le reve végétal de guillaume pellerin n°73

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110 PAYS DE NORMANDIE « C’est dans la plaine alluviale de la baie de Vauville que d’un vaste champ herbu et plat de huit hectares vers la mer est né le jardin » raconte Guillaume Pellerin, propriétaire du domaine. L’histoire commence en 1948. Alors que rien n’était en sa faveur et que tout était souillé après des années d’horreur, Eric Pellerin, son père décida non sans audace de planter le premier arbre. Comme un hymne au renouveau et à la vie, un magnifique cyprès de Lambert est venu siéger dans l’abri naturel des anciennes douves. Ce sera, et il l’ignorait encore, le début d’une très longue et passionnante aventure. TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS : SANDRA LEFRANÇOIS Q uel impensable défi avait-t-il pris ! Rivaliser avec l’océan. Comment combare les vents d’ouest forts et insistants ? Comment maintenir une fragile verticalité face au souffle des forces marines qui sans cesse amène le sel ? Pour com- prendre pleinement ce pari vivant, il faut venir voir quelques heures ce jardin botanique et sentir, écouter, fouler la « matière terre », l’élément nourricier de cee nature insensée de beauté. Comme deux peintres qui appliqueraient au cou- teau des touches de peinture vertes et jaunes sur leur toile de lin grise, la génération Pellerin n’a cessé de planter, d’ajouter de nouvelles espèces venues d’ailleurs, de repiquer, de bouturer, d’em- bellir ce paysage aujourd’hui chlorophyllien et exotique. Ce tableau à quatre mains a quelque chose de beau, de fuyant et d’insaisissable. Pas étonnant alors que cet écrin de verdure ait été classé « Jardin Remarquable » en 2004. Quatre hectares de verdure vivent aujourd’hui au rythme des saisons. Plus de neuf cents espèces de l’hémis- phère austral donnent à ce jardin une surprenante ambiance subtropicale. Il reste verdoyant pour ainsi dire toute l’année grâce au feuillage persis- tant de certains arbres tels que l’eucalyptus et le Destination IDÉES WEEK-END Le rêve végétal DE GUILLAUME PELLERIN Monsieur Péllerin, le propriétaire du jardin.

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Jardin Pays de Normandie N°74

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Page 1: Le reve végétal de Guillaume Pellerin n°73

110 PAYS DE NORMANDIE

«  C’est dans la plaine alluviale de la baie de Vauville que d’un vaste champ herbu et plat de huit hectares vers la mer est né le jardin » raconte Guillaume Pellerin, propriétaire du domaine. L’histoire commence en 1948. Alors que rien n’était en sa faveur et que tout était souillé après des années d’horreur, Eric Pellerin, son père décida non sans audace de planter le premier arbre. Comme un hymne au renouveau et à la vie, un magnifique cyprès de Lambert est venu siéger dans l’abri naturel des anciennes douves. Ce sera, et il l’ignorait encore, le début d’une très longue et passionnante aventure.

TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS : SANDRA LEFRANÇOIS

Q uel impensable défi avait-t-il pris  ! Rivaliser avec l’océan. Comment combattre les vents d’ouest forts et insistants  ? Comment maintenir

une fragile verticalité face au souffle des forces marines qui sans cesse amène le sel ? Pour com-prendre pleinement ce pari vivant, il faut venir voir quelques heures ce jardin botanique et sentir, écouter, fouler la «  matière terre  », l’élément nourricier de cette nature insensée de beauté. Comme deux peintres qui appliqueraient au cou-teau des touches de peinture vertes et jaunes sur leur toile de lin grise, la génération Pellerin n’a

cessé de planter, d’ajouter de nouvelles espèces venues d’ailleurs, de repiquer, de bouturer, d’em-bellir ce paysage aujourd’hui chlorophyllien et exotique. Ce tableau à quatre mains a quelque chose de beau, de fuyant et d’insaisissable. Pas étonnant alors que cet écrin de verdure ait été classé «  Jardin Remarquable  » en 2004. Quatre hectares de verdure vivent aujourd’hui au rythme des saisons. Plus de neuf cents espèces de l’hémis-phère austral donnent à ce jardin une surprenante ambiance subtropicale. Il reste verdoyant pour ainsi dire toute l’année grâce au feuillage persis-tant de certains arbres tels que l’eucalyptus et le

DestinationIDÉES WEEK-END

Le rêve végétal

DE GUILLAUME PELLERIN

Monsieur Péllerin, le propriétaire du jardin.

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Vauville

bambou. Des centaines de palmiers, d’amaryllis, d’aloès véra, de rhododendrons s’y épanouissent. L’eau douce et les massifs fleuris se répondent. Malgré les rafales marines, la dérive nord atlan-tique du Gulf Stream réchauffe cette côte nord-ouest de la Hague créant, contre toute attente, un climat favorable à l’acclimatation de plantes inhabituelles sous cette latitude.

Une oasis de biodiversitéBien loin du jardin classique « à la française » ou «  baroque  » en Italie, où l’on admire l’artifice ostentatoire des jardins des merveilles où les prouesses techniques permettent à l’homme de dépasser les lois naturelles, de canaliser l’énergie de l’eau pour actionner des orgues hydrauliques et en faire ainsi le centre de spectacles extraor-dinaires, le jardin de Vauville se veut libre, sans chemins prédéfinis, presque laissé à la nature. Ce véritable sanctuaire végétal abrite une étonnante diversité botanique avec des essences de Bali, d’Australie, de Malaisie ou encore de Corée et une faune également insoupçonnée. Même si le jardin par définition est une nature idéale « sous cloche  », il ne manque d’attirer par sa biodi-versité et sa luxuriance un nombre étonnant de butineurs, d’insectes, d’oiseaux (bergeronnettes des ruisseaux, fauvettes… et même des oiseaux tisserands), de petits rongeurs et de batraciens. Crapauds accoucheurs et calamites, grenouilles vertes et rousses, rainettes arboricoles et pélodytes ponctués sortent de leur léthargie à la moindre élévation de la température et coassent à la saison des amours leurs doux chants nuptiaux.

Ton sur ton : une rainette prend la pose.

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IDÉES WEEK-END Destination

Pour préserver cet équilibre fragile, le travail de Poulidor, le jardinier attitré reste discret pour ne pas

changer le milieu naturel. Succède donc à la rigou-reuse géométrie des jardins à la française, «  un naturel  » d’allées tortueuses, de pelouses ondu-lées, de ruisseaux serpentant, de forêts proches des jungles de Malaisie, semblant dues au hasard, des ruines et sculptures de lion en pierre patinées de mousse et de lichens. Pas de contrôle, de régu-lation, d’affranchissement du temps et des rythmes de la nature dans ce jardin qu’on pourrait qualifier d’ « anglo-chinois » ou « à l’anglaise ».

Le jardin de Vauville, un jardin zen

Subtil comme le jardin chinois, il ne se livre pas en un seul regard mais se découvre peu à peu. Le visiteur passe dans une succession d’espaces, de chambres de verdures : dix-huit au total. D’abord

le « théâtre de bambous » qui l’isole et attire son regard vers le ciel, puis « la Palmeraie haute » de 5 000 m2 qui le déroute. L’insolite chemin des «  trachycarpus et autres palmiers  » en passant par « l’abreuvoir » où une tête de lion en pierre déverse une eau fraîche en permanence. Elle suit son cours dans la rivière qui serpente dans le jardin. « Le bain d’oiseau » invite à l’observation. Un défilé de passereaux vient se baigner et se délecter de graines déposées au centre d’un bloc de granit monolithe. Viennent ensuite «  l’allée des hydrangeas  », «  les eucalyptus et cyprès  », «  le chemin de la découverte », «  le chemin des fougères  » où pousse la rare plante grimpante de Corée ou encore «  le chemin mystérieux  », «  l’éventail », «  le jardin d’eau » et «  les rhodo-dendrons et azalées ». « Le jardin de la sagesse », entouré de camélias et pivoines arborescentes, est propice à la contem-plation, la méditation et au recueillement. Dans la culture taoïste, cette organisation zen favorise l’ascèse par laquelle l’homme tente de mettre en harmonie sa force intérieure avec la succession

Le jardin attire par sa biodiversité un nombre étonnant de butineurs, insectes, oiseaux...

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Vauville

des saisons, avec les changements d’états conti-nuels du monde. Des pierres gravées au symbo-lisme quasi religieux comportant les mots Sagesse, Vérité, Equilibre, Patience... gisent ici et là dans cet espace libre et paisible.

Dépaysement assuré !Bien plus qu’un jardin, c’est un art vivant qui laisse place à l’imaginaire. La palmeraie chaude et humide par exemple nous parle de pays lointains, de rêve végétal, d’un ailleurs possible, d’exo-tiques contrées. Elle nous dépayse. L’allée sous les Gunneras manicata, rhubarbes géantes impro-bables, nous transporte elle aussi dans les maré-cages montagneux du Brésil. Les dimensions de son feuillage sont si spectaculaires que l’on com-prend alors pleinement le sens du conte de Lewis Caroll. Nous marchons, l’espace d’un instant, sur les pas d’ « Alice aux pays des merveilles ». Cette plante vivace aux rhizomes traçants nous vient directement de la préhistoire. Ses dimensions et ses feuilles parsemées de pointes en attestent parfaitement. On s’imagine en la regardant les

montagnes vertes émeraudes, les précipitations et le brouillard, le sol très humide et riche en humus, les conditions extrêmes... les millénaires parcourus jusqu’à nous. Cette forêt de Gunnera du Brésil confère à ce lieu quelque chose de spécial, un je-ne-sais-quoi d’intemporel et de vertigineux.Stéphane Marie, présentateur d’une émission botanique (son portrait en page 22 de ce numéro) disait que « le voyage commence dans la tête, dès que l’on se met à la place de la plante » et qu’« il faut prendre la peine de se la représenter dans le milieu où elle est originaire. » Le voyage peut donc commencer chez vous, dans votre propre jardin. Plantez et enrichissez-le !

Pratique Jardin Botanique du Château de Vauville, 50440 Vauville

Informations et réservations auprès de Mme Cléophée de Turckheim Pellerin, [email protected]. Tél. : 02.33.10.00.00.

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