le mont blanc... autrement

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This photo album describes the five days during wich a group of 6 friends went to climb the Mont Blanc in July 2013, starting from les Contamines-Montjoie. Book written in French but with a lot of photos for those who would like to have a moment of fun.

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Page 1: Le Mont Blanc... autrement
Page 2: Le Mont Blanc... autrement

Depuis près de quinze ans que je voyage à travers le monde, j’ai déjà fait quelques sommets, dont une bonne douzaine de plus de 5000m (et quelques 6000). J’ai même dormi plus d’une semaine à plus de 5000m dans les sublimes glaciers du Pakistan. Et, régulièrement, mes treks au Népal et aux Amériques me font franchir des cols à 5000m en simples chaussures de rando. Alors, à quoi bon tenter un « petit » sommet embouteillé (20 000 tentatives chaque année en été), et que certains puristes ne considèrent même plus comme le Toit de l’Europe ?

La réponse la plus simple, c’est l’alpiniste Gaston Rebuffat qui me la donne : « L’alpiniste est un homme qui conduit son corps là où, un jour, ses yeux ont regardé… ». Tout simplement. En fait, je viens à Chamonix presque chaque été depuis 10 ans maintenant. J’y ai surtout fait de la marche, avant de tenter la rando glaciaire, avec la traversée de la Vallée Blanche. Une révélation pour moi, qui m’a conduit à tenter de petites courses dans la vallée, puis des 5000 et des 6000 ailleurs dans le monde. Mais le Mont Blanc, que je regarde des heures chaque fois que je reviens, restait toujours un objectif, mais sans jamais avoir ni la bonne météo, le temps nécessaire, et surtout faute d’ami(e)s prêt(e)s à me suivre.

Finalement, c’est au Népal que je les ai trouvés ! En l’occurrence Véro, Benoît, Alain et Duche et notre guide Guillaume avec qui j’ai gravi mes premiers 6000, en novembre 2012. Nous nous sommes ensuite retrouvés en janvier 2013 avec déjà quelques idées de courses. Et puis un beau matin d’avril, Benoît nous envoie un mail pour organiser une ascension du Mont Blanc, mais avec un itinéraire inédit et une course par le versant italien. J’ai donc sauté sur l’occasion, puis tout s’est rapidement enchaîné. Trop d’ailleurs quand j’ai découvert l’itinéraire (passage d’arête vertigineuse, 1700m de dénivelé positive, 15h de marche le jour du sommet). Mais il était déjà trop tard pour reculer.

Au final, tout s’est très bien passé (même si j’en ai bavé) comme vous allez le découvrir dans le récit et les photos qui suivent. J’espère en tout cas que cela vous donnera envie d’en faire de même. Mais faites-le avec une bande de copains, c’est beaucoup plus amusant.

Fabrice

Le Mont Blanc… autrement

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Oh toi Mont Blanc dominant la vallée de Chamonix !Oh toi majestueux sommet remplissant nos rêves !Oh toi qui te mérite…

Mais que recherche-t-on dans cet univers blanc ?

Certains cherchent dans la montagne l’ivresse des exploits sportifs, le plaisir de la lutte contre les obstacles et contre des rivaux réels ou imaginaires.

D’autres grimpent par goût du danger par désir d’affirmer leur personnalité par mépris aussi de la vie quotidienne et de ses inévitables tracas.

De mon côté, je crois chercher dans mes nombreuses aventures l’Amitié.

A travers ce récit, je vous invite à rentrer dans l’aventure d’une bande de copains rencontrés dans les montagnes du monde, de nationalité Belgo-Française à l’assaut d’un Mont-Blanc à l’ancienne…

Une aventure unique que peut de monde peut se vanter d’avoir accompli.

Bonne lecture !

la préface de Véro

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Vendredi 28 juin 2013, 7h du matin. Alain et moi commençons notre aventure dans le dortoir du camping du Pontet, aux Contamines-Montjoie. Autour de nous, quelques marcheurs plus ou moins réveillés enfilent leurs vêtements avant de descendre au rez-de-chaussée, où est servi le petit-déjeuner. C’est le gardien du camping qui nous accueille, un type assez sympathique et qui discute facilement. Il faut dire que malgré son jeune âge, probablement la quarantaine, il a déjà pas mal bourlingué en Amérique latine et dans l’Himalaya. Il est ainsi allé en vélo sur les plateaux tibétains au pied du Mont Kailash et même au camp de base de l’Everest côté chinois.

Après une petite douche revigorante, nous commençons à revêtir nos tenues de trek et à faire notre sac à dos – qu’il va falloir alléger au maximum. En effet, nous allons le porter pendant près d'une semaine, avec en plus une longue journée d’ascension qui devrait durer plus de 15 heures. On ne garde donc que l'essentiel, comme les crampons, le piolet, le sur-pantalon gore-tex, quelques médicaments, la frontale et deux paires de gants, sans oublier les boules Quiès, indispensables en refuge. Exit en revanche les vêtements de rechange inutiles (un seul pantalon suffit), le shampoing ou le tube de dentifrice (il existe aujourd’hui des pastilles à sucer très pratiques et légères). Pas besoin non plus de duvet, car les refuges disposent en général de couvertures ou de couettes. Un drap de soie suffit donc pour assurer un minimum de confort et d’hygiène. Je garde enfin une place pour toutes les barres énergétiques et autres poudres miracles qui me permettront de résister lors de la journée du sommet. Pour les autres jours, Benoît et Véro ont de toute façon prévu d’emmener leurs réserves d’amandes salées et leur BiFi, un mini-saucisson sec fumé en snack connu de tous les belges. Vers 9h, nos sacs à dos sont enfin prêts quand arrive Guillaume, notre guide sur le Mera Peak et l’Island Peak en novembre 2012, et qui va nous accompagner pour cette ascension du Mont Blanc. Duche, lui, arrive quelques minutes plus tard, en compagnie de Véro et Benoît, qui ont pris un vol Bruxelles-Genève tôt ce matin. La dream team du Népal est ainsi (presque) reformée puisqu’il ne manque que Bernard et Laurent. Le groupe de cinq marcheurs est complété par Caroline, une chambérienne que Véro a connu il y a trois ans durant un trek au Maroc. Après de brèves embrassades, Guillaume nous réunit pour un petit briefing autour d’un café, comme il avait l’habitude de le faire lorsque nous étions au Népal. Il en profite ainsi pour vérifier si nous avons bien tout le matériel nécessaire et nous recommander la prudence. Il faut dire qu’il ne nous rejoindra que dans deux jours seulement, sur le chemin qui mène au refuge Gonella. Il nous prodigue donc les derniers conseils et complète notre panoplie (notamment avec des casques et des gants d'appoint). Sans surprise, il trouve à redire à mon équipement… mais j’ai l’habitude ! 

vendredi échauffement

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photos du haut : le groupe devant Notre Dame de la Gorge (1210m), une magnifique petite chapelle baroque achevée en 1707.

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Nous prenons ensuite les voitures pour monter au niveau de Notre Dame de la Gorge (1210m), une magnifique petite chapelle baroque achevée en 1707, qui se trouve au bout de la route. C’est ici que nous démarrons notre première journée de marche. Il n’est alors que 11h, ce qui nous laisse donc le temps de nous mettre en jambes tranquillement.

Alors que nous sommes à peine partis, Véro, Duche et moi évoquons déjà à quoi pourrait ressembler notre prochaine escapade en montagne, peut-être en 2014, probablement au Népal. Mais la discussion s’arrête vite, car nous devons garder notre souffle pour faire les 500m de dénivelée qui nous séparent de la Balme. En tout cas, le chemin est bien tracé et passe surtout au milieu de jolis pâturages, où paissent quelques vaches aux couleurs sombres, typiques du coin.

En à peine une heure et demie nous atteignons déjà la Balme, située à 1706m. C’est là que nous nous asseyons sur un banc, face au glacier de Tré-la-Tête, pour une bonne pause sandwich. C'est Caro, la « locale », qui les a préparés. Et elle n'a pas lésiné sur les bonnes choses. A commencer par un énorme morceau de reblochon, un bon morceau de saucisson de pays et un quart de tomme de Savoie. Que du bonheur !

Nous repartons vers 13h15 sur un chemin plus accidenté et pierreux, jusqu'aux Châlets de Joyet (1900m). A partir de là, le temps devient de plus en plus maussade et le plafond nuageux s'abaisse. Il faut donc accélérer un peu le pas pour ne pas être pris par le mauvais temps. Mais cela nous laisse quand même le temps d’admirer la faune et la flore. Caro, qui a un œil de lynx va d’ailleurs repérer deux marmottes, qui se laissent photographier, mais toujours à bonne distance.

A ce stade, le chemin traverse de plus en plus de plaques de neige et de glace, car il a beaucoup neigé cet hiver, et encore en mai. La montée devient donc plus pénible pour les simples marcheurs qui font le Tour du Mont-Blanc (TMB), mais pas pour nous, car nous avons déjà aux pieds nos chaussures de haute-montagne.

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Arrivées au Col du Bonhomme, niché à 2329m, il commence à neiger, et la visibilité se réduit de plus en plus sur le magnifique Cormet de Roselend en contrebas. Nous décidons donc de limiter la pause et de repartir au plus vite pour pouvoir atteindre le plus rapidement notre refuge, avant de ne plus rien voir.

Après trois bons quarts d’heure de marche dans la neige et la caillasse, nous arrivons enfin au refuge de la Croix du Bonhomme (2433m), perdu au milieu de nulle part, mais avec une vue spectaculaire sur les Grandes Aiguilles. Il n’est que 16h, ce qui signifie que nous avons mis moins de 5h pour faire 1200m de dénivelée. C’est peu, mais suffisant vu qu’il reste encore 4 jours de marche.

Le refuge n’a rien d’extraordinaire, mais un joli cachet de vieille bergerie qui peut tout de même accueillir près d’une centaine de personnes. A l’intérieur, la salle à manger ne présente aucun charme particulier, ce qui n’est pas le cas en revanche des gardiens, qui ressemblent presque à des lutins vu leurs coupes de cheveux et leurs vêtements. 

Mais peu importe le charme, l’essentiel aujourd’hui est surtout d’être à l’abri, car le temps continue de vite se couvrir. L’autre avantage, c’est que le lieu possède, en plus d’un grand dortoir de 24 places, une dizaine de chambres de 4 à 7 places, ce qui fait que nous allons pouvoir dormir ensemble, sans crainte d’être réveillés par les ronflements des autres.

Vu que le repas n’est servi qu’à 17h et qu’il n’y a pas encore d’eau chaude pour la douche solaire, nous en profitons pour retourner au réfectoire et commander notre première bière. Nous évoquons déjà la suite du parcours et faisons plus ample connaissance avec Caro. Le temps passe vite et, 2h plus tard, le dîner est servi. Au menu, une bonne soupe de légumes, du bœuf bourguignon avec une succulente polenta recouverte de fromage fondu et du gâteau au chocolat.

Vu qu'il n'est que 20h, nous décidons de finir la soirée en faisant tous ensemble une partie délirante de Scrabble qui durera plus d'une heure et demie. Au moment de se coucher, il fait encore jour, mais le brouillard masque totalement le paysage et dévore ainsi les montagnes avoisinantes. Espérons que demain le temps sera moins couvert.

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Le refuge de la Croix du Bonhomme (2433m), situé au milieu de nulle part, mais avec une vue imprenable sur les Grandes Aiguilles. Il peut accueillir près d’une centaine de personnes. Il est ravitaillé par héliportage au début de la saison d’été, puis régulièrement à dos d’homme.

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Ce matin, lever un peu avant 7h pour aller au petit-déjeuner, mais nous rangeons avant cela nos sacs pour partir le plus tôt possible. Seulement, au moment d’arriver dans la salle à manger, tout le monde s’est un peu installé. Il faut donc bousculer un peu tout ce petit monde – dont certains ne comprennent ni le français ni l’anglais – pour récupérer une tasse par ci, du beurre par là. On perd bien quelques minutes, mais rien de bien grave au final, car nous n’avons prévu que six heures de marche et le refuge de ce soir est réservé. En fait, notre vraie préoccupation du jour, c’est que la météo annonce une journée de pluie. L’idée est donc de partir vite pour être à notre prochaine étape le plus rapidement possible et ainsi pouvoir faire sécher nos affaires avant la montée en altitude.

Départ à 8h07 précisément. Dehors, le ciel n'a pas changé par rapport à hier soir. C'est un vrai rideau de fumée blanche; on n'y voit pas à vingt mètres. Du coup, impossible de prendre le chemin initialement prévu qui remonte par le col des Fours (2565m) et redescend à la Ville des Glaciers. Il faut donc s'adapter et prendre le chemin sinueux qui serpente jusqu'au hameau des Chapieux, soit 900m de dénivelée. Au début, nous marchons sur la neige et quelques flocons viennent délicatement se déposer sur nos habits et nos visages. Mais au bout d'une demi-heure, nous atteignons la limite pluie-neige. La neige laisse alors la place à des chemins ruisselants d'eau. Comme nous sommes équipés pour la haute montagne, cela ne pose pas véritablement de problème, et nous profitons même dans certains cas de morceaux de névés pour descendre en ligne droite dans la neige, tandis que les malheureux trekkeurs hésitent à chaque pas sur des sentiers boueux où ils menacent de glisser à chaque instant.

La pluie s'arrête puis recommence, nous laissant ainsi apercevoir furtivement quelques paysages au loin. Caro verra d'ailleurs un joli troupeau de bouquetins en contrebas. Peu farouches, ils se laissent d'ailleurs photographier, mais à distance respectable. Vers 1800m, nous arrivons aux Chalets de la Raja, puis traversons quelques champs et clôtures électriques, avant d'atteindre vers 10h30 le hameau des Chapieux, niché au creux de la vallée, à 1550m. Il pleut toujours, mais au moins on peut s'abriter sous des arbres. Nous profitons de cette halte pour refaire le plein de beaufort, de saucisson et de pain frais (enfin, décongelé) chez l’épicière du coin. Nous en profitons pour lui demander si nous pouvons prendre la navette gratuite qui monte jusqu'à la Ville des Glaciers. Mais elle nous répond que, malheureusement, le bus ne sera opérationnelle qu’à partir du 8 juillet. Super ! Ainsi nous aurons fait toute la boucle à pied !

Vers 11h, c'est donc à regrets que nous remettons nos sacs trempés sur le dos et empruntons la petite mais longue route de montagne qui mène jusqu'à notre prochaine étape. Le dénivelé n'est pas énorme (250m), mais en général les marcheurs détestent cette portion interminable et qui échauffe les pieds au contact de l’asphalte. Sans oublier qu'aujourd'hui les conditions météo sont loin d'être idéales.

samedi jour de pluie

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photos de gauche : descente au milieu des pâturages qui mènent jusqu’au hameau des Chapieux (1550m)photos de droite : après Ville des Glaciers, le temps ne s’améliore pas, mais nous pouvons au moins nous réfugier au chalet des Grands Mottets.

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Il nous faut près d’une heure pour rejoindre notre deuxième étape. Nous aurions bien mangé ici, mais la pluie battante nous en empêche. Nous bifurquons donc à droite sur un petit chemin mal tracé qui, en un peu plus d'une demi-heure, nous amène au pied du chalet des Grands Mottets (1870m). Lorsque nous entrons, l'ambiance est presque irréelle, avec une décoration d’éco-musée : des pains qui sèchent au plafond, de vieux skis en bois, des photos d'antan, des lampes à pétrole d’un autre âge, etc. Sans oublier le gardien, bien vivant, mais sec comme un coup de trique et qui paraît tout droit sorti d’un livre d’histoire !

Nous n'avions pas prévu de manger ici, mais nous sommes trop dégoulinants pour refuser cette chaleur et être au sec au moins pendant 1h. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls, car un groupe d’anglais et trois japonaises que nous avons dépassés ce matin viennent eux aussi se réchauffer au pied du poêle, et déguster une bonne soupe aux légumes, tout comme nous.

Une heure plus tard, le ciel ne s'est toujours pas dégagé et il pleut toujours à seaux. Mais de toute façon, il faut bien repartir, car notre timing est assez serré pour les jours qui suivent, et Benoît a déjà réservé tous les refuges. La bonne nouvelle malgré tout, c'est qu'il ne devrait pleuvoir qu'aujourd'hui avant plusieurs jours de grand beau temps –ce qui constitue pour nous un vrai élément de motivation, aussi maigre soit-il.

Au début, le chemin monte en zigzag, avant de partir direction nord-est vers le Col de la Seigne. Durant la montée de près de 600m, nous ne croisons plus personne. Ici, la nature se fait plus sauvage, les névés commencent à pointer le bout de leur nez. Vers 2300m, la pluie se transforme de nouveau en neige.

Arrivés au Col, à 2516 m, c'est le vent qui commence désormais à se lever. Du coup, nous redescendons presque immédiatement sur l’autre versant de la montagne, sans trop prêter d'attention au fait que nous venons de franchir la frontière italienne. La descente se fait aussi le plus rapidement possible, car l'eau commence à rentrer par tous les pores de la peau et à s'infiltrer insidieusement dans nos chaussures et nos chaussettes. Une heure plus tard, nous voici enfin sur un petit replat, et l'on voit enfin, niché à gauche, le refuge Elisabetta Soldini tant espéré (2195 m).

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Après 8h35 de rando, chacun est donc enfin heureux de pouvoir enlever ses vêtements trempés dans le séchoir d’entrée (enfin, s’il reste une petite place pour les y mettre) et de trouver de la place dans la petite salle à manger surchauffée où plus d’une cinquantaine de marcheurs sont déjà attablés. .

Contrairement à hier, tout paraît ici désorganisé, à l’image du jeune gardien, qui a du mal à comprendre son propre agenda et ses réservations. Il nous promet toutefois de regarder « d’ici cinq minutes » s’il peut nous trouver une chambre juste pour nous. Mais pour l’instant, nous devons patienter. En attendant, nous en profitons pour trouver quelques places assises et commander des bières.

Une demi-heure plus tard, le gardien est toujours aussi débordé. Nous le relançons quand même. Il nous promet toujours une chambre, mais propose, en attendant, de nous mettre dans un grand dortoir au fond d’un couloir, au rez-de-chaussée. Nous y allons à reculons, faute de mieux. Et effectivement, avec ses dix huit couchettes de bois et métal réparties sur trois niveaux, l’endroit paraît un peu sordide et, surtout, très humide et froid. Mais tant pis, car nous n’aurons probablement rien de mieux pour cette nuit. L’avantage, au moins, c’est que personne d’autre ne devrait venir nous y rejoindre . Du coup, nous en profitons pour vite étaler nos affaires sur tous les espaces encore libres : barreaux, tables, recoins, etc.

Comme il y a beaucoup de monde ce soir et que la salle à manger est petite, nous ne serons pas au service de 19h, mais à celui de 20h. Qu’à cela ne tienne, nous en profitons pour aller nous occuper de nos chaussures et de nos chaussettes détrempées, restées dans le séchoir. L’humidité est telle qu’il va falloir faire quelque chose car dès demain nous attaquons la montée.

Faute d'avoir pu récupérer du papier journal au refuge précédent, nous profitons donc de la faible affluence dans les toilettes pour récupérer un maximum de papier hygiénique, que nous mettons ensuite dans nos chaussures pour absorber l’humidité. Le tout de la manière la plus discrète possible… enfin avec un énorme sourire en coin dès que nous nous croisons dans les couloirs. Heureusement, au moment du repas, le gardien vient brancher un poêle portable qui, pendant toute la nuit, va permettre de tout faire sécher.

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Nos petites manigances finies, nous retournons donc dans notre dortoir et attendons l’heure du dîner dans les couvertures, côte à côte, à jouer à des jeux un peu stupides. On se croirait presque en colo ! Mais c’est ça aussi les bons moments en refuge, loin des problèmes du monde extérieurs (hormis peut être ceux des odeurs de pieds et l’humidité…).

Comme prévu donc, le dîner est servi à 20h. Rien d’extraordinaire hormis peut être ce délicieux risotto qui fond sous la langue et permet de se réchauffer. Nous discutons un peu pendant et après le repas avec un couple de charmants québécois qui font le Tour du Mont-Blanc (TMB). Mais nous sommes tellement fatigués que nous préférons retourner assez vite au dortoir, car demain nous attend aussi une longue étape de montée au refuge. La mauvaise nouvelle, c’est que deux Anglais nous ont rejoints. La bonne, c’est qu’on nous a mis un petit chauffage d’appoint qui devrait ainsi faire sécher nos affaires pendant la nuit. Espérons que cela sera suffisant. Et surtout que nos affaires auront bien séché.

photos de gauche : arrivée trempée en haut du Col de la Seigne (2516m). Nous sommes désormais en Italie. La descente se fera à moitié dans la neige, puis sur un sol à moitié boueux et détrempé.photo de droite : Caro et Véro ne sont plus qu’à 200m du refuge Elisabetta (2195m).pages suivantes : l’intérieur du refuge Elisabetta (séchoir, salle à manger, dortoir).

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Durant toute la nuit, Duche n'a cessé de ronfler et Caro, Alain et moi n'avons dès lors pas pu fermer l’œil de la nuit. Et ce, même avec des boules Quiès dans les oreilles et un oreiller sur nos têtes. Benoit et Véro, eux, n’ont rien entendu. Mais la bonne nouvelle du lendemain matin, c'est que les affaires ont enfin pu sécher et que le temps semble être revenu au beau fixe, comme nous l'avions espéré. Nous partons ainsi le cœur un peu plus léger vers 8h30, sous un soleil radieux.

Après une descente assez raide dans les névés, nous empruntons un chemin rectiligne vers la retenue (asséchée) de Combal, où nous voyons apparaître pour la première fois la face majestueuse de l'Aiguille Noire de Peuterey et le Mont Blanc de Courmayeur. Une heure à peine après le départ, nous passons un petit pont pour rejoindre Combal, où les Italiens sont en train de construire un énorme refuge. C'est ici que notre chemin se sépare d'avec ceux qui font le Tour du Mont Blanc et descendent sur Courmayeur. Benoît téléphone alors à sa femme, qui lui apprend que l'un de ses amis vient de réussir le Mont Blanc. Malheureusement, celui-ci avait sous-estimé le froid et a dû être héliporté à l’hôpital de Sallanches. Certains de ses doigts sont bien gelés, et il risque l'amputation d'une phalangette à l'annulaire. L'info refroidit un peu le groupe, surtout qu'on se dit que cela peut nous arriver aussi. Un bon moyen en tout cas de prendre conscience qu'il faut être vigilant à chaque instant et ne pas se relâcher.

A 10h, nous entamons, seuls, la montée de la pente de la gigantesque moraine du Glacier du Miage, que nous allons remonter pendant trois heures. Pour beaucoup, un glacier est une grande langue blanche qui serpente au pied des versants de la montagne. En réalité, les premières centaines de mètres ressemblent surtout à un immense tas de cailloux et de rochers enchevêtrés les uns dans les autres et dans lesquels il faut bien se repérer. Il n'existe en effet pas de chemin précis, car ces rochers, petits et gros, bougent continuellement, sous l'effet de la glace qui se trouve juste en dessous. Heureusement, nous pouvons nous repérer à l'aide de gros points jaunes peints directement sur les rochers et espacés d'une cinquantaine de mètres.

Le jeu de piste prend fin deux bonnes heures plus tard, lorsque la caillasse disparait au profit du glacier lui-même. Il est alors plus facile de se repérer avec les traces déjà faites par d’autres cordées et des skieurs de randonnée. Mais attention là aussi, car dans certaines parties, la neige n'a pas entièrement recouvert les crevasses. Nous avançons donc au ralenti et en nous espaçant d'une dizaine de mètres.

dimanche la longue montée au Gonella

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photo de gauche : refuges utilisés en été par les bergers italiens. photo de droite : l’Aiguille de Tré-la-Tête

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photo de gauche : l’Aiguille Noire de Peuterey. Photo ci-dessus : au premier plan le lac de Combal, et en arrière-plan à gauche le Col de la Seigne (2516m) qui marque la frontière entre la France et l’Italie. A droite la Petite Aiguille des Glaciers (3468m) et l’Aiguille des Glaciers (3816m).

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Vers 10h, le petit groupe franchit la moraine et redescend dans le Glacier du Miage pour une longue marche de trois heures, d’abord dans la caillasse, puis dans la glace. A partir de là, plus de chemins, mais d’énormes points jaune peints sur les rochers pour se guider.

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Un peu après midi, nous longeons une bédière, un petit torrent qui parcourt en général la surface du glacier et est alimentée par les eaux de fonte. Ici, le torrent se résume plutôt à un mince filet d'eau, mais apporte une touche de vie à ce désert glacé. Plus loin, un gros rocher plat est comme posé en équilibre sur la glace. C'est là que nous décidons de manger notre sandwich, puis de faire une petite sieste au milieu de cet endroit perdu et paisible, avec en face de nous le Mont Blanc et son sommet d'un blanc immaculé, que viennent lécher quelques cumulo-nimbus. Ce Mont Blanc est réel, beau attirant. Véro le regarde. Tout lui semble prêt pour une magnifique course. Duche, le plus expérimenté en montagne, propose d’écourter la sieste pour aller le plus  rapidement possible au refuge. L’idée n’est pas tant d’avoir du temps pour s’y reposer que de faire sécher nos dernières affaires encore mouillées en plein soleil. Nous remontons, non encordés, au cœur du glacier.

Arrivés au pied d’un contrefort rocheux, nous bifurquons sur la droite pour atteindre la barre rocheuse des Aiguilles Grises. D'après le guide que j'avais lu avant de partir, nous n'avons plus qu'à rejoindre un sentier équipé dans la roche, qui nous conduira au refuge. Seulement, il a beaucoup neigé cet hiver et au printemps. Du coup, le chemin d'accès est devenu un couloir d'avalanche (la neige est retournée dans tous les sens sous forme de petits blocs de 50 cm de diamètres).

Il faut donc être très vigilant et progresser pas à pas en gardant une distance de sécurité de dix mètres entre nous, d'autant plus que nos guides ne sont toujours pas là. D’ailleurs, au moment où je m'apprête à partir, une petite coulée se déclenche en amont. Je vois nettement la neige se transformer en une masse d'eau qui commence à dévaler la pente… mais qui se dirige heureusement vers une autre direction que la nôtre. Petit moment de frayeur donc, mais sans conséquences. Dans ces cas là, il faut bien entendu garder son calme, à la fois pour soi, et pour le reste du groupe.

Le sentier que nous devions trouver n'existe donc pas, ou plutôt est recouvert par la neige, ce qui ne facilite pas notre progression. En outre, certains passages à flanc de montagne sont à peine tracés dans la neige, sur des pentes à plus de 30° d'inclinaison qui filent vers le bas du contrefort rocheux. Au moindre faux…

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… pas, la chute menace donc de nous faire glisser 50m plus bas. A cela s'ajoute la menace de petites coulées de neige, traversant les passages que nous devons emprunter. Celles-ci refroidissent quelque peu notre enthousiasme. Le groupe s’arrête alors. Que faire si une coulée nous emporte vers le bas de la pente ? Nous pourrions nous encorder, mais c'est Guillaume qui a le matériel, et il ne nous a pas encore rejoint. Caro se pose des questions. Nous aussi. Nous décidons alors de faire une pause pour en discuter, car il est toujours possible d'attendre Guillaume. Il faudrait toutefois attendre plus de deux heures ici, dans un environnement hostile et en plein soleil.

Heureusement, un groupe de quatre alpinistes autrichiens, encordés et mieux équipés arrive alors à notre niveau. Nous leur expliquons que nous n'avons pas encore de guide et que nous préférerions les voir passer en premier pour plus de sécurité. Ils jouent le jeu et traversent, non sans avoir fait de belles traces dans la neige pour faciliter notre passage. L'atmosphère reste un peu tendue, mais nous décidons finalement de traverser. Les Autrichiens nous attendent. Finalement, tout le monde passe sans encombre.

Au loin, on entend de plus en plus nettement et fréquemment le bruit des coulées de neige. Un phénomène normal à cette heure et vu le décor encaissé vironnant. Mais cela impressionne tout de même. Nous accélérons donc le mouvement et cherchons le meilleur chemin à travers les rochers et la neige, le plus souvent en s'aidant de nos quatre membres. Au fur et à mesure, le chemin paraît moins dangereux, mais toujours plus escarpé et aérien, et il faut souvent s'aider des mains pour gravir certains ressauts rocheux.

Au fur et à mesure que nous avançons, nous bifurquons vers la gauche avant de traverser un névé pour atteindre la moraine qui borde le grand névé rive droite du Glacier du Dôme, d'où l'on voit bien le refuge, situé une centaine de mètres plus haut. C'est là que nous rencontrons un alpiniste italien, seul, qui rebrousse chemin. A partir de là, l'inclinaison de la pente s'accroît encore. Il faut de plus en plus souvent s'aider des câbles et des marches fixés à la roche, quand celle-ci n'est pas recouverte de neige qui commence à fondre ou à se détacher sous nos pieds.

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Heureusement, un peu avant 17h, Guillaume, bientôt rejoint par Serge Bazin, notre second guide, rattrapent le groupe. Après de brèves salutations, ils nous doublent et nous aident à franchir le raide ressaut rocheux qui porte le refuge. Ici, la pente neigeuse atteint 40° d'inclinaison et il faut donc s'aider des échelles, et surtout de son piolet pour ne pas risquer de glisser.

Il est finalement un peu plus de 17h30 lorsque nous arrivons enfin au refuge Gonella (3071m), du nom de Francesco Gonella, président de la section turinoise du Club Alpin Italien dans les années 1920. L'endroit n'a plus rien à voir avec la première cabane de bois construite en 1891. En effet, le refuge a été entièrement reconstruit entre 2007 et 2011 et se révèle être aussi fonctionnel que le nouveau refuge du Goûter.

On entre ainsi par le sous-sol, où l'on dépose ses affaires, avant de monter au premier étage où se trouve l'accueil, la cuisine et une grande salle-à-manger en bois agrémentée d'une immense baie vitrée qui donne sur l'ensemble du massif environnant. Le lieu est presque irréel vu son emplacement, et on aimerait presque y passer ses vacances. Les chambres sont juste au-dessus, avec une enfilade de 24 lits sur deux hauteurs. Nous y retrouvons d'ailleurs les quatre autrichiens qui y font un somme.

Très vite, nous commandons une bière pour nous remettre de nos émotions et nous réhydrater, avant d'aller faire sécher sur la plate-forme extérieure ce qui peut encore l'être à cette heure. D'ici, la vue est formidable, avec l'Aiguille de Tré la Tête juste en face et son glacier suspendu, et le Mont Blanc derrière nous. On se prend déjà à rêver à demain, surtout que la météo est annoncée comme très favorable.

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Malgré sa beauté sauvage, l'endroit est très peu fréquenté, et il n'y a d'ailleurs que nous, les quatre aspirants guides autrichiens et deux alpinistes italiens arrivés un peu après nous. Sans oublier les deux gardiens, un homme et une femme, la trentaine, qui sont ici depuis le 8 juin. Parmi les seuls points négatifs, le manque d'eau, car une avalanche a emporté (récemment ?) les tuyaux d’adduction accrochés à la montagne. Il faut donc se contenter d'eau de fonte pour nos gourdes.

Nous avons à peine eu le temps de nous déchausser et de mettre nos chaussures autour du poêle que le dîner est servi, un peu après 18h. Le réveil se fait ici à minuit, et il faut donc dormir un peu avant. Vu l'éloignement du lieu et les difficultés d'approvisionnement (uniquement par hélico), le repas n'a rien d'un festin, avec purée liquide et rôti de porc. En revanche, le dessert est une succulente tarte à la confiture du Champsaur.

Nous retournons rapidement à nos pénates pour essayer de dormir, mais avant cela chacun refait son sac une dernière fois pour rendre accessibles les affaires indispensables pour la course du lendemain, comme la doudoune, la seconde polaire et la gourde. Les barres de céréales, elles, iront directement dans les poches de la gore-tex ou du sac à dos. C'est l'extinction des feux vers 20h, alors que le soleil n'est pas encore couché et que la lumière est probablement superbe. Une bonne sieste plus qu'une vraie nuit de sommeil après ces huit heures de marche, mais il faudra s’en contenter.

à gauche : Caro et Véro avec en arrière-plan le Rocher du Mont Blanc. à droite : vue sur les sommets italiens depuis la salle-à-manger du Gonella.

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Comme annoncé la veille, le gardien nous réveille à minuit pile. Chacun se lève en silence, range son drap de soie, enfile son collant thermique et son pantalon de gore tex, puis se dirige vers la salle à manger. En fait, comme il est vraiment très tôt, nous avons décidé de déjeuner tranquillement, puis de faire nos sacs et de vérifier nos crampons juste avant de partir. Les gardiens, qui sont restés éveillés jusque-là, nous servent du thé et du café. Malgré le manque évident de sommeil, tout le monde parait en forme pour cette longue ascension. Et la bonne nouvelle, c'est que les chaussures et les chaussettes que nous avions laissées au pied du poêle sont quasiment sèches.

Un peu avant 1h, nous remontons à l'étage supérieur pour finaliser nos sacs, en prenant soin de mettre sur nous les gants et la frontale, et les barres de céréales dans les poches. Alors que les gardiens vont enfin se coucher, nous descendons au sous-sol pour enfiler chaussures et crampons et faire un dernier check avec Guillaume et Serge. Puis nous sortons sur la grande plate-forme métallique. Dehors, il ne fait pas froid et il y a peu de vent, ce qui fait que la polaire sera largement suffisante pour démarrer. Guillaume commence à faire les nœuds de son équipe, constituée de Véro et Caro, puis ceux de la cordée autonome constituée par Alain et Duche. Serge fait de même avec Benoît et moi. A priori, les cordées sont de même niveau, ce qui est crucial pour avoir un rythme régulier et adapté durant cette longue montée.

Toutes les manipulations achevées et les consignes de sécurité données, il est déjà 1h45. Guillaume, suivi de Caro et Véro, s'engage alors sur une trace à peine visible dans la neige, qui coupe une pente de près de 40° d'inclinaison. Mieux vaut ne pas tomber car sur cette portion les pentes sont raides et exposées au-dessus de barres rocheuses. Ici, le moindre faux pas et vous dévalez la pente jusqu’en bas sans pouvoir vous arrêter. Mais vaut mieux ne pas y penser et bien fixer ses pieds ou se tourner légèrement vers la pente.

Sur les premiers mètres, le chemin est éclairé par la veilleuse surpuissante du refuge, qui sert de phare à ceux qui se seraient perdus au milieu de cette immense étendue de glace, déserte et hostile. Mais très vite, c'est le plongeon dans le noir total, dans l'inconnu. Mais pas d'inquiétude, car nous avons des frontales qui permettent de suivre la trace, sans oublier Guillaume qui connaît le tracé. Sauf qu’au bout d’une dizaine de minutes, la trace disparaît à cause d’une avalanche récente. Caro n’étant pas très chaude pour s’aventurer sur un passage dangereux, Guillaume décide alors de remonter pour chercher de la neige plus molle. Ce détour nous oblige à monter plus haut que prévu pendant une dizaine de minutes, avant de venir « frapper » une grande barre rocheuse infranchissable. Il faut alors redescendre sur une pente à 35° en longeant prudemment la roche mais en faisant attention à ne pas s’enfoncer dans les interstices entre la roche et la glace, , souvent traitres. Nous retrouvons finalement la trace initiale qui nous mène ensuite à une petite brèche, où nous prenons enfin pieds sur le Glacier du Dôme (3085m).

lundi Mont Blanc, nous voila (ou pas)

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Nous attaquons désormais une longue remontée du glacier. Sur les photos qu’on trouve sur Internet, le chemin paraît assez simple, d'autant plus que comme il beaucoup neigé cet hiver, les crevasses sont comblées. Seulement, nous faisons le chemin de nuit, et il faut donc faire attention à chaque pas, être concentré et vigilant. J'en ai d'ailleurs fait l'expérience, car 2h après le début de l'ascension, au moment de faire un pas dans la neige, ma jambe gauche s'enfonce subitement jusqu'à l'entrejambe.

J'essaie de ne pas paniquer et de la dégager, mais celle-ci s'enfonce de nouveau. Je crie donc à Serge et Benoît "crevasse" pour qu'ils s'arrêtent et tendent la corde. Pour m’en sortir, je fais en sorte de me coucher sur la glace pour avoir un maximum de surface d'adhérence. Je plante alors mon piolet par la lame et je mets ma main sur la panne pour glisser vers l’avant en étant le plus aplati possible sur la neige. Heureusement, la technique fonctionne plutôt bien et je réussis rapidement à remonter sur la trace. Il est clair en tout cas que dans une telle situation, il vaut mieux ne pas paniquer ni trop gesticuler.

Peu après cette mésaventure, la pente se redresse très vite pour rejoindre le Col des Aiguilles Grises, mais l'ascension reste agréable. En effet, Guillaume et Serge impriment un rythme lent et régulier, ce qui permet de ne pas trop dépenser d'énergie ni d'être trop essoufflé. Nous nous arrêtons pour manger et boire, avant le dernier ressaut et la rimaye qui montent jusqu'au col, à 3810m.

Nous contournons ensuite la petite pointe rocheuse que nous remontons jusqu'à l'arête neigeuse qui mène au Piton des Italiens (4002m). C'est à peu près à ce moment-là que l’aube naît paisiblement à l’horizon, dévoilant le magnifique panorama des Alpes italiennes et françaises.

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photo de gauche : un groupe sur le Col du Dôme. Au-dessus d’eux le refuge Vallot (4362m), la longue arête des Bosses et le sommet entièrement dégagé du Mont Blanc. A ce stade, il reste encore 3h de montée ! Photo de droite : Alain et Guillaume arrivent au niveau du refuge Vallot.

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Nous débouchons rapidement sur l'arête de Bionnassay, que nous allons suivre jusqu'au pied du Dôme du Goûter. Sur ce passage exigu et vertigineux, le moindre faux pas, et vous dégringolez de plusieurs centaines de mètres d'un côté ou de l'autre, au choix côté français ou côté italien du glacier ! Je prends donc furtivement une photo avant de ranger l’appareil et de me concentrer sur ma trajectoire. Mais cela ne me dispense pas d'admirer la vue plongeante. Et là, c'est presque aussi fou que lorsqu'on descend l'arête de l'Aiguille du Midi avec plus de 1000m de pente de part et d’autre de l’arête. Si l’un d’entre nous tombait, la seule chose à faire est de sauter immédiatement sur le versant opposé pour contrebalancer la chute. Mais il ne vaut mieux pas avoir à tester ce genre d’exercice...

Arrivés de l'autre côté, Serge, Benoît et moi faisons une petite pause avant de repartir en tête. Nous montons jusqu'au Dôme du Goûter dont nous laissons le sommet sur la gauche pour rejoindre le col du Dôme, relativement bien abrité du vent. Il est 8h du matin, il n'y a pas un nuage et le soleil, magnifique, illumine le reste du parcours que nous avons à faire. Des conditions idéales en somme. Nous sommes ébahis de la chance que nous avons. Nous avons fait le plus dur techniquement, mais nous avons déjà marché six heures et il en reste au moins trois pour atteindre le sommet. Sans oublier la fatigue liée au manque de sommeil de ces deux derniers jours. Serons nous assez forts pour atteindre notre but tous ensemble ?

En attendant, Guillaume et Serge nous rassurent sur notre timing plutôt honorable (1100m en 6h) mais insistent surtout sur le fait de bien manger et boire avant de repartir. Nous profitons aussi de cette halte pour abandonner ici tout le superflu, que nous récupérerons à la descente : vêtements, affaires de toilettes, gourdes vides, frontales, etc. En gros, tout ce qui ne sert pas pour la suite du parcours, allégeant donc facilement nos sacs de moitié ! Autant dire une vraie délivrance pour le dos, car la plupart d'entre nous portaient au minimum 10-15 kilos sur le dos depuis le départ.

Nous repartons donc vers 8h30, toujours encordés, mais plus légers et un peu plus frais. Seule Caro, qui avait semble-t-il du mal à suivre le rythme dans la première phase, préfère s'arrêter. Elle redescendra avec un aspirant-guide qui revient du sommet avec d'autres clients. Désormais à sept, nous remontons un pente assez facile qui mène au pied de l'observatoire Vallot (4262m), un observatoire scientifique fermé au public où se trouvent aussi des toilettes sèches.

Après un petit replat, nous voici au pied de la célèbre arête des Bosses, dont la pente paraît assez raide et longue. Mais le Mont Blanc vaut bien un tel effort. Seulement, après avoir passé cette première arête puis une petite descente, se présente face à nous la Grande Bosse (4513m), puis la Petite Bosse (4547m). Ici, vu l’altitude et la fatigue déjà emmagasinée depuis trois jours, chaque pas compte. Il faut presque se concentrer à chaque pas pour ne pas perdre trop d’énergie.

Franchement, on se dit que ça ne finira jamais, d'autant que le rythme de Serge, en général très lent, me semble dorénavant trop rapide. Je m'en rend surtout compte lorsque je regarde derrière moi et que je vois Duche et Alain, pourtant aguerris et entraînés, qui n'arrivent pas à garder une distance régulière avec nous (j'apprendrai par la suite qu'Alain est lui aussi très fatigué à cause du manque de sommeil). Je souffle donc beaucoup.

Je fais pas mal de petites pauses et, surtout, je tire régulièrement sur la corde en espérant pouvoir ralentir le rythme. Mais rien n'y fait. En outre, les traces laissées par les autres alpinistes sont souvent inégales en longueur et en profondeur, ce qui ne facilite pas l'acquisition d'un rythme régulier, sans parler de ceux qui redescendent et qui cassent les traces. Je souffre donc à chaque pas, et me dis même que je vais renoncer si ça continue, que j'avais peut être sous-estimé l'effort à accomplir. A certains moments, je sens même que mes nerfs me lâchent.

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Même lorsqu’il paraît proche le Mont Blanc est encore loin. Mais le jeu en vaut la chandelle, surtout qu’aujourd’hui le temps est bien dégagé, qu’il y a peu de monde et peu de vent. Mais que c’est dur après déjà huit heures de montée.

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Mais voila, lorsqu'on a une météo aussi clémente et un groupe avec (et derrière) vous, et que l'on est aussi prête du but, on ne peut plus renoncer. A la fois pour eux et pour soi-même. Je me remémore aussi sans cesse cette fameuse règle qui veut que la réussite en montagne tient à 50% au physique et 50% au mental. Autrement dit, il reste forcément au fond de moi des ressources qui vont me permettre d'atteindre ce satané sommet que j’admire chaque fois que je viens à Chamonix. Je m'accroche donc à ce qui me reste de volonté (et de souffle), je reprends des barres Isostar, je bois un peu, et je reprends mon souffle dès que nous faisons une pause.

Finalement, vers 11h, alors que le soleil brille de mille feux, nous parvenons au pied de la dernière pente, celle de l'arête sommitale. Elle parait moins haute que les trois précédentes et mieux tracée. Par contre, le sommet n'est pas visible et je me demande encore une fois si cette montée va enfin s'arrêter. Mais tant pis, je suis maintenant trop prêt du but pour renoncer. Il ne reste plus que 10-15 minutes d'ascension. Je suis donc Serge et Benoît, lentement, et quinze minutes plus tard, je vois enfin à ma gauche, sous moi, le versant nord du Mont Blanc.

Un peu plus loin, j’aperçois des cordées qui viennent de passer le Col du Mont Maudit. Mais surtout, à trente mètres devant moi, je vois plusieurs alpinistes s'étreindre où qui se font prendre en photo avec un fanion national. Je comprends alors que l'ascension est enfin terminée. Le sommet dont j'avais rêvé tant de fois depuis ma première rando glaciaire il y a six ans est enfin là, sous mes pieds.

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Au loin un alpiniste. Est-ce enfin le bout du « tunnel » ?

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Moins de 100 mètres pour atteindre cet objectif magique dont je rêvais tant.

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Le sommet n'a franchement rien d'extraordinaire, c'est juste un plateau avec de la glace et des congères. Mais je l'ai réussi, c'est le plus important, et qui plus est par une très belle voie, peu fréquentée (les guides ne font la voie italienne qu’une fois tous les quatre ou cinq ans en moyenne). Duche et Alain nous rejoignent très vite, suivis peu après par Guillaume et Véro. Chacun s'embrasse, fier d'avoir réussi cette très belle ascension dans des conditions idéales : il est 11h20, il n'y a aucun nuage à l'horizon, peu de vent et le ciel est parfaitement dégagé. Nous venons ainsi de faire 1730m de dénivelée en moins de 10h.

Surtout, je viens de faire mon premier Mont Blanc à ma première tentative et dans des conditions idéales. Même s'il est loin être mon plus haut sommet ou le plus joli, c'est probablement celui qui restera comme s’ouvrant sur l'un des plus beaux panoramas de montagne, comme le jour où nous avons gravi le Hanispur Peak (Pakistan, 5800m) avec Pierre Neyret en 2012. Et aussi l'une de mes plus longues ascensions  avec le Pisco au Pérou (5752m) en 2011 (8h de montée).

Avant d'entamer la longue redescente, Serge et Guillaume proposent de faire une longue pause, en se réfugiant derrière des congères de glace et de neige formées par le vent. Il faut d'ailleurs savoir que par mauvaises conditions, le sommet est battu par des vents de 70-80 km/h. C'était d'ailleurs le cas hier, et la moitié des cordées ont ainsi dû rebrousser chemin avant le sommet. Nous avons donc une nouvelle fois eu énormément de chance.

On fait quelques photos, mais on pense surtout à se reposer. Serge s'assoupit un peu, et je fais de même, ne pensant même pas à prendre de photo de moi au sommet ou du panorama aux alentours. Je m'en suis voulu après coup, mais Duche me consolera en me disant qu'en général, lors d'une ascension, on n'est plus forcément dans son état normal, à cause de la fatigue, du manque d'oxygène. Tant pis pour cette fois.

Nous repartons vers midi, croisant quelques alpinistes terminant leur ascension. J’apprendrai d’ailleurs plus tard que parmi eux se trouvait l’une des légendes de Chamonix, Christophe Profit, premier alpiniste à avoir réussi l’ascension en solo de la Droite américaine des Drus en 1982. L’itinéraire n'est pas trop compliqué, car nous descendons par la voie normale française).

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Il faut toutefois être très prudent et concentré, car c'est justement dans la descente que le faux pas arrive, et la chute avec. J'en suis conscient à chaque fois que je fais une ascension, ici ou ailleurs. Etant repassé premier de cordée, j’essaie donc d’imprimer un rythme régulier, ni trop lent ni trop rapide. La méthode est simple : dans la pente, marcher les pieds en canard, laisser glisser les crampons dans la neige jusqu'à ce qu'ils se stabilisent.

La descente se passe plutôt bien et nous revenons sans encombre jusqu'au refuge Vallot, puis au col du Dôme où nous reprenons nos affaires et grignotons un morceau. Nous remontons ensuite l'épaule du Goûter avant de dévaler une longue pente jusqu'à l'Aiguille du Goûter. La descente est simple, mais paraît interminable vu la fatigue et la chaleur. Nous sommes donc franchement heureux d'arriver au nouveau refuge du Goûter (3835m) à 14h30.

Nous avons de la chance car ce gros oeuf métallique vient d’ouvrir il y a à peine trois jours (28 juin 2013). Il n’est pas prévu d’y dormir, mais nous allons au moins y entrer pour boire, manger et nous y reposer pendant une bonne heure. Un seul étage à monter et nous voici enfin dans une belle et vaste cafétéria recouverte de bois avec vue imprenable sur la montagne. Nous y retrouvons Caro, tranquille et souriante, qui sirote son Coca.

Clairement, nous n'en pouvons plus et nos visages sont marqués par la fatigue et les traces de soleil. Epuisés, Véro et moi commençons à dormir, pendant que les autres dévorent un plat de pâtes ou boivent un Coca. Un peu avant 16h, nous devons toutefois retourner à l'étage inférieur pour remettre nos équipements encore mouillés et notre lourd sac à dos…

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Une dernière difficulté nous attend : la descente de l’Aiguille du Goûter, une longue course mixte neige et roche de 900m de dénivelée pour rejoindre le refuge de Tête Rousse. Le chemin, qui démarre au pied de l’ancien refuge du Goûter, descend rapidement dans une pente raide et accidentée. Il y a aussi des risques de chutes de pierres, ce qui explique pourquoi nous restons encordés et portons un casque.

Vu que nous sommes en fin de journée, nous assistons à une longue procession d’alpinistes sur les premières centaines de mètres. Impossible toutefois de s’arrêter à chaque fois que l’on croise un groupe, au risque d’arriver trop tard au refuge. Du coup, Serge nous demande d’accélérer le mouvement. Plutôt bien remis de ma courte sieste, je m’engage donc en premier de cordée sur le chemin, en utilisant au maximum les câbles, marches et prises, et en me faufilant entre les groupes. La technique fonctionne bien, car au bout d’une vingtaine de minutes, nous sommes enfin seuls sur le chemin. Guillaume, Caro et les autres sont loin derrière nous et n’arriveront d’ailleurs jamais à nous rattraper. Dans la suite de la sente, nous cheminons en lacets avec des marches souvent importantes à franchir sur des rochers souvent découpés et cisaillés. Le bruit des crampons sur la pierre est strident. Il faut aussi souvent se servir de ses bras et de ses jambes pour se faufiler entre les interstices irréguliers, en faisant attention à ne pas aller trop vite et de ne pas coincer la corde. Quelques cailloux tombent aussi et le sol peut glisser. D’où l’intérêt de garder les gants. Ils sont aussi très efficaces là où les guides ont installés les câbles métalliques tressés, car certains d’entre eux laissent dépasser des échardes traitres.

Alors que nous marchons tranquillement sur l’échine rocheuse, nous voyons une pierre qui dévale dans le Grand Couloir juste à notre droite. Elle est heureusement freinée par la neige fondue juste avant un passage en contrebas. La bonne nouvelle, c’est que nous devrons justement traverser celui-ci en bas de la pente. On comprend mieux pourquoi on l’appelle le Couloir de la Mort. Ambiance…

Peu après, nous rattrapons un couple d’Anglais que nous doublons rapidement. La descente se passe bien et à bon rythme, en continuant à nous faufiler entre les rochers. Serge est de toute façon là pour retenir la moindre glissade, car il sent que la fatigue est quand même là. Son expérience s’avère également très utile lorsqu’il faut choisir la bonne direction dans toute cette rocaille (et ce n’est pas toujours évident).

Après 1h30 de crapahut et un dernier ressaut, nous arrivons enfin au pied du Grand Couloir, un passage de 200m dans une pente à 40° qui court jusqu’à l’arête des Rochers Rouge sur 200m. A priori rien d’extraordinaire, hormis son nom, le Couloir de la Mort, à cause des éboulis qui tombent du haut et peuvent vous emporter dans leur chute, 200m plus bas dans le glacier de Tête Rousse. Heureusement, nous ne l’apprendrons que plus tard… En tout cas, Serge ne nous en parle pas, nous demandant simplement de bien marcher dans l’étroite trace déjà faite et de ne pas regarder vers le haut, car c’est lui qui va assurer notre sécurité avec le câble situé juste au-dessus. Au final, nous passons sans trop d’anxiété, et tout se passe bien.

Après ce passage, nous ne nous arrêtons pas, car le danger peut maintenant venir d’éboulis venant de l’Arête des Rochers Rouges juste au dessus de nous. Soudain, un bruit sourd résonne dans la montagne : nous voyons sur l’échine rocheuse, face à nous, les deux Anglais que nous avons doublé tout à l’heure gesticuler dans tous les sens. Une trentaine de cailloux et de plus grosses pierres venant du haut roulent, rebondissent et se fracassent sur la roche. Face à eux, ces deux minuscules silhouettes qui essayent, comme dans un mauvais jeu vidéo, de les éviter, de ne pas être emportés.

On est comme tétanisés face à cette scène, surtout lorsqu’à la fin, un rocher plus gros que les autres – probablement une trentaine de centimètres – rebondit à quelques mètres d’eux avant de se jeter du haut de la falaise et s’éclater cent mètre mètres plus bas dans le glacier. On n’imagine pas ce qu’il serait arrivé si ce rocher les avait emporté… Une situation qui arrive souvent dans la saison semble-t-il.

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Ce mauvais épisode passé, nous redescendons rapidement mais toujours avec autant de prudence sur le haut du Glacier de Tête Rousse. En bas à droite, on distingue nettement un grand carré balisé. L’endroit ne paye pas de mine, mais c’est pourtant là que se déroule, depuis 2010, un énorme chantier de purge du Glacier. En effet, les chercheurs du CNRS ont mis à jour la présence d’une réserve de 65 000 m3 d’eau qui, en cas de rupture, menacerait d’inonder toute la vallée en contrebas. Les travaux, qui ont démarré en 2011 et devaient initialement durer un à deux ans, sont toujours en cours, car les chercheurs se sont aperçus que la poche se remplissait à nouveau chaque année. Un chantier qui devrait donc encore durer quelques années…

Mais peu nous importe à ce moment-là, car notre seul désir est de rejoindre au plus vite le refuge de Tête Rousse (3167m), qui n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres. Il est 18h, soit autant d’heures que nous sommes debout, à marcher, à grimper et à descendre. Une journée inoubliable certes pour la joie qu’elle procure, mais aussi pour le corps, à cause des membres endoloris, du visage fatigué, des pieds endoloris. Heureusement, on peut enfin se déchausser et emmener ses affaires au dortoir. Mais l’endroit est sombre et froid, et en plus il n’y a pas d’eau pour les toilettes (un comble vu la situation du glacier décrite ci-avant). Benoît et moi préférons donc remonter dans la salle à manger pour y retrouver Serge et boire une bonne bière en attendant les autres.

Une heure et demie : c’est finalement le temps hallucinant que nous avons mis dans la vue à Guillaume, Véro, Duche, Alain et Caro pour descendre l’Aiguille du Goûter. Comme quoi nous étions finalement en forme avec Benoît ! Mais à ce moment-là, peu importe, car nous sommes tous heureux et fiers d’avoir réussi notre journée. J’en profite donc pour offrir une bière à tout le monde pour fêter ça, et surtout ma première ascension du Mont Blanc. Nous devrons toutefois la boire pendant le dîner, car il est déjà plus de 20h (nous sommes en fait les derniers). Au menu : soupe aux lentilles, couscous  et dessert. Tout le monde est souriant mais fatigué. Benoît, qui a fait tout le tracé et prévoit de retourner aux Contamines à pieds demain, en est conscient et demande à chacun ce qu’il veut faire – ou pas. Pour l’heure en tout cas, chacun serait partant pour une courte marche et un retour par le Tramway du Mont-Blanc. Mais peut être qu’une bonne nuit de sommeil portera conseil.

ci-contre : la longue et dangereuse descente de l’Aiguille du Goûter, qui permet de rejoindre, 600m plus bas, le refuge de Tête Rousse (3167m)

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Nous nous réveillons un peu avant 7h, heureux d'avoir enfin bien dormi pour la première fois depuis trois jours. Il faut dire que nous étions tellement fatigués que nous n'avons entendu ni les ronflements de Duche ni le lever de ceux qui sont partis pour l'ascension vers 1h du matin. Faute d'eau dans les toilettes, nous montons directement prendre le petit déjeuner dans la salle à manger. Celle-ci est déjà bien remplie par les alpinistes qui, comme nous, ont fait l’ascension hier. Après avoir payé nos consommations et refait nos sacs, nous retournons dans le séchoir nous équiper une dernière fois de nos piolets et crampons.

Un peu après 8h, tout le monde est prêt et se rend sur la plate-forme du refuge. Le temps est magnifique et le ciel dégagé, comme hier. Il fait même déjà très chaud. Alors que certaines cordées commencent à monter lentement vers l’aiguille du Goûter, il est l'heure pour nous de redescendre vers les alpages puis la civilisation.

Contrairement à ce que je pensais, nous ne prenons pas le chemin des Rognes, très caillouteux, mais bifurquons à gauche sous le refuge pour rejoindre le glacier de Bionnassay, ce qui nous permet ainsi de descendre en quasi ligne droite sans trop se fatiguer jusqu’au nid d'Aigle, terminus du Tramway du Mont Blanc situé à 2372m. A ce stade nous ne sommes plus encordés, car le risque est moindre. Même si le sommeil a été réparateur, la descente n'en est pas moins difficile pour les organismes, qui fonctionnent à plein régime depuis quatre jours. C'est ainsi que vers la fin de la descente, Caro fait un faux pas et part subitement dans la pente de glace sans pouvoir s'arrêter car son piolet est resté accroché dans la neige. Je suis à quelques mètres derrière elle, mais je ne peux rien faire au risque de partir moi aussi. Heureusement, Serge, qui est une dizaine de mètre en dessous, voit la scène. Il se dirige calmement vers elle, plante ses crampons dans la neige et réussit à la prendre à bras le corps. Après coup, je me dis que sans lui, Caro se serait arrêtée... mais sur un énorme rocher qui lui aurait probablement rompu quelques os.

Passée cette mésaventure, nous finissons tranquillement notre descente en longeant le Désert de Pierre Ronde, jusqu'au chemin qui vient du Nid D'Aigle. Au total, nous avons mis a peine une heure pour faire 700m de dénivelée négative. Vu qu'il est 9h20, nous saluons Serge et Guillaume, qui s’en vont d’un pas rapide pour ne pas rater le tram qui arrive dans dix minutes. De notre côté, nous déchaussons définitivement nos crampons et profitons du soleil pour prendre une belle photo de groupe avec le glacier et l'Aiguille de Bionnassay en arrière plan.

mardi la boucle est bouclée (en beauté)

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L’équipe au complet (de g. à droite) : Fabrice, Véro, Caro, Alain, Duche et Benoît.

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Hier, vu notre état de fatigue, nous étions tous unanimes pour retourner à Saint Gervais en funiculaire. Mais une bonne nuit de sommeil et ce temps magnifique nous donnent finalement à tous envie de boucler la boucle et de redescendre aux Contamines-Montjoie à pieds. Nous décidons en tout cas a minima de descendre au village de Bionnassay, où nous pourrons appeler un taxi si nécessaire.

Nous suivons donc le sentier venant de la gare du Nid d'Aigle qui rejoint le bas du glacier, en passant par quelques passages enneigés et en empruntant deux escaliers de fer fixés à la paroi. Vers 11h, nous arrivons au niveau de jolis pâturages situés vers 1800m, ou quelques vaches paissent tranquillement. Même s'il est encore tôt, nous décidons de nous arrêter derrière un gros rocher en plein soleil pour y déguster tranquillement les sandwiches confectionnés le matin même au refuge de Tête Rousse. On prend son temps, on enlève ses chaussures, on somnole un peu au soleil après ces quatre journées de marche intensive. Et l'on se fait même prendre en photo par les trekkeurs qui passent, afin de conserver un souvenir de tous ces bons moments.

Malgré les ampoules et la fatigue, Véro et moi sommes finalement d'accord pour boucler la boucle à pied avec Alain et Benoît. Nous repartons donc vers 12h30 plein ouest pour traverser la passerelle du glacier. Un passage presque émouvant, car il rappelle à chacun ces longs ponts suspendus que nous franchissions il y a huit mois en pleine jungle népalaise pour revenir à Lukla.

Apres la passerelle, Duche et Caro prennent un chemin facile qui descend vers le hameau du Champel (1250m), tandis que Benoit, Alain, Véro et moi remontons lentement de 300m vers le col de Tricot (2120m). Le parcours est assez facile et bien tracé même si le chemin est coupé ça et là par des coulées de neige qui n'ont pas encore fondu. Par ailleurs, il fait chaud, très chaud, et nos jambes souffrent à cause de la fatigue et de sacs de plus de 10 kg à porter. Véro et moi marchons donc au ralenti et mettrons ainsi une heure a atteindre le col au lieu des 45 minutes mentionnés sur les panneaux indicateurs. Mais le jeu en vaut la chandelle, avec un vrai décor de carte postale où se dévoilent une partie de notre trajet d'hier et les Dômes de Miage, sans oublier quelques moutons qui paissent au col au milieu des ruines de deux bergeries.

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photo du haut : l’Aiguille du Goûter où nous étions hier après-midi vue depuis le Col de Tricot (2120m).photo du bas, à droite : le Col de Tricot en arrière-plan vu depuis les Chalets de Miage.

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N'ayant que peu d'eau, nous ne restons pas plus de dix minutes au col et repartons rapidement dans la pente pour rejoindre les Chalets de Miage, situés à 1550m. La pente est assez encaissée, ce qui fait qu'on effectue les 550m de dénivelée en moins d'une heure. L'endroit est complètement perdu, et dans une sorte de combe qui fait face aux cimes élevées des Dômes de Miage. En bas, on trouve quelques chalets et mazots entièrement restaurés ou l'on peut loger au calme. Mais ce qui nous intéresse, c'est surtout le café sur la terrasse duquel nous ingurgitons en un temps record nos 75 cl de bière (que la jolie serveuse appelle avec poésie un "sérieux").

Plutôt que de rejoindre les Contamines par le Chalet du Truc, ce qui nous obligerait à remonter 200m supplémentaires, nous suivons le joli chemin forestier qui contourne le Mont Truc, ce qui nous permet, en un peu plus d'une heure et demie, de rejoindre le haut du village des Contamines.

Nous atteignons finalement la magnifique église du village pile au moment où la cloche sonne 17h. Plus que quelques mètres et nous rejoignons Duche et Caro, qui ont rejoint le village il y a quelques minutes et sont en train de déguster une bonne bière et une glace succulente. La boucle est enfin bouclée. Nous avons fait un Mont Blanc « à l’ancienne » en partant de la vallée et en y redescendant sans l’aide d’aucune remontée mécanique.

photos en haut à gauche : le Col du tricot vu depuis les Chalets de Miage.photo en bas à gauche : Benoït et Alain savourent une bonne bière. photo de droite : Benoît, Alain et Véro au pied de l’Eglise des Contamines. La boucle de cinq jours est enfin bouclé. Mais quel périple !

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J1 : Contamines-Montjoie – Refuge Croix du Bonhomme11h : Regroupement au pied de Notre Dame de la Gorge (1210m). Montée sur sentier bien balisé du GR5 (Tour du Mont Blanc) jusqu’à la Balme pour prendre un sandwich (1706m). Poursuite avec montée tranquille jusqu’aux Chalets de Joyets (1900m), puis le Plan des Dames, puis ressaut jusqu’au Col du Bonhomme (2329m). Marche tranquille de moins d’1h jusqu’au Refuge du Col de la Croix du Bonhomme (2433m).6h de marche. +1300m / -100m environ

J2 : Refuge Croix du Bonhomme – Refuge ElisabettaDépart vers 8h30 avec une longue descente sur sentier balisé puis à travers champs jusqu’au hameau des Chapieux (1500m, 2h). Possibilité d’acheter du pain et du fromage à la petite épicerie du village. Pendant l’été, possibilité de prendre navette gratuite jusqu’à Ville des Glaciers (1750m), ou en marchant sur la petite route de montagne (1h environ). Bifurquer à droite sur un petit chemin qui vous mène jusqu’au refuge des Mottets (1870m, 30min). Le chemin passe derrière le refuge et remonte jusqu’au Col de la Seigne (2516m), qui marque la frontière avec l’Italie. Descente tranquille jusqu’au refuge Elisabetta (2195m). 7h de marche,  +1000m / -1300m environ

J3 : Refuge Elisabetta – Refuge GonellaDépart vers 8h30, pour une descente de 200m, jusqu’à un sentier long et droit qui longe le Lac de Combal jusqu’à un petit pont au pied de la moraine (1h30 max). Remontée de la moraine pour atteindre le Glacier du Miage. Pas de sentier, mais des points jaune peints sur les rochers permettent de remonter jusqu’au pied du Glacier du Dôme (2400m environ, 2h). Remonter la pente du glacier jusqu’à 2500m environ et prendre le rocher sur la droite, dont un chemin permet d’accéder au refuge Gonella, alternant entre sentier, marche et prises dans certains endroits. Dernier ressaut et passage d’échelle avant l’arrivée au refuge Gonella Goûter par la droite, puis redescente tranquille jusqu’à l’Aiguille du Goûter et le refuge éponyme (3835m, 2h environ depuis le Col). Moins de 2h ensuite pour descendre l’Aiguille du Goûter jusqu’au refuge de Tête Rousse (3167m). 6h de marche, +1750m / - 1650m.

J4 : Refuge Gonella – Mont Blanc – Refuge de Tête RousseLever à minuit, départ à 1h45 environ. Remontée du glacier jusqu’au Col des Aiguilles Grises (3810m, 3h), première course d’arêtes jusqu’au Piton des Italiens (4002m), puis une seconde, plus vertigineuse mais assez courte jusqu’au Dôme du Gouter, que l’on contourne pour aller sur le Col du Dôme (6h depuis le début). Nous empruntons la voie normale en passant par le refuge Vallot (4362m), les Bosses, le Rocher de la Tournette, puis la dernière arête jusqu’au sommet (4810m, 3h depuis le Col). Redescente par le même itinéraire, passage du Dôme du Goûter par la droite, puis redescente tranquille jusqu’à l’Aiguille du Goûter et le refuge éponyme (3835m, 2h environ depuis le Col). Moins de 2h ensuite pour descendre l’Aiguille du Goûter jusqu’au refuge de Tête Rousse (3167m).16h de marche, +1750m / - 1650m

J5 : refuge de Tête Rousse – Contamines-MontjoieDépart vers 8h30. Descente en ligne droite sur le Glacier de Bionnassay juste sous le refuge pour rejoindre le chemin qui vient de la gare du Nid d’Aigle. Poursuite sur le chemin en prenant les échelles jusqu’au grand pré. Bifurquer en bas à gauche pour prendre le pont suspendu. Montée tranquille vers le Col du Tricot (2120m, 45 min). Descente raide sur sentier jusqu’aux Chalets de Miage (1559m, 50 min). Possibilité de remonter pour aller aux Chalets du Truc, ou de contourner la montagne. Suivre ce chemin qui mène jusqu’à la Frasse. Prendre tout droit vers le bas pour rejoindre l’église des Contamines-Montjoie (1167m). 5h30 de marche, +450m / -2400m

Parcours imaginé par Benoît Dendrauw, réalisé du 28 juin au 2 juillet 2013 inclusGuides de Haute montagne : Guillaume Mardon et Serge Bazin guides UIAGM à Chamonix.Les temps indiqués incluent la marche et les pauses pour notre propre parcours (peut donc différer des durées indiquées dans certains guides).Les altitudes indiquées sont celles de la carte IGN 3531Cartes de gauche réalisées sous Google Earth.

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