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le son des villes 100 témoignages sélectionnés par Marc Crunelle

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le son des villes

100 témoignages

sélectionnés par Marc Crunelle

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hanks you for the first 50 quotes. Fascinating ! What a treasury of information. It's really the first time that the concept of sound morphology has become a research tool. I mentioned morphology in "Tuning of the World" and have always been sorry that no one ever took it up as a serious approach to the history of both soundscape and attitudes to sound as well as listening preferences.

Je suis extrêmement honoré de retranscrire ici ces quelques lignes extraites d'une lettre que Murray Schafer m'adressait en février 2006 suite à la lecture d'une première version de 50 extraits. Je le suis d'autant plus que sans lui, le projet de réaliser ce petit ouvrage n'aurait jamais vu le jour. Il est, dans son ouvrage "Tuning of the World", le créateur de la notion de Soundscape1: notion tellement fructueuse, à la fois vécue, poétique, historique, politique, qu'elle ne peut que susciter l'enthousiasme et porter une attention plus grande aux sons qui nous environnent et au milieu dans lequel nous sommes imergés. Le son des villes est en quelque sorte une gageure. D'abord, ce n'est pas d'un son qu'il s'agit ici mais des sons; ensuite, ces évènements s'avèrent quelque fois ponctuels et à d'autres moments-lieux plus constants. C'est tout sauf, dans de rares cas, une sensation, une impression globale.

1 . Schafer, "The Soundscape: Our Sonic Environment and the Tuning of the World", en français: "Le paysage sonore", Jean-Claude Lattès, Paris, 1979

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Les citations ci-après sont des petites touches notées principalement par des écrivains voyageurs. Il est difficile de décrire sa propre ville, son environnement sonore quotidien, le milieu acoustique dans lequel on baigne tant on y est habitué. Par contre, la rencontre avec une ville nouvelle nous étonne, nous surprend, nous fait prendre conscience de la différence, de sa singularité, ce à quoi nous ne sommes pas habitué à entendre, de sons inaccoutumés, de bruits inconnus, de sonorités surprenantes, voire insupportables. Le syndrome de Proust désignant la réminiscence d'une expérience passée rien qu'à l'odeur perçue à nouveau, existe bel et bien pour les sons (avec déformations qui lui sont indubitables). L'image sonore se reforme (la sensation vécue, mais pas l'exactitude de la réalité sonore). Ainsi une "carte postale sonore" de telle ou telle ville est une belle notion subjective mais illusoire dans les faits. Il est évident qu'il existe néanmoins des sons liés étroitement et exclusivement à telle ou telle portion de ville plus calme ou industrieuse. Chacun de nous posséde quelques souvenirs sonores pointéistes de moments/sons intimement liés à notre vécu. Parfois un détail déclenche une série d'interrogations ou nous entraîne à faire une relecture de choses. Ainsi en 1933, un jeune voyageur anglais, Patrick Leigh Fermor note qu'il est réveillé par le bruit des sabots sur le pavé dans une ville des Pays-Bas et instantanément, je revois des illustrations, des peintures, des photos anciennes du début du XXè siècle sur lesquelles bon nombre de personnages étaient chaussés de sabots, images où le martèlement des chaussures en bois était absent. Cette description ramène des souvenirs à la surface, relie des informations diverses, associe des images

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silencieuses à une réalité sonore gommée dans les représentations visuelles. Plus loin ce même voyageur note "Quand les enfants quittaient en trombe la salle de classe dans un cliquetis de sabots miniatures": bruits depuis longtemps disparus de notre quotidien. De même dans les textes qui suivent, il y aura d'autres vécus qui ont la potentialité de nous faire rêver, d'éveiller d'autres souvenirs, de nous rappeler d'autres dimensions urbaines n'apparaissant jamais en photos. Nous avons tous en tête des vues de villes du passé: elles sont silencieuses. Mais la rencontre d'un texte décrivant les sons, les bruits régnant dans ces mêmes vues nous étonne toujours: "Ah, c'était donc ainsi !!!" Le choc provient du fait qu'on se rend compte que l'image estompe, étouffe les sensations autres que visuelles. Il y aura donc rencontre de chahuts et de lieux étonnement silencieux, succession d'images sonores calmes et de bruits assourdissants. Ce que j'ai voulu avec ce rassemblement de descriptions sonores, c'est de donner un peu plus de vie aux peintures de villes que nous connaissons, aux gravures que tout la monde a vu, et qui sont muettes. De plaquer sur ces images silencieuses le son qui ajoute une dimension humaine à aux images statiques et muettes. Parce que nous connaissons tous ces images d'architecture et de rues aux rares personnages, ces places anciennes photographiées probablement un dimanche matin afin de les capter désertes. Le lecteur a donc sa part active en explorant les lignes qui vont suivre: parallèlement à la lecture, son esprit ajoutera les images au son et les bruits aux vuesLes descriptions d'ambiance sonores urbaines prennent d'autant plus de valeurs, qu'elles sont rares. Rapporter une expérience auditive, décrire l'image sonore d'un quartier, d'une ville, est peu courant dans la littérature,

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ce qui en valorise d'autant plus son existence. Le fait de la noter, souligne le vécu d'une expérience particulière. Il est en effet difficile de décri-re l'ambiance sonore de la ville dans laquelle on vit. Ainsi la majorité des récits ci-après ont été écrits par des voyageurs, personnes étrangères à ces lieux et les découvrant, et décrivant leurs étonnements, leurs surprises auditives. Leurs écrits sont plus proches de la démarche phénoménologique. Raison pour laquelle je ne me suis pas puisé dans les œuvres romanesques. Le but recherché ici, c'est plutôt l'étonnement, la surprise que nous avons en lisant ces textes de témoignage livré brut, brut de décoffrage, brut de découverte. Ce n'est pas une étude scientifique, c'est plus une poétique de la sensation, la découverte de l'acoustique d'un lieu par un témoignage ancien, la mise en condition de ce qu'était tel ou tel quartier de ville il y a 200 ans, la restitution dans l'évocation qui fait que telle ville que l'on connaît avait un environnement sonore insoupçonné. Le son est une expérience quotidienne à propos de laquelle nous avons peu l'occasion de parler. Enfin, ces quelques dizaines de citations montrent le formidable pouvoir d'évocation que peut produire une description sonore pour redonner vie aux images d'un monde passé… Murray Schafer me faisait remarquer qu'en portant déjà attention aux noms des rues des centres des villes anciennes, "rue des bouchers, des tourneurs, des forgerons, des cordonniers, des tailleurs de pierre, des tisserands, rue marché aux poulets, marché au

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porcs, …" rien qu'à lire ces noms, on imagine déjà les sons qui y régnaient… Marc Crunelle, janvier 2007

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Le son des villes Toulon – 1630 La ville est aussi fort peuplée et sa population a aug-menté, depuis que les galères séjournent au port. […] les forçats qui vont et viennent dans la ville, de sorte qu'on y entend, depuis la matin jusqu'au soir, autre chose que "stridor ferri tractœque catenœ" [phrase latine évoquant le bruit que font les chaînes traînées], dont sont accouplés les forçats deux à deux. (Jean-Jacques Bouchard) (1) Paris – 1644 Devant le cabinet [situé dans une des salles du châ-teau de Nevers], il y a une longue galerie où sont peints et décrits les Cris de Paris, ou tout ce qui à Pa-ris se vend à cris, savoir: Vieux chapeaux; le chatreux; oublie, oublie; pasté chault; couronne royale; qui veut de l'eau; des goupil-lons; cotrects sects; bon fusis; du laict; bon vinaigre; fromage de Brie, choux vers; escargos; cornouilles; artichault; poix vers; chicorée blanche; naves, naves; à la fine èguille; allumettes au fusil, bonne croye; char-bon de rabeix; noire à noircir, de la pierre noire; cuilier de faict; sablon dEstampes; doulce rave; doulce mure; poires à deux testes; fromage de cresme blanc; me-lons; chodronier; rammoneur cheminée; balais, balais; bourrées de genèvre; jarretières; éguillettes; choux blancs; la mort aux rats; prunes; dattes; ciseaux et cousteaux; du pain chaland; concombres; beurre de Vanve; bonnes lardoyres; foüare, foüare; sacs assas-sas; vin blanc; vin clairet; gaigne petit; à curer les puis; almanach nouveau; crieur des corps; à l'escaille vive; argent des bouteilles; febves cuittes; moustarde; haren

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blanc; bon ancre de Saussois; des oranges; les eschervis; vieu drapau; à cheval sur l'ours; ognions, ognions; à tirer les dents; à mes beaux bourreaux; la-vande; pesche de Corbes; amandres, amandres; gres à escurer; passements d'or; huîtres en escaille. Les raccommodeurs de casseroles qui crient, à Lyon: chaudronnier, jouent à Paris sur une flûte de berger. (Elie Brackenhoffer) (2) Beauvais – XVIIè siècle Pierre Goubert a dénombré, en se tenant aux limites strictes de la ville, 135 grosses cloches, quelques di-zaines de petites, 13 églises et 6 couvents et a parlé de "ville sonante". (Jean-Pierre Gutton) (3) Bordeaux - 1669 La plus grosse cloche de la ville, qui ne l'est pas beau-coup, est sur le portail de l'Hôtel de Ville. Elle est des meilleures que j'aie jamais entendues ; on dit qu'elle est moitié d'argent. Elle ne sert pas seulement d'hor-loge, mais on la sonne quand on se doit assembler à l'Hôtel de Ville et sur le point qu'on doit conclure quelque chose d'important. On la sonne aussi tous les soirs sur les sept heures. (Claude Perrault) (4) Paris – fin XVIIè siècle Ajoutez les hurlements et les cris de tous ceux qui vont dans les rues pour vendre des herbes, du laitage, des fruits, des haillons, du sable, des ballais, du poisson, de l'eau et mille autres choses nécessaires à la vie; et je ne crois pas qu'il y ait aucun sourd-né, si ennemi de lui-même, qui voulût à ce prix recevoir l'ouïe, pour en-tendre un tintamarre si diabolique. (J.P. Marana) (5)

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Londres – 1708 La vilaine, épaisse et puante fumée du charbon, et le pavé pointu dans la plus grande partie de la ville sont deux autres reproches qu'on fait à Londres. J'avoue qu'il n'y a point de remède au premier, mais bien au second, si l'on voulait. On peut ajouter encore les cla-meurs des mendiants dans les rues, principalement dans la Cité et dans les faubourgs de Westminster. Si l'on aime le bruit, c'est un des lieux du monde où il y en a le plus. Car on n'y entend que trop de bruit et de tintamarre, par les charrettes et carrosses qui roulent tout le jour, par les cris de la ville qui frappent toujours les oreilles; particulièrement les crieurs de nouvelles qui courent les rues et crient à plein gosier. Les cloches d'un côté, et les tambours de l'autre, et sou-vent même les canons de la Tour, remplissent les oreilles. Ici, l'on trouve une foule, à pousser les gens à mort; là on rencontre un malheureux portefaix, qui heurte les allants avec son fardeau, et la canaille en hiver tirant avec des bâtons à des crocs, ou jouant au ballon dans les rues. (Guy Miège) (6) Lyon – XVIIIè siècle Chacune des cloches des églises a un son plus ou moins argentin en fonction de la nature de l'alliage (20 à 22% d'étain, 78 à 80% de cuivre) et une tonalité. On connaît ainsi la note de sa paroisse. A Lyon, l'église Saint-Pierre donne le si, Saint-François le ré, Saint-Georges le mi et la cathédrale Saint-Jean le là. Dans beaucoup d'églises il y a trois cloches et on sait distin-guer la grosse cloche, dite encore trémone, mute ou campane, de la moyenne, la métanne ou métandière, de la petite, campanette, filleule, moineau ou grillet. On sait donc bien situer et décoder l'appel d'une cloche et, plus encore, les combinaisons de sons. (Jean-Pierre Gutton) (7)

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Paris – 1763 Je quitte Paris ne pouvant plus me faire au bruit. (Louis Simon) (8) Paris - 1785 Les enseignes sont maintenant appliquées contre le mur des maisons et des boutiques; au lieu qu'autrefois elles pendaient à de longues potences de fer; de sorte que l'enseigne et la potence, dans les grands vents, menaçaient d'écraser les passants dans les rues. Quand le vent soufflait, toutes ces enseignes, deve-nues gémissantes, se heurtaient et se choquaient entre elles; ce qui composait un carillon plaintif et dis-cordant, vraiment incroyable pour qui ne l'a pas enten-du. De plus, elles jetaient la nuit des ombres larges, qui rendaient nulle la faible clarté des lanternes. (Louis Sébastien Mercier) (9) Paris - 1785 Non, il n'y a point de ville au monde où les crieurs et les crieuses des rues aient une voix plus aigre et plus perçante. Il faut les entendre élancer leur voix par-dessus les toits; leur gosier surmonte le bruit et le tapage des carrefours. Il est impossible à l'étranger de pouvoir comprendre la chose; le Parisien lui-même ne la distingue que par routine. Le porteur d'eau, la crieuse de vieux chapeaux, le marchand de ferraille, de peaux de lapin, la vendeuse de marée, c'est à qui chantera la marchandise sur un mode haut et déchi-rant. Tous ces cris discordants forment un ensemble, dont on n'a point d'idée lorsqu'on ne l'a point entendu. L'idiome de ces crieurs ambulants est tel, qu'il faut en faire une étude pour bien distinguer ce qu'il signifie. Les servantes ont l'oreille beaucoup plus exercée que l'Académicien; elles savent distinguer du quatrième étage, et d'un bout de la rue à l'autre, si l'on crie des

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maquereaux, ou des harengs frais, des laitues ou des betteraves. Comme les finales sont à peu près du même ton, il n'y a que l'usage qui enseigne aux doctes servantes à ne point se tromper, et c'est une inexpli-cable cacophonie pour tout autre. (Louis Sébastien Mercier) (10) Paris - 1785 Le marteau du forgeron et du maréchal-ferrant trouble quelquefois le sommeil du matin, pour les paresseux qui sont encore au lit. Si l'on en croyait nos sybarites, on relèguerait hors des villes tous les artisans qui font frémir la lime mordante; il ne serait plus permis au chaudronnier de battre sa marmite, au charron de cer-cler la roue d'un fer durable, aux différentes profes-sions qui courent les rues, d'élever ces voix aigres et retentissantes qui se font entendre au sommet et jusque sur le derrière des maisons. Il faudrait que le bruit de la cité fût enchaîné de toutes parts, pour pro-téger leur oisive mollesse, et que, le calme du silence environnant leur paisible alcôve, tous ces voluptueux pussent presser la plume oiseuse jusqu'à la douzième heure, lorsque le soleil est au haut de sa carrière. […] Si l'on écoutait toutes les prétentions de ces riches, il n'y aurait que des portes cochères dans la capitale, et l'on matelasserait les rues jusqu'à une heure, c'est-à-dire, jusqu'au temps où ils quittent l'édredon ou la chaise longue; les cloches ne devraient plus retentir dans les airs ; et le tambour des Gardes, en passant sous leurs fenêtres, devrait être muet ; car il n'appar-tient qu'à leurs équipages de faire du bruit en roulant sur le pavé, et de réveiller à deux heures du matin ceux qui dorment. (Louis Sébastien Mercier) (11) Vérone, 17 septembre 1786

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A Vérone, le mouvement de la population est très ani-mé; quelques rues, dans lesquelles les boutiques et les ateliers se touchent, offrent surtout un coup d'oeil fort gai. Point de porte devant la boutique ou la chambre de travail; non, la maison est ouverte dans toute sa largeur; on voit jusqu'au fond et tout ce qui s'y passe. Les tailleurs cousent, les cordonniers tirent le fil et frappent, tous, à moitié dans la rue; les boutiques font même partie de la rue. Le soir, aux lumières, le spectacle est des plus vivants. Les jours de marché, les places sont combles: des montagnes de légumes et de fruits; l'ail et l'oignon à coeur joie. Du reste on crie, on folâtre, on chante tout le jour; on se pousse, on se chamaille, on huche et l'on rit sans cesse. La douceur de l'air, le bas prix des subsistances, rendent la vie facile. Tous ceux qui le peuvent sont en plein air. La nuit, les chants et le vacarme redoublent. J'entends chanter Malbrough dans toutes les rues; puis, c'est un tympanon, un violon. On s'exerce à imiter en sifflant tous les oiseaux. Les sons les plus étranges éclatent de toutes parts. Cette surabondance de vie, un doux climat la communique même à la pauvreté, et l'ombre du peuple semble même encore digne de respect. (Goethe) (12) Lisbonne – dimanche 27 mai 1787 Ce climat ne me vaut rien. La chaleur et le bruit me tuent; or l'un comme l'autre sont fort à craindre dans Lisbonne où, toute la nuit, rôdent par les rues 30 000 à 40 000 chiens qui font la démosntration de leur importance et de leur utilité en dévorant tout ce qui tombe des fenêtres. (William Beckford) (13) Lisbonne – mercredi 30 mai 1787 Un vacarme affreux m'a reiveillé ce matin: encore les chiens! ( William Beckford) (14)

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Paris - 1789 Allez ici d'un bout à l'autre de la ville : partout la foule va et vient, partout du bruit et du vacarme dans les grandes et les petites rues. Or il y en a environ 1000 dans Paris! (Nicolaï Karamzine) (15) Paris – 27 mars 1790 Bientôt nous entrâmes dans le faubourg Saint-Antoine. Nous y vîmes des rues étroites, malpropres, des mai-sons hideuses et un monde déguenillé. Est-ce bien Paris? me demandais-je, ce Paris qui de loin m'avait paru si beau ?... Mais la scène changea lorsque nous arrivâmes sur le quai: édifices splendides, grandes maisons à six étages, riches magasins. Quelle foule variée! Quel bruit! Les voitures semblent courir l'une après l'autre; on crie "Gare! gare!" et le public s'agite comme une mer houleuse. Tout ce fracas, cette bigar-rure, cette animation produisent sur moi un effet indi-cible. Il me semblait que je n'étais qu'un grain de sable tombé dans un torrent vertigineux ou saisi dans un tourbillon. (Nicolaï Karamzine) (16) Bordeaux - 1801 Quant à l'aspect extérieur de la ville, toutes les rues, petites ou grandes, sont propres, mais presque toutes mal pavées. Il n'y a pas le bruit, la confusion et les en-combrements de la capitale. L'animation commerciale est concentrée aux Chartrons et dans le quartier de la Bourse. On voit peu de voitures et de cabriolets et le nombre des fiacres est insignifiant par rapport à l'im-portance de la ville. Les prix des voitures sont arbi-traires et très élevés. Rien ne trouble la tranquilité de la nuit. Dès onze heures du soir, les maisons et les rares cafés qui existent ici sont fermés. Même pendant le jour, ces cafés ne sont guère fréquentés plus de quelques heures. (Lorenz Meyer) (17)

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Lezoux - 1801 Arrêté pris par les Maire et adjoints concernant les rues et fontaines. Du 14 nivôse [de l'an IX (4 janvier 1801)] les Maire et adjoints réunis prenant en considération la propreté des rues de la commune de Lezoux ainsy que des fon-taines, objet qui a une si grande influence sur la salu-brité de l'air arrêtent ce qui suit 1er Il est défendu à tous citoyens décarter de la paille sur les pavés devant leur porte pour faire du fumier, et dacumuler des fumiers dans les ruës sous peine d'être punis conformément aux lois art 2 Il est défendu à tous citoyens de laver des tripes du linge et autres objets dans les bacs des fontaines. Les contrevenants seront punis conformément à la loi art 3 Le présent arrêté sera rendu public par la voie de l'af-fiche et publication au son du tambour Duchasseint, maire. (Duchasseint) (18) Paris – 18 avril 1802 Le 28 germinal an X (18 avril 1802), le jour de Pâques, le bourdon de Notre-Dame, après quelques 10 ans de silence, sonne, tout à la fois, la publication du Concor-dat et la signature de la paix d'Amiens. Quelques mi-nutes plus tard, toutes les cloches de la capitale se mettent en branle. Le souvenir de l'émotion éprouvée en ce jour, qui met symboliquement fin à la Révolution, a été, par la suite, ressassé. […] Le volume sonore des cloches parisiennes, en ce jour de Pâques, est très faible, comparé à celui des sonneries du 14 juillet 1790. Le clergé ne peut solen-niser ses messages avec la même puissance que na-

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guère. Une cloche unique ne produit pas la même ébranlement de la sensualité que les volées imbri-quées et harmonieuses d'une puissante sonnerie. (Alain Corbin) (19) Paris et la France – 1803 Par ailleurs, les gens du peuple ne vivent pas de ma-nière aussi gaie et contente que dans notre bien aimée Allemagne. Nous n'avons entendu nulle part ni mu-sique ni vu aucun bal, ce que nous pouvons vivre chaque semaine chez nous. Même le joyeux son du clairon postal disparaît dès que nous foulons le sol français. Les postillons français d'autre part discute sans cesse et parfois de manière si forte qu'il nous rend sourd. … le tintement des cloches n'est pas non plus déran-geant en France. Je ne me souviens pas avoir enten-du une cloche, que ce soit à Paris ou ailleurs. Comme pour la religion, j'ose dire que la plus grande partie du peuple français n'est pas non plus doué pour aucune de ces choses. (20) Rome – 18 janvier 1804 A tous les bruits ordinaires des grandes cités, se mèle ici le bruit des eaux que l'on entend de toutes parts, comme si l'on étoit auprès des fontaines de Blandusie ou d'Egérie. (Chateaubriand) (21) [dans l'édition critique accompagnant le texte, note de Jean-Marie Gautier: "ces fontaines ont frappé tous les voyageurs: "Le nombre de ces fontaines qu'on trouve à chaque pas et les fleuves entiers qui en sortent, sont plus agréables et plus étonnants encore que les édifices magnifiques qu'ils sont en général", De Brosses, p.244] Biarritz – 1819

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Biarritz est à une lieu de la ville, c'est un pauvre village habité par des pêcheurs, mais la saison des eaux, ou pour mieux dire celle où l'on prend les bains de mer, y attire beaucoup de monde. Ce qu'il y a de plus intéres-sant est cette côte hérissée de rochers, creusés par la mer et déchiré de toutes les façons: les vagues qui viennent se précipiter contre ces rocs, ou qui s'englou-tissent dans leurs cavités, produisent un son, un bruit sourd, qui répété de roc en roc, rend la scène très im-posante. (Henrica Van Tets) (22) Berlin – mars 1821 Les soirées sont longues à Berlin. J'habite un hôtel appartenant à madame la duchesse de Dino. Dès l'en-trée de la nuit, mes secrétaires m'abandonnent. Quand il n'y a pas de fête à la cour pour le mariage du grand-duc et de la grande-duchesse Nicolas, je reste chez moi. Enfermé seul auprès d'un poêle à figure morne, je n'entends que le cri de la sentinelle à la porte de Bran-debourg, et les pas sur la neige de l'homme qui siffle les heures. (Chateaubriand) (23) Venise – 15 septembre 1833 Je me jetai dans une gondole, et m'en allai avec Hya-cinthe et Antonio parcourir le labyrinthe des canaux les plus infréquentés. On n'entendait que le bruit de nos rames au pied des palais sonores, d'autant plus retentissants qu'ils sont vides. Tel d'entre eux, fermé depuis quarante ans, n'a vu entrer personne: là sont suspendus des portraits oubliés qui se regardent en silence à travers la nuit: si j'avais frappé ils seraient venus m'ouvrir la porte, me demander ce que je voulais et pourquoi je troublais leur repos. (Chateaubriand) (24)

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Venise – septembre 1833 Rentré à mon auberge, je me suis couché et endormi au chant des gondoliers stationnés sous les fenêtres. (Chateaubriand) (25) Mons – 18 août 1837 La place de l'Hôtel de ville de Mons est particulière-ment jolie. L'Hôtel de ville a une belle devanture à ogives du XVè siècle, avec un assez curieux beffroi rococo, et de la place on aperçoit en outre les deux autres clochers. Comme je devais partir à trois heures du matin, je ne me suis pas couché, pour voir cet ensemble au clair de lune. Rien de plus singulier et de plus charmant, sous un beau ciel clair et étoilé, que cette place si bien déchiquetée dans tous les sens par le goût capricieux du XVe siècle et par le génie extravagant du XVIIIe; rien de plus original que tous ces édifices chimériques vus à cette heure fantastique. De temps en temps un carillon ravissant s'éveillait dans la grande tour [le beffroi]; ce carillon me faisait l'effet de chanter à cette ville de magots flamands je ne sais quelle chanson chinoise; puis il se taisait, et l'heure sonnait gravement. Alors, quand les dernières vibrations de l'heure avaient cessé, dans le silence qui revenait à peine, un bruit étrangement doux et mélan-colique tombait du haut de la grande tour, c'était le son aérien et affaibli d'une trompe, deux soupirs seule-ment. Puis le repos de la ville recommençait pour une heure. Cette trompe, c'était la voix du guetteur de nuit. Moi, j'étais là, seul éveillé avec cet homme, ma fenêtre ouverte devant moi, avec tout ce spectacle, c'est-à-dire tout ce rêve, dans les oreilles et dans les yeux. J'ai bien fait de ne pas dormir cette nuit-là, n'est-ce pas ? Jamais le sommeil ne m'aurait donné un songe plus à ma fantaisie. (Victor Hugo) (26)

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Ferrare - 1838 De grandes rues pleines d'herbe, de soleil et de soli-tude ; un vieux château tout étrange ; des souvenirs politiques, littéraires et dramatiques à défrayer une existence d'érudit ; d'autres souvenirs plus doux et plus utiles, des souvenirs pieux qui remplissent une belle et magnifique église, et qui fourniraient de mo-dèle à la charité d'un saint ; une bibliothèque abon-dante en manuscrits lisibles, chose qui n'et pas d'un médiocre prix ; un bruit continuel de musique et de chansons : voilà Ferrare ; et en voilà aussi, je pense, bien assez pour en rendre le séjour charmant. […] Lorsqu'on se promène dans les rues de Ferrare, on a bientôt franchi Ie petit cercle où se remue la po-pulation (population de vingt-quatre aille âmes cepen-dant ; mais la ville était faite pour en contenir cent mille), et l'on se trouve alors dans de vastes quartiers tellement délaissés, que nous y rencontrâmes en tout, dans l'espace de plus d'une heure, deux personnes et un chien. Les pas du curieux retentissent sur le pavé avec ce grand bruit qui nous étonne malgré nous, quand par hasard nous nous trouvons seuls à une heure très avancée de la nuit dans ces rues de Paris où mille bruits assoupissent tous les bruits. Ça et là la cime d'un arbre en fleur vous donne un coup d'encen-soir par-dessus les murs d'un long jardin ; plus loin un petit carillon de guitare qui accompagnait en sautillant votre rêverie s'arrête tout à coup, une jalousie se sou-lève, deux yeux noirs et curieux vous regardant pas-ser. (Louis Veuillot) (27) Vittoria - Espagne – 5 octobre 1846 De temps en temps aussi passait près de nous une charrette qui, chaque fois qu'elle passait, faisait mon admiration en ce qu'elle me rappelait ces chars méro-vingiens que notre savant Augustin a essayé de re-construire, comme Cuvier ses mastodontes et ses ich-

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tyosaurus. Ce véhicule, attelé d'une couple de boeufs, était toujours annoncé par un bruit étrange, enroué, féroce, et, la première fois que je l'entendis, aussi inexplicable pour moi que ce cri qu'entendent au bord du Saint-Laurent les timides héroïnes de Cooper, et qu'on reconnaît enfin pour être celui d'un cheval atta-qué par les loups. Ce bruit était causé sans doute par la sécheresse de l'essieu avec lequel ou autour du-quel, je n'en sais rien, tournent des roues pleines, avant la forme d'un immense champignon. Ce bruit, qui ne cesse jamais, qui doit s'entendre d'une de-mi-lieue, quand aucun autre bruit ne le contrarie, m'a paru destiné, combiné avec la cigarette qui flamboie toujours, à distraire le propriétaire du char, qui pos-sède ainsi une boîte à musique, laquelle joue inces-samment le même air, c'est vrai, mais a sur les taba-tières et les serinettes l'avantage de ne jamais se dé-ranger. Peut-être encore ce bruit serait-il destiné à prévenir longtemps à l'avance les posaderos de l'arri-vée d'une pratique. En ce cas, comme on le voit, la mécanique en question joindrait l'utile à l'agréable, - l'utile dulci - et aurait des chances pour le grand prix de l'Académie. Mais un autre bruit que je vous dénoncerai encore, madame, afin que vous ne le preniez pas pour celui d'un corps qu'on égorge, ou d'une âme qu'on châtie, un bruit qui n'a pas de limite dans l'espace, pas d'équi-valent dans les souvenirs, est celui des norias. Vous chercherez dans le dictionnaire pour savoir ce qu'est une noria, madame, et votre dictionnaire, pour ne pas gâter le métier innocent que font les diction-naires, vous répondra machine, et par conséquent ne vous apprendra absolument rien. Une noria est la roue d'un moulin à eau, roue gigan-tesque, roue près de laquelle la roue qui reste à la machine de Marly n'est qu'une roue de montre, et qui, pour garder son rang dans la hiérarchie mécanique,

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fait quatre fois autant de bruit d'elle seule qu'en font les deux roues du fameux char dont je viens d'avoir l'honneur de vous entretenir. Nous arrivâmes ainsi, regardant de tous nos yeux, écoutant de toutes nos oreilles, à Vittoria. (Alexandre Dumas) (28) Londres - 1859 Et puis, si vous êtes fatigué de la vue d'un peuple qui achète et qui vend, du bruit éternel des roues des machines, des chevaux, du roulement des locomotives et des wagons, qui, même dans les rues de Londres passent au-dessus de vos têtes en sifflant, faites un pas, et, au milieu de cette solitude aride de la foule, vous trouverez l'oasis. Un soir d'été, j'étais dans Hyde Park: autour de moi, tout faisait silence, à l'exception des oiseaux; des vaches paissaient dans l'herbe, de vieux et grands arbres secouaient au vent leur chevelure négligée, des enfants jouaient, nageaient, barbotaient dans une pièce d'eau, la Serpentine. Au milieu de cet horizon immense, dont rien ne bornait la vue que des lignes verdure et de ciel bleu, je me serais cru à cent lieues d'une capitale, pourtant j'étais dans Londres. (Alphonse Esquiros) (29) Vienne – 24 septembre 1860 Une ville de bruit et de mouvement, où les voitures volent, où les pavés sonnent. (Edmond et Jules de Goncourt) (30) Lyon – 1863 J'ai visité la Croix-Rousse. Je n'ai jamais vu dans au-cune ville de colline si escarpée. Il faut faire des zig-zags comme sur le versant d'une montagne; pour des-

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cendre la rue de la Grande-Côte, on est obligé de marcher à petits pas le corps en arrière. Hautes et vastes fabriques monotones, mornes comme des casernes. Le bruit des métiers y retentit incessamment. (Hippolyte Taine) (31) Lyon - quartier de La Croix-Rousse - 1864 [La population y est presque exclusivement composée d'ouvrier de la soie.] Si le peuple lyonnais a une phy-sionomie spéciale, surtout à la Croix-Rousse, il faut l'observer. En arrivant dans ce quartier, on est d'abord frappé du peu d'animation des rues, mais si on ap-proche en poursuivant ses observations, on ne tarde pas à s'apercevoir que le mouvement le plus actif règne dans les maisons, où l'on entend le bruit conti-nuel des métiers qui fonctionnent activement et d'ou-vriers qui chantent; ce bruit, (le bistanclaque-pan), c'est l'indice certain de la vie et du bonheur de la popu-lation de la Croix Rousse. (selon le Littré de la Grande Côte, le bistanclaque-pan est le bruit que fait le métier de façonnier. Onomatopée. Pan représente le coup de battant.) (A. Péladan) (32) Bruxelles - 1864 Bruxelles, beaucoup plus bruyant que Paris; le pour-quoi. Le pavé, irrégulier; la fragilité et la sonorité des maisons; l'étroitesse des rues; l'accent sauvage et immodéré du peuple; la maladresse universelle; le sif-flement national (ce que c'est), et les aboiements des chiens. (Charles Baudelaire) (33) Florence – 8 avril 1864 Une ville complète par elle-même, ayant ses arts et ses bâtiments, animée et point trop peuplée, capitale

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et point trop grande, belle et gaie, voilà la première idée sur Florence. Les pieds avancent sans qu'on y songe sur les grandes dalles dont toutes les rues sont pavées. Du palais Strozzi à la place Santa Trinità, la foule bour-donne, incessamment renouvelée. (Hippolyte Taine) (34) Venise – 1874 Venise doit la qualité merveilleusement sédative de son atmosphère à l'absence de bruits. (J.-B. Fonssagrives) (35) Stockholm – 1879 Au loin, en bas [du jardin de Mosebacke], au-dessous de lui, grondait la ville; les grues à vapeur ronflaient dans le port; les barres de fer cliquetaient dans les docks; les sifflets des éclusiers retentissaient; les va-peurs fumaient près du quai; les omnibus de Kungsbacke sautaient avec fracas sur la chaussée bombée; tumulte et rumeurs à la halle aux poissons, voiles et drapeaux flottant sur le fleuve, cris des mouettes, clairons de Skeppsholm, commandements de la place de Södermalm, claquement de sabots des ouvriers dans la rue de la Verrerie, tout donnait une impression de vie et de mouvement […] Sept heures sonnaient maintenant à Sainte-Catherine, et Sainte-Marie l'accompagnait de son soprano mélan-colique; la Grande église et l'église Allemande firent chorus avec leurs basses, et tout l'espace vibra bientôt du son de toutes les sept heures de la ville, mais quand elles se furent tues l'une après l'autre, on en-tendit encore longtemps tout au loin la dernière chan-ter son paisible chant du soir. Elle avait une tonalité plus haute, un timbre plus pur et un rythme plus rapide que les autres. (August Strindberg) (36)

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Bruxelles – fin XIXè En ce qui concerne le bruit des rues au siècle passé, toute comparaison est hasardeuse, puisque les me-sures en décibels font défaut. Mais la lecture des vieux journaux peut nous apprendre que nos ancêtres étaient plus bruyants que nous: on parlait haut, on chantait, on se chamaillait. Les nombreux marchands ambulants criaient à tue-tête pour annoncer leur pas-sage, souvent avec accompagnement de trompe ou de cloche, et cela parfois dès cinq ou six heures du matin, - ce qui irritait les bourgeois et les rentiers, les-quels écrivaient à leur journal pour se plaindre d'être "réveillés intempestivement par le vacarme infernal de la rue". Une bonne part de ce vacarme provenait évi-demment des chevaux et des carrioles, dont les sa-bots et les jantes de fer produisaient, sur les mauvais pavés de l'époque, beaucoup plus de bruit que les pneus de nos automobiles sur le macadam. (Jean d'Osta) (37) Paris – boulevard Montmartre – 1882 Voici le torrent ! Le boulevard est en face, à dix pas, mais pourrons-nous couper ce flot ? […] C'est un pêle-mêle de bêtes et d'hommes. […] L'Angleterre a le Up-road du pont de Londres, le piéti-nement de millions d'hommes qui, chaque matin, va s'engouffrer dans la Cité. Mais le bruit est sourd. Les cochers ne jurent point, les hommes ne parlent pas, on n'entend pas une blague, pas un rire – c'est le grince-ment d'une machine énorme dont les servants sont muets. Ce n'est ni le tapage d'une mêlée, ni le bouha-ha d'une force, ni l'entrain d'un assaut. (Jules Vallès) (38) Londres – les Docks - 1884

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Et je ne sais rien de mélancolique comme les bruits lents qui flottent au-dessus de l'eau endormie: bruit de pompe ou de sabot vidant les écoutilles; bruit de chaîne qui s'étire et qui grince; fredon d'un marin qui chante un refrain du pays; juron étouffé d'un homme de peine qui ne peut éventrer ou traîner un sac - san-glot du fleuve, soupir de l'être! Des ciseaux pilleurs de crottin effleurent de leurs ailes les mâts contre lesquels les grands traverseurs d'océans, albatros et goélands, ont tournoyé dans la tempête. (Jules Vallès) (39) Florence – 1896 Cette ville écrase et impressionne, les monuments encombrent les rues par demi-douzaines, les souve-nirs historiques fourmillent à un point tel que l'on ne parvient pas à les distinguer, les Florentins se livrent à un spectacle d'enfer, ils crient, font claquer leurs fouets, soufflent dans leurs trombones en pleine rue, bref, c'est intenable. (lSigmund Freud) (40) Vienne – vers 1900 Du fond des étroites rues, les autos filaient dans la clarté des places sans profondeur. La masse sombre des piétons se divisait en cordons nébuleux. Aux points où les droites plus puissantes de la vitesse croisaient leur hâte flottante, ils s’épaississaient, puis s’écoulaient plus vite et retrouvaient, après quelques hésitations, leur pouls normal. L’enchevêtrement d’innombrables sons créait un grand vacarme barbelé aux arêtes tantôt tranchantes tantôt émoussées, confuse mare d’où saillait une pointe ici ou là et d’où se détachaient comme des éclats, puis se perdaient, ses notes plus claires. A ce seul bruit, sans qu’on en pût définir pourtant la singularité, un voyageur eût reconnu les yeux fermés qu’il se trouvait

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à Vienne, capitale et résidence de l’Empire. (Robert Musil) (41) Malines – vers 1900 A peine étions-nous sortis de la gare et étions-nous entrés dans la large rue qui conduit à la cathédrale que Kurth, tendant l'oreille et écoutant, s'écria: - Tiens! le carillon de Malines […]. En Danemark on s'est plaint amèrement de la mélodie que joue la tour de l'Hôtel de ville à Copenhague; les gens du voisinage ne pouvaient pas dormir, disait-on. Ceux qui, à ce temps-là, se plaignaient ainsi auraient bien fait d'aller passer quelques jours à Malines. Car c'est une véritable somptuosité de tons que lance la tour sans flèche de la cathédrale; tous les quarts d'heure, quelque chose qui tient à la fois de la marche et du menuet passe sur la ville, quelque chose de me-suré, de gracieux, qui joue comme un vol de papillon, qui est fier et certain de la victoire comme une armée entrant dans une ville conquise. Quand on croit que l'air est achevé, il repart; on dirait une revue ou une procession; les troupes se suivent, chacune drapeau au vent, tambours battants, comme si cela ne devait jamais cesser. La danse, légère et sûre, recommence toujours, sans un seul faux-pas, sur les chemins de l'air... Ah, oui, le carillon de Malines ! Nous étions arrivés à Malines un jour particulièrement heureux, car le lendemain, il devait y avoir un con-cours de carillonneurs. Ils étaient venus de toutes les Flandres, du Brabant, du Limbourg pour se disputer un prix ide dix mille francs. Dès, sept heures du matin jusqu'à la fin de l'après-midi, ce fut un bourdonnement et un carillonnement ininterrompu... On eût pu croire que les habitants de Malines allaient trouver que c'était trop de délices, car, entre les carillons qui résonnaient de quart d'heure en quart d'heure, les carillonneurs montaient dans la tour pour s'exercer en vue du len-

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demain. Mais non... Le surlendemain je lus dans les journaux que la place de la cathédrale avait été rem-plie d'une foule attentive, tandis que les sonneurs con-couraient et que quelques morceaux avaient été bis-sés. Oh! Oui, le carillon de Malines ! (Johannes Joer-gensen) (42) Anvers – vers 1900 La Flandre est un pays de cloches, toute la Belgique l'est aussi. […] Et ce n'est pas seulement sur les vieilles villes [Gand et Malines], en dehors du grand mouvement, que la mélodie chantante des cloches passe ainsi légèrement. Non, allez à Anvers, suivez les rues modernes et bruyantes où la vie déferle comme sur le boulevard Anspach à Bruxelles, allez sur la Place Verte et autour de la cathédrale jusqu'à la Grand'Place. Asseyez-vous par un soir d'été, sur cette place tranquille devant un des modestes cabarets qui portent des noms si drôles -In den Beer, In 't Klaver-blad, De Ware Vrienden. Si on en croit les enseignes, on peut avoir là non seulement Bieren en sterke dran-ken, mais aussi un beafsteak. Même sans bifsteak et boisson forte, avec un verre de bière blonde de Bel-gique devant soi, il est agréable de s'asseoir sur la Grand'Place. Plus loin, de l'autre côté de la place, il y a une rangée de vieilles maisons, avec des dorures sur les murs, et fenêtres contre fenêtres. Les façades ne sont que fenêtres et pignons. Devant la façade Re-naissance de l'Hôtel de ville, éclairée doucement, se dresse la puissante masse de bronze de la fontaine sous les rayons incertains des réverbères. Les esta-minets, et les petites boutiques projettent de la lu-mière; il y a çà et là des tables et des chaises sur les trottoirs; on entend le bruit des boules de billard et ce-lui des voix sortant des cafés; les enfants s'amusent sur la place, des jeunes filles en tablier blanc se pro-mènent deux par deux en flânant. Un orgue de barba-

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rie aux sons rapides joue, devant les cabarets; pas-sant de l'un à l'autre, une femme quête dans un tam-bourin pour le musicien. Voici un fiacre qui s'avance sur la place, ce sont des touristes qui, en dépit de l'obscurité, veulent voir l'Hôtel de ville et les cinq vieilles façades. La voiture s'arrête un moment, le co-cher se penche vers les voyageurs, leur parle, désigne quelque chose de son fouet; puis ils repartent de nou-veau. L'orgue de barbarie continue à jouer; deux pe-tites filles se saisissent par la taille et, se mettent à danser sur le pavé inégal. Une bonne d'enfant, ou bien une jeune mère avec un enfant dans ses bras, est prise aussi de la fièvre de la danse, se met à tourner en rond sur la place, soulève l'enfant et le balance de sorte qu'il crie de plaisir. A présent, voilà deux mate-lots; ils jettent un regard sur les estaminets et mettent la main dans leur poche. J'écoute pour savoir si ce ne sont pas des Danois... Non, ils, parlent une, langue incompréhensible, russe?... finnoise? Je bois ce que j'ai dans mon verre, paie et quitte ma table. Mais je reste encore sur la place; je vais et viens comme si j'attendais quelqu'un. Je n'attends pourtant personne, à moins que ce ne soit ma muse, ma jeu-nesse, moi-même, ce qui est la même chose. On est là si bien disposé, à la fois soulevé au-dessus de la vie quotidienne ! Le bruit continuel des pas et des voix s'éloigne et meurt de plus en plus, les enfants rentrent chez eux en courant, les estaminets éteignent l'un après l'autre leur lumière, l'orgue de barbarie s'en est allé et joue dans les rues de plus en plus loin. Et tout d'un coup revient le carillon de la tour de la cathédrale qui s'élance, grise contre le ciel sombre, au-dessus de la place, faiblement éclairée par les réverbères de la Place Verte. Le carillon reste et jette tous les quarts d'heure sa mélodie, mince, frêle, fière, un menuet de notes d'argent, un frémissement dansant de lames qui se froissent... (Johannes Joergensen) (43)

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Paris - 1900 Je regrette la cour des messageries de la rue Mont-martre! Il y avait du bruit, de l'animation, du pitto-resque. Le piaffement des chevaux sur les tintement de leurs grelots, les embrassades des grands-parents, baisers furtifs des petits amoureux, les recommanda-tions naïves, l'appel du conducteur, tout cela avait une couleur, une poésie, un charme que l'on chercherait en vain dans cette vaste et froide salle des Pas Perdus [de la gare Saint-Lazare], où les voyageurs ressem-blent à des ombres. (Alfred Delvau) (44) Venise - 1901 Je ne puis non plus penser sans émotion à l'une de ces nuits de lune vénitiennes que chantent de nom-breuses chansons. Par une belle soirée de mai, j'avais flâné pendant des heures sur la piazzetta ; […] Je sautai dans la première gondole venue et dis au gondolier de me mener lentement dans le Canale grande. Au-delà de la Salute, dans la lagune entre les Zattere et la Giudecca, il y avait une barque avec des musiciens, dont la musique fortement assourdie était à peine audible. Ces airs de guitare et de violon et la molle lumière de la lune semblaient plus vivantes et réelles que les façades des grands palais du canal, silencieuses, blêmes et éclairées par l'astre dans la nuit chaude, et dont les fermes contours se fondaient dans le ciel bleu foncé. Sur le pignon d'un des palais, trois fenêtres étaient éclairées, et l'on entendait chan-ter une belle voix féminine. Je demandai au gondolier d'arrêter son bateau et m'abandonnai un long moment au plaisir de ce chant, qui semblait s'unir intimement à la nuit et à la lumière de la lune, et appartenir en propre à cette heure douce et belle. Puis je retournai à la piazzetta et demandai que l'on me conduisit à San Giovanni e Paolo. La gondole glissa sur les eaux pai-sibles et endormies et passa sous le Pont des Soupirs.

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Les appels des gondoliers, par lesquels, aux tournants des canaux, ils invitent les autres gondoles, qui vien-nent à leur rencontre, à les éviter, appels à moitié chantés et que l'étranger comprend difficilement, se perdaient dans le silence nocturne et absolu des ruelles et des canaux. (Hermann Hesse) (45) Florence – 2 avril 1901 Je suis rentré chez moi [piazza Signoria, invité chez le professeur Thurheer] où, derrière la fenêtre, je me suis amusé à regarder la place avec son animation et ses bruits: crieurs de journaux, marchands de fleurs, ci-garrario, étrangers, militaires, garnements qui traînent pieds nus et qui sautent par-dessus les vastes cor-beilles à pain des marchands. Sous les galeries, il faut beaucoup d'humour et de bonne volonté pour ne pas se fâcher contre le public; on entend des mots qui vous font dresser les cheveux sur la tête. (Hermann Hesse) (46) Florence – 6 avril 1901, veille de Pâques [installé au haut du Campanile, il observe la foule dans les rues en contrebas] A onze heures, une longue pro-cession de prêtres quitte le Dôme, lui aussi plein à craquer, et se rend en face dans le Baptistère, le bas clergé en noir et blanc, le haut clergé en riches habits sacerdotaux violets, rouges et multicolores; l'arche-vêque est présent. Maintenant la place grouille de monde, avec partout, au milieu des gens, des mar-chands de fleurs et de pain. Leurs cris montent jusqu'à moi. Les haies de spectateurs doublent leur volume, la foule se presse sur les trottoirs; nombre de personnes grimpent sur la façade; les fenêtres, les toits sont plein de monde. A 11 heures ½, la procession quitte le Bap-tistère et rentre dans le Dôme. A midi moins ¼, la

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place du Dôme est noire de monde, et pourtant de nouvelles personnes continuent à affluer. Tout Flo-rence est dehors, il doit y avoir des dizaines de milliers de gens. Il en arrive encore de toutes les rues qui donnent sur le Dôme. De là-haut, on voit très bien comment toute la curiosité d'une grande ville prend corps dans une masse noire qui, venue des plus loin-tains faubourgs, s'avancent en direction d'un lieu de plus en plus étroit. Nombre de ces gens sont obligés de s'arrêter dans ces rues. A midi précise, en même temps que retentit le coup de canon, toutes les cloches se mettent à sonner; le peuple pousse des cris d'allégresse; un vacarme emplit l'atmosphère. Le bruit devait être le même lors des grandes fêtes de l'an-cienne Florence. (Hermann Hesse) (47) Bruges - 1904 Il est difficile de parcourir le soir les rues étroites et sombres de cette ville rêveuse sans se perdre dans une légère mélancolie, dans cette douce tristesse en-gendrée par les derniers jours d'automne qui n'offrent plus les fêtes bruyantes de la saison des fruits mais seulement la vision paisible d'un dépérissement ac-cepté et de forces sur le déclin. Porté par la vague ininterrompue des pieux carillons vespéraux, on s'en-fonce peu à peu dans cette mer sans fin de souvenirs énigmatiques qui émergent à chaque porte et à chaque muraille rongée par le temps. On se promène ainsi, nonchalant, pensif, jusqu'à ce que l'on ressente soudain toute la majesté d'un spectacle où l'action et la vie semblent provenir du bruit soigneusement as-sourdi de ses propres pas, tandis que les grandes formes puissantes et muettes figurent des coulisses sombres. Il n'est sans doute aucune autre ville que Bruges pour symboliser avec une telle force la tragé-die de la mort et, plus effrayant encore : de l'agonie. […]

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Mais, chose singulière, ici le silence n'est pas seule-ment, lié au soir qui le tisse de tous ses rêves et de ses souvenirs nostalgiques. Il semble que soit cons-tamment étendu par-dessus les vieux toits à pignon un voile gris dans lequel se prend tout ce qui est son ou matière - sourdine qui transforme les bruits en mur-mure, les transports de joie en sourires et les cris en soupirs. Bien sûr, toute animation n'a pas disparu des rues en plein midi. Des carrioles et des voitures caho-tent sur les pavés, des gens s'activent pour gagner leur pain quotidien, les nombreux cafés, restaurants, estaminets témoignent même du souci apporté au bien-être sur cette terre, et pourtant ni la ville ni ses habitants ne sont souriants. Nulle part cette gaieté vil-lageoise caractéristique des cités flamandes, les bandes d'enfants qui chantent et dansent en faisant claquer leurs sabots derrière le joueur d'orgue de Bar-barie, nulle, part de vêtements tapageurs aux teintes flamboyantes. Et toujours ces sons étouffés. Lorsqu'on a monté l'escalier en colimaçon frais et sombre du bef-froi, planté, massif et raide, sur la place des Halles, telle gigantesque Roland, et que, légèrement oppressé par l'obscurité lourde, on découvre avec un mélange de peur et de joie la lumière répandue en couleurs éclatantes, force est de constater que, en bas, dans tout ce périmètre clair, règne de l'activité, la voix hu-maine est absente. De la ville étendue à vos pieds et de son cadre charmant ne s'élève qu'un faible bruis-sement indistinct, magique comme le son des cloches de Vineta [ville de l'île de Wollin engloutie par la mer, selon la légende] au-dessus de la mer le dimanche. […] Ces canaux ne parlent pas, ne bruissent pas; ils ne sont qu'écoute. Ils portent fidèlement l'image des maisons qui appuient contre eux leurs murs effrités, tissés de lierre ; ils reflètent l'éclat triste des ponts voû-tés et des hautes tours et ne connaissent même pas le timide clapotis de vagues frémissantes. Pas un son. Ils sont l'obscurité éternelle, mais le ciel s'est pris dans

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leur miroir noir, ils apportent à cette ville de l'effroi et du silence quelque chose qui n'est pas de ce monde, la transcendance, la clarté des étoiles. Et au milieu des nuages qui se réverbèrent dans leur course passent parfois des files silencieuses de cygnes blancs, merveilleux et graves animaux dont le silence et la mort abritent également un mystère. (Stefan Zweig) (48) Bruxelles – 27 septembre 1906 [Le premier cinéma à part entière, – une salle diffusant uniquement des images lumineuses animées – s’est ouvert au 110 boulevard du Nord (aujourd’hui boulevard Adolphe Max) en 1905 sous le nom de Théâtre du Cinématographe. L'apparition de ce premier cinéma ne plaît pas à tout le monde. Une voisine écrit au commissaire de police]: " […] nous avons la certitude d'habiter un champ de foire! […] Que d’ennuis ne cause-t-il pas à tous ses voisins ! D’abord, un "pitre" crie le boniment à la porte dès 2 heures de relevée jusqu’à minuit : "Prenez vos places, vos billets ; dans quelques instants, la séance commence ! etc, etc." Et cette éternelle complainte se répète, non seulement de 2 à 24 heures, de temps en temps, mais chaque jour, du 1er janvier au 31 Xbre ! Ensuite, depuis vendredi dernier, un autre exaspérant système de réclame a été inauguré pour l’après-midi ; entre chaque séance, une sonnerie électrique, placée près de la porte de la rue, somme éperduement pendant cinq minutes sans interruption ; elle fait un vacarme qui s’entend dans la cour aussi bien qu’à la rue ! Et pendant le spectacle, jusqu’à minuit, ce sont – accompagnant le piano, - roulements assourdis de tambour, coup de feu, - vrais ou imités, - fonctionnement de trompettes d’automobiles, sonneries de cloches, que sais-je encore ! C’est à

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sortir de vos gonds !! Ne pourriez vous pas, Monsieur le Commissaire, user de votre autorité et faire cesser cet affolant état de choses ? Les loyers que nous payons sont assez conséquents pour que nous puissions prétendre à un peu de tranquillité. Je ne parle pas des attroupements qui, le dimanche surtout, se tiennent sur le trottoir, et nous empêchent d’entrer chez nous ! Espérant de votre obligeante intervention un terme à nos maux, …" (veuve van Aken) (49) Londres – 1906 J'avais hâte de vous causer après la diversité tumultueuse de mes impressions. […] Il m'est difficile de vous raconter, encore plus de vous exprimer. Je déteste l'esprit anglais, triste, hypocrite et gouailleur. Tout est mort ici. Dans un restaurant plein de monde, on n'entend rien. J'ai vu un port avec des bateaux qui arrivaient, une bande d'ouvriers qui finissaient leur travail, et je croyais rêver: dans tout cela, pas un bruit. (André Derain) (50) Berlin – 1906 Ce que l'on ne rencontre pas à Berlin (heureusement pour le calme et la tenue de ses rues), ce sont ces camelots hurleurs qui encombrent, qui troublent et énervent nos boulevards, qui blessent les oreilles, choquent de leur vulgarité et de leur débraillé l'élé-gante harmonie de la capitale. Je sais bien qu'on s'y fait à la longue, comme on se fait à tout, mais on s'en déshabituerait je pense, avec la même facilité. Tous ceux qui ont voyagé en Alle-magne en témoigneront. La saleté aussi des chaus-sées et des trottoirs parisiens, la quantité papiers qu'on y laisse traîner toute la journée, détritus et de crottin de cheval, apparaît ici anomalie inexplicable. Il

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faut venir dans ce pays pour avoir honte de la voirie parisienne. En revanche, il manque à la rue allemande, comme à la rue anglaise, nos terrasses de cafés, si gaies si agréables, qui créent des repos de sociabilité parmi la cohue en marche, et qui sont une création de notre flânerie aimable et souriante. (Jules Huret) (51) Lyon – 1907 Fusant, limpide et glacé, des hauteurs du ciel infini où frissonnent les étoiles au preste scintil, le 'calme clair de lune, triste et beau' blanchit d'une lumière de rêve l'immense panorama fluvial. Et c'est, en un recul désespéré, Fourvières et ses deux tours contre l'azur lucide…. Et c'est jalonné de globes électriques, qui dardent à travers l'air glacé des feux bleus intenses, la haute silhouette du pont de la Guillo-tière, sa courbe noire, ses piles en éperons, ses arches béantes – portiques monstrueux sur des pers-pectives imprécises et la fuite des grandes eaux cou-lant à pleins bords (…). Ce silence est tel que l'on aperçoit le sourd murmure-ment des flots vers les étoiles. A peine si, de loin en loin, les sonneries de clochers invisibles ou quelques sifflets de chemin de fer estompés par la distance viennent couvrir ce bruit mélancolique. Puis on entend de nouveau le grand glissement triste. Et cette rumeur tout à la fois ténue et puissante, ce clair de lune gla-cial, ces blanches rives désertes, évoquent à l'âme je ne sais quelle contrée de songe, quel par-delà étrange, quelles limbes d'outre-tombe. (Esquirol) (52) Kiel – 1908 Kiel donne, à première vue, l'impression d'une ville médiocre et sans originalité. Elle ne semble point avoir, comme tant de villes allemandes, ce souci de

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bonne tenue et de décence coquette qui séduit d'ordi-naire l'étranger. A l'arrivée, point de grands hôtels, de places aux parterres fleuris ou d'avenues verdoyantes, mais, tout près de la gare, à l'une des extrémités de la rade, et faisant face à la mer, quatre halls colossaux, ouvrant sur l'eau, se dressent : ce sont les chantiers navals de la Germania appartenant à la Société Krupp. Un vacarme assourdissant de ferraille battue en arrive, des milliers de coups de marteau sur le fer résonnent sous les verrières qui multiplient leur tintamarre. Ac-cueil souverainement désagréable. Et c'est Krupp, tou-jours Krupp ! (Jules Huret) (53) Milan – Gallerie Victor-Emmanuel - 1909 Elle grouille de peuple, à toute heure. Il y règne un luxe épais. La Galerie est pleine de magasins, de bou-tiques, de cafés. Les pas des promeneurs, le talon de ceux qui se hâtent, la voix de ceux qui demeurent, les appels, le cliquetis des verres et des cuillères dans les tasses, tous ces rayons sonores engendrent une sphère de bruit, où l'on reste assourdi. Un peu partout, des échos retentissent. (André Suarès) (54) Lyon - quartier de La Croix-Rousse - 1909 [voir note de 1864] La Croix-Rousse d'antan, si bruyante et si animée, devient silencieuse et morne. Les vieux tisseurs voient, avec mélancolie, les hautes bâtisses cons-truites pour les ateliers peu à peu se transformer en maisons bourgeoises [...]. Des rues entières ignorent le claquement rythmé de la mécanique, alors qu'autre-fois il assourdissait les passants. On ne l'entend même plus qu'avec surprise, de loin en loin dans certains quartiers, et on lève la tête avec curiosité vers la fe-nêtre derrière laquelle le métier s'agite, oiseau rare

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dont le chant évoque une bien antique tradition. (Justin Godart) (55) Lyon - colline de Fourvière - vers 1910 Autour [d'eux deux], le silence se faisait profond, comme si les murailles, baignées de prières, s'entou-raient de recueillement pour une dernière oraison. Pas une feuille ne remuait dans le jardin. De l'espace béant sous leurs pieds, des bruits arrivaient, des bruits qui tantôt trouaient le vide comme une trombe et tantôt s'étalaient comme une mer de sons. Dans le brouhaha confus, où se mêlaient le roulement des voitures, le fracas des camions, la voix rugissante de la foule, il discernait le sifflement d'un train, la sirène enrouée d'un remorqueur descendant la Saône; des marteaux résonnaient sur de retentissantes chaudronneries; des usines laissaient fumer leur vapeur. (Jocelyn Barboin) (56) Lyon - quartier de Fourvière - vers 1910 La montée (vers Fourvière) s'accentue; nos deux che-vaux tirent à plein collier. (....) On rêve, en passant par là, aux nonnes recueillies qui se rendent à la chapelle en longues files pour l'office du matin, tandis que der-rière la sainte troupe, Soeur Tourière, un peu cassée par l'âge, hâte le pas éveillant l'écho sonore des voûtes au bruit de son trousseau de clés. Les filles du Seigneur ont fui les quartiers tumultueux de la ville et sont venues s'établir entre l'Archevêché dont on aper-çoit les tourelles, la Basilique Saint-Jean et la colline de la Vierge. Ces maisons étagées, qui montent de la Saône, semblent avoir été bâties pour recevoir de plus près les bénédictions que laissent tomber les mains de Notre-Dame de Fourvière. Les bruits de Lyon y arri-vent à peine comme un murmure confus. De tous cô-tés, on entend le tintement des clochettes argentines,

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au milieu desquelles on croit percevoir la psalmodie traînante des hymnes ou le bruissement des chape-lets, et parmi les douces émanations des héliotropes échauffés par le soleil de midi, on sent dans l'air un parfum de myrte et de cinname. (Jocelyn Barboin) (57) Vienne – vers 1910 J'entends les sons des souvenirs, les sons de la ville de mon enfance: Vienne. J'entends le cliquetis des attelages (à un cheval), le bringuebalement [et le grondement] des camions, le son à peine perceptible des roues en gomme des fiacres, le martellement rapide et lent des sabots du cheval sur le pavé, le son aigu des sonnettes de vélos, le cancane [cri de canard] des trompes à poire des autos. Par ici, un musicien joue sur son orgue de barbarie, là, tapote un Croate avec une cuiller de cuisine en bois, un Bosniaque émet des sons avec ses colliers et bracelets, plus loin teintillent [sons d'éléments de cuisine qui s'entrechoquent] les casseroles en tôle et le claquement des tapettes à souris, là le sifflement de la meule de l'aiguiseur de ciseaux. De même, se répercutent les bruits des breloques s'entrechoquant et roulant dans l'énorme sac du Juif et le froissement soyeux des lacets dans la boite des vendeurs de lacets. On distingue également les clameurs du vendeur de marrons, là le charcutier tranche finement le salami avec son couteau affûté, ainsi que le Turc tirant sa charrette à glaçons qui vend du miel turc, des noix, des dattes et des figues. Tous se balancent doucement en chantant leurs phrases: "achetez, achetez", chantent-ils, "les cuillères de cuisine, réparations de casseroles, aiguiseurs de

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couteaux, attrapes-souris, voyances des lignes de la main, salamis là ce soir… " Ils jouent avec des sifflets, des flûtes et des flûtes champêtres, chacun est plongé dans sa mélopée à perpétuité. Leurs habits sont multicolores et trahissent les pays étrangers, ils roucoulent dans des sons étrangers, on rêve d'eux, on a peur d'eux, on les aime. Ils viennent de loin, ils viennent de l'Empire, ils font partie de notre couronne, ils font partie de nous. Ils ont beaucoup de noms, et j'ai très vite pu dire leurs noms comme une devise, les Hongrois et les Polonais, les Bohémiens et les Moraves, les Roumains, les Ladins, les Italiens, les Arméniens, les Séfarades, les Galiciens, les Bosniaques, les Slovaques, les Slovènes, les Ruthènes . Ils parlent dans beaucoup de langues, et l'Empereur dit-on, pouvait parler à chacun d'eux dans sa propre langue. Notre Empereur comprend-il aussi le langage des oiseaux ? (Alice Herdan-Zuckmayer) (58) Liège – Pâques vers 1913 Cette année, Pâques ressemble plus que jamais aux Pâques dont j'ai gardé le souvenir. IL y a des fleurs partout, dans les jardins, dans les prés, à la campagne, le long des chemins. Les rues sont presque vides. Lorsque j'étais enfant, on n'y entendait aucun bruit, sinon, de loin en loin, les sabots des chevaux de fiacre, car je crois bien qu'il n'existait pas plus de dix automobiles dans toute la ville de Liège. Les cloches sonnaient dès six heures du matin, à toute volée, comme si elles se répondaient de paroisse en paroisse, de clocher à clocher. Or, les clochers n'étaient pas distants l'un de l'autre d'un kilomètre, de sorte que que c'était, pendant toute la matinée, un

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concert continu qui avait commencé gaiement dès le samedi après-midi, lorsque les cloches revenaient de Rome. (Georges Simenon) (59) Liège – vers 1920 Je me souviens d'une époque, plus proche de mon enfance que de mon vieil âge, où un vieil homme, aveugle la plupart du temps, installait au coin d'une rue un harmonium miniature. Il était accompagné d'une chanteuse, au pis-aller d'un chanteur, et, jusqu'à ce que le police vienne les déloger, nous avions droit aux refrains à la mode. On en vendait d'ailleurs ce que l'on appelait le petit format, c'est-à-dire une feuille où était imprimée la musique du refrain, et au dos, les paroles des couplets. (Georges Simenon) (60) Berlin 1920-30 et 1975 Dans les romans et les poèmes des années 20-30, les tramways, les autobus mais aussi les bruits de la ville – grincements de voiture, sifflements des trains, grondements du métro et chuintements des rails – occupent une place aussi importante que les sentiments des personnages et leurs actions. Peut-on imaginer la place Alexander de Döblin sans le grincement du tramway, les poèmes de Heym et Becher, sans le bruit des usines de Berlin? Ce rythme mécanique donne sa vie, son souffle et son sang à la prosodie, au style, et je ne peux relire les premiers poèmes d'Ivan Goll ou de Becher sans songer à ces bruits. Les gares, les stations de métro, les arrêts d'autobus et les salles d'attente sont des lieux privilégiés où divague l'imagination des poètes des années 20. Marlene Dietrich, dans ses premières chansons, a admirablement exprimé ce sentiment de solitude de la grande ville, avec ses bruits et sa tristesse. […] A une huere avancée, des gens

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attendent l'autobus de nuit. Un océan de bruits et de lumières, de halos éclatants et d'ombres secrètes, de rêves et de cauchemards – telle apparaît la ville. Même l'infirme avec sa voiture, où sont attelés deux chiens, semblent se hâter vers l'arrière-cour où il vit. L'employé qui annonce au micro le nom des stations de métro, suivi de l'éternel "Einsteigen bitte!", les autobus qui déversent les voyageurs au coin des rues ont remplacé les vieux bus à impériale et les tramways dont les sifflements et les grincements faisaient partie de la vie quotidienne de Berlin. Mais on reconnaît toujours le grondement du métro qui s'élance dans la large courbe de Tallesche Tor, avant de pénétrer dans Kreutzberg. Le matin, on entend les sifflements des trains dans la brume. (Jean-Michel Palmier) (61) Nice - vers 1930 Après être resté assez longtemps au café, où j'ai lu enfin mon journal du soir, j'ai suivi la rue Honoré-Sauvan et la rue de France jusqu'à la Croix de Marbre; d'où j'ai gagné la Promenade des Anglais pour revenir à mon hôtel en longeant le quai. Nice offrait à la nuit marine l'immense collier des lumières de la rive, comme, en amorçant le geste de le lui accrocher der-rière le cou. La mer faisait par intervalles un bruit ca-ressant, une sorte de "che" à peine prolongé, suivi d'un "iiiss" d'une légèreté de perles. Il y avait quelques promeneurs; des couples amoureux accoudés à la balustrade ou assis sur des bancs. (Jules Romain) (62) Bruxelles - vers 1930 Nos rues étaient jadis, du matin au soir, pleines de rumeurs, de vie, de pittoresque, de truculence. Les marchands ambulants, fort nombreux avant le règne du supermarché et de l'auto, s'égosillaient à qui mieux mieux : " Les bonnes poires Jefkes, cinq centimes la

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lîv' ", "Noix fraîches, treize à la douzaine", "Verse Hol-landse Hâ-â-â-ring ! ", etc. Le chiffonnier s'annonçait en trompetant et en psalmodiant "Hei ghîn vodden en bîn ? ", le rémouleur, juché sur sa petite charrette, in-terrompait parfois le bruit aigu du couteau sur la meule pour hurler "Scheire slip ! ", tandis que le marchand de pétrole (lampant) fouettait le cheval qui tirait sa voitu-rette-citerne, agitait le battant d'une cloche et braillait "Pitroi, pitrol, vaaif ceens de leeter". […] Quant aux Melkbôren (marchands de lait), ils ne criaient pas, mais se signalaient de loin par les aboie-ments des deux molosses plus ou moins esquimaux qui tiraient leur charrette emplie de grandes cruches de fer galvanisé. […] C'est aussi après six heures que se déchaînaient les crieurs de journaux, car les acheteurs étaient plus nombreux le soir : les employés avaient fini leur jour-née, les rentiers sortaient (tandis que les ménagères lisaient fort peu). On entendait crier "Le Swar pour demain ! Le bandit de la rue Tilly est arrêté ! Deman-dez le Swar ! " ou "Lisez le Peup' ! Le governement va tomber ! ", "Nââchon belche, Nââchon belche ! ", etc. (Jean d'Osta) (63) Londres - 1933 Chaque famille jouit en paix de sa maison-forteresse, séparée de la rue par l'hostilité d'un saut de loup et d'une grille de fonte que le visiteur doit frapper du mar-teau (ce bruit, si anglais, ne s'entend plus aujourd'hui qu'en province). (Paul Morand) (64) Dordrecht – décembre 1933 Ce furent les clip-clop des sabots sur les pavés – un bruit inexplicable jusqu'à ce que je regarde par la fe-nêtre – qui me réveillèrent au matin. (Patrick Leigh Fermor) (65)

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Stuttgart – janvier 1934 Nous étions à la moitié du petit déjeuner quand les cloches du dimanche matin commencèrent à rivaliser d'un clocher à l'autre. On se serait cru dans un sous-marin au milieu de cathédrales englouties. […] On entendit alors, sur la toile de fond sourde de toutes les cloches, la merveilleuse broderie d'un carillon. C'est l'une des plus célèbres curiosités de Stuttgart. Nous l'écoutâmes jusqu'à ce que ses motifs compli-qués s'effacent dans le silence. (Patrick Leigh Fermor) (66) Prague – printemps 1934 Les fenêtres de l'appartement donnaient sur Prague tout entier. Comme j'achevais mes recherches, le soleil pâle s'était couché parmi les nuées argentées et pourpres: on vit s'allumer d'un seul coup toutes les lampes de la ville. A cette heure où la nuit avalait les tours, les pinacles et les dômes couverts de neige, le tintamarre rival des cloches rappelait leur présence. (Patrick Leigh Fermor) (67) Fontenay-le-Comte – Vendée - vers 1940 Qui n'a pas connu la lenteur du temps provincial, le ciel si souvent gris, le regard furtif derrière les rideaux soulevés de la fenêtre, la rue où ne passe âme qui vive, le silence si oppressant que les cloches de l'église sont enfin la preuve que l'on est encore de ce monde; qui n'a pas connu cette civilisation rurale aujourd'hui disparue dans la pétarade des motos et des voitures, dans la tonitruance des transistors et où l'on est plus jamais seul puisque l'écran de télé vous relie au reste du monde; qui n'a pas connu la solitude du pauvre dans un monde où chacun se renferme, se referme, ne sait pas ce qu'est l'ennui. (Michel Ragon) (68)

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Venise - 1945 Pendant la bonne saison, la ville est la proie de ses hôtes; les beaux cafés, il faut les abandonner aux orchestres qui crient et grincent, tel des familles de cigales rageuses, entre les anciennes et les nouvelles Procuraties. A la fin de novembre, quand les hôtes sont partis, qu'on n'entend plus d'autre son que celui très doux et puissant des cloches de saint-Marc, grande voix humaine, voix de toute une race,… (Diego Valeri) (69) Milan – 1948 Les ciels couleur café au lait conviennent à Milan, comme à toutes les villes qui bourdonnent d'un travail intense (nous supposons que Londres, New York et Chicago en ont de semblables). […] Ainsi Milan ne se plaint pas de cet août voilé de fauve ou de gris, comme un paysage minier; du vacarme des tramways (on dirait que des chaînes immenses sont traînées sans cesse d'un bout à l'autre de la ville, alors que ce fracas est produit par les vides du sous-sol) à travers les rues qui sont, d'une certaine manière, déconges-tionnées. (Anna Maria Ortese) (70) Alicante – vers 1950 La promenade s'y appelle le paseo de los Martines. C'est une avenue à quatre rangs de palmiers-dattiers, que la population, vers sept heures du soir, arpente d'un bout à l'autre en exhibant tout ce qu'elle peut d'élégance. […]Des grands cafés à terrasse bordent cette promenade, armés de haut-parleurs qui tirent des obus de musique. (Albert t'Serstevens) (71) Merida – vers 1950

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Le matin de la féria, nous nous sommes installés sur le pont romain, à l'endroit où l'une des rampes de pierre descend jusqu'au lit du fleuve. Depuis l'aube, des caravanes s'avancent de tous les points de l'horizon. Il en sort à flots de la ville qu'elles ont traversée, venant du nord et de l'ouest ; il en des-cend par la route d'arbres qui relie Mérida à la cam-pagne sévillane ; il en vient tout au long du fleuve, en aval et en amont du pont, longs cortèges de cavaliers, troupeaux innombrables que poussent devant eux des paysans montés sur des mules. Ceux qui arrivent de la ville ou par la route de Zafra s'engagent sur le pont. Ce n'est plus qu'une masse grouillante que les parapets de pierre canalisent. Cela s'avance dans un tumulte de couleurs et de cris, ju-rons, bêlements, clarines et sonnettes, claquements de fouets, et le piétinement confus de toutes les bêtes montées et non montées. (Albert t'Serstevens) (72) Salamanque – vers 1950 La Plaza Mayor a de la monotonie dans sa grandeur. Elle n'en est pas moins l'une des plus belles places de cette Europe qui en a tant d'admirables. Comme notre place des Vosges, elle forme un quadrilatère entouré de galeries couvertes, mais elle n'est pas morte comme la nôtre et reste le centre vital de la cité. Il faut entendre la rumeur qui fait, à l'heure du paseo, cette foule palabreuse quand elle tourne au long des gale-ries: on croirait le ressac continu de la grande houle du Pacifique sur une plage de galets. Je me demande souvent à quoi peuvent penser des gens qui parlent si longtemps et si fort. (Albert t'Serstevens) (73) Naples – 1951 Pendant que j'écris cette lettre, un bruit lointain de bombardement me rappelle que je suis à Naples, et

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que c'est la nuit du 15 aôut. Il est deux heures du matin passées, mais le fracas du tram et le bruissement rapide des trolleybus dans le viale Elena, les éclats de voix, les pas, les cris joyeux des gens derrière le petit portail du jardin évoquent une claire soirée plutôt que le petit matin. Du reste, toute la ville est pleine de monde alors qu'ici, c'est assez calme. A Monte di Dio, où je suis passée il y a une demi-heure, il est impossible d'avancer à cause des feux de joie et des explosions, si violentes qu'elles enflammaient et lacéraient le ciel au-dessus de Ponte di Chiaia. […] Quelles nuits j'ai trouvées ici! Limpides, chaudes, et un silence incroyable pour qui vient de Rome, une ville totalement motorisée. Ces bruits de Naples sont nombreux, mais ils n'ont rien de moderne, ils ne font nullement penser à une civilisation, à un progrès, à une logique, et c'est pourquoi ils finissent par se con-fondre avec le bruit irréel de l'eau, du vent, des orages d'automne ou de printemps, qui déchirent la campagne phlégréenne et inondent d'une lumière livide les vertes collines et les vagues. Je suis de plus en plus persua-dée que cette ville, malgré ses fureurs, est une ville rêveuse, dormante. (Anna Maria Ortese) (74) Florence – 1952 1er quartier: le développement central dans un cercle à l'ouest de Calzainoli: Constant bourdonnement (hum) du trafic, cependant rarement à niveau élevé, et toussottement (sputter) des motocyclettes; certains haut-parleurs diffusant de la musique et des annonces, moins souvent du football et des voix. 2ème quartier: le quartier médiéval: bruit de trafic de temps à autre très intense, spéciale-ment les sons produits par le va et vient des bicy-clettes (chatter of bikes), mais généralement plus bas,

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plus oscillant; football et voix, certains bruits de tra-vaux. 3ème quartier: principalement celui de la Renaissance tardive et quelques extensions ultérieures: bruit de trafic prédominant, mais est ondulant. Football et voix en bruit de fond. 4ème quartier: plus loin que le 3ème quartier, principale-ment XIXè s et un peu de croissance moderne: en fond, occasionnellement des voitures et spéciale-ment bruit de bus et de trains à une rue de distance. Quelques voix et du football mais aussi des oiseaux ! 5ème quartier: vers S. Domenico, quartier suburbain: merveilleuse absence de bruit de moteur. Voix et pas, chantant, apparaissant spécialement forts. (Kevin Lynch) (75) Venise – vers 1955 En été et en automne, plusieurs soirs par semaine, l'orchestre municipal propose le répertoire classique habituel, sur une estrade installée sur la place Saint--Marc. Plus vénitiennes sont la Marangona du Cam-panile, qui égrène les principales étapes de la journée - aube, midi, minuit -, la cloche de la tour de l'Horloge, de brique émaillée, que deux géants de bronze frap-pent toutes les heures, dans une envolée de pigeons, les cloches de San Francesco della Vigna qui réson-nent sur la Laguna Morta. Les Vénitiens reconnaissent les différentes cloches à l'oreille. Leur dialecte pos-sède une musique propre, aiguë mais douce, comme un pépiement d'oiseaux. Le rythme en est vif, tout comme le pas rapide, marte-lé, que les Vénitiens ont adopté pour franchir leurs multiples ponts, qui s'arquent le plus souvent au-dessus de l'eau en deux volées de marches. (Mary McCarthy) (76) Florence – vers 1959

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Le gardien du jardin Boboli semble indifférent au to-hu-bohu, au vacarme infernal, littéralement démo-niaque. Les klaxons hululent, claironnent, criaillent; les embrayages crissent; les freins couinent; les Vespa crachotent et pètent; les pneus chantent. Aucune voix humaine, pas même à la radio, n'est perceptible dans cette Babel mécanique, amplifiée par les rudes parois de pierre des palais. Si la vallée de l'Arno est un four naturel, les palais sont des amplificateurs naturels. Le bruit, omniprésent, ne cesse jamais, toute la journée, toute la nuit. Loin dans les faubourgs, à quatre heures du matin, le bavardage exubérant d'une Vespa se mêle au chant du coq; en ville, un travailleur matinal, faisant chauffer le moteur de son scooter, éveille une rue entière. Chacun se plaint du bruit; fenêtres ouvertes, personne ne peut parvenir à dormir. Les journaux du matin font état des protestations des propriétaires d'hôtel, qui déclarent que leurs établissements se vident: les étrangers quittent la ville; il faut agir; il faut promulguer une loi. Et, dans les hôtels, les changements de chambre sont permanents. Le 13 s'installe au 22, le 22 passe au 33, et le 33 au 13, ou à Fiesole. En réalité, toutes les chambres sont bruyantes, toutes les chambres sont étouffantes, même celles qui disposent d'un ventilateur électrique. Les propriétaires le savent, mais que peuvent-il y faire ? Afin de satisfaire la clien-tèle, ils participent avec empressement au ballet falla-cieux des déménagements permanents. Si le client s'imagine être plus au calme, plus au frais dans une autre chambre, à quoi bon détruire ses illusions ? En vérité, à moins de quitter Florence, il n'y a rien à faire jusqu'à l'automne, quand alors on peut de nouveau fermer les fenêtres. Une loi existe bel et bien, qui in-terdit l'usage de l'avertisseur en ville, mais il est im-possible de circuler dans une ville comme Florence sans klaxonner pour faire dégager les piétons.

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Quant aux Vespa et Lambretta, plaies de l'aube, quelle loi peut-on inventer pour rendre leur moteur silencieux ? Les lecteurs des journaux du matin envoient des suggestions; une réunion a lieu au Palazzo Vecchio, au cours de laquelle d'autres suggestions sont appor-tées: médailles du mérite aux conducteurs silencieux; procès du gouvernement contre les fabricants; brigade de police spéciale, la nuit, chargée d'arrêter les fau-teurs de bruit de toute espèce; décret pour imposer un certain type de silencieux, pour pénaliser ceux qui font « hurler » leur moteur, pour interdire aux scooters l'ac-cès au centre de la ville. Cette dernière proposition reçoit un accueil enthousiaste; c'est la seule qui soit assez draconienne pour susciter quelque lueur d'es-poir. Mais l'association des propriétaires de scooters proteste immédiatement, et énergiquement (la pro-position est « antidémocratique », et « discriminatoire ») et le journal qui mène la croisade contre le bruit en rabat instantanément, Florence étant une société dé-mocratique, et les propriétaires de scooters le popolo minuto - petits employés, artisans et ouvriers. Il serait injuste, admet le journal, de pénaliser les conducteurs bien élevés pour le comportement de quelques « sau-vages », et injuste également de ne prendre en consi-dération que le centre-ville et l'aspect touristique des choses; les habitants des faubourgs ont, eux aussi, le droit de dormir. De nouveau, on soulève l'idée d'une brigade assermentée, dotée de pouvoirs discrétion-naires, bien que son budget ne permette guère à la ville de se l'offrir. D'ici là, le journal ne voit pas d'autre solution que de faire appel à la gentilezza des conduc-teurs. Ce qui, toutefois, relève de l'utopie : les Italiens n'ont aucun esprit civique. (Mary McCarthy) (77) Florence – vers 1959 Dans les petites rues de Santa Croce, les plus éloi-gnées des élégants magasins de linge fin de la Via de'

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Tornabuoni, on perçoit deux sons typiques, lorsque la circulation se calme un instant, deux bruits qui sont la Florence moderne: le clic-clac d'une machine à coudre et le tintement d'un vieux piano, sur lequel une jeune fille fait ses gammes. (Mary McCarthy) (78) Venise - vers 1960 Je me souviens avec beaucoup de clarté de la plus grande expérience urbaine que je n'ai jamais eue. C'était à Venise en hiver. Devant la basilique San Mar-co, la grande place, que Napoléon a surnommé le plus beau salon d'Europe, était vide. Il faisait froid et y avait du brouillard et le sommet du Campanile se montrait rarement ensoleillé au-dessus de la brume de mer traînante. La marée était montante, et les pierres blanches et noires des dessins compliqués du sol étaient couverts d'un fin film d'eau. Il n'y avait aucun son, pas d'échappement automobile, pas de bus. Ab-solument silencieux au cœur même de la cité. On pouvait entendre très légèrement au loin quelques jeunes gens chanter. Soudain, l'air devint noir d'oi-seaux, la place remplie du battement des milliers d'ailes, le bruit montait et montait jusqu'à devenir as-sourdissant, et la place déserte devint absolument couverte de pigeons. Le bruit était incroyable, même effrayant. Ils venaient manger, et quand ils ont eu fini, ils sont partis tout aussi rapidement, et la grande place redevint à nouveau vide et silencieuse. (L. Halprin) (79) Palerme – 1965 Suffocant, éblouissant marché de Palerme ! Des fruits et des légumes de toute espèce et de toute couleur s'amoncellent dans un fantastique bariolage. […] Plus loin, des pièces de viande, blanchâtres, où l'odorant jasmin a été planté; les paquets de tripes, rugueuses

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comme des peaux de mouton; des centaines de varié-tés de poissons […] la misère, la saleté, consumées en intempérance d'étalages; le goût absurde pour l'ac-cumulation, de marchandises souvent incomestibles; l'art de se consoler par les yeux des offenses innom-brables de la vie. Et encore: la voix rauque, la voix sif-flante des gamins maraudant entre les piles de ca-geots et les monceaux de détritus; la litanie des noms de fruits, des noms de légumes, des noms de pois-sons, modulé sur une note basse, unique, obsédante, par les vendeurs infatigables. (Dominique Fernandez) (80) Moscou – vers 1977 Dans les rues, il y a beaucoup moins de voitures que dans une ville occidentale et la sonorité y est complètement différente. (Michel Butor) (81) Rome - 1988 Vieillards à barbe de fleuve, dauphins, tritons, naïades, chevaux marins, hippocampes, s'ébrouant, recrachant, éclaboussés, douchés, arrosant et arrosés, mènent sur les places de Rome un sabbat aquatique inopiné, dont les photographies de la ville - faute du bruitage, si décisif dès qu'il s'agit de l'eau - ne donnent qu'une piètre idée. (Julien Gracq) (82) Berlin – 1999 J'ai pris mes quartiers loin des hôtels internationaux et ce n'est pas innocent si j'ai choisi d'habiter "à l'Est". J'avais atterri à Tegel sans même avoir réservé de chambre, mais j'avais quelques adresses en poche et je trouvais vite à me loger dans une petite pension dont les fenêtres donnaient sur Friedrichstrasse. Je louais une petite pièce, située au troisième étage d'un

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immeuble ancien, presqu'à l'angle de Kochstrasse. Une enseigne peinte sous le porche annonçait que l'endroit avait pour nom Die Loge.[…] La nuit venue, étendu entre les draps d'un lit trop étroit, j'entendais le roulement sourd des tramways et le crissement neuveux des pneus des voitures de la Polizei. Entre les murs de "La Loge", j'étais exactement là où bat le cœur de Mitte. (Serge Mouraret) (83) Naples vers 2000 Ce qui surprend d'emblée le voyageur, c'est aussi la rumeur permanente de la ville, avec des véhicules de toutes sortes qui traversent la ville de part en part, en klaxonnant sans cesse. Voitures, motos, mobylettes circulent dans des conditions ahurissantes pour l'étranger non habitué aux plus grandes métropoles méditerranéennes li : pour la circulation, Naples res-semble au Caire. De plus, à l'approche du port de Mer-gellina (point de départ du trafic de la baie) s'ajoute à ce tintamarre le vacarme des sirènes des multiples bateaux, hydroglisseurs, ferries et autres embarcations qui sillonnent le port en tous sens, à en donner le ver-tige. (Claude Dourguin) (84) Naples – 2003 Le "son" de Naples, c'est aussi la rumeur de la foule, avec cet accent napolitain irrésistible, chantant, un peu traînant, légèrement chuintant. Ce sont les interpella-tions, sur les marchés, dans les rues, où le passant se fait héler à tout propos, les bribes de chansons qui fusent un peu partout. Un savant crescendo sonore qui culmine régulièrement avec l'explosion des fêtes, toutes les fêtes, religieuses ou franchement païennes, ponctuées par l'explosion de "fuocchi", ces feux d'arti-fice que la population elle-même tire à toute occasion : les fêtes religieuses de septembre - la Madone de

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Piedigrota ou le renouvellement du "miracle de saint Janvier", mais aussi les grandes victoires du "calcio" - le football - jusqu'aux fêtes de "capo d'anno", à la Saint-Sylvestre. Alors, toute la ville salue le nouvel an dans l'explosion de milliers de pétards et bombes joyeuses, tout en fracassant du haut des fenêtres la vieille vaisselle dont on se débarrasse pour faire place à l'année nouvelle. (Pascale Lismonde) (85) Venise – décembre 2006 Venise l’endormie n’est pas encore morte, en elle sommeille la vie et la fête, la joie de chacun de se retrouver, de boire et de parler. Chaque place est un ventre, un vide que les habitants remplissent de paroles. Les enfants y sont rois et les canettes remplacent leurs ballons, troublant le sommeil de celui qui se repose à l’ombre des rares arbres. L’ambiance semblerait pouvoir continuer ainsi indéfiniment, mais quand vient l’obscurité, les rumeurs se transforment, s’atténuent et subitement s’évanouissent, comme si rien de tout cela n’avait jamais existé. Vient alors le temps de rentrer. Les ruelles sont désertes. Silence. Seul résonne le bruit de mes pas sur les façades de la belle endormie. Le silence est pesant et remplit l’espace qui m’entoure, créant en moi une sensation de sécurité et d’angoisse mélangée. Des ruelles vides, encore et toujours. Ci et là un campo où les bars sont encore ouverts, où la clameur t’explose à la figure ; puis le silence et le résonnement de mes pas, à nouveau. Arrivée au bord du canal, attente du bateau… Les bruits de mes talons se sont arrêtés, seuls m’accompagnent dans mon attente les pas de l’eau

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qui danse. Je me retrouve dans une prison de brouillard, impossible de voir à l’horizon. Ci et là les yeux lumineux d’un taxi s’approchent, la mer accélère le rythme de sa valse, la fermata vacille, me berce. Les chaînes qui la rattachent à la terre grincent et claquent, s’énervent et puis s’apaisent. L’eau reprend sa danse calme jusqu’à l’arrivée du bateau, surgissant du brouillard comme un monstre rugissant sorti de l’enfer. Le tintement des cloches des églises est le seul indicateur de temps, ici où tout semble avoir été mis en pause. (Laurence Delatte) (86)

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Paille dans les rues Une pratique particulière: dans les quartiers riches des villes, on jonchait la rue de paille, afin d'amortir le bruit aux approches de la maison d'un malade ou d'un mou-rant. Léon Tolstoï dans "la guerre et la paix" le men-tionne: "lorsque la voiture de la contesse Rostov dans laquelle ils avaient pris place, ayant parcouru la rue jonchée de paille, entra dans la cour du conte Bézouk-hov." (87) Paris Le défaut de trottoirs rend presque toutes les rues pé-rilleuses : quand un homme qui a un peu de crédit est malade, on répand du fumier devant sa porte, pour rompre le bruit des carrosses; et c'est alors surtout qu'il faut prendre garde à soi. (Louis Sébastien Mercier) (88) Paris Les gens qualifiés font jeter pendant leurs maladies, du fumier devant leurs portes cochères et aux envi-rons, pour que le bruit des carrosses les incommode moins. Ce privilège abusif change la rue en un cloaque affreux, pour peu qu'il ait plu, et fait marcher cent mille hommes en douze heures, dans un fumier liquide, noir et puant, où l'on enfonce jusqu'à mi-jambe. Cette ma-nière d'empailler toute une rue, rend les voitures plus dangereuses, en ce qu'on ne les entend pas. Pour épargner quelque cahot bruyant à une tête ma-lade ou vaporeuse, on expose la vie de trente mille fantassins, dont la cavalerie se moque, il est vrai, mais qui ne doivent pas expirer sous les roues silencieuses d'un carrosse, parce que M. le marquis a eu un accès

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de fièvre ou une indigestion. (Louis Sébastien Mercier) (89) Belgique fin XIXè s Chez les sorciers Ba-Ngala, le tambour et certaines danses bizarres sont les moyens les plus usuels de leurs offices. J'ai beaucoup ri le jour où, attiré par un vacarme subit, je suis arrivé devant la cabane d'un jeune homme à toute extrémité, que l'on travaillait à sauver par les danses chantées et des batteries de tambour assourdissantes. "En Belgique, me disais-je, on étendrait de la paille dans les rues pour étouffer le bruit. Ici, c'est le contraire." Le plus drôle, c'est que ce jeune homme guérit. (Camille Coquilhat) (90) Bruxelles fin XIXè s [Les bourgeois et les rentiers, se plaignaient dans les journaux d'être "réveillés intempestivement par le va-carme infernal de la rue".] Une bonne part de ce va-carme provenait évidemment des chevaux et des car-rioles, dont les sabots et les jantes de fer produisaient sur les pavés beaucoup de bruit. Le vacarme du "rou-lage" était tellement désagréable que, lorsqu'un haut personnage était gravement malade, la police autori-sait ses proches à recouvrir d'une bonne couche de paille (à leurs frais) toute la largeur de la rue, sur une certaine distance aux abords de la maison du malade, afin que le bruit des sabots et des roues soit assourdi et perturbe moins le sommeil du patient. (Jean d'Osta) (91) Bruxelles - 1903 A peine descendue de la voiture de place, elle put se rendre compte de l'état de Fernande. En effet, la chaussée, devant le n° 193 de l'avenue [Louise], était

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recouverte d'une épaisse couche de paille [sur les pa-vés], destinée à amortir le bruit des voitures. Une telle précaution, toujours prise dans les cas de maladie grave, avait déjà renseigné le voisinage sur l'état cri-tique de la nouvelle accouchée. (Marguerite Yourcenar) (92) Londres Ella avait couvert la rue de paille jusqu'à hauteur de genoux et retiré le heurtoir de la porte. (William Make-peace Thacheray) (93) Chantilly – première guerre mondiale Chantilly (où de la paille jonchait les rues pour amortir le bruit de ces milliers et milliers de godillots qui mon-taient au front et ne pas déranger Joffre dans ses cogi-tations). (Blaise Cendrars) (94)

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Silences Dire que je ne peux pas m'empêcher de dormir la fe-nêtre ouverte! Les tramways roulent en sonnant à tra-vers ma chambre. Des automobiles passent sur moi. Une porte claque. Quelque part une vitre tombe en cliquetant. J'entends le rire des grands éclats, le gloussement léger des paillettes. Puis, soudain, un bruit sourd, étouffé, de l'autre côté, à l'intérieur de la maison. Quelqu'un monte l'escalier. Approche, ap-proche sans arrêt. Est là, est longtemps là, passe. Et de nouveau la rue. Une femme crie : « Ah! tais-toi, je ne veux plus. » Le tramway électrique accourt, tout agité, passe pardessus, par delà tout. Quelqu'un ap-pelle. Des gens courent, se rattrapent. Un chien aboie. Quel soulagement! Un chien. Vers le matin il y a même un coq qui chante, et c'est un délice infini. Puis, tout à coup, je m'endors. Cela, ce sont les bruits. Mais il y a quelque chose ici qui est plus terrible : le silence. Je crois qu'au cours de grands incendies il doit arriver, ainsi, parfois, un instant de tension extrême: les jets d'eau retombent, les pom-piers ne montent plus à l'échelle, personne ne bouge. Sans bruit, une corniche noire s'avance, là-haut, et un grand mur derrière lequel le feu jaillit s'incline sans bruit. Tout le monde est immobile et attend, les épaules levées, le visage contracté sur les yeux, le terrible coup. Tel est ici le silence. (Rainer Maria Rilke) (95) Ferrare - 1838 De grandes rues pleines d'herbe, de soleil et de soli-tude; […] un bruit continuel de musique et de chan-sons: voilà Ferrare. […] Lorsqu'on se promène dans les rues de Ferrare, on a bientôt franchi le petit cercle

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où se remue la population, et l'on se trouve alors dans de vastes quartiers tellement délaissés, que nous y rencontrâmes en tout, dans l'espace de plus d'une heure, deux personnes et un chien. Les pas du curieux retentissent sur la pavé avec ce grand bruit qui nous étonne malgré nous, quand par hasard nous nous trouvons seuls à une heure avancée de la nuit dans ces rues de Paris où mille bruits assoupissent tous les bruits. (Louis Veuillot) (96) Todi – vers 1909 Quel silence. Quelle bonne solitude. Pas un étranger à Todi. Le ciel est blanc dans le soleil, et du bleu le plus cru sur les créneaux dans l'ombre. La lumière est un lac d'or brûlant où l'on respire le souffle de l'été. Quel beau silence. Même à Montefalco, même à Gubbio, je n'ai pas bu un si grand silence à si longs traits. Les martinets eux-mêmes ne crient plus, ici, ici, par ici. (André Suarès) (97) Paris Voici donc ce petit cloître qui nous donne son silence à lui, son silence du xvè siècle, et ses arcades pensives présentent assez bien l'image d'une âme qui se replie sur elle-même et se recueille comme nous ne savons plus le faire. J'en arrive là, en effet, et retrouve mon point de départ en visitant par le souvenir ce vestige du grand Paris médiéval. L'après-midi touchait à sa fin; il y avait dans ces murs, dans l'ombre des piliers mas-sifs, un peu du trésor qu'on nous arrache à toute heure du jour et dont la privation définitive ferait périr en nous ce que nous possédons encore de meilleur; il y avait le silence, un silence non pas troublé, mais rendu plus profond par le bruit égal et cristallin d'une goutte d'eau tombant dans un baquet, non loin d'un arbuste qui ten-dait vers le ciel ses petites feuilles toutes neuves et

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transparentes; et sur le rebord de la fenêtre par la-quelle la concierge jetait parfois un coup d'oeil de mon côté, un chat blanc, tacheté de noir, son masque posé de travers sur un visage d'assassin, surveillait avec une patience féroce un pigeon gris et mauve qui rou-coulait en sourdine, innocemment, sous les branches. (Julien Green) (98) Paris Un peu plus loin, à l'atelier de Delacroix, place Furstemberg. Le charmant jardin en contrebas où il fait si bon s'asseoir, à l'ombre des arbres, dans le silence où passe la brise, par ce beau jour d'été, à deux pas de l'assourdissant boulevard Saint-Germain. Tout au-tour, de vieilles maisons aux fenêtres ouvertes, et ces fenêtres sont toutes noires. Des aquarelles de Dela-croix, de Huet, de Riesener, de Hugo, partout du rêve. Cette oasis dans notre siècle si tristement dépourvu de poésie. Au-dessus de nos têtes, un ciel d'un bleu léger où flottent des nuages qui ressemblent à de la vapeur. (Julien Green) (99) Paris – 2002 Quel contraste entre le vacarme de l'avenue d'Italie et, à peine contournée la manufacture des Gobelins, le square ombreux au fond duquel coule la Bièvre et où commence le quartier de la Glacière. (Eric Hazan) (100)

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SOURCES (1) Jean-Jacques Bouchard, "Voyage de Paris à

Rome" 1630, in "Œuvres", édition établie par Em-manuelle Kanceff, Turin, Giappichelli, 1976-1977, T. I. , cité dans: Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau, "Le voyage en France – anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Age à la fin de l'Empire", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1995, p. 336.

(2) Elie Brackenhoffer, "Voyage en France" (1644), Berger-Levrault, Paris-Strasbourg, 1925, cité dans: Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau, "Le voyage en France – anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Age à la fin de l'Empire", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1995, pp. 284-285.

(3) Jean-Pierre Gutton, "Bruits et sons dans notre his-toire", P.U.F., Paris, 2000, p. 28, se référant à l'ou-vrage de Pierre Goubert, "Beauvais et le Beauvai-sis au XVIIè siècle", Paris, 1960, p. 233.

(4) Claude Perrault, "Mémoires de ma vie", 1669, cité dans Louis Desgraves, "Voyageurs à Bordeaux du dix-septième siècle à 1914", Mollat éditeurs, 1991, p. 29.

(5) J.P. Marana, "Lettre d'un Sicilien à un de ses amis", datée de la fin du XVIIè siècle, publiée par V. Duf-four dans "Anciennes Descriptions de Paris", Paris, 1883, p. 13, cité dans: Arlette Farge, "Vivre dans la rue à Paris au XVIIIè siècle", Gallimard, coll. Folio Histoire n°43, Paris, p. 17.

(6) Guy Miège, "L'Etat présent de la Grande-Bretagne", 1708, in: Jacques Gury, "Le voyage outre-Manche – anthologie de voyageurs français de Voltaire à Mac Orlan – du XVIIIè au XXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1999, pp. 161-162.

(7) Jean-Pierre Gutton, "Bruits et sons dans notre histoire", P.U.F., Paris, 2000, pp. 29-30.

(8) Louis Simon, in: A. Fillon: "Louis Simon, étaminier, 1741-1820, dans son village du Haut-Maine au

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siècle des lumières", Le Mans, 1982, cité dans Jean-Pierre Gutton, "Bruits et sons dans notre his-toire", Presses Universitaires de France, Paris, 2000, p. 61.

(9) Louis Sébastien Mercier, “Tableau de Paris” (1785), Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1990, p. 66.

(10) Louis Sébastien Mercier, “Tableau de Paris” (1785), Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1990, p. 182.

(11) Louis Sébastien Mercier, “Tableau de Paris” (1785), Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1990, p. 162-163.

(12) Goethe, "Voyages en Suisse et en Italie", Librairie de L. Hachette, Paris, 1868, p. 109.

(13) William Beckford, “Journal intime au Portugal et en Espagne, 1787-1788 “, Librairie José Corti, Paris, 1986, p. 40. [traduction Roger Kann]

(14) William Beckford, “Journal intime au Portugal et en Espagne, 1787-1788 “, Librairie José Corti, Paris, 1986, p. 49.

(15) Nicolaï Karamzine, "Voyages en France, 1789-90", A. Legrelle, Paris, 1885, cité dans: Arlette Farge, "Vivre dans la rue à Paris au XVIIIè siècle", Galli-mard, coll. Folio Histoire n°43, Paris, p. 17.

(16) Nicolaï Karamzine, " Lettres d'un voyageur russe (1789-1790), édition présentée par Wladimir Bérélowitch d'après la version de V. Porochine (1867), Paris, Le Quai Voltaire, 1991, cité dans: Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau, "Le voyage en France – anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Age à la fin de l'Empire", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1995, p. 901.

(17) Lorenz Meyer, cité dans Louis Desgraves, "Voya-geurs à Bordeaux du dix-septième siècle à 1914", Mollat éditeurs, 1991, p. 108.

(18) Source : AD63 - Série D - Administration générale de la commune de Lezoux (commune 63190 – Puy de Dôme) : 1 MI 561/6 Texte déposé par Michèle Chadelas

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Source:http://perso.orange.fr/j.marchanl/anecdotes/quot63.html)

(19) Alain Corbin, "Les cloches de la terre – paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXè siècle", Albin Michel, Paris, 1994, coll. Champs/Flammarion, p. 45.

(20) "Das Reisetagebuch des Herrn Vinzenz Kreibig im Jahre 1803", in: "Atlantis", Bibliographisches Institut A.G. Leipzig, Atlantis Verlag Zurich, Heft 10, Oktber 1932, p. 598-599, extrait de "World sound- scape project - sound references in litterature", http://www.sfu.ca/sonic-studio.srs/Lit137.html) [trad. Marc Crunelle]

(21) Chateaubriand, "Lettre à M. de Fontanes", in "Voyage en Italie", Librairie Droz, Genève, 1968, pp. 130-131.

(22) Henrica Van Tets, "Voyage d'une Hollandaise en France en 1819", Paris, Pauvert, 1966, cité dans: Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau, "Le voyage en France – anthologie des voyageurs européens aux XIXè et XXè siècles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1995, p. 200.

(23) Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe" (livre quatrième, chap. 1), Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, vol. I, Paris, 1951, p. 109.

(24) Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe" (chap. 15), Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, vol. II, Paris, 1951, p. 1020.

(25) Chateaubriand, "Mémoires d'Outre-Tombe" (chap. 5), Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, vol. II, Paris, 1951, p. 775.

(26) Victor Hugo, extrait d'une lettre à Adèle, 18 août 1837, cité dans: "La Belgique selon Victor Hugo", Desoer Editions, Liège – Bruxelles, 1968, pp. 48-50.

(27) Louis Veuillot: "Rome et Lorette", in: Yves Her-sant, "Italies – Anthologie des voyageurs français aux XVIIIè et XIXè siècles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1988, p. 373.

(28) Alexandre Dumas, "Impressions de voyage – de Paris à Cadix", Calmann Lévy, Paris, 1897, pp. 48-49.

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(29) Alphonse Esquiros, "L'Angleterre et la vie anglaise", 1859, in: Jacques Gury, "Le voyage outre-Manche – anthologie de voyageurs français de Voltaire à Mac Orlan – du XVIIIè au XXè siècle", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1999, p. 121.

(30) Edmond et Jules de Goncourt, "Journal" Mé-moires de la vie littéraire 1851-1865, Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1989, p. 618.

(31) Hippolyte Taine, "Carnets de voyage, notes sur la province 1863-65", Librairie Hachette et Cie, Paris, 1913, p. 123.

(32) A. Péladan, "Guide de l'amateur et de l'étranger à Lyon et dans les environs", Lyon, 1864, Biblio-thèque municipale de Lyon, cote 314-019, cité dans Olivier Balaÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 58-59.

(33) Charles Baudelaire, "Pauvre Belgique", Ed. Louis Connard, Paris, 1953, p. 13.

(34) Hippolyte Taine "Voyage en Italie – D'Assise à Florence", Editions Complexe, Bruxelles, 1990, p. 105.

(35) J.-B. Fonssagrives, "Hygiène et assainissement des villes", J.-B. Baillière et fils, Paris, 1874, pp. 109 et suivantes.

(36) August Strindberg, "Le cabinet rouge", Editions Climats, Bibliothèque des ombres, Castelnau-le-Lez, 2004, pp. 8-9. [ trad. Etienne Avenard]

(37) Jean d'Osta, "Notre Bruxelles oublié", Rossel, Bruxelles-Paris, 1977, p. 57.

(38) Jules Vallès, "Le tableau de Paris", librairie Galli-mard, Paris, 1932, pp. 20-21.

(39) Jules Vallès, "La Rue de Londres", 1884, in: Jacques Gury, "Le voyage outre-Manche – antholo-gie de voyageurs français de Voltaire à Mac Orlan – du XVIIIè au XXè siècle", Robert Laffont, coll. Bou-quins, Paris, 1999, p. 144-145.

(40) lettre de Sigmund Freud à Martha Freud datée du lundi 7 septembre 1896, in: " Notre cœur tend vers le sud" Correspondance de voyage, 1895-1923, Fayard, Paris, 2005, p. 85.

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(41) Robert Musil, "L’homme sans qualité", Seuil, Paris, 1979, pp. 9-10. [trad. Ph. Jaccottet]

(42) Johannes Joergensen, "Paysages d'Occident", traduction de Jacques de Coussanges, Bloud, Pa-ris, in: Arthur de Rudder, "Visions de Belgique", Rossel & Cie édit., Bruxelles, 1925, pp. 278-280.

(43) Johannes Joergensen, "Paysages d'Occident", traduction du danois de Jacques de Coussanges, Bloud, Paris, in: Arthur de Rudder, "Visions de Bel-gique", Rossel & Cie édit., Bruxelles, 1925, pp. 280-281.

(44) Alfred Delvau, cité dans: Jean M. Goulemot, Paul Lidsky et Didier Masseau, "Le voyage en France – anthologie des voyageurs européens aux XIXè et XXè siècles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1995, p. 603.

(45) Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, pp. 47-49. [trad. François Mathieu].

(46) Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, pp. 66-67. [trad. Fr. Mathieu].

(47) Hermann Hesse, "Voyages en Italie", Josée Corti, Paris, 1992, p. 75. [trad. Fr. Mathieu].

(48) Stefan Zweig, "Brügge", Neue Frei Presse, Vienne, 24 août 1904, in: Stefan Zweig, "Pays, villes pay-sages – écrits de voyages", Belfond, Livre de Poche, 14458, 1996, pp. 33,34 & 37.

(49) Veuve van Aken, carton hygiène n°6, commodo-incommodo, 4è Don de Police, ind. N° 20700, Archives de la Ville de Bruxelles.

(50) lettre d'André Derain à Matisse, jeudi 8 mars 1906, in: Rémi Labrusse et Jacqueline Munck, "Matisse-Derain – la vérité du fauvisme", Hazan, Paris, 2005, p. 234.

(51) Jules Huret, "En Allemagne – Rhin et Westphalie", Eugène Fasquelle, Paris, 1919, pp. 19-20.

(52) Esquirol, "Petits et gros bourgeois", Stock, Paris, 1907, cité dans: Bernard Poche, "Lyon tel qu'il s'écrit – Romanciers et essayistes lyonnais 1860-1940", Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1990, p. 53.

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(53) Jules Huret, “En Allemange, de Hambourg aux marches de Pologne”, Eugène Fasquelle, Paris, 1916, pp. 1-2.

(54) André Suarès, "Voyage du Condottière, I , vers Venise", Granit, Livre de Poche n°3259, Paris, 1984, p. 40-41. (texte paru en 1910)

(55) Justin Godart, "Travailleurs et métiers lyonnais", Cumin et Masson, Lyon, 1909, cité dans Olivier Ba-laÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 59.

(56) Jocelyn Barboin, in A. Barton, "La patrie lyon-naise", chap. IV: "Impressions d'écrivains", Lyon, Lemerre, Les étudiants, 1914, cité dans Olivier Ba-laÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 56.

(57) Jocelyn Barboin, in A. Barton, "La patrie lyon-naise", chap. IV: "Impressions d'écrivains", Lyon, Lemerre, Les étudiants, 1914, cité dans Olivier Ba-laÿ, "L'espace sonore de la ville au XIXè siècle", A la Croisée, coll. Ambiances, Ambiances, Bernin-France, 2003, p. 57.

(58) Alice Herdan-Zuckmayer, "La petite boîte (à trésor), (le secret d'une enfance)", Edition de poche Fischer, Frankfort, 1973, p. 9. [trad. Elisabeth Liebgott, Catherine Gürbüz, Cornelia Grosser, Constant Kremer et Renée Rohr]

(59) Georges Simenon, "Mes dictées : Tant que je suis vivant", 18 avril 1976, Presses de la Cité, Paris, 1978; coll. Omnibus, Tout Simenon vol. 26, Paris, 1993, p. 1215.

(60) Georges Simenon, "Mes dictées : au-delà de ma porte-fenêtre", 20 février 1977, Presses de la Cité, Paris, 1978; coll. Omnibus, Tout Simenon vol. 26, Paris, 1993, p. 1516.

(61) Jean-Michel Palmier, "Retour à Berlin", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Payots & Rivages, Paris, 1997, pp. 77-78.

(62) Jules Romain, "La douceur de la vie", André Sauret, éditeur, Paris, 1939, p. 38.

(63) Jean d'Osta, "Bruxelles bonheur", Rossel, Bruxelles, 1980, pp. 147-148.

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(64) Paul Morand, "Londres", Plon, Paris, 1933, p. 45. [la seule notation sonore de tout l'ouvrage !]

(65) Patrick Leigh Fermor, "Les temps des offrandes – A pied jusqu'à Constantinople: de la Corne de Hol-lande au moyen Danube", Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, Paris, 2003, p. 45. [trad. Par Guil-laume Villeneuve].

(66) Patrick Leigh Fermor, "Les temps des offrandes – A pied jusqu'à Constantinople: de la Corne de Hol-lande au moyen Danube", Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, Paris, 2003, p. 106. [trad. Par Guil-laume Villeneuve].

(67) Patrick Leigh Fermor, "Les temps des offrandes – A pied jusqu'à Constantinople: de la Corne de Hol-lande au moyen Danube", Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs, Paris, 2003, p. 354. [trad. par Guil-laume Villeneuve].

(68) Michel Ragon, "L'accent de ma mère", Plon / Terre Humaine, Paris, 1989, pp. 163-164.

(69) Diego Valeri, "Fantaisies vénitiennes", Ed. A la Baconnière, Neuchatel, 1945, pp. 14-15. [ trad. Melle Lucienne Portier].

(70) Anna Maria Ortese, "Tour d'Italie – récits de voyages", Actes Sud, Arles, 2006, p. 278.

(71) Albert t'Serstevens, "Le nouvel itinéraire espa-gnol", S.E.G.E.P., Paris, 1951, p. 76.

(72) Albert t'Serstevens, "Le nouvel itinéraire espa-gnol", S.E.G.E.P., Paris, 1951, p. 235.

(73) Albert t'Serstevens, "Le nouvel itinéraire espa-gnol", S.E.G.E.P., Paris, 1951, p. 327.

(74) Anna Maria Ortese, "Tour d'Italie – récits de voyages", Actes Sud, Arles, 2006, pp. 317-319.

(75) Kevin Lynch: "In to Florence to survey "character-istic elements", 27 janvier 1952, in: "Writings and projects", pp. 118-129. [trad. M. C.].

(76) Mary McCarthy, "En observant Venise", Petite Bi-bliothèque Payot/Voyageurs, Paris, 2003, p. 150. [trad. Alain Defossé].

(77) Mary McCarthy, "Les pierres de Florence", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Paris, 2003, pp. 18-19. [trad. Alain Defossé].

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(78) Mary McCarthy, "Les pierres de Florence", Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Paris, 2003, p. 227. [trad. Alain Defossé].

(79) L. Halprin, "Cities", Rheinhold, New York, 1963, p. 9. [trad. M.C.].

(80) Dominique Fernandez, "Mère méditerranée", Ber-nard Grasset, Paris, 1965, pp. 174-175.

(81) Michel Butor, in: "Rencontres", RTBF radio 1977. (82) Julien Gracq, "Autour des sept collines", José Cor-

ti, Paris, 1988, p. 85. (83) Serge Mouraret, "Berlin carnets d'amour et de

haine", L'Harmattan, Paris, 2002, p. 18. (84) Claude Dourguin, "Escales", Éditions Champ Val-

lon, Paris, 2002. (85) Pascale Lismonde, "Le goût de Naples", Mercure

de France, Paris, 2003, p. 43. (86) Laurence Delatte, lettre, jeudi 14 décembre 2006.

Paille dans les rues (87) Léon Tolstoï, "La guerre et la paix", Gallimard,

Folio n°287, Paris, pp. 96-97. (88) Louis Sébastien Mercier, “Tableau de Paris”

(1785), Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1990, p. 46.

(89) Louis Sébastien Mercier, “Tableau de Paris” (1785), Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1990, p. 154.

(90) Camille Coquilhat, - capitaine d'état-major de l'ar-mée belge, "Sur le Haut-Congo", J. Lebègue et Cie, imprimeurs-éditeurs, Bruxelles, 1888, p. 290 - Chap. "Chez les Ba-Ngala", 12 novembre 1883.

(91) Jean d'Osta, "Notre Bruxelles oublié", Rossel, Bruxelles-Paris, 1977, p. 57.

(92) Marguerite Yourcenar, "Souvenirs pieux", Folio n°1165, Paris, 1980, p. 45.

(93) William Makepeace Thacheray, "Vanity fair", [She had the street laid knee-deep with straw; and the knocker put by (i. e. taken off the door) (Thackey,

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Thackeray, "Vanity Fair", chap. 19) (cité par Murray Schafer dans une lettre de décembre 2005) [trad. M. C.]

(94) Blaise Cendrars, "La main coupée", Denoël, Paris, 1946, p. 74.

Silences (95) Rainer Maria Rilke, "Les cahiers de Malte Laurids

Brigge", Seuil coll. Points, Paris, 1966, pp. 12 et 13. [trad. Maurice Betz].

(96) Louis Veuillot, "Rome et Lorette", in: Yves Her-sant, "Italies – Anthologie des voyageurs français aux XVIIIè et XIXè siècles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1988, p. 373.

(97) André Suarès, “Le voyage du Condottière, I , vers Venise”, Granit, Poche biblio, n°3259, Paris, 1984, p. 405. (texte paru en 1910)

(98) Julien Green, "Paris", Champ Vallon, Seuil, coll. Points Essais n° 199, Paris, 1983, p.75-76.

(99) Julien Green, "Paris", Champ Vallon, Seuil, coll. Points Essais n° 199, Paris, 1983, p. 88.

(100) Eric Hazan, "L'invention de Paris" Seuil, coll. Points n°P 1267, Paris, 2002, p. 15.