le délit

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill delitfrancais.com Le mardi 2 octobre 2012 | Volume 101 Numéro 04 Ça dépend des fois depuis 1977 Partenariats Public-Privé Déboires et Scandales p 4

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Édition du 2 octobre 2012.

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Page 1: Le Délit

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

delitfrancais.com

Le mardi 2 octobre 2012 | Volume 101 Numéro 04 Ça dépend des fois depuis 1977

Partenariats Public-Privé

Déboires et Scandales p 4

Page 2: Le Délit

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318Rédacteur en chef [email protected] Nicolas QuiazuaActualité[email protected] de section VacantSecrétaires de rédaction Camille Gris Roy Alexandra Nadeau Arts&[email protected] de section

Anselme Le TexierSecrétaire de rédaction

VacantSociété[email protected]

Fanny DevauxCoordonnateur de la production [email protected]

Samuel SigereCoordonnatrice [email protected]

Lindsay P. [email protected]

VacantCoordonnatrice de la [email protected]

Myriam LahmidiCoordonnateur [email protected]

VacantCollaboration

Simon Albert-Lebrun, Cecile Amiot, Alexandra Appino-Tabone, Marie de Barthès, Laurent Bastien, Louis Baudoin, Sophie Blais, Camille Chabrol, Catherine Collerette, Victor Constant, Sofia El Mouderrib, Romain Hainaut, Clayton Laframboise, Mathilde Michaud, Charlotte Paré-Cova, Doriane Randria, Valentine Rinner, Lily Schwarzbaum, Alexandre Vinson,

CouvertureImage: Lindsay P. CameronMontage: Benoît Eurieult

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

Publicité et direction générale Boris Shedov

Gérance Pierre Bouillon

Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert

The McGill [email protected]

Queen Arsem-O’MalleyConseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD)Nicolas Quiazua, Olivia Messer, Sheehan Moore, Erin Hudson, Joseph Henry, Matthew Milne, Farid Muttalib, Shannon Pauls, Boris Sheldov, Queen Arsem-O’Malley, Rebecca Katzman, Anselme Le Texier

le seul journal francophone de l’université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.

Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la repro-duction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

Volume 101 Numéro 04

2 Éditorial x le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

É[email protected]

Après une absence de plus de vingt ans, le débat sur l’avortement, sans faire trop

de bruit, s’invite à nouveau sur les collines du parlement à Ottawa.

Jusqu’en 1988, l’avortement était encore une infraction criminelle au Canada en vertu de l’article 251 du Code criminel, sauf dans des circonstances prescrites. À la suite du désormais fameux jugement Morgentaler et al. contre Sa Majesté La Reine de 1988, la Cour suprême a aboli l’article 251. La raison: pure procédure; l’article 251 allait à l’encontre de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, n’étant pas appliqué également dans l’ensemble du pays.

De telle façon que le jugement ne dotait les femmes d’aucun droit en tant que tel, par rapport aux cessations de grossesses. Selon les juges, dissidents lors du jugement, McIntyre et La Forest, «il n›existe aucun droit à l›avortement en droit canadien ou selon la coutume ou la tradition canadiennes, et la Charte, y compris l’art. 7, ne crée pas un tel droit».

En 88, la Cour a refusé d’aborder la question du statut du fœtus. Le jugement stipule que «la question de savoir si le terme «chacun», à l’art. 7, vise aussi le fœtus et lui

confère un droit indépendant à la vie en vertu de cet article n’a pas été traitée». L’avortement se trouve depuis dans une zone grise de la loi canadienne – sans être illégal il n’est pas nécessairement légal.

Le mercredi de la semaine dernière, le 26 septembre, la motion M-312, visant à former un comité spécial pour déterminer le statut du fœtus, a été défaite aux communes. La ministre de la Condition féminine, Rona Ambrose a voté en faveur de la motion, alors que même le chef de son propre parti, M. Harper, votait contre.

Il est inacceptable qu’une ministre supposé être «une championne des droits des femmes», n’accorde pas aux femmes le libre choix sur leur propre corps. La liberté de pouvoir recevoir une opération délicate dans les meilleures conditions.

Criminel ou pas, comme on a pu le voir dans le passé, les femmes continueront à recevoir des avortements pour des raisons plus légitimes les unes que les autres. La question est dans quelles conditions.

Comme le dit si bien l’éditeur au Délit Anselme LeTexier: «Il n’y a pas de débat sur l’avortement, la question c’est de savoir si on veut que les femmes se fassent avorter avec des aiguilles à tricoter dans une arrière-cuisine ou par un médecin dans une clinique». x

ERRATUMUne erreur s’est glissée dans notre édition du 25 septembre. En page 9, le nom de Mathieu Santerre a remplacé celui de Romain Hainaut. À cette heure, la page 10 de la présente édition du 2 octobre est déjà entre les mains de notre imprimeur. Sur cette page on devrait lire Romain Hainaut et non Romain Hainault.Le Délit s’excuse de ces erreurs.

Débat Avorté

Nicolas QuiazuaLe Délit

Page 3: Le Délit

3Actualitésx le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Actualité[email protected]

Nicolas QuiazuaLe Délit

Crédit photo: Lily Schwarzbaum

Le 18 septembre dernier, le président de l’Association des étudiants de philosophie en premier cycle (PSA),

Jonathan Wald, disait au Délit «considérer d’incorporer» les finances de l’Association départementale (Le Délit, «Centralisation à l’AÉFA»). L’incorporation permettrait éventuellement à la PSA d’être une Association étudiante accréditée et, par le fait même, indépendante de l’AÉFA. La décision est désormais officielle: la PSA entreprend officiellement des démarches afin de se séparer de l’Association des étudiants dans la faculté des Arts (AÉFA).

La réforme financière était à l’origine une réponse des auditeurs financiers de McGill face à la situation financière plutôt chaotique de l’Association. L’AÉFA a violé son protocole d’accord (MOA) avec McGill à plusieurs reprises, entre autres en ne passant pas d’audit, une de ses obligations.  «On n’a pas passé un audit en trois ou quatre ans», disait le président de l’AÉFA, Devon Labuik, au Délit.

Comme on l’apprenait dans Le Délit, les auditeurs de McGill ont ordonné à l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) de centraliser les finances de ses huit associations départementales semi-externes. Chacune de ces associations départementales possède pour le moment son propre compte en banque.   L’internalisation par l’AÉFA signifierait que désormais, l’AÉFA regrouperait tous les budgets sous un même compte pour ensuite les distribuer au fur et à mesure que des demandes seraient faites.

Quatre des associations (Philosophie, Études Anglaises, Économie et Sciences Politiques) se sont rencontrées vendredi le 14 septembre pour discuter de leur peur de perdre en autonomie suite à ce processus. Suite à des discussions entre ces quatre associations et l’exécutif de l’AÉFA, les différents partis sont arrivés à un compromis.

Les associations départementales garderaient leur compte bancaire indépendant et utiliseraient le système financier de l’AÉFA, QuickBooks, pour leurs finances. «On leur a fourni les mêmes ressources que l’AÉFA utilise pour ses finances», affirme Saad Qazi, vice-président des finances à l’AÉFA. Ce compromis allège les peurs des associations départementales qui s’inquiétaient par rapport à la charge de travail accrue du VP finances de l’AÉFA.

«  Ce compromis nous plaît. Nous ne voulons pas nécessairement faire le travail

de plus que l’accréditation implique » dit au Délit Sam Baker, président de l’Association des étudiants de premier cycle en économie (ESA).

La PSA voit plus loinLa PSA se dit contente du compromis

et pense l’appliquer à ses finances. Par contre, l’acceptation du compromis ne l’empêche pas de continuer dans la voie vers son accréditation. Même si la nouvelle proposition est meilleure que l’originale, il y

a «un désir général d’avoir plus d’autonomie, de contrôler nos frais […]. Nous serions dans une situation beaucoup plus sûre financièrement», dit Wald.

Même si la PSA réussit à s’accréditer, «ce serait simplement un bon système à mettre en place» et si l’accréditation ne passe pas «ce serait à la fois une correction temporaire et un meilleur système que ce qui est en place».

Le système d’indépendance par accréditation est déjà en place pour certaines associations à l’Université de Montréal et à l’UQAM, mais serait une première pour les associations départementales à McGill.

Une association étudiante peut incorporer ses finances en vertu de la Partie III de la Loi sur les compagnies du Québec (C-38). Cela conférerait au PSA le statut d’organisme sans but lucratif, lui permettant ensuite de passer à un vote pour s’accréditer. La Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants stipule qu’en vue d’être

accréditée, l’Association a besoin de gagner la majorité de voix lors d’un vote secret auprès des membres du PSA «à la condition que cette majorité représente […] au moins 25% de ceux qui […] sont inscrits dans l’établissement d’enseignement concerné».

L’accréditation permettrait à la PSA de définir par elle même les frais payés par ses membres, de négocier directement avec McGill et lui permettrait de ne pas avoir à se plier aux décisions de l’AÉFA. Pour le moment, le budget alloué à

chaque association départementale est déterminé par l’AÉFA dans une optique du nombre d’étudiants inscrits dans chaque département.

Les demandes d’accréditation pour cette session arrivent trop rapidement: la PSA décide donc d’attendre à la session prochaine.

Mendelson et ses secretsAyant eu vent de l’intention des

associations départementales d’incorporer les finances et de poursuivre l’accréditation, Morton J. Mendelson, premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) a contacté l’exécutif de l’AÉFA.

Dans un entretien «confidentiel» avec l’exécutif de l’AÉFA communiqué au Délit, Mendelson prévenait l’Association en anglais que «permettre aux associations départementales de s’incorporer n’est ni une option ni une solution au problème que l’AÉFA rencontre par rapport au respect de leur obligation de rendre des [audits]».

Avec ce courriel, l’administration de l’université semble essayer de bloquer les possibilités des associations départementales de s’accréditer. Car, une fois incorporées et suite à un gain du vote d’accréditation, l’administration est obligée par la loi de reconnaître l’association comme le représentant de ses membres. «McGill serait légalement tenue de percevoir nos frais et nous les distribuer», dit Wald.

La plupart des intervenants interviewés étaient très réticents à toucher le sujet, craignant que l’administration ne prenne des mesures de coercition.

L’article 28 de la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants stipule effectivement que «l’établissement d’enseignement doit reconnaître l›association ou le regroupement d›associations d›élèves ou d’étudiants accrédités comme le représentant (…)».

Qazi affirme que l’AÉFA n’empêchera aucune association départementale d’essayer de s’accréditer. «Indépendamment de ce que l’administration dit, en fonction de la loi, pour une association départementale l’accréditation est un droit».

Dans le cas que McGill refuserait de signer un MOA avec l’Association départementale, la PSA pourrait semble-t-il continuer ses fonctions. La loi d’accréditation n’oblige pas que la PSA aille signer un MOA avec McGill. Si le PSA devait percevoir des honoraires directement de McGill, « il serait dans l’intérêt [de l’Université] de signer un protocole d’entente avec les associations accréditées  » pour savoir où va l’argent dit Qazi.

ESA en négociationsL’ESA est présentement en négociation

avec l’Association des étudiants dans la faculté de gestion (MUS) afin de créer, éventuellement, un département d’Économie inter facultés. Si les négociations aboutissent, les étudiants dans le département d’économie ne serraient ni simplement avec l’AÉFA, ni simplement avec MUS, mais avec un hybride des deux associations.

Sam Baker, président de l’ESA explique ce choix par deux raisons. « Premièrement, il serrait plus facile d’avoir les courriels de tous nos étudiants et deuxièmement cela rendrait l’obtention du financement plus facile ».

De telle façon qu’en obligeant l’AÉFA a restructurer ses finances, McGill pourrait se retrouver avec un scénario moins avantageux, aux yeux de l’administration, qu’à l’origine.x

Autonomie pour la PSAPSA veut quitter l’AÉFA; l’administration gronde.

CAMPUS

“Honneur aux Premières Nations”Semaine de conscientisation aux communautés autochtones

À lire sur le web : delitfrancais.com

Page 4: Le Délit

4 Actualités x le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Alors que la Commission Charbonneau - chargée de déterrer la corruption dans le secteur de la

construction - entre dans sa deuxième semaine d’enquête, l’industrie québécoise de la construction continue d’être source de scandale. Jusqu’à présent, près de cinquante entreprises ont été entraînées dans des allégations de fraude, de corruption et de collusion.

Lino Zambito, l’ancien vice-président de l’entreprise de construction Infrabec, a déclaré à la Commission la semaine dernière qu’environ dix entreprises se partagent, presque seules, les contrats municipaux de la ville de Montréal.Selon Zambito, les entreprises surchargent la ville en fixant leurs prix à un taux artificiellement élevé grâce à un système de collusion. Des systèmes similaires existent dans toute la province, a-t-il dit.

Cependant, l’industrie de la construction au Québec surcharge souvent sans avoir recours à la collusion. En janvier, La Presse a rapporté que la ville de Laval a embauché six entreprises afin de rénover trois usines de traitement d’eau, au prix de 187 millions de dollars. La ville a déclaré que le projet dépasse maintenant le budget initial de 60%.

Des documents obtenus par Le Délit et The Daily révèlent que l’une des entreprises qui a remporté le contrat de Laval, Kingston Byers Inc., travaille actuellement sur un projet de 6,8 millions de dollars pour reconstruire les terrasses piétonnes des bibliothèques McLennan et Redpath de l’Université McGill.

En 2010, la compagnie aurait demandé un montant supplémentaire de 2 millions à la ville de Granby pour un contrat de 13,6 millions de dollars afin de terminer la construction d’un centre sportif. Selon La Presse, l’entreprise a cité des «changements de circonstances» pour justifier le dépassement des coûts. Le bureau de Marlène Painchaud, une légiste de la ville de Granby, a déclaré au Délit et au Daily que l’entreprise faisait désormais l’objet d’un litige.

PerquisitionLe 18 septembre, l’escouade marteau,

bras armé de l’Unité permanente anticorruption du Québec (UPAC), a perquisitionné les bureaux administratifs du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Dans un communiqué publié sur son site Internet, l’administration du CUSM dit que l’UPAC est à la recherche «d’informations concernant le processus d’attribution du contrat de partenariat public-privé associé au site Glen ».

La porte-parole de l’UPAC, Anne-Frédérick Laurence, a dit au Délit et au Daily que les documents obtenus dans le raid sont gardés secrets jusqu’à la fin de l’enquête.

«Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’une perquisition a été faite et que des personnes ont été rencontrées [par les enquêteurs]».

Bien qu’aucune arrestation n’ait été faite, le raid de l’UPAC suggère des actes répréhensibles ou la présence de preuves qui pourraient faire avancer une autre enquête, selon l’expert en crimes financiers Michel Picard.

«  Un mandat de perquisition ne peut être obtenu que lorsqu’il existe des preuves que quelque chose d’illégal a été commis» dit Picard au Délit et au Daily.

Partenariats public-privéLe CUSM est un projet de 1,3 milliards

de dollars en cours de construction sous le modèle d’un partenariat public-privé (PPP), permettant aux entreprises privées d’avoir une part dans la construction et l’exploitation des travaux publics.

Avant le début de la construction du site Glen, le modèle de PPP a été critiqué par le président de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ), André Bourassa, qui a décrit le projet comme «une perte de temps et d’argent », a rapporté Le Devoir.

Hubert Forcier, porte-parole de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) - l’un des plus grands syndicats au Québec - a déclaré au Délit et au Daily. «Quand nous allons vers le privé pour des raisons budgétaires, nous laissons aller l’expertise publique ». «Nous ne sommes plus en mesure de déterminer la valeur monétaire des projets et de voir ce qui est légal et ce qui ne l’est pas», a-t-il ajouté.

Pour ces raisons, la CSN dit ne pas être «pas surprise» par le raid de l’UPAC.

D’autres gouvernements ont également exprimé des doutes sur les avantages supposés des formules de PPP. Un rapport de 2006 commandité par le gouvernement de la Nouvelle-Zélande affirme en anglais: «Il y a peu de preuves empiriques fiables sur les coûts et avantages des PPP » et «  les avantages des PPP doivent être mis en contrepoids avec les complexités et les rigidités contractuelles qui en découlent. »

Les partisans du modèle soutiennent que de tels partenariats sont un moyen efficace de construire des infrastructures.

Dans un entretien avec Le Délit et The Daily, Roger Légaré, directeur général de l’Institut pour le partenariat public et

privé, dit: «Chaque projet, qu’il s’agisse de l’autoroute 25, de [l’autoroute] 30, ou de la Maison Symphonique, ont été faits à temps ou avant [l’échéancier] à un coût réduit».

Manque de transparenceL’organisation gouvernementale

Infrastructure Québec est responsable de la planification, la réalisation et du suivi de tous les grands projets d’infrastructures

publiques dans la province, impliquant plus de 40 millions de dollars, y compris les PPP.

Une fois qu’un projet a été approuvé pour la construction, Infrastructure Québec choisit le mode de gestion parmi le mode traditionnel, le mode en gérance, le mode «  clés en main  » et le mode partenariat public-privé. Lorsque le secteur privé détient une participation élevée dans le projet, comme c’est le cas dans les méthodes PPP et clés en main, Infrastructure Québec coordonne la sélection de l’entreprise privée.

«Chaque mode a ses inconvénients. [Infrastructure Québec] ne met aucun mode de l’avant», a déclaré un porte-parole de l’organisation au Délit et au Daily.

La CSN dénonçait d’ailleurs Infrastructure Québec la semaine dernière pour leur manque de transparence dans le processus décisionnel du mode de gestion à utiliser. «Encore récemment, Infrastructure Québec nous refusait l’accès à l’information nous permettant de connaître les conditions d’entretien des futurs établissements, lieu où il est facile de négocier de juteux contrats pour des intérêts privés», disait un communiqué de presse sur le site Internet de la CSN. De plus, «une partie du contrat entre [Infrastructure Québec] et les entreprises privées n’a pas été rendue publique», déclare Forcier.

Malgré la critique, Infrastructure Québec déclare qu’aucun lien ne peut être fait entre les PPP et la corruption.

Par rapport au raid de l’UPAC au CUSM, Infrastructure Québec dit attendre l’enquête avant de blâmer la présumée corruption économique sur la méthode de

construction. «Ça va dépendre de ce que l’UPAC trouvera», déclare le porte-parole.

Le secteur des servicesAlors que la plupart des PPP au

Québec sont attribués à des entreprises de construction, d’autres formes de PPP existent dans le secteur des services.

Le Centre d’hébergement et de Soins de Longue Durée (CHSLD) à St-Lambert sur le Golf est le premier hospice à avoir été construit et géré sous le modèle de PPP. Luc Pearson, vice-président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) pour la région de la Montérégie, a déclaré au Délit et au Daily qu’Infrastructure Québec se concentre sur l’aspect financier et «ne tient pas compte de la réalité du système de santé au Québec et de la pénurie de main-d’œuvre ». Lorsqu’Infrastructure Québec a présenté le projet de CHSLD dans le cadre d’un régime PPP, il prévoyait économiser jusqu’à 100 millions de dollars. Selon Pearson, la FSSS a commissionné une étude sur le régime peu après. «Les résultats ont montré que les économies sont faites sur le dos des travailleurs [...].Les 100 millions de dollars en économies proviennent de diminutions de salaires pour les employés».

Les résultats de l’étude, compilés par une société financière, affirment que compte tenu de la pénurie de main-d’œuvre et des salaires inférieurs au marché, le modèle de PPP pourrait conduire à une interruption des soins continus et un taux de rotation de main d’œuvre élevé. Infrastructure Québec voit la nature concurrentielle de l’industrie du secteur privé comme un avantage du modèle PPP. Mais, selon Pearson, la concurrence n’a pas sa place dans le système de soins de santé. «La santé n’est pas monnayable. L’entrepreneur privé est là pour faire des profits».

McGill n’a pas pu être contacté au moment de mettre sous presse. x

Les déboires des Partenariats Public-PrivéLe Centre universitaire de santé McGill frappé par une perquisition

MONTRÉAL

Nicolas Quiazua & Laurent Bastin CorbeilLe Délit

Crédit photo : Lindsay P. Cameronn

Crédit photo : Lindsay P. Cameronn

Page 5: Le Délit

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Carré bleuDes comités étudiants souverainistes militent contre le fédéralisme canadien.

POLITIQUE ÉTUDIANTE

La fin de la grève étudiante québécoise en 2012 n’a pas, comme on le sait, mis fin à toute

les revendications des différents syndicats ou comités étudiants. Pour beaucoup, la prochaine étape est la gratuité scolaire, mais, pour sept groupes étudiants, issus de trois universités et quatre cégeps, le nouveau cheval de bataille n’est autre que la sempiternelle question nationale sur l’indépendance du Québec vis-à-vis de l’État fédéral canadien.

Pour ces sept groupes, tous membres du réseau Cap sur l’indépendance (RCI), la défaite du Parti Libéral de Jean Charest aux élections de 2012 est une nouvelle réjouissante, mais ils s’étonnent que la question nationale n’ait pas été plus abordée lors du printemps québécois: «la responsabilité d’Ottawa et la question nationale n’ont à toutes fins pratiques jamais été abordées par les acteurs du printemps québécois, ceux-ci ayant préféré consacrer leurs efforts à combattre le gouvernement de Jean Charest, – non sans raison bien sûr», disent-ils dans une lettre ouverte publiée lundi dernier.

Ces sept groupes étudiants, unis sous la bannière du réseau Cap sur l’indépendance, ont donc décidé de lancer une campagne contre le fédéralisme canadien d’Ottawa en matière d’éducation postsecondaire. Selon eux, le gouvernement fédéral favoriserait surtout les universités en Ontario: «les politiques fédérales de soutien à la recherche scientifique favorisent systématiquement l’Ontario. Sur les 58 milliards investis par Ottawa de 1993 à 2007, 29 milliards, soit près de 60%, l’ont été en Ontario». Le système fiscal fédéral est en particulier dans la mire du RCI, qui affirme que le Québec contribue plus qu’il ne reçoit, du moins en matière d’éducation.

La contribution du Québec s’élève à 50 milliards de dollars en impôts annuels au gouvernement fédéral. Ce dernier redistribue ensuite cet argent selon les besoins jugés nécessaires à Ottawa. C’est justement sur la question de besoins

nécessaires que le RCI s’indigne contre la capitale. L’exemple donné est l’achat d’un seul avion militaire F-35 à 462 millions de dollars qui «suffiraient largement pour financer un réinvestissement substantiel en éducation postsecondaire au Québec. Et c’est sans parler des 490 milliards de dollars qu’investira le Canada dans le domaine militaire pour les deux prochaines décennies». Pour le RCI, ces investissements militaires excessifs devraient plutôt servir à subventionner la gratuité scolaire, d’où le lien entre ce dernier et le mouvement étudiant.

L’autre revendication de la lettre ouverte des sept groupes étudiants est la diminution des subventions des établissements postsecondaires anglophones au Québec. Pour eux, les subventions des établissements anglophones sont trop importantes proportionnellement au nombre d’anglophones au Québec. L’Université McGill par exemple, reçoit 36,95% des subventions fédérales, «soit près de 4,4 fois le poids démographique de la population de langue maternelle anglaise au Québec».

En ce qui concerne la campagne du RCI et la question nationale, Alain Bernier,

vice-président du Comité souverainiste de l’UQAM dit: «il faut continuer à se mobiliser, le PQ est minoritaire et les

gens ne s’attendent pas à ce qu’il fasse quelque chose». Afin de discuter de leurs revendications et d’organiser la mobilisation, le RCI et le Forum de la Jeunesse du Bloc Québécois organisent un sommet de la «relève indépendantiste» le 3 novembre prochain. x

Louis Baudoin-LaarmanLe Délit

Crédit photo: Lindsay P. Cameron

5Actualitésx le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

«Pour plusieurs groupes étu-diants, le nouveau cheval de bataille est la souveraineté.»

Page 6: Le Délit

6 Actualités x le délit · le mardi 2 octobre 2012· delitfrancais.com

Queer McGill, première AGLe comité se positionne contre la guerre en Iran.

CAMPUS

Le mercredi 26 septembre, Queer McGill se rencontrait pour sa première assemblée générale de l’année. Queer

McGill est un service qui offre du soutien aux étudiants queer et à leur entourage sur le campus depuis 1972. Cette année, le comité a subi plusieurs transformations organisationnelles. Le comité exécutif est passé de 11 à 5 membres. De plus, plusieurs nouveaux groupes de travail ont été établis, dont le groupe d’accueil (pour les étudiants de première année et nouveaux arrivants), le groupe de discussion, le groupe Queer People of Color, le groupe Trans, le groupe d’action politique et le comité francophone dont le but est d’établir un lexique français, car la majorité des mots utilisés dans le langage queer n’ont pas d’équivalent francophone. Ces comités ont été officiellement présentés lors de l’assemblée générale d’automne pour laquelle près de 50 étudiants se sont réunis. Au cours de cette assemblée, de nombreux positionnements face à des enjeux

importants ont fait l’objet de discussions.

Contre la guerre en Iran.Une motion a été adoptée à 15 voix

contre 9, avec 5 abstentions, pour que Queer McGill se positionne contre la guerre en Iran et l’utilisation du pinkwashing. Le pinkwashing est l’utilisation de l’oppression de la communauté queer iranienne comme justification à une déclaration de guerre à l’Iran. La question a soulevé beaucoup de réactions et de sentiments opposés. Plusieurs étudiants se sont exprimés entre autres sur le fait que, dans de nombreux pays, le soutien aux communautés queer est très faible ou même inexistant. La motion a finalement été amendée afin d’y ajouter deux mandats spécifiques:

1. Créer et développer des stratégies et du matériel écrit immédiatement afin de mettre en place des plate-formes de discussions spécifiques à cet enjeu.

2. Développer une plate-forme de support pour les communautés «queer» iraniennes en Iran autant qu’au Canada.

Motion pour un village inclusifDans les derniers mois, un groupe de

propriétaires de différents établissements du Village gai de Montréal ont fait circuler une pétition réclamant un plus grand contingent de police dans le quartier en raison de la présence d’un trop grand nombre d’«indésirables». Queer McGill s’est positionné contre cette demande. La présence de sans-abris, par exemple, est importante dans le village et ses environs. Mais le Village est un des seuls quartiers dans lequel on a permis à la communauté homosexuelle de Montréal de s’installer. Queer McGill a donc adopté une motion faisant la promotion du respect des droits de tous ceux et celles qui y vivent, travaillent ou sortent, en plus de ceux qui y investissent de l’argent. Ils se sont positionnés contre la présence accrue de policiers réclamée par la pétition. Le comité s’est aussi engagé à promouvoir l’accès à de meilleurs services sociaux dans le Village afin de le rendre plus sécuritaire pour tous ceux et celles qui le fréquentent.

ÉlectionsFinalement, lors de l’assemblée des

élections se sont tenues pour le poste de coordonnateur aux communications externes. Trois candidats se sont présentés et c’est Kimberly Bai qui l’a remporté. x

Mathilde Michaud & Mona LuxionLe Délit

Après les célébrations, les revendicationsPlusieurs célèbrent l’annulation de la hausse; pour d’autres c’est l’heure des réglements de comptes.

ÉDUCATION

C’est au son d’une musique live un peu étouffée par les bruits des chan-tiers de construction que l’Univer-

sité Concordia a tenu jeudi le 27 septembre l’événement «Manifestival du carré rouge», dans le cadre de sa semaine de «désorienta-tion». Annoncé comme étant une fête, une manifestation, un teach-in et à la fois un fes-tival de rue dans le but de célébrer la résis-tance lors du conflit étudiant, le rassemble-ment a plutôt pris l’air d’une exposition de kiosques pour promouvoir les divers orga-nismes de Concordia. Le tout était organisé par QPIRG Concordia. McGill a également participé à l’activité: l’université avait une table de présentation pour QPIRG McGill où se trouvait Lily Hoffman, membre active de cette organisation étudiante. Elle ex-plique que l’événement lui semblait plutôt une occasion de réunir divers organismes qui ont à cœur les causes sociales ou poli-tiques et qui veulent partager leurs actions aux étudiants.

À la table voisine, discours un peu plus engagé sur le conflit étudiant. Gene Morrow, étudiant à Concordia en Sciences Politiques, explique que le «Manifestival» devait plutôt prendre des allures de ce qui était annoncé sur le site web, mais qu’en raison des travaux majeurs qui occupent toute la rue, les participants ont dû se contenter d’occuper le trottoir. M. Morrow est un membre actif de MobSquad à Concordia et considère qu’il est nécessaire de rappeler à tous l’histoire étudiante du printemps dernier. Selon lui, le mouvement étudiant doit être vu comme un son de cloche pour inciter les étudiants à se questionner davantage sur leur rôle à jouer dans la politique à tous les niveaux. Gene Morrow considère que les étudiants doivent d’ailleurs s’impliquer davantage

dans la vie politique universitaire et que, malgré le fait qu’il n’y aura pas de hausse, une surveillance accrue des universités doit être faite afin de s’assurer qu’elles n’optent pas pour un virage élitiste néolibéral qui restreint d’une certaine façon l’accessibilité aux études. Ce dernier a bien hâte que le sommet sur l’éducation promis par le Parti Québécois ait lieu, car ce sera selon lui l’ultime moment où l’on pourra discuter de la direction que l’on veut que nos universités prennent.

Nadeau-Dubois au banc des accusésLes leaders étudiants ont dû encaisser

bien des coups durant le conflit, et, pour certains, ce n’est pas encore terminé. En effet, c’est en ce même jeudi qu’a débuté le procès de Gabriel Nadeau-Dubois, ancien porte-parole de la CLASSE. Accusation portée: outrage au tribunal pour avoir encouragé les piquets de grève alors que quelques étudiants s’étaient vus octroyer une injonction pour avoir accès à leurs cours. Jean-François Morasse, un étudiant de l’Université Laval est l’initiateur de cette requête, et M. Nadeau-Dubois déclare être innocent. Les conséquences possibles pour Gabriel Nadeau-Dubois, s’il est recon-nu coupable, sont la détention en prison jusqu’à un an ou une amende minimale de quelques milliers de dollars. Les procédures sont en cours pour le moment à Québec et une manifestation a eu lieu ce même jeudi à Montréal pour témoigner de l’appui au jeune accusé. Le jugement est toujours en attente.

Et la police dans tout ça?Si plusieurs trouvent que les accusations

exprimées contre Gabriel Nadeau-Dubois sont sévères, beaucoup d’autres trouvent injuste que des jeunes soient ainsi jugés alors qu’aucune enquête n’est menée pour l’instant à l’égard du travail des policiers. Pour Québec Solidaire ainsi que pour

l’association des «Profs contre la Hausse», il est nécessaire qu’une telle étude soit menée alors que des milliers d’arrestations ont eu lieu depuis février 2012. Selon Genne Morrow de QPIRG Concordia, une enquête sur le travail des policiers permettrait de déceler les fautes des policiers, de revoir la façon de gérer une situation de crise et de s’assurer que des débordements comme on en a connu ne se répètent plus. Il est aussi d’avis que ce genre d’enquête serait bénéfique pour déculpabiliser les étudiants qui ont été accusés de diverses infractions. Dans une lettre au journal Le Devoir, un

étudiant du Cégep de Saint-Laurent a réclamé l’amnistie générale, au nom du groupe portant le même nom, de tous les étudiants ayant été touchés par une amende ou qui ont été arrêtés lors du conflit étudiant. Dans cette lettre, il explique d’ailleurs qu’il en coûterait moins cher à l’état d’annuler les sanctions émises que de gérer tous les cas de contestation au tribunal.

Malgré le fait que le conflit étudiant soit terminé, on ne peut dire la même chose du mouvement qui l’a porté, car le désir de justice transparait toujours dans les reven-dications exprimées. À suivre. x

Alexandra NadeauLe Délit

Crédit photo: Camille Chabrol

Queer, mais qu’est-ce que ça veut dire?

Queer, qui vient à la base du mot anglais étrange, a souvent été utilisé comme insulte envers les gais, lesbiennes, bisexuels et transsexuels. Le terme fut récupéré par esprit de provocation par la communauté homosexuelle et transsexuelle dans les années 80. La communauté Queer, bien qu’elle soit majoritairement affiliée à l’homosexualité, rassemble tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’hétérosexisme et dans l’hétéronormativité de la société.

Page 7: Le Délit

7Actualitésx le délit · le mardi 2 octobre · delitfrancais.com

Manif contre le Plan NordLe Parti Québecois doit encore clarifier ses intentions au sujet du Plan Nord.

MONTRÉAL

Le jeudi 27 septembre s’est tenue la «Manif-Action contre la confé-rence d’affaires du Plan Nord», qui

visait, comme son nom l’indique, à dénon-cer le plan de développement économi-que lancé par le précèdent gouvernement du Québec. La date n’a pas été choisie au hasard: elle marque le début d’une confé-rence, «Positionnez-vous sur l’échiquier Plan Nord», organisée sur deux jours par le journal économique Les Affaires au Hyatt Regency Hotel à Montréal. L’objectif de cet événement est de rassembler la commu-nauté d’affaires et de lui permettre d’échan-ger sur les développements et les enjeux du Plan Nord, à travers des conférences et des ateliers et en abordant des thèmes tels que la main d’œuvre, les infrastructures et les partenariats autochtones.

Le point de départ de la manifesta-tion était le Square Phillips, où petit à petit un groupe de manifestants a commencé à se former. Plusieurs banderoles étaient déployées, avec des messages dénonçant le Plan Nord tels que  «Bloquons le Plan Nord», de même que d’autres défendant la cause autochtone. De brefs discours ont été prononcés par deux femmes autoch-tones qui avaient participé au blocus de la route 138 en mars dernier. Elles ont sou-levé des thèmes tels que la dépossession des territoires et la «nouvelle colonisation» des terres du Nord. Cette «manif-action» avait en trame de fond des revendications

anticapitalistes. Des étudiants des cégeps de Montréal se sont exprimés sur la question et ont dénoncé une société «où l’économie passe toujours d’abord». Eux aussi sen-sibles à la cause autochtone, ils ont déploré que ces populations «soient les premières concernées, mais les dernières consultées» en matière de chantiers économiques se trouvant sur leur territoire. Alexandra, étu-diante à l’Université de Montréal en Études Hispaniques, explique son désaccord avec le projet du Plan Nord. «Le gouvernement devrait consulter les populations par refe-rendum avant de mettre en œuvre de tels projets, surtout les populations autoch-tones».

Anipierre Maheu, une représentante du Réseau Québécois des groupes écologistes (RQGE) présente au Square Phillips, explique: «nous sommes là pour manifester contre le Plan Nord, mais aussi pour montrer notre soutien à la communauté autochtone et pour dénoncer le plan parce qu’il va avoir des conséquences catastrophiques pour les écosystèmes, les populations et les générations futures». Par rapport aux conséquences de la récente prise de pouvoir du Parti Québécois (PQ), elle dit: «nous devons toutefois rester vigilants. Même si ce n’est pas le PQ qui a instauré le Plan Nord dans sa forme actuelle, le PQ n’a pas démontré une volonté d’y mettre fin». Anipierre Maheu n’était pas la seule à être sceptique sur les intentions du PQ. Claire Helene, étudiante en Anthropologie à l’Université de Montréal, fervente

opposante au Plan Nord, explique que suite à l’élection du nouveau gouvernement québécois «rien ne va changer; dans tous les cas les autochtones ont dit non, et c’est ça qui doit être respecté».

Durant sa campagne, le Parti Québécois a montré son soutien au déve-loppement des territoires du nord, dont le Plan Nord, tout en spécifiant qu’il y appor-terait certaines modifications. Dans un communiqué paru en juin 2012, on trouve une volonté d’augmenter les redevances en instaurant une redevance-plancher obliga-toire de même qu’un impôt sur le surprofit. De plus le PQ insiste sur le fait que le Plan Nord doit se faire dans le respect de ses ré-sidents. Cette position contraste avec celle de l’ancien premier ministre libéral Jean Charest qui aurait élaboré son plan «avant de consulter les principaux intéressés». Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Pauline Marois, très peu a été dit concer-nant le futur du Plan Nord, qui semble avoir été mis en attente.

Vers 12h30, le rassemblement s’est mis en route vers le Hyatt Regency Hotel, sur Sainte-Catherine. Les manifestants criaient des slogans tels que «Oui au blocage, non au barrage» ou «Le capital nous fait la guerre, guerre au capital». La police de Montréal était présente, encadrant la marche sans pour autant l’entraver. Néanmoins, par la suite, les forces de police ont empêché l’entrée des manifestants dans les lieux de la conférence «Positionnez-vous sur l’échiquier du Plan Nord». Le

mouvement s’est donc tourné vers le Complexe Desjardins, espérant pouvoir accéder à l’Hôtel par le centre commercial. Les manifestants ont fait irruption dans le complexe, sous les regards incrédules des commerçants et du public général. Ils se sont précipités vers l’entrée qui donnait sur l’hôtel, pour s’y retrouver bloquer par les forces de l’ordre. Après une dizaine de minutes de face à face, ils ont rebroussé chemin jusqu’à la rue Sainte-Catherine, où ils se sont finalement dispersés. Il n’y a eu aucune arrestation. x

Sophie BlaisLe Délit

Pro-vie contre pro-choixÀ Ottawa, les conservateurs relancent le débat sur l’avortement.

POLITIQUE

Mathilde MichaudLe Délit

Le mercredi 27 septembre, les dépu-tés fédéraux se sont rassemblés à la chambre des communes pour

voter un projet de loi déposé par le député conservateur Stephen Woodworth. Ce projet vise une révision du statut légal du fœtus humain au Canada. Cela ne rouvre pas «officiellement» la question de l’avor-tement, mais plusieurs se sont vivement opposés à ce projet de loi, rappelant que le premier ministre Stephen Harper avait promis de ne pas aborder la question au cours de son mandat. Le Premier Ministre a d’ailleurs fait savoir qu’il voterait contre la motion et qu’il n’appliquerait pas de politique de ligne de parti en raison de sa promesse antérieure.

L’opposition officielle s’est unanime-ment opposée à ce projet de loi et a été appuyée de candidats libéraux et conser-vateurs de même que de l’entièreté de ceux du Bloc Québécois. Au final, la motion a été rejetée à 203 voix contre 91, mais beaucoup de députés au sein du cau-cus conservateur - dont la ministre de la condition féminine, Rona Ambrose - ont voté en sa faveur.

Au même moment, à Montréal, deux manifestations se côtoyaient au parc Lahaie. Québec-Vie, un groupe «pro-vie»,

a entamé une «campagne de 40 jours» du-rant laquelle les participants se rassemble-ront pour prier et sensibiliser les gens aux «méfaits de l’avortement». Cette campagne de 40 jours ne se limite pas à Montréal: elle se déroulera à 316 autres endroits à travers le monde (18 lieux au Canada). C’est principalement aux États-Unis que l’on peut voir de telles actions, mais elles se produisent également ailleurs, comme en Angleterre et en Australie.

Selon les activistes pro-vie, ce n’est pas par la politique que l’on pourra effec-tuer un changement. «Je pense qu’il faut aller d’une personne à l’autre, qu’il faut

soutenir la femme enceinte et voir com-ment on peut l’aider à sauver son enfant, il faut être là pour elle. C’est plus une opti-que sociale que politique», déclare Brian Jenkins,  porte-parole de Québec-Vie. Ce groupe dit être en faveur du «respect de la vie humaine autant au début de la vie qu’à la fin. On aimerait voir des changements dans notre société, on aimerait voir plus de respect, soit pour l’enfant à naître, soit pour les vieillards».

Un peu plus loin sur le trottoir, de l’autre côté d’une ligne invisible, les manifestants pro-choix s’étaient rassemblés. Beaucoup d’entre eux

venaient de l’Université McGill. Leur présence dans le parc est réactionnaire à celle du groupe Québec-Vie. «Ils sont là pour promouvoir l’anti-choix, ils travaillent vraiment fort pour faire fermer les cliniques d’avortement. Eh bien, nous, nous sommes là pour démontrer notre soutien pour le choix et montrer qu’il y a des alternatives à ce qu’ils proposent», explique une manifestante. «C’est très frustrant de les voir ici, la clinique est juste à côté et ils rendent les gens honteux de s’y rendre. Des fois, ils ont d’horribles photos de bébés. On trouve ça humiliant et on est ici pour soutenir les gens qui font appel aux services des cliniques», rajoute une autre participante.

Les deux groupes manifesteront leur présence dans le parc pour près de trois semaines encore, soit jusqu’à la fin de la campagne de 40 jours. Des activités sont prévues des deux côtés. «On organise entre autres trois gros pique-niques les samedi 7 et 21 octobre et le 3 novembre, parce que c’est ce jour-là qu’ils seront en plus grand nombre et on essaie donc d’être nous aussi en grand nombre», dit une des organisatrices du mouvement pro-choix. Le groupe pro-vie sera présent tous les jours durant la campagne au parc Lahaie.

L’avortement est légal au Canada depuis 1988. x

Crédit photo: Lindsay P. cameron & Jess Droujko

Crédit photo Lindsay Cameron

Page 8: Le Délit

x le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com8

En févriEr 2011, un articlE anonyme publié sur Internet décrit les difficultés d’un étudiant d’Harvard du-rant ses années d’université: «je résu-merai ma vie étudiante comme ça: un diplôme d’Harvard et six tentatives de suicide». Difficultés mentales, physio-logiques et mêmes suicidaires. Après cet article, des centaines d’étudiants commentèrent à leur tour et partagèrent leurs expériences. Le point commun de tous ces étudiants? L’incapacité de l’université à répondre à leurs angoisses et problèmes, l’accès aux soins pour les faiblesses mentales étant très réduit. Les étudiants des universités les plus répu-tées ne sont pas épargnés par ces phé-nomènes.

Ces témoignages reflètent l’ampli-tude du problème de santé mentale par-mi les étudiants. Est-ce que les bonnes universités sont plus enclines à abriter des jeunes qui sont instables mentale-ment dû à la sélection qui ne retient que les meilleurs élèves, et donc peut-être les jeunes les plus stressés? Est-ce que notre université traite ce problème come il se doit? Comment ce phénomène est-il traité dans notre université?

Ce phénomène n’existe pas seule-ment ailleurs, mais est tout à fait présent sur le campus. Le 22 novembre 2011 Le Délit (Ce que l’administration veut, McGill veut, Volume 101, numéro 11) vous par-lait du renvoi du professeur Norman Cornett de McGill qui avait une vision alternative de l’éducation. Il avait déve-loppé celle-ci après la crise nerveuse d’un de ses étudiants et justifiait sa dé-marche par ses mots:

«Comment peuvent-ils s’épanouir... s’ils en viennent à prendre la boulimie intellectuelle pour de l’enseignement véritable?».

Pour ce professeur, ne pas agir face à la détresse mentale de la plupart de ses étudiants, c’était se soustraire à une res-ponsabilité civile et morale. Le fait qu’il ait été renvoyé a provoqué une polémi-que sur le réel épanouissement des élè-ves aux études post-secondaires.

Est-ce que les bonnes universités re-groupent des étudiant sur-performants et donc plus stressés que la moyenne?

L’administration de McGill a heu-reusement conscience  du problème: il existe un Centre de Service de Santé Mentale (ou McGill Mental Health Services MMHS), créé en 1965. Le cen-tre propose des traitements non médi-

caux de préférence, comme des groupes de thérapie et des programmes pour combattre les problèmes de nutrition. L’équipe est composée de 5 travailleurs sociaux, 1 nutritionniste, 4 doctorants et 9 médecins.

Le MMHS propose des rendez-vous avec des professionnels de la santé men-tale, psychiatres et psychologues, et pos-sède un programme très développé contre les troubles de l’alimentation. De plus, des thérapies de groupe de 8 ou 10 semaines qui visent à inculquer un traitement sur une longue durée sont proposées. Cette session, les étudiants peuvent participer à une thérapie cognitive sur la capacité à

s’intégrer socialement ainsi qu’une théra-pie concernant la gestion du stress. Lisa* y participe depuis le début de l’année et affirme que ces sessions l’ont aidée, «car tout le monde est dans le même cas, on ne se sent pas jugés».

Quand le service arrive à saturation, les étudiants sont alors envoyés dans d’autres centres où le remboursement est plus compliqué et qui ne sont pas toujours facile à accéder.

Le MMHS précise que le centre s’occupe des cas d’angoisse, de dépres-sion, des difficultés sociales, de trou-bles du sommeil et de l’alimentation mais aussi des obsessions et des pro-blèmes d’attention et de concentration. Le site dit qu’ils se basent sur un suivi individualisé et une attention profes-sionnelle basée sur des principes cli-niques. Ils précisent que les étudiants pourraient être tournés vers un système extérieur et que généralement les suivis longue durée ne sont pas disponibles. Le site prévient dès l’accueil que «les ren-dez-vous sont normalement disponibles dans les 2 semaines après le contact ini-tial».

Est-ce normal?À l’entrée dans l’âge adulte et au

moment d’assumer ses responsabilités, certains individus ressentent un senti-ment de stagnation professionnelle, et d’insécurité extrême. Les étudiants réa-lisent que le monde est plus dur et moins compatissant qu’ils ne l’avaient imaginé. De plus, pour une partie des étudiants, les années d’études se font dans une situation financière précaire  où les pe-tits boulots nécessaires pour vivre sont ingrats, sans responsabilités, et pas gra-tifiants.

Parallèlement, les étudiants doivent souvent gérer le sentiment de ne pas être «suffisamment bons», de l’insécurité par rapport à leur futur proche, du stress lié à l’économie, des réévaluations de ses relations avec des proches, de l’incerti-tude par rapport à ses propres accom-plissements, une certaine solitude ou nostalgie de la vie précédente, etc.

Les études supérieures sont un moment propice à l’apparition des symp-tômes: le stress des examens, la remise en question, les nombreux choix à faire pour son futur. De plus l’éloignement du cercle social bâti durant l’enfance accen-tue le phénomène: le MMHS observe que la majorité de ses patients ne sont pas du Québec. En 2005, 30% des pa-tients étaient internationaux alors qu’ils ne représentaient que 18% des étudiants à McGill et 45% étaient des Canadiens hors province alors qu’ils ne représentent que 30% des étudiants de l’université. En jargon de la prépa scientifique fran-çaise, qui a presque son petit dialecte, la deuxième année se résume à «d’=r» (comprendre : déprime égale galère). Une mise en garde qui prouve que la chose n’est pas peu banale.

Société[email protected]

Fanny DevauxLe Délit

La dépression chez les étudiantsQuand les «meilleures années de la vie» ne le sont pas du tout

Crédit photo: Sami Sarkis

« Est-ce que les bonnes univer-sités regroupent des étudiants sur-performants et donc plus stressés que la moyenne?»

Page 9: Le Délit

9Société

Crédit photo : Raul Juan

Une augmentation exponentielleLe nombre d’étudiants traité depuis

le début de la création du MMHS aug-mente. De 200 patients par an traités à la fin des années 70, il en traite 700 dans les années 90. Depuis l’an 2000 le nom-bre d’étudiants traités double chaque 4 ans, c’est ainsi qu’en 2005 le MMHS enregistrait près de 2 000 patients et en 2012, 20 000 patients. Le MMHS expli-que cette croissance exponentielle par le manque de support familial, le stress des élèves par rapport au système pro-fessionnel et à leur futur en général.

En 2008, le MMHS a dû réformer son service devant des liste d’attente indécentes. Les choses vont très vite à l’université et en une semaine, beaucoup de choses peuvent se passer. Selon le di-recteur du MMHS, Robert Franck, alors qu’ils ne traitaient pas plus d’un millier d’étudiants en 2000-2001, ils sont plus de 20 000 à venir au centre en 2010-2011.

Est-ce que le centre réagit en conséquence? Quand on appel-le le service pour un rendez-vous on répond: «Est-ce une urgence?». Il faut rappeler que la démarche même d’appeler ce centre est un obstacle pour nombre de potentiels patients. En ef-fet, le fait de décrocher son téléphone signifie que l’étudiant assume sa fai-blesse, ce qui n’est souvent pas évident. Il faut en plus analyser son propre cas afin de déterminer si c’est  «urgent» ou pas. Caroline* partage son expérience: «plusieurs fois j’ai voulu y aller en per-sonne, mais à chaque fois je rebroussais chemin, j’avais trop honte, au téléphone c’est plus facile. Mais de toute façon aucune manière n’est la bonne pour par-ler de ça».

Alors que la demande s’intensifie et que les besoins de l’université ne font qu’augmenter, des problèmes financiers et structurels continuent d’aller à l’en-contre de l’aide idéale qui pourrait être fournie. Les médecins sont en sous-ef-fectifs, mais cela n’est pas étonnant : les hôpitaux ont la capacité de mieux payer les professionnels et il est difficile pour McGill d’embaucher. En effet, les pro-blèmes rencontrés dans le milieu public quant à l’embauche des professionels de la santé est le même que dans le milieu privé, comme McGill.

La réforme de 2011Le MMHS est financé par le gou-

vernement provincial et les Services étu-diants. En 2008, l’administration a tenté d’augmenter le prix des frais étudiants du centre de santé mentale pour les étu-diants de second cycle, mais la modifica-tion n’était pas passée. Le 25 mars 2011, la motion fut votée de nouveau et cette fois-ci les étudiants de second cycle ont accepté une augmentation de leur frais de scolarité. Le plan de santé coûte au total 14% de plus que l’an dernier, soit 413,50$. La totalité de ces 14% allant à l’amélioration du MMHS.

En mars 2011, Franck, le directeur des services, disait au Daily qu’il voulait créer des possibilités pour que les étu-diants puissent donner leur avis sur le service, comme à travers un sondage, et augmenter la présence du service sur le campus en général.

Le spleen de la 2e annéeLe sport, la musique, les soirées, la

vie académique, la nourriture, le toit et les amis : tout est pris en charge en rési-dence. Et puis la deuxième année arrive et tout paraît vide. Tout d’un coup, les étu-diants réalisent qu’ils sont à l’université pour quelque chose. Choisir sa spécialité, déclarer ses majeures et mineures, étudier plus, penser à son futur et se confronter à mille et un problèmes de la vie, et sûre-ment pas pour la dernière fois.

Caroline* précise que «c’est en sor-tant du petit cocon de la résidence que je me suis rendue compte que ça allait être dur. Qu’il fallait que j’étudie si je voulais faire quelque chose de ma vie».

La 2e année est donc un cap difficile pour un grand nombre d’étudiants qui doivent créer leur vie sociale, plutôt que de la subir. Difficile à mesurer, ce phénomène est connu par des bouches-à-oreilles ou

l’explosion des adhésions dans des clubs extra-universitaires.

Cela peut aussi coïncider avec la crise du quart de vie. C’est un terme utilisé pour caractériser la période de la vie suivant im-médiatement les changements importants de l’adolescence. Ce terme a été choisi par analogie avec la crise de la quarantaine. Il est aujourd’hui reconnu par de nombreux thérapeutes et professionnels de la santé mentale.

Encore du progrès à faireDe plus, alors que tout le campus

s’enorgueillit d’être tolérant et des espa-ces sécuritaires (safe space), la santé men-tale est un sujet très peu abordé alors qu’il touche autant de gens que le reste des ser-vices dont on fait la promotion. Pourquoi est-ce que la formation pour être leader de semaine d’orientation comprend une formation par rapport aux divers enjeux de la sexualité, mais rien sur les difficultés mentales? Il faut admettre que c’est un su-jet réel, bien que sensible et permettre aux étudiants d’en parler. Assumer que l’on peut avoir des faiblesses, que l’on n’est pas invincible ne devrait pas être un tel obs-tacle. C’est une des missions du MMHS et peu à peu les services se font plus visi-bles mais sont trop rattachés au service de santé général et que beaucoup ne savent pas qu’il existe un service spécialisé.

AilleursLe MMHS de McGill et les services

psychiatriques de l’université de Toronto sont les seuls qui proposent des suivis complets des étudiants. Concordia, par exemple, inclut la santé mentale dans son système de santé générale. Ils réfèrent exclusivement les patients vers des orga-nismes extérieurs.

McGill est l’une des seules universités à ne pas avoir un nombre maximal de ses-sions auxquelles chacun peut assister, et à proposer une consultation psychiatrique sans référence précédente. Cependant, Charles* nous dit que même dans ces conditions «on a plus que jamais l’impres-sion d’être un numéro qui commence par 260».

La santé mentale est traitée à McGill dans des meilleures conditions relative-ment au reste du milieu universitaire du pays. Cependant, ce qui manque, c’est une prise de conscience de la part des étudiants et un diagnostic rapide et concluant.

Le suicide cause encore un quart des morts des jeunes de 15 à 25 ans.x

Au cours de la semaine du 1er octobre se déroulera à McGill la semaine de sensi-bilisation sur la santé mentale.

Les noms suivis d’un astérisque ont été changés pour des soucis de confidentialité.

La dépression chez les étudiantsQuand les «meilleures années de la vie» ne le sont pas du tout

«Quand on appelle le ser-vice de santé mentale, une des questions posées est: Est-ce une urgence?»

Page 10: Le Délit

10 Société x le délit · le mardi 2 octobre 2012· delitfrancais.com

L’an dernier, un de mes amis s’est trouvé à faire la grasse matinée (prescrite par Docteur Gueule-de-Bois) le matin d’un examen de «Calculs». Il a eu beau pleurer, plaidoyer, raconter une misérable histoire d’une tante décédée, son professeur lui a mis un beau

zéro tout rond. Les résultats de  l’examen sont arrivés et dû à la logique mathématicienne des notes, la classe avait une moyenne de -4/10 (des points étaient retirés pour une fausse réponse). Le prof a donc été forcé d’augmenter toutes les notes pour avoir une moyenne un peu plus raisonnable. L’ami ronfleur s’est lui aussi fait remonter sa note… de 0 a un 9/10 – une des meilleures notes de la classe!

Difficile de critiquer le professeur, il s’occupe d’un cours de plus de mille personnes, parmi eux des futurs vétérinaires, psychologues ou docteurs qui n’auront plus jamais à utiliser des calculs aussi compliqués pour le reste de leurs vies. Heureusement, les temps changent vite et les élèves trouvent des petits raccourcis pour finir leurs devoirs

enquiquinant à l’heure.Finies, les encyclopédies de 4

000 pages; bonjour Wikipédia!Finis, les calculs innombrables

en groupe pour arriver à la même réponse; bonjour Wolfram!

Finies, les histoires russes qui se lisent en pleurant et les beaux mots incompréhensiblement jetés sur les pages d’un poème à étudier - bonjour Sparknotes!

Finies, les bibliographies qui prenaient plus longtemps à faire que la recherche elle-même - bonjour Easybib!

Ce n’est plus utile de mémoriser, il est utile d’apprendre et McGill force brillamment ces élèves à apprendre tout seuls. Comment? En se fichant du bien-être de leurs élèves. Logique non?

Là où les autres universités se tuent à trouver des professeurs

qui savent enseigner, McGill se concentre sur leurs jolis noms et leurs longs CV. Pourquoi  ? Aucun historien aujourd’hui ne pourra vous conter une bataille plus pleinement qu’une recherche sur Google. Alors McGill investit dans la recherche et le développement - histoire d’attirer les professeurs les plus renommés. Les profs arrivent donc avec leurs beaux noms pour embellir celui de McGill et faire la recherche qui les intéresse.

Ensuite, les meilleurs élèves du Canada viennent à McGill, car c’est apparemment la meilleure université Canadienne. Et comme la plupart des profs ne sont pas là pour leur enseigner, les étudiants sont forcés d’«apprendre à apprendre» par eux-mêmes. Où est l’avantage? Que ce soit en sortant de Carleton, Western

ou l’Université de Chicoutimi, l’étudiant sera habitué à prendre des ordres pour apprendre et s’attendra à avoir un chemin tracé bien gros et bien droit pour son avenir.

McGill, de son côté, prépare des travailleurs qui n’auront besoin d’aucun ordre pour avancer (et d’ailleurs ils préfèreront en donner), elle prépare des individus indépendants et motivés par leurs propres détermination plutôt qu’une liste de choses à faire. Et McGill fait tout ça simplement avec le joli nom de ses professeurs et un joli non pour les étudiants en détresse (allez voir la clinique un matin pour voir la queue leu leu de malades espérant pouvoir avoir un rendez-vous dans la semaine). Belle technique, il faut le dire. x

Le joli «non» de McGillSimon Albert-Lebrun | Jeux de maux

CHRONIQUE

J’ai passé La dernière session d’hiver au pays des scones, de la reine, et… de la pluie! Depuis mon retour d’Angleterre à McGill, j’ai vécu un choc. Eh non, il n’a pas été causé par l’omniprésence des bottes de pluie Hunter, des leg-gings ou des lunettes hipster, mais bien par l’invasion des in-désirables Macs dans les salles de cours! Les utilisateurs PC ne sont plus que marginaux. Les Macs ont toujours été assez pré-sents, mais je le réalise encore plus en comparaison avec mon expérience à l’étranger. À l’Uni-versité de Nottingham, nous étions entre trente et soixante élèves par classe et la grande majorité prenait des notes à la main. Il était tellement peu fré-

quent de voir quelqu’un prendre des notes à l’ordinateur que je ne pourrais même pas dire s’il y avait accès à Internet dans les salles de classe. À McGill, c’est la situation inverse. Dans mes classes, jusqu’à deux fois plus nombreuses, je peux comp-ter avec les doigts de mes deux mains les gens qui ne prennent pas leurs notes sur un Mac. Chaque jour, je suis impres-sionnée de voir à quel point les ordinateurs servent à presque tout sauf prendre des notes: Facebook, Twitter, Skype, jeux en ligne et j’en passe! J’ai l’im-pression des fois d’être la seule à écouter en classe, et ce, quand je ne suis pas distraite à regar-der les photos des gens autour de moi.

En deux ans et demi d’études universitaires, je n’étais jamais allée sur Internet

pendant un cours. Pour vous prouver que je ne suis pas tota-lement technophobe, j’ai der-nièrement fait l’acquisition d’un téléphone Android, mon premier téléphone cellulaire, je dois l’avouer! J’ai donc tenté l’expérience d’aller naviguer sur le web lorsque j’étais en cours. Résultat: je n’étais pas vraiment attentive… pour ne pas dire pas du tout. Je n’ai même pas parlé du «textage» qui est tout aussi omniprésent. Dans mon cas, dès que je réponds à un mes-sage texte, je ne peux rien faire d’autre en même temps. Les étudiants seraient-ils donc très doués pour le multi-task?

Je vous fais part de tout cela, car depuis mon retour, ce phénomène me fait repenser à la lutte étudiante dont on vient à peine de sortir. À mon avis, qu’on ait été d’un côté ou de

l’autre du conflit, le point central du débat venait de la profonde volonté d’étudier à l’université. Il y a de cela peu de temps, il y avait des milliers de jeunes dans les rues qui manifestaient pour, entre autres, avoir accès aux études supérieures. En contre-partie, d’autres voulaient pou-voir accéder à leur cours. Peut-être me direz-vous que vous trouvez le lien entre l’utilisation d’Internet et des cellulaires en classe et la crise étudiante diffi-cile à établir. Le voici: je trouve contradictoire et préoccupant qu’on puisse accorder tant d’im-portance à l’éducation universi-taire et en même temps accorder si peu d’attention en classe. Le conflit étudiant me fait réfléchir à l’importance que l’on accorde à la qualité de ce qu’on apprend en cours.

Peut-être est-ce parce que

les profs mettent du matériel en ligne, il semble moins impor-tant d’être attentif tout le long du cours. Mais peut-être qu’il faudrait surtout remettre en question la pertinence du WiFi accessible dans les salles de cours. Chose certaine, en plus d’être un manque de respect pour le prof et une nuisance pour les études, il est très dif-ficile de se concentrer quand on peut voir tout ce qui se passe sur les ordinateurs de tout le monde pendant un cours. Étant donné que nous payons pour étudier et que nous prenions plusieurs années de notre vie à le faire, ne devrions-nous pas tenter de tirer un maximum de notre expérience universitaire? Alors, si vous avez votre éducation à cœur, allez-vous y réfléchir la prochaine fois avant d’aller sur Facebook en classe? x

Catherine ColleretteLe Délit

Les Macs et le printemps érableDe l’incompatibilité du carré rouge et du F bleu

OPINION

En classe ...À la manif ... Crédit illustrations : Romain Hainault

Page 11: Le Délit

11Sociétéx le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Depuis 2007, le 26 septembre est la journée mondia-le de la contraception. Cet événe-ment a pour but d’éduquer la po-pulation à propos des différentes méthodes de contraception et de briser les tabous. La transmission de ces connaissances entre les générations est difficile et l’école ne représente pas un lieu véri-table de communication sur la sexualité. Ainsi, un flou persiste autour des contraceptions d’ur-gence, soit la pilule du lendemain et l’avortement.

Cette journée fonctionne grâce à plusieurs partenaires

comme des compagnies pharma-ceutiques, des fédérations médi-cales et des organismes humani-taires non-gouvernementaux de partout.

Ce jour-là, au Canada, le député conservateur Stephen Woodworth soumettait au vote une motion sur les droits du fœ-tus. Cette requête demandait la création d’un comité parlemen-taire qui allait se pencher sur le moment dans le développement du fœtus qui en ferait un humain légal. Résultat: 203 votes contre, 91 pour. La motion ne passe donc pas et le comité ne sera pas créé. Il est à noter qu’aucun député qué-bécois n’a voté en faveur de cette motion.

L’enjeu est bidisciplinaire: en premier lieu l’aspect éthique met-tant en question le fait de donner la mort au fœtus, le fait de s’im-miscer dans le cours «normal» de la Vie, ou encore les prétentions religieuses de chacun, et l’aspect scientifique médical mettant en cause la santé de la femme.

Les dangers reliés à l’avor-tement sont multiples. Le plus grave: le décès. Mondialement, il y a 4 décès sur 10 000 avortements

chaque année, que ce soit sur la table de chirurgie ou par le sui-cide. Cela semble énorme, mais si on exclut que des femmes se don-nent la mort suite à des déboires psychologiques, le taux de mor-talité rejoint celui de l’accouche-ment naturel.

Les conséquences physiques et physiologiques sont nombreu-ses: lacération du col de l’utérus, cancer des ovaires, stérilité, etc. L’avortement devrait ainsi être considéré par toutes comme une chirurgie majeure, un acte médi-cal dangereux pouvant changer une vie.

L’aspect psychologique n’est pas négligeable. Outre le suicide, la dépression et la névrose peu-vent frapper. Les relations amou-reuses s’en trouvent affectées, tout comme le travail ou les études.

Ces constats en ce qui a trait à la santé devraient en convaincre plusieurs d’utiliser des méthodes de contraceptions plus mineures comme le préservatifet et les ano-vulants. En éduquant la popula-tion dès un jeune âge, les femmes devraient ne plus arriver au point de s’en remettre à l’avortement, sauf dans des cas d’exceptions

tels que les viols. C’est en fait le constat que font les communau-tés médicales: plus les femmes sont éduquées, moins elles ont recours à cette chirurgie.

Par contre, les conservateurs du Canada croient en la coerci-tion. En légiférant sur certaines facettes de l’avortement (droits du fœtus, criminalisation de l’avor-tement tardif, droits du person-nel médical de refuser d’effectuer un avortement, etc.), ils croient en venir à bout… pour des rai-sons idéologiques. Pour le bien des femmes? Non, pour des rai-sons idéologiques. Pour le bien des bébés? Non, si l’on considère les répercussions sur la vie d’un enfant s’il n’est pas voulu ou si la mère n’est pas en mesure de s’en occuper.

Alors que Stephen Harper a voté contre la motion de son pro-pre député, la ministre fédérale de la condition féminine, Mme Ambrose, a voté pour. Est-ce un recul pour les femmes au Canada? Pourquoi a-t-elle posé ce geste alors que son pro-pre chef n’a pas donné son appui? Serait-ce une façon de faire avancer l’idéologie sans déclencher des ma-nifestations monstres?

Chronologie de l’avortement:1867-1969: depuis la confédé-

ration, l’avortement est un acte criminel.

1969: l’article 251 établit que l’avortement est criminel à moins d’être autorisé par un comité d’avortement thérapeutique.

1988: la Cour Suprême éta-blit que l’article 251 est nul de par l’article 7 de la Charte cana-dienne des droits et libertés. Le Dr. Morgentaler est exonéré 5 ans après avoir été inculpé d’avoir pratiqué des avortements illégaux.

1990: le gouvernement conser-vateur de Mulroney dépose un projet de loi de re-criminalisa-tion de l’avortement. La loi passe en chambre des communes, mais entre en nullité au Sénat

2006-2012: des députés conser-vateurs présentent des projets de loi visant à criminaliser les avor-tements pratiqués après la 20e semaine de gestation, à faire du mauvais traitement d’une femme enceinte une circonstance aggra-vante dans la détermination de la peine et à protéger le droit du personnel médical à refuser de participer à un acte contraire à ses croyances. x

AvortementSofia El-Mouderrib | Science Ça!

CHRONIQUE

le 28 septembre 1962, sur l’autoroute de l’Ouest, sur le pont de la Celle-Saint-Cloud, une Aston Martin DB4 lancée à pleine vitesse quitte la route. Deux vies s’achèvent ce jour-là, celle de Roger Nimier, écrivain de 36 ans, et celle de son amante, Sunsiaré de Larcône, écrivain de 27 ans. Mais pourquoi donc se pencher

sur la mort de ce jeune couple en ce  maudit septembre 6? C’est avant tout parce que c’est la mort et la sacralisation d’une certaine idée de la jeunesse dont nous commémorons les 50 ans cette année. Pour comprendre ce qui me motive à revenir sur cet évé-nement ainsi que pour saisir son importance, il faut se pencher sur le personnage de Roger Nimier.

Né en 1925 à Paris, il grandit dans la capitale de l’entre-deux-guerres, puis dans une Europe en guerre. Élève brillant, il ob-tient son baccalauréat en 1942 et entame ses études à la Sorbonne. En 1945, à l’âge de 20 ans, au 2e régiment de hussards il partici-pera à la fin de la guerre. Cet épi-sode guerrier, à l’aube de sa vie de jeune adulte, marquera profondé-ment son œuvre et sa vie.

Après-guerre, il entame une carrière prolifique en tant qu’écrivain, journaliste, critique, éditeur et scénariste. Il en vient à

représenter une certaine jeunesse insolente, dynamique et anti-conformiste, en nette opposition esthétique et idéologique avec les existentialistes et les  «intellec-tuels engagés» comme Jean-Paul Sartre, ainsi qu’avec les gaullistes. Roger Nimier se pose donc, à l’époque, comme l’alternative jeune aux politiques rances du moment. Il n’est pas seul, un courant littéraire dont il sera désigné comme chef de file naît dans les années 50.

Les Hussards, nommés d’après le livre le plus connu et sans doute le plus emblématique de Nimie, Le Hussard Bleu, réu-nissent plusieurs jeunes écrivains dans un ensemble assez hétéro-clite qui ne converge que sur un point, leur opposition au nouveau roman, aux existentialistes et aux gaullistes. Une jeunesse anti-conformiste de droite naît, dans la foulée de certains écrivains d’avant-guerre comme Drieu la

Rochelle, Rebatet ou Brasillach et apporte un vent de fraîcheur à la France d’après-guerre.

C’est ce vent de fraîcheur, insufflé par Roger Nimier et im-mortalisé par son accident, que nous commémorons aujourd’hui pour les 50 ans de sa mort. Dans une époque trouble, en crise, où la jeunesse peine à trouver ses repères, il est bon de se tourner vers ce qui nous a été transmis de l’expérience d’autres jeunesses en crise. Que cela soit la généra-tion de 14-18 ou la génération de 39-45, ces jeunes, leur insolence et leurs combats, ne peuvent que nous encourager à avancer à pleine vitesse et avec le sourire, à tracer notre chemin et rompant avec celui des générations péri-mées qui continuent à s’accrocher au peu qui leur reste.

Nous, la génération des   «Indignés» qui prenons comme exemple et mentor Stéphane Hessel qui, à 94 ans,

prétend donner des leçons à une jeunesse qu’on empêche de suivre son chemin, nous devons assu-mer notre jeunesse, notre inso-lence, et les leur jeter au visage. Non monsieur Hessel je ne  m’in-dignerai pas parce que vous me le dites, il y beaucoup de choses qui ne vont pas dans le monde, mais vous n’êtes pas la solution, vous êtes même une partie du problème.

Cinquante ans plus tard, le problème de l’immobilisme rance contre lequel vivaient les jeunes d’après-guerre est toujours pré-sent. La même intelligentsia squatte le pouvoir et la culture depuis 50 ans et l’heure est au renouveau. Nous serons les Hussards de notre époque, baroques et romantiques, insolents et rieurs, tournés vers le futur et bien décidés à le prendre par les rênes. Jeunes et indomp-tables, nous nous rappellerons de Roger et des autres, jeunes à tout jamais. x

Victor Constant | Pensées Corsaires

En Aston Martin nous mourronsCHRONIQUE

L’aventure continue! Le Délit recherche un infographe

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Page 12: Le Délit

Arts&Culture

12 Arts & Culture x le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Audiotopie coop réalisait les rues ont des oreilles pour la première fois il y a deux ans, une visite audioguidée

du quartier entre les stations de métro Sherbrooke et Saint-Laurent. Le concept est simple: on télécharge un enregis-trement de la visite qu’on peut écouter n’importe quand. Il y a déjà une douzaine de visites différentes sur le site Internet de la coop et quelques autres sont à ve-nir. Chacune d’entre elles nous invite à découvrir un quartier de Montréal dans la solitude de notre baladeur. L’idée est bonne; elle donne à tout un chacun la liberté de faire la visite quand il veut et avec qui il veut. Voyons ce que ça donne.

Cette semaine j’ai choisi de visiter le quartier autour du Cégep du Vieux-Montréal, un quartier que je connais bien pour y avoir habité. La visite commence à la station Sherbrooke avec la voix de Claude Gagnon. Celui-ci nous mène à travers le carré Saint-Louis (sur le panneau il est étrangement écrit square Saint-Louis). La fontaine, le kiosque, puis la rue Prince-Arthur. La voix dans les écouteurs raconte la ville, décrit ce qui nous entoure, illumine ce qu’on ne voit d’habitude pas. On nous fait passer par les petites rues, celles qu’on emprunte peu. La visite prend soin de mettre à jour ces bâtiments qu’on ne regarderait pas autrement.

Alors qu’il descend les rues vers la station Saint-Laurent, le visiteur est ber-cé par les sons de la ville. Ceux qu’il en-tend dehors, mais aussi ceux qui lui sont suggérés à l’oreille. Parmi les bruits et les indications qui servent à suivre le bon chemin, le guide glisse quelques mots de-ci de-là. L’enregistrement marque une pause aux intersections. On passe du tumulte des artères à la quiétude des ruelles.

Arrivé à la station Saint-Laurent, la voix change. C’est Élise Guibault qui mène la marche. La première partie de ce voyage traverse la Cité Radieuse. Malgré son nom, inspiré des travaux de Le Corbusier, la Cité Radieuse n’a pas beaucoup pour plaire. À Montréal, c’est quelques unités d’habitation couvertes de brique rouge, un parc à jeux à l’air vieilli, un terrain de foot. Puis c’est la rue à nouveau. Une cabine téléphonique, un banc, un oiseau. On longe la Grande Bibliothèque, passage obligé, avant de remonter Saint-Denis.

La douce voix qu’on a aux oreilles enjoint en murmurant: «Tu te diriges vers la clôture de gauche pour parler à quelqu’un derrière le grillage». La visite est devenue une aventure urbaine dans laquelle traverser la rue devient un défi. On suit les instructions au pied de la lettre. On regarde ce bâtiment comme indiqué, cette fresque; on prend le com-biné, on raccroche. On croirait presque à la présence de cette voix qui nous guide. Arrivé à la bibliothèque, on est passé par un ou deux pâtés de maisons tout à fait banals, pourtant on ne les aurait jamais vus sous cet œil.

Dans la petite ruelle entre la biblio-thèque et la rue Saint-Denis il y a un banc. Sur ce banc elle nous attend, cette voix. Une troisième voix, celle d’Annie

Valin, nous demande de nous asseoir. Et c’est reparti. Pour boucler la boucle, on traverse le tumulte de la rue Saint-Denis, pour rejoindre la rue Sanguinet en passant par les ruelles. Voilà le Cégep du Vieux-Montréal, au cœur du quartier. On jette un dernier regard à la fontaine du carré Saint-Louis.

Annie Valin n’est pas qu’une voix; elle s’impose à l’esprit comme une ac-compagnatrice. Elle nous interpelle, montre du doigt, nous laisse marcher de-vant. Je regarde autour de moi et je vois l’histoire de Montréal. Je vois les gens qui y vivent, je m’imagine ceux qui y ont vécu. Mon amie me ramène au point de

départ, nous nous arrêtons au coin de la rue, puis nous nous séparons.

Quand j’ai mis les écouteurs dans mes oreilles, j’étais loin d’imaginer ce qui m’attendait. Quand on a l’habitude des guides qui racontent comment tel bâti-ment a été construit ou pourquoi telle rue porte tel nom, on croit qu’une bonne visite présente une liste d’informations-clés sur l’objet de la visite. Une guide qui travaille à Notre-Dame de Paris m’a dit cet été qu’une visite bien menée est avant tout un moment de partage. Je l’ai com-pris cette semaine.

Les rues ont des oreilles m’a surpris par sa qualité artistique; on aurait pu l’entendre dans un atelier de création ra-diophonique. C’est aussi un jeu de mots et d’esprit: on est tour à tour bercé ou ravi par la rue qui nous entoure. Le côté onirique est renforcé par l’intimité que créent les voix qui murmurent à l’oreille, ainsi que par la progression dans la rela-tion entre le visiteur et le guide.

Un montage sans accrocs, un ti-ming précis et une bonne dose de ma-gie donnent vie à des rues qu’on redé-couvre. C’est ce que propose le collectif Audiotopie dans une série de voyages à travers la ville. Chaque visite promet un «parcours immersif et sensoriel» dans un cadre éminemment urbain. Choisissez bien votre quartier et votre horaire. À déguster seul ou accompagné. x

Les rues ont des oreillesVisite audioguidée autour du Cégep du Vieux-Montréal

VILLE

Anselme Le TexierLe Délit

Parcours immersifsOù: Dans une douzaine de quartiers

montréalaiswww.audiotopie.comQuand: Tout le tempsCombien: gratuit

«La voix dans les écouteurs raconte la ville, décrit ce qui nous entoure, illumine ce qu’on ne voit d’habitude pas.»

«Je regarde autour de moi et je vois l’histoire de Montréal.»

Gracieuseté d’Audiotopie coop

[email protected]

New-York sans-façonCentral Park Five, un film coup de poing qui touche droit au cœur

CINÉMA

En 1989, la ville de New York était aux prises avec un crime qui tou-chait ses cordes les plus sensibles:

le viol d’une jeune joggeuse à Central Park. Cinq jeunes noirs, âgés entre 14 et 16 ans ont été arrêtés et accusés du viol, alors qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Pour résoudre l’affaire le plus tôt possible et rassurer la popu-lation, la police de New York a usé de brutalité et d’intimidation pour mettre de fausses dépositions dans la bouche de ces jeunes innocents. Surnommés les Central Park Five, Antron McCray, Kevin Richardson, Yusef Salam, Raymond Santana et Korey Wise ont été incarcérés pendant plus de sept ans, jusqu’à ce que le véritable auteur de ce crime avoue sa culpabilité en 2002.

New York criminelle et diviséeCes événements réels sont dépeints

de façon crue et poignante dans le docu-mentaire Central Park Five, réalisé par Sarah Burns. Difficile de rester de glace en vision-nant ce film, qui nous présente une his-toire montée de toutes pièces par la police new-yorkaise et son obstination choquan-te à assembler des morceaux d’un puzzle qui ne s’emboîtaient pas. Ce documentaire nous fait réaliser l’ampleur de cette fausse histoire, et montre notamment l’intensi-fication du racisme et la réintroduction du débat sur la peine de mort. Comment pouvait-il en être autrement à une époque où l’espèce la plus menacée de l’Amérique était «les jeunes hommes noirs»? Dans un contexte où Harlem et le Bronx étaient les repaires de gangsters, de crimes organisés et de trafic de drogue, la criminalité était à son apogée. Tel que le décrit l’historien Craig Steven Wilder dans le documentaire,

il y avait toujours ce moment d’angoisse lorsque des crimes graves sortaient dans les médias, où les communautés ethniques imploraient secrètement: «S’il vous plaît, faites que ce ne soit pas l’un des nôtres cette fois-ci».

Une injustice évitable Les nombreux éléments d’archives

présentés dans le documentaire contri-buent à nous faire ressentir l’angoisse, la peur et le désespoir ressentis par les cinq innocents. On pense notamment aux dépositions filmées des cinq jeunes, aux propos diffamatoires d’Ed Koch, le maire de New York à l’époque, et aux témoigna-ges de nombreux journalistes, historiens et avocats impliqués dans le dossier. On y voit également toute la haine et l’injustice liées à cette histoire de manipulation, uti-lisées pour sauver l’honneur de New York, de son corps policier et de son maire. On

en vient à se demander combien de crimi-nels courent toujours pendant que des in-nocents purgent une peine qui ne leur est pas destinée. Combien de mauvais juge-ments ont coûté la jeunesse et la dignité de jeunes innocents, tels que les Central Park Five? Ces derniers s’expriment d’ailleurs avec une sagesse désarmante en rela-tant leur expérience tout au long du film. Même si les accusations portées contre eux ont été invalidées, ils sont toujours en attente d’un dédommagement en lien avec les poursuites déposées contre les procu-reurs et la police de New York. Ils disent savourer leur liberté et avoir laissé de côté la rancœur pour reprendre le temps pré-cieux qu’on leur a volé. Malgré tout, tel que Korey Wise le souligne, «on peut par-donner, mais on ne peut pas oublier».

Ce film faisait la clôture de la huitième édition du Festival International de film Black de Montréal. x

Charlotte Paré-CovaLe Délit

Page 13: Le Délit

13Arts & Culturex le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Paradoxe au masculinLe Mâle Entendu clôt le Festival International de Littérature.

ThéâTre

Les grandes entrevues du Cabaret du RoyLes dimanches du conte fêtent leurs quinze ans.

CONTe

En ce dernier jour du Festival International de Littérature, Nancy Huston met en scène Le Mâle Entendu.

Récit sur l’homme d’aujourd’hui.Le décor est sombre, rouge et noir,

presque celui d’un intime concert de jazz. C’est une version androgyne de Nancy Huston qui entre en scène au milieu des trois musiciens pour qui elle joue les porte-paroles. Nancy ne fait que rapporter les confidences de ces trois hommes, qui accompagnent leurs propos d’une composition musicale de leur création (Jean-Philippe Viret à la contrebasse, Édouard Ferlet au Piano et Fabrice Moreau à la batterie). Ce semi-anonymat permet toute la sincérité et la vérité de cette œuvre. On ne sait pas qui a vécu quoi, mais peu importe.

Le récit commence par des souvenirs d’enfance, un retour aux premières fois, une rétrospection sur le rapport au père, les premiers désirs féminins, les premiers coups durs. Ces histoires personnelles donnent ainsi

de l’épaisseur aux confessions qui suivent: le ressenti des hommes face aux pressions et devoirs auxquels ils font face.

On est confronté à des normes souvent paradoxales: l’homme doit séduire chaque belle femme, même s’il ne ressent aucun désir, et doit être excité à chaque instant, ce qui est contradictoire avec l’érection qui est perçue comme étant honteuse et politique-ment incorrecte. L’homme doit donc faire face à la honte. La honte de la masturbation, de l’hypersensibilité, et la honte de ne pas être à la hauteur, notamment vis-à-vis de la femme.

Nancy met en avant l’incompréhension de l’homme face à sa propre masculinité. L’homme est mis dans une position de vul-nérabilité, mais sans pour autant être perçu comme une victime, ni faire porter la faute sur la femme.

Nous sommes face à l’histoire de chaque homme, jusqu’à sa propre pater-nité. Le cycle continue, l’homme transmet. Le rôle du père et celui qu’il joue dans la construction de la masculinité prend toute sa place: le père qui pleure, le père qui re-cadre, le père autoritaire, l’enfant en posi-tion de faiblesse; c’est tous les aspects de la paternité qui sont passés en revue.

Au cours du récit, Nancy redevient pe-tit à petit femme. Le besoin de se représen-ter asexuée, voire masculine, pour porter les confidences de ces hommes s’estompe au fur et à mesure, quand le spectateur ne

la voit plus comme un individu, mais sim-plement comme une porte-parole .

Au niveau musical, les artistes ex-plorent les nombreuses possibilités de leurs instruments: cordes pincées, instru-ments caressés dans les moments charnels,

jeux sur les silences pour les témoignages qui rendent vulnérable, improvisations joyeuses lors des découvertes sentimen-tales comme le baiser innocent, etc.

Le récit se clôt de la même façon qu’il a commencé: en larmes. Au début, ce sont les pleurs stigmatisés du père, à la fin ceux de l’homme à qui on les interdit et qui ne veut plus occulter sa tristesse.

En deux mots, Le Mâle Entendu est une pièce qui éclaire la femme et apaise l’homme. Pour autant, on vous recom-mande plutôt le dernier livre  de Nancy Huston, Reflet dans un œil d’homme, ins-piré des confidences des trois musiciens. En effet, malgré l’esthétique du tableau de scène, et les qualités de narration de Nancy, c’est surtout le contenu qui captive le public.

Dans ce livre paru en juin dernier, l’auteure part du fait que l’on est biologi-quement programmés pour se reproduire, afin d’éclairer les tensions contradictoires introduites dans la sexualité et le rapport entre les hommes et les femmes dans le monde d’aujourd’hui. x

Au cœur du Vieux-Port, le Cabaret du Roy est un endroit à visiter. Rien que la déco vaut le détour. On entre

dans un univers incongru où des serveuses en coiffe vous appellent «mon gaillard», tandis qu’à l’autre bout de la pièce, un feu brûle doucement dans l’âtre. On s’assoit sur des chaises en bois dépareillées pour étudier la longue carte des boissons ou bien savourer une assiette copieuse. La salle semble servir de repaire à quelques habitués, et on voit des têtes qui on l’air de découvrir l’ambiance conviviale avec plaisir. Une grande scène longe la pièce; de grandes figures de proues surmontées de coffres à trésor encerclant deux grands sièges de bois aux allures de trône font office de décor. Des drapeaux noirs accrochés au plafond appellent le thème de l’établissement.

Sur scène ce dimanche il y avait des conteurs mais pas de contes. À l’occasion du quinzième anniversaire du  rendez-

vous hebdomadaire, les instigateurs des dimanches du conte étaient à l’honneur. André Lemelin et Jean-Marc Massie participaient à une séance de questions réponses sur le modèle des grandes entrevues. Pendant quelques deux heures, les deux fondateurs et organisateurs se sont dévoilés à leur auditoire. Une brève incursion dans l’univers personnel et professionnel des deux conteurs qui n’a pas manqué de nous ravir.

André Lemelin semble être avant tout un amoureux de la littérature. Il a entre-pris au fil des années de nombreux projets qui vivent encore et nous font rêver. On retiendra de lui les recueils de contes qui ont parfois défrayé la chronique, comme lorsqu’un professeur du secondaire avait décidé de faire lire à sa classe un des contes

urbains des Contes du Centre-Sud écrit en joual. Une éditorialiste du Devoir s’en était mêlée. André Lemelin raconte comment il s’est réveillé un jour avec quatre camions de télévision devant sa porte. On lui avait reproché notamment le choix du joual pour ce texte. Il aurait rétorqué: «Vous avez déjà entendu une prostituée parler au pas-sé simple?». De là, on imagine la teneur du recueil. Il reste un conteur avant tout, un homme qui cherche à partager l’émotion d’une histoire à qui veut bien l’entendre.

Jean-Marc Massie s’est à son tour prê-té au jeu pour nous faire part de ses états d’âmes, de ses débuts en tant que musi-cien, et de son parcours atypique. L’ancien chanteur des pervers polymorphes, doc-teur à ses heures, a l’air d’un joyeux luron, enclin à partager son expérience. Célèbre pour ses digressions, il a donné du fil à retordre à son interlocuteur qui avait la tâche difficile de lui poser des questions. Le conteur parle de ses années passées en France, de sa famille et de son expérience de musicien, en prenant soin de faire rire la salle.

André Lemelin et Jean-Marc Massie se sont rencontrés par hasard dans un bar et ont décidé de travailler ensemble à ce rendez-vous de conteurs. Si le premier a vite passé la main au second, Jean-Marc Massie insiste que son acolyte n’a jamais fait défaut quand on avait besoin de lui.

Le Cabaret du Roy propose chaque dimanche une soirée dédiée aux contes et aux conteurs, tout un pan de la littérature et des arts de la scène qu’on a tendance à dédaigner. Cette année les conteurs de la première heure sont à l’honneur. On re-vient, on relit, on rencontre. Tout au long du mois d’octobre vous pourrez assister à une série sur les contes du monde. On ne peut que vous encourager à aller voir ce qui s’y passe; à faire une pause onirique dans un établissement à connaître. x

Anselme Le TexierLe Délit

Marie de Barthès& Valentine RinnerLe Délit

Crédit photo: Éric Garault

«Quand une femme est volage, un homme se sent comme un enfant. Il n’a plus le pouvoir de la combler. Il est un enfant qui attend sa mère.»

Les dimanches du conteOù: Cabaret du roy 363 rue de la commune EstQuand: tous les dimanchesCombien: entrée 10 dollars

«Vous avez déjà entendu une prostituée parler au passé simple?»

Page 14: Le Délit

14 Arts & Culture x le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Récemment, on a tousvu dans un cadre de publicité sur un quelconque site Internet qu’un docteur avait dévoilé le secret qui nous permettrait d’apprendre n’importe quelle langue en dix jours, portrait en noir et blanc dudit docteur à l’appui.

On en a vu d’autres comme celle-là. Des «Doctors hate her» et autres. La première question qu’on se pose: Pourquoi haïr ces pauvres gens qui font des découvertes révolutionnaires? Ça sous-entend que les docteurs et autres profs de langues ne veulent pas qu’on sache qu’il y a une meilleure méthode, moins cher. Moins cher, ça veut dire payante tout de même. On ne paie pas une pub sur Youtube juste pour donner de bonnes idées gratuitement. Mais passons.

Cette fois-ci, piqué de curiosité, j’ai décidé de cliquer. Je ne clique jamais; je sais que je vais me faire avoir, au mieux perdre mon temps. J’ai donc suivi un lien vers une vidéo disons bien foutue avec une voix

féminine habituée des publicités et un feutre noir, qui dessine plutôt bien sur fond blanc au fur et à mesure que s’allonge le monologue apologétique.

Je me suis lancé le défi de visionner la réclame jusqu’au bout. Erreur. Elle a duré au moins une heure. Une heure d’une logorrhée «infomerciacle» inutile vantant les mérites d’un produit miracle. Mais quel produit?

La question reste entière jusqu’à la première demi-heure de «regardez comment ça marche super bien tellement que c’est incroyable chez nous» et de «regardez comment c’est tout pourri chez les autres».

On comprend rapidement (parce qu’on nous l’a rabâché une demi-douzaine de fois)

qu’il s’agit là d’une méthode révolutionnaire mise au point par le professeur Pimsleur dans les années… 1960. Ah. C’est donc de la révolution réchauffée. En bref, une voix convaincante vous assure sans cesse qu’il vous est possible d’apprendre une langue étrangère dont vous ne connaissez rien en écoutant des enregistrements audio pendant trente minutes et pendant dix jours. En dix jours?

En fait les théories de Paul Pimsleur ont bon fond, et ont eu un réel impact sur la façon dont on enseigne les langues au moment de leur publication. Plus d’écoute, moins de grammaire, moins de vocabulaire, moins de mémorisation. À première vue, ça a l’air absurde, mais

apparemment ça marche. Ça a aussi l’avantage de plaire à tous ceux qui se sont cassé le cul à apprendre aus bei mit nach seit von zu. On ne tarit pas d’éloges sur le produit qui fait l’objet d’une si longue présentation. On fait la comparaison avec les autres méthodes, leur prix.

Du cours à l’université au cahier d’exercices en passant par l’immersion totale, notre produit miracle est toujours mieux d’une façon ou d’une autre. Alors pourquoi ne parle-t-on pas tous une douzaine de langues? Trente minutes par jour pendant dix jours, c’est rien! Je vous laisse deviner quel succès a la méthode.

Et le produit apparaît! Quatre CD. x

Pimsleur ApproachAnselme Le Texier | Les mots de saison

CHRONIQUE

«Je ne suis pas interressé par le passé. Je me porte vers le futur car je compte y passer le restant de mes jours», disait un riche entrepreneur américain au début du vingtième siècle. Bien belle devise que je tente

tant bien que mal d’appliquer quotidiennement, elle est cependant peu envisageable dans un contexte musical. En effet, il est difficile de ne pas se tourner vers les chansons qui rythmèrent la vie de nos parents et même de nos ancêtres pour la simple et bonne raison qu’elles étaient globalement de meilleure qualité.

Je tiens, d’ailleurs, à vous présenter mon album coup de cœur en ce mois d’octobre qui respire les 60’s et le bon vieux Motown. Bobby Womack nous livre après douze ans d’un si-lence attristant un vingt-sixième album intitulé The Bravest Man in the Universe et digne des meil-leurs. Cet artiste de soul est le genre d’étoile d’une taille im-mense, mais que l’on a toujours eu du mal à apercevoir, caché par d’autres lui faisant de l’ombre.

Né à Cleveland en 1944, il commence par jouer en famille, un peu à la Jackson 5, dans un groupe nommé The Valentinos. De cette formation viendra d’ail-leurs la chanson qui marquera le début de l’ascension des Rolling Stones, «It’s All Over Now». Il s’épanouira plus tard sous la houlette de Sam Cooke, pour qui il sera guitariste puis voleur de femme par la suite.

Ayant collaboré avec l’élite du R&B et du rock ‘n’ roll (Aretha Franklin, Janis Joplin, Sly and the Family Stone, Elvis Presley, James Brown, etc.), il ne fut pas épargné par un parcours chaotique qui caractérise sou-vent ces artistes maudits. Rongé par la drogue et les morts suc-cessives de ses enfants, il connut de longs passages à vide. C’est avec un immense plaisir que la sphère musicale acceuille ce

nouvel album oscillant entre voix rocailleuse et instrumenta-tion moderne inspiré de l’uni-vers d’un des coproducteurs, un certain Damon Albarn.

En attendant la venue du sexagenaire à Montreal, je vous propose un menu plutôt varié qui comblera vos petits plaisirs, du moins je l’espère.

Si vous lisez cette édition à temps et que votre bourse est fort pleine, n’hésitez pas une se-conde à vous rendre Rue Sainte Catherine pour admirer Mr. Jack White (L’Olympia, 2 Octobre) qui présente son premier album solo «Blunderbuss», un magni-fique hommage au Blues Rock dans la lignée des Black Keys. Rincez vous l’œil avec le clip de «freedom at 21», c’est plutôt savoureux. Genre en voie d’ex-tension, l’ÉlectroSwing s’invite à Montréal pour faire danser les

jeunes regrettant l’époque de la prohibition étatsunienne et des bars illicites où les choses se passaient. Si vous appréciez Parov Stellar, Caravan Palace et autres Bohémiens mélomanes, cette soirée est pour vous (Sala Rossa, 6 Octobre). Il en est de ceux qu’il faut avoir vu avant le moment fatidique et je considère que Johnny «Rotten» Lydon en fait partie. Ce pilier des Sex Pistols viens du côté de Solin pour vous faire bouger sur du post punk typiquement 80’s avec son groupe Public Image Ltd (Théatre Corona, 16 Octobre). Pour finir en beauté, je ne vous apprendrai sûrement pas que les deux compères de Justice viennent nous faire un petit cou-cou (Métropolis, 22 Octobre). Cela étant dit je vous conseille fortement de vous y rendre, ca risque d’être exquis. x

Le retour du papy prodigieuxAlexandre Vinson | Mélodieuse prophétie

CHRONIQUE

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Page 15: Le Délit

C’est une histoire d’amants: celle de Julio et Emilia, deux étudiants à

l’université qui se rencontrent à une fête et tombent amoureux. À leur première rencontre, ils disent qu’ils ont lu À la recherche du temps perdu de Proust, en entier. Mais ils se mentent. Ni l’un ni l’autre n’en ont lu un mot. Ils commencent à le lire ensemble, à voix haute, avant de se coucher, «pour la deuxième fois», mais ils s’arrêtent après l’incipit. Les soirs suivants, ils lisent d’autres livres, sans jamais retourner à Proust. Julio et Emilia s’aiment passionnément, mais ils ne se rendent pas compte de l’importance de leur amour, et laissent le temps passer.

Voilà la trame de Bonsái, un film du réalisateur Cristián Jiménez, inspiré du court roman de l’écrivain Chilien Alejandro Zambra, dont la sortie a été longtemps attendue par les amateurs de cinéma comme de littérature. Le roman a fait du bruit dans la littérature mondiale dès sa publication en 2006; le film aura

certainement un impact similaire dans le monde du cinéma.

Jiménez reste proche du style de Zambra, dans des scènes ayant un fort intérêt visuel et émotionnel, mais ses dialogues sont rares et souvent abstraits. Jiménez multiplie les références à Proust, en mettant en valeur le parallèle entre la relation de Julio et Emilia, et celle de Charles Swann et Odette. Ceux qui ont vu le film Un amour de Swann peuvent reconnaître certaines de ses scènes d’amour dans Bonsái. Jiménez utilise des gros plans, s’approche de la peau et des visages, et met en valeur l’étreinte de chaleur qui imite la passion de Swann et Odette. Ce parallèle fait de l’amour de Julio et Emilia un abandon total de l’identité individuelle dans l’autre.

La chronologie alterne entre deux moments espacés de huit ans. Entre les deux, on ne sait pas ce qui s’est passé  et on ne sait donc pas pourquoi Emilia et Julio se sont quittés. Après ces huit années, Julio travaille pour un écrivain célèbre, Gazmuri: il tape son manuscrit à la machine. Mais il perd son travail lorsque

Gazmuri lui annonce qu’une secrétaire de la maison d’édition va le lui faire pour  moins cher. Julio, qui n’accepte pas le fait qu’on puisse se passer de lui aussi facilement, ne veut pas le dire à sa nouvelle amante, qui l’aidait avec le projet. Il commence alors à écrire son propre manuscrit: un roman, Bonsái qui devient le récit de l’histoire de sa vie.

Le symbole du bonsaï est mystérieux. Il n’est pas expliqué, mais il apparaît dans une autre histoire, celle d’un couple qui essaie d’entretenir une plante mais qui finit par se quitter. Dans cette histoire-là, la plante est le symbole de leur amour, qui a besoin d’attention pour survivre. Julio prend ainsi soin du bonsaï pour compenser son inattention face au temps qui passe. Au même moment, Emilia se suicide. Julio ne l’apprend que quatre mois plus tard. Bouleversé par la mort d’Emilia, Julio ne sait pas quoi faire. Il va à la bibliothèque, s’assied, et commence à lire Proust, une seule larme coulant sur sa joue.

«Emilia meurt. Julio ne meurt pas. Le reste est fiction.» Cet

incipit du film fonctionne comme une sorte d’anti-accroche. Mais il ne fait pas que révéler ce qui se passe à la fin, il contribue aussi au développement de l’intrigue. Un autre incipit lui ressemble: celui de La Recherche de Proust. «Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire: «Je m’endors.» Le reste est littérature. x

VOCABULAIRE:

Amant: loverInspiré de: based on Proche: closeGros plan: close upÉtreinte: embraceChaleur: heatMaison d’édition: publisherRoman: novelEntretenir: look afterBouleversé: deeply movedBibliothèque: libraryLarme: tearCouler: dripJoue: cheekAccroche: catchphraseIntrigue: plotBougie: candleÉteindre: blow outS’endormir: fall asleep

15Arts & Culturex le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Bien plus que d’être une série de court-métrages sur le thème de la paix,

la projection Films4Peace est avant tout un concept unique. Tout se passe au Centre PHI, un endroit hors du temps, caché au milieu des rues sinueuses du Vieux-Montréal. Une fois de-dans, j’entre par la petite porte noire du fond; l’isolement me semble quasi-total, comme si j’étais lovée au creux des vieilles pierres du quartier. La salle est assez étroite, les sièges en cuir sont hauts et sans dossier. Les films tournent en boucle et du-rent parfois quelques secondes, tout au plus quelques minutes. Clairement, nous ne sommes pas dans un cinéma classique en face d’un quelconque blockbuster. Mais l’atmosphère a ce je ne sais quoi d’intimiste et charmant qui donne envie de rester un instant. Derrière, au même niveau que les spectateurs, on peut aperce-voir le projectionniste s’affairer à la tâche.

Les gens vont et viennent constamment. Ils s’assoient pour

cinq ou six films, parfois un peu plus, puis repartent. Qu’importe; après tout, la projection est gra-tuite et diffusée en continu. Les discussions à voix basse vont bon train, les interprétations aussi. En effet, la brièveté de chaque film laisse une image forte et énigma-tique au spectateur. Au total, dix-sept court-métrages s’enchaî-nent, montrant tour à tour une

facette différente de la notion de paix. Et pour cause: PumaPeace, initiateur de l’événement, a pris le soin de sélectionner des réalisa-teurs de divers styles, nationalités, âges, formations et préférences. Le mot «paix» prend un sens très large: l’artiste française Magalie Charrier y voit une lutte interne en mettant en scène son propre corps remuant au rythme de ta-

ches d’encre qui se mêlent et se démêlent de sa silhouette, tandis que Nandipha Mntambo, origi-naire du Swaziland, le représente comme la cohésion d’un groupe d’oiseaux volant au loin.

Tous ces films qui défilent très vite devant mes yeux me surprennent énormément. Je m’attendais à un hymne au paci-fisme, à des images de guerre ou

du moins à une forme d’enga-gement de la part des artistes, mais il n’en est rien. Le corps et l’espace sont les deux grands sujets abordés dans cette série, comme si la paix passait non pas par l’action, mais par une sorte d’harmonie passive, à la fois interne et externe. Un court-métrage m’interpelle; c’est celui du jeune britannique Bill Porter, réalisateur d’une très belle ani-mation à l’aquarelle représen-tant un combat de boxe. Au mi-lieu des violents coups échangés, des cris de rage de la foule et de la confusion des adversaires à bout de souffle, un bref moment de paix surgit: les deux boxeurs se reposent l’un contre l’autre, n’entendent ni la foule, ni l’arbi-tre. Pendant ce furtif instant, ni rage ni violence; seulement le re-pos, le corps à corps bienveillant qui soutient et qui rassure. Puis le combat reprend, le tapage du public aussi. En sortant de Films4Peace, au fond, je res-sentais un peu la même chose: l’ambiance intimiste et calme de la salle de projection ressemblait à un de ces moments de paix qui arrivent au milieu du tumulte de la ville. x

Films4PeaceL’expérience cinématographique atypique des films courts, très courts

CINÉMA

Doriane RandriaLe Délit

BonsáiUn film qui prouve qu’on essaie encore de retrouver le temps.

FRANÇAIS FACILE

Alexandra Appino-TaboneLe Délit

Gracieuseté de Dtrand Releasing

BonsáiOù: Cinéma du ParcQuand: à partir du 5 octobreCombien: 8,50 dollars

Crédit photo: Isaac Julien

Page 16: Le Délit

16 Arts & Culture x le délit · le mardi 2 octobre 2012 · delitfrancais.com

Virée nocturne en terrain vagueComment faire du bruit sans éveiller les soupçons

CULTURE HORS LA LOI

Pour commencer cette série sur la culture hors-la-loi, nous allons explorer le monde éclectique et in-

quiétant des raves. Ces événements que beaucoup voient comme des théâtres de la débauche sont arrivés du Royaume-Uni à Montréal il y a moins de vingt ans. Depuis lors, des centaines et parfois des milliers de raveurs se rencontrent chaque semaine dans un lieu gardé secret jusqu’au dernier moment pour écouter tel ou tel genre de musique électronique, le tout dans une ambiance bon enfant et souvent sous l’empire de substances illicites. Du moins, c’est souvent comment on décrit la chose.

Il y avait cette semaine une rave du côté du métro Viau. Au programme: drum ‘n’ bass, Hardtek, électro, dubstep et quelques indéfinissables. Les habitués connaissent le spot. C’est un terrain vague,

entre des rails de chemin de fer et le Saint-Laurent, avec vue sur le Stade olympique. En sortant du métro on voit déjà quelques groupes qui progressent vers l’est. Au mo-ment de passer les rails, on fait passer le mot qu’une voiture de police est station-née un peu plus loin. La soirée commence.

Toute rave n’est pas illégale; mais les meilleures le sont. Certains promoteurs préfèrent obtenir des permis pour orga-niser leurs soirées; une bonne façon de faire de l’argent en une nuit. Cependant, ils dépassent souvent l’horaire autorisé. D’une année à l’autre, un événement peut passer de trente participants à mille. Les plus gros attirent évidemment l’attention. Les meilleures raves sont celles qu’on trouve sur rave.ca ou auxquelles on est in-vité via Facebook parce qu’on est ami avec quelqu’un dont on se souvient à peine.

Vendredi, la nuit a commencé entre deux monticules de gravats, la musique jouant tout bas pour rester discrets. Les

participants se connaissent tous au moins de vue. Ils se retrouvent toutes les se-maines. «Quand on a commencé à aller aux raves, on ne peut plus retourner en club», commente un enthousiaste. On attend qu’une chose: que le volume aug-mente. Le monde ne compte plus. Il n’y a plus que la nuit et la musique.

Ceux qui font ça depuis des années vous diront qu’ils y trouvent une expé-rience transcendantale incomparable. C’est aussi là qu’ont commencé la plupart des DJ locaux: dans un terrain vague dans le froid à six heures du matin. On y trou-vera toujours une musique électronique d’avant-garde, ou bien une musique qui ne trouverait pas d’oreille pour l’écou-ter dans un club du village ou de Saint-Laurent.

À quatre heures du matin la fête va bon train. On danse pour se réchauffer quand la musique s’arrête. Rien d’éton-nant, un générateur électrique installé

au milieu de nulle part n’est pas des plus fiables.

On entend un cri: «Cops!». On fait vérifier l’information, mais il n’y a plus de doute quand on voit trois agents du SPVM derrière les platines. Un ami plai-sante: «c’est exactement comme ça qu’une rave devrait se terminer». Quatre voitures de police entourent la scène, une centaine de personnes entrées de façon illégale sur une propriété privée, mais personne ne s’affole. La fête continue ailleurs, dans les appartements des uns et des autres.

Les raves sont un fait. Certains diront que le caractère hors-la-loi ou à la limite de la loi de ces manifestations est indispensable. D’autres aimeraient ne pas avoir à craindre la police. La rave n’est qu’une expression parmi d’autres d’une culture qui se complaît à la marge de la société. Dans les prochaines semaines nous verrons de quelles façons cette culture s’exprime. x

Clayton LaframboiseLe Délit

C’est avec une légère angoisse qu’on pénètre dans la petite salle de l’Espace A du Centre PHI – une

atmosphère sombre, une musique basse aux accents électroniques, des spots rou-ges qui clignotent de façon irrégulière et révèlent par intermittence une scène un peu surélevée et un immense écran blanc. Nous sommes dans un lieu à part, entre le cinéma et la boîte de nuit. Jeudi dernier, Nohista et Byetone, deux des grands noms de la performance audiovisuelle, ont pré-senté leurs dernières créations devant un public conquis, quoique surpris.

C’est l’artiste français Nohista qui ouvre la soirée, avec un spectacle portant sur l’individu et sa place dans la société contemporaine. Les images projetées montrent une ou plusieurs silhouet-tes marchant au milieu d’une foule: on a l’impression que ces corps ne peuvent pas avancer, car, par des jeux de couleurs, de lumières, et des flash back, les silhouettes semblent sans cesse revenir à leur point de départ. Les sons utilisés, répétitifs et minimalistes, renforcent cette impression de blocage. L’ambiance est entre le lounge et l’électro, et le mariage des images et des sons crée une litanie psychédélique. Si la performance est courte (une vingtaine de minutes seulement) elle demande pourtant une forte implication de la part du specta-teur. En effet, c’est tous les sens qui sont sollicités: la vue et l’ouïe sont constam-ment bombardées d’informations nouvel-les et violentes et le spectacle demande une attention constante.

Après une courte pause, c’est au tour de l’artiste allemand Byetone d’entrer

en scène. Avec le succès de son dernier opus, Symeta, sorti en 2011, Byetone est aujourd’hui l’un des pionniers de la scène des performances audiovisuelles. Ce soir-là, il présente ses dernières productions. L’ambiance contraste beaucoup avec le spectacle précédent: la musique se durcit, les sons sont plus électroniques et violents; on quitte le figuratif pour faire face à des images monochromes, des formes géométriques, des lignes. «Ma musique aspire à déclencher l’impulsion physique qui incite à danser. Mes visuels ciblent aussi une expérience physique connexe pour stimuler davantage l’impact musical. Ainsi, j’essaie de créer un interéchange entre les langages visuel et musical», explique Byetone, montrant que le lien entre la musique et l’image est véritablement au centre du travail de création. La foule se

prend au jeu, la salle devient une grande piste de danse; après l’étonnement initial, le public est finalement enthousiaste.

Les performances audiovisuelles se sont multipliées ces dernières années, avec l’essor des nouvelles technologies et de leur application à l’art. Ce qui les caractérise, c’est sûrement leur rapport au travail de la scène et l’importance du live dans les expérimentations et les créa-tions. Outre son travail d’artiste, Byetone est également à l’origine du label «Raster-Noton», qui travaille sur la musique élec-tronique minimaliste et les performances audiovisuelles. Cette influence minima-liste se ressent par ailleurs dans ses pro-pres productions.

Les deux performances données au Centre PHI sont des bons exemples du travail de la musique et de l’image lié

aux nouvelles technologies. Le résultat ne peut pas laisser insensible: c’est l’un de ces spectacles qu’on aime ou qu’on déteste, mais qui ne laisse pas indifférent. Pour ma part, je reconnais qu’il m’a fallu du temps pour vraiment accepter de me laisser porter par les deux performances. Il faut consentir à partir loin de ce que l’on connaît, à lâcher prise avec un cer-tain type d’art et de spectacles auxquels nous sommes habitués, à impliquer son corps et toutes ses émotions dans la per-formance. Si cela n’est pas forcément facile, le jeu en vaut la chandelle: on res-sort finalement de cette petite salle la tête pleine de nouvelles découvertes, et avec l’impression d’avoir vécu quelque cho-se de nouveau et de particulier. Un art encore assez peu connu, qui mérite une plus grande attention. x

Anne PouzarguesLe Délit

Entre images et sonsNohista et Byetone présentaient leurs nouveaux spectacles jeudi au Centre PHI.

MUSIQUE

Crédit photo: Giselle Galvao