le livre tibétain de la vie et de la mort

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Avant-propos par SaSaintet leDa/a-Lama COMMENTCOMPRENDRElesens vritable de l'existence,comment accepter la mort, comment aiderlesmourantset lesmorts,telssont lesthmessurles-quels Sogyal Rinpoch met l'accent dans cet ouvrage qui parat pointnomm. La mort fait partie du cours naturel de la vie et, tt ou tard, nous devrons tous invitablement l'affronter. A mon sens, tant quenoussommes en vie,nouspouvonsl'envisager dedeux manires. Soit nous choisissons de l'ignorer, soit nous faisons facelaperspectivedenotrepropremortet essayons,par une rflexion lucide, d'attnuer la souffrance qu'elle peut entra-ner.Cependant,aucunedecesdeuxsolutionsnenousper-met,enfait,detriompherd'elle. En tant que bouddhiste, j'envisage la mort comme un pro-cessus normal, une ralit que j'accepte, aussi longtemps que je demeure dans cette existence terrestre.Sachant que je ne peux ychapper,jenevoisaucuneraisondem'inquiter son sujet.La mort est, mes yeux,plutt un changement de vtementsvieux et usags,qu'une vritable fin.Cependant, lamortestimprvisible:nousnesavonsniquandnicom-ment ellesurviendra.Ilsemble doncraisonnable de prendre certainesprcautionsavantqu'elleneseproduisedefait. Bienentendu,laplupartd'entrenousaimeraientmourir d'une mort paisible.Cependant, ilest clair que nousne pou-vons y prtendre sinosviesont t imprgnesde violence 12LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DE LAMORT ousinos espritsont t leplussouvent agitspar desmo-tions telles que la colre,l'attachement ou la peur.Par cons-quent, sinous souhaitons mourir bien,nous devons apprendre vivrebien:pour avoirl'espoird'unemort paisible,ilnous fautcultiverlapaix,dansnotreespritcommedansnotre maniredevivre. Ainsique vousledcouvrirezdansce livre,l'exprience mme de la mort revt, du point de vue bouddhiste, une grande importance.Bien que le lieu et la nature de notre renaissance futuresoient gnralement dpendants de forceskarmiques, notre tat d'espritaumomentdelamort peut influersurla qualit de notre prochaine renaissance.Aussi,malgr la grande diversit des karmas accumuls, sinous faisonsun effort par-ticulier au moment de lamort pour engendrer un tat d'esprit vertueux, nous pouvons renforcer et activer un karma vertueux etsusciterainsiunerenaissanceheureuse. Le moment mme de la mort est aussi le moment o peu-vent se produire lesexpriencesintrieureslesplusprofon-des et les plus bnfiques. Un mditant accompli, longuement familiaris avec le processus de la mort par la mditation, peut utilisersa propremort pour parvenirunehauteralisation spirituelle. C'est pourquoi les pratiquants expriments s'enga-gent dans des pratiques mditatives lorsqu'ils sont en train de mourir.Un signe de leur ralisation est que leur corps ne com-mencebiensouventsedcomposerquelongtempsaprs leurmortclinique. Aiderlesautres bien mourir importe tout autant que se prparersapropremort.Chacundenousfutunjourun nouveau-n sans dfense et, s'il n'avait alors reu soins et ten-dresse,iln'auraitpassurvcu.Lespersonnesenfindevie sont tout aussi incapables de prendre soin d'elles-mmes; aussi devrions-nous les soulager de leur inconfort et de leur angoisse et lesaider,autant que fairese peut,mourirl'esprit calme. Le plusimportant iciest d'viterceux quiviventleurs derniers instants tout ce qui pourrait perturber leur esprit davan-tage qu'il ne l'est dj.Dans l'aide aux mourants, notre objec-tif majeur est d'apporter aise et rconfort.Il y a bien des faons de le faire.Une personne familiarise avec une pratique spiri-tuelle peut trouver inspiration et courage lorsqu'on lui rappelle cette pratique.Maislesimple faitde larassureravecgentil-A V ANT -PROPOS13 lesse peut aussiengendrer dansson esprit une attitude paisi-bleetdtendue. Lamortetleprocessusdelamortconstituent unpoint derencontreentre lebouddhismetibtainetlesdisciplines scientifiquescontemporaines.Jecroisqueleurcontribution mutuellepeut tre extrmementbnfique,tantsurle plan pratique que sur leplan de lacomprhension.SogyalRinpo-ch est particulirement bien plac pour faciliter cette rencon-tre.Netlevdanslatraditiontibtaine,ilareules enseignementsdecertainsdenosplusgrandslamas.Ayant galement bnfici d'une ducation moderne,lesnombreu-ses annes durant lesquelles ila vcu et dvelopp son travail en Occident lui ont permis de bien se familiariser avec la pen-seoccidentale. Ce livren'offre passeulement aulecteur un expos tho-rique sur lamort et leprocessusde lamort,maisgalement les moyens pratiques de comprendre, de se prparer soi-mme etd'aiderautruilefaire,danslecalmeetlaplnitude. A / Le2juin1992. ( .({_, L,._,"""'j (-...._/-/~ / ----Prface JESUISNAUTIBETetj'avaissix moislorsquej'entraiaumonastredemonmatre Jamyang Khyents Chkyi Lodr, dans la province du Kham. Il existe au Tibet une tradition unique permettant de dcouvrir les rin-carnations des grands matres dcds. Choisies ds leur jeune ge,celles-ci reoivent une ducation particulire afinde les prparerdevenir lesmatresspirituelsdu futur.Je reusle nom de Sogyal, bien que mon matre reconnt seulement plus tard en moi l'incarnation de Tertn Sogyal, un mystique cl-bre qui fut l'un de ses propres matres spirituels et l'un de ceux duTreizimeDala-Lama. Mon matre Jamyang Khyents,de grandetaille pour un Tibtain, semblait toujours dominer la fouled'une bonne tte. Sescheveux argentstaient coupstrscourtset sesyeux pleins de bont ptillaient d'humour. Il avait des oreilles allon-ges comme celles duBouddha.Le plus remarquable cepen-dant tait sa prsence.Son regard et sa prestance attestaient qu'ils'agissaitd'un sageet d'unsaint homme.Sa voix,riche et profonde,tait unenchantement.Lorsqu'ilenseignait,sa tte s'inclinait lgrement en arrire et l'enseignement coulait alors de lui en un flot d'loquence et de posie.Pourtant, bien qu'il inspirt le respect et mme une crainte rvrencielle, tous sesactestaientempreintsd'humilit. Jamyang Khyents est le fondementmme de mon exis-tence et l'inspiration de cet ouvrage. Il tait l'incarnation d'un matre qui avait rform la pratique du bouddhisme dans notre pays.AuTibet, porter simplement lenom d'une incarnation n'taitpassuffisant ;iltaitindispensabledegagnerleres-pect de tous par son rudition et sa pratique spirituelle.Mon 16LELIVRE TIBTAINDE LAVIEET DELAMORT matre avaitpass desannes en retraite et l'on conte, son sujet,nombre d'histoires miraculeuses.Ilavait acquis une ra-lisation spirituelle et unsavoirprofonds,et je dcouvrisplus tardqu'iltaitsemblableuneencyclopdievivantedela sagesse:quelquequestionqu'onluipost,ilenconnaissait la rponse.Ilexistait au Tibet de nombreuses traditions spiri-tuellesmaisJamyangKhyentstaitsalucomme l'autorit suprme.Pour ceux quileconnaissaient ouavaient entendu parler de lui,ilincarnait le bouddhisme tibtain.Il tait le tmoi-gnagevivantdecequepeut deveniruntre quiaralisla vrit des enseignements et men son terme la pratique spi-rituelle. Mon matre avait dclar,ainsiqu'ilme futrapport,que je l'aiderais poursuivre son uvre,et ilest certain qu'ilme traitatoujourscomme son propre fils.Ce que j'ai puaccom-plir jusqu' ce jour dans mon travail, l'audience que j'ai pu avoir sont, mon sens, le fruitde labndiction qu'il m'a donne. Tous mes souvenirs les plus prcoces ont trait lui.Il fut l'environnement dans lequel je grandis et son influence domina mon enfance.Ilfut comme un pre pour moi.Ilm'accordait tout ce que je lui demandais.Son pouse spirituelle, Khandro Tsring Chdrn,quiest aussimatante,avaitcoutumede dire: Ne drange pas Rinpoch,ilest peut-tre occup 1 , mais je voulais toujours tre l prs de lui,et lui tait heureux de m'avoir ses cts. Je leharcelais sans cesse de questions auxquellesilrpondaittoujoursavecpatience. Jen'taispas un enfant sage; aucun de mes prcepteurs ne parvenait me discipliner. Chaque foisqu'ils essayaient de me battre, je courais me rfugier auprs de mon matre et grimpais derrire lui,o personnen'osaitvenirmechercher.Blottil,jemesentais fier et content de moi; ilne faisait qu'en rire.Et puis un jour, mon prcepteur s'entretint avec lui mon insu, expliquant que, pour mon bien, cela ne pouvait durer.La foissuivante, comme je courais ainsi me cacher, mon prcepteur entra dans la pice, se prosterna trois foisdevant mon matre et me trana dehors. Je me rappelle avoir alorspens combien iltait trange qu'il nesembltpointcraindremonmatre. Jamyang Khyents vivait dans lapice o son incarnation prcdente avait eu ses visions,et d'o elle avait lanc le mou-vement de renaissance culturelle et spirituelle qui allait gagner PRFACE17 le Tibet oriental au sicle dernier. C'tait un endroit merveil-leux, de taille modeste mais l'atmosphre enchante, emplie d'objets, de peintures et de livres sacrs.On l'appelaitle para-dis des bouddhas, la pice de la transmission de pouvoir et,s'ilyaunlieuauTibetdont jemesouviens,c'estbien de cette pice. Mon matre s'asseyait sur un sige bas en bois, tendudelaniresdecuir,et je prenaisplacesescts. Je refusaisdemangersicen'taitpasdanssonbol.Lapetite chambre adjacente tait flanqued'une vrandamaisily fai-saittoujoursplutt sombre.Et,dansuncoin,surunpole, une thire tait toujours en trainde bouillonner. Je dormais habituellement auprs de mon matre, dans un petit lit au pied dusien.Un son que je n'oublierai jamais est celuidesperles de son mala,son chapelet bouddhique, qu'ilgrenait tout en murmurantsesprires.Lorsque j'allaismecoucher,iltait l assis pratiquer. Et, lorsque je me rveillais le matin, il tait dj lev,nouveauabsorb danssesprires,dbordant de grce et de puissance.Lorsque j'ouvraislesyeux et l'aperce-vais,jemesentaisemplid'unbonheurchaudet douillet.Il sedgageaitdesapersonneunetelleatmosphredepaix. A mesure que je grandissais, Jamyang Khyents me faisait prsider les crmonies tandis qu'il conduisait les chants. rassis-taistouslesenseignementset touteslesinitiationsqu'il donnait;pluttquelesdtails,c'estl'atmosphrequime revient aujourd'hui en mmoire. A mes yeux,iltait le Boud-dha; de cela, je ne pouvaisdouter.D'ailleurs,tous lerecon-naissaientcommetel.Lorsqu'ildonnaitdesinitiations,ses disciples taient siimpressionns qu'ils osaient peine le regar-der en face.Certains le percevaient vritablement sous la forme de son prdcesseur ousouscelledediffrentsbouddhas et bodhisattvas2Tous l'appelaient Rinpoch,le Prcieux,titre que l'on donne un matre, et en sa prsence aucun autre lama n'tait appel de lasorte.Nombreux taient ceux qui l'appe-laient affectueusement le Bouddha Primordial, tant sa pr-sencetaitimpressionnante 3 Si je n'avais pas rencontr mon matre Jamyang Khyents, je saisque je serais devenu quelqu' und'entirement diffrent. Parsachaleur,sasagesseet sacompassion,ilpersonnifiait lavritsacre des enseignements et,ainsi,lesrendait con-cretset vibrantsde vie.Lorsque j'voqueavecd' autresper-18LE LIVRE TIBTAIN DE LA VIEET DE LAMORT sonnes l'atmosphre qui rgnait autour de mon matre, s'veille en elles lemme sentiment profond qu'elle suscitait en moi. Quel tait donc ce sentiment que Jamyang Khyents m'inspi-rait? C'taituneconfianceinbranlabledanslesenseigne-ments,etlaconvictiondel'importancecapitaledumatre. Quelque comprhension que je puisse avoir,c'est lui,je le sais,que je ladois. Jamais je ne pourrai m'acquitter de cette dette, maisilm'est possible de transmettre d'autres ce que j'aireu. DuranttoutemajeunesseauTibet,j'aivucombien Jamyang Khyents prodiguaitun amourrayonnant lacom-munaut, particulirement lorsqu'il guidait les mourants et les morts. Un lama,au Tibet, n'tait pas seulement un matre spi-rituel mais aussi un sage, un thrapeute, un prtre et un mde-cin de l'me,qui aidait malades et mourants. Plus tard, je devais apprendre les techniques spcifiques permettant de guider les mourants et les dfunts grce aux enseignements relis au Livre desMortsTibtain.Maislesplusgrandesleonsquim'aient jamais t donnes sur la mort- et sur la vie- , je les ai reues en observant mon matre tandis qu'il guidait les mourants avec une compassion, une sagesse et une comprhension infinies. Puisse une partie de la sagesse et de la compassion immen-ses de Jamyang Khyents tre transmise au monde par ce livre. Puisse-t-ilvouspermettrevousaussi,oquevoussoyez, d'entrer en contact avecson esprit desagesse et d'tablir un lienvivantaveclui. PREMIREPARTIE LaVie UN Le miroir delamort J'A VAISSEPTANSENVIRONlorsque je fus,pour lapremire fois,confront lamort.Nous nous prparions quitter les montagnes de l'est pour gagner le Tibet central.Samten,l'undesassistants personnelsdemonma-tre, tait un moine merveilleux qui m'avait tmoign de la bont durant mon enfance. Son visage panoui, rond et joufflu, tait toujours prt s'clairer d'un sourire.Son caractre jovial fai-sait de luilefavoridetousaumonastre.Chaque jour,mon matre donnait des enseignements, des initiations, et dirigeait des pratiques spirituelles et des rituels.Verslafinde la jour-ne,j'avaisl'habitudederunirmesamiset dedonnerune petite reprsentation des vnements de la matine.Et c'tait toujours Samten qui me prtait les costumes que mon matre avaitportslematin.Ilnemedisaitjamaisnon. Et puis,soudain,Samten tombamaladeet ildevintvi-dentqu'iln'allaitpassurvivre.Nousdmesretardernotre dpart. Jamais je n'oublierai lesdeux semainesquisuivirent. L'odeur de lamort planait sur tout comme un nuage.Et cha-quefoisquejepensecettepoque,lammeodeurme revient. Le monastre tait totalement imprgn d'une intense conscience de lamort.Toutefois,iln'y avaitlrien de mor-bideoud'effrayant; en prsence demonmatre,lamort de Samten prenait une signification toute particulire. Elle deve-naitunenseignementpournoustous. Samten tait allong sur un lit, prs de la fentre,dans un 22LELIVRE TIBTAINDE LAVIEET DE LAMORT petittemplel'intrieurdelarsidencedemonmatre.Je savaisqu'ilvivaitsesderniersinstants.Detempsautre, j'entrais et allaism'asseoir prs de lui.Ilne pouvait plus par-ler.Ses traits taient maintenant trs tirs, hagards,et ce chan-gement me bouleversait. Je comprenais qu'il allait nous quitter et que nousne lereverrions jamais plus. Jeme sentaistriste et profondmentseul. La mort de Samten ne fut pas aise.Le son de sa respira-tion laborieuse nous poursuivait partout, ainsi que l'odeur pro-venantdeladtriorationdesoncorps.Hormislebruitde cette respiration,un silence absolu rgnait dans le monastre. Toute l'attention tait focalisesur Samten. Pourtant, bien qu'il y et tant de souffrance dans cette mort qui n'en finissait pas, nouspouvionstoussentir qu'auplusprofond de lui,Samten tait habit par lapaix et laconfiance intrieures.Audbut, je ne pouvais m'expliquer d'o celles-ci provenaient mais, par la suite, je ralisai que c'taient sa foi,son entranement spiri-tuelet laprsence denotrematrequilesluidonnaient.Et malgr ma tristesse, je savais que sinotre matre tait l,tout irait pour le mieux car ilserait capable de guider Samten vers lalibration.Parlasuite,j'apprisquelervedetoutprati-quant est de mourir avant son matre et de connatre la chance exceptionnelled'treguidparluiaumomentdelamort. En guidant paisiblement Samten durant sa mort, Jamyang Khyents l'introduisait aux diffrentes tapes du processus qu'il traversait, l'une aprs l'autre. La prcision de sa connaissance, sonassuranceet sa paix me stupfiaient.Sa prsence ferme et tranquille aurait rassur la personne la plus angoisse. A pr-sent, Jamyang Khyents nous rvlait son quanimit devant la mort.Non qu'ill'et jamaistraite la lgre.Ilnousavait souvent dit qu'ilia redoutait et mis en garde contre le faitde l'envisager avec navet ou suffisance. Je me demandais ce qui luipermettait de l'affronteravectant de sobritet de lg-ret de cur,et d'tre en mme tempssipragmatique et si trangement serein. Cette question me fascinait et m'absorbait. La mort de Samten m'branla. A l'ge de sept ans, j'entre-vis pour la premire foisl'immense pouvoir de la tradition dans laquelle j'entrais et commenai comprendre le but de la pra-tique spirituelle. C'tait la pratique qui avait permis Samten d'accepterlamort,et galementdecomprendreclairement LE MIROIRDE LA MORT23 quelasouffrance et ladouleurpeuvent fairepartie d'un pro-cessusprofondet naturelde purification.C'tait lapratique qui avait donn mon matre une connaissance complte de ce qu'estlamort,ainsiqu'unsavoir-faireprcispour guider lestreslorsdecettetransition. Aprsque Samten nous eut quitts,nous nous mmes en route pour Lhassa, capitale duTibet, et nouschevauchmes durant trois mois en suivant un itinraire tortueux.De l,nous poursuivmesnotre plerinage vers lessites sacrs ducentre et dusuddupays,ceslieuxbnispar lessaints,lesroiset les rudits qui tablirent partir du vne sicle le bouddhisme auTibet. Mon matre tait l'manation de nombreux matres de touteslestraditionset sarputationtait tellequ'ilrece-vaitunaccueilenthousiastepartoutonousallions. Pourmoi,cevoyagefutpassionnantet ilm'enresteun souvenir extraordinaire.Les Tibtains se lvent de bonne heure afin de profiter au maximum de la lumire naturelle. Nous nous couchions aucrpuscule, nous levions avant l'aube et, ds les premires lueurs du jour, les yaks chargs des bagages se met-taient en route.Puislestentestaient dmontes,cellesde lacuisine et de mon matre restant dresses jusqu'au dernier moment.Quelqu'un partait en claireur afin de choisir un bon emplacement pour tablir le campement et,aux environsde midi,nous y faisionshalte jusqu'au lendemain. j'aimais beau-coup camper prs d'une rivire et couter lebruit de l'eau ou m'asseoir sous la tente et entendre le crpitement de la pluie surletoit. Nous formionsun petit groupe d'une trentaine de tentes. Dans la journe, je montais un alezan dor aux cts de mon matre.Tandisquenouschevauchions,ilenseignait,racon-tait deshistoires,se consacrait sespratiquesspirituelleset en composait de nouvelles mon intention.Un jour, comme nousapprochions du lac sacr de Yamdrok Tso et dcouvrions auloinlemiroitement turquoisede seseaux,unautrelama de notre groupe,Lama Tseten, arriva luiaussiauseuil de la mort. La mort de Lama Tseten s'avra pour moi un autre ensei-gnement important. Il tait le tuteur de l'pouse spirituelle de 24LE LIVRE TIBTAIN DE LA VIE ET DE LA MORT monmatre,KhandroTsringChodron.Ellevitencore aujourd'hui et beaucoup la considrent comme lapratiquante la plus remarquable du Tibet- un matre secret. Elle repr-sentemesyeuxladvotionpersonnifie;lasimplicitde saprsencerayonnanted'amourest en elle-mme unensei-gnement.LamaTsetentaitunpersonnageprofondment humain, l'image mme du grand-pre.Ilavait dpass la soixan-taine,taitd'assez grandetailleet avaitlescheveux grison-nants.Une douceur naturelle manait de son tre. Iltait aussi un pratiquant de mditationhautement accompli; lesimple faitd'tresesctssuffisait fairenatreen moiunsenti-ment de paix et de srnit.Parfois,ilme grondait et j'avais alorspeur de lui mais,malgr cette svrit occasionnelle,il nesedpartait jamaisdesachaleur. Lama Tseten mourut d'une faon extraordinaire.Bien qu'il y et un monastre proximit, ilrefusa de s'y rendre, dcla-rant qu'il ne voulait pas encombrer ces lieux d'un cadavre. Nous flffiesdonc halte pour camper et dressmes nos tentes en cercle comme l'accoutume. Puisque Lama Tseten tait son tuteur, c'tait Khandro qui s'occupait de lui et le soignait.Elle et moi tions seuls avec luidans sa tente lorsqu'ilia fitsoudain venir auprs de lui.Ilavait une faonaffectueuse de l'appeler A-mi, ce qui- dansson dialecte- signifiaitmon enfant. A-mi,lui dit-il tendrement, approche-toi.Le moment est venu ... Je n'aiplus de conseilste donner.Tu es bientelle que tu es:je suis content de toi.Continue servir ton matre commetul'asfaitjusqu'prsent. Khandro se dtourna aussitt pour courir hors de la tente, maisillasaisitpar lamanche. Ovas-tu? demanda-t-il. JevaisappelerRinpoch,rpondit-elle. Ne vapasl'ennuyer,ce n'estpaslapeine. Ilsourit: Avec le matre, la distance n'existe pas.A ces mots, illeva simplement son regardverslecielet expira.Khandrodga-gea sa main et se prcipita au-dehorspour appeler mon ma-tre.Jedemeuraiassis,clousurplace. j'tais stupfait de voirquelqu'un fairepreuve d'une telle confiance face la mort. Lama Tseten aurait pu avoir son lama en personneauprsdeluipourl'aider- cequequiconque aurait ardemment dsir- maisiln'enavait pasprouvle besoin.Aujourd'hui, j'en comprends laraison: Lama Tseten LE MIROIRDELAMORT25 avait dj ralis la prsence du matre en lui-mme. Jamyang Khyentsdemeuraitcontinuellementaveclui,prsentdans son esprit et dans son cur: pas un seul instant ilne ressen-taitdesparation. KhandropartitnanmoinslarecherchedeJamyang Khyents. Je n'oublierai jamais la faon dont celui-ci se courba pourpntrerdanslatente.Iljetauncoupd'ilauvisage de Lama Tseten puis, examinant attentivement ses yeux, eut unrireamus.Ill'avaittoujoursappel LaGen , vieux lama,en signed'affection. La Gen ,luidit-il, ne reste pas dans cet tat ! Jamyang Khyents pouvait voir, je le com-prendsaujoprd'hui,que Lama Tseten faisaitalorsune prati-que particulire de mditation au cours de laquelle le pratiquant unit son esprit l'espace de vrit. Tu le sais,La Gen, durant cette pratique,ilarrivequedesobstaclessubtilssurgissent. Bon,jevaisteguider. Sidr, j'observai la suite des vnements et, si je ne l'avais vu de mes propres yeux, jamais je ne l'auraiscru:Lama Tse-tenrevint lavie1 C'estalorsquemonmatres'assitson chevetet leguidatraversle p 'owa,lapratiquedestine diriger laconscience l'instant quiprcde lamort.Ilexiste de nombreuses manires d'accomplir cette pratique ; celle qu'il utilisa alors culmine lorsque le matre prononce la syllabe A troisreprises.Lorsquemonmatremit lepremier A, nous pmes entendre trs distinctement Lama Tseten l'accom-pagner.La deuximefois,savoixtaitmoinsaudibleet,la troisime,elles'taittue:LamaTsetens'entaitall. Silamortde Samtenm'avait enseignlebut de laprati-que spirituelle,celle de Lama Tseten m'apprit qu'il n'est pas inhabituel,pourdespratiquantsde sonenvergure,dedissi-muler, de leur vivant, leurs qualits remarquables.Il arrive qu'ils nelesrvlentqu'uneseulefois,aumomentdeleurmort. Je compris, malgr mon jeune ge, qu'il existait une diffrence frappanteentre lamort de Samten et celle de Lama Tseten. Je ralisai que c'tait la diffrence entre la mort d'un bon moine qui avait pratiqu sa vie durant et celle d'un pratiquant ayant atteint une ralisation beaucoup plus leve.Samten tait mort de faonordinaire,dansladouleur,soutenucependantpar laconfianceque donne lafoi;lamort deLama Tseten fut, elle,unemanifestationdematrisespirituelle. 26LE LIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DE LAMORT Peu de temps aprs les funraillesde Lama Tseten, nous montmes jusqu'au monastre de Yamdrok. Comme j'en avais l'habitude, je dormis auprs de mon matre, dans sa chambre, et je me souviensavoircettenuit-lregardlesombresdes lampes beurre vaciller sur le mur. Tandis que tout le monde dormait profondment, je restai veill et pleurai toute la nuit. Je compris alors que la mort est une ralit et que, moi aussi, ilme faudraitquitter ce monde.Allongsurmon lit,je son-geailamort,et lamienneen particulier.Peupeu,un sentiment profond d'acceptation commena merger de cette grande tristesse et, avec lui,larsolution de consacrer ma vie lapratiquespirituelle. C'est donctrs jeune que je fusconfrontlamortet ses implications. Jamaisalors je n'aurais pu imaginer ladiver-sit des morts qui allaient suivre, l'une s'ajoutant l'autre. Celle que fut laperte tragique de mon pays,le Tibet,aprsl'occu-pation chinoise.Celleque futl'exil.Cellequereprsentala disparition de tout ce que ma famille et moi-mme possdions. Mafamille,lesLakar Tsang,comptaitparmilesplusfortu-nes du Tibet. Depuis le XIVesicle,elle tait connue comme l'undesplusgrandsbienfaiteursdubouddhisme,soutenant l'enseignement du Bouddha et aidant les grands matres dans leuruvre 1 Cependant,lamort laplusbouleversantede toutestait encore venir: c'tait celle de mon matreJamyang Khyents. En le perdant, je sentis que j'avais perdu le fondement mme demonexistence.C'taiten1959,l'annedelachutedu Tibet. Pour les Tibtains, la disparition de mon matre fut un second coup qui les accabla.Pour le Tibet, elle marqua la fin d'unepoque. LA MORT DANS LE MONDE CONTEMPORAIN Lorsque j'arrivai pour la premire foisen Occident, je fus choqu par le contraste qui existait entre l'attitude envers la mort que j'avais connue jusqu'alors et celle que je rencontrais main-tenant. Malgr ses prouesses technologiques, la socit moderne occidentale ne possde aucune comprhension relle de ce qu'est lamort,nide ce quise passe pendant et aprscelle-ci. LE MIROIRDE LA MORT27 Je dcouvris que, de nos jours, on apprend aux gens nier lamortetcroirequ'ellenereprsenteriendeplusqu'un anantissement et une perte. Ainsi, la majeure partie du monde vitsoitdanslerefusdelamort,soitdanslacraintequ'elle luiinspire.On considre mme qu'il est morbide d'en parler et bien des gens croient que le simple faitde l'voquer risque del'attirersureux. D'autres l'envisagent avec une insouciance nave et enjoue, croyant que- pour une raison ou pour une autre- elle se pas-sera bien et qu'ils n'ont pas de souci se faire. Lorsque je pense eux,cesparolesd'unmatretibtainmereviennenten mmoire: Les gens commettent souvent l'erreur de se mon-trer lgers au sujet de la mort et de penser :"Oh ! et puis ... elle arrive tout lemonde; ce n'est pas une grande affaire,c'est naturel; tout ira bien pour moi." La thorie est plaisante, cer-tes ... jusqu'au moment o, effectivement, l'on doit mourir 2 ! La premire attitude consiste envisager lamort comme une ralit qu'ilfautfuir tout prix ; laseconde,juger qu'il n'est pas ncessaire de s'en proccuper. Comme elles sont loin, toutes deux,d'une comprhension juste de son sens vritable! Toutes les grandes traditions spirituelles du monde, y com-pris,bien sr, le christianisme, ont clairement affirm qu'elle n'est pas une fin.Elles nous ont toutes transmis la vision d'une viefuturequiimprgnenotreexistenceprsented'unsens sacr.Pourtant,en dpit de leursenseignements,lasocit contemporaine demeure, dans une large mesure, un dsert spi-rituel et la majorit des gens s'imagine qu'il n'existe pas d'autre vie que celle-ci.Sans foirelle et authentique en une vie aprs la mort, la plupart d'entre nous mnent une existence dpour-vuedetoutesignificationultime. Je me suis rendu compte que le faitmme de nier la mort est porteur de consquences dsastreuses qui s'tendent bien au-delde l'individu.Ellesaffectent laplante entire.Fon-damentalementpersuadequ'iln'existepasd'autrevieque celle-ci,la socit moderne n'a dvelopp aucune vision long terme.Rien n'empche donc les individus de piller la plante afinde raliser leursobjectifsimmdiats et de vivre dansun gosme qui pourrait bien s'avrer fatalpour l'avenir. Voici ce qu'en dit l'ancien ministre brsilien de l'Environnement, res-ponsable de la protection de lafort tropicale amazonienne: 28LELIVRE TIBTAINDELAVIEET DE LAMORT La socit industrielle moderne est une religion fanatique.Nous saccageons,empoisonnons,dtruisons touslescosystmes dela plante.Nous signons des reconnaissances de dette que nos enfants ne pourront jamais payer. .. Nous nous conduisons comme si nous tions la dernire gnration sur terre.Sans un changement radical dans nos curs,nos esprits et notre perspective,la tetTe finira commeVnus,calcine,morte 3. Combiennousfaudra-t-ilencored'avertissementsdece genre? La destruction de notre environnement est alimente par lapeur de lamort et par l'ignorance d'une vieaprs lamort, et constitueunemenacepournosviestous.N' est-ildonc pas extrmement inquitant que l'onne nousenseignenice qu'est lamort,nicomment mourir? Que l'on ne nous donne aucun espoir en ce qui existe aprs la mort et, par consquent, aucunespoirence quiestrellementsous-jacentlavie? N'est-il pas paradoxal que les jeunes reoivent une ducation trs pousse dans tous les domaines, sauf dans celui qui dtient prcisment lacl de l'entire signification de lavie et, peut-tremme,denotresurvie? rai souvent t intrigu en entendant certains matres boud-dhistes de ma connaissance poser cette simple question ceux qui venaient leur demander un enseignement : Croyez-vous enunevieaprscelle-ci? Laquestionn'estpasdesavoir s'ils y croient en tant que proposition philosophique, mais s'ils le ressentent profondment dans leur cur. Le matre sait que ceuxquicroienten unevieaprscelle-cienvisagerontleur existence de faon foncirement diffrente, prouvant un sen-timentaigudeleurresponsabilitet ressentantlancessit d'une morale personnelle.Les matres pressentent sans doute le danger que les gens qui ne sont pas fermement convaincus de l'existence d'une vie aprs celle-ci crent une socit pola-rise sur des rsultats court terme, sans gure se soucier des consquencesde leursactions.N'est-ce paslaraisonprinci-palequinousaamenscrerlemondebrutaldanslequel nousvivonsaujourd'hui,cemonde ol'onrencontresipeu decompassionvritable? Lespayslesplusrichesetlespluspuissantsdumonde industriel me font parfois songer auroyaume des dieux dcrit LEMIROIRDE LAMORT29 danslesenseignements bouddhistes.Ilest ditque lesdieux yviventdansunfasteblouissant,sedlectantdetousles plaisirsimaginables,sansaccorder l'ombre d' une pense la dimension spirituelle de lavie.En apparence tout se droule pourlemieux,jusqu'aumomentolamortapprocheet o commencent apparatre les signes inattendus dudclin.Alors, les pouses et lesbien-aimes des dieux n'osent plus lesappro-cher; elles se contentent de leur jeter des fleursde loin,tout en faisant quelques prires distraites afin qu'ils renaissent dans leroyaumedesdieux.Aucunde leurssouvenirsde bonheur oude bien-tre ne peut lesprserver de lasouffrance quiles assaille;ilsne font,aucontraire,que larendre pluscruelle. Leur dernire heure venue, les dieux prissent donc ainsi,seuls etdansladtresse. Lesortdesdieuxmerappellelafaondontsonttraits aujourd'hui lesmalades,lespersonnes ges et en finde vie. Notresocit vitdansl'obsessionde la jeunesse,dusexe et dupouvoir,etnousfuyonscequivoquelavieillesseetla dcrpitude.N'est-il pas terrifiant que nous abandonnions ainsi lespersonnesgeslorsqueleurvieactiveesttermineet qu'ellesnenoussont plusd' aucune utilit? N'est-il pasalar-mantquenouslesmettionsl'cart,dansdesmaisonsde retraiteoellesmeurentseuleset oublies? Neserait-ilpastemps,galement,dereconsidrerla maniredont noustraitonsparfoisceuxquisont atteintsde maladiesincurablescomme lecanceretlesida? J'aiconnu plusieurs personnes qui sont mortes dusida et j'ai souvent cons-tatquemmeleursamislestraitaientcommedesparias. L'opprobre lilamaladielesrduisaitaudsespoiret leur faisaitprendre leur vieen horreur,carellesavaient lesenti-mentqu'auxyeuxdumonde,cettevietaitdjtermine. Mmelorsquec'estunepersonnequenousconnaissons oul'un de nosproches quiest en train demourir, nous nous trouvons,biensouvent,compltementdmunisquantla faondel'aider.Et,aprssamort,riennenousencourage songer l'avenir de lapersonne dfunte,lafaondont sa vie pourrait se poursuivre ou l'aide que nous pourrions con-tinuer lui apporter.Bien au contraire, toutetentative en vue d'orienter nos penses dans ce sens risque d'tre rejete comme absurdeetridicule. 30LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DELAMORT Tout ceci nous montre,avec une acuit douloureuse,combienil est ncessaire que s'opre,aujourd'hui plus que jamais,un clzan-gement fondamentaldansnotreattitudeenverslamort et les mourants. Heureusement, les mentalits commencent voluer. Le Mouvement des soins palliatifs , par exemple,accomplit un travail remarquable tant auniveau des soins pratiques que du soutienaffectif ;ceci,toutefois,est insuffisant.Lesperson-nes mourantes requirent certes de l'amour et des soins mais ellesontbesoinde quelquechosedeplusprofondencore : dcouvrir un sens rel lamort et la vie.Autrement,com-ment pourrions-nous leur apporter un rconfort ultime? Aider les mourants,c'est donc inclure la possibilit d'un soutien spi-rituel;eneffet,seuleuneconnaissancespirituelleleurper-mettravritablementdefairefacelamortetdela comprendre. j'ai trouv trs encourageante la faon dont,ces dernires annes en Occident, des pionniers tels que Elisabeth Kbler-Ross et Raymond Moody ont ouvert aux recherches le domaine de la mort et de l'accompagnement des mourants. Aprs avoir explorenprofondeurlafaondontnousprenonssoindes personnes en finde vie,Elisabeth Kbler-Ross a montr que lamort peut s'avrer une exprience paisible,voire transfor-matrice, condition que celles-ci bnficient d'un amour incon-ditionnel et d'une attitude plus claire. Les tudes scientifiques portant sur lesnombreux aspectsde l'exprience deproxi-mit de lamort et qui ont faitsuiteaucourageux travail de Raymond Moody, ont offert l'humanit la vive esprance, lefermeespoir que lavie ne s'achve pasaveclamort,qu'il existebienunevieaprslavie. Nous traduisons par Mouvement des soins palliatifsle terme anglais Hospice Movement .Ce mouvement, qui a pris un essor considra-ble lors des dernires dcennies aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, est une formealternative de soinspalliatifsl'intention des personnes en finde vieet de leurs familles 4 > Chaque foisqu'elle me revient en mmoire, cette histoire me rappelle combien la vie peut tre vaine et futile lorsqu'elle est fonde sur une croyance errone en la continuit et la per-manence.Lorsque nous vivons de cette faonnous devenons, commeledisaitDudjomRinpoch,desdpouillesvivan-tes>>,inconscientes. C'est ainsique viventlaplupart d'entrenous,suivant un plantablid'avance.Nousconsacronsnotre jeunesse faire destudes.Puisnoustrouvonsuntravail,rencontrons quelqu'un,nous marions et avons des enfants.Nous achetons unemaison,nousnousefforonsderussirprofessionnelle-ment, rvons d'une rsidence secondaire ou d'une seconde voi-ture.Nous partons en vacancesavecdesamis.Nous faisons des projets pour notre retraite.Pour certains d'entrenous,le plus grand dilemme auquelnousayons jamais fairefaceest de dciderdulieudenosprochainesvacancesoudechoisir quiinviterpourNol.Notre existenceestmonotone,mes-quineet rptitive,gaspillepoursuivredesobjectifsinsi-gnifiants car nous semblons, en fait,ne rien connatre de mieux. Le rythme de notre vie est sitrpidant que la dernire chose laquellenousayonsletempsde penserestlamort.Nous touffons notre peur secrte de l'impermanence en nous entou-rant d'unnombresanscesse croissant debiens,d'objets,de commodits, pour en devenir, en finde compte, les esclaves. L'IMPERMANENCE41 Tout notre temps et toute notre nergie s'puisent lesmain-tenir.Notre seul but dans l'existence devient bientt de nous entourerdumaximumdescuritetdegaranties.Lorsque des changements surviennent, nous y remdions par une solu-tion facileet temporaire,un expdient.Et notre vies'coule ainsi,moinsqu'unemaladiegraveouunecatastrophene viennenoussecouerdenotretorpeur. Maisce n'est paspour autant que nous accordons notre vie davantage de temps ou d'attention.Pensez ces gens qui ont travaill des annes durant.Lorsqu'ils prennent enfin leur retraite,c'est pour s'apercevoir, mesure qu'ilsvieillissent et se rapprochent de la mort, qu'ils ne savent pas quoi faire d'eux-mmes.En dpit detousnosdiscourssur lancessit d'tre pragmatique,lepragmatisme en Occident se rsume en une vue court terme marque par l'ignorance et souvent l'gosme. Leregarddform parlamyopie,nousnousfocalisonssur cette vie-cil'exclusiondetouteautre,et c'estllagrande supercherie, lasource du matrialisme lugubre et destructeur dumondemoderne.Personneneparledelamort oud'une vieaprslamort,caronnousainculqul'idequedetels proposne feraientquecontrarier lesoi-disant progrsdu monde. Mais,si notre plus profond dsir est vritablement de vivre et de continuer vivre, pourquoi affirmer alors avec tant d'aveu-glement que la mort est la fin? Pourquoi ne pas aumoins tenter d'explorer la possibilit d'une vie aprs la mort? Si nous som-mes aussi pragmatiques que nous prtendons l'tre, pourquoi ne pas commencer nous demander srieusement ose trouve notre vritable avenir? Aprs tout,nul ne vit plus de cent ans. Ensuites'tendl'ternittoutentire,dontnousnesavons nen ... UNE PAR ESSE ACTIVE j'aime beaucoup cette vieille histoire tibtaine intitule Le pre d'Aussi Connu que la Lune "Un homme trs pauvre, ayant durement travaill, avait russi amasser tout un sac de grain. Ilen tait trsfieret,quandilrentra chez lui,ilaccrochale sacunepoutredesamaisonaumoyend'unecorde,pour 42LELIVRE TIBTAIN DE LA VIEET DELAMORT lemettrel'abridesratsetdesvoleurs.Quandlesacfut suspendu, pour plus de sret, ils'installa dessous afin d'y pas-ser lanuit.Allongl,sonesprit semitvagabonder:Si je peux vendrecegrainparpetitesquantits,j'en tireraiun plus grand profit ... Je pourrai alors en acheter d'autre et recom-mencer la mme opration; d'ici peu, je serai riche et je devien-draiquelqu'undanslacommunaut.Touteslesfilles s'intresserontmoi.fpouseraiunebelle femmeet,bien-tt,nousauronsun enfant ...Ce sera un fils,videmment. .. Comment pourrions-nous bien l'appeler? Laissant son regard errerdanslapice,ilaperut,parlapetitefentre,lalune quiselevait. Quel signe! pensa-t-il.Voil qui est de bon augure! C'est un nom parfait,vraiment :je l'appellerai "Aussi Connu quelaLune" ... Mais,tandisqu'ilspculaitdelasorte,un rats'taitfrayunchemin jusqu'ausacet enavaitrongla corde.Al'instantmmeolesmotsAussiConnuquela Lune sortirent de ses lvres,lesacde graintomba dupla-fond,le tuant sur le coup. Aussi Connu que laLune ,cela vasansdire,nevitjamaislejour. Combien d'entre nous,comme l'homme de cette histoire, sommes pris dans le tourbillon de ce que j'appelle aujourd'hui une paresse active ? Il existe, naturellement, diffrentes sor-tes de paresse: ily a laparesse l'orientale,et celle l'occi-dentale.La paresse l'orientale est pratique laperfection en Inde.Elle consiste flnerausoleiltoute la journe, sans rien faire, viter toute forme de travail et toute activit utile, couter de la musique de filmhindie laradioet discuter avecdes amistout en buvant forcetassesde th.La paresse l'occidentale est tout faitdiffrente: elleconsisterem-plir sa vie d'activits fbriles,si bien qu'il ne reste plus de temps pouraffronterlesvraiesquestions. Si nous examinons notre vie,nous verrons clairement que nousaccumulons,pourlaremplir,unnombreconsidrable de tches sans importance et quantit de prtendues respon-sabilits.Unmatrecomparecelafairelemnageen rve. Nous nous disons que nous voulons consacrer du temps auxchoses importantes de la vie,maisce temps,nousne le trouvons jamais. Rien qu'en se levant le matin, il y a tant faire: ouvrirlafentre,fairele lit,prendre une douche,sebrosser L'IMPERMANENCE43 lesdents,donner manger auchien ou auchat, fairela vais-selle de la veille au soir,s'apercevoir qu'on n'a plusde sucre, ouplusdecaf,allerenacheter,prparerlepetit djeuner - laliste est interminable.Puis,ily a lesvtements trier, choisir,repasseret replier.Enfinilfautsecoiffer,se maquiller ...Impuissants,nousvoyonsnosjournesserem-plir de coups de tlphone, de projets insignifiants; nous avons tantderesponsabilits ...Nedevrions-nouspasdireplutt d'irresponsabilits ? C'est notre vie qui semble nous vivre,nous porter et pos-sdersapropredynamiquetrange.En findecompte,tout choixet toutcontrlesemblentnouschapper.Biensr,il nous arrive d'en ressentir un certain malaise,d'avoir des cau-chemars et de nous rveiller en sueur.Nous nous demandons alors: Quesuis-jeentraindefairedemavie? Maisau petit djeuner,nos peursse sont dissipes;nousreprenons l'attach-caseet...nousvoicirevenusaupointdedpart. Cela me rappelle ce que disait le saint indien Ramakrishna l'unde sesdisciples: Si tu vouais la pratique spirituelle le dixime du temps que tu consacres des distractions telles que courtiser les femmes ou gagner de l'argent, tu obtiendrais l'veil en quelques annes! Au dbut du sicle vivait au Tibet un matre dunom de Mipham. C'tait une sorte de Lonard de Vinci de l'Himalaya et l'on dit de lui qu'il inventa une hor-loge, un canon et un avion. Chaque foisque l'une de ses inven-tionstait acheve,ilia dtruisait en disant qu'ellene serait qu'unesourcededistractionsupplmentaire. Le terme tibtain pour dsigner le corps est l, ce qui signi-fiece qu'on laisse derrire soi , comme un bagage. Chaque fois que nous prononons le mot l, ce terme nous rappelle que nous ne sommes que des voyageurs, ayant trouv un refuge tem-poraire dans cette vie et dans ce corps. C'est pourquoi les Tib-tains ne gaspillaient pas tout leur temps essayer de rendre leurs conditions matrielles plus confortables. Ils s'estimaient satis-faitss'ilsavaient assez manger,desvtements sur le dos et un toit sur leur tte. L'obsession d'amliorer nos conditions mat-rielles,qui dtermine notre comportement, peut devenir une finen soi et une distraction dnue de sens.Quelle personne sense songeraitretapissersa chambre d'htelchaque fois qu'elle en change?f aime le conseil suivant de Patru! Rinpoch: 44LE LIVRE TIBTAIN DE LA VIE ET DE LA MORT Prenezexemplesur unevieillevache: Elleest satisfaitededomtir dansunetable. Vousdevezdomtir,manger et jairevosbesoins - C'estinvitable-Au-del,celanevousregarde pas. Je pense parfois que leplus grandaccomplissement de la culture moderne est lapublicit remarquable qu'elle faitpour lesamsaraet sesdistractionsstriles.La socit contempo-rainem'apparat comme une clbration de tout ce quinous loigne de la vrit,nous empche de vivre pour cette vrit et nous dcourage de seulement croire son existence. Etrange paradoxe que cette civilisation qui prtend adorer la viemais lui retire en fait toute signification relle,qui clame sans cesse vouloir rendre les gens heureux mais, en ralit,leur barre laroutemenantlasourcedelajoievritable! Cesamsaramoderneentretient etfavoriseennousune angoisse et une dpression dont ilse nourrit en retour.Illes alimente soigneusement par le biais d'une socit de consom-mationquicultivenotreaviditafindeseperptuer.Ilest extrmement organis,habile et sophistiqu; ilnous assaille de tousctsavecsapropagande et cre autourde nousun environnement de dpendance presque insurmontable.Plus nous tentons de lui chapper, plus nous semblons tomber dans les piges qu'ilnous pose siingnieusement. Comme le disait lematretibtainduXVIII>et emprunteruneautrerue)). Celaexigerasouventunepriodederetraiteetdecontem-plation profonde, qui seule pourra vous aider ouvrir vraiment lesyeuxsurcequevousfaitesde votrevie. Examinerlamortn'estpasforcmenteffrayantoumor-bide. Pourquoi ne pas y rflchir lorsque vous vous sentez par-ticulirement inspir et dtendu: bien install, allong sur votre lit,envacances,entraind'couterunemusiquequivous enchante? Pourquoine pasl'voquerquandvousvoussen-tez heureux,enbonnesant,srdevouset emplidebien-tre ? N'avez-vous jamaisremarququ'ilexistedesinstants particuliers o vous vous sentez naturellement port l'intros-pection? Utilisez-lesavecdlicatesse,carcesmomentsvous offrent la possibilit de vivre une exprience dcisive,et votre entire perception du monde peut alors tre modifie trs rapidement.Dans de tels moments, vos croyances passes se dsagrgent spon-tanmentetvotretrepeuts'entrouverprofondment transform. La contemplation de la mort feranatre en vous une com-prhension plus profonde de ce que nous appelons le renon-cement)),entibtainng jung.Ngsignifievraiment>>ou dfinitivement>>etjung, sortir de)),merger >>ouna-tre )).Par une rflexion frquenteet approfondie surlamort, vous vous apercevrez que vous mergez>>de vos schmas habi-tuels, souvent avec un sentiment de dgot. Vous vous senti-rez de plus en plus dispos les abandonner et, finalement, vous serez capable de vousen dgager aussi facilement,disent les matres,que l'on retire un cheveu d'une motte de beurre)). Ce renoncement auquel vous parviendrez vous procurera lafoistristesseet joie:tristesseenralisantlafutilitde voscomportementspasss,et joie en voyantlaperspective plus large qui se dploiera devant vous,quand vous serez capa-ble d'y renoncer. Ce n'est pas lune joie ordinaire. C'est une joie qui donne naissance une forcenouvelleet profonde, une confiance et une inspiration constante lorsque vous ra-lisez que vous n'tes pas enchan voshabitudes,maisque vous pouvez vraiment en merger,changer et vous librer de plusenplus. RFLEXION ET CHANGEMENT61 LE BATTEMENT DE CUR DE LA MORT Nousn'aurionsaucune chance d'apprendre connatre la mort si elle ne se produisait qu'une seule foismais, heureuse-ment, lavie n'est rien d'autre qu'une danse ininterrompue de naissancesetdemorts,unedanseduchangement.Chaque foisque j'entends un torrent dvaler la pente d'une montagne oudesvaguesdferlersur lerivage,ouencorelebattement de mon propre cur, j'entends le son de l'impermanence. Ces changements,cespetitesmorts,sont nosliensvivantsavec lamort:ilsen sont lepouls,le battement de cur,et nous incitentlchertoutcequoinousnousaccrochons. C'est donc maintenant, dans cette vie,qu'ilnous fauLtra-vailleraveclechangement : c'est le vraimoyen de nouspr-parerlamort.Tout cequelaviecontientdedouleur,de souffrance et de difficult peut tre peru comme autant d' occa-sions qui nous sont offertes pour nous conduire, graduellement, uneacceptationmotionnelledelamort.Seulenotre croyance en la permanence des choses nous empche de tirer laleonduchangement. Si nousnouscoupons de lapossibilit d'apprendre,nous nous fermonset commenonsnousattacher 7Or cet atta-chement est la source de tous nos problmes. L'impermanence tantpournoussynonymed'angoisse,nousnouscrampon-nonsauxchosesavecl'nergiedudsespoir,bienquetout soit pourtant vou auchangement. L'ide de lcher prise nous terrifiemais,en ralit,c'estlefaitmme de vivrequinous terrifie car apprendre vivre,c'est apprendre lcher prise. Tel-les sont la tragdie et l'ironie de notre lutte incessante en vue denousemparerdetoutechose :celanonseulementest impossible,mais engendre la souffrance mme que nous cher-chonsviter. L' intention quinous pousse lasaisien'est pas forcment mauvaiseensoi.Iln'yaeneffetriendemaldansledsir d'treheureux,maiscequenouscherchonssaisirest par nature insaisissable.Les Tibtains ont coutume de direqu'on nepeutlaverdeuxfoislammemainsaledanslamme eaucouranted'unerivireet que peuimporteavecquelle forceonpresseunepoignedesable,onn'entirerajamais d'huile. 62LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DE LAMORT Prendre cur la ralit de l'impermanence, c'est se lib-rer peu peu de l'ide mme d'une saisie, d'une croyance erro-ne et nuisible en la permanence et d'un attachement trompeur auxvaleursrassurantessurlesquellesnousavonstoutbti. Nous commencerons entrevoir progressivement que la dou-leur cause par notre tentative de saisir l'insaisissable tait, en finde compte,inutile.Accepter cela pourra tre douloureux audbut, car nous y sommes si peu habitus.Pourtant, si nous continuons yrflchir,notre cur et notre esprit se trans-formeront progressivement. Lcher prise nous semblera plus naturel et deviendra de plus en plus ais.Ilnous faudra peut-tre du temps pour nous rendre compte de l'tendue de notre garementmaisplusnousrflchirons,plusnouscompren-drons et dvelopperons cette attitude nouvelle.Notre regard surlemondes'entrouveraalorsradicalementtransform. Contempler l'impermanence n'est passuffisant en soi; il nous faut travailler avec elle dans notre vie.La vie,de mme quelestudesdemdecine,exigelafoisthorieet prati-que, et c'est ici et maintenant, dans le laboratoire duchange-ment, que se droule la formation pratique. Nous apprendrons observer chacun d'eux la lumire d'une comprhension nou-velleet,bienqu'ilscontinuentseproduiredelamme manire qu'auparavant, quelque chose en nous sera diffrent. La situation dans son ensemble apparatra plus dtendue, moins intense et douloureuse.L'impact des changements quenous subironsnoussembleralui-mmemoinsintolrable.A cha-que changement successif,nousacquerronsune plus grande comprhension, et notre perspective de la vie deviendra plus profondeetplusvaste. TRAVAILLER AVEC LES CHANGEMENTS Faitescetteexprience :prenezunepicedemonnaie et imaginezquec'est l'objetquevousvoulezsaisir.Tenez-labienserredansvotrepoingfermettendezlebras, lapaumedevotremaintourneverslebas.Simaintenant vousrelchezet desserrezlepoing,vousperdrezcequoi vousvousaccrochiez.C'est laraisonpour laquelle voussai-sissez. RFLEXIONET CHANGEMENT63 Maisil est une autre possibilit. Vous pouvez lcher prise sans rien perdre pour autant: lebras toujours tendu, tournez la main versle ciel.Ouvrez le poing : lapice demeure dans votre paume ouverte. Vous lchez prise ... et la pice est tou-joursvtre,malgrtoutl'espacequil'entoure. Ainsi,ilexiste une faond'accepter l'impermanence tout en savourantlavie,sanspourautants'attacherauxchoses. Examinons maintenant ce qui arrive frquemment dans les relations de couple. Bien souvent, nous nous apercevons que nousaimonsnotre conjoint seulement quandnousralisons que nous sommes en train de le perdre. Nous nous accrochons alors lui ou elle d'autant plus fort; mais plus nous agissons delasorte,plusilouellenouschappeetpluslarelation devientfragile. Nousdsironslebonheur.Pourtant,leplussouvent,la faonmme dont nouslerecherchonsest simaladroite et si inexperte qu'elle nous cause seulement davantage de tourment. Nous supposons gnralement qu'afin de l'obtenir, nous devons saisirl'objetqui,selonnous,assureranotrebonheur.Nous nous demandons comment ilest possible d'apprcier quelque chosesinousnepouvonslepossder.Combiennouscon-fondonsattachementetamour! Mmedanslecadred'une relation heureuse, l'amour est dnatur par l'attachement, avec son cortge d'inscurit,de possessivit et d'orgueil.Et puis, une foisl'amour parti,ilne nous reste plus que lessouvenirs del'amour,lescicatricesdel'attachement. Que pouvons-nous donc fairepour triompher de cet atta-chement ? Tout simplement,en raliserlanatureimperma-nente. Cette ralisation nous librera peu peu de son emprise. Nousauronsalorsunaperude ce que lesmatresdcrivent comme l'attitude juste face au changement :tre semblable au ciel qui regarde passer les nuages, ou tre libre comme le mer-cure. Quand du mercure tombe terre, il demeure, par nature, intact :ilnese mlange jamais lapoussire.Sinousnous efforons de suivre les conseils du matre et nous librons peu peu de l'attachement, une grande compassion se fera jour en nous. Les nuages de la saisie dualiste se dissiperont et le soleil de notre cur resplendira de la vraie compassion. C'est alors quenouscommencerons goter,auplus profondde nous, l'exaltantevritdecesversde WilliamBlake: 64LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DELAMORT Quiveut lier lui-mmeune Joie, Delavie briselesailes. Quiembrassela Joiedans sonvol, Dansl'auroredeI'Etemit demeure 8. L'ESPRIT DU GUERRIER Bien qu'on nous ait encourags croire que nous perdrions toutsinousouvrionslamain,lavie,endemultiplesocca-sions, nous dmontre le contraire. Le lcher prise est, en effet, lechemindelavraielibert. Lorsque les vagues se jettent l'assaut du rivage,lesrochers n'en sont pas endommags. Aucontraire, l'rosion les modle en formesharmonieuses.Leschangements,de mme,peu-vent faonnernotre caractre et arrondir ce qu'il y a en nous d'anguleux.Essuyerlestemptesduchangementnousper-mettra d'acqurir un calme plein de douceur,mais inbranla-ble.Notre confiance en nous grandira et deviendra si forte que bontet compassion commencerontnaturellement rayon-ner de nous pour apporter la joie aux autres. C'est cette bont fondamentale existant en chacun de nous qui survivra la mort. Notre vie entire est la foisun enseignement qui nous per-met dedcouvrircette puissantebont,et unentranement visantlaraliserennous-mmes. Ainsi,chaque foisquelesperteset lesdceptionsdela vie nous donnent une leon d'impermanence, elles nous rap-prochent en mme tempsdelavrit.Quandvoustombez d'unetrsgrandehauteur,vousne pouvezqu'atterrirsurle sol: le sol de la vrit.Et si vous possdez lacomprhension ne d'une pratique spirituelle,tomber ne constitue en aucun casun dsastre mais,aucontraire,ladcouverted'unrefuge intrieur. Les difficults et les obstacles, s'ils sont correctement com-pris et utiliss,deviennent frquemment une source inatten-duede force.Quand vouslisezlesbiographiesdesmatres, vous observez que, bien souvent; s'ils n'avaient pas rencontr de difficultsniaffrontd'obstacles,ilsn'auraient pudcou-vrireneuxlaforcencessairepourlessurmonter.Tel fut, par exemple, le cas de Gus ar,le grand roi guerrier duTibet, RFLEXION ET CHANGEMENT65 dont les aventures constituent la plus grande pope de lalit-trature tibtaine.Gusarsignifie indomptable>>,que l'on ne peut briser.Ds l'instant de sa naissance,son mauvaisoncle, Trotung, fittout ce qui tait en son pouvoir pour le tuer mais, chaquetentative,Gusar devenait plusfort.Endfinitive, ce fut grce aux efforts de son oncle que Gusar devint si puis-sant.D'o le proverbe tibtain:Trotung tro ma tung na,Gesar ge mi sar,ce quisignifie: sanslamchancet et lesmachina-tions de Trotung, Gusar ne se serait jamais lev aussihaut. PourlesTibtains,Gusarn'est passeulement unguer-rierausenshabituelduterme ;ilest aussiunguerrierspiri-tuel.Etreunguerrierspirituel,c'estdvelopperuncourage d'un genre particulier, foncirement intelligent,doux et intr-pide la fois.Les guerriersspirituels peuvent prouver de la peur,maisilsont suffisammentde courage pourosergoter lasouffrance, pour tablir un rapport clair leur peur fonda-mentale et ne pas se drober lorsqu'il s'agit de tirer des leons de leurs difficults. Comme nous le dit Chogyam Trungpa Rio-poch,devenir un guerrier signifie que noussommes capa-bles d'changernotre poursuite mesquine de scurit contre unevueplusvaste,faited'audace,delargeurd'espritet d'hrosme authentique ... 9 >>.Entrer dansl'arne transforma-trice de cette vue beaucoup plus vaste, c'est apprendre tre l'aisedanslechangement et se faireune amie de l'imper-manence. LE MESSAGE DE L'IMPERMANENCE : L'ESPOIR CONTENU DANS LA MORT Approfondissez encore votre examen de l'impermanence et vous dcouvrirez qu'elle comporte un autre aspect, un autre message charg d'un espoir immense, capable de nous ouvrir les yeux lanature fondamentalede l'univers et larelation extraordinairequenousentretenonsaveclui. Sitoutestimpermanent,alorstoutestvide>>,c'est--diresansexistence intrinsque,stable oudurable.Ettoutes choses,comprises dansleur vritable relation,sont vues non commeindpendantesmaiscommeinterdpendantes.Le Bouddhacomparaitl'universunimmensefilettissd'une 66LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DE LAMORT infinie varit de diamants tincelants. Chaque diamant, com-portant un nombre incalculable de facettes,rflchit tous les autresdiamantsdufiletet ne faitqu'unavecchacund'entre eux. Imaginezune vaguelasurfacedelamer.Vuesousun certainangle,ellesembleavoiruneexistencedistincte,un dbut et une fin,une naissance et une mort.Perue sousun autreangle,lavaguen'existepasrellementenelle-mme, elleest seulementlecomportement del'eau, v i d e ~d'une identitsparemais pleine ))d'eau.Sivousrflchissez srieusementlavague,vousen venezraliserquec'est un phnomne rendu temporairement possible par le vent et l'eau,qui dpend d'un ensemble de circonstances en constante fluctuation.Vous vous apercevez galement que chaque vague estrelietouteslesautres. Sivousyregardezde prs,rienne possded'existence intrinsque.C'est cette absence d'existence indpendante que nous appelonsvacuit)).Pensez un arbre:vous aurez ten-dance le percevoir, comme la vague, en tant qu'objet claire-ment dfini,ce qui est vrai un certain niveau.Mais un examen attentif vous montrera qu'en finde compte, ilne possde pas d'existence indpendante.Si vous le contemplez, vous cons-taterezqu'ilsedissouten unrseauextrmementsubtilde relationss'tendant l'univers entier: la pluie qui tombe sur sesfeuilles,leventquil'agite,lesolquilenourrit et lefait vivre,lessaisons et letemps,lalumire de lalune,des toi-les et dusoleil- tout cela faitpartie de l'arbre.En poursui-vant votre rflexion, vous dcouvrirez que tout dans l'univers contribue fairede l'arbre ce qu'ilest,qu'ilne peut aucun moment tre isol dureste du monde et qu' chaque instant, sanaturesemodifieimperceptiblement.C'estcequenous entendonslorsquenousdisonsqueleschosessontvides, qu'ellesn'ontpasd'existenceindpendante. La science moderne nous parle d'un registre extraordinaire de corrlations. Les cologistes savent qu'un arbre en feudans la fort amazonienne modifie d'une certaine faon l'air respir par un Parisien, et que le frmissement d' une aile de papillon auYucatan affecte la vie d'une fougre dans les Hbrides.Les biologistes commencent dcouvrir la danse complexe et fabu-leusedesgnesquicrentlapersonnalitet l'identit,une RFLEXIONET CHANGEMENT67 danse qui prend sa source dans un pass trs lointain et prouve que chaque identit est compose d'un tourbillon d'influen-ces diverses.Les physiciens nous ont fait connatre le monde des particules quantiques, un monde qui ressemble tonnam-ment celui dcrit par le Bouddha lorsqu'il parle du filet scin-tillant qui se dploie dans l'univers. Tels les diamants du filet, les particules existent toutes potentiellement en tant que com-binaisonsdiffrentesd'autresparticules. Si nous portons un regard vritable sur nous-mmes et sur les choses qui nous entourent et qui, jusqu'alors, nous parais-saient si certaines, si stables et si durables,nous nous aperce-vons qu'elles n'ont pas plus de ralit qu'un rve.Le Bouddha adit: Sachezquetouteschosessont ainsi: Unmirage,unchteaudenuages, Unrve,uneapparition, Sansralit essentielle; pourtant,leursqualits peuvent tre perues. Sachezquetouteschosessont ainsi: Commelalunedansunciel clair Refltedansunlactransparent; Pourtant,jamais lalunen'est venue jusqu'aulac. Sachezquetouteschosessontainsi: Commeunchoissu Delamusique,desons,depleurs; Pourtant,danscet cho,nulle mlodie. Sachezquetouteschosessontainsi: Commeunmagiciennousdonnel'illusion Dechevaux,debufs,decharretteset d'autresobjets; Rienn'est tel qu'il apparat 10 La contemplationdelanature,semblableaurve,dela ralitne doit en aucune faonnousrendre froids,dsesp-rs ou amers.Elle peut rvler, au contraire, la prsence d'un humourchaleureux,d'unecompassionvigoureuseet tendre dont nous tions peine conscients et, par consquent, d'une 68LELIVRE TIBTAINDE LAVIEET DELAMORT gnrositgrandissanteenverstoutechoseettouttre.Le grand saint tibtain Milarpa disait: Maisnon, aucunemiseenscnedecegenreneseproduit. Du fait de l'importance excessive que, dansnotre culture, nous accordons l'intellect,nous imaginons qu'atteindre l'veil exige une intelligence suprieure.Aucontraire,bien des for-mesd'agilitintellectuellene fontquenousaveuglerdavan-tage.C'est ce qu'exprime ce proverbe tibtain: Si vous tes tropmalin,vousrisquezdepasserctdel'essentiel. Comme le disait Patrul Rinpoch: L'esprit logique semble prsenter de l'intrt mais ilest, en fait,le germe de l'illusion. On peut tre obnubil par ses propres thories et passer ct de tout.Nous disons,au Tibet : Les thoriessont comme des pices sur un vtement, elles finissent un jour par s'user. Laissez-moiceproposvousconterunehistoireencoura-geante ... Ausicle dernier,un grand matre avait un disciple parti-culirement obtus. A maintes reprises, le matre lui avait donn l'enseignement,essayantdel'introduirelanaturedeson esprit,maisc'tait peine perdue.A lafin,ilse mit en colre et luidit: Ecoute-moi, je veux quetuportescesacd'orge jusqu'ausommet delamontagne l-bas,maistunedoispas t'arrterpourprendrelemoindrerepos.Marchesanscesse jusqu' ce que tuatteigneslesommet. Le disciple tait un homme simple mais ilprouvait envers son matre une dvo-tion et une confiance inbranlables: ilfitexactement ce que celui-ciluiavaitdit.Le sactait lourd.Illesouleva et com-mena gravir la montagne sans oser s'arrter.Ilmarcha sans discontinuer,lesacpesant de plus en pluslourd.Illuifallut longtemps pour atteindre lesommet et,quand enfin ily par-vint,illaissa tomber sa charge.Ils'croula terre,puis de fatiguemaisprofondmentdtendu.Ilressentitlafracheur d'une brise de montagne sur son visage.Toutes ses rsistan-ces s'vanouirent et, avec elles, son esprit ordinaire; tout sem-bla suspendu. A cet instant prcis, ilralisa soudain lanature de son esprit. Ah! Voil ce que mon matre essayait de me montrer durant tout ce temps! pensa-t-il.Il descendit la mon-tagne en courant et,laissantllesconvenances,fitirruption danslachambredesonmatre: Jecroisquej'aicomprismaintenant ...J'aivraiment compris! LANATUREDE L' ESPRIT89 Son matre luisourit d'un air entendu: Alors, tun'as pas perdu ton temps en escaladant la montagne, me semble-t-il? Nousaussi,quiquenoussoyons,pouvonsconnatrela mme exprience que ledisciple sur lamontagne: c'est elle qui nous donnera l'intrpidit ncessaire pour affronter la vie et lamort.Quel est alorsle moyen le plussr,leplus rapide et leplusefficacepourcommencer ? Lepremierpasestla pratique de la mditation. C'est la mditation qui purifiera peu peu notre esprit ordinaire, dmasquant et puisant ses habi-tudeset sesillusionspour que,lemoment venu,nouspuis-sionsreconnatrenotrevraienature. CINQ Ramener l'esprit enlui-mme IL YAPLUSdedeuxmillecinqcents ans,un homme qui avait recherch la vrit aucoursde vies innombrables se rendit en un lieu tranquille du nord de l'Inde et s'assit sous un arbre.Anim d'une immense dtermination, ilfitlevu de ne pasquittercelieuavantd'avoirtrouvla vrit.Au crpuscule, dit-on,iltriompha de toutes les forces obscures de l'illusion et le lendemain la premire heure, quand laplanteVnusapparutdanslecieldel'aube,cet homme reutlarcompensedesalonguepatience,de sadiscipline et de sa concentration sans faille: ilatteignit lebut ultime de toute existence humaine, l'veil.En ce moment sacr, la terre elle-mme frmit,comme ivre de batitude et, nous disent les critures,nulnefutirrit,maladeoutristeen quelque lieu;nulnefitlemal,nulneressentitd'orgueil; lemonde fut en paix, comme s'il avait atteint la perfection totale.Cet homme fut par la suite connu sous le nom de Bouddha. Voici la trs belle description que donne de cet veille matre viet-namienThichNhatHanh: Il apparot Gautama que la prison dans laquelle il avait t enferm pendant des milliers de vies s'tait brosquement ouverte. L'ignorance en avait t le gelier.Son espnt avait t voil par l'ignorance,demme que laluneet les toiles sont caches par les nuages d'orage.Obscurci par des vagues incessantes de pen-sestrompeuses,l'esprit avait tort divis laralit ensujet RAMENERL'ESPRIT ENLUI-MME91 et objet,soi et autroi,existence et non-existence,naissance et mort, et de cesdistinctions taient nes desvues errones- la prison des sensations,du dsir,de la saisie dualiste et du devenir.La souffrance dela naissance,de la vieillesse,dela maladie et de lamort n'avait fait queconsolider lesmurs dela prison.La seule chose jaire tait de s'emparer du gelier et dele dmas-quer." Ignorancetait sonnom.Une foisle gelier limin, la prisondisparatrait pour ne plus jamais tre reconstroite 1 Voici ce que ralisa le Bouddha:l'ignorance de notre vraie natureest lasourcedetouslestourmentsdusamsara,et la source de cette ignorance elle-mme est latendance invt-re de notre esprit ladistraction.Mettre fincette distrac-tion,c'est mettre fin au samsara lui-mme. La solution, comprit leBouddha,taitdoncderamenerl'espritsavraienature parlapratiquedelamditation. Le Bouddha tait assissur lesol,serein, digne et humble la fois; le ciel tait au-dessus de lui et autour de lui,comme pour nous montrer qu'en mditation, nous sommes assis avec une attitude d'esprit ouverte et semblable au ciel, tout en res-tant prsents nous-mmes et en troit contact avec la terre. Le ciel est notrenatureabsolue,sansentravesnilimites,et le sol notre ralit,notre condition relative,ordinaire.La pos-ture que nous adoptons quand nous mditons signifie que nous relions l'absolu et le relatif,le ciel et la terre, comme les deux ailesd'un oiseau,intgrant le cielde lanatureimmortelle de l'espritetlesoldenotrenaturemortelleet transitoire. Apprendre mditer est le plus grand don que vous puis-siezvousaccorderdanscette vie.En effet,seule lamdita-tionvouspermettra de partirladcouvertedevotrevraie nature et de trouver ainsi la stabilit et l'assurance ncessaires pour vivre bien, et mourir bien.La mditation est la route qui mneversl'veil. L'ENTRAINEMENT DE L'ESPRIT La mditation peut tre prsente de bien des faons et j'ai d l'enseigner des milliers de fois.Pourtant, c'est chaque fois une exprience diffrente, toujours directe et toujours nouvelle. 92LELIVRE TIBTAINDELAVIEET DELAMORT Nous vivons heureusement une poque o beaucoup de gens,de par lemonde,commencent se familiariseravecla mditation. Celle-ci est de plus en plus reconnue comme une mthodequifranchitlesfrontiresculturelleset religieuses, s'lve au-dessus d'elles et permet ceux qui la pratiquent d' ta-blirun liendirect aveclavrit de leur tre.C'est une prati-quequi,toutentantl'essencemmedetoutereligion, transcendelesdogmesreligieux. Distraits de notre tre vritable, nous gaspillons d'ordinaire notrevieenoccupationssansfin.Lamditation,enrevan-che, est la voie qui nous ramne nous-mmes.Elle nous per-met defairel'expriencedenotretredanssaplnitudeet de lesavourer,au-del de tout schma habituel.Prisdansun tourbillon de hte et d'agressivit,nous vivons notre vie dans le conflit et l'angoisse; nous sommes emports par lacomp-tition,l'avidit,le dsir de possession et l'ambition.Nous nous chargeonssansrpitd'occupationsetd'activitssuperflues. La mditation, elle, est l'exact oppos. Mditer, c'est rompre compltement avec notre mode de fonctionnement normal)). C'estuntatlibredetoutsouciet detouteproccupation, exempt de toute comptition, dsir de possession et saisie dua-liste, libre de lutte intense et angoisse, et de soif de russite. C'est un tat sans ambition o ne se manifeste niacceptation ni refus,ni espoir ni peur ; un tat dans lequel nous relchons peu peu,dansl'espacedelasimplicitnaturelle,lesmo-tionsetlesconceptsquinousemprisonnaient. Les matres de mditation bouddhistes savent quel point l'esprit est souple et mallable.Sinousl'entranons,tout est possible.En fait,nous sommes dj parfaitement formspar etpourlesamsara,formslajalousie,l'attachement, l'anxit,latristesse,audsespoiretl'avidit,forms ragir avec colre toute provocation. Nul besoin d'effort par-ticulierpourgnrer en nouscesmotionsngatives:nous ysommes sibien entransqu'elles s'lvent spontanment. Ainsi,tout dpend de notre entranement et dupouvoirdes habitudes. Consacrons notre esprit la confusion: nous savons parfaitement- soyons honntes!- qu'il deviendra unma-tretnbreuxdelaconfusion,expertnousrendredpen-dants,subtilet perversdanssonhabiletnousrduireen esclavage. Consacrons-le, dans la mditation, latche de se RAMENERL' ESPRIT ENLUI-MME93 librerdel'illusion: avecletemps,lapatience,ladiscipline etl'entranementappropri,notreespritgraduellement sednouera et connatralaflicitet lalimpiditde savraie nature. Entraner J'esprit ne signifie en aucun casle soumettre par laforceouluifairesubirunlavagede cerveau.C'est aucontraire acqurir d'abord une connaissance prcise et con-crte de son fonctionnement,grce aux enseignements spiri-tuelsetuneexpriencepersonnelledelapratiquedela mditation.Vous pourrez alorsavoirrecours cette compr-hension pour pacifier votre esprit et travailler habilement avec lui, pour lerendre de plus en plus mallable,afind'en obtenir lamatrise et de l'utiliseraumieuxdesespossibilitset aux finslesplusbnfiques.AuVIW sicle,lematre bouddhiste Shantidevadisait: Si l'lphant Esprit est li compltement par la corde Attention, Toute peur disparat et lebonheur parfait survient. Tous nos ennemis,tigres,lions,lphants,ours,serpents,[nos motions]2 Touslesgeliersinfernauxet lesdmons, Toussont soumis par lamatrisedel'esprit, Toussont subjugus par la pacificationdel'esprit, Car toutesles peurset les peinesinfinies procdent del'esprit seul3. La libert d'expression spontane d'un crivain n'est acquise qu'aprsdesannesde labeursouvent fastidieux,et lagrce d'un danseur n'est atteinte qu'au prix d'un immense et patient effort.De mme, quand vous commencerez comprendre o lamditationvousmne,vousl'aborderez comme ladmar-cheessentielledevotrevie,exigeantdevousune persv-rance,unenthousiasme,uneintelligenceetunediscipline considrables. LE CUR DE LA MDITATION La mditation a pour but d'veiller en nous lanature sem-blable aucielde notre esprit,de nousintroduire ce que 94LELIVRE TIBTAINDE LAVIEET DE LAMORT noussommes rellement:notre conscience pure et immua-ble,sous-jacentelatotalitdelavieetdelamort. Dans l'immobilit et le silence de la mditation, nous entre-voyons, puis rintgrons cette nature profonde et secrte que nous avonsperdue de vue depuis silongtemps,aumilieude l'effervescence et de la distraction de notre esprit. N'est-il pas tonnant que cet esprit ne puisse rester en paix plus de quel-ques instants, sans s'emparer immdiatement de la moindre dis-traction? Il est tellement agit et proccup que nous, habitants des grandes mtropoles du monde moderne, ressemblons dj, mon sens,aux tres tourments de l'tat intermdiaire qui suit la mort : la conscience y est, dit-on, en proie au tourment intense d'une agitation extrme. Selon certains experts, jusqu' 13% des citoyens amricains souffriraient d'une forme ou une autre de maladie mentale. Cela en dit long sur notre mode de vie! Nous sommes fragmentsen une multitude d'aspects dif-frents.Nousnesavonspasquinoussommesvraiment,ni quelles facettes de nous-mmes nous devons croire ou nous identifier. Tant de voix contradictoires, tant d'exigences et de sentiments se disputent le contrle de notre vie intrieure que nousnoustrouvonscompltementdisperss...etnotre demeurerestevide. Ainsi, la mditation consiste ramener l'esprit sa demeure. Dans l'enseignement du Bouddha, trois facteurs font toute la diffrence entre une mditation qui est seulement un moyen de dtente, de paix et de flicit temporaires,et une mdita-tion qui peut devenir une cause puissante d'veil pour soi-mme et autrui.Nouslesqualifionsde bonaudbut ,bonau milieuet bonlafin. Bonau dbut natde laprise de conscience quelanature debouddha est notre essence laplussecrte,ainsique celle detouslestressensibles.Cetteralisationnouslibrede l'ignorance et met un point final la souffrance.Ainsi, chaque foisquenouscommenonsnotre pratique delamditation, nous sommes touchs par cette vrit et inspirs par lamoti-vationdeddiernotre pratique et notre viel'veildetous les tres,dansl'espritde cette prire que touslesbouddhas dupassontformule: RAMENERL'ESPRIT ENLUI-MME95 Par le pouvoir et lavrit decette pratique, Puissent tous les tres obtenir le bonheur et les causes du bonheur; Puissent-ils tre libres de la douleur et des causes de la douleur; Puissent-ils ne jamais tre spars dubonheur sacr qui est sans douleur; Puissent-ils demeurer dans l'quanimit,sans trop d'attachement ni tropd'aversion, Et vivre encroyant enl'galit detouslestres. Bon au milieu est ladisposition d'esprit avec laquelle nous pntrons au cur de la pratique.Elle est inspire par la ra-lisationdelanaturedel'esprit,d'os'lventuneattitude dnue de saisie,libre de toute rfrence conceptuelle,et la prisedeconsciencequetoutechoseestintrinsquement vide,illusoire,chimrique. Bon la finconcerne la faondont nous concluons la mdi-tation.Nous ddions ses mrites et prions avec une relle fer-veur: Puisse tout mrite obtenu par cette pratique contribuer l'veildetous,puisse-t-ildevenir une goutted'eauausein del'ocand'activitdetouslesbouddhas,dansleuruvre infatigable de libration de tous les tres.Le mrite dsi-gnelepouvoirpositif,lebienfait,lapaixet lebonheurqui manent de votre pratique; vous le ddiez au bien ultime des tres,leurveil.Surunplanplusimmdiat,vousl'offrez pour la paix dans le monde, et pour que tous les tres soient l'abri du besoin et de la maladie,qu'ils connaissent un bien-tre parfait et un bonheur durable.Puis, ralisant la nature illu-soire et chimrique de la ralit, vous considrez qu' auniveau leplusprofond,vousquiddiezvotrepratique,ceuxqui vous la ddiez et l'acte mme de ddier sont intrinsquement vides et illusoires. Dans les enseignements, ceci est dit scel-lerlamditationet garantirquesonpouvoir,danstoutesa puret,nepourraaucunements'chapperousedissiper,et assurer ainsi que le mrite de votre pratique sera entirement prserv. Ces trois principes sacrs- la motivation habile, l'attitude dnuedetoute saisie qui met en sret la pratique,et laddi-cacequilascelle- confrentvotremditationunerelle puissanced'veil.Le grandmatretibtainLongchenpales dcrivaitadmirablementcommelecur,l'ilet laforce 96LELIVRE TIBTAINDE LAVIEET DELAMORT vitale d'unepratiqueauthentique.Et NyoshulKhenpoen dit: Pour atteindre l'veilcomplet,plusque cela n'est pas ncessaire,maismoinsseraitinsuffisant.>> LA PRATIQUE DE L'ATTENTION Lamditationconsisteramenerl'espritenlui-mme,cequiesttoutd'abordaccompliparlapratiquede l'attention. Un jour,une vieillefemmevint voirleBouddha pour lui demandercommentmditer.Illuiconseilladedemeurer attentivechaquemouvementdesesmainstandisqu'elle tiraitl'eaudupuits.Ilsavaitqu'elleatteindraitainsirapi-dementl'tatdecalmevigilantetspacieuxqu'estlamdi-tation. La pratique de l'attention,grce laquellenousramenons enlui-mmel'espritdisperset rassemblonsainsilesdiff-rentsaspectsde notre tre,est appele demeurer paisible-ment.Cettepratiquepermetd'accomplirtroischoses. Premirement,lesdiversaspectsfragmentsdenous-mmes,quitaient en conflit,se dposent,sedissolvent et s'harmonisent.Danscetapaisement,nouscommenons mieux nouscomprendre et ilnousarrivemme parfoisd'avoir unaperudelasplendeurdenotrenaturefondamentale. Deuximement, lapratique de l'attention dsamorcenotre ngativit,notre agressivit et laturbulence de nos motions, quipeuventavoiraccumuluncertainpouvoiraucoursde nombreusesvies.Pluttquedelesrefouleroudenousy complaire,ilimporte icid'envisager nosmotions,ainsique nospensesettoutcequis'lve,avecunesympathieet une gnrosit aussiouvertes et vastesque possible.Les ma-trestibtainsdisentquecettegnrositpleinedesagesse possde lasaveurde l'espace illimit.Elle est sichaleureuse et siconfortable qu'onsesent envelopp et protg par elle commeparunmanteaudesoleil. Si vousrestez ouvert et attentif et utilisez l'une destech-niques que je vous dcrirai plus loin afin de centrer davantage votre esprit, votre ngativit se dsamorcera peu peu. Vous commencerez voussentirbienen vous-mme ou,comme RAMENERL'ESPRIT ENLUI-MME97 on dit enFrance,biendansvotre peau ,Vousprouve-rez alors une dtente et une aise profondes. je considre cette pratique comme la forme la plus efficace de thrapie et d'auto-gurison. Troisimement, cette pratique dissout et limine en nous le mal et la duret, dvoilant et rvlant ainsi notre Bon Cur fondamental.Alorsseulement commencerons-nous tre vri-tablement utiles autrui.En supprimant graduellement en nous touteduret et agressivitgrcelapratique,nouspermet-trons notre Bon Cur authentique, cette bont fondamen-tale- notrevraienature- deresplendiretdecrer l'environnement chaleureux ausein duquel s'panouira notre trevritable. Vous comprenez maintenant pourquoi je qualifie lamdi-tation de vraie pratique de paix,de non-agression et de non-violence- ledsarmementreletsuprme. LA GRANDE PAIX NATURELLE Lorsquej'enseignelamditation,jecommencesouvent pardire: Ramenezvotreesprit enlui-mme ...relchez ... etdtendez-vous. Toute lapratique de lamditation peut se rsumer ces trois points essentiels:ramener l'esprit en lui-mme,le rel-cher et se dtendre. Chacune de ces expressions possde des rsonancesdenombreuxniveaux. Ramener votre esprit enlui-mmesignifieramener l'esprit l'tat appel: demeurer paisiblement, grcela pratique de l'attention.Auniveauleplusprofond,celaconsistese tourner vers l'intrieur et demeurer dans lanature de l'esprit. C'estlamditationsonplushautdegr. Relcher veutdirelibrerl'espritdelaprisonde lasaisie dualiste.Vous reconnaissez en effet que toute douleur, toute peur et toute dtresse proviennent dudsir insatiable de l'esprit quisaisit.Aunniveauplusprofond,laralisationet lacon-fiance qui rsultent de votre comprhension accrue de la nature de l'esprit inspirent en vousune grande gnrosit naturelle. Enfranaisdansletexteoriginal. 98LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DE LAMORT Cette gnrosit permet votre cur d'abandonner toute saisie dualiste,laissant celle-ci se librer et se dissoudre dansl'ins-pirationdelamditation. Se dtendre,enfm, signifie devenir plus spacieux et permettre l'esprit d'abandonner ses tensions. Sur un plan plus profond, vousvousdtendez danslanature vritablede votreesprit, l'tat de Rigpa.Les mots tibtains qui voquent ce processus suggrent lesens de sedtendre enRigpa.C'est comme sivous laissiez tomber une poigne de sable surune surface plane: chaque grain se dpose de lui-mme.D'une faon simi-laire, vous vous dtendez dans votre vritable nature, laissant toutes vos penses et motions dcrotre naturellement et se dissoudredansl'tatdelanaturedel'esprit. Quand je mdite, je suis toujours inspir par ce pome de NyoshulKhenpo: Laissezreposer dansla grande paix naturelle Cetesprit puis, Battusansrelche par lekarmaet les pensesnvrotiques, Semblablesla fureurimplacabledesvaguesqui dferlent Dansl'ocaninfini dusamsara. Demeurezdanslagrandepaixnaturelle. Soyezavanttoutl'aise,soyezaussinaturelet aussispacieuxque possible.Glissez-vousdoucement horsdu nudcoulantdecepersonnageanxieuxqu'estvotremoi habituel.Relcheztoutesaisieetdtendez-vousdansvotre vraienature.Imaginezvotre personnalitordinaire,tourmen-te par lesmotionset lespenses,semblableunblocde glaceou une motte de beurre laisssausoleil.Si vous vous sentezfroidet dur,laissezvotreagressivitfondreausoleil devotremditation.Laissezlapaixvousgagner,ramener votre esprit dispersdansla vigilancede l'tat que l'on appelle demeurer paisiblement ,et veiller en vouslaconscience profondedelaVueClaire.Voustrouvereztoutevotre ngativitdsarme,votreagressivitdissoute,etvotre confusionentraindesedissiperlentement,commeune brumedanslecielimmenseetimmaculdevotrenature absolue 4 RAMENERL'ESPRIT ENLUI-MME99 Vous voici tranquillement assis,le corps immobile, la parole aurepos, l'esprit en paix.Permettez aux penses et aux mo-tions,toutcequisurgit,des'leveretdedisparatre.Ne vousattachezrien. A quoicet tat ressemble-t-il? Imaginez,avaitcoutume de dire Dudjom Rinpoch, un homme qui rentre chez lui aprs une longue et dure journe de labeur aux champs; ils'assied dans son sige prfr devant le feu.Ila travaill toute la jour-ne et saitqu'ilaaccomplicequ'ildsiraitaccomplir.Iln'a plusaucune proccupation, car tout est achev.Ilpeut com-pltement abandonner soucis et proccupations, dans le sim-plecontentementd'tre. Quand vousmditez,ilest doncessentielde crerdans votre esprit le climat intrieur appropri. Tout effort et toute lutte rsultent dumanque d'ouverture. Aussi est-il vital de crer l'environnement intrieur adquat afinque la mditation puisse rellement avoirlieu.Lorsque l'humour et l'espace sont pr-sents,lamditations'lvesanseffort. Jen'aipastoujoursrecoursunemthodeparticulire quand je mdite. Je laisse simplement mon esprit s'apaiser et je m'aperois,surtout lorsque je me sens inspir,que je peux ramenercet esprit en lui-mme et medtendretrsrapide-ment. Jedemeure assistranquillement et mereposedansla naturedel'esprit.Jen'aipasdedoutes,jenemedemande pas si je suis ounon dans l'tat correct.Iln'y a pas d'effort, maisseulement une comprhension profonde,une vigilance et une certitude inbranlable.Quand je suis dans la nature de l'esprit, l'esprit ordinaire n'existe plus. Nul besoin alors de main-tenir oude confirmer un quelconque sentiment d'existence: je suis,tout simplement, dans cette confiance fondamentale. Et iln'yariendeparticulierfaire. LES MTHODES EN MDITATION Sivotre esprit est capabledes'apaiserdelui-mmeet si vous vous sentez inspir demeurer simplement dans sa pure conscienceclaire,vousn'avezbesoind'aucunemthodede mditation.En fait,ilseraitmme maladroit,danscet tat, de tenter d'en utiliser une.Cependant, pour lagrande majo-100LELIVRE TIBTAINDELAVIEET DE LAMORT ritd'entrenous,ilestdifficilede parvenirimmdiatement cettat.Nousnesavonstoutsimplementpascomment l'veiller,etnotreespritest siindisciplinet sidistraitqu'il nousfautpourcelaunmoyenhabile,unemthode. Le terme .Vousaurez finalement atteint votrevraiedemeure,l'tatdenon-dualit 8 L ESPAUSES Onmedemandesouvent: Combiendetempsdois-je mditer? Et quelmoment ? Dois-jepratiquer vingtminu-tes le matin et vingtminuteslesoir,ou faireplutt plusieurs courtes sessions durant la journe ? Certes, il est bon de mdi-ter pendantvingtminutes,ce quineveut pasdireque cela constitue une limite. A ma connaissance, iln'est nulle part fait mention de vingt minutes dans les critures. Je pense que c'est l une invention occidentale et je l'appelle la Dure officielle de mditation en Occident. Ce qui importe n'est pas la dure de votre mditation,maisque votre pratiquevousconduise un certain tat d'attention et de prsence o vous vous sen-tezunpeuplusouvertetenmesuredevousreliervotre essence.Cinq minutesde pratique assisebien veill valent beaucoupmieuxquevingtminutesdesomnolence ! DudjomRinpoch avaitcoutume de direqu' undbutant devrait pratiquer pendant de courtes sessions.Pratiquez qua-tre ou cinq minutes, puis faites une pause brve d'une minute environ.Durant la pause, abandonnez la mthode mais ne rel-RAMENERL'ESPRIT ENLUI-MME117 chez pas compltement votre attention. Parfois, quand la pra-tique s'est avre difficile,ilest tonnant de constater que c'est aumoment prcis ovous cessez d'appliquer lamthode que lamditationse produit enralit- condition,toutefois, de demeurer prsent vous-mme et vigilant.C'est pourquoi la pause est une partie importante de lamditation, autant que la pratique elle-mme. Je disparfois ceux de mes tudiants quiont desdifficultsaveclapratique,de pratiquer pendant lapauseet defaireunepausependantleurmditation! Faitesuncourtmomentdemditationassise,puisune pause brve allant de trente secondes une minute.Demeu-rez alorsattentif ce que vous faites,et ne perdez pas votre prsence et son aisance naturelle.Puisaiguisez votre vigilance etmditeznouveau.Sivousfaitesdecourtessancesde cegenre,lespausesrendront souvent votremditationplus relleetplusinspirante.Ellesviterontlagaucherierigide, lasolennitennuyeuse,lemanquedenatureldanslaprati-que,et vousapporteront de plus en plus d'aisance et de con-centration.Progressivement, grce cette alternance de pauses et de pratique, la frontire entre mditation et vie quotidienne s'estompera,lecontrasteentre lesdeuxs'vanouiraet vous voustrouverezde plusen plusdansl'tat de pure prsence naturelle,sansdistraction.Alors,comme Dudjom Rinpoch disait souvent: Mme silemditant abandonne lamdita-tion,lamditationn'abandonnerapaslemditant. L'INTGRATl ON :LA MDITATION DANS L'ACTION Je me suis aperu qu'aujourd'hui, ceux qui s'engagent dans une voiespirituelle ne savent pastoujours comment intgrer la pratique de la mditation dans leur vie quotidienne. Je n'insis-terai jamais assez sur ce point: laraisond'tre,l'intrt et le but tout entiers de lamditation sont d'intgrercelle-ci dans l'action.Laviolenceetlestensions,lesdfiset lesdistrac-tions de la vie moderne rendent cette intgration d'autant plus urgenteetncessaire. Certaines personnes se plaignent moi en ces termes: Je mdite depuis douze ans et pourtant rien n'a chang; je suis rest le mme. Pourquoi? La raison est qu'un abme spare 118LELIVRE TIBTAIN DE LAVIEET DE LAMORT leur pratique spirituelle de leur vie quotidienne, qui semblent exister dansdeux mondes distincts sans aucunement s'inspi-rerl'unel'autre.Celame rappelleunprofesseurque je con-naissais lorsque j'tais l'cole au Tibet. Il pouvait brillamment exposer les rgles de la grammaire tibtaine, mais savait peine crireunephrasecorrecte ! Comment donc parvenir cette intgration, que faire pour imprgner notre vie quotidienne de l'humour tranquille et du dtachement spacieux de lamditation? Rienne peut rem-placer la pratique rgulire.En effet,c'est seulement par une pratique vritable que nous pourrons savourersans interrup-tion le calme de la nature de notre esprit, et en prolonger l'exp-riencedansnotreviedetouslesjours. Je recommande toujours mes tudiants de ne passortir trop vite d'une sance de mditation. Accordez-vous quelques minutes pour que la paix ne de la pratique s'infiltre dans votre vie.Ne vous levez pas d'un bond disait mon matre Dud-jomRinpoch,nepartezpastropvite,maislaissezvotre vigilance s'intgrer votre vie.Soyez comme un homme qui souffred' une fracture:ildemeure toujoursattentif ce que personneneleheurte. Aprslamditation,ilest important de ne pas cder la tendance consistant solidifiernotreperceptiondumonde. Quand vousrevenez votre existence quotidienne, permet-tezlasagesse,lavisionprofonde,lacompassion, l'humour,l'aisance,lalargeurd'esprit et audtachement ns de la mditation d'imprgner votre exprience.La mdi-tation veille en vous la ralisation de la nature illusoire et chi-mriquedetoutechose.Maintenezcetteluciditaucur mme dusamsara.Un grandmatredisait: Aprslaprati-que de la mditation, on devrait devenir un enfant de l'illusion. Dudjom Rinpoch donnait le conseil suivant: En un sens, tout est illusoire et possde lanature du rve.Pourtant,mal-gr tout, continuez agir avec humour.Si vousmarchez par exemple,dirigez-vousd'un cur lger,sans raideur nisolen-nit inutile, vers le vaste espace de la vrit.Quand vous tes assis,soyezlacitadelledelavrit.Quandvousmangez, emplissez le ventre de la vacuit de vos ngativits et de vos illusions; laissez-les se dissoudre dans l'espace qui pntre tout. Et quand vous allez aux toilettes, considrez que tous vos obs-RAMENER L'ESPRIT ENLUI-MME119 curcissements et tous vosblocages sont par lmme purifis et limins. Ce n'est donc pas seulement la pratique assise qui importe mais,bien plus,l'tat d'espritdans lequel vousvoustrouvez aprs la mditation. C'est cet tat d'esprit calme et centr qu'il vous faut prolonger dans chacune de vos actions. J'aime cette histoirezenolediscipledemandesonmatre: Matre,comment appliquez-vous l'veil l'action? Com-ment le mettez-vous en pratique dans la vie de tous les jours? - Enmangeantetendormant,rpondlematre. - Mais,Matre,tout lemonde mangeet tout lemonde dort. - Maistousne mangent pasquandilsmangent,et tous nedormentpasquandilsdorment ! D'o le clbre adage zen: Quand je mange, je mange; quandje dors,jedors. Manger quand vous mangez,dormir quand vous dormez, signifie tre totalement prsent dans chacune de vos actions, sansqu'aucunedesdistractionsdel'egonevousloignede cette prsence.C'est cela,l' intgration.Et sivoussouhaitez rellement l'accomplir, vous ne pourrez vous contenter de con-sidrer la pratique comme un simple remde ou une thrapie occasionnelle; elle devra devenir votre nourriture quotidienne. Voilpourquoiilest excellentdedveloppercette capacit d'intgration dans le cadre d'une retraite, loin des tensions de laviecitadinemoderne. Les gens viennent trop souvent la mditation dans l'espoir d'obtenir des rsultats extraordinaires, par exemple des visions, deslumiresoudesphnomnesmiraculeux.Lorsquerien detoutcelaneseproduit,ilssont trsdus.Pourtant,le vritablemiracledelamditationest plusordinaireetbien plus utile. C'est une transformation subtile qui se produit non seulement dans votre esprit et dans vosmotions,maisga-lementdansvotrecorps.Lamditationpossdeunimpor-tant pouvoir de gurison.Savants et mdecins ont dcouvert que,sivoustesdebonnehumeur,lescellulesmmesde votrecorpssontplusjoyeuses.Siparcontrevotretat d'espritestngatif,voscellulespeuventdevenirmalignes. Votretat desantgnraldpendbeaucoupdevotretat d'espritetdevotrefaond'tre. 120LELIVRE TIBTAINDELAVIEET DELAMORT L'INSPIRATION J'aidit que lamditation est la voiede l'veil et ladmar-che laplusessentielle de cette vie.Chaque foisque je parle de mditation mes tudiants, j'insiste toujours sur lances-sit d'une discipline rsolue et d'un engagement dtermin; en mme temps, je souligne combien ilest important d'effec-tuer lapratique avecautant d'inspiration et de crativitque possible.En un sens, la mditation est un art, et vous devriez venir elle avec toute la joie et l'imagination fertile d'un artiste. Soyez aussi ingnieux susciter l'inspiration qui vous ouvrira votre propre paix intrieure,que vousl'teslorsqu'ils'agit de vous livrer la comptition, de vous adonner aux activits nvrotiques qui ont cours dans la socit.Il y a tant de faons d'approcher lamditation dans la joie! Ecoutez une musique qui vous touche et laissez-la vous pntrer profondment. Ras-semblez des pomes, des citations oudes extraits d'enseigne-ment qui vousont mu aufildesannes et ayez-lestoujours prs de vous, pour vous inspirer. J'ai toujours aim les thangka, ces peintures tibtaines; leur beaut m'lve l'me. Vous pou-vez,vousaussi,trouverdesreproductionsdepeinturesqui veillent en vous le sens dusacr,et les accrocher auxmurs de votre chambre. Vous pouvez couter une cassette de l' ensei-gnement d'un grand matre ou de chants sacrs. Vous pouvez fairedulieuovousmditezunparadistoutsimple,grce une fleur,un bton d'encens,une bougie, la photo d'un matre qui a atteint l'veil oulastatue d'une dit ou d'un bouddha. Vous pouvez transformer la pice la plus ordinaire en un espace intime et sacr o,chaque jour, vous viendrez larencontre de votre tre vritable avec le bonheur et la clbration joyeuse d'unvieilamiquiensalueunautre. Et si vous trouvez difficile de pratiquer lamditation chez vous en ville, faites preuve d'imagination, partez dans la nature. Lanatureesttoujoursunesourced'inspirationinpuisable. Pour calmer votre esprit, promenez-vous dans un parc l'aube, ouadmirezlaroseposesurlarosed'un jardin.Allongez-voussurlesolet contemplez leciel.Laissezvotre esprit se perdre dans son immensit. Que le ciel extrieur veille le ciel intrieur de votre tre. Debout prs d'un ruisseau,laissez votre esprit se mlerla course de l'eau.Unissez-vousson mur-RAMENERL'ESPRIT ENLUI-MME121 mureincessant.Asseyez-vousprsd'unecascadeetlaissez sonchantapaisant purifiervotreesprit.Marchezlelongde lamer et laissez le vent dulargecaresser votre visage.Cl-brez le clairde lune; que sabeaut emplisse votre esprit de grce.Asseyez-vousprsd'unlacoudansun jardin et,tout en respirant paisiblement,laissez lesilences'tablir en vous tandis que la lune monte, lentement et majestueusement, dans lanuitclaire. Tout peut ainsi devenir une invitation la mditation:un sourire,unvisageaperudanslemtro,lavued'unepetite fleur poussant dans l'interstice d'un trottoir, une cascade d'toffe chatoyant dans une vitrine,unrayon de soleil illuminant des fleurssurlerebordd'unefentre.Soyezl'afftdechaque manifestation de beaut et de grce. Offrez chaque joie, soyez toutmoment attentif aumessagemanant sanscessedu silence 9 Lentement,vousdeviendrez matredevotre propre fli-cit,alchimistedevotrepropre joie,ayanttoutessortesde remdes porte de main pour lever, gayer, clairer et ins-pirerchacunedevosrespirationsetchacundevosmouve-ments. Qu'est-ce qu'un grand pratiquant spirituel? C'est une personnequivitconstamment danslaprsence de son tre vritable, qui a trouv la source d'une inspiration profonde et s'y abreuve continuellement. Ainsique l'crivait l'auteur anglais contemporain Lewis Thompson: Le Christ, pote suprme, a vc