le management des bénévoles, entre outils et valeurs

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VARIA MARIE COUSINEAU NIMEC (EA 969), Université de Rouen/IUT Evreux SÉBASTIEN DAMART Université Paris-Dauphine, PSL Research university, CNRS, DRM Le management des bénévoles, entre outils et valeurs Une approche par les paradoxes Les structures associatives sont aujourdhui de plus en plus contraintes de justier la qualité de leur gestion en se professionnalisant et en adoptant des outils venus du monde marchand. Une littérature démontre les contradictions au cœur de ce phénomène. La recherche explore ces paradoxes. Elle met au jour les représentations que les bénévoles ont des valeurs de lassociation dans laquelle ils sengagent et des outils de management que celle-ci déploie. Ce faisant, les auteurs proposent une typologie originale des prols des bénévoles. DOI: 10.3166/rfg.2016.00100 © 2017 Lavoisier

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DOI: 10

V A R I A

MARIE COUSINEAUNIMEC (EA 969), Université de Rouen/IUT Evreux

SÉBASTIEN DAMART

Université Paris-Dauphine, PSL Research university,CNRS, DRM

Le management desbénévoles, entre outilset valeurs

Une approche par les paradoxes

Les structures associatives sont aujourd’hui de plus en pluscontraintes de justifier la qualité de leur gestion en seprofessionnalisant et en adoptant des outils venus du mondemarchand. Une littérature démontre les contradictions au cœurde ce phénomène. La recherche explore ces paradoxes. Ellemetau jour les représentations que les bénévoles ont des valeursde l’association dans laquelle ils s’engagent et des outils demanagement que celle-ci déploie. Ce faisant, les auteursproposent une typologie originale des profils des bénévoles.

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I l existe en France plus de 1,3 milliond’associations en activité. Il s’agitincontestablement d’acteurs impor-

tants de la vie économique et sociale quiforment un ensemble hétérogène. Leursactivités, comme leurs tailles sont diversesmême si environ deux tiers des associationssont de petites structures fonctionnant grâceà une main-d’œuvre bénévole (Halba,2006). L’engagement associatif est, parnature, pétri de contradictions. Le bénévolatest l’expression d’une aspiration à uneforme d’engagement libre et inscrit dansun univers de contraintes que, le statut dubénévole et sa place dans des associations seprofessionnalisant, imposent. Le bénévolevient donc offrir, sans contrepartie directe etexplicite, une main-d’œuvre. Cette librevolonté s’inscrit cependant dans un cadreformel réglé – caractéristique commune àtoute organisation – qui impose différentesobligations dont celle, élémentaire, derespecter des règles de fonctionnement.En outre, l’association est finalisée, dis-posant de ressources limitées et les respon-sables associatifs souhaitent disposer debénévoles performants qui correspondent àleurs attentes afin de mener à bien le projetassociatif.Les structures associatives vivent unepériode de tensions et de paradoxes : seprofessionnaliser en conservant commeprincipale ressource à 85 % une maind’œuvre bénévole (Halba, 2006 ; Bouchardet Michaud, 2015). Ce phénomène s’esttraduit par des importations de pratiques,modalités de gestion et outils de manage-ment en provenance de l’univers horsassociatif. Ces transferts posent questionau sein des associations car un outil degestion n’est jamais réductible à son seulsubstrat technique. Lorsque des outils

développés pour servir des problématiquesde management d’entreprises commercialessont utilisés dans une association, desmodes de coordination nouveaux, deslogiques de gestion inédites sont potentiel-lement offerts aux acteurs de l’association.La littérature démontre une relative contra-diction entre les valeurs associatives etl’adoption d’outils venus du monde salarial.Notre recherche s’intéresse aux représenta-tions que les bénévoles ont des outils etdes valeurs associatives et des conflits etcontradictions au cœur de ces représenta-tions. Nous souhaitons montrer que le rejetmassif et entier des outils de gestion parles bénévoles est une vision caricaturale.À travers le cas d’une association humani-taire, nous analysons les représentationsmentales que les bénévoles construisent.Cette analyse nous permet de proposerune typologie des bénévoles ainsi que desformes de pratiques managériales et degestion des ressources humaines pertinentespour chacune des catégories de la typologieconstruite. Après avoir posé un cadrethéorique et conceptuel, nous justifionsnos choix méthodologiques, puis les résul-tats sont présentés. Dans une dernière partie,nous les mettons en perspective en revenantnotamment sur le concept de situationorganisationnelle paradoxale.

I – CADRE CONCEPTUELET THÉORIQUE

Il nous faut préciser ce que recouvrent lesnotions voisines de paradoxe et de tension.Il existe des pans de littérature quimobilisent ces notions et nous les évoquonsbrièvement ci-après. Nous recentronsensuite sur le milieu associatif, en rattachantdirectement la notion de tension dans

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l’organisation associative à la question de saprofessionnalisation puis en amenant ledébat entre valeur et outil, au cœur duquels’inscrit notre contribution.

1. Paradoxes et tensions

Étymologiquement, le paradoxe signifie« contre l’opinion ». Cette notion estapparue dans la littérature en managementil y a deux décennies environ pour expliquerles contradictions au cœur du fonctionne-ment des organisations (Lewis, 2000). Lesparadoxes sont décrits comme des donnéescontradictoires mais reliées entre elles dansl’organisation, et qui existent en mêmetemps et perdurent dans la durée (Smith etLewis, 2011). Perret et Josserand (2013)soulignent que les paradoxes ne peuvent pasêtre résolus en optant pour une partie plutôtqu’une autre mais par un raisonnement enboucle contrairement aux dilemmes. À cestade, il nous semble important d’insistersur les différences entre les concepts deparadoxes, de dualité, de dilemmes ou dedialectique, distinction avancée dans lecadre du modèle d’équilibre dynamiqueconstruit par Smith et Lewis (2011). Lesdualités définissent des opposés qui existentau sein d’un tout (l’organisation). Ceci faitécho aux mouvements de différenciation etd’intégration tels que définis par Lawrenceet Lorsch (1967) : les sous-environnementsdes sous-composantes de l’organisationgénèrent de la différence entre sous-composantes quand des nécessités deniveau supérieur (la survie de l’organisa-tion) produisent des mécanismes d’intégra-tion des sous-composantes. Le dilemmedéfinit une situation de choix entre dessolutions concurrentielles, chacune présen-tant des avantages et des défauts. La

dialectique correspond à une situation oùcoexistent des éléments en contradictionrésolus à travers une synthèse. Dans notretravail, c’est bien la notion de paradoxeque nous retenons et que les résultats denotre recherche nous amènent à discuter. Àplusieurs reprises, nous emploierons égale-ment le terme « tension » car les situationsparadoxales correspondent à des contradic-tions prenant la forme de forces qui tirentles individus dans des directions opposées.La métaphore de la tension paraît doncpertinente.Plusieurs types de paradoxes existent(Smith et Lewis, 2011) : celui de « l’ap-prentissage » fait référence aux connaissan-ces. Dans certains contextes, les individussont amenés à utiliser d’autres méthodes quecelles du passé (et orthogonales à celles-ci).Ensuite, il y a celui de « l’organisation » :il s’agit des éléments qui encouragentl’implication, la confiance et la créativitédes membres tout en exigeant une certaineefficacité. Nous avons également celui de« l’appartenance » : un groupe est composéd’individus avec des sensibilités différenteset des référents culturels éventuellementhétérogènes, mais dans un cadre intégrateur,fait d’objectifs communs et de directionsconsensuelles. Le dernier type de paradoxeconcerne la « performance » : une disparitéde parties prenantes ne partageant pas toutesles mêmes critères, modèles ou représenta-tions de ce qu’est une performanceacceptable.Mobiliser la littérature sur les paradoxes enmanagement n’est pas une évidence dans lechamp des organisations à but non lucratifou dans celui de l’économie sociale etsolidaire. La plupart des recherches sur lesparadoxes justifient le recours au conceptessentiellement dans une perspective

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Figure 1 – Représentation des tensions et paradoxes des structures associatives

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contingente et marchande. C’est l’environ-nement qui génère des paradoxes etessentiellement, ce raisonnement estappliqué au cas des organisations lucrativesbaignées dans l’environnement de l’écono-mie de marché, de plus en plus concurren-tielle, turbulente et globalisée. Les frontièresde ces organisations explosent et le nombred’acteurs parties prenantes dont il fautsatisfaire les demandes (contradictoires)croit fortement (Scherer et al., 2013). Laturbulence invite à se préoccuper desexigences de court terme mais nécessitedes orientations à long terme cohérenteset réfléchies. Ou encore, les organisationssont incitées à agir globalement mais poursatisfaire des besoins amenant de plusen plus des réponses locales (Marquis etBattilana, 2009).Le domaine de l’économie sociale etsolidaire vient illustrer de façon singulièreles situations de tensions et les paradoxesprécédemment évoqués.

2. Tensions, professionnalisationet bénévolat

Les associations sont soumises à destensions qui pour partie sont expliquéespar les exigences récentes de professionna-lisation. Elles utilisent massivement laressource bénévole, par définition fondéesur un engagement libre et peu formalisé.Cependant, la raréfaction des ressourcesfinancières les contraint à démontrer un hautniveau de qualité de gestion (Busson-Villaet Gallopel-Morvan, 2012) et pour cela,elles se professionnalisent et formalisentleurs modes de gestion. De plus, lesbénévoles défendent des valeurs et l’em-prunt des méthodes adoptées par lesentreprises est souvent perçu comme unepratique orthogonale par rapport aux valeursdéfendues (Lefevre et Ollitrault, 2007). Lafigure 1 schématise les facteurs contribuantà la situation paradoxale des structuresassociatives.

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Chanut-Guieu (2009) relève deux élémentsà l’origine de la professionnalisation du tierssecteur. Le premier est lié à la pressionconcurrentielle. Elle est expliquée par lepositionnement même des associations. Deplus en plus d’associations se positionnentsur des segments d’activités proches, ce quidéveloppe une rivalité interassociative forte.Haddad (2000) souligne que les structuresà vocation caritative sont en compétitionsur quatre points : la zone géographique àaider, les bénéficiaires de l’action bénévole,le produit (c’est-à-dire les causes à soutenir)et enfin la marque associative.Le deuxième point expliquant la profes-sionnalisation accrue des structures asso-ciatives est la crise du bénévolat (Pujol,2009). Le comportement des bénévolesévolue en devenant volatile (Halba, 2006).Pourtant, leur rôle est capital pour garantir lebon fonctionnement du secteur non mar-chand (Davister, 2007) et les associationsréfléchissent aux façons de retenir lesbénévoles. La professionnalisation est l’unedes réponses possibles et l’une des consé-quences est l’import de techniques degestion depuis l’univers du secteur mar-chand. Cela se traduit, en externe, parl’adoption de nouvelles stratégies decommunication afin de collecter des fondset, en interne, par des changements d’orga-nisation et de gestion des bénévoles (Thieryet Perrin, 2005).Dans le cadre du management des bénévo-les, ces techniques contredisent potentielle-ment les valeurs traditionnelles desassociations (Ughetto et Combes, 2010).Celles-ci sont des « croyances persistantesqu’un mode de conduite ou qu’un butexistentiel serait personnellement ou socia-lement préférable » (Rokeach, 1973). Si unecomparaison entre les entreprises et les

structures du tiers secteur était tentée, alors« les valeurs seraient aux associations ceque le profit est aux entreprises : unedirection et un moteur » (Boncler et Valéau,2010, p. 10).Ainsi, en adoptant une certaine formed’outils de gestion (des ressources humainesen particulier), les bénévoles font face à unecontradiction entre « l’intérêt du projet »qui semble être à l’origine de leur engage-ment et « l’intérêt de l’organisation »synonyme d’adoption d’outils d’un mondeprofessionnel a priori étranger (Vedelagoet al., 2004).Pour comprendre ces différentes logiques,les écarts entre elles, nous proposons deregarder, à partir d’une modélisation dudiscours de bénévoles, les valeurs que ceux-ci mettent en avant pour justifier leurengagement et les valeurs et principes qu’ilsperçoivent comme étant attachés aux outilset pratiques de gestion « importées » del’entreprise.

II – MÉTHODOLOGIE

Notre méthodologie a pour objectif l’accèsaux représentations que les bénévoles ontde leurs valeurs ainsi que des outils demanagement que l’association auprès delaquelle ils se sont engagés, ont adoptés.

1. Présentation du terrain

Quatorze entretiens ont été réalisés auprèsd’un échantillon hétérogène de bénévolesd’« Artisans du Monde ». Il s’agit d’unefédération d’associations créée grâce àl’appel de l’Abbé Pierre en 1974 pour veniren aide au Bengladesh en situation de guerrecivile et de famine à cette époque. Samission principale est la sensibilisation aux

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problématiques de développement inéqui-table à travers la vente de produitsartisanaux et alimentaires d’Afrique, d’Asieet d’Amérique latine achetés à un prix justepour permettre à ces producteurs de vivre deleur travail. Chaque association du réseauvit grâce à des bénévoles. Ils ont trois typesd’activité : la vente des produits en bou-tique, la logistique du magasin et l’activitémilitante. L’association étudiée dans notrerecherche est constituée d’une équipe de 40bénévoles, d’un bureau composé de 6membres dont 3 coprésidentes et d’unconseil d’administration de 13 bénévoles.Artisans du Monde a également deuxsalariées.

2. Options méthodologiques

Les entretiens ont été réalisés en mode semi-directif sur la base d’une trame très peudirective bâtie pour permettre au chercheurd’aborder avec la personne interrogéedifférents thèmes en lien avec le question-nement issu de la problématique (Alamiet al., 2009). Ainsi, ont été abordés : lasituation professionnelle de la personneinterrogée, sa place dans l’association, sacontribution à l’activité et au développe-ment de l’association, les apports del’association à la personne bénévole, savision du développement futur et des choixstratégiques effectués et enfin, dans lecadre des choix faits par l’association, savision des pratiques et outils de gestion del’association.L’analyse du matériau discursif recueillidevait permettre de mettre en évidencel’influence de systèmes de valeurs (ceux auservice desquels les bénévoles disent s’êtreengagés et ceux sous-tendant les pratiqueset outils de gestion dans l’association) sur

l’engagement des bénévoles. Pour cetteraison, il nous a paru pertinent de recouriraux techniques de cartographie cognitive.Une carte cognitive est un outil utilisépour modéliser et analyser le discours d’unindividu. Elle consiste en la reconstructiondu discours sous forme de relationscausales entre concepts, variables ou idées(Axelrod, 1976). Dans sa forme tradition-nelle (Eden, 2004), la carte cognitive estun graphe représentant un réseau faitde nœuds ou sommets (représentant lesconcepts, variables, idées) et d’arcs joi-gnant ces nœuds (représentant les liensde causalité entre les concepts, variables,idées) (cf. figure 2).

3. Déroulement méthodologique

Les entretiens, tous retranscrits, ont étédouble codés. Le codage a consisté enune transformation des retranscriptions desentretiens sous forme d’idées, appelées« concepts » ou « variables » en lien lesuns avec les autres. Ainsi, les relationscausales ont été détectées dans les retran-scriptions puis saisies sur un logiciel dereprésentation de graphes (yed, logiciel enopen source). Seules des cartes cognitivesindividuelles ont été construites pour nouslaisser la possibilité de repérer différentstypes de conflits (ou non conflits) entre lesvaleurs défendues par les bénévoles et lesoutils de gestion.Sur la carte de la figure 2, le lien positif entreles idées « Régularité » et « Apports àl’association » indique que le bénévole n° 5considère que sa contribution à l’associationest plus forte lorsque sa relation avecl’association est régulière.Sur chaque carte, la même analyse systé-matique a été conduite. Elle s’appuie sur le

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Figure 2 – Carte cognitive de l’une des personnes interrogées

Tableau 1 – Indicateur retenu pour l’analyse des cartes cognitives

Indicateur Mode de calcul Objet

Degré de centralité d’unconcept variable

Nombre de liens (sortants ouentrants) du concept vers oudepuis les autres concepts

Un degré de centralité élevésignifie que le bénévole

interrogé fait de nombreusesréférences au concept

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calcul d’un indicateur utilisé classiquementdans un tel cadre méthodologique (Eden,2004) et détaillé dans le tableau 1.Sur la carte précédente, l’idée « fiche deposte » a un degré de centralité de 5 (3 arcssortant et 2 arcs entrant). Sur chacune descartes cognitives, les idées les plus centrales(selon l’indicateur précédemment décrit)relatives, d’une part, aux valeurs desbénévoles les plus centrales et d’autre part,aux valeurs ou principes sous-tendues parles pratiques et outils de gestion ont étérepérées.

III – PRINCIPAUX RÉSULTATS

L’analyse de chacune des cartes cognitivesselon l’indicateur de centralité permet defaire apparaître des types de raisonnement etainsi différents profils de bénévoles sont misau jour. Nous le montrons ci-après.

1. Références structurantes dansles discours

L’examen des cartes, des degrés de centralitédes différents items, a permis de constater desrécurrences dans le discours des bénévoles.

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Pour décrire l’engagement à l’association,nous relevons que deux grands types deréférence sont faites par les personnesinterrogées : 1) les grandes valeurs etgrands principes humanistes que les béné-voles sont prêts à servir : le projet del’association, ou encore les principes huma-nistes ; 2) les nécessités du fonctionnementde l’association.1) Certains bénévoles (3, 5, 6, 9, 10, 14) fontici référence à l’association Artisans duMonde en tant que contexte spécifiquequ’ils sont prêts à servir ; l’engagements’est manifesté pour les missions d’Artisandu Monde. D’autres bénévoles se réfèrentclairement aux fonctionnements et principesfondateurs de la loi 1901 ; ce sont à cesprincipes que les bénévoles adhèrent (et nonspécifiquement aux valeurs d’Artisan duMonde). Les bénévoles valorisent le fait queles règles en milieu associatif sont diffé-rentes de celles de l’entreprise et soulignentparticulièrement la place qu’y occupe ladémocratie. Cela justifie, pour une partie desbénévoles, une absence à la fois de sélectionà l’entrée et de contraintes.2) Pour d’autres individus (1, 2, 4, 7, 8, 11,12 et 13), l’engagement se traduit par desréférences moins génériques et moins liéesaux grandes valeurs mais simplement au faitque l’association a besoin de compétencesspécifiques, liées à son fonctionnement.En ce qui concerne les outils et pratiques degestion, les membres interrogés ont effectuéune distinction entre d’une part, le caractèrepositif des outils et pratiques de gestion etd’autre part, le caractère contraignant deceux-ci. D’un côté, pour les bénévoles (3, 5,11, 12 et 14) les outils de gestion (que lesbénévoles résument assez systématique-ment aux outils de gestion des ressourceshumaines) sont intéressants pour résoudre

des problématiques mais pour d’autres (1, 2,4, 6, 7, 8, 9, 10 et 13), ils constituent uneentrave au statut du bénévole en instituantdes obligations, contraires à la liberté departiciper à une action associative.

2. Profils de bénévoles

La combinaison des positions sur les valeurset sur les outils permet de créer unetypologie des bénévoles (cf. figure 3). Sinous combinons une « attention plus élevéepour les valeurs humanistes » et une« vision des pratiques et outils contrai-gnants », alors nous construisons la caté-gorie des « incompatibles ». La deuxièmecatégorie concerne les répondants qui ontla même vision des pratiques et outils maisqui accordent une importance faible auxgrandes valeurs ; ce sont les « pragmatiquesstatutaires ». Au contraire, les individus quiaccordent un intérêt fort pour les grandesvaleurs et voient en les outils et pratiquesde gestion un objet positif et au servicedes valeurs de l’association sont considéréscomme des « démocrates sociétaux ». Pourles bénévoles « professionnels », les outilssont considérés comme étant finalementplus utiles que les valeurs. La figuresuivante récapitule ces différents profils.

Les « incompatibles » outils de gestionversus projet associatif

Il s’agit des bénévoles qui rejettent les outilsde gestion en raison d’un conflit potentielavec la bonne marche et la philosophiedu projet. Trois individus composent ceregroupement : 6, 9, 10 et ont, dans leurscartes cognitives, des îlots thématiques(groupes de thèmes) distincts : les référen-ces aux outils de gestion sont sans lien aveccelles faites aux valeurs défendues.

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Figure 3 – Représentation des familles de bénévoles

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En ce qui concerne l’individu 6, les valeursdu bénévolat sont liées à la missionprincipale d’Artisans du Monde comme lefait de redonner une dignité aux personnesgrâce à un travail. Le rapport avec la GRHest absent, elle est synonyme de peur, dedépart des bénévoles et d’une crainte de lamise en place d’un système de sélection. Ilsépare également ces deux thèmes de sonapport à l’association.La carte de l’individu 9 montre que celui-ci propose un lien entre les valeurs et sonapport à l’association, mais elle montreaussi qu’il associe la GRH à une « pro-cédure du monde capitaliste » et qu’ildistingue bien cela des valeurs. Cecirévèle donc une contradiction avec la

mission d’Artisans du Monde qui luttepour le développement du commerceéquitable.L’entretien avec l’individu 10 montre quecelui-ci cloisonne l’activité de bénévolatavec sa sphère privée (la décision debénévolat est prise en fonction de sonplanning personnel), et la distingue de laGRH assimilée au monde professionnel etdes apports à l’association et à ceuxprovenant de cette structure.

Les pragmatiques statutaires : outilsde gestion versus statut du bénévole

À ce niveau, nous différencions les béné-voles qui rejettent les outils parce qu’ils sontperçus comme « contraires » au fondement

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de la loi 1901, et ceux qui évoquent leseffets de leur statut pour eux-mêmes.Dans le premier cas, quatre bénévoles 1, 2,4, 7 composent cette classe. Les individus 1,2 et 7 n’ont pas fait de distinction entre desîlots thématiques correspondant schémati-quement aux valeurs ou aux outils. Dansles items centraux de l’entretien 1, nousconstatons que l’interrogé met en avant uneimpossibilité d’imposer des obligations auxbénévoles. Il refuse l’institutionnalisationpuisque ce sont les évènements qui lesimposent. Les responsables associatifs nepeuvent pas contraindre les bénévolespuisqu’il n’y a pas de formalisation desrôles, pas de carrière, ni de rémunération etde hiérarchie.L’entretien 2 souligne le devoir pourl’association d’accueillir tous les bénévoleset de proposer à chacun d’eux une missionsans introduire des contraintes puisqu’il estdifficile d’astreindre un bénévole qui ne faitl’objet d’aucune obligation.L’entretien 7 relève le fait qu’il est impos-sible demotiver un bénévole parce qu’il n’estpas rémunéré pécuniairement et qu’il ne peutpas évoluer dans l’association. La bénévole 4a séparé le bénévolat de la GRH considérécomme un instrument de peur. Celle-ciindique que, « c’est compliqué pour desbénévoles parce qu’à partir dumoment où onleur dit, qu’il faut s’engager à faire telle outelle chose, ça va être plus difficile qu’ilsne se sentent pas piégés ».Dans le second cas, deux individus (13 et 8)ont en commun de placer comme itemcentral de leur carte cognitive un élémentrelatif au caractère invasif ou non d’uneactivité au sein de l’association sur la vieprivée. L’individu 8 évoque l’intensité dutravail dans l’association. L’individu 13évoque son temps disponible en lien avec le

temps passé en réunion dans l’association.Pour ces deux individus, parler de l’associa-tion au sein de laquelle ils sont engagés,c’est essentiellement parler du temps qu’ilest possible d’y consacrer. De plus, trèspeu est dit par ces personnes sur l’activitéde l’association et l’apport de l’associationen général : ainsi, aucune ou très peu deréférences sont faites aux valeurs qui sous-tendent l’engagement associatif en général,le leur en particulier et encore moins lesactivités de l’association.Pour l’individu 8, la gestion des ressourceshumaines est associée aux items « lien desubordination », « fiche descriptive » et« sanction » : une vision de la GRH commeactivité formalisant du lien de subordinationet des outils de sanction, soit une visionà la fois réductrice et un peu décaléedes activités de gestion des ressourceshumaines.L’individu 13 indique avoir une vie pro-fessionnelle intense. Comme pour l’indi-vidu 8, la participation à l’association estdécrite selon des items surtout évocateurs decontraintes et ou d’actions de formalisa-tion : « conseils d’administration », « réu-nions », « écrit », « structurer ». Aucuneréférence n’est faite aux valeurs et lacentralité la plus forte est observée sur lesitems « temps disponible » et « organisa-tion » ou « réunion ».En résumé, pour ces deux individus, laparticipation à l’association est acceptable sielle n’est pas trop invasive et chronophage.La priorité est accordée à la vie privée et/oula vie professionnelle. Dans cette perspec-tive, il n’est pas question de valeurs ou degrands principes pour expliquer l’engage-ment dans l’association. Il s’agit d’unengagement distancié que les outils deGRH peuvent potentiellement fragiliser.

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Les démocrates sociétaux : les outils auservice des valeurs associatives

Ce sont des bénévoles qui présentent unintérêt fort pour les valeurs du mondeassociatif. Ils œuvrent pour la réussite duprojet et considèrent que l’adoption desoutils de gestion est une solution efficacepour le mener à bien. Trois individusconstituent cette catégorie : 3, 5, 14. Lesdeux premiers n’ont pas d’îlots thématiquesdistincts pour évoquer valeurs et outils,contrairement au dernier.En ce qui concerne le répondant 3, lebénévolat n’est pas considéré comme un« passe-temps » mais comme une véritableaction militante menée à la manière d’unedémarche politique structurée. La volontéprincipale est de participer à la constructiond’une société plus juste et plus humaine.Concernant les valeurs, un des itemscentraux est la « démocratie » (degré decentralité fort). Elle est mise en relation avecle fonctionnement de l’association et lamanière de prendre les décisions lors desréunions mensuelles et des assembléesgénérales. Des outils de gestion sontsuggérés afin de favoriser la prise de paroleéquitable dans ces rassemblements. Uneautre des idées du répondant 3 est deproposer des fiches de mission, une chartede bénévolat et un suivi des bénévoles àtravers la rédaction d’une lettre de motiva-tion. Cependant, ces outils doivent resteradaptés et proportionnés et ne sont pascensés introduire une relation d’autoritéafin de conserver la démocratie au sein del’association.L’individu 5 considère le bénévolat commeune activité professionnelle. Étant sansemploi, cela permet de légitimer une placedans la société. Dans cet entretien, la valeur

centrale exprimée est l’engagement (degréde centralité fort). Les outils RH permettentde positionner les modalités de l’investisse-ment en définissant son rapport avecl’association. Toutefois, l’apport de lagestion doit être équitable et construit avecles membres du groupe en excluant touteidée d’évaluation.Le bénévole 14 distingue son apport àl’association des valeurs et des outils.L’objectif de l’association est de prôner ledéveloppement du commerce équitable afind’assurer la survie de la planète. Comme lesbénévoles ne sont présents tous les jours àla boutique, il y a un manque de temps.L’adoption d’outils permettrait d’en gagner.Les fiches de poste auraient commeavantages de clarifier le rôle de chacun etde connaître sa place.

Les professionnels : des outils pouratteindre la performance

Il s’agit de la catégorie formée par lesindividus 11 et 12. Pour ces deux individus,les outils de gestion ne constituent pas unîlot isolé du reste des items évoqués.L’activité de l’association et la gestion(formalisée) des ressources humaines sontconnectées, la seconde au service de lapremière. Pour l’individu 11, il est trèsintéressant de constater que « l’implica-tion » qui est un item à forte centralité, estliée d’un côté à ce que l’association peutapporter (le sentiment d’une utilité) et d’unautre côté aux outils de gestion (quinotamment garantissent les « retours d’as-censeur »). L’implication est donc autantdépendante de l’activité intrinsèque del’association que des outils de gestion misen place dans l’association. L’individu 11donne à voir un discours relativement

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équilibré situé entre le défendeur des valeursdu militantisme et le professionnel dumanagement. L’individu 12 développeégalement un discours équilibré mais surun axe un peu différent : les outils dumanagement sont vus comme potentielle-ment nécessaires et utiles (notons, pour s’enconvaincre, la centralité importante del’item « rigueur », par exemple) en consi-dérant dans le même temps la dimension« humaine » ou encore l’équité (« salairejuste »).

3. Variété des raisons et de l’ampleurde l’engagement des bénévoles

La typologie que nous construisons à partirde l’étude des représentations mentales debénévoles montre que ces derniers s’enga-gent dans l’activité associative pour les troisraisons suivantes, au moins :Motif 1. La volonté de défendre un certainnombre de valeurs et la croyance en le faitqu’ils peuvent contribuer à diffuser ou àdévelopper ces valeurs. Les démocratessociétaux ou encore les incompatiblesbâtissent un discours autour des valeurset celles-ci sont l’élément moteur del’engagement. Naturellement, il existetoujours un biais lié au fait que lareprésentation discursive est possiblementéloignée de la représentation mentale. Il y aégalement un biais de désirabilité sociale.S’ils existent, ils donnent d’autant plus devaleur aux autres raisons de l’engagement.Motif 2. La croyance en le fait qu’ils sontsusceptibles d’apporter des compétences etune expertise dans la gestion de l’associa-tion. Les professionnels ne cloisonnentpas leur activité professionnelle principale(y compris lorsque ces personnes sonten retraite) et leur activité au sein de

l’association. Il faut probablement recher-cher derrière ce motif d’engagement unsouhait de reconnaissance sociale et pour-quoi pas, d’éventuels déficits de reconnais-sance dans leur activité professionnelleprincipale.Motif 3. La possibilité de consacrer unepartie de leur temps à autre chose que leloisir et le travail. Les pragmatiquesstatutaires distinguent très explicitement letravail, le loisir (le temps passé en famillepar exemple) et le temps consacré àl’engagement associatif (cf. tableau 2).Le motif 1 indique que les comportementsdu bénévole sont très naturellementcontraints par les valeurs. Ceux-ci imposentun devoir d’engagement et d’altruisme. Lescomportements sont normés par l’impératifde défense des valeurs. Ainsi, la légitimitéet l’acceptabilité des pratiques de manage-ment dépendent des valeurs : soit les outilsde management permettent de formaliserl’activité et d’en accroître la transparencede gestion, ce qui va dans le sens desvaleurs (cas des démocrates sociétaux),soit ils masquent des logiques de manage-ment totalement en opposition aux valeursdéfendues (cas des incompatibles). Nouspouvons parler ici de conformation descomportements par les valeurs.Le motif 2 indique que les comportementssont contraints par une certaine forme derationalité managériale : ce que l’on peutfaire et ce que l’on ne doit pas faire dépendde ce qu’une bonne gestion de l’associationimplique de pouvoir faire ou de devoir faire.Dans certains contextes, on évoque le terme« logique managériale » pour dénommer laconformation par les outils de gestion dansun sens péjoratif évoquant le caractèredéshumanisant, l’introduction de logiquesde marché dans des contextes qui

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Tableau 2 – Raisons de l’engagement des bénévoles et modes de conformationdes comportements

Motifs Profils concernés Engagement Comportements

1Les démocratessociétaux et lesincompatibles

Défendre un certainnombre de valeurs

Devoir d’engagement etd’altruismeConformation descomportements par les valeurs

2 Les professionnels

Apporter descompétencesprofessionnelles àl’association

Rationalité managérialeConformation descomportements par les outils

3 Les pragmatiquesstatutaires

Consacrer une partiede leur temps à autrechose que le loisir etle travail

Préoccupations personnellesdans la gestion du tempsConformation égocentrée descomportements

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traditionnellement y échappaient, etc. Nousemployons le terme de conformation descomportements par les outils.Le motif 3 indique que ce sont lespréoccupations personnelles qui viennentcontraindre et conformer les comporte-ments. L’engagement est limité sur untemps et dans une intensité qui dépendde la vie personnelle. Nous parlonsici de conformation égocentrée descomportements.Nous le voyons, la diversité des raisons et del’ampleur de l’engagement des bénévolesintroduit une diversité des éléments quiviennent expliquer les comportements ausein de l’association. Elle montre égalementque les tensions entre outils et valeurs nesont pas irréductibles pour peu que lespratiques de management intègrent cettediversité et s’en trouvent même enrichies.

IV – DISCUSSION

Notre recherche exploratoire amène à deuxtypes de contribution. D’abord, elle vient

nuancer une partie des apports de lalittérature sur les associations. Puis ellepermet de mettre au jour des élémentssusceptibles de fonder une politique degestion des ressources humaines des béné-voles et des pratiques de managementadaptées.

1. Pertinence des concepts de paradoxeet de tension pour le cas desassociations

Dans notre typologie, la catégorie des« incompatibles » met en avant unecontradiction entre les valeurs défendueset l’adoption des pratiques venant dumonde salarial. Il semble que ce soitune manifestation d’un paradoxe liée à« l’apprentissage », liée à une différenceentre les méthodes d’aujourd’hui et lespratiques du passé. Les « pragmatiquesstatutaires » empruntent le statut de la loi1901 pour refuser les outils. Ils n’ont pasla même vision du bénévolat que les« démocrates sociétaux ». C’est un monde

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de liberté où les contraintes ne doivent pasêtre institutionnalisées. Cela peut être misen lien avec les tensions d’« apparte-nance » ou paradoxe lié aux différences deréférents identitaires. À l’inverse, les« professionnels » mettent en avant l’uti-lisation des outils. La défense des valeursn’est pas une priorité pour eux. Il s’agitd’une tension de « performance ». Quantaux « démocrates sociétaux », ils souhai-tent utiliser les outils RH pour développerl’association tout en défendant les valeurs.Ils n’expriment pas de conflit entre cesdeux notions. Notre recherche apporteun éclairage sur le concept de situationorganisationnelle paradoxale. De la des-cription des profils de bénévoles que nousvenons d’évoquer, émergent en effet lesparadoxes suivants :

–L’association doit défendre des valeurs(qui prennent corps dans les pratiques dupassé d’où le rapprochement avec leparadoxe d’apprentissage évoqué par Smithet Lewis, 2011) mais les outils de gestionencapsulent des philosophies gestionnairesnon nécessairement bâties en cohérenceavec ce système de valeurs à défendre ;–Le fonctionnement démocratique de l’or-ganisation peut être structuré et formalisémais l’humanisme est une valeur perçuecomme devant laisser place à la spontanéité,l’informel et l’absence de règles ;–L’association doit survivre (à travers uneutilisation rationnelle des ressources) maisle rôle de l’association est aussi de défendreun système de valeurs, quoi qu’il en coûte.

Ces paradoxes sont incarnés. C’est le casdans de nombreuses recherches qui mon-trent que les paradoxes sont portés par desacteurs appartenant à des catégories diffé-rentes, de séniorité (Smith et Tuschman,

2005), de position managériale et hiérar-chique (Costanzo et Di Domanico, 2015).Nous ne postulons pas ces catégories apriori dans notre recherche et c’est là unede nos contributions à ce champ théorique.Nous construisons des profils d’acteurs del’organisation sur la base des élémentsdialectiques en jeu dans les situationsorganisationnelles paradoxales.

2. Intégration des diversités de typed’engagement dans les pratiquesde management

Nous supposons que le management desbénévoles opère selon une logique desegmentation (Colle, 2006) et d’intégrationdes différences évoquées ci-dessus. Laquestion est la suivante : comment peut-on gérer une telle diversité d’approche desbénévoles ? Dans l’entreprise, les impéra-tifs d’intégration ont depuis longtemps étéabordés et ce de différentes façons : lathéorie Z de W. Ouchi (1982) indique qu’ilfaut porter une attention au recrutement etcommuniquer sur les valeurs de sorte quel’on facilite l’intégration et la coïncidencedes objectifs individuels et collectifs. Lesconcepts d’intégration et de différenciationde Lawrence et Lorsch (1967) indiquent à lafois la nécessaire coexistence de logiques dedifférenciation mais également dans lemême temps la possibilité de recourir àdes dispositifs qui donnent de l’unité àl’ensemble des éléments qui composentl’organisation. Follett (1925) postule unmanagement qui tire profit des différencesde chacun ; l’intégration étant un mode detraitement des conflits bien supérieur à ladomination et au compromis et fondé sur untype de leadership diffus, décentralisé,collectif.

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À chaque profil identifié, il est possibled’associer des types de contributions posi-tives à l’association. De manière opération-nelle, au regard des spécificités des« démocrates sociétaux », nous pouvonsconfier à ce profil la responsabilité desbénévoles. Ainsi, il a pour mission de :coordonner les actions existantes, d’êtreforce de proposition, de gérer les plannings,de piloter les réunions, d’accueillir lesnouveaux bénévoles et de défendre desvaleurs à l’extérieur de l’association. Il estpossible de l’associer aux responsabilitésadministratives (être membre du CA oudu bureau). Il participe à la définition deslignes directrices et à la prise de décision.Il est pertinent de l’associer aux prises dedécisions et de le consulter au sujet desorientations de l’association.Les incompatibles sont porteurs (commeles démocrates sociétaux) des messages devaleurs qui fondent l’association. Commeleurs comportements sont structurés autouret par ces valeurs et qu’ils développent uneforme de radicalité dans la défense de cesvaleurs (les outils de management étantvus par exemple comme des menaceséventuelles), les incompatibles sont deparfaits gardiens du temps et de l’idéolo-gie. Leur contribution dans la fabricationdes messages, dans le contenu de lastratégie de communication est potentiel-lement un réel atout pour l’association. Lesresponsables associatifs devraient, en lesformant aux enjeux de l’association, leurfaire prendre conscience de l’importancede leur rôle.Les professionnels ne sont pas les bénévolesles plus pertinents dans l’élaboration desmessages et de la communication. Enrevanche, ils sont les correspondants appro-priés pour traiter les problématiques de

performance et d’efficience. Si le dialogueavec les incompatibles ne doit pas toujoursêtre évident, ce sont les démocrates socié-taux qui peuvent assurer l’échange, lamédiation entre incompatibles et profes-sionnels. Les professionnels sont parailleurs les interlocuteurs pertinents desmembres salariés de l’association. Lemanager devrait les encourager à poursuivreleur action en leur confiant des responsa-bilités et l’animation de certains évène-ments. Ils sont en mesure de bénéficierd’une formation en management afin degérer une équipe.Enfin, derniers acteurs de ce jeu à quatre, lespragmatiques statutaires sont eux plusdirectement ancrés dans la gestion du travailau sens très opérationnel du terme : lespragmatiques sont particulièrement attentifsà la planification des activités Il seraitenvisageable de proposer à ce profil unemission ponctuelle afin de planifier savenue : dans le cas d’Artisans du Monde,l’associer aux différentes tâches planifiableset routinières (merchandising, réception desmarchandises, etc.). Les responsables asso-ciatifs devraient, en le formant aux enjeuxde l’association, lui faire prendre consciencede l’importance de son rôle.

CONCLUSION

Les associations se professionnalisent et sedotent d’outils, de procédures et de dis-positifs concourant à formaliser les activitéset les façons de se coordonner. Une partie dela littérature sur le management des béné-voles tente de démontrer l’existence decontradictions entre d’une part, les logiquesliées à la professionnalisation des associa-tions et d’autre part, les raisons qui fondentl’engagement des bénévoles dans les

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associations. L’objet de notre article estl’étude de ces paradoxes. L’étude explora-toire que nous avons conduite à partird’entretiens dans une association humani-taire nous amène à établir une typologie desbénévoles qui laisse place à des formesd’engagement variées.Si une partie de la typologie correspondeffectivement à des participants qui considè-rent comme incompatibles les valeurs auservice desquelles ils se sont engagés etles outils et démarches de formalisation desactivités et des processus de gestion desressources humaines en particulier, ce n’estpas le cas de tous. Certains réconcilientvaleurs et outils et d’autres trouvent mêmedans leur participation à l’association uneforme de valorisation des compétences acqui-ses dans un autre contexte, professionnel.Les tâches de répartition des rôles et desfonctions dans les associations peuvent

s’appuyer sur de telles typologies. Cesdernières aident potentiellement à soutenirune forme de management intégratif quitienne compte des raisons de l’engagementde chacun et d’agir également sur lafidélisation des bénévoles dont on saitqu’elle est nécessairement plus incertaineque dans d’autres formes d’organisation.Naturellement, notre recherche présentequelques limites, qui pour partie sont liéesà son statut de recherche exploratoire.Nous nous sommes intéressés à uneassociation particulière : une associationhumanitaire dont le contexte est trèsdifférent d’une association sportive parexemple. Une autre limite vient de noschoix méthodologiques. Nous avons cons-truit une typologie de bénévoles sur la basedes discours, démarche biaisée notammentpar les phénomènes bien connus dedésirabilité sociale.

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