le monde - 03 03 2020
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MARDI 3 MARS 202076E ANNÉE– NO 23373
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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
Démocrates : la confrontation BidenSanders▶ A la veille du SuperTuesday, mardi 3 mars,au cours duquel quatorzeEtats vont élire leursdélégués, Joe Biden estrevenu dans la course
▶ L’ancien viceprésident,après un début de campagne difficile, a distancéle sénateur Bernie Sandersde près de trente pointsen Caroline du Sud
▶ Le benjamin de la primaire, Pete Buttigieg, a annoncé, dimanche 1er mars,qu’il se retirait au profit deBiden, et a pris date pourla présidentielle de 2024
▶ Le Texas, républicain partradition, est une terre demission pour les démocrates, où l’ancien maire deNew York Michael Bloomberg joue son vatout
▶ La Californie, dont les10 millions d’électeursvont désigner 30 % desdélégués, devient le « Golden State » de l’investitureP. 2 À 4 , HORIZONS P. 18, DÉBATS P. 27
RETRAITES LES PARIS DU 49.3
A la sortie du conseil des ministres extraordinaire, du 29 février. MARIE MAGNIN/HANS LUCAS
▶ En recourant à la procédure du vote bloquépour faire adopter saréforme, le gouvernement mise sur lalassitude de l’opinionpublique et le soutiende son socle électoral▶ Alors que 72 % desFrançais sont opposésau 49.3, Edouard Philippe prend le risquede cristalliser les oppositions, de crisperles organisations syndicales et de relancerla mobilisation sociale
PAGES 7-8
LE REGARD DE PLANTU
TurquieErdogan riposte en Syrie et joue de la menace migratoire avec l’EuropePAGE 4
MunicipalesA Bordeaux,le candidat LRM peine à montrersa différencePAGE 10
Le texte entérine un retrait des troupes américaines et précède la tenue de négociations de paix PAGE 6
AfghanistanWashington signe un accord historique avec les talibans
▶ L’épidémie a fait3 000 morts dansle monde, mais ellesemble marquerle pas en Chine▶ L’Italie connaît unnombre spectaculairede contaminationset compte désormais34 morts▶ Les annulationsde salons et d’événements culturelsse multiplientP. 12 À 16, 21 IDÉES P. 26 ET 29
le gouvernement a changé de stratégie, samedi 29 février, et mis fin aux « quatorzaines » imposées aux personnes de retour de zones à risque, en adoptant des mesures plus globales, notamment l’annulation des grands rassemblements.
Avec 130 cas diagnostiqués etdes cas groupés dans plusieurs régions, le pays va faire officiellement face à une épidémie, ces prochains jours.
Le tourisme est touché deplein fouet, alors qu’un emploi sur dix en dépend dans le monde, dans une industrie qui génère 10,4 % du PIB.
En Chine, la baisse de l’activité a aussi entraîné une baisse de 25 % du cours du pétrole.
CésarsVague de soutiens à Adèle Haenel, après son geste d’indignation PAGE 22
UNE PAIX EN FORME DE DÉFAITE
PAGE 29
1É D I T O R I A L
PatrimoineLes archéologues du Louvre en quête des derniers secrets de SaqqaraPAGE 21
EnergieLe Japon relanceles centrales à charbon, malgré les oppositionsPAGE 16
Coronavirus En France, la nouvelle stratégie du gouvernement
RÉSULTATS ANNUELS 2019
RETROUVEZ-NOUS EN PAGESÉCONOMIE & ENTREPRISE
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2 | INTERNATIONAL MARDI 3 MARS 20200123
Des partisansJoe Biden,le 1er mars,à Norfolk,en Virginie.ALEX WONG/AFP
washington correspondant
L a course à l’investiture démocrateentre dans une phase décisiveavec le Super Tuesday « supermardi »), au cours duquel quatorze Etats se prononceront, le3 mars. Cette étape intervient
trois jours après la primaire de Caroline du Sud, le 29 février, qui a été marquée par le rebond à un niveau inattendu de l’exfavori, Joe Biden. Chahuté au début du mois de février dans l’Iowa, puis le New Hampshire, l’ancien viceprésident a effacé un début de campagnecatastrophique en distançant de près de 30 points celui qui mène pour l’instant la course en nombre de délégués, le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders.
La victoire écrasante de Joe Biden, marquée par une mobilisation aussi forte quelors du duel impitoyable de 2008 entre Barack Obama et Hillary Clinton, a produit deseffets en chaîne. Elle a entraîné l’abandonimmédiat du milliardaire et philanthropeTom Steyer, samedi, et surtout celui, le lendemain, de la révélation de la course à l’investiture, l’ancien maire de South Bend (Indiana), Pete Buttigieg.
LES FAIBLESSES STRUCTURELLES DE BIDENCet abandon était inéluctable. La résurgencede l’exviceprésident, qui défend comme lui des positions plus modérées que celles de Bernie Sanders, et qui plaide pour un vaste rassemblement passant par le centre et les républicains rétifs à Donald Trump, privait le benjamin de la course de tout espace et de toute perspective. Après deux performances remarquables dans l’Iowa et le New Hampshire,et de solides prestations lors des débats, le premier candidat ouvertement homosexuel d’une course à l’investiture présidentielle n’avait rien à gagner à accumuler les revers.
Cette clarification en cours au centre devrait se poursuivre mardi soir, après le vote du Minnesota. La sénatrice Amy Klobuchar,régulièrement distancée depuis le début des
votes, n’aura plus guère de raison de se maintenir une fois proclamés les résultats de son Etat d’élection, qu’elle espère, symboliquement, remporter.
L’ampleur de la victoire de Joe Biden en Caroline du Sud a donc reconfiguré en partie lacourse à l’investiture, mais en partie seulement. Les faiblesses structurelles de la campagne de l’ancien viceprésident demeurent,à commencer par une organisation décriée et une faible capacité à collecter les fonds de campagne.
Ces finances réduites ont limité ces derniers jours ses dépenses, concentrées surl’objectif vital que représentait la Caroline du Sud. Il y a, en effet, consacré 1 million de dollars (900 000 euros) contre seulement600 000 dollars pendant la même période pour les quatorze Etats du 3 mars, loin des15 millions de Bernie Sanders, et très loindes 160 millions dépensés par le milliardaire Michael Bloomberg une semaineavant le jour fatidique. Ce dernier est le seulà autofinancer sa campagne.
Certes, le résultat décevant obtenu par TomSteyer en Caroline du Sud, où il n’a pas remporté un seul délégué, en dépit d’un investissement de plus de 13 millions de dollars, montre les limites du pouvoir de l’argent. Mais les sommes engagées par Michael Bloomberg sont sans précédent : entré tardivement en campagne, en novembre 2019, l’ancien maire de New York a déjà dépensé depuis cette date plus d’un demimilliard de dollars.
Il est d’ailleurs parvenu à se hisser à la troisième place dans les intentions de vote mesurées au niveau national, même si ces dernières ne sont qu’indicatives, puisque les primaires se jouent au niveau des Etats. La présence du milliardaire, peu à son aise au cours des deux débats auxquels il a pris part, n’en est pas moins paradoxale : il s’est engagé alarmé par le dynamisme de l’aile gauche du Parti démocrate, alors que sa candidature handicape désormais le centre qu’il prétend défendre.
Toujours prompt aux gaffes ou aux lapsus, l’ancien viceprésident a su trouver les
mots samedi soir pour mobiliser ses troupes, se présentant comme « un démocratede toujours, un fier démocrate, un démocrate ObamaBiden ». Une allusion claire ausénateur indépendant du Vermont, et à Michael Bloomberg, ancien républicain, quilui ne figurait pas sur les bulletins de vote de Caroline du Sud. « La plupart des Américains ne veulent pas la promesse d’une révolution » annoncée par le sénateur, « ils veulent des résultats » dans leur vie quotidienne, atil ajouté.
En annonçant son retrait, dimanche, PeteButtigieg a tenu un discours qui n’a pu que renforcer l’ancien viceprésident. Il a lancé un appel à l’unité qui a tranché avec les gestes de défiance répétés de Bernie Sandersvisàvis d’un parti dont il a toujours refuséde devenir membre. Pete Buttigieg a également mis en garde contre le risque d’êtreaveuglé par « l’idéologie », une pique évidente contre ce dernier.
Le sénateur du Vermont, cependant, restepour l’instant le mieux placé dans cette course à l’investiture. Unique candidat désormais à dépendre uniquement de la fidélité de petits donateurs, même s’il est également soutenu par des mouvements classés à gauche extérieurs à sa campagne, Bernie Sanders continue de glaner mensuellement des sommes considérables.
« Vous savez pourquoi la classe des milliardaires et l’establishment politique deviennentnerveux ? Nous venons de lever 46,5 millions de dollars en février », atil ainsi annoncé dimanche sur son compte Twitter avec ce tonoffensif qui constitue sa marque de fabrique.Un record depuis son entrée en campagne, ily a un an. « Notre don moyen est de seulement 21 dollars. La principale activité de nos donateurs est l’enseignement. Lorsque les travailleurs sont unis, il n’y a rien que nous nepuissions accomplir », atil ajouté.
L’expérience accumulée au cours de sapremière candidature à l’investiture, en 2016, lui permet également de pouvoircompter sur une organisation parfaitement
rodée. Elle est capable de répondre au défi de la mobilisation pour une épreuve aussicomplexe que le Super Tuesday. Le 3 mars,un tiers des délégués qui désigneront officiellement le candidat démocrate à la présidentielle lors de la convention nationale deMilwaukee, en juillet, seront attribués.
Sur sa lancée de la Caroline du Sud, où il apu compter sur le soutien de la communauté afroaméricaine, majoritaire au seinde l’électorat démocrate de cet Etat, Joe Biden peut espérer profiter de ce vote, là où ilest significatif, comme dans l’Alabama, leTennessee, la Caroline du Nord, l’Arkansas ou la Virginie. S’il réédite sa performancedu Nevada, Bernie Sanders pourra pour sa part l’emporter dans les deux plus grandsEtats : la Californie, où il dispose d’une largeavance dans les intentions de vote, et le Texas – en partie grâce au soutien d’électeurs latinos.
LE « FAVORI » DE DONALD TRUMPLe sénateur du Vermont pourrait donc creuser son avance en termes de délégués, au soirdu 3 mars, même si la lenteur proverbiale de la Californie dans le décompte des voix pourrait différer l’impact d’une victoire. Dans l’hypothèse d’une nouvelle performance du sénateur, la course à l’investiture ressemblerait alors à celle de 2016, lorsque Bernie Sanders avait poussé jusqu’au bout dans ses retranchements l’ancienne secrétaire d’Etat Hillary Clinton.
La perspective d’une compétition longueet incertaine ne pourra que réjouir DonaldTrump. Le président, qui en suit attentivement les épisodes, ne cache pas quel sera son favori. Commentant dimanche soir leretrait de Pete Buttigieg, le président desEtatsUnis a assuré qu’il s’agissait du « VRAIdébut » de la tentative supposée des démocrates « de mettre Bernie [Sanders] hors jeu –PAS DE NOMINATION, ENCORE UNE FOIS ! », assuré le président, toujours soucieux d’attiser les divisions chez ses adversaires.
gilles paris
« LA PLUPART DES AMÉRICAINS NE VEULENT PAS
LA PROMESSE D’UNE RÉVOLUTION. ILS VEULENT
DES RÉSULTATS »JOE BIDEN
candidat à l’investiture démocrate
Joe Biden relance la course au centreLe succès de l’exviceprésident en Caroline du Sud et le retrait de Buttigieg rebattent les cartes avant le Super Tuesday
P R I M A I R E S D É M O C R AT E S
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0123MARDI 3 MARS 2020 international | 3
Le Texas, terre de mission pour les démocratesL‘Etat, tenu par les républicains, revient progressivement au centre à la faveur de son évolution démographique
REPORTAGEaustin (texas) envoyé spécial
L e campus d’Austin est nonfumeur, les toilettes sontmultigenre, l’hôtel facture
du café en boîtes d’acier réutilisables pour éviter les déchets plastiques, tandis que la librairie présidentielle LBJ rappelle qu’à une lointaine époque, le Texas fut démocrate. « LBJ » comme LyndonBaines Johnson (19631969), successeur de John F. Kennedy, méprisé de l’histoire à cause de la guerre au Vietnam, mais ardent promoteur des droits civiques. C’était il y a plus d’un demisiècle.Et la dernière fois que le Texas sedonna à un démocrate, ce fut pour un autre oublié de l’histoire,Jimmy Carter en 1976.
Pourtant, en cette année 2020,les démocrates veulent y croire. « La question n’est pas de savoir si le Texas va basculer, mais quand », nous confie le maire d’Austin, Steve Adler, qui précise : « Le Texas républicain, c’est de la vieille démographie. » Celle des plaines de l’ouest, d’autant plus conservatrices qu’on y trouve du bétail et des derricks pétroliers. Mais les villes, peuplées de jeunes et de Latinos, n’ont rien à envier à San Franciscoou New York. Oublié, le cowboy texan en chapeau Stetson.
« Vous parlez au maire d’Austin,l’une des villes les plus progressistesdes EtatsUnis », confie M. Adler, qui énumère toutes les causes embrassées par sa municipalité : un salaire minimum à 15 dollars (13,60 euros), une loi pour embaucher les anciens détenus sans leur demander leur casier judiciaire, le paiement de congés maladie et une ville qui a déjà franchi son pic d’émission de CO2.
Austinlabobo a fêté dimanche21 février Bernie Sanders, qui venait de remporter haut la main la primaire du Nevada, et enchaîna
quatre meetings à travers le Texas.Les Texans s’apprêtent à voter pour le Super Tuesday (le Supermardi, le 3 mars) et envoyer 261 délégués à la Convention de Milwaukee. Steve Adler, lui soutenait Pete Buttigieg, 38 ans, ancien maire de South Bend, dans l’Indiana. « Par le passé, les démocrates ont désigné Al Gore, John Kerry, Hillary Clinton, des personnalités très qualifiées mais qui n’ont pas conquis la Maison Blanche. Ceux qui ont gagné [Bill Clinton, Barack Obama, mais aussi Kennedy et Carter] étaient plus jeunes, incarnaient une nouvelle génération », assuretil. Las, le changement de génération attendra, avec le retrait annoncé de M. Buttigieg, dimanche 1er mars. Et peutêtre le changement de couleur politique.
Bloomberg joue son va-toutLe Texas a longtemps été négligépar les démocrates. Cet Etat républicain, vaste comme la France etpeuplé de 29 millions d’habitants,a la réputation de coûter temps etargent, pour un résultat faible à laprésidentielle. Il est donc aussi unpeu oublié pour la primaire, même si les candidats, tous septuagénaires, se rattrapent à l’approche du Super Tuesday. La sénatrice du Massachusetts ElizabethWarren s’est rendue, jeudi et samedi, à San Antonio, puis Houston, tandis que le viceprésidentd’Obama, Joe Biden, sera à Dallas et Houston lundi.
Celui qui joue son vatout auTexas, c’est l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, qui aurafait sept déplacements dans cet Etat, ouvert 19 permanences électorales et embauché 180 permanents. Sans contraintes financières, l’ancien républicain, susceptible de plaire aux centristes, visait notamment les banlieues résidentielles, ligne de front entre les villes démocrates et les campagnes,
susceptibles de basculer lors de la présidentielle. « Trump fait campagne au Texas. Je suis le seul candidat [démocrate] à y faire campagne », déclaraitil, fin décembre 2019, dans une banlieue de Houston.
« Le cas Bloomberg est très intéressant : il montre qu’avec des moyens financiers illimités, vouspouvez atteindre beaucoup, mais sans doute pas suffisamment », prédit Jim Henson, directeur du Texas Politics Project. Au Texas, il faut avoir 15 % des voix pour obtenir des délégués. Michael Bloomberg est sur le fil du rasoir, avec 18 % des intentions de vote, selon le site FiveThirtyEight. Derrière Bernie Sanders et Joe Biden qui sont au coudeàcoude (28 % des intentions de vote chacun) et loin devant Elizabeth Warren (12 %). Au meeting de Bernie Sanders, lesmilitants expédiaient de manièrelapidaire ses concurrents démocrates : « Biden est trop vieux. Je pense que Bloomberg est raciste avec sa politique de contrôle au faciès [quand il était maire de NewYork] et Warren est une menteuse :elle est ancienne républicaine et a menti sur ses origines indiennes. Bernie est le seul qui se soucie des gens », résumait Marcus Coleman, AfroAméricain de 25 ans,travaillant dans l’immobilier.
Si Trump fait campagne – le président s’est rendu dans cet Etat à14 reprises depuis son élection –, c’est que les républicains sont
moins assurés que par le passé. En 2018, le gouverneur républicainGreg Abott a été réélu, certes avec 12 points d’avance, mais contre 19 quatre ans plus tôt. Surtout, l’alerte est venue de l’exreprésentant démocrate au Congrès, Beto O’Rourke, 47 ans, qui a fait un score honorable de 48,3 % des voixpour la sénatoriale du Texas, battude peu par le sortant Ted Cruz.
« L’effet O’Rourke est retombé »,confie Jim Henson, politiste à l’université d’Austin. Il a fait pâle figure dans la primaire démocrate et s’est grillé politiquement en réclamant la saisie des fusils d’assaut des particuliers après la tuerie d’extrême droite d’El Paso (22 morts). Il fait figure d’épouvantail efficace dans une élection partielle perdue en rase campagne par une démocrate (4258) en banlieue de Houston.
Il n’empêche, le mouvement estinexorable… sur le papier. Les démocrates sont un peu fatigués de cette bascule annoncée depuis longtemps qui ne vient pas. Un airde Désert des Tartares, de Dino Buzatti. Si cette bascule est lente, c’estqu’en cette terre qui fut longtempshispanomexicaine, les immigrés latinos sont souvent des Mexicains présents depuis des générations, plus riches et plus conserva
teurs que dans le reste du pays. « Les Hispaniques ne votent démocrate qu’à 60 % environ, contre plusde 80 % pour les AfroAméricains », poursuit Jim Henson, qui estime qu’à terme, le Texas ressemblera davantage à la Floride – un Etat faisant la bascule selon les élections –qu’à la Californie, acquise jusqu’à nouvel ordre aux démocrates. Bref, il ne croit pas à un Texas démocrate pour toujours, qui fermerait définitivement la Maison Blanche aux républicains.
« Des idées d’extrême gauche »« L’élection de 2020 sera une campagne de mobilisation, analyse JimHenson. Si Sanders est choisi, la question est de savoir combien n’iront pas voter à cause de lui, combien de nouveaux électeurs il mobilisera et combien d’électeurs supplémentaires les républicains mobiliseront en brandissant la menace de la révolution communiste. » L’argument est déjà utilisé par James Dickey, président du Parti républicain au Texas, dans la foulée du dernier débat démocrate : « Tous les candidats ont confirmé aux Texans ce dont ils se doutaient déjà : ils ne sont pas bons pour le Texas. Ils promeuvent des idées d’extrême gauche, comme la santé gérée par l’Etat, la fin de notre
droit à l’autodéfense et des politiques fiscales qui tueraient l’économie texane », accusait M. Dickey.
Les préoccupations des deuxcamps sont opposées : frontièreet immigration pour les républicains, tandis que les démocrates texans se soucient de la corruption politique et du leadership du pays – en clair, du comportement de Donald Trump –, ainsi que dela santé et de l’éducation. Les petits producteurs pétroliers et leurs salariés n’ont rien à espérer des démocrates.
Charlie Bonner, 23 ans, travaillepour MoveTexas, un mouvementofficiellement indépendant, mais progressiste en réalité, qui vise à inscrire les jeunes sur les listes électorales. L’association, créée par deux étudiants de SanAntonio, emploie 25 permanents.« Entre 2014 et 2018, le vote des jeunes de 18 à 30 ans a triplé au Texas », se réjouit M. Bonner, qui nous reçoit dans un bar branché d’Austin : « La progression des jeunes électeurs dépasse la croissancedémographique. » Son objectif :accélérer cette évolution et faire mentir la prophétie autoréalisatrice, qui prétend que le Texas ne vaut pas le coup que les démocrates s’y investissent.
arnaud leparmentier
LES DÉMOCRATES SONT UN PEU FATIGUÉS
DE CETTE BASCULE ANNONCÉE QUI NE VIENT PAS. UN AIR DE « DÉSERT
DES TARTARES »
▶▶▶
lorsqu’il a annoncé, dimanche 1er mars au soir dans son ancien fief de South Bend, une villemodeste de l’Indiana, qu’il mettait un terme à sa candidature à l’investiture démocrate, PeteButtigieg a été interrompu parun slogan martelé par ses sympathisants : « 2024 ! 2024 ! 2024 ! »Ils n’ont pas été les seuls à considérer que ce renoncement relevait plus de l’au revoir que de l’adieu. En un an, le benjamin de la compétition électorale a fait bien plus que rendre familier un patronyme singulier hérité deses origines maltaises : il s’esttransformé en valeur sûre duParti démocrate.
Issu de la classe moyenne, passépar les meilleures universités, engagé en Afghanistan où il a servidans le renseignement, Pete Buttigieg a connu des débuts difficiles dans un Etat qui est un bastiondu Parti républicain. Au point quesa déclaration de candidature à l’investiture présidentielle, enmars 2019, a tout d’abord suscité l’incrédulité. Avec constance, ils’est pourtant frayé un chemin.
Premier homosexuel revendiqué à se lancer dans une telle entreprise, régulièrement épaulépar son mari Chasten, il n’a cesséde rappeler son ancrage religieuxau sein de l’Eglise épiscopalienne, l’une des plus progressistes de toutes. Agé de seulement37 ans lors de son entrée en campagne, il a suscité l’intérêt d’unélectorat plus mûr, séduit par saclarté et sa modération.
Cette aisance lui a permis de résister à l’usure, alors que des candidats plus expérimentés, qu’ils soient gouverneurs ou anciens gouverneurs, sénateurs ou sénatrices, ont commencé à renoncer àpartir de l’automne. Lorsque Donald Trump s’est évertué à lui trouver un sobriquet désobligeantcomme pour les autres candidats démocrates, le président des EtatsUnis a cogné dans le vide. « Alfred E. Neuman ne peut pas devenir président des EtatsUnis », atil assuré. Il faisait allusion au personnage d’adolescent édenté apparu en couverture du magazine satirique MAD à partir de 1954. Cruellement pour le président, le benjamin de la course démocrate a avoué qu’il avait dû chercher la référence sur Internet.
« Aider à rassembler »Le jeune homme au discours parfois lisse au début de la campagne a su se révéler incisif. Lorsque Joe Biden, exaspéré par la comparaison souvent faite avec le dernier président démocrate, a jugé que Pete Buttigieg n’était pas Barack Obama, il a aussitôt répliqué : « JoeBiden a tout à fait raison, mais il nel’est pas non plus. » Attaqué par les sénatrices Elizabeth Warren et Amy Klobuchar lors des débats, il a toujours su faire face.
Lors du caucus de l’Iowa, premier Etat à se prononcer, le 3 février, il a créé la surprise en obtenant le plus grand nombre de délégués, même si ce succès a été terni par l’incapacité des démocra
tes de cet Etat rural à communiquer rapidement des résultats fiables. Il a, de même, été pénalisé une semaine plus tard dans le New Hampshire par la remontée inattendue d’Amy Klobuchar, une centriste comme lui, alors qu’il était en mesure de battre le sénateur du Vermont, Bernie Sanders. Par la suite, il a été handicapé par son incapacité à attirer des électorats plus divers sociologiquement,latinos comme afroaméricains.
Quelques jours avant la primaireen Caroline du Sud, il a résumé d’une formule la pire alternative qui pourrait s’offrir, selon lui, aux Américains en novembre. « Je n’attends pas avec impatience un scénario où tout se résumerait à Donald Trump et à sa nostalgie de l’ordre social des années 1950 et à Bernie Sanders et à sa nostalgie de la politique révolutionnaire des années 1960 », atil cinglé.
« Notre objectif a toujours étéd’aider à rassembler les Américainspour battre Donald Trump », atil lancé dimanche soir, un jour aprèsle large succès de l’ancien viceprésident Joe Biden qui le privait de tout espace. « Nous devons donc reconnaître qu’à ce stade de la course, la meilleure façon de rester fidèle à ces objectifs est de se retirer et d’aider à rassembler notre parti et notre pays », atil poursuivi, soulignant « l’impact qu’aurait le fait de rester en lice plus longtemps ». Un appel à l’unité qui lui permet de prendre date.
gilles paris(washington, correspondant)
Pete Buttigieg se retire et prend date
MERVEILLEUXTÉLÉRAMA
ENVOÛTANTGUILLERMO DEL TORO
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SPECTACULAIREPREMIÈRE
AU CINÉMA LE 4 MARS
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4 | international MARDI 3 MARS 20200123
En Californie, la bataille pour la deuxième place du Super TuesdayDerrière Sanders, la lutte est intense pour passer les 15 % et obtenir des délégués
san francisco correspondante
L a Californie a longtemps éténégligée dans le processusde désignation du candidat
démocrate à l’élection présidentielle. Les primaires s’y tenaient tard dans la saison, les jeux étaient faits bien avant. Les électeurs voyaient les candidats passer en coup de vent, généralementpour des collectes de fonds à Hollywood ou dans la Silicon Valley.
En 2016, la primaire avait eu lieule 7 juin. Elle avait été remportée par Hillary Clinton devant Bernie Sanders (53 %46 %) dans une quasiindifférence, l’exFirst Lady étant assurée de se qualifier grâceau soutien des superdélégués. Pour l’élection 2020, les démocrates de Californie ont voulu peser dans le processus de sélection. En septembre 2017, l’Assemblée del’Etat a adopté un texte avançant le scrutin de trois mois : la « loi surla primaire en prime time ».
Le 3 mars, il sera difficile d’ignorer la Californie, même si les résultats tomberont probablement bien après les programmes enprime time. Le Golden State est le géant du Super Tuesday ; 415 délégués doivent être désignés, soit plus de 30 % du total en jeu ce jourlà (1 357). Les experts s’attendent à une participation de quelque 10 millions d’électeurs (8,5 millions en 2016). Selon le secrétaire d’Etat de la Californie, Alex Padilla, responsable de l’organisation du scrutin, 40 % d’entre eux ont déjà renvoyé leur bulletin en profitant de la procédure de vote anticipé.
Sortie de rockstar pour SandersBernie Sanders est en terrain conquis. Dans un Etat aussi progressiste (Hillary Clinton a devancé Donald Trump de 4,2 millions de votes), le sénateur duVermont jouit d’une aura nondémentie. En 2016, 79 000 personnes avaient même voté pourlui à la présidentielle, inscrivantson nom dans la catégorie « indépendant », bien qu’il ait abandonné sa candidature. Le derniersondage du Public Policy Institute of California lui attribue 32 %des voix. Il est suivi par l’ancienviceprésident Joe Biden (14 %), lasénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren (13 %) et l’ancienmaire de New York Michael Bloomberg (12 %).
Le message du candidat « socialiste » résonne particulièrement dans un Etat où certaines desplus grandes fortunes du mondecôtoient une population étranglée par la crise du logement, aupoint que les villes ont commencé à ouvrir des parkingspour que les « working poors », les travailleurs pauvres, puissentdormir dans leur voiture.
A San José, au cœur de la SiliconValley – « l’autre Silicon Valley », asouligné Ro Khanna, élu de la Californie au Congrès, celle desouvriers latinos de la construction et des emplois précaires –,
Bernie Sanders a signalé qu’il n’avait pas l’intention d’arrondir les angles pour amadouer les centristes. « Le candidat qui gagnera en Californie sera probablementcelui qui remportera l’investituredémocrate, atil lancé. Changeons la culture politique des EtatsUnis. Faisons en sorte d’avoirla plus grande participation dans l’histoire de la Californie. »
Sa voix a été submergée sous lesvivats : « Bernie ! Bernie ! » Après une sortie de rockstar sur le morceau Power to the People, de JohnLennon, le sénateur de 78 ans est parti pour l’étape suivante ; unmeeting de 17 000 personnes à Los Angeles, ouvert par le rappeurChuck D, de Public Enemy.
Bernie Sanders craint néanmoins de pâtir du système de primaires qui, en Californie, impose aux indépendants – ces électeurs qui ne déclarent aucune préférence lors de leur inscription sur les listes électorales – de demander expressément à participer au scrutin. Selon les estimations, ils sont 5 millions dans l’Etat et tous n’ont pas fait la démarche à temps.
« Adresse à la nation »Derrière le sénateur du Vermont,la bagarre est intense pour obtenir 15 %. Selon le règlement duParti démocrate, qui n’obtient pas 15 % est éliminé de la répartition des délégués. Parmi ses415 délégués, la Californie dispose de 144 sièges à répartir auniveau de l’Etat, et 271 autres alloués aux candidats circonscription par circonscription. Si Bernie Sanders est le seul à dépasserle score de 15 %, grâce à l’émiettement du centre, il sera gratifiédes 144 délégués de l’Etat. Lamême configuration pourrait sereproduire dans les circonscriptions. M. Sanders pourrait gagner une large majorité des délégués sans avoir une majorité desvoix comparable.
Elizabeth Warren, qui était entête début janvier dans le GoldenState, a perdu du terrain aprèss’être métamorphosée de candidate surqualifiée, ayant « un plan » pour tout, à belligérante ne laissant rien passer. Joe Biden,qui a reçu le soutien du maire deLos Angeles Eric Garcetti, espèrerécupérer les voix de Pete Buttigieg, le jeune centriste qui aabandonné la course lundi. S’iln’est pas trop tard : 46 % des électeurs ont déjà voté.
Michael Bloomberg, lui, joueson vatout. Il a reçu le soutien de deux maires afroaméricains :London Breed, à San Francisco, et Michael Tubbs, 29 ans, figure montante du Parti démocrate, à Stockton. Il a dépensé 60 millionsde dollars en publicités vantantson expérience à la mairie de NewYork et son enfance dans une famille modeste du Massachusetts.
M. Bloomberg est celui qui s’estemparé le plus vite du thème del’impréparation de l’administration Trump contre le coronavirus.Dimanche soir, il s’est offert trois minutes de publicité sur les chaînes grand public NBC et CBS, un message qualifié « d’adresse à lanation » comme s’il était déjà président. Il rappelle au passage qu’il finance la faculté de santé publique de l’université Johns Hopkinsde Baltimore. Et déclare que le premier devoir d’un président estde « rassurer ».
corine lesnes
Les rebelles contreattaquent à Idlibdans le sillage des frappes turquesLes forces d’Assad perdent du terrain, alors que la Russie est restée en retrait depuis jeudi
beyrouth correspondant
C omme un boomerang,l’attaque aérienne qui acausé la mort de trente
trois soldats turcs, jeudi 27 février, dans la province d’Idlib, se retourne contre le camp loyaliste. Non seulement les représailles d’Ankara ont infligé de très lourdes pertes, humaines et matérielles, à l’armée syrienne et à ses supplétifs, mais elles ont permis aux rebelles antiAssad, qui avaientperdu beaucoup de terrain ces dernières semaines dans leur dernier réduit, de repartir à l’offensive. Cette contreattaque bénéficie pour l’instant du feu vert implicite de la Russie, protectrice du régime Assad et arbitre du chaos syrien, dont l’aviation est restéeen retrait depuis jeudi.
Selon l’Observatoire syrien desdroits de l’homme, la pluie demissiles lâchés par les batteriesd’artillerie et les drones turcs surles positions progouvernementales ont fait plus d’une centainede morts en trois jours.Parmi ces victimes figurent vingt et un miliciens chiites proiraniens, membres des brigadesZeinabiyoun et Fatemiyoun,composées respectivement dePakistanais et d’Afghans. Ces
hommes ont été enterrés dimanche, en Iran.
La milice libanaise Hezbollah,autre béquille des forces régulières syriennes, de retour sur le champ de bataille après plusieurs mois d’éclipse, a perdu pour sa part au moins douze combattants. Il s’agit d’une des journées les plus sanglantes pour le mouvement, depuis son déploiement en Syrie, en soutien des troupes régulières, en 2012. Les funérailles de ces hommes ont donné lieu à unvaste rassemblement de militantset de sympathisants du parti de Dieu, dimanche, dans la banlieue chiite de Beyrouth.
Violents troubles« Des centaines de positions, de blindés et d’installations de l’armée syriennes ont été touchées avec succès, a commenté, sur Twitter, Danny Makki, un analystesyrien indépendant. C’est une catastrophe pour l’armée syrienne, qui a démontré une incapacité complète à contrer les drones trucset qui paraît maintenant paralyséeà Idlib. » Dimanche, une colonne de blindés, envoyée en renfort vers le champ de bataille, a été notamment anéantie par des tirs provenant d’avions sans pilote turcs. Dixneuf soldats syriens ont
péri dans les explosions. « Noussommes obligés de dissimuler les véhicules militaires et de réduire austrict minimum les déplacements sur les lignes de front, témoigne le journaliste russe Evgeni Poddubnii, de la chaîne Russia24, embarqué dans la région d’Idlib avec les troupes russes. Les drones turcs travaillent jour et nuit. Tout est devenu plus dur. A moins que le ciel soit débarrassé de ces drones, il sera difficile pour l’armée syrienne de tenir le terrain », ajoute l’envoyéspécial, dans une vidéo postée surla messagerie Telegram.
De fait, les rebelles, un agrégatde factions, dominé par le groupe djihadiste Hayat Tahrir AlCham,n’ont pas tardé à profiter de l’aubaine. Dans un mouvement très probablement coordonné avec l’armée turque, les antiAssad ont regagné une quinzaine dehameaux et de villages du djebel Zawiya, une région montagneuse du sud de la province d’Idlib, qu’ils avaient abandonnée quelques jours plus tôt.
« A la minute où l’aviation russedisparaît du ciel, on s’aperçoit que les forces proAssad n’arrivent pas conserver leurs gains territoriaux, observe Sinan Hatahet, un commentateur proche de l’opposition. Les dynamiques du début de
l’insurrection réapparaissent. » Le sursaut rebelle à Idlib se double de violents troubles dans la province de Deraa, à la pointe sud de la Syrie. Des hommes armés y ontmené, durant le weekend, plusieurs attaques contre des positions de l’armée, obligeant cellecià déployer des tanks dans la ville de Sanamayn.
Bien que reconquise en juillet2018 par les proAssad, la région de Deraa reste un foyer d’instabilité récurrent. En vertu de l’accordde reddition patronné alors par la Russie, de nombreuses localités ont pu conserver une formed’autonomie, ce qui a permis aux factions rebelles de garder une partie de leur arsenal.
Les opposants redoutent quel’embellie soit de courte durée. Les Russes sont sous la pression de leurs alliés syrien et iranienpour couper court à la démonstration de force d’Ankara. « Cet Erdogan est un fou, fulmine Taleb Ibrahim, un analyste prorégime, joint par téléphone à Damas. Il veut déclencher une guerre régionale avec la Russie et l’Iran. S’il continue à pousser et que l’arméesyrienne ne parvient pas à défendre son territoire, Moscou seraobligé de réagir. »
benjamin barthe
La riposte militaire et migratoired’Erdogan, acculé en SyrieLa Grèce a refusé ce weekend le passage des réfugiés massés à sa frontière
istanbul correspondante
M ettant sa menace àexécution, le président turc, RecepTayyip Erdogan, a
ordonné, dimanche 1er mars, l’intensification des frappes aériennes sur la province d’Idlib, dansle nordouest de la Syrie, afin devenger la mort de ses soldats.Une contreattaque qui bénéficiepour l’instant d’un feu vert implicite de la Russie, qui contrôlele ciel syrien et qui est restée en retrait.
Le président turc doit se rendrejeudi 5 mars à Moscou pour discuter avec Vladimir Poutine de l’escalade des tensions dans la région. « Ce sera sans aucun doute une rencontre difficile, mais les chefs d’Etat confirment leur volonté de régler la situation à Idlib », a déclaré dimanche le porteparole du Kremlin, Dmitri Peskov.
La Turquie a perdu cinquantequatre militaires en février, donttrentetrois ont été tués jeudi, aucours d’une frappe aérienne menée par des avions syriens et russes. En représailles, une nouvelleopération militaire, nommée« Bouclier de printemps », a été lancée. Elle vise à récupérer la dernière poche de la rébellion, enjeu d’une bataille acharnée entre les forces loyales à Bachar AlAssad, soutenues par la Russie, etles rebelles syriens épaulés par laTurquie.
Dimanche matin, l’aéroport militaire de Nayrab, non loin d’Alep, aété lourdement bombardé par des drones turcs. Au cours de cette attaque, un des appareils a été abattu. Peu après, la Turquie a effectué, depuis sa province du Hatay, limitrophe de la Syrie, des tirs de missiles antiaériens, abattant deux avions de combat syriens Soukhoï Su24 et détruisant plusieurs systèmes de défense aérienne. En raison de ces tirs, les compagnies turques ont dû inter
rompre leurs vols commerciaux vers le Hatay.
Parallèlement, la Syrie a annoncé la fermeture de l’espace aérien aux avions et aux drones, susceptibles désormais d’être abattussans sommation. Selon des experts militaires à Istanbul, les drones turcs pouvaient jusqu’ici volerdans le ciel d’Idlib. Leur présence était prévue par les accords de Sotchi, conclus en 2018 entre les présidents Poutine et Erdogan.
L’offensive déclenchée parM. Erdogan est double, militaire à Idlib, humanitaire le long des frontières occidentales de la Turquie, vers lesquelles des milliers de réfugiés ont convergé ces derniers jours. Ces derniers sont mus par l’espoir d’entrer en Grèce, que ce soit par voie terrestre, via la villed’Edirne en Thrace orientale, tout près de la Grèce et de la Bulgarie, ou maritime depuis les côtes de la mer Egée vers les îles grecques.
La vengeance d’ErdoganFurieux du manque de soutien del’OTAN et de l’Union européenne à sa campagne de Syrie, le président turc se venge en essayant de renvoyer vers le Vieux Continent une partie des réfugiés actuellement hébergés sur le sol turc, soit plus de 4 millions de personnes dont 3,6 millions de Syriens.
Délivré au plus haut niveau del’Etat, le message est sans détour. « Nous avons modifié notre politique, nous n’empêcherons pas les réfugiés de quitter la Turquie. Compte tenu de nos ressources et de notre personnel, limités, nous sommes rivés sur la marche à suivre pour parer à un nouvel afflux venu de Syrie au lieu d’empêcher ceux qui ont l’intention de migrer vers l’Europe », a rappelé, dimanche, Fahrettin Altun, le chef de la communication de la présidence.
Ce revirement inquiète les dirigeants européens. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a exprimé,
samedi, sa « préoccupation » face à un éventuel afflux de migrants vers la Grèce et la Bulgarie. « Nous sommes prêts à fournir un appui supplémentaire, notamment par l’intermédiaire de Frontex [l’Agenceeuropéenne de gardefrontières et de gardecôtes] aux frontières terrestres », atelle affirmé.
Partis de différentes villes deTurquie par bus, minibus, taxi et parfois même à pied, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, pour beaucoup des ressortissants afghans, ont décidé de tenter l’aventure, convaincus parles officiels, par les médias au service du pouvoir et par les réseauxsociaux, que les portes de l’Europe leur sont ouvertes.
La voie terrestre est la plus fréquentée. Treize mille personnes au moins étaient massées, samedi soir, le long de la frontière turcogrecque, longue de 204 kilomètres, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Le plus souvent, elles sont arrivées là avec l’aide des municipalités dirigées par l’AKP, le parti islamoconservateur au pouvoir, lesquelles ont été promptes à organiser le transport.
Dimanche aprèsmidi, dans lequartier historique de Fatih, à Istanbul, tenu par l’AKP, des centaines de migrants, ont embarqué à bord de bus flambant neufs, garés en file indienne à quelques centaines de mètres du bâtiment qui abrite la préfecture de police. « Des
associations syriennes ont payé », a confié un jeune Syrien originaire d’Alep, qui, après quatre ans passésen Turquie, a décidé de se lancer, espérant « aller jusqu’à Berlin ».
Cependant les bus ne vont qu’àEdirne et, après avoir marché jusqu’au postefrontière de Pazarkule(Kastanies côté grec), la désillusion est grande. La traversée du poste turc se fait facilement, mais les migrants se font refouler côté grec, ce qu’ils n’avaient pas prévu.
La situation est particulièrementtendue à Pazarkule, dont l’accès, côté turc, vient d’être fermé aux journalistes. Ces derniers ont filmé sans relâche, samedi, les heurts survenus entre les migrants et la police grecque, quand de jeunes hommes, bloqués dans la zone tampon, ont allumé des feux et jeté des pierres sur les policiers et les militaires grecs en faction de l’autre côté. En représailles,les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes.
Peu d’arrivées par la merDécidés à tenter le tout pour letout, certains se risquent à traverser le fleuve Evros, qui séparela Turquie de la Grèce. Quand ils yparviennent, ils sont interpellésà coup sûr. Plusieurs dizaines depersonnes se sont ainsi fait arrêter par les gardefrontières grecs,dont les patrouilles ont été renforcées.
Les tentatives de passage via lamer Egée sont moins nombreuses. Selon Athènes, environ cinqcents personnes sont arrivées deTurquie par canot pneumatiquedimanche aprèsmidi, à Lesbossurtout. Dans cette île aux capacités d’accueil largement dépassées, des résidents locaux en colère ont refusé d’autoriser lesnouveaux arrivants – y comprisles familles avec de jeunes enfants et des bébés – à débarquer de leur canot.
marie jégo
La présidente de la Commission
européenne a exprimé sa
« préoccupation »face à un
éventuel affluxde migrants
P R I M A I R E S D É M O C R AT E S
LES EXPERTS S’ATTENDENT À UNE PARTICIPATION
DE QUELQUE 10 MILLIONS D’ÉLECTEURS, CONTRE8,5 MILLIONS EN 2016
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0123MARDI 3 MARS 2020 international | 5
Malaisie : le complot profite au troisième hommePiégé par ses propres manœuvres, l’expremier ministre Mahathir Mohamad cède sa place à Muhyiddin Yassin
bangkok correspondanten Asie du SudEst
L e grand manipulateur aété manipulé : MahathirMohamad, 94 ans, avaitdémissionné de son poste
de premier ministre de Malaisie le24 février, après qu’un complot, plus ou moins ourdi par luimême, eut échappé à son contrôle. Mais le « Docteur M » a été trahi par l’un de ses proches, l’exministre de l’intérieur Muhyiddin Yassin : le roi de la Fédération malaisienne, dont le système est calqué sur celui de l’ancien colonisateur britannique, a demandé à Muhyiddin, dimanche 1er mars, de former un gouvernement.
Tout avait commencé, il y a unehuitaine de jours, par une conjuration emmenée par des proches de M. Mahathir, dont M. Muhyiddin : l’opération visait à barrer la route du pouvoir à Anwar Ibrahim, tout à la fois rival et allié du premier ministre. Car Mahathir
aurait dû bientôt, selon un accord tacite passé entre les deux hommes, s’effacer au bénéfice de M. Anwar.
Les relations, complexes, entreces deux personnages, réconciliés depuis la victoire de leur coalition politique aux élections de 2018, s’étaient détériorées : l’ancêtre Mahathir ne voulait plus passer le relais au « jeune » Anwar, 72 ans, comme il s’y était engagé. Mais quand celui qui était encore chef de gouvernement s’est aperçu queses alliés étaient en train d’œuvrerpour donner naissance à une coalition composée de l’Organisation nationale de l’unité des Malais (UMNO), le parti de l’ancien premier ministre Najib Razak, débouté lors du dernier scrutin, Mahathir Mohamad déclara : « Pas question ! » Il démissionna.
M. Najib est actuellement jugédans une affaire de corruption dépassant l’entendement : plusieurs milliards de dollars auraient été siphonnés du fonds souverain
1Malaysia Development Berhad (1MDB) lorsqu’il était au pouvoir. Pour Mahathir, qui fut l’instigateur de l’éviction de l’UMNO, il y a deux ans, il était inconcevable de se rallier à l’« ancien régime ».
S’ensuivirent des jours mémorables, durant lesquels chaque demijournée, ou presque, apportait son lot d’événements plus ou moins fracassants. Les caciques del’Alliance de l’espoir, la coalition aupouvoir incluant les partis de MM. Mahathir et Anwar, déclarèrent, successivement, leur soutien aux deux hommes. La crise profite à un troisième homme. Car Muhyiddin, le futur nouveau pre
mier ministre, tentait pendant ce temps de rallier un maximum de députés de l’Assemblée nationale. Avec l’aide du ministre de l’économie sortant, Azmin Ali, désormaisdénoncé comme un « traître » par M. Anwar puisqu’il était membre de sa formation, le Parti de la justice du peuple (PKR).
« Un jour noir »Mahathir Mohamad s’est dit lui aussi « trahi » par son successeur, affirmant, de surcroît, qu’il jouissait du soutien requis de députés pour prendre la tête d’un prochaingouvernement. Le Parlement se réunit le 9 mars, et une motion decensure est déjà au programme.
Derrière la farce, il existe des enjeux politiques sérieux pour l’un des pays les plus prospères de l’Asie du SudEst : la nomination d’un nouveau premier ministre qui s’est déclaré « malais d’abord » dans un pays où coexistent, parfois difficilement, des minorités chinoises et indiennes, fait crain
dre le retour d’une politique privilégiant avant tout la majorité malaise musulmane : cette dernière jouit des avantages d’une « discrimination positive » incluant des quotas dans la fonction publique et l’université. Il était question de faire évoluer cette politique au profit d’un système « méritocratique » bénéficiant aussi aux communautés chinoise (26 % de la population) et indienne (8 %).
Les élections de 2018 avaientdonné naissance à la coalition gouvernementale la plus ethniquement diverse que le pays ait jamais connue. Les acquis du dernier scrutin viennent de voler en éclats. Et le Parti islamique de Malaisie, une formation fondamentaliste, va s’allier avec Muhyiddin. « Aujourd’hui est un jour noir pour la Malaisie, accuse Oh Ei Sun, professeur à l’Institut des affaires internationales de Singapour. La politique de Muhyiddin sera très conservatrice, voire régressive. »
bruno philip
Mahathir Mohamad
s’est dit « trahi »par son
successeur
En Slovaquie, la gauche populiste laminée parla vague anticorruptionLes législatives, remportées par un homme d’affaires, ont fragmenté le paysage politique
vienne correspondant régional
D eux ans après l’assassinat du journaliste d’investigation Jan Kuciak,
les Slovaques ont balayé le gouvernement sortant aux élections législatives du samedi 29 février. Selon des résultats quasi définitifs, le parti de gauche populiste au pouvoir de façon quasi continue depuis 2006, le Smer, incarnépar son président, Robert Fico, et le premier ministre sortant, Peter Pellegrini, obtient à peine 18,2 %des voix, son plus mauvais score en dixhuit ans. Dans une campagne dominée par la lutte contre lamafia et la corruption, le Smer asouffert de ses liens avec le mafieux Marian Kocner, accuséd’être le commanditaire du meurtre et actuellement en procès.
« S’il n’y avait pas eu ce meurtre,je serais aujourd’hui devant vouscomme premier ministre avec un soutien de 30 % des électeurs », avait ainsi déclaré, au cours de la campagne, M. Fico, qui avait tentéle tout pour le tout en faisant adopter en urgence un treizièmemois de retraite ou le doublementdes allocations familiales.
Celui qui avait été forcé de démissionner de son poste de premier ministre après l’assassinat sous la pression de manifestations historiques, a laissé à son successeur le soin de reconnaître la défaite. Celleci est d’autant plus lourde que ses deux alliés de coalition, le parti nationaliste SNSet le parti de la minorité hongroise MostHid ne passent pas la barre des 5 % nécessaire pour siéger au Parlement.
« Ne peut plus jouer au clown »Devant le Smer, c’est une formation anticorruption, le Mouvement des gens ordinaires et despersonnalités indépendantes(Olano), qui l’emporte largement. Avec 25 % des voix, elle obtient 53 sièges sur les 150 du Parlement de Bratislava. Dirigée parl’excentrique homme d’affairesIgor Matovic, Olano a centré sacampagne sur la lutte contre lacorruption, en promettant notamment d’introduire une responsabilité matérielle personnelle des responsables politi
ques ou de durcir les peines deprison. Ayant fait fortune dansl’édition de journaux de petitesannonces, M. Matovic, 46 ans,aime les coups médiatiques etest souvent critiqué pour soninstabilité.
Son groupe parlementaire a faitface à de nombreuses défections au cours de la législature sortante. « Matovic s’est rendu compte que lasituation est sérieuse et qu’il ne peut plus jouer au clown », assurait toutefois au Monde, Martin Fecko, le cofondateur du parti, une semaine avant le scrutin. Dimanche matin, M. Matovic a revendiqué le poste de premier ministre et esquissé une stratégie de négociation avec les autres formations en vue de former une coalition.
Il a catégoriquement refusé dediscuter avec le Smer, malgré la main tendue par M. Pellegrini : « Nous ne négocions pas avec la mafia. » Déjà d’essence plutôt conservatrice, Olano devrait en priorité se tourner vers la droite du faitdes résultats décevants de l’opposition centriste et libérale.
Interdiction du pacsLa formation de la présidenteZuzana Caputova rate ainsi toutjuste le seuil nécessaire pour siéger au Parlement, et souffre de sesdivisions avec le parti de l’ancienprésident Andrej Kiska, qui obtient douze sièges. Ces deux formations au programme proche n’avaient pas réussi à s’entendre pour faire liste commune.
Deux formations nationalistesobtiennent chacune dixsept sièges. S’il semble exclu que M. Matovic s’entende avec celle du leader antirom nostalgique de la Slovaquie fasciste Marian Kotleba, il a tendu la main au mouvement Sme Rodina (« Nous sommes une famille ») allié du Rassemblement national (RN) au niveau européen. Il pourrait compléter sa coalition avec les libéraux conservateurs du parti Liberté et solidarité et les députés de M. Kiska. Dans une Slovaquie qui reste très conservatrice sur les questions de société, M. Matovic a défendu le statu quo sur le refus des quotas de migrantseuropéens ou l’interdiction du pacs pour les homosexuels.
jeanbaptiste chastand
LE PROFIL
Muhyiddin YassinMuhyiddin Yassin est né en 1947 à Johor, dans le sud de la Malai-sie, au sein d’une famille musul-mane pieuse. Son père était un ouléma (théologien). Ministre de l’intérieur dans le gouvernement sortant, il a fait toute sa carrière au sein de l’Organisation natio-nale de l’unité des Malais, au pouvoir de 1957 à 2018. Plu-sieurs fois ministre, Muhyiddin Yassin va rappeler, au sein de sa nouvelle coalition, cette organi-sation décriée, symbole de l’« ancien régime ».
APL :CHRONIQUED’UNECASSEPROGRAMMÉE ?
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La Fédération nationale des Offices Publics de l’Habitat est signataire du Pacte du pouvoir de vivre.
ACTE 1 – Le premier coup de rabot : les APL sont réduites de 5 €
Marcel ROGEMONT,Président de la Fédérationnationale des Offices Publicsde l’Habitat.
Une mesurebudgétairesurprise,décidée à l’été2017, qui lèsed’abord lesménages lesplus pauvres.
1eroctobre 2017 : le gouvernement initie la casse programmée des APL.6,6 millions d’allocataires voient leur pouvoir d’achat rogné avec une baisse forfaitairemensuelle de leur APL de 5€.
C’est une mesure inique qui est prise sans aucune information préalable des bénéficiaireset des acteurs du logement, sans aucune autre raison que la recherche d’économiesbudgétaires (400 millions d’€ annuels).
« Les 5 euros d’APL, je sais, je le traîne comme un boulet », regrettera le Présidentde la République, mais qui, en même temps, dénoncera des dépenses sociales qui coûtent« un pognon de dingue ».
La Fédération nationale des Offices Publics de l’Habitat demande l’abandon de cettemesure qui pénalise le pouvoir d’achat des personnes aux revenus les plus modestes.
APL : chronique d’une casse programmée ? La suite, demain.
www.foph.fr
• 229 Offices Publics de l’Habitat adhérents• 2,4 millions de logements sociaux• Près de 5 millions de locataires
LA FÉDÉRATION DES OPH C’EST :
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6 | international MARDI 3 MARS 20200123
Accord historique entre Washington et les talibansLe texte signé samedi à Doha prévoit le retrait progressif des troupes américaines après dixhuit ans de guerre
C’ est un moment quimarquera l’histoirede l’Afghanistan,sans que l’on puisse
savoir si c’est pour le meilleur oupour le pire. Les deux principauxacteurs d’une guerre afghane quidure depuis dixhuit ans, Américains et talibans, ont signé, samedi 29 février, à Doha (Qatar),un accord ouvrant, dans les quatorze prochains mois, la voie au retrait total du pays de toutes lesforces étrangères, dont celles desEtatsUnis. Cet accord promet lelancement, le 10 mars, d’une négociation de paix interafghanegarantissant l’arrêt permanent des combats.
De mémoire de diplomate, c’estl’un des rares cas où une grandepuissance conclut un tel accordavec une partie qui n’est pas unEtat, mais un simple mouvement insurgé. Les EtatsUnis entendentainsi mettre fin au plus long conflit de leur histoire.
Dans le même temps, commeen écho, à Kaboul, les gouvernements américain et afghan, par lesvoix du secrétaire américain à la défense, Mark Esper, et du président, Ashraf Ghani, ont fait une déclaration conjointe réaffirmant l’engagement de Washington à soutenir les institutions afghanes.Une promesse que le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et de nombreux ambassadeurs occidentaux, également présents, ont prise à leur compte. Une façon d’inviter les talibans à ne pas crier victoire trop tôt. Mais cette déclaration commune vise aussi à contraindre les autorités de Kaboul à respecter les grandes lignes fixées par l’accord de paix américanotaliban.
La cérémonie de signature deDoha est d’abord le fruit d’une « réduction de violence » observée, en Afghanistan, pendant sept jours, conformément auxengagements pris, le 22 février, par les deux parties, en gage de bonne volonté, et qui se poursuivait toujours lundi 2 mars. Une source sécuritaire afghane, interrogée par Le Monde, indique que, pour la journée de vendredi 28 février, le nombre d’attaques talibanes a chuté de soixantedix, enmoyenne auparavant, à quatre.
Ce calme inédit en Afghanistana été notable. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), lapopulation est sortie le soir et n’a pas caché sa joie. Elle a pu accéderà des zones jugées jusquelà dangereuses. Les grands axes routiersqui traversent le pays ont été libérés des barrages talibans. De quoi susciter un large espoir sans pourautant lever toutes les craintes.
« Un accord conditionné »L’accord signé à Doha, en présence d’une trentaine de représentants étrangers – quelquesministres des affaires étrangères, dont celui du Pakistan, des envoyés spéciaux pour l’Afghanistan et des ambassadeurs –,reste en grande partie secret. Signé par Zalmay Khalilzad, le chefde la délégation américaine chargée de la négociation, sousle regard du secrétaire d’Etataméricain, Mike Pompeo, et dumollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur du mouvement taliban, entouré de dignitaires, ilcomporte des annexes confidentielles. Elles portent, notamment, sur les modalités de départ des troupes américaines et les termes d’une coopération en matière de sécurité.
L’idée centrale, en revanche, figure dans un document de quatrepages, rendu public samedi. LesEtatsUnis ont accepté de ramener leurs troupes de 12 000 à 8 600 soldats et d’évacuer cinq bases dans les 135 jours suivant l’accord. Ils poursuivront leur retraittotal au cours des neuf mois et demi suivants, contre la réduction drastique de la violence et l’ouverture effective, le 10 mars,d’une négociation de paix interafghane entre les talibans et les principaux acteurs de la scène politique du pays. En contrepartie, les insurgés se sont engagés à interdire l’accès au territoire à toutgroupe djihadiste. « C’est un accord conditionné », répètent à l’envi les diplomates américains.
Ce résultat a été obtenu auterme de discussions entamées au cours de l’été 2018, après que Washington a brisé un tabou : un dialogue direct avec les insurgés talibans. Depuis 2013 et une première tentative d’approche, cette option était impensable, car legouvernement de Kaboul risquaitde perdre toute crédibilité pourmener de futurs pourparlers. Les premiers échanges ont porté sur des mesures dites « de confiance » : le sort des derniers prisonniers talibans ; le retrait des noms de responsables talibans dela liste des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU et la reconnaissance officielle du bureau de représentation talibane à Doha, que bloquait Kaboul.
La nomination par M. Pompeo,en septembre 2018, de M. Khalilzad, exambassadeur américain àKaboul, pour mener la négociation, a marqué les esprits. D’origine afghane, il connaissait déjàla plupart de ses interlocuteurs.Début 2019, les talibans ont également consolidé leur délégationen y adjoignant le mollah Baradar. L’arrêt brutal du processuspar M. Trump, le 7 septembre, laveille de la signature d’un accord,n’a pas éteint tous les espoirs.« Les deux camps voulaient en finir et avaient le même objectif, ledépart des troupes américaines, cela facilite les choses », confie undiplomate occidental, partie prenante de cette négociation, joint par Le Monde.
Néanmoins, les écueils restentnombreux. De fortes tensionsexistent actuellement sur la
question des prisonniers talibans. L’accord stipule que 5 000d’entre eux seront libérés avant ledébut du dialogue interafghan. Ces combattants sont détenusdans les geôles du gouvernement afghan. Or, ce dernier refuse de céder à un oukase et considère qu’il se priverait d’un atout majeur lorsqu’il devra négocier avecles talibans. Les insurgés doivent, en échange, libérer un millier de membres des forces afghanes.
Dimanche, le président AshrafGhani a confirmé qu’il « n’y[avait] pas d’engagement à libérer5 000 prisonniers » comme évoqué dans l’accord. Selon lui, un échange pourrait « faire partie des discussions intraafghanes,mais ne peut pas être un prérequisà des négociations ».
Force « antiterroriste »L’autre interrogation concerne la présence de soldats américains sur le sol afghan. Posé par les talibans comme un préalable à tout accord, le départ de toutes les troupes étrangères du pays est loin d’être acquis. Au sommet deDavos, fin janvier, le présidentTrump avait indiqué qu’il laisserait une force « antiterroriste » dans le pays quoi qu’il arrive, une position également défendue par le Pentagone et des piliers du Parti républicain.
De même, l’accord précise queles EtatsUnis chercheront des sources de financement pour lesforces de sécurité afghanes, dont la formation, les salaires et les achats d’équipement dépendent, aujourd’hui, entièrement du contribuable américain. Ces liens ne seront pas aisément rompus.
L’accord de Doha ouvre, enfin, laporte aux véritables négociations de paix en Afghanistan, entre les talibans et le pouvoir de Kaboul,
permettant d’installer le pays dansla paix en intégrant les insurgés d’hier au sein des institutions et des forces armées. « Le plus dur reste à faire, confie un cadre de l’ONU à Kaboul, d’autant plus que le gouvernement ne s’est pas encoremis en ordre de marche. » En effet, autant les talibans semblent en ordre de bataille pour cette négociation, autant les principaux acteurs politiques afghans apparaissent encore profondément divisés.
Ashraf Ghani est en guerreouverte avec son numéro deux,le chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah. Le premier a été déclaré, le 18 février, vainqueur de l’élection présidentielle du 28 septembre. Le second conteste unrésultat entaché de fraude et entend former son propre gouvernement parallèle. Les EtatsUnis ont eu le plus grand mal à convaincre M. Ghani de repousser ladate de sa prestation de sermentdu 27 février au 9 mars.
Vendredi, la présidence, à Kaboul, assurait que la délégation dedouze à quinze personnes – avec àsa tête, vraisemblablement, leministre de la paix, Abdul Salam Rahimi –, chargée de discuter avecles talibans, n’était pas encore totalement constituée, « faute deconsensus entre les différentessensibilités politiques du pays ».
Pour sa part, la présidente de lacommission indépendante pour les droits humains en Afghanistan, Shaharzad Akbar, a rappelé, samedi, qu’audelà du problème de la composition de la délégation gouvernementale pour lapaix se posait aussi l’absence depréparation sur des sujets souvent négligés comme les femmes.
« Respect sincère »Sur le fond, le pouvoir à Kaboul défend une république islamique fondée sur des valeurs humanistes et de tolérance, garanties par une Constitution et un régime démocratique. Face à lui, les talibans ont toujours milité pour l’instauration d’un émirat islamique régi par les règles religieuses et non par le vote. Le chef militaire et véritable numéro un des talibans,Sirajuddin Haqqani, a néanmoins déclaré, dans une tribune publiée par le New York Times, le 20 février,que son mouvement était « pleinement engagé à travailler avec lesautres parties » dans un « respect sincère, afin de convenir d’un nouveau système politique inclusif ».
Washington, par la voix de sesdiplomates, craint, en privé, que M. Ghani ne soit tenté de pourrir le processus pour conserver son pouvoir. M. Pompeo a d’ailleurs assuré qu’il était « temps de se concentrer non sur la politique électorale, mais sur la prise de mesuresen vue d’une paix durable ». Quelques jours avant la signature del’accord à Doha, il a tenu à rappeler que la priorité du pouvoir à Kaboul devrait être de se présenter face aux talibans avec une équipe « totalement représentative ».
En dépit de ces inconnues, quipeuvent faire échouer le processus, un vent nouveau souffle surl’Afghanistan. Plus de 100 000 civils ont été tués ou blessés depuis 2010, selon l’ONU, et le conflit a coûté aux contribuablesaméricains, depuis 2001, l’équivalent de plus de 915 milliardsd’euros en dépenses militaires etde reconstruction. La lassituded’une guerre interminable a pesédans la décision d’y mettre findes Américains et des talibans. Les insurgés, qui avaient pourproverbe à l’adresse de leur ennemi : « Vous avez la montre, nous avons le temps », ont peutêtre fini par en manquer.
jacques follorou
Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo,à Doha,au Qatar, le 29 février.GIUSEPPE CACACE/AFP
Depuis 2001,la guerre a coûté
l’équivalentde plus de
915 milliards d’euros aux
contribuables américains
LES DATES
7 OCTOBRE 2001Au lendemain des attentats du 11-Septembre, Washington a posé un ultimatum au chef des talibans qui contrôlent alors l’Afghanistan, le mollah Omar, pour qu’il livre Oussama Ben Laden et démantèle les camps d’entraînement. Une coalition menée par les Etats-Unis lance une opération militaire en Afghanistan.
2014Septembre Après une élection présidentielle contestée, Ashraf Ghani devient président.8 décembre Les Américains et l’OTAN mettent fin à leurs mis-sions de combat en Afghanistan, pour ne passer qu’à un rôle de soutien et d’entraînement. Mais le président américain Barack Obama autorise des opérations contre les talibans et Al-Qaida. A son pic, la mission de l’OTAN et de leurs alliés a impliqué 130 000 soldats étrangers sur le sol afghan.
15 OCTOBRE 2015Le président Barack Obama an-nonce que 9 800 militaires amé-ricains resteront dans le pays jusqu’à l’issue de son second mandat, à la fin 2016.
AOÛT 2017Le président américain Donald Trump annonce l’envoi de nouvelles troupes.
SEPTEMBRE 2018Zalmay Khalilzad, ex-ambassa-deur américain à Kaboul, est désigné chef d’une délégation chargée de négocier directe-ment avec les insurgés talibans.
22 FÉVRIER 2020Début d’une trêve de sept jours, prélude à la signature d’un ac-cord de paix américano-taliban.
Les Etats-Unis entendent ainsi
mettre finau plus long
conflitde leur histoire
Les Afghanes inquiètes pour leurs droitsLes Afghanes sont partagées entre soulagement, après une se-maine de calme qui leur a permis des activités jusqu’alors impos-sibles, et inquiétude du fait de l’absence d’engagement sur les droits fondamentaux et notamment les droits des femmes dans l’accord signé entre les Etats-Unis et les talibans. Interrogée par l’AFP, une étudiante de 20 ans, Fazila Salehi, s’enthousiasme d’avoir passé, fin février, une soirée avec les siens hors de la mai-son familiale grâce à la trêve. « C’était la meilleure semaine de ma vie », s’émerveille-t-elle. Mais « nous avons peur. En tant que femme, je ne m’attends pas à être autorisée à sortir et à jouir de la même liberté que celle dont je jouis actuellement », s’inquiète-t-elle.
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0123MARDI 3 MARS 2020 FRANCE | 7
R É F O R M E D E S R E T R A I T E S
L’exécutif face au pari risqué du 49.3En décidant de faire adopter la réforme des retraites sans vote, Philippe bouscule les opposants et sa majorité
Q uand il grimpera ces prochains jours les escaliersde la tribune de l’Assemblée nationale, d’où il aannoncé, samedi 29 février, l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitu
tion pour adopter sans vote le premier volet de la réforme des retraites, Edouard Philippesait qu’il ne courra aucun risque. Les deuxmotions de censure, l’une de gauche, l’autre de droite, auxquelles il devra répondre, nemenacent en rien son gouvernement.Même les frondeurs socialistes durant lequinquennat de François Hollande, que Manuel Valls avait contournés à plusieurs reprises en employant le 49.3, n’étaient pas parvenus à faire chuter le premier ministre. Ce quine veut pas dire que ce recours sera sans conséquences pour l’exécutif.
Dès samedi soir, de premières bulles de colère ont explosé, au Havre notamment, où le locataire de Matignon mène campagne en vue des élections municipales des 15 et 22 mars. « 49.3 Philippe prend la fièvre », « Mettonsle en quarantaine », pouvaiton lire sur lafaçade de sa permanence, qui a également étécaillassée par des manifestants. Un « 49.3 » a également été inscrit à la peinture rouge surle local de Gérald Darmanin, ministre en campagne à Tourcoing (Nord). Signe que l’exécutifpeut prendre de plein fouet la colère soulevéepar cet acte d’autorité, alors qu’Emmanuel Macron tente, sur cette affaire, de rester à distance. Comme François Hollande en son temps avec Manuel Valls. « Le président ne voulait pas être entravé par le débat des retraites, il l’a confié au premier ministre pour pouvoir faire autre chose », rappelle un proche du chef de l’Etat.
La décision de recourir au 49.3, symbole depassage en force, fait en effet planer la menace d’un regain de la contestation sociale ; samedi soir, des rassemblements spontanésde protestataires se sont tenus aux abords de l’Assemblée nationale. Mais à la tête de l’Etat, on dit ne pas croire à un réveil des mécontents. « L’opposition à la réforme était déjà là,c’est même la motivation première de l’obstruction à l’Assemblée nationale, estimeton àMatignon. Beaucoup de gens trouvent au contraire légitime d’avancer. »
Au sein du PalaisBourbon, le 49.3 risquetoutefois de cristalliser un peu plus des oppositions déjà remontées contre la méthode employée par le gouvernement. Or, le parcours législatif de la réforme n’est pas terminé, puisque le changement de système de retraites est découpé en deux volets. Le projetde loi organique devra être examiné après le probable rejet des motions de censure. Mêmes’il est plus court que le projet de loi ordinaire,il pourrait être le théâtre dès cette semaine d’une nouvelle guérilla parlementaire. « Nousne lâcherons rien », a déjà promis le chef de filede La France insoumise, JeanLuc Mélenchon.
La décision de faire passer le texte sans votea aussi crispé les partenaires sociaux, maillonsclés de la réforme, qui ont unanimement condamné cette méthode. L’exécutif compte cependant profiter de ce moment pour leur envoyer des signaux et les rassurer. La responsabilité du gouvernement a été engagée sur un nouveau texte, reprenant desamendements des députés et gravant dans le marbre des points négociés depuis des semaines avec les partenaires sociaux.
FRONT AU SEIN DE LA MAJORITÉLe premier ministre a par ailleurs adressé, dèsdimanche, une lettre aux principales organisations sociales, dans laquelle il se dit prêt à reprendre un certain nombre de leurs propositions pour améliorer le projet de loi. « C’est ànous de démontrer que c’est un 49.3 pour et non pas un 49.3 contre, explique un proche dupremier ministre. On veut montrer que le dialogue social fonctionne dans notre pays. »
Le troisième front, enfin, se situe au cœurmême de la majorité, au sein du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée. Depuis que le premier ministre avait consenti,en janvier, à retirer provisoirement l’instauration d’un âge pivot de départ à la retraite à 64 ans dès 2022, la majorité, parfois lasse et tiraillée par les tensions, apparaissait ressoudée. Mais samedi soir, la décision du premier ministre a ravivé de vieilles plaies. Si l’ambiance était, selon un député, « très unitaire », « sans état d’âme », parmi ceux qui étaient présents à l’Assemblée, des membres ancrés àl’aile gauche du groupe ont critiqué ce choix sur les réseaux sociaux et par voie de presse.
« Le recours au 49.3 est toujours une formed’échec et aucun parlementaire ne peut s’en satisfaire », a estimé sur Twitter le député (LRM) du Vald’Oise Aurélien Taché. « Le dialogue social entre le gouvernement et les syndicats doitimpérativement aboutir à un accord », a ajoutéson collègue des DeuxSèvres, Guillaume Chi
che. « C’est le chant du cygne de ce gouvernement », allait jusqu’à affirmer un autre. Signed’un certain trouble au sein de la majorité, le sénateur (LRM) Michel Amiel a annoncé, dimanche 1er mars, son départ du parti présidentiel en raison du recours au 49.3.
« INFLUENCE SUR LES MUNICIPALES »Au sein de l’exécutif, on affiche une forme de sérénité. « Seule une minorité critique le recours au 49.3 », veut croire un proche d’Edouard Philippe. Marie Guévenoux, députée LRM de l’Essonne, proche du premier ministre, évoque « deux profils » d’élus : « Ceux qui se définissent comme l’aile gauche, et d’autres qui étaient inquiets des violences qu’une telle décision pouvait générer. » Durantle weekend, « plusieurs permanences de députés ont été dégradées », rapporte ainsi Marie Lebec, viceprésidente du groupe LRM.
Reste à savoir l’effet que cet épisode laisseradans l’opinion. « Je ne pense pas que ça marquera les esprits de la population, estime Mme Guévenoux. Il y a une semaine, sur les marchés, on me demandait ce que l’on faisait àl’Assemblée. Quand je parlais de la réforme des retraites, on me disait : ‘“Ah, mais ça n’est pas encore passé ?” » « Les gens sont plus préoccupés par le coronavirus que par ce qui peut sepasser à l’Assemblée », rapporte l’un de ses collègues. « Quand on regarde les études d’opinion, 72 % des Français sont contre le 49.3 mais74 % de notre socle électoral y est favorable », serassure un député « marcheur ».
« L’exécutif fait le pari que l’opinion a envie depasser à autre chose, mais c’est un pari risqué, note Bernard Sananès, président de l’institut de sondages Elabe. Le 49.3 peut réveiller l’opposition à la réforme de certaines catégories de population, mettre un terme à la trêve politique sur le coronavirus… Cela peut aussi alimenter un procès en amateurisme et en impréparation, qui sont des marqueurs importants pour l’électorat de droite. Cela pourrait avoir une influence sur les municipales. » « Si on estcynique, on peut se dire qu’en jouant le rétablissement de l’autorité on va prendre des voix à ladroite, évalue un ancien socialiste devenu député LRM. Mais c’est paradoxal sur une loi qui était d’inspiration socialedémocrate. »
olivier faye, cédric pietralungaet manon rescan
LA DÉCISION DE FAIRE PASSER
LE TEXTE SANS VOTE A CRISPÉ
LES PARTENAIRES SOCIAUX, QUI ONT
UNANIMEMENT CONDAMNÉ
CETTE MÉTHODE
l’annonce du recours au 49.3 peutelle relancer la mobilisation contre la réforme des retraites ?L’intersyndicale formée par la CGT, FO, Solidaires,FSU et des mouvements de jeunesse devrait appeler lundi matin en plus de la journée d’action interprofessionnelle du 31 mars, déjà actée, à organiserpartout localement des rassemblements dès lundiet à des manifestations devant les préfectures et souspréfectures mardi 3 mars selon un projet decommuniqué dont Le Monde a eu connaissance, pour « signifier avec force le rejet de ce texte », « y compris par la grève » « au moment de ce passage enforce au Parlement », les motions de censure devanta priori être discutées mardi à l’Assemblée.
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez,avait initialement évoqué, samedi soir, la tenue d’une réunion de l’intersyndicale pour discuter d’une nouvelle mobilisation dans la semaine. Finalement, les échanges ont eu lieu par mails et téléphonedès dimanche pour aboutir à un texte commun. Samedi soir, les plus fervents des opposants au projet de loi qui se sont spontanément retrouvés devant l’Assemblée après la prise de parole d’Edouard Philippe voulaient croire à un regain de mobilisation.« Dès qu’on l’a su, on a lâché les femmes, les maris, les
enfants et on est venu devant l’Assemblée, pour le symbole. J’espère que ça va relancer la lutte », témoignaitPeggy, professeur de lettres modernes au collège TravailLangevin de Bagnolet (SeineSaintDenis). A ses côtés, son collègue Pierre (tous deux ont souhaité garder l’anonymat), professeur d’histoiregéographie dénonçait un « déni de démocratie » : « Le gouvernement ayant la majorité à l’Assemblée, le texte allait être voté donc ce 49.3 c’est qu’ils refusent même le débat. Je ne me sens plus représenté par ces genslà. »
« Continuer à mettre la pression »Le mot d’ordre « Tous à l’Assemblée » en cas de recours au 49.3 courrait depuis des jours dans les réseaux mobilisés contre la réforme. Mais, au final, ils n’étaient que quelques centaines à s’être rassemblés sur le pont de la Concorde, tagué à cette occasion d’un « Non au 49.3 ». « En faisant ça un samedi soir, ilsont pris tout le monde de court, il faut attendre lundi pour en discuter avec nos collègues », disait une enseignante en maternelle à Paris. Comme elle, tous témoignaient d’une vive effervescence sur les réseaux sociaux et groupes de discussion d’opposants à la réforme des retraites. « Difficile pour l’instant d’avoir une vision globale. Lundi les choses vont s’affiner
parce que nous nous verrons et parce qu’il y aura des retours un peu partout », indiquait également une bibliothécaire annonçant l’organisation d’une assemblée générale « à l’arrache » avec ses collègues.
Des AG s’annonçaient également dans les écoles,collèges et lycées les plus mobilisés ou à l’Opéra de Paris, dont les personnels devaient se réunir à 13 heures, lundi. Avant même l’annonce du recours au 49.3, ces derniers avaient annoncé la reprise de la grève après le vote par les députés, samedi, de l’article signant la fin de leur régime spécial. Trois représentations ont été annulées samedi et dimanche à Garnier et à Bastille, et une à la ComédieFrançaise. Dimanche en fin d’aprèsmidi, les acteurs ont convoqué Molière pour fustiger la réforme dans un happening joué depuis les fenêtres du théâtre, place Colette à Paris, mis en musique par les musiciens de l’Opéra. Quelques centaines de personnes sont venues les applaudir. « La question c’est : comment on peut continuer à mettre la pression ?, s’interrogeait Anne Goulier, secrétaire du CSE de l’Opéra de Paris.Estce que c’est par la grève ? Estce qu’il faut être plus imaginatif ? On ne peut pas lâcher maintenant ! »
raphaëlle besse desmoulièreset aline leclerc
« En faisant ça un samedi soir, ils ont pris tout le monde de court »
Le premier ministre, Edouard Philippe, le 29 février, à Paris. VINCENT ISORE/IP3
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8 | france MARDI 3 MARS 20200123
R É F O R M E D E S R E T R A I T E S
Les oppositions ripostent à coups de motionsLes groupes de gauche ont signé un texte commun, tandis que la droite a pris sa propre initiative
F rapper vite et fort, ne paslaisser le monopole del’action au gouvernement. Les partis d’opposi
tion, qui s’attendaient à un recours à l’article 49 alinéa 3 pour l’adoption rapide de la réforme des retraites, avaient tous ou presque préparé leur riposte. Samedi, moins de deux heures après l’intervention du premier ministre en séance, les uns et lesautres ont dégainé leurs motions de censure, qui seront débattues mardi soir à l’Assemblée.
A gauche, le Parti socialiste (PS),le Parti communiste (PCF) et La France insoumise (LFI) s’étaient ainsi mis d’accord sur la tactique à adopter au moment voulu : une motion commune pour marquer solennellement le coup contre ce « hold up démocratique » opéré par le gouvernement, selon Boris Vallaud, député PS des Landes.Des représentants des trois partisse sont vus samedi soir pour fignoler le texte. « On utilise tout ce qui est en notre pouvoir pour dire notre désaccord et dénoncer laméthode », explique M. Vallaud.
A droite, Damien Abad, président des députés Les Républicains (LR), n’est pas rentré en circonscription, afin de réagir le plusvite possible si nécessaire. « Jem’attendais au scénario le plus cynique. Ils ont brisé l’union nationale en faisant leur annonce en plein coronavirus, c’est dangereux », estime le député de l’Ain.« Outrée » par les « méthodes odieuses » et « le cynisme du gouvernement », Marine Le Pen, députée du PasdeCalais et présidente du Rassemblement national (RN), n’a pas pu, en revanche, déposer de motion faute d’unnombre d’élus suffisant à l’Assemblée. Au RN, on l’assure, lesdéputés voteront tous les textes de censure « quels qu’ils soient ».L’exFN sera bien le seul danscette situation.
Car, si elles sont d’accord sur laméthode, les oppositions n’en avancent pas moins en ordre dispersé contre le gouvernement. André Chassaigne, pour les communistes, Valérie Rabault pour les socialistes, Damien Abad pour LR, et peutêtre JeanLuc Mélenchon pour LFI : plusieurs orateurs, un seul objectif, mais deux motions différentes.
Chez LR, hors de question de voter la motion de gauche, le parti s’abstiendra – il n’est pas possible de voter contre. « Il n’y a pas uneopposition, mais des oppositions, nous ne réagissons pas pour les
mêmes raisons », avertit Eric Woerth, député de l’Oise. Pour Damien Abad, les électeurs attendentdu parti de la « clarté et de la cohérence ». « J’ai entendu Marine Le Pen et JeanLuc Mélenchon annoncer qu’ils voteraient notre motion, ils ne sont pas à une incohérence près », ajoute le député. Le parti de droite n’estil pas pour le recul de l’âge de départ à la retraite, un casus belli pour les « insoumis » ?
« Du bidon »« Il va sans dire que nous sommes en désaccord sur le fond avec la droite au Parlement : elle veut une
mesure d’âge. Et en fait, le projet deréforme de Macron n’est qu’unevaste mesure d’âge. Mais nous sommes disposés à voter toute motion pour censurer le gouvernement sur l’utilisation du 49.3, et cette réforme illégitime des retraites », explique Adrien Quatennens, député LFI du Nord. « On votera toutes les censures, comme toutes les motions de rejet », résume son camarade de SeineSaintDenis, Alexis Corbière.
Seule voix dissonante : FrançoisRuffin. Le député picard ne mâche pas ses mots. La motion decensure ? « Du bidon. » Lui exige
une « une dissolution de l’Assemblée nationale. Tant le fossé est grand entre le “pays légal” et le “pays réel” », expliquetil en faisant référence aux mots de Charles Maurras, repris par Emmanuel Macron lors d’un discours, en février. Chez les communistes,la décision n’est pas encore prise. « A priori, on va la voter. Tout dépend du fond du texte », expliqueStéphane Peu, élu de SeineSaintDenis. Qu’importe le contenu desmotions, Fabien Roussel, secrétaire national et député du Nord, rappelle qu’il « faut tout additionner pour espérer l’emporter ».
Le fond, en revanche, s’avèreproblématique chez les socialistes. Olivier Faure, député de SeineetMarne, a bien échangé avecChristian Jacob, samedi : « On vavoir le texte de la motion, mais, si c’est pour expliquer qu’il faut reculer l’âge de la retraite à 65 ans, cesera non. » Fermez le banc. A droite, certains regrettent d’ailleurs cette division : « Par le passé, il est arrivé que chacun modifie sa motion pour trouver unterrain neutre. Elle pouvait aussiêtre très laconique et permettre à chacun de s’y retrouver », avanceun député.
Qu’à cela ne tienne. Tous désormais ont les yeux rivés sur l’aprèset souhaitent que les électeurs censurent le parti présidentiel directement dans les urnes, à l’occasion des élections municipales.« Insoumis » et communistesont, par ailleurs, appelé à des« rassemblements pacifiques ». Les députés socialistes affinentpour leur part leurs argumentspour un recours devant le Conseilconstitutionnel contre la réforme. « On empile les briques dans un rapport de force où on estminoritaire. Mais nous savons que, dans un moment de fragmentation du pays, l’oppositionne peut pas se permettre d’abdiquer », prévient Boris Vallaud.
sarah belouezzane,abel mestre,
lucie soullieret sylvia zappi
François Ruffin, député La France insoumise, à l’Assemblée nationale, le 29 février. ELIOT BLONDET/ABACA
« IL N’Y A PAS UNE OPPOSITION, MAIS DES OPPOSITIONS, NOUS NE RÉAGISSONS PAS POUR LES MÊMES RAISONS »
ÉRIC WOERTHdéputé LR de l’Oise
« Ce n’est pas annoncé avec des tambours et trompettes, le 49.3 »Vendredi soir, l’Elysée et Matignon juraient que le déclenchement de cette procédure n’était pas « à l’ordre du jour »
RÉCIT
D e l’avis d’un conseillerministériel, qui maniel’argot seconde langue,
le coup est venu « en loucedé ». « En douce », en bon français. Il est17 h 26, samedi 29 février, quand Edouard Philippe monte à la tribune de l’Assemblée nationale, àl’issue d’une suspension de séance impromptue. L’opposition s’agite depuis environ une demiheure quant à la possibilitéde voir le gouvernement recourir à l’article 49.3. « Cela s’agite, le 49.3serait annoncé pour 17 heures ! », a tweeté, à 16 h 43, le député (Les Républicains, LR) du BasRhin Patrick Hetzel.
Le premier ministre vientconfirmer sa prédiction, avec un peu de retard. « Après en avoir obtenu l’autorisation du conseil des ministres du 29 février, j’ai décidéd’engager la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi instituant un système universel de retraites », déclare le locataire de Matignon, prenant tout le mondepar surprise. L’opération s’estmontée en vingtquatre heures.
Vendredi midi, Edouard Philippe reçoit pour déjeuner son
ministre des relations avec le Parlement, Marc Fesneau, les présidents des groupes La République en marche (LRM) et MoDem à l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre et Patrick Mignola, ainsi que les rapporteurs du projet de loi,Guillaume GouffierCha, JacquesMaire, Nicolas Turquois, Corinne Vignon, Carole Grandjean et Paul Christophe. La discussion tourne autour des amendements de la majorité ou de l’opposition que le gouvernement pourrait ajouter à sa réforme en cas d’usage du 49.3.
Battre le rappel des troupesAutour de la table, chacun connaît le menu des jours à venir,mais pas le timing. « Il était dit quele 49.3 serait utilisé, mais pas quand », raconte un participant. Le ralentissement du tempo opéré en début de semaine parEdouard Philippe a servi à accorder les violons entre l’exécutif et la majorité. « Le président de la République et le premier ministreétaient convaincus depuis une semaine de la nécessité d’utiliser le 49.3, assure un cadre de la Macronie. Il y a eu un jeu d’accordéon quitenait au souci de préserver l’intégrité de la majorité. »
Edouard Philippe et EmmanuelMacron échangent à nouveau sur le sujet vendredi aprèsmidi. Le chef du gouvernement se rend par ailleurs à l’hôtel de Lassay pour rencontrer discrètement le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Dans la soirée, un communiqué est envoyé àla presse : un conseil de défense etun conseil des ministres exceptionnels sont convoqués, samedi, au sujet… de l’épidémie de coronavirus. Or, chacun sait que l’activation de l’article 49.3 ne peut intervenir que dans le cadre du conseil des ministres. « Ce n’est pas à l’ordre du jour », jureton à l’Elysée et à Matignon.
Au sein de l’exécutif, pourtant,certains sont déjà mis dans la confidence. « Je savais que ça allait être acté au conseil des ministres, mais je ne savais pas quand çaserait déclenché à l’Assemblée nationale », révèle un conseiller. Pas question de laisser fuiter la moindre information qui permettrait àl’opposition de fourbir ses armes.
Samedi matin, les ministres dugouvernement Philippe se retrouvent à l’Elysée. La France s’inquiète de l’expansion du coronavirus. Au sortir du conseil des mi
nistres, la porteparole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, et le ministre des solidarités et de lasanté, Olivier Véran, annoncent que les rassemblements confinés de plus de 5 000 personnes sontannulés. Pas un mot, en revanche,sur le 49.3. Le sujet a pourtant occupé la fin du conseil.
Les ministres du travail et del’éducation nationale, Muriel Pénicaud et JeanMichel Blanquer, ont détaillé certains aspects de laréforme des retraites dans leurssecteurs respectifs, pendant quecelui des relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a rappelé lecalendrier lié à l’utilisation du 49.3. « On a fait une heure et demie de coronavirus et dix minutessur l’engagement de la responsabilité du gouvernement devant
l’Assemblée », relate un participant. Charge est alors donnée àEdouard Philippe de mettre le ballon dans l’enbut. En début d’aprèsmidi, le chef du gouvernement appelle le patron des députés « marcheurs », Gilles LeGendre, pour le prévenir de sadémarche. Il faut battre le rappeldes troupes.
Peu après 17 heures, un députéen rendezvous à côté de l’Assemblée reçoit un message de son groupe l’appelant à rejoindre le salon Delacroix. Il voit alors passer leconvoi du premier ministre dans la rue. Edouard Philippe se rend directement dans l’Hémicycle. La plupart des députés « marcheurs » qui ne se trouvent pas en séance apprennent la nouvelle à la radio ou sur leur smartphone. « Ce n’est pas annoncé avec des tambours et des trompettes, le 49.3 », justifie un ministre.
Accusations d’opportunismeLe président du groupe LR, Damien Abad, s’étrangle aussitôt de ce « passage en force ». « Chacun connaît maintenant le cynisme du gouvernement, qui se sert de l’aggravation de la crise du coronavirus en le précédant d’une interdic
tion de rassemblement de plus 5 000 personnes », attaque la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen. Du bout des lèvres, un membre du gouvernement reconnaît « un hasard malheureux de calendrier ». « C’est une incompréhensible erreur politique, stratégique et institutionnelle », tempête un député LRM influent.
D’autres défendent au contrairece choix. « Le premier ministre a ajouté au texte quasiment toutes les priorités des groupes LRM et MoDem, dont certaines recoupent les positions de l’opposition », explique Patrick Mignola. Le déclencher dès maintenant doit permettre, selon ses promoteurs, de laisser une chance au projet de loi organique d’être voté par les députésavant la suspension des travaux del’Assemblée, le 6 mars, pour cause d’élections municipales. Sur le plateau du « 20 heures » de TF1, samedi, Edouard Philippe récuse pour sa part les accusations d’opportunisme : « Ça n’a rien à voir avec le coronavirus. » « J’ai choisi de prendre mes responsabilités », assume le chef du gouvernement.
olivier faye,cédric pietralunga
et manon rescan
LA PLUPART DES DÉPUTÉS « MARCHEURS » QUI
NE SE TROUVENT PAS EN SÉANCE APPRENNENT LA NOUVELLE À LA RADIO OU SUR LEUR SMARTPHONE
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0123MARDI 3 MARS 2020 france | 9
La « version 49.3 » du projet de loine satisfait pas les syndicats réformistesDimanche, Laurent Berger a reconnu des « avancées », mais la CFDT regrette que le texte ne prenne pas mieux en compte la pénibilité et le sort des fonctionnaires qui ont peu de primes
M ême si l’exécutif assureque le débat resteouvert, son choix de
recourir à l’article 49.3 de la Constitution – donc à une adoption sans vote du projet de loi sur les retraites – est un coup dur pour lessyndicats dits « réformistes ». Ces organisations, qui sont favorablesau principe d’un système universel par points ou qui le regardent avec bienveillance, espéraient pouvoir pousser leurs pions lors de la discussion à l’Assemblée nationale. Elles sont finalement loin d’avoir obtenu ce qu’elles réclamaient.
Le nouveau texte a beau intégrerdes amendements du gouvernement, de la majorité et même des oppositions (à l’exception de LFI etd’élus noninscrits comme ceux du RN), bon nombre de leurs revendications n’ont, pour l’heure, pas été satisfaites. « Le gouvernement vient de faire le choix du 49.3,mais pas encore celui de la justice sociale », a déploré, dimanche 1er mars, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, dans un entretien au Parisien.
Le leader de la première confédération de salariés énumère les sujets que sa centrale appelle deses vœux depuis plusieurs mois et qu’elle n’a pas retrouvés dans la« version 49.3 » du projet de loi : le sort des fonctionnaires qui ont peu ou pas de primes, l’ouverture du droit à la réversion pour lescouples pacsés, un minimum de pension à 85 % du smic dès 2022 etnon à partir de 2025, une bonification forfaitaire pour les mères…
Il y a, de surcroît, un thèmeauquel le responsable cédétiste tient pardessus tout : celui d’une meilleure prise en compte de la pénibilité, assortie de la possibilité de partir plus tôt à la retraite. M. Berger a reconnu, dimanche, que des « avancées » se sont produites, durant l’examen du projet au PalaisBourbon. Confirmant des annonces faites le 13 févrierpar le premier ministre, Edouard Philippe, elles portent notamment sur la création d’un congé
de formationreconversion en faveur des personnes ayant exercédes activités physiquement éprouvantes. Ou encore sur lerenforcement de la prévention.
Mais le numéro un de la CFDTveut que la réforme aille plus loin sur le volet « réparation » del’usure professionnelle. « La bataille n’est pas finie mais change denature, atil dit au Parisien. Nous nous battrons jusqu’au bout. » « On va continuer le combat », renchérit Cyril Chabanier, le président de la CFTC, en faisant allusion à la pénibilité, mais aussi à la gouvernance du système universel et aux carrières longues – un mécanisme qui permet aux individus ayant commencé à travailler avant 20 ans de liquider leur pension de façon anticipée.
Dans une lettre envoyée samediaux partenaires sociaux, M. Philippe tente de rassurer ses interlocuteurs : « La fin des débats en première lecture à l’Assemblée nationale ne constitue pas un aboutissement. Nous pouvons, nous devons,encore faire évoluer le texte. »
« Là, il y a une porte de sortie »La voie s’annonce très étroite, s’agissant de la pénibilité. Pour une raison simple : le Medef estvent debout face aux doléances dela CFDT, craignant qu’elles aboutissent à l’émergence de « nouveaux régimes spéciaux ». Son président, Geoffroy Roux de Bézieux, a toutefois esquissé un geste, dans un entretien aux Echos du 19 février, en se déclarantouvert à l’idée d’un plus grand nombre de départs anticipés à laretraite « pour des raisons de pénibilité ». Mais à la condition « que[cette] augmentation soit compensée par moins de départs pour carrières longues ».
Problème : le dispositif enquestion – celui des carrières longues, donc – correspond à une conquête de la CFDT arrachée en 2003. Pas question pour la centrale cédétiste de toucher à une mesure sacrosainte à ses yeux. « Si le Medef ou le gouvernement
veulent réduire l’un – ou le supprimer – pour octroyer l’autre, ce sera sans nous et même contre nous », confie M. Berger au Monde. Une position qui ne surprend nullement le Medef. « Là, il y a une portede sortie, mais comme à chaque fois, Laurent Berger la ferme », soupire un haut gradé du mouvement patronal.
Le pilotage du régime en coursde construction représente, pour les partenaires sociaux, une autre source de préoccupation, qui lesrassemble plus qu’elle ne les divise. Tous craignent, en effet, que l’Etat prenne entièrement la main. Dans le courrier qu’il a adressé aux organisations de salariés et d’employeurs, M. Philippe affirme cependant être « disposé à(…) renforcer encore leur rôle ». Mais en suggérant que de telles « évolutions » aient une contrepartie : le retour à « l’équilibre financier de notre système de retraite dans les prochaines années ». « Ce n’est pas une place dans la gouvernance qui nous préoccupe, c’est la justice sociale », rétorque M. Berger, sollicité par Le Monde.
Sur les instances chargées d’administrer le futur dispositif, la « version 49.3 » du projet intègre des changements que les syndicats désiraient. Ainsi, les établissements composant le réseau, à travers la France, de la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) auront la personnalité morale : un tel schéma était exclu au départ, suscitant de fortes inquiétudes parmi les personnels des structures régionales de l’as
surancevieillesse, qui craignaientune atrophie de leurs missions. Par ailleurs, le conseil d’administration de la CNRU devra compter autant de femmes que d’hommes.
Les nouveautés les plus importantes introduites dans le texte avaient déjà été dévoilées au cours des dernières semaines, en particulier celles ayant trait auxdroits familiaux : octroi d’un nombre minimal de points pour les mères au titre de la maternité (avec un montant plancher pour celles percevant de faibles revenus), maintien de la pension de réversion pour les conjoints divorcés par le biais d’un mécanisme entièrement remanié, etc. De même, l’essentiel des changements en faveur de la retraite progressive (qui consiste à travailler àtemps partiel en toute fin de carrière) avaient déjà été présentéspar le premier ministre.
Dans les modifications qui ontété faites samedi, figure une mesure défendue par un sousamendement des communistes : elle permet aux égoutiers, embauchés avant 2022, de continuer à prendre leur retraite à 52 ans. Par ailleurs, l’article 65, qui ratifiait trois ordonnances prises en 2019 en faveur du développement del’épargne retraite supplémentaire (par capitalisation), a été supprimé, conformément à ce que souhaitaient le rapporteur général, Guillaume GouffierCha (LRM), et l’un des corapporteursPaul Christophe (UDI).
Tous deux avaient rédigé unamendement allant dans ce sens afin de ne pas « mélanger deux sujets bien distincts ». Sousentendu :la réforme consacre un fonctionnement par répartition, dans lequel les actifs cotisent pour lapension des personnes déjà à la retraite ; elle ne doit donc pas être suspectée d’ouvrir la porte à des mécanismes de capitalisation, où les assurés se constituent des droits uniquement pour eux, au moment de leurs vieux jours.
raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel
LE PILOTAGE DU RÉGIME EN COURS D’ÉLABORATION
REPRÉSENTE, POUR LES PARTENAIRES
SOCIAUX, UNE SOURCE DE PRÉOCCUPATION QUI LES RASSEMBLE
Laurent Berger, lors d’une réunion de la conférence de financement des retraites, à Paris, le 30 janvier. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Le poste de maire, parent pauvre de la parité Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a présenté son état des lieux du sexisme, notamment en politique
P lus de quatre maires surcinq (84 %) et 92 % des présidents d’intercommuna
lités sont des hommes. Ces chiffres éloquents sont opportunément rappelés, à quinze jours des élections municipales, par le HautConseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) dans son état des lieux du sexisme,présenté lundi 2 mars.
L’instance nationale consultative dresse, pour la deuxième année consécutive, le bilan d’un mal qui irrigue l’ensemble de notre société et dont la définition est énoncée en préambule : « Le sexisme est à la fois une idéologie qui repose sur l’infériorité d’un sexe par rapport à l’autre, mais aussi un ensemble de manifestations des plus anodines en apparence (remarques, plaisanteries, etc.) aux plus graves (viols, meurtres), qui ont pour objet de délégitimer, stigmatiser, humilier ou violenter les femmes et entraînent pour elles des effets en termes d’estime de soi, de santé psychique et physique et de modification des comportements. »
Les victimes d’actes sexistes sontà 87 % des femmes et les auteurs à 91 % des hommes, souligne le rapport, avant de se pencher sur trois domaines : le milieu de l’entreprise, celui de la télévision et celui de la politique.
Des « zones blanches »Premier constat, dans le chapitre consacré à la vie politique : les avancées de la loi en matière de parité, bien que considérables, ne suffisent pas. Certaines « zones blanches » demeurent, comme les intercommunalités et les communes de moins de 1 000 habitants, non soumises à des règles paritaires. Le HCE recommande donc de les étendre. Idem pour les postes de viceprésidence au Sénat et à l’Assemblée nationale. L’institution propose aussi de créer des binômes paritaires de corapporteur et corapporteuse de projets de loi.
Autre difficulté : « Si la paritéquantitative a bien eu lieu, le partage effectif du pouvoir se fait attendre », relève le HCE, constatant que non seulement les femmessont bien souvent reléguées à des thématiques spécifiques liées à la sphère privée, mais aussi que les postes à haute responsabilité restent majoritairement aux mainsdes hommes. Les directions des partis politiques (quasi exclusivement masculines) ont un rôle àjouer, et l’organisation recommande donc de conditionner les financements des partis à uneobligation de parité dans les instances de direction et les commissions d’investiture.
Enfin, les rares fois où elles accèdent à des postes de premier plan, outre les remarques sexistes ou des violences, le rapport montre que les femmes sont confrontées àune forme d’entresoi masculin que la sociologue Françoise Gaspard nomme le « fratriarcat ». Cette solidarité masculine, qui s’exprime lors de discussions informelles à la buvette de l’Assemblée nationale, par exemple, fonctionne sur les mêmes ressorts queles « boys club », et aboutit à une exclusion de fait des femmes d’échanges parfois décisifs. D’où le« grand sentiment de solitude » ressenti par les quelquesunes qui accèdent au pouvoir, exprimé lors des auditions menées par le HCE.
Pour y remédier, ValériePécresse, présidente du conseil régional d’IledeFrance, plaide, par exemple, pour la création de réseaux d’entraide de femmes et de clubs mixtes. L’affaire est urgente : les obstacles rencontrés provoquent un sentiment d’illégitimité qui conduit bon nombre de femmes politiques à renoncer auxresponsabilités. Un abandon bien souvent accueilli dans une grande indifférence, bien loin du fracas qui accompagne les départs de leurs homologues masculins.
solène cordier
Connaître les religions pour comprendre le monde
DES
REL
IGIONS
Élisabeth Badinter, Jean d’Ormesson, Edgar Morin, Odon Vallet,le dalaï-lama, Stéphane Hessel, Christian Bobin, Thich Nhat Hanh,Abdennour Bidar, Hubert Reeves, André Comte-Sponville…
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10 | france MARDI 3 MARS 20200123
A Bordeaux, Thomas Cazenave pris en étauDans cette ville qui a adoubé Macron en 2017, le candidat LRM est coincé entre le maire sortant et les écologistes
bordeaux correspondante
E n ce vendredi soir pluvieux de vacances scolaires à Bordeaux, la pressen’a pas véritablement ré
pondu à l’appel. Pourtant, ThomasCazenave, candidat La République en marche (LRM) aux élections municipales, avait convié Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, pour attirer les curieux. Venue soutenir le « marcheur », la ministre est sans équivoque : « Je suis très heureuse de soutenir cette liste qui incarne le renouveau qu’avait voulu Emmanuel Macron. » Thomas Cazenave poursuit en détaillant son programme sur les mobilités et la transition écologique, en évoquant les projets de loi concomitants dont s’occupe Elisabeth Borne. Le duo est accordé.
A quinze jours du premier tourdes élections municipales, Thomas Cazenave a besoin de soutien et tous les renforts sont les bienvenus. Si le dernier sondage IpsosSopra Steria pour France Bleu Gironde, Sud Ouest et TV7 dévoilé le 13 février dernier lui donnait, comme en décembre, toujours 16 % des intentions de vote, une autre enquête BVA pour Europe 1 diffusée le 20 février a semé un vent d’inquiétude dans l’équipe macroniste. Dans cette ville qui n’a pas connu de second tour auxmunicipales depuis la Libération, Thomas Cazenave y est crédité de 11 % des intentions de vote, juste derrière Philippe Poutou, à 12 %.
Ce dernier est entré dans lacourse au palais Rohan fin janvier, avec le soutien de La France insoumise (LFI). Cette percée ducandidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) n’a pourtant pas étonné Fabien Robert (MoDem), premier adjoint au maire de Bordeaux, en troisième position sur la liste de Nicolas Florian, candi
dat Les Républicains (LR) et successeur d’Alain Juppé. « Je n’ai pas été totalement surpris de le voir passer devant Thomas Cazenave au dernier sondage car je connais ma ville. La crise sociale actuelle profite d’abord à Philippe Poutou.On l’a oublié mais, à Bordeaux, il y a toujours eu une ultragauche, qui ne trouvait sans doute pas dedébouchés aux élections municipales. Là, elle a trouvé un candidat », estime M. Robert avant de conclure : « L’électorat modéré, entre Nicolas Florian et Thomas Cazenave, a son candidat. »
Une manière d’évoquer entre leslignes la campagne du maire sortant qu’il soutient. Sauf que M. Cazenave doit aussi faire face à la concurrence d’un autre hommequi aspire l’électorat macroniste : Pierre Hurmic. Le candidat écologiste, très haut dans les intentionsde vote, va peutêtre réussir le gros coup de cette élection : imposer un second tour compliqué à la droite et peutêtre faire basculer la
mairie. Exactement la position que rêvait d’occuper le macronistequi se retrouve maintenant à être au coudeàcoude avec la gaucheradicale. Un comble dans cetteville convertie au macronisme depuis la dernière présidentielle. « Quel est le positionnement de laliste LRM entre Hurmic et Florian ?, fait mine de s’interroger dans Le Figaro M. Florian, lundi, avant de tendre la main. On verra après le premier tour quels sont les rapports de force. (…) Je vois déjà certains points du programme qui convergent. »
« La campagne commence »Le candidat LRM marche sur desbraises depuis le début de sa campagne, dans une ville où le partiprésidentiel partait pourtant confiant. Au second tour en 2017, l’électorat bordelais a voté à 85,92 % pour Emmanuel Macron,et a placé en tête la liste LRM de Nathalie Loiseau aux européennes de 2019 (29,47 %). Mais c’était
sans compter sur la perte d’un allié de choix, le MoDem, soutiendu parti présidentiel mais qui, àBordeaux, s’est rangé du côté du parti Les Républicains et de sonmaire sortant, grâce à l’appui de son premier adjoint. « On a un bilan à Bordeaux derrière AlainJuppé depuis vingt ans, commentvoulezvous expliquer aux électeurs, parce qu’il y a un nouveau maire, ancien adjoint qui partageavec nous ce bilan, que du jour aulendemain on déchire ce que l’on afait, et qu’en vertu d’une alliancenationale on est plus dans lemême camp ? C’est illisible et incompréhensible, poursuit Fabien Robert. Voilà pourquoi FrançoisBayrou a fait le choix de soutenirNicolas Florian à Bordeaux. »
Le premier adjoint à la cultureest persuadé que de nombreux électeurs d’Emmanuel Macron choisiront Nicolas Florian. Un phénomène qu’il explique par la filiation d’Alain Juppé, qui a souvent salué la politique d’Emma
nuel Macron. Et, dans l’esprit de nombreux électeurs, l’héritage juppéiste est porté par le maire sortant et son équipe. Le poids de la politique nationale pèse également sur la campagne de Thomas Cazenave. « Il y a une part d’électorat sans doute déçu de la politique nationale et je ne m’en félicite pas, car je me sens moimême dans cette majorité », déplore M. Robert.
Mais pour Aziz Skalli, référentterritorial LRM en Gironde, tout est encore possible. « Un sondage disait qu’il y a entre 16 % et 20 % desgens qui allaient voter pour des critères nationaux. 80 % des électeurs vont donc voter sur les questions municipales. Je pense qu’ils feront la part des choses au moment de choisir », croit M. Skalli, qui restera mobilisé jusqu’au 15 mars : « Une élection, c’est jusqu’au bout, on ne va pas capituler au contraire, on estplus motivés que jamais. »
Réunions de quartier, tractagesdans les rues bordelaises… A l’approche de l’échéance, la campagnes’est intensifiée du côté des « marcheurs », qui restent déterminés à prendre les rênes de la ville. « Je trouve que la campagne commence finalement tout juste, on le voit quand on rencontre les gens dans les marchés, les porteàporte, il y a vrai engouement, estime M. Skalli. Pourtant, on est en campagne depuis six mois, mais la tonalité a changé, les gens regardent, s’intéressent un peu plus, commencent à avoir une vraie critique des programmes des uns et des autres, c’est vraiment sur ces deux dernières semaines que ça va se jouer. » Deux semaines qui deviennent, en effet, avec ces sondages en berne, déterminantes pour LRM.
claire mayer
La guerre des droites agite le 16e arrondissement parisienTrois listes menées par des personnalités qui affichent toutes leur soutien à Dati sont en concurrence dans l’ouest de la capitale
A l’approche des municipales, une bataille politiqueau couteau se joue dans le
16e, cet arrondissement aux grandes rues calmes bordées d’ambassades, aux avenues « aussi mornes que la bourgeoisie cossue qui a choisi d’y habiter », selon les mots cruels de l’écrivain et dessinateur Pierre LeTan. Un combat d’autantplus âpre qu’il oppose d’anciens amis. Tous de droite, ils se retrouvent à présent sur plusieurs listes concurrentes… dont trois affichent leur soutien à Rachida Dati pour la Mairie de Paris ! Ils se déchirent pour diriger la mairie d’arrondissement et, audelà, reprendre en main la droite des beaux quartiers de l’Ouest parisien, arrivée au bout d’un cycle.
Dernier épisode en date : DanièleGiazzi, maire Les Républicains (LR)de l’arrondissement et candidate àsa réélection, vient de porter plainte pour vol, abus de confiance et usurpation d’identité contre son ancien directeur de campagne, qui l’a lâchée le 10 février pour rejoindre une liste rivale, celle menée par l’avocat Francis Szpiner. « Il est parti avec des tracts, toute une série de documents confidentiels, et les codes de comptes sur les réseaux sociaux », accusetelle. « Aujourd’hui, j’ai
tout rendu, assure l’intéressé. Pour moi, le dossier est clos. » Il a juste gardé le contrôle d’un compte Twitter créé initialement pour vanter les mérites de Danièle Giazzi, et qui assure désormais la promotion de son adversaire Francis Szpiner. « Des méthodes de voyou », lâche la maire sortante.
En face, le ton monte aussi. Pourdéfendre Francis Szpiner, le candidat officiel de LR, le secrétairegénéral du parti a envoyé le 21 février des lettres comminatoires aux deux femmes qui mènent des listes dissidentes, DanièleGiazzi et la sénatrice Céline BoulayEspéronnier. « Vous faites référence aux Républicains alors quevous n’avez pas obtenu l’investiture de notre famille politique, écrit Aurélien Pradié. Je vous demande expressément de mettre unterme à cette confusion au plusvite et donc de cesser d’utiliser notre logo. » Certains agitent déjà la menace d’actions en référé face à ces « impostures ».
Pour LR, le 16e constitue un bastion que le parti ne peut se permettre de perdre. Or, le risque paraît réel. La droite reste certes archidominante dans ces quartiershuppés, mais la coexistence de trois listes rivales menées par des figures de LR ne peut que provo
quer un éparpillement de l’électorat. Et bénéficier à une quatrième liste, celle d’Hanna Sebbah, 28 ans, ancienne adjointe de la maire LR et désormais figurede proue locale de La République en marche (LRM).
Aux européennes de mai 2019, laliste présentée par le parti présidentiel avait déjà rassemblé 46 % des suffrages, ne laissant que 24 % à celle de LR. Cette foisci, « l’arrondissement fait partie de ceux que nous pourrions prendre », estime un stratège macroniste. « La campagne d’Hanna Sebbah se passe très bien », soulignetil, et la tête de liste de LRM pour Paris, Agnès Buzyn, renvoie une image de grande bourgeoisie éclairée qui « correspond bien à ce qu’attendentles habitants du 16e ».
Trop sûre d’ellemême, la droiteparisienne atelle enclenché la machine à perdre ? L’affaire se noue en 2017. Cette annéelà, Claude Goasguen, l’homme fort du 16e, remporte de peu les législatives. Touché par la loi sur le noncumul des mandats, il garde son siège de député, et abandonne celui de maire d’arrondissement. Pour lui succéder, il fait élire par le conseil d’arrondissement une de ses adjointes, Danièle Giazzi, en espérant sans doute continuer à exercer la réalité du pouvoir.
Querelles persistantesLes premiers mois, il conserve d’ailleurs l’immense bureau du maire, sa voiture de fonction, son chauffeur, et le magazine à sa gloire. Mais au fil des mois, la nouvelle maire, élue de Paris restée dans l’ombre depuis trente ans, prend goût à la lumière. Elle s’affirme. Ses relations se tendent avec le volcanique Claude Goasguen et la majorité qui l’avait élue au conseil se disloque. « L’état danslequel j’ai trouvé la mairie était hallucinant, lâchetelle. Ce n’était qu’un bureau au service des ambitions nationales de M. Goasguen. »
Deux ans plus tard, les querellespersistantes ont abouti à une multiplication de candidatures.
Claude Goasguen, rabiboché avec Rachida Dati après une longuebrouille, a tout fait pour que Danièle Giazzi ne soit pas investie. Pour contrer son ancienne protégée, il est allé chercher un avocat vedette, fidèle chiraquien et francmaçon revendiqué, Francis Szpiner. Le pénaliste a été investi officiellement par le parti, grâce en particulier au soutien de François Baroin, son associé au sein du cabinet d’avocats STAS. Francis Szpiner n’habite certes pas le 16e arrondissement. Mais « j’y cherche une maison à louer depuis trois mois », confietil. Avec l’appui de Rachida Dati, il entend « agir pour que Paris retrouve la joie de vivre ».
S’il est élu, Francis Szpiner occuperatil le fauteuil de maire pour autant ? Et pour combien de temps ? Des interrogations légitimes, dans la mesure où l’avocat a déjà en tête l’étape suivante, les législatives de 2022. Claude Goasguen, 74 ans, ne devrait en effet pas se représenter, et le spécialiste des affaires politicofinancières serait alors en bonne position pour lui succéder. D’ici là, certains voient déjà Francis Szpiner laisser la mairie du 16e à la première femme de sa liste, Béatrice Lecouturier, une élue proche deClaude Goasguen et aujourd’hui
L’éparpillementde la droite
pourrait bénéficier à unequatrième liste,
celle de la candidate LRMHanna Sebbah
Le candidat LRM à Bordeaux, Thomas Cazenave, le 6 février. THIBAUD MORITZ/ABACA
Le MoDem, soutien
de LRM au niveaunational, s’est
rangé à Bordeauxdu côté du parti
Les Républicains
Ouverture de la campagne officielleLa campagne officielle pour le premier tour des élections munici-pales des 15 et 22 mars s’est ouverte lundi. Elle s’achèvera le sa-medi 14 mars, à la veille du scrutin. Pendant cette période, le CSA régule l’accès des candidats aux médias audiovisuels. Lorsqu’il s’agit d’une circonscription électorale déterminée, les radios et té-lévisions doivent veiller à ce que les candidats et leurs soutiens bé-néficient d’« une présentation et d’un accès équitable à l’antenne ». Dans toutes les communes, les listes se voient attribuer des pan-neaux d’affichage installés à proximité des lieux de vote. Par ailleurs, la diffusion et le commentaire de tout sondage en rapport avec l’élection seront interdits la veille de chaque tour de scrutin et le jour même du vote. Durant ces deux jours, il sera également interdit de distribuer tout message de propagande électorale par voie de tracts, circulaires ou voie électronique.
membre du MoDem. « Je ne suispas appelée à devenir maire », dément l’intéressée.
Face à la liste LR officielle, Danièle Giazzi a décidé de maintenir sa candidature. Puisque la plupart des élus l’ont quittée, elle s’appuie sur des militants associatifs. Elle a aussi obtenu l’appui de l’ancien ministre Philippe DousteBlazy, numéro deux sur sa liste, même s’il n’habite pas l’arrondissement.
Pas question non plus pour Céline BoulayEspéronnier de lâcher prise. « Je vis dans le 16e, j’y suis élue,je siège dans le groupe LR au Sénat, je me considère donc comme la candidate naturelle du parti dans l’arrondissement », affirmetelle. Sur le fond, la sénatrice reconnaît que rien ou presque ne distingue son projet de ceux de Danièle Giazzi et Francis Szpiner : « Nous voulons tous remettre de l’ordre, de la propreté, de la sécurité dans nos quartiers, et faire en sorte qu’Anne Hidalgo ne soit pas réélue. »
Dans le 16e, le premier tour s’apparente ainsi à une primaire sauvage, où l’essentiel se joue sur la personnalité des candidats. Avec pour enjeu souterrain la succession de Claude Goasguen, ombre tutélaire de l’Ouest parisien qui peine à décrocher.
denis cosnard
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0123MARDI 3 MARS 2020 france | 11
Fonds spéciaux : révolution culturelle au sein du renseignementPour éviter que la justice n’intervienne dans les pratiques, un grand ménage a été lancé depuis un an
C’ est une petite révolution dont on nedevait rien savoir.Pourtant, elle con
cerne les deniers publics et la politique du renseignement en France. A l’abri du secretdéfense,un grand ménage a été lancé, depuis un an, sur la gestion des fonds spéciaux accordés aux services secrets français pour financer leurs activités clandestines.
Le gouvernement veut mettrefin aux libéralités découverteslors du contrôle d’une cagnottequi était d’une centaine de millions d’euros, en 2017, et qui bénéficie, en premier lieu, à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Les autoritésont, notamment, relevé le recours délibéré à ces fonds pouréchapper aux règles gouvernantles crédits généraux ; des défautsde contrôle interne et la volontédes services de dissimuler certaines irrégularités.
Une rare trace de ce profondchangement est visible dans ledernier rapport public de la délégation parlementaire au renseignement, publié en avril 2019 et portant sur l’exercice 20172018. Mais elle est très ténue. Seuls les initiés peuvent l’apercevoir à la seule lecture. Le texte a, en effet,été considérablement expurgé par rapport au document original, au nom du secretdéfense.
Travail plus approfondiEn revanche, en coulisses, un duo institutionnel s’est activé pour sonner la fin d’une culture d’impunité en matière de fonds spéciaux. Une alliance a réuni le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Pierre de Bousquet deFlorian, et Loïc Kervran, député (La République en marche) et président, de 2017 à 2019, de la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), composée dequatre parlementaires et rattachée, fin 2013, à la délégation parlementaire au renseignement.
L’acte fondateur de cette nouvelle ère remonte sans doute à l’envoi, en 2018, à la commission, par le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, pour la première fois, d’un rapport desynthèse exhaustif sur les crédits consacrés au renseignement. Pour l’exercice 2017, les crédits en fonds normaux étaient de2,5 milliards d’euros auxquels doivent s’ajouter les fonds spéciaux.
Ce document d’une centaine depages a constitué la base à partirde laquelle la CVFS a pu effectuerun contrôle digne de ce nom.Auparavant, la commission recevait une synthèse étique ne mentionnant aucun détail sur la gestion des fonds spéciaux. L’autre nouveauté a tenu au présidentde la commission. Par le passé, letravail de vérification était souvent effectué par un administrateur du Sénat ou de l’Assemblée. Cette foisci, M. Kervran acontrôlé luimême les pièces comptables. Sa qualité d’exauditeur au sein d’un grand établissement financier a changé la donne en matière de méthodologie et d’efficacité.
Le résultat a été immédiat. Le niveau de précision est tel sur les pratiques des services par rapportaux années précédentes que le rapport de la CVFS a dû être classé« secretdéfense » et non plus« confidentiel défense » comme par le passé. Une décision qui débouche sur un paradoxe : la représentation nationale améliore son contrôle sur l’action des servicesdu gouvernement mais on limite,
dans le même temps, la diffusion de son travail.
La commission de vérificationdes fonds spéciaux ne réalise pas un contrôle exhaustif, il faudrait un an de travail pour vérifier les fonds spéciaux de la seule DGSE. Elle s’est néanmoins notamment rendue, en 2018, quatre fois à la DGSE et à trois reprises à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Ce travail beaucoup plus approfondi de la CVFS, comme elle l’écrit dans son rapport public, en 2019, lui a permis d’avoir« connaissance, lors les auditionsmenées sur l’exercice budgétaire 2017, d’événements significatifsayant impacté les fonds spéciauxsur des exercices antérieurs qui ne lui avaient pas été transmis au moment de son contrôle ». Selon nos informations, il s’agirait d’une utilisation frauduleuse de fonds spéciaux à la DGSE lors d’un montage financier dans le cadre d’une opération clandestine. Les faits ont été jugés assez graves pour envisager une judiciarisation avant de se raviser de crainte de dévoiler des secretsopérationnels. D’autres découvertes ont donné lieu à des procédures administratives à l’encontre des agents incriminés.
Le gouvernement veut désormais que les services secretss’inscrivent dans « un dialogue de gestion », une forme de contrôle apriori. Terminé le mélange des caisses : les fonds spéciaux nepeuvent plus être utilisés à laplace des fonds normaux qui obéissent à des règles comptablescertes plus contraignantes mais qui n’empêchent pas pour autant la mise en place de clauses de confidentialité.
Fini les cagnottes secrètesPar ailleurs, s’exonérant des règles imposées au reste de l’administration, les services ont depuis des années admis que ces fondsspéciaux et normaux étaient « fongibles », selon l’expression d’un responsable du renseignement. Fini également les cagnottes secrètes, appelées « trésorerie immobilisée », faites du surplusdes années précédentes et dont l’usage échappait totalement aux regards extérieurs. Il a fallu deux ans à la DGSE pour qu’elle assèchece matelas d’argent liquide.
Près d’un quart des dépenses totales liées aux fonds spéciaux sont consacrées à la rémunération des sources humaines. Le souci pour la commission de vérification des fonds spéciaux réside, enfin, dans le fait que la gestion de ces contacts « relève essentiellement du niveau opérationnel et ne fait l’objet au niveau centralque d’un contrôle interne limité ».
La commission considère que lerenouvellement tous les trois ouquatre ans des officiers traitants« est un facteur important pour empêcher le développement desystèmes frauduleux ». Sollicités par Le Monde sur ce qui ressembleà la fin d’une époque, les principaux services de renseignement français sont restés muets.
jacques follorou
Incendie de la raffinerie de Berre : un exjournaliste face à la justiceMathieu Boasso, 38 ans, évoque un « geste politique » destiné à alerter sur la politique atlantiste de la France. Il a aussi braqué des distributeurs
marseille correspondant
Q ui pouvait bien se cacherderrière l’incendie de laraffinerie LyondellBasellà Berrel’Etang (Bouches
duRhône) ? La date était symbolique : le 14 juillet 2015, la cible – un site classé Seveso seuil haut – très préoccupante, quelques mois après les attaques terroristes à Paris. Vers 3 heures du matin, deux gigantesques bacs contenant des dizaines de milliers de mètres cubes de produits pétroliers s’embrasent à trois minutes d’intervalle. L’un des foyers ne sera maîtrisé qu’au bout de huit heures, après avoir dégagé une épaisse fumée noire, visible jusqu’à Marseille.
Sur les toits flottants des deuxcuves, seront retrouvés les restes d’engins de mise à feu et, sur une troisième, un système composé de plusieurs kilos d’explosif qui n’a pas fonctionné. Aucune revendication n’a jamais suivi ce qui aurait pu se transformer en une catastrophe écologique majeure et qui, selon le groupe industriel américain lui a occasionné un préjudice de plusieurs millions d’euros. Les enquêteurs sont longtemps restés dans le brouillard. Tout s’éclaire subitement près d’un an plus tard lorsque, le 17 juin 2016, Mathieu Boasso, un ancien journaliste devenu patron d’une société de courtage en imprimerie, est interpellé, quelques heures après avoir été surpris en train d’éventrer à l’explosif un distributeur automatique de billets dans une agence bancaire d’AixenProvence (BouchesduRhône).Il y a raflé 36 700 euros.
Sans qu’on lui demande quoique ce soit, il révèle très vite être l’auteur de l’attentat contre la raffinerie de Berre et avoue un chapelet d’infractions commises depuis 2012 : les vols à main armée de 150 kg d’explosifs en Isère puis de détonateurs dans des carrières à Birac (Charente) et à Signes (Var) etl’attaque à l’explosif de cinq autres distributeurs de billets. Il revendique aussi l’énigmatique explosion d’une usine de salaison à Tarare (Rhône), sérieusement endommagée par 10 kg d’explosif, le 21 avril 2012, une autre date symbolique, puisque jour de l’élection présidentielle.
Lors de son procès qui devaits’ouvrir lundi 2 mars devant la cour d’assises des BouchesduRhône, à AixenProvence, Mathieu Boasso, 38 ans, devrait qualifier de « geste politique » lesdeux attentats commis contre l’usine de charcuterie et la raffinerie, même s’il avait, à l’époque, fait le choix de ne pas les revendiquer. « C’est plus difficile de revendiquer que de passer à l’acte. L’échoaura lieu au moment de mon procès », avaitil confié, en février 2018, à la juge d’instruction.
Franchise déroutantePar ces deux attentats, l’accusé entendait, ditil, dénoncer la politique atlantiste de la France dont la diplomatie aurait dû, à son goût, se tourner davantage vers la Russie. « Je ne veux pas que nous suivions aveuglément les EtatsUnis qui n’ont que l’idée d’avoir la mainmise sur le ProcheOrient, atil dit. Si nous continuons à suivre la politique belliqueuse américaine, nousallons tout droit à un conflit mondial d’envergure nucléaire. »
Dans ses interrogatoires aux allures de manifeste, il décerne les bons points à JeanPierre Chevènement et surtout à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin pour leur refus, en 2003, d’emboîter le pas des Américains en Irak, « la France faisant preuve pour la dernière fois de souveraineté », estimetil. Et de conclure : « Ce que je souhaite, c’est que notre pays mette en avant son esprit, sa culture et ses idées, plutôt que la culture américaine. » Mathieu Boassoétait devenu journaliste aprèsavoir décroché un diplôme à Nice,afin de « peser positivement sur la société », atil expliqué aux enquêteurs. En 2001, il a entamé sa carrière en présentant la matinalesur Nostalgie, à Rouen. Il a ensuitelancé une revue, Confluent, autourdes deux rives de la Méditerranée.Mais il a peu exercé ce métier.
Envisageant une reconversiondans le terrassement jamais concrétisée, Mathieu Boasso avait obtenu en 2010 son certificat de préposé au tir. « Je n’ai paspassé ce diplôme pour attaquer lesDAB [distributeurs automatiques de billets], mais c’est vrai que je mesuis dit : tiens, un petit DAB par an et je vis tranquillement », confieratil avec une franchise déroutante, allant jusqu’à proposer d’accompagner les gendarmes à sa « planque » à Signes dans le Varoù il stockait encore 80 kg d’explosifs et des détonateurs.
L’accusé est exempt de maladiementale, ont tranché les experts psychiatres, estimant que les infractions commises évoquent « un désir de reconnaissance sociale, professionnelle, identitaireen rapport avec des troubles de la
personnalité, des traits de narcissisme et des conduites antisocialesstructurées ».
Elevé dans les villages de l’arrièrepays niçois, il avait découvert,à 19 ans, l’existence de son père, un Tunisien vernisseur au tampon à Paris, à l’occasion de la journée d’appel de la préparation à la défense, en lisant son acte de naissance. Il était allé frapper à sa porte. Pour un cousin, ce sont ces retrouvailles avec son père qui l’ont fait embrasser la religion musulmane. Certains le décrivent même comme salafiste, fréquentant des mosquées qui ont été fermées dans le contexte de l’état d’urgence. Il reconnaît « une pratique rigoriste de l’islam ».
Soupçon de radicalismeEn garde à vue, il avait lâché : « J’ai fait péter une usine de cochons à Tarare, c’est un choix idéologique lié à ma religion », pour revenir sur cette explication : « Ça aurait pu être une usine de pâtes. Un gendarme faisait les questions et lesréponses. Il me prenait pour un grand terroriste parce que chez moi j’avais L’Attentat, le livre de Yasmina Khadra. » Ses avocats, Mes Camille Friedrich et JeanBaptiste de Gubernatis, vont combattre ce soupçon de radicalisme :« Chez lui, on trouve de la littérature coranique, mais il lit aussi Rousseau, des ethnologues. Certes,il y a une revendication politique,mais elle n’est pas terroriste. » Dans ses très longues déposi
tions, Mathieu Boasso avait pris soin de détailler ses « critères », tant pour les distributeurs debillets que pour les attentats : des lieux isolés, afin d’éviter de faire des victimes. En 2014, il avait effectué des repérages pour une action destinée à alerter sur la tension entre la Russie et l’Ukraine après l’annexion de la Crimée et avait abandonné le projet d’agir à la raffinerie Total à la Mède, « car c’était trop proche du village ».
Il joue parfois avec le feu ;comme le 14 avril 2012, à Mions (Rhône), où il « tape un DAB » à côté d’une gendarmerie dont il a pris soin auparavant de verrouiller le portail avec un antivol.Et lorsqu’il braque avec son arme d’alarme les ouvriers des carrièrespour dérober des détonateurs, « personne n’a pu se plaindre d’unequelconque violence », affirmetil.
Le lendemain de l’explosion del’usine de salaison, il avait tenté de joindre les rédactions à Lyon. Le seul journaliste auquel il avait réussi à parler lui avait « presque riau nez » en lui lâchant : « Ah, le petit truc qu’il y a eu à Tarare. » Lorsque le juge d’instruction lui demande en quoi l’attentat d’une usine dans le Rhône pouvait interpeller le président de la République, il a cette réponse : « Lorsque les femmes en Angleterre ont voulu obtenir le droit de vote, elles ont endommagé des vitrines et elles l’ont eu un demisiècle avant lesFrançaises. »
Journaliste, Mathieu Boasso affirme l’être un peu resté. Comme lorsqu’il raconte être resté une heure et demie sur les toits des cuves de la raffinerie, concentré, àamorcer ses engins : « J’ai l’habitude de travailler à flux tendu. Quand je prenais l’antenne, il nefallait pas que je me mette à stresser une minute avant. » Le verdictest attendu le 13 mars.
luc leroux
L’accusé est exempt de
maladie mentale,ont tranché les experts psychiatres
Près d’un quartdes dépenses
totales liées auxfonds spéciaux
sont consacrées àla rémunération
des sources humaines
FAITS DIVERSUn homme blessé par balle après avoir agressé une femme au couteauUn homme soupçonné de tentative de viol et d’agression au couteau contre une femme à L’HaÿlesRoses (ValdeMarne) a été blessé par balle, dimanche 1er mars, lors de son interpellation par la police. L’homme a tenté de prendre la fuite après avoir blessé sa victime supposée à la main d’un coup de couteau. Les policiers ont d’abord tenté de le maîtriser en utilisant un pistolet à impulsion électrique, en vain. Hospitalisé, il a ensuite été placé en garde à vue pour « tentative de viol » et « tentative d’homicide sur
personne dépositaire de l’autorité publique ». – (AFP.)
Un quinquagénaire meurt dans une avalanche en Haute-SavoieUn homme de 54 ans a perdu la vie, enseveli sous une avalanche, dimanche 1er mars, audessus de la station de Vallorcine et du village du Buet (HauteSavoie). La victime, accompagnateur en moyenne montagne, « a été retrouvée en arrêt cardiorespiratoire lors d’une reconnaissance sous avalanche dans un domaine hors piste et n’a pu être réanimée », a précisé le peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix. – (AFP.)
Il revendique l’explosion d’uneusine de salaison
sérieusement endommagée par
10 kg d’explosif,en 2012
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LE CEPAC SILO
O21 MARSEILLE3 MARS 2020
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12 | PLANÈTE MARDI 3 MARS 20200123
L a question n’est plus de savoir sile nouveau coronavirus va sepropager à l’ensemble du territoire français, mais quand. Avec130 cas diagnostiqués de Covid19, et des clusters – cas grou
pés – identifiés dans plusieurs régions, lepays pourrait franchir le seuil de l’épidémie dans les tout prochains jours. Dans ce contexte, le gouvernement a changé son fusil d’épaule le weekend du 29 février et du 1er mars, en mettant fin aux « quatorzaines » imposées aux personnes de retour d’une zone à risque et en adoptant des mesures plus globales, comme l’annulation des grands rassemblements.
« C’est l’évolution de la doctrine : on est davantage aujourd’hui dans une logique de freiner la diffusion du virus », a expliqué Jérôme Salomon, directeur général de la santé, lors d’une conférence de presse, dimanche 1er mars. Puisque des cas ont été identifiés dans douze régions, « il n’y a plus beaucoup desens à différencier les zones où il circule », atiljustifié, même si des mesures spécifiques s’appliquent dans les trois zones les plus touchées, l’Oise, la HauteSavoie et IledeFrance.
A moins de 24 heures du départ, le semimarathon qui devait rassembler 44 000 participants à Paris a donc été annulé. Le Salon de l’agriculture a été écourté d’une journée, et le Mipim, le salon international de l’immobilier qui devait réunir 25 000 professionnels à Cannes (AlpesMaritimes) du 10 au 13 mars, a été reporté à juin. L’édition2020 du salon Livre Paris, qui devait se tenir du 20 au 23 à la porte de Versailles, a également été annulée.
Ces « mesures barrières » figurent dans leplan pandémie grippale de 2011 et reposent sur « une analyse de bon sens », selon l’expression du directeur général de la santé.Mais elles suscitent en creux des interrogations sur le risque d’exposition dans d’autreslieux très fréquentés, qui n’ont pas été viséspar le dispositif du gouvernement.
EVITER LE CHAOS DANS LES HÔPITAUXQuid par exemple du parc Disneyland, dont la moitié des visiteurs vient de l’étranger ? Interrogé sur ce sujet, le docteur Jérôme Salomon s’est justifié en expliquant qu’« on n’est pas face à un virus qui flotte dans l’air mais quise transmet par les personnes qui éternuent, qui se mouchent et qui vous serrent la main (…). Les activités en extérieur où vous êtes à deux mètres les uns des autres ne posent pas problème ». La situation des grands musées n’a pas non plus été clarifiée, bien que le Louvre soit resté fermé toute la journée de dimanche, les salariés ayant exercé leur droit deretrait. « Il n’y a pas de mesures drastiques à prendre (…). La situation ne l’exige pas », a assuré Jérôme Salomon, qui n’anticipe pas de fermetures de grands établissements.
Dans l’Oise, les écoles, collèges et lycées deneuf communes resteront en revanche fermés lundi 2 mars, le temps d’identifier d’éventuels cas. Mais de telles mesures ontencore du sens alors que la diffusion du virus semble inexorable ? « Cela vaut le couppour plusieurs raisons », estime le docteur Daniel LévyBruhl, responsable del’unité des infections respiratoires del’agence Santé publique France.
En freinant la diffusion du coronavirus, legouvernement espère d’abord éviter lechaos dans les hôpitaux. « La grippe, cette année, est particulièrement gentille, mais il y a quand même quelques personnes en réanimation. Si on avait eu à ajouter les malades
du Covid19, cela aurait été un élément de faiblesse extrêmement fort », souligne le docteur LévyBruhl, en rappelant la « fragilité » des établissements de soins.
Cette période de préparation est d’autantplus importante que, en l’absence de certitude sur la saisonnalité du Covid19, il pourrait bien s’installer dans la durée sur le territoire. « On n’est pas en mesure d’être totalement rassurés sur le fait qu’il suffit d’attendre les beaux jours pour que le virus ne trouveplus des conditions favorables à sa circulation », précise le docteur LévyBruhl. Les premières recherches, fondées sur la comparaison des régions chinoises aux climats différents, indiquent en effet que la température et l’humidité ont peu d’impact sur la trans
missibilité du virus. Le temps gagné doit permettre aux experts de réunir davantage d’informations sur la meilleure façon de contrôler le virus et de traiter les malades. Il est troptôt pour qu’un vaccin soit disponible, mais « plusieurs molécules sont en cours d’expérimentation », indique le docteur LévyBruhl.
DES MESURES RAREMENT APPLIQUÉESAudelà de la préparation du système de santé, ces mesures ont aussi pour objectif de préparer la société. « Petit à petit, on va s’habituer à des mesures qui modifient notre quotidien. Il faut qu’elles soient progressivement intégrées par la population », considère le docteur LévyBruhl, en précisant que, dans l’immédiat, il n’y a pas lieu pour la majorité des
Français de changer leur quotidien, mis à parten appliquant les mesures de précaution rappelées par le ministère (se laver des mains,éviter les bises et les poignées de main).
Dans l’immédiat, les annulations ne visentque les événements à l’origine d’un important brassage de population. Près de 20 % de coureurs étrangers étaient ainsi attenduspour le semimarathon parisien. « Assister à un match de football dans un stade ouvert ne participe pas au critère de confinement aujourd’hui tel que nous l’avons défini, a justifié le ministre de la santé, Olivier Véran. Ce sont des matchs à l’échelle nationale qui ne mettent pas en jeu des équipes issues de zones à risque, ni nationales ou internationales, donc il n’y a pas lieu d’annuler ces événements.
Les mesures de confinement font partie dela « routine » en cas d’épidémie, mais, en réalité, elles ont rarement été appliquées. « En 1918 [au début de l’épidémie de grippe espagnole], le gouvernement ne les a pas prises pour ne pas nuire au moral de la population, rappelle Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études ensanté publique. Il y avait déjà la guerre : ce n’était pas la peine de réduire encore la vie sociale. » Selon lui, la « quarantaine » classique a une efficacité limitée dans ce contexte. « Il y a toujours des fuites. Ensuite, [en confinant] des personnes asymptomatiques, vous enfermezdes gens indemnes avec des personnes contagieuses, donc vous étendez le mal », estimetil.
Dans les situations de confinement individuel, d’autres difficultés peuvent apparaître. A Toronto, lors de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère en 2003, on avait demandé à certaines personnes de rester chezelles pendant dix jours. « A la fin, elles se plaignaient de symptômes dépressifs », insistePatrick Zylberman, en rappelant que les infections respiratoires sont d’abord « une histoire de gouttelettes et de postillons. Mettredes palissades, cela ne sert à rien ».
chloé hecketsweiler
« IL N’Y A PASDE MESURES DRASTIQUES
À PRENDRE (…). LA SITUATION NE
L’EXIGE PAS »JÉRÔME SALOMON
directeur général de la santé
La stratégie à géométrie variable du gouvernementPour freiner l’épidémie du Covid19, l’exécutif a annulé les grands rassemblements
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
« estce une bonne nouvelle ? », se demandent parents et enseignants. Une bonne partie des 2 000 enfants et adolescents recensés « en quatorzaine » par le ministère de l’éducation il y a soixantedouze heures à peine, pouvaient reprendre le chemin des cours ce lundi 2 mars.
Vendredi 28 février, la communauté éducative s’attendait à ce que ce nombre explose. Le ministre de l’éducation s’était d’ailleurs exprimé en ce sens, sur Europe 1. Mais la donne a changé, ce weekend, avec le passage au « stade 2 » de l’épidémie. « Le virus circulant déjà sur notre territoire, il n’y a plus de raison de confiner des personnes revenant de zones exposées à une circulation active du virus, peuton lire dans une foire aux questions mise en ligne, dans la soirée dudimanche 1er mars, sur le site Internet du ministère de l’éducation. Ces contraintes destinées à éviter l’entrée du virus en France n’ont plus lieu d’être et, en particulier, les élèves et les personnels en retour de Lombardie et de Vénétie vont pouvoir retourner à l’école. »
C’est aussi le cas pour les retours de Chine – horsHubei, seule zone justifiant, pour l’heure, d’une éviction de quatorze jours des établissements sco
laires –, ainsi que de Macao, de Hongkong, de Singapour, de Corée du Sud et d’Iran. Localement, pourtant, autour de ce que l’on nomme désormais lespremiers clusters français (l’Oise et la HauteSavoie), la pression s’accroît. La fermeture des écoles est imposée à compter de lundi – et jusqu’au14 mars – dans neuf communes de l’Oise : Creil, CrépyenValois, Vaumoise, Lamorlaye, LagnyleSec, LaCroixSaintOuen, Montataire, NogentsurOise et VillersSaintPaul. En HauteSavoie, les fermetures concernent la commune de La BalmedeSillingy.
Les enseignants se sentent « ballottés »« Une situation évolutive », souligneton dans l’entourage de M. Blanquer. Dans le Morbihan, la mise aujour d’un nouveau foyer, dimanche, vient deconduire la préfecture à ordonner la fermeture, sur lamême période, de l’ensemble des établissements scolaires, des crèches et de l’accueil périscolaire à Carnac, Auray et Crac’h. Des platesformes de « continuité pédagogique », passant par le Centre national d’enseignement à distance (CNED), doivent être mises en place pour les élèves concernés, et des formu
les de télétravail proposées si nécessaire pour les personnels enseignants. Tous les voyages scolaires à l’étranger, et en France dans les zones identifiées comme des clusters, sont suspendus.
Dans les cercles d’enseignants, ce dimanche, onconfiait se sentir « ballotté ». « Un jour on craint tout, un jour on ne craint rien… Il faut une ligne cohérente, souffle une enseignante du primaire. On fait quoi des élèves qui reviennent ? On évite comment la panique au premier qui éternue ? » « Beaucoup de questions nous remontent des écoles, observe Francette Popineau du SNUippFSU, syndicat majoritaire au primaire. Nombre de collègues ne savent sans doute pas que les quatorzaines sont en partie levées. Il faut essayer de s’en tenir aux directives écrites même si ellesévoluent. » « On demande à des enseignants de détecter des symptômes proches de la grippe, alors que la grippe circule, note Stéphane Crochet, du SEUNSA. Des enfants qui rentrent chez eux en journée parce qu’ils ont de la fièvre, ça fait partie de la vie “ordinaire”de la classe en mars. Désormais, plus rien ne va nous sembler ordinaire. »
mattea battaglia
En milieu scolaire, les « quatorzaines » levées, des écoles fermées
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0123MARDI 3 MARS 2020 planète | 13
Le ministre de la santé, Olivier Véran, et la porteparole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, samedi 29 février, à l’Elysée. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
2 000 km
Tokyo
Mer du Japon
OCÉANPACIFIQUEKyushu
Shikoku
Honshu
Hokkaido
Préfectured’Ehime
Préfectured’Ishikawa
Préfecturede Chiba
JAPON
Après des semaines d’apathie, le Japon engage la bataille contre l’épidémieLe gouvernement de Shinzo Abe tente d’imposer la fermeture de toutes les écoles du pays,tandis que les magasins manquent de papier toilette, de lait et de pâtes
tokyo correspondance
A près des semaines de traitement en dilettante del’épidémie de pneumo
nie Covid19, le gouvernement japonais a sonné la mobilisationgénérale, alors que l’Archipel comptait, lundi 2 mars, 961 cas, dont 12 mortels. Adoptant des accents martiaux, le premier ministre, Shinzo Abe, a parlé, le 29 février, du virus comme d’un « ennemi inconnu et invisible » contre lequel il faut mener « bataille » avec « le soutien de tous ».
M. Abe a choisi d’intervenir publiquement – une première depuis le début de l’épidémie – deux jours après l’appel de son cabinet àdes mesures fortes, suivi de la fermeture des musées, de l’annulation ou du report d’événements culturels ou sportifs. Il voulait aussi justifier sa demande de fermer toutes les écoles du pays du 2 au 19 mars. Cette période sera suivie de deux semaines de vacances scolaires. Les élèves sont donc en congé pour un mois.
Cette demande a suscité colère etconfusion chez les parents comme chez les enseignants, car le mois de mars est le dernier de l’année scolaire. « Je l’ai appris à la télévision », confie une professeure de lycée préférant garder l’anonymat : « L’utilité de la mesuren’est pas prouvée. Les experts ont évoqué la possibilité de fermer une école temporairement mais n’ont jamais parlé de les fermer toutes. »
Le gouvernement ne peut imposer la fermeture, qui dépend des autorités locales. Le gouverneur d’Hokkaido (Nord), Naomichi
Suzuki, a pris cette mesure le 26 février – avant le gouvernement donc –, compréhensible car son département est le plus concerné par l’épidémie. Pas touchés jusqu’à présent, d’autres départements, comme Ehime (Ouest) ou Ishikawa (Centre), ont choisi en revanche d’attendre quelques jours avant de fermer les établissements scolaires.
« Amateurisme »Pour les familles monoparentales notamment, ou celles dont les deux parents travaillent, il faut s’organiser. « Nous mobilisons les grandsparents », explique la mère d’un élève de cours préparatoire de l’école Shinyama, dans l’arrondissement de Nakano à Tokyo, dont les parents vivent près de chez elle. Sans solution dans l’entourage, il faut garder les enfants àla maison, ce qui a un coût. ShinzoAbe a promis des dédommagements, mais les détails restent flous. Très critique de l’attitude du gouvernement, Toshihito Kumagai, le maire de Chiba, à l’est de Tokyo, a proposé des prêts relais pour les personnes « perdant leur emploi ou affectées d’une baisse de salaire à cause de la politique gouvernementale ».
Du côté des employeurs, déjàtouchés par le ralentissement économique, des entreprises comme Hitachi ou Dentsu – qui compte un employé malade – facilitent le télétravail et se disent prêtes à faire preuve de souplesse. D’autresproposent aux salariés de prendre des congés payés.
La situation crée un sentimentde panique chez certains Japonais,
qui craignent de se retrouver coincés chez eux plusieurs semaines. « La semaine, voire les deux semaines qui viennent seront déterminantes » pour la maîtrise du coronavirus, a expliqué M. Abe. Après la pénurie de masques, le Japon esttouché par celle de papier toilette, de lait et de pâtes.
Selon Koichi Nakano, politologue de l’université Sophia, la gestion de l’épidémie de Covid19 est « marquée par un certain amateurisme ainsi qu’un manque de transparence et d’anticipation ». Le premier ministre n’a participé que quelques minutes aux réunions de la commission chargée de répondre à la crise du SARSCoV2. Il a demandé la fermeture des écoles, mais n’a pris aucune mesure pour les transports ou les personnes âgées, pourtant premières victimes du coronavirus et qui représentent 28,6 % de la population.
« Rien n’a été fait pour préparer leJapon à une forte hausse des cas. Les mesures annoncées le 29 février
par Shinzo Abe ne seront finalisées que dans dix jours », ajoute le Pr Nakano. Deux cent soixantedix milliards de yens (2,2 milliards d’euros) vont être débloqués pour aider les petites et moyennes entreprises affectées par la fermeture des écoles et les conséquences de l’épidémie.
Le gouvernement est aussi soupçonné d’avoir sciemment limité l’accès aux tests du coronavirus, une situation illustrée par la désastreuse gestion du bateau de croisière DiamondPrincess, à bordduquel 711 passagers et membres d’équipage ont été contaminés.
Hors du navire, le recours auxtests n’était recommandé que pour les personnes enregistrant quatre jours – deux jours pour les personnes âgées – de fièvre supérieure à 37,5 degrés. Au Parlement, l’opposition a évoqué des malades allant d’hôpital en hôpital avant de pouvoir être testés, seul un nombre limité d’établissements étant autorisés à le faire. « La situation est typique de la bureaucratie japonaise, avec des fonctionnaires redoutant une pénurie de personnels et de tests, et qui ne veulent utiliser que des tests développés au Japon », note le Pr Nakano.
Cette politique, désormais infléchie puisque la capacité de tests vaêtre augmentée et qu’ils seront mieux remboursés, aurait visé également à minimiser le nombrede patients afin de ne pas menacerdeux événements importants pour M. Abe : la visite d’Etat du président chinois, Xi Jinping, prévue en avril, et les Jeux olympiques d’été à Tokyo.
philippe mesmer
Dans la région de Creil, dans l’Oise, mesures exceptionnelles et inquiétudePour neuf communes du département, les autorités invitent à limiter les déplacements
creil (oise) envoyée spéciale
D ans la gare de Creil, samedi 29 février, les riresd’une bande de jeunes
filles résonnent au milieu desvoyageurs pressés. Téléphone à la main, elles balayent les derniersmessages reçus sur les réseaux sociaux. Tous évoquent le coronavirus à Creil et les mesures exceptionnelles annoncées par le gouvernement en début d’aprèsmidipour éviter la propagation de l’épidémie. « Il vaut mieux en rire qu’en pleurer, lance Hawa Niang. Moi, je préfère continuer de vivrema vie que de céder à la panique. »
A Creil, l’un des deux principauxfoyers du virus en France, « tous les rassemblements seront interdits jusqu’à nouvel ordre », a affirmé le ministre de la santé, Olivier Véran, et les établissements scolaires ne rouvriront pas pour larentrée de la zone B, initialementprévue lundi 2 mars. Dans neuf communes de l’Oise particulièrement touchées (Creil, Montataire, NogentsurOise, VillersSaintPaul, CrépyenValois, Vaumoise,Lamorlaye, LagnyleSec, LacroixSaintOuen), les autorités recommandent aux habitants de « limiter leurs déplacements » et « si possible recourir au télétravail ».
Sur les photos que la bande decopines fait défiler, on distingue des silhouettes vêtues d’une combinaison devant une ambulance, sans certitude que la scène se soit déroulée dans la ville. « On ne sait pas si c’est vrai mais ça tourne beaucoup sur Snapchat et ça suffit pour que tout le monde angoisse », note Hawa Niang. Sur d’autres, on aperçoit les étagèresvides dans plusieurs grandes surfaces, accompagnées d’une invitation à s’y ruer « pour se constituer des stocks », au cas où la ville serait mise en quarantaine.
Dans le supermarché Auchan leplus proche, à NogentsurOise, certains rayons de denrées debase se vidaient, en effet, plus rapidement qu’à l’accoutumée.« On assiste à une psychose, note Cédric Lemaire, adjoint au mairede Creil. La même scène s’est produite à Compiègne, dans le Carrefour où je travaille, les rayons de pâtes se vident. »
Samedi 29 février, les annoncesont donné lieu à de multiples réunions entre la municipalité et les autorités. A 21 heures, les élus de laville, rassemblés dans la salle du conseil municipal, font un dernierpoint de la situation. JeanClaude Villemain, le maire, y transmet les consignes reçues par la préfecture.
« Plus de rassemblements autorisés, donc plus de réunions publiques jusqu’à nouvel ordre. »
Face à lui, certains candidats à sasuccession sont présents. « Nous mettons la campagne des municipales au second plan et allons nous réorganiser en renforçant notre présence sur les réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, la prioritéest de répondre à l’inquiétude de nos concitoyens », assure Hicham Boulhamane, candidat pour la liste citoyenne Génération Creil.
« Des trous dans la raquette »Une fois de retour dans son bureau, JeanClaude Villemain s’effondre dans son fauteuil et ressasse les mesures. « Les décisions des autorités sont rapides, malétudiées, donc les applications sont difficiles et il y a des trousdans la raquette », souffletil.
Et le maire de relever plusieurs« paradoxes ». « La préfectureferme les établissements scolaires mais pas les crèches. Les rassemblements sont interdits, mais les transports, souvent bondés à Creil,continuent de circuler », expliquetil. Des mesures jugées incomplètes, qui ont conduit la mairie à prendre la décision de fermer les crèches et d’arrêter tous les entraînements sportifs.
Mais la commune se dit incapable de tout gérer : « Nous ne sommes pas en confinement, donc tout le monde peut circulercomme bon lui semble. De nombreux jeunes de Creil étudient dansd’autres établissements de la région, qui ne sont pas concernés par les fermetures. »
Creil n’est qu’à 30 minutes deParis en TER. Chaque jour, près de18 000 habitants de la commune font l’allerretour pour la capitale.Alors, à la gare du Nord, il faut jouer des coudes pour se faire uneplace dans le train. Pour beaucoup, le trajet se fait debout. « On nous demande de réduire nos déplacements mais on doit travailler, pas le choix, indiqueSamira. Alors on va continuer de vivre comme avant. »
A bord, pas de panique tangiblemalgré la promiscuité. Même siles regards trahissent une certaine suspicion dès qu’un voyageur éternue. Devant la gare,deux sœurs, attendent leurs parents emmitouflées dans leursmanteaux. L’une d’elles porte un masque chirurgical sur le visage. « Si je le mets, c’est parce que j’ai peur lorsque j’entends les genstousser », confie Aure Debay,19 ans.
louisa benchabane
Bilan A la date du lundi 2 mars, l’épidémie a fait plus de 3 000 morts dans le monde. En Chine, où le virus est apparu fin 2019, les autorités ont annoncé 42 nouveaux décès, portant le total de la maladie à 2 912 morts. L’Iran est le pays où le coronavirus a provoqué le plus de décès après la Chine, avec un bilan provisoire de 54 morts.
Circulation La Corée du Sud, deuxième pays le plus touché après la Chine, recense lundi un total de plus de 4 000 contaminations. En Italie, quelque 500 nouveaux cas ont été identifiés dimanche, portant le nombre de contagions à près de 1 700 dans le pays. L’Allemagne enregistre 129 cas.
Mortalité Le taux de mortalité semble être de 2 % à 5 %, selon l’Organisation mondiale de la santé. Les symptômes sont bénins pour la plupart des malades, sérieux (pneumonies) pour 14 % d’entre eux, et 5 % des personnes atteintes sont dans un état critique.
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14 | planète MARDI 3 MARS 20200123
teindra pas les 2 %, prédit M. Nakornthab. La crise est aussi un coup dur pour l’Egypte, où cette industrie (12,5 % du PIB) était en train de regagner des couleurs, après avoir été en souffrance, depuis la révolution de 2010. Le nombre detouristes était reparti à la hausse en 2018.Et 2020 devait être un bon cru. Le Cairetablait notamment sur l’inauguration deson nouveau musée d’archéologie, àproximité des pyramides de Gyzeh, fin2020, pour parachever la relance du secteur. Près de 10 % des emplois du pays endépendent. Las. 2020 démarre sous detrès mauvais auspices. Le Japon est aussiplongé dans l’inquiétude. L’Archipel, quidoit accueillir les Jeux olympiques du24 juillet au 5 août, espère la venue de40 millions de touristes.
Enfin, le secteur est durement affectépar les mesures mises en œuvre au seindes entreprises pour limiter voire interdire les déplacements de leurs collaborateurs. Toutes les multinationales dont Amazon, Nike, Google, LVMH… ont restreint les voyages de leurs personnels. A Hongkong, les hôtels qui commençaient tout juste à retrouver leur clientèle d’affaires, qui avait déserté depuis les manifestations prodémocratie, se trouvent maintenant confrontés au virus.
Dès lors, les grands opérateurs du tourisme et de l’hôtellerie sont dans l’œil du cyclone. En Bourse, à New York comme à Paris, les titres Marriott, premier groupe hôtelier mondial, Booking, le site de réservation, et autres Accor, propriétaire deNovotel, sont malmenés. D’autant que la perspective d’un retour prochain à lanormale est très incertaine. « Or, les mois de mars et d’avril sont des périodesclés aucours desquels les Français réservent leursvacances d’été », rappelle M. Kervalla.
juliette garnier
France, 2,2 millions de touristes sont chinois. En Thaïlande, la chute des arrivées dans le pays pourrait atteindre 50 % aupremier semestre 2020. Or, les dépensesdes touristes étrangers représentent 20 % du PIB thaïlandais. Les pertes liées àl’épidémie devraient atteindre cette année près de 7,4 milliards d’euros (soit 1,5 % du PIB), selon Don Nakornthab,haut responsable à la banque centralethaïlandaise, cité dans la presse locale. Atel point que le pays, dont la croissance aatteint 2,4 % en 2019, a revu à la baisse sesprévisions pour l’année 2020. Elle n’at
Phuket (PPEO), d’après la presse locale. Des mesures de réduction de coûts sont aussi prises en Europe. Car, depuis le lundi 24 février, au lendemain de la suspension du Carnaval de Venise, la crise a rattrapé les touropérateurs occidentaux. En ligne et en agence, les réservations de séjours touristiques se font très rares. « Nos prises de commande sont enchute de 35 % », rapporte M. Kervella, en consultant son tableau de bord.
« La crise est mondiale. Aucun pays n’estdésormais épargné », reconnaît LaurentAbitbol, président du directoire de Selectour. Le carnet de commandes des destinations asiatiques (en dehors de Chine) apiqué du nez. « Dans une proportion de40 % à 50 % par rapport à février 2018 », déplore Guillaume Linton, responsable d’Asia, agence spécialisée dans les séjours organisés en Asie.
Facture saléeCe repli menace de nombreux pays, « plus encore qu’au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 », juge un spécialiste du tourisme. Car, depuis, cette industrie s’est partout fortement renforcée. Le secteur est devenu un poids lourd de l’économie mondiale : un emploi sur dix en dépend dans le monde, il génèreplus de 7 860 milliards d’euros de chiffre d’affaires, selon le World Travel & Tourism Council. Soit 10,4 % du produit intérieur brut (PIB), mondial.
Nombre d’économies dépendent desflots de touristes. A eux seuls, les200 millions de touristes chinois généreraient pas moins de 277 milliards dedollars (250 milliards d’euros) dépensés par an, selon l’organisation mondiale dutourisme UNWTO.
Dès lors, la facture de l’épidémie de coronavirus s’annonce salée. La seulebaisse des dépenses des touristes chinoisamputera les revenus du secteur d’au moins 20 milliards d’euros, a estimé la présidente du Conseil mondial des voyages et du tourisme (WTTC), Gloria Guevara, dans un entretien paru dans le quotidien espagnol El Mundo, jeudi 27 février. Et il faudra probablement réviser cechiffre, prévient l’ancienne ministre dutourisme du Mexique, en évoquant un manque à gagner de 66,5 milliardsd’euros, si l’épidémie se prolongeait davantage que l’épisode infectieux de SRAS observé en 2002 et 2003.
« L’épidémie de coronavirus a coûté1 milliard d’euros par mois à l’industrietouristique européenne », a déclaré, lundi2 mars, Thierry Breton, commissaireeuropéen au marché intérieur. De fait,en France où 87 millions de personnes serendent chaque année, le tourisme rapporte 173 milliards d’euros de chiffred’affaires. Il représente 7,4 % du PIB. Et20 % des emplois du pays en dépendent. A ce titre, l’économie nationale dépendbeaucoup de la clientèle chinoise – en
L a propagation du coronavirusaffecte les plus hauts lieux dutourisme dans le monde. Le Louvre, l’un des monuments les
plus fréquentés de Paris, avec 9,6 millions de visiteurs en 2019, est resté fermédimanche 1er mars. L’accès à La Mecqueest restreint, depuis le vendredi 28 février. A Tokyo, les parcs d’attractions Disneyland et Universal Studios ontfermé leurs portes. Le groupe de KPop,BTS, a renoncé à ses prochains concerts àSéoul : ils devaient rassembler 200 000personnes dans le stade olympique de lacapitale coréenne, en avril.
Partout dans le monde, l’industrie dutourisme et du divertissement est tétanisée. L’analogie avec les semaines de psychose qui ont suivi les attentats du11 septembre 2001 est flagrante, à en croire Olivier Kervella, PDG de Kappa Club, spécialiste des séjours en club. L’activité s’est éteinte, par phases, mais cette fois, d’est en ouest.
La crise du coronavirus a d’abord touché l’Asie du SudEst. Faute d’arrivées en provenance de Chine, au lendemain duNouvel An chinois, le nombre de touristes a baissé de 43,47 % en Thaïlande, entre le 1er et le 9 février, selon le ministre thaïlandais du tourisme. Au Cambodge, le site d’Angkor est désert. Dans la baie d’Halong, au Vietnam, le nombre de visiteurs a plongé de plus de 60 %. En Indonésie, et notamment sur l’île de Bali, letaux d’occupation des hôtels est de l’ordre de « 20 % à 30 % », rapporte le directeur d’un établissement, en s’inquiétant du sort de ses daily workers, ses employés qu’il embauche à la journée. APhuket, en Thaïlande, les guides touristiques, employés d’hôtel ou conducteursde bateau affluent au bureau de placement de l’Office provincial de l’emploi de
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
LA SEULE BAISSE DES DÉPENSES DES TOURISTES
CHINOIS AMPUTERA LES REVENUS
DU SECTEUR D’AU MOINS20 MILLIARDS D’EUROS
tandis que le monde se calfeutre, le secteur del’événementiel tousse sérieusement. Les annonces sont tombées les unes après les autres : après l’Asie, cesont les foires et salons européens qui sont annulés ou reportés, victimes collatérales des craintes liées àla propagation du SARSCoV2 sur le continent.
Samedi 29 février, le gouvernement français a annoncé l’annulation de tous les « rassemblements de plus de 5 000 personnes » en milieu fermé et de certains événements en extérieur. Conséquence, le Salon de l’agriculture a dû fermer ses portes un jourplus tôt que prévu. En 2019, il avait attiré 630 000 personnes, mais la fréquentation cette année est bienmoindre. « Cette édition aura été mauvaise pour nous.Nous devrions être en dessous des 500 000 visiteurs. Les trois premiers jours ont été bons, mais suivis partrois jours d’effondrement après l’annonce de cas de coronavirus en Italie », explique JeanLuc Poulain, le président du salon. L’édition 2020 de Livre Paris, quiattire 160 000 visiteurs, est aussi annulée. Quant au Mipim de Cannes, rendezvous mondial des professionnels de l’immobilier, il a été repoussé en juin.
Barcelone avait été une des premières villes en Europe à jeter l’éponge en annulant le Salon mondial dumobile mifévrier. Un coup dur pour la ville qui atten
dait 492 millions d’euros de retombées économiqueslocales. Mais c’est la Suisse qui, vendredi 28 février, afrappé fort en suspendant toutes les manifestations réunissant plus de 1 000 personnes et ce jusqu’au 15 mars. A Genève, le Salon de l’automobile, grandmesse du secteur, qui devait ouvrir le 5 mars, en fait les frais. Durant dix jours, 600 000 visiteurs étaient attendus sur les stands.
Solutions alternativesCette décision politique est toutefois un soulagementpour les organisateurs. « Il s’agit d’un cas de force majeure, les exposants ne seront donc pas remboursés », aindiqué Maurice Turrettini, le président du salon. Du côté de la dizaine de constructeurs et des 160 exposants, l’addition est salée : les pertes se chiffrent à plusieurs millions d’euros sans compter les dégâts en termes de communication. De nombreuses marquesdevaient en effet présenter leurs nouveaux modèles. Le canton de Genève estime ses pertes entre 200 et 250 millions de francs suisses (de 188 à 235 millions d’euros). Et ce tandis que le Salon de l’horlogerie, secteurphare de l’industrie helvète qui marche déjà auralenti du fait de la crise politique à Hongkong, avait annoncé la veille qu’il annulait son rendezvous an
nuel Watches & Wonders. A Berlin, le Salon international du tourisme est lui aussi annulé.
Ebranlés par cette crise sanitaire, les professionnelsdu secteur doivent donc innover. La célèbre foire Art Basel, qui devait se dérouler début mars à Hongkong, sera remplacée par des présentations en ligne des œuvres qui auraient dû être exposées. Obligés de réduire leur voilure et de pallier l’absence des acheteursasiatiques, certains salons ont mis en place des solutions alternatives. Ainsi, lors de la fashion week qui setenait la semaine dernière à Milan, la chambre de mode italienne avait lancé le mouvement « China we are with you » permettant à sa clientèle de visualiser les défilés depuis leur lieu de confinement en Asie.
La question est maintenant de savoir combien detemps durera la crise. Le directeur de l’Union des foires internationales, qui recense 32 000 événements dans le monde, a certes estimé que son secteur était « résilient ». Mais si les mesures restrictives devaient s’inscrire dans la durée, les conséquences sur un marché qui génère 1,3 million d’emplois et environ137 milliards d’euros de dépenses directes pourraient s’avérer colossales.
marie bourreau (genève, correspondance)et laurence girard
Paris, Genève, Berlin… les salons internationaux touchés de plein fouet
Scénario catastrophe pour le secteur du tourismePartout dans le monde, la fréquentation des sites chute. Ce secteur pèse 10,4 % du PIB mondial
Portes closes au LouvreLa Joconde ne devrait pas recevoir de visites, lundi 2 mars. Le Musée du Louvre a fermé ses portes dimanche 1er mars, à la suite du vote d’un droit de retrait du personnel. Près de 300 salariés s’étaient réunis dans la matinée pour se prononcer sur l’exercice de ce droit qui permet à un salarié de cesser le travail pour cause de danger « grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Au lendemain de l’interdiction des événements rassemblant plus de 5 000 personnes en France, ce droit de retrait a été voté à une « quasi-unanimité », selon la CGT. Le Musée du Louvre accueille près de 30 000 visiteurs par jour. Un CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) exceptionnel devait se tenir lundi 2 mars, dans la matinée.
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0123MARDI 3 MARS 2020 planète | 15
Des touristes japonais, le 26 février. GABRIELE MICALIZZI/CESURA POUR « LE MONDE »
De Milan à Venise, des visiteurs de plus en plus raresSelon les autorités de la Sérénissime, les pertes pourraient se chiffrer à 2 milliards d’euros
REPORTAGEmilan, venise, vérone
envoyé spécial
D e la Piazza del Duomo, àMilan, à la place SaintMarc, à Venise, en pas
sant par les rues étroites de Vérone, autant de hauts lieux du tourisme du Nord de l’Italie quasiment vides en cette dernière semaine de février. Une chance pour les touristes qui peuvent photographier sereinement des vues imprenables sur ces chefs d’œuvre architecturaux, mais une calamité pour les professionnels.
L’épidémie de Covid19 frappefort en Italie avec, selon les comptes du ministère de la santé au dimanche 1er mars à 18 heures, 1 577 personnes contaminées et 34 décédées. Depuis l’apparition du virus, le 31 janvier, le Nord a payé le plus lourd tribut avec 984 cas en Lombardie, 285 en EmilieRomagne ou encore 263 en Vénétie.
Dans sa petite échoppe de souvenirs vénitiens, sur le campo San Barnaba, RaselKahn s’inquiète. « Où sont les gens ? Je ne vends plus rien… », déplore le commerçant, originaire du Bangladesh. La perteest importante, selon lui, et viendra s’ajouter aux quelque 7 000 euros que lui ont déjà coûtés
les inondations de l’acqua alta d’octobre et novembre 2019.
Alors qu’il s’apprête à fermer,mercredi 26 février, un couple de Français, arrivé de Tours le matin même, examine les teeshirts à l’effigie de Venise, les mini gondoles, les reproductions du palais desDoges, du Rialto ou encore de la basilique San Marco, sans oublier les bijoux et la verroterie de Murano. Surtout, ne pas les laisser repartir sans rien.
Des gondoles à l’arrêtLe long des canaux qui sillonnent et enserrent la capitale de la Vénétie, les groupes de touristes se fontplus que rares, à l’exception des Asiatiques, Chinois, Japonais… qui défilent en rangs serrés, tous porteurs de masque.
Sur la place SaintMarc, entre labasilique surmontée de ses célèbres quatre chevaux, le palais des Doges ou encore la tour de l’horloge, l’impression était saisissante.Désertée, sauf par les pigeons et les vendeurs de souvenirs. « Il y a 90 % de fréquentation en moins. Pourquoi le gouvernement atil décidé de fermer le carnaval ? Les gens ont peur, mais on parle de dix morts. Ils ne sont pas morts du coronavirus, ils sont morts et ils avaient le coronavirus, ce n’est pas
la même chose », tempête Katia Kutynka, présente depuis dixhuit ans sur la place. « Si je vendais des masques de protection plutôt que ceux du carnaval, je ferais fortune »,maugréetelle.
Roberto Nardin, 59 ans, attendaussi le client. Sur le quai qui donne sur le large canal de SaintMarc, les gondoles sont à l’arrêt et personne ne s’arrête devant l’écriteau annonçant 80 euros la baladesur les canaux. « La situation est grave. Les gens ne sont pas restés, dès l’interruption du carnaval. Et les gros bateaux de croisière qui amènent les touristes n’arriveront qu’à partir d’avril. Moi, je n’ai fait qu’un seul tour aujourd’hui, au lieude trois minimum, et sur les soixantedix gondoliers, quarante ne sont pas sortis », avancetil.
A la gare, l’office du tourisme està l’image de la ville. Vide. « Beaucoup de personnes ont demandé à changer leurs billets mais cela dépend de leur agence. Cela concerne surtout les familles, car les groupes,eux, ne restent généralement que deux ou trois jours. Avec l’acqua alta, on avait déjà moins 30 % declientèle. Avec le virus, on va tomber à moins 50 % », témoigne Luca,employé de l’office.
Difficile, dès lors, de goûter à lavie vénitienne. Les musées, les
écoles, les théâtres… sont fermés. « La région, la municipalité ont suivi les consignes gouvernementales : fermeture des espaces publics et annulation de toutes les manifestations jusqu’au 1er mars, au moins, confirme Simone Venturini, responsable de la politique culturelle et sanitaire de la ville. On devrait perdre jusqu’à 2 milliards d’euros, c’est considérable. Nous allons discuter avec Rome descompensations. Le problème économique prend le pas sur le problème biologique. »
Alors, pour faire face à la crise, lesprix tombent. De grands hôtels ont consenti des remises de plus de 50 % pour attirer une clientèle. « J’ai baissé les tarifs quelques jours avant le carnaval, mais cela n’a pas suffi, les trois appartements dont jem’occupe sont vides, témoigne Laura Tagliaferro, une jeune femme de 31 ans qui travaille pour des particuliers. Après l’acqua alta, on avait vu des hôtels et des restaurants fermer, chose rarissime en cette saison. Certains ont dû faire de lourds travaux et les voilà à nouveau en grande difficulté. »
Nombreux parmi les Vénitienssont ceux qui pensent que les autorités, en voulant rassurer les habitants, les font paniquer à forcede consignes. « Les gens fuient
parce que l’arrêt du carnaval est un signal fort, venant des autorités, sur la gravité de l’épidémie. Ce n’est pas une discussion de bar ni une rumeur », juge Laura Tagliaferro.
Anxiété à VéroneA une centaine de kilomètres à l’ouest de Venise, en Vénétie toujours, Vérone est une étape incontournable du périple touristique. Ici aussi, le nombre de visiteurs semble en berne. Dans les magnifiques rues du centre de la cité médiévale, sur les rives de l’Adige, les piétons circulent facilement. Et sur la plus ancienne place de la ville, la Piazza delle Erbe, les commerçants font grise mine. « Nous n’avons pas de cas ici, je ne connais personne qui ait dû faire le test, mais les touristes sont partis », se lamente Barbara, qui vend des souvenirs et des textiles sérigraphiés aux motifs de la ville.
Devant son stand, un groupe dejeunes Chinoises, portant des masques de protection, profite de la ville en partie désertée. « On n’est pas inquiètes, mais on a surtout le sentiment que les gens ont peur de nous », raconte Nathalie Wong, 21 ans, qui vient de Cardiff au Pays de Galles où elle étudie, avec ses copines, l’interprétariat. Pas inquiets non plus Aline et Xa
vier Rameau, venus de Nice passertrois jours « en amoureux » sur le lac de Garde et à Vérone. « On craint plus de ne pas pouvoir rentrer en France, pour récupérer nos enfants, que d’attraper le virus », témoigne cette institutrice, qui se demande aussi si elle pourra reprendre les cours. Dans tous les cafés et restaurants, les radios et les télévisions relayent en permanence les moindres informations sur l’épidémie. Le mot « coronavirus » résonne à tout va. De quoi ajouter encore à l’anxiété.
Assise sur une marche, au pieddu fameux balcon, théâtre supposé des amours malheureuses deRoméo et Juliette, Helen Milevska est, elle, paniquée. « Je suis terrorisée, je veux partir absolument tout de suite. J’étais hier à Milan, où je voudrais faire des études, mais j’ai fui en prenant, ce matin, le premier train pour Vérone. Mais ce n’est pasassez loin de la Lombardie », confiecette jeune étudiante polonaise de21 ans. Enveloppée dans sa doudoune rouge, serrant son sac à dossur les genoux, le regard angoissé, Helen espère rejoindre Munich ce mardi. « On ne sait rien de ce virus réellement et je pense qu’il n’y a pasassez de contrôle, alors l’Italie, c’est fini pour moi. » Italia no grazie !
rémi barroux
Déserté par les voyageurs en provenance de Chine, Angkor déprimeAu Cambodge, où un tiers des visiteurs étrangers viennent de Chine, l’épidémie a pris une ampleur de désastre national. Dans ce pays, le tourisme représente 12,1 % de l’économie
REPORTAGEsiem reap et site d’angkor
envoyé spécial
L a boule rouge du soleil quis’élève, ce matin du samedi29 février, audessus des
tours d’Angkor Vat éclaire des grappes clairsemées de touristes : rien à voir avec l’affluence d’un mois de février, l’un des plus fréquentés de la haute saison touristique au Cambodge. Rien à voir avec cette époque « normale »de l’année, quand des milliers de voyageurs, surtout chinois, regardent ébahis, téléphones portables brandis et bâtons de selfie haut dressés, le lever de soleil sur le monumental joyau construit dans la première moitié du XIIe siècle par le roi Suryavarman II.
Mais c’est aujourd’hui sousle règne du neocoronavirus Covid19 que semble vivre le parc archéologique d’Angkor. « Il n’y apresque plus de Chinois, ils ont annulé en cascade », regrette SokPan, un jeune guide qui erre enquête d’un client. D’habitude, il y a ici des milliers de visiteurs. Ils ne sont ce matinlà guère plus de quelques centaines.
Angkor Vat n’est pas déserté :les touristes européens et japonais sont encore là. Parmi eux, beaucoup de Français. Mais l’épidémie a pris une ampleur de désastre national. Sur les quelquesix millions six cent dix mille étrangers entrés dans le royaumel’année dernière, selon les chiffres du ministère du tourisme,plus de deux millions trois cent mille étaient venus de la République populaire de Chine. Soit le plus grand nombre de visiteursavant les voisins vietnamiens et laotiens, euxmêmes précédant
les SudCoréens et les Japonais,qui laissaient assez loin derrière les Européens et les Américains.
Quand on sait que l’industrietouristique – en hausse constante– a rapporté près de cinq milliardsde dollars (4,5 milliards d’euros) en 2019 et représente 12,1 % du PIBdu Cambodge, il est facile de réaliser que les Khmers et les investisseurs étrangers ont des raisons dese faire du souci pour l’année 2020. « On a un taux de remplissage d’à peine 50 % », se désole Alexis de Suremain, qui a ouvertdepuis une quinzaine d’annéesplusieurs hôtels de charme auCambodge, dont un à Siem Reap, le « Templation ». Le Français n’est pas optimiste pour la suitedes événements : « Le taux de réservation pour les prochains mois est quatre fois inférieur à la normale et, en ce moment, le taux d’annulation est dix fois plus élevé que d’habitude. »
« Une véritable catastrophe ! »Même constat en ville, dans un hôtel plus modeste, le « SolitaireWat Damnak », où Hiet, le réceptionniste, avoue : « On n’est même pas rempli à la moitié. Depuis que l’hôtel a ouvert, il y a cinq ans, jamais il n’y avait eu aussi peu de clients en cette saison… » Sur la route des temples, une dizaine de grands hôtels pour groupes auraient déjà fermé, peutêtre définitivement.
Dès l’aéroport de Siem Reap,l’aéroport de la capitale provinciale qui dessert le parc archéologique, le ton est donné : sur les tableaux des arrivées et des départs,les vols en provenance de Canton,Nankin, Shenyang, affichent tous « Annulé ». Idem pour ceux en provenance d’Incheon, l’aéroport
de Séoul. « Bientôt, cela va être letour des Singapouriens de nous lâcher », grince, sarcastique, un officier d’immigration. Selon les statistiques de l’aéroport de Siem Reap, géré par le groupe français Vinci, le mois de février a vu une baisse de 60 % de passagers. La prévision est du même ordre pour le mois de mars.
Il suffit de se promener dans lestemples habituellement ultrafréquentés pour mesurer l’ampleur du désastre : au Bayon, l’extraordinaire « Vat » (Temple) bouddhiste dominé par ses tours sculptées de visages énigmatiques, quelques dizaines de touristes seulement marchent dans lescontreallées aux célèbres basreliefs. Au spectaculaire Ta Prohm, que les racines de grands arbresont embrassé au fil du temps en une cruelle étreinte, une dizainede touristes, tout au plus, arpentent les allées du monument. Al’ordinaire, il est un favori des visiteurs du céleste empire…
« C’est une véritable catastrophe ! » : PierreAndré Romano, président de la section locale de la
Chambre de commerce et d’industrie FranceCambodge, ne dissimule pas son inquiétude.« En 2019, le parc archéologique d’Angkor a accueilli un peu plusdeux millions deux cent mille touristes. Cette année, la moitié, voire beaucoup plus, risquent de manquer à l’appel. Pour janvier, les chiffres accusent déjà une baisse de près de 18 % par rapport à 2019. »
Implanté au Cambodge depuiscinq ans, cet ancien voyagiste quidirige les ateliers « Artisans d’Angkor », visités d’habitude quotidiennement par 2 500 touristes(600 environ aujourd’hui) contemple d’un œil inquiet le futurimmédiat : « Les gens n’arriventpas à Angkor en l’ayant décidé dujour au lendemain. Pour l’instant,le tourisme européen, surtoutFrançais, se maintient. Mais qu’enseratil dans les prochaines semaines ? »
Il est vrai qu’au vu de l’inquiétude qui a gagné la planète au fur et à mesure que l’épidémie menace de se transformer en pandémie, les destinations asiatiques risquent de ne pas être les plus prisées. Au Cambodge, le virus n’a pas déclenché la panique. Peu de gens portent des masques,contrairement à la Thaïlande et à Singapour. Et même si des milliers de Chinois venus de l’épicentre du virus, la province du Hubei,ont visité le Cambodge en janvier– dont plusieurs centaines le parcd’Angkor – aucun cas de personneinfectée n’a été signalé. Comme l’avait proclamé en début d’épidémie le premier ministre HunSen, pour désamorcer toute psychose : « Au Cambodge, la seulemaladie qui peut nous infecter,c’est celle de la peur ! »
bruno philip
« POUR L’INSTANT, LE TOURISME EUROPÉEN,
SURTOUT FRANÇAIS,SE MAINTIENT.
MAIS QU’EN SERATIL DANS LES PROCHAINES
SEMAINES ? »PIERRE-ANDRÉ ROMANO
président de la CCI France-Cambodge
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16 | ÉCONOMIE & ENTREPRISE MARDI 3 MARS 20200123
Le marché pétrolier gagné par la paniqueLa baisse de l’activité en Chine pèse sur la demande de brut et entraîne les cours dans une chute incontrôlée
C’ est le moment quetoute la planète pétrole redoutait : lescours du Brent se
sont installés, lundi 2 mars aumatin, autour des 51 dollars(46 euros) le baril. Une véritable chute libre pour le brut, qui a perdu plus de 25 % de sa valeur depuis début janvier, et se retrouve a son plus bas niveau depuis quatorze mois.
L’incidence du coronavirus estencore difficile à mesurer sur le long terme, mais les effets immédiats sont déjà nombreux, et ce,pour une raison simple : la Chineest le premier importateur mondial de pétrole. La mise à l’arrêt d’une partie de son économie, avec des conséquences sur letransport aérien et routier ainsique sur l’activité industrielle, diminue le besoin en hydrocarbures. Or, à elle seule, la croissance de la demande chinoise permettait aux pays pétroliers et aux majors du secteur d’aborder 2020 dans une relative sérénité.
D’autant que le poids de l’empire du Milieu sur l’échiquier pétrolier mondial s’est particulièrement accru ces dernières années.
En 2003, lors de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère(SRAS), les besoins chinois s’élevaient à environ 5,7 millions de barils par jour. Elle a plus que doublé depuis, à près de 14 millions debarils, pour représenter 14 % desbesoins mondiaux.
« Un carnage »Plus encore, la Chine a compté,en 2019, pour 75 % de la croissance de la demande, rappelle l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans une note de février. Résultat : dans un marché où lepétrole est abondant, les cours connaissent une chute sévère depuis plusieurs semaines, et personne ne se risque à fixer un plancher. « Cette semaine [du lundi 24 au vendredi 28 février] est un carnage qui ne laisse personne en sécurité », résumait, vendredi, Ole Hansen, analyste chez Saxo Bank.
« Une chose est claire : la situation va s’aggraver en mars », prévient le cabinet spécialisé Rystad,en soulignant que l’impact concerne les producteurs, mais également les raffineries, les serviceset toute la chaîne de valeur deshydrocarbures.
L’épidémie de coronavirus – etses conséquences économiques– arrive à un moment où le marché pétrolier est soumis à des vents contraires depuis plusieursmois. La hausse continue de la production américaine de pétrole de schiste – qui a atteint12 millions de barils par jour – a totalement perturbé le jeu. Ce pétrole dit « non conventionnel »s’est positionné en concurrentsérieux de très gros acteurscomme l’Arabie saoudite et la Russie. En 2018, les EtatsUnis sont devenus le premier producteur mondial et, en 2020, ils de
vraient devenir exportateurs net de produits pétroliers. Une véritable révolution dans le secteur,dont la limite n’est pas encoreconnue. Alors que la consommation mondiale continue à augmenter, avec plus de 100 millionsde barils consommés quotidiennement, les autres pays pétroliers ont cherché à riposter.
Depuis 2016, l’Organisation despays exportateurs de pétrole(OPEP), menée par l’Arabie saoudite, a construit une alliance solide avec la Russie pour tenterd’éviter la dégringolade des cours du Brent. A chaque soubresaut du
marché, Riyad et Moscou ontréussi à agir pour maintenir les prix en s’imposant des quotas de production. La réussite de cette alliance a permis de faire remonter les cours à partir de l’année 2017et jusque dans le courant de 2019. Mais la guerre commerciale lancée par le président américain,Donald Trump, contre la Chine est ensuite venue perturber cefragile équilibre. Là encore, l’OPEPavait dû agir, en décembre 2019, pour tenter de faire remonter les prix, en s’imposant des quotas plus stricts encore.
Le même scénario peutil encore se jouer, jeudi 5 mars, àVienne, en Autriche, où l’OPEP et ses alliés se retrouvent pour tenter de trouver un nouvel accord ? L’alliance pétrolière russosaoudienne commence, en effet, à montrer des signes d’essoufflement. L’Arabie saoudite plaide depuis le début de l’épidémie de coronavirus pour une action résolue. Plusieurs analystes estimentque Riyad pourrait proposer unecoupe d’environ 1 million de barils par jour à ses partenaires – etd’en assumer la plus grande part. Mais la Russie se montre très prudente sur le sujet.
Stratégie du cartel suivie de prèsPour l’Arabie saoudite, et pourplusieurs membres de l’OPEP totalement dépendants des hydrocarbures, un prix trop bas est un risque majeur à court terme pour leurs économies. Des pays comme l’Algérie, le Nigeria ou leGabon, sans parler du Venezuela ou de la Libye, seraient durablement fragilisés. La Russie, moinsdépendante du pétrole, affirme pouvoir tenir son budget, même si le cours du baril descendait autour de 40 dollars. Une partie des acteurs du monde pétrolier notent aussi que si la chute des cours se poursuivait, la production américaine de pétrole deschiste, plus coûteuse, pourraitêtre affectée. Le marché pétrolier rentrerait alors dans une nouvellepériode d’incertitudes.
La stratégie du cartel sera suiviede très près, tant la situation est instable. Sans accord à Vienne, les prix pourraient poursuivreleur chute libre, avertissent plusieurs analystes du secteur, quienvisagent même un baril autour de 30 dollars. Et même sil’Arabie saoudite arrivait à imposer à ses partenaires de resserrer les vannes, une remontée desprix est loin d’être certaine. « Jen’ai jamais vu autant d’incertitudes sur le marché pétrolier. Nouspouvons faire face à une baisse dela demande de plusieurs millionsde barils par jour pendant plusieurs mois », analyse, dans unenote, Fereidun Fesharaki, président du cabinet de conseil FactsGlobal Energy.
Ces difficultés risquent d’êtredurables sur l’année 2020. L’AIEestime ainsi que la demande surl’année ne devrait plus croître quede 800 000 barils par jour, au lieude 1,2 million prévu avant l’épidémie. Si cette prévision – jugée encore trop optimiste par certains – venait à se confirmer, il faudrait remonter à 2011 pour retrouverune progression aussi faible.Cette tendance pourrait également s’accélérer si la propagationdu virus touche plus durement l’Europe et le reste de l’Asie. Lesconséquences sur la demande mondiale seraient alors encoreplus marquées.
nabil wakim
« Nous pouvonsfaire face
à une baissede la demande deplusieurs millions
de barilspar jour pendantplusieurs mois »
FEREIDUN FESHARAKIprésident
de Facts Global Energy
baisse de l’utilisation du charbon dansles centrales électriques, taux d’exploitation des raffineries de pétrole dans la province du Shandong, dans l’est de la Chine, au plus bas depuis 2015… Les mesures des autorités chinoises visant à contenir le coronavirus ont entraîné une réduction de15 % à 40 % de la production dans les principaux secteurs industriels. « La demanded’électricité et la production industrielle restent bien en deçà de leurs niveaux habituels », analyse Simon Evans, du site spécialisé Carbon Brief, qui a étudié les émissionsde gaz à effet de serre de l’empire du Milieudepuis le début de la crise sanitaire.
Le pays, premier importateur mondial depétrole devant les EtatsUnis – et premier émetteur de CO2 de la planète –, tourne auralenti. Ainsi, au moins un quart de ses
émissions de CO2 au cours des deux dernières semaines (17 février1er mars) n’ont pas été émises, selon Carbon Brief. Or, sur la même période de 2019, la Chine avait rejeté environ 400 millions de tonnes de CO2. Résultat, l’épidémie de Covid19 auraitentraîné une réduction de 100 millions de tonnes des émissions mondiales de CO2.
Plus difficile à mesurer en EuropeCette diminution peutelle être durable ? A voir, car les émissions pourraient augmenter globalement sur l’année, si les autoritésengageaient, dans les mois qui viennent,un plan massif de relance économique à grands coups de chantiers d’infrastructures. A la suite de la crise financière de 2008,les émissions de CO2 chinoises s’étaient effondrées jusqu’à ce que Pékin procède à
des investissements massifs pour « relancer les secteurs économiques les plus énergivores et les plus polluants, rappelle Lauri Myllyvirta du Centre de recherche sur l’énergie et la propreté de l’air. Ceux qui croient pouvoir saluer une pause bienvenuedans l’urgence climatique doivent refrénerleur optimisme. »
L’incidence du virus est plus difficile àmesurer en Europe, souligne Carbon Brief. L’émergence de foyers épidémiques dans lenord de l’Italie et la quarantaine imposée à11 villes au sud de Milan ont paralysé l’économie de la région la plus riche et la plus productive du pays. « Tout effet mettraitprobablement un certain temps à apparaîtreclairement, car les conséquences sont plus limitées qu’en Chine », explique M. Evans.
louisa benchabane
L’effet positif sur les émissions de C02 risque d’être éphémère
Au Japon, la construction d’une centrale à charbon provoque la colère de la populationA Kurihama, près de Tokyo, les opposants dénoncent un projet « inutile » et « anachronique »
tokyo correspondance
D e l’aplomb de son parcfloral aménagé sur unehauteur verdoyante, le
petit port de Kurihama (sudest du Japon) respire la quiétude. Lesferrys assurant la liaison entre cequartier de la commune de Yokosuka et le département de Chiba, de l’autre côté de la baie de Tokyo,débarquent leurs passagers affairés. Des bateaux de pêche à la coque effilée bleue paressent au mouillage. Un peu plus au nord,des flâneurs bravent le froid et arpentent la petite plage du lieu.
Le calme dissimule mal l’inquiétude suscitée par la construction, à deux pas du port, d’une centraleélectrique au charbon. Jera, filiale de la compagnie d’électricité deTokyo (Tepco) et de celle du Chubu (Chuden), bâtit deux tranches de 650 mégawatts (MW) chacune, à inaugurer en 2023 eten 2024. Elles remplaceront dixtranches qui fonctionnent au pétrole et au gaz, datant des années 1960, arrêtées en 2010, avantd’être relancées après la catastrophe de Fukushima, en mars 2011,qui a provoqué l’arrêt du parcnucléaire nippon. Jera a obtenu,
en 2018, le feu vert du ministère de l’économie pour la centrale au charbon.
Depuis, la colère des opposantsà la nouvelle centrale ne retombe pas. Isamu Watanabe, retraité et natif du lieu, se souvient des problèmes de la pollution de la première centrale. « Les baignades dans la baie ont été interdites. Quand on faisait sécher notre linge dehors, selon la direction du vent, les vêtements étaient couverts de poussière. »
« Il y a suffisamment d’électricité »M. Watanabe n’a pas envie que ses« petitsenfants de moins de 10 anssubissent de violents typhons, provoqués par le réchauffement global ». Il a donc rejoint les 47 personnes qui ont porté plainte contre Jera, estimant que l’étude d’impact environnemental du projet avait été bâclée. Le groupe amanifesté, lundi 17 février, devantle siège de l’entreprise, à Tokyo, et lui a adressé une pétition signée par 7 150 personnes.
« Cette centrale doit générer7,56 millions de tonnes de CO2 par an », affirme Rikuro Suzuki, leaderdu mouvement. Cela représente 10 % de la totalité des émissions
du département de Kanagawa, où se trouve Kurihama. La centrale va aussi émettre des particules PM2,5 et d’autres polluants. « Elle est à proximité immédiate d’une zone résidentielle et nous ne sommes pas loin de Kamakura, site touristique majeur », ajoute Takao Seiki, membre des 48.
Outre l’incidence environnementale, les opposants jugent le projet « inutile », voire « anachronique ». « Depuis Fukushima, la consommation de courant a reculé de près de 10 % au Japon etmême si les centrales nucléaires sont arrêtées, il y a suffisamment d’électricité », explique TakakoMomoi, membre de l’ONG environnementale Kiko Network.
Economiquement, selon uneétude d’octobre 2019 du centred’analyse Carbon Tracker, le solaire pourrait être moins cher quele charbon en 2023, et l’éolien en mer serait plus avantageux en 2025. De fait, sur les 50 projets de centrales à charbon lancés après Fukushima, 13 ont été abandonnés, les exploitants doutant de leur rentabilité.
Ces arguments ne remettentpourtant pas en cause la politique du Japon, dont l’objectif de
réduction des émissions de gaz àeffet de serre, de 26 % d’ici à 2030par rapport à 2013, est considéré comme insuffisant. Le pays est le seul parmi ceux du G7 à soutenirle charbon : importé à 70 % d’Australie, il génère 28 % de l’électricité nippone (38 % pour le gaz naturel, 8 % pour le pétrole, 6 %pour le nucléaire, 19 % pour l’hydroélectrique et les renouvelables). Cette part devrait s’élever à26 % en 2030.
La politique nippone a fait l’objet de vives critiques lors de la COP25 de Madrid, en décembre 2019. Le soutien du charboninterroge aussi à l’approche desJeux olympiques de Tokyo. L’événement est présenté comme innovant sur le plan environnemental et se déroule sur fond de risques liés aux fortes chaleurset aux typhons, de plus en plus violents sous l’effet des changements climatiques. « Avec les puissants typhons de l’automne 2019, mais aussi la COP25 et le Forum de Davos, en janvier, la sociétésemble davantage sensible aux enjeux », explique Hanna Hakko, spécialiste de la question pourGreenpeace Japon.
philippe mesmer
PlongeonCours du brent, en dollars le baril
2 janvier 2019 2 mars 2020
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Source : Bloomberg
L’École supérieure d’art et de design TALM, établissement public interrégional Centre-Val de Loire etPays de la Loire, a pour membres fondateurs l’État, les villes de Tours, du Mans et d’Angers. Au sein deses trois sites (Tours, Angers et Le Mans) plus de 600 élèves sont accueillis. L’établissement fonctionneavec un budget de 7,5 millions d’euros et les équipes sont composées de 105 enseignants, 51 person-nels administratifs et techniques.L’établissement est habilité à délivrer des diplômes DNA et DNSEP en Art, Sculpture, Conservation-restauration des biens culturels spécialités œuvres sculptées, Design, Design sonore, Design mécatro-nique et computationnel, Techniques textiles. Il est engagé dans des post-diplômes et troisième cycle.Il rayonne au niveau international (56 conventions avec des établissements européens et hors Europe).En matière de diffusion, l’École supérieure d’art et de design TALM organise des expositions et proposedes cours publics de pratiques amateurs, activités qui concourent à la diffusion de l’art et du design.Le site d’Angers accueille 288 élèves et organise des cursus avec deux options en cycle long : Art etDesign, et une mention techniques textiles en cycle court. Rattaché(e) au Directeur Général, membredu comité de direction, vous êtes chargé d’approfondir le projet de TALM-Angers et de contribuer auprojet général de TALM.A ce titre, vous devez :MISSIONS• Mettre en oeuvre le projet pédagogique, scientifique, artistique et culturel de TALM-Angers en dia-logue avec TALM-Tours et TALM-Le Mans.
• Travailler en relation étroite avec les tutelles nationale et territoriales.• Piloter et animer les équipes pédagogiques, administratives et techniques (50 personnes).• Engager un dialogue social de grande qualité.• Assurer la bonne gestion de TALM-Angers, dans un contexte budgétaire contraint, en développantdes ressources propres.
• Gérer et maintenir les bâtiments en bon état en lien avec le propriétaire.• Contribuer à l’ensemble des démarches d’évaluation de TALM et de TALM-Angers (notamment lecontrat d’accréditation et le contrat pluriannuel de l’établissement en cohérence avec les orientationsdu conseil d’administration)
• Développer et mettre en oeuvre des programmes d’action culturelle et des partenariats contribuant aurayonnement de TALM-Angers à l’échelle locale, nationale et internationale.
• Poursuivre et animer les partenariats initiés sur le territoire angevin et en développer de nouveaux.• Développer des projets en répondant à des appels d’offre.• Conforter la place de la recherche, de l’expérimentation et de l’innovation dans l’ensembledes cursus de l’école.
• Poursuivre et animer la politique volontariste de TALM-Angers en faveur de l’insertion professionnelledes diplômés.
• Représenter TALM-Angers dans les instances de concertation, notamment le SODAVI (niveaux local,départemental, régional, national et international).
PROFILDe formation supérieure et professionnel.le de l’art contemporain et/ou du design, vous disposezd’une expérience réussie dans la gestion d’une structure culturelle, idéalement une école d’art. Votreexpérience en management et vos connaissances des collectivités territoriales, notamment en gestionadministrative et financière, représentent un réel atout. Votre aptitude à travailler en réseau, à dévelop-per des projets en partenariat sera appréciée. Doté.e d’un bon relationnel, capable de gérer les priorités,de réelles capacités d’analyse, de synthèse et de rédaction, vous êtes un interlocuteur reconnu pour sondynamisme, sa disponibilité et son sens du service public.CONDITIONSContrat d’une durée de 3 ans renouvelable. Prise de fonction souhaitée le 1er septembre 2020.LIEU DE TRAVAILÉcole supérieure d’art et de design TALM-Angers – 72 rue Bressigny, 49 100 ANGERS.CALENDRIER- Réception des candidatures (CV, lettre de motivation) : 3 avril 2020- Entretiens de recrutement : fin avril 2020POUR POSTULERCandidatures (CV, lettre de motivation) à adresser par mail : [email protected] avant le 3 avril 2020 à
L’École supérieure d’art et de design
TALM recrute, à temps complet
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0123MARDI 3 MARS 2020 économie & entreprise | 17
Valeo accélère l’électrification automobileDans le PasdeCalais, le groupe fabrique des systèmes 48 volts pour lutter contre le CO2
REPORTAGEétaples (pasdecalais)
D es dizaines et des dizaines de cages sontalignées sous lesnéons du grand han
gar industriel. A l’intérieur dechacune d’elles, des robots s’activent sous l’œil attentif des ouvriers rivé sur les écrans de contrôle. Dans un fracas continu, les machines pincent, soudent, plient, coupent à une vitesse étonnante, comme si on passaitun film en accéléré. Dans ce balletmillimétré, les pièces volettent d’un bras mécanique à un autre.Elles finiront par former une petite machine électrique sigléeValeo, avec son stator et son rotor,bûchette d’acier farcie d’un entremêlement de fils de cuivre, bardée d’aimants en métaux rares.
Ici, c’est Etaples, ville populairedu PasdeCalais, à quelques kilomètres du Touquet et de ses villasbourgeoises. Un petit port discretsur la Canche, avec sa mairie debrique, ses maisonnettes, sa gare désuète et son usine Valeo, lieu emblématique de la révolutionautomobile en cours.
L’usine du premier équipementier français et neuvième mondialest au cœur du développement del’électrification des voitures dans le monde, et singulièrement en Europe. On y fabrique des alterna
teurs (la pièce qui transforme l’énergie du moteur en électricité) et surtout des systèmes électriques 48 volts, dit de « petite hybridation », qui vont être l’une des armes de l’industrie automobile pour lutter contre le dioxyde de carbone (CO2).
« Le marché du 48 volts est entrain d’exploser, se félicite Michel Forissier, directeur technique du pôle propulsion de Valeo. Les nouvelles procédures de test des véhicules aggravent les malus automobiles. La Commission européenne exige une moyenne de CO2 de 95 grammes par voiture vendue. Puis, ce sera 81 g en 2025 et 59 g en 2030. Tous les constructeurs en Europe sont en train d’y travailler. Nous équiperons 60 modèles en 2022. Cela représente 1,1 milliardd’euros de chiffre d’affaires. »
« Faible coût »Dans la hiérarchie de l’électrification automobile, le 48 volts est pourtant un peu au bout de la chaîne. Il vient après le toutélectrique, l’hybride rechargeable ou classique. Un hybride du pauvre, en quelque sorte. Le système permet de gagner seulement quelques grammes de CO2 sur un moteur essence et fait même un peu moins bien qu’un diesel. « Oui, mais chaque gramme de CO2 gagné vaut 95 euros d’amende économisés sur chaque véhicule vendu. Et cela finit par se chiffrer en centaines de millions d’euros,rappelle Jacques Aschenbroich, le PDG de Valeo. La régulation locale, qui bannit de plus en plus le diesel dans les villes, détourne les acheteurs de cette technologie. »
De fait, Ford, PSA, JaguarLandRover, FiatChrysler et le groupe Volkswagen – presque 60 % du marché automobile européen – ont signé avec Valeo pour installerdes systèmes d’hybridation 48 volts dans une bonne partie de leurs véhicules. La version 8 de la
Volkswagen Golf, qui sort début mars, en sera équipée.
L’avantage tient à sa facilité industrielle et à son prix. « Le 48 volts est un dérivé des alternateurs et des alternodémarreurs 12 volts produits ici depuis des années, explique Alberto Santos, directeur du site d’Etaples. Ce sont les mêmes éléments de base, les mêmes processus. Ce qui change, c’est l’électronique de puissance – le
calculateur contient autant de lignes de codes qu’un smartphone –,mais elle est aussi produite ici. Celanous donne de la souplesse. »
Pour le 48 volts, Valeo voitgrand : un marché de 44 milliardsd’euros, à terme, sur lequel se positionnent aussi des concurrents, comme Continental et Mitsubishi Electric. « En matière d’émissions de CO2, la technologie peut encore faire gagner entre 20 % et
25 %, si on rapproche la machinede la boîte de vitesse, détaille M. Forissier. On peut aussi l’utiliser pour des véhicules quatre roues motrices électriques. Et le 48 volts seul peut suffire à faire roulerdes petits véhicules urbains 100 %électriques, des triporteurs, des robots de livraison, des trottinettes.Le tout, à un faible coût. »
L’usine d’Etaples est, avec cellede Shanghaï, l’un des deux sites deréférence du groupe pour ces systèmes. La production est à 80 % consacrée aux alternateurs classiques, mais, dans trois à quatre ans,c’est bien le 48 volts qui occupera les 80 % de l’activité. Peu à peu, on fait de la place pour les nouveaux postes. Les cadences augmentent. Sur la ligne d’assemblage, une machine sort déjà toutes les dixneuf secondes. Un peu plus loin, les alternateurs traditionnels sont produits toutes les sept secondes. ValeoEtaples est paré pour la croissance électrique.
éric béziat
« Chaque grammede CO2 gagné vaut 95 euros
d’amende économisés sur chaque
véhicule vendu »JACQUES ASCHENBROICH
PDG de Valeo
TÉLÉCOMSUn nouveau directeur général chez NokiaLe directeur général de Nokia, Rajeev Suri, va quitter son poste le 1er septembre et sera remplacé par Pekka Lundmark, l’actuel patron de 57 ans du groupe énergétique Fortum, a annoncé, lundi 2 mars, l’équipementier télécoms finlandais. M. Lundmark, directeur général de Fortum depuis 2015, a, auparavant, occupé plusieurs postes chez Nokia entre 1990 et 2000, dont celui de viceprésident de la stratégie et du développement commercial dans la division Nokia Networks. – (AFP.)
DISTRIBUTIONDes pharmaciens lancent une action collective contre E. LeclercL’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) a annoncé, samedi 29 février, le lancement d’une action collective en justice contre les centres E. Leclerc pour « publicité mensongère », après avoir déjà obtenu, en décembre 2019, la condamnation de l’enseigne de distribution française. – (AFP.)
Paul Singer a encore frappé, cette fois chez Twitter. Le redoutable patron du hedge fund Elliott Management a pris environ 5 % de la société californienne pour 1 milliard de dollars (906 millions d’euros) et veut se débarrasser du cofondateur, Jack Dorsey (adresse @jack), pour relancer un réseau social aux résultats très en deçà de son potentiel. Il lui reproche de partager son temps avec son entreprise de paiement en ligne Square et de vouloir vivre six mois par an en Afrique pour y développer des startup, révèlent plusieurs médias américains.
Wall Street ne serait pas mécontent du départ définitif d’un patrongourou – adepte de la méditation et du jeûne quotidien – déjà écarté de sa « maison » en 2008, avant d’y revenir comme PDG en 2015 : l’action s’appréciait de près de 8 %, vendredi 28 février, lors des échanges électroniques après la clôture. Créé en 2006, Twitter n’a dégagé un bénéfice annuel qu’en 2018. Sa diversification, notamment dans les applications mobiles de partage de vidéos courtes, a été un échec. La firme vaut 26 milliards de dollars, quand ByteDance, le groupe chinois créateur de l’application TikTok, est estimé trois plus.
Twitter souffre surtout de la comparaison avec Facebook, le premier réseau social au monde, avec ses 2,5 milliards d’utilisa
teurs mensuels, qui pèse 463 milliards de dollars en Bourse. Depuis le retour de M. Dorsey, l’action de la société de Mark Zuckerberg a gagné 120 % ; celle de Twitter a perdu 6,5 %. Inacceptable pour l’activiste Singer, qui a déjà secoué les dirigeants d’AT & T, d’eBay, de Pernod Ricard et du japonais SoftBank. Il proposera quatre candidats au conseil d’administration, en mai, lors de l’assemblée générale des actionnaires. Un de plus que le nombre de sièges à pourvoir, au cas où une place de plus se libérerait.
Proposer de nouveaux servicesTwitter n’a pas été inactif dans les innovations, remarque Tim Culpan, dans une tribune à Bloomberg Opinion, mais le fil d’actualité omniprésent – par lequel Donald Trump communique urbi et orbi – n’a pas été suffisamment monétisé. Or 2020 s’annonce mouvementée, entre l’épidémie de Covid19, les Jeux olympiques de Tokyo et l’élection présidentielle américaine.
Réclamer un PDG à plein tempsne fait pas une stratégie. A moins de trouver un patron capable proposer de nouveaux services, etsurtout de les développer et de les faire vivre dans la durée. Comme Sheryl Sandberg, patronne des opérations de Facebook, joignable sur son compte twitter @sherylsandberg.
PERTES & PROFITS | TWITTERpar jeanmichel bezat
@jack répondra-t-ilencore à cette adresse ?
Les ventes de voitures en France affectées par les normes anti-CO2
Après une chute de 13 % en janvier, la décrue du marché automo-bile français a persisté en février (– 2,7% par rapport à février 2019). Le marché a continué de pâtir du durcissement du malus automo-bile sur le CO2, en vigueur depuis janvier, et il a, en outre, été per-turbé par des distorsions liées à un nouveau renforcement de la sé-vérité de ce malus en mars, lequel a provoqué des immatriculations par anticipation des véhicules les plus taxés (Porsche, Audi, Land Rover…). Signe d’une angoisse des acheteurs, les ventes aux parti-culiers sont à un niveau très bas (baisse de 27 % des ventes pour Da-cia). Le nouveau barème de malus, combiné aux effets du coronavi-rus, laisse présager un mois de mars de nouveau en recul.
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inscrite à la Climate Change A List de CDP
INNOVANTTop Global Innovator parmi les 100 entreprisesles plus innovantes au monde, selon ClarivateAnalytics, depuis 9 ans
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Employer Institute, depuis 5 ans• Top entreprise pour l’égalité femmes-
hommes selon l’Indice Gender Equalityde Bloomberg, depuis 2 ans
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Résultat net courant : résultat net (partdu Groupe) hors plus ou moins-values decessions, dépréciations d’actifs, provisionsnon récurrentes significatives et résultat Sika
Cash flow libre = EBITDA - amortissementsdes droits d’usage + résultat financierhors Sika + impôts sur les résultats -investissements corporels et incorporels horscapacités additionnelles + variationdu besoin en fonds de roulement
Montant qui sera proposé à l’Assembléegénérale, versé intégralement en espèces
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PROCHAINSRENDEZ-VOUS23 AVRILPublication du chiffre d’affairesdu premier trimestre 2020
4 JUINAssemblée générale, Salle Pleyel, Paris
30 JUILLETRésultats du premier semestre 2020
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18 |horizons MARDI 3 MARS 20200123
La révolution SandersLe candidat à la primaire démocrate revendique un « socialisme démocratique » et dit s’inscrire dans l’héritage de Roosevelt et de son New Deal. A la veille du vote crucial du Super Tuesday, le 3 mars, il est en tête de la course à l’investiture
new york correspondant
L orsque Stephanie Kelton, économiste hétérodoxe, rencontrapour la première fois BernieSanders, en 2015, celuici luidemanda : « Que feriezvous à maplace ? » « Mettre en place la
charte des droits économiques de Franklin D. Roosevelt », lui répondit la professeure, alorsenseignante à l’université de Kansas City, quinous reçut en 2019.
Bernie Sanders n’était alors pas tout à faitun inconnu, sénateur indépendant du Vermont, qui s’apprêtait à mettre en grande difficulté Hillary Clinton pendant la primaire démocrate pour l’élection de 2016. L’Economic Bill of Rights, c’est le testament du père duNew Deal, cette « nouvelle donne » qui aida, à partir de 1933, à sortir l’Amérique de la terriblecrise de 1929. Radiodiffusé en janvier 1944 – de retour de la conférence de Téhéran (qui avait réuni Churchill, Roosevelt et Staline du 28 novembre au 1er décembre 1943), le président Roosevelt (18821945) était trop maladepour se déplacer au Capitole –, ce discours surl’état de l’Union invitait l’Amérique à ajouter des droits économiques (salaire décent, éducation, logement, retraite, santé, etc.) auxdroits politiques garantis par les premiers amendements de la Constitution (liberté d’expression, de religion, de la presse…).
« Ces droits politiques se sont avérés inadéquats pour nous assurer l’égalité dans la poursuite du bonheur, but proclamé par la déclaration d’indépendance de 1776, déclarait Roosevelt. La vraie liberté individuelle ne peut pas exister sans indépendance et sécurité économiques. » Un testament que reprit à son compteBernie Sanders en 2015, puis en juin 2019, lors d’un discours à l’université GeorgeWashington pendant lequel il cita longuement Roosevelt. « Nous devons reconnaître qu’au XXIe siècle, dans le pays le plus riche de l’histoire du monde, les droits économiques sont des droits humains. C’est ce que je veux dire par socialisme démocratique », argumente Sanders.
LE RÊVE ÉCONOMIQUE DE ROOSEVELTA 78 ans, le champion de la gauche américaine dans la primaire démocrate de 2020 – qui verra ou pas son avance se confirmer le mardi 3 mars, lors du Super Tuesday, jour de vote pour 14 Etats américains et deux territoires associés – peut ainsi dérouler son programme comme étant la réalisation du rêve économique de Roosevelt : nationalisation de l’assurancemaladie, annulation de la dette étudiante, gratuité du premier cycleuniversitaire, doublement du salaire minimum à 15 dollars, droit à un emploi fédéral, enfin « green new deal » pour sortir des énergies carbonées dans les transports et l’électricité d’ici dix ans. Cet ancrage historique estdécisif dans la stratégie de Sanders, qui lui permet de gérer son étiquette socialiste et de légitimer son programme et sa méthode.
La plupart des présidents ont leur référence :Bill Clinton évoquait John F. Kennedy et sa modernité individuelle, Donald Trump
s’essaye à une comparaison avec Ronald Reagan et son antiétatisme. Le socialisme, lui, n’existe quasiment pas dans la tradition américaine. Son représentant fut Eugene Debs (18551926) : syndicaliste, organisateur de grèves et cinq fois candidat à la présidentielle – il culmina à 6 % des voix en 1912 –, il écopa de dix ans de prison en 1918 (gracié en 1921) pour un discours antiguerre. « Socialisme », ce mot qui se traduirait par « communisme » en français, était un anathème pendant la guerre froide. S’en prévaloir, c’est encore prendre le risque d’être « non américain ».
Inquiet d’une défaite de la gauche en cas devictoire de Sanders à la primaire démocrate, lePrix Nobel d’économie 2008, Paul Krugman, cherche à déminer le terrain. « Bernie Sandersn’est pas un socialiste, écritil dans le New York Times le 13 février, avant de déplorer : mais c’estle rôle qu’il joue à la télévision. C’est un problème. Son autodescription trompeuse est un cadeau pour la campagne de Trump. » Si Sanders refuse d’abjurer le socialisme, c’est sans doute qu’il est à l’unisson de ses partisans les plus motivés. L’aile gauche, blanche et jeune du Parti démocrate est de plus en plus hostile au capitalisme, en rupture avec le reste de la population, comme en témoigne une enquêtepubliée en septembre par le think tank libertarien Cato Institute : 64 % des démocrates approuvent le socialisme, et 45 % le capitalisme (les deux systèmes étaient à égalité en 2010, à 53 %, mais la crise de 2008 et l’ère Trump ont dopé le premier) ; 70 % des 1829 ans estiment injuste la répartition des richesses, tandis que 47 % des « très socialistes » jugent le recours à la violence contre les riches parfois justifié.
S’il veut espérer être désigné à la conventiondémocrate, puis être élu président, M. Sandersdoit sans doute dépasser le socialisme sans le rejeter. Le compromis s’appelle Roosevelt, l’homme qui a façonné l’Amérique, mais dont l’héritage a été sapé par la révolution conservatrice de Ronald Reagan. Sanders entend le rétablir. Ce patronage estil usurpé ? Le New Deal était révolutionnaire, qui mit l’économie sous la coupe réglementaire de l’Etat – fixa
tion des prix et des salaires pour éviter la déflation –, tripla les dépenses fédérales – avec la politique des grands travaux – et augmenta le taux marginal de l’impôt sur le revenu à 75 % en 1935, puis à 94 % en 1944. Mais il s’agissait d’une contrerévolution destinée à sauver lecapitalisme alors en perdition. « Roosevelt a sauvé les banques et a sauvé le capitalisme », rappelle le site centriste Politico. Pour Paul Krugman, le sénateur du Vermont n’est pas très différent : « Bernie Sanders n’est pas un socialiste au sens normal du terme : il ne veut pas nationaliser nos principales industries et remplacer les marchés par la planification centralisée. Il a exprimé de l’admiration pas pour le Venezuela, mais pour le Danemark. Il est au fond ce que les Européens appellent un socialdémocrate », expliquetil dans le New York Times.
Certes, mais c’est négliger la dynamique politique. Sanders ne rêve « que » du modèle danois, mais ce serait déjà une révolution pour les Américains. Selon Seth Ackerman, rédacteur en chef à la revue socialiste Jacobin, « Bernie utilise sa plateforme politique pour introduire de nouvelles idées dans la tête des gens etcréer un élan derrière une politique égalitariste. Le New Deal était similaire ». Nul besoin de collectivisation des moyens de production. Sa nationalisation de l’assurance santé peut paraître évidente aux yeux d’Européens,mais elle marquerait une bascule majeure quientraînerait une hausse des dépenses fédérales de plus d’un tiers. Son « green new deal », qui coûterait 7,5 % du PIB, vise à atteindre zéroémission carbone dans l’électricité et les transports en dix ans. Si cela fonctionne pourles Danois, qui circulent à vélo et s’éclairent à l’électricité éolienne, il s’agit d’une remise en cause fondamentale du mode de vie de l’Amérique rurale et périurbaine.
Au total, la « révolution Sanders » coûterait,selon les projections plutôt conservatrices deYahoo! Finance, 4 900 milliards de dollars par an, soit 23 % du PIB. Elle ferait plus quedoubler les dépenses fédérales, qui atteindraient environ 43 % de la richesse nationale,le même niveau qu’en 1944, au plus fort de la
seconde guerre mondiale – 37,5 % des dépenses étaient alors consacrées à la défense. Plusqu’un second New Deal, Sanders propose une économie de guerre.
Une économie de guerre pour devenir leDanemark, estce le choix des Américains, alors que le chômage est au plus bas depuis cinquante ans et que la réforme Obama de la santé a permis de réduire de 18 % à 10 % la part des Américains non assurés ? Krugman en doute, qui estime que « les propositions politiques » de Sanders sont aussi un « cadeau » à Trump, en particulier celles sur lasanté : « J’aimerais que Sanders ne soit pas aussi déterminé à faire de luimême une ciblefacile pour les diffamateurs de droite. »
Les diffamateurs ? Sanders les recherche. Ilssont pour lui la clé de la Maison Blanche :« Vous pouvez juger un candidat présidentielà ses ennemis », revendiquetil. Dans cette campagne, il désigne un adversaire, lesmilliardaires. « Tout milliardaire est un échecpolitique », répète Sanders, qui veut diviserpar deux leur fortune (par une taxe de 5 % audelà du milliard de dollars, de 8 % audelàde 10 milliards). Cette nouvelle lutte des classes était celle de Roosevelt, dont Sanders rappelle les propos à la veille de la présidentielle de 1936 : « Le gouvernement de l’argentest aussi dangereux que le gouvernement dela foule. Jamais, dans notre histoire, ces forcesn’ont été aussi unies contre un seul candidatqu’aujourd’hui. Elles sont unanimes dans leurhaine contre moi, j’embrasse leur haine », déclara Roosevelt.
Le Bernie Sanders en colère serait le Roosevelt d’hier. C’est peutêtre la clé de l’élection, moins celle du gouvernement. Politico rappelle que le Roosevelt qui « embrasse lahaine des riches » en 1936 « n’est pas l’exemple d’un président qui choisit ses ennemis et réussit à faire passer ses réformes ». Roosevelt est alors gagné par « un orgueil excessif et unecapacité réduite au compromis », qui marque« le début de la fin de la période du New Deal »,estime le site d’information américain. Rien àvoir avec le Roosevelt du premier mandat, qui« commença sa présidence de manière conciliante », en coopération avec les banques, fermées en mars 1933, le temps de rétablir laconfiance. Pour sauver le capitalisme face au fascisme et au communisme triomphants.
PANIQUE CHEZ LES RICHES DÉMOCRATESRoosevelt était avant tout un pragmatique, adorant la politique et les expérimentations, comme le rappelait le magazine The NewYorker en 2013, qui citait l’homme d’Etat, interrogé sur ses convictions philosophiques : « Philosophie ? Philosophie ? Je suis un chrétienet un démocrate, c’est tout. »
Que ferait Sanders une fois élu ? La questionest désormais ouverte. Le site de référence FiveThirtyEight, spécialisé dans les sondages et les élections, donnait à M. Sanders, avant son triomphe dans le Nevada, quatre chancessur dix de remporter la primaire démocrate, loin devant ses concurrents Michael Bloomberg et Joe Biden, qui n’auraient qu’une chance sur dix. Les (riches) démocrates centristes paniquent, tel l’ancien patron de Goldman Sachs Lloyd Blankfein : « Si les démocrates désignent Sanders, les Russes vont devoir réfléchir à qui sera le meilleur partenaire pour bousiller les EtatsUnis le mieux possible. Sanders est aussi clivant que TrumpET il ruinera l’économie. Il se moque de notredéfense. Si j’étais russe, j’opterais pour Sanders,cette foisci », écrit le banquier sur Twitter. Lescris d’orfraie sont parfois excessifs – Krugman avait lui aussi prédit la catastrophe économique et l’effondrement de la Bourse à laveille de l’élection de Trump, avant de se raviser. Quatre ans après, Wall Street reste de marbre, plus ébranlée par l’épidémie de coronavirus que par la montée de Sanders.
L’économiste français Thomas Philippon,professeur à l’université de New York, a une approche politique et non économique du programme Sanders. Notant qu’Obama n’est pas parvenu à imposer une assurance santé universelle, il ne croit donc pas à la nationalisation du système – « les démocrates n’en veulent pas ». Le « green new deal » est, selon lui, « un bon produit marketing pour les électeurs américains. Il n’y a pas de révolution à attendre,il faut juste que le pays revienne dans la norme internationale ». Sanders pourrait donc commencer par son impôt sur la fortune, « moins coûteux politiquement, car la population y est favorable, mais pas au niveau annoncé ». Car, conclut Philippon, « les présidents sont en général des fusils à un coup ».
arnaud leparmentier
Bernie Sanders à Des Moines (Iowa), le 2 février. JOHN LOCHER/AP
S’IL VEUT ESPÉRER ÊTRE DÉSIGNÉ
À LA CONVENTION DÉMOCRATE PUIS ÉLU PRÉSIDENT,
M. SANDERS DOIT SANS DOUTE DÉPASSER LE
SOCIALISME SANS LE REJETER
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0123MARDI 3 MARS 2020 carnet | 19
JeanClaude PeckerAstrophysicien
L orsqu’il rédigea l’« autoanalyse » de son parcours,l’astrophysicien JeanClaude Pecker, mort jeudi
20 février à PortJoinville (Vendée), à 96 ans, commença son texte ainsi : « Mes souvenirs d’enfance, aussi loin que je puisse remonter, mettent l’astronomie au cœur de mes rêves. Mon père était scientifique, ma mère littéraire ; leciel était, entre Voltaire et Einstein, un carrefour des influences. » Ilfaut croire que l’influence paternelle l’emporta, car, bien que lauréat du Concours général de dessin, JeanClaude Pecker prit à ce carrefour le chemin de la science.
C’est dans cette option qu’il estreçu à l’Ecole normale supérieure en août 1942. Epoque dangereuse quand on est, comme lui, issu d’une famille juive. JeanClaude Pecker part à Grenoble et passe la fin de la guerre dans la clandestinité, alors que ses parents, arrêtéspuis déportés, meurent à Auschwitz. Après la Libération, il revient à Paris terminer son cursus Rue d’Ulm, puis enchaîne avec unethèse en astrophysique théorique. En collaboration avec Evry Schatzman (19202010), il va relancer ce domaine en France. Les deux hommes publieront d’ailleurs en 1959 une Astrophysique générale (Masson & Cie), « un ouvrage, comme l’explique Pierre Léna, professeur émérite à l’université ParisDiderot, qui fut la bible scientifique de ma génération ».
Le Soleil, « la passion de sa vie »JeanClaude Pecker s’intéresse à laphysique des atmosphères stellaires et en particulier à celle des étoiles qui nous est la plus familière, le Soleil, « qui restera la passion de sa vie », souligne PierreLéna. Lequel ajoute : « Au début des années 1950, on ne comprenaitque bien peu le fonctionnement del’atmosphère solaire. JeanClaude Pecker a ouvert un grand chantier que ses élèves ont suivi. »
Il donne également l’impulsiondans un autre domaine, en rédigeant en 1957 – juste après le lancement du Spoutnik soviétique –, avec Jacques Blamont, ce qui deviendra la feuille de route de l’astronomie française depuis l’espace. Un plan connu sous le nom de « programme de Versailles », car les deux hommes l’élaborent en trois jours dans l’appartement de fonction dont le père de Jacques Blamont dispose au château du RoiSoleil…
Les postes s’enchaînent pourJeanClaude Pecker. D’abord maître de conférences à ClermontFerrand, ensuite astronome à
l’Observatoire de Paris, directeur de l’observatoire de Nice, puis directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris dans les années 1970.Entretemps, il a été élu à la chaired’astrophysique théorique du Collège de France, qu’il tiendra pendant un quart de siècle, de 1964 à 1988. Pendant les années 1960, il est aussi très actif au sein de l’Union astronomique internationale où il occupe le poste de secrétaire général de 1964 à 1967 et dont il dessinera même le logo.
Outre ses travaux sur les étoiles,JeanClaude Pecker s’intéresse à lacosmologie, avec un regard un tantinet sceptique porté sur le modèle standard, qui décrit l’Univers actuel comme issu du Big Bang. « Il pensait qu’il fallait rester ouvert à d’autres idées, à des modèles différents. » JeanClaude Pecker s’engage aussi dans le combat rationaliste. Il présidera d’ailleurs l’Association française pour l’information scientifique de 1999 à 2001. « Il était convaincu que la raison devait être à l’œuvre dans les décisions humaines, mais il agissait en homme tolérant, dit Pierre Léna. Il était tout sauf un sectairedu rationalisme. » Auteur de plusieurs livres de vulgarisation, conférencier, attentif à la place de l’astronomie à la Cité des scienceset de l’industrie de La Villette,JeanClaude Pecker se consacre aussi à la transmission de lascience au public.
« C’était un travailleur acharné,se souvient Pierre Léna. Il vivait tout à fond, ses amitiés, ses recherches, comme ses aquarelles ou ses dessins à la plume. » La biographiede l’homme est si riche qu’il semble avoir bénéficié de plusieurs vies pour la remplir autant. On nesaurait terminer cet inventaire sans citer la dernière corde à l’arc de cet homme qui en eut tant, lapoésie. JeanClaude Pecker avait publié, à 90 ans passés, plusieursrecueils, dont Galets (Z4 Editions, 2015), qui se termine ainsi : « (…) Etla pierre au galet et le galet au sable et le sable à la mer – et la mer enfait quoi ? le vieillard s’est levé et s’en va ; estce moi ? »
pierre barthélémy
10 MAI 1923 Naissance à Reims1950 Thèse d’astrophysique théorique1972-1979 Directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris1964-1988 Professeur au Collège de France20 FÉVRIER 2020 Mort à Port-Joinville (Vendée)
En 2004. PATRICK IMBERT/COLLÈGE DE FRANCE
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AU CARNET DU «MONDE»
Adoption
Isabelle et Luc-Olivier,Charlotte et Samuel,
ont la grande joie d’annoncerl’arrivée de
Victor Esteban Junalson,
né le 9 octobre 2017, à Cité Soleil(Haïti).
La famille est réunie depuis le13 février 2020.
Famille [email protected]
Décès
Anne-Lise Bourgeois,née Quenouille,
Ses enfantsEt ses petits-enfants,
sont tristes de faire part du décès de
Jacques BOURGEOIS,avocat honoraire,
survenu à Boulogne Billancourt,le 25 février 2020,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
La cérémonie religieuse seracélébrée le mardi 3 mars, à 14 h 30,en l’église Sainte-Thérèse de Boulogne(Hauts-de-Seine), 62, rue de l’AncienneMairie, sa paroisse.
L’Union internationale de la pressefrancophone
fait part du décès de
M. Hervé BOURGES,ancien président international
de l’UPF,
survenu le 23 février 2020.
Figure des médias français, sonrôle et son investissement personnelont jeté les bases du développementactuel de notre organisation.Défenseur acharné de la libertéde la presse, il laisse une empreinteinaltérable dans le monde de laFrancophonie et singulièrementau sein de la famille de l’UPF.
Le président de l’UPFInternationale, le bureau etl’ensemble de ses sections adressentà sa famille et à ses prochesl’expression de leurs condoléancesémues.
(Le Monde du 25 février.)
Sa familleEt ses amis,
ont la douleur de faire part du décèsde
Daniel CATTAN,professeur des Universités
à la Faculté de médecinede Créteil,
ancien chef de service de l’hôpitalde Villeneuve-Saint-Georges,
chevalierde l’ordre national du Mériteet des Palmes académiques,
survenu le mercredi 26 février 2020,à l’âge de quatre-vingt-six ans.
La crémation aura lieu le mercredi4 mars, à 11 h 30, au crématorium deValenton (Val-de-Marne), 13, avenuede la Fontaine Saint-Martin.
L’inhumation des cendres auralieu dans l’intimité familiale aucimetière de Yerres (Essonne), ruedu Mont-Griffon.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Marie-Noëlle Coindet,son épouse,
Sa familleEt ses amis,
ont l’immense regret de faire partdu décès de
Jean COINDET,
survenu à Nantes, le 21 février 2020,à l’âge de soixante-quinze ans.
Il était né le 18 décembre 1944,jour de la parution du premiernuméro du Monde auquel il étaitabonné depuis de longues années.
Avec lui s’en va un homme cultivé,curieux de tout et un pédagoguedont le talent pour la transmissiona permis à des milliers d’étudiantsde s’initier aux arcanes de l’image.
Il a réalisé aussi plusieurs filmsdocumentaires et pédagogiques dansde nombreux domaines.
Ses cendres reposent au cimetièreMiséricorde, à Nantes.
Aline DALLIER-POPPER,née Jacqueline GAUVREAU,le 12 septembre 1927, à Paris,
maître de conférences honoraireà l’université Paris 8,
historienne de l’art moderneet contemporain,
membre de l’AICA,
nous a quittés le 5 février 2020.
Frank Popper,son mari,
Sa famille,Ses proches,Ses anciens étudiants,Ses collèguesEt tous ses ami(e)s.
Les obsèques ont eu lieu le 26 février,dans la plus stricte intimité.
La famille Delos Santos,Ses amis et alliés,
ont le regret d’annoncer le décès de
Robert DELOS SANTOS,1928-2020,
brevet de l’Ecole nationalede la France d’outre-mer,
ministre plénipotentiaire,officier de la Légion d’honneur,
officierde l’ordre national du Mérite,
chevalierde l’ordre royal du Cambodge,
membre du Royal Victorian Order,commandeur des ordres nationaux
du Cameroun, Congo Brazzaville,Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo,
administrateur civil au Vietnam(1952-1954),diplomate
(1954-1990),ambassadeur de France à Monrovia,ambassadeur de France à Brazzaville,président de l’ASECNA (1990-1999).
La France perd un serviteur fidèle.Son amitié généreuse et sa joiede vivre nous manquent déjà. Nousle pleurons.
La bénédiction aura lieu le mardi3 mars, en l’église Saint-François-Xavier, Paris 7e, à 10 heures.
8, rue Masseran,75007 Paris.
Mme Jacqueline Deysson,son épouse,
Ses enfants,Ses petits-enfants,Ses arrière-petits-enfants,
font part du décès de
M. Robert DEYSSON,conseiller à la Cour,
survenu le 26 février 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.
La cérémonie aura lieu le jeudi5 mars, à 10 h 30, au crématoriumde Saint-Fargeau-Ponthierry.
Catherine François,son épouse,
Martin, Lena et Fabrice,ses beaux-enfants,
Sara, Mila, Anna et Lucie,ses petites-filles,
Sophie,sa sœur,
Mariane,sa nièce,
ont la douleur d’annoncer le décèsde
Frédéric FRANÇOIS,linguiste,
professeur à Paris VParis-Descartes,
survenu le 24 février 2020, à l’âgede quatre-vingt-quatre ans, à sondomicile, 13, rue Malebranche, Paris 5e.
La cérémonie d’hommage setiendra au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, en la sallede la Coupole, le vendredi 6 mars,de 10 h 30 à 11 h 30.
L’inhumation suivra, à 12 h 30, aucimetière parisien d’Ivry-sur-Seine(Val-de-Marne), entrée au 44, avenuede Verdun, vers 12 h 15.
Vous qui l’aimiez, vous êtes lesbienvenus.
Françoise Duclos, Jean-Philippeet Marie-Claude Genet,ses frères et sœurset toute leur famille,
ont le regret de faire part du décès,dans sa soixante-quinzième année,de
Nicole GENET,professeur agrégée d’anglais
et diplôméede l’Institut des Sciences Politiques.
Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité familiale à Betcave-Aguin(Gers).
64, rue de l’Amiral Roussin,75015 Paris.147, avenue Parmentier,75010 Paris.
Mme Jacqueline Le Roy,née Deguise,son épouse,
Stéphane et Danielle,Carine et Corentin,
ses enfants et leurs conjoints,Clémence, Juliette, Hubert et
Hortense,ses petits-enfants,
Ses sœur, frères, beaux-frèreset belles-sœurs,
ont la profonde tristesse de faire partdu décès de
Etienne LE ROY,professeur émériteuniversité Paris-I
Panthéon-Sorbonne,membre correspondant
de l’Académie des sciencesd’Outre-Mer,
survenu le vendredi 28 février 2020,à Paris,dans sa quatre-vingtième année.
Ses obsèques auront lieu en l’égliseSaint-Honoré-d’Eylau, 66, avenueRaymond-Poincaré, Paris 16e, lemercredi 4 mars, à 10 heures.
Elles seront suivies d’uneinhumation le même jour, à 15 h 30,au cimetière de Douchy (Aisne).
6, avenue de Montespan,75116 Paris.
Marie-Claude Cortial,son épouse,
Matthieu,son fils,et son épouse, Isabelleet sa mère, Marie-Claire Maillard,
Maud, Florence et Elise,ses belles-filleset leurs compagnons,
Lilou, Marius, Cléo, Jeanne, Ysiaet Sarah,ses petit-enfants,
Sa famille,Ses amisEt la Galerie Documents 15,
ont la douleur de faire part de ladisparition de
Maurice MAILLARD,artiste peintre-graveur,
chevalierdans l’ordre des Arts et des Lettres,
ancien directeurde la Maison des Arts
Solange-Baudoux à Évreux,président de l’association
Le Trait - Graveurs d’aujourd’hui,
survenue le 27 février 2020,à l’âge de soixante-treize ans.
La cérémonie aura lieu le vendredi6 mars, à 15 heures, au crématoriumdu cimetière du Père-Lachaise,Paris 20e, en la salle des Colonnes.
Les dons se feront au profit del’association pour la Recherche surles Tumeurs Cérébrales et d’AmnestyInternational France.
Mme Nelly Molina,née Chayo,
Jean-Michel et Thierry,ses enfants,leurs épouses,
Ses petits-enfantsEt toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décèsdu
professeurClaudeMOLINA,
ancien présidentde l’Académie européenne
d’allergologieet d’immunologie clinique,
membre correspondantde l’Académie nationale
de médecine,officier
de l’ordre national du Mériteet des Palmes académiques.
survenu à Paris,à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
La cérémonie religieuse a eulieu dans l’intimité familiale,au cimetière du Montparnasse,Paris 14e.
Edith,son épouse,
Sonia,sa fille,
Bertrand,son filset son épouse, Valérie,
Théo,son petit-fils,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
Antonin PAVLIK,ingénieur diplôméde l’Ecole Centrale,docteur en chimie,
survenu au Cannet,le 25 février 2020,à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
D’origine tchèque, Antonin Pavlika fait une brillante carrière dans lachimie en France et à l’international.Polyglotte, grand voyageur, passionnéd’art et de sport, il laisse derrière luile souvenir de son généreux sourireet de son ouverture d’esprit.
Ses obsèques auront lieu à Cannes,le mardi 3 mars, à 14 heures, àl’Athanée et à 15 h 30, au crématorium.
[email protected]@orange.fr
Sa famille
a la douleur d’annoncer le décès de
M. Bruno SCARAMUZZINO,homme de Lettres,d’Art et de Parole,
qui a marqué le mondede la communication
et tous ceux qui l’ont rencontré,
survenu à Marrakech,le 21 février 2020,à l’âge de soixante ans.
La cérémonie religieuse se tiendraen l’église Saint-Jean-Baptiste, deSceaux, le mardi 3 mars, à 14 h 30.Elle sera suivie d’une soiréecommémorative au Loft familialde Cachan, à partir de 17 heures.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Henri Paul,président du Conseil des ventesvolontaires de meubles aux enchèrespubliques,
Les membresEt le personnel du Conseil des
ventes,
très émus par la disparition de
François TAJAN,membre du Conseil des ventes,
adressent leurs plus sincèrescondoléances à sa famille et à sesproches.
Anniversaire de décès
Hélène NAUDY,1969 - 2017.
A jamais en nos cœurs.
« Écoute le vent ».
Souvenir
Mon Nico,
voilà trois ans que tu manquesà l’appel du 3 mars. L’écho de tonéclat de rire ne faiblit pas.
Virginie.
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20 | CULTURE MARDI 3 MARS 20200123
Mathias Malzieu, jamais sur « pause »Le chanteur de Dionysos publie un nouvel album et sort un film tiré de son roman « Une sirène à Paris »
PORTRAIT
D e O +, il est devenu A –.Il a changé de sang aupassage d’une greffede la moelle osseuse,
qui l’a sauvé. Sa tignasse de rouquin s’est piquée de sel et il a laissépousser une barbe de lutin, allant en skateboard électrique traquer le merveilleux dans les forêts norvégiennes. Mais de peau, il n’a paschangé : à 45 ans, le bondissant chanteur de Dionysos continue demettre le public debout dès qu’il embrase une salle. « Je ne refuse pas de vieillir, ditil, même s’il y a une petite peterpanerie làdedans : le constat qu’on conserve une part d’enfance. »
Il se confie en plantant sa fourchette dans un burger de luxe dont il a fait tout retirer, sauf le steak et le pain. Autant pour la cuisine fusion de ce restaurant branché : « Je mange comme un enfant de 5 ans. Pas anorexique, je suis gourmand, mais j’ai un plaisir fou àdéguster des coquillettes au beurre.C’était terrible pour ma mère qui était un cordonbleu. On a mis ça sur le compte de mon hypersensibilité : l’ouïe, les odeurs… tout est hyperdéveloppé chez moi. »
On confirme : hyperactivité. Mathias Malzieu ne revient pas seulement avec un nouvel album, Surprisier, une tournée, mais aussi avec un film, Une sirène à Paris, ensalle le 10 mars, tiré du livre éponyme (Albin Michel, 2019). « Cen’est pas un concept, c’est instinctif,se défendtil. Je déroule un fil,comme le contrecoup joyeux du retour à la liberté après l’hôpital. » Le fil, c’est cette sirène échouée au pont des Arts, qui sort de sa mélancolie un homme brisé par un chagrin d’amour.
« Comme des gares géantes »« D’abord il y a l’écriture, qui est un studio portatif, racontetil. J’aime mon siège en forme d’œuf dans lequel j’écris. J’aime les nids. Après vient l’envie d’écrire des chansons ou d’imaginer un film : c’est commeun livre en popup dont les personnages sortent en chair et en os,poursuitil. Mais, du coup, mes nuits sont comme des gares géantes, pleines de trains, avec un toujours prêt à partir au moment où il faudrait éteindre la lumière. Chezmoi, c’est le bouton pause qui n’est pas très fonctionnel. »
« Il est “l’homme volcan”, confirme Lisa, sa sœur aînée. Comme le petit garçon toujours en éruption, toujours allumé, et prêt à exploser, qu’il décrit dans le livre numérique qu’il a publié en 2011. »
Montéléger (Drôme), à côté deValence, face au massif du Vercors.Des conifères partout. Un père ingénieur qui parcourt le monde, et une boîte à cigares dans laquelle legamin amasse un trésor de pièces de monnaie du monde entier. Un mètre soixantesix virgule cinq. Les centimètres ont leur importance. L’enfant se rêve. Il joue au tennis, au football. « C’est un habile
jongleur entre le réel et la réalité qu’il se construit, ajoute sa sœur, psychologue scolaire dans l’Aude. Mais avoir une pensée fantaisiste n’en fait pas un être fantaisiste. Il est fiable, raisonnable et, pour lui, que beaucoup de choses agressent, l’imaginaire est un refuge. »
Après le bac, le voici étudiant encinéma à Montpellier. C’est là qu’ildécouvre « tout en même temps », racontetil. « La beat génération,Nirvana, Pixies, Sonic Youth et le Velvet Underground, le cinéma de Jarmush, de Kaurismaki et Star Wars – et j’aime autant Kaurismakique Spielberg. » Là qu’il commenceà écrire des histoires, à tourner en super8 et qu’il crée un groupe : Dionysos. « J’avais lu La Naissancede la tragédie, de Nietzsche, en terminale. Ça me plaisait : la sauvagerie joyeuse. Et puis en lisant Personne ne sortira d’ici vivant, la biographie de Jim Morrison, je découvre sa fameuse discussion avec Ray Manzarek sur la plage de Venice, où ce dernier propose d’appeler leur groupe Dionysos. Comme ils ont finalement choisi The Doors,moi, je l’ai pris. » Il en sourit encore.Un quart de siècle plus tard, hormis le bassiste, qui est parti, ce sont les mêmes qui l’entourent.
« Je cherche moins la syncope,rassuretil. A 30 ans, si je ne me faisais pas mal sur scène, à en avoir envie de vomir, j’avais l’impression que je ne méritais pas d’être là. La question de l’intensité est toujours
là, mais je calibre un peu mieux. » Entretemps, il y a eu la maladie.
Mathias Malzieu a déjà sept albums et trois romans à son actif lorsque s’achève la tournée « Bird n’Roll », en 2012. Lui qui a fait du réalisme magique, façon Haruki Murakami, son vademecum créatif (« Pour faire fonctionner des métaphores qui utilisent le conte, les animaux ou des créatures mythologiques, il faut que la métaphore soit en prise avec le réel, sinon elle ne sert à rien »), il découvre que, parfois, la réalité dépasse le procédé. Son deuxième roman, La Mécanique du cœur (Flammarion, 2007), était ainsi une histoire de greffe, le suivant, Métamorphoseen bord de ciel (Flammarion, 2011), avait pour héros Tom Hématome Cloudman, le plus mauvais cascadeur du monde, qui se faisait mal quand il tombait ; quand il se retrouve à l’hôpital, on lui découvre une maladie grave. « Quand je termine la tournée en 2012 avec un
claquage à chaque mollet, c’est là qu’on repère ma maladie et qu’on me dit il faut aller en… hématologie. Chambre stérile, congélation des spermatozoïdes, j’ai vécu ce quej’avais écrit. » Il soupire : « C’est entre l’amusant et le troublant… »
Diagnostic : aplasie médullaire.« Un bug des anticorps qui confondent la moelle osseuse avec un virus. Du coup je m’autodétruisais. » Au bout de mois d’hospitalisation,on lui fait une greffe à partir de liquide placentaire congelé, qui va régénérer ses cellules. Aujourd’huiil est remonté sur ressorts. « Les gens ont envie d’entendre que la maladie m’a amélioré. Alors que, pour moi, la beauté de ma guérison, c’est d’être retombé dans mes travers. Ça veut dire que j’ai rejoint le clan des vivants. Sinon, je seraisdevenu une espèce de moine, Bouddha ?… Ça aurait pu être génial, mais ce n’est pas moi. Je suis unathée qui aimerait croire au magique, pour la poésie des choses. »
Blessure amoureuseIl vénère Walt Whitman, adore Richard Brautigan et Roald Dahl, rêve des Marquises de Jacques Brel,qui disait, rappelletil : « Le talent, c’est d’avoir envie de faire quelque chose », et est intarissable sur BorisVian, dont il parraine cette année le centenaire. « L’Ecume des jours,c’est le livre qui m’a donné envie de lire et d’écrire. » On pense à l’usage des métaphores qu’il affectionne et au nénuphar qui pousse dans le poumon droit de Chloé, dans le livre de Boris Vian. Du sac de notre « raconteur d’histoires » jaillissent mille projets : le récit de son voyage à vélo pour rallier Düsseldorf, où vit celle qui lui a donné son placenta, sa « maman biologique numéro deux », comme il dit, lui qui a perdu la sienne en 2003. Ou l’histoire de son Alsacien de père, passant la frontière allemande, enfant, caché dans une charrette de foin.
« On a un énorme défaut, on esttrès nombrilistes, s’amuse son copain Joann Sfar, qui lui a offert sonpremier ukulélé. Quand on se voit, il parle de lui, et je parle de moi… Çatombe bien parce que j’aime bien l’entendre parler de lui. »
Pas besoin d’aller chercher loinpour comprendre que, derrière Nicolas Duvauchelle, dans Une si
rène à Paris, se cache Mathias Malzieu, ou que la blessure amoureuse dont le héros n’arrive pas à guérir n’est autre que sa séparation d’avec la chanteuse Olivia Ruiz, dont il a partagé la vie pendant huit ans (« Quelqu’un d’extraordinaire que j’aimerai toujours »). Que la sirène ellemême, enfin, estla femme qui l’a accompagné à travers maladie et renaissance. « Un caractère opposé à Olivia, très réservée, que j’ai aimée très différemment, mais tout aussi fabuleuse…
En mai 2019, au Musée des arts forains, à Paris. YANN ORHAN
« A 30 ans, si je neme faisais pas mal sur scène,
à en avoir enviede vomir, j’avaisl’impression que
je ne méritais pasd’être là »
et qui m’a quitté pendant le tournage, cet été, alors que la sirène c’était elle. » Sa vie comme une perpétuelle mise en abyme. Il laisse latristesse filer dans ses entrailles, etrécupérant son sourire, haussant les épaules, glisse : « Je la comprends. Je suis dur à suivre, même par moimême. »
laurent carpentier
Tournée : à partir du 27 mars. Une sirène à Paris, en salle le 10 mars.
transformer ses rêves en réalité et rythmersa vie d’émerveillements à offrir en bouquets,Mathias Malzieu en a fait un métier, qu’il a baptisé « surprisier ». Il en a fait l’apprentissagedans la seconde moitié des années 1990, au sein d’un groupe de rock, Dionysos, fondé avec ses potes de Valence (Drôme), laissant d’abord les idées éclater avec une liberté anarchique. Plus conteur, sans doute, que songwriter, le chanteur s’est ensuite mis à dompter ses pulsions surréalistes à travers des histoires capables de transcender des épreuves (la mort de sa mère, sa propre maladie) ou de magnifier unvécu (son histoire d’amour avec la chanteuseOlivia Ruiz) sur la durée d’un album, d’un roman, d’un film, voire des trois en même temps.Quatre ans après Vampire en pyjama, déclinaison musicale de son livre Journal d’un vampire en pyjama (Albin Michel), sort Surprisier, peu
plé des personnages et décors de son roman Une sirène à Paris et du film du même nom.
Difficile, pourtant, à l’écoute du 9e album deDionysos, d’identifier une trame narrative. Le disque éclate plutôt en un feu d’artifice de minicomédies musicales, brassant les multiples références du sextet depuis sa création. Hiphop et musique de western (Paris brilletil ?), cocktail hawaïen (Une sirène à Paris) ou chicano(Les Filles barbelées), guitares à vif du grunge (All the Pretty Waves), guitare folk (Le Grand Sapin)… Malzieu et sa troupe tirent de leur pochettesurprise mille cadeaux emballés de cuivres et de cordes rutilants. Même s’il n’est pastoujours facile de suivre et de s’identifier à la fantaisie frénétique de cet éternel Peter Pan.
stéphane davet
Surprisier, 1 CD Columbia/Sony
« Surprisier », un album à la fantaisie frénétique
CinémasLe Balzac
Le Christine
Le Max Linder
Le Studio 28
et Le Centre spirituel
et culturel
orthodoxe russe
Le Max Linder
6e FESTIVAL DU FILM RUSSE
PARIS ET ILE-DE-FRAN
CE
2-9MARS 2020
Quand
les Russesétonnentétonnentétonnent
nous
Когда Русские нас у
дивляют
En présence
de Serguei Bodrov e
t
AlexandreSokourov
www.quandlesrusses.com
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0123MARDI 3 MARS 2020 culture | 21
Le Louvre creuse encore à SaqqaraLe sérapéum, nécropole du dieutaureau Apis, en Egypte, n’a pas livré tous ses secrets
ARCHÉOLOGIE
V incent Rondot en rêvaitet, avec lui, tout le département des antiquités égyptiennes du
Musée du Louvre, qu’il dirige. « C’est sidérant, d’avoir la possibilitéde réaliser un tel programme !, s’exclametil, tout feu tout flamme. Prendre la succession de Mariette, cela nous ramène aux origines de l’archéologie scientifique en Egypte, et cela n’a pas de prix. Le siteluimême est un des lieux mythiques de l’archéologie égyptienne. » Ce cri du cœur résume l’émotion, mais aussi le stress, à la veille du départ pour Le Caire, comme l’impatience, de rouvrir les fouilles du sérapéum de Saqqara, sur les traces de son découvreur, Auguste Mariette (18211881).
Après trois années de négociations avec le ministère des antiquités égyptien, Vincent Rondot a donc reçu le feu vert pour la reprise des fouilles dans les petits souterrains du sérapéum, arrêtées net en 1854, dans l’urgence. Ces galeries creusées dans une veine calcaire de mauvaise qualité avaient cédé sous le poids du sable, et les plafonds effondrés obligèrent Mariette à interrompre les travaux. En 1985 et 1986, l’archéologue égyptien Mohammed Ibrahim Ali,alors responsable du site, avait repris à son tour la fouille, avant d’être de nouveau stoppé par les infiltrations de sable impossibles àmaîtriser. Vincent Rondot a mis enplace un mécénat de compétencespour consolider les plafonds avec Vinci Construction Grands Projets,qui travaille au Caire à la construction du métro.
Sur la route de MemphisLa fragilité du sérapéum dit lacomplexité du chantier à venir,auquel se prépare Vincent Rondot, avec Hélène Guichard, conservatrice en chef, son adjointe auLouvre, familière du sérapéum deSaqqara, et Mohammed Ibrahim Ali, associé à ce nouveau défi. Unprojet ambitieux, réalisé en collaboration avec les universités de Lille et Ain Shams d’Héliopolis(Egypte), et l’Institut français d’archéologie orientale du Caire. Début mars, toute l’équipe sur place commencera à dégager la porte et le chemin d’accès, afin delocaliser les orifices par lesquels lesable s’infiltre. Un chantier d’une quinzaine de personnes, auxquelles s’ajoute une quarantaine d’ouvriers égyptiens. De Mariette
restent les croquis des petits souterrains. Les deux tiers de ces galeries sont encore à fouiller.
Envoyé en Egypte par le Louvre,le jeune Mariette, qui devait sa passion pour l’égyptologie à la momieexposée à BoulognesurMer, sa ville natale, deviendra « directeur des travaux d’antiquités en Egypte », nommé à ce poste par le viceroi d’Egypte, Saïd Pacha. En 1850, il mettra au jour, à Saqqara, la fameuse nécropole des taureaux sacrés, évoquée par l’historien grec Strabon. Y était honoréen grande pompe le taureau Apis, bovin géant momifié, considéré de son vivant comme l’incarnation terrestre du dieu Ptah, le créateur, « celui qui donne forme ».
Suivant la description du sérapéum par Strabon, Mariette va repérer dans le désert l’allée des sphinx à tête humaine, ou dromos. Le complexe luimême, avec temple, enceinte, chapelles et tombeaux souterrains, a disparu,enfoui sous les sables. Au débutdu XIXe siècle, les savants, embar
qués avec Bonaparte dans l’expédition d’Egypte l’avaient en vaincherché. Mariette le découvrira,cinquante ans plus tard ; il dégage l’allée des grands souterrains aux sarcophages monumentaux taillés et sculptés dans la pierre, qui, aujourd’hui, se visitent. Uneavancée majeure pour la connaissance de l’ancienne Egypte. Car la richesse des tombes en objets funéraires et les innombrables stèles gravées du sérapéum livrent, par le menu, les chroniques royales des souverains et des dynasties, renseignent sur les croyancesreligieuses et sur le fonctionnement de Memphis, la capitale administrative, économique et politique située à la pointe du delta duNil, à 20 kilomètres du Caire.
Plaque tournante stratégique ducommerce de l’Egypte antique, Memphis n’en demeurait pas moins un grand centre religieux, pôle de culture et d’activités intellectuelles. Sa nécropole s’étendra sur la rive ouest du Nil jusqu’à Saqqara. Il resterait 80 % des 25 kilomètres carrés à explorer. « Saqqaraest un piège, observe Vincent Rondot. Chaque fois qu’on creuse, on trouve quelque chose. » La fouille du Louvre, opérée par l’archéologue Christiane Ziegler, au pied de la pyramide de Djoser, a ainsi été refermée en 2007, une fois abouties les recherches permettant de documenter le mastaba exposé aumusée parisien, chapelle polychrome vendue en 1903 par l’Egypte à la France, récemment
restaurée grâce à une campagne de dons. A l’époque, ces ventes officielles étaient une manière pour l’Egypte de pallier les pillages sauvages des trésors enfouis.
Opulent trousseau funéraireLe sérapéum, lui, siège sur lespentes du plateau de Saqqara. Après avoir laissé la pyramide deDjoser derrière soi, il faut partir sur près de 2 kilomètres à traversles sables dans une lumière aveuglante. Dissimulé par les dunes,le sérapéum se fait désirer.
Depuis le Nouvel Empire et lerègne d’Aménophis III (vers 13881349 av. J.C.), grandpère de Toutankhamon, et jusqu’à l’époque ptolémaïque des successeurs d’Alexandre le Grand (33230 av. J.C.), les Egyptiens vénéraient au sérapéum le taureau Apis comme un dieu. Les prêtres étaient chargés de sélectionner les bêtes du cheptel portant les marques divines : triangle blanc sur le front, vautour aux ailes déployées sur l’échine, scarabée sur la croupe. Le jeune élu était alors conduit au
temple de Memphis pour le culte. A sa mort naturelle, momifié, il était placé dans un sarcophage au sérapéum, avec un opulent trousseau funéraire, comme en témoignent, au Louvre, ces grands vases canopes en albâtre où sont recueillis leurs viscères, ces centaines de figurines et innombrables stèles gravées encastrées dans les parois rocheuses des galeries. Ces pièces seront de nouveau présentées en 2021, bicentenaire de la naissance d’Auguste Mariette.
florence evin
La richesse des tombes dusérapéum livreles chroniques
royales des souverains et des dynasties
Le site du sérapéum, isolé dans le désert de Saqqara. Au loin, la pyramide à degrés de Djéser. MUSÉE DU LOUVRE/HÉLÈNE GUICHARD
Coronavirus : des concerts annulésLes salles de plus de 5 000 personnes sont concernées
L a mesure a été annoncée,samedi 29 février, à l’issued’un conseil des ministres
extraordinaire : l’annulation, en raison de l’épidémie de coronavirus, des rassemblements de plusde « 5 000 personnes en milieuconfiné ». Ce qui, dans le domaine de l’industrie du spectacle et des concerts, devrait avoir un impact sur les près de cent salles même sinombre d’entre elles peuvent aussi avoir des configurations inférieures.
Ainsi la compétition de dansehiphop, dimanche 1er mars, à l’AccorHotels Arena, à Paris (capacité d’accueil maximale, 20 000 personnes), a été maintenue, maissans être ouverte au public. Pourle chanteur Gims, pas de concertle 7 mars, au Zénith de NantesMétropole (9 000 places), qui affichait complet, et celui du Zénith d’Orléans (6 900 places), le 8 mars, devrait être reporté selon La République du Centre. En revanche, celui du 10 mars, à la Halle TonyGarnier, à Lyon
(17 000 places), figurait toujours, dimanche soir, au programme.
L’évolution possible des directives gouvernementales, à la baisseou à la hausse, incite les responsables de salles et les producteurs àne pas décider trop vite d’une annulation, qui ouvre droit à remboursement, quand des solutionsde report à une autre date ne sontpas possibles.
Annonces au jour le jourLes annonces devraient donc se faire au jour le jour et le plus tard possible. Par exemple, La Nuit de la Bretagne, prévue samedi 7 mars dans la plus grande salle deFrance, Paris La Défense Arena, àNanterre (40 000 places), était dimanche toujours à l’affiche etouverte à réservation. Idem pour les concerts à l’AccorHotels Arena de Ninho, prévu le 12 mars, Tryo, le 13, et M Pokora le 14.
Sur certains sites de salles, desmessages préviennent que la situation pourrait toutefois changer. Sur la page d’accueil du
Zénith de Paris (6 290 places) il estindiqué « sous réserve d’éventuelles évolutions à venir dans les mesures gouvernementales relatives aux lieux recevant du public, aucun concert ne sera annulé dansles 15 prochains jours ».
Pourquoi 5 000 et pas 4 500, ou2 000 voire 1 000, comme l’a décidé l’Office fédéral de la santé publique suisse, vendredi 28 février, mesure qui pour l’heure court jusqu’au 15 mars ? Des « recommandations de scientifiques » auraient été évoquées, sans plus de précisions. C’est pourquoi le Prodiss, le syndicat national qui regroupe les producteurs, diffuseurs, salles et festivals, dans uncommuniqué diffusé le 29 février,demande « urgemment au gouvernement qu’il nous fasse connaître le texte officiel donnant le cadrede la mise en œuvre de cette décision d’annulation » et que soit rapidement organisée « une réunion de crise avec les ministères dela santé et de la culture ».
sylvain siclier
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22 | culture MARDI 3 MARS 20200123
Une Berlinale plus audacieuseque son palmarèsLe jury présidé par Jeremy Irons a attribué l’Ours d’or à « There Is No Evil », film de l’iranien Mohammad Rasoulof
L e nouveau directeur artistique de la Berlinale, l’italienCarlo Chatrian, ancien « pa
tron » de Locarno, voulait marquer les esprits pour cette édition des 70 ans. La mission est accomplie avec une compétition riche, mêlant jeunes auteurs et cinéastes identifiés (Abel Ferrara, Philippe Garrel, Tsai Mingliang, Philippe Petzold…). La 70e édition de laBerlinale s’est pourtant achevée sur un palmarès déconcertant, samedi 29 février, consacrant les« grands maîtres » plus que la nouvelle génération, alors que celleci était porteuse de récits puissants, aux formes audacieuses.
Le jury présidé par Jeremy Ironsa attribué l’Ours d’or à There Is No Evil du cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, fresque en quatre volets sondant la culpabilité de l’âme humaine. Absent de Berlin, le réalisateur est interdit de tournage par le pouvoir iranien depuisplusieurs années. Il réussit tout demême à réaliser ses films – Au Revoir, Les manuscrits ne brûlent pas,jusquelà sélectionnés à Cannes – souvent sans autorisation de tournage. Le jury berlinois sembleavoir été sensible aux questionsexistentielles soulevées par There is No Evil : l’enfermement, le dilemme, la peine de mort… Mais cefilm à la mise en scène démonstrative, où le poids de l’intrigue offre trop peu d’espace aux comédiens, n’était pas le plus passionnant de la compétition.
Par comparaison, The WomanWho Ran, qui a valu à Hong Sangsoo l’Ours d’argent du meilleur réalisateur, relève de la catégorie « poids plume », tant pour sa durée (1h17), son minimalisme et son humour désopilant. Sur une ligne de scénario très courte, une jeune femme dont le mari est
parti en voyage rend visite à ses amies, le cinéaste coréen distille sa mélancolie de l’époque.
Le Grand Prix du jury a été décerné au film indépendant américain sur l’avortement Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman, l’une des rares nouvelles têtes récompensées. Deux jeunes filles (Sidney Flanigan et TaliaRyder, excellentes) issues d’unepetite ville font le périple en car jusqu’à NewYork, afin que l’une d’elles puisse mettre un terme à sa grossesse. Ce roadmovie, filmé comme du cinéma direct, met à l’épreuve les deux adolescentes en quête d’émancipation.
Nouveaux visagesReprésentants d’une autre « nouvelle vague », plus sulfureuse, les frères Fabio et Damiano D’Innocenzo ont décroché le prix du meilleur scénario pour Favolacce (Bad Tales), l’un des chocs de lacompétition : dans une banlieuepavillonnaire, où le monde desadultes leur paraît définitivement inhabitable, des enfantsprennent une décision radicale…Saluons aussi le prix du meilleur premier long métrage attribué à Los Conductos, de CamiloRestrepo, un essai graphique sur la violence en Colombie. Ce film était sélectionné dans la nouvelle section « Encounters », dans laquelle Carlo Chatrian a choisi des films intrigants et novateurs.
Cette édition donna lieu à desperformances d’acteurs remarquables : l’Ours d’argent de la meilleure actrice est allé à PaulaBeer, l’héroïne d’Ondine deChristian Petzold, film très poétique mais un peu bancal qui revisite le mythe de la sirène ; Elio Germani a été sacré meilleur acteur dans Hidden Away de Giorgio
Diritti, l’histoire d’un migrant italien, déficient mental, qui va seréaliser dans la peinture.
La mort annoncée, ainsi que levertige de sociétés ne décelant plus le bien ou le mal, auront été les thèmes dominants de cette édition. Le cambodgien Rithy Panh a renouvelé sa palette avec un film d’archives à la lisière des arts plastiques, Irradiés, couronné du prix du documentaire. La jubilation féroce d’Effacer l’historique, à l’heuredes réseaux sociaux, a également conquis le jury, lequel a décerné à Benoît Delépine et Gustave Kervern l’Ours d’argent. Parmi les films injustement oubliés, citons Rizi (Days) de Tsai Mingliang, avecl’une des plus belles et intrigantes scènes d’amour vues au cinéma.
Enfin, le prix attribué au collectif russe DAU – Ours d’argent pourle directeur de la photographieJürgen Jürges – ne manquera de faire débat. Question : fautil rejouer les horreurs des dictatures, au motif de les dénoncer ? Au départ, DAU fut un spectacle immersif dévoilé à Paris en 2019. DAUNatasha, coréalisé par Ilya Khrzhanovsky et Jekaterina Oertel, revisite l’histoire du prix Nobel de physique russe Lev Landau (19081968), confronté aux grandes purges sous Staline.
Le film a été tourné en Ukraine,dans le décor de la cité scientifiquereconstituée : Jürgen Jürges filme en direct une relation sexuelle entre la serveuse de la cantine et un scientifique. Suite à quoi la femme,accusée d’avoir couché avec l’ennemi, subit un interrogatoire des plus dégradants. DAU a d’autres films « en soute » et attend de savoir si des festivals comme Cannesou Venise se montreront aussi accueillants que la Berlinale.
clarisse fabre
Les fractures du cinéma français aux CésarsLe prix attribué à Roman Polanski a provoqué une vague de soutiens à l’actrice Adèle Haenel
C ette seule image de la45e cérémonie des Césars a balayé toutes lesautres : Adèle Haenel et
Céline Sciamma quittant la SallePleyel à l’annonce de la remise duCésar de la meilleure réalisation àRoman Polanski, suivies par quelques dizaines de personnes, parmi lesquelles l’actrice Aïssa Maïga, qui a expliqué au Monde avoir été bouleversée par la victoire de Roman Polanski : « J’étais terrassée, effrayée, dégoûtée, dans mes tripes. J’ai pensé à toutes ces femmes qui voient cet homme plébiscité et je pense à toutes lesautres, ces femmes victimes de viol et de violences sexuelles. »Déborah François, Sara Forestier,Laure Calamy, Mati Diop, toutes présentes Salle Pleyel, ont elles aussi déploré la situation.
Le geste d’Adèle Haenel, quitterla salle, est venu acter cettefracture profonde dans le milieu
du cinéma français qui, depuis plusieurs années, se divise sur cette question : « Fautil honorer Roman Polanski et lui décernerdes prix ? » Si l’Académie des Césars a répondu oui, de nombreuses voix s’élèvent depuis vendredi pour soutenir Adèle Haenel. A quelques rares exceptions – Swann Arlaud qui a jugé « assez incompréhensible » le choix desCésars –, les réactions d’indignation à cette distinction sont massivement venues des femmes : elles ne représentent que 35 % ducollège des votants de l’Académie.
« Ça pue dans ce pays »Parmi les voix qui se sont élevées (Virginie Despentes, Adèle Exarchopoulos, Christine and the Queens, Elodie Frégé…), nombreuses sont celles des femmes qui ont dénoncé des violencessexuelles. L’Américaine Rose McGowan, qui fut l’une des pre
mières à témoigner contre Harvey Weinstein, a apporté son soutien public à la réalisatrice et à la comédienne française, sur Twitter : « Chère Adèle et Céline, je sais ce que cela signifie d’être seul et depoursuivre ce qui est juste. (…) Allezy foncez ! » L’économiste Sandrine Rousseau, élue Europe EcologieLes Verts, présidente de l’association Parler qui soutient des victimes de violences sexuelles etqui a été l’une des premières femmes politiques à dénoncer le harcèlement sexuel dont elle a étévictime, a également apporté sonsoutien à la comédienne. Andréa Bescond, réalisatrice du film Les Chatouilles, qui raconte les viols dont elle a été victime enfant, alonguement réagi sur son compte Instagram : « Je me reconnais dans les mots de Swann [Arlaud], dans les départs précipités et empreints d’une immense colère d’Adèle, Noémie et Céline [Haenel, Merlant, Sciamma, actrices et réalisatrice du Portrait de lajeune fille en feu], alors tout n’est pas perdu ! A ceux qui publient en faveur de Polanski, (…) ne restons pas en contact, nos discussions seraient stériles, toxiques et chronophages, je n’y tiens pas. »
Dans ce climat très tendu oùchacun doit choisir son camp, lecomédien Gilles Lelouche a dûpublier une mise au point après avoir reçu des messages hostiles : « C’est mon ami Jean Dujardin quej’ai soutenu et pas Polanski. Je suis,comme beaucoup, choqué qu’on ait pu lui donner ce Césarlà cetteannéelà, comme je le suis des rac
courcis et amalgames qui se fontaujourd’hui. » Demeurés discrets après avoir annoncé qu’ils ne participeraient pas à la cérémonie,les membres de l’équipe de J’accuse ont peu réagi à l’annonce du prix, seul Jean Dujardin a multiplié les publications sur Instagram. La dernière en date supprimée depuis le montrait dans un aéroport parisien portant unmasque chirurgical. La légende : « Je me casse, ça pue dans ce pays. » Sur le même réseau social, l’actrice Emmanuelle Seigner, épouse de Roman Polanski, a dénoncé les « mensonges de folles hystériques en mal de célébrité » avant de fermer son compte.
« On se lève. On se casse »Adèle Haenel, elle, s’est exprimée dans Mediapart au lendemaindes Césars, résumant ainsi la soirée : « Ils voulaient séparer l’homme de l’artiste, ils séparent aujourd’hui les artistes dumonde. » Une formule qui fait écho aux origines de l’indignation suscitées par ce prix : le sentiment pour beaucoup que les
voix des victimes n’ont pas été écoutées par les votants.
« Si vous tenez tant vous aussi àce que le cinéma reste une fête ne violez pas, ne touchez pas les fesses, les seins, les cuisses des femmes qui n’ont pas exprimé leurconsentement, écrit Marlène Schiappa, dans une tribune à la liberté de ton rare, publiée dans Libération. Vous ne voulez plus de cris, de manifestations, de scandales, de départs de la salle ? Soutenez les femmes. (…) Ne couvrez pasceux qui sont accusés de viols. » Franck Riester, le ministre de la culture, a lui aussi déclaré sur Europe 1 regretter le mauvais signal envoyé par cette récompense « à un moment où la chape de plomb sur ces agressions sexuelles etsexistes est en train d’exploserdans notre pays ».
Après #metoo, qui encourageaitla prise de parole des femmes, beaucoup aimeraient voir ce geste, « quitter la salle », se diffuser. Partir pour marquer son inflexibilité et sa colère. Virginie Despentes, dans un texte publié par Libération dimanche 1er mars, prend la parole au nom de celles qui ont exprimé leur indignation :« Vous avez le pouvoir et l’arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire.. (…) C’est terminé. On se lève. On se casse. On vous emmerde. »
Du côté des associations féministes, la colère, très vive, sembleremobiliser. Le collectif NousToutes appelle à se rassemblerdimanche 8 mars.
zineb dryef
Les réactions d’indignation
à cette distinction sont
massivement venues
des femmes
CINÉMA« Invisible Man » en tête du box-office nord-américainLes spectateurs sont allés nombreux voir Invisible Man dans les salles des EtatsUnis et du Canada, ce weekend, propulsant le longmétrage avec Elisabeth Moss à la tête du boxoffice nordaméricain. Le film, adapté du célèbre livre de H. G. Wells, a engrangé 28,9 millions de dollars de recettes de vendredi à dimanche, selon des chiffres provisoires publiés dimanche 1er mars par Exhibitor Relations. A la deuxième place, on retrouve Sonic, le longmétrageconsacré à la boule bleue du groupe japonais Sega, célèbre personnage de jeux vidéo, avec 16 millions de dollars (128,2 millions en trois semaines). – (AFP.)
DISPARITIONMort de l’organiste Odile PierreL’une des grandes organistes du XXe siècle, la Française Odile Pierre, est morte samedi à quelques jours de ses 87 ans, a indiqué, dimanche 1er mars, son mari, Pierre Aubé,à l’AFP. « Elle était la dernière élève de Marcel Dupré [pédagogue et compositeur décédé en 1971], avait eu des élèves dans le monde entier et avait donné 2 000 récitals sur tous les continents », atil déclaré. Odile Pierre avait notamment été titulaire des orgues de l’église de la Madeleine à Paris de 1969 à 1979. C’est un récital de Marcel Dupré, à Rouen, auquel elle avait assistéà l’âge de 7 ans, qui l’avait convaincue de devenir organiste. – (AFP.)
La colère acide de Virginie Despentes« Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des Césars élise Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotes-que, c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un téléfilm, le message est dans le budget. » Dans une longue tribune publiée dimanche 1er mars sur le site de Libération, la romancière Virginie Despentes s’en prend au milieu du cinéma après le prix attribué à J’Accuse. « Vous serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. »
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0123MARDI 3 MARS 2020 télévision | 23
HORIZONTALEMENT
I. Son chapeau jaunâtre est pourvu d’aiguillons. II. Attribuées. Méfiez-vous s’il vous veut du bien. III. Facilitent la mise à l’eau des petits bâtiments. Amérindiens du Colorado. IV. Laisse sur place. Comme une chevelure dense et frisée. Bas de gamme. V. Grecs les pieds dans l’eau. Armé-nienne, aujourd’hui en Turquie. VI. Donné par le hautbois. Personnel. Prenait en note. VII. Blonde au pub. Région de l’Asie Mineure. A sa clef. VIII. Son droit facilite l’admission. Le Français était cinéaste, l’Anglais sculpteur. IX. Tête en l’air et de linotte. Entrent en cassation. X. A l’art de ne rien simplifier.
VERTICALEMENT
1. Son grand chas facilite la mise en place des élastiques. 2. S’oppose aux textes établis. 3. Usé jusqu’à la corde. Tête dangereuse pour le navigateur. 4. Chargées pour atteindre le maxi-mum. Marque un temps d’hésitation. 5. A rendre. Sur une carte asiatique. Grande voie. 6. En fin de matinée. Carte majeure. Capitale avant Tokyo. 7. Compagne bien familière. Lavande de Provence. 8. Ecarter comme un éleveur d’huîtres. 9. Points en opposi-tion. Fêté en Asie. 10. Petite enclume. Cours du Nord. Point du jour. 11. Club phocéen. Fondis dans un tout. 12. Vibrante et clignotante pour protéger de la lumière.
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HORIZONTALEMENT I. Allergologue. II. Lait. Rua. NS. III. Traumatismes. IV. Egides. Dièse. V. Ruses. Mers. VI. Ne. Sclérosé. VII. Arc. Lérot. Il. VIII. Nauru. Enéide. IX. Cirons. Névés. X. Etai. Alésera.
VERTICALEMENT 1. Alternance. 2. Larguerait. 3. Liais. Cura. 4. Etudes. Roi. 5. Mesclun. 6. Gras. Le. SA. 7. Out. Mère. 8. Laideronne. 9. Sirotées. 10. Mess. Ive. 11. « Unes ». Eider. 12. Esses. Lésa.
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La tournée d’adieu de l’amiral JeanLuc PicardDernier avatar d’un monde à l’étonnante longévité, « Star Trek : Picard » est le récit émouvant de l’automne d’une vie
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I l ne faut pas penser aux décennies passées depuis la diffusion du premier épisodede Star Trek (8 septem
bre 1966), aux six séries qui ont suivi l’originale, à la douzaine delongsmétrages inspirés de l’univers que Gene Roddenberry a imaginé avant même que – dans le vrai cosmos – l’homme ait mis le pied sur la Lune. Si l’on y pense, onn’aura jamais le courage de se lancer dans Star Trek : Picard, dernier avatar d’un monde à l’étonnantelongévité. A moins, bien sûr, d’en connaître les recoins spatiotemporels, l’éthique et le panthéon. Auquel cas, on se sentira comme chez soi, et l’on n’a pas besoin de larecommandation qui suit.
Aux néophytes, donc : mettezvos pas dans ceux de l’amiral JeanLuc Picard, même si vous êtes incapables de demander une carafe d’eau dans un restaurant Klingon, de distinguer un Romulan d’un Vulcan. Autant qu’une prolongation spectaculaire deschapitres précédents d’une monumentale saga, Star Trek : Picard est le récit mélancolique et étonnamment émouvant de l’automne d’une vie, qui donne à son interprète principal, Patrick Stewart, acteur britannique de
formation shakespearienne, tout l’espace nécessaire au déploiement de son registre.
Chronique galactiqueSir Patrick est né en 1940, son personnage, trois siècles et demi plus tard. L’acteur anobli et l’amiral retiré sur son vignoble français ont néanmoins le même âge. Le premier épisode montre un vieillard dont l’apparente sérénité vole en
éclats à l’occasion de la visite d’unejournaliste qui l’interroge sur son rôle dans le sauvetage d’une population hostile, les Romulans. On sent très vite que l’inactivité pèse au vieux grand homme.
Cet épisode – l’exode des Romulans – trouve sa place dans la chronique galactique commencée avecla première Star Trek. C’est aussi une métaphore à l’usage des temps présents. JeanLuc Picard
(ainsi baptisé par son créateur en hommage aux frères Auguste et Jean Piccard, scientifiques et explorateurs) apparaît comme le survivant d’une génération qui a cru au pacifisme, au progrès scientifique. Contrairement à la plupartde ses contemporains, il est incapable de se résigner à l’échec de cesidéaux. Si bien que lorsqu’une androïde (une « synth ») lui demandede l’aide, l’amiral abandonne vi
gnoble et retraite pour se lancer dans une quête galactique qui est àla fois une tournée d’adieu et un pèlerinage expiatoire.
Celleci fait surgir une foule de figures venues des temps anciens (de la série Star Trek TNG et des films qui en ont été tirés) dans laquelle se glissent des nouveauxvenus : tous portent leur passé comme un fardeau fait de culpabilité et de regrets. Seule la nostalgie vient atténuer ce mal, elle prend à l’écran la forme d’une infinité de références à l’histoire de Star Trek, qui ravira sans doute les fidèles.
On reconnaîtra dans ce numérode jongleur entre présent et passé, entre thèmes philosophiques et pop culture, la patte de l’un des créateurs de la série, le romancier Michael Chabon. Celuici a récemment écrit un beau texte dans le New Yorker, dans lequel il relate lesdernières conversations qu’il a tenues avec son père mourant. Les deux hommes ont parlé de Star Trek. En voyant Picard, on se dit qu’il y a pire thème pour tenter de discerner un sens à la vie.
thomas sotinel
Star Trek : Picard, série crééepar Michael Chabon, Akiva Goldsman, Kirsten Beyer et Alex Kurtzman. Avec Patrick Stewart, Alison Pill, Isa Briones (épisodes de 52 minutes, EtatsUnis, 2020), un nouvel épisode tous les jeudis.
L’acteur britannique Patrick Stewart incarne l’amiral JeanLuc Picard. AMAZON PRIME
Ces « super virus » qui nous menacentEbola, SRAS, grippe H1N1… Arte rediffuse, à la faveur de l’actualité, un documentaire riche et pédagogique
ARTEMARDI 3 - 21H20DOCUMENTAIRE
L’ histoire fait froid dans ledos. En 1996 au Gabon,une bande d’enfants
trouve dans la forêt le cadavre d’un singe, qu’ils rapportent au village. La carcasse de l’animal, infectée par le virus Ebola, contamine les enfants qui tous, ou presque, vont mourir dans les jours qui suivent. Avec neuf décès pour dix infections, ce virus est le plus redouté à l’heure actuelle. Mais
d’autres, tout aussi préoccupants, font régulièrement la « une » de l’actualité : SRAS, MERScoronavirus, grippe porcine… Et, aujourd’hui, le Covid19. Bien que sorti en 2014, donc avant l’apparitionde celuici, le documentaire réalisé par Anne Poiret et Raphaël Hitier n’a rien perdu de sa pertinence, bien au contraire.
Ne pas répéter les erreursLe film propose une enquête scientifique, pédagogique, sur ces « supervirus » qui convoquent, depuis quelques décennies, le spec
tre de grandes épidémies que l’on croyait disparues : peste, variole, grippe espagnole… Déterminée à ne pas répéter les erreurs commises au moment de l’apparition du sida – maladie qui n’a été étudiée et combattue que trop tardivement – la communauté médicale, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé, prend désormais très au sérieux ces virus donton sait désormais qu’ils ne disparaissent jamais, mais restent tapis dans leur hôte – un animal porteursain, souvent une chauvesouris, véritable « réservoir à virus ».
Outre les virus Ebola et coronavirus, le documentaire s’intéresseaux différents types de grippe,dont la dangerosité (indiquée par un N et un chiffre) et la contagiosité (indiquée par un Het un chiffre) varient très fortement de l’un à l’autre. Il montre en outre et sans jugement le rôle de certains milieux (par exemple les grands marchés aux volailles vivantes, très répandus en Asie) et de certaines pratiques alimentaires comme « interfaces » entreles animaux infectés et les êtres humains.
Prévention, recherche, méfiance envers la vaccination, écologie (la déforestation joue un rôlemajeur dans l’expansion de ces virus)… De nombreux aspects sont évoqués au cours des 80 minutes que dure ce film passionnant, y compris les plus sombres, commeles risques de manipulation des virus en laboratoire et leur possible utilisation malveillante.
audrey fournier
Epidémies, la menace invisible, réalisé par Anne Poiret et Raphaël Hitier (Fr., 2014, 83 min).
V O T R ES O I R É E
T É L É
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24 |styles MARDI 3 MARS 20200123
l’esprit des lieuxL’Unesco pour Loewe et ses silhouettes volumineuses, la Garde républicaine pour le vestiaire aux lignes épurées d’Hermès, la Cité du cinéma pour le show Balenciaga, mêlant tenues monacales et tailleurs sexy… le spectacle continue à la Paris Fashion Week
MODE
A la Paris Fashion Week, la fin de semaine a été marquée par les défilés de marques d’envergure, quise donnent les moyens de leurs
ambitions en prenant possession de lieux symboliques de la capitale.
Vendredi 28 février au matin, Loewe conviedans le 7e arrondissement au siège de l’Unesco, le bâtiment emblématique des années 1950, dans un espace bas de plafond. Tant mieux, car on se concentre ainsi sur le superbe parquet peint en damier noir et blanc rythmé d’une touche or, qui s’avère un bon avantgoût de la collection très aboutie. « Ça fait plusieurs saisons que j’ai envie dejouer avec les volumes, explique Jonathan Anderson. La dernière fois, je m’étais concentré sur les hanches. Là, j’ai exagéré les manches, élevé les encolures, juxtaposé des tissus qui n’ont rien à voir. J’ai eu envie de proposer un vestiaire qui en jette. » Cette robe en jacquard de soie émeraude brodée de lurex où s’insèreun plastron en coton noir est une réussite ; tout comme celle où l’étoffe converge vers unaplat de porcelaine (du céramiste japonais Takuro Kuwata) qui s’étale comme une flaquesolide au milieu du ventre.
Il y a aussi ces robes aux imprimés lumineux dont les manches semblent gonflées d’air, et ces manteaux d’officier aux proportions parfaites. Jonathan Anderson, qui se disait « vulnérable à l’idée de tester des choses dont [il] ne savai[t] pas si elles allaient [l]’emmener là où [il] voulai[t] aller » peut êtrerassuré.
Le soir, le gratin mondain se presse sous latente noire Celine montée sous le dômedoré des Invalides. Comme toutes les grandes marques, Celine invite des actrices (Isabelle Huppert, Mélanie Laurent…), mais aussi des musiciens dont les noms évoquentles deux dernières décennies de pop indépendante, de Phoenix à Clara Luciani. C’estla marque de fabrique d’Hedi Slimane, qui a toujours lié étroitement mode et musique. Cette saison, il revient à la Française SofiaBolt de composer la bandeson. Pour ha
biller le podium, une immense installation lumineuse et clignotante reproduit le logodouble C de Celine.
En termes de style, Hedi Slimane reste fidèle à ses valeurs : la collection est unisexe, lacabine mixte, les silhouettes lisibles et désirables, oscillant entre les codes bourgeois(jupesculottes, blouses à lavallière…) et ceuxdu rock (blouson cuir, pantalon slim, bottines). Ce vestiaire du quotidien est émaillé dequelques pièces couture extraordinaires à l’instar d’une robe brodée d’or et incrustée de pierres. Une manière de rappeler que Hedi Slimane est aussi à l’aise dans l’extrêmesophistication.
Le lendemain, Hermès, fidèle à son héritage équestre, a donné rendezvous à laGarde républicaine, où on est accueilli parune forêt de barres d’obstacles hérissées sur la moquette immaculée. Leurs couleursblanche, bleue, rouge et jaune préfigurent lespremières silhouettes du show. « Le cœurd’Hermès, ce sont les camel, ces bruns boisés. Cette foisci, je voulais y inclure une palette qui fait référence aux tableaux d’Ellsworth Kelly », explique Nadège VanheeCybulski,qui s’est aussi inspirée de l’œuvre de Jacob Lawrence, artiste afroaméricain qui a beaucoup peint les gens d’Harlem en associaient les couleurs primaires au brun. Ici, les carrés de soie se transforment en robes monochromes émeraude ou saphir ; en chaloupant, lesplis multicolores d’une jupe deviennent un tableau en mouvement.
L’autre marque de fabrique d’Hermès, c’estla virtuosité technique que l’on retrouve dans des robes plissées en cuir où sont intercalées des bandes de maille pour que le tissu soit plus léger. La créatrice n’a pas oublié quelques goodies au fort potentiel commercial, comme ces pulls où le col roulé est percépar deux encoches permettant de faire passer son carré et le nouer plus facilement. « Je cherche le purisme, la ligne parfaite dans les formes », affirme Nadège VanheeCybulski. Cette saison, elle l’a trouvée.
Dimanche 1er mars, il règne une ambiancede fin du monde à la Cité du cinéma de SaintDenis où se tient le show Balenciaga. Demna
Gvasalia a rassemblé les invités dans un studio où le plafond d’écrans diffuse les images d’un ciel menaçant, où le podium et les premiers rangs (vides heureusement) sont envahis d’un liquide brillant, où un bruit assourdissant fait trembler les sièges. « L’idée étaitde recréer la sensation biblique de la marche sur l’eau, sauf qu’ici, c’était plutôt la marchesur le pétrole. Une métaphore du monde qui semble se noyer dans ces problèmes postindustriels », explique Demna Gvasalia.
Immergés jusqu’à la cheville, les mannequins hommes et femmes semblent insensibles au désagrément provoqué par un piedmouillé ou par le poids d’une traîne trempée. Le vestiaire est varié, il propose aussibien des tenues monacales aux carrures exagérées que des robes de magistrat enveloppantes, des tailleurs ajustés sexy qui moulent la poitrine et serrent la taille, d’opulentes capes rouge vernies, des manteaux aux épaules pointues, des combinaisons de motard, des robes de gala où les gants sont intégrés à la manche… « Notre façon de vivre varietellement que nous avons besoin d’un vestiaire complet », affirme Demna Gvasalia. Lespectacle d’un défilé aussi riche et abouti efface le sentiment de malaise provoqué par lamise en scène dont le créateur précise qu’elleétait certes « postapocalyptique, mais aussi pleine d’espoir grâce aux images vidéo de laTerre et de sa beauté, et la bandeson tribale àla fin du défilé ».
L’aprèsmidi, alors que la boîte noire Celineest en train d’être démontée, la foule afflue vers l’autre tente dressée aux pieds des Invalides, celle de Valentino. L’ambiance y esttrès différente, les spots éclairent vivementla moquette ivoire, et le « Traffic Quintet »fondé par la violoniste Dominique Lemonnier a pris place sur une estrade au fond de lasalle. L’orchestre de chambre enrichit la bandeson composée de chansons de la pop star Billie Eilish, militante politique connue pour
piétiner les stéréotypes de la féminité, qui refuse que son corps soit sexualisé. En cela, ellereprésente l’esprit de la collection imaginéepar Pierpaolo Piccioli : « Je voulais faire le portrait du moment pivot que nous vivons où les nouvelles générations sont plus libres, se moquent de l’âge, de la race et du genre. »
Pour ce faire, il propose des pièces habituellement associées au vestiaire masculin – tel le costume gris – empreintes de délicatesse.Le motif chevron, assez austère, se pare de broderies brillantes. Un pantalon baggy noirest porté avec un bustier et des gants longs.« Je ne crois pas aux manifestes, mais la modepeut délivrer un message à travers une esthétique », affirme Pierpaolo Piccioli. La sienne, en tout cas, est d’une indéniable élégance.
Pour clore le weekend, Givenchy a conviéses invités à l’hippodrome de Longchamp,dans un espace en béton baigné de rouge.Un aménagement un peu rudimentaire quifait référence à la Nouvelle Vague française,dont les tournages avaient lieu avec les moyens du bord, dans des appartements oudans la rue. Ce courant cinématographiqueainsi que le travail d’artistes des années1960 telles Helena Almeida et Ketty La Rocca ont nourri Clare Waight Keller pour cette collection qu’elle a voulue très nette,graphique et épurée.
C’est évident avec cette première silhouette noire qui repose sur la forme triangulaire de la jupe fendue et evasée, ou aveccette robe en maille grise portée avec desgants longs du soir. Ça l’est moins quand lesimprimés géométriques de couleurs et tailles différentes dialoguent sur des drapéscompliqués. Chez Clare Waight Keller, les looks les plus épurés sont les plus convaincants. Si en termes de décor, les défilésvoient toujours plus grand, côté style, l’adage anglais « less is more » s’avère souvent très vrai.
elvire von bardeleben
« LA DERNIÈRE FOIS,JE M’ÉTAIS
CONCENTRÉ SURLES HANCHES,
LÀ J’AI EXAGÉRÉLES MANCHES »
JONATHAN ANDERSONdirecteur artistique de Loewe
PARIS | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2020-2021
Hermès. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP
Celine. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP
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0123MARDI 3 MARS 2020 styles | 25
Le plaisir, un indémodable Robes sculptures sur fond d’Emile et Images chez Balmain, sacs à main façon boîte à gâteaux chez Lanvin… Certains créateurs de la Paris Fashion Week ont aussi décidé de s’amuser
S eraitce la conséquence du catastrophisme ambiant ? Au vu des derniers défilés parisiens, on croirait
que les créateurs se sont passé le mot : fichu pour fichu, autant en profiter pour s’amuser, s’affirmer… Bref, se faire plaisir de manière totalement décomplexée.
Pour sa troisième collection féminine,Bruno Sialelli semble enfin à l’aise avec l’idée d’embrasser le chic hérité deJeanne Lanvin sans compenser par une sophistication extrême. Entre les murs de tapisseries colorées de la Manufacturedes Gobelins, les silhouettes évoquent le glamour hollywoodien (cheveux crantés, robes à traîne, gants longs, fermoirs dorés et fourrure), avec une dose de mignonnerie distillée dans un manteau blanc à boutons ronds de Pierrot ou une robe de patineuse. Ajoutez à cela quelques trouvailles astucieuses, comme ces sacs à main en forme de boîte à gâteaux, et revoilà Lanvin bien en orbite après plusieurs années d’instabilité.
Chez Isabel Marant, tout est très… Marant. Cette ligne d’épaules exagérée façonannées 1980, ces robes mini, ces pulls etmanteaux fermement ceinturés, ces détails brodés à la limite de la tapisserie, quisentent bon le retour de voyage. A quelques exceptions près, les obsessions stylistiques de la créatrice sont là au complet. La surprise viendrait plutôt dunuancier (une majorité de tons neutres tels que le gris et le blanc cassé) et d’une
forme d’épure par rapport à ce à quoi ellenous avait habitués : moins de fioritures,moins de superpositions, plus de looks monochromes. Efficace. Et apaisantcomme un bol d’air frais.
De son côté, Rok Hwang, le créateur dela marque Rokh (Prix spécial du jury LVMH 2018) s’attaque au vestiaire de dadame et parvient de manière assez magistrale à le rendre convoitable. Les premières vestes sont imparfaites, pas finies, les fils de bâti blanc restent apparents sur le lainage noir. Il y a là une enviede montrer les coulisses de fabrication du vêtement qui nous ramène quelquepart entre Martin Margiela et Yohji Yamamoto. Les choses deviennent plusmordantes après, lorsque le créateur déconstruit les trenchs, y intercalant desmorceaux de soie fleurie, scinde et réassemble des jupes plissées à carreaux delongueurs et de couleurs différentes, revisite le pieddepoule en version agrandie et pigmentée sur un ensemble de lingerie porté avec une robe transparente,ou fait défiler une robe brodée et bordée de tulle avec un skateboard… Le charmecool de la bourgeoisie.
Chez Patou, la startup centenaire deLVMH, on reçoit les invités avec des sirops de pastèque ou de fraise pour une présentation à domicile, dans les bureaux de la marque. Le directeur artistique Guillaume Henry présente luimême la collection, qu’il a voulue con
cise et joyeuse. On retrouve des classiques comme le caban ou la marinière, oùle logo Patou est cette saison brodé de perles, des blazers à grand col de dentelle,des jupes boules ou frangées. Autant depièces faciles à porter, faciles à associer.
Lorsqu’il travaille sur une nouvelle collection, Olivier Rousteing, le directeur artistique de Balmain, commence par choisir la musique du show. Et on n’a pas été déçu par la playlist de la saison : un medley de tubes de variété française des années 1980 (on ne regrette pas d’avoir vu latête d’Anna Wintour sur Les Démons de minuit, d’Emile et Images). Tous les mannequins commencent par un tour de piste vêtues du même manteau officier sur le vibrato de JeanJacques Goldman (« Envolemoi, envole moooooooooi »). Puis Olivier Rousteing s’amuse avec lesattributs de la bourgeoisie des eighties
(bottes cavalières, pulls en mohair et imprimés foulards), et les remanie à sa façonopulente et pop. Les vestes d’équitation deviennent sexy, les robes de cocktail sont des sculptures de paillettes, les pulls à motif arlequin sont si ouvragés qu’on dirait des œufs de Fabergé… La chanteuse Janelle Monae approuve – même quand Daniel Balavoine hurle « L’Aziza ».
Enfin, au défilé OffWhite au milieu del’AccorHotels Arena, les Mercedes sonten demiportion, coupées en deux dans le sens de la longueur ou de la largeur,posées là sur le béton – une mise enscène idéale pour les selfies. Outre le décor, tout le show est une invitation à immortaliser l’instant présent : évidemment, en premier lieu, les volumineuses robes de bal en tulle dont le bustier est…un coupevent ultratechnique. Signé Arc’teryx, une marque canadienne de vêtements d’extérieur de luxe, « l’équivalent de la haute couture en mode », dixit le designer Virgil Abloh.
Et puis il y a aussi les accessoires, notamment ces sacs en peau de vache troués comme du gruyère. Et, enfin, les mannequins : les Hadid défilent en famille. Non content de se payer les superstars Bella et Gigi, Virgil Abloh a aussi casté la mère, Yolanda. Après le final, un déluge de confettis s’abat sur les demivoitures. C’est vrai que c’est la fête.
théodora aspartet elvire von bardeleben
LIGNE D’ÉPAULES EXAGÉRÉE FAÇON
ANNÉES 1980, ROBES MINI, PULLS
FERMEMENT CEINTURÉS… CHEZ ISABEL MARANT,
TOUT EST TRÈS… MARANT
dans la mode, la messe n’a pas lieu le dimanche, mais le samedi. C’est le jour du défilé Comme des Garçons et des deux marques japonaises dans son giron, Junya Watanabe et le label Noir de Kei Ninomiya. Ces événements en petit comité comptent parmi les plus créatifs et les plus inaccessibles de la fashion week.
Samedi 29 février, le service liturgique commence à 9 h 30 avec Junya Watanabe, disciple historique de Rei Kawakubo, la fondatrice de Comme des Garçons. Dans le chic hôtel particulier Potocki, le show commence sans prévenir, sans musique. Des mannequins aux cheveux en pétard s’élancent en robe tablier de cuir noir et jupon de tulle blanc. Silence religieux, on n’entend que leur pas sur le parquet et les cliquetis des appareils photo. Soudain, Heart of Glass, de Blondie, envahit la salle et on reconnaît la chanteuse Debbie Harry dans ces femmes au rouge à lèvres vermillon et à la crinière platine. Le vestiaire devient plus rock, avec des collants imprimé panthère et des robes nuisette rouge surmontées d’un maillage complexe de harnais. Quelques belles pièces simples comme un blazer marine complètent la panoplie.
Plus tard dans la matinée, dans uneautre partie de l’hôtel Potocki, le rituel se poursuit avec le label Noir Kei Ninomiya. Le Japonais qui a lancé sa marque en 2012 est connu pour son travail pour le noir (c’est logique), mais cette saison, il a aussi exploré les nuances du rouge. Les festivités commencent au son d’un grésillement d’ampli, rapidement suivi de guitares rageuses et d’une batterie martiale. Des robes boule apparaissent, constituées d’un impressionnant feuilletage de tissu, d’une avalanche de tulle ou d’un maillage serré de plumes. Les coiffures consistent en d’extravagantes sculptures mêlant feuilles d’ananas, fleurs exotiques et faux cheveux. L’ensemble est aussi beau qu’impressionnant.
Et le meilleur pour la fin : à 17 heures, c’est Dieu en personne (enfin Rei Kawakubo) qui présente la nouvelle collection Comme des Garçons. La notion de nouveauté est relative : « N’estil pas impossible de créer quelque chose d’entièrement nouveau, sachant que l’on vit tous dans le même monde ? Pour être toujours futuriste dans ma manière de travailler, je suis restée dans les limites du monde Comme des Garçons », affirme Rei Kawakubo. Sur le marbre du pavillon Cambon, sous les yeux attentifs du rappeur Usher, la créatrice continue donc d’expérimenter et de montrer des formes inattendues.
Cette quête commence par une tenue rose aux manches longues jusqu’aux genoux, enchaîne sur une robe rigide en forme d’abatjour ceinte d’un anneau de dentelle blanche au niveau de la poitrine. On croise aussi un col en forme de coussin de voyage géant, une robe dotée d’un hublot central à travers lequel on aperçoit de nombreuses couches de tissus couvrant le corps. Contrairement aux défilés classiques où les mannequins se succèdent sans interruption sur le podium, là, chaque silhouette est présentée seule, sur une musique différente. A chaque fois qu’elle quitte la scène, la chanson s’arrête brutalement, et une nouvelle commence, enchaînant sans transition sonate au piano, techno minimale et concerto pour clavecin… Pas de chants de messe, mais l’esprit est là.
e. v. b.
LA MESSE (JAPONAISE) EST DITE
Givenchy. GIVENCHY Balenciaga. BALENCIAGA
Loewe. FRANÇOIS GUILLOT/AFP Valentino. PIROSCHKA VAN DE WOUW/REUTERS
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26 | IDÉES MARDI 3 MARS 20200123
Loïc Monjour Se laver les mains, arme fatale contre les virusPour éviter la propagation des épidémies, le lavage des mains est essentiel, mais les Français sont parmi les moins respectueux de cette mesure, souligne l’ancien professeur de médecine tropicale
Le nom d’Ignace Philippe Semmelweis, né à Budapest en 1818, estpeu connu. Pourtant, depuis deuxsiècles, la plupart des femmes à tra
vers le monde, de toutes conditions sociales, bénéficient de sa perspicacité et de ses travaux… Ce génie médical a aboli la tragédie des fièvres puerpérales (après l’accouchement) dans son service de la maternité de Vienne et découvert l’importance de l’asepsie avant le grand Pasteur.
Ses étudiants en médecine pratiquaientdes autopsies avant de se rendre à la maternité pour effectuer des examens de femmes en travail ou procéder à des accouchements. La mortalité des parturientes était considérable, et Semmelweis, après une véritable enquête épidémiologi
que, imposa aux étudiants de se laver les mains avant toute intervention obstétricale, non pas avec du savon, mais avec une solution de chlorure de chaux, une initiative inconnue à l’époque.
Par cette seule mesure, le pourcentagede décès causés par la fièvre puerpérale s’effondra de 12 % à 3 %. Il allait révéler àses confrères le danger que représententces infections que l’on appelle aujourd’hui« manuportées » et « nosocomiales » et l’intérêt de l’utilisation d’un antiseptique pour y parer. Mais, sans appui officiel, n’ayant pas su convaincre, peu à peu, il sombra dans la démence et mourut à 47 ans. L’histoire de cette découverte a étébrillamment racontée dans la thèse demédecine de LouisFerdinand Célineen 1924 et, comme boire et manger, le lavage des mains est devenu un rituel dans notre vie de tous les jours.
Monde peu connuL’hygiène des mains est une mesure très efficace et peu coûteuse pour éliminer lesgermes, microbes et virus, les empêcher de disséminer les infections, et, par voie deconséquence, diminuer le recours auxantibiotiques devenant, peu à peu, inactifs. Les mains sont un monde peu connu, peuplé de millions de germes : les uns résident en permanence sur la peau et forment une barrière de protection contre lesinfections ; les autres, étrangers, dits « transitoires », sont récupérés dans l’environnement et peuvent se révéler pathogènes à tout moment.
Environ 80 % de ces microorganismes setransmettent par les mains. Chiffre plus
inquiétant : 92 % des mobiles sont tapissésde bactéries, et sur 16 % sont identifiées des bactéries fécales… Certains germespeuvent survivre pendant soixante minutes : ils ont donc bien le temps de se préparer à commettre des infections, selon leur envie et leur spécificité. D’autant que chaque humain porte les mains à la bouche aumoins deux fois par heure. Naissent ainsigrippes, rhumes, bronchites, surtout gastroentérites, car le lavage insuffisant des mains est à l’origine de plus de 50 % desinfections d’origine alimentaire.
Problème majeur des pays pauvresNéanmoins, beaucoup de progrès ont étéréalisés, grâce aux travaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Unicef et des écoles de santé publique. La plupart des praticiens hospitaliers ontconnaissance du « Résumé des recommandations de l’OMS pour l’hygiène des mains au cours des soins », des gestes un peu contraignants, répétitifs, lors de chaque intervention médicale. La plupart des praticiens utilisent, aussi, à présent, pour le lavage des mains, des solutions hydroalcooliques, contenant 60 % à 80 % d’alcool, qui, en trente secondes, éliminent laplupart des germes, y compris les virus.
Où en eston en France ? Dans une étudeinternationale portant sur 63 nations, la France se trouve en 50e position en ce qui concerne l’hygiène des mains. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) concluait en 2012 que seulement 67 % des Français se lavent les mains avant de cuisiner, 60 % avant de manger et à peine 31 % après un voyage en transport
en commun. Dans les toilettes publiques, 14,6 % des hommes et 7,1 % des femmes négligent ce geste de propreté élémentaire.
Par ailleurs, 49,4 % des hommes et 21,1 %des femmes qui n’omettent jamais de selaver les mains n’utilisent pas de savon.Une expertise sévère affirme que 62 % des Français sont détachés des problèmesd’hygiène… L’histoire du lavage des mains démontre qu’il est complexe d’éliminer lesmauvaises habitudes des populations.
Le problème majeur demeure dans lespays pauvres. Dans les 48 pays de l’Afriquesubsaharienne, alors que la mortalité desenfants est la plus élevée au monde, les taux se situent, au mieux, entre 40 % et 50 %. Sur 1 400 décès d’enfants recenséspar jour à cause des diarrhées, 800 sont dus à la médiocrité de l’assainissement, àla souillure des mains, à la pollution de l’eau de boisson. Eau de boisson transportée du point d’eau à leur domicile par desmillions de femmes, de tous continents,pratiquant la défécation à l’air libre, etpolluée, chaque jour, par leurs mains souillées par des manœuvres manuellesde toilette anale.
On ne pourra jamais éliminer virus etmicrobes, mais se laver les mains permet de sauver des millions de vies, chaque année, dans le monde.
Loïc Monjour est ancien professeur de médecine tropicale à la Pitié-Salpê-trière, à Paris
Fang Fang « Difficile de se souvenir depuis combien de jours nous vivons ainsi cloîtrés à Wuhan »
La romancière chinoise, 64 ans, résidente de Wuhan, publie chaque jour sur Weibo, le Twitter chinois, une chronique de sa vie dans sa ville sous quarantaine. « Le Monde » reproduit un extrait de son billet du 16 février, dans lequel elle dénonce les attaques venant de Pékin lorsqu’elle évoque l’épidémie due au coronavirus
Difficile de se souvenir depuiscombien de jours nous vivonsainsi cloîtrés à Wuhan. Aujourd’hui, le soleil annonce une belle
journée de printemps, et de la neige d’hier il ne reste plus de traces. Depuis la fenêtre du premier étage de mon appartement, je vois les feuilles des arbres briller sous le soleil.
Bien que la situation ne soit en rienchangée depuis hier, je me sens toutefoisun peu plus rassurée. Néanmoins, lesattaques venant de Pékin se poursuivent,même si on ne comprend pas quelle est la motivation qui pousse ces genslà à tant de haine. Hier, Xiang Ligang, patron du site Feixiang, a aussitôt retiréson commentaire mensonger de son siteWeibo à la suite de l’intervention demon avocat et mis ceci : « D’où vient cettephoto que tu publies ? Ce n’est pas parce que tu es enfermée chez toi que tu dois créer la panique sociale et prétendrequ’un grand nombre de gens sont mortssans que personne s’en occupe. Tu n’asdonc aucune conscience ? »
« La ville en état de siège »Son commentaire est à pleurer. Comment peutil tenir des propos aussi puérils ? A l’époque où les drones peuventtuer à haute altitude, je serais incapablede comprendre ce qui se passe dans laville où je vis ? Tous ceux qui, au quotidien, lisent mes billets de blog ne paniquent pas, lui est le seul à avoir peur. Jevis à Wuhan, centre de l’épidémie, assignée à résidence, et ne communique avec mes amis et collègues que par Internet. Je note chaque jour ce que je vois,ce que j’entends, et j’attends que lepoint d’inflexion arrive. Lui est à Pékin,libre de ses mouvements, mais dépenseson énergie à m’insulter quotidiennement. Et il appelle ça avoir de la conscience ? Qu’il sache que les gens sont deplus en plus nombreux à lire mon blog
et à trouver que cette lecture les rassure.Un internaute a déclaré que donner
les noms de ceux qui meurent, ou mettre leur photo en ligne, ajoute à la panique générale. C’est ce que j’ai fait avec ce qu’il appelle « mon ami médecin ». Avezvous vu la liste officielle des morts sur Internet ? Le nombre pour la seule ville de Wuhan est supérieur à mille. Quel chiffre aije donné dans mon article ?Pas même une fraction ! Pour être très explicite, je ne divulguerai aucun nom de personne décédée qui n’aura pas étédonné par les médias officiels.
Chang Kai, qui travaillait au studio decinéma du Hubei, est mort tragiquement des suites du Covid19. Son camarade de classe a publié un articleen sa mémoire, qui figure sur la paged’accueil de tous les sites Internet. Son message avant de mourir était d’une tristesse déchirante. Je ne sais pas si ceux qui ne regardent que les nouvellesde CCTV [Télévision centrale de Chine] et Le Quotidien du peuple penserontque cela crée de nouveau la panique ?Avanthier, j’ai écrit un billet sur mon ami peintre qui a fait un don de100 000 RMB [renminbi, nom officiel duyuan, la monnaie chinoise]. Aujourd’hui,son frère vient de mourir du Covid19. Les Xiang Ligang & Co dirontils toujours qu’il s’agit là de rumeur ?
Quant à « mon ami médecin », commeil l’appelle, sachez que je n’en ai pas qu’un. Il faut que les Xiang Ligang & Co
sachent que ce sont de grands professionnels, des spécialistes de haut niveauet que bien évidemment je ne donneraipas leurs noms pour la bonne raison que je ne veux pas les exposer à desvoyous de leur espèce. Cet aprèsmidi,un autre ami médecin (bien sûr, lemeilleur dans sa spécialité, dont je nepeux pas révéler le nom) m’a téléphoné ;nous n’avions pas échangé depuis longtemps. Il évoqua le journal sur « la villeen état de siège » que je tiens chaquejour sur Weibo et m’a dit que lorsque des gens le questionnaient sur la situation de l’épidémie à Wuhan, il leur conseillait de le lire pour connaître la réalitédes choses. Puis nous en sommes venusà parler de l’épidémie de coronavirus.
Mon ami médecin a déclaré que l’épidémie devait maintenant être maîtrisée.Sa toxicité s’affaiblissait de plus en plus,mais elle était de plus en plus contagieuse.
Le mémorial des téléphonesWuhan vit aujourd’hui une catastrophe. Il ne s’agit pas de l’obligation de porter des masques ou de rester cloîtré chez soi.Il s’agit de la liste des décès qui ne cessede s’allonger. Jusqu’à présent, lorsqu’une personne mourait, son corps était mis enbière et emporté au crématorium. Maintenant, on transporte les cadavres dans des sacs, emportés sur des charrettes. Iln’est pas question d’un mort d’une seule famille, mais de morts par centaines en quelques semaines. Ce qui est catastrophique, c’est d’affronter le vent, le froid etla pluie pour tenter de trouver un lit dansun hôpital, mais sans résultat. Ce qui est catastrophique, ce sont ces queues interminables qu’il faut faire dans les hôpitaux pour s’inscrire, des queues qui peuvent durer deux jours, et, parfois sans même avoir réussi, vous vous écroulez à terre. Ce qui est catastrophique, c’estd’attendre chez soi une notification pourune place dans un hôpital, et, lorsqu’elle arrive enfin, il est déjà trop tard. Le pire, ce sont ces patients gravement malades hospitalisés, qui, lorsqu’ils entrent, disent adieu à leurs proches, car ils ne lesreverront jamais.
Pensezvous que le défunt soit entouréde sa famille dans le salon funéraire à ce momentlà ? Ces mortslà peuventils encore mourir dans la dignité ? Sans dignité, ils ne sont que de simples cadavres traînés jusqu’au crématorium et brûlés aussitôt. Au tout début de l’épidémie, les hôpitaux manquaient de maind’œuvre, de lits et de protections pour le personnel médical. Or, la zoned’infection est immense, la maind’œuvre insuffisante au crémato
rium, les camions pour transporter les dépouilles et les incinérateurs trop peu nombreux. Néanmoins, les cadavres contaminés par le virus doivent être brûlés au plus vite. Savezvous tout cela ? Ce n’est pas que les gens ne remplissent pas leurs devoirs, mais, depuis que l’épidémie s’est répandue, chacun fait de son mieux, même débordé, mais il est impossible de faire ce que prônent les trolls au service de la propagande.
Le chaos du début semble prendre fin.Pour autant que je sache, des experts ont rédigé des rapports sur des soinsplus humains et le respect des patientset de leurs familles. Des dispositions ontété prises pour garder les affaires des morts, en particulier les téléphones portables. Ces derniers seront stockés, puisdésinfectés, et le service des télécommunications essayera de trouver desproches grâce aux informations contenues dans les téléphones. Ces portablesreprésenteront un mémorial pour lesproches. Ceux qui n’auront pas de propriétaire seront conservés et servirontde preuve dans l’histoire.
(Traduit du chinois parGeneviève ImbotBichet)
Fang Fang est une écrivaine chinoise. Elle préside depuis 2007 l’Association des écrivains du Hubei. Son dernier livre, « Les Funérailles molles » (L’Asia-thèque, 2019, publié en Chine en 2016), sur le sort tragique d’une famille de propriétaires terriens durant la révolution agraire, a reçu le prix Lu Yao 2017, mais lui avait valu d’être la cible d’attaques par les néomaoïstes. Ces « funérailles molles », ce sont les corps des « ennemis de classe » enterrés à même le sol, sans cercueil
A WUHAN, ON TRANSPORTE LES CADAVRES DANS DES SACS, EMPORTÉS SUR DES CHARRETTES
92 % DES MOBILES SONT TAPISSÉS DE BACTÉRIES, ET SUR 16 % SONT IDENTIFIÉES DES BACTÉRIES FÉCALES
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0123MARDI 3 MARS 2020 idées | 27
Samuel Moyn Sanders, l’extraordinaire transformationLe sénateur du Vermont est le meilleur des candidats à l’investiture démocrate, estime l’historien, car il promet un changement pour de nombreux Américains touchés par la montée des inégalités
L’imposante victoire de Bernie Sanders au Nevada, lors de la primairedu 22 février, a transformé le mondepolitique américain. Depuis cette
date, beaucoup de ceux qui nourrissaient des espoirs timides jubilent maintenant à l’idée qu’ils vivront peutêtre un changement sans précédent – si M. Sanders bat Donald Trump aux élections de novembre.
L’argument le moins discutable quiporte à penser que Sanders peut gagner lesélections ? C’est tout simplement que les autres options sont pires. Pour les partisans de la « révolution » souhaitée par Sanders, le milliardaire et ancien maire de New York Michael Bloomberg et l’ancien viceprésident Joseph Biden sont les héritiers de l’ancien régime.
Tout le monde sait en effet queM. Bloomberg, quelles que soient ses tentatives actuelles de dérobade, a mené àNew York une politique raciste de « stopand frisk » [expression signifiant littérale
ment « arrêter et fouiller », que l’on pourrait traduire par « contrôle au faciès »] qui aconduit les AfroAméricains à redouter la police, et collaboré à envoyer toute une génération de jeunes hommes en prison. Lors du débat au Nevada, la candidate progressiste Elizabeth Warren l’a traité de « milliardaire qui parle des femmes en les traitant de “grosses” et de “lesbiennes à têtede cheval” [en référence aux accusations portées contre lui de harcèlement sexuel et de propos sexistes] ».
Inégalités galopantesAutrefois figure de proue des démocrates, Joe Biden a vu ses soutiens s’effriter. Sesperformances ont été inégales lors des débats, et il a donné des signes de son grand âge. Pire : son soutien aux politiques favorables aux milliardaires et agressivement militaristes est de plus en plus désavoué par les Américains. Outre son vote pour la guerre en Irak en 2003, M. Biden occupait la viceprésidence quand Barack Obama agénéralisé les attaques de drones et envoyédes forces américaines se battre au Yémen.. M. Biden a placé ses derniers espoirs dans la primaire de Caroline du Sud, le 29 février, où il l’a largement emporté.Mais M. Sanders reste malgré tout le candidat qui devrait le mieux faire le 3 mars, lorsque des primaires seront organisées dans 14 Etats.
A présent difficile à arrêter, la candidature de Bernie Sanders ouvre la voie à une extraordinaire transformation. Voir l’Amérique sortir de l’ombre de la guerre froide semble enfin possible. Dans la vision dumonde propre à cet âge révolu, l’Etat ne devait pas interférer avec la libre entreprise, tandis qu’il revenait à un empire – un mastodonte militaire – de protéger la liberté dans le monde. Aux quatre coins des EtatsUnis, cette manière de voir n’a plus de
sens, en particulier pour les classes laborieuses et les jeunes, qui subissent de pleinfouet la précarité et les inégalités économiques. Les engagements de M. Sanders (université gratuite, protection de l’environnement, accès universel à la santé), maisaussi les coups qu’il porte aux inégalités galopantes, font de lui un candidat aimé des travailleurs, y compris de ceux qui ont voté pour M. Trump par dégoût pour la politique traditionnelle.
Ironie du sort, l’héritage de DonaldTrump ne sera peutêtre pas le fascisme et la tyrannie, mais une ouverture inattendue au changement. La barbarie de M. Trump rend le socialisme de M. Sandersindispensable. Bernie Sanders a de fervents partisans, de plus en plus nombreux. D’autres seront obligés de le soutenir, car leurs invectives contre DonaldTrump ne leur laissent pas d’autre option, si ce n’est l’hypocrisie.
Quelque chose de nouveauCeux qui ont gardé l’ère antitotalitaire comme cadre de référence affirment que M. Sanders, à cause de son opposition à l’empire américain et de son goût pour la redistribution socialiste des richesses, sera regardé comme celui qui aura ouvert lavoie à la servitude et à la tyrannie.
M. Sanders ne remportera peutêtre pas laFloride. Le sénateur républicain de cet Etat, Marco Rubio, a dit ce que pensent beaucoup d’Américains d’ascendance cubaine comme lui : seules les dictatures marxistes assurent un système de santé minimum.Certains démocrates – pris d’angoisse face au succès de M. Sanders – ont été parmi les premiers à tenter de déployer une sorte de front antitotalitaire tant contre M. Trump que contre M. Sanders. Même quand les ennemis de M. Sanders reconnaissent qu’ilest une espèce de socialiste démocrate, ils
perpétuent les vieilles peurs de la guerre froide en pointant du doigt son voyage à Moscou il y a trente ans ou le fait qu’il a dit, il y a quelques jours, que Fidel Castro avait aussi fait de bonnes choses.
Mais la situation a changé. Les Américains sont de moins en moins nombreux àavoir connu la guerre froide. Au Nevada,M. Sanders a fait preuve de sa capacité à convaincre audelà des électorats blancs del’Iowa et du New Hampshire, et à construire une coalition multiraciale.
Les politiques sociales voulues parM. Sanders ne s’éloignent guère de cellesdéfendues par les Républicains avant quele parti ne vire réactionnaire – le président Eisenhower décriait l’expansion militaireet prônait une fiscalité élevée. Et à mesure qu’il expliquera aux électeurs la signification de son socialisme, il deviendra de plusen plus clair que son discours est la promesse non pas de quelque chose de vieux, mais de quelque chose de nouveau, y compris pour une gauche européenne qui s’est fourvoyée il y a bien longtemps.
Les Américains veulent retrouver un espace de réforme confisqué depuis des décennies dans leur pays. S’il gagne, M. Sanders pourrait aider l’Amérique à tourner la page de la guerre froide. Mais il pourraitaussi aider le monde à aller audelà de la fin de l’histoire proclamée par les EtatsUnis après 1989, laquelle a laissé un funeste héritage, terreau des inégalités et desguerres sans fin.
(Traduit de l’anglais parValentine Morizot)
Samuel Moyn est professeur de droit et d’histoire à l’université Yale (Connecticut)
Sheri Berman « Bernie Sanders est particulièrement vulnérable aux attaques des républicains »
Pour l’historienne de la gauche et professeure à Columbia Sheri Berman, le candidat à l’investiture démocrate ne peut compter sur un large soutien de l’opinion, notamment en ce qui concerne le système de santé publique universel qu’il souhaite créer
ENTRETIEN
Sheri Berman est professeure descience politique au Barnard College de l’université Columbia (NewYork). Ses recherches portent sur le
populisme, le fascisme, l’histoire de la gauche et l’histoire politique de l’Europe. Elle intervient régulièrement dans la presse américaine pour analyser la vie politique de son pays.
Le sénateur du Vermont Bernie Sanders fait aujourd’hui figure de favori dans la course à l’investiture démocrate en vue de la présidentielle. Estil en mesure de défaire Donald Trump ?
Son programme politique et son positionnement l’exposent tout particulièrement aux attaques des républicains. Presque tous les sondages démontrent qu’il est loin d’avoir le soutien d’une majoritéd’Américains, ou même de démocrates. Bernie Sanders souhaite notamment la création d’un système de santé public universel et une plus grande ouverture desfrontières à l’immigration. Ces propositions sont loin de faire consensus. Les républicains vont donc aisément pouvoir leprésenter comme un candidat d’extrême gauche éloigné de l’Américain moyen. Leparti de Trump tentera de diaboliser n’importe quel adversaire investi par les démocrates, mais Sanders est particulièrement vulnérable.
A l’inverse quelles sont ses forces ?Ses supporteurs estiment que les Améri
cains apprécieront son honnêteté. Ils croient que la cohérence dont il a fait preuve tout au long de sa carrière en défendant infatigablement les mêmes idées plaira. Son programme de transformationsradicales est également selon eux uneforce, car il introduit une rupture avec le passé. Il ne représente pas l’establishment,
ni le maintien du statu quo, comme les présidents Bill Clinton et Barack Obama. Pour toutes ces raisons, les militants qui le soutiennent pensent que les Américains lui feront confiance et verront en lui quelqu’un qui sera prêt à s’en prendre aux maux qui assaillent la société américaine.
Les Européens sont très attachés à leurs systèmes de santé publiques. Pourquoi adopter un tel modèle ne fait pas consensus aux EtatsUnis ?
Les Européens ont mis en place à la fin dela guerre des systèmes de santé publics. LesEtatsUnis n’ont toujours pas fait ce choix. Adopter ce modèle, comme le propose Sanders, demande l’abandon desassurances privées auxquelles ont souscritnombre d’Américains. Certains y sont attachés et considèrent que Sanders leur demande de faire un saut dans l’inconnu. Les
sondages démontrent généralement l’absence de majorité en faveur de ce projet, qui fait d’autant plus peur que Sandersveut l’implanter le plus vite possible, sans avancer graduellement. Aucun républicainau Congrès ne le soutiendrait et plusieurs démocrates ne le suivraient pas. Pour y arriver, il devrait non seulement gagner laprésidentielle mais aussi faire élire un très grand nombre de représentants et de sénateurs aussi progressistes que lui. C’est rêveren couleurs.
Bernie Sanders peut cependant s’appuyer sur une base militante très mobilisée…
Sa stratégie électorale est périlleuse. Il estcertes devenu très difficile de faire des pronostics sur l’élection présidentielle, maisson projet est de gagner en suscitant un mouvement populaire sans précédent qui convaincra des électeurs généralement faiblement mobilisés, tels que les jeunes oules Latinos, de venir voter en masse. L’enthousiasme devrait, pensetil, lui permettre de l’emporter dans certains Etats cruciaux, en touchant des Américains qui ne se laisseraient pas séduire par un candidat plus conventionnel.
En réalité, rien ne prouve que cette stratégie puisse fonctionner. Les éléments dont nous disposons sont même plutôt inquiétants pour lui. Lors des premières primaires qui se sont déroulées, le taux de participation n’a pas été plus élevé que par lepassé. Il a même parfois été plus bas. L’enthousiasme ne s’est donc pas manifesté. Par ailleurs, Sanders est le candidat qui
s’appuie le plus sur la jeunesse, qui vote peu, et celui qui dispose du plus faible soutien auprès des plus de 65 ans, soit l’électorat qui vote le plus. Enfin, plusieurs de ses critiques rappellent que, lors des élections de mimandat de 2018, les démocrates ont fait de larges gains en ralliant des électeursindépendants et des sympathisants républicains qui n’apprécient pas Trump. Pour attirer des électeurs centristes, ce n’est peutêtre pas le moment de faire des propositions radicales.
Certains dressent un parallèle entre Bernie Sanders et l’ancien leader du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, qui a conduit le Labour à l’une de ses pires défaites. Cette comparaison vous sembletelle pertinente ?
Ils ont en effet en commun de souhaiterdes changements radicaux, de bénéficier du soutien des plus jeunes et de ne pas être représentatifs de leur parti. Mais il y a aussi d’importantes différences. Sanders est beaucoup plus charismatique. Il a également su faire preuve de pragmatisme pour s’entendre avec ses collègues du Sénat. Corbyn était bien plus isolé à Westminster. Par ailleurs, l’image de Corbyn a été considérablement ternie par l’antisémitisme au sein de son parti. Sanders n’est pas confronté à ce genre de controverses. En revanche, il aexprimé de la sympathie pour certains régimes non démocratiques et brutaux. Il a souligné certains apports du communismeen Russie et s’est montré élogieux envers le régime vénézuélien. Il vient de souligner les progrès enregistrés à Cuba sous Fidel Castro en matière d’éducation ou de santé, ce qui n’est pas faux, mais risque de lui coûter la Floride où de nombreux Cubains anticastristes se sont installés. Les républicains feront leur miel de ces déclarations.
propos recueillis parmarcolivier bherer
POUR ATTIRER DES ÉLECTEURS CENTRISTES, CE N’EST PEUT-ÊTRE PAS LE MOMENT DE FAIRE DES PROPOSITIONS RADICALES
LA BARBARIE DE DONALD TRUMP REND LE SOCIALISME DE BERNIE SANDERS INDISPENSABLE
Le contexteLe sénateur du Vermont
Bernie Sanders cherche à
confirmer sa position de fa-
vori dans la course à l’inves-
titure démocrate à l’occa-
sion du Super Tuesday,
mardi 3 mars, avec des pri-
maires organisées dans
14 Etats, dont la Californie.
Le 29 février, lors du vote en
Caroline du Sud, il a terminé
deuxième avec 20 % des
voix. Il l’avait précédemment
emporté dans le New
Hampshire et le Nevada,
après avoir fini deuxième
dans l’Iowa. Bernie Sanders,
en tête dans les sondages, a
cependant de nombreux dé-
tracteurs, qui estiment qu’il
ne sera pas en mesure de
battre Donald Trump s’il est
le candidat retenu pour l’af-
fronter en novembre. Son
programme est jugé trop à
gauche et son projet trop ra-
dical. Son principal rival
dans les sondages natio-
naux, l’ancien vice-président
Joe Biden, est relancé par sa
victoire en Caroline du Sud
et le retrait, dans la nuit du
1er au 2 mars, de Pete
Buttigieg. L’ancien maire de
New York, le milliardaire
Michael Bloomberg,
complète le trio de tête et
participe à ses premières
primaires le 3 mars.
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28 | idées MARDI 3 MARS 20200123
ANALYSE
A méricanisation de la vie politiquefrançaise ? Ingérence russe ? Vengeance pornographique ? Le vendredi 14 février dernier, le candi
dat LRM à la Mairie de Paris Benjamin Griveaux annonçait qu’il se retirait de la course aux municipales. Une vidéo à caractère sexuel et des messages connotés quel’homme politique, marié et père de famille, aurait adressés via Instagram et FacebookMessenger à une étudiante en droit de29 ans, Alexandra de Taddeo, circulaient depuis 48 heures sur les réseaux sociaux, initialement mis en ligne par l’artiste contestataire russe Piotr Pavlenski.
Si on l’envisage sous un angle qui n’est nicelui d’une géopolitique opérant audessous de la ceinture ni celui de la comédie de mœurs, l’affaire Griveaux témoigne, plus banalement, des profondes mutations subiespar la grammaire de la séduction au temps du numérique. Jusqu’à une époque récente,les rencontres étaient intriquées dans la vie sociale, associées au travail, au voisinage,aux études, aux loisirs. La carte de Tendre s’inscrivait dans un script romantique où la flèche de Cupidon venait vous frapper à l’improviste, à un arrêt de bus ou au détour d’un cours de salsa. L’apparition des sites de rencontres dans le courant des années 1990 auxEtatsUnis a profondément changé la donne.
Accédant au statut d’activité en soi, la séduction s’est rationalisée, insularisée, s’envi
sageant dès lors au travers de l’intermédiation technologique, gage d’une optimisationpermettant prétendument de faire se correspondre les profils. Si ce nouvel appareillagen’a pas fait disparaître l’aspiration à une conjugalité sincère, il a eu pour corollaire de placer un écran de smartphone ou d’ordinateur entre vous et l’autre. La coprésence de deux corps n’étant plus le préalable obligé de touterencontre, la prise de contact passe désormais par d’autres canaux, l’écrit, le son,l’image. Sous l’effet de ce formalisme revisités’est alors amplifié un phénomène que le sociologue canadien Michel Dorais nomme « lasexualité spectacle » (titre d’un livre paru en 2013 chez H & O Essai). Tournées vers l’extérieur, mises en lumière, activement scénarisées, nos vies amoureuses sont progressivement passées de l’intime à l’extime, parcourues par le désir (et la nécessité) de rendrevisibles certains aspects personnels relevant jusquelà du privé.
« Alors que la sexualité bourgeoise se limitait à l’intimité de la chambre à coucher, lasexualité est aujourd’hui une caractéristique visible du soi, régulée par un régime scopique de consommation », résume la sociologue Eva Illouz dans La Fin de l’amour. Enquête surun désarroi contemporain (Le Seuil, 2020).Sur ce marché de la conquête, l’image estdevenue – penseton naïvement – notre meilleure monnaie d’échange. A l’instar de laphoto de meuble postée sur le site de vente en ligne Le Bon Coin pour aguicher l’acheteur, le dévoilement des organes génitaux,
qui constituait bien souvent le terme d’un processus de séduction classique, est désormais envisagé, via les réseaux sociaux, sous l’angle inaugural du produit d’appel – ou duharcèlement, si la chose n’est pas consentie. La pratique est si banalisée que l’ancienne miss France Camille Cerf, lasse de recevoir des « dick pics » (clichés de pénis non sollicités), s’en est émue sur son compte Twitter.D’après un sondage IFOP de novembre 2018, 42 % des femmes présentes sur les sites de rencontres ont déjà eu à connaître l’envoi de photos d’organes sexuels, cette proportiongrimpant jusqu’à 63 % chez les femmes de moins de 25 ans.
« Des produits à monnayer »Bien sûr, ce lien sommaire entre séduction masculine supposée et génitalité triomphalement exposée ne date pas d’aujourd’hui. Maisil se trouve désormais assorti de moyens de production et de diffusion de masse, le toutinscrit dans un climat social qui encourage vivement le dévoilement. De nos jours, plus personne ne s’étonne d’entendre son voisin de palier confier les détails de sa jouissance prostatique dans un podcast ou de voir son postier poser nu dans un calendrier.
Voilà pourquoi, même si nous n’en partageons pas forcément les pratiques, une partde nous se reconnaît dans les déboires de Benjamin Griveaux, pris dans les rets de la sexualité spectacle. « Si l’on considérait autrefois que la vie privée et la dignité étaient nécessaires à l’épanouissement personnel, qu’elles
étaient des besoins humains fondamentaux, un équivalent psychique de l’air et de l’eau,nous avons aujourd’hui tendance à les voircomme des marchandises, des produits à monnayer », écrit Bernard E. Harcourt, professeur de philosophie politique à l’université Columbia, à New York, dans son livre LaSociété d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère numérique (Seuil, 2020). A une époque où se pratique « la veille totale », de nos préférences en matière de Tacos jusqu’à la physionomie de nos organes génitaux, plus rien ne doit rester dans l’ombre.
C’est sous le masque du progressisme comportemental qu’avance le plus efficacement cette entreprise d’éducation à la transparence. Elle ne repose plus sur un orwellisme contraignant, mais flatte au contraire notre appétit de jouissance égotiste, notre envie d’être vu, titille à coups de dopamine nos mécanismes psychiques de récompense, jusqu’à nous rendre oublieux des traces numériques que nous disséminons un peu partout. La particularité de cette sexualité spectacle est que nous en sommes tout autant les victimesque les rouages enthousiastes. Plus qu’untremplin vers un tiers désiré, elle peut donc s’envisager, en parenté avec le modèle de la Bourse, comme un mode d’évaluation permanent et inquiet de notre capital érotique sur le marché de la séduction. Un dialogue de soi à soi où, au nom de la réassurance narcissique, l’autre se trouve ravalé au rang de simple prétexte concupiscent.
nicolas santolaria
LA PARTICULARITÉ DE CETTE SEXUALITÉ SPECTACLE EST QUE NOUS EN SOMMES
TOUT AUTANTLES VICTIMES
QUE LES ROUAGES ENTHOUSIASTES
L’affaire Griveaux, ou la banalisation de la sexualité spectacle
Khalil TafakjiCartographe patrioteCe géographe dressa la première carte palestinienne de la Palestine. De son travail, il acquit la conviction que l’implacable extension des colonies rendait impossible un Etat palestinien viable
PORTRAIT
Dans la mythologie grecque,Cassandre était connue poursa grande beauté et ses prédictions funestes auxquelles
personne ne voulait croire. Dans leconflit israélopalestinien, Cassandre s’appelle Khalil Tafakji. On n’a pas plus voulu le croire quand il prédisait, dès le début du processus de paix d’Oslo, l’impossibilité d’un futurEtat palestinien. Pourtant, Khalil Tafakji ne lisait pas dans l’avenir, juste dans les cartes de géographie.
Naître en 1950 à Jérusalem donnequelques prédispositions pour la géographie. La Palestine n’existe pas encore : la Cisjordanie est sous administration jordanienne et la bande de Gaza est contrôlée par l’Egypte.Israël vient de doubler de surface à lafaveur de la guerre de 1948. Enfin,contrairement au plan de partage des Nations unies qui prévoyait pourJérusalem un statut international, la Ville sainte est divisée en deux, entreIsraéliens d’un côté et Jordaniens de l’autre. Ces derniers contrôlent l’intégralité de la vieille ville et donc les principaux lieux saints.
Khalil Tafakji rapporte dans sonlivre 31° nord, 35° est. Chroniques géographiques de la colonisation israélienne (La Découverte, 256 pages, 19 euros), coécrit avec la journaliste du Monde Stéphanie Maupas, une anecdote illustrant bien combien la géographie n’est pas une science abstraite dans sa ville de naissance. En traçant sur une carte la ligne du cessezlefeu conclu le 3 avril 1949 avec laJordanie, l’officier israélien Moshe Dayan et son homologue jordanien Abdallah AlTal, le premier avec un feutre vert et le second avec un feutre rouge, ne se doutaient pas alors que ce trait deviendrait la référence du règlement du conflit israélopalestiniendes années plus tard. Cette ligne de cessezlefeu, surnommée la « ligne verte », ne fut matérialisée qu’en 1962.Cinq ans plus tard, Israël l’effaçait en envahissant la Cisjordanie et Jérusa
lemEst – ainsi que la bande de Gaza, le plateau du Golan et la péninsule duSinaï. La ligne verte est devenue, depuis, l’alpha et l’oméga des résolutions de l’ONU concernant l’occupation israélienne.
Ruses infiniesLa géographie est avant tout la sciencedes militaires et des diplomates. Ceuxqui conquièrent ou défendent un territoire et ceux qui en fixent ensuite les limites dans les traités. Mais que faire quand on est une nation sans territoire, un peuple sans pays ? Ce n’est ni un hasard ni une négligence s’il n’existait aucune carte récente de la Palestine au moment où Khalil Tafakji a commencé à travailler, en 1983, pour la Société d’études arabes fondée par le leader nationaliste palestinien Fayçal AlHusseini. A l’époque, il était strictement interdit aux Palestiniens par les autorités d’occupation de dresser, de posséder ou de se déplacer avec une carte. « Je compris ainsi [à l’université] que la géographie était une arme. Je décidai d’être cartographe », écrit Khalil Tafakji.
Le goût de la géographie et des cartes lui est venu très tôt. « Mon père était un militaire. Il avait toujours des cartes dans son bureau. Ça me fascinait, expliquetil à l’occasion de savenue à Paris pour présenter son livre. Puis un professeur m’a encouragé dans cette voie. Enfin, à l’université de Damas, où j’ai étudié, j’ai compris que
au sud de Jérusalem], raconte le géographe. C’est à partir de 1977, avec l’arrivée de la droite nationaliste au pouvoir, que le projet de colonisations’étend à l’ensemble de la JudéeSamarie, l’appellation juive pour la Cisjordanie. » En 1991, Ariel Sharon met au point le « plan des sept étoiles »,consistant à implanter des coloniessur le tracé de la ligne verte, pour en effacer les contours autant que pour « contenir » la Cisjordanie derrièreun « mur démographique ». La construction du mur de séparation, à partir de 2002 parachève le processus.
« Une grande prison »Khalil Tafakji, infatigable arpenteur de la Cisjordanie, a vu les colons puis l’ensemble de la société israélienne seradicaliser en une décennie : « Cela a commencé en 1995 avec l’assassinat d’Ytzhak Rabin par un extrémiste juif, suivi d’une vague d’attentats du Hamas, parallèlement à l’arrivée massive de juifs de l’exURSS. Et cela s’est terminé en 2006 avec la disparition du “camp de la paix” après le retrait de Gaza ordonné par Ariel Sharon, puis son accident cérébral. » Des années marquées par l’échec du processus d’Oslo puis, à partir de 2000, de la deuxième Intifada, qui a enterré les espoirs de paix.
Yasser Arafat atil eu tort de s’engager dans le processus d’Oslo et d’ac
cepter de laisser pour la fin le règlement des questions les plus épineuses (statut de Jérusalem, retour des réfugiés, partage de l’eau, tracé des frontières) ? Pour le leader de l’OLP, lescolonies, Jérusalem et la Palestine étaient des concepts abstraits, en raison du long exil qui lui était imposé. Après son retour, M. Tafakji lui fit uneprésentation, en 1995, pour conclure qu’un Etat palestinien était impossible. Il raconte la scène dans son livre. Arafat, qui avait une confiance sans bornes dans sa capacité de négocier, le prit mal. Mais à l’époque, seul Khalil Tafakji connaissait l’étendue futuredes colonies en cours de constructionet l’ampleur des zones de sécurité les entourant. « Il était clair que l’objectif, dès le départ, était de nous enfermer dans une grande prison, conclut le cartographe. Désormais, le but est atteint. C’est un désastre, et c’est le soidisant “deal du siècle” de Trump. »
Pour lui, c’est pourtant Israël qui ale plus besoin d’un accord de paix équilibré, « car la prochaine génération n’est pas comme la nôtre. Elle ne connaît pas les Israéliens et a grandi sous l’apartheid israélien ». « Sinon, prévient Khalil Tafakji, les Israéliens connaîtront le même sort que les colons français après cent trente ans de présence en Algérie. Et non pas celuides Blancs en Afrique du Sud. »
christophe ayad
« À L’UNIVERSITÉ, J’AI COMPRIS QUE LES PALESTINIENS AVAIENT
PERDU LEUR PAYS EN 1947, CAR ILS
N’AVAIENT AUCUNE IDÉE DE SES CONTOURS »
KHALIL TAFAKJI
les Palestiniens avaient perdu leur pays en 1947 car ils n’avaient aucune idée de ses contours et de ses frontières. » Après ses études, il travaille en Libye de 1976 à 1980 pour une sociétéallemande construisant des routes. A son retour en Palestine, il est incarcéré un an pour appartenance à l’OLP,alors considérée par Israël comme une organisation terroriste.
Peu après sa sortie, il est contactépar Fayçal AlHusseini, qui lui demande d’établir la première carte palestinienne de la Palestine. Le leader hiérosolymite, descendant d’une longue lignée nationaliste, comprend que le meilleur moyen de préparer l’avènement d’un Etat indépendant est de le doter d’institutions. « Nous sommes partis de rien. Nous avons recueilli des données d’Israël, des EtatsUnis, de la Turquie, de Jordanie. Tout sefaisait sur papier et au crayon », raconte le cartographe. Cette première carte fut établie au prix de ruses infinies, d’innombrables visites sur le terrain, y compris dans les colonies, et d’une vraie enquête historique.
Car dresser un portrait de la Palestine historique, c’est se replonger dans les atrocités des guerres de 1948 et 1967 : déplacements de population,villages rasés, toponymie effacée dela carte et des mémoires. Ainsi, la ville israélienne de Netanya a été bâtie sur les ruines du village arabe d’Oum Khaled, l’aéroport Ben Gourion de TelAviv sur les décombres d’AlAbbasiyeh. « 530 villages arabes ont été démolis entre 1948 et 1950, estime Khalil Tafakji. En 1967, quatre villages supplémentaires ont été rayés dela carte, remplacés par Canada Park. » Il est l’un des premiers à avoir saisi l’ampleur de cette politique systématique consistant à donner aux lieux d’origine arabe des toponymes hébreux. Elle s’est poursuivie en Cisjordanie, après 1967, lors de ce qu’on appelle la colonisation.
« L’Etat, alors contrôlé par les travaillistes, s’est concentré au début sur la vallée du Jourdain, JérusalemEst et le Goush Etzion [un groupe de colonies
YANN LEGENDRE
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0123MARDI 3 MARS 2020 0123 | 29
L es adversaires de l’« idéologie mondialiste » et desa traduction économique attendaient obscuré
ment la manifestation du cygnenoir. L’événement brutal auxeffets destructeurs que l’on rangeau rayon des histoires improbables par incapacité à envisager le pire est survenu, tranchentils,sûrs de leur fait : le Covid19 signe l’arrêt de mort de la mondialisation. Vraiment ? L’épidémiedue au coronavirus, qui se répand à travers le monde, a au moins eu l’effet bénéfique de démontrer l’inquiétante dépendance des économies occidentales à la Chine. L’« usine dumonde » fabrique produits etcomposants d’une importance vitale ou stratégique.
Le géant n’a jamais aussi bienporté son nom d’« empire du Milieu ». Il occupe désormais une place centrale dans les chaînes de valeur mondiales, place qu’on la lui a donnée sans être trop regardant en l’admettant, en 2001, au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Son irrésistible ascension, jusqu’à produire près de 30 % des biens manufacturés, s’est en partie faite, on lesait, au mépris de règles suivies par ses concurrents (pillage technologique, fermeture de marchés locaux, aides d’Etat massives, soutiens anticoncurrentiels aux exportations…). Au nom d’un « made in World » que l’OMC, l’OCDE et la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) jugeaient gagnantgagnant pour tout le monde.
La logique des avantages comparatifs de chaque nation a été poussée à l’extrême. « Les chaînes de valeur comptent pour 75 % de lacroissance du commerce total, et la Chine représente la source laplus importante de cette expansion », rappelle Stephen S. Roach, économiste et exprésident de Morgan Stanley Asie, dans Les Echos. La fragilité de la division internationale du travail, qui faitqu’un Airbus ou un iPhone est unassemblage de sousproduits fabriqués dans le monde entier, était apparue, en mode mineur, lors de l’épidémie de SRAS (2003)et du tsunami au Japon (2011), quiavait bloqué les industries automobiles nipponne, chinoise, américaine et européenne. Tout était vite rentré dans l’ordre économique global.
Rien de tel avec le coronavirus.« L’épidémie change la donne de la mondialisation et montre que, dans certaines filières, les difficultésd’approvisionnement peuvent poser un problème stratégique », a reconnu le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en citant les batteries électriques (à 95 % asiatiques) ou les principes actifs à la base des médicaments (80 %). S’y ajoutent terres rares indispensables aux produits hightech, panneaux solaires, matériels électriques, composants électroniques… Alerte à Bercy ! Tous les secteurs de l’industrie seront passés au crible pour identifier les « vulnérabilités stratégiques d’approvisionnement » ; il est « impératif de relocaliser un certain nombre d’activités ».
Même ses thuriféraires du FMIet de l’OCDE sont revenus depuis dix ans de leur vision irénique dela mondialisation. D’autres fac
teurs que le « choc viral » favorisent une régionalisation accrue des productions et des échanges : le réveil (tardif) des Européens surquelques secteurs industriels clés,la robotisation qui permet de relocaliser à moindre coût, la lutte contre le réchauffement climatique, qui appelle moins de transports, le conflit sinoaméricain. « Ce choc peut se combiner à la guerre commerciale pour faire évoluer les stratégies des multinationales vers plus de diversificationet, souvent, une priorité donnée à l’approvisionnement régional », analyse sur son blog le directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), Sébastien Jean.
Fin de cycleBeaucoup se félicitent à grands cris de chaque coup de boutoir donné au « mondialisme ». Unpeu vite, car les raisons de cette segmentation des productions nedisparaîtront pas du jour au lendemain. Les pays émergents offrent encore bien des avantages à leurs donneurs d’ordres des nations riches. Et d’abord une maind’œuvre abondante, souvent bien formée et toujours meilleur marché dans de nombreux secteurs, des ouvrières du textile au Bangladesh aux ingénieurs informatiques en Inde.
Cette épidémie, fûtelle très sévère, n’entraînera donc pas de retour en arrière brutal et définitif d’un phénomène en expansion continue depuis la fin du MoyenAge, tout juste freiné par quelques périodes de replis autarciques. La Grande Peste, qui tua un tiers des Européens autour de1350, n’empêcha pas, quelques décennies plus tard, la naissanced’une économie plus globale où chaque pays a apporté ses produits et ses services. C’est même àpartir du XVe siècle que se constituèrent en Europe les « économiesmonde », selon le terme forgé par Fernand Braudel.
Le grand historien français,mort en 1985, n’eut pas le loisird’inscrire les « trente glorieuses » chinoises dans la longue histoire de ces « économiesmonde », qu’il définit ainsi dans La Dynamique du capitalisme (Flammarion, Champs, 2018) : « l’économied’une portion de notre planète,dans la mesure où elle forme un tout économique », avec une villecentre aux multiples richesses, sapériphérie et ses marges lointaines qui, « dans la division du travail qui caractérise l’économiemonde, se trouvent subordonnées et dépendantes ».
Ainsi se succédèrent la domination de quatre citésEtats de Venise, Anvers, Gênes et Amsterdam, puis celle de Londres et de l’Angleterre à la fin du XVIIIe siècle,enfin de New York et des EtatsUnis au XXe. Avant l’émergence, il y a trente ans, d’un système global, unique dans l’histoire, dont la circonférence est partout et le centre nulle part. Ce cycle s’achève. La volonté du président américain dedécoupler les EtatsUnis de la Chine et même de la vieille Europe annonce un probable retour à plusieurs « économiesmonde ». Le meilleur agent de la démondialisation, ce n’est pas le Covid19, mais le Trump20.
I l y a près de deux décennies, le 11 septembre 2001, une unité d’AlQaida parvenait à attaquer le cœur des Etats
Unis, à New York et à Washington. Les chefsdu mouvement djihadiste international,dont Oussama Ben Laden, vivaient alors enAfghanistan, où le gouvernement talibanleur avait accordé l’hospitalité. Les talibans et Washington prirent chacun une décisionqui changea à jamais l’histoire de l’Afghanistan et du monde : les premiers, même s’ils n’étaient pas complices des attaques du 11Septembre, refusèrent de livrer auxAméricains leurs camarades islamistes ; les seconds, après une guerre victorieuse de trois mois menée sur le terrain par des moudjahidin afghans contre AlQaida et lestalibans, décidèrent d’entraîner la commu
nauté internationale dans une occupationà long terme du pays.
Le monde paie encore le prix de ces deuxfunestes décisions – la troisième ayant été, en 2003, le choix de Washington d’envahir et d’occuper l’Irak, un pays n’ayant aucun lien avec AlQaida. Même si les chefs de l’« opération 11Septembre », dont Oussama Ben Laden, ont été depuis longtemps tués ou arrêtés, principalement au Pakistan, lors d’opérations de police ou de forcesspéciales, la politique de l’administrationBush d’envahir militairement des pays aprovoqué des millions de morts et ébranlé toutes les règles internationales.
L’accord de paix signé entre Washingtonet les talibans à Doha, samedi 29 février, estdonc historique. Même si une paix afghanedéfinitive est loin d’être acquise, il met fin àdixhuit années de gâchis. Le choix de Donald Trump doit ainsi être salué : s’il est le second président américain d’affilée,après Barack Obama, à avoir été élu notamment sur une promesse de retrait de l’armée américaine d’Afghanistan et d’Irak, il a le courage de tenter de mettre fin à la plus longue guerre de l’histoire de l’Amérique, etle courage d’oser accepter une paix en forme de défaite.
Car il ne faut pas s’y tromper : cet« accord » entre ennemis est clairement une défaite pour l’Amérique et ses alliés.Les talibans ont d’ailleurs immédiatement
signifié qu’ils le comprenaient comme une victoire. Cela peut paraître désagréable à une communauté internationale qui s’étaitengagée comme un seul homme derrière George W. Bush en Afghanistan, mais c’estun fait. Si les moudjahidin afghans avaient gagné, avec le soutien de Washington, laguerre légitime contre AlQaida de l’automne 2001, les Américains et leurs alliés de l’OTAN ont perdu la guerre inutile dedixhuit ans qui a suivi.
La principale fragilité de l’accord de Dohaest que le gouvernement afghan, même s’ila été tenu au courant des négociations, n’en est pas cosignataire. Le cœur de l’entente est de prévoir un retrait militaireaméricain en échange d’un arrêt du soutien taliban aux groupes djihadistes internationaux. Pour le reste, Kaboul et les talibans doivent, à partir de maintenant, parvenir à imposer un cessezlefeu durable, etnégocier l’avenir du pays.
Vontils accepter de partager le pouvoir ?L’Afghanistan seratil une démocratie ou un émirat islamique ? Que deviendront les minces progrès accomplis sur le champ de ruines des dixhuit dernières années, notamment en matière de droits humains, et particulièrement de droits des femmes ?L’Afghanistan entre dans une nouvelle ère, elle aussi pleine d’incertitudes. Au moinsappartientil dorénavant aux Afghansd’écrire la suite de leur histoire.
ÉCONOMIE | CHRONIQUEpar jeanmichel bezat
Le coronavirus et la démondialisation
LES PAYS ÉMERGENTS OFFRENT ENCORE
UNE MAIND’ŒUVRE ABONDANTE
ET BON MARCHÉTirage du Monde daté dimanche 1er lundi 2 mars : 194 618 exemplaires
AFGHANISTAN :UNE PAIXEN FORMEDE DÉFAITE
L’ÉPIDÉMIE DÉMONTRE L’INQUIÉTANTE DÉPENDANCE
DES ÉCONOMIES OCCIDENTALES
À LA CHINE
UNATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays dumonde,les chiffres-clés (population, PIB, part du commerce avec laChine et les Etats-Unis…), une carte et une analyse politiqueet économique de l’année par les correspondants duMonde.
UN PORTFOLIO 17 pages des meilleures photos d’actualitéde l’année, sélectionnées par le service photo duMonde.
INTERNATIONAL Les protestations populaires qui ont rythmé2019 plongent le monde dans une profonde incertitude, surfond de tensions politiques et économiques entre les Etats-Unis et la Chine. Les convulsions du Moyen-Orient accentuentlamontée du sentiment d’inquiétude.
PLANÈTE Les Etats ne sont pas parvenus à des résultatstangibles lors de la COP25, alors que les phénomènesclimatiques se multiplient. Les sociétés civiles se sontdavantage mobilisées, secouant les consciences pour lasauvegarde de la planète.
FRANCE Emmanuel Macron poursuit ses réformes,malgré lemouvement des «gilets jaunes» et la vaste contestationsociale hostile à la réforme des retraites. Le mécontentementdu peuple aura-t-il une incidence pour la majoritéprésidentielle lors des élections municipales de mars 2020 ?
IDÉESDeKamel Daoud àNancyHuston en passant par CécileDutheil de la Rochère, Olivier Beaud, Fabienne Brugère,Patrice Maniglier, Dominique Schnapper… les textes publiésdans Le Monde qui ont marqué l’année 2019.
220 PAGES
12 €
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