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Interdisciplinary Institute for Innovation L’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité de l’industrie manufacturière Mathieu Bordigoni Working Paper 13-ME-07 November 18, 2013 CERNA, MINES ParisTech 60 boulevard Saint Michel 75006 Paris, France Email: [email protected]

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Interdisciplinary Institute for Innovation

L’impact du coût de l’énergie sur la

compétitivité de l’industrie manufacturière

Mathieu Bordigoni

Working Paper 13-ME-07

November 18, 2013

CERNA, MINES ParisTech 60 boulevard Saint Michel

75006 Paris, France

Email: [email protected]

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L’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité

de l’industrie manufacturière

un état des lieux des apports de la recherche en économie

Document de travail

Mathieu Bordigoni

Avant-propos de Thierry Weil

Version du 18 novembre 2013

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Présentation

Ceci est un document de travail, établi en date du 18 novembre 2013. Il est susceptible d’évoluer, en

particulier pour tenir compte des commentaires, réactions et compléments qu’il pourrait susciter de la

part des lecteurs.

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Sommaire

Avant-propos _____________________________________________________________________ 7

Eléments de cadrage _____________________________________________________________ 7

Les prix des différentes formes d’énergie sont relativement découplés ____________________ 7

Les prix de l’énergie diffèrent également selon les usagers _____________________________ 8

A la consommation directe s’ajoute l’énergie incorporée _______________________________ 8

La compétitivité n’est qu’un aspect de l’impact économique des prix de l’énergie ___________ 9

Même uniformes, des variations de prix peuvent avoir un impact indirect sur la compétitivité _ 10

La tendance longue est à un renchérissement substantiel des prix de l’énergie _____________ 11

Que peut-on retenir de la littérature aujourd’hui ? _____________________________________ 11

D’où vient l’énergie incorporée dans les produits industriels ? _________________________ 12

Quels sont les secteurs les plus exposés à la concurrence des usines américaines bénéficiant de la

forte baisse des prix du gaz ? ____________________________________________________ 12

Que nous révèle l’examen des facteurs de compétitivité dans deux secteurs gros consommateurs

d’énergie (la sidérurgie et l’industrie du papier) ? ___________________________________ 13

Conséquences pour les débats en cours ______________________________________________ 14

Distinguer les effets de l’accès à une énergie bon marché et ceux d’une redistribution ou d’une

subvention __________________________________________________________________ 14

Distinguer l’effet des variations entre continents et au sein de l’Europe __________________ 15

La survie de certains secteurs dépend d’un accès à une énergie compétitive _______________ 16

Une taxation de l’énergie incorporée serait équitable et favorable à la transition ____________ 16

L’efficacité énergétique, un atout compétitif pour l’Europe ____________________________ 17

Prendre en compte les diverses échelles géographiques et temporelles ___________________ 17

Introduction _____________________________________________________________________ 19

Chapitre 1 : les prix de l’énergie, globalement en tension, varient sensiblement selon les pays et les

secteurs industriels. _______________________________________________________________ 21

La hausse durable des prix de l’énergie est liée à la croissance de la demande mondiale, notamment

dans les pays émergents. _________________________________________________________ 22

L’industrie mondiale est une grande consommatrice d’énergie. ___________________________ 23

Les prix de l’énergie connaissent des écarts sensibles entre pays et entre secteurs industriels. ___ 25

Chapitre 2 : les prix élevés du pétrole menacent davantage la croissance que la compétitivité. _____ 29

Le choc pétrolier en cours n’a pas les mêmes effets récessifs que les deux précédents, du moins dans

les pays développés. ____________________________________________________________ 30

Quatre facteurs modèrent aujourd’hui l’effet récessif des chocs pétroliers sur la croissance. ____ 30

Chapitre 3 : sur longue période, les pays dotés de ressources énergétiques abondantes se spécialisent

dans les industries intensives. _______________________________________________________ 33

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6 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Sur longue période, disposer de ressources énergétiques abondantes finit par procurer un avantage

compétitif aux industries consommatrices et exportatrices. ______________________________ 34

La France n’affiche pas de spécialisation dans les industries électro-intensives malgré un prix

compétitif de l’électricité. ________________________________________________________ 34

Chapitre 4 : à court terme, le coût de l’énergie se mêle à d’autres facteurs pour peser sur la

compétitivité ; son rôle devient déterminant pour quelques secteurs particulièrement exposés. ____ 37

Les différences de sensibilité des secteurs industriels et la complémentarité d’effets d’offre et de

demande sont connues depuis les travaux sur les quotas de CO2. __________________________ 38

L’élasticité des exportations aux coûts de l’énergie est comprise entre 0,1 et 0,2 pour les industries

intensives. ____________________________________________________________________ 39

Les écarts des prix de l’énergie ont plutôt joué en faveur des industriels français entre 1995 et 2006.

_____________________________________________________________________________ 41

L’effet des coûts de l’énergie sur la compétitivité se mêle à celui d’autres facteurs, tels que la

qualification de la main d’œuvre ou la productivité. ____________________________________ 43

Chapitre 5 : les gaz de schiste dynamisent la demande pour l’ensemble de l’économie américaine ;

l’amélioration de la compétitivité concerne plutôt les secteurs intensifs en énergie, et très fortement les

utilisateurs de méthane comme matière première. _______________________________________ 47

Le marché américain du gaz est en train de connaître un bouleversement historique. __________ 48

L’exploitation des gaz de schiste participe au regain d’activité de certains pans de l’économie

américaine. ___________________________________________________________________ 49

Un gain de compétitivité est à prévoir, très variable d’une industrie à l’autre, décisif pour les

utilisateurs de méthane. __________________________________________________________ 51

Chapitre 6 : dépasser le cadre national et poser la question énergétique à une échelle européenne __ 57

La compétitivité des grands consommateurs se joue principalement à l’échelle intra-européenne. 58

Une hausse des prix de l’énergie affecte indirectement l’ensemble de la chaîne industrielle _____ 58

L’effet des prix de l’énergie sur la compétitivité se diffuse par le biais des échanges internationaux

_____________________________________________________________________________ 60

Conclusion ______________________________________________________________________ 63

Annexe 1 : commentaires de M. Jacques Percebois ______________________________________ 65

Bibliographie ____________________________________________________________________ 67

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Avant-propos

Trois faits majeurs peuvent être observés aujourd’hui. D’abord la fragilité de l’industrie manufactu-

rière en France et dans d’autres pays occidentaux. Ensuite, des débats nourris sur la transition

énergétique, notamment en France, qui laissent envisager des scénarios susceptibles d’augmenter le

coût de l’énergie. Enfin, le développement rapide de l’exploitation d’huiles et de gaz de schistes aux

Etats-Unis, à l’origine d’une baisse importante du prix du gaz sur ce continent. Dans ce contexte, il est

normal de s’interroger sur l’impact des prix de l’énergie et de ses variations sur la compétitivité de

l’industrie française.

Certaines données importantes pour aborder cette question sont parfois méconnues. Valorisant les

résultats d’une thèse de doctorat sur ce sujet1, ce document de travail vise à présenter sous une forme

accessible les principaux résultats de la littérature économique et leurs conséquences.

L’objectif est ici de donner quelques clés de compréhension des débats en cours et de proposer des

informations susceptibles de stimuler la discussion sur ces sujets difficiles, sans prétendre répondre

aux nombreuses questions soulevées dans ces débats.

Cet avant-propos rappelle quelques notions importantes, permettant de mieux cerner l’ampleur des

enjeux.

Eléments de cadrage

Rappelons quelques difficultés du sujet :

· il n’y a pas un prix de l’énergie mais des prix des différents vecteurs énergétiques, qui varient

selon la situation géographique, le moment et les modalités de consommation de l’usager

· l’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité d’un secteur donné dépend de sa consommation

directe et de l’énergie incorporée dans ses consommations intermédiaires

· les prix des différentes formes d’énergie et leurs variations ont un impact économique qui va bien

au-delà de leurs effets sur la compétitivité des entreprises, notamment lorsqu’ils pèsent sur le dy-

namisme de la demande.

Les prix des différentes formes d’énergie sont relativement découplés

L’énergie nécessaire à l’économie d’un pays est apportée par différents « vecteurs » : pétrole, gaz,

charbon, biomasse, ou électricité. Cette dernière peut elle-même être produite par différents moyens, et

notamment grâce à la combustion des précédents. Ces formes d’énergie se stockent et se transportent

1 Détermination du rôle de l’énergie dans la compétitivité de l’industrie manufacturière : études économétriques

et modélisation des interdépendances. Cette thèse CIFRE, préparée à Mines ParisTech sous la direction de Gilles

Le Blanc et en collaboration avec EDF R&D, porte notamment sur l’impact du prix de l’énergie sur le commerce

international et la production dans différents pays de l’industrie du papier et de la sidérurgie. Elle a été soutenue

le 11 octobre 2012 et peut être consultée sur Internet (http://pastel.archives-ouvertes.fr/pastel-00803187/).

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8 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

plus ou moins facilement ; elles sont substituables entre elles pour certains usages mais pas pour

d’autres.

Ainsi, comme le pétrole se transporte facilement, son prix est assez homogène dans tous les ports des

pays qui n’en produisent pas. Au contraire, le gaz doit être liquéfié avant d’être transporté entre

l’Amérique et l’Europe, ce qui demande des infrastructures coûteuses et construites pour longtemps.

Du fait de cette rigidité, le prix du gaz est très variable d’un continent à l’autre et reflète les différences

d’abondance et de conditions de production (aujourd’hui environ 4 $/MBtu aux Etats-Unis, 11 $ en

Europe et 15 $ en Asie2).

Même si l’électricité peut être produite à partir de gaz, son prix ne varie pas dans les mêmes propor-

tions que celui du gaz lui-même. Aux Etats-Unis, le prix du gaz a tellement baissé qu’il peut servir à

produire de l’électricité à des coûts désormais proches du charbon ; pour autant, le prix de l’électricité

pour les industriels n’a pas varié substantiellement. Il est depuis longtemps globalement moins élevé

aux Etats-Unis qu’en Europe. En France, le gaz, beaucoup plus cher, n’est utilisé que pour faire face

aux pics de consommation ; l’électricité « de base » est produite de manière plus économique par les

centrales nucléaires et hydrauliques. Le prix moyen de l’électricité payé par les industriels, taxes com-

prises, serait d’environ 130 €/MWh en Italie, 110 €/MWh en Allemagne, 70 €/MWh en France contre

50 €/MWh aux Etats-Unis (en 2011, source Eurostat, voir figure 3 de la présente étude).

Les prix de l’énergie diffèrent également selon les usagers

Le prix de l’énergie dépend aussi du consommateur. Si, dans tout marché, les plus gros acheteurs sont

en position favorable vis-à-vis de leurs fournisseurs, le phénomène est particulièrement sensible pour

l’énergie, notamment parce que la négociation tarifaire inclut souvent l’Etat, comme producteur ou

comme percepteur.

Ainsi les chauffeurs routiers et les pêcheurs sont en position d’obtenir des rabais sur la fiscalité des

produits pétroliers, tandis que certaines entreprises industrielles bénéficient d’avantages sur les prix

directs (tarif de l’électricité, par exemple) ou indirects (moindres taxes) de l’énergie. En France,

l’électricité facturée environ 125 €/MWh à une entreprise faiblement consommatrice, est vendue 55 €,

voire occasionnellement beaucoup moins, à certains très gros consommateurs. Certains producteurs

allemands consentent également des rabais très substantiels aux électro-intensifs, parfois dispensés des

taxes de péréquation pour le financement du développement des énergies renouvelables ou des taxes

de raccordement au réseau.

Il n’y a donc pas un prix mais des prix des énergies, qui dépendent notamment du lieu considéré,

du vecteur utilisé (charbon, pétrole, gaz, électricité…), de l’activité du consommateur et parfois

de la forme ou du moment de sa consommation.

A la consommation directe s’ajoute l’énergie incorporée

Le prix de l’énergie affecte les coûts de production d’une entreprise à travers l’énergie qu’elle con-

somme directement, mais aussi à travers ses achats de biens et services, puisqu’il a fallu consommer

2 Le prix de la liquéfaction et du transport intercontinental du gaz est estimé par l’IFPEN à 3 à 4 $/MBtu. Des

écarts aussi importants ne devraient donc pas pouvoir se maintenir très durablement.

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Avant-propos 9

Document de travail – version du 18 novembre 2013

de l’énergie pour produire ceux-ci. Ainsi, pour produire une tonne de blé, il a fallu du carburant pour

le tracteur de l’agriculteur (dépense directe), mais aussi de l’énergie pour produire l’engrais (comptée

dans les consommations du fournisseur d’engrais).

Le contenu en énergie d’un bien dépend donc de toute sa chaîne de production. Si une fraction impor-

tante de cette chaîne est ancrée localement, le prix local de l’énergie peut devenir un élément

important de la compétitivité de l’entreprise, même si celle-ci affiche une faible consommation directe.

Des entreprises qui ne sont pas de grosses consommatrices directes d’énergie peuvent donc être affec-

tées par des écarts internationaux de prix dans des proportions comparables aux secteurs intensifs.

Ainsi, dans le secteur de la parachimie, l’énergie consommée par la production ne représente que 1 %

de la valeur produite, mais il faut ajouter 7 % d’énergie incorporée dans les matières premières, dont

80 % sont achetées en Europe.

Il faut donc examiner l’origine géographique de l’énergie incorporée dans les produits français

pour comprendre l’impact des prix de l’énergie sur les coûts des industriels.

La compétitivité n’est qu’un aspect de l’impact économique des prix de l’énergie

Les prix de l’énergie et leurs variations affectent donc la compétitivité des entreprises, à travers leur

consommation et via les prix de leurs biens intermédiaires.

Mais ils ont aussi des conséquences sur le dynamisme de la demande générale. Un coût avantageux

de l’énergie peut avoir des effets favorables sur le pouvoir d’achat3 ; cela peut favoriser la prospérité

de l’économie, même sans amélioration de sa compétitivité, et en particulier celle de certaines indus-

tries pourtant peu affectées directement par le coût de l’énergie. On entend souvent dire que la

meilleure santé de l’industrie automobile américaine s’expliquerait par la présence d’une énergie bon

marché aux Etats-Unis. Si c’est le cas, c’est sans doute moins parce que le secteur consomme beau-

coup d’énergie, même indirectement, que grâce à la relance de la demande que permet la richesse

créée par l’exploitation de ressources énergétiques bon marché et le gain de pouvoir d’achat

qu’apporte une énergie moins chère. L’analyse détaillée de la balance commerciale hors énergie des

Etats-Unis conforte cette interprétation d’un effet sur le dynamisme de la demande supérieur à celui

s’exerçant sur la compétitivité de l’offre.

3 La baisse de la dépense en gaz des Etats-Unis entre 2006 et 2011 a représenté environ 0,45 % du PIB de ce

pays.

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10 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

En effet, comme le montre la figure précédente, un agent économique qui bénéficie d’une ressource

meilleur marché que ses concurrents peut soit s’approprier cette rente (auquel cas son revenu aug-

mente et nourrit la demande globale), soit réduire son prix de vente. Dans ce deuxième cas, il améliore

sa compétitivité et accroît éventuellement son volume de production et ses revenus, en évinçant ses

concurrents ou en élargissant son marché. Il peut également transmettre une partie de la rente à ses

clients qui, à leur tour, nourrissent la demande ou bénéficient d’une compétitivité accrue.

Enfin, une amélioration des marges des entreprises leur permet d’investir dans la formation de leur

personnel et la modernisation de leur outil de production, ce qui augmentera, à terme, la compétitivité

de l’entreprise.

Même uniformes, des variations de prix peuvent avoir un impact indirect sur la compétitivité

En première approximation4, le prix de l’énergie n’affecte la compétitivité de l’industrie d’un pays que

si son évolution diffère de celle observée dans la zone de référence. Une hausse mondiale uniforme

du prix de l’énergie affecte tout le monde de manière identique, donc n’a pas d’impact sur la

compétitivité, qui est une caractéristique relative.

Si on regarde plus en détail, on peut toutefois remarquer que cette hausse du prix de l’énergie diminue

le poids relatif des autres facteurs dans le coût final. Elle réduit donc l’avantage comparatif des pays

où un de ces facteurs est moins cher : si la main d’œuvre compte moins dans le coût de production,

l’avantage relatif des pays à bas salaire diminue. De plus, une énergie plus chère augmente les coûts de

transport, limitant la sensibilité des marchés nationaux à de faibles variations des coûts de production.

4 En négligeant notamment la compétition entre des biens qui n’ont pas le même contenu en énergie comme le

transport aérien et le transport ferroviaire.

Diminution du prix d’une ressource (énergie ou

composant incorporant de l’énergie)

Amélioration de

la marge des

entreprises et du

pouvoir d’achat

des particuliers

Accroissement de la demande

Regain de croissance économique

Diminution des prix de

vente (compétitivité)

Augmentation

des volumes

vendus

Accroissement de l’offre

Diminution des

prix des biens

intermédiairesAccroissement de

la richesse

disponible

R

n des

biens

oratnutio

minutatio

ssem

sem

que

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Avant-propos 11

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Enfin, cette hausse confère un avantage à ceux qui maîtrisent les technologies de production les plus

sobres, ce qui favorise les pays qui auront le plus investi dans l’efficacité énergétique de leurs procé-

dés.

N’oublions pas enfin, pour des pays comme la France qui consomment plus d’énergie qu’ils n’en pro-

duisent, qu’un renchérissement de l’énergie pèse lourdement sur la balance des paiements et a des

implications géostratégiques5 et macroéconomiques (dépression de la demande).

La tendance longue est à un renchérissement substantiel des prix de l’énergie

Même si des découvertes d’hydrocarbures non conventionnels peuvent provoquer des baisses locales

importantes du coût de l’énergie, la tendance de long terme est à un renchérissement, à la fois du fait

de la croissance de la demande mondiale, de l’épuisement des ressources les plus faciles à exploiter et

du renforcement des normes de sécurité6. Par ailleurs, les effets croissants du réchauffement clima-

tique conduiront probablement à la mise en place d’une réglementation destinée à limiter les rejets de

gaz à effet de serre, qui induira des coûts supplémentaires pour l’exploitant, voire à une taxation des

émissions de gaz à effet de serre.

Hormis les remarques du paragraphe précédent, cette tendance de fond, lorsqu’elle est uniforme7, af-

fecte chaque pays de la même manière et n’a donc pas d’impact direct sur la compétitivité de ses

industries.

Que peut-on retenir de la littérature aujourd’hui ?

Sans s’y limiter, le présent document approfondit trois questions, liées à l’impact des écarts internatio-

naux des prix de l’énergie.

· Quels sont les coûts énergétiques directs et indirects (incorporés dans les achats) des grands sec-

teurs industriels français ? D’où vient l’énergie qu’ils consomment ?

· Quels sont les secteurs très exposés à la concurrence américaine du fait de la forte baisse des prix

du gaz ? Quels sont ceux qui sont protégés par les coûts du transport intercontinental ?

· Que nous révèle l’examen des facteurs de compétitivité dans deux secteurs gros consommateurs

d’énergie : la sidérurgie et l’industrie du papier ?

5 Un dividende de l’exploitation des gaz de schiste, pour les Américains, est de ne plus avoir autant besoin de se

préoccuper de la sécurité du détroit d’Ormuz, par lequel transite le pétrole du Moyen-Orient.

6 En particulier après l’accident de Fukushima, les pollutions induites par l’accident de forage du golfe du

Mexique ou encore l’exploitation mal contrôlée de certains gisements de gaz de schistes aux Etats-Unis.

7 Ce qui est plus ou moins le cas pour les prix des vecteurs transportables, mais ne l’est pas à court terme pour le

niveau d’exigence de la réglementation et la taxation des émissions.

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12 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

D’où vient l’énergie incorporée dans les produits industriels ?

L’étude détaille les coûts énergétiques, directs ou incorporés dans les biens intermédiaires, de 59 sec-

teurs industriels français, en fonction de la zone géographique où cette énergie a été consommée (30

de ces secteurs sont représentés sur la figure 17, page 59). Reprenons ici l’exemple de la parachimie,

évoqué précédemment. Avec une consommation directe représentant seulement 1 % du prix de vente

en 2005 mais une énergie totale incorporée de plus de 8 %, ce secteur se place devant la fonderie, dont

la consommation directe de produits énergétiques représentait pourtant 5 % des coûts de production la

même année.

Le secteur de la transformation des matières plastiques illustre quant à lui un deuxième phénomène :

l’énergie représentait plus de 10 % de la valeur de ses produits, toujours en 2005, mais moins de la

moitié de cette énergie était consommée en France et donc liée aux prix français de l’énergie (figure

18).

L’intérêt d’un tel « chaînage » est de permettre de mieux évaluer la sensibilité des industriels aux prix

de l’énergie dans diverses zones géographiques.

La moitié seulement de l’énergie nécessaire à la production de l’industrie française dépend des

prix pratiqués en France (moins d’un tiers dans les industries aéronautique ou automobile). Notons

également que plus de la moitié de l’énergie incorporée d’origine étrangère vient de l’Union euro-

péenne, car la part européenne des échanges est encore prédominante, notamment dans la plupart des

industries grandes consommatrices d’énergie. En France, par exemple, la part européenne des importa-

tions en valeur était en 2010 de 98 % pour les produits de la sidérurgie, 95 % pour les papiers et

cartons, 85 % pour l’aluminium et 82 % pour le verre (mais seulement de 74 % pour le ciment et clin-

ker et 63 % pour la chimie organique).

L’importance des échanges intra-européens des produits à fort contenu énergétique fait que des

variations des coûts de l’énergie entre pays européens ont un impact sensible sur leur commerce.

Il est donc important que la politique de l’énergie soit traitée à l’échelle de l’Europe, au moins

pour assurer une certaine coordination entre les pays du continent.

Quels sont les secteurs les plus exposés à la concurrence des usines américaines bénéficiant

de la forte baisse des prix du gaz ?

La figure 15 (page 52) montre, secteur par secteur, la baisse potentielle du prix des biens industriels8

aux Etats-Unis, imputable aux effets directs et indirects de la baisse des prix de l’énergie entre 2006 et

2012. En outre, elle compare cette baisse au prix du transport des mêmes produits depuis les Etats-

Unis jusqu’en Europe.

Les situations des différents secteurs sont très contrastées. La baisse potentielle du prix de vente est

importante (de 5 à 15 %) pour des produits chimiques tels que les matières plastiques et les résines, les

engrais, les alcalis et le chlore, les composés organiques de base. Cela vient du fait qu’ils utilisent le

méthane comme matière première et pas seulement comme source d’énergie. Cette baisse rend la

compétition très difficile pour les unités de production françaises du secteur de la chimie.

8 Notons que, dans certains secteurs, cette baisse peut s’ajouter à une différence de prix déjà favorable.

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Avant-propos 13

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Les effets sur la compétitivité des autres secteurs industriels sont plus modestes. L’analyse de leur

dépendance énergétique montre que les coûts des biens industriels pourraient baisser de 1,5 % en

moyenne et, à titre d’exemple, de 0,65 % dans le cas d’une automobile.

Il y a donc lieu de supposer que ce sont d’autres facteurs que la baisse des coûts de l’énergie qui expli-

quent la meilleure santé de l’industrie automobile, notamment la reprise de la demande et les effets

keynésiens des investissements importants dans les technologies de production.9

Que nous révèle l’examen des facteurs de compétitivité dans deux secteurs gros consomma-

teurs d’énergie (la sidérurgie et l’industrie du papier) ?

Selon certaines études (Aldy et Pizer, 2009), les effets négatifs que subissent les industries intensives

en énergie lorsque le prix de celle-ci augmente viennent plus de la contraction de la demande que

d’une perte de compétitivité vis-à-vis des importations.

Ce document de travail montre que, dans l’industrie du papier, une augmentation différentielle de

10 % des coûts de l’électricité induit une diminution des exportations de 0,9 % (ou de 1,4 % pour une

augmentation équivalente du coût du combustible) et une baisse de la production nationale de 0,6 %

(de 0.8 % dans le cas du combustible). Dans la sidérurgie, une augmentation différentielle du coût de

l’énergie de 10 % fait chuter les exportations de 1,9 % et la production de 3,3 %.

Dans les deux secteurs étudiés, le dynamisme de la production est donc d’abord lié à celui de la de-

mande locale10. Une fois ce paramètre écarté, on met au jour les différents facteurs de la compétitivité.

Les coûts de l’énergie y jouent un rôle, quoique souvent plus modeste que celui de la productivité

apparente, du niveau de formation de la main d’œuvre ou de l’abondance de matières premières.

Puisque la proximité de la demande est essentielle (du fait de l’importance des coûts de transport, des

spécificités des attentes locales ou encore du besoin d’entretenir de bonnes relations avec ses ache-

teurs), l’enjeu de compétitivité est nettement plus important à l’égard des autres pays européens que

des concurrents lointains. Autrement dit, la production sur ces deux secteurs intensifs en énergie se

régionalise plus qu’elle ne se mondialise.

Typiquement, sur ces deux marchés principalement européens, où les coûts du travail et de l’énergie

pour les industriels grands consommateurs sont assez proches, la productivité des sites et la forma-

tion des salariés peuvent faire toute la différence, pesant davantage sur la compétitivité que le

coût de l’énergie. Par exemple, une hausse de 10 % de la productivité apparente dans la sidérurgie par

rapport la moyenne internationale induit en moyenne une hausse de 4,9 % de la production nationale.

La Finlande et la Suède ont ainsi une industrie papetière très performante sur le marché international

grâce à une productivité à la pointe et à une gestion efficace des ressources forestières.

9 Curieusement, les producteurs de gaz sec (gaz de roche-mère sans huile récupérable dans le gisement) profitent

peu du boom du gaz de schiste. Ils vendent actuellement leur gaz à perte, car les capacités de production dépas-

sent la demande locale (faute d’une capacité de liquéfaction permettant d’exporter) et ils sont en concurrence

avec des producteurs de gaz « humide » qui amortissent leurs coûts d’extraction grâce au pétrole.

10 Même si l’élasticité des exportations est un peu plus forte que celle de la demande intérieure, cette dernière

pèse en général plus dans la demande nationale.

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14 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Il peut donc arriver, en Europe, que la compétitivité d’industries très consommatrices d’énergie

dépende fortement de paramètres non liés au coût de l’énergie.

Certes, ce qui vaut pour la sidérurgie ou le papier ne s’étend pas à certains produits chimiques dont la

valeur à la tonne, plus élevée, rend leur transport rentable pour de moindres écarts relatifs de prix.

Conséquences pour les débats en cours

Une meilleure compréhension de l’impact du prix de l’énergie sur la compétitivité des entreprises

donne des clés pour aborder les débats sur la politique énergétique.

Distinguer les effets de l’accès à une énergie bon marché et ceux d’une redistribution ou

d’une subvention

Bénéficier d’une énergie bon marché ne peut être que bienvenu pour un industriel. Cette aubaine peut

provenir de l’accès à une source meilleur marché ou d’une redistribution, quand le producteur ou

l’Etat lui consentent des prix avantageux au détriment des autres consommateurs, industriels ou parti-

culiers.

L’accès à une source locale meilleur marché a des effets positifs. La Norvège, la Suède et la France

ont ainsi bénéficié de sources d’énergie avantageuses, hydroélectriques ou nucléaires. L’industrie

française dispose depuis trente ans d’une électricité bien meilleur marché qu’en Allemagne ou en Ita-

lie11. Ce confort aurait même parfois pu lui faire négliger des investissements permettant de réduire ses

consommations12.

Un coût faible de l’énergie est évidemment un facteur favorable pour la compétitivité française.

Si le bilan des bénéfices et des risques de certaines sources d’énergie comme le nucléaire ou les gaz de

schiste fait l’objet de débats qui sortent du cadre de cette étude, il ne faut pas omettre, du côté des bé-

néfices, leur contribution économique bienvenue pour surmonter la crise actuelle et pour financer les

investissements importants nécessaires à la transition énergétique.

Les politiques qui consistent à compenser des prix élevés de l’énergie par des mécanismes de

redistribution ont un effet plus difficile à déterminer, parce que c’est un jeu à somme nulle et que

le pouvoir d’achat ou la compétitivité retirés aux acteurs mis à contribution pénalisent la demande

globale13. La redistribution peut venir d’une subvention de l’Etat ou d’une politique tarifaire différen-

11 L’écart en faveur de la France s’est encore largement accru pendant la décennie 2000-2010, sauf pour certains

électro-intensifs. Cet avantage ne s’est pas traduit par une spécialisation du commerce extérieur français dans les

produits à fort contenu énergétique, contrairement à ce que l’on peut observer pour le Canada ou la Norvège.

12 C’est en tous cas ce qu’on observerait dans le bâtiment : la plupart des logements allemands, malgré un climat

plus rude, consomment moins d’énergie à surface habitable équivalente que les logements français.

13 Historiquement les acteurs qui bénéficiaient en France de la rente constituée par les sources d’énergie les

moins coûteuses (dont le parc électronucléaire et les centrales hydrauliques) étaient le producteur (qui avait ainsi

une forte capacité à investir) et certaines entreprises consommatrices d’énergie. L’évolution récente, sous

l’impulsion de la Commission européenne et de la loi NOME, a conduit à redistribuer cette rente aux consomma-

teurs (captifs), au détriment des entreprises (qui sont plus mobiles) et des producteurs (moins incités à investir).

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Avant-propos 15

Document de travail – version du 18 novembre 2013

ciée des producteurs14. Plus le mécanisme de redistribution est complexe, plus il présente des coûts de

transaction élevés et parfois même des effets indésirables : quand le prix d’une même ressource varie

selon l’utilisateur, le bénéficiaire de prix artificiellement bas risque de gâcher la ressource. Il faut donc

s’assurer de l’opportunité et du bon ciblage de tels mécanismes avant de les mettre en place.

Une mesure de redistribution trop large, qui couvrirait par exemple l’ensemble des grands consomma-

teurs directs d’énergie, aurait un coût élevé pour les autres acteurs, ce qui fragiliserait la mesure. Cela

risquerait en effet d’en annuler les effets positifs en étouffant exagérément la demande. Cela pourrait

également conduire à négliger les besoins d’entreprises qui consomment relativement peu d’énergie

directement mais dont les achats en incorporent beaucoup et qui peuvent donc être vulnérables à son

renchérissement.

Distinguer l’effet des variations entre continents et au sein de l’Europe

D’une manière générale, les écarts de prix de l’énergie au sein de l’Europe et entre grandes zones géo-

graphiques n’ont pas la même origine. Les écarts intra-européens pour les entreprises15 sont en grande

partie liés à la tarification de l’électricité et aux taxes ; ceux entre l’Europe et les Etats-Unis sont liés à

la disponibilité de gaz et de charbon abondants et bon marché outre-Atlantique. Ces écarts n’impactent

donc pas les mêmes industries ni de la même manière. Le mélange des situations pourrait conduire à

des politiques mal ciblées.

Au sein du continent européen, on a vu que les élasticités de la production et du commerce au prix de

l’énergie sont modérées, plus faibles par exemple que pour la productivité des sites ou la qualification

de la main d’œuvre. Pour autant, les variations des prix eux-mêmes peuvent être plus brutales et plus

amples que celles de la productivité ou du coût du travail, notamment du fait des décisions des Etats.

Les industriels peuvent donc tout de même être très sensibles à des distorsions entre pays voisins aux

marchés très interconnectés. Un pays peut souhaiter favoriser momentanément un secteur industriel en

l’aidant à bénéficier d’une électricité bon marché pour éviter des délocalisations. C’est pourquoi une

harmonisation des politiques énergétiques au niveau européen est nécessaire pour éviter des

surenchères destructrices16.

Un autre effet négatif est de rendre l’investissement dans la transition énergétique moins intéressant pour les

consommateurs, alors que le bâtiment et les transports individuels constituent des « gisements » prioritaires.

14 Ainsi, l’Allemagne a fait le choix de tarifs de l’électricité élevés pour les ménages mais avantageux pour les

industries grandes consommatrices. Cette politique mercantiliste favorise les exportations de ces dernières, mais

peut-être au détriment de la demande intérieure adressée à l’ensemble des industriels.

15 Les coûts de base dépendent évidemment du mix énergétique de chaque pays, notamment pour les ménages,

mais divers pays font en sorte que les industries les plus mobiles bénéficient de conditions avantageuses à travers

les péréquations tarifaires et les modulations de taxes.

16 Les industriels français énergivores sont inquiets des conditions favorables qu’auraient obtenues certains con-

currents en Allemagne, alors que les distorsions intra-européennes jouaient traditionnellement plutôt en leur

faveur (mais compensaient peut-être d’autres handicaps).

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16 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

La survie de certains secteurs dépend d’un accès à une énergie compétitive

On a vu plus haut que certains secteurs comme la chimie ne pourraient durablement supporter le

différentiel actuel de coûts de l’énergie entre les Etats-Unis et l’Europe, notamment parce que le

vecteur énergétique (gaz) est aussi leur matière première principale. Ce sont des secteurs très capitalis-

tiques, où les investissements s’amortissent sur des durées longues17. Ce sont aussi des secteurs où les

savoir-faire industriels sont très longs à constituer ou à reconstituer. Leur dépérissement présente donc

rapidement un caractère irréversible. Si ces secteurs sont viables à long terme (en fonction de

l’ensemble des facteurs de compétitivité pertinents) ou qu’ils présentent un intérêt stratégique, no-

tamment pour le reste du tissu industriel, il est normal de chercher à les protéger. C’est pourquoi les

pays qui s’engagent de manière volontariste dans la transition énergétique en taxant l’énergie ou les

émissions de gaz à effet de serre veillent à ne pas fragiliser les secteurs industriels les plus impactés18.

Une taxation de l’énergie incorporée serait équitable et favorable à la transition

Une taxation unilatérale de la consommation d’énergie (ou des émissions indésirables qui en sont une

conséquence) pousse les industriels à délocaliser leur production, quand ils le peuvent, dans des pays

n’appliquant pas cette taxation. Une solution souvent envisagée, malgré les difficultés techniques et

politiques de sa mise en œuvre19, est de taxer la consommation des produits et services en fonction

de l’énergie ou des nuisances environnementales qu’ils incorporent. Le niveau de taxation « par

défaut » reflèterait les consommations ou émissions des pires procédés en usage et il appartiendrait au

vendeur d’apporter la preuve qu’il en utilise de meilleurs pour bénéficier d’un allégement proportionné

de cette taxe. Cette taxe, comme la TVA, concernerait de la même manière les produits locaux ou

importés, incitant chacun à la vertu ; elle n’aurait donc pas de caractère protectionniste contraire aux

accords internationaux sur le commerce. Les difficultés techniques concernent surtout la mise en place

d’une certification crédible sur le contenu énergétique et les émissions liées à la fabrication d’un pro-

duit. Les difficultés politiques viennent de la réticence des pays les moins attentifs à

l’environnement20, tentés par des mesures de rétorsion, comme lorsque l’Union européenne a décidé

de taxer le carbone émis par le trafic aérien. Elles viennent aussi des attitudes divergentes des pays

européens et de l’impact différent que cette taxation aurait sur eux21.

17 Les écarts de prix ne conditionnent donc les implantations que s’ils sont supposés durables.

18 La Suède accorde des réductions de taux d’imposition du CO2 aux entreprises soumises aux quotas européens.

Mais elle augmente régulièrement ces taux, tout en veillant à ne pas alourdir la pression fiscale globale, afin

d’encourager les investissements d’efficacité énergétique. L’Allemagne offre des conditions

d’approvisionnement particulièrement favorables aux gros consommateurs d’énergie.

19 Le discours sur ces difficultés « insurmontables » rappelle celui des opposants à l’initiative de Maurice Lauré

de créer la TVA en 1954. Rappelons qu’il a fallu douze ans pour que la TVA soit généralisée à toutes les entre-

prises et que beaucoup de pays étrangers en ont copié le modèle.

20 Des schémas alternatifs plus intéressants pour les pays tiers ont été proposés, notamment par Monjon et Qui-

rion, 2010) ou (Giraud, 2012).

21 Une taxe de 20 € sur la tonne de CO2 renchérit l’électricité en Suède de 0,6 €/MWh mais de 13,1 €/MWh en

Pologne : on voit bien que faute d’approche globale, il sera difficile de progresser sur un tel sujet. Comme le

montre Bordigoni (2012b), les pays d’Europe de l’Est seraient très affectés car ils commercent directement avec

la Russie ou l’Ukraine, dont l’efficacité énergétique est assez médiocre.

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Avant-propos 17

Document de travail – version du 18 novembre 2013

L’efficacité énergétique, un atout compétitif pour l’Europe

La maîtrise de la consommation et l’efficacité énergétique des procédés industriels (comme celle

des bâtiments et des modes de transport) constitueront un avantage compétitif de plus en plus

important au fur et à mesure que le prix de l’énergie augmentera. Il y a donc un intérêt collectif

pour l’Europe à s’engager rapidement dans la transition énergétique. Nous venons de voir qu’elle peut

le faire sans grand risque si une concertation entre les pays européens évite que certains d’entre eux ne

soient tentés de jouer les passagers clandestins au détriment du tissu industriel de leurs voisins. En

attendant cette coordination souhaitable, certains pays comme la Suède pilotent astucieusement leur

fiscalité pour encourager cette transition tout en préservant leur base industrielle et ses capacités

d’exportation22.

Prendre en compte les diverses échelles géographiques et temporelles

Rappelons pour conclure que la politique de l’énergie doit prendre en compte deux enjeux.

Premièrement, dans un marché européen fortement intégré, des écarts de prix entre pays affectent la

compétitivité des entreprises. Certains pays peuvent en jouer pour favoriser telle ou telle industrie au

détriment des pays voisins. Les industriels peuvent les mettre en concurrence et provoquer une suren-

chère globalement nuisible. Une certaine cohérence au sein de la zone Europe est donc indispensable.

Deuxièmement, la disponibilité durable de gaz et de pétrole bon marché aux Etats-Unis confère à cer-

taines industries de ce pays un avantage important. C’est très net notamment pour les secteurs de la

chimie. Si l’Europe souhaite préserver son industrie dans ces secteurs, elle doit leur faciliter l’accès à

une énergie compétitive.

L’urgence de restaurer la compétitivité de notre pays fait de toute augmentation du coût de l’énergie

une menace pour nos entreprises, dont les marges sont déjà dramatiquement faibles. La viabilité de

certains secteurs comme la chimie dépend de l’accès à des matières premières et à une énergie abor-

dables, ce qui justifie un soutien de la collectivité. Il faut en revanche éviter que des aides mal ciblées

réduisent trop les incitations à investir dans la transition énergétique. Enfin, se préoccuper du coût de

l’énergie pour les industriels ne doit pas faire oublier l’urgente nécessité d’agir sur les autres leviers de

la compétitivité, à commencer par l’allègement du coût du travail (en réduisant la part de financement

de la protection sociale portant sur les salaires) et la restauration de marges de manœuvre pour monter

en gamme et exporter.

Nous devons relever un double défi : encourager les entreprises à ne pas relâcher leurs efforts pour

perfectionner leurs procédés et réduire leur consommation tout en assurant à l’industrie l’accès à

l’énergie dans des conditions qui n’obèrent pas sa compétitivité.

22 La Suède a su préserver sa base industrielle et accroitre sa part de marché tout en étant parmi les pays les plus

volontaristes. Elle a mis en place une taxe carbone très élevée (même pour les secteurs industriels bénéficiant de

fortes réductions par rapport au taux de base de 118 €/tonne CO2). Elle en a redistribué le produit en allégeant les

autres impôts pesant sur les entreprises.

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19

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Introduction

Le débat français sur la transition énergétique s’inscrit dans un contexte mondial en profond change-

ment. La consommation d’énergie des pays émergents augmente rapidement, modifiant l’équilibre des

marchés internationaux. Des tensions importantes apparaissent sur les prix de l’énergie, notamment du

pétrole. A cela s’ajoute le besoin de répondre au défi climatique alors que le charbon représente une

part de plus en plus grande de la consommation d’énergie. D’autres développements, tels que le rapide

essor des gaz de schiste en Amérique du Nord, modifient également la carte énergétique mondiale.

Parallèlement, compte tenu de la crise économique actuelle, l’avenir de plusieurs pans de l’industrie

manufacturière semble menacé en France et dans l’Union européenne. L’industrie emploie de moins

en moins de personnes et représente, en France, une part décroissante de la valeur ajoutée. Ce mouve-

ment de recul est ressenti assez vivement par la population et les élus, notamment du fait des

conséquences médiatiques et sociales souvent désastreuses des fermetures de sites. L’industrie de-

meure pourtant un moteur essentiel de l’économie du fait de son poids prépondérant dans la balance

commerciale, dans l’innovation et dans l’investissement. De nombreuses études et analyses

s’accordent sur le diagnostic d’une perte de compétitivité, prix et hors prix, de l’industrie française. Le

Gouvernement a même, en novembre 2012, fait de ce constat la justification fondatrice de plusieurs

mesures rassemblées en un Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Les deux sujets se recoupent aujourd’hui en France. En particulier, le débat sur les choix énergétiques

et environnementaux se heurte à la question de leurs conséquences possibles sur la compétitivité in-

dustrielle : comment concilier le soutien de la compétitivité des entreprises et la régulation de la

consommation d’énergie ? Les travaux académiques étudiant l’effet des prix de l’énergie sur la com-

pétitivité industrielle sont paradoxalement mal connus. L’objet de cette note est de présenter une

synthèse des récentes publications sur ce sujet.

La compétitivité industrielle est une notion économique qui n’a pas de définition stabilisée (Le Blanc,

2012). C’est une notion relative, de comparaison entre différents concurrents. On choisit ici de parler

de la compétitivité des industries présentes sur le territoire national, mesurée à la fois sur le marché

international par le biais des exportations et sur leur marché domestique par le biais de la production.

L’idée est que la compétitivité accroît les performances commerciales à court terme et les capacités de

production à long terme (via une augmentation des investissements ou une réduction des fermetures

d’usines). Il est logique que des prix élevés d’un intrant tel que l’énergie affectent la compétitivité des

industries ; l’enjeu est de quantifier et de pondérer cet impact.

Le premier chapitre décrit les mécanismes mondiaux ou régionaux qui déterminent aujourd’hui les

prix de l’énergie, ainsi que ses variations selon les secteurs industriels. Ceci explique que la réponse à

la question posée ne soit pas uniforme. Ainsi, lorsque tous les pays industrialisés subissent une même

variation mondiale des prix de l’énergie, la compétitivité de leurs industries respectives ne subit en

théorie aucune distorsion. En particulier, la hausse internationale des prix du pétrole que nous connais-

sons actuellement n’implique pas directement une perte de compétitivité pour l’industrie française.

Elle peut néanmoins avoir un impact macroéconomique significatif, comme cela s’est vérifié au cours

des crises pétrolières des années 1970 et 1980. Le chapitre 2 explique pourquoi les effets du choc pé-

trolier actuel sont plus modérés pour l’instant et dans quelles conditions ils pourraient s’accentuer.

Ensuite, lorsqu’ils évoluent différemment d’un pays ou d’un continent à l’autre, les coûts de l’énergie

pèsent effectivement sur la compétitivité. Cela se traduit différemment selon que l’on raisonne à court

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20 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

ou à long terme. Sur trente ans et plus, la disponibilité d’une énergie bon marché exerce le plus sou-

vent un effet suffisamment fort pour se traduire dans les spécialisations industrielles nationales, du

moins dans le cas de pays disposant de ressources abondantes (chapitre 3). Sur une période plus courte

(les dix dernières années), le coût de l’énergie a également un effet mesurable sur la compétitivité :

significatif pour certains secteurs, plus diffus pour d’autres, parmi lesquels on trouve paradoxalement

quelques secteurs fortement consommateurs (chapitre 4).

Le cinquième chapitre traite du cas particulier de l’essor des gaz de schistes aux Etats-Unis et de ses

conséquences industrielles. Les prix du gaz sont, depuis 2007, plus de deux fois plus faibles en Amé-

rique du Nord qu’en Europe. Cette situation inquiète les industriels français, qui redoutent un déficit

de compétitivité vis-à-vis de leurs concurrents américains. Ce chapitre vise à mieux cerner l’ampleur

des effets de cette baisse des prix du gaz américain, secteur par secteur.

Enfin, le chapitre 6 élargit le périmètre de la question posée et explique pourquoi il serait plus perti-

nent de débattre des conséquences industrielles du coût de l’énergie à l’échelle européenne. Le plus

souvent, cette question est abordée dans le cadre de politiques énergétiques nationales et s’intéresse

surtout aux effets subis par les secteurs intensifs en énergie. Compte tenu de l’intensité des chaînes de

production qui relient entre elles des entreprises de pays et de secteurs différents, ceci est une double

erreur. Une réponse nationale à l’enjeu énergétique de la compétitivité sera nécessairement moins

efficace qu’une action coordonnée dans un cadre européen.

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21

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Chapitre 1 : les prix de l’énergie, globalement en tension, varient sensiblement selon les pays et les secteurs industriels.

Résumé du chapitre

Le marché mondial de l’énergie est à la fois dans une période de réorientation géographique (déplacement du

centre de gravité de la demande des pays industrialisés vers les pays émergents) et de forte incertitude (défi climatique, phénomènes spéculatifs…). La seule tendance robuste réside dans la croissance durable de la de-mande mondiale, tirée par le développement des pays émergents et notamment de leur industrie. Ce contexte entretient une tension à la hausse des prix de l’énergie, qui a toutes les chances de se prolonger.

Pour étudier l’impact des coûts de l’énergie sur la compétitivité industrielle, il convient de distinguer le cas du

pétrole, dont les cours sont mondiaux, de ceux des autres énergies, dont les prix varient selon les pays et les régions du monde. Ces écarts internationaux de prix se réduisent toutefois pour les gros consommateurs indus-triels.

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22 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

La hausse durable des prix de l’énergie est liée à la crois-sance de la demande mondiale, notamment dans les pays émergents.

La demande énergétique mondiale a augmenté de 28 %23 entre 2000 et 2011, selon un clivage géogra-

phique très net. Environ la moitié de cette hausse a eu lieu en Chine et un cinquième dans le reste de

l’Asie, pendant que la demande diminuait dans les pays développés (Europe, Amérique du Nord et

Japon).

Cette croissance va probablement se poursuivre à un rythme soutenu lors des prochaines décennies.

Selon les dernières prévisions de l’IEA (IEA, 2012), la demande énergétique mondiale devrait ainsi

s’accroître de plus d’un tiers d’ici à 2035, 90 % de cet accroissement relevant des pays émergents. La

Chine devrait devenir le premier marché de l’énergie dans le monde en 2020 (Percebois, 2012)24.

Cette explosion de la demande joue incontestablement un rôle de premier ordre dans la très forte

hausse des prix du pétrole à laquelle on assiste depuis une décennie. Pour le moment, les découvertes

de réserves de pétrole s’effectuent à un rythme permettant un accroissement de l’offre. Cependant, leur

exploitation est de plus en plus difficile et requiert des investissements massifs. L’investissement né-

cessaire d’ici à 2035 est évalué à environ 333 trillions de dollar dans le monde, soit 1,4 % du PIB

cumulé jusqu’à cette date (IEA, 2010).

Cela implique une hausse progressive des coûts de l’énergie. Partant d’une valeur de 18$2012 par baril

de Brent en 1998, les prix ont atteint 112$2012/bl en 2012 (Figure 1), soit une hausse des prix compa-

rable à celle des précédents chocs pétroliers. Dans son dernier World Energy Outlook, l’IEA prévoit

pour les années à venir une stabilisation aux alentours de 120$/bl si les politiques énergétiques et envi-

ronnementales déjà annoncées sont mises en place.

D’autres facteurs contribuent, parallèlement, à la transformation rapide du contexte énergétique mon-

dial et, surtout, à une montée des incertitudes. Ainsi, l’ampleur des objectifs à réaliser pour limiter le

risque de réchauffement climatique requiert une transformation importante des systèmes énergétiques.

En outre, l’exploitation croissante du gaz et du pétrole non conventionnels, notamment en Amérique

du Nord, modifie en profondeur les mécanismes économiques et géopolitiques de l’énergie dans le

monde. Alors que les Etats-Unis anticipaient des importations de gaz naturel liquéfié, les analystes

discutent désormais de l’effet des exportations américaines sur les prix internationaux. Enfin, l’impact

de probables phénomènes spéculatifs est, par nature, difficile à apprécier.

La carte énergétique mondiale est donc en pleine évolution. Au milieu de ces incertitudes, la seule

tendance solide réside dans l’accroissement continu de la demande mondiale, conduisant à une réo-

rientation géographique des marchés. En d’autres termes, et contrairement aux chocs pétroliers des

années 1970 qui avaient été précédés et suivis de période de bas prix, la hausse actuelle des prix du

pétrole traduit des tensions durables. C’était un choc en attente mais non une crise.

23 En énergie finale.

24 La Chine consomme déjà plus de 46 % du charbon dans le monde (IEA, 2012).

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Chapitre 1 : les prix de l’énergie entre pays et entre secteurs industriels 23

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 1 : prix trimestriel moyen du baril de Brent

(en dollars courants en bleu et en dollars constants 2012 en rouge)

Source : (BP, 2012)

L’industrie mondiale est une grande consommatrice d’énergie.

Avec 3 250 Mtep en 2010, l’industrie manufacturière représente 37 % de la consommation totale

d’énergie finale dans le monde, devant les transports (27 %), le résidentiel (24 %) et le tertiaire

(9 %)25. Elle constitue donc un déterminant majeur de l’évolution de la demande mondiale.

On peut notamment distinguer des industries « grandes consommatrices d’énergie » (IGCE) pour les-

quelles les dépenses énergétiques représentent plus de 10 % de la valeur ajoutée (cette part pouvant

dépasser 40 % dans le cas de la fabrication de ciment). Les principales IGCE sont la production de

papier, d’acier, d’aluminium, de ciment, de verre, de produits chimiques de base ainsi que certains

secteurs agro-alimentaires (industrie du lait ou du sucre…) et du textile (fibres artificielles ou fila-

tures…).26

La consommation industrielle a très fortement augmenté durant la dernière décennie, en dépit de la

crise économique de 2009 : on enregistre 1 250 Mtep supplémentaires entre 2003 et 2011 (en 8 ans),

contre 770 Mtep supplémentaires entre 1979 et 2002 (en 23 ans).

25 Dans toute cette partie, l’utilisation de ressources énergétiques comme matière première est intégrée dans la

consommation.

26 Au-delà de leur point commun énergétique, il faut noter que ces secteurs ont des structures et des comporte-

ments économiques différents : des dépenses en R&D proportionnellement plus élevées dans l’industrie

chimique de base, des coûts de transports plus importants dans le secteur du ciment, etc. Certains de ces secteurs

sont électro-intensifs, tels que la production d’aluminium, de papier ou de chlore. D’autres consomment

l’énergie principalement sous forme non électrique, non seulement comme combustible mais aussi comme ma-

tière première (méthane pour l’industrie chimique, charbon pour la sidérurgie…).

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24 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Autre trait caractéristique, les pays développés sont en repli depuis plusieurs années : leur poids dans

la consommation industrielle mondiale a diminué de moitié en vingt ans, au profit des nouveaux pays

industrialisés (Chine, Inde, Corée du Sud, Brésil). L’industrie chinoise concentre aujourd’hui plus de

11 % de la consommation mondiale, tous secteurs économiques confondus. Assez logiquement, la part

représentée par l’industrie dans la consommation nationale diminue dans les pays développés, alors

qu’elle atteint aujourd’hui 58 % en Chine.

Le poids des pays émergents est également très significatif sur l’évolution du mix énergétique mon-

dial. L’envolée récente de la consommation a en effet surtout concerné le charbon, désormais

davantage utilisé que le pétrole par l’industrie (29 % contre 21 %).

En Europe, à l’évidence, le tableau est différent. L’industrie y a consommé environ 350 Mtep en 2011,

soit 15 % de moins qu’en 2007, avant la crise. L’électricité, le gaz naturel et le charbon constituent

chacun un quart de la consommation industrielle (Figure 2). L’industrie européenne se caractérise

donc par une consommation moins intense en pétrole et en charbon que dans le reste du monde, au

profit du gaz et de l’électricité. Encore faut-il noter que ces chiffres recouvrent des situations très dif-

férentes selon les pays européens et les secteurs industriels. En effet, la consommation de produits

pétroliers relève principalement de la chimie-pétrochimie et dans une moindre mesure du secteur des

minéraux non métalliques ; le charbon, lui, est surtout consommé dans la sidérurgie. La plupart des

autres secteurs industriels utilisent principalement du gaz naturel et de l’électricité.

Figure 2 : Consommation énergétique finale par secteur industriel dans l’Union Européenne en 2010

(énergies utilisées comme matières premières incluses). Source : (Enerdata, 2012)

Source : (Enerdata, 2012)

Note : l’énergie utilisée comme matière première est incluse dans ce décompte.

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Chapitre 1 : les prix de l’énergie entre pays et entre secteurs industriels 25

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Les prix de l’énergie connaissent des écarts sensibles entre pays et entre secteurs industriels.

Les prix de l’énergie varient significativement d’un pays à l’autre, sauf dans le cas du pétrole qui est le

seul à se distinguer par des échanges très importants entre les grandes régions du monde. En consé-

quence, une hausse des prix du pétrole affecte généralement l’ensemble des pays industrialisés (parmi

lesquels on trouve rarement les pays producteurs qui, eux, peuvent bénéficier de prix favorables). Les

particularismes nationaux tels que les régimes de fiscalité sont trop peu significatifs pour distordre ce

quasi équilibre mondial des prix aux industriels27.

A l’inverse, les prix des autres énergies et en particulier du gaz naturel et de l’électricité, très consom-

més par l’industrie manufacturière, peuvent être très différents selon les pays. Ceci reflète

principalement le niveau d’abondance de ressources locales : par exemple, les prix sont faibles pour le

gaz naturel en Russie ou pour l’électricité en Norvège (qui bénéficie d’une abondante production hy-

draulique).

Ces écarts peuvent également résulter de choix fiscaux (taxes, tarifs réglementés), de liens commer-

ciaux particuliers entre deux pays, de choix technologiques et d’infrastructures (comme dans le cas

nord-américain, depuis l’essor des gaz de schiste) ou encore de la structure du marché de l’énergie.

Les figures 3 et 4 présentent ainsi les prix moyens de l’électricité et du gaz naturel pour les consom-

mateurs industriels, aux Etats-Unis et en Europe (en 2011). En moyenne, les industriels français

profitent d’un prix de l’électricité plus bas que celui de leurs concurrents frontaliers, taxes comprises.

Ces prix restent toutefois supérieurs à ceux observés aux Etats-Unis. A l’inverse, les industriels ita-

liens font face à des prix de l’électricité très élevés, supérieurs de 80 % à ceux existant en France.

27 Les écarts internationaux de taxation du pétrole concernent surtout le carburant pour les particuliers. La fiscali-

té des produits pétroliers utilisés dans les procédés industriels est assez faible, bien plus réduite par exemple que

la TICPE. Les transporteurs de marchandises, eux, bénéficient de certaines exonérations. Seule la Suède a décidé

de taxer fortement la consommation de pétrole à la fois pour les ménages et pour l’industrie.

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26 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 3 : Prix moyen de l’électricité pour les industriels en 2011, par tranche de consommation annuelle

(prix hors taxes en clair et toutes taxes incluses en foncé)

Figure 4 : Prix moyen du gaz naturel pour les industriels en 2011, par tranche de consommation annuelle

(hors taxes en clair et toutes taxes incluses en foncé)

Source : Eurostat, 2012 Notes de lecture : a. En foncé, la valeur des taxes. b. Les prix incluent les prix de base de l’énergie plus les coûts de transmission, de la distribution et des services. La TVA et

les autres taxes déductibles ne sont pas prises en compte pour les clients industriels. c. Ces prix ne concernent pas les très gros sites de consommation d’énergie (environ 300 en Europe), qui bénéficient de

contrats spécifiques avec les producteurs.

Pour ce qui est du gaz naturel, les prix appliqués aux industriels français sont très proches de la

moyenne de la zone euro. Les Britanniques, eux, bénéficient de prix 25 % inférieurs grâce aux res-

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Chapitre 1 : les prix de l’énergie entre pays et entre secteurs industriels 27

Document de travail – version du 18 novembre 2013

sources de la mer du Nord28. Les Américains, on le sait, bénéficient d’un prix du gaz singulièrement

bas.

Ces mêmes figures montrent en outre que les prix de l’énergie payés par les industriels dépendent de

leur niveau de consommation : dans l’ensemble des pays européens, les prix de l’électricité et du gaz

naturel baissent et convergent au fur et à mesure que l’on passe aux tranches de consommation élevée.

Un grand consommateur industriel telle qu’une usine sidérurgique à arc électrique ou un site de pro-

duction de verre plat achète son énergie en moyenne 40 % moins cher qu’une petite entité.

A l’extrémité du spectre, les sites industriels à très forte consommation négocient des contrats spéci-

fiques qui peuvent s’éloigner encore davantage de ces moyennes. L’usine d’aluminium primaire de

Saint-Jean de Maurienne, par exemple, possédait jusqu’à présent un contrat de fourniture d’électricité

inférieur à 20 €/MWh alors que la moyenne des prix à l’industrie est d’environ 70 €/MWh en France

(James, 2012). Des disparités de prix peuvent même exister entre industriels d’un même pays et d’un

même secteur : le prix moyen de l’électricité pour les producteurs hollandais d’aluminium était par

exemple de 40 €/MWh en 2006 mais, dans le même temps, il existait un écart29 de 23 €/MWh entre

deux producteurs nationaux (Reinaud, 2008a).

Pour finir, on doit noter que ce ne sont pas seulement les niveaux de prix qui varient d’un pays ou d’un

secteur à l’autre, mais également leur rythme de progression (Figures 5 et 6). C’est évidemment vrai

pour le gaz naturel, qui a fortement chuté en Amérique du Nord à partir de 2008 alors qu’il a augmenté

en Europe et au Japon. C’est également le cas de l’électricité, qui a davantage augmenté en Allemagne

qu’en France30 depuis 2000.

La mise en place de politiques environnementales unilatérales pourrait accentuer ces écarts de facture

énergétique pour les industriels selon les secteurs, les pays et les vecteurs énergétiques (la plupart des

émissions sont liées à la combustion des énergies fossiles). Par exemple, une taxe carbone à 20 €/tCO2

représente une hausse potentielle des prix aux industriels français d’environ 10 % pour le gaz ou le

pétrole, de 40 % pour le charbon et de 2 % pour l’électricité.

28 Les réserves prouvées de gaz naturel de la mer du Nord sont toutefois en voie d’épuisement. Depuis le pic de

production atteint en 2000, celles-ci ont en effet été divisées par plus de deux au Royaume-Uni.

29 En 2006, certains producteurs possédaient toujours un contrat à long terme avec le producteur d’électricité

quand d’autres se fournissaient sur le marché « spot ». De plus, certains contrats indexent le prix de l’électricité

sur les prix de l’aluminium sur les marchés internationaux, qui étaient très élevés durant cette période.

30 Aux Etats-Unis, début 2013, la chute du prix du gaz naturel ne s’est pas encore répercutée sur les prix de

l’électricité aux industriels (cf. chapitre 4).

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28 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 5 : évolution des prix de l’électricité aux industriels (en base 100 pour l’année 2000, sur la base de

prix TTC en monnaie constante)

Source : (Enerdata, 2012)

Figure 6 : évolution des prix du gaz naturel aux industriels (en base 100 pour l’année 2000, sur la base de

prix TTC en monnaie constante)

Source : (Enerdata, 2012)

0

50

100

150

200

250

2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012

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ice

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0 =

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0

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2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012

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10

0 =

20

00

France Allemagne USA

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29

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Chapitre 2 : les prix élevés du pétrole menacent da-vantage la croissance que la compétitivité.

Résumé du chapitre

Un choc pétrolier tel que celui que nous subissons aujourd’hui affecte peu la compétitivité relative des industries

nationales, parce que ses effets sont globaux. Les effets d’un choc pétrolier sont donc distincts de ceux d’une

variation des prix de l’électricité ou du gaz dans un seul pays. Ils représentent en revanche une menace pour la

croissance de l’économie, notamment dans les secteurs les plus dépendants au pétrole (industrie et transports

par exemple). Jusqu’à présent, du moins dans les pays développés, la persistance de prix élevés du pétrole n’a

pas eu les mêmes effets dévastateurs que dans les années 1970 et 1980. Ce risque se renforce néanmoins, en raison de la dégradation de la conjoncture depuis 2008.

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30 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Le choc pétrolier en cours n’a pas les mêmes effets réces-sifs que les deux précédents, du moins dans les pays développés.

On a vu plus haut que les prix du pétrole se répercutent sur l’ensemble des pays industrialisés. Le choc

pétrolier en cours n’induit donc pas d’écart de compétitivité entre les industries nationales : ses effets

ne doivent pas être appréhendés de la même façon qu’une variation unilatérale des prix de l’électricité

ou du gaz.

Il pourrait en revanche freiner l’activité, c’est-à-dire la croissance, très vraisemblablement de manière

contrastée suivant la dépendance des secteurs économiques au pétrole (l’industrie et les transports

étant les plus exposés). Force est de constater toutefois que cela n’a pas été le cas, du moins jusqu’en

2007, malgré un accroissement de la facture pétrolière d’environ 110 % entre 2002 et 2006. La crise

économique, majeure, que nous traversons est liée à une crise financière puis à une crise des finances

publiques. Son ampleur masques d’éventuels effets plus modestes du prix de l’énergie.

Les chocs pétroliers des années 70, eux, avaient provoqué une spirale inflationniste très importante,

avec de fortes répercussions sur la croissance et le chômage. Plus précisément, ils avaient aggravé un

ralentissement économique déjà en cours (l’inflation avait augmenté avant les prix du brut en 1973).

La hausse des prix du pétrole a provoqué l’augmentation des prix à la consommation, a réduit le pou-

voir d’achat des ménages et a augmenté les coûts de production pour les entreprises31. Dans un second

temps, les entreprises ont répercuté sur leurs prix de vente la hausse de leurs coûts de production. Pa-

rallèlement, les salaires étant encore souvent indexés sur l’inflation, et les ménages ne voulant pas

perdre de pouvoir d’achat, le coût unitaire du travail a significativement augmenté en 1974 et en 1980.

Face à cette pression inflationniste, le régulateur a appliqué des politiques monétaires contraignantes,

aggravant le ralentissement économique.

A contrario, la hausse des prix du brut depuis l’an 2000 a eu des effets « beaucoup plus faibles et à

peine significatifs » (Artus et al., 2010).

Quatre facteurs modèrent aujourd’hui l’effet récessif des chocs pétroliers sur la croissance.

Cette atténuation des effets récessifs du prix élevé du pétrole, notamment en France32, a quatre grandes

explications. La première – et principale – tient à la forte diminution de l’intensité pétrolière de

l’économie : non seulement parce que la valeur ajoutée industrielle en représente une part plus faible

qu’auparavant mais surtout parce que la quantité de pétrole nécessaire pour produire 1 000 euros de

valeur ajoutée industrielle a diminué de plus de 60 % entre 1980 et 2011 (Figure 7). Ceci provient en

premier lieu d’une modification de la structure industrielle, la part des secteurs intensifs en énergie

ayant diminué. Mais l’efficacité énergétique de l’industrie s’est également améliorée régulièrement

31 Cette partie du rapport s’appuie alors sur les travaux de F. Lescaroux et V. Mignon, ainsi que ceux du Conseil

d’Analyse Economique, pour expliquer l’atténuation des effets des chocs pétroliers (P. Artus et al., 2010 ; Lesca-

roux F. & Mignon V., 2008).

32 Cette atténuation concerne principalement les pays industrialisés. L’effet de prix élevés du pétrole peut rester

majeur dans les pays en voie de développement.

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Chapitre 2 : les prix élevés du pétrole menacent davantage la croissance que la compétitivité 31

Document de travail – version du 18 novembre 2013

depuis les années 1980. De plus, le pétrole et le charbon sont progressivement remplacés par le gaz

naturel et l’électricité dans les procédés. Enfin, la production d’électricité française est désormais

beaucoup moins dépendante du pétrole qu’auparavant du fait de l’importance des productions nu-

cléaire et hydraulique.

La deuxième explication de cette atténuation est monétaire. La spirale inflationniste qui s’était enclen-

chée après les précédents chocs pétroliers a, cette fois, été enrayée grâce à des politiques monétaires

plus adaptées et plus crédibles et à une désindexation des salaires sur l’inflation. Les banques centrales

se concentrent désormais sur le contrôle de l’inflation, plus qu’elles ne tentent de soutenir l’activité

économique. Le renforcement de la concurrence internationale a également limité les possibilités de

hausse des prix pour les entreprises. En outre, les effets de change du dollar, qui avaient aggravé la

situation lors des précédents chocs, sont maintenant inversés. Aujourd’hui, les pays exportateurs de

pétrole épargnant moins prioritairement en dollars, le dollar tend à diminuer avec la hausse du prix de

brut, ce qui permet aux économies européennes de réduire leur facture pétrolière. Alors que le prix du

baril a été multiplié par 4,3 en dollars entre 2004 et 2008, il ne l’a été que de 3,4 pour le prix en euros

(P. Artus et al., 2010 ). Enfin, la part élevée des taxes sur les produits pétroliers amortit l’impact des

prix du pétrole pour les consommateurs, qui observent de bien moindres variations relatives.

Une troisième explication réside dans l’anticipation par les acteurs économiques d’une hausse des prix

du pétrole, contrairement aux chocs précédents. Le débat sur le pic pétrolier et la disponibilité des

ressources laisse en effet présager depuis longtemps une hausse des prix de l’énergie, inévitable à

moyen terme. Les enjeux climatiques et les politiques environnementales ont également joué dans ce

sens. Inversement, les investissements industriels connaissent des effets de seuil et d’irréversibilité

importants : les entreprises qui ont modifié leur consommation d’énergie suite aux précédents chocs

pétroliers n’ont pas pour autant consommé davantage lorsque les prix ont diminué dans les années

1980-1990.33

Enfin, les effets d’un choc pétrolier dépendent de la phase du cycle conjoncturel. Ils sont plus faibles

en période d’expansion qu’en période de récession (Lescaroux F. & Mignon V., 2008). Or, l’économie

mondiale était dans une période de retournement au moment des précédents chocs pétroliers, alors

qu’elle était en croissance au début des années 2000. Cette croissance a amorti l’effet récessif de

l’augmentation des prix du pétrole. Cela n’est plus vrai depuis 2008, puisque l’économie traverse une

crise grave. L’effet récessif pourrait donc réapparaître, d’autant plus que la demande en énergie conti-

nue de croître dans les pays émergents et que la faible croissance dans les pays industrialisés pourrait

ne pas suffire à stabiliser les prix.

33 Un contre-choc pétrolier peut toutefois avoir un impact positif sur la croissance, comme cela semble avoir été

le cas entre 1985 et 1999.

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32 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 7 : intensité énergétique de l’industrie manufacturière française, (1980-2011, en tep par millier

d’euros 2005 de valeur marchande)

Source : Calcul à partir de données Enerdata (Enerdata, 2012)

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Chapitre 3 : sur longue période, les pays dotés de ressources énergétiques abondantes se spécialisent dans les industries intensives.

Résumé du chapitre

Sur des périodes d’observation de 30 ans et plus, on constate que les ressources énergétiques abondantes dont

bénéficient certains pays privilégiés orientent leur spécialisation industrielle – notamment à l’export – vers les secteurs intensifs en énergie et bien insérés dans le commerce international.

En France cependant, l’existence d’une électricité bon marché ne s’est pas traduite, par une surreprésentation des industries électro-intensives dans les exportations.

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34 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Sur longue période, disposer de ressources énergétiques abondantes finit par procurer un avantage compétitif aux industries consommatrices et exportatrices.

Comme on l’a vu au chapitre 1, certains pays ont la chance de disposer de ressources énergétiques

abondantes – et donc accessibles à un coût compétitif. C’est même l’un des principaux facteurs expli-

quant les écarts internationaux de prix de l’énergie. Une hypothèse intuitive est naturellement que cette

abondance crée des avantages compétitifs pour les industries domestiques, surtout dans les secteurs où

l’énergie représente une part significative des coûts.34, 35

Gerlagh et Mathys (2011) constatent effectivement ce phénomène, sur une fenêtre d’observation de

près de trente ans (entre 1970 et 1997), pour 10 grands secteurs et 14 pays de l’OCDE36. Les industries

grosses consommatrices d’énergie, du moins celles qui sont fortement intégrées dans le commerce

international (le papier, par exemple), voient leur volume d’activité augmenter de 10 % à 20 % dans

les pays bénéficiant d’une forte abondance en énergie (Canada, Norvège, Australie).

Cet avantage compétitif se mesure en outre à l’aune des exportations : une disponibilité en ressources

énergétiques supérieure de 10 % à la moyenne internationale se traduit par un contenu énergétique des

exportations augmenté d’environ 2,2 %. Par exemple, les exportations de biens manufacturés (hors

énergie) contiennent, par million d’euros de valeur, environ 3 900 MWh d’énergie finale en Norvège

et 3 450 MWh au Canada, contre 1 950 MWh en France ou 1 700 MWh au Japon.

Le facteur énergétique joue donc, sur le long terme, un rôle dans la compétitivité des industries inten-

sives en énergie et dans l’attractivité des territoires à leur égard.

La France n’affiche pas de spécialisation dans les indus-tries électro-intensives malgré un prix compétitif de l’électricité.

La France fait exception à l’observation précédente. On a vu en effet que les prix de l’électricité y

étaient plus faibles que dans les autres pays européens. Mieux, la production d’électricité étant princi-

palement d’origine nucléaire, un prix du pétrole élevé serait plutôt à l’avantage de l’économie

française : « nous gagnons donc en compétitivité quand le prix du pétrole est élevé » (Artus et al.,

2010, p.62).

Pourtant, l’analyse des exportations et de la production manufacturières françaises n’indique pas de

spécialisation particulière dans les produits électro-intensifs. Les biens manufacturés en France ne

possèdent pas une proportion plus importante en électricité que la moyenne européenne (Figure 8),

contrairement à la Suède, à la Pologne (en charbon) et, de façon plus modérée, au Royaume-Uni (en

gaz naturel).

34 Par exemple, l’énergie équivaut à environ 22 % des coûts de production pour un haut-fourneau en sidérurgie, à

13 % dans l’industrie du papier et peut atteindre 35 % pour l’aluminium primaire ou plus de 50 % pour certains

segments de l’industrie chimique (Ecorys, 2009).

35 La qualité, l’accès et la disponibilité de l’énergie concourent également à la formation d’avantages compétitifs

36 Ils considèrent l’énergie comme un facteur de production, en plus de la main d’œuvre et du capital.

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Chapitre 3 : sur longue période, les pays aux ressources abondantes se spécialisent dans les industries intensives 35

Document de travail – version du 18 novembre 2013

L’industrie française ne semble donc pas avoir profité d’un gain de compétitivité de long terme du fait

des prix de l’électricité pour se spécialiser dans les industries intensives en électricité. En 2006, à

l’exception des industries du verre, de l’acier et de la chimie organique, les secteurs les plus électro-

intensifs ont connu de moins bonnes performances commerciales que la moyenne des industries fran-

çaises. La contribution à la balance commerciale a été négative pour les quinze secteurs les plus

intensifs en électricité (sur la base d’une nomenclature en 59 secteurs manufacturiers, la moyenne de

l’industrie française étant nulle par définition de l’indicateur). En particulier, l’industrie française est

peu spécialisée dans la production de métaux non ferreux, de papier et dans la chimie minérale, sec-

teurs pourtant très intensifs en électricité.

Figure 8 : Répartition de l’énergie contenue dans les exportations de biens manufacturés en 2005.

Source : Calculs de l’auteur

Lecture du graphique : on répartit ici, pour cinq pays européens, le contenu énergétique des biens manufacturés exportés, par

grandes sources d’énergie (en 2005). L’électricité est considérée comme une ressource en soi, indépendamment des choix

technologiques propres à chaque pays pour la produire (nucléaire, charbon, gaz…).

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Chapitre 4 : à court terme, le coût de l’énergie se mêle à d’autres facteurs pour peser sur la compétiti-vité ; son rôle devient déterminant pour quelques secteurs particulièrement exposés.

Résumé du chapitre

La littérature économique confirme l’intuition : lorsque le coût de l’énergie s’accroît dans un pays ou que des

politiques y sont instituées pour réguler les émissions de CO2, l’activité industrielle marque le pas. Cet effet,

d’ampleur très variable d’un secteur à l’autre, concerne principalement les industries intensives en énergie (mais pas toujours la totalité d’entre elles) et devient particulièrement critique pour les produits intermédiaires des f i-lières concernées (notamment le clinker, les aciers semi-finis et l’aluminium primaire). A l’inverse, il peut être

assez ténu pour certaines industries peu intensives en énergie. Globalement, le repli constaté est majoritairement dû à un essoufflement de la demande, du fait de l’érosion du pouvoir d’achat entraînée par l’augmentation du

coût de l’énergie. La part restante s’explique par une dégradation de l’offre, autrement dit par une perte de com-pétitivité au profit des importations.

Naturellement, l’activité des entreprises dépend de nombreux paramètres, que l’on veut pouvoir comparer entre

eux. Ce chapitre offre un regard particulier sur deux secteurs intensifs en énergie, la sidérurgie et l’industrie pape-tière, dont on suit l’activité entre 1995 et 2006 dans 32 pays. Là encore, le dynamisme de la demande locale est

le principal paramètre influant sur les volumes d’activité et les exportations. L’examen de la part résiduelle, c’est-à-dire de la compétitivité de l’offre, met au jour plusieurs paramètres commensurables : le coût de l’énergie y

figure, avec une élasticité globalement comprise entre 0,1 et 0,2 (c’est-à-dire qu’une augmentation de 10 % du coût de l’énergie se traduit par une baisse de l’activité ou des exportations comprise entre 1 et 2 %), ordre de grandeur sur lequel converge la littérature économique sur ce sujet.

Une telle élasticité est inférieure à celles observées par rapport au coût du travail, à la qualification de la main d’œuvre, à la productivité des sites ou encore au coût des matières premières. Il est dès lors important de com-prendre comment évoluent les termes auxquelles ces élasticités s’appliquent. Les deux secteurs étudiés, comme beaucoup d’industries intensives en énergie (hors chimie), se caractérisent par une concurrence et des restructu-rations principalement intra-européennes. Or, au sein de l’Union européenne, les évolutions relatives du coût du travail sont plutôt lentes et d’amplitude modérée.37 Ce facteur de compétitivité n’est donc pas aussi déterminant

que ne le laisserait croire son élasticité élevée. Inversement, des facteurs tels que la qualification de la main d’œuvre, la productivité des sites ou encore la gestion de la matière première peuvent avoir un impact plus impor-tant que celui du coût de l’énergie, comme en attestent les cas suédois et finlandais.

En France, ces deux secteurs ont plutôt bénéficié de coûts de l’énergie comparativement bas, eux-mêmes dus à des prix compétitifs et la performance énergétique des sites.

37 L’amélioration des coûts allemands par rapport à la moyenne européenne a certes eu un impact important sur

la compétitivité du pays (COE-Rexecode, 2011) mais elle a été de l’ordre de 10 % en 10 ans. Les écarts consta-

tés, d’un pays européen à l’autre, sur les coûts de l’énergie et notamment de l’électricité peuvent être beaucoup

plus importants, comme on l’a vu au chapitre 1.

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38 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Les différences de sensibilité des secteurs industriels et la complémentarité d’effets d’offre et de demande sont con-nues depuis les travaux sur les quotas de CO2.

Historiquement, les économistes ont surtout étudié l’effet des coûts énergétiques et environnementaux

sur la compétitivité industrielle à l’occasion de la mise en place des quotas d’émissions de CO2 dans

l’Union européenne. Il existe donc toute une famille d’études38 analysant de manière théorique39

l’impact des politiques de quotas sur la compétitivité.

Les conclusions de ces modélisations ex ante dépendent beaucoup des hypothèses utilisées sur certains

paramètres (taux de transfert, structure de la concurrence, élasticités) mais, dans l’ensemble, les études

récentes suggèrent que les politiques climatiques ont des effets négatifs sur l’activité industrielle, très

inégalement répartis d’un secteur à l’autre, et combinant une détérioration de la compétitivité de

l’offre avec une dépression de la demande.

Plus les études portent sur des niveaux fins de la nomenclature d’activités, plus l’hétérogénéité secto-

rielle devient manifeste. Si les secteurs intensifs en énergie sont, à l’évidence, plus touchés que les

autres, c’est plus précisément encore la production des biens intermédiaires qui se trouve particulière-

ment exposée : les productions d’aciers semi-finis provenant des hauts-fourneaux, de clinker40 dans les

zones côtières et d’aluminium primaire (voir Encadré 1).

Encadré 1 : la sensibilité particulière de biens intermédiaires

Dans les différentes filières de matériaux à fort contenu énergétique (acier, ciment, aluminium…), la fabrication

des biens intermédiaires concentre la majorité de la consommation d’énergie et, le cas échéant, d’émission de

CO2. Ainsi par exemple, les sites de production d’aciers semi-finis et de clinker sont particulièrement exposés au risque de délocalisation, selon les hypothèses envisagées de taxation ou de régulation des émissions de car-bone. Ces matériaux seraient ensuite transformés en produits finis en Europe, probablement par une même entreprise multinationale (Demailly, 2007 ; Ponssard & Walker, 2008 ; Reinaud, 2008a).

La production d’aluminium primaire constitue un cas particulier. Ce secteur consomme des quantités très impor-tantes d’électricité (15 MWh/t en Europe), ce qui représente 25 % à 40 % des coûts de production. En outre, le marché de l’aluminium est très ouvert, avec un prix fixé au niveau mondial (LME). Dès lors, la production d’aluminium primaire est très sensible à une variation des prix de l’électricité. La privatisation des producteurs

d’aluminium puis la libéralisation du marché électrique en Europe ont d’ailleurs conduit à une forte réduction du

nombre de contrats de fourniture d’électricité à long-terme, aux tarifs avantageux. Sur fond de baisse de la de-mande européenne, le passage aux prix de marché de l’électricité a provoqué la fermeture de sites européens

comme Fusina en Italie ou Anglesey en Angleterre.

38 Andersen & Ekins, 2009. Demailly, 2007. Demailly & Quirion, 2006, 2008. Smale et al, 2006. Reinaud,

2008b, COE-Rexecode, 2013. 39 Dans les études empiriques, il est difficile de prouver l’effet des coûts environnementaux sur les flux commer-

ciaux de biens manufacturés. Cela provient principalement de la faiblesse des coûts environnementaux jusqu’à

présent et du fait que les industries les plus émissives sont généralement aussi les moins mobiles (Ederington et

al., 2005).

40 Le clinker est un produit intermédiaire dans la production du ciment.

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Chapitre 4 : à court terme, le coût de l’énergie se mêle à d’autres facteurs de compétitivité 39

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Au passage, on notera que le secteur de la chimie de base, fortement consommateur d’énergie mais

relativement peu émissif de CO2, est rarement signalé dans les études qui portent sur les effets des

politiques de quotas. Ceci illustre le positionnement spécifique des secteurs qui consomment en grande

partie l’énergie sous forme de matière première (voir Encadré 2).

Encadré 2 : l’utilisation des intrants énergétiques comme matière première

Il est important de distinguer la consommation d’intrants énergétiques pour produire de l’énergie thermique ou

mécanique et leur utilisation en tant que matière première. Dans ce dernier cas, qui représente 26 % des con-sommations de l’industrie, l’intrant énergétique (gaz, pétrole, charbon…) constitue un « composant » du produit manufacturé. Ces usages non énergétiques concernent principalement la chimie (plastiques, engrais…), où ils

représentent environ 70 % de l’énergie consommée, sous forme de pétrole ou de gaz. Dans le reste de l’industrie

manufacturière, seuls les hauts-fourneaux consomment du coke de charbon à la fois comme matière première et comme combustible. Plus la proportion de carbone ou de chaînes carbonées demeurant à l’état solide dans les

produits est importante, moins les usines rejettent de CO2, et plus apparaît une différence entre leur sensibilité aux coûts de l’énergie et celle à l’instauration d’une taxe carbone.

Pour les autres secteurs, majoritaires, et y compris pour certaines industries fortement émissives,

l’impact des taxes environnementales est moins critique (Demailly, 2007 ; Ponssard & Walker, 2008 ;

Reinaud, 2008a)41.

L’étude de JE. Aldy et WA. Pizer (2009), en particulier, utilise l’impact historique des prix de

l’électricité42 sur l’industrie américaine pour évaluer les effets potentiels d’une taxe carbone à

15 $/tCO2, soit une hausse unilatérale de 13 % du prix domestique de l’électricité (6,2 €/MWh).

L’étude conclut à une baisse sensible de la production des industries intensives en énergie : entre -

1,6 % et -3,4 % pour les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium, du papier, du ciment, du verre et de

la chimie de base. La baisse est moins perceptible dans les secteurs peu intensifs. La perte de compéti-

tivité vis-à-vis des concurrents internationaux, mesurée par la substitution par des importations,

compte pour 0,8 % environ. Le solde est lié à une diminution de la consommation, autrement dit à la

baisse de la demande domestique.

Il est donc important de garder à l’esprit que la hausse des prix de l’énergie nuit aux industries inten-

sives par deux voies : en rognant leur compétitivité et, plus encore, en comprimant leurs marchés.

L’élasticité des exportations aux coûts de l’énergie est comprise entre 0,1 et 0,2 pour les industries intensives.

Comparées aux études portant sur les effets des politiques environnementales, celles qui mesurent

l’impact des écarts de prix de l’énergie sont peu nombreuses. La plupart d’entre elles présentent en

41 Selon Reinaud (2008a), des secteurs fortement consommateurs d’énergie tels que le ciment, les aciers produits

avec des fours à arcs électriques, le papier journal, les raffineries, l’aluminium secondaire ou encore les verres

plats, seraient moins sensibles aux effets de la mise en place d’une taxe carbone.

42 Cette étude ne considère que les évolutions des prix aux Etats-Unis, indépendamment des tendances mon-

diales.

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40 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

outre l’inconvénient de considérer l’industrie manufacturière comme un bloc homogène (Aldy & Pi-

zer, 2009 ; Gerlagh & Mathys, 2011).

Pourtant, les secteurs industriels ont des comportements très différents. Leur intensité énergétique, on

l’a vu, est très variable. En outre, même les industries intensives en énergie peuvent présenter des sen-

sibilités différentes. Certaines ont par exemple une capacité d’adaptation technologique plus forte que

d’autres, telle l’industrie du papier avec le développement de la biomasse ou de la liqueur noire (Szabó

et al., 2009). Il est donc nécessaire d’avoir une approche sectorielle fine.

Le Conseil d’analyse économique a publié une note à ce sujet en mai 2013.43 Bordigoni (2012a), pour

sa part, étudie l’impact des coûts de l’énergie44 sur les industries du papier et de la sidérurgie, entre

1995 et 2006 et sur une échelle mondiale45. Ces deux secteurs, à la fois intensifs en énergie et ouverts

à la concurrence internationale, peuvent être considérés comme représentatifs des enjeux de compétiti-

vité étudiés dans cette note.

La variable de référence est ici le ratio entre les coûts de l’énergie d’un pays exportateur et ceux d’un

pays importateur46. Dans l’industrie du papier, si ce ratio augmente de 10 % pour l’électricité, les ex-

portations diminuent en moyenne de 0,9 % en valeur. La même hausse pour les combustibles47 induit

une diminution des exportations de 1,4 %. Dans la sidérurgie, où l’on ne distingue pas les différentes

sources d’énergie, elle induit une baisse de 1,9 % des exportations.

L’effet négatif des coûts de l’énergie sur la compétitivité industrielle est donc mesurable dans les faits.

De manière générale, une élasticité des exportations au coût de l’énergie comprise entre 0,1 et 0,2 peut

être retenue comme point de repère, confirmé par les autres travaux sur le sujet (et notamment par le

rapport précité du CAE).

Dans un second temps, Bordigoni (2012a) mesure l’effet du prix de l’énergie non plus sur les flux

commerciaux mais sur la production des industries sidérurgiques et papetières nationales. Dans

l’industrie du papier, une hausse de 10 % des coûts de l’électricité par rapport à la moyenne interna-

tionale implique une baisse de la production nationale de 0,6 %. Cette baisse atteint 0,8 % pour une

hausse équivalente du coût des combustibles. Dans la sidérurgie, la diminution de la production atteint

3,3 %.

43 Voir (Bureau, Fontagné et Martin, 2013).

44 Le fait de comparer non pas les prix de l’énergie mais les coûts par tonne physique produite permet de tenir

compte également de l’efficacité énergétique des industries.

45 L’étude porte sur 32 pays, qui représentent respectivement 94 % de la production et 92 % des échanges com-

merciaux de papier, 97 % de la production et 88 % des échanges commerciaux d’acier fini.

46 L’étude consiste à observer statistiquement les variations de flux commerciaux induites par les écarts de coûts

de l’énergie entre pays. Plus précisément, on mesure une déviation du flux commercial entre deux pays par rap-

port à un niveau d’échange considéré comme « normal », estimé en fonction de leur taille économique et de la

distance qui les sépare. D’autres constantes propres à chaque pays et chaque flux permettent de capturer les spé-

cificités de chaque échange. Il s’agit d’un modèle de gravité, dont l’utilisation est courante en économie

internationale.

47 Dans les travaux, les combustibles ne recouvrent pas la biomasse utilisée dans l’industrie du papier.

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Chapitre 4 : à court terme, le coût de l’énergie se mêle à d’autres facteurs de compétitivité 41

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Enfin, le prix de l’énergie pèse également sur le rythme de croissance de la production et non seule-

ment sur son niveau. Avec une analyse dynamique, Bordigoni obtient des élasticités de -0,14 et de -

0,03 respectivement pour les coûts de l’électricité et des combustibles dans l’industrie du papier. Elle

est de -0,20 dans l’industrie sidérurgique.

Les écarts des prix de l’énergie ont plutôt joué en faveur des industriels français entre 1995 et 2006.

Les mécanismes décrits précédemment s’observent en particulier dans le cas français (voir Figures 9 et

10). L’industrie papetière française a bénéficié d’une baisse relative des prix de l’électricité entre 1995

et 2006, lui permettant d’augmenter la valeur de ses exportations à partir de 2003. Les dépenses en

combustibles, elles, ont évolué comme la moyenne mondiale durant cette période. Cela n’a pas eu

d’effet significatif vis-à-vis des partenaires mondiaux mais a eu un effet négatif sur les exportations en

Europe, dans la mesure où des concurrents frontaliers comme l’industrie allemande ont profité soit

d’une baisse des prix d’achats des combustibles soit d’une amélioration de leur efficacité énergétique.

Au total en 2006, on peut estimer à 5 % (soit 300 millions d’euros48) le gain commercial enregistré par

rapport à 1995 pour l’industrie française du papier du fait de l’évolution de ses coûts énergétiques.

Pour rappel, la production française de produits papetiers s’élevait à environ 6 200 millions d’euros en

2006 (Eurostat, 2012).

Dans la sidérurgie, les coûts de l’énergie sont demeurés stables en France par rapport à 1998 alors

qu’ils ont augmenté pour les principaux partenaires commerciaux. Cela a permis à l’industrie sidérur-

gique française d’augmenter ses exportations en 2006 d’environ 3 % en valeur par rapport à 1995, ou

encore de 640 millions d’euros.49 Cette même année, la production totale d’acier était de 16 800 mil-

lions d’euros (Eurostat, 2012).

48 Cette estimation représente la valeur moyenne d’une zone d’incertitude à 75 % allant de +80 à +560 millions

d’euros pour l’année 2006. 49 Cette estimation représente la valeur moyenne d’une zone d’incertitude à 75% allant de +340 à +960 millions

d’euros pour l’année 2006.

Page 43: L’impact du coût de l’énergie sur la compétitivité de l ... · prises, serait d’environ 130 €/MWh en Italie, 110 €/MWh en Allemagne, 70 €/MWh en France contre 50 €/MWh

42 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 9 : Effets des coûts de l’énergie sur les exportations de l’industrie papetière française (en %, par

rapport à 1995 prise comme année de référence)

Figure 10 : Effets des coûts de l’énergie sur les exportations de l’industrie sidérurgique française (en %,

par rapport à 1998 prise comme année de référence)

Lecture des graphiques : on mesure l’influence des coûts énergétiques (qui prennent en compte l’intensité énergétique et les

prix) sur les exportations par rapport à une année de référence. Par exemple, un effet de + 5 % pour l’année 1996 signifie que

l’évolution comparée des coûts énergétiques en France et dans les pays partenaires a permis d’augmenter de 5 % les exporta-

tions françaises par rapport à 1995.

80

90

100

110

120

130

140

150

160

-2,0%

-1,0%

0,0%

1,0%

2,0%

3,0%

4,0%

5,0%

6,0%

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Ind

ice

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19

95

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s

Effet des coûts de l'énergie par rapport à 1998 Coût Energie France ($2005/t)

Coût Energie Monde ($2005/t) Coût Energie Allemagne ($2005/t)

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Chapitre 4 : à court terme, le coût de l’énergie se mêle à d’autres facteurs de compétitivité 43

Document de travail – version du 18 novembre 2013

L’effet des coûts de l’énergie sur la compétitivité se mêle à celui d’autres facteurs, tels que la qualification de la main d’œuvre ou la productivité.

Bordigoni compare également les poids relatifs des différents paramètres qui ont pu jouer sur l’activité

et les exportations de ces deux industries, la sidérurgie et le papier : coûts de l’énergie donc, mais aussi

consommation domestique, productivité apparente, prix et niveau de formation de la main d’œuvre,

abondance de matières premières ou encore ouverture du pays au commerce international.50

Dans les deux secteurs étudiés, on observe le phénomène souligné au début de ce chapitre : le dyna-

misme de la production est d’abord lié à celui de la demande locale. L’importance des coûts de

transport, les spécificités des attentes locales ou encore le besoin d’entretenir de bonnes relations avec

ses acheteurs expliquent le rôle déterminant de la demande domestique, quatre à cinq fois plus fort en

moyenne que celui des autres variables.

Les autres facteurs se conjuguent pour jouer sur la compétitivité de l’offre. Le coût de l’énergie en fait

partie, quoi qu’avec une élasticité inférieure à celle de la productivité ou des coûts de la main d’œuvre

par exemple (Figures 11 et 12).

Figure 11 : Comparaison des facteurs de compétitivité dans l’industrie papetière en 2006.

50 Une étude économétrique, en données de panel, est réalisée pour déterminer les facteurs d’évolution des pro-

ductions nationales.

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44 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 12 : Comparaison des facteurs de compétitivité dans l’industrie sidérurgique en 2006. .

Lecture des graphiques. Cette présentation additionne les contributions des différentes variables à la compétitivité d’une

industrie nationale.51 Une valeur positive indique un avantage compétitif et, inversement, une valeur négative indique un

frein. L’effet dominant de la consommation domestique, complémentaire de la compétitivité de l’offre, n’est pas présenté.

Les constantes de temps et les constantes communes à toutes les observations ne sont également pas décrites. La catégorie

« autres » regroupe les constantes géographiques, c’est-à-dire les variables non spécifiquement prises en compte dans l’étude

telles que la qualité, le dynamisme du tissu industriel, le rôle des institutions… Pour des raisons de lisibilité, l’effet de la

consommation domestique n’est pas pris en compte.

L’interprétation de ces résultats doit être conduite soigneusement. Elle passe par une mise en contexte

des secteurs étudiés, autrement dit par la description des grandeurs auxquelles ces élasticités

s’appliquent. Dans ces deux secteurs en effet, comme dans la plupart des industries fortement con-

sommatrices d’énergie, l’évolution technologique des moyens de production et l’ouverture des

marchés européens se traduisent par un phénomène de régionalisation de la production. Les usines de

petite ou moyenne taille, qui produisaient principalement pour leurs marchés nationaux, ferment au

profit de grandes usines orientées vers le marché européen et profitant d’économies d’échelle impor-

tantes, hormis les cas particuliers de marchés de niche. C’est donc davantage une régionalisation

qu’une mondialisation de la production qui est en train de s’opérer : l’enjeu de compétitivité est prin-

cipalement intra-européen.

En d’autres termes, les écarts de coûts les plus susceptibles d’affecter la compétitivité de ces industries

intensives en énergie sont ceux qui règnent à l’intérieur d’une même zone géographique. Les salaires

particulièrement bas dans les pays émergents, d’ailleurs compensés par une productivité nettement

plus faible, ne représentent pas l’enjeu principal de la compétitivité des sites sidérurgiques et papetiers

51 Selon une formulation logarithmique de l’équation économétrique : le niveau de production d’un pays relati-

vement à la moyenne internationale est égal à l’exponentielle de la somme des contributions.

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Chapitre 4 : à court terme, le coût de l’énergie se mêle à d’autres facteurs de compétitivité 45

Document de travail – version du 18 novembre 2013

français. L’effet des matières premières, lui, dépend fortement du secteur étudié : l’abondance des

ressources est décisive dans l’industrie papetière mais relativement peu significative pour la sidérurgie.

Il faut en outre noter ici que la productivité des sites ainsi que la qualification des salariés, sur les-

quelles les industriels ont une relative marge de manœuvre, constituent des facteurs importants et

positifs de la compétitivité, dans les deux industries étudiées. Par exemple, une hausse de 10 % de la

productivité apparente dans la sidérurgie par rapport à la moyenne internationale induit en moyenne

une hausse de 4,9 % de la production nationale. Sur le marché européen, où les coûts salariaux sont

relativement comparables, cela s’avère déterminant.

En attestent les exemples de la Finlande et de la Suède, qui affichent des coûts de main-d’œuvre et des

prix de l’énergie à peu près équivalents à ceux d’Europe de l’Ouest. Leur industrie papetière doit sa

performance sur le marché international à une productivité à la pointe et à une gestion efficace des

ressources forestières.

Bordigoni complète d’ailleurs l’étude du secteur sidérurgique par une analyse, usine par usine, du parc

européen (voir Encadré 3). On y retrouve le rôle très important joué par la demande : d’une part pour

les aciers longs, parce qu’ils voyagent peu et sont donc produits à proximité des marchés, d’autre part

pour les aciers plats pour lesquels l’effondrement de la demande européenne couplée à des surcapaci-

tés structurelles en Europe et en Chine représentent sans doute la première cause de fermetures de

hauts-fourneaux. On y retrouve également les différents paramètres de la compétitivité de l’offre : le

coût de l’énergie et, plus encore, la productivité de chaque site, très sensible à l’âge technique ainsi

qu’à la taille des installations, qui joue un rôle notable dans les choix de fermeture ou de prolongation.

Encadré 3 : Les deux principales voies de production de la sidérurgie

Les usines avec des fours à arcs électriques recyclent des ferrailles pour produire des aciers, comparative-ment peu élaborés, destinés par exemple au BTP (armatures). Ces installations sont très fortement consommatrices d’énergie. Bordigoni évalue que le risque de baisse de capacité ou de fermeture d’un site est

doublé lorsque les prix de l’électricité sont deux fois supérieurs à la moyenne internationale dans un pays. On

notera également que le coût de la ferraille (67 % des coûts de production) est plus important encore que celui de l’électricité (11 %). En outre, le transport sur de longues distances de ces produits à faible valeur massique se révèle peu rentable, ceci valant aussi bien pour la ferraille que pour l’acier qui en est issu. En conséquence, la proximité de l’approvisionnement en ferraille, d’une part, et la proximité des zones urbaine et industrielles où la

demande est forte, d’autre part, constituent deux paramètres primordiaux de la localisation de l’activité, pesant davantage que le prix de l’électricité sur l’activité des sites.

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46 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Source : Estimations à partir des données CRU (2011)

Les hauts-fourneaux produisent, à partir de charbon et de minerai de fer, des aciers plus élaborés et plus pon-déreux qu’il est abordable de faire voyager par bateau. Pourtant, malgré des différences notables de coûts de production d’un pays à l’autre (Chine, Brésil, Europe…), les ratios d’importations restent relativement bas. Ils

étaient de 25 % pour les produits plats à leur maximum en 2006 (Hourcade et al., 2007). Le solde net des échanges de produits plats, issus des hauts-fourneaux, est d’ailleurs redevenu positif pour l’Union européenne

depuis 2008. Pour ces aciers plats, 82 % des échanges des pays européens ont lieu à l’intérieur de l’UE et la

Russie et la Chine constituent chacun 3 % des importations en 2012. Si les flux d’importations ont pu augmenter

rapidement pour certains produits spécifiques, conduisant par exemple M. Mittal à demander à l’UE de se proté-ger des importations chinoises, l’essentiel de l’acier consommé en UE demeure d’origine européenne.

Les hauts-fourneaux font donc face à une concurrence internationale plus contraignante que les fours à arcs électriques et se révèlent plus sensibles à une variation des coûts du combustible. Cela étant, les difficultés que traverse ce secteur en Europe, marqué par de nombreuses fermetures de sites, résultent aujourd’hui surtout de la

conjonction de phénomènes structurels. D’une part, la Chine, qui représente la moitié de la production mondiale

d’acier, a poursuivi linéairement l’extension de ses capacités de production sans tenir compte du ralentissement

de sa demande intérieure. Selon Morgan Stanley (2013), la surcapacité qui en résulte aujourd’hui représente 200

Mt/an, rien qu’en Chine, soit 13 % de la production mondiale. Les producteurs chinois exportent ce surplus en le vendant à perte, forçant les prix à la baisse. D’autre part, la demande est toujours très faible en Europe depuis la crise économique : 145,6 Mt contre 198 Mt en 2007 (Krajka, 2013). Des surcapacités significatives existent donc ici aussi, à hauteur d’environ 40 Mt, soit un quart de la production européenne (Morgan Stanley, 2013). Les acié-ristes européens sont en outre très endettés et doivent actuellement composer avec une forte hausse du prix du minerai de fer. Prise en ciseaux, la sidérurgie européenne ne parvient pas à maintenir des prix de l’acier à un

niveau convenable. Le coût de l’énergie, élément objectif de la compétitivité des sites, voit donc actuellement ses effets dépassés par des phénomènes structurels massifs. Il peut toutefois intervenir comme catalyseur, précipi-tant la fermeture de sites déjà en difficulté. En 2010, la Chine exportait davantage que la Russie vers l’Union

européenne tout en ayant des coûts énergétiques – et des coûts de production totaux – sensiblement plus éle-vés.

562 479

370 450 477

67

57

74

84 95

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10 32

28

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38

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83

0

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200

300

400

500

600

700

800

Neuves-Maisons,France

Petersburg, USA Vitoria, Brésil Guangzhou, Chine Donetsk, Ukraine

Coût de production de l'acier long dans cinq usines avec des fours à arcs électriques (2008) ($/tonne)

Ferraille Electricité Main d'œuvre Maintenance/Investissement Autres

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47

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Chapitre 5 : les gaz de schiste dynamisent la de-mande pour l’ensemble de l’économie américaine ; l’amélioration de la compétitivité concerne plutôt les secteurs intensifs en énergie, et très fortement les utilisateurs de méthane comme matière première.

Résumé du chapitre

Aux Etats-Unis, l’essor de l’exploitation des gaz de schiste a provoqué un effondrement durable des prix du gaz,

qui induit deux types d’effets économiques.

Le premier est un effet macroéconomique de croissance : la baisse des coûts liés à la consommation de gaz, conjuguée à l’effet multiplicateur des investissements réalisés par les exploitants, améliore le pouvoir d’achat des

particuliers, les marges des entreprises et plus globalement le dynamisme de la demande. Ceci est très fortement ressenti par exemple par les équipementiers qui fournissent les exploitants. Sur l’ensemble de l’économie amér i-caine, la quantification de cet effet, en valeur créée ou en nouveaux emplois, reste l’objet d’un débat assez vif.

Notons que cela sort à strictement parler du cadre de cette note, premièrement parce qu’on parle là de la vigueur

de la demande et non de la compétitivité des entreprises et deuxièmement parce que cet effet n’a pas de raison

de s’exprimer différemment sur l’industrie que sur le reste de l’économie. Les débats en cours, en France comme

aux Etats-Unis, font parfois un usage approximatif de la notion de compétitivité industrielle, et mêlent fréquem-ment les considérations sur l’offre et sur la demande.

Le second effet, donc, est une amélioration microéconomique de la compétitivité des entreprises : la baisse du prix du gaz et des biens intermédiaires réalisés à partir de gaz confère à certains pans de l’industrie, et plus part i-culièrement aux secteurs de l’industrie chimique utilisateurs de méthane, des avantages compétitifs très

importants. Dans certains cas (plastiques, engrais, chlore…), cela est suffisamment fort pour que les sites amér i-cains aient les moyens de concurrencer les sites européens jusque sur leur marché domestique : les gains de compétitivité dont ils bénéficient, qui pourraient se traduire par une diminution de 13 à 15 % des coûts de fabrica-tion, dépassent le coût du transport transatlantique. D’autres secteurs intensifs en énergie, qui n’utilisent pas

aussi massivement le méthane (verre, carton…), pourraient théoriquement gagner entre 3 et 5 % sur leurs coûts de production. Sur la base des données disponibles à ce jour, la baisse des coûts pour le reste de l’industrie

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48 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

manufacturière américaine devrait se situer entre 1 et 2 %. L’effet moyen sur l’ensemble de l’industrie serait de

1,5 %.

Il faut aussi noter que les prix de l’électricité aux industriels n’ont pas – ou pas encore – changé. Sans préjuger des futures évolutions possibles, la thèse selon laquelle l’exploitation de gaz de schiste peu coûteux aurait entraî-né une amélioration généralisée de la compétitivité de l’industrie américaine, qui expliquerait la création de

nombreux emplois et la relocalisation des sites de production, n’est pas démontrée. Si l’exploitation des gaz de

schiste a profité à l’industrie automobile ou à la production d’équipements électroniques, pour reprendre des

exemples fréquemment évoqués, c’est par un effet de stimulation de la demande et d’enrichissement des con-sommateurs domestiques et non du fait d’un accroissement de la compétitivité de ces secteurs.

Le marché américain du gaz est en train de connaître un bouleversement historique.

L’essor des gaz de schiste aux Etats-Unis représente un cas nouveau d’asymétrie des prix de l’énergie

entre des pays fortement industrialisés. Comme le présente la Figure 13, alors que les prix du gaz ont

augmenté en Europe et au Japon après 2009, ils sont restés bas aux Etats-Unis. Des écarts importants

existent désormais entre ces zones de marché, avec de fortes chances de les voir se maintenir dans les

prochaines années

En effet, les Etats-Unis ont pris une avance majeure dans l’exploitation des énergies non convention-

nelles. Si les gaz de schiste y sont exploités depuis des décennies, cette activité s’est développée très

rapidement au milieu des années 2000 : la production a ainsi augmenté de plus 45 % par an entre 2005

et 2010. Désormais, les gaz de schiste représentent 30 % de la production américaine de gaz naturel

(EIA, 2013a). En outre, le volume des réserves, malgré d’importantes incertitudes, permet d’envisager

une hausse continue de la production lors des prochaines décennies, répondant à une demande énergé-

tique en augmentation, tout en réduisant les importations (EIA, 2011).

Les prix actuels du gaz, très bas, sont considérés comme inférieurs aux prix d’équilibre et donc non

durables. L’engouement récent a en effet conduit à une situation de surcapacité ; l’offre excède la de-

mande et, aujourd’hui, beaucoup de producteurs perdent de l’argent (Les Echos, 2013). Les prix

devraient donc remonter légèrement dans l’avenir, aux alentours de 5 $/MBtu. Ce faisant, ils resteront

durablement beaucoup plus bas qu’en Europe, où l’on s’attend à passer de 9,6 $/Mbtu à 12,1 $/Mbtu

en 2015 (IEA, 2012)52.

Les acteurs politiques et les milieux d’affaires américains débattent actuellement de l’opportunité de

réguler les exportations de gaz liquéfié, au motif que celles-ci tireront nécessairement le prix domes-

tique du gaz à la hausse. D’un côté, le ministère américain de l’Energie défend l’effet bénéfique des

exportations pour l’économie américaine. Certains grands industriels comme Dow Chemical s’y oppo-

sent et veulent préserver l’avantage compétitif lié à un gaz très bon marché (Cottineau, 2013). Selon

les projections de l’Agence internationale de l’énergie, 93 % de la production américaine de gaz natu-

rel devrait rester orientée vers la demande domestique en 2020. Le reliquat serait principalement

exporté vers l’Asie (IEA, 2012). Les importations européennes de gaz américain devraient donc rester

très modérées, ce qui constitue un argument supplémentaire pour penser que l’asymétrie des prix de-

vrait se maintenir.

52 Même en cas de mise en exploitation des gisements de gaz de schiste européens, les prévisions de l’AIE sont

que le prix du gaz ne baisserait que modérément en Europe (IEA, 2011).

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Chapitre 5 : Les gaz de schistes dynamisent la compétitivité des secteurs très consommateurs de gaz aux EU 49

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 13 : Prix du gaz naturel entre 2000 et 2011 sur différents marchés.

Source : BP Statistics

L’exploitation des gaz de schiste participe au regain d’activité de certains pans de l’économie américaine.

Après plusieurs années de repli prononcé, on parle aujourd’hui d’une période de regain pour

l’industrie manufacturière américaine. Dans une enquête réalisée en 2012, 14 % des entreprises améri-

caines interrogées annoncent leur intention de relocaliser leur production aux Etats-Unis (Regalado,

2013). Les ventes de produits manufacturés, les exportations ainsi que les investissements directs

étrangers sont en hausse depuis le plancher de 2009 (Autran & Alix, 2012). Cette embellie se traduit

entre autres par quelques relocalisations industrielles, principalement depuis la Chine, du fait de la

hausse rapide des salaires dans ce pays, de la hausse des coûts de transports ou de problèmes de quali-

té.

Comme, dans le même temps, le prix du gaz américain a été divisé par deux, il est naturel de se de-

mander à quel point ces deux phénomènes sont liés. Plusieurs chroniqueurs de la vie économique

avancent ainsi que la décision américaine d’exploiter les gaz de schiste a amélioré l’attractivité du

territoire américain pour l’industrie et que le pays en engrange aujourd’hui les bénéfices (PwC, 2011 ;

K. Bullis, 2013), sous forme de relocalisations ou d’emplois créés, ajoutent certains de ces commenta-

teurs. Cette hypothèse est considérée avec d’autant plus d’attention que la question de l’exploitation

des gaz de schiste est posée en Europe et en France53, où l’industrie manufacturière est par ailleurs en

position difficile.

53 En France, la loi de 2011 interdit l’usage de la fracturation hydraulique, rendant aujourd’hui impossibles les

travaux d’exploration (et a fortiori d’exploitation) qui utilisent cette technique.

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50 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Ce débat est parfois mené dans des termes confus, qu’on tente ici de repréciser. Premièrement, il paraît

plus sage de ne pas débattre à la fois de l’activité industrielle et de l’emploi industriel comme si ces

deux variables évoluaient de conserve. Comme le montre la Figure 14, après 20 ans de « plateau », le

secteur manufacturier américain a détruit cinq millions d’emplois entre 2001 et 2009, avant d’en re-

créer cinq cent mille entre 2010 et 2013. Une telle inversion de tendance est certes suffisamment rare

pour être signalée ; toutefois, sur le terrain de l’emploi, les termes tels que « embellie » ou « regain »

doivent être utilisés avec mesure.

Figure 14 : Effectifs employés dans le secteur manufacturier américain (en milliers)

Source : Bureau of Labor Statistics

Deuxièmement, et surtout, le débat sur les retombées économiques et industrielles des gaz de schiste

insiste trop rarement sur la distinction des deux phénomènes en présence : la dynamisation de la de-

mande, d’une part, grâce à la richesse produite et aux investissements consentis, et l’amélioration de la

compétitivité des entreprises, d’autre part, qui est un mécanisme d’offre.

Côté demande, un premier bénéfice industriel tangible des gaz de schiste, confirmé à la lecture des

projets d’investissement54, se situe en amont de la chaîne de production. Les fournisseurs de l’industrie

énergétique bénéficient en effet d’un accroissement de la demande. Cet « effet amont » concerne prin-

cipalement les industries des métaux et des procédés industriels : US Steel pour la production d’acier,

Vallourec qui prépare une nouvelle usine de tube en acier dans l’Ohio ou encore TMK IPSCO qui

développe ses capacités de recherche sur l’extraction du gaz de schiste.

Au-delà de cet effet direct, l’essor des gaz de schistes induit un effet macroéconomique vertueux :

d’une part parce que la facture énergétique globale se trouve allégée (la baisse de la dépense en gaz a

représenté environ 0,45 % du PIB aux Etats-Unis entre 2006 et 2011), d’autre part parce que les inves-

54 En décembre 2011, un rapport du groupe de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC, 2011) a listé les nouveaux

projets d’investissements liés à l’exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis.

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Chapitre 5 : Les gaz de schistes dynamisent la compétitivité des secteurs très consommateurs de gaz aux EU 51

Document de travail – version du 18 novembre 2013

tissements colossaux attendus pour l’exploitation des gisements induisent un effet multiplicateur qui

dynamise la demande.

La réalité de ces mécanismes à l’œuvre ne fait aucun doute. Le débat commence dès lors que l’on veut

en mesurer l’ampleur ou en isoler la part qui bénéficie spécifiquement à l’industrie (cf. Encadré 4).

Des études réalisées dans les Etats américains exploitant le gaz de schiste mettent en avant la création

de plusieurs dizaines de milliers d’emplois et une augmentation des revenus de plusieurs milliards de

dollar (CBER, 2008 ; Considine, 2010 ; Scott, 2009). Néanmoins, les hypothèses et les méthodes utili-

sées par ces travaux font encore débat (Kinnaman, 2011). On manque donc encore de prévisions

robustes et consensuelles. Aussi se bornera-t-on ici à souligner que ce débat sort du cadre de la pré-

sente note, puisqu’il ne s’agit pas de l’amélioration de la compétitivité des entreprises américaines et

encore moins des entreprises spécifiquement industrielles.

Encadré 4 : l’appréciation de l’impact macroéconomique des gaz de schiste aux Etats-Unis

Plusieurs études (notamment CBER, 2008 ; Considine et al., 2009 ; IHS, Global Insight, 2011 ; Citigroup, 2012) estiment que l’essor des gaz de schiste induit entre plusieurs centaines de milliers et un million d’emplois directs

et indirects outre-Atlantique. Le rapport d’IHS Global Insight, dont les prévisions sont les plus optimistes, postule également que les investissements dans le secteur s’élèveront à 1 900 milliards de dollars d’ici 2035, entraînant une augmentation cumulée de la production industrielle de 4,7 % (soit une hausse annuelle moyenne addition-nelle de 0,29 % par an d’ici à 2020 et de 0,12 % entre 2020 et 2035) et soutenant alors 1,6 million d’emplois

« directs, indirects, et induits ». La méthodologie de ces travaux, qui consiste à appliquer un multiplicateur keyné-sien à un volume d’activité estimé, est toutefois controversée : d’une part parce qu’elle peut conduire à des

surestimations (d’un facteur 10, selon certains détracteurs), d’autre part parce qu’elle ne présente pas de compa-raison coûts/avantages avec des scénarios alternatifs. Kinnaman (2010) rappelle ainsi que l’effet du multiplicateur

keynésien ne s’applique que dans la mesure où il existe un surplus de facteurs de production : des chômeurs désireux de travailler et du capital non utilisé. Dans le cas contraire, il s’agit au mieux d’un transfert de salariés et d’investissements d’un secteur à un autre. Les quelque 1,6 million d’emplois évoqués par le rapport IHS à horizon 2035 ne doivent donc pas être interprétés comme étant tous des emplois nouveaux. De même, les 1 900 milliards de dollars d’investissement estimés nécessaires, en supposant qu’ils seront effectivement réunis, proviendront

pour partie de la réorientation d’investissements qui auraient sinon été réalisés dans d’autres secteurs55

. Le World Energy Outlook (AIE, 2012) prévoit par exemple qu’un investissement équivalent dans l’amélioration de

l’efficacité énergétique aurait eu un impact macroéconomique comparable à celui de l’exploitation des gaz de schiste, du fait de la baisse des dépenses énergétiques.

Un gain de compétitivité est à prévoir, très variable d’une industrie à l’autre, décisif pour les utilisateurs de méthane.

Parallèlement au renforcement de la demande, l’exploitation des gaz de schistes permet un accroisse-

ment de la compétitivité de l’offre. En effet, la baisse des prix du gaz naturel se traduit par une

diminution de la facture énergétique pour les secteurs consommateurs. Cette baisse des coûts de pro-

duction, particulièrement sensible dans les industries de base, se répercute ensuite indirectement à

55 Peu avant l’essor des gaz de schiste, le scénario tenu pour probable aux Etats-Unis reposait sur une nouvelle

vague de déploiement de centrales nucléaires. Des études avaient alors été menées, avec des méthodologies ana-

logues, traduisant l’investissement anticipé en quelque 600 000 emplois.

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52 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

l’ensemble de l’industrie manufacturière via une baisse du prix des biens intermédiaires (PwC, 2011 ;

K. Bullis, 2013).

La prise en compte des interdépendances entre les différentes industries permet d’évaluer l’impact des

gaz de schiste secteur par secteur. La Figure 15 restitue cet impact, sous forme d’une baisse potentielle

des coûts de production entre 2006 et 2012. La baisse est dite « potentielle » puisqu’on ne peut préju-

ger que tous les acteurs répercuteront intégralement les variations de leurs coûts d’achats sur leurs prix

de vente. On y a ajouté, pour comparaison, les coûts moyens de transport entre les Etats-Unis et la

France.

Figure 15 : Baisse potentielle du prix des biens industriels liée à l’évolution des prix de l’énergie entre

2006 et 2012 aux Etats-Unis

Source : Calculs de l’auteur

Lecture du graphique : la baisse des prix aux industriels du gaz naturel et des produits chimiques intermédiaires permet

d’envisager, si elle est totalement répercutée, une baisse des prix des biens manufacturés. Dans certains sous-secteurs de

l’industrie chimique (situés à gauche), cette baisse peut atteindre 15 %. La courbe grise représente, pour comparaison, le coût

du transport des mêmes biens depuis les Etats-Unis vers l’Europe.

L’ampleur de cet effet « compétitivité » est contrastée d’un secteur à l’autre. Un premier groupe re-

marquable est constitué de secteurs de l’industrie chimique directement utilisateurs de méthane, en

tant que matière première. Les industries des engrais, des alcalins et du chlore ainsi que des matières

plastiques et des résines peuvent ainsi diminuer le prix de leurs produits d’environ 15 % grâce à la

baisse du prix du gaz naturel et des produits énergétiques transformés. Cet effet est tellement impor-

tant qu’il dépasse, parfois largement, le coût des transports vers l’Europe. Autrement dit, dans ces

secteurs, le choc compétitif des gaz de schiste pourrait être déterminant dans les années à venir : les

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Chapitre 5 : Les gaz de schistes dynamisent la compétitivité des secteurs très consommateurs de gaz aux EU 53

Document de travail – version du 18 novembre 2013

fabricants américains ont désormais les moyens de concurrencer les Européens sur leur marché domes-

tique. 56

Sans surprise, la majorité des projets d’investissements recensés par PWC (op. cit.) correspondent à de

grandes unités de production d’éthylène et de propylène, portées par plusieurs majors du secteur chi-

mique : Dow Chemicals, Formosa Plastics, Chevron Phillips Chemical CO., Bayer Corp., Westlake

Chemical. Shell Oil prévoit également la construction d’une raffinerie pétrochimique près du réservoir

de gaz de schiste de Marcellus. 57

Un deuxième groupe remarquable est constitué de secteurs, un peu plus nombreux, qui profitent d’un

avantage compétitif compris entre -5 % et -2,5 % des prix. Ce groupe comprend notamment les pro-

duits chimiques de base, les gaz industriels, le verre, l’aluminium ou les cartons. Pour ces secteurs, en

dehors des produits de la chimie inorganique de base, la baisse des prix ne suffit pas à compenser les

coûts du transport vers la France. Le gain de compétitivité s’exercerait donc sur le marché domestique

américain, face aux importations.

Enfin, les autres secteurs industriels profitent moins de la répercussion des prix du gaz naturel, avec

une baisse du prix des produits industriels inférieure à -2,5 %.

En moyenne, l’effet de la baisse des prix du gaz sur l’ensemble du secteur manufacturier américain

représente -1,50 % des prix. A titre de comparaison, les coûts de transports moyens vers la France

s’élèvent à 4 % de ces prix.

Si le « choc de compétitivité » dû aux gaz de schistes est inégalement réparti entre les secteurs indus-

triels, c’est en partie parce que les prix de l’électricité aux industriels américains n’ont pas – ou pas

encore – baissé. Les centrales à gaz ont certes gagné en compétitivité et sont utilisées plus souvent

qu’auparavant58. Mais cela signifie qu’elles produisent désormais l’électricité à des prix à peu près

comparables à ceux des centrales à charbon et qu’elles ne sont plus réservées aux périodes de pointe.

Or les prix de l’électricité aux industriels sont principalement établis en fonction de la production élec-

trique utilisée en base, de manière continue. Ceux-ci sont donc restés stables pour les industriels

jusqu’en 2012, malgré la baisse des prix du gaz (EIA, 2012).

56 Pour mémoire, l’industrie chimique (hors secteur pharmaceutique) représente en France environ 1,1 % du PIB

en 2007 et 9,5 % des exportations en 2006. Sa contribution à la balance commerciale est légèrement négative.

57 Des projets industriels sont également lancés dans la sidérurgie, avec l’utilisation de méthodes de réduction du

minerai de fer par du gaz (Direct-Reduction Iron). L’entreprise Nucor investit actuellement 750 millions de dol-

lars dans la construction d’un site utilisant ce procédé en Louisiane.

58 Ce mouvement n’est d’ailleurs pas sans soubresauts. L’EIA américaine a publié le 2 juillet 2013 un rapport de

prévision à court-terme, faisant état d’un regain de l’utilisation du charbon pour la génération d’électricité en

2013 puis 2014, au détriment du gaz naturel, en raison de la réappréciation du gaz par rapport au charbon. (EIA,

2013b).

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54 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

On notera que cette anticipation de gains de compétitivité fortement contrastés d’un secteur à l’autre

est corroborée par diverses études américaines, y compris celles qui concluent à de fortes retombées

économiques des gaz de schiste.59, 60

La Figure 16 montre ainsi que la production des industries américaines de la chimie et des plastiques,

très intensives en gaz, s’est plutôt moins bien redressée après la crise de 2008 que celle de l’ensemble

du secteur manufacturier ou, par exemple, que celle du secteur automobile, malgré la chute des prix du

gaz naturel à partir de 2009. Le secteur automobile, quoique peu dépendant des prix du gaz, est au-

jourd’hui plus dynamique, entraînant dans le même temps le secteur des métaux de base. Ceci tend à

attester que les effets liés à la demande et aux politiques de restructuration de certaines industries sont

aujourd’hui prépondérants par rapport aux gisements de compétitivité de l’offre.

59 In (IHS, Global Insight, 2011) : “Prospects for other gas-intensive industries [than chemistry] are more lim-

ited. […] Industrial demand for gas is a derived demand, influenced far more by industry output than by price of

gas. As the US economy becomes more service-oriented, its energy intensity is declining. IHS Global Insight

expects five of the six most gas-intensive industries to grow more slowly than the average for all manufacturing

industries, which will suppress growth in their demand for natural gas. […] Were it not for the expected-growth

in petrochemical demand, total industrial gas demand would be in a long-term decline.” (p.11) “Lower US natu-

ral gas prices could potentially slow or even halt the slow decay in the aluminium industry. However, it is

unlikely that they would change the economics of primary aluminium production enough, even in the long-term,

to redirect investment here.” (p34) “The small fraction that electricity represents of the total cost of steel produc-

tion makes the impact of reduced electricity prices negligible [...] unlike ethylene production, natural gas prices

have no relation to price of the steel to be recycled.” (p.35) “Together, energy comprises up to 30% of total [ce-

ment] production costs, but the influence that low natural gas prices will have on cement production is very

limited. The electricity fraction of costs for cement production is too small to generate a significant impact on

competitiveness.” (p.35)

60 In (American Chemistry Council, 2012) : « 86 % de l’augmentation de la production prévue d’ici à 2020 aura

lieu dans la chimie (hors pharmaceutique) et dans les plastiques/caoutchoucs. Seulement 14 % de la nouvelle

valeur ajoutée aura lieu dans le papier, le verre, la sidérurgie, l’aluminium, les fonderies et les métaux fabri-

qués. » (p.24)

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Chapitre 5 : Les gaz de schistes dynamisent la compétitivité des secteurs très consommateurs de gaz aux EU 55

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 16 : indice de production industrielle dans différents secteurs de l’industrie américaine (Base 100 :

2007 / variations saisonnières corrigées)

Source: Board of Governors of the Federal Reserve System, 2013

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57

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Chapitre 6 : dépasser le cadre national et poser la question énergétique à une échelle européenne

Résumé du chapitre

Du fait de l’intensification des interactions mondiales entre combustibles, marchés et prix, la question énergétique

ne peut plus être envisagée uniquement dans un cadre national, surtout en ce qui concerne ses effets sur la compétitivité de l’industrie. L’échelle européenne semble particulièrement pertinente pour aborder cette question.

D’une part parce que les industries intensives en énergie sont insérées dans un jeu concurrentiel qui est encore

essentiellement intra-européen. Ensuite parce que la compétitivité de tous les autres secteurs est liée aux prix de l’énergie établis partout dans le monde et notamment en Europe, du fait de l’intensification des échanges de

biens intermédiaires.

Une approche purement hexagonale des prix de l’énergie ne jouerait que sur la moitié seulement des coûts in-dustriels liés à l’énergie.

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58 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

La compétitivité des grands consommateurs se joue prin-cipalement à l’échelle intra-européenne.

La plupart des produits issus des industries grandes consommatrices d’énergie (IGCE) sont échangés

sur des marchés internationaux, sur lesquels la concurrence s’est accrue depuis plusieurs années. Tou-

tefois, cette concurrence s’établit encore principalement entre pays d’une même zone géographique.

En France par exemple, la part européenne des importations en valeur était en 2010 de 98 % pour la

sidérurgie, 95 % pour les papiers et cartons, 85 % pour l’aluminium, 82 % pour le verre, 74 % pour le

ciment et clinker, 63 % pour la chimie organique.61

Une asymétrie des prix de l’énergie affecte donc principalement la compétitivité des IGCE françaises

vis-à-vis de leurs concurrentes européennes.

Par ailleurs, une taxe ou des quotas de carbone pourraient créer des hausses des prix de l’électricité

très différentes d’un pays européen à l’autre, du fait de contenus en CO2 très variés. Par exemple, pour

un prix fixé à 20 € par tonne de CO2, l’augmentation potentielle des prix de l’électricité irait de

0,6 €/MWh en Suède à 13,1 €/MWh en Pologne.

C’est une première raison importante pour affirmer que le débat sur le lien entre énergie et compétiti-

vité manque aujourd’hui d’une approche véritablement européenne, cadre dans lequel il prend une

toute autre signification économique.

Une hausse des prix de l’énergie affecte indirectement l’ensemble de la chaîne industrielle

Une erreur fréquente consiste à croire que les prix de l’énergie affectent seulement les IGCE. C’est en

réalité la compétitivité de l’ensemble de l’industrie manufacturière qui est concernée, par voie indi-

recte.

Les secteurs intensifs en énergie étant souvent placés en amont des chaînes de production, une hausse

des prix de l’énergie ou l’instauration d’une taxe carbone se répercutent graduellement sur les prix de

nombreux biens intermédiaires, nécessaires à la production industrielle, et donc aussi sur les prix des

biens finaux. Pour apprécier cet effet indirect, il faut prendre en compte toute l’énergie « incorporée »

dans un bien manufacturé, c’est-à-dire l’énergie nécessaire à sa production et à celle de ses consti-

tuants, tout au long de la chaîne industrielle (Bordigoni, 2012b). En estimant la hausse potentielle du

prix des biens intermédiaires, on peut déterminer la dépendance globale de chaque secteur industriel à

une variation des prix de l’énergie.

La Figure 17 présente ainsi la décomposition des coûts énergétiques pour trente secteurs industriels

français. Pour la plupart d’entre eux, une hausse des prix de l’énergie se traduit principalement par un

coût indirect, c’est-à-dire par une hausse du prix des biens intermédiaires. Ainsi par exemple, environ

85 % de l’énergie nécessaire à la fabrication des produits de la parachimie ou des équipements auto-

mobiles a été consommée au stade des biens intermédiaires.

61 (Comtrade, 2012), (Copacel, 2011), (FFA, 2012).

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Chapitre 6 : appréhender la question au niveau européen 59

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 17 : Décomposition des coûts énergétiques dans 30 secteurs industriels français (par rapport à la

moyenne de l’industrie française, en 2005) (*)

(*) Moyenne pour l’industrie française = 1

Source : Calculs de l’auteur

Lecture du graphique : si on ajoute aux dépenses énergétiques directes de chaque secteur la part des achats de biens intermé-

diaires liés à l’énergie, la dépendance énergétique de tous les secteurs augmente sensiblement. L’écart qui sépare les IGCE

des secteurs dits « peu intensifs » se réduit. Les coûts énergétiques des fabricants d’équipements automobiles étaient par

exemple 1,62 fois plus élevés que le niveau moyen observé pour l’industrie française en 2005. Près de 85 % de cette énergie

n’était pas consommés dans le secteur mais étaient déjà « incorporé » dans les biens intermédiaires.

La prise en compte des coûts indirects de l’énergie réduit l’écart de perception que l’on peut avoir

entre les IGCE et les autres secteurs, notamment ceux situés en aval de la chaîne industrielle. Comme

ces derniers ont souvent des coûts de transport plus faibles, relativement à la valeur des produits, que

les secteurs intensifs en énergie, la substitution par des importations est en outre, pour leurs clients,

une décision comparativement moins coûteuse. Autrement dit, la perte de compétitivité peut advenir

pour ces industries aval même à partir d’une hausse modérée du prix des biens produits.

0 1 2 3 4 5

Industrie chimique de base

Verre et articles en verre

Produits céramiques et de mat. de construction

Pâte à papier et papier

Fibres artificielles ou synthétiques

Sidérurgie et première transformation de l'acier

Production de métaux non-ferreux

Fonderie

Transformation des matières plastiques

Industries alimentaires diverses

Industrie du lait

Fabr. produits métalliques

Fabr. Équipements automobiles

Services industriels du travail des métaux

Industrie des viandes

Parachimie

Industrie des boissons

Fabr. matériel électrique

Fabr. équipements mécaniques

Industrie pharmaceutique

Fabr. de matériel optique et photographique

Fabr. de machines-outils

Edition, imprimerie, reproduction

Fabr. de matériel de mesure et de contrôle

Fabr. de matériel médical

Fabr. savons, parfums et produits d'entretien

Construction automobile

Fabr. fe machines d'usage général

Construction aéronautique et spatiale

Fabr. d'appareils d'émission et de transmission

Consommation directe d'énergie du secteur Energie consommée dans d'autres secteurs français

Energie consommée dans l'Union Européenne (hors France) Energie consommée en dehors d'Europe

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60 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

L’effet des prix de l’énergie sur la compétitivité se diffuse par le biais des échanges internationaux

Les flux de biens intermédiaires, fortement internationalisés, peuvent donc être traduits en flux inter-

nationaux d’énergie, si l’on considère la quantité d’énergie « incorporée » dans chaque bien

manufacturé, intermédiaire ou final. La cartographie des flux d’énergie entre secteurs et entre pays met

en évidence de grands déséquilibres, et plus particulièrement des exportations très élevées d’énergie,

via les biens intermédiaires, depuis l’Asie, les anciens pays soviétiques et l’Amérique Latine vers

l’Europe et l’Amérique du Nord. A titre d’exemple, l’énergie contenue dans les biens manufacturés

importés d’Asie en Europe équivaut aux importations totales de pétrole brut du Moyen-Orient vers

l’Europe. On peut donc considérer que la dépendance énergétique de l’Europe est aussi forte envers

l’Asie qu’envers le Moyen-Orient.

Globalement, en 2005 en France, on estime à 911 TWh l’énergie totale contenue dans les biens pro-

duits par l’industrie domestique, en tenant compte des biens intermédiaires importés (Figure 18). Près

de la moitié (44 %) de cette énergie a été importée via les biens intermédiaires et donc consommée

hors de France62. Les flux d’énergie « incorporée » sont donc massifs et traduisent une très forte frag-

mentation mondiale de la production manufacturière.

La situation est naturellement variable d’un secteur à l’autre : la part domestique de l’énergie contenue

dépend de la situation en amont ou en aval de la chaîne de valeur. Les secteurs les plus intensifs, on l’a

dit, restent principalement dépendants des prix locaux de l’énergie. Mais, pour une grande partie des

secteurs industriels français, l’énergie domestique représente moins de 40 % du total de l’énergie in-

corporée. Dans des industries « phares » en France, comme l’automobile, l’aéronautique ou la

pharmacie, elle en représente même moins d’un tiers (Cf. Figure 19).

Près de la moitié de l’énergie nécessaire à la production industrielle française dépend donc de prix

fixés en dehors de France. Dans cette moitié, les importations UE et hors UE sont d’ailleurs

d’ampleurs comparables. Dit autrement : une baisse des prix de l’énergie en France n’affectera que la

moitié des dépenses énergétiques directes et indirectes de l’industrie française, contre plus de 75 % si

l’on raisonne à l’échelle européenne. Comme pour les IGCE, quoique pour une autre raison, la ques-

tion du lien entre prix de l’énergie et compétitivité industrielle a donc plus de sens quand elle posée

dans un cadre européen.

62 Si l’on y ajoute l’énergie importée dans le même temps sous forme de biens finis, directement utilisés par les

consommateurs, on parvient à un flux d’importation de 824 TWh, consommés à l’étranger et importés sous

forme de biens. Ceci représente 160 % de la consommation de l’industrie française en cette même année 2005.

La Chine et la Russie représentent à elles deux 32 % de cette énergie importée.

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Chapitre 6 : appréhender la question au niveau européen 61

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Figure 18 : Flux d’énergie dans les produits manufacturés en France en 2005

Figure 19 : Origine de l’énergie nécessaire à la construction automobile en France en 2005

Lecture du graphique. Les produits du secteur automobile français « contiennent » en moyenne 1,25 kWh par euro de valeur :

c’est le volume total d’énergie consommée dans tous les secteurs industriels dans le monde pour produire un véhicule en

France. Seulement 7 % de cette énergie a été consommée lors de l’assemblage et 30 % proviennent des autres secteurs indus-

triels français. Le reste est partagé entre l’Union européenne et le reste du monde. Cet exemple illustre la difficulté d’établir

un lien entre les prix d’une source énergie dans un pays et la compétitivité d’un secteur du même pays. Un raisonnement

établi uniquement sur la base des dépenses énergétiques du secteur automobile négligerait une grande partie des coûts en jeu.

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Conclusion

Certains protagonistes du débat sur la transition énergétique, qui se déroule à la fois en France et dans

toute l’Union européenne, évoquent des scénarios susceptibles d’induire des hausses des prix de

l’énergie, notamment pour les consommateurs industriels. Dans le même temps, l’industrie française

traverse une période mouvementée, marquée par une perte de compétitivité prix et hors-prix, en parti-

culier vis-à-vis de ses partenaires européens. Dès lors, la question industrielle vient peser

significativement dans les discussions sur les choix énergétiques.

Paradoxalement, les travaux d’économie sur le lien entre prix de l’énergie et compétitivité de

l’industrie sont à la fois mal connus et peu nombreux. Cette note s’attache à en donner une vue

d’ensemble. L’idée qu’il existe un effet défavorable des prix de l’énergie sur la compétitivité des en-

treprises est suffisamment intuitive pour être facilement admise. L’enjeu est de mieux comprendre la

nature et l’ampleur de cet effet.

Habituellement, la prise en compte du lien entre énergie et compétitivité se limite à la mesure de

l’intensité énergétique des secteurs industriels : tous les secteurs intensifs en énergie sont considérés

comme fragiles face à une hausse des prix, tandis que les secteurs peu intensifs sont supposés relati-

vement protégés de ce risque. Cette note montre que la réalité est plus complexe.

D’abord, une hausse des prix de l’énergie ne concerne pas uniquement les industries grandes con-

sommatrices d’énergie mais l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle, du fait de l’augmentation

du prix des biens intermédiaires. Pour certains secteurs en aval de la chaîne de production, par

exemple les producteurs d’équipements automobiles, l’effet total (direct et indirect) des prix de

l’énergie sur les coûts de revient peut être équivalent à celui identifié pour les secteurs intensifs en

énergie.

Les flux de biens intermédiaires et finaux étant mondialisés, les interdépendances qu’ils induisent

s’établissent non seulement entre secteurs mais également entre pays. La dépendance énergétique

d’une industrie nationale est liée non seulement aux achats directs d’énergie mais également aux im-

portations de biens manufacturés. En conséquence, une politique énergétique établie sur une base

purement hexagonale n’a d’effet que sur 50 % environ des coûts énergétiques de l’industrie manufac-

turière française. La même politique énergétique négociée dans un cadre européen a des effets sur

75 % de ces coûts. Vis-à-vis de la compétitivité de l’industrie, il est donc plus pertinent de considérer

une politique énergétique à l’échelle européenne.

C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de ces interdépendances énergétiques que se sont propagées les

crises pétrolière des années 1970 et 1980. Leur impact macroéconomique a été de tout premier ordre,

avec le développement d’une spirale inflationniste liant secteurs productifs et salariés. Aujourd’hui,

alors que les prix du pétrole atteignent une augmentation comparable, cet impact semble s’être atténué,

du fait notamment de la tertiarisation de l’économie et de la diminution de l’intensité en pétrole. Il

pourrait toutefois s’accentuer de nouveau, en particulier pour l’industrie, dans l’actuel contexte éco-

nomique défavorable.

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64 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

Ensuite, s’il est bien démontré qu’une hausse des coûts de l’énergie nuit aux industries fortement con-

sommatrices, avec une élasticité souvent estimée entre 0,1 et 0,263, on peut préciser la portée de cet

effet. On retiendra ici trois considérations.

Premièrement, cette note montre combien il est important de distinguer l’effet sur le dynamisme de la

demande (quand la hausse du prix de l’énergie comprime le pouvoir d’achat) et celui portant sur la

compétitivité de l’offre (quand la même hausse réduit la marge des entreprises ou qu’elle les contraint

à vendre plus cher). Dans de nombreux cas de figure, le premier est au moins aussi important que le

second. Les deux effets sont évidemment concomitants ; mais certains débats peuvent induire une

certaine confusion, en raison d’un usage parfois abusif du terme de « compétitivité »64.

Deuxièmement, on voit également que, même parmi les secteurs intensifs en énergie, la sensibilité aux

coûts de l’énergie peut être assez variable. En particulier, les stades intermédiaires de fabrication

(aciers semi-finis, clinker, aluminium primaire) sont particulièrement vulnérables à une asymétrie des

prix. De même, on a vu que le gain de compétitivité lié à l’exploitation des gaz de schistes aux Etats-

Unis est multiplié par trois ou quatre pour les secteurs qui utilisent le gaz comme matière première

(plastiques, engrais, chlore…). Il devient alors suffisant pour que ces produits made in USA se substi-

tuent aux produits locaux en Europe, tandis que d’autres secteurs intensifs en énergie pourraient ne pas

voir leur compétitivité fortement améliorée, selon diverses études concordantes.

Troisièmement et enfin, on peut comparer entre eux les poids respectifs des différents facteurs de

compétitivité, à la lumière de leurs variations dans les secteurs considérés. Pour ces secteurs très capi-

talistiques, qui se livrent une concurrence principalement intra-européenne dans des conjonctures

parfois très tendues, on voit par exemple que le coût du travail ne joue pas actuellement un rôle crucial

en matière de compétitivité, en dépit d’une élasticité élevée. Inversement, la productivité des sites

(elle-même fonction de la taille et de l’âge des installations) peut jouer un rôle décisif, de nature à

compenser l’effet du coût de l’énergie. Le ralentissement structurel de la productivité de l’industrie

manufacturière française auquel on assisterait depuis 2008 (Eudeline, 2012) est à cet égard préoccu-

pant. La mise en place de mécanismes d’aide à la relance de la productivité pourrait se révéler très

bénéfique pour ce type d’industries.

63 Dans l’industrie du papier par exemple, une hausse de 10 % du ratio des coûts de l’électricité entre un pays

exportateur et un pays importateur induit une baisse des exportations d’environ 0,9 %, quand la même hausse du

ratio des coûts des combustibles implique une diminution de 1,4 %.

64 Cela peut notamment conduire, on l’a vu, à préconiser une modulation tarifaire en faveur des grands consom-

mateurs d’énergie en prenant en compte l’effet positif de stimulation des exportations de ceux-ci mais sans

prendre en considération les effets négatifs de baisse de la demande à l’ensemble de l’industrie liés aux ponc-

tions pour financer ce tarif avantageux.

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Document de travail – version du 18 novembre 2013

Annexe 1 : commentaires de M. Jacques Percebois

Quelques observations :

1. Les conclusions de ce document rejoignent celles, récentes, d'un rapport du CAE qu'il cite (Fon-

tagné et alii) et qui montre que le coût de l'énergie a un impact sur les exportations industrielles même

si ce n'est pas le facteur déterminant (le coût du travail a un impact bien plus fort), du moins pour

quelques secteurs industriels gros consommateurs.

2. L’idée de comptabiliser l’énergie consommée directement (via des achats d'énergie) et indirecte-

ment (via l'énergie incorporée dans les consommations intermédiaires) est séduisante mais non

faisable en pratique. On rejoint d'ailleurs un autre problème : faut-il comptabiliser le CO2 émis par la

production industrielle en France ou le CO2 incorporé dans les achats de produits industriels par les

Français ? Ce dernier est souvent plus élevé ; c'est ce qu’on appelle le green paradox, qui consiste à

délocaliser des activités polluantes et à importer des produits qui contiennent plus de CO2 que si on les

avait produits nous-mêmes.

3. Page 20, l’auteur dit que l'accès à l'énergie est moins coûteux en France qu'en Allemagne. C’est vrai

pour les particuliers mais pas pour les industriels dans le cas de l'électricité car les industriels alle-

mands bénéficient de fortes réductions (ils ne paient pas l'équivalent de la CSPE et sont souvent

exonérés du coût d'accès aux réseaux de transport et de distribution de l'électricité). Les prix hors taxes

sont sensiblement les mêmes pour les produits pétroliers et le gaz. Il y a des divergences dues aux

taxes mais, en pratique, les industriels sont au moins exonérés de la TVA.

4. Proposer une taxation de l'énergie incorporée dans les consommations intermédiaires (page 23 et

suivantes) n’est pas réaliste en pratique car on ne dispose pas des données. De plus, il y aurait des ef-

fets pervers (cela mériterait d'être explicité) : il vaudrait mieux une taxe sur le CO2 aux frontières de

l’UE.

5. L’auteur dit que des prix élevés du pétrole ont plus d'impact sur la croissance que sur la compétitivi-

té ce qui revient à dire que « l’effet demande » l'emporte sur « l’effet coût ». Je serais plus nuancé car

l’exemple américain du gaz de schiste (et l’impact sur le raffinage et la chimie en Europe, c’est d'ail-

leurs ce qui est dit dans le chapitre 4) semble montrer que « l’effet coût » est important.

6. Dans le chapitre 3, ne pas sous-estimer l'effet pervers des économies de rente (cf le Dutch Disease).

L’auteur dit que l'économie française ne semble pas avoir profité du bas prix de l'électricité en France ;

je serais plus nuancé. Voir le cas de certaines industries grosses consommatrices comme l’aluminium,

même si on trouve moins cher au Canada, ou l’industrie du papier. Une partie de l’explication tient au

fait que d’autres pays tels que l’Allemagne pratiquent des distorsions de concurrence.

7. L’auteur dit que, aux USA, les prix de l’électricité n'ont pas été impactés par la baisse du prix du

gaz ; je ne partage pas ce point de vue. La part du charbon dans la production de l'électricité est passée

de 50 % à 40 % et celle du gaz a monté. Aux USA, le gaz n'est pas seulement utilisé en pointe mais

aussi sur pour la base. Du coup, le prix du kWh est bien moins cher aux USA qu'en Europe.

8. L’auteur dit dans le dernier chapitre que le problème doit être posé au niveau européen. Certes mais

il faudrait au moins que l'on interdise les manipulations de prix ; ensuite chaque pays fait la politique

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66 Coût de l’énergie et compétitivité de l’industrie manufacturière

Document de travail – version du 18 novembre 2013

énergétique de son choix et là le fait de disposer d'une électricité bon marché serait un réel atout pour

la France.

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