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LE SACRIFICE HUMAIN par M me Anne STAMM, membre associé libre Pourquoi ai-je choisi de vous entretenir du sacrifice humain, un sujet en quelque sorte tabou ? Tout simplement parce que j'ai lu l'été dernier l'ouvrage d'un universitaire américain : "L'autel de plus haut" (Patrick Tierney), qui m'a incité à réfléchir, à entreprendre des recherches biblio- graphiques, à interroger des collègues ethnologues. En 1954 un groupe d'archéologues andin se constitue après la décou- verte du Mt Plomo (5 400 m) par 2 mineurs à la recherche d'un trésor inca du corps d'un jeune enfant en parures de cérémonies inca. Il ne s'agit pas d'une momie, mais d'un petit garçon placé dans un caveau vivant et que les conditions climatologiques ont conservé dans un état de souplesse, de flexibilité tout à fait étonnant. Transféré à Santiago, au Muséum national le corps a été soumis à de nombreuses analyses et conservé en congélateur. Le costume de l'enfant montrait de toute évidence qu'il appartenait à une famille princière et que son sacrifice remontait à 1470-1480. Depuis lors ce groupe d'archéologues a découvert de très nombreux corps d'enfants enterrés ou inhumés dans des fosses ou dans des tours à des altitudes pouvant atteindre 6 500 m. Il s'agissait toujours de jeunes et beaux enfants dont le visage était parfaitement calme. Bien entendu ces trouvailles posèrent d'innombrables questions : On connaissait les sacrifices humains des Aztèques immolant des prisonniers de guerre dont le sang et la chair devaient nourrir le soleil et lui permettre de revenir éclairer la terre. Ceux qu'au Bénin, on accomplissait à la mort d'un souverain, on savait moins que lors de son intronisation le nouveau roi devait tuer un esclave.

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LE SACRIFICE HUMAIN

par M m e Anne STAMM, membre associé libre

Pourquoi ai-je choisi de vous entretenir du sacrifice humain, un sujet en quelque sorte tabou ? Tout simplement parce que j ' a i lu l'été dernier l'ouvrage d'un universitaire américain : "L'autel de plus haut" (Patrick Tierney), qui m'a incité à réfléchir, à entreprendre des recherches biblio­graphiques, à interroger des collègues ethnologues.

En 1954 un groupe d'archéologues andin se constitue après la décou­verte du Mt Plomo (5 400 m) par 2 mineurs à la recherche d'un trésor inca du corps d'un jeune enfant en parures de cérémonies inca. Il ne s'agit pas d'une momie, mais d'un petit garçon placé dans un caveau vivant et que les conditions climatologiques ont conservé dans un état de souplesse, de flexibilité tout à fait étonnant.

Transféré à Santiago, au Muséum national le corps a été soumis à de nombreuses analyses et conservé en congélateur.

Le costume de l'enfant montrait de toute évidence qu'il appartenait à une famille princière et que son sacrifice remontait à 1470-1480.

Depuis lors ce groupe d'archéologues a découvert de très nombreux corps d'enfants enterrés ou inhumés dans des fosses ou dans des tours à des altitudes pouvant atteindre 6 500 m. Il s'agissait toujours de jeunes et beaux enfants dont le visage était parfaitement calme.

Bien entendu ces trouvailles posèrent d'innombrables questions :

On connaissait les sacrifices humains des Aztèques immolant des prisonniers de guerre dont le sang et la chair devaient nourrir le soleil et lui permettre de revenir éclairer la terre.

Ceux qu'au Bénin, on accomplissait à la mort d'un souverain, on savait moins que lors de son intronisation le nouveau roi devait tuer un esclave.

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On savait qu'aux Indes les veuves devaient se jeter dans le bûcher consumant le corps de leur mari, mais aussi que les victimes humaines procuraient la richesse et l'immortalité, accomplissaient des vœux, étaient indispensables à l'érection de certains bâtiments, et ce jusqu'à l'interdic­tion par les britanniques vers le milieu du XIX e siècle. On avait dans l'esprit le meurtre d'Iphigène par son père Agamemnon et celui que faillit accomplir Abraham sur son fils Isaac.

On n'avait pas assimilé l'exécution de Remus par Romulus à un sacrifice humain et les corps retrouvés dans les marais danois posaient de nombreuses questions.

Les historiens avaient tendance à penser que ces pratiques étaient le fait de peuplades arriérées et quand ils en avaient connaissance en Grèce, c'était, croyaient-ils, dans l'antiquité la plus lointaine. Pausanias (l'histo­rien grec du 2 e siècle après J.C.) refusa lui-même de divulguer les détails du sacrifice accompli au sommet du Mt Lycée en Arcadie et qui comportait la mort et le dépeçage d'un enfant mangé collectivement chaque année : "Je ne voyais aucun plaisir à étudier ces sacrifices, disait Pausanias, laissons les tels qu'ils sont et tels qu'ils ont été depuis les origines".

Quant aux ethnologues et aux ethnographes, ils ont la plupart du temps été très discrets sur des pratiques qui les gênaient beaucoup : ou bien ils avaient très peu de renseignements, car bien entendu on se cachait des blancs, sauf dans les débuts de la pénétration européenne (mais alors ils n'étaient guère en état de faire des observations correctes), ou bien on leur disait que la chose n'avait plus cours : un dogon interrogé par Griaule racontait qu'autrefois on immolait un albinos pour emporter un message à Dieu mais que cela ne se faisait plus : "ils sont comptés maintenant" affir­mait-il ou bien ils avaient peur que l'évocation de ces sacrifices ne nuise à la réputation de la population, objet de leurs études et à laquelle ils s'étaient le plus souvent sentimentalement attachés.

Et puis il y avait les professionnels de la mauvaise conscience et qui mélangeaient tout :

- les vaincus passés au fil de l'épée par le vainqueur afin de manifes­ter sa puissance, afin d'intimider les agresseurs éventuels et dissuader des attaques toujours possibles,

- les condamnés à mort dont l'exécution était tout à la fois châtiment de leur crime et élimination d'un danger futur, danger qui d'ailleurs peut être moral, qu'on songe à Socrate (+ 399 avant J.C.) considéré comme opposant à la cité et corrupteur de la jeunesse,

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- les victimes des innombrables vendettas qui se déroulaient ou se déroulent encore dans le monde, ainsi la guerre du chien chez les Mongo dans les années 1920 fit des milliers de victimes ;

- les serviteurs ou les femmes tués ou enterrés vivants dans ou à côté de la tombe de leur maître afin d'aller le servir dans l'autre monde ;

- l'immolation de martyrs qu'ils soient religieux ou politiques et le plus souvent politico-religieux par exemple :

- Husayn, petit-fils de Mahomet massacré à Karbala en Irak, en 680, car il ne voulait pas reconnaître Yazid comme iman. Cette mort est commémo­rée par les Chiites lors des fêtes de l'Achura (les Chiites sont les partisans de la succession du prophète par les Alides (descendants de Fatima) ;

- les martyrs chrétiens de l'empire romain qui représentaient plus un danger politique que religieux, par leur refus de rendre un culte aux empereurs ;

- toutes les victimes de toutes les guerres "saintes" ;

- le meurtre d'empoisonneurs supposés avoir tué réellement ou par magie : dans de nombreuses populations, en effet, il n'y a pas de "mort naturelle", il y a toujours un ou des responsables qu'on découvre le plus souvent par divination ;

- la mort programmée des rois sacrés africains à qui l'on présentait le poison ou bien que l'on étouffait (car il ne fallait pas répandre le sang), aux premiers signes de faiblesse ou de vieillissement.

Tous ces morts, tous ces exécutés ne sont pas victimes de sacrifices humains bien que dans certaines sociétés il n'est pas de situation critique à laquelle on ne réponde par le sacrifice, et où dans le cas ou le groupe est menacé on n'envisage l'immolation d'un humain, immolation qui clôt le cycle des vengeances...

Nous avions oublié les dangers des désirs de vengeance, nous les voyons ressurgir autour de nous aussitôt que s'affaiblit le système judiciaire : ainsi en est-il aujourd'hui en Yougoslavie.

Il nous faut donc examiner la notion même de sacrifice : sacrifier quelque chose ou quelqu'un c'est rendre la chose ou la personne sacrée, c'est à dire la séparer de soi, la séparer du monde profane, la donner à Dieu, aux Dieux ou aux Déesses.

Le bien offert devenant propriété du ou des Dieux devient inaliénable, il peut être détruit, mais il peut aussi devenir seulement intouchable -qu'on songe aux vierges consacrées dans tant de religions.

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Sacrifier c'est être dans la logique d'un échange : l'homme donne ce qu'il a, et au maximum quelqu'un de son espèce, voire de sa famille - pour obtenir de la divinité des biens que seule la puissance créatrice peut distri­buer : la santé, la purification, la fertilité de la terre, la fécondité du bétail ou des épouses...

Toute la vertu du sacrifice réside dans l'idée que l'on peut agir sur les forces spirituelles par l'offrande de biens matériels, offrande, bien enten­du assortie de prières, d'incantations, de suppliques. Le sacrifice passe même pour être un meilleur moyen que la prière souvent ignorée...

Il faut que le Transcendant soit puissant pour qu'on lui offre le bien suprême qui est si souvent un enfant c'est à dire l'espoir et l'avenir du groupe, l'objet des soins et de l'amour de ses parents.

Il est vrai que nous avons de la peine à comprendre les formes que peut prendre cet amour. C'est l'anthropologue Johan Reinhard qui explique : "Les incas faisaient une faveur à ces enfants puisqu'ils devenaient des Dieux après leur mort". "Ils étaient même célébrés comme des demi-dieux pendant les dix jours de fête précédant leur mise à mort" :

Deux fois par an, aux solstices d'été et d'hiver, les meilleurs récoltes, les plus beaux animaux, les plus fins vêtements, les plus précieuses œuvres d'art et les plus jolis enfants étaient rassemblés (de l'Equateur jusqu'au Chili) et amenés à Cuzco, la capitale inca perchée à 3 650 m d'altitude en 4 grandes processions convergentes, chacune venant d'une province... Cuzco n'était pas seulement une capitale politique, c'était le mandala qui maintenait la cohésion de l'empire.

Après une purification rituelle les enfants écoutaient le grand prêtre leur expliquer les bienfaits que leur sacrifice apporterait à l'Empire et à eux-mêmes. Accompagnés de leur mère ils processionnaient autour des statues des principaux Dieux : Viracocha, le Dieu du Soleil, le Dieu des Eclairs, ou celui de la Lune. L'inca ordonnait alors aux prêtres d'emporter leur part des offrandes et des sacrifiés à immoler aux plus grands autels de leur région.

De nouveau 4 grands défilés se dirigeaient vers les provinces et finalement montaient à ces autels situés très haut dans les montagnes.

Avant de procéder au sacrifice les prêtres disaient une prière, par exemple à Viracocha le créateur : "Dispensateur de vie, toi qui décides du jour et de la nuit, toi qui engendres l'aurore et la lumière dis à ton fils le soleil de briller en paix et en sérénité, de briller au dessus de ceux qui l'attendent, de les protéger contre les maladies e tc . . "

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A en croire la légende de Tanta Carhua, une fillette sacrifiée à 10 ans, les festivités incas préparaient parfaitement les victimes à leur sort : "vous pouvez en finir avec moi, maintenant, aurait-elle dit, je ne pourrais pas être plus honorée que par les fêtes qu'on a célébrées pour moi à Cuzco".

Les victimes étaient des ambassadeurs auprès des dieux. Elles devaient mourir heureuses car un représentant en colère et rempli de mauvaise volonté n'aurait pas été un bon défenseur des intérêts de ses mandants.

Le sacrifice humain engendre aussi 3 sortes de demi-dieux : la victi­me qui dispense dorénavant santé, travail, fertilité e tc . . sa tombe étant centre d'un pouvoir magique, deuxième demi-dieu le commanditaire qui profite au mieux du sacrifice consenti ou payé... qui est considéré comme invincible à cause des pouvoirs conférés par les pactes scellés par leurs sacrifices. Enfin le sacrificateur lui même, car observant des pactes avec les puissances surnaturelles, il ne peut qu'en recevoir succès, richesse et considération.

Pour profiter des bienfaits du sacrifice il convient de s'associer à la victime : soit en mangeant sa chair, soit en procurant le sacrifié, en le parant, le nourrissant e tc . .

Mais peut s'établir une relation contradictoire entre le sacrifié et ses sacrificateurs. Si la victime n'est pas consentante, on pense, au Pérou, que son âme devient l'esclave des "tius" (esprits de la montagne) et peut tuer à leur place. Ainsi a-t-on peur que le mort ne se libère et ne vienne se venger. Aussi on tache de se concilier son esprit par des prières et des cultes où se marquent les influences chrétiennes : on les appelle d'ailleurs des "misses".

Il semble bien que les sacrifices humains se pratiquent aujourd'hui, encore, dans les Audes, Patrick Tierney a recueilli de nombreux témoi­gnages et fait état d'articles de journaux de la Paz ou de Santiago.

En 1960 un orphelin aurait été sacrifié au Lago Budi (au sud de Santiago) pour faire cesser un raz de marée, en 1986 un paysan aurait été sacrifié pour calmer la colère de la nature qui faisait monter les eaux du Lac Titicaca, en 1983 un homme aurait été pendu dans la même région (côté Pérou) pour lutter contra la sécheresse. On accuse de ces crimes les chamanes qui "parlent au diable", les narcotrafiquants ou les commer­çants qui veulent réussir.

Dans notre sphère culturelle Eschyle narre le sacrifice d'Iphigénie :

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Les Dieux, et en particulier Artémis (dont le culte comprenait parfois des sacrifices humains) avaient immobilisé les vaisseaux d'Agamennon - Artémis avait pris partie pour Troie - dans le Golfe d'Argos.

Les Dieux avaient averti Agamennon qu'ils lui accorderaient un vent favorable seulement s'il leur immolait sa fille Iphigénie. Longtemps Agamennon hésita puis il immola Iphigénie. Au même instant les vents se levèrent mais le destin tomba sur la nuque d'Agamennon : il sera tué par l'amant de sa femme Chytemnestre, lequel sera tué par Oreste qui poignardera aussi sa mère pour la punir ainsi que son amant d'avoir tué son père.

Pour comprendre ce geste, ce sacrifice innommable - ce qui ne veut pas dire l'approuver - nous allons faire une sorte d'inventaire des mobiles qui le provoquent :

Fondations de villes

Nous avons déjà évoqué le meurtre de Remus par Romulus, pour ne pas multiplier les exemples je me borne à citer la fondation de l'une des cités Kotoko (sur les cours inférieurs du Chari et du Logone) : Logone Birni exigea le sacrifice de la fille de l'un des groupes et du garçon de l'autre murés vivants dans l'épaisseur du mur d'enceinte, Madame Lebeuf qui étudia ces principautés explique : "le sacrifice d'un des fondateurs ou de sa progéniture est un acte essentiel. Il scelle l'union de l'homme avec le sol de l'espace réservé mais l'union des groupes étrangers entre eux".

Intronisation de Rois

La tradition Yorouba voulait que le jour de l'intronisation de l'oni d'Ifé (Ifé est l'antique capitale d'où sont partis les yorouba dont la tradi­tion, non écrite, a été évoquée par de nombreux informateurs dont l'un des derniers est mort en 1930), que le jour de cette intronisation, un esclave était amené au palais richement habillé et coiffé d'une couronne de cauris. Cet esclave (roi d'un jour) recevait les dignitaires de la cour, dans diffé­rentes parties du palais assis sur un trône, puis il quittait le palais et la ville d'Ifé pour toujours. Comme on ne doit jamais dire que le roi est mort mais qu'il est parti, on peut supposer que ce roi d'un jour était exécuté.

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Mort des Rois

A la fin du XVIII e siècle (1778-1786) J.-F. Landolphe décrit les funérailles de l'Oba (roi du Bénin).

On creuse une tombe dans l'une des cours du palais. C'est un trou large de 4 pieds carrés et profond de 30. On y descend le cadavre royal ainsi que ses premiers ministres vivants. L'ouverture est fermée par une grande trappe de bois. Tous les jours on apporte des vivres et on demande si le roi est mort. Les survivants répondent qu'il est bien malade. On agit ainsi jusqu'à ce que l'on n'obtienne plus de réponses. Pendant ce temps l'anarchie est instaurée dans la ville, des hommes masqués parcourent les rues de la ville et font voler la tête de ceux qu'ils rencontrent d'un coup de coupe-coupe. Le sang est recueilli dans des bassines et il est versé sur le tombeau des rois.

Plus tard les corps sont sortis de la fosse et ceux des ministres rendus à leur famille tandis que le roi est inhumé dans une vaste cour sous le portique dont les piliers sont sculptés. Ce lieu, dit l'auteur, était couvert de sang humain et un énorme serpent sculpté dans des dents d'éléphant emboîtées l'une dans l'autre semblait descendre du toit et pénétrer dans la tombe.

N'oublions pas que le serpent est symbole d'éternité et plus encore d'éternel retour.

Mais les sacrifices n'en étaient pas terminés pour autant. Deux fois par an avaient lieu d'importants rituels qui comportaient des offrandes, notamment celles de 12 victimes humaines ainsi que 12 chiens, vaches, moutons, boucs, poulets et un poisson. Ces rituels de commémoration étaient organisés par le roi régnant en l'honneur de son père décédé, l'Oba allait voir les victimes humaines ligotées et assises et les chargeait, à voix haute de messages pour son père. Alors avait lieu l'exécution : la victime s'avançait bâillonnée elle était assommée par devant et par derrière. Allongée alors à terre elle était égorgée et son sang recueilli arrosait les tombeaux des rois.

Une autre grande fête honorait le roi régnant lui-même et comportait également des sacrifices.

En pays Kotoko (Tchad, frontière Nigeria) à Makari, la tradition assure qu'à chaque intronisation le coran était recouvert de la peau de la mère du Me (prince) et de celle d'un bœuf immolé en même temps qu'elle, qu'il était ensuite placé dans un étui de cuir multicolore et soustrait aux regards.

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Obtention de faveurs importantes

L'immolation de victimes humaines ne s'impose que lorsque les faveurs sollicitées de l'au-delà sont importantes. Nous avons évoqué le sacrifice d'Iphigénie par son père, sacrifice auquel devait consentir la victime elle-même : Racine met dans la bouche de son héroïne : "il faut des Dieux apaiser la colère" avant qu'elle ne se voit substituer une jeune captive Eriphèle, fille cachée d'Hélène et de Thésée, donc elle aussi du sang d'Hélène.

Au Pérou, de même, la victime devait être consentante. Alors elle devenait Dieu et source de félicité et de pouvoir pour celui qui en faisait l'offrande. La fillette dont nous avons parlé et qui est révérée sous l'appellation de "Tanta Carhua", valut à son père nommée chef de la communauté dans les jours qui suivirent l'emmurement de sa fille consa­crée au soleil.

Sur l'île mélanésienne de Malekula un homme qui sacrifie un jeune garçon, en même temps qu'un sanglier particulier, devient seigneur des enfers et possède un pouvoir sur l'ensemble de la tribu.

On gagne pourrait-on dire un pouvoir magique à la mesure du sacri­fice consenti.

C'est ce pouvoir qu'on recherchait, en Afrique, en entrant dans les sociétés secrètes dites des hommes-lions, des hommes-léopards ou croco­diles. Pour y entrer il fallait "offrir" quelque membre de sa famille, dont une partie (ou la totalité) du corps éteint partagée et mangée par les membres de la confrérie.

Les faveurs demandées peuvent être moins importantes à nos yeux :

Chez les Peul du Fouladou (Hte Casamance) on célèbre encore aujourd'hui un important rituel en l'honneur des vaches. Les vaches c'est la vie même pour ces pasteurs... aussi pour en obtenir n'hésitait- (n'hésite) on pas à passer un pacte avec Gaari-Jinne (le génie-taureau)? Celui qui veut avoir un troupeau peut offrir secrètement sa femme, son enfant - autrefois sans doute des esclaves - . Alors la victime tombe devant le troupeau de vaches de la communauté qui arrive en galopant pour partici­per au rituel. Elle tombe et meurt - parfois piétinée, parfois de maladie dans les jours suivants - .

Implorer le pardon

C'est un autre motif pour sacrifier un humain et en particulier un enfant. Lors de terribles raz de marée :

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En 1960 eut lieu l'exécution d'un petit garçon orphelin (environ 6 ans), près du lago Budi au Chili. On lui arracha le cœur et les intestins qu'on jeta à l'eau.

C'est pour montrer son obéissance à Dieu qu'Abraham faillit bien immoler son fils Isaac (XIX e siècle avant J .-C).

Mais c'était en l'honneur de Moloch, Dieux des cananéens et des phéniciens qu'étaient immolés de nombreux enfants qu'on brûlait dans des "Tophets". Manassé, fils d'Ezéchias, "fit passer son fils par le feu, pratiqua l'astrologie et la magie, institua nécromancie et devins" (2 rois 2/16).

Achaz 12 e roi de Juda, roi de Jérusalem, en avait fait autant "il fit fumer l'encens dans la ville de Ben Hinnom et brûla ses fils par le feu", selon les abominations des nations qu'avaient dépossédées Yahwe devant les fils d'Israël ( 2 chroniques 28/3).

La reine Didon de Tyr ayant emporté à Carthage - qu'elle aurait fondé au IX e siècle avant J.-C. - les Dieux de Phénicie, on trouvait, en Tunisie un "tophet" avec des stèles sacrificielles en l'honneur de Baal-Hammon et de Tarit-Astarté (déesse de la fécondité).

Renouvellement du monde

Le monde vieillissant, les organisations se dégradant il convient de le renouveler comme de refaire les forces d'un souverain.

En Crète, le roi-prêtre qui portait le nom de Minos régnait pendant une période de 9 ans, Au bout de ce temps la puissance divine qui lui avait été insufflée était considérée comme épuisée. Il se rendait alors dans l'antre de la Montagne Ida (où Zeus enfant avait été élevé par 3 nymphes). Il y apprenait toutes les fautes qu'il avait commises. Pendant son séjour toute l'île vivait dans l'angoisse et sacrifiait jusqu'à des hommes. Tel était le sort des 7 jeunes gens et 7 jeunes filles, tribut que tous les neuf ans les peuples devaient offrir au Minotaure, hôte de la grotte labyrinthique de l'Ida. Rappelons que le "monstre" fut vaincu par Thésée qui deviendra roi à son tour.

Tous les 9 ans également les tribus venant du pays entier se réunis­saient à Uppsala pour renouveler les pouvoirs du roi. Chacun devait apporter 9 offrandes : chevaux, chiens et hommes. Les victimes étaient pendues mais aussi atteintes d'un coup de lance.

Des exécutions du même genre se pratiquaient au Danemark et en Norvège.

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A la fin du 1 e r siècle de notre ère Tacite décrit le sanctuaire d'un peuple germanique : les Semnomes qui occupaient un vaste territoire entre Elbe, Odes, Vartha et Vistule. Il assure qu'à des époques déterminées des députations des peuples se retrouvaient pour pratiquer des "rites barbares" et immolaient un homme (au moins).

L'affaire des 9 ans est extrêmement intéressante car ce cycle est, dans l'antiquité, ressenti comme à peu près capable de mettre en accord le cours du soleil avec celui de la lune, c'est à dire la vie sociale du roi (= soleil) avec la nature (= lune).

Assurer l'ordre du Monde

Enfin le principal mobile de l'exécution de victimes humaines est d'assurer l'ordre du monde.

En méso-amérique, avant la domination des Aztèques, le début de l'année était marquée par des sacrifices d'enfants sur le sommet des montagnes ; lors de la fête des Dieux et Déesses, des homme ou des femmes ayant joué pendant quelques jours ou quelques heures le rôle de leur "patron", étaient immolés au sommet de pyramides par un prêtre portant parfois lui aussi le costume et le masque du Dieu ou de la Déesse. On le voit bien il y a là symbolisme de la Mort et de la résurrection du Dieu. Parfois un homme, prêtre ou non, revêtait la peau du ou de la suppli­ciée, image du Dieu, ave le même symbolisme. Les Aztèques ayant développé un nouveau myticisme et décrit le soleil comme devant recevoir de grandes quantités de sang pour survivre, il leur fallut s'emparer de nombreux prisonniers de guerre afin de pouvoir en immoler chaque matin : on arrachait leur cœur encore palpitant au moyen d'un couteau d'obsidienne et on l'élevait pour l'offrir au soleil.

Avant les Incas, les indiens des Andes rendaient des cultes aux eaux et aux montagnes, et sans doute à un couple formée des unes et des autres (lac de haute montagne couplé avec un haut sommet, par exemple) les Incas ont assumé ces anciens cultes en les réorientant vers le soleil, seul capable de surpasser les Dieux des montagnes.

Elues du soleil les victimes humaines auraient joué un autre rôle. On aurait, dans les Andes, pratiqué des sacrifices pour apaiser des conflits internes, pour renforcer l'harmonie entre classes sociales en cimentant les relations avec l'Inca.

Telles est la thèse de Abbot Cristobal de Molina (XVIe) qui, en bon observateur, avait noté que la redistribution des victimes à partir de la capitale aurait apaisé les rancœurs que l'inégalité des peuples pouvait développer.

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On retrouve dans ce récit du jésuite ce qu'assure René Girard : le sacrifice qui est une violence est une manière d'arrêter le cycle intermi­nable des vendettas individuelles ou de groupe.

La violence sacrificielle s'opposerait à la violence "naturelle"

Les humains sacrifiés étaient, dans tous les cas des messagers choisis et chargés d'un rôle de médiation entre les hommes et les Dieux. Cette théologie de la médiation permet de comprendre (non d'approuver) le cannibalisme rituel qui associe à la victime l'ensemble des participants.

Ce n'est pas par goût ni par instinct que l'homme est cannibale, mais à la suite d'une théologie et d'une mythologie. L'homme sait qu'il doit tuer des animaux pour vivre... il extrapole et pense qu'il doit tuer des hommes pour faire vivre l'au-delà, répétant rituellement un premier meurtre qui eut lieu dans le monde des Dieux ou dans celui des ancêtres.

Le démembrement d'un Dieu serait le modèle du sacrifice humain.

L'Egypte a fait d'Osiris le Dieu mort et ressuscité : époux de sa sœur Isis, fils du dieu terre Geb et de la déesse ciel Nout, frère de Seth, Osiris était - selon les récits mythologiques - un Dieu-roi fort aimé. Son frère Seth, jaloux, fit faire un coffre superbement décoré et, au cours d'un banquet, promit de l'offrir à celui qui pourrait le remplir exactement. Comme il avait été fait aux mesures d'Osiris, seul celui-ci put s'y coucher exactement. Aussitôt le couvercle rabattu et scellé, le coffre est jeté au Nil. Isis le recherche et le retrouve à Byblos. Elle ramène le corps d'Osiris en Egypte mais Seth réussit à s'en emparer à nouveau et à démembrer le corps. Il en répand les morceaux à travers l'Egypte. Isis recherche ces morceaux, les recolle à l'exception du pénis qui reste introuvable. Selon une autre version elle inhume chaque morceau à l'endroit où il a été retrouvé et à qui est ainsi apportée la fertilité et la résurrection est antérieure. Quoiqu'il en soit Isis a un enfant posthume d'un époux mort et ressuscité. C'est enfant c'est Horus - dieu Faucon - .

En Mésopotamie, selon le mythe babylonien de création de l'Univers qui était déclamé lors des fêtes du nouvel an : au commencement il n'y avait que les eaux douces (Apsû) et les eaux salées Tiamat). De ce couple naissent des générations de Dieux, dont l'un tue Apsû et le remplace comme roi. Il engendre Marduk qui attaque la terrible Tiamat. A lieu un

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terrible combat dont Marduk sort vainqueur. Il fend en 2 le cadavre de Tiamat et d'une moitié forme le ciel et les étoiles (et aussi la lune) dont l'autre forme la Terre où coulent le Tigre et l'Euphrate issues des yeux de Tiamat...

L'époux de Tiamat : Kingu est alors sacrifié pour que naisse l'homme (à l'aide donc du sang d'un Dieu) on comprend dès lors que le service des Dieux sera le lot de l'humanité. Il faut donc les nourrir par des offrandes : pains, viandes, mais aussi légumes et fruits. Il ne semble pas y avoir eu de sacrifice humain, cependant dans les tombes royales d'Ur on a trouvé les squelettes de nombreuses personnes venues (volontairement ou non) prendre place auprès de leur maître ou maîtresse.

C'est au sacrifice d'un Dieu ou à son auto-sacrifice qu'est d u e la naissance du monde en Grèce comme chez les Maya et les Dogon.

Dionysos est un dieu énigmatique dont le nom signifie "2 fois né", un dieu qui meurt et qui renaît. Il est sans doute une divinité très archaïque, peut-être originaire d'Anatolie, en tous cas attestée en Crète où avait lieu un culte de Dionysos enfant se confondant avec le Zagreus de Mt-Ida.

Zagreus-Dionysos est fils de Perséphone déesse infernale et de Zeus (sous forme de serpent). Il est donc lié aux puissances chtonniennes, il évoque le cycle hiver (mort) / printemps (retour des forces de vie). Zagreus a été déchiré et dévoré enfant, sous forme de taureau, par des Titans.

A l'imitation du sacrifice de Zagreus - Dionysos qui est réputé favoriser la renaissance et la croissance de la végétation, un jeune garçon était immolé en Crète. Cette victime humaine avait régné pendant une journée. Il avait alors exécuté une danse illustrant les 5 saisons, mimant le lion, la chèvre, le cheval, le serpent et le veau. Après quoi il était sacrifié et mangé.

Marsyas était ami de la déesse Cybèle, il jouait de la flûte pour la charmer. C'était dit-on un "satyre" (ou silène) de Phrygie, Marsyas osa provoquer Apollon en comparant sa flûte à la lyre de celui-ci. Apollon vainquit Marsyas, par ruse, en défiant son adversaire de faire ce qu'il faisait c'est-à-dire jouer à l'envers, ce qu'on pouvait avec la lyre et non à la flûte. Apollon, pour se venger, écorcha vif Marsyas et cloua sa peau à un pin, arbre de Cybèle, son corps démembré fut répandu dans les champs pour les fertilisés.

Ces exemples montrent bien que le sacrifice d'un Dieu crée ou entre­tient le monde, lui procure la fécondité.

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Dans le Popol Vuh, le grand texte Maya écrit vers 1550 par un lettré quiche, les Dieux sont présentés comme des humains géants comme de très grands magiciens dont les actes et les créations furent le résultat de paroles magiques.

Une guerre inexpiable éclata entre des Dieux lumineux et bienfaisants et les Dieux ténébreux et malfaisants. Cette bataille prit figure de partie de jeu de paume et les Dieux lumineux durent feindre de se laisser tuer : rite obligatoire pour passer du pays de la Xibalba (mort) au pays de la vie.

Ayant remporté la victoire les 2 magiciens montèrent au ciel et y devinrent soleil et lune.

A l'image de la lutte des Dieux, les ancêtres entamèrent une lutte au jeu de paume. Un héros ancestral fut décapité et sa tête abandonnée sur la place du jeu de balle. Elle y donna naissance à des fruits et engendra une descendance.

On voit donc où s'ancre l'idée du sacrifice humain fécondateur. On voit aussi naître la nécessité du sacrifice pour que vive le monde: les Dieux ont fait couler leur sang pour le créer, les hommes doivent faire couler le leur pour le maintenir.

Lors donc les cités maya entrèrent en guerre non afin de s'asservir mais de faire des prisonniers que l'on puisse immoler au sommet des pyramides ou plus souvent encore au cours d'un jeu de balle.

Le roi était guerrier et il sacrifiait les prisonniers mais il était aussi demi-Dieu et lors des cérémonies rituelles il faisait couler son propre sang en se lacérant notamment le lobe de l'oreille, la langue et le pénis (la reine faisait de même en tirant une corde à épines à travers sa langue perforée). Ce faisant les souverains répétaient le mythe créateur et le reproduisant assuraient la continuité de la vie. Le sang était recueilli sur des bandes de papier que des acolytes brûlaient : la fumée l'emportait au ciel. Sur terre les souverains étaient alors sans doute en proie à des phéno­mènes hallucinatoires qui leur donnaient une version de l'autre monde.

Les Aztèques venus du nord du Mexique poussèrent jusqu'aux extrêmes cette nécessité du sang pour que vive leur Dieu le soleil et l'Univers, sa création.

Chez les Dogon, le dieu suprême Amma ayant créé le monde puis les végétaux voulut former 4 paires de jumeaux. Il procéda par dédouble­ments successifs créant d'abord les mâles puis élaborant dans le placenta les jumelles. Le 4 e mâle Ogo s'impatientant vola le morceau de placenta d'où devait naître sa jumelle. Se révoltant contre Amma, il vola aussi la première graine créée

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Ogo est bien évidemment le perturbateur, le désordonnateur du monde. Les Dogon le décrivent comme le renard pâle (chacal).

Pour remettre de l'ordre dans le monde, Amma transforma le morceau de placenta en terre. Puis il sacrifia le Nommo (jumeau mâle d'Ogo et donc participant à la responsabilité d'Ogo, du fait même de cette gémellité).

Ainsi Nommo fut-il démembré et les morceaux en furent-ils lancés aux 4 angles cardinaux de l'espace. Du sexe de Nommo naquit l'étoile Sirius, la trace du sang créant Vénus.

Ce sacrifice scella l'échec du 1 e r monde voulu par Amma, il le réorganisa donc par la souffrance. Amma rassembla ensuite le corps de Nommo et le ressuscita sous forme de jumeaux mixtes humains.

Un sacrifice commémoratif à lieu au moment de la fête des semailles. Nous pensons qu'autrefois avait lieu un sacrifice humain, aujourd'hui remplacé par une victime animale qui est mangée par la communauté totémique.

Mircea Eliade, le grand ethnologue roumain qui enseigna aux USA, soulignait que cette conception du sacrifice donnant naissance ou régéné­rant le monde, proclame que la vie est assurée par un meurtre.

Comme le dit Don Eduardo, l'un des spécialistes du chamanisme andin : le sacrifice d'un homme c'est le sacrifice du microcosme au macrocosme qu'est l'Univers. C'est un pont et si l'âme du sacrifice est consentante ce peut être un pont cosmique.

On peut alors se poser la question : la crucifixion de Jésus-Christ est-elle un sacrifice ? Je ne veux pas examiner la question en théologien - ce que je ne suis pas - mais en anthropologue, sacrifice ? Certainement pas car les autorités pensèrent sanctionner une conduite susceptible d'amener des troubles politiques, car le peuple, qui suivait Jésus quelques jours aupara­vant, l'abandonnèrent par peur : peur des prêtres qui détestaient le Nazaréen, peur de l'occupant qui pourrait sévir contre les amis d'un rebelle.

Il n'y a pas de sacrifice offert pour l'une des raisons que nous avons signalées : purification, envoi d'un messager, e tc . .

S'agit-il d'un auto-sacrifice ?

L'évangile dit par exemple : "le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie, en rançon, pour beaucoup" Mathieu 20 (28) et Marc 10 (32-34). Dans l'épître aux Hébreux 9 (26)

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Paul dit de Jésus : "Il s'est manifesté une seule fois à la fin des âges pour abolir le péché par son sacrifice.

Je crois qu'il ne faut pas oublier la mentalité sacrificielle qui régnait dans le monde - rappelons-nous les taureaux immolés en l'honneur de Mithra - et qui n'est sans doute, pas abolie si l'on songe aux jeunes garçons Iraniens se lançant dans les champs de mines Irakiens, la clef du Paradis au cou.

Mais il me semble que pour les Chrétiens il y a là quelque chose d'unique puisque Dieu est à la fois objet du sacrifice et destinataire du sacrifice car il est Dieu et non un Dieu, qu'il est à la fois message, messa­ger et récepteur du message.

D'autres Dieux, par exemple Odin, chez les Germains, se sacrifièrent, acceptèrent une mort rituelle, initiatique pour acquérir la connaissance suprême : de Dieu des guerriers, Odin devint ainsi maître de la connais­sance occulte. Mais n'oublions pas qu'il périt, englouti par le loup Fenrir et que la plupart des Dieux disparurent avec lui, dans le crépuscule des Dieux.

Dans les auto-sacrifices que j ' a i rencontrés dans les mythologies, les victimes ne se confondent pas avec le destinataire. Alors d'autres sacrifices devaient et pouvaient avoir lieu. Je ne crois pas que l'Eucharisite chrétien­ne soit un sacrifice renouvelé, le sacrifice de la croix demeurant unique mais étant présent et présenté dans le sacrement.

Je voudrais terminer cette causerie en posant une question : les archétypes sacrificiels nous quittent-ils ?

E, 1969, marchant sur la lune et contemplant la sphère bleue de la terre, l'astronaute Armstrong se demandait comment une tribu primitive aurait réagi à ce magnifique spectacle : "combien de vierges lui aurait-on immolé ?".

Le psychologue Steven Kull signale que l'archétype de l'Armageddon [montagne de rassemblement (Apo 16,6)] séduit des groupes religieux qui voient dans l'anéantissement du monde un ultime sacrifice purificateur : le rite de la destruction du monde.