46 (43,8%)

6 (15,4%)

4

68 (38,0%)

4-6 fois/semaine 0

15 (14,3%)

0 (0,0%)

1

16 (8,9%)

Ne sait pas 1 4 (3,8%)

2 (5,1%)

1

8 (4,5%)

Total 18

105 (100,0%)

18 (100,0%)

17

179 (100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0.000

Page 43: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

43

Graphique no 21 Heures supplémentaires Données : questionnaire N = 180 La finalité du scanner se heurte ainsi à son utilisation par les facteurs : l’objectivation et l’appropriation du temps de travail semblent faire l’objet d’une lutte, peu visible mais bien réelle, entre l’employeur et les salariés. Danièle Linhart (sociologue à l’Université Paris X et directrice de recherche au CNRS) explique que le temps de travail acheté par l’employeur appartient, de fait, aux deux parties. « Le temps appartient aux salariés parce que ce sont eux qui le vivent, qui lui donnent du sens, c’est par eux que cet usage transite, il se confond avec leurs vies. Mais, si ce temps leur appartient subjectivement, il appartient objectivement à l’employeur qui doit trouver les moyens d’en faire l’usage le plus efficace en contrepartie de l’argent qu’il dépense pour le posséder. »49 Il serait toutefois erroné de considérer cette lutte comme une fin en soi, en la réduisant à sa simple dimension marchande. L’appropriation du temps de travail par les salariés s’inscrit également dans une logique défensive. C’est un moyen pour eux de préserver leur intégrité et leur santé face aux atteintes pouvant être provoquées par le travail. Il apparaît néanmoins que certains facteurs trient pendant leur pause de midi, laquelle est obligatoire mais non rémunérée. Nous avons appris cela lors de notre enquête, mais ne sommes pas en mesure de saisir l’ampleur de ce phénomène. On peut supposer que cela concerne surtout de salariés dont les contraintes familiales sont importantes : par exemple les mères célibataires qui doivent chercher leurs enfants à la sortie de l’école. Ces salariés sont d’autant plus sujets au stress que les contraintes personnelles s’ajoutent à celles professionnelles. Auparavant, les locaux étaient vidés d’office lors de la pause de midi. 49 Danièle Linhart, « Le contrat de travail : un quiproquo fondamental », in LINHART et MOUTET 2005, p. 7

Page 44: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

44

Temps et qualité du travail Le fait de différer, d’abandonner ou de négliger la réalisation de certaines tâches constitue une conséquence possible de l’intensification du travail. 24% des salariés affirment avoir déjà différé, abandonné ou négligé la réalisation de certaines tâches afin de terminer leur travail à temps. Ce n’est pas le cas pour 73,2% tandis que 2,7% affirment de ne pas savoir (cf. graphique no 22). Cela ne touche pas un sous-groupe particulier du personnel. La fréquence de tels événements n’est pas non plus très élevée pour ceux qui ont répondu affirmativement à cette question : une à trois fois par mois pour 66,7% des salariés, une à trois fois par semaine pour 22,2%, trois à cinq fois par semaine pour 2,2% et tous les jours pour 2,2% (cf. graphique no 23). Même si ce phénomène touche une partie restreinte du personnel, il concerne avant tout les salariés qui effectuent un grand nombre d’heures supplémentaires. Le graphique no 24 montre que l’écart à l’indépendance croit avec la fréquence des heures supplémentaires. L’écart est plus élevé (+ 4,6%) pour les salariés qui effectuent des heures supplémentaires entre quatre et six fois par semaine.

Graphique no 22 « Vous arrive-t-il de différer, d’abandonner ou de négliger la réalisation de certaines tâches… » Données : questionnaire N = 183

Page 45: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

45

Graphique no 23 Fréquence des tâches différées, abandonnées ou négligées Données : questionnaire N = 45

Graphique no 24 Écarts à l’indépendance des salariés ayant différé, abandonné ou négligé des tâches selon la fréquence des heures supplémentaires

Données : questionnaire N = 177 ; Chi-2 : 0.000 D’après ces indicateurs, l’intensification du travail permet à la plupart des salariés de distribuer une quantité de courrier élevée dans les normes temporelles établies par la maîtrise. Il y a toutefois une minorité non négligeable du personnel (24%) qui diffère, néglige ou abandonne des tâches. Ce phénomène ne semble pas pour autant très fréquent. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de connaître son évolution au cours des dernières années.

Page 46: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

46

Le travail s’est-il densifié dans la distribution postale ? D’après le témoignage d’un facteur, dans les années 1980, avant les premières restructurations des PTT, sa tournée se composait d’environ 600 ménages. Aujourd’hui, il se retrouve à distribuer le courrier à 1000 ménages pour le même temps de travail. Le fait que les salariés associent cette augmentation à une charge de travail supplémentaire nous laisse supposer que le volume et le poids du courrier par ménage n’ont pas diminué de manière inversement proportionnelle. Bien au contraire, le poids du courrier semble avoir augmenté, en raison des tous-ménages qui se sont ajoutés aux enveloppes classiques. L’intensification du travail n’est pas toujours imputable à un événement particulier. Pour Bernard Dugué (sociologue à l’Université de Bordeaux II), souvent « les choses se dégradent plus subrepticement, par touches successives. C’est ce dont témoignent fréquemment les salariés : "Ça s’est fait progressivement", "on a du mal à dire depuis quand les conditions de travail ont vraiment commencé à se détériorer", "on a commencé par faire des heures supplémentaires de temps en temps", "petit à petit, on avait moins de temps pour discuter avec les collègues, et maintenant le petit café, c’est terminé". »50 La tournée a été chronométrée et rallongée au fil des années, permettant ainsi de rationaliser la tournée de chaque facteur selon les principes de l’organisation scientifique du travail (OST). Il serait toutefois erroné de considérer l’intensification du seul point de vue de l’augmentation des tâches et de la quantité de travail en un temps déterminé. Pour Philippe Davezies (médecin du travail à l’Université Lyon I), il faut également considérer une dimension qualitative : « L’intensification implique à la fois accélération et standardisation. Elle repose sur des modes d’évaluation de plus en plus abstraits qui s’opposent à la prise en compte des situations particulières. Les activités les plus complexes (traitements de dossiers, vente de produits, réparations de machines, prise en charge de patients) sont ainsi évaluées sur la base d’indicateurs statistiques comme s’il s’agissait d’actions élémentaires répétées à l’identique. »51 De ce point de vue, la standardisation de l’activité provoquerait des atteintes à la santé de ceux qui, « tout en s’efforçant de satisfaire aux exigences abstraites de la hiérarchie, ne se résignent pas à laisser couler la qualité. »52 Nous développerons cet aspect dans le sixième chapitre de cette étude. Mises en cause de la réorganisation du travail La polyvalence a été introduite pour que les salariés, considérés interchangeables, puissent adapter l’organisation du team aux exigences du flux tendu. Le travail des collègues absents, par exemple, est pris en charge par les autres facteurs du team : c’est la pratique des « mutuelles ». Pour consolider cette polyvalence, les facteurs sont amenés à pratiquer « l’alternance » en effectuant périodiquement les différentes tournées du team. Auparavant, le travail des absents était toujours effectué par des facteurs « remplaçants ». Dans quelle mesure l’alternance et les mutuelles peuvent-elles expliquer une intensification du travail dans la distribution postale ? L’impact de ces innovations sur l’activité (qualité du service, charge de travail, etc.) est considéré comme négatif par 45,7% des salariés, ni négatif ni positif par 25,8% et positif par 22,6% 50 Bernard Dugué, « La folie du changement », in THÉRY 2006, p. 96 51 DAVEZIES 2006, p. 2 52 Idem, p. 3

Page 47: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

47

(cf. graphique no 25). La plupart des facteurs détestent faire l’alternance parce qu’ils la considèrent comme une contrainte supplémentaire plutôt qu’un outil pour mieux remplacer les absents. « Avant on faisait les mutuelles sans alternance, de toute façon ». En effet, les facteurs doivent effectuer des tournées qu’ils ne connaissent que sommairement et se retrouvent désorientés face à de « petits changements » tels que les déménagements, les mariages, etc. Nous pouvons supposer que la méconnaissance de la tournée est ressentie comme une contrainte qui s’ajoute à la pression de l’activité. Dans son enquête réalisée auprès des facteurs de la poste française, Didier Demazière (sociologue à l’Université de Versailles) relève que « l’appropriation des particularités de la tournée passe par un apprentissage sur le tas, propre à acquérir une connaissance précise, indexicale, intime, du territoire de travail. »53 L’alternance ne permettrait aux facteurs ni d’acquérir, ni de maintenir une connaissance intime du territoire. Cette connaissance permet d’effectuer le travail en mobilisant toutes les ressources cognitives accumulées avec l’expérience. Tous les petits changements qui touchent aux foyers (déménagements, divorces, décès, etc.) ou les rangées de boîtes-aux-lettres dans les entrées, se révèlent ainsi un obstacle qui empêche de travailler de manière efficace et rapide. Les facteurs interrogés à la RDC ne voient pas toujours le sens de ce nouveau procédé : « Les alternances, je trouve que ça sert à rien ». En revanche, les facteurs ne semblent pas s’opposer au principe des mutuelles. « Pour les mutuelles, on prend deux ou trois entrées et puis on s’en va ». Ils s’opposent plutôt au fait qu’ils doivent parfois les effectuer pour des absences longues (par exemple : congé maternité d’une factrice), les remplaçants ayant progressivement disparu.

Graphique no 25 « Selon vous, quel est l’impact de ces nouveaux processus sur l’activité ? »

Données : questionnaire N = 186

On pourrait supposer que La Poste ne ferait pas d’efforts suffisants pour expliquer aux salariés les raisons de l’alternance et des mutuelles, mais ce n’est pas le cas si l’on considère les

53 DEMAZIÈRE 2005, p. 132

Page 48: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

48

réponses au questionnaire (cf. graphique no 26). Seulement 2,7% des salariés ne se sentent « pas du tout » associés à la mise en place de ces nouveaux processus (par des réunions, de la communication en interne, etc.), 10,7% « pas vraiment », 34,2% « oui, un peu » ; et 46,7% « oui, tout à fait » ; tandis que 6% affirment « ne pas savoir ». La promotion et la vente de certains services ont progressivement été introduites dans la distribution. Cela concerne l’aide pour l’ouverture d’un compte PostFinance, la vente de vignettes autoroutières, etc. Ces tâches s’ajoutent à la distribution ordinaire du courrier et sont vécues comme une contrainte supplémentaire par plus de la moitié du personnel de la RDC (cf. graphique no 27) : 11,5% des salariés interrogés sont de l’avis que ces nouveaux services n’alourdissent « pas du tout » la charge de travail ; 18,0% « pas vraiment » ; 32,8% « un peu » ; et 20,2% « tout à fait » ; 17,5% des salariés affirment de « ne pas savoir ». Nous ne sommes toutefois pas en mesure de déterminer si à la charge de travail physique s’ajoute aussi une pression psychologique, liée à des objectifs de vente à atteindre.

Graphique n. 26 « Vous sentez-vous associé à la mise en place des nouveaux processus (alternance et mutuelles) par des réunions, de l’information, etc. ? »

Données : questionnaire N = 184

Page 49: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

49

Graphique no 27 « Selon vous, l’introduction de ces nouveaux services alourdit-il la charge de travail ? » Données : questionnaire N = 183 Adaptations à l’accélération des cadences La plupart des salariés se sont exprimés plutôt négativement sur les nouveaux procédés liés à la réorganisation du travail. Cependant, nous avons aussi eu connaissance de facteurs qui ne sont pas de cet avis. Il semble utile de s’attarder sur les raisons de cette divergence afin de comprendre pourquoi certains salariés se sont mieux adaptés que d’autres à la réorganisation du travail. L’alternance et les remplacements peuvent en effet rompre avec la monotonie du métier à partir du moment où ces nouveaux procédés sont maîtrisés par le facteur. Il faut également mentionner les mécanismes de sélection que les salariés rencontrent tout au long de leur parcours professionnel. Nous pouvons supposer, par exemple, qu’un facteur s’adapte plus facilement à la polyvalence s’il l’a déjà pratiquée auparavant dans un autre métier, où le travail est très dense, comme par exemple dans l’industrie ou la restauration. Il apparaît aussi que les facteurs les plus anciens s’adaptent mieux à l’intensification du travail, en raison de leur expérience et de leur savoir-faire, même si pour eux « c’est difficile après de longues années de boîte ». Ce constat pourrait d’ailleurs expliquer le renouvellement élevé du personnel jeune à peine embauché. Enfin, il est important de souligner l’ambivalence qui caractérise l’impact du travail sur la santé des salariés. Le travail peut être à la fois source de souffrance et de plaisir. Cet aspect est mis en évidence par Michel Gollac (sociologue) et Serge Volkoff : « Si on réussit à prendre les choses à son compte, le travail peut être un élément de bonheur tout en envahissant la vie. En revanche, quand les défenses de l’individu sont débordées, le travail devient le lieu de souffrances intenses. »54 Il semble toutefois que la souffrance prend le dessus sur le plaisir quand la densité du travail est très élevée pendant une longue période. Michel Gollac et Serge Volkoff précisent que même les salariés les plus expérimentés peuvent difficilement supporter des rythmes de travail très élevés sur le moyen-long terme : « L’intensité excessive du travail polarise l’activité du travailleur

54 GOLLAC et VOLKOFF 2007, p. 63

Page 50: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

50

sur ce qui s’impose comme urgent. Elle restreint la place de l’anticipation, de l’imagination, de l’innovation personnelle. Ces restrictions de l’activité créatrice peuvent être supportées, voire appréciées sur le moment, mais elles risquent de créer ou de renforcer des traits de personnalité fortement nuisibles à l’individu lui-même. »55 Il faut aussi ajouter que les facteurs commencent le travail très tôt le matin et sont de service plusieurs samedis par mois : ils ne bénéficient donc pas du même temps de repos et du même rythme de vie que la plupart des salariés, soit un sommeil pouvant se terminer un peu plus tard dans la matinée et deux jours de congé par semaine. Ces conditions ne favorisent pas la récupération de la fatigue physique et psychique, ce qui pourrait faciliter l’adaptation à la pression du flux tendu. Absences considérées illégitimes Les contraintes de l’organisation du travail en flux tendu, associées à une accélération des cadences, ont rendu les absences illégitimes aux yeux de certains salariés. Les mutuelles peuvent alourdir considérablement la charge de travail quand il y a des absents au sein du team. Les facteurs n’ont pas d’autre alternative que de prendre en charge une quantité de travail supplémentaire. Le flux tendu ne laisse aucune marge pour les délais d’acheminement du courrier. « Quand il y a plusieurs collègues malades en même temps, réussissez-vous à faire face à l’activité ? Oui mais alors [souffle] ! C’est dur. Oui, on fait face. On n’a pas le choix de toute façon. Il faut tout distribuer. Eh oui ». En conséquence, les absents font l’objet d’une stigmatisation de la part des facteurs qui sont contraints d’effectuer le travail à leur place et les absences ne sont plus toujours tolérées par les collègues, voir elles ne trouvent plus aucune justification plausible. « On connaît tous ceux qui vont en boîte le vendredi soir et qui, samedi, ne sont pas là. Mais ça aussi ça met de la tension. Parce que nous, de suite, si on est malades, on est pris comme eux, alors ça, ça va pas. » En conséquence, les salariés n’oseraient plus être malades pour éviter la pression de la part des collègues et des supérieurs. « On a l’impression que pour eux nous, on fait exprès. » Les collègues ne se retiennent pas de dire ouvertement à leurs pairs qu’une absence n’était pas légitime tandis que les supérieurs peuvent « lui faire comprendre cela » implicitement. Les réponses apportées au questionnaire semblent confirmer cette appréciation (cf. graphique no 28). Il est déjà arrivé à 64,8% des facteurs de renoncer (« ça passera ») ou de différer (« j’attends encore deux ou trois jours ») une visite chez le médecin, de crainte de nuire à l’activité du team par leur absence. Seulement 30,8% affirment que cela ne leur est jamais arrivé tandis que 4,4% ne savent pas. Parmi les réponses affirmatives, 29,8% des facteurs ont renoncé ou différé une visite médicale une fois les douze derniers mois, 26,4% deux fois et 36,4% trois fois ou plus ; 3,2% ne savent pas (cf. graphique no 29). Ces fréquences révèlent l’ampleur d’un phénomène qui va à l’encontre d’une pratique efficace de prévention et de promotion de la santé. Selon le graphique no 30, les écarts à l’indépendance des salariés qui ressentent régulièrement, ou presque tous les jours, de l’épuisement physique et/ou psychique sont plus élevés parmi ceux qui ont renoncé ou différé une visite chez le médecin. L’ampleur de ce phénomène n’indique pas seulement la pression ressentie par les salariés, mais aussi la solidarité qu’il y a au sein des teams. Dans un contexte dominé par les contraintes du flux tendu, nous pouvons supposer que les salariés ne souhaitent pas que leurs absences pèsent sur les collègues qui prennent en charge le travail à leur 55 Idem, p. 62

Page 51: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

51

place. Ce sont deux éléments contradictoires qui peuvent coexister : les salariés peuvent renoncer ou différer une visite chez le médecin à la fois pour éviter les dénigrements et pour être solidaires. Le propos suivant nous semble bien montrer cette contradiction : « On va aussi travailler quand on est malades parce que… bon, il y a deux choses : des fois on a peur aussi, mais si c’est des bons collègues, on ne veut pas que ce soit eux qui doivent assumer. Ce n’est pas comme une autre profession, où si vous êtes malades, vous êtes malades… un chauffeur de bus, s’il est malade… quelqu’un doit le remplacer, c’est différent. »

Graphique no 28 « Vous est-il arrivé de renoncer ou de différer une visite chez le médecin de contrainte de nuire à l’activité ? » Données : questionnaire N = 182

Graphique no 29 « Si vous avez renoncé à une visite chez le médecin… cela vous est arrivé… »

Données : questionnaire N = 121

Page 52: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

52

Graphique no 30 Écarts à l’indépendance des salariés qui ont différé ou renoncé une visite chez le médecin selon l’épuisement physique ou psychique Données : questionnaire N = 165 (épuisement physique) et 170 (épuisement psychique)

Chi-2 : 0,001 (épuisement physique) et 0,005 (épuisement psychique) L’intensification du travail, une hypothèse vérifiée ?

Les indications qui nous ont été fournies laissaient croire que les salariés affectés à la distribution avaient ressenti une intensification du travail au cours des dernières années. En effet, les délais à respecter, associés à une quantité de travail plus importante (tant par le nombre que par le poids des lettres à distribuer), semblent leur imposer de nouvelles contraintes. Pour Dominique Lhuilier et Malika Litim, le stress ressenti par les salariés témoigne des difficultés à supporter des rythmes de travail élevés : « la prégnance de la référence au stress dans le monde du travail révèle l’écart croissant entre l’augmentation des exigences et la réduction des moyens pour y répondre : ce ne sont pas les épreuves du travail qui sont "stressantes" mais l’impossibilité de les surmonter et la souffrance associée émerge d’un développement empêché, d’une amputation du pouvoir d’agir. »56 L’effet de l’intensification du travail sur les absences paraît ambigu pour deux raisons. D’une part, des rythmes de travail insupportables peuvent provoquer des atteintes à la santé. D’autre part, l’organisation du travail semble avoir délégitimé les absences, ce qui fait que les salariés n’oseraient plus être malades de peur d’être stigmatisés par les collègues. Nous pouvons supposer que sur le long terme, le renoncement ou le désistement à une visite chez le médecin peut aggraver les conséquences de l’intensification du travail sur la santé des personnes souffrant d’épuisement physique et psychique. Retenir cette hypothèse comme plausible interroge directement les éléments de l’organisation qui sont à l’origine de l’intensification du travail perçue par les salariés, afin d’agir sur les causes plutôt que sur les conséquences des maladies et des accidents. 56 LHUILIER D. et LITIM M. (2009), « Le rapport santé-travail en psychologie du travail », Mouvements, 58, p. 89

Page 53: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

53

4. DÉSTABILISATION DES COLLECTIFS

Un lieu de coopération et de soutien à l’activité professionnelle Les salariés, quel que soit le métier qu’ils exercent, ne travaillent jamais seuls, mais coopèrent avec d’autres personnes pour produire des biens ou des services. Selon Yves Clot (psychologue du travail au Conservatoire national des arts et métiers à Paris), dans l’acte de la coopération, chaque salarié exprime la solidarité à l’égard de lui-même lorsqu’il effectue les efforts nécessaires pour travailler. De ce point de vue, la coopération entre salariés est d’autant plus visible lorsqu’ils perdent de l’emprise sur leur travail. C’est ainsi que « les ressorts de l’activité sont laissés vacants et, du coup, ce qu’il y a de finalement irréductible dans le "facteur humain", à savoir "la solidarité de l’être entier avec l’effort exigé de lui" n’est devenu que plus apparent. »57 Autrement dit, les salariés coopèrent au sein d’un collectif pour qu’ils soient en mesure de mener le travail en dépit des aléas qui caractérisent la production. La coopération permet aux salariés de trouver, parmi leurs collègues, des appuis indispensables à la réalisation du travail. C’est au sein des collectifs que les salariés partagent leurs expériences professionnelles, leurs valeurs éthiques et le sens que donnent à leur engagement dans le travail. Ces collectifs produisent un « genre professionnel » qu’Yves Clot et Daniel Faïta (ergonome à l’Université de Provence) définissent en ces termes : « Il y a donc entre le prescrit et le réel un troisième terme décisif que nous désignons comme le genre social du métier, le genre professionnel, c’est-à-dire les "obligations" que partagent ceux qui travaillent pour arriver à travailler, souvent malgré tout, parfois malgré l’organisation prescrite du travail. »58 Les salariés peuvent faire appel au collectif de travail quand ils se trouvent dans l’obligation de trancher entre des injonctions contradictoires (par exemple : impossibilité de concilier les exigences de productivité et de qualité), quand l’action nécessite la transgression des normes prescrites ou quand les ressources sont insuffisantes pour travailler correctement. Clot et Faïta ajoutent que « sans la ressource de ces formes communes de la vie professionnelle, on assiste à un dérèglement de l’action individuelle, à une " chute " du pouvoir d’action et de la tension vitale du collectif, à une perte d’efficacité du travail et de l’organisation elle-même. »59 Or, une série d’éléments, comme la gestion individualisée du personnel, nous amènent à énoncer l’hypothèse selon laquelle la réorganisation du travail aurait un effet déstabilisateur sur les collectifs de salariés, dans la mesure où ceux-ci ne parviendraient plus à être un lieu de coopération et de soutien à l’activité. Pour Danièle Linhart, « les politiques d’individualisation constituent une méthode assez radicale pour décrocher des salariés de leurs collectifs de travail. Retenons par exemple les innovations salariales qui introduisent des modulations des salaires en fonction des résultats, ou bien l’instauration de carrières ouvrières individualisées qui désolidarisent de fait les salariés. »60 La nouvelle gestion du personnel ainsi que l’émergence d’autres formes de sociabilité (par exemple la formalisation de cercles sur différents thèmes, opposés aux collectifs de travail classiques) valorisent en effet la dimension individuelle du travail, ce qui constitue un paradoxe, les

57 CLOT 2008, p. 124 58 CLOT et FAÏTA 2000. p. 9 59 Idem. p. 9 60 LINHART 2004, p. 84

Page 54: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

54

salariés étant plus individualisés alors même que le travail nécessite davantage de coopération (dans la distribution postale, c’est le cas de la division du travail au sein des teams). Désorganisations du travail et atteintes à la santé des salariés Pour certains auteurs comme Danièle Linhart, la déstabilisation des collectifs de travail ne permettrait plus aux salariés de partager leurs expériences professionnelles, ce qui constituerait « une atteinte aux sources de la production des savoirs, savoir-faire, savoir-être productif ensemble, aux sources des connaissances informelles que ces mêmes directions souhaitent aujourd’hui mobiliser dans les conditions nouvelles de transparence d’échange et de réciprocité. »61 Cette atteinte pourrait avoir des conséquences néfastes sur le travail lui-même (augmentation du risque d’accident, désinformation, etc.). L’activité peut en effet se révéler dangereuse pour les salariés ne parvenant pas ou plus à s’appuyer sur les ressources cognitives qui sont partagées au sein des collectifs. Le risque serait d’autant plus élevé que l’organisation du travail en flux tendu exige une mobilisation permanente de la part des salariés. Dans son ouvrage très documenté, Annie Thébaud-Mony illustre de quelle manière les salariés précaires des entreprises de sous-traitance sont plus sujets à des expositions favorisant les maladies et les accidents, à cause justement de ce manque de savoir-faire et de leur isolement des autres salariés. L’histoire de Gaetano, que relate Annie Thébaud-Mony, nous semble emblématique des risques encourus par les intérimaires dans des situations où le respect des règles de sécurité est primordial. Gaetano est jeune ouvrier qui avait été embauché comme intérimaire pour une mission de manutention dans une entreprise sidérurgique en France (Usinor-Sacilor). « Gaetano tente d’expliquer au chef d’équipe que ce travail-là, il ne l’a jamais fait, que ce n’est pas prévu par son contrat de mission d’interim. Il essaie de dire qu’il ne "se sent pas" de monter si haut avec un chalumeau qu’il ne sait pas manier… Il voudrait refuser cette tâche dont il entrevoit les dangers sans pouvoir les apprécier à leur juste mesure. Les délais fixés par la filiale d’Usinor-Sacilor sont plus que justes pour effectuer le travail prescrit. » S’agissant d’un travail dangereux pour lequel une qualification, un savoir-faire et de l’expérience sont nécessaires, les ouvriers travaillant en contrat à durée indéterminée auraient pu refuser cette tâche sans formation spécifique préalable. Gateano ne dispose ni des ressources cognitives nécessaires ni d’un collectif de travail sur lequel appuyer sa décision de ne pas d’effectuer ou non un travail si dangereux. De plus, un refus risquerait de rompre ses relations avec l’agence d’intérim dont il dépend pour recevoir des missions jour après jour. « Si Gaetano ne monte pas tout de suite, ils ne parviendront pas à respecter les délais. Ils n’ont pas le choix. Il faut accomplir le travail dans le temps octroyé, coûte que coûte, sans rechigner, parce que les futurs marchés de l’entreprise sous-traitante avec cet important donneur d’ordres en dépendent. Gaetano est donc monté, équipé d’un harnais et muni de ce chalumeau qu’il maniait pour la première fois. Il a effectivement coupé la tôle. Mais la tôle a coupé le harnais. Il est tombé de neuf mètres de haut. Il a été tué sur le coup. »62 La dureté des conditions de travail, associée aux contraintes du flux tendu et l’inexistence d’un collectif de travail stable, peut amener, comme dans le cas de Gaetano, à la violation des protocoles de sécurité les plus élémentaires. Cela a été également le cas dans d’autres accidents 61 Idem, p. 88 62 THÉDAUD-MONY, 2008, pp. 24-25

Page 55: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

55

graves qui ont fait la une de la presse italienne ces dernières années : on se souvient notamment le cas des trois ouvriers de l’usine Saras, une entreprise de pétrochimie, décédés à Sarroch, en Sardaigne, le 26 mai 2009, alors qu’ils avaient été chargés par une entreprise sous-traitante de nettoyer une citerne au cours d’une opération de maintenance. La citerne n’aurait pas été totalement assainie comme les normes de sécurité le prescrivent. Le quotidien italien La Repubblica explique que « gli operai possono intervenire solo successivamente con maschera e respiratore dopo che una serie di apparecchiature hanno accertato l' assenza di gas letali. Questi rigidi protocolli di sicurezza ieri pomeriggio, evidentemente, non sono stati messi in pratica. La bonifica con l' azoto, probabilmente, non ha concluso il suo ciclo e nel deposito è rimasto idrogeno solforato, una miscela micidiale che uccide all'istante. »63 Le premier est décédé lors de la maintenance et les deux autres n’ont pas survécu alors qu’ils souhaitaient aider leur collègue. Véronique Daubas-Letourneux (sociologue au CNRS et à l’Université Paris XIII) partage ce même avis quant au rôle des collectifs défaillants comme condition de risque dans une organisation en flux tendu : « Les accidents survenant aujourd’hui sont très souvent liés à un contexte d’urgence, conduisant à penser qu’il est plus exact de parler de prises de risques organisées que de "comportements à risque" de la part des salariés, qui parfois paient cher ce temps "gagné" sur les délais de production ou de livraison. »64 L’accident à l’usine Saras met en évidence la méconnaissance des normes de sécurité et l’incapacité des ouvriers à porter secours à leur collègue sans se mettre en danger eux-mêmes. « Certo è che gli operai non avevano le dotazioni di sicurezza prescritte. Una tragedia, dunque, che appare per niente casuale o imprevista »65 explique le quotidien italien. Nous pouvons ajouter à cela que les autres ouvriers du site industriel ne s’étaient rendu compte de rien, ce qui met en évidence la fragilité des collectifs de travail et montre que l’isolement des salariés représente un danger. Dans son propos, Véronique Daubas-Letourneux ajoute que parallèlement « à cette pression temporelle, la déstructuration des collectifs de travail ou encore la position dominée de l’entreprise à l’échelle du marché de l’emploi – particulièrement forte dans les situations de sous-traitance – sont aussi des éléments à interroger dans la survenue d’un grand nombre d’accidents du travail. »66 Lorsque les collectifs ne parviennent plus à produire le genre professionnel, les salariés risquent de perdre les points de repères qui leur sont nécessaires pour mener à bien leur travail. Si tel était le cas, il serait plus difficile de travailler correctement, en maintenant au même niveau la productivité et la qualité du travail, tout en respectant les normes de sécurité. Or, dans la RDC qui fait l’objet de cette étude se trouvent des salariés intérimaires (dont le contrat de travail est à durée déterminée), mais aucun sous-traitant : tous travaillent directement pour La Poste. La sous-traitance est développée pour d’autres tâches, comme par exemple la distribution des sacs de dépôt sur le parcours de la tournée. Lors de nos observations exploratoires (cf. annexe C), nous avons rencontré

63 Op cit. 27.9.2009. « Les ouvriers peuvent intervenir seulement l’un après l’autre, munis de masque et de respirateur, après qu’une série de mesures aient confirmé l’absence de gaz mortels. Ces protocoles de sécurité rigides n’ont pas été évidemment appliqués. L’assainissement de la citerne avec de l’azote n’a pas conclu son cycle et il est resté dans le dépôt de l’hydrogène sulfuré, une substance meurtrière qui tue sur le champ. » 64 DAUBAS-LETOURNEUX (2009), «Accidents du travail : des blessés et des morts invisibles», Mouvements, 58, p. 35 65 La Repubblica, 27.9.2009. « Il est certain que les ouvriers ne disposaient pas des normes de sécurités prescrites. Une tragédie, donc, qui ne doit rien au hasard où aux imprévus » 66 DAUBAS-LETOURNEUX 2009, op. cit., p. 35

Page 56: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

56

des facteurs déboussolés qui ne parvenaient plus à identifier les collègues rattachés à leur propre team. Nous pouvons ainsi avancer l’hypothèse que les contraintes du flux tendu, le renouvellement du personnel (tout particulièrement les salariés auxiliaires et/ou embauchés à temps partiel) ainsi que la difficulté de réaliser correctement le travail pourraient déstabiliser les collectifs de travail, générant des situations à risque pour la santé des salariés. Le travail intérimaire, une brèche dans les collectifs de travail ? Pour faire face à l’activité, les teams peuvent faire appel au personnel temporaire, nommé « EF 2 » (échelle de fonction no 2), qui est embauché à temps partiel par La Poste. Cette catégorie de salariés n’a pas la même maîtrise du travail que les facteurs fixes, mais donne plus de marge aux teamleaders dans la planification des ressources. Ils soulagent ainsi les facteurs en prenant en charge une partie de leur travail. « Ils n’ont pas la même connaissance que nous, mais on peut déléguer du travail simple. » Les « EF 2 » ne sont pas intégrés dans un team au même titre que les facteurs stables. Nous avons appris que plusieurs salariés temporaires bâclaient leur travail en fin de matinée, allant jusqu’à ne pas terminer toute la tournée. Sont-ils directement responsables de cette attitude qui nuit indiscutablement à la qualité des prestations fournies par l’entreprise et qui alourdit la charge de travail des facteurs stables ? Il ne semble pas véritablement qu’ils aient vraiment le choix. Selon certains facteurs, « il y en a qui font le temps partiel le matin chez nous et ont un autre emploi l’après-midi. Donc ils ne peuvent pas ajuster les deux. » Cette configuration pourrait supposer l’existence d’une opposition entre salariés « stables » (anciens, pour la plupart de sexe masculin, travaillant à plein temps) et « précaires » (surtout des jeunes et/ou femmes travaillant à temps partiel et à peine embauchés). C’est du moins la segmentation que certains chercheurs ont trouvée de manière récurrente dans d’autres entreprises. C’est le cas par exemple d’une usine de la périphérie barcelonaise, qu’a étudiée José Angel Calderon (sociologue à l’Université Paris X). Lors de ses observations, celui-ci a constaté que dans cette usine les anciens ouvriers réussissaient encore à travailler en se basant sur des valeurs comme la solidarité ou l’entraide, à la différence de leurs collègues précaires. La réorganisation du travail et la pression du chômage a conduit l’entreprise à engager un autre groupe d’ouvriers, dont l’implication dans l’activité est plutôt limitée. « Il s’agit de salariés précaires, ceux-ci cherchent avant tout à s’acquitter de leur tâche, mais la dimension collective, celle qui permet la socialisation du vécu, est absente. Cette absence implique à son tour moins de ressources pour intervenir de manière autonome sur l’organisation du travail, et pour réussir à imposer ses propres exigences et valorisations. Ainsi, le temps passé en usine est vécu de manière fortement négative et comme déconnecté des autres temps sociaux. »67 On pourrait supposer qu’une telle segmentation se manifeste avant tout par une méconnaissance des collègues du team, du moins pour les salariés temporaires. D’après les réponses des salariés de la RDC, cela ne semble pas être le cas puisque seulement 4,8% des salariés ne connaissent « pas du tout » ou « pas vraiment » les collègues de leur team (cf. graphique no 31).

67 CALDERON J. A., « Précarité et mobilisation au travail. Une immersion en chaîne de montage », in LINHART 2008, p. 272

Page 57: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

57

Graphique no 31 « Connaissez-vous bien tous les collègues de votre team ? » Données : questionnaire N = 185 Cette appréciation est toutefois à nuancer si on considère le temps d’emploi et l’ancienneté dans l’entreprise. Le tableau no 7 montre que la proportion de salariés ayant répondu « oui, tout à fait » est plus élevée au sein des personnes travaillant à plein temps (64,7% sur une moyenne de 59,6%). Il faut également retenir que ce type de salariés est surreprésenté par rapport à la population de la RDC à hauteur de 10,4% dans l’échantillon du questionnaire. Les données qui rendent compte des rapports qu’entretiennent les collègues du team, ne nous amènent pas à conclure qu’il y a une segmentation entre salariés « stables » et « précaires », liée à un manque de socialisation de la part de ces derniers. Ces données vont à l’encontre de l’hypothèse de la segmentation même si une certaine prudence dans leur interprétation nous paraît nécessaire. Malheureusement, le questionnaire ne permet pas d’approfondir cet aspect. Les salariés parviennent-ils à coopérer ? Un nombre très élevé de salariés (80,4%) affirme pouvoir faire appel à l’entraide entre collègues lorsque la charge de travail est importante. Ce chiffre montre que la coopération est très présente au sein des collectifs de travail. L’entraide est d’ailleurs une ressource considérée bien plus importante que le personnel supplémentaire (16,4%) ou le soutien des supérieurs (12,7%), l’entraide permettant donc aux facteurs de faire face à l’activité malgré le stress ou la « casse » : « C’est l’entraide, voilà. Mais ça marche ! Même moi qui suis… qui n’y arrive pas avec le stress, ça allait tout seul. » Seuls 4,8% des salariés disent ne pouvoir faire appel à aucune ressource (cf. graphique no 32). La faible importance accordée au personnel supplémentaire nous amène à formuler l’hypothèse selon laquelle le soutien des salariés temporaires (« EF 2 ») est considéré négligeable soit parce que leur nombre est jugé insuffisant, soit parce qu’ils ne soutiennent pas véritablement les

Page 58: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

58

teams, ne sachant pas travailler efficacement selon les besoins du collectif. Les informations dont nous disposons ne nous permettent pas d’approfondir ce point.

Tableau no 7 Connaissance des collègues selon le taux d’occupation

Taux d’occupation

Connaissance des collègues

0-40% 41-60% 61-80% 81-100% Total

Non, pas du tout 1 0 (0,0%)

0 2 (1,4%)

3 (1,7%)

Non, pas vraiment

0 4 (13,3%)

0 1 (0,7%)

5 (2,8%)

Oui, un peu 0 14 (46,7%)

4 45 (32,4%)

63 (35,4%)

Oui, tout à fait 1 12 (40,0%)

3 90 (64,7%)

106 (59,6%)

Ne sait pas 0 0 (0,0%)

0 1 (0,7%)

1 (0,6%)

Total 2

30 (100,0%)

7

139 (100,0%)

178 (100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0.000

Graphique no 32 « À quelles ressources le team peut-il faire appel lorsque la charge de travail est importante ? »

NB : Plusieurs réponses ont été retenues Données : questionnaire ; N = 189

Page 59: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

59

Les teams sont tout à fait capables de faire face à une charge de travail importante et imprévue pour 51,6% des salariés, un peu pour 29,7%, pas vraiment pour 7,1% et pas du tout pour seulement 3,8% (cf. graphique no 33). Ces chiffres semblent indiquer que la cohésion des collectifs de travail permet aux salariés de mobiliser les ressources collectives pour faire face aux contraintes du flux tendu. Nous pouvons constater une relation statistiquement significative entre l’entraide comme ressource et la capacité des teams de faire face à une charge de travail élevée. Le graphique no 34 montre que l’écart à l’indépendance concernant l’entre-aide en tant que ressource est plus élevé parmi les salariés persuadés que leur team a la capacité de faire face à une charge de travail importante (+ 6,4%).

Graphique no 33 « Votre team a-t-il la capacité de faire face à une charge de travail importante et imprévue ? » Données : questionnaire N = 182

Graphique no 34 Écarts à l’indépendance des salariés qui considèrent l’entre-aide comme une ressource selon la capacité du team de faire face à une charge de travail élevée

NB : Plusieurs réponses ont été retenues Données : questionnaire

N = 182 ; Chi-2 : 0.001

Page 60: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

60

Cadres et salariés face aux difficultés des teams Pour deux tiers des salariés (66,1%), les problèmes rencontrés au sein des teams sont réglés avant tout avec les collègues. Ils ne sont que 20,1% à s’adresser à leurs supérieurs et 9,5% à n’entreprendre aucune démarche (cf. graphique no 35). Cet indicateur met en évidence qu’il existe une certaine cohésion au sein des collectifs de travail, attestant ainsi que les salariés partagent des normes informelles, ce qui leur permet de travailler ensemble. L’ambiance ne semble toutefois pas être exempte de tensions et de conflits, contrairement à ce qu’affirment 4,2% des personnes interrogées. Le graphique no 36 montre toutefois que l’attitude vis-à-vis des collègues diffère selon le taux d’activité. Les écarts à l’indépendance montrent que la pratique consistant à régler les difficultés avec les collègues est plus présente parmi les salariés travaillant à plein temps (+ 5,7%)

Graphique no 35 « Que faites-vous en cas de difficultés ou de tensions au sein du team ? »

NB : Plusieurs réponses ont été retenues Données : questionnaire ; N = 189

Graphique no 36 Écarts à l’indépendance des salariés qui règlent les difficultés avec les collègues selon le taux d’occupation

NB : Plusieurs réponses à la question ont été retenues valides Données : questionnaire ; N = 180 ; Chi-2 = 0.014

Page 61: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

61

Le faible nombre de salariés faisant appel aux cadres en cas de difficulté est à considérer positivement. Dans son étude sur les guichetiers d’un bureau postal en France, Fabienne Hanique a constaté que la déstabilisation du collectif de travail suite au réaménagement des locaux s’était répercutée sur l’attitude des salariés vis-à-vis de leurs supérieurs. Les vitres séparant les buralistes des clients ont été enlevées et les salariés se trouvent désorientés. Les voix des clients perturbent en effet les échanges d’entraide entre les buralistes. « Rapidement, les agents repèrent que l’éloignement des collègues entraîne aussi un tarissement des ressources cognitives et une altération des ingrédients de la coopération… » En conséquence, les buralistes s’adressent de plus en plus aux cadres pour pallier aux difficultés. « Conscients de leurs difficultés, les guichetiers tentent alors de compenser une partie du déficit cognitif généré par la nouvelle configuration en ayant recours aux chefs d’équipe. »68 Hanique ajoute que malgré leur bonne volonté, les cadres n’étaient pas en mesure de compenser totalement la perte de ressources cognitives. En effet, l’aide des cadres ne pouvait compenser qu’ « une partie seulement de ce déficit cognitif, puisque les agents savent qu’ils ne peuvent espérer trouver dans les réponses des représentants de la hiérarchie qu’un rappel réglementaire. Le reste, c’est-à-dire les "petits trucs", les règles de conduite localement et collectivement élaborées pour faire face à ce que la prescription exogène seule ne peut suffire à traiter, n’est plus accessible. »69 Hanique souligne donc l’importance des normes informelles permettant aux salariés d’ajuster l’organisation de leur travail aux exigences de l’activité. Si, à la RDC, les cadres ne sont pas très sollicités lorsque des difficultés ou des tensions surviennent, leur attitude semble toutefois correspondre aux attentes de la plupart des salariés (cf. graphique no 37). Une large proportion de salariés (57,3%) affirme que les supérieurs les consultent afin de trouver des solutions en commun. Ils ne sont que 13,5% à considérer que les supérieurs décident seuls quelles sont les solutions les mieux adaptées et 7,3% à trouver que les cadres ne prennent pas d’initiatives particulières. Ils sont très peu à n’avoir jamais rencontré de difficultés ou de tensions (5,1%). Il convient toutefois de souligner que 16,9% déclarent ne pas savoir.

Graphique no 37 Attitude des supérieurs en cas de difficultés ou de tensions Données : questionnaire ; N = 178 68 HANIQUE 2004, p. 179 69 Idem

Page 62: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

62

L’attente envers les cadres et envers les chefs de conduite que nous avons identifiée concerne précisément le soutien que les salariés peuvent recevoir face aux difficultés rencontrées dans l’activité. Cette attente est définie comme une capacité à être « vraiment à l’écoute » en identifiant la demande exprimée par les facteurs, de façon à pouvoir y répondre convenablement. Certains facteurs ont constaté une nette amélioration des rapports avec l’encadrement depuis la nomination de nouveaux chefs de conduite, lesquels auraient été capables d’instaurer un véritable « feeling avec les gens ». Cela ne semble pas avoir été le cas auparavant, où un chef de conduite, en particulier, avait des pratiques discutables. Suite au lancement d’une pétition, la situation a changé. Le tableau no 8 montre l’importance de la réponse qu’apportent les cadres aux difficultés et aux tensions. Les résultats des démarches entreprises après consultation du personnel sont considérés positifs par plus des deux tiers des interrogés (69,3 %) alors que presque personne ne les perçoit négativement. Aux yeux des salariés, les démarches auraient donc une probabilité plus élevée d’être positives quand les cadres adoptent une attitude plus soucieuse de l’avis des premiers intéressés.

Tableau no 8 Résultat des démarches prises en cas de tensions ou de difficultés

en fonction de l’attitude des supérieurs

Attitude des supérieurs

Résultat des démarches prises en cas de tensions ou de difficultés

Les supérieurs consultent le personnel

Les supérieurs décident seuls

Les supérieurs ne prennent pas d’initiatives

Les supérieurs ne prennent pas d’initiatives particulières

Ne sait pas Total

Positifs 70

(69,3%)

5

2

2

3

(10,0%)

82

(46,9%)

Ni négatifs, ni positifs

25

(24,8%)

12

7

0

8

(26,7%)

52

(29,7%)

Négatifs 1

(1,0%)

5

2

0

2

(6,7%)

10

(5,7%)

Aucune démarche 1

(1,0%)

1

1

4

2

(6,7%)

9

(5,1%)

Ne sait pas 4

(4,0%)

0

1

2

15

(50,0%)

22

(12,6%)

Total 101

(100,0%)

23

13

8

30

(100,0%)

175

(100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0.000

Page 63: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

63

La déstabilisation des collectifs du travail, une hypothèse vérifiée ? Les informations qui sont à notre disposition ne nous permettent pas d’affirmer que dans la RDC les collectifs de travail sont particulièrement déstabilisés. Bien au contraire, ils semblent capables de supporter la réorganisation du travail en vigueur depuis les années 1990. La coopération entre collègues et l’attitude des cadres auraient permis aux collectifs de travail d’ajuster le « genre professionnel » auquel les salariés peuvent se référer pour faire face à l’activité. Ce serait grâce aux collègues et aux supérieurs, les deux étant perçus comme de véritables ressources, que les facteurs parviennent à « tenir le coup » et à mener leur travail « jusqu’au bout » malgré les aléas et les contraintes du flux tendu. Nous ne pouvons donc pas confirmer la deuxième hypothèse susceptible d’expliquer le taux d’absence, notamment la déstabilisation des collectifs de travail. Plutôt que de laisser le team en difficulté face aux contraintes du flux tendu, les salariés semblent rétifs à s’absenter pour des raisons de santé. Néanmoins, il n’est pas à exclure que cette configuration puisse changer les années à venir. Le départ des salariés anciens peut miner les collectifs de travail si le renouvellement du personnel récemment embauché, des jeunes surtout, reste élevé. À cela, il faut ajouter que la mécanisation du tri impliquera une mise en question bien plus profonde des collectifs de travail bâtis sur une pratique professionnelle partagée pendant de longues années, dont les origines remontent aux PTT.

Page 64: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

64

5. CLIMAT CONFLICTUEL

Une conflictualité à double tranchant Dans une entreprise, les conflits peuvent prendre plusieurs formes. Nous en distinguons deux : l’une « verticale » et l’autre « horizontale ». La première oppose les salariés à la direction de l’entreprise alors que la deuxième traverse les collectifs de travail. Historiquement, la conflictualité « verticale » a trouvé son expression dans la « coalition ouvrière », laquelle s’affirme pour diminuer les effets de la mise en concurrence des salariés. Pour Guy Groux (directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique – CNRS) et Jean-Marie Pernot (chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales – IRES), la reconnaissance des syndicats n’a pas eu des conséquences négatives pour le patronat. « Le droit de coalition vise à réduire les effets de concurrence ou de divisions qui existent entre les salariés en échange de l’acceptation par eux des principes de l’économie de marché, cet échange se faisant d’autant plus aisément qu’il implique aussi des pratiques redistributives plus ou moins importantes, selon les périodes. »70 Manifestation concrète de la « coalition ouvrière », la grève a souvent fait l’objet de répression de la part du patronat et de l’État, avant d’avoir été institutionnalisée et intégrée dans un « compromis social » entre capital et travail. Cela est d’autant plus vrai pour la Suisse, qui est un des rares pays industrialisés à avoir institué une « paix du travail absolue ». Groux et Pernot considèrent la grève comme un instrument permettant à la fois la régulation sociale et la production de droits sociaux en faveur des salariés. Quand la grève est fortement réprimée, taboue, voire interdite, « rien d’étonnant à ce que la conflictualité s’exprime de façon sourde (absentéisme, freinage de la production). Le conflit devient "conflit du silence" et le nombre de grèves est alors dérisoire (…). »71 La conflictualité « horizontale », quant à elle, oppose les collègues d’un même collectif de travail. La littérature sociologique traitant les conflits de travail, sur laquelle nous nous sommes appuyés, se focalise peu sur les conflits entre les salariés eux-mêmes, et privilégie plutôt une approche mettant en avant la dimension verticale de la conflictualité. Cette forme de la conflictualité touche à ce que les salariés définissent comme l’« ambiance ». Dans une enquête menée aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard de 1983 à 1999, Stéphane Beaud et Michel Pialoux relèvent que pour les ouvriers, l’ambiance, « c’est avant tout la possibilité de se retrouver entre soi, entre copains du groupe de travail, proches par caractéristiques culturelles et rassemblés par le fait d’être soumis sur le même lieu aux mêmes contraintes, d’avoir à affronter les mêmes chefs. »72 Selon le point de vue de Beaud et Pialoux, le rapport au travail est médiatisé par le rapport aux collègues constituant le collectif de travail. Une « bonne ambiance » indique une solidarité et une intégration intenses des salariés. « C’est la certitude acquise dans le temps qu’on parviendra à faire vivre (contre d’autres, contre les chefs…) cette maîtrise pratique du savoir technique, ces "coups de main", qui ne peuvent s’acquérir que dans un rapport d’intense familiarité avec les copains et qui exigent aussi qu’on soit protégé contre l’intrusion d’autres personnes, qu’on soit

70 GROUX et PERNOT 2008, pp. 42 71 Idem, p. 22-23 72 BEAUD et PIALOUX 2004, p. 176

Page 65: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

65

placé au milieu d’un groupe relativement homogène. »73 Par opposition, la mauvaise ambiance se caractérise par la solitude éprouvée par chacun des salariés ; la coopération n’en est pas forcément affectée. « C’est d’abord le fait de devoir affronter seul le monde des chefs, d’être plongé dans le monde des "jalousies". »74 Or, si nous avons constaté que les collectifs de travail semblent faire preuve de stabilité face aux contraintes du flux tendu, ils ne sont pas pour autant épargnés par les conflits et les tensions que le flux tendu peut faire naître. Seuls 4,2% à 5,1% des salariés (cf. graphiques no 35 et 37) n’y ont jamais été confrontés. Nous avons d’ailleurs perçu un climat très tendu lors de nos observations exploratoires lorsque nous avons visité les locaux de la RDC.75 La gestion individualisée du personnel ainsi que les contraintes du flux tendu peuvent favoriser la naissance de divisions entre les salariés. Notre hypothèse est que la conflictualité n’oppose pas seulement les salariés à la direction, mais traverse aussi l’intérieur des collectifs de travail. En réaction, certains salariés pourraient ainsi être conduits à adopter des stratégies défensives ou de retrait, qui pourraient se manifester, par exemple, par des absences plus fréquentes et/ou plus longues. Nature des rapports de travail Selon nous, la conflictualité est rattachée à la nature salariale des rapports de travail. Dans le respect des lois et des coutumes, l’entreprise s’efforce à combiner le plus rationnellement possible la force de travail collective avec le capital fixe nécessaire à la production de marchandises (machines, matières premières, etc.). Pour Thomas Coutrot (économiste en France à la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES) rattachée au Ministère du Travail), « la rationalité capitaliste élémentaire consiste à acheter des équipements, des matières et la force de travail des salariés, puis à diriger le plus efficacement possible la rencontre entre ces divers ingrédients dans le processus de production ; enfin à vendre au mieux les produits. »76 La rationalité vise ainsi à échanger les marchandises produites à une valeur plus élevée par rapport au prix des composantes de la production, de façon à pouvoir dégager des profits et assurer sa pérennité. La quête de cette rationalité se traduit par une pression exercée sur les conditions de travail et par une attitude proactive vis-à-vis des entreprises concurrentes. Thomas Coutrot ajoute que l’efficacité « implique par définition de faire pression sur les coûts, d’accroître la productivité du travail, de réduire les temps morts, de limiter la hausse des salaires… en même temps que de rechercher des "niches" sur les marchés, abritées de la concurrence et où l’on pourra pratiquer les prix les plus élevés possible. »77 Les salariés peuvent développer des résistances vis-à-vis de la réorganisation du travail menée par l’entreprise, afin de maintenir une emprise sur leur temps de travail, sur leurs capacités et sur leur intégrité ; autrement dit, sur tout ce qui leur appartient subjectivement.

73 Id. 74 Id., p. 177 75 Il est néanmoins fort possible que notre présence ainsi que le statut de l’étude soient partiellement ou entièrement à l’origine de cette tension, celle-ci pouvant être interprétée comme une nouvelle manœuvre de la direction – c’est d’ailleurs ce que certains commentaires ont laissé entendre dans les questionnaires qui ont été rendus. 76 COUTROT 1999, p. 8 77 Idem, p. 9

Page 66: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

66

Des auteurs comme Stephen Bouquin soutiennent que la spécificité de la relation salariale, en comparaison avec d’autres relations de subordination, réside dans son irréductibilité à toute pacification sociale définitive. Les stratégies de résistance révèlent le caractère dynamique du capitalisme au même titre que l’innovation dont les entreprises font preuve pour face à la concurrence. Pour Bouquin, « il est essentiel de ne pas traiter le travail salarié comme une condition sociale "moniste" (serfs, esclaves avec des rapports dominant-dominés de codépendance) mais plutôt comme une relation dynamique où le contre-pouvoir déplace et modifie le pouvoir car les résistances déjouent et modifient la situation provisoirement, ce qui interdit tout retour au statut quo ante. »78 Aujourd’hui, il est important de ne pas réduire la conflictualité à sa dimension la plus visible, par exemple celle qui prend la forme d’une grève avec arrêt de travail. Dans leur étude sur les conflits du travail dans la France contemporaine, Sophie Béroud, Jean-Michel Denis, Guillaume Desage et al. affirment que des phénomènes comme l’absentéisme et le refus d’effectuer des heures supplémentaires constituent des « modes d’action se situant à la lisière entre des formes de conflictualité implicites, non dites, et des formes de retrait individuel qui ne seront pas nécessairement chargées d’un sens conflictuel. » Les auteurs considèrent que ces deux attitudes sont souvent à mettre en relation avec la réorganisation du travail. « Les deux attestent, sinon de résistances, du moins de tensions relatives aux conditions de travail et à la gestion du personnel. »79 Sociabilités « autonomes » Nous avons appris que, plusieurs années auparavant, les facteurs avaient adressé à la direction une pétition dénonçant les pratiques discutables d’un chef de conduite qui aurait exercé une pression trop élevée sur les salariés ne pouvant pas effectuer toutes les tâches, en raison de restrictions médicales, ou sur ceux étant absents du fait d’une maladie ou d’un accident. Bien que nous ne soyons pas en mesure de l’évaluer précisément, d’après les facteurs l’adhésion à la pétition aurait été massive, sans que le syndicat de la branche n’y ait participe. Cette pétition révèle une conflictualité verticale, qui adresse un signal fort à la direction, mais atteste également la solidarité, la cohésion et stabilité des collectifs. Autour de ces expressions ouvertes du conflit social se développe une socialisation des salariés qui se caractérise par son autonomie vis-à-vis de la sociabilité « officielle », organisée par l’entreprise autour de repas ou de groupes de travail comme les cercles de santé. Quand les salariés se rencontrent pour discuter librement de leurs conditions de travail et des propositions utiles à formuler, ils souhaitent ajuster l’organisation de leur travail aux exigences du flux tendu. Et lorsque la direction ne prend pas suffisamment en compte ces propositions, il est fort probable que les salariés se regroupent pour se faire entendre et pour influer la réorganisation du travail. La pétition n’est qu’une illustration parmi d’autres de l’action collective des salariés pour se faire entendre. Généralement honnies par toutes les directions des entreprises, ces actions sont positives pour deux raisons. D’une part, elles permettent des ajustements entre l’organisation du travail et les exigences du flux tendu. D’autre part, elles participent à la sociabilité « informelle » et nourrissent la cohésion des collectifs de travail. Selon Thomas Coutrot, « les phénomènes collectifs 78 BOUQUIN 2008, p. 29-30. 79 BÉROUD S., DENIS J.-M., DESAGE G. et al. 2008, p. 75

Page 67: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

67

sont à la source aussi bien de la coopération productive que du conflit social : de leur gestion dépend donc en grande partie l’efficacité économique de l’entreprise, c’est-à-dire sa capacité à rémunérer les capitaux engagés. »80 Les entreprises ont développé une série de stratégies ayant pour but la gestion de ces réalités sociales, stratégies dont le caractère peut aussi bien être bienveillant que répressif. Elles peuvent prendre des formes différentes comme, par exemple, la négociation collective des conditions de travail, l’animation de cercles de discussion, le paternalisme81 ou l’affrontement avec les syndicats. En ce qui concerne la pétition, cette lutte semble avoir été vécue de manière positive par la plupart des salariés concernés. Le chef de conduite aurait été renvoyé tandis que la direction aurait pris en charge la pétition sans pour autant mener de politique répressive. Réorganisation du travail et ambiance L’ambiance de travail est mauvaise pour seulement 7,6% des salariés, plutôt mauvaise pour 3,8%, plutôt bonne pour 50,3% et bonne pour 37,3% (cf. graphique no 38). Nous pouvons supposer que la stabilité des collectifs de travail explique la perception positive de l’ambiance de travail.

Graphique no 38 « Comment caractérisiez-vous l’ambiance de travail dans votre team ? » Données : questionnaire N = 185 Il faut toutefois nuancer cet indicateur en considérant son évolution par rapport à deux ans plus tôt. En effet, l’ambiance de travail est plutôt moins bonne pour 25,4% des interrogés, ni meilleure ni pire pour 38,4% et plutôt meilleure pour 27,6% ; 8,6% ne sait pas (cf. graphique no 39). Seules des analyses bivariées indiqueront les éléments de la réorganisation du travail auxquels les salariés rattachent leur appréciation.

80 COUTROT 1999, p. 17 81 Le paternalisme est une pratique de l'employeur consistant à organiser toute ou une partie de la vie des salariés en dehors des heures de travail (en organisant des spectacles, des repas, des sociétés sportives, des crèches, etc.)

Page 68: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

68

Graphique no 39 « Par rapport à il y a deux ans, estimez-vous que l’ambiance est… »

Données : questionnaire N = 185

38,6% des salariés rattachent l’évolution de l’ambiance aux nouveaux processus ; 29,1% aux nouveaux supérieurs (chefs de conduite, etc.) et seulement 6,3% aux mesures prises dans le domaine de la santé (cercles de santé, pro présence, etc.) (cf. graphique no 40). Si la réorganisation du travail (tout particulièrement l’alternance et les mutuelles) est de loin l’élément explicatif le plus important de l’ambiance de travail, suivi par le changement des supérieurs, nous devons à nouveau croiser les données pour savoir si ces deux éléments influencent positivement ou négativement l’ambiance au sein des collectifs de travail.

Graphique no 40 Explications à l’évolution de l’ambiance NB : Plusieurs réponses à la question ont été retenues Données : questionnaire N = 189

Page 69: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

69

Le graphique no 41 montre que le changement de supérieurs est l’élément d’explication le plus répandu chez ceux qui considèrent l’ambiance plutôt meilleure : l’écart à l’indépendance est de 27%. En revanche, l’écart à l’indépendance est de –14,7% lorsque l’ambiance n’a pas changé. Ces données confirment l’appréciation positive des cadres dans la stabilité des collectifs de travail. Nous pouvons expliquer cette appréciation par la prise en considération de la pétition : en effet, il se peut que le changement de supérieurs soit considéré comme le résultat d’une action collective des salariés. En revanche, les nouveaux processus sont associés à une détérioration de l’ambiance de travail : dans ces cas-là l’écart à l’indépendance est de 19,8%. Parmi les salariés qui considèrent les nouveaux processus de manière positive, l’écart est de –15,2% (cf. graphique no 42). Nous avons appris que les facteurs sont fortement opposés à la mise en place de l’alternance : « de toute façon, personne ne veut la faire ». Cette opposition peut être d’autant plus élevée que le désaccord ne trouve pas une expression structurée. L’alternance peut nuire à l’ambiance de travail lorsque les facteurs la perçoivent comme une « fausse bonne idée, détestée par presque tous et imposée sans consulter personne. » Les mutuelles ne rencontrent pas les mêmes réactions ; néanmoins, elles peuvent détériorer l’ambiance quand leur durée entraîne la stigmatisation des collègues absents.

Graphique no 41 Écarts à l’indépendance des salariés qui considèrent le changement des supérieurs un élément d’explication selon l’évolution de l’ambiance les deux dernières années Données : questionnaire N = 185 ; Chi-2 = 0.000

Page 70: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

70

Graphique no 42 Écarts à l’indépendance des salariés qui considèrent les nouveaux processus un élément d’explication selon l’évolution de l’ambiance…

Données : questionnaire N = 185 ; Chi-2 = 0.000 Psychologisation des rapports sociaux Des conflits peuvent opposer les salariés aux teamleaders, ces derniers étant chargés d’appliquer les directives au sein des teams. « Nous les facteurs on n’est pas obligés d’aller dans le sens de la direction comme les teamleaders. Donc, à des moments, ça fait tampon. » C’est le cas par exemple lorsque les facteurs se plaignent d’une mauvaise répartition du travail entre les différents membres d’un team : les teamleaders « pourraient équilibrer les tournées des facteurs, ce serait déjà pas mal. » La conflictualité peut aussi opposer les salariés d’un même collectif, prenant ainsi une forme « horizontale ». C’est par exemple le cas des absents dénigrés par leurs collègues, la surcharge de travail étant associée aux absences. L’intensité de la conflictualité « horizontale » peut paraître paradoxale au premier abord, compte tenu de la coopération et de la stabilité qui caractérisent les collectifs de travail. D’après notre étude, nous assistons à une psychologisation des rapports sociaux dans la mesure où les conflits liés au rapport de travail salarial prendraient tendanciellement une forme plus « horizontale » que « verticale ». Autrement dit, ne pouvant pas avoir une emprise, même minime, sur l’organisation du travail et les changements qui la caractérisent, les salariés tiennent les collègues pour responsables de leurs souffrances. Pour Jean-Pierre le Goff (sociologue à l’Université de Paris I), « n’ayant plus ni vis-à-vis solide auxquels ils puissent faire face, ni collectif intermédiaire protecteur, les individus sont placés dans des situations paradoxales : ils sont renvoyés à eux-mêmes et rendus responsables de la réussite ou de l’échec d’orientations confuses, souvent incohérentes et mal assumées. (…) Se créent ainsi des conditions favorables à l’expression débridée des affects et des pulsions. »82 Cet exemple montre de quelle manière une partie non négligeable des salariés n’arrive plus, selon nous, à identifier les rapports de domination inhérents

82 LE GOFF 2000, p. 158

Page 71: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

71

au rapport salarial. Cette analyse est développée par Philippe Badan, Jean-Michel Bonvin, Eric Moachon, et al. pour lesquels « se dessine ici une nouvelle figure des jeux de pouvoir qui parviennent à se dissimuler derrière des artefacts techniques (logique de la machine) et financiers (la contrainte du chiffre d’affaires ou des objectifs budgétaires). De la sorte, le pouvoir ne disparaît pas mais il se fait impersonnel, il n’est plus localisable. »83 La psychologisation des rapports sociaux peut provoquer des atteintes à la santé en raison de l’importance que les salariés accordent à l’ambiance sur le lieu de travail, aux rapports avec les collègues et aux conflits qu’ils peuvent rencontrer. Un facteur nous a expliqué : « Il y a des gens qui ont fait presque des dépressions parce qu’ils ne s’entendaient plus dans le groupe. » Nous avons aussi constaté que certains salariés se plaignent de l’attitude des collègues, qui peut détériorer l’ambiance au travail. Il y a ceux qui jugent leurs pairs « grossiers, non équilibrés et médisants » et d’autres qui avouent la difficulté « à gérer le bruit incessant, les sifflements et les hurlements des collègues » ; certains dénoncent même « la manipulation et la pression » dont ils ont fait l’objet. Les facteurs considèrent que l’organisation du travail et les nouveautés qui la caractérisent (alternance et mutuelles) ne sont en rien négociables. Nous interprétons ainsi des propos comme celui-ci : « On gueulait beaucoup et on s’est résignés… on ne peut hélas rien changer ! » La gestion individualisée du personnel ne peut que renforcer ce paradoxe. Ce constat nous amène à interroger le rôle des syndicats, dans l’idée qu’une intervention de leur part pourrait constituer un contrepoids à la psychologisation des rapports sociaux. Représentation des salariés par le syndicat L’Union PTT a été le syndicat historique des Postes, téléphones et télégraphes (PTT) si l’on considère le nombre de ses adhérents. À titre d’exemple, il en comptait 28'893 en 1991 (dont une proportion importante, à peu près 20%, d’inactifs)84, alors qu’à cette même époque les autres syndicats ne dépassaient pas les 7'00085. L’Union PTT a changé de nom en 1998, devenant le Syndicat de la communication (Syndicom), tout en restant affiliée à l’Union syndicale suisse (USS). D’après les informations que l’on peut trouver sur son site internet, le syndicat compte aujourd’hui 37'000 membres toutes branches confondues (poste, logistique, télécom / IT et sécurité aérienne). Quand les salariés nous ont fait part de leurs sentiments vis-à-vis des syndicats, nous nous sommes demandé la place qu’occupait une présence syndicale structurée à l’intérieur de l’entreprise et plus précisément au sein de la RDC. Certains salariés sont de l’avis que les syndicats négocient avec la direction les conditions de travail, mais ils n’en savent pas plus. « Le syndicat s’en est occupé, mais je ne connais pas les résultats, on va voir. » Ce propos nous laisse supposer que toute décision touchant à la relation avec l’employeur est déléguée au syndicat. Ce dernier aurait paradoxalement pris en charge la négociation d’un domaine – les conditions de travail – qui ne semble pas être négociable aux yeux des salariés. D’autres salariés nous ont expliqué qu’ils ne voient pas l’utilité de prendre contact avec les syndicats lors de difficultés d’ordre individuel ou

83 BADAN P., BONVIN J.-M., MOACHON E. et al. 2007, p. 6 84 Cf. L’Union PTT, 9.4.1992. L’approximation des membres inactifs renvoie aux données de 1993 (cf. L’Union PTT, 2.6.1994). 85 Cf. MACH 1999, p. 326

Page 72: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

72

collectif, ces derniers n’étant pas à leurs yeux en mesure d’améliorer la situation dans ces cas-là : « J’y vais aux manifestations des syndicats, j’y vais. Mais je trouve qu’ils n’ont pas de poids. » Ces deux sentiments, bien qu’antagonistes, peuvent coexister chez les mêmes personnes. La réalité du syndicat se réduirait donc à une « abstraction » que les salariés associent à leurs sentiments d’impuissance vis-à-vis de la réorganisation du travail. Il est d’ailleurs étonnant de constater que personne n’a jamais fait allusion à la commission du personnel, comme si cette dernière n’existait pas. Dans les entreprises avec une présence syndicale affirmée, cette commission peut avoir un rôle complémentaire au syndicat dans le soutien et la défense des salariés. Nous pouvons donc énoncer l’hypothèse qu’aucune structure permettrait aux salariés d’avoir leur mot à dire sur les conditions de travail. Les modalités du lancement de la pétition, dont nous avons parlé plus haut, nous semblent confirmer ce propos. Par conséquent, les salariés qui s’opposent à certains aspects de la réorganisation du travail, sans pour autant avoir la possibilité d’exprimer de manière structurée cette opposition, pourraient accumuler un sentiment d’impuissance favorisant les réactions relevant du répertoire plus individuel que collectif de la contestation. Ce répertoire résulte de l’histoire des relations de travail dans l’entreprise et du vécu de chaque salarié. La contestation peut prendre des formes individuelles de repli sur soi, qui se manifeste souvent par une propension à l’absentéisme ou le refus d’effectuer des heures supplémentaires, mais également des formes collectives, par exemple une pétition, une manifestation ou une grève. Syndicat et restructurations Depuis la fin des années 1980, le syndicat a toujours été consulté lors des restructurations qui ont abouti à la dissolution des PTT en 1998, même s’il proclamait chaque fois son opposition à ces changements. La seule revendication consistait à garantir des plans sociaux permettant d’éviter tout licenciement. C’est du moins ce qui ressort du dépouillement de ses organes de presse de cette période86. Le syndicat a intégré les exigences de rentabilité de l’entreprise ce qui l’a conduit à accepter les restructurations sans jamais mobiliser les salariés, ce qui aurait permis d’entamer des négociations sur la base d’un rapport de forces. La brochure publiée en 1997 par l’Union syndicale suisse (USS), sous la direction de Margrit Meier, offre un bon exemple de la résignation qui caractérise les syndicats : « La réforme des PTT est inévitable, et les opposants n’ont aucune recette de remplacement. Un non imposerait la reprise à zéro des négociations sur une réforme des PTT tenant équitablement compte des nécessités sociales. ». La brochure prône la dissolution des PTT pour former deux entreprises distinctes, La Poste et Swisscom, en intégrant également dans son discours les logiques propres du marché. En effet, la réforme des PTT serait nécessaire pour garantir la compétitivité des entreprises suisses sur le marché international. « La réforme des PTT suisses correspond par son contenu aux réformes dans les autres pays européens, bien que dans le domaine postal la protection par le monopole soit comparativement élevée. Un échec de la réforme conduirait à une situation "Suisse cas spécial", à la longue très défavorable à l’économie et à l’emploi. »87 Ce ton fataliste est d’ailleurs en contradiction avec la radicalité de la manifestation organisée par l’USS, le 26 octobre 1996. Selon le quotidien bernois Der Bund, 35'000 personnes 86 Cf. CIANFERONI 2007, pp. 40-58 87 MEIER (éd.) 1997, pp. 8 et 15

Page 73: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

73

avaient défilé dans les rues de la capitale, suivant le mot d’ordre « Service public – Arrêtez le massacre! »88 Aujourd’hui, une série de dispositions du Contrat collectif de travail (CCT), relatives à la « paix du travail absolue », interdisent au syndicat de soutenir ouvertement tout conflit social qui pourrait surgir au sein de l’entreprise. L’art. 85 stipule que l’employeur et les syndicats s’engagent à éviter toute forme de lutte collective (grève ou lock-out) : « 1. Pendant la durée de validité de la CCT ainsi qu’au cours de la procédure intentée devant la commission paritaire de conciliation (…), les parties à la CCT s’engagent à respecter la paix absolue du travail et à s’abstenir de toute action. 2. Si un conflit est imminent ou a déjà éclaté, les parties à la CCT s’emploient à trouver un règlement immédiatement. » Ces normes conventionnelles prévoient que tout conflit social soit immédiatement étouffé, en contraignant les parties à trouver « un règlement immédiat » au conflit, sans quoi elles s’exposeraient à des sanctions. La « paix du travail absolue » a placé les syndicats suisses devant une impasse : ne pouvant pas être l’expression d’un conflit social par leur absence à l’intérieur des entreprises, les syndicats sont confrontés à une érosion de leurs membres. À titre d’exemple, les adhérents de l’USS sont passés de 443'584 en 1985 à 368'436 en 2008, soit une baisse de 16,9%.89 La stratégie du syndicat de la communication vise clairement à assumer un rôle de partenaire social au niveau de plusieurs branches (poste, télécom, etc.). Il est d’ailleurs prévu que ce rôle lui soit attribué par la Nouvelle loi sur l’organisation de La Poste (LPO) : toutes les entreprises qui traitent les lettres et les colis (La Poste et ses concurrents) seront tenues à souscrire une Convention collective de travail (CCT) avec les syndicats. D’après la feuille d’information du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), « le but [est] de parvenir à la conclusion d'une convention collective de travail valable pour toute la branche » (20.05.2009). La faible représentation des salariés par les syndicats risque donc de favoriser la psychologisation des rapports sociaux et les sentiments de « solitude » face à une organisation du travail intouchable. L’absentéisme, une forme de repli sur soi ? Une propension à l’absentéisme pourrait exprimer un désengagement vis-à-vis de La Poste dans un cadre où les salariés ne peuvent pas manifester de manière collective leurs désaccords. L’absence pour raison de maladie permet en effet de se soustraire de la sphère publique et de s’éloigner du travail. Or, des indices nous laissent croire à l’existence, au sein du secteur de la distribution postale, d’une pratique de l’absentéisme comme forme de repli. Des facteurs pourraient s’absenter, par exemple, les jours où ils devraient pratiquer l’alternance, c’est-à-dire trier et distribuer la tournée d’un autre membre du team. « On avait des gens qui se portaient malades aussi – ça je le sais – parce que sur le planning c’était marqué qu’ils devaient remplacer une tournée qu’ils n’aimaient pas du tout. Comme par hasard, on arrivait lundi et ils n’étaient pas là, ils étaient malades. » Cela dit, il nous paraît nécessaire de relativiser cette hypothèse. Les contraintes de l’organisation de travail et l’encadrement permettraient-ils, aux salariés, de pratiquer l’absentéisme ? Selon nous, la réponse est négative au vu du nombre très élevé de salariés renonçant ou différant une visite chez le médecin par crainte de nuire à l’activité. Et pour terminer, nous 88 Op. cit., 28.10.1996 89 Cf. WIDMER 2007 et ACKERMANN E. et MOSER-BROSSY D. 2009

Page 74: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

74

doutons que la direction tolère une telle pratique, compte tenu des programmes mis en place pour prévenir et promouvoir la santé au travail, dont pro présence. Pour pouvoir déterminer si l’absentéisme exprime une forme de résistance implicite et individuelle, il faudrait confronter ce phénomène au répertoire de la contestation, lié à la conflictualité « verticale ». Cela supposerait de savoir, par exemple, si dans la mémoire collective des salariés d’autres formes de luttes, individuelles et collectives, se sont ajoutées à la pétition. Les entretiens ainsi que le questionnaire ne nous livrent malheureusement pas suffisamment d’éléments sur l’évolution de l’expression de la conflictualité à la RDC, telle qu’elle a été vécue par l’encadrement et les salariés. Le climat conflictuel, une hypothèse vérifiée ? Les indicateurs dont nous disposons révèlent une augmentation de la conflictualité « horizontale » au détriment de celle « verticale ». On assisterait en effet à une psychologisation des rapports sociaux au sein de collectifs qui semblent demeurer stables face à la réorganisation du travail. Les nouveaux processus (alternance et mutuelles par exemple, que les salariés assimilent à une dégradation de l’ambiance de travail), ainsi que la gestion individualisée du personnel en sont, selon nous, à l’origine. Nous pouvons supposer que les risques de maladies et d’accidents sont plus élevés pour les salariés souffrant des conséquences d’une conflictualité « horizontale ». En effet, les salariés qui constatent une dégradation de l’ambiance sont touchés en proportion plus élevées par l’épuisement physique (44,8 sur une moyenne de 23,5%, cf. tableau no 9) et par l’épuisement psychique (44,4 sur une moyenne de 24,0%, cf. tableau no 10). Si un climat conflictuel pouvait expliquer un taux d’absence élevé pour ces salariés, les absences ne pourraient que dégrader le climat de travail lorsqu’elles provoquent la stigmatisation des collègues. Un cercle vicieux pourrait alors se déclencher, pouvant amener direction et salariés dans une impasse. Il apparaît clairement que le conflit social ne parvient pas à trouver une expression collective et structurée. La pétition semble avoir été la seule exception ayant permis aux salariés de se faire entendre dans la mesure où elle aurait rencontré une adhésion très large et resterait ancrée dans la mémoire collective. Dès lors, le conflit social ne peut se traduire que par un repli sur soi-même et/ou par une psychologisation des rapports sociaux. Ces deux phénomènes sont susceptibles de nuire à la fois la santé et à la productivité des facteurs. Les formes de sociabilité et de lutte qui existent en dehors du contrôle de l’entreprise renforcent la solidarité des collectifs de travail et permettent le développement de stratégies défensives visant la préservation de la santé. L’interprétation des conflits comme un danger peut se révéler délétère à la fois pour l’entreprise, pour les collectifs de travail et pour les salariés. Dans une optique de prévention et de promotion de la santé, les salariés devraient avoir la possibilité de se faire entendre par la direction. Cela permettrait aux salariés d’agir sur les dysfonctionnements de l’organisation susceptibles d’affecter leur santé. Les stratégies de défense individuelles qui nuisent à la productivité, comme la propension à l’absentéisme, devraient ainsi diminuer.

Page 75: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

75

Tableau no 9 Évolution de l'ambiance au cours des deux dernières années

en fonction de l’épuisement physique

Épuisement physique ressenti Évolution de l'ambiance au cours des deux dernières années

Pratiquement jamais

Toutes les deux ou trois semaines

Presque tous les jours

Total

Plutôt moins bonne 10 (14,7%)

16 (23,2%)

13 (44,8%)

39 (23,5%)

Ni meilleure, ni pire 25 (36,8%)

29 (42,0%)

11 (37,9%)

65 (39,2%)

Plutôt meilleure 24 (35,3%)

18 (26,1%)

5 (17,2%)

47 (28,3%)

Ne sait pas 9 (13,2%)

6 (8,7%)

0 (0,0%)

15 (9,0%)

Total 68 (100,0%)

69 (100,0%)

29 (100,0%)

166 (100,0%)

Données : questionnaire ; Chi-2 : 0.023

Tableau no 10 Évolution de l'ambiance au cours des deux dernières années

en fonction de l’épuisement psychique

Épuisement psychique ressenti Évolution de l'ambiance au cours des deux dernières années

Pratiquement jamais

Toutes les deux ou trois semaines

Presque tous les jours

Total

Plutôt moins bonne 14 (15,4%)

15 (28,3)

12 (44,4%)

41 (24,0%)

Ni meilleure, ni pire 35 (38,2%)

19 (35,8%)

11 (40,7%)

65 (38,0%)

Plutôt meilleure 32 (35,2%)

15 (28,3%)

2 (7,4%)

49 (28,7%)

Ne sait pas 10 (11,0%)

4 (7,5%)

2 (7,4%)

16 (9,4%)

Total 91 (100,0%)

53 (100,0%)

27 (100,0%)

171 (100,0%)

Données : questionnaire ; Chi-2 : 0.027

Page 76: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

76

6. DÉNI DU POUVOIR D’AGIR

Mobilisation de la subjectivité au travail Nous pouvons supposer que le besoin des personnes de gagner leur propre subsistance est la raison principale qui les amène à un emploi salarié, dont ils ne décident ni la finalité ni l’organisation. De ce fait, ces mêmes personnes pourraient ressentir le travail comme une contrainte extérieure, mais la clinique de l’activité nous apprend beaucoup sur l’ambiguïté qui caractérise cette relation : elle nous explique pourquoi le travail peut être à la fois source d’épanouissement et de souffrances. D’après Philippe Davezies, l’expérience professionnelle transforme les salariés dans leur manière d’envisager la place dans la société, de vivre les émotions, d’élaborer les valeurs éthiques, etc. « Les objets du travail sont manifestement très éloignés des objets du désir. Entrer dans le travail suppose donc toujours de renoncer, au moins temporairement, à une part de soi. Cependant, seul un regard lointain, surplombant, peut conduire à en rester là. Car, si l’on y regarde de près, l’activité s’affirme comme puissance de transformation. »90 Les salariés ne seraient donc pas les mêmes avant, pendant et après une expérience professionnelle pour deux raisons. Il y a, d’une part, une ambiguïté quant aux mobiles personnels et aux buts prescrits de l’activité. Les mobiles (ou motifs) expriment le sens que les salariés attribuent à leur travail alors que les buts se résument à la finalité de « ce qu’il y a à faire » au travail. La relation de travail serait caractérisée parfois par un « malentendu », pouvant être à l’origine d’incompréhensions entre la direction et les salariés. Davezies explique que « là où la prescription vise la production d’un bien ou d’un service à valeur marchande, celui ou celle qui travaille est en fait engagé dans la production d’un monde. »91 D’autre part, le travail requiert la mobilisation (physique, émotionnelle, sensorielle, etc.) du corps et des savoir-faire construits avec l’expérience professionnelle, les normes prescrites s’avérant insuffisantes pour la bonne réalisation du travail. Les salariés parviendraient donc à développer une capacité à « sentir » leur travail : ils peuvent par exemple « sentir » qu’une situation présente des dangers pour leur santé ou qu’un particulier s’adressera au service client pour déplorer la qualité de la prestation. De ce point de vue, les salariés entretiennent un rapport dynamique avec leur travail, dans la mesure où ils développent un « pouvoir d’agir » s’exerçant sur les objets du travail. Ainsi, un rapport dynamique s’instaurerait entre les mobiles et les buts qui caractérisent le travail, dans la mesure où la réalisation de l’activité permet au salarié de donner à son travail un sens qui ne correspond plus forcement à la finalité de « ce qu’il y a à faire ». Selon Yves Clot, « une activité a d’autant plus de sens qu’elle permet de réaliser les buts prescrits en provoquant le sujet à se former d’autres mobiles que ceux qui le poussaient d’abord à agir. »92 Clot donne comme exemple le récit d’un « garçon de bloc », chargé de transférer les patients de leur chambre d’un hôpital au bloc opératoire, et de ce dernier à la salle de réveil après l’intervention. Si au départ le but consiste principalement à déplacer les patients, les mobiles de l’action sont redéfinis dans l’activité. L’aide-infirmier décrit ainsi son travail : « C’est toujours le même refrain. Je plaisante pour les faire sourire. C’est rare qu’une personne arrivée au bloc ne sourit pas. Si c’était quelqu’un de notre famille, ça nous ferait pas plaisir qu’on le conduise

90 DAVEZIES Philippe, « Activité, subjectivité, santé », décembre 2005, pp. 4 91 Idem, p. 4-5 92 CLOT 2008, p. 80

Page 77: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

77

comme à l’abattoir. Quand on va chercher quelqu’un, c’est ça qu’il faut avoir en tête. » Le salarié attribue à son travail un sens qui se détache progressivement du but de l’activité. « La tâche effective résulte d’une réélaboration du but auquel le garçon de bloc attribue un sens sous l’incitation qu’on ne saurait, selon lui, conduire quelqu’un comme à l’abattoir. Le but visé – descendre le patient – prend une autre place dans l’activité qui donne, en retour, une valeur singulière à cette action, en fonction d’un horizon incitatif qui appartient à la vie entière du sujet. »93 Yves Clot ne s’intéresse pas seulement à l’activité du salarié pris individuellement, mais il tient compte du collectif. En effet, le travail transforme les mobiles de l’activité de l’ensemble des salariés, leur permettant ainsi de développer un « pouvoir d’agir » que le collectif exerce sur le travail. Pouvoir d’agir, plaisir et souffrance au travail Nous pouvons énoncer l’hypothèse selon laquelle ce « pouvoir d’agir » est un enjeu considérable pour la santé des salariés. La prescription du travail encadre, voire enferme, la subjectivité des salariés dans les normes qui ont été établies par la maîtrise, risquant ainsi de réduire la possibilité du sujet d’entretenir un rapport dynamique avec les mobiles et les buts de son activité. D’après Davezies, la santé de la personne s’expose à des risques considérables lorsque le pouvoir d’agir en est affecté : « Les études épidémiologiques en témoignent, les travailleurs sont menacés dans leur santé lorsque les contraintes organisationnelles ne leur permettent pas de développer leur activité et leur rapport au monde »94. Le déni du « pouvoir d’agir » s’accompagne souvent d’un sentiment de dévalorisation et d’un manque de reconnaissance, lié aux souffrances qui se développent face à une dégradation de la qualité du travail, ce qui donne lieu à une dépersonnalisation des relations professionnelles, au sens où le travail ne permet plus la construction d’une identité personnelle. En conséquence, les conflits interpersonnels éclatent très facilement. Selon Davezies, « le sentiment d’absence de perspectives de transformation se traduit par un conflit intérieur qui constitue un risque pour la santé. »95 Le salarié pourrait ne plus parvenir à donner un sens à son travail. Les mobiles personnels de l’activité auraient disparu, ne laissant que les buts de « ce qu’il y a à faire ». Pour Clot, « ce fil coupé isole l’activité en segments séparés en butte les uns aux autres, désindexe l’action… de toute mobilisation psychique effective, fait perdre au travail ce que je n’hésiterais pas à appeler sa " plus-value subjective ". C’est comme si l’activité se trouvait " suspendue ", poussée à redescendre d’un étage. Là, elle s’enkyste assez rapidement en souffrance si le sujet en question ne peut emprunter à d’autres compartiments de sa vie les ressources qui lui feront passer l’épreuve. »96 Quand les conflits inhérents à l’activité deviennent insurmontables, le salarié risque de s’effondrer, ne pouvant plus mobiliser ses ressources pour réaliser le travail. La conduite s’est modernisée parallèlement aux restructurations de l’entreprise dans le but de conformer la gestion du personnel aux exigences du flux tendu. Pour Matthias Finger (professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne – EPFL), une nouvelle culture d’entreprise s’est 93 Idem, p. 140 94 DAVEZIES P. (2005), « Activité, subjectivité, santé », p. 8 Accès: http://philippe.davezies.free.fr/ (Page consultée le 30.8.2008) 95 Idem, p. 17 96 CLOT 2008, p. 129

Page 78: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

78

avérée indispensable pour favoriser l’implication des salariés et contenir les résistances que pouvait susciter la réorganisation du travail : « La transformation de La Poste commence en effet avec une nouvelle philosophie de gestion, qui équivaut, pour l'essentiel, à une révolution culturelle. Celle-ci se caractérise par une conceptualisation par étapes, passant par l'identification des obstacles culturels à la transformation, par le désapprentissage d'habitudes bureaucratiques, par une prise de conscience de la qualité, et par une nouvelle orientation vers les clients et le marché. »97 Dans ce contexte, la subjectivité des salariés est valorisée au service d’une réorganisation du travail dont le but consiste à adapter l’entreprise aux nouvelles contraintes du marché. Des groupes de travail participatifs relevant de la sociabilité « officielle » ont été mis en place sur différents thèmes. Ces groupes peuvent répondre à des objectifs différents, mais complémentaires, tels que le partage des savoirs informels, l’association des salariés aux changements, l’identification de mesures pouvant corriger les dysfonctionnements, etc. À La Poste, on trouve les cercles de santé ou de sécurité, etc. Organisée de manière autonome au sein de chaque RDC, l’activité de ces cercles, et les discussions qui en découlent, est souvent animée et surveillée par l’encadrement. En s’appuyant sur les données empiriques dont nous disposons, nous souhaitions évaluer l’impact de la réorganisation du travail et de la nouvelle gestion du personnel sur le « pouvoir d’agir » des salariés. Satisfaction et motivation au travail Le questionnaire nous a livré trois indicateurs permettant d’évaluer globalement le rapport que les salariés de la RDC entretiennent avec leur travail : la satisfaction, la motivation et le sentiment d’être valorisés par l’entreprise. Le travail satisfait « toujours » 28,2% des interrogés, « souvent » 53% et « parfois » 17,1%. Personne ne se sent « jamais » satisfait tandis que 1,7% « ne sait pas » (cf. graphique no 43). Ces données nous semblent encourageantes : la grande majorité des salariés se déclarent satisfaits de leur travail. Le degré de motivation semble également être élevé. 62,8% des salariés se déclarent « tout à fait » motivés au travail ; 27,8% « un peu » ; 6,1% « pas vraiment » et 2,2% « pas du tout » ; tandis que 1,1% « ne sait pas » (cf. graphique no 44). Nous pouvons supposer que les salariés s’investissent beaucoup dans leur travail pour faire face à la pression du flux tendu, qui génère des rythmes soutenus. Les ressorts et les obstacles à la satisfaction ainsi qu’à la motivation constituent des indicateurs précieux pour comprendre le rapport que les salariés entretiennent avec leur travail. Ce qui motive en priorité les salariés, c’est la satisfaction du travail bien fait. Viennent ensuite la qualité de la relation avec la clientèle, l’ambiance sur le lieu de travail, sans oublier l’estime des collègues (cf. graphique no 45). Nous pouvons énoncer l’hypothèse selon laquelle l’engagement de la plupart des salariés et, partant, le sens donné au travail reposent avant tout sur ces quatre aspects. Les conditions de travail, les délais trop serrés, le manque de reconnaissance et la crainte de perdre son propre emploi sont en revanche les aspects qui empêchent le plus fréquemment de trouver de la satisfaction, générant une frustration pouvant affecter le sens que les facteurs donnent à leur travail (cf. graphique no 46).

97 FINGER 2001, p. 17. Voir aussi REY et FINGER 1994, p. 110

Page 79: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

79

Graphique no 43 « Estimez-vous faire un travail qui vous satisfait ? » Données : questionnaire N = 181

Graphique no 44 « Êtes-vous motivé au travail ? » Données : questionnaire N = 180

Page 80: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

80

Graphique no 45 « Qu’est-ce qui vous motive dans le travail ? » Données : questionnaire N = cf. annexe E

Graphique no 46 « Trouvez-vous que les thèmes suivants vous empêchent trouver de la satisfaction dans le travail ? » Données : questionnaire N = cf. annexe E

Page 81: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

81

Qualité et sens du travail Nous sommes de l’avis que toute politique de prévention et de promotion de la santé devrait prendre en compte la qualité du travail telle qu’elle est ressentie par les salariés. Face à une dégradation de la qualité, les salariés seraient amenés à doubler leurs efforts afin de pallier aux défaillances de l’organisation du travail. Selon Davezies, « les efforts faits par les travailleurs pour tenter coûte que coûte de maintenir tel ou tel aspect de la qualité sont à l’origine des pathologies péri-articulaires d’hypersollicitation et de prises de risques (…) »98 Nos échanges avec les facteurs ainsi que les résultats du questionnaire nous laissent croire que la qualité du travail est associée avant tout à la relation avec la clientèle. « La qualité pour vous c’est la relation avec la clientèle ? Mais bien sûr, quand je suis rentré à La Poste, c’était ça. C’était marqué partout : "La Poste, le contact !" » Les facteurs ne seraient pas attachés à une clientèle au sens universel (celle de La Poste), mais à celle recevant le courrier dans leur propre tournée. Si la finalité de l’action consiste à livrer le courrier dans les délais prescrits par La Poste, les mobiles personnels ont été redéfinis dans l’action. Les facteurs donneraient du sens à leur travail en satisfaisant au mieux ce qu’ils estiment être « leur » clientèle, celle dont ils connaissent le mieux les besoins spécifiques. « Quand vous commencez à connaître vraiment bien votre clientèle, vous n’avez surtout pas envie de la décevoir », nous a-t-on expliqué. La spécificité du métier de facteur, qui relève historiquement de la mission de « service public », fait que les salariés rattachent le sens qu’ils attribuent à leur travail aux relations avec la clientèle. Une politique de prévention et de promotion de la santé devrait prendre en compte les conflits éthiques qui touchent les facteurs. Selon Davezies, le travail peut devenir dangereux pour la santé lorsque « la pression à changer nous-mêmes va dans le sens de la révision d’orientations éthiques qui forment le socle vivant de notre personnalité. »99 Or, la réorganisation du travail donne aux salariés le sentiment de perdre de l’emprise sur le travail. D’une part, le flux tendu et le scanner exercent une pression sur les temps alloués à la tournée. Les facteurs n’auraient donc plus le temps souhaité pour distribuer le courrier tout en entretenant une relation proche avec « leur » clientèle. D’autre part, les alternances ne permettent pas la livraison du courrier à une même clientèle, ce qui fait que les facteurs ont une connaissance limitée des besoins spécifiques à cette dernière. À cela s’ajoutent certaines directives émises par la direction, qui se répercutent elles aussi sur la relation avec la clientèle. L’annexe G en est un exemple : trois ans avant notre étude, une circulaire a été distribuée aux ménages auxquels nos facteurs distribuent le courrier ; elle annonçait qu’à partir du 6 novembre 2006, les colis et les lettres contre signature ne seraient plus distribués à l’étage. Cette directive introduit une tension chez les facteurs entre l’idée de service public le plus élémentaire (remise en mains propres du courrier important) et le respect des directives. Pouvoir d’agir mis en souffrance ? La dégradation de la qualité associée à la redéfinition de la relation avec la clientèle est un thème qui a été soulevé tout au long de notre enquête. Les facteurs n’auraient plus ni le temps ni les

98 Idem, p. 9 99 Idem, p. 17

Page 82: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

82

moyens de satisfaire la clientèle au sens où ils l’entendent eux-mêmes : non pas en termes de rentabilité ou de productivité mais en termes de qualité des relations humaines. « Dès que je suis stressé, je ne sais plus ce que je fais. Je fais que des bêtises, que des erreurs. J’arrive plus à réfléchir, quand je suis pressé. » Les alternances ne permettent pas aux facteurs de travailler chaque jour sur la même tournée et de connaître les besoins de « leur » clientèle. « Ça fait quatre mois que les clients nous voient pas. Je ne sais pas comment ils peuvent parler de faire de la qualité comme ça. Moi je n’y crois pas, mais bon. » La désorientation psychologique provoquée par cette polyvalence forcée expliquerait l’opposition que la plupart des facteurs expriment vis-à-vis des alternances. Il semble que la réorganisation du travail ait placé les facteurs face à de nouveaux conflits intérieurs qui bousculent les valeurs éthiques construites après de longues années d’expérience professionnelle. Les salariés risquent de prendre sur eux-mêmes ces contradictions, développant ainsi une stratégie de défense individuelle, dont le but consiste à donner toujours un sens au travail. L’exemple le plus emblématique s’appuie sur la directive qui impose la distribution des lettres et des colis contre signature à l’entrée des immeubles (cf. annexe G). Les facteurs sont tenus de monter à l’étage pour certaines catégories de clients : handicapés, invalides, personnes âgées avec une mobilité réduite et clients commerciaux. Or, comment appliquer cette directive dès lors que les facteurs effectuent la tournée des autres membres du team et ne connaissent pas forcément les besoins d’une clientèle qui n’est pas la « leur » ? Comment deviner derrière quelles boîtes aux lettres se cachent les handicapés, les invalides et les personnes âgées ? « Quand on fait les alternances, on peut pas monter à l’étage. On sait pas comment est la personne… » Le facteur, auparavant titulaire d’une tournée, sait que son pair ne connaît pas les besoins spécifiques de « sa » clientèle, ce qui est source de souffrances. Un autre facteur nous a expliqué : « Je ne vois pas où est la qualité. Ceux qui me remplacent dans ma tournée, ils font descendre des gens en fauteuil roulant. Moi je monte parce que je les connais. Ce n’est pas normal de faire descendre une personne en fauteuil roulant. » Mais le facteur en alternance n’y peut rien.

D’autre part, l’apprentissage des nouvelles normes temporelles, par la production en flux tendu et par l’introduction du scanner, peut amener le facteur soit à négliger les besoins de « sa » clientèle soit à prendre sur son temps de travail pour monter à l’étage. Dans ce dernier cas de figure, le salarié devrait récupérer le temps « perdu » en accélérant le rythme de travail ou en retardant la conclusion de la tournée. L’extrait de cet entretien illustre de quelle manière cette situation se présente au cours d’une tournée anodine :

-- En même temps, si vous montez à l’étage, vous prenez sur vous-même, parce que vous avez un scanner qui compte votre temps. Vous le faites, donc, même si vous êtes pénalisé ? Oui oui, tout à fait ! -- Cela est important [pour vous] ? Pour moi c’est important de ne pas faire descendre quelqu’un en fauteuil roulant.

Ces considérations nous laissent penser que les alternances ainsi que l’apprentissage de nouvelles normes temporelles réduisent le « pouvoir d’agir » des salariés, dans la mesure où ces derniers ne pourraient plus satisfaire convenablement « leur » clientèle. Le sens accordé au travail

Page 83: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

83

en serait gravement affecté. La souffrance que les facteurs peuvent ressentir risque de miner leur identité professionnelle et leur estime personnelle, portant atteinte à leur santé psychique. Salariés en quête de reconnaissance ? Christophe Déjours (psychanalyste au Conservatoire national des arts et des métiers de Paris) explique que la reconnaissance de leur travail permet aux salariés de donner un sens à leurs souffrances, pour qu’elles ne soient considérées ni vaines ni absurdes. « Lorsque la qualité de mon travail est reconnue, ce sont aussi mes efforts, mes angoisses, mes doutes, mes déceptions, mes découragements qui prennent sens. Toute cette souffrance n’a donc pas été vaine, elle a non seulement produit une contribution à l’organisation du travail, mais elle a fait, en retour, de moi un sujet différent de celui que j’étais avant la reconnaissance. » 100 La reconnaissance inscrirait le travail dans la construction d’une identité professionnelle et personnelle, dotant les salariés de la capacité de surmonter les épreuves auxquelles ils sont confrontés dans le cadre de leur activité. Or, d’après les données du questionnaire, plus d’un tiers des salariés estiment que leurs efforts ne sont pas reconnus à leur juste valeur par l’entreprise. Celle-ci ne les reconnaît « pas du tout » pour 17,6% des salariés, « pas vraiment » pour 25%, « un peu » pour 35,8% et « tout à fait » pour 15,3% ; tandis que 6,3% « ne sait pas » 6,3% (cf. graphique no 47). Le tableau no 11 montre que la probabilité qu’un salarié soit satisfait de son travail est directement proportionnelle au sentiment de reconnaissance de ses efforts par l’entreprise.

Graphique no 47 « Estimez-vous que l’entreprise reconnaît les efforts que vous faites à leur juste valeur ? » Données : questionnaire N = 176

100 DEJOURS 2009, p. 41

Page 84: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

84

Tableau no 11 Reconnaissance des efforts selon la satisfaction ressentie au travail

Satisfaction ressentie au travail

Reconnaissance des efforts

Parfois Souvent Toujours Ne sait pas Total

Non, pas du tout 9 (29,0%

15 (16,9%)

5 (10,0%)

2 31 (18,0%)

Non, pas vraiment 13 (41,9%)

21 (23,6%)

8 (16,0%)

- 42 (24,4%)

Oui, un peu 6 (19,4%)

36 (40,4%)

19 (38,0%)

- 61 (35,5%)

Oui, tout à fait -

12 (13,5%)

15 (30,0%)

- 27 (15,7%)

Ne sait pas 3 (9,7%)

5 (5,6%)

3 (6,0%)

- 11 (6,4%)

Total 31 (100,0%)

89 (100,0%)

50 (100,0%)

2 172 (100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0,001 Plusieurs facteurs nous ont expliqué qu’ils ne peuvent plus contribuer à véhiculer l’image positive que La Poste souhaite avoir vis-à-vis de ses clients : celle d’une entreprise de service public, au sein de laquelle les agents sont mandatés pour satisfaire au mieux les besoins de la clientèle. « Le facteur c’est un peu la carte de visite de l’entreprise. Il n’y a pas que les services financiers, quoi. » Les salariés pourraient même ressentir un sentiment de « trahison » lorsqu’ils ont connu une autre manière de servir la clientèle à l’époque de l’entreprise des Postes, téléphones et télégraphes (PTT). « Actuellement La Poste me déçoit ! » nous a-t-on dit. Mais cette image à laquelle les facteurs souhaitent contribuer se heurte à une autre réalité : celle de la compression des temps, de la réduction des coûts et du time is money qui a détrôné le client roi d’autrefois. Le déni du pouvoir d’agir, une hypothèse vérifiée ? Les salariés qui se plaignent d’une dégradation de la qualité et d’un manque de reconnaissance lancent un signal d’alarme. Si aucune mesure n’est prise pour y répondre favorablement, nous pouvons craindre que ces salariés encourent un risque plus élevé de développer des maladies psychiques. Selon Philippe Davezies, « le sentiment de dégradation des relations, de perte de valeur professionnelle, de disparition d’un horizon sur lequel se projeter, marque la montée de la dépressivité. Ces éléments vécus ont leur pendant au niveau somatique : le corps réagit par la sécrétion d’hormones corticoïdes qui, à terme, entrainent des perturbations

Page 85: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

85

biologiques et des modifications neurologiques qui augmentent le risque de dépression. »101 Le tableau no 12 montre d’ailleurs que l’épuisement psychique est plus présent parmi les salariés qui considèrent que leurs efforts ne sont pas reconnus par l’entreprise. Actuellement, ces appels au secours ne trouvent pas d’expression collective au sein de la RDC. Il nous semble donc utile d’énoncer quelques voies à explorer pour la reconstruction d’un pouvoir d’agir.

Tableau no 12 Reconnaissance des efforts

selon la fréquence de l’épuisement psychique

Fréquence de l’épuisement psychique

Reconnaissance des efforts

Pratiquement jamais

Toutes les deux ou trois semaines

Presque tous les jours

Total

Non, pas du tout 8 (9,4%)

13 (25,0%)

10

31 (18,9%)

Non, pas vraiment 18 (21,2%)

15 (28,8%)

9

42 (25,6%)

Oui, un peu 36 (42,4%)

14 (26,9%)

8

58 (35,4%)

Oui, tout à fait 17 (20,0%)

7 (13,5%)

- 24 (14,6%)

Ne sait pas 6 (7,1%)

3 (5,8%)

- 9 (5,5%)

Total 85 (100,0%)

52 (100,0%)

27 (100,0%)

164 (100,0%)

Données : questionnaire Chi-2 : 0,006 Selon Philippe Davezies, les salariés devraient rejouer sur le terrain du langage les mobiles de l’action qu’ils n’ont pas pu exprimer dans leur travail. Il s’agirait concrètement d’avoir des débats sur les raisons qui empêchent les facteurs de donner un sens à leur travail. Tous les acteurs concernés – la direction, les salariés, les syndicats, les médecins et les chercheurs – devraient y participer. Cette démarche permettrait de clarifier, par exemple, qui porte la responsabilité d’une dégradation de la qualité du travail. Davezies explique à ce propos : « Face à une mise en forme collective, la direction peut être amenée à prendre la responsabilité de ce que les salariés 101 DAVEZIES Philippe, « Activité, subjectivité, santé », décembre 2005, p. 14. À propos des hormones corticoïdes, le portail dédié à la santé et destiné au grand public www.doctissimo.fr explique : « sous l’effet du stress, l’organisme produit des hormones corticoïdes qui abaissent les défenses immunitaires. Si le stimulus extérieur est de courte durée, l’organisme rétablit les choses de lui-même. Par contre, si son intensité est forte, répétitive et de longue durée, les défenses immunitaires s’abaissent, ce qui expose immanquablement aux affections. » (4.7.2009).

Page 86: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

86

considèrent comme relevant de l’indignité. (…) Posé ainsi, le problème n’est plus un problème personnel, mais un problème politique. En tant que tel, il ne relève plus de la responsabilité des individus. »102 La résignation devrait ainsi laisser place à la capacité de reconstruire un nouvel équilibre entre les mobiles personnels et le but de « ce qu’il y a à faire » dans l’activité. Il existe un danger : reconnaître la souffrance des salariés en se limitant à leur donner un statut de victime. Ce serait le cas si la direction refusait d’entrer en matière sur des questions liées à l’organisation du travail, en considérant cette dernière comme sa chasse gardée. Dans ce cas, il serait fort probable que les termes du débat ne permettent pas aux salariés de reconstruire un rapport dynamique avec leur travail, ce qui nuira immanquablement à la productivité Il est donc nécessaire que les salariés puissent s’organiser de manière autonome pour donner une expression collective à leurs souffrances, et pour identifier quels sont les éléments de l’organisation du travail à l’origine de ces souffrances. Une politique de prévention et de promotion de la santé pourrait alors s’appuyer également sur les propositions des salariés, reconnues tout aussi valables que celles de la maîtrise ou des experts.

102 Idem, p. 14

Page 87: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

87

TROISIÈME PARTIE : Critique de la prévention et de la promotion de la santé

7. GESTION DE LA SANTÉ

La santé des salariés, objet d’une « gestion » par l’entreprise Ce n’est qu’en 2001 que les dirigeants de La Poste ont commencé à développer des programmes de prévention et de promotion de la santé103, en partant du constat que, dans un environnement économique de plus en plus concurrentiel, les coûts générés par des maladies et des accidents nuisent à la compétitivité de l’entreprise. Le Rapport de gestion de 2008 explique, en effet, que « la réduction des accidents professionnels et non professionnels et des coûts subséquents peut être un avantage concurrentiel considérable sur le marché libéralisé. »104 Le Rapport de gestion de 2002 explique que l’ensemble des programmes de prévention et de promotion de la santé vise à diminuer les accidents professionnels de moitié, les accidents non professionnels d’un tiers et les absences pour cause de maladie de 10% ; tout cela en l’espace de quatre ans. La réduction annuelle des coûts s’élèverait à 50 millions de francs suisses courants par an.105 Le journal du personnel de La Poste précise que l’intérêt des programmes de prévention et de promotion de la santé est principalement de nature économique : « Lorsqu’on songe qu’en Suisse, les salariés accumulent en moyenne six jours d’absence par an pour des raisons de santé, on comprend aisément les raisons économiques qui conduisent les sociétés à investir dans la promotion de la santé en entreprise. »106 Six jours par an représentent un taux d’absence de 2,72% (si l’on considère qu’un an compte en moyenne 220 jours ouvrables)107. Ce taux n’étant pas très élevé, pourquoi La Poste souhaite diminuer davantage les absences de leur personnel ? Envisage-t-elle de réduire le taux d’absence à… zéro? Depuis la suppression du statut de fonctionnaire, La Poste est tenue à négocier une Convention collective de travail (CCT) avec les syndicats, conformément à l’art 38 de la Loi sur le personnel de la Confédération (LPers), cette dernière étant entrée en vigueur le 1er janvier 2001. Les entreprises concurrentes ne sont pas encore tenues de conclure une CCT avec les représentants du personnel, mais elles ont en revanche l’obligation de respecter les conditions de travail usuelles de la branche108. C’est sur la base de ces nouveaux aspects du cadre légal que la santé des salariés fait l’objet d’une « gestion » de la part de l’entreprise. L’entreprise doit prendre des mesures ayant

103 Cf. La Poste Suisse, Rapport de gestion, 2001, p. 50 104 Ib. 2008, p. 93 105 Ib. 2002, p. 69 106 La Poste Suisse, Journal du personnel, no 7/2008, p. 14 107 L’art. 1 de l’Ordonnance fédérale sur la déduction des frais professionnels des personnes exerçant une activité lucrative dépendante (du 14 décembre 2006) prend en considération 220 jours de travail pour une activité exercée à plein temps. 108 Cf. Autorité de régulation postale (PostReg), Condition d'octroi d'une concession : respecter les conditions de travail usuelles dans la branche, DETEC, 2003. PostReg a mandaté Roman Graf, collaborateur scientifique à l’Observatoire universitaire de l’emploi à Genève, pour mener une étude sur les conditions usuelles dans le secteur postal. Il est prévu que cette étude soit publiée en janvier 2010.

Page 88: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

88

pour objectifs la prévention et la protection de la santé du personnel selon la CCT « Poste »109. L’art. 73 stipule : « La Poste tient compte de la santé des collaborateurs/collaboratrices. Afin de protéger leur santé et d’éviter les accidents et maladies professionnelles, elle prend toutes les mesures techniques et organisationnelles dans l’entreprise qui sont nécessaires d’après l’expérience, applicables selon l’état de la technique et appropriées à la situation donnée. Elle veille aux besoins de protection particuliers des femmes enceintes. » La Poste est également tenue de réintégrer les salariés touchés par une dégradation de leur état de santé, suite à une maladie ou un accident. L’art. 74 précise : « 1. Pour autant que les conditions médicales et d’exploitation le permettent, la Poste emploie des personnes présentant une capacité de rendement diminuée pour raison de santé et qui, sans qu’il y ait eu une faute de leur part, ne peuvent plus exercer leur travail dans la même mesure que jusqu’ici. 2. En pareil cas, le salaire minimal de l’échelon de fonction correspondant peut être abaissé de manière appropriée (les prestations des assurances sociales sont prises en compte). » L’adaptation de la main d’œuvre aux aléas du flux tendu par des conditions plus souples d’embauche, d’engagement, de travail et de licenciement semble être une préoccupation de La Poste lors des négociations des Conventions collectives de travail (CCT) avec les syndicats. Le Rapport de gestion de 2001 affirme : « Dès le début des négociations, l’objectif à atteindre était clair : conclure des conventions qui favorisent la compétitivité de l’entreprise sur un marché de plus en plus concurrentiel, tout en satisfaisant à l’obligation de doter la Poste d’une réglementation du travail sociale et moderne. »110 Par une étude de la méthode pro présence et du cercle de santé, nous souhaitons comprendre quels sont les gains d’une « gestion » de la santé que l’entreprise espère atteindre pour soi-même et pour les salariés. Dans un travail de séminaire effectué au sein de l’Université de Berne, Sebastian Rufer explique qu’à PostMail, la gestion de la santé repose sur trois piliers : la protection de la santé et la sécurité au travail (Arbeitssicherheit/Gesundheitsschutz), la gestion des présences et le traitement des cas individuels (Präsenzmanagement bzw. Case Management) ainsi que la promotion de la santé au sein de l’entreprise (betriebliche Gesundheitsförderung). La gestion de la santé a deux objectifs : d’une part, l’intégration de la santé dans l’administration courante des ressources humaines et, d’autre part, l’implication des collaborateurs dans les programmes liés à la santé dans le cadre des cercles de discussion ou des sondages sur la satisfaction du personnel. Dans une interview, Peter Marthaler explique : « Also dass wir während des ganzen HR-Prozesses, den Mitarbeiter von der Einstellung, über die gesamte Anstellungsdauer, bis zur Trennung, mit dem Gesundheitsmanagement begleiten und hinschauen (…) Was wir natürlich auch sagen, [ist], dass wir die Mitwirkung der Mitarbeitenden vermehrt wollen. So haben wir beispielsweise Zirkel, mit denen wir arbeiten. »111 Selon une étude réalisée par Thomas Geisen, Annette Lichtenauer,

109 La CCT « Poste » régit les relations de travail de l’ensemble du personnel, à l’exception des salariés soumis à la CCT « auxiliaires », lesquels répondent au moins à une des conditions suivantes : le contrat de travail est de durée déterminée, le taux d’occupation est inférieur à 20%, la tâche principale est limitée à la distribution matinale des quotidiens et l’engagement n’est pas planifiable sur le long terme. Cf. CCT « Poste », art. 111 110 La Poste Suisse, Rapport de gestion, 2001, p. 65 111 « Cela consiste donc à suivre le collaborateur, de son engagement à son départ, en intégrant la gestion de la santé dans le processus des ressources humaines. (…) Ce que nous voulons aussi dire par là, bien entendu, c’est que nous souhaitons impliquer davantage nos collaborateurs. Ainsi, nous avons par exemple des cercles avec lesquels nous travaillons. » RUFER 2008, p. 32.

Page 89: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

89

Christophe Roulin et al. (chercheurs à la Fachhochschule Nordwestschweiz) sur la « gestion du handicap » dans huit entreprises suisses, la gestion des cas individuels (case management) concerne environ 1'300 personnes à PostMail. La gestion est centralisée par trois équipes composées de 20 personnes à plein temps et situées à Lausanne, Berne et Zurich.112 Enfin, parallèlement à la mise en place des nouveaux programmes de gestion de la santé, La Poste a abandonné une pratique permettant l’allègement de la tournée des facteurs les plus âgés. Comme nous l’a expliqué un salarié : « Avant, quand on avait 50 ans, ils réduisaient les tournées – Cette mesure a-t-elle été abandonnée ces dernières années ? – À peu près, oui. (Silence) Maintenant, c’est rendement, rendement… » Enfin, il nous semble important d’ajouter que le programme pro présence peut compter sur l’appui de la fondation Promotion Santé Suisse, laquelle se définit comme « une fondation qui est soutenue par l’ensemble des cantons et des assureurs. Selon son mandat légal (LAMal, art. 19), elle stimule, coordonne et évalue des mesures destinées à promouvoir la santé. »113 Le 5 mai 2009, Promotion Santé Suisse a remis son label « Friendly Work Space » à quatre unités de La Poste (PostMail, PostLogistic, PostFinance et Offices de poste et vente), à trois de la Migros, à la compagnie d’assurance SWICA et à l’Institut de médecine du travail (ifa) 114. Sociabilité « officielle » Le cercle de santé institué par l’encadrement est un groupe de travail dont l’objectif consiste à rassembler l’avis et les connaissances des salariés sur les conditions du travail pouvant être réaménagées. À cet effet, une dizaine de salariés se réunissent en présence d’un gestionnaire de santé et d’un psychologue du travail, qui sont chargés par l’entreprise d’animer les discussions. De novembre 2007 à novembre 2008, sept séances du premier cercle de santé ont eu lieu à la RDC, dont les cinq premiers au cours d’une période de trois mois. Les participants ont fait état de leurs troubles de santé avant de discuter plusieurs aspects de la réorganisation du travail : les alternances, les mutuelles, la surcharge de travail, l’accélération des cadences, la pression exercée par l’activité et par les collègues, le dénigrement de ces derniers et les intempéries. Les animateurs chargés d’encadrer le cercle sont mandatés par la direction, ce qui nous laisse supposer que les séances ne se caractérisent pas par une sociabilité « autonome » des salariés. Néanmoins, le cercle de santé a donné aux salariés l’occasion de soulever des problèmes touchant aux conditions de travail et à la santé. L’objectif consistait à adresser un catalogue de propositions d’améliorations à la direction. Le cercle suivait un calendrier prédéfini (dont les étapes sont énoncées dans l’encadré no 5) et se déroulait sur une période caractérisée par une quantité de courrier trop élevée par rapport aux forces de travail engagées. Or, La Poste a connu une chute considérable de courrier quelques mois seulement après le début de notre étude. Nous pouvons supposer qu’aujourd’hui le stress n’est pas uniquement imputable à la surcharge de travail et peut également être lié, entre autres, à la crainte d’un licenciement.

112 GEISEN Thomas, LICHTENAUER Annette, ROULIN Christophe et al. 2008, p. 27 113 Source : http://www.gesundheitsfoerderung.ch (Page consultée le 30.5.2009). 114 Promotion Santé Suisse, Communiqué de presse, 05.05.2009. Accès : http://www.gesundheitsfoerderung.ch (Page consultée le 28.10.2009)

Page 90: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

90

Quelles stratégies contre le stress ? Lors de la troisième séance du cercle, les animateurs ont expliqué que les salariés pouvaient maîtriser leur stress par deux stratégies : l’une sur le court terme et l’autre sur le long terme. La première a pour objectif un soulagement rapide de la personne sur le court terme par une détente spontanée (entraînement autogène), par la concentration (en se laissant guider par des idées positives), par des monologues passifs (« Je reste tout calme… ») et par des contre-réactions spontanées (dire des jurons). La deuxième a pour objectif une modification de l’attitude des personnes sur le long terme par des activités régulières de détente, par une gestion du temps efficace, par le soin des contacts, par un état d’esprit positif, par le développement des aptitudes (formation continue, etc.), par la recherche de solutions aux problèmes et par la participation à des événements porteurs de satisfaction.

Encadré no 5 Déroulement du cercle de santé

1. Séance introductive 2. Première séance : relevé des troubles physiques et psychiques 3. Deuxième séance : relevé des facteurs de stress 4. Troisième séance : discussions sur les stratégies pour maîtriser le stress 5. Quatrième séance : relevé des propositions d’amélioration 6. Cinquième séance : rédaction d’un catalogue de mesures 7. Séance avec la direction pour la présentation du catalogue 8. Décision par les responsables des mesures à retenir parmi celles proposées par le catalogue 9. Information du personnel 10. Mises en œuvre des mesures retenues 11. Séance d’évaluation des mesures retenues après six mois d’application Sources : documents internes à l’entreprise

Ces stratégies sont certainement utiles, cependant devant l’ampleur du problème, nous pouvons émettre quelques réserves : sont-elles suffisantes ? Il est frappant de constater qu’aucune stratégie touchant aux aspects collectifs du travail n’a été discutée. Les mesures abordées sont strictement individuelles alors que le stress, par exemple, touche une partie non négligeable de salariés. Une stratégie visant la maîtrise du stress ne devrait-elle pas résoudre le problème à la source et prendre en compte également les conditions de travail ? Si par exemple l’alternance était à l’origine du stress dont souffrent les facteurs, ne faudrait-il pas chercher à en comprendre les raisons ? Les mesures proposées aux facteurs ne permettraient qu’un contrôle du stress, mais n’offriraient aucun moyen de s’en débarrasser.

Page 91: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

91

Dans l’encadré no 6, nous avons résumé avec nos propres mots (tout en restant fidèle aux choix terminologiques de l’original) les raisons qui ont amené les participants du cercle à identifier six facteurs de stress parmi les sept retenus. Le septième, le travail sous pression, n’a étonnamment pas fait l’objet d’un argumentaire par les participants du cercle de santé. C’est pourquoi nous ne pouvons pas l’inclure dans notre analyse. Nous pouvons constater que ces facteurs de stress relèvent d’aspects collectifs du travail comme, par exemple, l’augmentation du volume de courrier à cause des tous-ménages, les contraintes temporelles, le dénigrement des collègues, la méconnaissance des tournées, etc. Cependant, les réorganisations du travail qui rencontrent une adhésion plutôt faible au sein de la RDC (cela concerne tout particulièrement l’alternance) ne sont jamais remises en question. Nous pouvons expliquer ce silence par le fait que le cercle de santé n’a pas pour objectif de questionner le cadre qui régit les conditions de travail, et que les propositions des salariés semblent viser avant tout une meilleure gestion des processus et des marges de manœuvre dans le travail. Les cercles de santé sont donc perçus comme des moyens d’adaptation et non pas de changement.

Encadré no 6 Motivations des participants (cercle de santé)

Facteur de stress

Raison : manque de temps et de connaissances de la tournée, difficulté à effectuer des tournées mixtes pour ceux qui n’ont pas le permis de conduire.

Conséquences : baisse de motivation, dégradation de la qualité du travail, absentéisme.

ALTERNANCE

Raison : les tous-ménages s’ajoutent au courrier ordinaire.

Conséquences : la disparition des périodes « creuses » ne permet plus aux collaborateurs de récupérer les heures supplémentaires.

SURCHARGE DE TRAVAIL

Raison : les tournées difficiles suscitent la peur et déstabilisent l’organisation personnelle.

Conséquences : tensions entre collègues et surcharge de travail.

REMPLACEMENTS MUTUELS

Raison : remarques négatives et désobligeantes, sexisme et sarcasme de la part des collègues.

Conséquences : chacun pour soi et démission de chefs.

CLIMAT DE TRAVAIL

Raison : les teamleaders ne dirigent pas de manière appropriée les facteurs.

Conséquences : les teamleaders exercent trop de pression et n’apportent pas de soutien.

ATTITUDE

DES SUPÉRIEURS

Raison : manque de coordination entre les chefs.

Conséquences : les responsabilités ne sont pas toujours claires et les facteurs peuvent se voir attribuer plusieurs tâches en même temps.

TRAVAILLER AVEC DIFFÉRENTS SUPÉRIEURS

Avertissement : les motivations des participants au cercle de santé ont été résumées tout en respectant les choix terminologiques du texte original.

Sources : Procès-verbaux des séances du cercle de santé

Catalogue de mesures À l’occasion de nos observations exploratoires, nous avons assisté à la séance conclusive du cercle de santé. Nous avons été frappés par le faible nombre de participants (neuf membres de l’encadrement et cinq facteurs seulement, cf. annexe C). L’application des mesures retenues par la direction, parmi celles qui avaient été proposées par le cercle six mois auparavant, est très positive à

Page 92: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

92

en juger les propos tenus lors de la séance. De quelles mesures s’agit-il ? Quelles sont les propositions formulées par le cercle qui ont été retenues par la direction ? Dans l’encadré no 7, se trouvent retranscrites les mesures proposées pour chaque source de stress. Nous pouvons constater que ces mesures ont pour objectif à la fois l’augmentation tant de la productivité que de la qualité du travail. Nous pouvons distinguer deux orientations différentes parmi ces propositions. D’une part, il y a des mesures dont l’application nécessiterait un réaménagement de l’organisation du travail. C’est le cas, par exemple, de celle proposant une tournée allégée par rapport à l’âge et à l’état de santé des salariés. Nous pouvons citer également la proposition d’une organisation plus régulière de l’alternance. D’autre part, il y a des propositions qui touchent plutôt le fonctionnement de la RDC. C’est le cas, par exemple, de celles proposant une meilleure politique de recrutement, une augmentation des effectifs, une meilleure gestion des conflits, une communication plus efficace, etc.

Encadré no 7 Propositions d’amélioration (cercle de santé)

Facteur de stress

Alterner le tri et la distribution une semaine sur deux, alléger l’alternance pour les facteurs âgés ou diminués physiquement, améliorer la transmission des connaissances entre facteurs et remplaçants, simplifier les tournées sujettes à l’alternance, améliorer la communication, augmenter les effectifs, clarifier et développer les marges de manœuvre dans l’organisation des alternances, former les teamleaders pour une meilleure organisation et une gestion plus efficace des conflits.

ALTERNANCE

Engager plus de personnel auxiliaire, améliorer la communication entre ceux qui planifient le travail de distribution et ceux qui vendent des prestations liées à la distribution de tous-ménages, lister des tâches pouvant être effectuées par les collaborateurs diminués physiquement.

SURCHARGE

DE TRAVAIL

Allonger le temps de formation des nouveaux collaborateurs, mener une politique ayant pour but le recrutement et le maintient de personnel motivé, associer les teams au choix de recrutement, organiser la reprise du travail après un accident ou une maladie, lister des tâches pouvant être effectuées par les collaborateurs diminués physiquement, établir une bonne communication avec les collaborateurs absents.

REMPLACEMENTS MUTUELS

Approfondir et améliorer le dialogue, réunir régulièrement les membres du team, former les teamleaders dans la gestion des conflits, rédiger une charte sur la culture de la communication à la RDC, permettre aux collaborateurs de choisir leur team, prendre des mesures pour la reconstruction d’un esprit d’équipe (par exemple des repas communs).

CLIMAT DE TRAVAIL

Former ultérieurement les teamleaders dans la conduite des facteurs, donner plus de temps aux teamleaders pour les tâches administratives, mieux choisir les teamleaders et charger ces derniers d’adopter une attitude exemplaire au travail.

ATTITUDE DES SUPÉRIEURS

Améliorer la communication, développer le partage des connaissances entre les supérieurs, les différents services administratifs et le personnel de distribution, attribuer la gestion des mandants à une seule personne, développer une structure permettant de mieux connaître les limites d’action des collaborateurs et instaurer une à deux séances par année pour favoriser les échanges entre les teams.

TRAVAILLER AVEC DIFFÉRENTS

SUPÉRIEURS

Avertissement : les motivations des participants au cercle de santé ont été résumées tout en respectant les choix terminologiques du texte original

Sources : Procès-verbaux des séances du cercle de santé

Page 93: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

93

Dans ses prises de position, la direction de la RDC apparaît disposée à améliorer la gestion de l’entreprise ainsi qu’à optimiser les marges de manœuvre existantes (cf. encadré no 8). Elle envisage d’adopter par exemple des mesures pour une meilleure communication, une gestion plus efficace des conflits, un meilleur retour au travail après une maladie ou un accident, etc. Il semble toutefois que la direction de la RDC soit devant la même impasse que les facteurs face à la pression générée par le flux tendu : les ressources et les nouveaux processus sont planifiés par la direction générale de PostMail tandis que le volume de courrier reste imprévisible et variable. En conséquence, les marges de manœuvre semblent limitées.

Encadré no 8 Prises de position de la direction (cercle de santé)

Facteur de stress

1. Réfléchir à l’allégement de l’alternance par rapport à l’âge et à la santé des collaborateurs

2. Réfléchir aux marges d’autonomie des teams

3. Définir les buts de l’alternance et motiver les collaborateurs par une meilleure communication

4. Améliorer la capacité des teams à s’auto-organiser et à gérer les conflits

ALTERNANCE

1. La direction n’ayant aucune emprise sur la vente des prestations, seule l’organisation peut être adaptée au fort volume de courrier

2. Informer les collaborateurs, par un tableau affiché dans les locaux de la RDC, du volume de courrier prévu pour les jours suivants

SURCHARGE

DE TRAVAIL

1. Renforcer la communication à l’intérieur des teams. La manière dont la reprise du travail d’un salarié absent est envisagée doit être mieux communiquée à ses collègues

2. Identifier, valoriser et améliorer les bonnes pratiques

3. Lister les tâches pouvant être effectuées par les collaborateurs diminués physiquement

REMPLACEMENTS MUTUELS

1. Proposer des séances inter-teams pour favoriser la partage des expériences entre équipes diverses

2. Veiller au respect des codes de conduite existants à travers une meilleure communication entre la direction et les teams. Solliciter une aide externe si nécessaire

3. Une charte de conduite a déjà été rédigée

CLIMAT DE TRAVAIL

1. Laisser du temps aux nouveaux teamleaders

2. Faire un bilan intermédiaire dans six mois

ATTITUDE DES SUPÉRIEURS

Partager des pauses-café aves les supérieurs pour favoriser l’échange d’informations. TRAVAILLER AVEC DIFFÉRENTS

SUPÉRIEURS

Avertissement : les motivations des participants au cercle de santé ont été résumées tout en respectant les choix terminologiques du texte original.

Sources : Procès-verbaux des séances du cercle de santé Nous pouvons constater que les mesures retenues par la direction ne touchent que le fonctionnement interne de la RDC (cf. encadré no 9). C’est le cas, par exemple, de la mesure ayant trait à une meilleure planification des ressources par rapport au flux du courrier. La direction a également prévu d’intégrer certaines propositions dans le programme pro présence, comme par

Page 94: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

94

exemple la formation des teamleaders ayant pour but d’assurer le respect au sein des teams. Il semble toutefois qu’aucune véritable ouverture n’existe vis-à-vis des propositions remettant en question l’organisation du travail, comme la simplification des tournées sujettes à l’alternance ou l’allègement de celle-ci pour les facteurs âgés ou diminués physiquement. La direction se déclare prête à réfléchir à une alternance qui soit moins contraignante pour les facteurs présentant des problèmes de santé, mais n’envisage pas d’étendre cette mesure aux personnes proches de la retraite, ce qui serait pourtant une solution intéressante. La direction aurait peut-être intérêt à se confronter aux propositions comme celles-ci, le confort au travail pouvant être un moteur pour la productivité.

Encadré no 9 Mesures retenues par la direction (cercle de santé)

Facteur de stress

Les teamleaders seront informés des objectifs de l’alternance et des marges de manœuvre à disposition des teams.

ALTERNANCE

Le volume de courrier prévu pour les jours suivants sera affiché sur un tableau. SURCHARGE

DE TRAVAIL

1. Les teamleaders seront chargés de rédiger une liste de tâches pouvant être effectuées par des collaborateurs diminués physiquement ou psychiquement avec une démarche participative. Tous les membres du team seront invités à donner leur contribution.

2. Les échanges de bonnes pratiques autour de « séances café » entre teamleaders et responsables de conduite seront institutionnalisés.

REMPLACEMENTS MUTUELS

Dans le cadre de la formation pro présence, communiquer aux teamleaders leurs tâches ayant pour but l’application d’une politique de respect au sein des teams.

CLIMAT DE TRAVAIL

- ATTITUDE DES SUPÉRIEURS

- TRAVAILLER AVEC DIFFÉRENTS

SUPÉRIEURS

Avertissement : les motivations des participants au cercle de santé ont été résumées tout en respectant les choix terminologiques du texte original.

Sources : Procès-verbaux des séances du cercle de santé

Gestion des absences La méthode pro présence est un programme par lequel PostMail souhaite gérer de manière cohérente et systématique les absences115 des salariés. Ce programme a été développé par l’entreprise Globosana AG de Zurich. Avant d’être appliqué à l’ensemble de PostMail, il a été testé sur 7'100 salariés entre 2003 et 2006 lors de cette expérimentation. L’objectif de diminuer le taux d’absence de 6% à 3,8% avait été atteint116. Le programme pro présence repose sur trois phases, chacune s’appliquant à un moment spécifique de la relation de travail (cf. encadré no 10). L’objectif

115 Comme son nom l’indique, pro présence est officiellement un programme ayant pour but la gestion des présences. Cependant, ce dispositif s’intéresse avant tout à la réduction des coûts générés par les absences. 116 Cf. RUFER 2008, p. 6

Page 95: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

95

consiste à baisse le taux d’absence à la fois par la détection précoce des salariés dont la santé pourrait se dégrader et par l’incitation à reprendre plus rapidement le travail. À cette fin, les gestionnaires de santé travaillent en étroite collaboration avec d’autres institutions comme par exemple l’assurance invalidité (AI), la caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (SUVA), la caisse de pension ou les médecins traitants. La première phase, dite de « qualification », a trait à la sélection des candidats auxquels il est demandé de s’autoévaluer quant à leur aptitude par rapport aux contraintes du poste de travail. « Die Stellenbewerber/innen kennen die potentiellen, gesundheitlichen Belastungen am zukünftigen Arbeitsplatz und können ihre gesundheitliche Eignung selbst hinterfragen und überprüfen. »117. Cette mesure vise à réduire le nombre de personnes embauchées dont la santé présente des risques de dégradation (« Fehlrekrutierungen aus mangelnder gesundheitlicher Eignung verhinder[n] oder verminder[n] »). Les cadres et les membres de l’encadrement et les gestionnaires de santé (Führungskräfte und Personalfachstellen) sont chargés d’évaluer la santé du candidat sans pour autant faire appel à des médecins ou demander à la personne de délier le secret médical. La deuxième phase, dite de « prévention », vise à suivre la santé des salariés pendant la relation de travail ordinaire, en identifiant précocement tout problème de santé dans le but d’éviter que des absences surviennent. L’encadrement est chargé de suivre l’évolution de la santé par des entretiens annuels de « pré-évaluation », au cours desquels les salariés sont tenus de s’exprimer sur les thèmes suivants : 1. l’état de santé général ; 2. les tâches générant des soucis pour la santé ; 3. l’état de la condition physique et psychique par rapport aux exigences du travail ; 4. les actions entreprises pour maintenir une bonne santé ; 5. la nécessité de conseils ou de soutien par l’entreprise.118 Un communiqué paru dans le journal syndical Comtexte du 19 juin 2009 annonce qu’après avoir enquêté sur la légalité de cette méthode, le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) « est parvenu à la conclusion [que la pré-évaluation de la santé] ne peut plus être effectuée comme elle l’a été jusqu’à présent et que des modifications doivent lui être apportées ». Face à ce constat, PostMail s’est engagée à détruire les questionnaires archivés et à redéfinir la pré-évaluation de la santé avec le Syndicat de la communication. La troisième phase de pro présence, dite de « réhabilitation », s’applique aux nouveaux embauchés qui se sont absentés à plusieurs reprises ainsi qu’aux salariés qui se sont absentés au moins 30 jours de suite ou quatre fois par an (au cours des deux dernières années). La santé fait alors l’objet d’une évaluation approfondie qui permet aux supérieurs et aux gestionnaires de santé de décider de réintégrer, ou non, le salarié à un autre poste de travail au sein de l’entreprise. Au cours de nos observations exploratoires, nous avons assisté à une séance rassemblant le directeur de la région de distribution, un gestionnaire de santé, un responsable de la gestion

117 « Les candidates ou candidats connaissent les risques que le poste recherché implique potentiellement pour leur santé, ce qui leur donne la possibilité d’évaluer par eux-mêmes leur aptitude de ce point de vue spécifique. » Accès : http://www.globosana.ch (page consultée le 28.10.2009) 118 Ces thèmes sont abordés dans le questionnaire « pré-évaluation de la santé » utilisé par l’encadrement pour mener les entretiens.

Page 96: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

96

accidents et maladie ainsi qu’un conseiller des ressources humaines. Il s’agissait pour eux de discuter le cas d’une personne gravement blessée dans le cadre de son activité professionnelle (cf. annexe B). À l’issue de la séance, les participants ont décidé de proposer sa réintégration d’un autre poste de travail. La décision a été prise sur la base de trois critères que nous allons examiner. Le premier est l’état de santé car la condition physique et psychique ne permet pas toujours la réintégration à un même poste de travail. Le deuxième critère retenu est l’attitude du salarié vis-à-vis du travail et de l’entreprise : sont pris en compte la fidélité à l’employeur, la qualité du travail et, durant l’absence, la collaboration du salarié. Enfin, les contraintes financières de la RDC constituent le troisième critère. Le nombre de places à l’abri de la pression du flux tendu, disponibles pour une réintégration du travail, est limité. Les informations dont nous disposons ne nous permettent pas de connaître l’importance relative de ces critères. Il serait toutefois intéressant de savoir, par exemple, quelles auraient été les propositions adressées aux salariés affichant ouvertement leur désaccord avec l’entreprise. Ou quel est le nombre d’emplois qui permettraient une réintégration du travail sans exposer les salariés à la pression du flux tendu.

Encadré no 10 Trois phases du programme pro présence

Qualification Prévention Réhabilitation

Objectif

Clarifier l’aptitude de la santé

Maintenir et améliorer l’aptitude de la santé

Rétablir l’aptitude de la santé

Application

Recrutement

Relation de travail ordinaire

Absences longues ou répétées

Source : http://www.globosana.ch Asymétrie du rapport salarial Dans la troisième phase du programme pro présence, le poste de travail des salariés fait l’objet d’une remise en question radicale. Les salariés se retrouvent devant leur employeur dans une relation pour le moins inégale : seul l’employeur a le dernier mot sur l’avenir professionnel du salarié au sein de l’entreprise. Il est donc aisément compréhensible que les salariés qui ont été en incapacité de travail pour une longue période, à cause d’une maladie ou d’un accident, ressentent souvent la peur de perdre leur emploi. « J’avais aussi peur qu’on me dise : " Voilà, au revoir ", et puis… » Nous pouvons expliquer cette peur par trois raisons. Premièrement, les salariés se sentiraient en position de faiblesse lorsque leur temps et leurs capacités sont momentanément indisponibles pour l’employeur. Ils auraient le sentiment d’être momentanément « inutiles », voire un « poids » pour leur employeur tout en recevant une partie ou

Page 97: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

97

la totalité du salaire. Deuxièmement, la convention collective de travail (CCT) ne protège pas du licenciement les salariés dont la capacité de travail est réduite pour des raisons de santé. L’annexe 4 de la CCT (cf. encadré no 11) stipule que La Poste peut résilier le contrat de travail, par exemple, en cas « d’aptitudes ou [de] capacités insuffisantes pour effectuer le travail convenu dans le contrat ou [de] mauvaise volonté du collaborateur/de la collaboratrice à accomplir le travail » ou en cas de « mauvaise volonté du collaborateur/de la collaboratrice à accomplir un autre travail pouvant raisonnablement être exigé de lui/d’elle ». Aucune disposition légale n’empêche le licenciement des salariés en désaccord avec la réintégration qui a été décidée dans le cadre de pro présence. « Et puis bon, le collaborateur a aussi un effort à faire de son côté » nous a expliqué un facteur. Troisièmement, les salariés craindraient parfois de ne plus être capables de réintégrer un poste de travail en flux tendu.

Encadré no 11 Annexe 4 de la Convention collective de travail (CCT) « La Poste »

12 Résiliation du contrat de durée indéterminée (art. 12 LPers)

124 Après le temps d’essai, la Poste peut résilier le contrat pour les motifs suivants :

a. violation d’obligations légales ou contractuelles importantes ; manquements répétés ou persistants dans les prestations ou dans le comportement, malgré un avertissement écrit ;

b. manquements répétés ou persistants dans les prestations ou dans le comportement, malgré un avertissement écrit ;

c. aptitudes ou capacités insuffisantes pour effectuer le travail convenu dans le contrat ou mauvaise volonté du collaborateur/de la collaboratrice à accomplir le travail ;

d. mauvaise volonté du collaborateur/de la collaboratrice à accomplir un autre travail pouvant raisonnablement être exigé de lui/d’elle ;

e. impératifs économiques ou impératifs d’exploitation majeurs, dans la mesure où la Poste ne peut proposer au collaborateur/à la collaboratrice un autre travail pouvant raisonnablement être exigé de lui/d’elle ; les détails sont réglés à l’annexe 5 ;

f. disparition de l’une des conditions d’engagement fixées dans la loi ou dans le contrat.

Source : Convention collective de travail « La Poste » 2009

Rapport d’aptitude au travail Au cours de la troisième phase de pro présence, l’encadrement présente au salarié un questionnaire que doit remplir son médecin traitant afin d’établir quel est son degré d’aptitude par rapport au poste de travail. Cette manière de procéder ne correspond pas entièrement aux recommandations du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT). Selon le guide pour le traitement des données personnelles dans les relations professionnelles, édité par le PFPDT, la protection de la sphère privée de l’employé s’étend aux renseignements sur tout aspect lié à la santé. L’employeur peut exiger un rapport médical attestant l’aptitude d’une personne par rapport à un poste donné uniquement pendant la procédure de sélection des candidats (cf. encadré no 12). De plus, il convient de signaler que, si la volonté affichée par l’entreprise de favoriser la réintégration au travail suite à une absence longue nous paraît tout à fait justifiée, l’établissement d’un rapport d’aptitude dans le cadre du programme pro présence n’est pas sans

Page 98: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

98

danger pour les salariés puisqu’il permet d’identifier les plus faibles. Les salariés dont l’état de santé est reconnu comme fragile sont exposés à une gestion discutable du personnel, qui consisterait à sélectionner les travailleurs en meilleure santé dans le but d’augmenter le taux de présence.119 Nous pouvons nous interroger sur la légalité de ce procédé par rapport à la protection de la sphère privée. Pour le Dictionnaire suisse de politique sociale120, le secret médical « consiste en une garantie de confidentialité des informations qu'un patient révèle au soignant qu'il a consulté. » Or, en établissant un rapport d'aptitude sur demande de La Poste, le médecin traitant ne communique-t-il pas à l’entreprise une partie des informations confidentielles qu'un patient lui a révélées ? Le secret médical fait donc l'objet d'une violation que nous pouvons définir comme étant à la fois « indirecte » (le médecin ne communique pas les mêmes informations confiées par le patient, mais utilise celles-ci pour établir un rapport d’aptitude) et « limitée » (le médecin ne transmet pas le dossier médical en son entier ni ne communique les diagnostics).

Encadré no 12 Guide pour le traitement des données personnelles dans le secteur du travail

3.1 Pendant la procédure de sélection des candidats

3.1.5 Rapport médical d’aptitude

L’employeur n’a pas le droit de se renseigner lui-même sur la santé du candidat. Par contre, il peut exiger la production d’un rapport médical sur l’aptitude du candidat à exercer l’emploi en question. Si le candidat est soumis à un examen médical, le médecin est lié par le secret médical. Il doit donc ne communiquer à l’employeur que celles de ses conclusions qui concernent l’aptitude du candidat à occuper le poste considéré; il ne doit communiquer aucun diagnostic. Cette règle vaut également lorsque l’examen médical est effectué par le médecin de l’entreprise.

Source : http://www.edoeb.admin.ch

La période convalescence est-elle négociable ? Souvent, à l’issue de la troisième phase du programme pro présence, les salariés intègrent un poste de travail radicalement différent de celui qu’ils occupaient précédemment. C’est le cas par exemple des salariés qui ne peuvent plus trier ou distribuer le courrier, lorsqu’ils quittent la tournée pour intégrer une équipe chargée de mettre à jour les adresses incorrectes. La plupart de ces expériences sont perçues positivement lorsque les salariés ne sont plus exposés à la pression du flux tendu. En effet, il y a de fortes chances que les salariés ne ressentent plus ni la pression de l’activité, ni celle des supérieurs ou des collègues. À la question : « Ressentez-vous un peu de pression ? Par exemple pour ce qui concerne la reprise du travail ? », nous a-t-on répondu : « Non… écoutez, depuis que je suis là et qu’ils tiennent compte de ce que dit mon médecin, qu’il faut attendre beaucoup de temps, je ne ressens pas de pression, ça va. » Cependant, le nombre de ces places est

119 Pour un exemple d’une gestion discutable du personnel dans le domaine de la santé, nous suggérons de regarder l’émission Kassensturz du 30 juin 2009, intitulée « Kaltherzige Migros: Kranke Mitarbeiter entlassen », de la Schweizer Fernsehen 1 (SF1). Accès : http://www.sf.tv/sendungen/kassensturz/manual.php?catid=kassensturzsendungsartikel&docid=20090630-migros (Page consultée le 20.6.2009) 120 Cf. http://www.socialinfo.ch

Page 99: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

99

limité. Les salariés y travaillent souvent pour une période déterminée. Comme le dit un salarié : « Mon souhait est de rester là où je suis parce que je me sens vraiment bien… mais il paraît qu’il n’y a pas assez de places. Bon, il y a aussi l’AI qui m’a contacté. » En revanche, il semblerait que l’organisation du travail en flux tendu ne permette pas une reprise progressive du travail nécessitant plus de quelques semaines. En effet, un autre salarié nous a expliqué : « J’ai repris à mi-temps pour quelques semaines et après… pas de temps… ce n’était que quelques semaines, quoi ». Certains salariés ressentent une pression dont ils ne parviennent pas à identifier l’origine : « De la part de qui avez-vous ressenti de la pression ? De la gestion de la santé ou de la direction de la RDC ? C’était un peu tout mélangé… mais la gestion de santé non, elle ne m’a pas fait sentir de la pression. Disons que ce n’était pas une pression, qui… ce n’était pas… je ne sais pas comment m’exprimer sur cette question… » Il y a toutefois des salariés qui ont ressenti de la pression par rapport à leur retour au travail. « J’ai ressenti de la pression quand j’étais à la maison, là on me pressait un peu… Je ne dis pas qu’ils m’ont téléphoné tous les jours… c’est pas ça, mais je me sentais un peu… » La pression amène certains salariés à reprendre l’activité plus tôt, contre l’avis des médecins. « Ils m’ont fait reprendre le travail trop vite malgré l’avis du médecin. – Vous l’ont-ils fait comprendre ou vous l’ont-ils dit explicitement ? – Il m’ont dit que si je ne reprenais pas le travail à la date qu’eux ont décidée, je pouvais en chercher un autre ». D’après nos entretiens, les pressions sont ressenties surtout lorsque l’encadrement ou les gestionnaires de santé considèrent que la période de convalescence est « négociable » avec le salarié ou son médecin. Cela ne concernerait toutefois pas les salariés touchés par une maladie ou par un accident d’une certaine gravité, lorsqu’aucune « marge » ne permet de réduire le temps de convalescence. Les informations dont nous disposons ne permettent malheureusement pas de connaître l’ampleur des conflits entre gestionnaires de santé et médecins traitants. L’objectif de pro présence, qui consiste à diminuer autant que possible la durée des congés pour maladie ou accident, nous semble expliquer les pressions ressenties par les personnes concernées. Certains salariés nous ont fait comprendre qu’ils n’adhéraient pas à cet objectif. À la question « Pensez-vous que c’est un bon objectif ? » un salarié a répondu : « Non. On peut pas et on n’arrive pas… tout dépend de ce qu’on a, mais… on dirait que leur objectif c’est de dire : vous avez eu ça, on efface tout, c’est bon, on y va… » Face aux pressions ressenties, les salariés pourraient demander le soutien d’une personne de confiance. Or, la plupart s’adressent à leur propre médecin traitant tandis que le syndicat ne semble pas être beaucoup sollicité. « Je pense que cela ne m’aurait servi à rien de toute façon » nous a-t-on dit. Le syndicat semble même décevoir ceux qui l’appellent. Certains salariés nous ont expliqué : « J’ai pris contact avec le syndicat, mais… [tourne la tête] Un syndicaliste a participé à une séance du programme pro présence, mais il n’a rien dit. Il ne m’a donné aucun soutien. » Sentiments de contrainte Des salariés nous ont dit avoir toujours reçu l’appui de leurs supérieurs lors de la troisième phase du programme pro présence. Néanmoins, cet avis n’est pas partagé par ceux qui ont été contraints à accepter les mesures proposées par l’entreprise à l’issue du programme. À un facteur nous avons demandé : « Comment viviez-vous ces entretiens ? Étiez-vous d’accord avec les

Page 100: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

100

décisions prises par les supérieurs et les gestionnaires de santé ou aviez-vous l’impression d’avoir été contraint ? » Il nous a répondu : « Oui, j’ai été un peu contraint mais je ne pouvais pas non plus exiger et dire : "Non, je veux rester là". Je comprends que pour eux ce n’est pas facile non plus, mais j’ai été un peu contraint. » Nous pouvons expliquer ces sentiments de contrainte par la crainte de perdre l’emploi en cas de refus. Nous avons appris qu’il était déjà arrivé à La Poste, à l’issue de la troisième phase de pro présence, de demander à certains salariés de baisser leur taux d’emploi sans compensation. En effet, parfois une activité à plein temps peut se révéler dangereuse pour la santé. Ainsi, la réduction du temps de travail peut être vécue comme une contrainte : « Le fait de travailler à temps partiel est un choix venant de vous-même ? Cela signifie une perte de salaire pour vous. – Ah non, je suis contraint de travailler à temps partiel, parce que si j’étais apte à travailler à plein temps, j’aurais repris ce taux d’activité. » Dans ces circonstances, une demande d’invalidité partielle est souvent adressée à l’Assurance invalidité (AI), mais le salarié ne reçoit aucune compensation tant que l’AI n’a pas statué sur la demande, laquelle n’aboutit pas automatiquement. Nous pouvons aussi expliquer les sentiments de contrainte par le fait que pro présence n’est pas, selon nous, un programme « neutre » pouvant médiatiser des intérêts divergents entre les salariés et l’employeur. En effet, les gestionnaires de santé travaillent pour la direction centrale et doivent atteindre les objectifs que celle-ci a fixés. Nous avons toutefois appris qu’un salarié avait appelé les gestionnaires de santé pour signaler que les tâches qu’on lui assignait allaient à l’encontre de l’avis de son médecin, et que le contraindre à les effectuer constituerait une violation des prescriptions médicales. Dans cette situation, les gestionnaires de santé sont intervenus pour garantir le respect des prescriptions médicales : « On m’a encore demandé de faire [des tâches violant les prescriptions médicales], mais j’ai refusé de prendre sur moi en forçant sur mon corps. J’ai tout de suite appelé les gestionnaires de santé pour leur dire que je n’étais pas d’accord et eux ont discuté avec mon chef. » Le sentiment de contrainte peut influer sur la motivation des salariés. Souvent, l’estime de soi augmente lorsque la réintégration du travail s’avère positive. Tel est le cas, par exemple, de ce salarié affecté temporairement à un département qui n’est pas exposé aux contraintes du flux tendu : « Tirez-vous une expérience positive de pro présence? Oui. Du point de vue du travail, cette période a été très enrichissante. J’ai appris quand même passablement de choses qui m’intéressaient, j’ai vu différents secteurs et on m’a attribué des tâches différentes. Tout en n’étant pas en bonne santé, j’ai été très reconnaissant d’être récompensé avec le travail. » En revanche, lorsque la réintégration est vécue de manière contraignante, pro présence peut nuire à l’estime personnelle. C’est le cas, par exemple, lorsque l’aptitude limitée au travail s’est révélée un désavantage pour les salariés : « Je me sens abandonné et trahi car je pensais que ma place de travail aurait été réaménagée après avoir autorisé l’entreprise à consulter mon dossier médical », nous a-t-on dit. Face à ce constat, le salarié, découragé, effectuera le travail seulement « parce qu’il faut le faire ».

Page 101: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

101

L’augmentation du taux de présence est-elle rentable? L’intégration des questions de santé dans la gestion des ressources humaines constitue un investissement considérable pour La Poste. L’animation des cercles de santé, le suivi des salariés dans le cadre de pro présence ainsi que tous les autres programmes de promotion de la santé constituent d’importants investissements, auxquels s’ajoute, entre autres, la formation spécifique à la prise en charge des absences que reçoivent les cadres tandis que les gestionnaires de santé sont chargés de mettre en œuvre les trois phases de pro présence. Face à ce constat, il convient de s’interroger sur la rentabilité de ces programmes Peter Marthaler explique que le taux de présence tend à augmenter légèrement dans tous les départements de PostMail depuis quelques années. « Die Präsenzquote hat sich in den letzten Jahren positiv entwickelt, und zwar über alle Bereiche hinweg, also Produktion, Zustellung und Verwaltung. Der Anstieg von 94 auf 94,7% entspricht etwa zwei Tage, wenn man dies in Absenztage ausdrückt. »121 Il ajoute qu’une augmentation très faible du taux de présence (+ 0,7%), équivalant à deux jours de travail, a permis à La Poste d’économiser plusieurs millions de francs suisses. « Auf Anhieb scheint das vielleicht nicht so hoch zu sein, aber wenn wir berücksichtigen, dass pro Absenztag eine grössere Anzahl Millionen CHF an Ausfallkosten entstehen, hat dies auf das Ergebnis einen Einfluss. »122 En 2008, le taux de présence était de 95,30% à PostMail alors que l’objectif à atteindre était de 95,88%. Comment expliquer qu’une faible augmentation du taux de présence permette à l’entreprise d’amortir l’argent investi dans les programmes de prévention et de promotion de la santé ? L’élaboration d’un modèle basé sur le présupposé, énoncé par Peter Marthaler, qu’une augmentation du taux de présence correspond à un « gain » d’un certain nombre de jours travaillés nous permet d’esquisser une réponse possible à cette question. Ce présupposé nous amène à formuler l’hypothèse selon laquelle un taux d’absence « anormal » contraindrait l’entreprise à embaucher un nombre de salariés plus élevé que ce qui serait nécessaire avec un taux d’absence « normal ». Autrement dit, dans l’entreprise, il y aurait une proportion de salariés embauchés « seulement » pour effectuer le travail laissé vacant par les absents. Selon ce modèle, il y aurait une substitution parfaite et linéaire entre les heures d’absence et les heures travaillées. En d’autres termes, si le nombre d’heures réellement travaillées était de 2'100 en une année123, La Poste n’aurait plus aucun salarié à plein temps (1 UP) « de trop ». En conséquence, les salariés excédentaires pourraient soit être employés différemment soit être licenciés. Nous pouvons formuler mathématiquement une relation linéaire entre le taux de présence et le nombre de salariés théoriquement nécessaires pour effectuer une quantité de travail donnée. Cette relation se caractérise par les paramètres suivants : 121 « Le taux de présence au travail a connu une évolution positive ces dernières années, tous secteurs confondus: production, livraison et administration. L’augmentation constatée (passage de 94% à 94,7%) représente environ deux jours d’absence de moins [par personne, sur une année]. » 122 « Au premier abord, cela ne semble pas bien important, mais si l’on considère que chaque jour d’absence coûte plusieurs millions de francs, cela exerce forcément une influence sur le résultat d’exploitation. » On l’aura compris, les « jours » dont il est question ici se rapportent au pourcentage du taux d’absence, à l’échelle de l’entreprise. RUFER 2008, p.35 123 Cf. RUFER 2008, p. 35

Page 102: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

102

y = π * x + n x = taux de présence y = nombre de salariés à plein temps (1 UP = 1 salarié à plein temps) π = coefficient directeur n = ordonnée à l'origine

Une relation linéaire nous paraît pertinente du point de vue de la théorie économique néoclassique : s’agissant de deux variables d’un seul facteur de production, le travail calculé en heures, la substitution entre les heures d’absence et les heures travaillées est à considérer comme homogène. Autrement dit, nous pouvons par exemple supposer qu’une heure de travail équivaut à une heure d’absence. Cela revient à considérer que l’utilité marginale des heures de travail (la productivité) est la même pour chaque heure de travail, indépendamment d’autres variables exogènes au modèle (les caractéristiques du salarié, les ressources, les exigences de l’emploi, etc.) Le modèle repose également sur l’idée que la combinaison des facteurs de production nécessaires (travail et capital) est toujours optimale.124 Nous pouvons considérer que les présupposés du modèle sont faux dans la mesure où les contraintes techniques (liées par exemple à la structure des tournées, aux différentes fonctions existantes ou à la fluctuation difficilement prévisible du courrier) et sociales (un taux de présence de 100% nous paraît très difficile à atteindre, sauf si les salariés étaient contraints de travailler malades, accidentés ou en faisant totalement abstraction de leurs obligations familiales). Dans la réalité, une substitution parfaite et linéaire entre les heures d’absence et les heures travaillées est impossible. Le modèle ne prend pas non plus en compte les coûts liés à la formation et à la faible productivité des nouveaux embauchés. Il faudrait aussi tenir compte des primes et des prestations de la caisse d’assurance chargée de verser les indemnités journalières aux salariés en cas d’incapacité de travail. Néanmoins, par ce modèle nous pouvons saisir l’ampleur des gains auxquels La Poste pourrait théoriquement réaliser si elle parvenait à augmenter le taux de présence. Nous calculons ainsi les économies potentielles pour l’entreprise :

EP = (z – y) * 5373 EP = économies potentielles (en francs suisses)

z = nombre de salariés à plein temps (UP) en 2008

y = nombre théorique de salariés à plein temps (UP) suite à une variation du taux de présence

5373 = estimation du salaire brut moyen pour les facteurs selon les données de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS)

Le salaire retenu dans ce calcul correspond au salaire mensuel standardisé médian brut pour des activités simples et répétitives dans le domaine des postes et des télécommunications (anciennes régies fédérales), selon les données de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) de 2006.

124 Cf. GUERRIEN 2004, p. 53

Page 103: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

103

Le montant de 5'373 CHF prend en considération les charges sociales, 13 mensualités et l’augmentation salariale de 2,2% en 2007. Nous avons retenu ces critères en considérant que le programme pro présence s’adresse avant tout à des salariés exécutants dont l’activité peut être considérée, selon les critères de l’ESS, comme « simple et répétitive ». Il va de soi qu’un salaire médian de 5'373 CHF n’est pas forcément celui que l’on trouverait empiriquement. Néanmoins, nous ne sommes pas en mesure d’obtenir une estimation plus précise. Dans le graphique no 48, ce modèle est appliqué à la RDC qui fait l’objet de cette étude pour l’année 2008. Compte tenu des hypothèses énoncées, La Poste réaliserait des économies potentielles de 899'704 CHF si l’objectif de PostMail était atteint, c’est-à-dire si le taux de présence atteignait 95,88% au lieu de 91,62%. Une augmentation du taux de présence de 1% permettrait donc d’économiser, en théorie, l’équivalent de 3,02 salariés à plein temps, soit 211'194 CHF par an.

L’application de ce même modèle à l’ensemble de PostMail donne l’ampleur des économies recherchées par l’entreprise (cf. graphique no 49). Si PostMail avait atteint l’objectif du taux de présence fixé par la direction (95,88% au lieu de 95,30%) elle aurait pu économiser l’équivalent de 826,9 salariés à plein temps, soit 7'133'023 CHF par an. La différence du taux de présence n’aurait pourtant été que de 0,58% ! Si les absences avaient complètement disparu en 2008, le gain théorique aurait pu atteindre 57'755'676 CHF. Bien que les résultats soient approximatifs, l’application de ce modèle donne une idée de l’ampleur des économies visées par La Poste

Graphique no 48 Gains théoriques selon le taux de présence à la RDC Données : documents internes à l’entreprise 1 UP = 1 salarié à plein temps

Page 104: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

104

Graphique no 49 Gains théoriques selon le taux de présence à PostMail

Données : Rapport de gestion 2008 et documents internes à l’entreprise 1 UP = 1 salarié à plein temps La gestion de la santé est-elle véritablement efficace ? L’intérêt que La Poste porte à la santé des salariés nous paraît justifié dans la mesure où la prévention et la promotion de la santé présentent des avantages tant pour les employeurs que pour les salariés. Néanmoins, les résultats empiriques de cette étude nous amènent à exprimer quelque réserve quant à leur efficacité. Nous avons constaté que les salariés n’ont pas toujours le sentiment de s’exprimer librement, que ce soit au sein du cercle de santé ou dans le cadre du programme pro présence, en raison de l’encadrement de ces dispositifs par la direction. L’existence de tabous ou la crainte du licenciement sont susceptibles d’accroître la démotivation, la résignation et les souffrances. Les résultats du programme pro présence nous semblent ambivalents pour deux raisons. D’une part, il y a un nombre non négligeable de salariés satisfaits après avoir réintégré un travail adapté à leur santé. Ils expriment, en conséquence, leur reconnaissance à l’égard de La Poste. D’après les informations dont nous disposons, il s’agit surtout de salariés affectés à un poste de travail qui n’est pas exposé à la pression générée par le flux tendu. D’autre part, il y a aussi des salariés pour qui pro présence s’est révélé un programme contraignant et désavantageux. Pour eux, l’espoir a laissé la place à la résignation. Les données empiriques dont nous disposons ne permettent pas de savoir quelle position l’emporte au sein du personnel concerné. Quant au cercle de santé, son activité n’a pas abouti à une mise en question de certains aspects de l’organisation du travail. Les conditions de travail susceptibles de porter atteinte à la santé nous semblent constituer une variable exogène au modèle théorique sur lequel repose la gestion de la santé. La santé des salariés nous paraît abordée principalement du point de vue des coûts monétaires, l’inscrivant ainsi

Page 105: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

105

dans un rapport instrumental coûts / bénéfices pour l’entreprise. Nous interprétons ainsi les propos d’Erich Bloch, responsable de la gestion de la santé à La Poste : « La gestion de la santé est essentielle au succès à long terme de l’entreprise. D’une part, les collaborateurs sont en meilleure santé, donc de meilleure humeur et plus motivés, ils sont moins souvent absents aussi, et de l’autre, une promotion de la santé adéquate constitue un atout pour la Poste sur le marché du travail. »125 Cette logique fait de l’amélioration des conditions de travail principalement un moyen pour réaliser des économies plutôt qu’un objectif en soi. L’augmentation du taux de présence implique une « mise au travail » accrue des salariés, en particulier de ceux qui sont en incapacité de travail suite à une maladie ou à un accident. Dans la même logique, les mesures de prévention et de promotion de la santé pourraient déboucher sur l’éviction des salariés dont le risque d’absence est estimé plus élevé. Selon l’étude réalisée par Thomas Geisen, Annette Lichtenauer, Christophe Roulin et al., dans la gestion de la santé à PostMail « der präventive Aspekt hat an Gewicht gewonnen. So wird das Unternehmen künftig bei Neuanstellungen sehr genau schauen, inwieweit die neuen Mitarbeitenden aufgrund ihrer körperlichen und gesundheitlichen Dispositionen überhaupt in der Lage sind, die Anforderungen des Arbeitsplatzes mittel- und langfristig erfüllen zu können. Auch hier wird künftig in begründeten Fällen ein Belastungsanalyse erstellt werden. Ziel des Unternehmens ist es, mit Hilfe dieses Verfahren das „Risiko“ künftiger Absenzen am Arbeitsplatz zu verringern ».126

125 La Poste Suisse, Journal du personnel, n. 5/2009, p. 14 126 « On accorde toujours plus d’importance à la prévention. À l’avenir, l’entreprise examinera très attentivement dans quelle mesure ses nouveaux employés sauront, compte tenu de leurs dispositions physiques et de leur état de santé, répondre aux exigences du poste de travail, à moyen et long terme. Dans certains cas, lorsque la mesure semblera justifiée, il sera procédé à une analyse de la capacité du candidat à supporter la charge de travail impliquée par le poste convoité. Au moyen d’une telle procédure, l’entreprise entend ainsi réduire le « risque » d’absence future du collaborateur. » GEISEN Thomas, LICHTENAUER Annette, ROULIN Christophe et al. 2008, p. 31

Page 106: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

106

8. PISTES POUR UNE PRÉVENTION PLUS EFFICACE

Mieux comprendre pour agir plus efficacement L’analyse des situations pouvant porter atteinte à la santé est utile dans la mesure où elle est orientée vers une action plus efficace en matière de prévention et de promotion de la santé au travail. Dans ce chapitre, nous souhaitons formuler des propositions qui intègrent les trois niveaux d’intervention proposés par Patrick Légeron (médecin psychiatre et coauteur du Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail, adressé au gouvernement français le 12 mars 2008) : l’élimination des situations dangereuses pour la santé, la protection des personnes et la prise en charge des sujets affectés.127 Nos propositions souhaitent également cibler les trois domaines proposés par Légeron : l’organisation (conditions de travail), le management (gestion du personnel) et l’individu (gestion du stress). Au préalable, il faut toutefois comprendre les problèmes que les salariés disent rencontrer au travail. D’après les données empiriques de notre étude, le problème le plus répondu est lié aux cadences et à la pression, lesquelles sont très élevées. Plusieurs indicateurs du questionnaire attestent ce constat : comme nous l’avons vu, 53% des salariés estiment travailler à un rythme « élevé » ou « intenable » tandis que 64,8% ont déjà renoncé ou différé une visite chez le médecin par crainte de nuire à l’activité par leur absence. L’adaptation aux nouvelles normes temporelles, qui résultent d’une chasse acharnée aux « temps morts » et d’une augmentation de la charge de travail, génère des souffrances. Le deuxième concerne la pratique des mutuelles et des alternances. Ces aspects de la réorganisation du travail rencontrent des résistances lorsqu’ils ne permettent aux facteurs ni d’acquérir, ni de maintenir une connaissance intime du territoire. L’impact de ces processus sur l’activité (qualité du service, charge de travail, etc.) est considéré négativement par 45,7% des salariés, « ni négatif ni positif » par 25,8% et positivement par 22,6%. Le troisième est la souffrance liée au déni du « pouvoir d’agir » généré par certains aspects de la réorganisation du travail. Les nouvelles normes temporelles et la pratique des alternances empêcheraient les facteurs de connaître les besoins spécifiques de « leur » clientèle. Dans le chapitre précédent, nous avons constaté que ces trois problèmes ont été abordés dans le cercle de santé, que ce soit de manière explicite ou implicite : les participants ont soulevé, par exemple, le manque de temps, la difficulté à maîtriser la tournée ainsi que la déstabilisation personnelle suscitée par les mutuelles et la surcharge de travail. Or, la direction n’a retenu aucune proposition pouvant résoudre les problèmes plus récurrents des salariés, comme la simplification des tournées sujettes à l’alternance ou l’allégement de celle-ci pour les facteurs âgés : elle a seulement décidé d’améliorer la planification des ressources par rapport au flux du courrier et l’information concernant les nouveaux processus et les marges de manœuvre à disposition. En conséquence, si l’activité du cercle de santé cible l’organisation du travail, aucune des propositions retenues n’apporte des améliorations ni ne modifie l’organisation. Dans le chapitre précédent, nous l’avons expliqué par l’inadéquation des objectifs et de la structure du cercle: la direction n’a décidé d’instituer et d’encadrer un groupe de travail que pour rassembler les avis et les connaissances des

127 Cf. document exposé lors de la conférence « Le travail contre la santé » organisé par l’Université de Fribourg le 29.10.2009. Accès : http://www.cesi.org/academie-europe/BWP%20II-Rome-2009.htm (Page consultée le 30.10.2009)

Page 107: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

107

salariés sur les conditions de travail. Il conviendrait donc de s’interroger sur la possibilité d’instituer une autre structure capable d’améliorer l’organisation tout en intégrant les connaissances et les savoirs des salariés, acquis par la pratique du métier, au profit de la prévention et de la promotion de la santé. En revanche, le programme pro présence cible le management et l’individu, mais n’apporte de véritables améliorations que pour les salariés ayant pu réintégrer un poste de travail à l’abri de la pression du flux tendu. L’objectif principal du programme pro présence consiste à augmenter le taux de présence par une « mise au travail » accrue des salariés. La manière dont les politiques de prévention et de promotion de la santé ciblent l’organisation, le management et l’individu devrait tenir compte de ces remarques. L’analyse des entretiens et des questionnaires nous laisse supposer que ces politiques intègrent les trois niveaux d’intervention proposés par Légeron de la manière suivante : d’une part, les situations dangereuses pour la santé persistent et sont principalement d’ordre organisationnel, comme en témoignent les récits des salariés ; d’autre part, les mesures de protection ne suivent pas une logique de prévention, mais de réparation : le programme pro présence n’intervient qu’après des absences ou des problèmes de santé tandis qu’au cercle de santé, les stratégies contre le stress proposées par ses animateurs ne touchent à aucun aspect collectif de l’organisation du travail ; enfin, les personnes concernées par pro présence ne sont pas protégées d’une gestion strictement utilitariste du personnel. La prise en compte de ces aspects nous amène à énoncer deux propositions pour une meilleure politique de prévention et de promotion de la santé : elles visent principalement à mieux connaître les situations dangereuses pour la santé tout en mettant en place des structures qui permettent d’agir plus efficacement.

Première proposition : améliorer la connaissance des situations de travail favorables et défavorables à la santé

La Poste aurait intérêt à encourager des études dont l’objectif consisterait à identifier à la fois les situations de travail dangereuses pour la santé et celles qui lui sont favorables. Ces connaissances donneraient les moyens à la direction de saisir les relations complexes entre le travail et la santé pour en tenir compte dans la fixation des objectifs et dans l’organisation des processus de travail.. L’exposition du corps à l’environnement du travail peut renforcer comme elle peut dégrader la santé des salariés. Michel Gollac et Serge Volkoff soulignent cette ambivalence: « Maladies, troubles, douleurs, usure professionnelle relèvent d’une politique de prévention. Mais le travail est aussi – ou devrait être – un puissant opérateur de construction de la santé. »128 Il s’agirait ainsi de faire du travail un déterminant socio-économique par lequel les salariés pourraient renforcer leur santé. Une collaboration avec une ou plusieurs universités donnerait un cadre institutionnel, scientifique et indépendant à de tels projets, favorisant la mise en place d’une équipe interdisciplinaire composée idéalement par des chercheurs universitaires, des experts, des médecins et des salariés reconnus par leurs pairs pour leur savoir-faire et leur expérience. Les connaissances scientifiques produites par ces études seraient mises au profit si elles aboutissaient à une meilleure formation du personnel sur le travail et la santé.

128 GOLLAC et VOLKOFF 2007, p. 31.

Page 108: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

108

Deux approches méthodologiques nous paraissent intéressantes à explorer pour de telles recherches. La première, longitudinale, consisterait à étudier la biographie d’un échantillon de salariés afin de mieux connaître leur parcours personnel et professionnel. L’objectif consisterait à étudier, d’une part, pourquoi certains salariés s’adaptent mieux que d’autres à la réorganisation du travail et pourquoi la santé de certains se détériore. La deuxième, la recherche-action, consisterait à associer les salariés à l’élaboration scientifique, mettant ainsi en valeur leurs connaissances concrètes du travail et leur expérience professionnelle. Une équipe de chercheurs mènerait des observations approfondies sur le travail tout en associant les salariés à la définition de la problématique et à l’élaboration des analyses. Laurence Théry explique que cette démarche vise à construire une compréhension collective de la santé, en valorisant l’activité et la mobilisation des salariés : « l’enjeu était donc de dépasser le stade où le salarié est en réaction par rapport à son vécu au travail ("j’en ai marre", "je suis stressé", "mon chef est un malade", "on est en sous-effectif") pour aller voir concrètement et par le "menu" où sont les difficultés. Cette démarche oblige à écouter le salarié expliquer comment il fait son travail, qui lui prescrit quoi, comment il se débrouille en cas de panne ou au contraire s’il peut solliciter ses collègues… »129

Deuxième proposition : instituer une commission d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

Le cercle de santé que nous avons étudié n’a pas été en mesure de faire valoir les propositions de ses participants. Les salariés ne semblent avoir eu ni l’autonomie ni le sentiment de s’exprimer librement en raison de l’encadrement du cercle par la direction. Il s’agirait donc d’instituer une structure capable de prendre en considération les propositions des salariés, leur permettant ainsi de développer une connaissance approfondie des processus. Cette structure pourrait prendre la forme d’une commission composée exclusivement de salariés, dont la mission consisterait à veiller sur l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail. La législation d’autres pays industrialisés, par exemple la France130, prévoit l’existence d’une telle commission au sein des entreprises. Les délégués d’une Commission d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) seraient élus tous les deux ou trois ans par les salariés travaillant à la RDC. Leur cahier des charges pourrait inclure, entre autres, les tâches suivantes :

a. proposer à la direction des mesures de prévention et de promotion de la santé ; b. contribuer à la diffusion d’informations visant à sensibiliser les collègues sur les risques que

le métier présente pour la santé ; c. vérifier le respect des prescriptions légales et réglementaires en matière de santé ; d. discuter avec la direction tout réaménagement du travail modifiant les conditions de santé et

de sécurité ; e. signaler à la direction tout danger grave ou imminent ressenti par un collègue ; f. établir les circonstances des accidents ou des maladies à caractère professionnel ;

129 THÉRY (éd.) 2006, p. 12 130 Cf. site internet du Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville (France) : http://www.travail-solidarite.gouv.fr/informations-pratiques/fiches-pratiques/

Page 109: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

109

g. accompagner des enquêtes sur les situations de travail favorables et défavorables à la santé des salariés, en collaboration avec des médecins du travail indépendants, des inspecteurs du travail et des chercheurs universitaires ;

h. mener une réflexion sur les programmes de formation destinés à l’ensemble des salariés, dans le but d’améliorer la prévention et la sécurité.

Une CHSCT nous semble être une instance plus appropriée qu’un cercle de santé pour solliciter et impliquer les salariés dans la prévention et la promotion de la santé. D’une part, étant élue par les salariés, une CHSCT serait une forme de sociabilité « autonome », plus représentative du personnel qu’un cercle de santé encadré par la direction. D’autre part, cette structure permettrait à tout conflit social latent de trouver une expression collective, organisée et constructive, dans le but d’améliorer la prévention et la promotion de la santé. Enfin, l’activité d’une CHSCT interviendrait aux trois niveaux que propose Légeron, dans la mesure où elle permettait d’identifier les situations dangereuses pour la santé, de développer des mesures concrètes pour la protection des personnes et de proposer le réaménagement du poste de travail pour ceux qui en ont besoin. Pour que la mise en place d’une CHSCT soit constructive à la fois pour l’entreprise et pour les salariés, quatre conditions nous semblent nécessaires : premièrement, la CHSCT et la direction devraient se rencontrer au moins une fois par mois sur la base d’un ordre du jour convenu par les deux parties ; deuxièmement, à l’intérieur de l’entreprise tous les acteurs concernés (direction, salariés, médecins du travail, chercheurs universitaires et syndicats) devraient connaître l’activité de la CHSCT ; troisièmement, les délégués du personnel devraient disposer, d’une part, d’un certain nombre d’heures pour exercer leur fonction et, d’autre part, d’un budget pour financer un meilleur aménagement des places de travail ; quatrièmement, les représentants du personnel devraient être protégés, au cours de leur mandat, contre tout licenciement ou toute autre forme d’éloignement de la RDC, pour éviter qu’ils ne fassent l’objet de rétorsions.

Régulation du marché postal : clé de voûte pour lutter contre l’intensification du travail ?

Le développement d’études scientifiques et la mise en place d’une CHSCT ne suffisent pas pour résoudre le problème principal des salariés : l’intensification du travail. Certains facteurs nous ont expliqué que le travail s’est densifié progressivement à partir du milieu des années 1990. Au cours de cette période, les PTT puis La Poste ont connu des changements importants, portant à la fois sur l’organisation du travail et sur la structure de l’entreprise. Nous pouvons expliquer cela par la libéralisation du secteur des postes et des télécommunications, entamée par le Conseil fédéral sous la pression des milieux économiques.131 La pression de la concurrence, à laquelle La Poste a été progressivement exposée, se serait donc répercutée sur les salariés à travers une intensification du travail. En effet, la pression exercée sur les prix et sur la qualité des prestations amène les entreprises à développer des avantages concurrentiels sur la base d’une réduction des coûts,

131 En réaction à la publication de deux livres « blancs » par les milieux patronaux en 1991, dans lesquels sont exposés des propositions visant à rendre la Suisse un pays économiquement plus « moderne » et « compétitif », le Conseil fédéral mandate un groupe de travail informel, dirigé par David de Pury, de réfléchir à un programme politique pouvant concrétiser les propositions patronales. Ce groupe de travail adresse au Conseil fédéral un rapport intitulé Ordnungspolitik le 22.1.1992.

Page 110: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

110

impliquant souvent une détérioration des conditions de travail, mais pouvant se réaliser aussi par une « gestion » rationnelle de la santé. Nous pouvons donc supposer que l’intensité du travail est largement tributaire de la réglementation de la concurrence, ce qui en fait une question d’ordre politique. D’après le Message du Conseil fédéral relatif à la loi sur la poste (LPO), la libéralisation du secteur postal devrait se poursuivre pour aboutir à la suppression du monopole actuellement attribué à La Poste sur la distribution des lettres. Ce projet de loi prévoit également des dispositions en matière de conditions de travail : au respect des « conditions de travail usuelles dans la branche » doit s’ajouter « l’obligation de négocier une convention collective de travail (CCT) ou de prendre part à de telles négociations par l’intermédiaire des associations patronales. »132 Dans le Rapport de gestion de 2008, la direction générale de La Poste manifeste son désaccord vis-à-vis d’une de ces dispositions, en plaidant pour une déréglementation intégrale de la relation de travail avec les salariés, pour ne pas compromettre sa compétitivité : « Offrant des conditions de travail particulièrement avantageuses, la Poste est en effet de plus en plus désavantagée sur le marché libre. Afin de rester performante et de préserver ses emplois à l’avenir, elle a besoin d’une réglementation en matière de droit du travail qui lui permette de lutter à armes égales contre ses concurrents. Bien que favorable au partenariat social, la Poste ne souhaite plus que l’obligation de conclure une convention collective de travail soit ancrée dans la future législation postale. »133 Cependant, le changement du statut faisant de La Poste une société anonyme (SA) devrait doter l’entreprise des mêmes « armes » que ses concurrents. La Neue Zürcher Zeitung (NZZ) du 22 mai 2009 explique à ce propos : « Die Postangestellten werden neu privatrechtlich (nach Obligationenrecht) angestellt. Damit erhält die Post mehr Flexibilität im Wettbewerb mit privaten und insbesondere auch ausländischen Konkurrenten. »134 Or, l’actuelle révision de la Loi sur la poste représente à nos yeux une véritable occasion d’accroître la réglementation de la concurrence, par des conventions de force obligatoire concernant le prix, les salaires, le temps de travail, etc. La protection des conditions de travail ne mettrait pas pour autant en cause la suppression du monopole. Cette démarche a été adoptée par certains pays comme l’Allemagne, qui a décidé d’introduire un salaire minimum dans le but d’éviter l’apparition du dumping salarial et social. Depuis le 1er janvier 2008, les salariés des entreprises postales sont payés au moins 9,8 euros dans les Länders de l’Ouest et 8 dans ceux de l’Est. Pour Heike Solga (professeur de sociologie à l’Université de Göttingen), la mise en place d’un salaire minimum légal est une norme ayant pour objectif une réglementation accrue du marché postal. « Wenn wir gleiche Wettbewerbsbedingungen schaffen wollen, bedarf es eines Mindestlohns. (…) Die öffentlich Beschäftigen werden immer stärker abgebaut, weil sie in der Konkurrenz zu den Privatunternehmen, die niedrigere Löhne zahlen, nicht überleben können. Das ist jetzt auch bei der Post der Fall. Dort wird massiv abgebaut und gleichzeitig gibt es immer mehr private Anbieter. Wir brauchen daher einen Mindestlohn, damit sich Unternehmen im Wettbewerb halten können und um bestimmte Löhne zu garantieren. So können ungleiche Konkurrenzbedingungen verhindert

132 Message du Conseil fédéral relatif à la loi sur la poste (LPO) du 20 mai 2009, p. 26 133 Op. cit., p. 99 134 « Dans un proche avenir, les rapports de travail des employés de La Poste seront soumis au droit privé (Code des obligations). Cela donnera à La Poste plus de flexibilité sur le marché privé, en particulier vis-à-vis des concurrents étrangers. »

Page 111: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

111

werden. »135 Le contenu de la nouvelle Loi sur la poste n’est bien évidemment pas du ressort de la direction de la RDC, qui constitue le « terrain » de cette étude. Néanmoins, La Poste a été pour longtemps une régie fédérale de « service public » et l’État en est encore propriétaire à part entière. En conséquence, son histoire politique et sociale, tout autant que son poids économique dans la branche, lui donne la possibilité d’assumer un véritable leadership orienté vers une réglementation accrue de la concurrence. Cette orientation serait conforme à celle affichée par les dirigeants de La Poste, lesquels souhaitent que l’entreprise soit un exemple de la « responsabilité sociale » dans la branche. 136

135 « Un salaire minimum est nécessaire si nous souhaitons offrir à tous les mêmes conditions sur le marché. (…) Les emplois de la fonction publique seront démantelés de plus en plus parce qu’ils ne pourront pas survivre à la concurrence des entreprises privées, qui payent des salaires inférieurs. C’est maintenant le cas chez La Poste également. Les emplois y sont démantelés alors que le nombre d’entreprises privées est en augmentation. Un salaire minimal est donc nécessaire, afin que des entreprises puissent se maintenir sur le marché et qu’il soit possible de garantir certains salaires. C’est ainsi qu’on peut empêcher une concurrence reposant sur des conditions inégales. » Interview accordé par Heike Solga à a TV allemande ARD le 05.12.2007. Accès : htp://www.tagesschau.de/wirtschaft/mindestlohn54.html (Page consultée le 16.9.2009) 136 Dans un document intitulé La Poste Suisse, un employeur moderne conscient de ses responsabilités sociales, nous apprenons que « La Poste entend continuer à assumer ses responsabilités sociales et à faire partie, dans chaque branche, des employeurs proposant les meilleures conditions d’engagement. » Cf. Document Poste et politique, Berne, février 2007. Accès : http://www.post.ch/fr/uk_factsheet_moderne_arbeitgeberin_0702.pdf (Page consultée le 4.8.2009)

Page 112: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

112

CONCLUSION

À partir des années 1990, La Poste a connu des restructurations profondes sous la pression des politiques néolibérales mises en œuvre par le Conseil fédéral, visant à accroître la compétitivité des entreprises suisses sur les marchés internationaux.137 Ces restructurations ont doté La Poste d’une structure productive lui permettant de distribuer le courrier en flux tendu. Les données dont nous disposons ne nous permettent pas de déterminer si ces restructurations ont des répercussions sur la santé sur le moyen-long terme, mais mettent en évidence un malaise au sein de la RDC, ressenti à des degrés différents. Selon nous, la raison principale réside dans l’intensification du travail, mise en évidence par la pratique des alternances et des mutuelles ainsi que par l’introduction de nouvelles normes temporelles, mesures qui ont considérablement augmenté le stress ressenti par les salariés. L’intensification du travail ne se limite pas à Suisse ou à l’Europe : l’étude sur les coûts du stress, réalisée en l’an 2000 par Daniel Ramaciotti et Julien Perriard, et la quatrième enquête européenne sur les conditions de travail, réalisée en 2005, attestent une intensification généralisée du travail au cours des dernières années. Nous pouvons donner trois explications à ce phénomène. D’une part, les politiques économiques néolibérales, notamment la déréglementation des relations du travail et la privatisation des entreprises publiques, ont modifié en profondeur les rapports entre capital et travail à partir des années 1970. La concurrence « libre et non faussée » a pris le pas sur les politiques keynésiennes de plein emploi et de soutien de la croissance économique par l’intervention de l’État.138 L’exposition des entreprises à un environnement économique plus concurrentiel et contraignant a ainsi accru la pression sur les conditions de travail. D’autre part, la création d’un marché postal européen139, comprenant également la Suisse, met en concurrence les salariés des entreprises postales de pays dont les niveaux de salaire et de protection sociale sont très différents. Selon Michel Husson (économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales de Paris), « la mise en concurrence des travailleurs exerce ainsi une pression à l’alignement vers le bas de leurs conditions d’existence. »140 Enfin, les progrès techniques dans les communications, les transports et la production ont permis la mise en place d’une organisation du travail qui repose sur la mobilisation permanente des salariés. Tous ces éléments sont à l’origine de nouvelles normes universelles portant à la fois sur les salaires et la productivité, ce qui rend la préservation de la santé difficilement envisageable sans une remise en cause des structures économiques et sociales à l’origine des souffrances des salariés. Les directions des entreprises et les salariés partagent souvent le même sentiment d’impuissance face à la pression de l’environnement économique, mais ils ne doivent pas pour autant renoncer à leur emprise sur les conditions de travail. Lorsque les salariés se trouvent désarmés face à l’intensification du travail, il semble que les atteintes à la santé augmentent ; c’est le cas, notamment, lorsque les facteurs perdent progressivement la maîtrise de leur travail, c’est-à-dire la connaissance intime de leurs tournées, et ne parviennent plus à mobiliser leurs savoirs professionnels pour s’adapter aux nouvelles cadences. 137 Cf. MACH A. (éd.) (1999) et DE PURY D. (éd.) (1992) 138 Cf. HARRIBEY et PLIHON (éds.) 2009, pp. 43-54 139 Cf. Commission des Communautés Européennes (CCE), Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux, Luxembourg, 11 juin 1992 140 HUSSON 2008, p. 43

Page 113: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

113

Ce constat concerne une partie non négligeable de salariés : ne pouvant ni avoir une véritable emprise sur les aspects centraux du travail, ni satisfaire convenablement « leur » propre clientèle, les sentiments d’impuissance éprouvés à l’égard de la réorganisation du travail prennent le pas sur leur « pouvoir d’agir » et génèrent des souffrances profondes. La gestion individualisée du personnel tend à gommer les structures hiérarchiques à l’intérieur de l’entreprise, ce qui amène les salariés à considérer que leurs collègues sont à l’origine de leurs souffrances. Nous assistons ainsi à une « psychologisation des rapports sociaux ». L’érosion des collectifs de travail, le départ des salariés les plus anciens, la difficulté à maintenir un « genre professionnel » face aux réorganisations du travail et la difficulté à exprimer collectivement les conflits sociaux ne pourraient qu’aggraver ces phénomènes. La santé des salariés a commencé à faire l’objet d’une « gestion » rationnelle par La Poste à partir du moment où il s’agissait de réduire les coûts générés par les maladies et les accidents pour accroître la compétitivité de l’entreprise. Cette approche instrumentalise la santé dans un rapport coûts / bénéfices assimilant l’amélioration des conditions de travail à un moyen d’augmenter le taux de présence et non comme un but en soi. La méthode pro présence est considérée comme un appui seulement pour une minorité des salariés concernés, celle pouvant réintégrer un travail à l’abri de la pression du flux tendu. Cette méthode comporte des éléments discutables : les salariés dont l’état de santé est identifié comme fragile sont exposés à une gestion strictement utilitariste du personnel. Quant au cercle de santé, il ne semble pas prendre suffisamment en considération les savoirs et les connaissances professionnelles des salariés. La mise en place d’une commission d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pourrait accroître l’implication des salariés dans la prévention et la promotion de la santé, favorisant ainsi leurs stratégies d’adaptation à la réorganisation du travail. La Poste aurait également intérêt à mieux connaître les situations favorables ou défavorables à la santé. Une étude longitudinale, consistant à suivre un échantillon de facteurs pendant une longue période, permettrait de mesurer les conséquences des restructurations de l’entreprise en terme d’usure des corps. Les connaissances scientifiques élaborées par une équipe interdisciplinaire de spécialistes, chargée de mener des études mettant en valeur les connaissances et les savoirs professionnels de chaque salarié, seraient mises au profit si elles pouvaient aboutir à une meilleure formation des cadres et des salariés.

Page 114: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

114

ANNEXES

A. La journée d’un facteur (observation exploratoire)

Mardi 18 novembre 2008, 6h00, j’attends devant la loge de la Région de distribution courrier (RDC) concernée par mon étude. Le personnel de La Poste passe devant moi pour se rendre au travail. Un employé du secteur de la distribution vient me chercher. Après que l’on m’a remis un badge, je longe avec lui le couloir qui mène aux emplacements où travaillent les facteurs. Il prend le temps pour m’introduire soigneusement dans les locaux de la RDC. Cet employé a travaillé longtemps comme facteur. Il m’a expliqué : « Vous êtes bien tombé aujourd’hui. Les facteurs sont confrontés à une charge de travail plus élevée que d’habitude puisqu’ils doivent distribuer un tous-ménage épais et lourd ». Presque tous les jours, les envois publicitaires se rajoutent au courrier habituellement distribué aux ménages. Lorsque nous entrons dans le local de distribution où travaillent les facteurs, l’atmosphère est tendue par le stress qui y règne. Devant nous se trouvent deux longues rangées composées par des emplacements, où quatre facteurs travaillent côte-à-côte. Ces emplacements se caractérisent par une centaine de petits casiers qui composent une tournée. Chaque petit casier représente une « entrée »141, c’est-à-dire l’ensemble des boîtes-aux-lettres d’un immeuble. Depuis quelques mois, les facteurs travaillent dans un « team » composé de huit tournées en moyenne. Suite à l’introduction de la polyvalence à l’intérieur du team, chaque facteur a dû apprendre à travailler sur une moyenne de quatre tournées. Cette nouvelle organisation du travail permet de répartir les tâches sur les autres collègues du team lorsqu’il y a des absences de courte durée. Sur la partie opposée du local se trouve un autre ensemble de casiers, mais à la place des facteurs on aperçoit un grand nombre de femmes qui ne portent pas la tenue de l'entreprise. « Le courrier que les machines n’arrivent pas à trier doit se faire manuellement » m’explique mon accompagnateur. Pour l’heure, les machines trient le courrier par tournée seulement, mais à l’avenir le courrier sera déjà trié dans l’ordre de la tournée, ce qui rendra inutile le tri du facteur. Nous longeons la série d’emplacements pour rencontrer le team qui m’a été attribué pour cette observation exploratoire. Le facteur qui a accepté de se faire accompagner par moi durant la journée interrompt brièvement son travail pour se présenter. L’échange est très bref. Je reste donc à l’entrée de l’emplacement pour observer les facteurs qui trient le courrier de leur tournée respective. Le travail nécessite une série de gestes répétitifs, dont la plupart impliquent le soulèvement du poids, lesquels sont effectués à une vitesse très élevée. Le courrier doit être trié et attaché aux liasses impérativement avant une heure précise. Ensuite, un camion le déposera à l’intérieur de certaines « entrées » placées sur le parcours de la tournée. Les facteurs soulèvent du sol des paquets de lettres ou de tous-ménages pour les poser sur la table sans se prémunir de ne pas plier le dos. Après avoir effectué le tri nécessaire, ils soulèvent avec leurs bras une série de journaux et de lettres, pour les poser ensuite dans le casier de l’entrée où doivent parvenir à destination. L’épaisseur des casiers ne semble pas adaptée au volume du

141 Les facteurs emploient le terme « allée » pour désigner l’entrée d’un immeuble. Dans ce récit, nous utilisons le terme d’« entrée » pour faciliter la compréhension du récit aux personnes qui ne travaillent pas à La Poste.

Page 115: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

115

courrier correspondant. Parfois, le facteur doit pousser le courrier dans le casier avec toute sa force. La hauteur des casiers ne semble pas non plus adaptée à la taille des facteurs, en particulier pour les personnes de petite taille. Les corps semblent sollicités dans une lutte contre le temps, contre le camion qui ne peut pas retarder son départ à cause du seul facteur qui n’a pas su garder le rythme de la chaine « invisible ». Le travail n’est payé qu’à partir de 6h du matin. Le tri matinal arrive peu à peu à son terme. Les facteurs posent des étiquettes sur une partie du courrier. Au fur et à mesure que se remplissent les casiers, le courrier est emballé par rapport à l’entrée correspondante, avec un élastique, pour être finalement rangé dans des sacs spécifiques à la tournée. Les plus gros sont destinés à la charrette des facteurs qui effectuent la distribution à pied tandis que les petits seront posés sur le scooter des facteurs motorisés. La transgression des normes semble nécessaire pour faire face au fort volume du courrier. La lutte pour terminer le travail dans les temps prescrits n’est pas encore terminée. La factrice qui se trouve devant moi soulève, non sans difficulté, deux caisses très lourdes pour les poser sur une charrette. D’une manière très visible, elle plie le dos pour mener cet effort. À 7h48, un message vocal annonce que les facteurs peuvent chercher le courrier qui n’avait pas été trié par les machines. À 8h08, le premier facteur du team est prêt pour sa tournée. Il quitte le local de distribution après avoir cherché les mandats de paiement - une autre tâche destinée à disparaître dans le métier du facteur. Il est 8h45. Le facteur qui a été désigné pour l’observation est aussi prêt pour sa tournée. Le quartier de la ville où s’effectue la tournée se caractérise par la forte densité d’entreprises. Nous prenons un bus pour le rejoindre. Le facteur s’engage dans une nouvelle lutte contre le temps puisque la tournée devrait se terminer théoriquement à 12h30 au plus tard. Je suis frappé par le nombre de personnes qu’il salue, que ce soit dans l’entrée des immeubles ou sur la route, sans toutefois engager la conversation. On y trouve des concierges, des habitants, des réceptionnistes et des serveurs de bistrots. Le facteur semble garder encore un véritable rôle social malgré l’abandon progressif du « service public » et la rentabilisation de l’entreprise. Le facteur arrête sa charrette pour prendre deux paquets dans lesquels le courrier a été attaché le matin même. Il entre dans les immeubles en tenant le courrier avec un bras, tandis que l’autre est utilisé pour ouvrir la porte. Le soulèvement de poids est omniprésent dans ce métier. La mémoire prend une importance considérable pour se souvenir des codes d’entrées ou des boîtes-aux-lettres qui se succèdent sans cesse. Faire appel à cette ressource permet d’accélérer le rythme. Chaque lettre est destinée à une boîte aux lettres bien précise. Il ne pose jamais le courrier dans la place réservée aux colis, même lorsque celui-ci est épais. Les gestes semblent mécaniques, mais le facteur n’est pas une machine. La relation avec la clientèle semble donner du sens à un travail qui n’est pas facile pour autant. Le facteur remet un acte de poursuite à la patronne d’une entreprise qui n’a pas l’air pressée. « Ah… mais cette facture je l’ai déjà payée. Laissez-moi voir dans la comptabilité s’il vous plaît » répond-elle. Le facteur sent tout de suite le danger de perdre du temps précieux. La vieille dame insiste et le facteur se trouve coincé. Les clients ont leur propre rythme et il est difficile de leur en imposer un autre. Il est 9h44. Le facteur entre dans un immeuble sécurisé dans lequel se trouvent les mêmes sacs de dépôt qui ont été chargés sur le camion ce matin. Il cherche celui qui lui permettra de poursuivre la tournée. Lorsqu’il l’a identifié, il le décharge pour remplir de nouveau sa charrette. Les sacs doivent se trouver chaque jour à l’heure convenue pour ne pas retarder la tournée du

Page 116: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

116

facteur. Impossible d’effectuer ce travail sans plier le dos et soulever du poids en même temps, pour la énième fois. Les instruments de travail ne semblent pas adaptés aux exigences de l’activité. Le volume et le poids du courrier constituent une contrainte qui n’est pas négligeable par rapport aux outils de travail à disposition. La semaine passée tous les ménages ont reçu un paquet publicitaire de pâtes « Barilla » qui pesait 250 g. La Poste a embauché des auxiliaires qui ont aidé les facteurs à effectuer la distribution; ces auxiliaires travaillent généralement de 8 h à 12 h. Une heure plus tard, le facteur me propose de prendre une petite pause pour boire un café. Il se repose après plus de quatre heures de travail sans interruption. D’un étui, il sort un scanner sur lequel doit annoncer le début de la pause. Chaque action de son activité laisse une trace informatique : que ce soit pour indiquer le début de la distribution suite au tri matinal ou pour remettre les recommandés distribués ou avisés. À 11h05, nous sortons du café pour nous diriger de nouveau dans le même immeuble où se trouvent les sacs. Le facteur peut ainsi remplir pour la dernière fois sa charrette avec un sac de courrier. La distribution reprend. Des escaliers d’un immeuble descend une vieille dame qui interpelle le facteur : « Tu m’amènes encore des factures aujourd’hui ? ». Le facteur la connaît mais ne donne aucune suite à une question qu’il entend tous les jours. Les clients qui reçoivent les recommandés sont déboussolés de constater ma présence à ses côtés. Ils ne comprennent pas pourquoi un inconnu, dépourvu de tenue postale, entre dans leur domicile ou dans leur magasin, mais le facteur les connaît bien et les rassure. « Il est avec moi » leur dit-il. À chaque occasion, il sait adapter son attitude vis-à-vis du client. Ses capacités relationnelles sont remarquables. La distribution se poursuit jusqu’à 12h45, lorsque la dernière boîte aux lettres a été remplie. Nous arrivons à l’arrêt de bus, où d’autres facteurs attendent de rentrer au siège de La Poste pour prendre leur repas. Tous les visages expriment la fatigue de cette matinée éprouvante. De retour aux emplacements, ils déposent les recommandés avisés dans leurs cases respectives ainsi que l’argent des mandats de paiements qui n’a pas pu parvenir aux destinataires. Il est 13h05 et nous décidons de manger ensemble un sandwich. Le facteur me conduit dans un couloir où se trouve un coin discret et nous pouvons manger en toute tranquillité. À 13h47, il reprend à trier le courrier B pour le lendemain et me suggère de faire la connaissance d’autres teams.

L’après-midi, je longe les emplacements pour m’arrêter à celui où se trouve une personne qui souffre de graves douleurs. Dans ce team, la tension est manifestement très élevée. Ma posture d’étudiant me met dans une position difficile. « Que souhaitez-vous savoir ? » me demande-t-elle. Ses douleurs sont un sujet délicat à discuter, d’autant plus que le cadre est informel. L’attention de ses collègues se focalise rapidement sur notre échange. Je lui dis : « Ce qui m’intéresse est savoir comment les douleurs ont apparu ». La réponse est tranchante : « C’est le résultat de presque trente ans de service. Les douleurs sont survenues suite à l’usure de mon propre corps. Des casiers ont été rajoutés à l’emplacement du tri matinal, l’espace de travail n’est pas suffisant, les outils de travail ne sont plus adaptés à l’augmentation du poids du courrier, les charrettes pèsent jusqu’à… » Un de ses collègues l’interrompt brusquement pour exclamer à haute voix : « Si seulement les inspecteurs de la SUVA passaient ici pour peser les sacs, ils sauraient que les normes légales ne sont pas respectées ! ». De l’autre côté de l’emplacement, un collègue rebondit encore plus fort en disant : « Le métier de facteur n’est pas fait pour distribuer de la publicité. La Poste détient plusieurs entreprises qui distribuent des tous-ménages. Pourquoi c’est à nous de faire ce travail ? ». Je prie

Page 117: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

117

la personne de reprendre la conversation qu’elle a interrompue. « Regardez la charrette: nous devons plier notre dos pour prendre le courrier. On a proposé d’équiper les charrettes d’une fermeture éclair, mais la direction affirme que cela coûterait trop cher ». À 15h55, après de longues discussions, je quitte les locaux de la RDC.

Page 118: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

118

B. Troisième phase du programme pro présence (observation exploratoire)

Un vendredi de novembre 2008, à 10h30, quatre personnes se sont réunies autour d’une table pour discuter l’avenir professionnel d’une personne victime d’un accident de travail lourd de conséquences un an auparavant. Il s’agit du directeur de la région de distribution, du responsable gestion de la santé, du responsable de la gestion accidents et maladie ainsi que du conseiller des ressources humaines. Cette rencontre s’inscrit dans la troisième phase du programme pro présence. Les premiers échanges visent à faire le point sur la situation. Le facteur s’est blessé gravement pendant sa tournée. Il a continué à travailler normalement pendant trois semaines avant de s’absenter pendant une longue période. Le cas a déjà été annoncé à l’assurance invalidité (AI) dans le cadre de la « détection précoce » et une demande d’invalidité a été déposée parallèlement à la mise en marche du programme pro présence. Les différents points d’une Fiche stratégique de présence sont discutés afin d’évaluer l’attitude et l’état de santé de l’employé par rapport aux exigences de l’entreprise. Les résultats sont globalement au-dessus de la moyenne. Les objectifs de l’entretien « Focus » sont largement atteints. La fidélité à l’entreprise est incontestable et le nombre de réclamations négligeable. Avant l’accident, le taux de présence répondait toujours aux attentes de l’entreprise. L’intérêt envers l’entreprise se manifestait aussi, pendant l’arrêt maladie, par un contact régulier et par une bonne collaboration de son médecin. « Cette personne a beaucoup de valeur pour nous, elle aime son travail ». Un point pose toutefois problème : la très faible compatibilité de la condition physique avec les exigences de l’activité. Impossible de trier ou de distribuer le courrier. Seul 10% du travail est à sa portée. Même la « recherche d’adresses », où des mouvements sont nécessaires pour manipuler les lettres, lui provoquerait des douleurs. Une réinsertion professionnelle à l’intérieur de l’entreprise paraît donc difficile. Il faudrait également connaître ses qualifications professionnelles pour savoir si la recherche d’un autre emploi est envisageable. Les quatre responsables hiérarchiques doivent décider en 45 minutes entre la réinsertion professionnelle, à l’intérieur ou à l’extérieur de La Poste, et la séparation sans garantie de prise en charge par l’AI. Les qualités reconnues de l’employé se heurtent à une série de contraintes. Les avis sont contrastés. « Après vingt ans de boîte, nous ne pouvons pas le licencier ». Mais la solution doit être envisagée jusqu’à la retraite, tandis qu’une vingtaine d’employés a déjà bénéficié d’une réinsertion professionnelle à l’intérieur de La Poste. « Nous ne pouvons pas le garder sur le moyen terme si aucune place adaptée se libère, sachant que nous n’avons pas la certitude que les douleurs disparaîtront ». Le tri ne serait plus possible, y compris avec un réaménagement de l’environnement de travail financé par l’AI, en raison des mouvements répétitifs que requiert l’activité. La discussion aboutit à une solution partagée par tous. Le départ prévu d’un salarié libérera bientôt un poste de travail adapté aux contraintes du facteur blessé. « Il faut lui donner une possibilité ». L’employé effectuera pendant trois mois un stage dans ce nouveau secteur dans le but de prendre cette nouvelle fonction sur le long terme. Si la réinsertion à l’interne et à l’externe s’avèrent impossibles, la séparation est considérée inévitable. Sur cette décision, les responsables abandonnent rapidement la table pour reprendre leurs fonctions.

Page 119: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

119

C. Réunion de bilan du cercle de santé (observation exploratoire) Lundi 24 novembre, 14h00, quatorze personnes sont réunies dans la salle de conférences, dont cinq facteurs et neuf membres de l’encadrement. Cette séance est la dernière du cercle de santé démarré au début de l’année 2008. À l’ordre du jour, il y a le bilan des mesures appliquées à l’issue du cercle. Le psychologue du travail qui modère les interventions donne la parole au directeur de la RDC, lequel passe en revue les mesures retenues pour lutter contre les situations de stress identifiés par le cercle. Le psychologue du travail demande ensuite aux participants si les situations de stress subsistent encore. Chaque intervenant affirme ses propos de manière franche, mais les facteurs s’expriment peu par rapport aux membres de l’encadrement. Le modérateur n’opère aucun véritable effort pour rééquilibrer la prise de parole. À entendre toutes les interventions qui se succèdent, dans l’ensemble le bilan est très positif. Les conditions de travail se seraient améliorées. Les facteurs expriment toutefois des inquiétudes qui semblent contredire ce bilan. La crainte de ne pas travailler correctement le lendemain est à l’origine de troubles du sommeil pour beaucoup de leurs pairs. D’autres facteurs affirment ne plus arriver à identifier les collègues rattachés à leur propre team. La surcharge du travail occupe une place importante dans la discussion. Les marges à disposition de la RDC semblent étroites. Les facteurs sont placés en aval de la distribution entre l’expéditeur et le destinataire. Ils sont par conséquent les plus vulnérables aux aléas du flux du courrier. La RDC embauche un grand nombre de salariés à temps partiel pour décharger le travail des facteurs, dont le renouvellement est élevé. L’organisation du travail est structurée autour de la polyvalence, ce qui rencontre souvent un accueil négatif parmi les facteurs. Enfin, l’évolution du taux d’absence ne satisfait pas tous les membres de l’encadrement.

Page 120: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

120

D. Lettre d’accompagnement au questionnaire

À l’attention du personnel

de la RDC --------------- ---------------------------- ----------------------------

------------, le 16 février 2009

ÉTUDE SUR LA SANTÉ AU TRAVAIL

Madame, Monsieur,

Par la présente, je vous adresse un questionnaire établi dans le cadre d’une étude indépendante que je réalise à l’Université de Genève. Depuis plusieurs années, La Poste s’intéresse aux maladies et accidents du personnel. À cet effet, elle a mis en place des programmes de prévention et de promotion de la santé au travail (pro präsenz, cercle de santé, etc). Mon étude vise à comprendre dans quelle mesure ces programmes sont un appui pour les personnes qui travaillent à la RDC de -------------.

Je vous saurais gré de prendre environ 15 minutes pour remplir ce questionnaire et pour me le renvoyer, directement à l’Université au moyen de l’enveloppe ci-jointe. Cette manière de faire permet de garantir l’anonymat des personnes qui répondent, en rendant impossible l’identification des expéditeurs. Pour que cette étude soit valable, il est important que le plus grand nombre de personnes remplisse et retourne ce questionnaire au plus tard le 13 mars 2009.

Il est prévu que les résultats de l’étude seront communiqués au personnel de la RDC en été 2009. Au

cas où vous souhaiteriez avoir des renseignements supplémentaires, vous pouvez vous adresser à votre teamleader, qui me transmettra votre message.

En vous remerciant d’avance pour votre collaboration, je vous adresse mes meilleures salutations.

Nicola Cianferoni Université de Genève c/o prof. Michel Oris Faculté SES 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4

Annexe : ment.

Page 121: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

121

E. Questionnaire et résultats

1. Êtes-vous : ……………….. o Homme : 138 (75,4%) o Femme : 45 (24,6%) N = 183 Pas de réponse : 6 (3,2%) Erreur : -

2. En quelle année êtes-vous né ? : ………………… < 20 ans : 5 (2,8%) 20 – 29 ans : 16 (9,0%) 30 – 39 ans : 52 (29,2%) 40 – 49 ans : 59 (33,1%) 50 – 59 ans : 44 (24,7%) > 60 ans : 2 (1,1%) N = 178

Pas de réponse : 9 (4,8%) Erreur : 2 (1,1%)

3. En quelle année avez-vous commencé à travailler à La Poste ? 0 – 1 ans : 14 (7,9%) 2 – 9 ans : 33 (18,6%) 10 – 19 ans : 49 (27,7%) 20 – 29 ans : 60 (33,9%) 30 – 39 ans : 14 (7,9%) > 40 ans : 7 (4,0%) N = 177

Pas de réponse : 11 (5,8%) Erreur : 1 (0,5%)

Page 122: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

122

4. Quelle est votre fonction à La Poste ? o Cadre : 3 (1,6%) o Teamleader : 17 (9,1%) o Teamleader-suppléant : 13 (7,0%) o Facteur : 94 (50,5%) o Coll. logistique : 19 (10,2%) o Collaborateur tri : 22 (11,8%) o Autre : 18 (9,7%)

N = 186 Pas de réponse : 2 (1,1%) Erreur : 1 (0,5%)

5. Travaillez-vous : o À temps complet (81-100%) : 139 (77,2%) o À temps partiel (61-80%) : 7 (3,9%) o À temps partiel (41-60%) : 31 (17,2%) o À temps partiel (0-40%) : 2 (1,1%) N = 180

Pas de réponse : 4 (2,1%) Erreur : 5 (2,6%)

6. Est-ce qu’il vous arrive d’effectuer des heures supplémentaires ? o Jamais : 18 (10,0%) o Une à trois fois par mois : 69 (38,3%) o Une à trois fois par semaine 69 (38,3%) o Quatre à six fois par semaine 16 (8,9%) o Ne sait pas 8 (4,2%)

N = 180 Pas de réponse : 4 (2,1%) Erreur : 5 (2,6%)

7. Connaissez-vous bien tous les collègues de votre team ?

o Non, pas du tout : 3 (1,6%) o Oui, un peu 67 (36,2%) o Non, pas vraiment 6 (3,2%) o Oui, tout à fait 108 (58,4%) o Ne sait pas 1 (0,5%)

N = 185 Pas de réponse : 3 (1,6%) Erreur : 1 (0,5%)

Page 123: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

123

8. Si vous avez répondu « non » à la question 7, pensez-vous que cela constitue une difficulté à la réalisation de votre travail ?

o Non, pas du tout : 7 o Oui, un peu : 3 o Non, pas vraiment : 4 o Oui, tout à fait : 0 o Ne sait pas : 2

N = 16 Pas de réponse : 159 (84,1%) Erreur : 14 (7,4%)

9. Comment caractérisez-vous l’ambiance de travail dans votre team ?

o Mauvaise : 14 (7,6%) (tensions, non respect, etc.) : o Plutôt mauvaise : 7 (3,8%) o Plutôt bonne : 93 (50,3%) o Bonne : 69 (37,3%) (relations cordiales, etc.) o Ne sait pas : 2 (1,1%)

N = 185 Pas de réponse : 4 (2,1%) Erreur : - 10. Par rapport à il y a deux ans, estimez-vous que l’ambiance est :

o Plutôt moins bonne : 47 (25,4%) o Ni meilleure, ni pire : 71 (38,4%) o Plutôt meilleure : 51 (27,6%) o Je ne sais pas puisque je travaille depuis moins de deux ans à La Poste : 16 (8,6%)

N = 185 Pas de réponse : 3 (1,6%) Erreur : 1 (0,5%)

Page 124: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

124

11. Comment expliquez-vous la réponse que vous avez donnée à la question 10 ?

o Changement des supérieurs : 55 (29,1%) (chefs de conduite, etc.) o Nouveaux processus : 73 (38,6%) (alternance, prise en charge du travail des collègues absents, move-it) o Mesures prises dans le domaine de la santé : 12 (6,3%) (cercles de santé, programme ProPräzens, etc.) o Autre : 26 (13,8%) o Ne sait pas : 27 (14,3%)

NB : Plusieurs réponses ont été retenues N = 189 Aucune réponse : 17 (9,0%) Erreur : 1 (0,5%) 12. Que faites-vous en cas de difficultés ou de tensions au sein du team ?

o Vous vous adressez aux supérieurs : 38 (20,1%) o Vous réglez les problèmes avec vos collègues : 125 (66,1%) o Vous ne faites rien : 18 (9,5%) o Autre : 8 (4,2%) o Il n’y a jamais de tension ou de difficulté 8 (4,2%) o Ne sait pas 5 (2,6%)

NB : Plusieurs réponses ont été retenues N = 189 Aucune réponse : 4 (2,1%) Erreur : 1 (0,5%)

Page 125: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

125

13. En cas de tensions ou de difficultés au sein du team, que se passe-t-il lorsque vous en parlez avec vos supérieurs ?

o Les supérieurs consultent le personnel pour trouver des solutions en commun : 102 (57,3%) o Les supérieurs décident seuls des solutions qui leur semblent les mieux adaptées : 24 (13,5%) o Les supérieurs ne prennent pas d’initiatives particulières : 13 (7,3%) o Il n’y a jamais de tensions ou de difficultés : 9 (5,1%) o Ne sait pas : 30 (16,9%)

N = 178 Pas de réponse : 9 (4,8%) Erreur : 2 (1,1%)

14. En cas de tensions ou de difficultés au sein du team, les démarches prises ont eu des

résultats positifs ou négatifs ? o Négatifs : 10 (5,6%) o Ni négatifs, ni positifs : 54 (30,0%) o Positifs : 85 (47,2%) o Aucune démarche n’a été prise : 9 (5,0%) o Ne sait pas : 22 (12,2%)

N = 186 Pas de réponse : 9 (4,8%) Erreur : - 15. La Poste introduit l’alternance et la prise en charge du travail des collègues absents

par les membres du team (en cas de maladie, cours, prise d’heures supplémentaires, etc). Vous sentez-vous associé à la mise en place de ces nouveaux processus (par des réunions, de l’information, etc) ?

o Non, pas du tout : 5 (2,7%) o Oui, un peu : 63 (34,2%) o Non, pas vraiment : 19 (10,3%) o Oui, tout à fait : 86 (46,7%) o Ne sait pas : 11 (6,0%)

N = 184 Pas de réponse : 3 (1,6%) Erreur : 1 (0,5%)

Page 126: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

126

16. Selon vous, quel est l’impact de ces nouveaux processus (alternance, prise en charge des collègues absents, etc) sur l’activité (qualité du service, charge de travail, etc) ?

o Négatifs : 85 (45,7%) o Ni négatifs, ni positifs : 48 (25,8%) o Positifs : 42 (22,6%) o Ne sait pas : 11 (5,9%)

N = 186 Pas de réponse : 3 (1,6%) Erreur : -

17. Le secteur de la distribution de La Poste développe la promotion et la vente de certains services proposés par La Poste (aide ouverture d’un compte PostFinance, vente vignette automobile, etc). Selon vous, l’introduction de ces nouveaux services alourdit-il la charge de travail ?

o Non, pas du tout : 21 (11,5%) o Oui, un peu : 60 (32,8%) o Non, pas vraiment : 33 (18,0%) o Oui, tout à fait : 37 (20,2%) o Ne sait pas : 32 (17,5%)

N = 183 Pas de réponse : 6 (3,2%) Erreur : -

Page 127: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

127

18. Comment estimez-vous la difficulté des tâches suivantes ? Niveau de difficulté Insignifiant Faible Moyen Élevé Ne sait pas

18.1 Soulever et déplacer des charges N = 176 Pas de réponse : 12 (6,3%) ; Erreur : -

9 (5,1%)

30 (17,0%)

78 (44,3%)

59 (33,5%)

-

18.2 Travailler à un rythme élevé N = 176 Pas de réponse : 13 (6,9%) ; Erreur : -

4 (2,3%)

16 (9,1%)

77 (43,8%)

79 (44,9%)

-

18.3 Respecter les délais N = 172 Pas de réponse : 17 (9,0%) ; Erreur : -

8 (4,7%)

30 (17,4%)

77 (44,8%)

56 (32,6%)

1 (0,6%)

18.4 Effectuer des mouvements répétitifs N = 171 Pas de réponse : 18 (9,5%) ; Erreur : -

14 (8,2%)

29 (17,0%)

63 (36,8%)

65 (38,0%)

-

18.5 Travailler dans un espace restreint N = 173 Pas de réponse : 16 (8,5%) ; Erreur : -

8 (4,6%)

31 (17,9%)

60 (34,7%)

72 (41,6%)

2 (1,2%)

18.6 Travailler à l’extérieur N = 168 Pas de réponse : 20 (10,6%) ; Erreur : 1 (0,5%)

47 (28,0%)

37 (22,0%)

46 (27,4%)

20 (11,9%)

18 (10,7%)

18.7 Gérer les relations avec la clientèle N = 170 Pas de réponse : 18 (9,5%) ; Erreur : 1 (0,5%)

51 (30,0%)

35 (20,6%)

60 (35,3%)

14 (8,2%)

10 (5,9%)

19. En général, à quel rythme travaillez-vous ? : o Lent : 3 (1,7%) (difficulté à suivre le rythme de travail et recours à l’aide des collègues)

o Normal : 82 (45,3%)

o Rapide : 84 (46,4%) o Intenable : 12 (6,6%) (nécessité de courir pour terminer le travail à temps) o Ne sait pas -

N = 181 Pas de réponse : 5 (2,6%) Erreur : 3 (1,6%)

Page 128: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

128

20. Votre team a-t-il la capacité de faire face à une charge de travail importante et imprévue (par exemple : envois volumineux et lourds, envois en masse, tous-ménages particuliers, etc.) ?

o Non, pas du tout 7 (3,8%) o Oui, un peu 54 (29,7%) o Non, pas vraiment 13 (7,1%) o Oui, tout à fait 94 (51,6%) o Ne sait pas 14 (7,7%)

N = 182 Pas de réponse : 7 (3,7%) Erreur : -

21. À quelles ressources le team peut-il faire appel lorsque la charge de travail est importante ?

o Plus de personnel 31 (16,4%) o Entre-aide entre collègues 152 (80,4%) o Soutien des supérieurs 24 (12,7%) o Autre : 3 (1,6%) o Aucune 9 (4,8%) o Ne sait pas 3 (1,6%)

NB : Plusieurs réponses ont été retenues valides N = 189 Aucune réponse : 5 (2,6%) Erreur : -

22. Vous arrive-t-il de différer, d’abandonner ou de négliger la réalisation de certaines tâches afin de terminer votre travail à temps ?

o Oui 44 (24,0%) o Non 134 (73,2%) o Ne sait pas 5 (2,7%)

N = 183 Pas de réponse : 4 (2,1%) Erreur : 2 (1,1%)

Page 129: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

129

23. Si oui, à quelle fréquence ? o Une à trois fois par mois 30 (62,5%) o Une à trois fois par semaine 10 (20,8%) o Trois à cinq fois par semaine 1 (2,1%) o Tous les jours 1 (2,1%) o Ne sait pas 6 (12,5%) N = 48

Pas de réponse : 122 (64,6%) Erreur : 19 (10,1%)

24. Globalement, comment évaluez-vous votre condition physique : o Mauvaise 21 (11,5%) (douleurs à des parties du corps, etc) o Passable 27 (14,8%) o Bonne 98 (53,6%) o Excellente 35 (19,1%) (corps en bonne forme) o Ne sait pas 2 (1,1%)

N = 183 Pas de réponse : 3 (16%) Erreur : 3 (16%)

25. Globalement, comment évaluez-vous votre condition psychique : o Mauvaise (agressivité, anxiété, etc) 13 (7,1%) o Passable 36 (19,7%) o Bonne 89 (48,6%) o Excellente (optimisme, bonne humeur, etc) 42 (23,0%) o Ne sait pas 3 (1,6%)

N = 183 Pas de réponse : 5 (2,6%) Erreur : 1 (0,5%)

Page 130: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

130

26. Quels problèmes de santé présentez-vous régulièrement ? Pratiquement

jamais Toutes les deux ou trois semaines

Presque tous les jours

Troubles du sommeil (difficultés à s’endormir ou réveils nocturnes) N = 170 Pas de réponse : 18 (9,5%) ; Erreur : 1 (0,5%)

118 (69,4%)

31 (18,2%)

21 (12,4%)

Nervosité et irritabilité N = 167 Pas de réponse : 21 (11,1%) ; Erreur : 1 (0,5%)

89 (53,3%)

65 (38,9%)

13 (7,8%)

Épuisement physique N = 167 Pas de réponse : 19 (10,1%) ; Erreur : 3 (1,6%)

69 (41,3%)

69 (41,3%)

29 (17,4%)

Épuisement psychique N = 173 Pas de réponse : 16 (8,5%) ; Erreur : -

91 (52,6%)

55 (31,8%)

27 (15,6%)

Douleurs dans le cou ou les épaules N = 179 Pas de réponse : 10 (5,3%) ; Erreur : -

86 (48,0%)

63 (35,2%)

30 (16,8%)

Douleurs dans le dos ou aux lombaires N = 175 Pas de réponse : 13 (6,9%) ; Erreur : 1 (0,5%)

74 (42,3%)

60 (34,3%)

41 (23,4%)

Maux de tête N = 174 Pas de réponse : 15 (7,9%) ; Erreur : -

117 (67,2)

47 (27,0%)

10 (5,7%)

Problèmes gastriques ou digestifs N = 173 Pas de réponse : 16 (8,5%) ; Erreur : -

130 (75,1%)

32 (18,5%)

11 (6,4%)

Problèmes circulatoires (hypertension, vertiges) N = 172 Pas de réponse : 17 (9,0%) ; Erreur : -

137 (79,7%)

27 (15,7%)

8 (4,7%)

Problèmes cardiaques N = 169 Pas de réponse : 20 (10,6%) ; Erreur : -

159 (94,1%)

8 (4,7%)

2 (1,2%)

Autres : …………………………… N = 19 Pas de réponse : 163 (86,2%) ; Erreur : 7 (3,7%)

11 4 4

Page 131: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

131

27. Vous est-il arrivé de renoncer (« ça passera ») ou de différer (« j’attends encore deux ou trois jours ») une visite chez le médecin de crainte de nuire à l’activité du team par votre absence ?

o Oui 118 (64,8%) o Non 56 (30,8%) o Ne sait pas 8 (4,4%)

N = 182 Pas de réponse : 7 (3,7%) Erreur : -

28. Si oui, cela vous est arrivé :

o Une fois les douze derniers mois 36 (29,8%) o Deux fois les douze derniers mois 32 (26,4%) o Trois fois ou plus les douze derniers mois 44 (36,4%)

o Ne sait pas 6 (3,2%)

N = 118 Pas de réponse : 62 (32,8%) Erreur : 6 (3,2%)

29. La Poste développe certaines mesures dans le domaine de la santé et de la sécurité au

travail (cercles de santé, entretiens individuels, programme ProPräsenz, séminaires sur la sécurité au travail, etc.). Comment percevez-vous ces initiatives ?

o Elles sont positives puisqu’elles permettent la réduction des problèmes de santé et de sécurité 76 (42,0%)

o Elles sont positives, mais ne sont pas suffisantes 49 (27,1%)

o Elles ne sont pas utiles 15 (8,3%)

o Elles apportent des contraintes supplémentaires dans la réalisation de notre travail 10 (5,5%)

o Autre : …………………………… 6 (3,3%) o Ne sait pas 25 (13,8%)

N = 181 Pas de réponse : 6 (3,2%) Erreur : 2 (1,1%)

Page 132: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

132

30. Estimez-vous faire un travail qui vous satisfait ? o Jamais 0 (0,0%) o Souvent 96 (53,0%) o Parfois 31 (17,1%) o Toujours 51 (28,2%) o Ne sait pas 3 (1,7%)

N = 181 Pas de réponse : 5 (2,6%) Erreur : 3 (1,6%)

31. Êtes-vous motivé au travail ?

o Non, pas du tout 4 (2,2%) o Oui, un peu 50 (27,8%) o Non, pas vraiment 11 (6,1%) o Oui, tout à fait 113 (62,8%) o Ne sait pas 2 (1,1%)

N = 181 Pas de réponse : 6 (3,2%) Erreur : 3 (1,6%)

32. Qu’est-ce qui vous motive dans votre travail ?

Non, pas

du tout Non, pas vraiment

Oui, un peu

Oui, tout à fait

Ne sait pas

32.1 La possibilité d’un développement prof. N = 176 ; Pas de réponse : 12 (6,3%) ; Erreur : 1 (0,5%)

55 (31,2%)

33 (18,8%)

42 (23,9%)

39 (22,2%)

7 (4,0%)

32.2 La satisfaction du travail bien fait N = 178 ;Pas de réponse : 10 (5,3%) ; Erreur : 1 (0,5%)

5 (2,8%)

5 (2,8%)

26 (14,6%)

141 (79,2%)

1 (0,6%)

32.3 L’identification aux objectifs de performance N = 174 ; Pas de réponse : 12 (6,3%) ; Erreur :3 (1,6%)

19 (10,9%)

24 (13,8%)

71 (40,8%)

57 (32,8%)

3 (1,7%)

32.4 Les incitations salariales (primes, etc.) N = 179 ;Pas de réponse : 9 (4,8%) ; Erreur :1 (0,5%)

22 (12,3%)

40 (22,3%)

57 (31,8%)

58 (32,4%)

2 (1,1%)

32.5 L’ambiance au travail N = 174 ; Pas de réponse : 12 (6,3%) ; Erreur : 3 (1,6%)

15 (8,6%)

17 (9,8%)

64 (36,8%)

76 (43,7%)

2 (1,1%)

32.6 La reconnaissance des chefs N = 175 ; Pas de réponse : 10 (5,3%) ; Erreur : 4 (2,1%)

38 (21,7%)

28 (16,0%)

58 (33,1%)

50 (28,6%)

1 (0,6%)

32.7 L’estime des collègues du team N = 177 ; Pas de réponse : 11 (5,8%) ; Erreur : 1 (0,5%)

16 (9,0%)

13 (7,3%)

70 (39,5%)

77 (43,5%)

1 (0,6%)

32.8 La formation professionnelle N = 176 ; Pas de réponse : 12 (6,3%) ; Erreur : 1 (0,5%)

45 (25,6%)

37 (21,0%)

46 (26,1%)

43 (24,4)

5 (2,8%)

32.9 La relation avec la clientèle N = 177 ; Pas de réponse : 11 (5,8%) ; Erreur : 1 (0,5%)

11 (6,2%)

14 (7,9%)

25 (14,1%)

122 (68,9%)

5 (2,8%)

Page 133: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

133

33. Estimez-vous que l’entreprise reconnaît les efforts que vous faites à leur juste valeur ? o Non, pas du tout 31 (17,6%) o Oui, un peu 63 (35,8%) o Non, pas vraiment 44 (25,0%) o Oui, tout à fait 27 (15,3%) o Ne sait pas 11 (6,2%)

N = 176 Pas de réponse : 10 (5,3%) Erreur : 3 (1,6%)

34. Trouvez-vous que les thèmes suivants vous empêchent trouver de la satisfaction dans le

travail ?

Non, pas du tout

Non, pas vraiment

Oui, un peu

Oui, tout à fait

Ne sait pas

34.1 Les conditions de travail N = 171 Pas de réponse : 16 (8,5%) ; Erreur : 2 (1,1%)

26 (15,2%)

38 (22,2%)

76 (44,4%)

30 (17,5%)

1 (0,5%)

34.2 La faiblesse des rémunérations N = 170 Pas de réponse : 17 (9,0%) ; Erreur : 2 (1,1%)

30 (17,6%)

65 (38,2%)

54 (31,8%)

16 (9,4%)

5 (2,9%)

34.3 Le manque d’autonomie N = 166 Pas de réponse : 20 (10,6%) ; Erreur : 2 (1,1%)

39 (23,5%)

71 (42,8%)

39 (23,5%)

12 (7,2%)

5 (3,0%)

34.4 Les objectifs de performance N = 166 Pas de réponse : 21 (11,1%) ; Erreur : 2 (1,1%)

23 (13,9%)

66 (39,8%)

45 (27,1%)

28 (16,9%)

4 (2,4%)

34.5 Le manque de reconnaissance N = 168 Pas de réponse : 18 (9,5%) ; Erreur : 3 (1,6%)

22 (13,1%)

43 (25,6%)

54 (32,1%)

45 (26,8%)

4 (2,4%)

34.6 Les délais trop serrés N = 166 Pas de réponse : 20 (10,6%) ; Erreur : 3 (1,6%)

25 (15,1%)

48 (28,9%)

60 (36,1%)

30 (18,1%)

3 (1,8%)

34.7 Le manque de perspectives de développement professionnel N = 167 Pas de réponse : 21 (11,1%) ; Erreur : 1 (0,5%)

34 (20,4%)

55 (32,9%)

34 (20,4%)

40 (24,0%)

4 (2,4%)

34.8 L’ambiance de travail N = 168 Pas de réponse : 20 (10,6%) ; Erreur : 1 (0,5%)

40 (23,8%)

65 (38,7%)

31 (18,5%)

30 (17,9%)

2 (1,2%)

34.9 La non prise en compte des contraintes personnelles ou familières N = 169 Pas de réponse : 19 (10.1%) ; Erreur : 1 (0,5%)

33 (19,5%)

57 (33,7%)

41 (24,3%)

32 (18,9%)

6 (3,6%)

34.10 La crainte de perdre votre emploi N = 172 Pas de réponse : 16 (8,5%) ; Erreur : 1 (0,5%)

25 (14,5%)

40 (23,3%)

47 (27,3%)

57 (33,1%)

3 (1,7%)

34.11 Les problèmes de santé N = 171 Pas de réponse : 17 (9,0%) ; Erreur : 1 (0,5%)

49 (28,7%)

46 (26,9%)

43 (25,1%)

27 (15,8%)

6 (3,5%)

Page 134: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

134

35. Si vous souhaitez ajouter quelque chose, vous pouvez l’indiquer ci-dessous :

13,8% des répondants ont indiqué un ou plusieurs commentaires

Merci pour le temps que vous avez pris pour répondre aux questions.

* * *

Veuillez svp renvoyer le questionnaire (plié en deux) par la lettre préaffranchie au plus tard le 13 mars 2009.

Page 135: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

135

A. Grille d’entretien

A. Questions introductives

Expliquer la problématique et la démarche de l’étude

Place de l’entretien dans l’étude Expliquer pourquoi la personne a été choisie pour l’entretien Confidentialité Feed-back

* * *

Depuis combien de temps travaillez-vous à La Poste ? Quelle fonction avez-vous ? À quel taux d’emploi ? Est-ce que le travail vous plaît ? …

B. Questions pour connaître l’état de santé passé et présent Expliquer que je ne connais ni le travail ni l’état de santé de l’interviewé

Comment l’état de santé a-t-il évolué ? Des problèmes de santé se sont-ils manifestés ? Quels problèmes de santé sont apparus ? Quels symptômes ? Avec quelle fréquence ? Avez-vous été absent à cause d’une incapacité de travail ? Pourquoi les problèmes de santé sont-ils apparus ? …

Page 136: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

136

C. Questions sur la prise en charge des problèmes de santé ? Les solutions qui ont été retenues pour la réintégration du poste de travail s’intègrent dans une série de mesures prises dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail (cercles de santé, entretiens individuels, programme pro présence, séminaires sur la sécurité au travail, etc.). Par ces questions, il s’agit de connaître l’avis de l’interviewé sur l’efficacité de ces initiatives ?

Comment avez-vous vécu la prise en charge des problèmes de santé ? Y a-t-il eu l’intervention d’autres personnes dans la prise en charge des problèmes de santé

(médecin traitant, syndicat, etc) ? Des solutions ont été retenues pour la réintégration de votre poste de travail ? Si oui, sur la

base de quels critères ? Si non, pourquoi ? Est-ce qu’on vous a demandé votre avis sur les solutions retenues ? Est-ce qu’on en a tenu

compte ? Étiez-vous d’accord avec les solutions retenues ? Ou avez-vous le sentiment d’avoir été

contraint a les accepter ? L’objectif du programme pro présence qui consiste à reprendre rapidement le travail, vous

a-t-il aidé à reprendre le travail ou vous a-t-il mis plus de pression ? Les solutions retenues ont été appliquées ? Étaient-elles adéquates pour la prise en charge

de vos problèmes de santé ? Se sont-elles révélées efficaces ou inutiles ? La Poste aurait-elle pu faire quelque chose pour éviter que vous tombiez malade ? Le programme pro présence prévoir des entretiens annuels dans le cadre de Focus.

Auraient-ils pu être utiles pour éviter que vous tombiez malade ? Comment avez-vous vécu la (non ?) réadaptation/réintégration dans l’entreprise ? Vos collègues vous ont-ils bien accueilli ? Votre estime personnelle est-elle augmentée après la réadaptation/réintégration dans

l’entreprise ? …

Page 137: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

137

D. Questions sur les mesures de prévention prises dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail (cercles de santé, entretiens individuels, programme pro présence, séminaires sur la sécurité au travail, etc.).

La Poste a mis en place des mesures de prévention prises dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail dont le but était d’éviter que des problèmes de santé apparaissent. La Poste organise un cercle de santé dont la tâche consiste à réfléchir sur l’utilisation des ressources disponibles pour améliorer les conditions de travail. Un premier cycle de ce cercle a eu lieu à la RDC de ---------, de novembre 2007 à décembre 2008.

Connaissez-vous ses activités ? Avez-vous participé à ses séances ? Discutez-vous avec les collègues des activités de ce cercle ?

La surcharge de travail est un facteur de stress identifié par le cercle de santé. Êtes-vous d’accord ? Si oui, comment cette surcharge se manifeste-t-elle ? Si non, pourquoi n’existe-t-elle pas ? A-t-elle joué un rôle dans l’apparition de vos problèmes de santé ? Pourquoi ?

Pour diminuer la surcharge de travail, le cercle de santé a proposé à la direction d’informer les teams sur l’arrivée des volumes de courrier important (tous-ménages, etc). Selon vous, cette mesure est-elle suffisante ? Avez-vous d’autres idées ?

Le fait de travailler sous pression est un autre facteur de stress identifié par le cercle de santé. La pression existe-elle dans votre travail ? Si oui, quels sont les causes de cette pression ? Si non, pourquoi ne ressentez-vous pas de pression ? Est-ce que la pression vous stimule ou vous dérange ? Comment faites-vous pour surmonter la pression quand elle est élevée ? Comment La Poste peut-elle soutenir ses collaborateurs ?

L’alternance et les remplacements mutuels sont aussi deux autres facteurs de stress identifiés par le cercle. Êtes-vous d’accord ? Avez-vous des exemples qui montrent que ces processus augmentent le stress ? En avez-vous d’autres qui démontrent le contraire ? Y a-t-il des difficultés dans la mise en place de ces processus ? Pourquoi ? Pensez-vous que les collaborateurs ont été suffisamment informés sur les objectifs de ces processus ? Pensez-vous qu’il est utile de chercher des solutions pour que les personnes malades puissent réintégrer plus rapidement leur travail ? (par exemple : catalogue de tâches pouvant être effectués par des collègues diminués physiquement).

Le climat de travail est le dernier facteur de stress identifié par le cercle. Trouvez-vous que le climat de travail est tendu ? Pourquoi ? Si oui, comment cette tension s’exprime-t-elle ? Si non, pourquoi cette tension n’existe-elle pas ? Selon vous, quels éléments sont importants pour un climat de travail serein ?

Avez-vous vous d’autres idées pour faire face au stress ? …

E. Conclusion

Page 138: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

138

B. Document « Information à la clientèle » du 6 novembre 2006

Page 139: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

139

BIBLIOGRAPHIE

- Ouvrages

BASSO P. (2005), Temps modernes, horaires antiques, Lausanne : Page deux BEAUD S. et PIALOUX M. (2004), Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris : 10/18 BEAUD S. et WEBER F. (2003), Guide de l’enquête de terrain, Paris : La découverte BÉROUD S., DENIS J.-M., DESAGE G. et al. (2008), La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, Bellecombe-en-Bauges : Croquant BIHR A. (2001), La reproduction du capital. Prolégomènes à une théorie générale du capitalisme, tome I, Lausanne : Page deux BIHR A. (2007), La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste, Lausanne : Page deux BIHR A. et PFEFFERKORN R. (2008), Le système des inégalités, Paris : La découverte BONNECHÈRE M. (1997), Le droit du travail, Paris : La découverte BOUQUIN S. (éd.) (2008), Résistances au travail, Paris : Syllepse BOYER R. et DURAND J.-P. (1998), L’après-fordisme, Paris : Syros & La découverte BUZZI S., ROSENTAL P.-A. et DEVINCK J.-C. (2006), La santé au travail. 1880 – 2006, Paris : La découverte CARTIER M. (2003), Les facteurs et leurs tournées, Paris : La découverte CLOT Y. (2008), Le travail sans l'homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, Paris : La découverte COUTROT T. (1999), Critique de l’organisation du travail, Paris : Syros & La découverte

Page 140: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

140

DE GAULEJAC V. (2005), La société malade de gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris : Seuil DE LA BURGADE E. et RABLAIN O. (éds.) (2006), « Bougez avec La Poste ». Les coulisses d’une modernisation, Paris : La Dispute/SNÉDIT DEJOURS C. (2009), Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris : Seuil DURAND J.-P. (2004), La chaîne invisible. Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, Paris : Seuil FASSIN D., GRANJEAN H., KAMINSKI M. et al. (éds.) (2000), Les inégalités sociales de santé, Paris : Syros & La découverte FRIEDMANN G. et NAVILLE P. (éds) (1970-1972), Traité de sociologie du travail, Paris : Armand Colin GAUTHY L. (2007), Les troubles musculo-squelettiques. Une « pandémie » mal comprise, Bruxelles : ETUI-REHS GOLLAC M. et VOLKOFF S. (2007), Les conditions de travail, Paris : La découverte GROUX G. et PERNOT J.-M. (2008), La grève, Paris : SciencesPo GUERRIEN B. (2004), La théorie économique néoclassique, tome 1, Paris : La Découverte HANIQUE F. (2004), Le sens du travail. Chronique de la modernisation au guichet, Ramonville Saint-Agne : Érès HARRIBEY J.-M. et PLIHON D. (éds.) (2009), Sortir de la crise globale. Vers un monde solidaire et écologique, Paris : La découverte HUSSON M. (2008), Un pur capitalisme, Lausanne : Page deux KAUFMANN J.-C. (2007), L’entretien compréhensif, Paris : Armand Colin

Page 141: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

141

KINNER P. et GRAY C. (2005), SPSS facile appliqué à la psychologie et aux sciences sociales, Bruxelles : De Boek LANGENEGGER T., FORSTER A. et JEGER J. (2007), Arthrose. Descriptif des maladies rhumatismales, Zurich : Ligue suisse contre le rhumatisme LE GOFF J.-P. (2000), Les illusions du management. Pour le retour du bon sens, Paris : La découverte LINHART D. (2004), La modernisation des entreprises, Paris : La découverte LINHART D. et MOUTET A. (éds.) (2005), Le travail nous est compté. La construction des normes temporelles du travail, Paris : La découverte LINHART D. (éd.) (2008), Pourquoi travaillons-nous ? Une approche sociologique de la subjectivité au travail, Ramonville Saint-Agne : Érès LINHART R. (1981), L’établi, Paris : Minuit LEUTWILER Fritz, BALTENSPERGER E., BERNASCONI P. et al. (1991), La politique économique de la Suisse face à la concurrence internationale, Zurich : Orell Füssli MACH A. (éd.) (1999), Globalisation, néo-libéralisme et politiques publiques dans la Suisse des années 1990, Zurich : Seismo MARTIN O. (2007), L’analyse de données quantitatives, Paris : Armand Colin MEYER K. (éd.) (2008), La santé en Suisse. Rapport national sur la santé 2008, Chêne-Bourg : Médecine et Hygiène PEZÉ M. (2008), Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997 – 2008, Paris : Pearson POUGET M. (1998), Taylor et le taylorisme, Paris : PUF REY J.-N. et FINGER M. (1994), Les défis de la Poste, Lausanne : Loisir & Pédagogie

Page 142: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

142

ROY Ivan (2009), Orange stressé. Le management par le stress à France Télécom, Paris : La découverte ROLLE P. (1971), Introduction à la sociologie du travail, Paris : Larousse STROOBANTS M. (2007), Sociologie du travail, Paris : Armand Colin THÉBAUD-MONY A. (2008), Travailler peut nuire gravement à votre santé, Paris : La découverte THÉRY L. (éd.) (2006), Le travail intenable. Résister collectivement à l’intensification du travail, Paris : La découverte WEBER H. (2005), Du ketchup dans les veines. Pourquoi les employés adhèrent-ils à l’organisation chez McDonald’s ?, Ramonville Saint-Agne : Érès WYLER R. (2002), Droit du travail, Berne : Staempfli

- Articles BERTAUX-WIAME I. et LINHART D. (2006), « Travail moderne, rien ne va plus : les jeux sont défaits », Nouvelle revue de psychosociologie, Perspectives en clinique du travail, 1 CLOT Y. et FAÏTA D. (2000), « Genres et styles en analyse du travail. Concepts et méthodes », Travailler, 4 CLOT Y. (2002), « Clinique de l’activité et répétition », Cliniques méditerranéennes, 66 CLOT Y. (2006), « Clinique du travail et clinique de l’activité », Nouvelle revue de psychosociologie, 1 DAVEZIES P. (2005), « Activité, subjectivité, santé ». Accès: http://philippe.davezies.free.fr/ (Page consultée le 30.8.2008) DAVEZIES P. (2006), « Les coûts de l’intensification du travail ». Accès: http://philippe.davezies.free.fr/ (Page consultée le 30.8.2008)

Page 143: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

143

DAVEZIES P., DEVEAUX A. et TORRES C. (2007), « Repères pour une clinique médicale du travail », Revue virtuelle À l’encontre. Accès : http://www.alencontre.org (Page consultée le 30.8.2008) DEMAZIÈRE D. (2005), « Au cœur du métier de facteur : "sa tournée" », Ethnologie française, 5 GERNET I. (2009), « Les relations entre santé et travail du point de vue de la psychodynamique du travail », Mouvements, 58, pp 79-84 GOLLAC M. et VOLKOFF S. (2006), « La santé au travail et ses masques », Actes de la recherche en sciences sociales, 163 WIDMER F. (2007), « Stratégies syndicales et renouvellement des élites : le syndicat FTMH face à la crise des années 1990 », Swiss Political Science Review, 13

- Travaux scientifiques BADAN P., BONVIN J.-M., MOACHON E. et al. (2007), « La protection sociale en transition Une approche en termes de capabilités », Université de Paris I : colloque Accès inégal à l’emploi et à la protection sociale du 26-17 septembre 2007 CIANFERONI N. (2007), Des PTT à La Poste: une marche vers la privatisation de l’entreprise?, Université de Genève : Mémoire de Licence ès histoire économique et sociale FINGER M. (2001), « La Poste Suisse de 1948 à 2000 », Working paper IDHEAP , 8 VOIT J., WEBER-GUISAN S., CORTESSIS S. et al. (2007), Analyse de compétences du personnel de distribution de la Poste Suisse, Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) de Zollikofen : cahier no 3 RUFER S. (2008), Betriebliches Gesundheitsmanagement bei Postmail, Universität Bern : Projektseminararbeit

- Documents institutionnels, fonds d’archive et documents divers ACKERMANN E. et MOSER-BROSSY D. (2009), Évolution des effectifs des syndicats en 2008, 67, Berne : Union syndicale suisse (USS)

Page 144: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

144

Commission des Communautés Européennes (CCE), Livre vert sur le développement du marché unique des services postaux, Luxembourg, 11 juin 1992 DE PURY D. (éd.) (1992), Rapport final du Groupe de travail informel « Ordnungspolitik », Berne : Rapport adressé au Conseil fédéral le 22.1.1992 GEISEN Thomas, LICHTENAUER Annette, ROULIN Christophe et al. (2008), Disability Management in Unternehmen in der Schweiz, Beiträge zur sozialen Sicherheit, Bern : Confédération suisse/Office fédéral des assurances sociales (OFAS) GRAF M., PEKRUHL U. et al. (2007), Quatrième enquête européenne sur les conditions de travail en 2005. Résultats choisis du point de vue de la Suisse, Berne : Confédération suisse/Secrétariat d’État à l’économie (SECO) MEIER M. (éd.) (1997), Oui à la réforme des PTT !, Berne : Union syndicale suisse (USS) PARENT-THIRION A., MACIAS E.-F., HURLEY J. et al. (2007), Quatrième enquête européenne sur les conditions de travail, Dublin : Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail PTT (1987 – 2008), Rapports de gestion, Berne RAMACIOTTI D. et PERRIARD J. (2000), Les coûts du stress en Suisse, Berne : Confédération suisse/Secrétariat d’État à l’économie (SECO) Questionnaire de l’enquête REPONSE (Relations professionnelles et négociations d’entreprise) (2004 – 2005), Paris : République de France/Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville

Page 145: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

145

INDEX DES GRAPHIQUES Graphique no 1 Indice de présence à la RDC ....................................................................................................................11

Graphique no 2 Poids relatif des catégories d’absences en heures de travail ...................................................................11

Graphique no 3 Répartition des salariés par fonction à la RDC .......................................................................................16

Graphique no 4 Répartition des salariés par taux d’occupation à la RDC........................................................................15

Graphique no 5 Écarts à l’indépendance des femmes selon le taux d’occupation à la RDC.............................................16

Graphique no 6 Écarts à l’indépendance des femmes selon la fonction à la RDC ............................................................17

Graphique no 7 Répartition des salariés par âge révolu au 28 février 2009 à la RDC.....................................................18

Graphique no 8 Répartition des salariés par ancienneté (au 31 décembre 2008) à la RDC .............................................18

Graphique no 9 Régression linéaire entre l’âge et l’ancienneté ........................................................................................19

Graphique no 10 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon la fonction .......................................20

Graphique no 11 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon le taux d’occupation........................20

Graphique no 12 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon l’âge ................................................21

Graphique no 13 Écarts de l’échantillon par rapport à la population (RDC) selon l’ancienneté.....................................21

Graphique no 14 « Comment estimez-vous la difficulté des tâches suivantes » .................................................................28

Graphique no 15 Analyse de composante principale des difficultés à effectuer des tâches...............................................29

Graphique no 16 « Globalement, comment évaluez-vous votre condition de santé ? » .....................................................33

Graphique no 17 « Quels problèmes de santé présentez-vous régulièrement ? » ..............................................................33

Graphique no 18 Analyse de composante principale des problèmes de santé ...................................................................35

Graphique no 19 « En général, à quel rythme travaillez-vous ? » .....................................................................................40

Graphique no 20 « Comment estimez-vous la difficulté des tâches suivantes ? » ..............................................................40

Graphique no 21 Heures supplémentaires..........................................................................................................................43

Graphique no 22 « Vous arrive-t-il de différer, d’abandonner ou de négliger la réalisation de certaines tâches… » .....44

Graphique no 23 Fréquence des tâches différées, abandonnées ou négligées...................................................................45

Graphique no 24 Écarts à l’indépendance des salariés ayant différé, abandonné ou négligé des tâches selon la fréquence des heures supplémentaires ...............................................................................................................................45

Graphique no 25 « Selon vous, quel est l’impact de ces nouveaux processus sur l’activité ? » ........................................47

Graphique n. 26 « Vous sentez-vous associé à la mise en place des nouveaux processus (alternance et mutuelles) par des réunions, de l’information, etc. ? » ..............................................................................................................................48

Graphique no 27 « Selon vous, l’introduction de ces nouveaux services alourdit-il la charge de travail ? »...................49

Page 146: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

146

Graphique no 28 « Vous est-il arrivé de renoncer ou de différer une visite chez le médecin de contrainte de nuire à l’activité ? »........................................................................................................................................................................51

Graphique no 29 « Si vous avez renoncé à une visite chez le médecin… cela vous est arrivé… » ....................................51

Graphique no 30 Écarts à l’indépendance des salariés qui ont différé ou renoncé une visite chez le médecin selon l’épuisement physique ou psychique ..................................................................................................................................52

Graphique no 31 « Connaissez-vous bien tous les collègues de votre team ? ».................................................................57

Graphique no 32 « À quelles ressources le team peut-il faire appel lorsque la charge de travail est importante ? » ......58

Graphique no 33 « Votre team a-t-il la capacité de faire face à une charge de travail importante et imprévue ? » ........59

Graphique no 34 Écarts à l’indépendance des salariés qui considèrent l’entre-aide comme une ressource selon la capacité du team de faire face à une charge de travail élevée ..........................................................................................59

Graphique no 35 « Que faites-vous en cas de difficultés ou de tensions au sein du team ? »............................................60

Graphique no 36 Écarts à l’indépendance des salariés qui règlent les difficultés avec les collègues selon le taux d’occupation .......................................................................................................................................................................60

Graphique no 37 Attitude des supérieurs en cas de difficultés ou de tensions ...................................................................61

Graphique no 38 « Comment caractérisiez-vous l’ambiance de travail dans votre team ? »............................................67

Graphique no 39 « Par rapport à il y a deux ans, estimez-vous que l’ambiance est… »...................................................68

Graphique no 40 Explications à l’évolution de l’ambiance................................................................................................68

Graphique no 41 Écarts à l’indépendance des salariés qui considèrent le changement des supérieurs un élément d’explication selon l’évolution de l’ambiance les deux dernièers années…......................................................................69

Graphique no 42 Écarts à l’indépendance des salariés qui considèrent les nouveaux processus un élément d’explication selon l’évolution de l’ambiance…......................................................................................................................................70

Graphique no 43 « Estimez-vous faire un travail qui vous satisfait ? » .............................................................................79

Graphique no 44 « Êtes-vous motivé au travail ? »............................................................................................................79

Graphique no 45 « Qu’est-ce qui vous motive dans le travail ? »......................................................................................80

Graphique no 46 « Trouvez-vous que les thèmes suivants vous empêchent trouver de la satisfaction dans le travail ? »80

Graphique no 47 « Estimez-vous que l’entreprise reconnaît les efforts que vous faites à leur juste valeur ? » ................83

Graphique no 48 Gains théoriques selon le taux de présence à la RDC..........................................................................103

Graphique no 49 Gains théoriques selon le taux de présence à PostMail .......................................................................104

Page 147: L’absentéisme, symptôme de la souffrance au travail · PDF fileFaculté des sciences économiques et sociales Uni Mail - 40, bd du Pont d'Arve 1211 Genève 4 NICOLA CIANFERONI

147

INDEX DES TABLEAUX Tableau no 1 Taux d’occupation selon l’ancienneté ..........................................................................................................17

Tableau no 2 Douleurs dans le dos ou aux lombaires selon la difficulté à soulever et à déplacer des charges...............34

Tableau no 3 Douleurs dans le dos ou aux lombaires selon la difficulté à effectuer des mouvements répétitifs ...............34

Tableau no 4 Stress selon la perception globale de la santé (en Suisse)............................................................................38

Tableau no 5 Absences pour des raisons de santé selon le stress ressenti (en Suisse).......................................................39

Tableau no 6 Fréquence des heures supplémentaires selon la fonction.............................................................................42

Tableau no 7 Connaissance des collègues selon le taux d’occupation ..............................................................................58

Tableau no 8 Résultat des démarches prises en cas de tensions ou de difficultés en fonction de l’attitude des sup° ........62

Tableau no 9 Évolution de l'ambiance au cours des deux dernières années en fonction de l’épuisement physique .........75

Tableau no 10 Évolution de l'ambiance au cours des deux dernières années en fonction de l’épuisement psychique......75

Tableau no 11 Reconnaissance des efforts selon la satisfaction ressentie au travail ........................................................84

Tableau no 12 Reconnaissance des efforts selon la fréquence de l’épuisement psychique ................................................85

INDEX DES ENCADRÉS Encadré no 1 Organigramme simplifié de la Région de distribution courrier (RDC) .......................................................10

Encadré no 2 Déterminants socioéconomiques de la santé................................................................................................24

Encadré no 3 Journée type de travail d’un facteur.............................................................................................................25

Encadré no 4 Altération de la santé d’un salarié en fonction des années et des expositions.............................................31

Encadré no 5 Déroulement du cercle de santé ...................................................................................................................90

Encadré no 6 Motivations des participants (cercle de santé).............................................................................................91

Encadré no 7 Propositions d’amélioration (cercle de santé) .............................................................................................92

Encadré no 8 Prises de position de la direction (cercle de santé)......................................................................................93

Encadré no 9 Mesures retenues par la direction (cercle de santé) ....................................................................................94

Encadré no 10 Trois phases du programme pro présence .................................................................................................96

Encadré no 11 Annexe 4 de la Convention collective de travail (CCT) « La Poste » ........................................................97

Encadré no 12 Guide pour le traitement des données personnelles dans le secteur du travail .........................................98