le dialogue latin au moyen age

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Le dialogue latin au Moyen ge: l'exemple d'Evrard d'Ypres Author(s): Peter I. Von Moos Reviewed work(s): Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 44e Anne, No. 4 (Jul. - Aug., 1989), pp. 993-1028 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27582593 . Accessed: 30/03/2012 04:47Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

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http://www.jstor.org

LEDIALOGUE LATINAU MOYEN ?GE :L'EXEMPLE D'EVRARD D'YPRES

PETER I.VON MOOS

Les justes griefs des humanistes du xve si?cle envers certains aspects de la se sont fig?s par la suite, on le sait, en un d?nigrement mentalit? scolastique d?s leur origine, les ?tudes m?di?vales global du Moyen Age et c'est pourquoi, ont ?t? tout particuli?rement ? la r?futation des poncifs posthuma appliqu?es nistes. Parmi ces st?r?otypes figure en bonne place l'id?e que la Renaissance ? qui nous aurait d?livr?s de la rigidit? m?di?vale serait ? l'?ge d'or du dialogue et surtout du hideux formalisme dans les rapports humains des disputes scolas sem les participants tiques. Lors d'un r?cent congr?s sur la th?orie du dialogue, blaient approuver la vieille th?se de Mikhail revaloris?e par 1'eminent Bakhtine, romaniste Karlheinz Stierle1 selon laquelle, au xve si?cle, ? les structures auto et les ritaires du discours monologique de commenter les dogmes ?, la manie textes sacr?s, auraient c?d? la place au libre ?change des id?es, ? une communication vivante et ouverte.

des ?poques. C'est un vaste sujet que la comparaison Je ne peux ici qu'y Comme l'a bien montr? Marc contribuer par un petit point d'interrogation. la notion de litt?rature a profond?ment Fumaroli2, chang? apr?s le xve si?cle : et de la R?forme mena?ait l'av?nement combin? de l'imprimerie la dimension de la parole ?crite et la religion du livre, devenue orale ;une nouvelle technologie ? religion du livre seul ?, d?valorisaient et renversaient la pr?pond? l'?loquence au terme de cette ?volution, rance de la voix sur l'?crit. Aujourd'hui, il nous au concept de litt?rature lemot de ? texte ?, mot semble tout naturel d'associer selon une conception lemythe des rude dont la pesanteur, pr?moderne, explique ? n'a pas manqu? ? paroles gel?es ? de Rabelais. Ce processus de ? textualisation a ?tudi? l'?loquence de susciter des r?actions. Fumaroli des j?suites qu'il appelle les ? derniers d?fenseurs de la voix vive ?. Avant eux d'autres avocats de la parole ?, ont plaid? contre la parole fig?e, pr?n?e par des ? scrip vive, des ? verbophiles au dialogue le culte que les humanistes vouaient constitue tophiles ? :peut-?tre t-il l'une des tentatives des textes d?di?s, d'arracher la parole ? l'?touffement des cendres de grands auteurs. ? la conservation tels des urnes philologiques, 993Annales ESC, juillet-ao?t 1989, n? 4, pp. 993-1028.

ORAL/?CRIT,

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: c'est un texte qui tend ? Le dialogue litt?raire est n?cessairement paradoxal faire oublier qu'il est texte. Dans cet ?tat d?sesp?r? qu'est l'?crit, il cherche ? reconstituer les conditions de la voix, simulant une voix enregistr?e. C'est une : fiction d'oralit? par compensation. On peut en tirer des conclusions oppos?es ou bien ? la manifestation la floraison d'une de dialogues ?crits correspond sur l'?crit ; ou bien au tout spontan?ment culture orale ?panouie d?bordant d'une conscience malheureuse, indice d'une culture orale bless?e qui sympt?me ? un genre son dernier cherche dans souffle l'artifice de dans l'?crit, comme une sorte de ? signe culturel ?, au lointain ?, renvoyant, impossible d'un paradis perdu du dialogue inaccessible est-il grec3. Qu'en philosophique ? l'?ge du dialogue ? par analogie avec le de la Renaissance ? Serait-elle ? parce qu'il a abrit? l'agonie de xviie si?cle, appel? ? l'?ge de l'?loquence se le demander, ? On peut l'id?e d'?loquence dans l'histoire des puisque ce ne sont pas toujours celles dont on fait le plus de cas qui sont les valeurs, au contraire comme l'air mieux ?tablies ?tre si naturelles ; d'autres peuvent ambiant qu'on oublie d'en parler. toute fa?on, il existe une curieuse entre De co?ncidence chronologique et la red?couverte l'invention de l'imprimerie du dialogue. de la spontan?it? J. Ong4 a montr? Dans sa vaste perspective d'anthropologie historique, Walter ? le xve si?cle inaugure ce qu'il appelle une ? civilisation que typographique au plus haut degr? de ? litt?rarisation ?, un degr? jamais connu qui parvient avant notre ?re informatique, Mais en comparant qui en est l'accomplissement. ce ? progr?s ? ? la civilisation il constate que le Moyen pr?c?dente, Age est aux rapports de l'?crit et de l'oral : sans parler curieusement ambivalent quant avec son culte fer de la culture populaire, le monde m?me du latin m?di?val, vent du livre et de l'?criture, cette culture savante, ?tait n?anmoins profond? ment enracin?e dans une ? culture orale r?siduelle ?, dans une ? seconde or alit? ? continuellement et dialectique, nourrie par une ?ducation rh?torique a toujours accord? ? la Voix le pri ? l'Antiquit? qui, remontant gr?co-romaine, d' uvres r?di vil?ge sur la Lettre. C'est une des raisons de l'immense diffusion au Moyen g?es sous forme dialogu?e Age. On peut supposer que cette abon tout naturellement dance de dialogues les fron signale le besoin de d?passer ti?res de la forme ?crite et monologique. la plupart des D?s le Haut Moyen Age, livres d'?cole, les innombrables trait?s sur les sujets les plus divers, et ? leur t?te sous et de pol?mique les ?crits de controverse ?taient compos?s doctrinale, De la confession forme de dialogue. ? l'?loge fun?bre, de la autobiographique et de la po?sie liturgique aux fables et exempta tous les l?gende hagiographique textes pouvaient La Bible elle-m?me, ?tre mis en dialogues. dont nous connais sons bien les transformations de Virgile compos?es ?piques ? la mani?re depuis comme cet entretien po?tique le ve si?cle, donnait aussi mati?re ? des dialogues, et le de Fulcoie de Beauvais5, l'homme qui, au xve si?cle, faisait s'entretenir sur les ?v?nements et du Nouveau de l'Ancien Testament. C'est Saint-Esprit n'?tait plus, au Moyen Age, un genre litt?raire, redevable aux que le dialogue une variation universel mod?les classiques, mais un simple proc?d? stylistique, sans ?gard au contenu ou ? l'intention, mais particuli?rement lement applicable des arts et de la religion. apte ? l'enseignement

994

P.

I. VON

MOOS

LE DIALOGUE LATIN M?DI?VAL

La forme

dialogu?e

au Moyen

Age

de Diom?de, Selon la c?l?bre th?orie grammatico-rh?torique par vulgaris?e Isidore de Seville6, l'ensemble des ?crits peut ?tre divis? en trois cat?gories (cha selon la fr?quence du discours direct des ? personnages racteres-genera dicendi) ? : le genre narratif introduits o? le po?te parle (diegematicon, enarrativum), seul et ne rapporte qu'en discours indirect les paroles d'autres ; le personnes o? les personnages seuls sans genre dramatique (dramaticon, activum), agissent o? le po?te raconte ; et le genre mixte (micton, mixtum), que le po?te intervienne et les personnages parlent ? tour de r?le. Il est ?vident que les deux derniers de ces se distinguent trois modes d'expression Cette division par l'emploi du dialogue. se r?f?re ? une pratique scolaire bien r?elle, h?rit?e de l'Antiquit? tardive et tout : celle des exer litt?raire du Moyen Age ? fait fondamentale pour la production ou variation, dans lesquelles un m?me texte ou sujet devait cices de transformation ?tre chang? d'une forme ? l'autre, par exemple de prose en vers, de la version ? l'illustration de l'?nonc? abstrait, atemporel, br?ve en version amplifi?e, parti culi?re et historique (ou bien de tout cela l'inverse)7. Or, parmi cesprogymnas en forme dialogu?e. mata figurait aussi la transformation de la forme narrative au genre si particuli?rement Un nombre consid?rable d' uvres appartenant ? provient en du ? d?bat po?tique de la pratique scolaire de mettre m?di?val Le premier des fables apprises au cours de l'enseignement ?l?mentaire. dialogue Donat lui le grammairien de l'?cole latine du Moyen donnait th?oricien Age, de cette varia tractatio. Thierry de Chartres8 m?me note l'exemple pratique de sa grammaire, les deux ?ditions l'une que dans appel?es express?ment il a d'abord minor et l'autre Donatus Donatus maior, employ? ce que les Grecs et r?ponses, le traitement dialecticismus, par questions qui apprend appellent aux novices leurs ma?tres ? interroger le soi-disant ; puis, analecticismus, aux ?l?ves destin? simple et succinct des r?sultats de la recherche, l'expos? et avanc?s. Le dialogue passait pour une forme particuli?rement p?dagogique affirmative. C'est pourquoi dans n?cessairement plus prolixe que l'exposition ? et ses d?riv?s, et rh?toriques du xne si?cle la ? prosopop?e les Arts po?tiques du discours direct et du dialogue, ?taient le plus souvent trait?es parmi figures ? de la litt?rature m?dio Parmi les ? classiques les proc?d?s de l'amplification. le plus c?l?bre d'une transformation ?labor?e du genus diege latine, l'exemple en genus dramaticon est sans doute l' uvre de Hrotsvitha de Gander maticon fonds hagiographique d'abord ? lamani?re des po?tes sheim qui traite lem?me ? de T?rence9. De m?me, dans la flo ?piques, puis comme une ? imitation du xne si?cle, qu'on appelle ? juste titre aetas Ovidiana, raison po?tique plu sont n?s de l'intention fictions ou parodies sieurs imitations, travestissements, et consolateur le pr?cepteur de l'amour par des dialogues cr?ative de d?passer et dramatiques. la forme des Baudri de Bourgueil Ainsi, appliqua ?pistolaires ? des sujets qui ne provenaient du dialogue par lettres po?tiques, pas H?ro?des, d'Ovide. Un autre po?te se plaisait ? inventer un correspondant par r?pondant aux plaintes du po?te exil?. En outre, comme il est g?n?rale des consolations ? du dites ment des ? com?dies admis ?l?giaques aujourd'hui, plusieurs xiie si?cle ne sont qu'une sorte de transposition dans de l'Art d'aimer d'Ovide ?10. lemode du dialogue, appel? ? dramatique 995

ORAL/?CRIT,

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sommes partis de l'id?e surprenante Nous que leMoyen Age f?t une ?poque sans dialogue id?e qui devient v?ritablement ; absurde, quand on consid?re encore la tradition la seconde moiti? du xie si?cle, comme intellectuelle. Depuis on sait, la dispute fit rena?tre une m?thodologie pro hell?niste, dialectique est un dialogue fond?ment toute pens?e selon laquelle int?rieur, agonale, et Aristote, lui-m?me selon Platon du penseur obtenu, par un d?doublement et la confrontation in utramque l'acheminement de la connaissance, permettant des diverses faces d'une pens?e, gr?ce au d?bat avec autrui ou ? d?faut, partem avec soi-m?me. La disputatio s'est dite scolastique, issue de cette conception, comme le moyen de communication le plus rationnel jusqu'? d?velopp?e ? capable de r?soudre devenir le seul ? instrument les probl?mes quasiment et herm?neutiques les plus ardus. Malgr? certains exc?s de logique scientifiques formelle, exag?r?s ? dessein dans la critique humaniste jusqu'? nos jours, le de la disputatio dans ses disciplines la philoso perfectionnement originelles, sur d'autres branches son rayonnement et la jurisprudence, la th?ologie phie, comme un du savoir, y compris litt?raire, peut ?tre consid?r? l'argumentation La disputatio est d'ailleurs rest?e tr?s courante triomphe de la forme dialogu?e. sous et a surv?cu jusque dans nos institutions ? la Renaissance acad?miques de la ? soutenance de th?se ?, probablement forme, par exemple, parce que son n'a pas perdu son actualit?. Il signifie que l'acte m?me de principe ?ristique ni dans la m?ditation penser ne s'accomplit solitaire, ni dans la lecture huma d'auteurs absents ou morts, mais bien dans une v?ritable niste, en compagnie controverse et pr?sents, orale avec des partenaires vivants luttant ensemble pour trouver lemeilleur argument. Ces consid?rations g?n?rales ne convaincront gu?re ceux qui ne croient pas ? ? avant la Renaissance. une ? culture dial?gale Ils objecteront que l'enseigne ? aussi bien que la quaestio dis ment par questions et r?ponses de ? cat?chisme sont des formes particuli?rement putata d?g?n?r?es du vrai dialogue scolastique : un et que l'emploi universel de la forme dialogu?e trahit sa v?ritable nature au service du ? discours ?. Le vrai dialogue, instrument autoritaire simple ? disons plut?t le dialogue id?al, auquel ils font r?f?rence est ? philosophique au sens socratique : c'est la commune recherche de la v?rit? par des sujets sans avoir recours ni ? la force ni ? la ruse ni ? l'argu ?gaux, qui s'entretiennent ment si la p?dagogie elle est ?clair?e, puis d'autorit? ; et m?me intervient, l'autonomie intellectuelle de l'?l?ve, et finit n?cessairement qu'elle engendre les ultimes par rendre superflu l'apport du ma?tre. Selon une opinion r?pandue, ou Bo?ce, et les se trouvent chez saint Augustin traces anciennes de ce dialogue premiers signes de son retour, apr?s le grand vide du Moyen Age dogmatique, au xive si?cle. Il serait hors de dans les imitations humanistes de Cicer?n du meilleur ancien ? la propos de nier la red?couverte dialogue philosophique J. Wilson, Renaissance. Kenneth vient de publier le plus important travail qui n a sur le dialogue de la Renaissance tr?s bien montr? que la nouvelle forme dia des humanistes, logu?e convaincante, plus souple, qu'il appelle plus ? pe?rastique ?, donc tentative, pour la distinguer exp?rimentale, sp?culative, et ?ristique des ?coles, est un accomplissement du mode didactique particulier une mimesis dans l'art de repr?senter la subjectivit?, de l'introspection, ? imitation of the interior world of thought and emotion ? (p. 179) ; en mais, m?me temps, qu'il ne s'agit l? que d'un type particulier du dialogue, achev? par?ISJO

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LE DIALOGUE LATINM?DI?VAL

Thomas More, Giordano grands auteurs comme P?trarque, quelques ?rasme, en usage, par et que d'autres Bruno types bien plus conventionnels toujours avec ces chefs-d' uvres du coexistaient scolaires, exemple dans les pratiques une sorte de substrat naturel ou de sol v?g?tal. et m?me en formaient dialogue De l'autre c?t?, comment d?cider de l'absence de tout dia pouvons-nous au moins au Moyen avant d'avoir fait logue selon ce mode socratique Age, des dialogues m?di?vaux ? Car, il se peut qu'on ait in?quitablement l'inventaire uvres les plus les exemples les plus m?diocres du Moyen compar? Age aux lire plusieurs achev?es de la Renaissance. beaux livres sur le Or, nous pouvons de la Renaissance12, il n'y a pour ainsi dire pas de travaux sur le mais dialogue bien que les appels ? ?crire son histoire litt?raire n'aient dialogue m?di?val, de la fondateur par ceux de Ludwig Traube13, jamais fait d?faut, ? commencer et de Martin Grabmann14, latine du Moyen Age en Allemagne, philologie pion comme nier de l'histoire de lam?thode la disputatio scolastique, qui consid?rait un sous-genre On restreint de la cat?gorie bien plus vaste du dialogue m?di?val. est un des rares ici sur les causes de cette lacune. Hans Walther pourrait m?diter ?rudits qui ait ?tudi? un domaine particulier du dialogue litt?raire latin. Dans sa th?se sur le d?bat po?tique de 1913 15, il dit que le pr?jug? des humanistes qui a de dialogues fait croire ? la p?nurie m?di?vaux tient surtout au fait qu'on conna?t si mal l'immense litt?rature latine in?dite et qu'il convient, par cons? de forcer l'?dition des textes pour arriver ? une appr?ciation quent, plus ?qui ans de recherches philologiques, table. Aujourd'hui, apr?s plus de soixante-dix non pas d?valoriser : en effet, bien ce jugement, mais le compl?ter j'aimerais ne puisse ?tudier que dans des manus existe de tr?s bons dialogues qu'on qu'il il est tout aussi vrai que c'est moins crits et de vieilles ?ditions, la p?nurie que le et imprim?s qui ont emp?ch? foisonnement inqui?tant de dialogues disponibles ce qui a l'apparence d'un genre litt?raire, leur ?tude. En abordant l'?rudit se trouve aussit?t confront? ? un oc?an de textes de toute nature, dont la plupart ne sont li?s que tr?s superficiellement la par ce proc?d? quelconque qu'est ? des questions et r?ponses. forme ? ?ratopocritique se trouve dans une situation curieusement Le m?diolatiniste oppos?e ? celle Peter Lebrecht du sp?cialiste du latin patristique. Schmidt16, qui, ? mon avis, a ?crit l'?tude la plus approfondie chr?tien de l'Anti qui existe sur le dialogue sur le m?me quit?, a rendu compte du livre de Bernd Rainer Voss sujet, lui d'avoir les dialogues reprochant philosophiques ?puis? d'inspiration platoni de Minucius Felix ? Augustin, bien que dans l'ensemble cienne ou cic?ronienne comme d'?minentes de la production de dialogues, ils apparaissent exceptions, et des dialogues et, ? l'inverse, d'avoir n?glig? l'immense majorit? didactiques doctrinales de l'?glise ancienne, des controverses qui sont, le plus souvent, des sans ambition textes d'usage de cette cri litt?raire. Peu importe le bien-fond? au Moyen il suffit de se repr?senter liste des l'interminable Age, tique. Quant alt er cationes, controversiae, collationes, dialogi por disputationes, colloquia, tant sur des sujets politiques, etc., pastoraux, th?ologiques, p?dagogiques, de Migne, m?me en se limitant aux seuls textes contenus dans la Patrologie pour se sauver du r?gne de la se demander, tout au contraire, s'il ne vaut pas mieux en faisant un tri selon la qualit? litt?raire, ce qui reviendrait ? ?liminer quantit? et ne la masse des dialogues impropres, qui ne partent pas de vrais probl?mes rien ? ?tre traduits sous forme de trait?, et ? se concentrer unique perdraient 997

ORAL/?CRIT, ment

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? au sens large du ? dialectiques des dialogues propres, autour d'une probl?matique et d'un vrai conflit. On mot, qui s'organisent certes, discuter ce crit?re de choix ; il a au moins pourrait, l'avantage de contre ? ne comparer balancer la tendance g?n?rale des sp?cialistes de la Renaissance et colloques les plus terre ? terre du Moyen Age scolaires que les cat?chismes aux grandes ou de saint imitations humanistes de Cicer?n des dialogues ! Pour nos Mais laissons les questions de m?thode Augustin. pr?liminaires besoins actuels il suffit de savoir que le moment n'est point venu de porter des sur la tradition avant du dialogue la Renaissance. jugements synth?tiques sur un exemple concret, sur un seul texte, J'aimerais plut?t attirer l'attention fort original, tr?s peu connu, et dont l'analyse d?taill?e peut prendre ? contre ?. pied la th?se du ? Moyen Age sans v?ritable dialogue Dans la derni?re d?cennie du xne si?cle, Evrard d'Ypres, moine cistercien et entre lui de droit canon ? Paris, ?crivit un curieux dialogue ancien professeur m?me et un certain Ratius pour d?fendre lam?moire de son ma?tre aussi c?l?bre Selon des normes de la Porr?e, mort ?v?que de Poitiers. que contest?, Gilbert ce Dialogus Ratii et Everardi11 litt?raires et p?dagogiques, est sans doute un sur l'art indications parfait. En outre, il contient plusieurs th?oriques dialogue en dialoguant. A premi?re vue il repr?sente un m?lange de genres, ? d'enseigner vrai dire impossible selon toute norme humaniste, combine le style de puisqu'il avec la quaestio disputata et celui du dialogue la com?die de T?rence cic?ronien sur la minorit?scolastique.

Les qualit?s litt?raires de l' uvre n'ont l'attention pas re?u jusqu'ici le conflit doctrinal parce que son sujet principal, qu'elles m?ritent, peut-?tre en ?clipsait tous les autres aspects. Un entre Gilbert et Bernard de Clairvaux, historien de la th?ologie, Nikolaus grand qui a lem?rite d'avoir ?dit? ce H?ring, texte en 1953 et d'en avoir identifi? l'auteur en 1955 18,y vit la source la plus non ?crite ? du th?ologien la ? doctrine riche de ce qu'on pourrait appeler aux philologues il conseille n?anmoins Gilbert de s'attacher aux structures lit ; t?raires de ce qui, selon lui, est une pi?ce de th??tre ? lire qu'on aurait pourtant en sc?ne19. L'auteur les probl?mes pu mettre y a en effet dramatis? th?oriques afin de les rendre plus intelligibles et afin de mieux d?fendre la position de Gil son uvre ressemble au lointain mod?le bert. Ainsi de Platon, qu'il ne connais sait pas, puisqu'elle r?unit l'apologie d'un d?funt, philoso l'historiographie phique et lamise en sc?ne d'une pens?e. Parmi tous les textes dialogues du Moyen Age que j'ai recueillis jusqu'ici, je n'en connais pas de plus rafra?chissant par son art du ridentem dicere verum. Le lecteur moderne est souvent intrigu? par 1'? alt?rit? ? que repr?sente cet acte de balance continuel entre le s?rieux th?ologique et l'humour po?tique. Le pro en est une dilatatio materiae toute particuli?re. c?d? dominant Elle consiste ? retarder sans cesse le sujet principal par d'interminables (et m?me digressions sur la nature de la digression) par des digressions qui cr?ent une sorte de sus les lois des genres officiels de pense, et, en m?me temps, transgressent gaiement Cette m?thode fait penser ? ? Tristram l'expos? th?ologique. Shandy ?, ? ? Jacques le Fataliste ? ou au ? Nom de la Rose ?, dont l'auteur, ? mon avis, a ?t? un des rares connaisseurs et probablement le seul imitateur moderne de cetexte.

Il est significatif 998

que, dans

l'unique manuscrit

subsistant

du Dialogus,

apr?s

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LE DIALOGUE LATIN M?DI?VAL

un glossateur le premier quart de l'ouvrage20, ait ?crit en marge cet avis au commence lecteur : ? Si tu es press? d'arriver aux solutions des probl?mes, ici et saute le reste ! ?. Nous n'allons pas suivre ce conseil, mais plut?t nous sur ce que les th?ologiens21 : sur l'aspect litt?raire de concentrer jugent superflu cette ? com?die est pleine de saillies sc?niques, de subtiles ?, qui th?ologique et de brillants citations Si je dis ? aspect litt?raire ? jeux de mots. parodiques cela implique justement que le texte lui-m?me n'est pas proprement litt?raire. Il on a l'habitude ? ce que, par commodit?, la ? litt?rature appartient d'appeler ?. Ceci nous met dans un certain embarras, pourtant didactique digne d'?tre Le Moyen pas Age, qui ne partageait exprim? pour des raisons de principe. uvres litt?raires ?trangers notre vision de litt?rature, nous a laiss? des chefs-d' aux canons officiels de la philologie latine du Moyen les n?gliger Age. Faut-il nos sp?cialisations ? Ils pour la seule raison qu'ils d?passent postm?di?vales sont au contraire un bel enjeu de l'esprit d'interdisciplinarit?.

L'intention

d'une

uvre

D?s sa quinzi?me ann?e il fut Evrard est n? vers 1120 ? Ypres en Flandres. l'?l?ve de Gilbert de Poitiers. C'est ? Chartres les arts lib? qu'il ?tudia d'abord raux chez ce ma?tre, qui, alors, approchait Il l'accompagna de la soixantaine. ? en et de th?ologie. Quand, Paris en 1141 pour y suivre ses cours de dialectique devenu ?v?que, dut se retirer de l'enseignement, Evrard le suivit ? 1142, Gilbert, son ma?tre ? Bernard Il devint t?moin du fameux conflit qui opposait Poitiers. au concile de Reims en 1148 et il resta avec Gilbert de Clairvaux jusqu'? sa mort en 1154. Nous et o? Evrard a re?u sa formation de juriste. quand ignorons intitul? Summula Quoi qu'il en soit, en 1181, il a ?crit un trait? de droit canon, du reste lui aussi r?dig? en forme de dialogue. Dans decretalium quaestionum, de cette uvre22 il se pr?sente le prologue lui-m?me par cette description qui ? sa formation de ma?tre et ?rudit parisien qu'? attache bien plus d'importance : son ?tat de moine de ClairvauxEverardus lium studio natione artium Yprensis, et disciplina professione scholari monachus aliarum sed Claravallensis, facultatum Parisiensis. libera

Il a d? recevoir une longue et vaste ?ducation, ? devenir qui le pr?disposait ? savant et orateur ?, ou comme il se d?crit lui-m?me par le truchement de son :un ? eminent professeur et un pr?dicateur interlocuteur ?23. ?loquent A mots couverts il se vante aussi de ses dons po?tiques, cite l'?pi puisqu'il de Gilbert qu'il pr?tend avoir compos?e (p. 252, 3). Il ironise taphe m?trique sur le double office de l'Art po?tique et utile ? : puisqu'il est d'?tre ? plaisant ? moine et non po?te ?, il peut ?tre, sinon plaisant, du moins utile et les deux ? envers lui-m?me24. Evrard se montre la fois, sinon envers autrui, du moins fier surtout de savoir ?crire ? des satires d'une mordante ?l?gance ? ; c'est du ? le fr?re B. ?, apr?s avoir lu leDialogus ce que loue son correspondant, moins il l'art de la satire : en termes analogues Ratii25. Everardus y d?fend lui-m?me vante la politesse de l'?l?gant satyricus Horace (p. 258, 8), laissant entendre que en ?pargnant sa pol?mique veut attaquer les personnes. Dans un les d?fauts 999

ORAL/?CRIT,

2

fier du courage de savoir petit autoportrait ironique (p. 277, 3) Evrard semontre : l'adulation et dire la v?rit? en se d?clarant exempt de deux vices particuliers mais il ajoute que, selon Horace, les sots, en ?vitant certains vices, ; l'hypocrisie ou plut?t de tombent dans les vices oppos?s, fa?on indirecte de s'accuser, s'excuser, du tranchant de ses attaques. Car Evrard fait partie de tout un groupe id?olo de ? gens de lettres ? ou ? ?crivains engag?s ? qui, dans les controverses au service des grands ma?tres leur verve pol?mique giques du xiie si?cle, mettaient novateurs. Sous diff?rents aspects, il ressemble ? B?renger de Poitiers26 qui, pres qu'une g?n?ration plus t?t et dans la ville m?me de Gilbert, avait lui aussi attaqu? Bernard de Clairvaux, mais pour d?fendre Ab?lard, par tous lesmoyens de l'exa Il devait confesser plus tard que c'?tait surtout le plaisir g?ration pamphl?taire. litt?raire d'un jeune ?tudiant de donner libre cours ? sa virtuosit? de ? d?clama et ?mettre son talent ? teur ? d'?cole qui l'avait amen? ? sauter sur la circonstance controverses Saint Bernard n'a pas seulement soulev? d'importantes l'?preuve. doctrinales mais il a aussi, sans le vouloir, f?cond? toute une litt?rature satirique. Pour revenir ? Evrard, il dit dans son dialogue (p. 287, 1) qu'il a ? vieilli ?. Cet homme dans le Studium litteraturae de lettres avait en effet environ ans quand il ?crivit son Dialogus entre 1191 et 1198, apr?s soixante-dix Ratii, des ann?es d'enseignement dans ? Paris. Un peu plus t?t il avait fait profession comme tant d'autres magist ri du reste qui s'assuraient l'ordre cistercien, ainsi et la mort27. Ce qui est pourtant contre la vieillesse c'est qu'il est entr? ?trange, au couvent fond? par saint Bernard ? son lieu d'origine. A Clairvaux le donc, on s'en doute, eut des difficult?s de Gilbert, Elles for disciple d'adaptation. ment un th?me essentiel de notre dialogue. En derni?re le Dialogus instance, Ratii dans l'apologie de Gil s'inscrivant repr?sente une apologie personnelle bert. Evrard se d?crit lui-m?me par la voix d'un interlocuteur (p. 287, 1) comme ? et un homme qui ? n'a rien fait d'autre de sa vie qu'enseigner et apprendre avec des moines ? la fin de sa vie, est forc? de composer semblent avoir qui, qui ? fait v u de n'enseigner ni d'apprendre quoi que ce soit ?, des moines qui ? pr?f?rent le voir couper du bois que de l'entendre r?soudre des probl?mes ?. Mais se d?fend contre certains avant tout Evrard complexes th?ologiques confr?res de de son amiti? pour le plus invincible adversaire qui s'indignent et qui, a priori, saint Bernard d?testent les subtilit?s de la ? grammaire ?. Pouss? envers son ma?tre, d?funt par une loyaut? in?branlable sp?culative le style de pens?e et d'enseigne ans, il cherche ? en justifier depuis quarante et ? propager les doctrines cister ment, porr?taines jusque dans les couvents au ciens. D'autre ? l'ignorantisme, adverses, part, il s'en prend aux positions avec des pointes et ? la paresse d'esprit, et des sarcasmes annon dogmatisme est celui d'un d'Evrard ?ant ?rasme. N?anmoins, personnel l'engagement ? de l'?cole et du clo?tre ?, qu'il conna?t entre les deux milieux m?diateur en sa double fonction de vir utriusque vitae (p. 288, 5). d'exp?rience,

Un dialogue

po?tique

Avant d'en venir ? l'analyse du Dialogus dans la tradition litt?raire, j'aime un d?tail codicologique. rais mentionner Le seul manuscrit subsistant de notre des gloses marginales, date du d?but du xnie si?cle. Il vient texte, qui comporte 1000

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de la cath?drale de Cambrai et il est toujours conserv? ? la biblioth?que munici un recueil d'auteurs Il contient surtout pale de cette ville28. eccl?siastiques, et d'Hildebert des xie et xne si?cles allant de saint Anselme de th?ologiens ce Lavar din ? Rupert et Hugues et Richard de Deutz de Saint-Victor. Dans la diversit? des ?coles et leurs recueil, probablement compos? pour documenter on avait ins?r? trois textes constituant un ensemble controverses doctrinales, Evrard en est soit l'auteur, soit le destinataire. Ils traitent tous du homog?ne. nous et Gilbert. D'abord m?me qui ont oppos? Bernard sujet : des probl?mes au pape Urbain III (1185-1187) lisons une courte lettre d'Evrard adress?e erreurs sur la Trinit?, certaines demandant fin par une d?non?ant d'y mettre Ratii dont nous allons d?finition ; suit un long texte : leDialogus dogmatique ?crite par un lieu, sur trois folios, une lettre ? Evrard, parler et, en troisi?me lemoine d?sign? par l'initiale B (fr?re B.) qui demande inconnu, correspondant sur ce qui pr?c?de, Il est donc la lettre au pape et le dialogue. des explications li? par des r?f?rences ?vident que ces trois textes forment un dossier homog?ne il est peu pro internes. En raison de certaines incoh?rences chronologiques, bable que la lettre au pape ait ?t? exp?di?e et le caract?re manifestement fictif eu s'il avait r?ellement du dialogue lettre fait ?cho, comme auquel la troisi?me lieu, nous permet de supposer que la composition tripartite dans son ensemble est une fiction litt?raire, peut-?tre m?me ?crite d'un seul jet29. On peut imaginer a voulu imiter de loin le c?l?bre mod?le de Sulpice S?v?re qui avait qu'Evrard de trois genres d?fendu la m?moire de saint Martin par un arrangement se serait : l'historiographie, et le dialogue. Evrard diff?rents P?pistolographie : prendre le pape ?ventuelles lui ainsi abrit? des critiques par trois moyens comme destinataire lettre ;mettre de la premi?re les id?es les plus os?es m?me la bouche d'un tiers interlocuteur instituer un correspondant dans ; enfin, seulement qu'il est un confr?re de l'auteur. Quoi qu'il inconnu dont on apprend en soit, du point de vue stylistique, le dossier trois variations du comporte en stylus grandiloquus oratoire solennelle adress?e m?me th?me : l'ouverture au pape, entre amis dans le stylus humilis et famili?re la simple conversation ?crite dans le stylus l'invective de la troisi?me lettre, ouvertement sarcastique, une sorte d'?pilogue. Du reste, m?dius de la satire et formant en m?me temps une unit? de ext?rieurement jusque dans la forme, ces trois textes constituent commencent le dialogue, tous, m?me par une formule de salu genre, puisque : Suo suus). Par ailleurs, du dialogue les deux tatio ?pistolographique (d?but comme une sorte de dia ?tre consid?r?es derni?res pi?ces du dossier peuvent le dialogue d'Evrard logue continu. Car le fr?re B. de la lettre finale continue ce qu'il a lu comme un interlocuteur absent qui commente, critique et compl?te ? la poursuite du dia et qui, en fin de compte, demande ? participer prochaine et d'Everardus. Dans une sorte de ? feedback ?, il repr?sente logue de Ratius les lecteurs r?els d'Evrard du lecteur id?al guidant ainsi la fonction d'Ypres. de la partie centrale de la collec Nous allons nous occuper principalement En obser vou?e ? la d?fense du th?ologien Gilbert. tion tripartite du dialogue de d?celer les mod?les vant certains d?tails de la mise en sc?ne, nous pouvons ? du Moyen des ? dialogues dans la plupart l' uvre. Comme introspectifs ? de saint des ? Soliloques le texte s'ouvre par une imitation combin?e Age30, ? de Bo?ce. Dans cet exorde typique31, le nar et de la ? Consolation Augustin son Moi tout d'abord dans le ? r?le de l'auteur ?. d?doubl? rateur introduit 1001

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Selon la classification dans les deux cas le genre litt? tripartite de Diom?de32, ? dramatique raire n'est donc pas purement ?, combin? avec le ?, mais ? mixte nette des parties dialogu?es. r?cit de l'auteur, bien qu'avec une pr?pond?rance a clairement Au xiie si?cle, un historien de Hirsau, de la litt?rature, Conrad : du dialogue33 il ?num?re trois personnes relev? ce point ; en parlant de Bo?ce, ? Le pauvre Bo?ce, et ? ?tre consol?, Philosophie qui console, qui demande ? augus Bo?ce l'auteur, qui parle de l'un et de l'autre ?. Dans les ? Soliloques tiniens il y a aussi une introduction narrative de l'auteur avant que le dialogues'amorce dans le genus dramaticon. De m?me Evrard commence par raconter

?. Le narrateur ne ce qui lui est arriv?, ou plut?t ce qui est arriv? ? ? Everardus bien qu'au cours du dialogue, jamais compl?tement, qu'il dispara?t d'ailleurs ses interventions se fassent de plus en plus rares. (Il va raconte en chroniqueur, imitant ainsi apart?s et les pens?es secr?tes d'un personnage, jusqu'? raconter com et Bo?ce la persona auctoris Chez Augustin monologues sc?niques34). mence par se plaindre de son malheur ou de son aporie. De m?me, dans leDia sur son propre personnage m?ditant tristement logus Ratii, Evrard pr?sente en faisant et l'id?al du monachisme, l'ab?me qui s?pare la r?alit? contemporaine d'un passage allusion ? cette m?me ? ?chelle de Jacob ? all?gorique, provenant de la r?gle b?n?dictine, qui a d?j? servi de point de d?part au trait? de saint Ber nard ? sur les degr?s de l'humilit? et de l'orgueil ?35. Dans la tradition augusti ce Moi de l'auteur rencontre alors une autre partie de lui nienne et bo?cienne, ? Philosophie ? une partie la Raison, id?ale ? Ratio chez Augustin, m?me, ou instruire l'?me accabl?e ou et ce ? sur-moi ? vient consoler chez Bo?ce ? aux deux mod?les ? la nature confuse. m?lant de ce Compar? subjective ? docteur et transcendant, n? de l'id?e pla int?rieur ? un caract?re visionnaire se situe ? un niveau de style sensible notre dialogue tonicienne de l'anamn?se, : le sosie fictif d'Evrard ment inf?rieur qui porte le nom masculin l?g?rement est priv? de tout rayonnement Il ressemble de Ratius parodique sup?rieur. ? Philosophia ? Bo?ce moins d'un autre dialogue bo?cien, qu'au personnage sur les Isagogues de Porphyre36, s'entre lui-m?me, qui, dans son commentaire tient avec son jeune ami Fabius pour l'initier aux ?l?ments de la dialectique, des longues heures hivernales. profitant son ancien condisciple Selon la fiction, Ratius est l'?gal de l'auteur Evrard, un alter ego, autant au sens de l'amiti? qu'au sens de la dans l'?cole de Gilbert, Everardus repr?sentation souligne plus d'une fois qu'il ne autobiographique. fait qu'un avec lui, il l'appelle (p. 252, 5) ? mon cher ami de toujours, mais ? cause de ton amour pour ce grand homme (Gilbert), devenu encore bien plus ? (praecordialis cher et ins?parable et individuus). Ratius de son c?t? d?cline un d'Everardus les par un vers de Perse compliment (p. 228, 2) : ? Au public ! d?corations Moi je te connais ? fond et dans ta peau ?. Adpopulum phaleras. Ego te intus et in cute novi (Sat. 3, 30), ce qui laisse entendre que ces deux per si bien, s'identifient ? Evrard. En jouant sur les sonnages, qui se connaissent mots comme sa propre le narrateur caract?rise Ratius raison introspective secum ratiocinans. sur Le moindre rationabiliter doute 258, 3) : Ratius (p. l'identit? de Ratius nous est ?t? par un passage de la troisi?me pi?ce du dossier, la lettre du fr?re B. adress?e ? Evrard37 :Ratius tuus, immo ratio tua, signe sur clair du caract?re toute recherche historique fictif du dialogue, excluantl'ami d'Evrard.

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au On remarquera ici une subtilit? dans la formule de salutation ?pistolaire : Suo suus pulsanti d?but du dialogue vel leniter licet non leviter aperiri. Au d'une concision Evrard s'adresse ? un ami, qui n'est pas moyen extr?me, en lui disant en d'autres mots : ? Son ami ? (Evrard) ? ? son ami qui nomm?, un texte que les choses (on pense ? une porte symbolisant frappe, en souhaitant s'ouvrent doucement, sinon ? la l?g?re ?, ce qui rappelle lam?taphore difficile) ce v u d'un biblique dans :? ? qui frappe, on ouvrira ?38. On peut rapprocher enchant? de la r?conci passage de la fin du dialogue (p. 288, 5) o? Everardus, se d?clare pr?t ? mettre par liation finale, apr?s tant de divergences d'opinion, un ?crit tout ce qu'il a entendu et appris dans ce colloque. Il h?site pourtant r?flexions de Ratius pourraient sembler trop diffi peu, parce que les profondes :gravia forte nimis videbuntur ciles ? un lecteur mal pr?par? Ratius quaerenti. en citant la belle image du De doctrina l'affermit Christiana de saint Augustin pas ce qu'il a ?crit : en astro (prol. 3) ? l'adresse de ceux qui ne comprennent mais les ?toiles nomie, dit-il, il ne faut pas regarder le doigt lev? du professeur, Autrement elle-m?mes dit : lire n'est pas se laisser mener par des qu'il montre. se concentrer sur les choses mots soi-m?me ?crits, mais qu'ils d?signent. ? qui frappe ?, qui initiale ? un lecteur s'adresse donc actif L'opt?tio avec de v?ritables et l'auteur de son c?t? veut bien lui s'approche questions venir en aide par une certaine complaisance stylistique qui ne trahit pas la Le fr?re B. dans sa r?ponse39 la m?taphore de la porte en pens?e. reprend : ? Comme disant int?ress? ? te questionner, vieille Minerve je suis moi-m?me Ouvre la porte ? que tu es, tu devras, toi, te soucier de r?soudre les probl?mes... un fr?re et ami... Appelle Ratius, l'administrateur de ta maison (dispensatoremdomus tuae) et ouvre ton tr?sor, tire le verrou... ?

sur les implications reviendrons de ces passages Nous ; herm?neutiques il suffit d'en noter le caract?re du pour le moment, subjectif des personnages Il s'y joint un troisi?me person qui ne sont que des facettes d'Evrard. dialogue et lecteur frater B., pour former un trio d'amis qui com nage, le correspondant de l'auteur m?me. les diff?rents Le fr?re B. aspects de la personnalit? pl?tent : ? C'est une vieille sentence que semble d?voiler cette identit? en plaisantant40 aux amis. C'est pourquoi, sur notre amiti?, voire tout est commun comptant sur notre fraternit?, ou j'ai pris ton manuscrit (il s'agit de celui du Dialogus), notre manuscrit. te rends ce Voici pour parler correctement, j'ai pris plut?t je ?. Ecce ha bes quod chose t'appartienne pourvu que quelque qui t'appartient,tuum est si tarnen quicquam tuum est. Comme il l'avoue, le correspondant B.,

a d? s'emparer du manuscrit du Dialogue le m?me couvent, pour qui habite en citer certains passages. Il l'a fait pour la seule raison qu'Evrard, pouvoir le codex l'auteur de ce texte, n'a pas besoin de se d?ranger pour aller consulter ; ne teforte tui rev olutio fatigar etAl. On n'aurait gu?re pu trouver une voluminis en apparence d'un ouvrage pour excuser la publication fa?on plus sophistiqu?e d'autant plus que le dialogue ?crit pour le tiroir ou la r?flexion personnelle, par et et son confr?re, le dialogue d'Evrard lettres entre Evrard qui prolonge se situe ? un plus haut degr? de r?alisme. Le dialogue litt?raire, comme Ratius, d'un entretien r?volu qui sera lu par des lecteurs partout, mime l'enregistrement adress?e ? un absent et fait tandis que la lettre, elle, est directement inconnus, en ?tant le destinataire donc imm?diatement de cet entretien m?me, partie dans la situation le premier lecteur. Repla?ons-nous n?cessairement imaginaire 1003

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: le fr?re des deux moines par lettres dans lem?me couvent qui s'entretiennent celui qui a vol? ou emprunt? ledit manuscrit, maintenant le rend ? Evrard. B., Par allusion, il d?voile son identit? en disant qu'il ne fait qu'un avec son ami et il partage avec lui la paternit? de ce texte. que, par cons?quent, dans Ce jeu de masques d?voilant lemoi de l'auteur n'a rien d'exceptionnel : il ressemble la litt?rature des dialogues par exemple ? celui d'Ab?lard, qui, ou bien ? celui du juif et Abaelardus42, dans son Soliloque fait entrer Petrus d?crit sa propre conversion converti Petrus Alfonsi43, qui, dans son Dialogus, en faisant s'entretenir Mases, son nom chr?tien actuel. son nom juif, et Petrus, ou autobiogra Une du genre m?me du dialogue caract?ristique introspectif avec est d'ailleurs le paradoxe de Yavocatio-revocatio phique rh?torique de l'auteur tout en pr?tendant d?rober son sujet ? la vue des profanes, laquelle ne le traiter que dans l'intimit? de quelques ?lus, renforce par ce biais l'inten : rendre public un plaidoyer tion contraire convaincant. Cela devient particuli? rement frappant dans notre dialogue si l'on compare le passage final (p. 288, 5), o? Everardus pr?tend vouloir faire le reportage ?crit de l'entretien au profit des lecteurs, avec un passage du d?but (p. 248, 3), o? il prie son ami de bien garder secret tout ce qui sera d?battu ? et o? celui nolo omnia omnibus publicari ? ne promulguera ce qui est r?v?l? ? lui seul ci r?pond, sage indign?, qu'aucun ? sermo celandus est. ?tant donn? l'identit? autobiogra apud eum sepultus et de Ratius, c'en est un autre indice ironique touchant ? phique d'Everardus sans se l'aporie initiale de tout ?crivain jusqu'? nos jours : comment s'exprimer trahir ? loquar an sileam44 ? L'exorde de notre texte (p. 245) pr?sente une autre analogie avec la Conso une analogie m?dicale. Accabl? latio Philosophiae, par le choc des ?v?nements, Bo?ce souffre d'abord de la ? stupeur ? ou ? l?thargie ?, sympt?me physique ?. Sa consolatrice va successivement de son ? oubli de soi-m?me le gu?rir de ces maux du corps et de l'?me45. Or, dans notre dialogue, Ratius, qui commence ? ? sa mani?re, en plaisantant la m?dita ?, more suo iocose, critique d'embl?e tion obstin?e de son ami, en soulignant du Studium, les dangers physiques entendu au sens de : concentration aigu? ou tension extr?me de l'esprit. Selon ? le corps et am?ne YArs minor de Gal?ne46, cette attitude de l'?me ? dess?che le ? spasme ? ou la ? contraction des nerfs le mouvement emp?chant ? la joie humidifiante ?. Ratius comme antidote volontaire recommande ?, comme dit la r?gle m?dicale : ? toute affection puisque, except? la psychique, ?. Il est curieux que dans le plus c?l?bre texte pseudo-bo?cien du joie, dess?che la Disciplina de la fin du xme si?cle47, Bo?ce enseigne scolarium Moyen Age, exactement la m?me th?orie des complexions pour pr?venir l'?tudiant contre la accrue par le Studium solitaire et pour le diriger vers les doux plaisirs m?lancolie de l'amiti?, connus de lui-m?me, dans sa jeunesse, aux ?coles d'Ath?nes. En outre, ce passage de notre dialogue renvoie ? la l?gitimation prophylac a tique de l'humour par l'humidit? qui, du Moyen Age tardif jusqu'? Rabelais, envers constitu? le plus efficace ? l'encontre des pr?jug?s asc?tiques l'argument le rire et l'amusement48. Ceci permet d'en d?celer un sous-entendu ironique sermons contre la ?tait connu pour avoir fait de tonnants pr?cis. Saint Bernard et troisi?me degr? levitas et Y inepta laetitia (frivolit? et gaiet? inepte), deuxi?me de l'orgueil selon le trait? ? Sur les degr?s ?49. Evrard semble renverser ces et surtout lenitas ? la place de levitas. concepts, pr?ne iocus, gaudium puisqu'il 1004

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les lignes il se moque plut?t de Y inepta m?dit at io que de Y inepta laetitia dans des termes analogues ? la (p. 245, 1). En outre il d?finit le Studium maladif d?finition de consideratio, donn?e dans un autre ouvrage par saint Bernard c?l?bre, leDe consid?r?tione, pour distinguer parmi les genres de la m?ditation ? la pens?e intense ? la recherche de la v?rit? ?50. M?me si ces coups d'?pingle tout lecteur de la premi?re page du Dialogus Ratii doit passaient inaper?us, et d?tendue et en le ton d'une d'embl?e conversation remarquer agr?able tant didactique deviner l'intention Ce ton persiste pendant que th?rapeutique. tout le dialogue. M?me devant les probl?mes les plus difficiles, Ratius refuse : ? Apprends, toute crispation dit-il ? son ami en citant Perse51, mais que de ton nez tombent d'abord la col?re et la grimace pliss?e ?, sed ira cadat naso sanna. Une des derni?res l' uvre caract?rise rugosaque phrases du dialogue ? C'est : enti?re dans le sens du ? gai savoir ? (p. 286, 6) Mosest Graecorum... au s?rieux et l'inverse la fa?on des Grecs de toujours joindre la plaisanterie ; et ? Notons encore que les premi?res hoc causa recreationis. th?ra dispositions semblent une fois de plus transposer la Consolation prises par Ratius peutiques de Bo?ce sur le mode inf?rieur du comique. Au fur et ? mesure, par des ques ou simplement tant?t apaisantes tions adroites, tant?t provocantes, derivatives, sait motiver le ? patient ? pour qu'il se d?cide enfin ? exposer Ratius logique ses probl?mes et selon la thesis, c'est-?-dire ment ? r?v?ler sa selon Y hypothesis son mal personnel causa doloris, concret qui est sa d?sint?gration dans le cou une th?se th?ologique de Gilbert incri vent, et ? articuler sa quaestio principale, min?e par les cisterciens52. iocosa et seria ? Tout connais Qui sont ces Grecs qui savent si bien m?ler seur de la plus c?l?bre com?die du xne si?cle, du Geta de Vitale de Blois53, com savait imm?diatement ?tait la studia, par :Grecorum que la Gr?ce men?ant celui des grands ma?tres de d'un milieu intellectuel, scolastiques, m?taphore et d'Aristote. de Platon Paris ou ailleurs, D'autre inspir?s de la philosophie le fondateur de la part, selon une anecdote r?pandue dans les accessus Boethii en Occi le plus important m?diateur de la logique grecque logique ou plut?t dent, Bo?ce, passait pour avoir ?tudi? pendant presque vingt ans ? Ath?nes54. ses ?crits ? commenter sacra de on sait, Gilbert les opuscula Comme vouait la plus admir?e55. Rien n'est donc Bo?ce qui ?tait pour lui sans doute l'autorit? d'une Gr?ce acad? plus naturel que de recourir ? l'imaginaire g?ographique sur la doctrine porr?taine. mique pour localiser un entretien va nous d'autres d?tails Le portrait fantaisiste de Ratius apprendre d'Ath?nes. Sa m?re, Ratius est originaire s'appelle Ratio Athe (pp. 251-252). niensis et sa s ur Sophia. C'est la famille des ? sagesses ? r?unies. Or Ratio a chez le c?l?bre Gilbert. suivi le conseil de Sophie et l'a envoy? ?tudier en France, lamort du grand homme, Ratius est rentr? en Gr?ce plein de d?go?t pour Apr?s ? (g?rrula Francia). La et l'ignorance des ? fran?ais bavards l'ingratitude est aussi celle de la logique. Gilbert, s'il avait v?cu en de Ratius dit-il, patrie en passant serait plus c?l?bre que Platon m?me. que c'est Gr?ce, (Notons ? par antinomase, et non Aristote Platon qui figure ici comme ? le philosophe ce qui peut s'expliquer de l'?cole de Chartres, par le platonisme repr?sent?e par ou bien simplement par la formule consacr?e Aristoteles Gilbert, philosophus, et non pas philosophe.) ?tait th?ologien Gilbert Plato puisque theologus, avec lui se consoler d'avoir chez lui, Ratius peut au moins Rentr? transport? Entre 1005

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un tr?sor qui le rend plus riche que Cr?sus (p. 252, 1). tous les livres de Gilbert, nous nous l'avons dit, est un succ?dan? de la parole vive. Comme L'?criture, : la biblio encore sommes dans le pan?gyrique, une autre conclusion s'impose uvres compl?tes de Gilbert, les bien que r?duite, suffit ? remplacer th?que des car Gilbert de poss?der une ?crits d'innombrables avait la r?putation auteurs, sources confirment m?moire litt?raire extraordinaire. Plusieurs qu'il passait ?. Ratius ambulante le rappelle en faisant pour une sorte de ? biblioth?que allusion ? un prologue de Gilbert56 dans lequel lema?tre s'est d?fendu contre le ne puisse : celui-ci, n'a pas ?crit un mot d'h?r?sie soup?on dit-il, qu'on ? ; il a tout ? vol? aux retrouver des livres authentiques dans ? l'oc?an ? ce qui, ? premi?re vue, aurait pu sembler invent? par lui-m?me. Il va autorit?s un reproche de manque sans dire que ce qui appara?trait aujourd'hui d'origina une louange du g?nie mn?monique lit?, ?tait, dans cette perspective m?di?vale, ? intertextuel ?. et de son accomplissement sau est donc all? ?tudier en France et, d??u, s'est r?fugi? en Gr?ce, Ratius vant le patrimoine ordi litt?raire de Gilbert. Ainsi, la g?ographie symbolique naire est satiriquement la direction normale de la translatio retourn?e, puisque il y a peut-?tre une raison his studii va de l'est ? l'ouest. Pour ce renversement savons qu'au cours des derni?res tentatives occidentales torique pr?cise. Nous Ier avec l'?glise byzantine d'union orthodoxe, reprises par l'empereur Fr?d?ric dans la seconde moiti? du xne si?cle, tout un corpus de textes th?ologiques de la doc grecs traduits a ?t? apport? ? l'ouest pr?cis?ment par des d?fenseurs trine de Gilbert, Ils cherchaient ? r?habiliter certaines de ses par des porr?tains. en faisant appel ? des parall?les et analogies th?ses contest?es dans les textes des d?couverts57. Il se peut donc que, par son d?cor hell? p?res grecs nouvellement d'autant nisant, Evrard veuille se r?f?rer ? ces tendances, plus qu'il cite comme autorit?s pr?f?r?es de Gilbert les p?res grecs Basile, Eus?be et le Pseudo-Denis (p. 252, 1). Ratius revient en France pour v?rifier si Apr?s des ann?es d'exil volontaire, son vieil ami la situation des ?tudes s'est am?lior?e. C'est ainsi qu'il rencontre en un endroit idyllique, d?crit en d?tail selon le ? topos ? du pr?s du couvent, en se locus amoenus leur entretien (p. 251, 10). Les deux amis commencent mettant dans l'herbe au pied d'une colline ombrageuse le temps des pendant se revoir iuxta scriptorium Le lendemain moissons. in (p. 258, 2) ils veulent lieu classique des colloques des villas par Yotium pomerio, agr?ment?s se romaines58 ;mais h?las, la lune a chang?, donc il pleut, et les amis doivent retirer dans une sorte de grange ouverte, d?finie avec une pr?ci ironiquement : tectum omni pa?ete sion technique d'un dictionnaire destitutum digne lieux velexedra vocandum. Dans ces diff?rents ideoque non domus sedsynedra nos protagonistes sur les sujets le plus divers, allant de de campagne, disputent et ? la logique, mais aussi de la jurisprudence ? la l'?thique ? la grammaire : sur le d?clin sur un point et m?me ? la m?t?orologie. m?decine Ils s'accordent intellectuel la d?plorable de leur commun ma?tre. Dans un depuis disparition de Gilbert passage vou? ? la m?moire personnelle (p. 251 ss) le ton l?ger, g?n? se transforme en un style plus path?tique ralement observ? les rappelant de Sulpice S?v?re sur saint Martin. Apr?s ce passage quasi hagiogra dialogues une sorte de laudatio funebris, ?crit sur le mode mineur, le dialogue phique retrouve son climat ordinaire par une transition qui parodie les for l?g?rement 1006

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en y m?lant un sens intellectua mules consacr?es de la consolation chr?tienne liste (p. 252, 3-5). Ratius commence ? pleurer, ce qui contredit le sens profond, : Rati, de son nom. Everardus le corrige irrationabiliter ?tymologique flere Il vaut noli. Les larmes ne servent ? personne, ni au d?funt ni aux survivants. : ? Gilbert se ressaisissant, mieux n'a pas prier pour son ?me. Ratius, pr?cise a pass? des ?nigmes de la th?ologie besoin de nos pri?res puisqu'il ? la vision mais lemonde entier qui survit, priv? des lumi?res de son enseigne beatifique, ?. est bien ? plaindre ment, :Davus, Ratius est accompagn? Il sou de trois serviteurs Byrria et Sosias. ce sont l? de vrais noms grecs, m?me si Everardus les a ligne (p. 251, 2) que lecture de T?rence ? l'?cole latine. On imagine l'auteur appris de sa premi?re cligner de l' il en signalant ainsi son int?r?t pour le genre comique et en faisant au caract?re Un peu comme dans le Deca allusion fictif de ses personnages. c'est un accident ou un ?v?nement ext?rieur de la nature physique meron, qui et le loisir n?cessaire du dialogue donne ? la fois l'occasion (p. 251) :Ratius ne son voyage parce que son valet Sosias s'est malencontreusement peut continuer trouv? derri?re un cheval regimbant qui lui a cass? la jambe et qu'il a besoin de dure donc deux semaines ; il est sans cesse quinze jours de repos. Ce dialogue par les nuits, les repas, les heures liturgiques et il change souvent de interrompu son ma?tre lieu. Le malheureux Sosias n'est pas un serviteur ordinaire. Quand est oblig? de s'absenter pour un moment il peut le remplacer et (p. 283, 11-12), tout seul l'entretien, continuer aussi ?pineux qui porte alors sur un probl?me de la v?rit?. Everardus ? discuter avec celui que la d?finition r?pugne d'abord que ce serviteur est en qu'il croit un ? vil la?que illettr? ?, mais il doit apprendre et que de bons arguments restent bons, qui r?alit? le neveu ?rudit de Ratius est au-dessus les expose. Ratius lui-m?me de toutes les distinctions conque un philosophe venant d'un pays utopique. Il est simplement sociales. C'est ce sage universel sans habit ?, appar est appel? aussi ? un vrai moine pourquoi, tenant ? un ordre sup?rieur, d?passant le concept m?me d'ordre monastique, l'ordre qui r?gne dans les deux59. Ce qui est curieux, c'est qu'il est mari?. Son ? ? travers les Alpes lui envoie un messager ?, qui, pour des ?pouse lointaine raisons inconnues, le rappelle en Gr?ce et termine ainsi le dialogue (p. 282, 4-5). On peut y trouver une de ces fr?quentes allusions ? la com?die du ? Geta ?, et se de Vitale de Blois, pi?ce qui associe Paris et Ath?nes m?di?val, l'Amphitryon de certains contemporains entich?s d'une dialectique mal moque pr?somptueux, en mettant en sc?ne le ridicule personnage d'un servusphilosophus60. comprise, montre s'est propos? Ce que nous venons bien qu'Evrard d'esquisser et non pas une dispute scolas d'?crire un dialogue po?tique, quasi dramatique, tique selon les r?gles. Sans le savoir il a r?alis? ainsi une id?e fondamentale du dialogue d'Aristote, philosophique, employ? par Socrate, qui fait mention non pas dans la Rh?torique ni dans l'Organon, mais dans la Po?tique (1, ? l'imitation humain par le mime, du comportement 1447b), o? il le compare mimesis de ces ? l'?tat brut. Evrard a su rendre les diff?rents styles et habitudes dont Everardus, aime le genre fleuri et all?go par exemple, dramatispersonae, et la s?che et Ratius des cisterciens, les pointes du moraliste rique ? la mani?re resse du logicien. Les r?gles dont il a pu s'inspirer sont celles de la prosopop?e une th?orie des r?gles qui ins?rent en pleine rh?torique ?thop?e (conformatio), : l'art d'imiter l'action d'autres humains61. de la fiction dramatique 1007

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outre il semble qu'Evrard l'entretien ait essay? de combiner philoso de la rh?torique appelle phique avec ce que le chapitre des genera narrationis ? Yargumentum est d?fini ? la mani?re des com?dies ?62. Yargumentum comme ? la repr?sentation ni r?els, ni fabuleux, mais possibles, d'?v?nements ?. Car son ma?tre Gilbert, et cela dans un style simple et humble dans ses com ou de situation de mentaires de Bo?ce, avait ?num?r? trois types de conformatio : le fictive servant ? vivifier des id?es (rationes) dignes de m?moire63 dialogue ou Pro premier se trame dans un discours ? s?rieux ? comme Pro Sexto Roscio Marco Marcello de Cicer?n ; les deux autres naissent de l'exercice oratoire ou : les d?clamations du jeu po?tique et de S?n?que de Quintilien (se. Pseudo comme et les com?dies et S?n?que celles de M?nandre. Quintilien l'Ancien) ces formes sont appel?es ? des fictions qui auraient pu advenir ?, ce qui Toutes est litt?ralement la d?finition de Yargumentum. Pour ce qui est du niveau inf? rieur du style, Yhumilitas intentionnelle Evrard semble le distinguer sermonis, en se r?f?rant plusieurs ment fois ? la po?sie pastorale de Virgile, dont, par : ? Je te r?ponds il introduit des vers en disant rusticus rustico, exemple, comme un paysan (synonyme du berger po?tique) des Bucoliques r?pond ? un autre paysan ? (p. 278, 4). les de tous les mod?les litt?raires tant th?oriques que pratiques, Cependant, ? de sont de loin les premiers dialogues dits ? de Cassiciacum plus importants saint Augustin64 voire dont Evrard n'avait le c?t? familier, qu'? renforcer l'ancien las du grand rh?teur, geste de Yoratio Augustin, humoristique. continua solennelle des pan?gyristes, imit? les genres du y avait consciemment sermo quotidien, et les feux crois?s des le dialogue dit ? des villas ? de Cicer?n de Socrate, forme de la dis ?tablissant ainsi une nouvelle questions ma?eutiques simulatio id?al de la spontan?it? artis, l'art de cacher l'art, et un nouvel qu'il l?guait au Moyen Age. Evrard qui l'imite, ajoute ? son tour un accent particu ? d'une dispute entre bons amis li?rement celui de la ? camaraderie informel, non a iurgio, sed a ioco, qui savent se taquiner, se harceler qui s'approchent sans se blesser ses parties divertissantes, le Dialogus Dans m?me, (p. 245, 2). Ratii se fait peut ?tre aussi l'?cho des canulars usuels dans lemilieu estudiantin sans doute jusqu'aux des ?coles episcopales, des plaisanteries qui atteignaient sujets s?rieux trait?s dans les cours65. De toute fa?on Evrard vise soigneusement une noncha ? cr?er un climat de nonchalance. C'est une diligens negligentia, en citant Cicer?n66. lance soign?e, comme disait saint Augustin ne concernent La plupart des plaisanteries du dialogue pas le sujet, mais la forme de l'interaction. Ce sont souvent des critiques m?talinguistiques qui o? l'un des partenaires s'intercalent dans des passages justement s'appr?te ? entrer en mati?re ou ? s'enflammer alors lui fait L'autre pour un argument. sur l'attitude, : le fil en glosant les gestes ; par exemple la mimique, perdre Nescio ? Quam invitus accedis ! Quid quid cornicaris inepte ; Quid meditaris rides ?Flendum esset ;Nunc scio quod impatiens es irae. Quid tibi nuncpotius ? Quid taces ? Quid me inspicis ? Ces interruptions ont une valeur asthmatizas ; gr?ce ? elles le lecteur ne fait plus que lire ou entendre des sc?nique ?vidente : son imagination lui fait entrevoir des interlocuteurs, corps et ?me. paroles Un grand nombre de ces gloses m?talinguistiques de la rh?to proviennent mais leurs r?gles sont transform?es, rique ou de la dialectique, adapt?es ? l'art de la conversation et de la conduite. On pourrait ? partir d'elles d?duire ou 1008

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reconstituer certaines prescriptions de cette Ars dialogica67 dont leMoyen Age latin n'a pas laiss? de th?orie explicite et qui, probablement, ?taient compl?te ment orales. Reconstruisons-en ? partir de notre texte : Si on te quelques-unes dit un mot dont tu doutes, s'il est agr?able ou malveillant, il faut toujours le en bien est partem. Ne prendre (p. 245, 2), in meliorem interpretandum en commen?ant ton t'embrouille dans des questions pas inutilement d'?tiquette un moine comme celle de savoir s'il est permis d'appeler son nom discours par ou par son titre de f rater. Ne detineas diem vana loquendo commente Ratius en et pressant Everardus citant Ovide de revenir ? son sujet68. Il est grossier de ou de les d?tourner en en faisant un point du partenaire passer sur les questions ses propres pr?occupations de d?part pour d?velopper (p. 246, 10). Qui a une un argument sans h?te, patiemment, instantia, irr?futable, qu'il la propose et le modus modestement ; car le ton fait la musique loquendi de celui qui a raison pourrait para?tre arrogant et provoquer la r?sistance irr?fl?chie (p. 248, est le vice capital du dialogue 5 ss). A tous les ?gards l'impatience et, pour Ratius caract?rise l'?viter, il ne faut craindre ni les longueurs ni les r?p?titions. par un locus memo qui ne laisse pas finir de parler son prochain l'impatient : il devance rialis de Juv?nal69 la pens?e de l'autre et ? comme un troisi?me se nuit il tombe du ciel ? pour interrompre Caton le discours. Mais l'impatient ne sait pas attendre ? lui-m?me, le juste moment de la r?ponse ; il puisqu'il ? au chien de chasse trop avide qui croit pourchasser un semblable s'?gare verrat et ne trouve qu'un lapin ? (p. 265, 7). : il ne faut pas sournoisement Autre le code r?gle du dialogue changer : ? Voil? bien les Everardus les Grecs. Ratius attaque s?mantique. r?pond70 : des ruisseaux comme ! Ingrats, Latins leur source ton Virgile qui oublient :Laissons avec son Timeo Da?aos et donaferentes ! ?. Everardus cela, quod ! En d'autres dicitur pro poesi termes : ne prenons habeatur pas les poetice au pied de la lettre. Quand au d?but du dialogue Ratius po?tiques m?taphores t?che de retirer Everardus de son Studium, entendu dans le sens d'acharnement en invoquant, comme nous l'avons vu, la th?orie m?dicale des affec malsain, tions dess?chantes, celui-ci change de registre en opposant les paroles de saint ce qui n'est ?videmment Paul sur la joie de souffrir pour le Seigneur, pas une : ? N'enfon?ons Ratius hausse affection les ?paules dess?chante. pas de porte ouverte va de soi qu'Everardus a commis ce que la dialectique ! ?71, puisqu'il une deductio ce sophisme qui consiste ? sauter insensible ad absurdum, appelle ment d'un sujet ? l'autre en rempla?ant la conception de l'adversaire par une pour en tirer des conclu semblable, mais ?quivoque, apparemment conception sions ridicules72. est celle du silence, La r?gle d'or du dialogue l'art de savoir ?couter. Noli ? ne fais pas le corbeau ! ? (p. 252, 9) dit Ratius ? son ami trop corvizari, sur la fameuse en citant un vers d'Horace fable : si le corbeau man ; bavard, : et moins de querelle plus dapis et geait en silence, il aurait plus de nourriture minus l'un des plus rixae haberet (Ep., 1, 17, 50). C'est ainsi qu'il introduit t?che de l'interrompre et, quand Everardus ininterrompus, longs expos?s : Cito a promisso de silentio resilis. Enfin, (p. 254, 4), il soupire beaucoup en valeur la psychologie et la reparties dans le duel verbal des deux amis mettent refuse une d?duc ; par exemple (p. 250, 1), Everardus logique de l'interaction ? rebattue ? : tri ta teris. Mais : en l'appelant celui-ci r?plique tion de Ratius 1009

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? Doucement !Tu ne rougis donc m?me pas d'avoir ?t? r?fut?, mais par-dessus tu oses att?nuer mon argument le march?, afin d'avoir l'air d'avoir dit quelque chose ?... ut sic aliquid dixisse videaris. Everardus de son c?t? ne manque pas comme Ca?phe, tu as d'esprit, quand il s'exclame (p. 268, 1) : ? Tu proph?tises on sait au moins le contraire de ce que tu as voulu prouver ?. Comme prouv? sans le vouloir avait raison de dire ? il vaut depuis Ab?lard73, Ca?phe, qui, mieux qu'un seul homme meure pour le peuple ? (Jn. 18, 14), est devenu un entre ce qu'on veut dire et ce qui est exemplum typique pour le d?calage se sentant veut s'en aller ; Everardus le rappelle en entendu. Ratius insult?, disant (p. 268, 8) : ? Maintenant enfin, je vois que tu es en col?re. Voil? bien la : quand au pied du mur et mani?re des professeurs les questions les mettent n'ont plus de r?ponses raisonnables, ils coupent court et se donnent un air qu'ils vraiment de docte se r?jouit de toute occasion irrit?, tandis qu'un chercheur car c'est dans la contradiction r?soudre des probl?mes, que s'exerce la sagesse ?, ces exemples exercetur sapientia. On pourrait multiplier quia in contradictione sur les mani?res d'une petite dispute de communication, s'ins?re dans la qui encore quelques autres dialogues En comparant grande disputatio th?ologique. contenant de telles remarques m?talinguistiques du Moyen Age, on y trouvera un ? comporte l'?bauche d'une pragmatique de la communication, peut-?tre ? avant la lettre. mentalisme

Usages

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cette forme de causerie et ce curieux int?r?t pour les lois de la Pourquoi son discours conversation ? Evrard que son sermo, indique assez clairement ou plut?t sa sermocinatio, donc l'imitation litt?raire du langage fami naturel, de d?sordonn?, voire de coq-? lier, avec tout ce qu'il comporte d'impr?vu, Pour d?lib?r? qui doit servir son apologie. faire l'?ne, est un d?guisement la doctrine porr?taine ? accepter une critique de saint Bernard et recommander il fallait s'y prendre avec circonspection. des moines Evrard d?voile cisterciens, cette intention en citant express?ment deux ? recettes ? commun?ment apprises : la th?orie rh?torique de Cicer?n sur l'exorde et les dans les Arts du langage sur certains stratag?mes et YAuctor doctrines d'Aristote Cicer?n dialectiques. ad Herennium, identifiait ? lui, avaient distingu? deux sortes d'exorde qu'on selon le genre des ? causes ?74 : d'abord le principium qui vaut pour les sujets ou difficiles de peu d'apparence et qui est un (causae humiles, causae obscurae) acte de s?duction avou? (captatio benevolentia?) par lequel on attire et conserve et la bienveillance l'attention ; ensuite Yinsinuatio, qui est de rigueur pour lescas paradoxaux, provocants, r?pugnants, d?concertants (causae admirabiles

le sujet d?plaisant turpes ) et qui consiste ? dissimuler par des ellipses et des la confiance d'un public pour gagner doucement scep digressions plaisantes sur les ? vices ? de encore que, dans le chapitre tique. Ajoutons g?n?ral ? recommande la ? Rh?torique ? Herennius d'?viter un discours l'exorde75, recherch? ou travaill? (apparata oratio) et de pr?f?rer un langage simple et trop naturel et un vocabulaire familier (lenis sermo et usitata verborum consuetudo). De l'autre c?t?, dans le VIIIe livre des Topiques et dans les R?futations sophis au dialecticien avait recommand? tiques16, Aristote plusieurs d'employer 1010

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au bon moment afin de frapper l'adversaire moyens pour cacher l'intention par : ce sont des man uvres de diversion, le bavardage les faux surprise fatigant, et ? pe?rastiques les questions d?routantes ?, etc., toute sorte de probl?mes, ruses et m?me de ? trucs ?. Or, Evrard fait allusion ? ces th?ories77. Il les met dans la bouche de ses per ou d'en de ne pas les observer sonnages qui se reprochent r?ciproquement au dialogue abuser parce qu'il veut faire entendre un message entier. applicable sa m?thode Il veut d?voiler le sujet principal pouvait en effet litt?raire. Comme ses lecteurs, il a multipli? surtout dans la longue d?concerter les digressions, initiale. De plus, il a ?tendu les proc?d?s recommand?s pour l'exorde ? partie art is et celui de l' uvre, celui de la simplicit? ou de la dissimulatio l'ensemble de la diversion particuli?rement Il est par indiqu?e pour les causae admirabiles. et primesautier tout divertissant pour faire passer une critique qui pourrait Il les heurter. En m?me temps, il tient compte des r?gles strat?giques d'Aristote. avec les pr?ceptes en adaptant de Cicer?n la formule combine express?ment et de la de la discors de la rh?torique concordia ? l'union canonique : ? Ces auteurs, dit-il (p. 258, 1), divergent dans leurs disciplines dialectique sans s'opposer auctores in diver sis facultatibus dans leurs r?sultats ? ;diversos sed non adversa aff?rentes. diversa, au sujet doc D'autre part, la th?orie du genus causae obscurum s'applique trinal m?me de l' uvre, sujet abstrait, ardu, r?barbatif, qui exige une longue C'est pourquoi Evrard refuse plusieurs pour devenir accessible. pr?paration en pr?nant, comme une sorte fois Yobscura brevitas, inintelligible, l'ellipse d'habit de travail stylistique, l'expos? simple et d?taill?78. La partie th?ologique : labor improbus du dialogue semble s'inspirer de la maxime r?p?t?e de Virgile omnia vincit19. La recherche par disputation exige un travail ? acharn? ? au ne craignent pas de devenir ? importuns ?. Selon nom duquel les interlocuteurs se per Christiana d'Augustin leDe doctrina 9, 23-4) cette lutte peut m?me (IV servent la clart?. Dans mettre la pr?occupation des vulgarit?s, pourvu qu'elles et Le style technique d'Evrard, transpara?t un accent d'apologie. didactique en savant de Gilbert latin n'est, de Poitiers pour inintelligible. passait (Son latiniste peut encore en ?tre t?moin.) Son que facile. Tout effet, rien moins ? et au niveau intellectuel du grand nombre refus explicite de ? s'abaisser sur la foi avec un homme aussi peu instruit que saint Bernard, d'aller discuter son ?sot?risme les qui faisait ?liminer de ses cours les ?tudiants implacable tout cela lui faisait une r?puta moins dou?s, appel?s taies hominum monstra, Evrard n'?lude pas cette critique80. En disant que tion de ? snob ? intellectuel. ? (p. 252, 2) son ? s'envolait de l'intelligence au-dessus des hommes Gilbert il essaie de d?tourner fr?le l'ironie. Mais du m?me la geste pan?gyrique lecteurs ? travailler dur la logique soit en incitant ses moines condamnation, le niveau ? sup?rieur ? de son ma?tre, soit en prouvant afin d'atteindre par des ? de Gilbert ? obscurit? d?marches qu'? vrai dire, la fameuse p?dagogiques est franchissable leurs n'est que relative, qu'elle pour ceux qui abandonnent aux moines et que, contrairement m?me des la?ques but?s, (p. 285, 3) pr?jug?s ouverts sont capables de la comprendre. Sosie le serviteur est l? pour le prouver. de La plaisante selon la th?orie cic?ronienne (lenitas l?g?ret? du dialogue s'ouvre n'est pas de la frivolit? ou levitas. La porte de la recherche l'exorde) de la th?orie rh?torique des leniter, licet non leviter81 (p. 245, 1). Au-dessus 1011

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du style, se situe l'id?al du sermo rusticus chr?tien, qui est un id?al et satirique avec lequel l'accent moralisant C'est ce qui explique d?mocratique. s'en prend ? l'arrogance et ? l'?troitesse d'esprit de ses ennemis monas Evrard en tant que tels, Il les accuse d'?tre incapables de discuter les arguments tiques. le du discoureur. parce qu'ils ne s'attachent qu'au rang de la personne Apr?s sur l'identit? du serviteur philosophe d?nouement du malentendu Sosie, Ratius : ? Ne te soucie pas de celui qui t'instruit le Grec dit au moine Everardus82 : Les Grecs tu t'instruises le mot de l'Ap?tre ; respecte plut?t pouvu que cherchent la sagesse, les Juifs demandent des signes ?, comme s'il voulait dire : la les scholares de Paris et d'Ath?nes la substance, les moines consid?rent caste. Le lieu commun du xne si?cle : Scientia de la critique anti-intellectuelle depuis B?renger de inflat (Cor., 8, 1), qui a fait tant souffrir les dialecticiens Tours et Ab?lard, retombe ici sur les moines l'?cho, en une qui s'en faisaient sorte cYargumentum ad hominem l'obstacle pour Evrard, collectif, puisque et de la recherche dialectique du vrai dialogue n'est rien moins que principal ?'infatuation pharisienne (p. 247f.). Il y a donc deux motivations de notre le r?alisme particulier qui justifient : le badinage la pol?mique camoufle par une sorte d'insinuatio glo dialogue sobre et sans art, rend intelligible une bale, et le simple discours scientifique, subtile. Ces deux aspects s'int?grent dans la notion de dis pens?e extr?mement ? tout comme l'entend Evrard, que nous traduirions par ? dialogue putatio, court ; car le mot est autant ? sa place dans le titre des disputationes Tuscu lanae que dans le terme scolastique de disputatio 83.Evrard se sert quaestionum en effet de deux niveaux : il imite le coq-?-1'?ne de dialogue. Premier niveau sur des sujets accidentels comme : ? La patience vient propre ? une causerie elle de ce qu'on r?prime la col?re ou la vengeance ?? (p. 249) ? Une duperie ? ? (p. 255, 10-11) ? Le possesseur l?gitime a-t-il ironique est-elle un mensonge le droit de reprendre de force ce qu'on lui a vol? ? ? (p. 250). Ces ? questions ? ont exactement le caract?re pr?paratoire dans le quolib?tiques qu'Aristote, VIIIe livre des Topiques, ? certains attribue de rem permettant subterfuges et des d?finitions par des probl?mes qui n'y sont reli?s placer le sujet principal et ainsi de jeter de la poudre aux yeux de l'adversaire. apparence qu'en (Dans : la cette partie des Topiques, Evrard a d'ailleurs puis? un des exemples pr?cit?s ou plut?t ces de la col?re et de la vengeance84.) Ces quaestiones, comparaison sont trait?es dans un style hach?, qui le plus souvent morales, questiunculae, de T?rence. C'est un style des com?dies rappelle Yoratio concisa paratactique et de calembours, de reparties plein d'asynd?tes, d'interjections, spirituelles surtout de fausses de vers classiques c?l?bres. Ces loci citations, parodies comme un ping-pong, se succ?dent memoriales les vers goliardiques rappelant cum auctoritate85. Les probl?mes, ; l'auteur n'a gu?re ici, ne sont qu'?nonc?s eu l'intention de les r?soudre, aime couper ces discussions par des puisqu'il : une cloche sonnant v?pres, des p?lerins venant voir le interm?des sc?niques un f?cheux messager et autres interruptions couvent, comiques. Le deuxi?me niveau est celui du sujet principal qui ? Evrard le r?p?te86 ? n'est rien moins que ? l'art de parler dignement de Dieu ?, l'apog?e de tous les arts du langage, selon la vieille d?finition de la th?o qu'a donn?e saint Anselme il donne la touche la mati?re logie. Or, quand Evrard elle-m?me, th?ologique le plus souvent ? Ratius et ne r?serve ? Everardus courts que quelques parole 1012

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ou de questions A ce point, interm?diaires. le Dialogus passages d'objections ? au sens socratique n'est sans doute pas un ? dialogue philosophique du mot. ? au moins dans le sens protreptique ? philosophique Il est pourtant et ?ducatif en un prudent dosage de Bo?ce, et combine deux styles de dialogue puisqu'il dans un ordre ascendant, forme que les commentateurs dans cette double ont particuli?rement m?di?vaux de la Consolation de Philosophie admir? en et en dialec Bo?ce, parce qu'il savait enseigner ? la fois en orateur convaincant et stimulo ticien contraignant, suadens necessitatis probabiliter impellens, comme dit Jean de Salisbury87. De m?me, Evrard a-t-il combin? le dialogue de avec le dialogue la delect at io po?tique de la n?cessitas Il le dit lui scientifique. m?me dans le r?le de Ratius de devoir (p. 257, 2), qui se plaint ironiquement unir en un seul discours deux exigences et le aussi contraires que l'instruction et Yofficium docendi le r?le de Y orator qui expose disserendi, d?bat, Yofficium et discourt et celui du doctor qui discute et dispute, puisque doit l'enseignement au niveau de l'?l?ve et que la dis (et po?tiquement) s'adapter p?dagogiquement est un combat entre ?gaux. putation impitoyable Comme dans la plupart des dialogues d'une m?di?vaux, l'exposition couronner Yoratio continua du ma?tre vient n?cessairement le dialogue th?orie, toute sa fra?cheur, dit. Avec n'a que le caract?re de la conversation proprement ou de transition. Il ne faut pas s'en ?tonner. A cette ?poque, les dia pr?ambule oubli?s. De ceux de Platon, tous, sauf le logues de Lucien ?taient compl?tement lemoins ? dialogique ?, ?taient perdus fragment du Tim?e, qui est son dialogue connus du dialogue et les grands mod?les ancien ? Cicer?n, philosophique Bo?ce ? inau suivaient surtout lamani?re Macrobe, d?monstrative, Augustin, aboutit au dans laquelle l'?change des opinions gur?e par Aristote, divergentes trait? magistral qui les balance et les d?passe88. Mais ce qui est ? remarquer c'est culturelles qui auraient plut?t favoris? le discours que dans ces conditions suivi, r?ussi ? maints du trait?, leDialogus Ratii a pourtant endroits ? monologique, ?voquer un climat de vivacit? presque socratique, qui refl?te sans doute moins une tradition et doctor Parisiensis litt?raire que la vie r?elle d'un scholaris reste l'?l?ve de Ratius, il se distingue essentielle devenu moine. Bien qu'Evrard ment du simple alumnus du dialogue ordinaire, didactique qui pose de timides au ma?tre omniscient ; il est un ? lecteur-mod?le ?, ou plut?t un questions ? disputant-mod?le une v?ritable ?, ?prouvant qu'exis aporie tant th?orique un adver avide de r?soudre les difficult?s, tentielle, mais qui n'est pas moins :Cavillator saire toujours pr?t ? s'opposer par des arguties. Ratius l'appelle semper es ad opponendum paratus (p. 245, 5). Une fois sorti de sa m?ditation veut du dialogue, le vrai moteur solitaire initiale, c'est lui qui devient puisqu'il avant de continuer le voyage retenir son ami, continuellement l'emp?cher un ? ma?tre Ratius de son c?t? se montre d'avoir r?pondu ? ses questions. et qui accepte d'?tre critiqu?, mod?le ?, qui n'impose pas son enseignement la participa donc le contraire du p?dant et du pr?cheur. Au cours du dialogue, tion de l'?l?ve devient de plus en plus active. C'est lui qui cl?t le d?bat, dans une les deux formes de vie qu'il unit en sa finale (p. 288, 1), en conciliant syncrisis et Ratius celle du savant et celle du moine, personne, prend cong? de lui en disant (p. 288, 4) :? Vale, Everarde,vale, quand je rentrerai discuter avec toi, et non plus un guide ?. Le ma?tre quitte donc la tu auras en moi un compagnon reste ouvert pour que les sc?ne en se d?clarant dor?navant superflu. Le dialogue 9 1013

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nous l'avons dit, un de ces lecteurs, le lecteurs puissent le continuer. Comme en effet prolonger fr?re B.,vient la discussion par sa lettre-commentaire (Ep., 2) Somme toute, qui tient ? la fois de l'?pilogue et de la retractatio augustinienne. a si perti ce dialogue est un bel exemple de ce mode d'expression que Cicer?n nemment pas : il est fait ad edo oppos? ? la pr?dication, qui ne lui convenait non pour cendum et non pas ad impellendum, pour l'?ducation philosophique, l'endoctrinement par?n?tique89. encore questionner On pourrait pourtant ici la fa?on dont Evrard combine : la causerie quolib?tique et la disputation les deux formes du dialogue rigou reuse d'une quaestio. Les tensions, voire les incompatibilit?s, n'y manquent pas. Le ? vrai sujet ?, invoqu? ? plusieurs illaprincipalis, reprises par quaestio en p?ril d'?tre submerg? par les saillies est apparemment principalepropositum, et divagations semble s'?tre d'un auteur ? po?te malgr? lui ?. Mais Evrard et centri accommod? de l'antagonisme des forces centrifuges consciemment en fait un sujet m?talinguistique ? l'int?rieur du dialogue m?me. p?tes, puisqu'il : c'est l'auteur du dialogue se Il s'en moque qui est vis? quand ses personnages comme la prolixit? d?rou mutuellement certains vices du discours, reprochent tante ou la bri?vet? incompr?hensible. risque de perdre le fil, il Quand Ratius accuse Everardus de l'avoir d?rang? par ses digressions (p. 269, 6) : Tot sunt Mais apr?s une longue recolere potest memoria. interposita quod vixprincipale du sujet tirade contre la manie des professeurs ? tout moment de s'?loigner la faute de leur savoir, tirade qui ?vite ? peine elle-m?me pour faire montre son ami : Everardus remercie qu'elle (pp. 258-259), critique ironiquement ? Que tu m'as bien instruit par ta digression ?. Celui-ci, non moins ironique, : ? O? vais-je trouver le charbon pour marquer en noir90 que tu aime r?pond rais entendre autre chose ? ? et Everardus de vouloir contourner le soup?onne ur de la ques : ? Combien tu t'approches le sujet qu'il a propos? ? contre-c tion principale ! ? Tout ce petit d?bat sur la responsabilit? d'une digression qui, est lui-m?me une digression, puisqu'il risque de tourner en rond tel un regressus ad infinitum, ? vrai dire, qu'une transition retardatrice n'est, juste avant se moque allu l'entr?e en mati?re. Un peu plus tard, Ratius, devenu impatient, comme des redondances sivement de la lenteur d'esprit d'Everardus de tout le dialogue (p. 280, 1) : ? Tu es comme leMilan d'Ovide (Met.,2, 721), dit-il, qui sa proie sans jamais s'en emparer et eadesdem contourne circinat infiniment auras. Quesita ce que tu as tu ne cesses de demander iterum et iterum quaeris, nec adhuc capis, et tu ne comprends d?j? demand?, toujours rien ?. La lettre du fr?re B., elle aussi, a la fonction d'une auto-accusation ironique en mati?re de la 2, 3). Le lecteur s'y plaint surtout de Y obscura brevitas concernant style (?p., et demande des ?claircissements question th?ologique (lucidius suppl?mentaires atqueplenius temps (ibid., 14) il plaisante de la lon explanan ), mais en m?me son propre auteur, puisque de l' uvre qui endormirait m?me gueur fatigante a ?t? pris d'un profond ? la fin du dialogue, sommeil. Le correspon Evrard, ? selon : ? plerumque dant le compare ? Hom?re bonus dormitat Homerus Horace et ? l'?me du Cantique dans les bras de l'?poux (allu (Arspoet., 359) sion au qui?tisme monastique et ? l'auteur des sermons sur le Cantique des Can : rogo, advoca tiques). Sa lettre vise ? ?veiller ce sage somnolent Expergiscere, ! continuons la disputatio Ratium, au sujet principal de l' uvre, qui est th?ologique, Quant j'aimerais me 1014

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LE DIALOGUE LATINM?DI?VAL

sur ses liens avec l'histoire litt?raire et intellectuelle. limiter ? quelques allusions Le Dialogus Ratii constitue un commentaire d?taill? de la proposition centrale au concile de Reims, a ?t? vainement d'h?r?sie91 Deus non est qui, soup?onn?e ? Dieu n'est pas la d?it? ?. C'est l? un exemple deltas, typique de ce qu'on a ?. Cette formule de Gilbert contient l'id?e appel? le ? platonisme grammatical que Dieu ne doit pas ?tre nomm? par un adjectif parce (de qualit?) substantiv?, comme ? divinit?, essence, sagesse, bont? ?, etc., est une entit? qu'un pr?dicat, le sujet concret, abstraite dominerait donc ? Dieu ?. De la qui d?terminerait, et mathematicum, Dieu serait assujetti ? un nomen abstractum sorte, pire : il serait m?me caus? par une id?e comme ? d?it? ?. Pour parler correctement, il faut donc remplacer des phrases comme ? Dieu est la v?rit? ? par des construc comme ? Dieu est vrai ?. tions adjectivales un tel Pour nous modernes, nominalistes, qui sommes tous plus ou moins ou de foi sto?cienne au lien r?el entre les de ? r?alisme ? platonicien exemple a peut-?tre mots et les choses, l'allure d'une chinoiserie. Mais dans cette l'histoire pure : th?orie, l'aspect s?miologique pr?sente un int?r?t qui d?passe et ses disciples Gilbert le plus grand cas de la distinction faisaient s?mantique niveaux du langage et de leurs ? arts ? respectifs. Quand pr?cise des diff?rents avec bon sens que d'innombrables noms de Everardus objecte (pp. 261-262) Dieu abstraits comme benignitas, etc., se rencontrent partout dans paternitas, le latin de la Bible, des p?res et de la liturgie, et que cette fa?on de parler est tout ? fait courante dans la latinit? de tous les temps, Ratius r?plique par la distinc : il faut discerner : le langage figur? qui permet tion suivante deux langages comme et d?finie de la m?taphore, rhetorum tropus appel?e l'emploi ? expression ? et le langage ? exact ?, circonlocution d?corative d?tourn?e, en termes propres. la chose elle-m?me d?signant Pour illustrer ces deux langages Ratius cite un exemple bien connu de la : ? la prudence a d?truit Rhetorica ad Herennium de Scipion (IV 32,43) ? ; c'est une phrase rien rh?torique, qui, proprement, n'exprime Carthage a d?truit d'autre par sa prudence) que : ? le prudent Scipion (Scipion ?. Dans se permet une sorte de les limites de son art, l'orateur Carthage ? licence rh?torique de pouvoir dans ce ?, le privil?ge jouer avec les mots ou bien rhesis. L'emphase est une figure appelle locutio emphatica qu'Evrard de rigueur rendant ce qui est pr?cis par ce rh?torique d?finie comme un manque est moins et laissant entendre plus qu'elle ne dit92. Evrard suivant qui pr?cis de Gilbert, conf?re un sens th?orique fid?lement la doctrine ? cette profond la cl?, le code m?me du langage elle devient simple petite figure. Par extension est la dimension dans laquelle l'?lo s?mantique rh?torique. Rhesis ou emphasis se produit A c?t? de rhesis, figurent deux et devient reconnaissable. quence et celui de la autres codes linguistiques, celui de la grammaire, appel? syntaxis, du trivium (que les porr?tains lexis93. Les trois disciplines dialectique, appel? sous le terme de l?gica) enseignent avant tout la distinction de ces rassemblent une niveaux puisqu' s?mantiques. Qui ne l'a pas apprise est vite d?concert?, m?me phrase peut ?tre correcte ? un niveau et absurde ? un autre. Si on dit par : ? une chim?re blanche est assise ?, la phrase est grammaticalement exemple c'est-?-dire correcte, logique rh?toriquement plaisante, mais dialectiquement, ment et objectivement, fausse. A partir de tels exemples Ratius conclut en th?o selon lexis, rien n'est plus vrai logien (p. 271, 1) : ? Rien n'est plus aberrant 1015

ORAL/?CRIT, selonaequalitas.

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liturgique Cette nicienne

et aequalitas dans la pr?fation rhesis ? que l'emploi des mots maiestas adoretur de la Trinit? chant?e dans toutes les ?glises : in maiestate

curieuse th?orie correspond ? une conception n?oplato d'inspiration et sto?cienne tr?s r?pandue au xne si?cle : ? l'id?e d'un langage ori divinement ginel, naturel, inspir?, pur et vrai, dans lequel les mots d?signent exactement les choses, et qui, au fil du temps, se serait peu ? peu d?grad? pour et aboutir ? un langage conventionnel, de p?riphrases, encombr? m?taphores ? un langage ? connotatif ?, pour employer un terme contempo ?quivoques, a pour objectif de restaurer, autant rain. La ? science ?, dans cette conception, en ?ta la parfaite proprietas verborum des origines paradisiaques, que possible, ?. blissant un langage clair et pr?cis, donc ? d?notatif tout cela pourrait D'un typiquement point de vue humaniste, para?tre ? scolastique ? au sens p?joratif la rh?to du mot. Ce syst?me semble d?valuer en tant que seule par rapport ? la dialectique, rique et la po?tique laquelle, est destin?e normativement ? dominer garante d'un langage sans ambigu?t?s, cette interpr? toute autre forme du discours. On peut pourtant relativiser avec sa : d'abord, tation c'est la rh?torique dans notre contexte th?ologique, la th?se de Gil doctrine de l'emphase cl? pour d?fendre qui fournit l'argument de Dieu. Des recherches bert sur la pr?dication r?centes94 ont mis ? jour un ad Heren extr?mement subtil des doctrines de la Rhetorica approfondissement en g?n?ral. et dans la l?gica modernorum nium dans la th?ologie porr?taine commune Cela nous oblige ? r?viser tant soit peu l'opinion selon laquelle la dia au cours de l'?re dite sco la rh?torique supplant? lectique aurait radicalement lastique. Cette rh?torique n'est plus une technique du discours mais un instru ment avant la grammaire, elle est devenue Comme, elle, herm?neutique. ? sp?culative et th?ologiens, rehaussait par ?, ce qui, aux yeux des philosophes son prestige. ticuli?rement D'autre les ambitions litt?raires d'Evrard, part, si l'on consid?re qui n'a rien d'un logicien dess?ch?, il serait insolite de le voir d?nigrer l'art dans lequel il : ce qu'il veut montrer son plaidoyer r?ussit si ?l?gamment pour Gilbert. Non au moyen de la th?orie de lexis, syntaxis, rhesis, ce n'est pas l'ordre hi?rar et raisonn?e de la grammaire, de la rh?torique chique, mais l'interd?pendance de la dialectique. Leur interaction n'op?re que par la connaissance du caract?re de chacune d'elles. Ce que nous venons de citer ? propos de la con sp?cifique et d'Aristote cordia discors de Cicer?n la ; sur leurs recettes permettant ? dissimulation ?95 est applicable de l'intention ? l'union des trois facultates : emp? dicendi du trivium. Evrard en souligne express?ment l'int?r?t pratique cher la confusion des trois niveaux c'est emp?cher l'h?r?sie. Or, s?mantiques, voici le centre et le point d?licat de tout le dialogue (p. 271, 4) :une telle confu sion de rhesis et de lexis a ?t? commise, faute de formation par le suffisante, saint nouvellement Bernard de Clairvaux. Ratius le Grec s'exprime canonis?, sans g?ne : ? Note bien que chaque artisan n'est digne de foi que dans les en g?om?trie, limites de son m?tier, le logicien en logique, le g?om?tre le for n'a appris aucun m?tier ? ; il est geron dans sa forge. Ce saint-l?, cependant, nullius art is art if ex, l'artisan du ? non-art ?, ou pire du ? nul-art ?. Evrard lui conc?de une certaine ?loquence naturelle qui lui a permis de prononcer des dis ? pratique ? (moralis en th?ologie cours efficaces ou morale ici peut ?tre 1016

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? et au sens d'? all?gorique ce don ?tait entendu au sens de ? moral ?). Mais : il consistait en quaedam bien restreint ornata persuasio ad quosdam (une cer taine facilit? hom?litique de ? faire croire ? le grand public) ; les instruments ? r?soudre les probl?mes lui faisaient d?faut. propres dialectiques th?oriques non pas de la vera locutio. Il utilisait un langage C'?tait un ma?tre de Yelocutio, oratio (ce qui peut signifier tant pri?re que dis imag? et fleuri dans quaedam non pas de la disputatio, cours), qui est le seul moyen rigoureux d'expression ? sauvage ?, comme incarne le discours (p. 274 ss). Bref, Bernard rh?torique Gilbert incarne le discours serait irr?prochable si logique ?labor?. Cette division ? le langage du second le premier n'avait pas eu la pr?tention de ? calomnier confondait pas, puisqu'il (p. 274, 1) pour la seule raison qu'il ne le comprenait lexis et rhesis, proprie dictum et tropice dictum (p. 282, 1). reste pourtant mod?r?e. de saint Bernard Cette critique posthume Elle vise aux moines du temps ? quel point la formation ? d?montrer plut?t approfondie ? est indispensable. en ? s?miotique En revanche, Evrard lance ouvertement ses sarcasmes contre ses confr?res fain?ants et terre ? terre qui, loin d'?p