le voyage aventure

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1 UNIVERSITE DE PARIS 1 PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DE TOURISME « LE VOYAGE AVENTURE : un système organisé autour d’un Tour Opérateur responsable et d’aventuriers encadrés » Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du Diplôme de Paris 1 Panthéon Sorbonne MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2 e année) Spécialité Développement et Aménagement Touristiques des Territoires Par : Clémentine CONCAS Directrice du mémoire : Saskia COUSIN, Docteur en anthropologie sociale JURY Membres du jury : ………………………………………….. : ………………………………………….. : ………………………………………….. Session de Juin 2011

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Page 1: Le voyage aventure

1

UNIVERSITE DE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE

INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DE TOURISME

« LE VOYAGE AVENTURE :

un système organisé autour d’un Tour Opérateur responsable et

d’aventuriers encadrés »

Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du

Diplôme de Paris 1 – Panthéon Sorbonne

MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2e année)

Spécialité Développement et Aménagement Touristiques des Territoires

Par : Clémentine CONCAS

Directrice du mémoire : Saskia COUSIN, Docteur en anthropologie sociale

JURY

Membres du jury : …………………………………………..

: …………………………………………..

: …………………………………………..

Session de Juin 2011

Page 2: Le voyage aventure

2

A ma mère, qui m’a transmis le goût du voyage et l’envie de découvrir le monde.

« Mon enfant, ma sœur,

Songe à la douceur

D'aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir,

Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté … »

Charles Baudelaire, L’invitation au voyage, Les Fleurs du mal, 1857

Page 3: Le voyage aventure

3

Remerciements à :

Saskia Cousin, qui m’a guidée dans ce travail et cette réflexion, et qui m’a fait découvrir

des domaines d’études comme la sociologie et l’anthropologie, qui se sont ajoutés à mon

regard de géographe.

Tous mes remerciements pour votre disponibilité, vos précieux conseils et votre

confiance.

B, dont les récits de voyages ont nourri ce mémoire. Je te remercie de m’avoir consacré

du temps et te souhaite de continuer à parcourir le monde « en voyageuse ».

Sylvette et Brigitte, pour leurs relectures respectives.

Thomas, pour ta patience pendant toute cette année, et pour … tout.

Page 4: Le voyage aventure

4

Sommaire

SOMMAIRE 4

INTRODUCTION 6

PARTIE 1 : LE VOYAGE AVENTURE, PRECIS DE DEFINITION 11

CHAPITRE 1 : VERS UN TOURISME AUTREMENT 12

1.1 Les fonctions du loisir et du tourisme 12 1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques 13 1.3 Le rejet du tourisme de masse et l’apparition de nouvelles tendances 17

CHAPITRE 2 : LEXICOLOGIE 19

2.1 Voyageur versus touriste 20 2.2 D’aventures en aventures : une balade nommée trekking 22 2.3 Les lieux de prédilection des voyages aventures 27

PARTIE 2 : MISE EN PLACE D’UNE STRATEGIE AUTOUR DE LA RESPONSABILITE ET DE

L’AVENTURE PAR LE TOUR OPERATEUR 31

CHAPITRE 1 : DE L’ART DE VENDRE UN « BON » ET « VRAI » VOYAGE RESPONSABLE 32

1.1 Analyse du discours responsable des tours opérateurs expliqué dans leur brochure 33 1.2 Une stratégie de communication 42 1.3 L’importance d’associer un projet solidaire au voyage 46

CHAPITRE 2 : ENCADRER UNE AVENTURE 48

2.1 Le discours du tour opérateur : entre aventure et encadrement 48 2.2 L’aventure humaine : la rencontre de l’autre 53

PARTIE 3 : LES VOYAGEURS AVENTURIERS 62

CHAPITRE 1 LES MOTIVATIONS DES TOURISTES : ANALYSE DU DESIR ET DE LA PERCEPTION D’UN VOYAGE

AVENTURE A TRAVERS LE RECIT DE VOYAGE D’UNE TOURISTE 64

1.1 Portrait d’une voyageuse en quête d’authenticité et d’elle-même 64 1.2 L’appropriation du discours du tour opérateur 73 1.3 L’interprétation du discours du tour opérateur 76

CHAPITRE 2 : LES LIMITES DE CE TYPE DE TOURISME 81

2.1 Limite floue entre le voyage aventure et l’humanitaire : de l’impression de faire partie d’une ONG en donnant des crayons dans un village. 81 2.2 Le tourisme durable, un « vocable-mythe » ? 84 2.3 Les risques du voyage-aventure 87

CONCLUSION 91

Page 5: Le voyage aventure

5

BIBLIOGRAPHIE 95

ANNEXES 99

TABLE DES MATIERES 121

RESUME 123

« L’université Paris 1- Panthéon Sorbonne n’entend donner aucune approbation ou

improbation aux opinions émises dans les mémoires et thèses. Ces opinions doivent être

considérées comme propres à leurs auteurs. »

Page 6: Le voyage aventure

6

Introduction

De plus en plus de chercheurs qui s’intéressent aux problématiques du tourisme se

posent cette question centrale : Pourquoi fait-on du tourisme ? D’où vient ce besoin de

partir ? Au-delà de quelques variables classiques, comme l’âge, le revenu, le temps de

travail, il s’agit de s’interroger sur ce besoin humain de partir. Quelle que soit la forme de

tourisme de masse, d’aventure, de luxe, etc. on trouve aujourd’hui un besoin de tourisme

que l’on ne peut plus nier. Selon la théorie qui relève du marketing, d’Abraham Maslow

(1940), l’individu agirait selon des besoins hiérarchisés. On distingue dans la pyramide des

besoins de Maslow, des besoins d’ « avoir » et des besoins d « ’être ». Les besoins d’

« avoir » font référence à des besoins physiologiques et de sécurité. Une fois ces deux

besoins comblés, l’individu a des besoins d’ « être », qui sont classés selon leur ordre

d’importance. On trouve tout d’abord des besoins d’appartenance, puis des besoins

d’estime et pour finir des besoins de s’accomplir. Le tourisme se situe aujourd’hui dans

les besoins d’ « être » des individus. Chacun le place plus ou moins haut dans cette

pyramide. Jean Pierre Lamic1 explique ainsi : « Malgré les nombreuses disparités sociales

révélées par un nombre important et croissant d’exclus, la France *…+ se trouve depuis

des années à un niveau où les besoins de subsistance sont couverts pour une large

majorité de ses habitants. Cette assertion est corroborée par les chiffres suivants : 13 %

des revenus des ménages seulement est alloué à la nourriture (30 % dans les années

1970). » La société française s’oriente donc davantage « vers une demande, de santé, de

loisir, de culture ». Ainsi, « le mieux-être succède progressivement aux plus-avoir. »2

Comprendre, voilà l’objet de cette étude. Comprendre le tourisme au lieu de

l’appréhender comme un phénomène systématiquement médiatisé, nuisible pour les

territoires et les sociétés. Mais aussi comprendre le touriste et ses besoins de voyages. De

nombreux auteurs préféreront employer le terme « motivation ». Selon Rachid Amirou,

« la notion de motivation ne se situe pas sur le plan objectif du réel, mais bien au niveau

1 LAMIC J-P, Le tourisme durable : utopie ou réalité ? , Paris, L’Harmattan, 2008

2 LAMIC, 2008, Ibid.

Page 7: Le voyage aventure

7

du désir, de l’imaginaire. Elle s’inscrit dans un univers de sens. »3 C’est cet univers de sens

que nous tenterons de découvrir à travers ce mémoire. Chabloz et Raout4 expliquent que

« selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le continent africain a enregistré ces

dernières années la plus forte augmentation de fréquentation touristique au monde,

même si l’Afrique ne représente que 4 % du volume touristique mondial. Depuis les

indépendances, le tourisme en Afrique a été appréhendé par les chercheurs tour à tour

comme une forme de néocolonialisme, un facteur de développement, comme

destructeur des sociétés traditionnelles locales, puis comme facteur de paix et de

rencontre entre les peuples. La figure néo-coloniale du touriste blanc, riche et puissant,

tant décriée par les chercheurs des années 1970, laisse de plus en plus la place à celle du

touriste culturel, solidaire, respectueux et en quête de rencontre avec l’autre. » C’est ce

« nouveau » type de tourisme, qui s’effectue très souvent en Afrique, qui fait l’objet de

notre étude. J’ai choisi d’effectuer ma recherche de fin d’études sur le phénomène du

voyage-aventure, car cette pratique du tourisme m’intéresse tout particulièrement. J’ai

donc voulu comprendre et analyser ce phénomène en profondeur. Pour mon travail, la

sociologie, l’anthropologie et la géographie sont les principales disciplines d’étude qui

seront mises à contribution.

Il s’agit de comprendre ce phénomène et ses deux principales parties prenantes, à savoir

le tour opérateur (TO) qui organise le voyage et le touriste lui-même qui se trouve au

cœur de celui-ci. Nous privilégierons alors une approche systémique, c’est-à-dire qui

étudie les systèmes en se fondant sur la prise en compte des interactions de ses

différents éléments. Nous définirons un système selon les termes de Roger Brunet, père

de la géographie systémique française comme un « ensemble organisé d’éléments et

d’interactions entre les éléments ; du grec systema : qui tient ensemble, mais avec l’idée

3 AMIROU R et at, Tourisme et souci de l’autre, L’Harmattan, 2005

4 RAOUT J & CHABLOZ N, « Corps et âmes. Conversions touristiques à l’africanité », Cahiers d’études

africaines, n° 193-194, pages 7 à 26, 2009

Page 8: Le voyage aventure

8

d’union (syn) en un tout organisé, voire stable, debout (histanai), comportant la racine

sta »5.

La problématique principale de ce travail est l’étude du voyage aventure, comme un

système. Comment ce système s’organise-t-il ? Et quelle articulation y a-t-il entre ses

principales composantes, à savoir les tours opérateurs et les touristes ?

Nos hypothèses de travail sont les suivantes : L’un agit sur l’autre, le TO a un grand

pouvoir puisqu’il orchestre le voyage et les touristes influencent le TO pour qu’il conçoive

son voyage en fonction de ce que les touristes veulent voir. Le TO serait donc un système

gouvernant, de contrôle, et les touristes apparaîtraient comme un système gouverné,

opérationnel.

Afin d’essayer de répondre à cette problématique, et de vérifier ces hypothèses, j’ai choisi

d’utiliser une méthodologie de travail qui s’articule en trois parties :

La première partie de ce mémoire traitera du voyage aventure. L’évolution des pratiques

et de l’offre touristique sera abordée dans un premier chapitre, afin de comprendre ces

nouvelles tendances du tourisme qui nous amènent à porter une réflexion sur ce type de

tourisme de niche. Puis, afin de mieux comprendre ce phénomène, il nous faudra

travailler sur les deux termes qu’il cache : le voyage et l’aventure, qui sont toutes deux

des notions fortes et importantes, abordées dans un second chapitre et qui guideront

notre réflexion.

Après avoir précisé ce type de tourisme, il conviendra de s’intéresser dans une seconde

partie aux TO qui orchestrent le voyage aventure et qui se définissent comme des

« créateurs de voyage et non des fournisseurs de vacances »6. Ces TO représentent le

premier double terrain de notre recherche. Cette seconde partie est une analyse du

discours de plusieurs TO spécialistes dans le voyage aventure, à savoir Chemins de Sable,

Allibert Trekking, Nomade Aventure, Atalante puis Point Afrique, à travers leurs

5 BRUNET R, FERRAS R, THERY H, Les mots de la géographie, La Documentation Française, 2006

6 Propos tenus par Myriam Lallemand, responsable développement durable du TO Voyageurs du monde,

lors de la Journée mondiale pour un tourisme durable, le 1er Juin 2011 à Paris.

Page 9: Le voyage aventure

9

brochures. Dans un premier chapitre nous nous intéresserons à la démarche responsable,

durable et solidaire que mettent en avant Chemins de Sable, Allibert Trekking, Nomade

Aventure et Atalante, alors que le voyage-aventure n’a, au départ, pas de lien avec le

tourisme éthique, solidaire etc. mais porte une connotation sportive, liée à l’imaginaire

de l’exploration et de l’aventure. Puis nous essayerons de voir quel est le discours porté

sur l’aventure en analysant trois présentations de voyages, au cours d’un second

chapitre :

- Djenné, le fleuve, les Dogons, catalogue Nomade Aventure, hiver 2010-2011

- Rando en pays Sénoufo, catalogue Nomade Aventure, hiver 2010-2011

- La Tanouchertoise, catalogue Point Afrique, hiver printemps 2010-2011

Le décryptage du discours du TO, nous amènera à travailler sur les questions de la

rencontre des populations locales, mais aussi du projet de développement solidaire

associé au voyage, etc.

Pour finir, notre dernière partie essaiera de comprendre les motivations et l’expérience

que recherchent les voyageurs aventuriers, puisque, comme le dit André Suarès, écrivain

français, co-fondateur de la Nouvelle Revue Française, « le voyageur est encore ce qui

importe le plus dans le voyage ». Le touriste n’est plus seulement une personne

séjournant plus de vingt-quatre heures hors de chez elle, comme le définit officiellement

l’OMT, mais plutôt le personnage central du phénomène touristique sur lequel il convient

de s’arrêter. C’est donc là qu’intervient notre deuxième terrain : les touristes. Nous nous

pencherons alors sur cette notion de motivation et essaierons de comprendre quels

désirs les TO suscitent chez les touristes et quelles sont les motivations de ces derniers

face au discours du TO. Par rapport à cette étude, il m’a paru plus pertinent de me baser

sur une enquête qualitative, à savoir un entretien compréhensif avec une touriste ayant

effectué les trois voyages aventures analysés auparavant (le pays Dogon, le pays Sénoufo

et la Tanouchertoise). J’ai préféré n’effectuer qu’un seul entretien compréhensif, en

essayant de comprendre en profondeur qui était cette touriste, comment et pourquoi elle

avait fait ces choix de voyages. Ce choix méthodologique appuyé sur le récit de vie et

l’entretien biographique permet, dans notre cas, d’en apprendre plus sur les motivations

Page 10: Le voyage aventure

10

des touristes que des dizaines de questionnaires. La biographie est une méthodologie

utilisée en sciences sociales, comme l’a fait par exemple Pierre Bourdieu, grand

sociologue français, dans son ouvrage « La misère du monde » . Cet entretien sert donc

de base à ce troisième chapitre qui traite d’abord des motivations des touristes. J’insiste

ici sur le fait qu’il faille garder en tête tout au long de la lecture que les propos énoncés

par la touriste interviewée ne concernent qu’elle et constitue seulement un exemple qui

nourrit notre réflexion, mais en aucun cas une généralité pour tous les touristes ayant

recours à ce type de pratique. Après avoir nourri notre réflexion de cet interview et

analysé ses récits de voyages, nous serons amenés dans un ultime chapitre à nous

pencher sur les limites de ce type de tourisme, qui « flirte » parfois avec l’humanitaire,

avec qui il entretient une limite volontairement très floue, pour le plus grand plaisir des

voyageurs.

Page 11: Le voyage aventure

11

PARTIE 1 : LE VOYAGE AVENTURE, PRECIS DE DEFINITION

Page 12: Le voyage aventure

12

CHAPITRE 1 : VERS UN TOURISME AUTREMENT

1.1 Les fonctions du loisir et du tourisme

Roger Sue7 distingue les fonctions « psychologiques », « sociales » et « économiques » du

loisir, qui peuvent s’appliquer également au tourisme. Les fonctions psychologiques que

l’on retrouve sont la détente, le divertissement et le développement, analysées

également par Joffre Dumazedier8. La détente constitue finalement la principale

composante du tourisme moderne. Cela signifie que le touriste recherche « le repos et la

libération des soucis ainsi que des contraintes de la vie quotidienne »9. Le divertissement,

se caractérise ici par la recherche de plaisir et donne notamment un caractère plus

dynamique au loisir, « qui n’est plus un simple moment de récupération, mais devient

une quête de bien-être et de plaisir. Se divertir, c’est, pour certains, oublier, pour un

moment, la monotonie de la vie quotidienne et, pour d’autres, s’adonner à des jeux ou

des activités qui réalisent une rupture avec le cadre de vie habituel10. » Pour finir, le

développement, se comprend dans le sens du « perfectionnement personnel11. » Pour

l’auteur, « une dimension d’autodidaxie est en effet présente dans le loisir : formation,

perfectionnement et recyclage sont souvent attendus ou entrepris par les individus ».

Autour de cette notion de « développement » va se créer une prise de conscience pour

voyager « intelligent » ou « utile ». Pour Rachid Amirou, le tourisme a également une

fonction de socialisation. « En effet, la complexité de la vie moderne, l’éclatement et

l’appauvrissement du lien familial, l’anonymat des grands ensembles et des grandes

mégapoles, et d’autres facteurs notamment professionnels, génèrent un isolement et une

7 SUE R, Le loisir, PUF, 1993

8 DUMAZEDIER J, Vers une civilisation du loisir ? , Seuil, 1972

9 DUMAZEDIER J. Ibid.

10 DUMAZEDIER J, Ibid.

11 DUMAZEDIER J, Ibid.

Page 13: Le voyage aventure

13

atomisation des individus12 ». Le tourisme apparaîtrait donc pour Amirou comme « un

antidote à la solitude ».

1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques

L’équipe de chercheurs MIT (Mobilité, Itinéraires, Tourismes), dans son dernier ouvrage

sorti récemment13, s’interroge sur l’évolution du tourisme : « Si le terme “tourisme”

s’applique bien à ce qui existe depuis 1800, il est clair aussi que les modalités de cet

ensemble ont changé. » Pour eux, quatre systèmes touristiques se sont succédé depuis le

XVIIIe siècle. Le premier système touristique est appelé « petit nombre », il apparaît entre

1780 et 1830, c’est le début du tourisme. A cette époque, le tourisme est très réservé :

une seule catégorie sociale figure dans un seul continent. C’est donc l’aristocratie anglaise

qui effectue de la villégiature dans des lieux comme Bath ou Brighton. Mais c’est aussi

l’époque du Grand Tour, « un itinéraire en forme de boucle, qui mène le plus souvent le

futur gentleman de Londres à Rome, à travers le continent européen constitué d’une

suite d’étapes obligées et de lieux plus intéressants qui méritent “la station” (un séjour de

quelques jours)14. » Ce type de voyage représente l’achèvement de l’éducation du jeune

aristocrate. Le tourisme se met en place peu à peu : les services adaptés apparaissent

(hôtels, transports etc.). La saisonnalité s’installe également. C’est parallèlement

l’émergence de lieux emblématiques comme Nice (début des bains de mer) ou Chamonix

(découverte de la montagne). Puis ils distinguent ensuite un deuxième système

touristique dans les années 1850-1870, qu’ils nomment « grand nombre ». Le tourisme

tend à se démocratiser : « D’une part, l’aristocratie est rejointe par la bourgeoisie

montante ; d’autre part, les producteurs de lieux touristiques ne sont plus seulement les

aristocrates mais aussi les entrepreneurs-industriels15. » On fait face à des sociabilités

plus ouvertes. On n’est plus seulement dans l’entre soi, mais on « s’expose aux gens du

12 AMIROU R, Imaginaire touristique et sociabilités du voyage, PUF, 1995

13 MIT, Tourismes 3, La révolution durable, Belin, 2011

14 MIT, Tourismes 2, Moments de lieux, Belin, 2005

15 MIT, 2011, op. cit.

Page 14: Le voyage aventure

14

commun »16. Pour Laurent Tissot, cette période constitue une rupture essentielle : « De

profonds changements brisent ce cadre intime. Une progressive industrialisation du

tourisme s’opère. Un appareil technico-commercial se met peu à peu en place, qui

permet à un nombre croissant de personnes de se livrer aussi à cette forme de plaisir.

Nous assistons à proprement parler au passage d’un tourisme d’élite à un tourisme que

l’on ne peut pas encore appeler de masse, mais qui se donne peu à peu les moyens de le

devenir. Autrement dit, nous assistons à la transition d’un tourisme de type artisanal vers

un tourisme proprement industriel. »17 Cette période correspond à la naissance de

l’entreprise Thomas Cook, premier tour opérateur. Il semble donc important de s’arrêter

quelques instants sur la naissance des TO qui sont l’objet de notre étude en seconde

partie. L’entreprise Thomas Cook prend réellement forme au moment de la première

Exposition universelle (1851), où le seul TO du moment transporte 165 000 personnes.

Pour cet événement, « il ajouta au transport, à l’accompagnement et au guidage,

l’hébergement et la restauration : le voyage tout compris était né18. » Au début de son

activité, l’entreprise a quelques difficultés à trouver des tarifs préférentiels au niveau du

transport ferroviaire. En jouant de la concurrence, Cook contourne l’obstacle et « en

1863, il organisa un premier voyage en Suisse19. » « Dès 1864, 17 groupes de « cookistes »

bénéficièrent de cette entreprise pionnière, tandis que l’Italie intégrait déjà le « Cooks’s

excursionnist » qui préfigurait déjà le catalogue moderne20. » Dans les années 1870, Cook

se constitue un véritable empire en Egypte. « En rendant plus accessibles des lieux qui

étaient réservés précédemment à une élite, Cook fut critiqué mais il sut tirer parti de la

diversité de la demande en créant, dès 1872, une formule de groupes indépendants

baptisés « Select Independant Parties ». Cette formule flattait l’élite et avait ses faveurs,

car celle-ci se distinguait de la sorte des grands circuits organisés et donc de la masse et,

très tôt, la prospérité de la branche égyptienne « Thomas Cook & Son » reposa sur les

16 MIT, 2011 Ibid.

17 TISSOT L, Naissance d’une industrie touristique. Les Anglais et la Suisse au XIXème siècle, Payot, 2000

18 MIT, Tourismes 2, op. cit.

19 Ibid.

20 Ibid.

Page 15: Le voyage aventure

15

voyageurs “individuels” ».21 A la fin du XIXe siècle Thomas Cook perd son monopole, mais

réussi à innover « en offrant de nouveaux bateaux plus luxueux et des circuits plus

longs ». C’est donc ce premier TO qui parvient à mettre en tourisme la vallée du Nil, qui,

pour l’équipe MIT, apparaît comme « particulièrement moderne et efficace ». Ce second

système touristique, concerne des lieux comme Arcachon, Deauville, mais aussi nous

l’avons vu avec Thomas Cook, c’est le début de l’exotisme, avec des lieux, plus éloignés,

comme l’Egypte. En même temps que les prémices des TO, on voit se développer le

concept de la station touristique. C’est le début de l’enclavement touristique. On retrouve

ensuite à partir des années 1920-1950, un troisième système touristique qui est celui de

la « masse ». Le tourisme entre alors dans une « démocratisation mondiale22 »,

néanmoins nous noterons que cette démocratisation se fait plus au niveau social qu’au

niveau géographique. Le développement du tourisme de masse va de pair avec

l’avènement de l’automobile et de l’avion. On accède ainsi à des destinations plus

lointaines. « Les pratiques touristiques évoluent également et sortent définitivement du

domaine thérapeutique pour devenir strictement ludiques et sportives ou de

découvertes23. » C’est également l’apparition des parcs à thèmes et de ces nouveaux lieux

dits « hors sol24. » C’est à cette période que l’on retrouve le modèle « Sea, Sex and Sun ».

Pour finir, l’équipe MIT parle d’un quatrième système touristique apparu dans les années

1970-1980 : « le tourisme de masse individualisé ». Ce dernier système correspond à

notre système contemporain. Pour ces chercheurs, le tourisme « est devenu

véritablement de masse, en franchissant un nouveau seuil : désormais, les touristes se

comptent en milliards ». On a donc une réelle massification en nombre. Et, d’autre part,

« ce système touristique contemporain octroie un rôle et une responsabilité sans

précédents à l’individu ». Pascal Cuvelier l’appelle « post-fordisme » en raison de la

« flexibilité et des dynamiques d’autonomisation du touriste25. » C’est l’apparition du

21 MIT, Tourismes 2, op. cit.

22 MIT, Tourismes 3, op. cit.

23 Ibid.

24 KNAFOU R & Al, Tourisme et Loisir, Reclus / La Documentation française, 1997

25 CUVELIER P, Anciennes et nouvelles formes de tourisme, une approche socio-économique, L’Harmattan,

1998

Page 16: Le voyage aventure

16

tourisme « sur mesure ». « Le monde du tourisme sur mesure auto organisé est constitué

des individus qui souhaitent vivre une expérience touristique complexe et riche en

services mais qui parallèlement souhaitent être les artisans de son organisation.26 » On a

donc une nouvelle exigence du touriste. Par ailleurs, l’équipe MIT souligne deux

révolutions importantes de cette époque : internet et le « low-cost ». Le touriste achète

désormais son voyage sur internet, c’est la désintermédiation des opérateurs

touristiques. On trouve aujourd’hui de moins en moins d’agences de voyages puisque les

tour opérateurs vendent directement leurs produits sur internet. Ils sont ainsi passés d’un

commerce « B to B » (business to business), où ils vendaient leurs voyages à des agences

professionnelles, à un commerce « B to C » (business to consumer), où ils s’adressent

directement au client. C’est d’ailleurs de ce marketing « B to C » dont il sera question

dans la seconde partie de ce mémoire. Le tourisme s’est donc inséré de manière

progressive dans les sociétés. L’équipe MIT insiste sur le fait que chaque système ne

chasse pas le précédent à son arrivée, mais qu’il existe plutôt un chevauchement, qui

montre la complexité du système touristique. Cependant, même si ces systèmes

cohabitent, on voit se profiler un refus du tourisme de masse. Ainsi, une fois qu’on a

inventé un modèle entièrement préconçu, le tourisme de masse, « d’autres touristes,

s’ingéniaient à s’en détourner pour un ailleurs plus mystérieux et bricolé27. » Le touriste

tente ainsi de s’échapper de « l’univers aseptisé conçu pour lui28. » Peu à peu, en

opposition au tourisme de masse, on voit se développer de nouvelles tendances du

tourisme, dans la continuité de ce quatrième système, qui remet l’individu au cœur du

tourisme.

26 Ibid.

27 MIT, Tourismes 2, op. cit.

28 Ibid.

Page 17: Le voyage aventure

17

1.3 Le rejet du tourisme de masse et l’apparition de nouvelles

tendances

La mobilité touristique a pris une ampleur telle qu’on ne peut plus la négliger aujourd’hui.

Selon Doquet et Evrard29, pendant longtemps, « deux attitudes ont prévalu au sein des

sciences sociales, notamment francophones, à l’égard de ce phénomène. La première

considérait le tourisme comme un objet mineur, sinon trivial ; la seconde y voyait la

simple extension de rapports commerciaux à de nouveaux secteurs de la vie sociale et,

ou, de société. » Aujourd’hui, le tourisme ne peut plus être ignoré, nous l’avons vu en

retraçant son évolution. Il est devenu une réalité économique, sociale et politique pour

l’ensemble des pays. Sous l’influence de la mondialisation en cours, on voit se dessiner de

nouvelles tendances touristiques.

L’équipe MIT, à nouveau, a travaillé sur le rejet du tourisme de masse. Ils expliquent que

« nombreux sont ceux qui préconisent et souhaitent la mort du tourisme de masse. Un

« tourisme culturel » ou « tourisme éthique » viendrait alors le remplacer30. » En 2000,

une journaliste, Marjorie Alessandrini, écrit ainsi : « En l’an 2000, le tourisme de masse a

fait son temps. On rêve de voyage comme d’un accomplissement individuel, mais dans

un souci éthique. En quête d’émotions, de rencontres avec des paysages, des cultures et

des langages.31 » Elle ajoute également : « En l’an 2000, on s’interroge sur un tourisme

respectueux de l’autre. On aimerait bien aussi, nous les nantis, ne pas partir seulement

pour un plaisir égoïste. Mais pour témoigner d’une certaine forme de solidarité32. » Puis ;

« en l’an 2000 on se veut nomade. On part en train ou en croisière, sur les fleuves ou les

océans : à l’ère de la vitesse, on redécouvre les délices de la lenteur. On se perd dans le

silence infini des déserts. *…+ On s’abandonne à la fascination de l’Asie, le continent des

origines, étrange, familier. *…+ En l’an 2000, on a le souci de l’écologie. On recherche le

contact avec la nature, mais on aime aussi qu’elle soit civilisée : dormir dans une tente au

29 DOQUET A et EVRARD O, « Tourisme, mobilités et altérités contemporaines », Civilisations n°57, 2008

30 MIT, Tourismes 1, op. cit.

31 ALESSANDRINI M, Le Nouvel observateur, n°1877, 19 au 25 octobre 2000, supplément voyage

32 Ibid.

Page 18: Le voyage aventure

18

pied de l’Atlas, quel bonheur ! surtout si sur le sol sont étalés des tapis précieux. Le

voyage fait partie de tout un art de vivre. » Ainsi, dès l’an 2000, le rejet du tourisme de

masse s’accompagne de l’apparition de nouvelles tendances. Elles sont confirmées

quelques années après. En mars 2006, le Figaro a fait part d’une étude sur les touristes du

futur33, effectuée par Cendant Travel Distribution Services et la Future Foundation du

groupe Experian. Plusieurs lignes fortes s’en dégagent et sont retranscrites par la

journaliste. Tout d'abord, « on ne partira plus une ou deux fois par an (vacances d'été et

ski), mais plutôt quatre fois. *…+ Les consommateurs voudront aussi “quatre expériences

très différentes” ». Les voyagistes devront donc s’adapter à cette évolution : « Les

voyageurs occidentaux, en quête d'“expériences nouvelles uniques”, délaisseront les

traditionnelles vacances à la plage fly and flop (avion-plage). Il faudra leur incorporer des

éléments culturels, éducatifs, de développement personnel, de l'authenticité et répondre

aux besoins variés d'une famille comptant plusieurs générations. « Déjà aujourd'hui, on se

différencie de plus en plus par ce qu'on fait plutôt que par ce qu'on achète », constate la

Future Foundation. » Une dernière tendance forte s’impose : c’est la préoccupation d’un

tourisme plus responsable et plus soucieux de l’environnement. « De produit de niche, il

va devenir une nécessité34. » Soyons clairs, cela ne symbolise pas la fin du tourisme de

masse, car une nouvelle vague de consommateurs chinois, brésiliens, etc. est en train

d’émerger. L’urbaniste Thierry Paquot écrit : « Rompre avec le tourisme de masse ne

revient pas à le moraliser *…+ mais à s’y opposer et à préconiser le voyage, et le temps et

l’espace qui vont avec35. » Jean-Pierre Lamic s’interroge : « comment concilier tourisme

responsable, multiplication des départs et courts séjours, incitations permanents au

déplacement, juxtapositions d’expériences uniques s’apparentant à un zapping

permanent ? »36 Il fait le constat suivant : « Depuis les vingt dernières années, force est de

constater que ces produits ont été légion : tourisme d’aventure, voyages à la carte, en

famille, de même que les loisirs sportifs en vogue : canyoning, rafting, hydro-speed, snow-

33 FAY S, « Portraits des touristes du futur », Le Figaro (rubrique L’actualité économique), 4 mars 2006

34 Propos recueillis par Sophie Fay, le Figaro, ibid.

35 Propos tenus par Thierry PAQUOT dans Le Monde diplomatique de juillet 2001

36 LAMIC J-P, Le tourisme durable : utopie ou réalité ? , Paris, L’Harmattan, 2008

Page 19: Le voyage aventure

19

board, surf… » Pour Lamic, le tourisme s’envisage dans l’avenir en réfléchissant

« localement et individuellement à chacune des conséquences de ses gestes et actes

d’achat ». « Cette assertion se vérifie particulièrement au sein des voyagistes d’aventure

dont le développement récent bouleverse l’échiquier touristique. *…+ Certaines agences

affichent des taux de croissance annuels supérieurs à 30 %, preuve qu’il s’agit là d’un

véritable phénomène de société. » On assiste donc à l’apparition de nouvelles formes de

tourisme qui tendent à se définir en opposition au tourisme de masse et dont le voyage

aventure fait partie.

CHAPITRE 2 : LEXICOLOGIE

On trouve des définitions très différentes d’un « voyage aventure » selon les tours

opérateurs. Dans tous les cas, notre étude traite d’un forfait touristique où l’on associe

généralement un déplacement qui renvoie à la mobilité dite « douce », à savoir souvent

la marche, mais aussi, le canoë, le vélo, le dromadaire, l’équitation, la pirogue etc. On

associe également au voyage aventure la découverte « active » d’une région. J-P Lamic

définit la découverte « active » en opposition à une découverte « passive » qu’il décrit par

l’exemple suivant, très stéréotypé : « Nous avons tous à l’esprit ces autocars qui

marquent l’arrêt photo obligatoire et déversent à intervalles réguliers des cohortes de

touristes, certains plus préoccupés par le bon fonctionnement de leur appareil photo,

l’emplacement des toilettes et la composition du repas, que par le site prévu au

programme. »37 Alors qu’une découverte « active » serait « pénétrer un espace, le vivre,

aidé de ses cinq sens ». Cette notion est vague et l’on peut y associer beaucoup de

choses. Ce type de voyage puise justement sa force dans le flou de sa définition. Enoncer

une définition claire risquerait d’établir un carcan qui limiterait certaines actions. Nous

appellerons donc le type de voyage sur lequel nous travaillons le « voyage aventure ». Il

paraît important dans un premier temps, toujours sans donner de définition claire, de

comprendre ce qui se cache derrière l’expression « voyage aventure ».

37 LAMIC, ibid.

Page 20: Le voyage aventure

20

2.1 Voyageur versus touriste

Intéressons nous en premier lieu à la notion de « voyage ». Pour Roger Brunet, le voyage

représente « un déplacement, en principe avec retour ». Pour lui, « l’ensemble des

voyages forment le tourisme ». Le tourisme serait donc fait de voyages. Il explique ensuite

que le voyage a ses limites, notamment pour les poètes du XIXe siècle, où l’on retrouve

des citations telles que : « Amer savoir celui qu’on tire du voyage » (Baudelaire, Les Fleurs

du mal). « Avec le temps, la passion des grands voyages s’éteint » (Nerval, Les Nuits

d’octobre). « Je ne voyage plus *…+ je peux l’arranger moi-même, leur pays » (H. Michaux,

Plis). « Qu’en dis-tu, voyageur des pays et des gares ? / Du moins as-tu cueilli l’ennui,

puisqu’il est mûr » (Verlaine, Sagesse). R. Brunet ajoute ensuite : « il est vrai qu’en anglais

“travel” vient du mot “travail”, dont on sait la pénible origine *…+. De nombreux voyages

sont d’ailleurs sans retour, et les émigrés partis des campagnes de l’Ouest vers le Canada,

ou d’Irlande aux Etats-Unis, avaient leur propre conception du voyage. On trouve une

connotation assez dure du terme « voyage ». Dès le XIXe siècle, en Europe, « le mépris

antitouristique est déjà présent. En France, en Suisse, en Italie, c’est le voyageur anglais

qui en est l’objet principal38. » Cette image négative ne faiblira plus jusqu’à aujourd’hui.

Au XXIe siècle, et même dès la fin du XXe, le voyage semble se redéfinir de plus en plus en

opposition au tourisme. Être un voyageur aujourd’hui est bien plus valorisant qu’être un

touriste. « Le touriste, c’est celui qu’on croise au cours de ses déplacements à soi, qui,

bien sûr, ne sont jamais touristiques. Le touriste est un être forcément moutonnier,

imbécile, et dont il est convenu, entre gens bien, de moquer le ridicule39. » Sylvie Brunel

peint à travers ses chroniques, un portrait de cet être mal vu, qu’est le touriste. Jean-

Didier Urbain40 a beaucoup travaillé sur l’opposition de ces deux notions que l’on

retrouve dans son ouvrage L’Idiot du voyage, qui, par son titre, annonce déjà le portrait

de ce « héros complexé » dont il est question. On montre en effet souvent une image

stéréotypée du touriste, ridicule, dont lui-même finit par avoir honte : « Il regarda

38 URBAIN J-D, L’Idiot du voyage, petite bibliothèque Payot, 2002

39 BRUNEL S, La Planète disneylandisée, Sciences Humaines Editions, 2006

40 URBAIN J-D, L’Idiot du voyage, op. cit.

Page 21: Le voyage aventure

21

perplexe l’œil rond de son “reflex”. Un visage apparut, le sien, avec un gros nez rouge

brûlé par le soleil qui le surmontaient, opaque, un binocle batracien et un petit “bob”

blanc ». Avec un trait d’humour, Urbain41 montre un stéréotype qui existe réellement

dans notre société et qui fait que pour certains, « être touriste *…+ est une perspective

insupportable ». « Touriste » est devenu un terme qui « porte atteinte à la dignité du

voyageur. Et si l’indigène l’emploie fréquemment en ce sens, le touriste aussi, pour parler

de ses semblables ». Puisque en effet, nous en conviendrons, le touriste, c’est l’autre.

« Touriste » est donc un terme péjoratif. Pour Urbain, il « dépouille dans l’instant le

voyageur de sa qualité principale : voyager ». Puisque le touriste ne voyage pas, lui, il ne

fait que passer. Le tourisme compte parce parfois il peut être vu comme une ressource

économique. Mais les touristes, eux sont vus comme une invasion : « C’est une invasion.

Par hordes barbares et marées cannibales, elle dévore, empoisonne, colonise, assassine

les espaces et les traditions », affirme à nouveau Urbain. On va retrouver au sein de la

classe touristique, une réelle « discrimination catégorielle ». Le voyage va se démarquer

du tourisme, du fait que celui-ci fait référence à l’ « authenticité42 » alors que le tourisme

ne serait finalement qu’ « une vaste opération de falsification du monde qui, au fil de

l’aménagement matériel et humain de son infrastructure, déforme tout et toujours plus».

Le touriste et le voyageur se définissent ainsi à travers un miroir, où l’un serait le double

non complexé de l’autre. On retrouve ici la notion de « complexe du faux » dont parle

Urbain à propos du touriste. Si l’on en croit ses démonstrations, il semblerait que les

voyageurs qui font l’objet de notre étude soient ici de la strate supérieure de la

population vacancière. Les voyages dont nous traitons, permettent finalement aux

touristes de se distinguer, puisqu’ils se situent sur une haute échelle de valeur « qui va du

vrai au faux voyage », mais aussi de se distinguer financièrement puisque les voyages que

nous étudions se situent minimum à 1 000 euros la semaine. Nous voyons donc un

voyageur qui tend à se distinguer d’un simple touriste. De plus, dans ce type de pratiques

touristiques, le terme « tourisme » n’est jamais employé, il est remplacé par le terme

« voyage ». On le retrouve tout d’abord dans le nom des tours opérateurs concernés :

Voyageurs du monde, Nomade Aventure, Terres d’Aventure, Chemins de Sables, Cavaliers 41 URBAIN J-D, Ibid.

42 Voir supra, chap. 3.

Page 22: Le voyage aventure

22

du Monde, la Balaguère (vent venant du Sahara), Terres Voyages, Comptoir des voyages,

Voyager Autrement, Club Aventure, Atalante (petite planète), Allibert Trekking. Nous

sommes là dans un champ lexical qui fait référence au monde et à la terre dans le sens de

surface sur laquelle on marche. On retrouve donc cette notion de marche (chemins,

terres, sable, trekking), de vagabondage (nomade, cavaliers), mais aussi d’aventure

alternative (aventure, autrement). Ces noms font donc référence au voyage et non au

tourisme ou aux vacances. Ils s’adressent ainsi à des voyageurs et non pas à des touristes.

Ces agences vendent pourtant du tourisme ; comme le dit Marc Augé, « Voyager, oui, il

faut voyager, il faudrait voyager. Mais surtout ne pas faire du tourisme. Ces agences qui

quadrillent la terre, qui l’ont divisée en parcours, en séjours, en clubs soigneusement

préservés de toute proximité sociale abusive, qui ont fait de la nature un “produit”,

comme d’autres voudraient faire de la littérature et de l’art, sont les premières

responsables de la mise en fiction du Monde, de sa déréalisation d’apparence *…+. Le

Monde existe encore en sa diversité. Mais celle-ci a peu à voir avec le kaléidoscope

illusoire du tourisme.43 »

2.2 D’aventures en aventures : une balade nommée trekking

Voyons maintenant ce que signifie le terme « aventure » au sens large. Selon Nelly

Andrieux-Reix44, c’est un nom féminin emprunté au latin populaire « adventura », pluriel

neutre, devenu substantif féminin singulier, du participe futur « adventurum », de

« advenire » (« se produire »). Il prend une première signification en ancien français : son

sens initial est « sort », « destin », il est voisin de celui d’ « avenir ». Au début du XIIe

siècle, l’ « aventure » s'est dit aussi pour « hasard » : il en subsiste l'expression « bonne

aventure » (XVe siècle) dans le contexte de la prédiction. Mais le terme aventure peut

aussi avoir le sens de « danger » dans l'expression « se mettre en aventure ». Dès le XIe

siècle, ce terme a pris une nuance particulière, celle d'un événement inattendu,

accidentel avec des expressions du type « par aventure » et « d'aventure ». On retrouve

43 AUGE M, L’Impossible voyage, Payot & Rivages, 1997

44 ANDRIEUX-REIX N, Ancien français, fiches de vocabulaire, PUF, 2004.

Page 23: Le voyage aventure

23

alors le sens d' « action extraordinaire mêlant le danger et le plaisir de la découverte » qui

apparaît avec les romans de chevalerie (XIIe siècle), fréquent au pluriel et en emploi

absolu (« l’aventure »). On a donc une évolution de ce terme jusqu’au français moderne.

Le mot conserve l'idée de « hasard » : « s'exposer à des aventures diverses ». Toujours

selon cet auteur on y retrouve le sens de "danger" investit d'autres valeurs au XVIIe siècle

: « danger du voyage », « exploration de terres inconnues » ; puis, au XIXe siècle :

« risque physique par l'imaginaire collectif ». « Avoir l'esprit d'aventure » signifie la

recherche du nouveau, de l'extraordinaire. Nous retiendrons donc l’aventure du voyage

et la recherche du nouveau.

Il paraît alors intéressant de s’intéresser à la définition que donne les géographes du

terme « aventure ». Pour cela nous nous baserons sur la définition de Roger Brunet. Pour

lui, l’aventure est « essentiel dans le mouvement de la géographie : l’esprit d’aventure a

fait les explorations, les grandes découvertes, les nouveaux espaces de l’innovation, de

l’émigration et de l’exode, les espaces pionniers, la conquête des territoires, les nouvelles

frontières45. » Cette aventure apparaît alors comme nécessaire pour aller de l’avant. Elle

est également nécessaire pour aller au-delà d’un simple voyage avec de simples pratiques

touristiques (visite de sites et monuments connus, plage, etc.). Il définit également

l’expression « à l’aventure » : « en errant, sans itinéraire tracé ou préétabli ». Si l’on se

tient à cette expression, le voyage aventure qui fait l’objet de cette étude, ne fait en

aucun cas référence à l’expression « partir à l’aventure », puisque nous le verrons, les

itinéraires sont étudiés avec pertinence et préétablis par des professionnels. Le voyage

aventure ferait donc référence à une autre forme d’aventure. Il s’agira au cours de notre

étude, de comprendre laquelle.

Nous retiendrons de ces définitions une chose évidente : dans notre cas le voyage ne

comprend en rien un risque ou un danger, mais fait croire au touriste à un côté

aventureux, dans le sens où, bien souvent, on assiste, on le verra par la suite, à des nuits

en campement sauvage, dans des endroits insolites. Pour autant, cette « aventure » ne

contient aucun risque et s’adresse d’ailleurs aussi aux enfants et aux personnes qui ne

45 BRUNET R, FERRAS R, THERY H, Les Mots de la géographie, La Documentation Française, 2006

Page 24: Le voyage aventure

24

sont pas sportives, les différentes brochures le montrent bien, notamment par

l’accessibilité des « treks » qui ressemblent finalement plus à une balade. Une grande

partie de ces voyages se font à pied, on parlera dans ce cas de trek ou trekking. Le trek est

une forme de voyage très particulière et qui vise une niche, dans le sens où il s’agit de

randonnée. A travers les brochures, nous allons voir et tenter de comprendre à qui

s’adresse ces treks. La difficulté est notée avec une échelle très variable d’un tour

opérateur à l’autre, ce qui ne facilite pas le choix du voyage pour le touriste. Par exemple,

un touriste ayant effectué un trek niveau 2 avec Point Afrique ne peut pas forcément

prétendre effectuer un trek de niveau 2 avec Allibert Trekking. Il n’y a donc pas

d’harmonisation entre les différents TO. Les treks les plus accessibles comportent en

moyenne des marches de moins de 4 heures par jour.

Etude du niveau de difficulté minimal pour les treks :

Terres d’aventure46 : notation : 1 chaussure sur 5 : « Niveau facile. Voyages avec 1 à 4

heures de marche par jour environ, avec un faible dénivelé. Aucun entraînement

spécifique ». La brochure montre concrètement l’accessibilité du voyage.

Atalante47 : notation : 3 niveaux proposés, le niveau le plus faible est appelé Epicure, et

est décrit de la sorte :

« - Temps d’activité : 1 à 5 h de marche par jour

- Jours consécutifs d’activité : de 1 à 3 jours

- Dénivelé moyen par jour : faible

- Altitude maximum : 3 000m

- Portage : aucun

- Climat : souvent clément et agréable

- Engagement : c’est une initiation à l’activité choisie, vous n’êtes pas

complètement isolé

46 TERRES D’AVENTURE circuits accompagnés Automne Hiver 2010/2011

47 ATALANTE, Guide du trek 2011

Page 25: Le voyage aventure

25

- Préparation : préparez vous le mois précédent votre départ avec une activité

physique hebdomadaire. »

Pour Atalante, la donne n’est pas la même, au vue de cette description, il semble que le

voyage soit déjà moins accessible à tout le monde et puisse repousser quelques touristes,

notamment à la lecture de l’altitude maximum 3 000m, mais aussi à la phrase expliquant

qu’il faut une préparation physique au voyage.

Nomade Aventure48 : 4 classes de niveaux : « tranquille, dynamique, sportif, sportif + ».

Voyons maintenant à qui s’adresse le niveau tranquille : « Vous voulez partir, découvrir

d’autres terres, à votre rythme sans trop vous fatiguer … Dans ces voyages, vous mêlerez

approches à pied (par tranche de 2 h à 4 h, pas forcément quotidiennes) et en véhicule.

En un mot : des formules avec peu de dénivelé, accessibles à toute personne habituée à

la marche. » Ce type de voyage semble très accessible, on retiendra d’ailleurs la

nomination « tranquille ». Il faut cependant être habitué à la marche.

Allibert trekking49 : Les niveaux vont ici de 1 à 8, ils offrent donc une gamme de voyages

bien plus large que les précédents. Le niveau 1 est appelé « découverte ». Il est décrit

ainsi : « Pour découvrir les sites les plus intéressants du pays ou de la région. Balades

faciles à la journée, avec assistance de véhicule et/ou hébergements fixes. Marche de

moins de 4 h par jour sur chemin, piste ou sentier, accessible à toute personne aimant la

marche et en bonne forme physique. » Le fait d’avoir un éventail de niveau assez large

nous fait automatiquement penser que le niveau 1 est accessible à tout le monde. Le

terme « balade » est un exemple flagrant de l’accessibilité du voyage, tout comme

l’expression « toute personne aimant la marche », aimer la marche ne signifie en aucun

cas la pratiquer. En revanche, la description se finit une nouvelle fois par la mention de la

« bonne » forme physique. Là aussi, la définition reste très large et très subjective.

Point Afrique50 : Ce TO a mis en place des « circuits famille », de 7 à 77 ans. Les

randonnées sont adaptées aux enfants, avec par exemple un chameau de selle pour

48 NOMADE AVENTURE, Automne hiver 2010-2011

49 ALLIBERT TREKKING, Le Monde à pied 2011

50 POINT AFRIQUE, Hiver printemps 2010-2011

Page 26: Le voyage aventure

26

chaque enfant dans le désert mauritanien, ou encore une « randonnée facile

accompagnée par les ânes et charrettes pour le plus grand plaisir des bambins ». Ces

circuits là sont donc accessibles à n’importe quel touriste. Point Afrique a également mis

en place une agence spécialiste des voyages à vélo à travers l’Afrique de l’Ouest,

Afrikavélo. On distingue deux types de difficultés (1 bidon ou 2 bidons) dans les circuits à

vélo. La légende est la suivante : 1 bidon = cyclotourisme, 2 bidons = sportif. Hormis cette

légende, aucune autre explication ne figure. En revanche pour ce qui est du niveau des

treks, il est très mal expliqué dans la brochure. Je me suis donc référée au site internet

pour voir que Point Afrique propose 3 niveaux : pour tous, moyen, sportif. On peut

effectuer une recherche de circuits sur le site internet par niveau, selon ces trois critères.

Mais aucune autre information n’est donnée. La catégorie « pour tous » semble assez

explicite et donc accessible à tout le monde.

Pour synthétiser cette recherche, nous dirons que les TO s’appuient sur différents critères

d’accessibilité d’un voyage aventure de style trekking : la forme physique, la technique

requise, l’isolement et les conditions de vie (hébergement en tente, pas de douches etc.).

Ces voyages s’adressent donc à un large échantillon de personnes puisque les circuits les

plus accessibles nécessitent des conditions physiques basiques. En revanche, supporter

les conditions de vies proposées n’est pas donné à n’importe quel touriste. Les treks ne

sont pas des voyages axés sur le confort du touriste. Le trek ne s’adresse pas à un touriste

qui est à la recherche de repos et de confort pendant ses vacances. On notera que, bien

souvent, les voyages les plus accessibles en termes de condition physique (peu de

marche) sont aussi les voyages qui présentent les meilleures conditions de vie et de

confort (bivouacs ou grands campements équipés, petits hôtels). Par ailleurs, le fait qu’il y

ait des niveaux et des mises en garde peut rebuter le client à la lecture de la brochure.

L’aventure semble finalement très accessible physiquement, d’autant plus que celle-ci

n’est pas forcément un trek et se fait parfois en 4x4, en pirogue, en dromadaire, qui ne

demandent aucune prédisposition physique, et la majeure partie des voyages proposés

par ces TO ne sont pas d’une grande difficulté. Néanmoins, il est important de montrer au

touriste qu’il est en train d’effectuer une aventure « difficile » qui représente bien plus

qu’un voyage.

Page 27: Le voyage aventure

27

2.3 Les lieux de prédilection des voyages aventures

Afin de comprendre de quoi il parle, le géographe se doit de se poser la question :

« Où ? ». Il s’agit maintenant de s’interroger sur les lieux de ce type de tourisme. Selon

Lamic51, « le Sahara fut l’un des premiers déserts à accueillir des visiteurs et demeure le

premier pilier sur lequel reposent les voyages aventures. L’Atacama au Nord-Chili, le

Sinaï, le désert Blanc en Egypte, la Mongolie, la Namibie ont rejoint la liste des territoires

désertiques très prisés *…+. Les autres piliers historiques sont : le Pérou, le Haut-Atlas

marocain, le Népal, et l’Islande auxquels s’ajoutent à un degré moindre les grands parcs

animaliers d’Afrique de l’Est (Kenya Tanzanie), le pays Dogon (Mali), l’Ouest américain, la

Cappadoce et le Taurus en Turquie, la Crète et la Sicile. »

Au vu de l’exploration des différentes brochures52, les Pays du Sud semblent être des

destinations privilégiées du voyage aventure. Nous distinguerons, plusieurs grandes

zones géographiques :

L’Afrique semble est le continent le plus mentionné :

l’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Togo Benin), le Sahara (Mauritanie, Algérie),

l’Atlas marocain, l’Afrique australe (Kenya, Botswana).

L’Asie

L’Asie centrale est très présente (Ouzbekistan, Tadjikistan, Mongolie, Népal), le Moyen

Orient (Jordanie, Syrie), Inde, Thaïlande. La région de l’Himalaya est également

dominante, notamment pour tous les treks.

51 LAMIC J-P, Le tourisme durable : utopie ou réalité ? , Paris, L’Harmattan, 2008

52 ALLIBERT TREKKING, déserts du monde 2010-2011 ; ALLIBERT TREKKING Le monde à pied 2011 ;

ATALANTE Guide du trek 2011 ; CHEMINS DE SABLE 2010-2011 ; NOMADE AVENTURE Automne hiver 2010-

2011 ; POINT AFRIQUE Hiver printemps 2010-2011 ; TERRES D’AVENTURE circuits accompagnés Automne

hiver 2010/2011 ; VOYAGEURS DU MONDE Voyageurs en Afrique, 2011

Page 28: Le voyage aventure

28

L’Amérique du Sud

Amérique centrale et Amérique latine (Costa Rica, Nicaragua, Panama, Guatemala,

Honduras … ) Quasiment tous les pays d’Amérique latine sont présents.

Europe

Dans une moindre mesure, et seulement pour une partie des TO, nous trouvons des

voyages en Europe. Pour les nommer, Chemins de Sable et Point Afrique n’en effectuent

pas. On retrouve dans tous les catalogues commercialisent la destination Europe, des

pays comme la Turquie, l’Italie (la Sicile), les pays scandinaves, et l’Islande. On pourrait

alors se demander pourquoi l’Europe apparaît comme une destination secondaire dans le

voyage aventure ? L’aventure serait alors synonyme d’exotisation et doit forcément être

pensée aux marges de ce qui est commun ou encore à l’extérieur.

L’équipe de chercheurs MIT s’est également intéressée aux lieux du tourisme d’aventure,

ils ont ainsi constitué un tableau récapitulatif, intitulé « une certaine pratique du monde »

(cf. Annexe A), qui est le résultat de l’étude du catalogue 2002 de Terres d’Aventure. On

retrouve globalement les mêmes lieux qui figurent dans notre analyse.

Les déserts sont des lieux récurrents du voyage aventure. Cela peut en partie s’expliquer

du fait que le voyage aventure se pratique souvent à pied, et permet ainsi d’accéder à des

lieux insolites, mais surtout car le désert fait référence à un imaginaire très fort.

L’imaginaire est, selon Rachid Amirou53, « d’abord une évocation, il n’est pas une

connaissance. Ce n’est pas le monde des idées , de l’abstraction, mais celui des images,

des symboles et des figures ». La découverte touristique du désert s’inscrivait dans « le

prolongement des voyages en Orient et de la colonisation de l’Afrique du Nord54. » Cet

imaginaire date de la moitié du XIXe siècle et s’est nourri de nombreux récits et travaux

connus. L’équipe MIT cite ainsi Le Journal d’un voyage à Tombouctou de René Caillé

(1830), Un été dans le Sahara d’Eugène Fromentin (1857), Les Touaregs du Nord d’Henri

Duveyrier (1864), ou encore Le Désert de Pierre Loti (1895)… On a créé une réelle

53 AMIROU R, Imaginaire touristique et sociabilités du voyage, PUF, 1995

54 MIT, Tourismes 3, op. cit.

Page 29: Le voyage aventure

29

fascination pour ce territoire du vide. La découverte touristique du désert commence

réellement dans les années 1930. Pour l’équipe MIT le regard touristique « cristallisa les

images héritées des orientalistes et un esthétisme particulier se dégagea : les dunes

étaient comparées aux vagues de la mer et la luxuriance des oasis contrastait avec le

caractère à la fois grandiose et hostile du Sahara. Vide, le désert pouvait aussi nourrir des

attentes contradictoires : terrain d’aventure plein de dangers, il était aussi lieu de

dépouillement et de ressourcement ». Cette fascination du désert ne se limite pas aux

déserts chauds. « La conquête touristique des limites de l’écoumène concerne également

les déserts froids et glacés de la banquise ou de l’Antarctique qui sont autant de bouts du

monde, des lieux du vide, que le touriste investit de ses rêves et parcourt par différents

moyens. » Ces lieux du vide, que sont les déserts, sont donc pratiqués dans les voyages

aventures.

Si l’on parle maintenant en termes de pays, énormément sont présents. Nous

compterons principalement des pays que l’on qualifiera du Sud économique, sauf pour

Nomade Aventure qui exploite d’autres destinations (Europe, Amérique du Nord). On

pourrait alors se demander pourquoi ce type de voyage se fait dans des pays du Sud ? Il

s'agit bien souvent d'aller a la rencontre des peuples autochtones, ce type de voyage a

une portée ethnique, culturelle. On est ici dans la découverte de l'autre, de modes de vie

qui diffèrent totalement du notre, mais aussi et toujours dans la recherche de l'exotisme.

L'aventure humaine et ethnique n'est pas la même lorsqu'on est français et qu'on part à

la découverte de tribus Dogons, ou à la découverte de la Bavière. On privilégiera des

destinations plus éloignées socialement et culturellement de notre pays d'origine, et c'est

souvent le cas des pays du Sud, moins mondialisés, moins homogénéisés. Cependant il ne

s’agit pas de s’arrêter au pays, mais plutôt de voir à l’intérieur de ce pays où a lieu le

voyage aventure. Nous noterons qu’il ne se superpose jamais avec le tourisme de masse.

Par exemple, si l’on regarde le cas du Sénégal qui est un pays d’Afrique « touristifié », la

plus grande partie du tourisme sénégalais se fait sur la petite côte à Saly. On parle là d’un

tourisme balnéaire de masse avec de plus ou moins gros complexes hôteliers. On est dans

du tourisme de type « club de vacances ». Or, si l’on regarde les voyages aventures au

Sénégal, ils ne se situent pas sur la petite côte au niveau de Saly, mais soit plus au nord,

soit plus au sud. On trouvera au nord, beaucoup de voyages autour de Saint Louis, et sur

Page 30: Le voyage aventure

30

le fleuve Sénégal. Au sud, les voyages se concentrent dans la région du Siné Saloum située

au nord de la Gambie.

Le voyage aventure a donc lieu parfois dans des pays « touristifiés », mais pas dans les

principales régions touristiques de ce pays. Le voyage aventure se fait bien souvent dans

des lieux plus en retrait du tourisme et parfois difficiles d’accès. Notre typologie a montré

des lieux peu connus, où l’on ne va pas habituellement en voyage. On parlera alors de

lieux qui sortent de l’ordinaire et qui sont des lieux plus éloignés dans la pratique

touristique.

Le voyage aventure est donc un phénomène assez récent, qui tend à s’affirmer en

opposition à un tourisme de masse. C’est une pratique qui va permettre de faire une

différenciation sociale entre des touristes et des voyageurs. Le voyage aventure associe

des pratiques d’aventure aux voyageurs et non aux touristes. Il nous faut maintenant

nous interroger sur le rôle du TO qui conçoit et organise le voyage et la relation qu’il

instaure avec les voyageurs.

Page 31: Le voyage aventure

31

PARTIE 2 : MISE EN PLACE D’UNE STRATEGIE AUTOUR DE LA

RESPONSABILITE ET DE L’AVENTURE PAR LE TOUR OPERATEUR

Page 32: Le voyage aventure

32

CHAPITRE 1 : DE L’ART DE VENDRE UN « BON » ET « VRAI » VOYAGE

RESPONSABLE

Il convient ici de procéder méthodiquement à une analyse précise. Pour cela nous

travaillerons pour chaque catalogue, de la même manière. Tous les TO qui font l’objet de

notre étude se définissent comme « durables », « responsables » ou encore « solidaire »

et sont spécialistes de voyage aventure, de type trekking ou non. Ils visent une grande

partie de la population touristique en effectuant des voyages aventures assez larges et

accessibles, contrairement à des TO spécialisés dans les activités solidaires, humanitaires.

Il s’agit donc de la branche la plus accessible des TO d’aventure. Loin de l’entreprise

Thomas Cook dont il a été question plus tôt, ces nouveaux voyagistes se sont développés

depuis plusieurs années. Nos TO expliquent alors leur démarche responsable dans les

premières pages de leur catalogue. Nous noterons qu’un catalogue est fait pour être

vendeur. Des techniques de communication sont forcément utilisées. Cela ne veut pas

dire que cette démarche « responsable » est fausse et serait juste là pour être vendeuse.

Il s’agit de voir ce que les TO veulent faire ressortir. La rubrique « explication de notre

démarche durable » fait toujours l’objet d’une double page pour les TO choisis. Pour

chacun d’entre eux, nous analyserons dans un premier temps les photos et l’aspect plus

général, visuel de ces doubles pages. Puis dans un second temps nous verrons comment

le texte s’organise et nous nous appuierons sur le champ lexical utilisé et nous

constaterons les ressemblances dans le vocabulaire choisi. Néanmoins, pour le TO

Chemins de Sable, une première page vient juste avant l’explication de la démarche

responsable (Annexe B) et nous parait également très importante à analyser avant

d’aborder la double page explicative qui suit.

Page 33: Le voyage aventure

33

1.1 Analyse du discours responsable des tours opérateurs expliqué

dans leur brochure

1.1.1 Le cas de Chemins de Sable

On a une photo pleine page dans un format portrait, composé de 3 éléments principaux :

- Un patchwork de 29 groupes de mots ou petites phrases ou parfois même de mots,

avec une écriture différente, des tailles et des couleurs différentes. Le patchwork de mots

est mis au premier plan.

- un dessin en arrière-plan représentant un planisphère et des arbres. Les arbres

semblent prendre racine dans le planisphère. La photo est de couleur marron.

- une phrase en bas que l'on distinguera du patchwork de mots car cette phrase est plus

longue que les groupes de mots, elle a une construction (sujet, verbe, complément)

aboutie, et se situe en dehors du patchwork, tout en bas de la page.

Les couleurs : on retrouve majoritairement du marron (dessin + majorité des mots du

patchwork + dernière phrase). Les autres mots ou groupes de mots du patchwork sont

écrits dans une palette de couleur qui va du vert au violet foncé en passant par toutes les

nuances de marron possibles. Nous noterons également que le fond de cette image est

de couleur beige avec une texture granuleuse qui fait penser à du sable. En général, les

couleurs que l'on retrouve sont celles qui représentent la terre, la nature, l'Afrique et

l'environnement. L'image semble fonctionner avec le texte dans une relation de

complémentarité.

Essayons maintenant d'analyser les mots utilisés dans le patchwork et de les regrouper en

famille.

Développement Soutien à des projets de développement, éducation, santé,

retombées économiques locales, solidarité, amélioration des

conditions de vie des populations

Population Respect des habitants, ouverture à l'autre, tisser des liens

chaleureux, populations, ethnies, tolérance, échange, rencontrer,

Page 34: Le voyage aventure

34

partager, découverte des coutumes

Nature Nature, beauté

Tourisme durable Tourisme durable, compensation carbone, respect de

l'environnement, voyage éco citoyen, équité, prise de

conscience, convictions

Aventure Hors des sentiers battus, dépaysement, immersion, authenticité

Ces mots ou groupes de mots n'ont pas la même taille. Les mots les plus grands sont ceux

que l'on voit d'abord et sont : populations et tourisme durable.

Il nous faut maintenant comprendre et analyser la phrase finale qui se situe en bas de

page : « Nous nous engageons avec vous en faveur d'un tourisme responsable et

solidaire, respectueux des hommes et de la planète. »

Il y a une idée forte d'engagement entre le TO et les clients (« nous » « vous »). Nous

retiendrons surtout la préposition « avec » qui montre un engagement ensemble, au

même niveau, dans une relation horizontale, gagnante-gagnante. Cet engagement se fait

« en faveur », pour un tourisme qui est qualifié de 4 adjectifs. Le tourisme est dit :

- responsable,

- solidaire,

- respectueux des hommes,

- respectueux de l'environnement.

La notion de respect est évoquée deux fois au niveau de la société et de l'environnement.

On retrouve là deux piliers du développement durable. Le tourisme est également qualifié

de responsable et solidaire. On peut comprendre ici un lien avec le troisième pilier du

développement durable à savoir le pilier économique. Finalement, le tourisme décrit dans

cette phrase semble correspondre à un tourisme durable.

Page 35: Le voyage aventure

35

Intéressons nous maintenant à la double page qui explique la démarche responsable de

Chemins de Sable (Annexe C). La page de gauche est intitulée « Voyager responsable... »

et correspond à une définition du voyage responsable. La page de droite quant à elle est

intitulée « Nos engagements et nos valeurs ». On retrouve en fond six photos, trois dans

chaque page. Nous noterons que nous trouvons ici des photos et non pas des dessins ;

selon Jean Didier Urbain, les photos consistent à signer « un contrat de vérité » avec le

lecteur. On n’est plus dans la simple image, mais dans la réalité. Et la réalité qui est

montrée ici, chez Chemins de Sable mais aussi chez les autres TO et très particulière et

fait appel aux valeurs du touriste. Dans la page de gauche les trois photos sont en

filigrane, et représentent toutes les trois des femmes, d'origines différentes. Une femme

africaine en haut qui est en train de travailler, une femme asiatique en bas et une petite

fille qui pourrait être latino-américaine. Sur la page de droite on trouve trois photos : une

représente trois enfants qui semblent être des jeunes moines tibétains, une autre

représente un homme d'un certain âge, qui pourrait être africain ou indien, assis devant

son commerce. La dernière photo représente un éléphant et un coucher de soleil. Ces six

photos évoquent la diversité puisque les personnes mises en scène sont toutes d'origines

différentes. Elles sont également un reflet de ce que présente le catalogue. On retrouve

également l'idée de montrer la « vraie vie » (l'homme assis devant son commerce, la

femme africaine qui travaille). Nous noterons que tout le catalogue possède la même

police de caractère et les mêmes couleurs (gamme de marron) et le fond beige sable est

présent partout. On retrouvera tout le long l'idée de terre, d'Afrique, de nature,

d'authenticité et de population. Le tour opérateur cherche ici à montrer qu’il vend un vrai

voyage, qui montre la réalité de la vie. D’ailleurs il n’hésite pas à mettre en scène la

pauvreté en présentant ces photos.

L'entreprise Chemins de sable se définit comme « responsable » et explique ce terme

dans les premières pages de sa brochure : « Responsable car nous élaborons des voyages

axés sur la connaissance des réalités économiques, culturelles et sociales des pays visités

et que nous nous efforçons de réduire notre empreinte écologique ». Cette définition

semble plus s'apparenter à celle d'un tourisme durable qu'à celle de la responsabilité. Le

terme « responsable » est cité onze fois sur cette double page. Il rejoint les termes

« durable » cité deux fois, « équitable » cité cinq fois, et « solidaire » cité sept fois. Ces

Page 36: Le voyage aventure

36

termes sont juxtaposés dans des phrases ou encore tout simplement disposés en titre,

séparés par des barres obliques. Ces termes sont répétés et mélangés. On est dans des

définitions très floues et larges de concepts scientifiques précis. Chemins de Sable n’est

pas le seul TO à procéder de la sorte.

1.1.2 Le cas de Nomade Aventure

On retrouve dans la double page de présentation de la démarche de Nomade Aventure

(Annexe D), le même fond beige sable que chez Chemins de Sable, et la même couleur

des caractères : marron. On est toujours dans de la communication sur la terre, le sable,

la nature et l’Afrique.

Nous noterons que Nomade Aventure et le seul de nos TO qui propose des voyages autre

part que dans un pays du Sud, en l’occurrence en Europe, et pourtant les images choisies

pour accompagner cette double page sont des photos de pays du Sud et plus

particulièrement d’Afrique. Le voyage aventure responsable se retrouve une fois de plus

associé au continent africain. Le continent africain semble être choisi chez tout ces TO car

il est associé dans l’imaginaire des gens à un tourisme d’aventure responsable, alors que

beaucoup d’autres voyages responsables sont menés en Asie ou en Amérique latine. Le

TO préférera ainsi communiquer sur l’Afrique, certainement car le continent africain

symbolise la pauvreté et la nécessité de développement. Sur cette double page on trouve

trois photos, deux sur la page de gauche et une sur la page de droite. Chez Nomade

Aventure encore plus que chez Chemins de Sable les photos apparaissent comme un

« contrat de vérité » car elles ne sont pas en filigrane, avec des encadrements fondus etc.

Elles sont posées telles quelles, rectangulaires, comme si elles sortaient directement d’un

appareil photo qui pourrait être celui du lecteur. La photo de droite montre une culture

de plantes vertes dans la mangrove (on comprend après lecture qu’il s’agit de palétuviers)

et symbolise la nature par les plantes photographiées, la couleur verte et l’eau. Les deux

autres photos, de la page de gauche, exposent la population qui travaille. La première

montre des hommes portant des sacs, qui semblent être lourds, sur leur tête. On

retrouve grâce à cette photo l’idée de souffrance physique et de travail pénible, où il faut

porter des charges en plein soleil. En arrière-plan de cette image on voit un arbre sur une

île avec une végétation verte, toujours dans l’idée de garder un esprit « nature ». La

Page 37: Le voyage aventure

37

seconde photo de cette page montre un groupe de femmes et d’adolescents en train de

travailler à la cueillette de piments. On a toujours cette idée de vérité, de « vraie vie », et

surtout d’enfants qui travaillent, synonyme de pauvreté. Pour ce qui est du texte

explicatif, il est très différent dans la forme des autres TO, mais sensiblement similaire au

niveau du fond. Le texte est « mis en scène » comme un interview, où un voyageur pose

des questions à un certain « Olivier » qui semble être la personne chargée de durabilité et

tourisme responsable chez Nomade. Les questions qui sont posées dans cet « interview »

sont donc similaires aux questions que se posent un touriste sur ces démarches

responsables. L’interview essaie ainsi d’éclairer le lecteur. Le premier paragraphe pose un

décor assez direct : « “Voyager autrement” c’est tendance. On parle de tourisme durable,

solidaire, responsable, équitable… esprit ATR… ? Dans cette jungle d’informations, il y a

de quoi perdre le nord ! Alors essayons d’y voir plus clair grâce à l’interview d’Olivier,

spécialiste de toutes ces questions chez Nomade. Vous comprendrez ainsi que notre

engagement, ce n’est pas que du blabla, car il est important de dire ce que l’on fait mais

surtout de faire ce que l’on dit. » Puis, sur la double page qui explique la démarche

responsable, le lecteur se retrouve perdu entre des sommes qui ne sont pas

représentatives pour lui et les différents noms d’associations énoncés. « Nomade a versé

à la fondation la somme de 32 500 euros », grâce auquel « 37 millions de palétuviers ont

déjà été plantés depuis 2006 ». Après le Sénégal, c’est la Bolivie qui est citée avec un

projet de développement du tourisme via « la communauté andine ». « Ainsi en 2009-

2010, nous avons financé à hauteur de 8 000 euros la mise en place de structures

d’accueil et de programmes de formation. » Beaucoup de sommes d’argents sont citées

ainsi, sans vraiment comprendre ce que représente le montant, ni pour l’entreprise dont

on ignore le résultat net d’exploitation, ni pour ce type de projet, qui n’est en aucun cas

développé et dont le touriste ignore le coût. Le touriste lit donc en l’espace d’une double

page, de nombreux noms d’associations qui lui sont inconnues, mais aussi beaucoup de

sommes d’un montant élevé mais qui ne représentent rien de concret. De plus, à travers

ce descriptif qui nous permettrait « d’y voir plus clair », on retrouve exactement la même

multitude de termes que chez Chemins de Sable, étalés et répétés afin que le destinataire

les ait bien saisis, mais pourtant ils ne sont pas définis, sauf le terme « responsable » :

« Voyager responsable, c’est avant tout respecter la dignité des gens, pour nous c’est la

Page 38: Le voyage aventure

38

base de la base… C’est porter attention au pays que vous visitez, aux hommes, à leurs

cultures et à leurs modes de vie, en laissant le minimum d’impacts sur l’environnement.

» La notion de respect est introduite mais pas définie. Selon Nomade, la responsabilité

dans le voyage renvoie avant tout au respect, et plus particulièrement au respect « de la

dignité des gens ». Il y a donc dans ce type de voyage, un rapport humain et social très

fort entre le touriste et l’autochtone. On retiendra également le fait de « porter attention

au pays *…+, aux hommes, à leurs cultures et à leurs modes de vie ». Quand on voyage

responsable, on ne fait pas que voir les choses, on les regarde. On y porte une attention

particulière, on s’y intéresse. Cela signifierait que lorsque l’on voyage, tout simplement,

sans objectif, on ne s’intéresse pas aux choses que l’on voit et aux hommes que l’on

rencontre. Pour finir, la dernière partie de cette définition est très importante « en

laissant le minimum d’impacts sur l’environnement ». Cette phrase renvoie

incontestablement à la notion de durabilité, qui répond à des besoins présents sans

compromettre la capacité des générations futures à répondre à ces mêmes besoins, donc

sans impacter sur les générations futures. Le terme impact est très souvent lié à

l’environnement et possède une connotation très négative, alors que l’impact peut être

positif par sa définition. Cette définition est à la fois très floue et très ciblée, elle a

indubitablement une dimension anthropologique, où le voyage responsable se référerait

avant tout à quelque chose d’humain, mais aussi une dimension durable, puisqu’il s’agit

de s’intéresser à la société et à l’environnement. Il nous manque ainsi le volet

économique du développement durable. On notera comme pour Chemins de Sable que

les termes du champ lexical du voyage responsable sont cités une multitude de fois : le

terme « responsable » est cité treize fois, « durable » trois fois, « équitable » deux fois et

« solidaire » quatre fois. Encore une fois on répète ces termes pour que le lecteur les

enregistre mais pourtant la majorité d’entre eux ne sont toujours pas définis.

1.1.3 Le cas d’Allibert trekking

Dans ce catalogue (Annexe E), on ne retrouve pas un fond beige sable, mais plutôt gris

clair, provenant d’un papier recyclé. La double page possède deux photos, une sur chaque

page et du texte organisé en colonnes. On trouve également plusieurs logos avec des

encadrés les expliquant, mais aussi la photo du portrait de la personne en charge de

Page 39: Le voyage aventure

39

tourisme responsable, Simone Allibert. On a donc à première vue beaucoup

d’informations qui sautent aux yeux. Si l’on se concentre d’abord sur les photos, on voit

que la première représente un Africain portant un chèche touareg traditionnel indigo en

train de remplir un bidon d’eau. Il semblerait que l’homme soit au bord d’un lac. On

retrouve encore et toujours cette idée de montrer la population africaine qui travaille.

Tous ces TO choisissent de montrer des photos de population africaine, même s’ils

proposent tous des voyages également en Asie et en Amérique du Sud, l’Afrique est

toujours choisie pour illustrer la démarche responsable. Il s’agit d’essayer de comprendre

pourquoi ? L’Afrique et notamment les photos choisies symbolisent la pauvreté. Le travail

de ces populations fait référence au développement. Les TO souhaitent, par les photos de

travailleurs africains, symboliser l’aide au développement par le voyage. Ils essaient ainsi

de montrer que grâce aux financements divers reversés, aux différents projets mis en

place, aux associations parrainées, l’Afrique se développe. On pourrait presque

comprendre que si ces Africains sont en train de travailler comme les photos le montrent,

c’est bien grâce aux voyageurs qui ont fait des voyages responsables. Ces photos

évoquent parfois la compassion, surtout lorsque l’on voit les enfants et les vieillards

travailler. Les TO souhaiteraient-ils inspirer de la pitié à leurs clients pour qu’ils ressentent

l’envie, voire plutôt la nécessité d’aller faire une bonne action en voyageant ? Il

semblerait que ce soit une forme possible de communication utilisée ici. La deuxième

photo utilisée par Allibert Trekking ne montre pas de travailleurs africains, mais un

groupe de personnes, des Européens et des Asiatiques, autour d’un drapeau « KEEP THE

HIMALAYAS CLEAN ! », en dessous du slogan on voit qu’il s’agit d’une initiative d’Allibert

en partenariat avec une association indienne dont le nom est à moitié caché par la tête

d’un membre du groupe. L’essentiel du message étant de voir un partenariat et un

groupe cosmopolite autour d’une action environnementale. Le groupe est sur une

montagne avec de l’herbe verte, le slogan est écrit en vert et ils portent tous le même

polo beige. Le lecteur qui voit cette photo pense forcément tout d’abord à Greenpeace

ou à WWF. Le côté écologique de la démarche responsable est mis en avant par cette

photo. Pour finir, la photo d’identité de la personne en charge de tourisme durable est

très importante dans l’explication de la démarche. Elle donne un côté réaliste à tout ce

qui est expliqué. Tout ce qui est décrit est vrai car la personne que l’on voit en à la charge.

Page 40: Le voyage aventure

40

La photo de cette personne arrive comme une preuve pour le lecteur que cette démarche

responsable existe. Le texte, lui, est organisé sur la double page en plusieurs parties. Dans

la page de gauche, on a surtout des explications d’associations, ATR (Agir pour un

Tourisme Responsable) et l’association d’Allibert Globetrekkeurs. On voit trois termes qui

ressortent en haut de la page près de la photo : « éthique », « respect » et

« responsabilité ». Sous chacun de ces termes on trouve une phrase qui pourrait

s’apparenter à un essai de définition. Sous le terme « responsabilité » il est écrit : « l’aide

au développement et à l’épanouissement des hommes et des femmes avec qui nous

travaillons dans les pays d’accueil ». Cette définition est très différente de celle que nous

avons évoqué au dessus avec Nomade Aventure. Chez Nomade nous avions retrouvé le

volet social et environnemental de la démarche durable, alors qu’ici nous avons tout

d’abord le volet économique, mis en avant par « l’aide au développement ». C’est alors

que vient l’idée d’ «épanouissement des hommes et des femmes avec qui nous travaillons

dans les pays d’accueil ». La responsabilité selon Allibert relèverait ainsi de

l’épanouissement de ses réceptifs… La page de droite quant à elle est une liste de projets

de développement mis en place, soutenus, ou financés par Allibert. On retrouve

également comme dans toutes les autres brochures, l’encadré CO₂ solidaire expliquant la

compensation carbone. Dans la double page d’Allibert Trekking on retrouve exactement

le même vocabulaire que dans les autres TO de notre étude. Le terme « responsable » est

cité quinze fois, le terme « durable » cité deux fois et le terme « solidaire » une fois. Nous

noterons que le terme « équitable » n’est pas cité dans la double page d’Allibert qui

pourtant prône un tourisme équitable dans sa répartition des richesses puisqu’ils

expliquent que la responsabilité se fait avant tout avec l’épanouissement des réceptifs. Il

s’agit bien sûr d’un épanouissement financier. Encore une fois, on retrouve la même

double page explicative que chez les autres TO, les mêmes termes sont utilisés en

abondance, mais les définitions sont différentes. De plus, lors de la Journée mondiale

pour un tourisme responsable55, qui s’est tenue le 1er Juin 2011 à Paris, et à laquelle j’ai

pu assister, le directeur général d’Allibert Trekking, Gérard Guerrier était présent et s’est

exprimé sur la vision qu’a Allibert Trekking du tourisme responsable. Pour lui, « depuis 55 1er Juin 2011, 5e édition organisée par la coalition pour un tourisme responsable, à Paris.

Page 41: Le voyage aventure

41

trente-cinq ans, Allibert fait du tourisme responsable sans le savoir ». Dans les voyages

qu’ils proposent, « il n’y a pas de cache-misère », « le touriste est en direct avec la

population ». Pour Gérard Guerrier, être responsable, « c’est avant tout être responsable

par rapport à des parties prenantes », c’est-à-dire, des équipes locales, des villages, des

Etats. Pour Allibert Trekking, « on ne fait pas du tourisme responsable pour mieux

vendre », « le tourisme responsable n’est possible que s’il est sincère, humble et lucide ».

On a donc d’un côté, un catalogue, qui se veut vendeur, où le terme « responsable » est

cité quinze fois, puis d’un autre côté, un discours qui semble sincère, puisque les actions

évoquées sont réellement mises en place. Il serait d’ailleurs beaucoup trop réducteur

pour nous, de penser qu’il s’agit seulement d’une technique de vente.

1.1.4 Le cas d’Atalante

Le catalogue Atalante (Annexe F) n’a pas le même format que les autres catalogues que

nous avons pu étudier. Il est dans un format livre de poche, avec un grammage de papier

plus lourd que les autres. On est donc dans un format plus « chic », ou le catalogue

ressemble plus à un livre. La démarche tourisme responsable est également expliquée sur

une double page, de manière beaucoup plus organisée. La page de gauche concerne la

certification ATR et la page de droite explique les actions d’Atalante menées en faveur

d’un tourisme responsable depuis 1997 jusqu’à 2009. A première vue cette double page

semble plus claire que les autres que nous avons étudiées car on y trouve globalement

moins d’informations, celle-ci est tout simplement plus petite et Atalante semble être

moins impliqué que les autres TO. Ils parlent de projet de partenariat au Maroc et au

Népal puis comme les autres de compensation carbone et de charte éthique de voyageur.

Ils évoquent également leur trophée du tourisme responsable obtenu en 2007 dont nous

parlerons ultérieurement. On est donc dans quelque chose de plus simple, de plus clair.

Or nous retrouvons toujours la multitude de termes habituels, nullement définis et

répétés à tort et à travers. Le terme « responsable » est cité dix fois, le terme « durable »

est cité quatre fois, le terme « équitable » est cité une fois et le terme « solidaire » est

cité trois fois. Nous noterons qu’aucun de ces termes n’est défini contrairement aux

autres doubles pages qui définissent au moins le terme « responsable » et que le texte

Page 42: Le voyage aventure

42

n’est pas accompagné de photos. Cependant Atalante présente ici une version assez

sobre de sa démarche responsable par rapport aux autres TO.

Tableau récapitulatif des termes appartenant au champ lexical du voyage aventure

Responsable Durable Equitable Solidaire

Chemins de Sable 11 2 5 7

Nomade

Aventure

13 3 2 4

Allibert Trekking 15 2 0 1

Atalante 10 4 1 3

TOTAL 49 11 8 15

L’analyse de ces quatre doubles pages nous permet de comprendre la vision qu’a un TO

d’aventure du tourisme responsable. Et surtout la vision qu’il souhaite montrer à ses

clients. Il s’agit de comprendre qu’elle est la communication utilisée pour parler de

responsabilité et de durabilité.

1.2 Une stratégie de communication

Nous relevons des points communs entre tous ces TO. Ils présentent tous leur

certification ATR. ATR est une certification de tour opérateur basée sur un référentiel de

l’association ATT Association des tours opérateurs thématiques, qui regroupe des TO

prônant un tourisme responsable et durable et qui agit en sa faveur en menant diverses

actions. La certification ATR s’obtient grâce à un organisme indépendant (AFNOR).

Cependant, lors de la Journée mondiale pour un tourisme responsable 201156, au sujet de

la certification ATR, Bernard Schéou, enseignant chercheur, demande aux TO présents à

la tribune, comment se passe un contrôle ATR. La réponse a été donnée par Gérard

56 1er Juin 2011, 5e édition organisée par la coalition pour un tourisme responsable, à Paris.

Page 43: Le voyage aventure

43

Guerrier, directeur général d’Allibert Trekking. Il explique alors que l’AFNOR ne se rend

pas sur place, mais se base sur les données écrites du TO, qu’ils appellent des « fiches

pays » avec des référentiels. A la lecture de ces fiches, le contrôleur peut décider

d’appeler des équipes locales et des touristes, afin de demander des confirmations.

Cependant nous noterons bien que ce contrôle est plus basé sur la parole des personnes

questionnées que sur de la vérification. La labellisation est une importante forme de

communication utilisée par ces TO. Lorsqu’ils sont certifiés ATR, ils le montrent

clairement sur leur double page, souvent dans un encadré, comme une publicité. Même

si le lecteur n’a aucune idée de ce que peut être la certification ATR, expliquée très

brièvement dans les encadrés, il sait encore moins ce que cette certification vaut.

Cependant, la labellisation donne un côté « sérieux » pour le touriste, il est donc

primordial de communiquer dessus pour le TO.

Un autre point commun que l’on retrouve dans chaque catalogue est le CO₂ solidaire, en

partenariat avec le GERES www.CO2solidaire.org. La compensation carbone est un

concept que connait et comprend le touriste. Cependant on peut se poser la question :

Où se situe la réelle responsabilité ? Est-ce plus responsable d’appliquer le principe

pollueur payeur ou bien plutôt essayer de ne pas polluer ? On se trouve ainsi dans une

stratégie de communication qui consiste à utiliser des propos symboliques, connus par le

touriste.

Par ailleurs, les TO qui ont gagné le concours trophéesdutourismeresponsable.com en

parlent. Les trophées du tourisme responsable sont une manifestation organisée par

voyages.sncf.com qui a lieu chaque année et qui regroupe plus d’une centaine de

concurrents, dans diverses catégories (trophée voyage humanitaire, trophée voyagiste

responsable, trophée hébergement responsable, trophée éco mobilité, trophée

information et sensibilisation responsable et trophée destinations et territoires en

France). Les TO ayant gagné dans la catégorie voyagiste responsable, montrent avec fierté

qu’ils ont été lauréats, toujours pour communiquer et pour que les touristes se disent que

leur voyage a de la valeur et qu’ils partent avec un TO renommé, voire le meilleur de sa

catégorie.

Page 44: Le voyage aventure

44

En somme, tous les termes que l’on retrouve, désignent un tourisme éthique, c’est-à-dire,

selon Saskia Cousin, un tourisme « investi d’une valeur morale positive57. » Cette valeur

morale positive se traduit par une charte éthique du voyageur, qui correspond à un pacte

passé entre le TO et le voyageur. D’un côté, on a un TO qui s’engage sur certains points

(CO₂ solidaire, etc.) et, d’un autre côté, on a des touristes, les voyageurs, qui se doivent

aussi de s’engager pour qu’une démarche horizontale gagnant-gagnant puisse s’établir

entre les voyageurs et le TO. Le projet de charte éthique du voyageur a été établi par le

TO Atalante en 1995 lors d’un voyage en groupe en Ethiopie (Annexe G). Les touristes

participant à ces quinze jours d’exploration s’étaient engagés à ne pas prendre de photos

dans les villages lorsqu’ils se sont inscrits au voyage. Or Atalante explique : « La beauté

des hommes et des femmes vivant sur les berges de l’Omo et la richesse de leur traditions

ancestrales créèrent chez certains participants une irrépressible nécessité de ramener des

“trophées photographiques”. Cet engagement non respecté provoqua l’implosion du

groupe et d’interminables débats. Soucieux de l’impact du tourisme, Atalante compris

l’impérieuse nécessité d’expliquer, plus que d’interdire, afin d’ouvrir l’esprit à la

différence et au respect. Au retour, trois voyageuses suggérèrent à Christophe

Leservoisier (cofondateur d’Atalante) de rédiger un code de bonne conduite entre une

agence et ses voyageurs. » C’est ainsi qu’Atalante explique la naissance de la charte

éthique en 1996. Cette charte est aujourd’hui diffusée par les TO membres d’ATR et par

voyages-sncf.com. Selon la charte, « il convient de respecter et de comprendre, plutôt

que de juger ». Les premiers mots de cette charte sont très forts car on demande au

touriste de ne pas juger ce qu’on lui montre et surtout de le comprendre. Pour eux, le

voyage est synonyme de respect. « Ce respect se traduit par des attitudes simples, au jour

le jour », qui sont évoquées par la suite. Un voyage aventure demande au touriste une

attitude irréprochable, et ceci peut sembler contraignant. Or la charte est écrite de

manière à mettre en valeur le comportement du touriste. Le touriste est celui qui

comprend, c’est donc un homme intelligent. Cette charte met également en avant le bon

comportement du voyageur. Elle vise surtout à minimiser l’impact quel qu’il soit

(écologique, social etc.) des voyageurs lorsqu’ils viennent dans une destination qui

57

COUSIN S & REAU B, Sociologie du Tourisme, La Découverte, 2009

Page 45: Le voyage aventure

45

fonctionne très différemment de ce qu’ils connaissent, et qui n’est pas forcément

énormément « touristifiée ». Il parait donc très important que le TO aborde la

problématique de l’intrusion dans ces lieux. Beaucoup de passages indiqués dans la

charte semble assez futiles au premier abord, comme expliquer au touriste que l’argent

n’a peut être pas la même valeur ici que là-bas. Ces remarques assez évidentes sont

toujours accompagnées d’exemples qui permettent au touriste de se situer dans son

voyage et de s’approprier les réflexions. Par exemple, lorsque la valeur de l’argent est

abordée, on retrouve ensuite un exemple qui illustre les propos de la charte : « Un

appareil photo ou simplement une paire de chaussures peuvent être l’équivalent de

plusieurs mois ou d’années de salaire aux standards du pays visité. Les exhiber ou les

traiter sans ménagement peut s’avérer choquant ou être mal compris. » La responsabilité

du TO devient finalement une responsabilité partagé avec le touriste : « Les voyageurs

ont donc une responsabilité vis-à-vis de l’environnement du pays d’accueil ». Tous les

efforts, et le discours du TO que nous avons pu voir, viennent finalement ici s’adresser au

voyageur, pour que lui aussi, prenne ses responsabilités. Pour finir, le patrimoine culturel

est abordé, et expliqué afin de le protéger pour les générations futures. La charte éthique

du voyageur apparait donc comme un pacte que fait le TO avec son client. A travers cette

charte éthique du voyageur on comprend que ce type de voyage ne s’adresse pas à

n’importe quel touriste. Le voyage aventure responsable s’adresse à des personnes qui

sont capables de respecter les principes évoqués dans la charte et qui ressentent l’envie

de le faire, et surtout qui comprennent et soient en accord avec ces principes. Il ne s’agit

pas d’effectuer de la répression ou d’interdire, mais plutôt de la compréhension et de

l’adhésion à un mode de voyage.

Nous noterons qu’au vu de l’analyse que nous venons de faire de ces quatre doubles

pages, il ressort surtout un gros manque de clarté. Les termes utilisés ne sont pour la

plupart jamais définis. On parle de tourisme responsable, solidaire, éthique, équitable. Le

lecteur se retrouve noyé dans une multitude de termes qu’il comprend vaguement et

dont il a une définition très personnelle. Ces termes sont mélangés, juxtaposés sans

raison et sont finalement utilisés comme des « mots-valises », « passe-partout ». Au lieu

d’éclairer le voyageur, celui-ci se retrouve confronté à du vocabulaire plutôt scientifique

et perdu au milieu de tous ces termes. Et lorsque certains termes, en l’occurrence

Page 46: Le voyage aventure

46

seulement le terme « responsabilité », sont définis, les définitions que l’on retrouve sont

très différentes selon les TO. De plus, le terme « responsabilité », selon la définition de

Chemins de Sable et Nomade, correspond finalement à la définition du tourisme durable,

où l’on retrouve les trois piliers du développement durable (social, environnemental et

économique). Pour finir, il semblerait que les TO utilisent consciemment des définitions

vagues et une multitude de termes. L’important étant d’énumérer des termes plusieurs

fois afin que le lecteur les intègre. Sur les quatre doubles pages, le terme

« responsabilité » est cité quarente-neuf fois. Les TO utilisent ici une technique de

persuasion par la répétition pour que le lecteur intègre et se souvienne des termes

importants dont le TO veut qu’il se rappelle. Le lecteur retiendra donc tout ce champ

lexical du voyage responsable, sans forcément le comprendre réellement. L’essentiel

étant qu’il retienne ce genre de termes « à la mode » et qui ont une connotation très

positive. On se retrouve là dans une situation de « greenwashing ». Cet anglicisme est

une contraction des termes « green » (vert) et « brainwashing » (lavage de cerveau). Ce

concept apparu dans les années 1990 désigne les efforts de communication des

entreprises sur leurs avancées environnementales ou durables. Le martèlement des

termes évoqués ci-dessus correspond à ce concept de « greenwashing ». Il semble en

effet indispensable d’ajouter une touche verte au voyage aventure aujourd’hui.

1.3 L’importance d’associer un projet solidaire au voyage

Dans la majorité de ces TO, on retrouve un projet solidaire associé au voyage. Le projet

solidaire peut être de deux sortes, soit une contribution solidaire financière, et c’est

souvent le cas. Soit le TO va plus loin dans la démarche solidaire, et il est prévu pendant le

voyage d’aller visiter une association locale solidaire (celle où l’on a fait la contribution

financière) et d’aller ainsi à la rencontre de la population locale en visitant un orphelinat,

une école, etc. Ce passage « solidarité » ne durera qu’une heure maximum dans la plupart

des cas, mais est très important pour le TO et pour le touriste. Cette étape solidarité,

donne bonne conscience au TO et au touriste et correspond en quelque sorte à la

« bonne action » du touriste pendant son voyage. Ce dernier se sent alors autorisé à

effectuer ce qu’il veut et à avoir le comportement qu’il veut, car il a payé le prix fort pour

ce voyage et en plus il a fait sa bonne action de solidarité. Il est donc en position de

Page 47: Le voyage aventure

47

supériorité. Ce côté « solidaire » du voyage semble à première vue tout à fait honorable

et intéressant, pour ce qui est de montrer la vraie vie et la réalité du lieu visité. Mais, bien

souvent, on retrouve un côté malsain, voire pervers à ce genre de visite. Les femmes qui

sont en train d’accoucher avec difficulté dans des régions pauvres et rurales du Mali ont-

elles demandé à ce qu’un groupe de touristes viennent visiter la maternité, et passe dans

les couloirs en jetant des coups d’œil dans les différentes chambres, comme on

observerait les cages des différents animaux d’une ménagerie ? Certainement que non. Le

touriste se sent ambassadeur de la vérité, puisque lui seul a vu la vraie vie et peut rentrer

témoigner en France. En mettant en place ce genre de projet solidaire et d’associations à

visiter, le TO montre également la misère et la pauvreté d’une région. Le touriste a payé

pour ça, et s’il a choisi ce voyage plutôt qu’un autre c’est parce qu’il est intéressé par le

côté « projet solidaire » du voyage. Le touriste appréciera bien volontiers d’aller visiter

une association, une maternité ou un orphelinat. Il se sentira peut être même fier d’y être

allé. On veut donc que le touriste soit attiré par cette pauvreté et cette pseudo-mission

de développement. Ainsi on voit comment un TO met en place une stratégie responsable,

durable, solidaire et équitable. Mais quelle part d'équité y a-t-il dans ces voyages

lorsqu'on sait que même dans un tourisme Nord/Sud, les retombées sont bien souvent

Nord/Nord. Les touristes et le TO ne sont-ils pas en train de se donner bonne conscience

? Et finalement, puisqu'ils ont payé leur compensation carbone et ont reversé une

misérable somme à une association locale, ils seraient alors permis de voyager hors des

sentiers battus et bien plus que n'importe quel autre touriste. Selon Jean-Michel

Hoerner58, les touristes sont apparentés à « des colons d’un nouveau style ». Selon cet

auteur, les touristes « considèrent que leurs dépenses exigent le meilleur service possible,

voire que les populations visitées sont à leur dévotion, et qu’elles leur seraient même

redevables car ils sont des consommateurs qui ont payé. *…+ La situation ne vaut guère

mieux au niveau des mentalités puisqu’ils affichent sans vergogne un sentiment de

supériorité vis-à-vis de larbins qu’on gratifie comme des domestiques. » En payant plus

qu'un simple touriste et en adhérant à une certaine philosophie de voyage, le voyageur

obtient ainsi un droit. Un droit qui lui permettrait de pouvoir observer les populations et

la nature comme bon lui semble, de pouvoir se promener où il veut. Puisqu'il a payé le

58 HOERNER J-M, Géopolitique du tourisme, Armand Colin, 2008

Page 48: Le voyage aventure

48

prix fort pour des raisons légitimes, justes et bonnes, il devient un voyageur très exigeant.

En quelque sorte, ces voyageurs paient un droit au néo-colonialisme.

CHAPITRE 2 : ENCADRER UNE AVENTURE

En plus de vendre un « bon » voyage éco responsable, pour un « bon » touriste, le TO

porte un discours qui fait du circuit proposé une réelle aventure. Par certaines

formulations que nous allons voir, une balade se voit transformée en aventure et le

touriste, à la lecture du catalogue, s’imagine déjà en Indiana Jones du XXIe siècle.

Il convient ici d’examiner comment sont décrits les voyages effectués par B, la touriste

aventurière interviewée dont il sera question après. B a effectué trois voyages aventures,

un au Mali avec Nomade Aventure (2002), un en Mauritanie avec Point Afrique (2003) et

un au Burkina Faso avec Nomade Aventure (2004). Nous nous baserons cependant sur les

brochures de 2011, dans un souci de coordination de nos propos avec ce qui a été étudié

auparavant. L’aventurière interrogée m’a cependant bien signalé que les circuits étaient

exactement les mêmes que ceux qu’elle avait effectués plus tôt, et que la description

faite correspondait à ses voyages. Au cours de chaque voyage analysé, il convient de voir

qu’il existe pour chacun d’eux, du vocabulaire qui relève de l’aventure et du vocabulaire

qui relève de l’encadrement, qui se veut sécurisant.

2.1 Le discours du tour opérateur : entre aventure et encadrement

2.1.1 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « Djenné, le fleuve, les Dogons »,

catalogue Nomade Aventure, hiver 2010-2011

Pour Nomade Aventure il ne s’agit pas de visiter le Mali, mais de « vivre » « la diversité du

Mali» (Annexe H). Le message est bien reçu ! « Visiteurs des confins, sentez vous visés »

(Urbain). Inutile d’aborder le Mali, vous n’y verrez rien. Telle la remarque que fait Urbain

Page 49: Le voyage aventure

49

à propos de l’île de la Réunion59, le Mali n’appartient qu’aux ascètes, qui le pénètrent et

le découvrent à travers mille souffrances. On est donc averti dès le début, qu’on ne va pas

pour visiter ou regarder tout simplement. On retrouve alors un champ lexical de

l’aventure avec les termes suivants : à pied, en pirogue, la randonnée, embarquement,

rythme mesuré, rencontre, spectaculaire, par une faille nous dévalons les falaises,

bivouac, grimper, par une faille nous remontons, quatre à six heures de marche. Les

termes bivouac et randonnée sont cités trois fois. Tout ce vocabulaire peut surprendre le

lecteur qui peut penser qu’il s’agit d’un trek difficile. C’est là qu’intervient le vocabulaire

de l’encadrement, pour montrer qu’il s’agit avant tout d’un voyage, qui doit donc être

plaisant. Le champ lexical de l’encadrement se veut rassurant. Nomade Aventure utilise

systématiquement le pronom personnel « nous » pour signifier au touriste qu’ils font

l’aventure ensemble, que le touriste n’est pas livré à lui-même, mais qu’il se trouve au

sein d’un groupe dont la personne qui a rédigé cette description fait partie. « Nous » est

cité neuf fois dans la description de ce circuit. On retrouve également les termes

« tranquille, équilibre, voici un itinéraire bien pensé, un rythme tranquille, confortable,

protège, balade, nous assisterons, notre guide, nous marquons de longs arrêts, écouter,

regarder, portage par carriole, pirogue et véhicule » qui font partie du champ lexical de

l’encadrement. Dans le paragraphe qui décrit la troisième journée on voit très bien la

stratégie du TO qui consiste à mettre en avant l’aventure, puis à rassurer tout de suite le

lecteur sur l’accessibilité et l’encadrement de cette aventure : « Embarquement sur notre

pirogue ressemblant aux bateaux qui assurent le transport des hommes et des

marchandises sur le fleuve … en plus confortable, avec ses coussins et son large toit qui

protège du soleil. » La première partie de la phrase, avec les termes surlignés en rose

montre l’aventure. La seconde partie, et les termes en bleu permet de rassurer le lecteur,

d’une part car la pirogue utilisée est celle de Nomade Aventure et que, finalement, elle

ressemble juste à la description, il ne faut pas que le touriste s’inquiète elle est

confortable, elle possède même des coussins, et au niveau de la sécurité et du bien-être,

les Européens pourront même être protégés du soleil. L’aventure devient alors accessible.

Par ailleurs, on retrouve deux images qui accompagnent la description du circuit. La

59

URBAIN J-D, L’idiot du voyage, Ibid.

Page 50: Le voyage aventure

50

première qui prend la moitié de la page, est une photo de la mosquée de Djenné et de

son marché, où on voit des autochtones qui travaillent, une femme en tenue

traditionnelle est au premier plan ainsi qu’un enfant torse nu qui semble avoir le ventre

bombé, synonyme de malnutrition. Cette première photo symbolise la rencontre

humaine et l’authenticité du voyage. La deuxième photo est une carte qui montre

l’itinéraire du circuit. Cette carte montre la vérité. Ce voyage est bien vrai, puisqu’il existe

et qu’il a lieu là. La carte que l’on retrouve dans chaque descriptif de voyage a pour but de

faire un lien entre la description décrite qui relève du rêve, du fantasme et de l’imaginaire

et la vie réelle.

2.1.2 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « Rando en pays Sénoufo »,

catalogue Nomade Aventure, hiver 2010-2011

Le second voyage de B s’est fait au Burkina Faso, à nouveau avec Nomade Aventure

(Annexe I). La mise en page et la description du circuit est assez similaire à celle que nous

avons vue pour le pays Dogon. Ce voyage semble plus dynamique puisqu’il a quatre jours

de marche, alors que le précédent en avait deux. Le terme « randonnée » est cité cinq fois

alors que le terme balade n’apparaît pas. On retrouve tout d’abord du vocabulaire de

l’aventure à travers : « rando, dynamique, quatre jours à pied, curiosité, mythique,

ouvrons une belle page d’Afrique, découvrons l’incroyable, les premiers habitants, les

plaines brodant la falaise, fabuleux pics, montagnes, pitons rocheux, forêts sacrées,

chutes d’eay, villages troglodytiques, nuit sous case, bivouac, marche au cœur des pics,

point de départ de la rando, à travers des forêts, jusqu’aux falaises, marche ». Ces termes

nous donnent l’impression d’une épopée dans la brousse. La même stratégie vient

atténuer le champ lexical de l’aventure. Le pronom « nous » est à nouveau utilisé. A

nouveau Nomade Aventure parle du guide, « avec notre guide », afin encore une fois de

rassurer le lecteur, ils expliquent que le guide a « une parfaite connaissance de sa région,

alliée à un bel humour », ce qui permet au lecteur d’être totalement rassuré quant à

l’aventure qu’il s’apprête à vivre. On retrouve la même mise en page, qui consiste à

mettre une photo qui occupe la moitié de la page et une carte qui montre le circuit. La

photo est cette fois très différente de la dernière. Elle ne se fonde pas sur la population

locale, mais sur le paysage et le groupe d’aventuriers. En effet, les différentes ethnies

Page 51: Le voyage aventure

51

burkinabaises sont décrites dans les paragraphes, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait

des photos à l’appui, or ce n’est pas le cas. La photo montre un groupe de touristes,

composé de sept aventuriers, en bermuda, chaussures de montagne et chèches sur la

tête et sac à dos. Ils semblent effectuer une pause, certains prennent des photos, alors

que d’autres écoutent le guide, seul Noir au milieu de ces Européens. Le groupe se trouve

sur des rochers, probablement les pics de Sindou dont il est question dans la description.

Cette photo donne un caractère très réel à ce voyage, puisque d’autres l’ont fait. Cette

photo apparaît comme une preuve, un peu à la manière de la carte. Elle permet

également au lecteur de s’imaginer avec les autres touristes.

Chez Nomade Aventure on a donc un discours porté à la fois sur l’aventure et en même

temps sur l’encadrement, montré par l’emploi du pronom personnel « nous » qui est

omniprésent.

2.1.3 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « La Tanouchertoise »,

catalogue Point Afrique, hiver printemps 2010-2011

Selon Jean-Didier Urbain, le désert est un « espace natif, préhumain, polymorphe, dont le

vide naturel est offert à toutes les solitudes. Il fascine car il n’a précisément rien

d’humain. Le voyageur préfère souvent s’arrêter à sa lisière. »60 Or ce n’est pas le cas

pour les touristes qui s’apprêtent à faire ce voyage, c'est-à-dire à franchir cette limite de

l’étrange. Toujours selon cet auteur, « l’exploration de ces lieux détache le visiteur de ses

repères géographiques ordinaires. Sous la forme d’un itinéraire aménagé en site escarpé

*…+ ou d’une caravane guidée à dos d’âne *…+ le touriste peut faire ainsi quelques pas

dans le chaos primitif ». L’aventure est facilement mise en scène dans la description de ce

circuit puisqu’il se fait à travers le désert (Annexe J). Le champ lexical de l’aventure est

donc ici symbolisé par le champ lexical du désert : « Découvrir, dunes, oasis, randonnées,

campements nomades, au bout du monde, la route des caravanes, les chameliers et leurs

montures, cap au sud-est, dos au vent dominant, franchissez, au rythme des chameaux,

au loin se dessinent les acacias, votre but approche. » Les mots ou groupes de mots

utilisés ici sont très forts. Nous pouvons nous attarder sur l’expression « au bout du

60 Ibid.

Page 52: Le voyage aventure

52

monde » qui nous renvoie au film Les dieux sont tombés sur la tête, de Jamie Uys, 1981,

où le Boschiman, lorsqu’il arrive au « bout du monde », ne fait pas que se débarrasser

d’une bouteille de Coca-Cola, il la renvoie aux dieux. L’expression « cap au sud est »

montre bien qu’il n’y a plus de repères, le groupe se retrouve seul et avance avec une

boussole. Ce périple dans le désert est également vu comme une initiation par

l’expression « votre but approche ». Urbain affirme ainsi qu’il n’y a « rien d’étonnant

ensuite à ce que l’amateur de déserts se conçoive lui-même comme une sorte de nomade

des espaces sacrés, un touriste-cerbère préoccupé par l’expulsion de ces intrus qu’il

nommera touristes ». Le mythe du désert se suffit à lui-même. Point Afrique tient tout de

même à expliquer que cette entrée dans « l’au-delà » est bien évidemment encadrée. La

première phrase qui qualifie le voyage est la suivante : « un grand classique ! », qui

signifie, n’ayez crainte, beaucoup l’ont fait, il n’y a rien de dangereux et de difficile. Les

touristes sont « accompagnés de votre guide », on retrouve également plus loin

l’expression « dire au revoir à l’équipe » et « votre retour est prévu ». Deux choses

interpellent ici, la première c’est qu’il s’est créé une équipe dont le touriste fait partie, et

à laquelle il s’est attaché. C’est un fait particulièrement rassurant pour le lecteur puisque

ce dernier comprend qu’il n’est pas le seul à accomplir cette mission, et qu’en cas de

difficultés, il y a une équipe soudée pour se soutenir. La seconde chose intéressante à

soulever est l’ultime phrase signalant que le retour est prévu. Le terme « retour » est

important puisque par sa connotation mystique le franchissement du désert peut faire

penser à un point de non-retour. Le touriste a alors besoin d’être rassuré et de

comprendre que finalement, tout cela reste un voyage et que « au matin du huitième

jour » son retour est prévu, comme un rêve qui s’achèverait. La description du circuit de

Point Afrique est également accompagnée d’images. La mise en page est différente de

celle que nous avons vu chez Nomade Aventure puisqu’il y a 2 circuits proposés sur la

même page. Les deux voyages se situant dans la même région, les photos se trouvent au

milieu et valent pour les deux descriptifs. Les photos sont beaucoup plus petites que chez

Nomade Aventure. On en distingue trois. Une est en fait en fond et montre un vieillard

portant un chèche, que l’on distingue très bien à côté des textes. Les deux autres photo

sont symboliques des voyages proposés. Celle de gauche est très forte et montre un

touriste marchant derrière un guide assez rapidement sur une dune. Il a l’air de faire

Page 53: Le voyage aventure

53

chaud, et l’activité semble pénible. Il suffit que le lecteur baisse les yeux pour comprendre

qu’il s’agit du trek décrit dessous et non pas de la méharée. La photo de droite, quant à

elle, représente un paysage désertique de type reg. Grâce aux deux photographies, Point

Afrique montre les deux géomorphologies possibles du désert saharien : l’erg (dunes) et

le reg (désert rocheux).

2.2 L’aventure humaine : la rencontre de l’autre

Dans chacun des voyages analysés, la rencontre humaine a été signalée dans la brochure.

Chez Nomade Aventure, on va pouvoir « écouter, regarder et questionner les Dogons ».

Le terme « questionner » est très important ici car il montre qu’il va y avoir un échange

avec les peuples autochtones. Dans le pays Sénoufo, il est prévu une « rencontre avec les

artisans locaux : forgerons, sculpteurs et vanneuses ». Le terme « avec » renvoie à une

notion de partage et de relation horizontale. Pour Point Afrique, la rencontre se fait à

Tanouchert, où « vous rencontrez les familles qui luttent contre l’ensablement de leur

palmeraie». Cette dernière rencontre semble être celle qui symbolise le plus l’aventure

humaine. Puisqu’il s’agit de rencontrer des familles, c'est-à-dire, des mères et des

enfants, mais surtout des personnes qui luttent. Cette rencontre va permettre aussi de

sensibiliser les touristes à des problématiques du quotidien de ces populations. Les

touristes vont rencontrer des nomades qui sont obligés de repousser leurs campements

fréquemment à cause de l’avancée du désert, ils vont ainsi avoir une autre image de ces

problématiques, puisqu’ils en ont vu des conséquences concrètes et directes. Au-delà de

la rencontre, c’est tout simplement l’humain qui est mis au premier plan de ces voyages

et la richesse des peuples. Parfois, notamment dans la description du pays Sénoufo, les

différentes ethnies sont mises en avant et représentent « l’incroyable diversité du pays

Sénoufo », ou encore par les premiers mots de la charte éthique du voyageur « L’un des

attraits du voyage tient à la diversité des peuples et des cultures rencontrés ». Les

différentes ethnies sont presque vues comme des ressources naturelles qu’il est

important de mettre en avant lorsque l’on décrit un voyage. Il faut donc faire attention à

la manière dont le TO parle de cette aventure humaine. Cependant il est primordial

Page 54: Le voyage aventure

54

qu’elle soit présente dans le descriptif du voyage car la plupart des touristes sont à la

recherche de cette aventure humaine. C’est d’ailleurs le cas de notre aventurière

interviewée. Selon André Barthélémy, président d’Agir ensemble pour les droits de

l’Homme et ancien directeur d’Arvel Voyages, « c’est le fait d’être humain qui donne à

l’homme l’envie de la rencontre. Et cette envie de rencontre se traduit par l’envie de

voyager61 ». Selon Chabloz62, « les touristes qui partent faire un voyage solidaire

recherchent avant tout une rencontre « authentique » avec les habitants ». La rencontre

symbolise un échange entre deux personnes au moins, or celui qui voyage est en situation

de rencontre alors que l’autochtone ne l’est pas. On a donc une relation faussée, qui ne

repose pas sur l’égalité, ni même sur la volonté de cette rencontre de toutes les parties

prenantes. Or, nous l’avons dit, certains touristes voyagent justement pour la rencontre

de l’autre. Comme le dit André Barthélémy63, « pour qu’elle puisse se faire *la rencontre],

elle suppose qu’existe avec l’autre un minimum de points communs ». On peut dire que

cette rencontre est inégalitaire « du fait notamment que les touristes possèdent le

pouvoir économique et le prestige du « Blanc nanti » qui se déplace pour son plaisir :

cette situation amènerait les visités, qui se retrouveraient en position d’infériorité

économique à mendier des cadeaux aux touristes et cet état de fait ferait fuir ces

derniers. » Nadège Chabloz est une anthropologue qui s’est intéressée à ces questions de

rencontre humaine et plus particulièrement aux malentendus qui existent entre les

touristes solidaires et les autochtones (habitants d’un village burkinabé) et l’association

qui organise le voyage. Elle montre que les habitants attendent des touristes qu’ « ils les

aident dans le développement de leurs projets personnels, alors que l’organisateur de

voyage met en avant le caractère obligatoirement collectif de la redistribution des

bénéfices ». Les touristes et les associations conçoivent les modalités relationnelles

traditionnelles comme forcément solidaires. Selon Chabloz, les malentendus dont il est

61 Propos recueillis dans un entretien avec André Barthélémy et Philippe Richard pour la revue Peuples en

marche, et édités dans l’ouvrage Voyager autrement, vers un tourisme responsable et solidaire de Boris

Martin, 2004

62 CHABLOZ N, « Le malentendu. Les rencontres paradoxales du “tourisme solidaire” », Actes de la

recherche en sciences sociales, n°170 P.32-47, 2007

63Barthélémy, Voyager Autrement, op. cit.

Page 55: Le voyage aventure

55

question dans son étude proviennent de la « différence de représentations que se font

touristes et villageois des uns et des autres et de ce qu’est une “rencontre touristique

solidaire” » . Les TO semblent être à la source de ce malentendu. Nos TO ont le même

rôle que l’association TDS (Tourisme et développement solidaires) dont il est question

dans l’article de Chabloz64. Le TO est ainsi l’interface entre les visiteurs et les visités,

puisqu’il « informe et prépare les touristes d’un côté et forme et contrôle les villageois de

l’autre ». Le TO contribue donc grandement à ces « décalages de représentations ». Il me

paraît important ici d’illustrer ce que peut être la rencontre humaine lors d’un voyage

aventure. L’extrait ci-dessous est un carnet de terrain de Nadège Chabloz, que l’on

retrouve dans son article65.

« Carnet de terrain (5 janvier 2004)

Au croisement, après Koukouldi, nous attendent une vingtaine de jeunes – en maillot de

foot juchés sur des vélos – et l’un des guides. Marcel, le doyen des touristes, descend du

minibus, emprunte un vélo à l’un des enfants, pour pédaler avec eux sur les quatre

kilomètres qui nous séparent du village. Un à un les touristes descendent du minibus pour

marcher avec les enfants. À l’entrée du village, les enfants qui sont dans la cour de

récréation de l’école viennent saluer les touristes et les prennent par la main pour les

emmener vers le campement touristique situé un peu plus loin. À l’entrée de la concession,

attendent des femmes qui tapent en rythme dans leurs mains. À l’intérieur de la cour, les

notables, les représentants du chef du village et du chef de terre, sont assis devant des

chaises pliantes, destinées aux touristes. L’un des guides fait la traduction. Le représentant

du chef de terre dit : “Je ne vais pas dire grand-chose car vous êtes fatigués, mais merci

d’avoir choisi ce voyage”. Marcel se lève et va lui serrer la main en lui disant que l’accueil

est sensationnel et que “ça l’a touché au cœur” que les gens nous attendent à l’entrée du

village. Les griots sont ensuite passés devant les touristes en jouant de la flûte de

bienvenue et du tambourin à aisselle, puis c’est le tour des femmes et des jeunes en

maillot de foot. Une femme est passée parmi les touristes pour leur offrir “l’eau de

bienvenue aux étrangers”, “de l’eau minérale pour ne pas que vous soyez malade” précise

64 Chabloz, art. cit.

65 Chabloz, art. cit.

Page 56: Le voyage aventure

56

quelqu’un dans l’assistance [notes de terrain du 6 janvier 2004]. Marcel [touriste] :

“L’accueil du village lorsqu’on est arrivés, tu ne trouves pas ça tous les jours, et ça paraît

tellement spontané. Il vient toujours se brancher là-dessus de l’authentique, du

nonpréparé.” Entretien du 13 Janvier 2004 à Doudou ».

Pour Chabloz, ce type de rencontre a été crée par le TO en partie pour se démarquer d’un

tourisme classique, « l’objectif étant que les visiteurs soient accueillis comme “les fils du

village” ». Cette situation repose donc sur un malentendu. « Les touristes croient - TDS

[dans notre cas, le TO] et les villageois leur laissent croire – qu’ils sont accueillis “tels les

premiers voyageurs” dans le village de façon spontanée et désintéressée. » Or « il

apparaîtrait que les villageois, lassés de se déplacer en plein soleil pour l’accueil de

groupes de touristes qui viennent certes en nombre limité mais de façon continue depuis

cinq ans, exigent en contrepartie que leur soit offert à boire sur la caisse de la CVGT

(commission villageoise de gestion des terroirs), (l’argent de cette caisse est destiné,

d’après les accords conclus entre TDS et les villageois, à des projets “collectifs” tels que la

construction d’infrastructures pour le village). » Il n’y a plus cette spontanéité du début,

mais plutôt un « faire comme si » qui la remplacerait. Les règles de comportement qu’on

a pu voir, notamment dans la charte éthique du voyageur, se retrouvent détournées,

aussi bien par les visiteurs que par les visités. Dans le cas expliqué par Chabloz, « d’un

côté, les visiteurs ne peuvent s’empêcher de jouer aux bienfaiteurs en distribuant des

cadeaux plus ou moins collectifs ; de l’autre, certains visités ne demandent pas de

cadeaux mais sollicitent les voyageurs pour des « projets personnels » qui, disent-ils,

profitent mieux au développement du village que les projets collectifs ». L’auteur classe

les relations observées dans son étude en quatre catégories : «

1. « Présenter » : premières situations de rencontre entre touristes et villageois qui visent

à présenter le village et ses habitants sous un certain jour :

– l’accueil dans le village des touristes par un grand nombre de villageois lors de leur

arrivée ;

– la visite des touristes au chef du village et au chef de terre (présentée par TDS comme

une visite protocolaire car ces chefs sont censés représenter le pouvoir suprême du

village, cette visite peut également être perçue comme une « attraction » reposant sur

Page 57: Le voyage aventure

57

un malentendu, car il n’est pas expliqué aux touristes le réel pouvoir de ces chefs qui a

été remis en cause par la colonisation et qui est aujourd’hui symbolique).

2. « Représenter » : situations de représentations des aspects de la culture, des modes de

vie et de pensée que les villageois veulent bien laisser voir aux touristes :

– soirées de danses traditionnelles (où certains villageois ont inventé des danses

destinées aux touristes, non pas pour les mystifier, mais parce qu’ils pensent qu’elles sont

plus « adaptées » pour eux),

– soirée contes (pendant laquelle un vieux villageois dans sa concession raconte des

contes locaux aux touristes et les touristes ont raconté « Le petit poucet »),

– attribution par les guides de noms lélé aux touristes (un des moments forts concernant

« l’enchantement » de la rencontre, où un villageois attribue un nom lélé à chaque

touriste en fonction de ses traits de caractère),

– visite de la grotte sacrée (où une touriste a mis en cause le caractère « sacré » de la

grotte puisque les guides la laissent visiter, sans que ces derniers expliquent que la partie

véritablement sacrée où ont lieu les offrandes se trouve de l’autre côté et n’est pas

visitée),

– soirée de bilan de fin de séjour (cette réunion, traduite en simultané en lélé afin que les

villageois présents en grand nombre puissent comprendre, était pour les touristes

l’occasion d’aborder « les points qui fâchent », alors que les membres du personnel du

campement touristique l’ont transformée en une véritable « représentation » sans réel

dialogue possible).

3. « Donner » : dons plus ou moins « collectifs » de la part des touristes aux villageois

(alors que la « charte » les déconseille) :

– lors de la visite à l’école (où des touristes ont apporté des bonbons, cahiers et stylos

pour les enfants),

– lors de funérailles (où des touristes ont offert sur la caisse commune un fût de bière

locale à la famille de la défunte),

Page 58: Le voyage aventure

58

– réparation du métier à tisser d’une villageoise (une touriste qui souhaitait assister à une

activité de tissage a suggéré que la réparation du dernier métier à tisser du village soit

faite grâce à la caisse commune des touristes).

4. « Prendre » : tentatives de la part du personnel du campement touristique de tirer un

avantage financier personnel de la présence des touristes :

– lors de la visite au marché et chez le sculpteur (où les touristes ont eu la certitude que

des commissions étaient prises par les guides de Doudou sur leurs achats),

– lors de la consommation de boissons des touristes (où les membres du personnel du

campement touristique se faisaient offrir de façon plus ou moins « forcée » des boissons

par les touristes),

– lors d’une promenade en pirogues (où les guides n’ont averti qu’après coup les touristes

qu’il fallait payer cette excursion, alors que ces derniers pensaient qu’elle était incluse

dans le prix du séjour),

– lors de la convocation d’une touriste pour lui demander son aide pour un « projet

personnel »,

– lors de la visite aux artisans du village. »

Il me paraît important d’exposer ici la classification des rencontres qu’a pu observer

l’anthropologue. Dans notre étude, notre terrain se situe au niveau des TO qui proposent

ce type de voyage, puis ensuite au niveau des touristes et de la manière dont ils

s’approprient le discours. Nous avons donc vu comment un TO vend une rencontre avec

la population, et nous verrons également dans notre dernière partie quels ont été

l’expérience et le ressenti d’une touriste, mais il me semblait important de pouvoir aussi

comprendre quel était le point de vue d’un chercheur qui est allé sur le terrain, même si

cette étude concerne seulement un groupe de touristes. Gardons en tête cette

classification, puisque nous retrouverons des éléments très similaires avec notre touriste

interviewée en dernière partie.

Cette rencontre faussée apporte finalement beaucoup à la personne qui l’a recherchée, à

savoir le touriste, au niveau humain, culturel etc. Mais que pensent les autochtones de

cette rencontre ? Pas grand-chose. Dans le meilleur des cas, un regard de sympathie.

Page 59: Le voyage aventure

59

Parfois, l’autochtone ne comprend pas vraiment le but de la rencontre. On comprend

qu’un africain puisse se demander comment un Français a pu venir de si loin pour le voir

piler du mil. Il peut donc y avoir incompréhension mais aussi fierté de l’autochtone,

puisque le touriste est venu du bout du monde pour le rencontrer. Il nous faut bien

évidemment relativiser quant à l’aventure humaine lors de ces voyages. La rencontre

humaine est souvent mise au premier plan par ces TO, mais on sait bien qu’avant de

procéder à une rencontre humaine il y a des incontournables qu’il faut voir. Lorsque l’on

arrive au Pérou, on va voir le Machu Picchu avant de voir des Péruviens. Et cela paraît

tout à fait normal. Par ailleurs, du point de vue du pays d’accueil, on ne voit pas une

quelconque envie de mettre en place une rencontre. Il est vrai que le tourisme

représente avant tout une ressource économique et un tourisme fondé sur la rencontre

génère peu de retombées économiques. L’exemple cité par André Barthélémy à propos

de la politique touristique cubaine est flagrant : « A Cuba, par exemple, de véritables

ghettos touristiques se créent, des zones interdites aux Cubains. Le discours des autorités

est le suivant : “Nous avons besoin de devises. Amenez de l’argent et ça ira. Par contre, ça

ne nous intéresse pas que vous veniez vous intéresser au communisme cubain” ». Il

semblerait donc qu’on ne favorise pas un tourisme de la rencontre, sauf peut être pour

certains pays qui n’auraient aucun autre attrait. Selon Saskia Cousin, « la rencontre avec

les populations locales se réduit souvent à des échanges avec les guides et les marchands

d’artisanat. *…+ Le contexte (voyage en groupe ou en solitaire, circuit dans le désert ou

séjour dans un village), les valeurs et les codes sociaux des protagonistes, les stéréotypes

que les uns ont sur les autres et les règles édictées par le voyagiste déterminent le type

de rencontres et la manière dont vont être appréciés les échanges66. » En effet, nous

sommes ici dans le cas d’un voyage organisé en petit groupe (maximum quinze

personnes) et accompagné par un guide local. Ce type de voyage est un moyen de

faciliter la rencontre humaine, beaucoup plus que si l’on part en individuel. En revanche,

la rencontre humaine dépendra moins du touriste en lui-même mais plus de ce que le TO

a décidé de montrer. En ce sens, le guide qui est en charge du petit groupe de touristes

66 COUSIN S & REAU B, Sociologie du tourisme, Ibid.

Page 60: Le voyage aventure

60

représente l’interface entre les visiteurs et les visités. Selon Anne Doquet67, les touristes

« cherchent moins à connaître qu’à reconnaître ce que leurs lectures ou visionnages leur

ont appris, les guides doivent cerner cette pré-connaissance du terrain et doublement la

conforter par leurs explications et par des scènes de vie. » L’auteur affirme que « la

plupart des guides du Mali, hormis les quelques diplômés de ces dernières années, ont eu

une scolarisation très limitée, quand ils ne sont pas analphabètes. » Ainsi, ces derniers

doivent « pallier leur manque de culture générale et écrite en multipliant les stratégies

pour déjouer le rôle de donneurs d’explications qui leur est dévolu ». La question centrale

étant de savoir si ces guides sont réellement là pour raconter l’Histoire, ou bien pour

raconter au touriste ce qu’il a envie d’entendre ? Doquet explique ainsi que « les Blancs

cherchent une Afrique intacte, préservée, qui n’aurait pas été confrontée aux valeurs de

la modernité. Il leur suffit alors d’attirer l’attention des touristes sur toutes les scènes de

vie respirant l’ancestralité. » Selon Doquet, les guides n’ont pas besoin de mise en scène

car « le décor colle au discours », ils sont plus dans la théâtralité et la création d’une

relation fraternelle avec les touristes, qu’ils arrivent ensuite à transférer dans la relation

des touristes et des villageois. « Quel touriste ne s’est pas entendu dire que lui,

précisément, n’était pas un touriste mais un frère, et que pour cette raison, il assistait à

des scènes et partageait des moments que les autres n’avaient pas la chance de vivre ? »

Le tourisme solidaire serait, dans ce contexte, seul à même de préserver cette

« authenticité » des relations sociales menacées par toute activité touristique plus

commerciale. En réalité, comme toute pratique touristique, le tourisme alternatif n’est

pas exempt des préjugés et de stéréotypes sur l’autre. Finalement, on se retrouve plus

dans « une mise en scène qui masque le caractère commercial de l’interaction entre le

visiteur et le visité » selon Réau et Poupeau68. Le travail du TO à travers sa brochure

consiste à créer de l’imaginaire, c'est-à-dire à rassembler un groupe d’individus à travers

67 DOQUET A, « Guides, guidons et guitares, authenticité et guides touristiques au Mali », Cahiers d’études

africaines n°193-194, pages 73 à 94, 2009

68 In COUSIN S & REAU B, Sociologie du tourisme, op. cit.

Page 61: Le voyage aventure

61

des valeurs communes. Dans notre cas, on retiendra la pauvreté, le travail et le

développement de l’Afrique, qui sont montrés à travers ces brochures et qui sont les

valeurs auxquelles adhèrent les touristes qui décident d’effectuer ce type de voyage. Le

TO a finalement un discours qui s’articule entre responsabilité, durabilité, solidarité et

aventure factice. Le TO aurait finalement une double mission selon les propos de Chabloz,

d’un côté il applique en Afrique une vision spécifique d’un développement qui se veut

durable et de la relation touristique, en l’enseignant aux touristes avant leur départ , « Il

est donc dans une démarche d’information et d’éducation ». De l’autre côté, il a pour

obligation de vendre des séjours, avec comme principaux arguments de vente le

développement durable, responsable, solidaire et l’aventure humaine centrée autour de

la rencontre authentique. Pour que les touristes acceptent de payer un voyage

relativement onéreux et dans les conditions que nous avons pu voir, le TO doit produire

un discours qui leur donne envie de partir. Le TO vend donc un bon voyage « écolo »,

avec compensation carbone etc, qui s’adresse à un touriste qui se plaît très volontiers à

l’idée de devenir un aventurier. A travers un voyage aventure éco responsable, le TO

mettrait en scène une pseudo-aventure qui ne serait que l’exacte matérialisation des

fantasmes des Français du XXIe siècle qui s’ennuient, vivant dans une société ultra-

industrialisée, devenue trop oppressante. Cette forme de tourisme leur permettrait de

s’évader quelques instants. On a donc une première grande composante du système du

voyage aventure qui semble maîtriser le système en ayant du pouvoir sur la seconde

composante qu’est le touriste. Mais celui qui va incarner la vérité du voyage est le

voyageur lui-même. Il convient donc tout particulièrement d’essayer de comprendre ce

voyageur et ses motivations et de voir comment celui-ci s’approprie le discours du tour

opérateur ?

Page 62: Le voyage aventure

62

PARTIE 3 : LES VOYAGEURS AVENTURIERS

Page 63: Le voyage aventure

63

Il s’agit à travers la dernière partie de ce mémoire, de s’intéresser au touriste et de voir

comment le discours du TO est perçu par le touriste, et comment ce dernier se

l’approprie. Pour le comprendre il paraît important dans un premier temps de

s’interroger sur les motivations des touristes : que recherchent-ils en effectuant ce type

de voyage ? Pour cette partie notre hypothèse est la suivante : les touristes qui

consomment du voyage aventure sont des touristes qui font un refus du tourisme de

masse, et qui ont une expérience touristique déjà assez forte de lieux connus. Ils font

donc preuve d’une certaine « maturité touristique ». Ils recherchent donc à aller plus loin

dans leur expérience, la simple consommation d’un lieu « classique » ne suffit plus. Non

seulement ils désirent aller plus loin dans les destinations choisies, c’est-à-dire, dans des

destinations peu touristiques, mais pas forcément très éloignées géographiquement, mais

aussi aller plus loin dans leurs pratiques, le simple « fly and flop »69, ou encore visite de

grandes capitales européennes, ne leur suffisent plus. Nous nous intéresserons seulement

aux voyageurs qui font un voyage organisé en petit groupe par un TO, puisque nous

cherchons avant tout à explorer cette relation tour opérateur-touriste. Beaucoup de

voyageurs individuels « expérimentés » dans les pratiques touristiques sont aussi à la

recherche de nouvelles pratiques touristiques et de territoires plus éloignés. Néanmoins

pour des raisons pratiques ils ne seront pas pris en compte dans notre étude. Nous serons

aussi amenés à nous interroger sur la cause qui amène ces touristes expérimentés à

vouloir voyager en groupe dans un voyage organisé.

69

Expression utilisée par Sophie Fay, journaliste, faisant référence à des vacances où l’on prend l’avion pour

aller passer ses vacances sur la plage.

Page 64: Le voyage aventure

64

CHAPITRE 1 LES MOTIVATIONS DES TOURISTES : ANALYSE DU

DESIR ET DE LA PERCEPTION D’UN VOYAGE AVENTURE A TRAVERS

LE RECIT DE VOYAGE D’UNE TOURISTE

« Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais

bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche. »

Montaigne, Extrait des Essais

1.1 Portrait d’une voyageuse en quête d’authenticité et d’elle-même

Cette partie s’articule autour de récits de voyage et d’un entretien compréhensif effectué

avec une touriste ayant fait ce type de voyage. Il me semble important d’informer le

lecteur qu’il est question ici d’un point de vue unique. J’ai fait le choix de m’intéresser en

profondeur à une touriste et d’essayer de comprendre son portrait, ses besoins, ses

pratiques initiales et ses motivations pour ce type de voyage. J’ai tenté dans un premier

temps de travailler sur des enquêtes quantitatives, autour d’un questionnaire pour

comprendre qui étaient les touristes qui effectuaient ce genre de pratique et de pouvoir

ainsi dresser un portrait type de voyageur aventurier. J’ai donc préparé un questionnaire

et je l’ai envoyé à différents TO en expliquant ma démarche. Or je n’ai eu que quelques

questionnaires remplis, pas assez pour former un échantillon valable. Quitte à ne pas

avoir la quantité suffisante pour former un échantillon qui me permettrait d’effectuer une

enquête quantitative, il m’a paru important de me pencher plus en profondeur sur ce

questionnaire et d’effectuer un entretien compréhensif, qui finalement apporterait bien

plus à notre étude que quelques questionnaires. J’ai donc choisi d’interviewer une

personne que je connaissais et qui a effectué plusieurs voyages aventures. Nous noterons

ici que la personne interviewée est une connaissance. La relation que nous avions au

préalable a sans aucun doute permis un échange en toute sincérité. Je pense que la

personne interviewée n’aurait pas eu les mêmes échanges avec un interlocuteur qu’elle

ne connaissait pas. Par souci de professionnalisme, j’ai préféré interviewer une seule

personne en profondeur, et prendre le temps d’écouter ses récits de voyage qui ont

Page 65: Le voyage aventure

65

nourri ma réflexion plutôt que de faire trois petits entretiens au cours desquels j’aurais

appris bien moins. Il est donc important de garder à l’esprit tout au long de cette dernière

partie, que tous les propos de la touriste interviewée ne concernent qu’elle et constitue

un exemple pour notre recherche mais en aucun cas une généralité, ils ne sont nullement

représentatifs des comportements de tous les touristes qui ont recours à ce type de

pratique. Néanmoins, certains propos qu’a tenus la touriste interviewée sont des

leitmotivs que l’on retrouve chez beaucoup d’auteurs qui se sont intéressés à ces

questions. Certains d’entre eux, principalement MacCannell70 et Urbain71, viendront ainsi

appuyer des réflexions basées sur cet entretien.

Si l’on se réfère à nouveau à L’Idiot du voyage72, on retrouve un terme qui semble

qualifier notre interlocutrice : « xénomane ». Ce terme est inventé dès 1860 pour

dévaloriser le touriste. « Du grec xénos, “étranger” et du latin mania, qui a donné “folie”,

*…+ Se dit des personnes qui ont la passion des voyages et sont toujours à la piste des

nouvelles. *…+ C’est l’homme que vous rencontrez en chemin de fer, lisant un journal ou

parlant à des personnes qu’il n’a jamais vues. Ordinairement, le xénomane passe pour

être toqué, un peu fou. »

Notre interlocutrice, que nous nommerons B est une femme quinquagénaire, médecin,

spécialiste du sida, célibataire, avec deux enfants qui sont aujourd’hui de jeunes adultes,

mais qui faisaient partie des voyages effectués, nous y reviendrons par la suite plus en

détail. Les récits de voyage de cet entretien sont tirés des trois voyages suivants :

- Un voyage au Mali, effectué en 2002, avec le TO Nomade Aventure, intitulé :

« Djenné, le fleuve et les Dogons »

- Un voyage en Mauritanie, effectué en 2003, avec le TO Point Afrique, intitulé :

« La Tanouchertoise »

70 MACCANNELL D, The tourist, University of California Press, 1992

71 URBAIN J-D, L’idiot du voyage, op. cit.

72 Ibid.

Page 66: Le voyage aventure

66

- Un voyage au Burkina Faso, effectué en 2004, avec le TO Nomade Aventure,

intitulé : « rando en pays Sénoufo ».

Nous pouvons noter que B correspond au profil des touristes sur lesquels a travaillé

Nadège Chabloz. « Sur 100 questionnaires, distribués aux touristes partis avec TDS en

2003, 72 ont répondu, ce qui permet d’en savoir un peu plus sur ces “touristes solidaires”.

Ce sont majoritairement des femmes (à 68%), âgées de 45 ans en moyenne, 45% sont

célibataires, 45% sont mariés, 10% sont divorcés ou veufs. Toutes les catégories

socioprofessionnelles sont représentées : employés (18 %), retraités (18 %),

fonctionnaires (16 %), enseignants (13 %), cadres supérieurs (10 %), étudiants (10 %),

chefs d’entreprise (3 %). Ces touristes partent plus en famille (43%) et ont pour la plupart

(62,5 %) déjà voyagé en Afrique »73 . Tourisme et Développement solidaires, est un TO

sous forme d’une association, qui ressemble globalement aux TO que nous avons étudiés,

mais globalement moins connu. L’enquête de Chabloz date de 2003, qui est la période qui

correspond également aux voyages aventures qu’a effectués B. Dans un premier temps, il

m’a paru important de décrire le profil touristique de B. afin de pouvoir comprendre

pourquoi elle a effectué ces voyages aventures. En effet, au cours de cet entretien, j’ai pu

comprendre quelles étaient les raisons et le parcours qui ont mené B à ce choix de

voyage. Le voyage aventure n’est pas un voyage anodin et à la porté de tout touriste, non

seulement financièrement, nous le verrons, mais surtout en termes de maturité

touristique.

B a visité entre vingt et trent pays. Elle a commencé son expérience touristique en faisant

des voyages professionnels au cours de congrès médicaux, avec des séjours combinés

touristiques et professionnels. Ce tourisme d’affaires lui a donné envie de passer à un

tourisme de loisir. Elle a fait ainsi du voyage en individuel. Puis, étant seule avec deux

enfants « la facilité était le séjour en hôtel-club tout compris ». « L’envie d’un voyage

aventure n’est pas venue tout de suite, puisqu’il y avait plein de pays que je ne

connaissais pas et donc je n’avais pas forcément envie d’emblé d’aller crapaüter dans des

endroits éloignés ! Et mes enfants étaient trop jeunes pour ce type de voyage. Puis

ensuite, j’ai eu envie de voir des pays autrement ». (C'est-à-dire ?) « Pour sortir d’un 73

CHABLOZ N, « Le malentendu. Les rencontres paradoxales du “tourisme solidaire” », op. cit.

Page 67: Le voyage aventure

67

hôtel où tu ne bouges pas. Par exemple, on est allé au Sénégal, à Saly, et on a fait des

excursions en brousse, mais c’était très factice, il y avait beaucoup de folklore, et je me

suis rendu compte que ce n’était pas ça que j’avais envie de leur montrer de l’Afrique

*…+. » Cette dernière phrase est très importante, et nous montre le fort imaginaire de B

sur l’Afrique. En effet, lorsqu’elle est allée à Saly avec ses enfants, elle avait déjà visité

certains pays d’Afrique, la Tunisie (loisir), le Maroc (loisir), l’Egypte (loisir) et le Sénégal

(Dakar, tourisme d’affaires). Mais lorsque B parle d’Afrique, elle parle bien souvent

d’Afrique de l’Ouest. Elle parle d’Afrique et du Maghreb comme de deux entités

différentes, or le Maghreb fait partie de l’Afrique. B. fait donc une distinction plus

culturelle que géographique, et certainement très française, du fait des anciennes

colonies. Lorsqu’elle raconte son excursion « en brousse » au Sénégal, elle insiste sur le

côté très folklorique des danses, des rituels et des concerts qui leur ont été présentés.

Dans un premier temps cela montre que les touristes sont conscients de la mascarade et

de la mise en scène qu’on leur offre, mais qu’ils se prêtent au jeu bien volontiers. On

retrouve ici le concept d’Octave Mannoni, « Je sais bien mais quand même74 », où il

explique comment une croyance peut survivre au démenti de l’expérience. Mais au-delà

de ça, B est capable d’ « identifier les signes du faux, les déchiffrer et esquiver les lieux,

les objets et les hommes faussés par le mercantilisme75 » selon Jean-Didier Urbain, et

c’est ce qui fait qu’à ce moment même d’interprétation, B devient une « bonne » touriste,

se démarquant ainsi d’un touriste « grégaire, superficiel, confondant mensonge et vérité,

trompe-l’œil et réalité ». Dans un second temps cette mise en scène apparaît comme un

déclic pour notre interlocutrice, illustré par la phrase « je me suis rendu compte que ce

n’était pas ça que j’avais envie de leur montrer de l’Afrique ». Elle fait donc une

opposition entre l’excursion en brousse « factice » et le voyage aventure qu’elle

effectuera par la suite, qui, lui a permis de voir « la vraie Afrique », expression qu’elle

utilisera à plusieurs reprises lors de notre entretien. Pourtant il n’y a pas de tourisme qui

soit détenteur de vérité. Selon Urbain, « il n’est qu’un regard parmi d’autres possibles,

que valorise une pratique distinctive du voyage fondée sur un savoir plutôt qu’un autre ».

74 MANNONI O, Je sais bien mais quand même, Clefs pour l’imaginaire, 1969

75 URBAIN J-D, L’Idiot du voyage, op. cit.

Page 68: Le voyage aventure

68

On voit donc qu’avant même d’avoir effectué un voyage aventure, il y a un imaginaire

très fort sur celui-ci et une réelle attente. Le voyage aventure permettrait de voir

l’authenticité alors qu’un voyage plus classique ne le permettrait pas. Selon MacCannell76,

la motivation centrale du tourisme est l’authenticité Or une destination dite touristique

est par nature définie comme inauthentique, selon Kjell Olsen. Il faudrait donc aller dans

une destination peu ou pas touristique pour trouver l’authenticité.

Le voyage aventure a permis à B de découvrir des pays qui ne lui semblaient pas

accessibles toute seule ou avec ses enfants. « Quand j’ai eu envie d’aller dans le pays

Dogon, c’était car j’avais envie d’aller voir le pays et pas d’aller dans un hôtel-club dans le

pays Dogon. *…+ En faisant ce style de voyages j’étais à la recherche d’une proximité des

habitants d’un pays pour du vrai et non pas à travers les vitres d’un bus. *…+ » Encore une

fois on retrouve cette opposition entre un voyage classique et un voyage aventure. Mais

cette fois B utilise une phrase péjorative qui dénigre ses anciennes pratiques. Toujours

selon MacCannell77, le touriste cherche à se démarquer et à aller toujours plus loin dans

son expérience. C’est donc pour cela qu’il multiplie ses voyages, dans le but de se

démarquer d’un tourisme ordinaire, il choisit donc des destinations plus lointaines et des

expériences différentes. Il privilégiera par exemple, comme l’a fait B, le voyage aventure.

B explique ainsi qu’elle « mûrit » dans ses pratiques touristiques : « Finalement on peut

dire qu’il y a eu un bon timing : d’un côté, c’était un mûrissement de mes pratiques à moi

et d’un autre côté, mes enfants étaient devenus plus grands [adolescents]. *…+ Et puis tu

n’accèdes pas aux mêmes choses en individuel qu’en organisé par un TO ». (C'est-à-

dire ?) « Par exemple avec un TO, le soir le lieu du bivouac est étudié, tu vas monter ta

tente près d’une source d’eau car ils connaissent les endroits, et puis tu as des porteurs

qui ramènent les bagages. C’est surtout au niveau de la logistique que j’ai choisi ça. On

est allés dans des endroits où il n’y a pas forcément d’accueil pour touristes et là le TO

facilite beaucoup la rencontre. A travers le voyage aventure, le but de B est donc d’

« accéder à une autre vision de ces pays-là », où l’organisation du voyage ne repose pas

sur elle.

76 MACCANNELL D, The Tourist, op. cit.

77 Ibid.

Page 69: Le voyage aventure

69

On retrouve à travers l’évolution des pratiques de B les différentes formes de tourisme

que décrit Jean-Didier Urbain78. Tout d’abord B a pratiqué un tourisme qualifié d’

« initial » par Urbain, c’est-à-dire un tourisme conforme, ritualisé à une saisonnalité. Puis,

par le biais du voyage aventure, B accède à un tourisme « expérimental », qui pour Urbain

symbolise un premier stade de débordement. Le tourisme expérimental est pratiqué

parallèlement au tourisme initial avec des imaginaires en décalage. C’est un tourisme

hors des sentiers battus, producteur de nouvelles formes d’exploration. Nous

comprenons donc comment cette touriste passe d’un tourisme initial à un tourisme

expérimental. Elle a fait des choix, et des voyages qui correspondent à des besoins

différents. En transformant ses pratiques touristiques, elle passe elle-même d’une

« simple touriste » à une « voyageuse ».

Lors de notre entretien j’ai pu aborder avec B la thématique du tourisme en opposition à

celle du voyage. A la question : « te considères-tu comme une touriste ou une

voyageuse ? », B répond : « Ca dépend des voyages. Quand je me fais un week-end dans

une capitale européenne où en trois ou quatre jours je vais voir ce que tout le monde va

voir je suis une touriste. » Autrement dit, pour B le tourisme est un voyage rapide, et le

touriste est quelqu’un qui voit l’essentiel, et surtout ce que « tout le monde » va voir. On

retrouve dans ses propos l’idée du touriste qui se fond dans la masse tel un mouton.

« Dans le pays dogon je suis plus une voyageuse, déjà car on était sur un voyage itinérant

et on essaye de ne pas interférer trop dans leur vie donc on est des voyageurs. On essaie

de voir des choses sans que ce soit organisé pour nous. C’est très différent quand les

activités sont organisées pour toi. Après dans le pays dogon, vu qu’on est des Blancs on

est identifiés comme touristes. Je pense que je fais une différence entre le voyageur et le

touriste au niveau de l’impact de ton voyage, s’il influence vers le développement. Dans le

pays Dogon, par exemple, les touristes ont influencé l’UNESCO. » Pour B, le voyage se

distingue tout d’abord du tourisme car il y a un déplacement, on a une idée de continuité,

de quête, alors que le tourisme est stagnant. Par ailleurs, le voyageur se distinguerait du

touriste car il ne veut « pas trop interférer » dans la vie des autochtones. Selon les dires

de B, les voyageurs seraient des sortes d’explorateurs observateurs de la nature et des

78 URBAIN J-D, L’Idiot du voyage, op. cit.

Page 70: Le voyage aventure

70

populations. A vouloir observer sans interférer, presque sans être vu, n’y a-t-il pas une

part de voyeurisme dans le profil du voyageur ? Il semblerait également qu’il n’y ait rien

d’organisé pour le voyageur car il voyage. C’est pour le touriste que l’on organise des

activités. Or B a bien fait ce que l’on nomme communément un « voyage organisé ». Et

comme elle nous l’a dit auparavant, elle a choisi ce type de voyage pour l’organisation. B

porte donc un discours très contradictoire. Tout l’art du TO réside dans le fait que son

organisation ne doit pas se voir, et les voyageurs aventuriers, explorateurs, observateurs,

ne doivent pas se rendre compte de cette organisation. Lorsqu’elle nous raconte la visite

d’une école dans le pays Dogon, cette visite a bien été organisée pour ce groupe de

voyageurs. L’organisation aurait donc une connotation négative, factice, à utiliser avec

parcimonie juste pour rassurer le voyageur de temps à autre. Mais au nom du « vrai

voyage » les choses vont plus loin. Selon Urbain79, « amateur de pacotilles, le touriste

dont il faut se démarquer est lui-même un voyageur de pacotille. Son voyage est une

contrefaçon du voyage, et il n’est lui-même qu’un simulacre d’explorateur que suffit à

séduire l’illusion de la découverte ». Cette idée de « vrai voyage » et de complexe de

faux80 est portée par les brochures que nous avons étudiées. Comme il y a, nous l’avons

vu, un « bon » touriste, celui qui voyage responsable, qui paye pour sa compensation

carbone etc., il y a un « vrai » voyageur, « qui voyage en explorateur dans un monde

authentique qu’il découvre de l’intérieur (bivouacs, échanges et chemins creux à

l’appui81. » Il s’affirme en opposition à un « observateur superficiel qui se déplace trop

vite dans un théâtre d’apparences (hôtels, spectacles et voies express garantis) ». Ce

débat répond d’abord à un besoin social de distinction82. Par ses voyages B, et plus

généralement les touristes, cherche donc à se distinguer des pratiques initiales. Au-delà

de cette différenciation entre tourisme et voyageur, cette distinction grâce à du vrai

tourisme, B explique au cours de notre entretien le sens qu’elle a donné à ces voyages

aventures, notamment à celui au pays Dogon. B donne un sens initial au voyage, qui fait

79 Ibid.

80 Voir infra chap 1

81 URBAIN,L’Idiot du voyage, op. cit.

82 BOURDIEU P, La Distinction, Editions de minuit, 1979

Page 71: Le voyage aventure

71

parti de l’éducation. « J’avais envie de confronter mes enfants à une vraie découverte,

culturellement éloignée de nous et pas trop loin géographiquement : c’était forcément

l’Afrique. (C’est-à-dire ?). Mon fils avait seize ans à l’époque, et il commençait à être un

ado chiant, c’était probablement le dernier voyage que je faisais avec lui, donc je me suis

dit que ça lui ferait le plus grand bien d’être confronté à d’autres formes de civilisations et

d’autres formes de sociétés. J’avais envie de partager quelque chose de fort avec mes

enfants, de leur donner une leçon de vie et les faire réfléchir avant qu’ils deviennent

adultes. » On retrouve dans le discours de B cette idée de voyage initiatique pour rentrer

dans la vie adulte, tel le grand tour au XVIIIe siècle destiné aux jeunes gens des classes

aristocratiques européennes, dans le but de parfaire leur éducation, avant qu’ils ne

deviennent adultes. On retrouve exactement ce même besoin d’éducation par le voyage

chez B. « Pour ça il ne fallait pas que ce ne soit que folklorique comme on a fait à Saly, je

cherchais quelque chose de plus vrai. On entendait beaucoup parler de ce type de voyage

et surtout du pays Dogon. Donc c’était un bon compromis avec tout ce que je

recherchais : le voyage, la découverte des autres mondes, et réfléchir à la chance qu’on a

d’être né du bon côté. *…+ Je pense que pour mes enfants c’est une expérience qui leur a

permis d’avoir un regard différent sur la vie. Le but c’est pas d’aller voir des pauvres. Le

pays Dogon c’est pauvre mais il n’y a pas de mendiants partout qui crèvent de faim. Le

but c’était pas d’aller visiter des banlieues de Delhi en Inde, c’est plus se confronter à un

développement de société différent du notre et non pas pollué par la société industrielle.

J’ai choisi le pays Dogon pour aller voir l’authentique ». B est donc dans « l’urgence d’aller

voir (et d’expérimenter) des traditions en voie de disparition du fait de la mondialisation,

censée engendrer l’homogénéisation des cultures83 » selon Raout et Chabloz. B tient un

discours paradoxal, puisqu’elle veut voir une société qui n’est pas « polluée par la société

industrielle » et pour autant elle trouve très important que le but du voyage soit le

développement de la région. Ce paradoxe est souligné par Marie-Françoise Lanfant84

lorsqu’elle montre que les touristes sont des individus frustrés par leur milieu culturel, et

83 RAOUT J & CHABLOZ N, « Corps et âmes. Conversions touristiques à l’africanité », Cahiers d’études

africaines, n° 193-194, pages 7 à 26, 2009

84 Dans la preface de l’ouvrage Bali, tourisme culturel et culture touristique, de Michel Picard, l’Harmattan,

1992

Page 72: Le voyage aventure

72

qu’ils ont tendance à idéaliser une culture qu’ils ne peuvent apprécier que

superficiellement car ils l’identifient à un « paradis perdu qu’ils souhaitent voir

préserver ». B est ainsi dans l’observation et la compréhension du monde.

Ce premier voyage aventure est donc bien plus qu’un premier voyage qui sort d’un hôtel

club, mais plutôt une finalité, une mission d’éducation. Ce premier voyage aventure a

donc une symbolique très forte pour B. A la dernière phrase de B « J’ai choisi le pays

Dogon pour aller voir l’authentique », MacCannell répondra, nous l’avons mentionné au-

dessus, la motivation centrale du tourisme est l’authenticité. Le touriste chercherait par le

voyage à fuir l’aliénation de la vie moderne, et c’est aussi ce qu’explique B en voulant voir

et montrer à ses enfants une société qui n’est pas « polluée par la société industrielle ».

Mais est-ce réellement « l’authenticité » qui est montrée à B dans ses voyages ? Selon

Doquet « les populations visitées s’évertueraient à protéger leur culture en en offrant une

représentation aux touristes, tandis que les traditions significatives se poursuivraient en

coulisse ».

Pour B, c’est donc un voyage qui s’est fait pour la découverte des autres mais surtout

pour la découverte d’elle-même et pour que ses enfants se découvrent eux-mêmes avant

tout. Rachid Amirou, distingue « trois grandes dimensions qui marquent la vie du

touriste : le rapport à soi (une quête de sens), à l’espace et aux autres. »85 Ce

cheminement semble pouvoir s’appliquer à notre touriste.

85

AMIROU R et at, Tourisme et souci de l’autre, L’Harmattan, 2005

Page 73: Le voyage aventure

73

1.2 L’appropriation du discours du tour opérateur

« Le secret pour voyager d’une façon agréable consiste à savoir poliment écouter les

mensonges des autres et à les croire le plus possible »

Fiodor Dostoïevski

1.2.1 L’effet aventure

Comme nous l’avons vu au début de notre étude, les circuits sont plus ou moins

accessibles et triés avec des critères de difficulté. Il m’a paru intéressant d’interroger B à

ce sujet, afin de voir l’accessibilité des voyages qu’elle a fait. A la question : « Je vois que

tu as fait des treks, est-ce que ca signifie que tu es sportive ? », B répond en prenant

l’exemple de son voyage au pays Dogon : « Alors là pas du tout ! C’était un voyage

accessible à ceux qui font du sport une fois tous les 15 jours. Je n’ai eu aucune intention

de prouesse sportive dans aucun de mes voyages ! (Rires) Non, réellement, c’était faisable

par tout le monde. Il y avait une « Barbie » avec des talons compensés dans notre groupe

et, même elle, a survécu et a descendu la falaise de Bandiagara ! Puis il y avait une grande

partie en pirogue, et quand je suis allée en Mauritanie, c’était en dromadaire, c’est pas

vraiment des treks. Moi je n’avais pas envie d’une randonnée mais envie de découvrir

l’aventure humaine. *…+ » Nous le comprenons bien, pour B il ne s’agit en aucun cas de

devenir un trekkeur, repoussant les limites de l’extrême. Jean-Didier Urbain s’est

intéressé aux treks et aux déserts. Il explique qu’il y a deux façons d’appréhender un trek,

deux « stratégies86 ». La première, correspondant à la démarche de B et elle est dite

« contemplative », « l’essentiel de cette activité touristique passe par le regard, un regard

d’explorateur tourné vers le dehors. Le touriste de cette espèce appartient à la famille

des observateurs. Il entend avant tout regarder, découvrir « le bout du monde », et

éprouver, non sans crainte parfois, le plaisir qu’éveille le spectacle des origines ou de l’au-

delà ». A l’opposé, on trouve la seconde stratégie, qui peut être dite « hédoniste ».

« L’essentiel passe cette fois, non par le regard, mais par le corps. Ce tourisme désertique

86 URBAIN, L’Idiot du voyage, op. cit.

Page 74: Le voyage aventure

74

est plus axé sur la performance physique que sur l’observation de l’environnement. Le

touriste de cette espèce va moins au « bout du monde » qu’au bout de lui-même.

D’ailleurs ce fou de la marche nous parle avant tout de son corps ou de celui des autres,

de ses douleurs, de ses « chiasses », de ses « tripes », de ses réussites et de ses échecs.»87

B se situe bien évidemment dans la première stratégie, même si, comme toute personne

pratiquant ce type de voyage, elle se situe également dans la deuxième stratégie, puisque

ses voyages lui permettent de lui montrer jusqu’où elle est capable d’aller. Elle confirme

bien sa position par l’anecdote suivante : « Mon fils a eu un petit peu de mal à

comprendre le concept du voyage aventure, il m’a dit : “Quoi, on va marcher, dormir

dehors, et en plus tu as payé pour ça ?! ” (Rires) . Le plus dur c’est pas la marche, c’est la

promiscuité avec les autres, manger par terre, ne pas se laver, aller faire ses besoins

derrière son baobab, etc. Mon fils a eu beaucoup de mal à comprendre qu’on puisse

payer pour tout ça. » Le fils de B fait donc un rejet total de la seconde stratégie

développée par Urbain, il ne comprend d’ailleurs même pas qu’elle puisse être envisagée.

Ce passage nous confirme bien ce que nous avons étudié au début, à savoir, la stratégie

du TO qui nomme ce type de voyage, même des plus simples, un trek, et qui semble à

travers un catalogue pas facile d’accès. L’aventure de l’extrême est donc au final assez

minimisée, dans les faits racontés par cette touriste. En revanche le discours du TO au

sujet de cette aventure « de l’extrême » qui s’adresse non pas à des touristes mais à des

aventuriers, a un effet sur B. Bien qu’elle explique aujourd’hui que les voyages aventures

situés en bas de l’échelle de difficulté88 sont tout à fait accessibles, elle raconte ceci avec

une fierté perceptible. Elle est fière d’avoir réussi à aller au bout de ces voyages. B

s’approprie ainsi le discours de l’aventure lié au trek et aux difficiles conditions de vie.

Même s’il ne fallait pas être sportif, il fallait être capable d’accepter les conditions de vie.

Notre touriste n’est donc pas une randonneuse, mais plutôt quelqu’un qui juge que pour

aller dans la profondeur d’un voyage et dans l’authenticité, il ne faut pas arriver en bus

dans un village. Le trek représentait pour elle la condition siné qua non à un voyage

authentique.

87 Ibid.

88 Voir supra, partie 1

Page 75: Le voyage aventure

75

Il s’agit maintenant de comprendre pourquoi B a choisi ces TO (Point Afrique, Nomade

Aventure). B explique alors : « J’ai commandé pas mal de catalogues. Ils font tous le

même type de voyage. A chaque fois j’ai choisi mon voyage sur des catalogues. La

première fois j’ai choisi de partir avec Nomade parce que c’était le meilleur compromis au

niveau du prix et des dates que je voulais. *…+ J’étais très contente de l’organisation, du

coup la deuxième fois j’ai repris Nomade. *…+ Puis pour la Mauritanie, c’est les mêmes

réceptifs sur place pour tous les TO du coup mon choix s’est seulement fait sur le

prix/dates et j’ai choisi Point Afrique ». Les lecteurs sont donc conscients comme nous

des démarches et des voyages très similaires que proposent ces TO.

1.2.2 L’importance d’un voyage responsable

Voyons maintenant si la démarche responsable du TO a touché et influencé notre

interlocutrice. « Les démarches développement durable telles qu’elles sont aujourd’hui

n’existaient pas quand j’ai fait ces voyages, ou du moins elles n’étaient pas mises en avant

comme ça. Mais en effet c’était très important pour moi qu’ils soient impliqués. Par

exemple, Nomade proposait à chaque fois un partenariat avec les gens du pays et toute

l’équipe était locale, c’est quelque chose que j’ai apprécié. Quand j’ai fait ces voyages il

n’y avait pas de projet de développement associé, aujourd’hui il y en a

systématiquement, et je trouve ça encore plus intéressant. *…+ Parce que j’étais médecin,

notre guide m’a fait visiter l’hôpital de Sangha, mais c’est tout. Puis quand on était à

Dourou, on est allé dans l’école et l’instituteur nous a parlé, on a vu d’autres instituteurs

et des élèves. Il y avait d’ailleurs des profs dans notre groupe, et ils étaient très contents.

Donc même si ce n’était pas vraiment écrit dans la brochure ça existait quand même. A

l’époque, soit on faisait de l’humanitaire, soit du voyage aventure. Maintenant ça s’est un

plus mélangé et ça me paraît important que le financement de ton voyage apporte

quelque chose dans le pays où tu vas. *…+ J’ai failli faire un voyage au Niger, où tous les

soirs il y avait des projections de film et les voyageurs aidaient à la projection. C’est

encore plus intéressant d’y aller avec un but je trouve. Mais ça, c’est l’étape d’après. » Ce

genre de voyage avec un projet de développement associé plus ou moins directement

existe donc depuis longtemps. Notre interlocutrice est très sensible à cette démarche

développement durable et aujourd’hui elle ne partirait pas avec un TO qui ne soit pas éco

Page 76: Le voyage aventure

76

responsable et engagé dans une démarche de développement durable. La démarche

responsable du TO est donc très importante aux yeux de cette touriste.

1.3 L’interprétation du discours du tour opérateur

Il s’agit maintenant de comprendre comment le discours du TO a été perçu par B et

comment elle l’a interprété. Le discours du TO collait-il avec la réalité du voyage ? A-t-elle

été contente de ses voyages ? Déçue ? Si oui, en quoi ? Voilà toutes les questions qui nous

interrogent au cours de cette sous-partie. « Pour le Pays Dogon, oui ça collait exactement

au discours, et même encore plus que ce que je pensais, j’ai bien mesuré que toute seule

je n’aurai pas fait la même chose. J’ai vraiment été impressionnée par ce voyage. » Ce

voyage semble être l’un des meilleurs voyages qu’a fait B, elle en parle avec beaucoup

d’admiration et de satisfaction. Ce voyage a également été le dernier voyage qu’elle a

effectué avec ses deux enfants ensemble. Il est donc pour elle très symbolique et

important. Il représente une étape de sa vie qui s’achève : l’éducation de ses enfants.

C’est pourquoi elle le place sur un piédestal. « Pour le Burkina Faso, la barre était déjà

très haut donc j’ai forcément été déçue. C’est vrai que j’ai moins aimé. J’ai trouvé que le

pays Sénoufo manquait un peu de sel, et le groupe était moins sympa. J’avais l’impression

qu’on marchait pour marcher, c’était moins un voyage itinérant. Le trek ça m’intéresse

pas trop. Il y avait trop de petites boucles, on a un peu fait du sur place. Et puis, on a eu

moins de chance dans le pays Sénoufo car le guide était malade, il a fait une crise de palu

le premier jour, donc c’est le cuisinier qui est devenu notre guide et c’était moins

intéressant. Et puis, de toute manière, il y a moins de choses à voir que dans le pays

Dogon. » On peut alors se demander pourquoi renouveler l’expérience de ce premier

voyage aventure qui apparaissait comme une quête et qui finalement a abouti

parfaitement à ce que recherchait B ? Si l’on en croit Pascal, « tout le malheur des

hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une

chambre ». Est-ce peut être tout simplement la raison qui pousse notre interlocutrice à

continuer ses voyages ? « Pour la Mauritanie c’est encore différent. Je suis fascinée par le

désert, donc j’ai adoré. Mais les conditions étaient un peu plus difficiles en terme de

communication avec la population car les Mauritaniens sont moins rigolos et c’est un

pays très militarisé. Après, à Chinguetti, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de touristes.

Page 77: Le voyage aventure

77

Mais on a rencontré beaucoup d’autochtones dans le désert et ça c’était très intéressant.

Si tu ne marches pas à pied dans le désert tu ne vois pas tout ces gens. » Le fait que B

signale qu’il y ait beaucoup de touristes à Chinguetti est assez intéressant. Chinguetti est

une ville de l’Adrar mauritanien qui compte quelques milliers d’habitants seulement, et

qui est connu grâce à sa bibliothèque classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Lorsque B dit qu’il y avait beaucoup de touristes, cela signifie concrètement qu’ils étaient

au moins deux groupes, donc une vingtaine de touristes. Mais comme elle le signale

« quand tu n’as pas vu de Blanc depuis six jours ca fait bizarre, tu les repères ». Revenons

sur la phrase « je suis fascinée par le désert ». On retrouve cette fascination dont nous

avons parlé en première partie89. Pour Urbain, le tourisme désertique est pour lui une

réponse positive à l’appel de l’étendue, « à l’arrachement social et culturel, à la tentation

du vide, voire du néant, au désir de rupture et retour au point zéro de la vie. » B partage

donc, comme de nombreux touristes, cette fascination du désert que nous avons pu voir.

D’une manière générale, notre touriste semble satisfaite de ses voyages qui collaient aux

descriptions que nous avons vues dans les brochures90.

1.3.1 Des aventuriers seuls au monde

B insiste ensuite sur un point intéressant : « Dans chaque voyage on était les seuls

touristes. On n’a jamais été dans un village avec d’autres touristes, sauf à Sangha (pays

Dogon) on a été très étonné de voir d’autres Blancs. Il y avait suffisamment de villages

pour qu’on ne voie personne. Il y a deux avions par semaine un de Mopti et un de Gao qui

amènent des touristes dans le Pays Dogon et le pays Dogon a une superficie de 100 000

km2 donc ça laisse de la marge. *…+ Quand on était en pirogue sur le Niger on a rencontré

des enfants qui n’avaient jamais vu de Blancs et qui hurlaient quand on arrivait. Ca

montre bien qu’on était les seuls touristes. Dans le pays Dogon il y a très peu de Blancs,

alors qu’on en a vu beaucoup dans des grandes villes comme Ouagadougou ou Bobo-

Dioulasso. » Le discours du TO fonctionne donc très bien sur B puisque le but était de

montrer à chaque groupe qu’ils étaient seuls à être « au bout du monde », alors qu’en

89 Voir supra partie 1, chapitre 2, 2.3 Les lieux de prédilection du voyage aventure

90 Voir supra partie 2, chapitre 2, 2.1 Le discours du TO : entre aventure et encadrement.

Page 78: Le voyage aventure

78

fait, tous les TO que nous avons étudiés, et bien d’autres, proposent le même voyage aux

mêmes dates. Il y a donc forcément des dizaines de groupes de touristes qui pratiquent

exactement le même itinéraire, mais qui, cachés par une dune, ne se voient jamais. Le

discours « seuls à l’aventure », est un discours qui marche très bien sur notre

interlocutrice, et le voyage est mis en scène de manière à ce que chaque groupe se sente

unique alors que les touristes sont à la base au courant qu’ils ne sont pas seuls. En effet

lorsque B a expliqué son choix de TO, elle dit bien que tous les TO proposent les mêmes

voyages, aux mêmes date, elle est donc forcément consciente que cela signifie qu’il y aura

sur place le groupe de Nomade Aventure, le groupe de Point Afrique, le groupe d’Allibert

Trekking etc. Or B affirme par la suite dans un de ses récits de voyage, qu’ils étaient bien

les seuls touristes de la région. Elle oublie alors qu’elle a hésité avec d’autres catalogues

qui proposaient le même voyage, au même endroit, aux mêmes dates. D’une part il y a

surement la stratégie des TO qui consiste à envoyer des groupes qui font le même

voyage, mais séparés par une dune, et, d’autre part, il y a le touriste, en l’occurrence B,

qui a l’impression de se retrouver seule, et qui nie volontairement la présence d’autres

groupes à proximité, qui enlèverait le côté authentique du voyage qui lui est cher.

L’interprétation du discours du TO est très forte. Bien qu’elle en soit consciente, cette

touriste nie volontairement certains faits du voyage aventure, pour que celui-ci soit

réellement semblable à son imaginaire. Ainsi, « elle se prête au jeu », et participe

activement à la création de ce discours d’aventure. Le touriste qui à l’origine, semblait

dupé par le discours du TO, s’avère assez maître de ce discours, qu’il fabrique également.

1.3.2 L’authenticité confirmée

B confirme tout au long de l’entretien l’authenticité de ses voyages, par le fait qu’elle soit

notamment retournée dans le pays Dogon, seule avec un guide, quelques mois plus tard :

« J’étais amie avec le guide, et il m’a proposé de faire un voyage seule pour voir d’autres

choses. On est allé dans les villages où ne vont pas les touristes. Si tu ne connais pas tu ne

peux pas rester. On mangeait et dormait chez l’habitant, sur le toit. Je suis même allée

voir la famille de mon ami et j’ai mangé avec les chefs du village, ca c’est des choses que

tu ne fais pas en groupe. J’ai visité beaucoup de choses différentes. » Selon Chabloz, la

présentation au chef du village laisse croire aux touristes qu’ils sont « intégrés » comme

Page 79: Le voyage aventure

79

des habitants. B fait ici face à la catégorie de rencontre de Chabloz numéro 1 :

« Présenter » que nous avions abordé auparavant91. C’est donc ce qu’il s’est produit avec

notre touriste. B affirme qu’il n’y a pas de grandes différences entre le voyage du TO et le

voyage seule avec son ami local. Ce qui montre pour elle qu’il n’y avait aucune mise en

scène dans ses voyages organisés. « J’ai visité beaucoup mais je trouve pas qu’on se soit

moqué de nous quand on était en groupe. A aucun moment quelqu’un nous a sortis des

masques Dogons pour les touristes. Avec mon ami on a légèrement changé l’itinéraire de

mon second voyage car il y avait un mort et je n’avais pas le droit d’être là. *…+ quel que

soit le voyage il n’y a rien eu de tape à l’œil . Dans le désert, en Mauritanie, on a fait un

méchoui de Noël, deux jours avant d’ailleurs car le mouton n’arrivait plus à suivre le

groupe, mais il n’y avait que nos accompagnateurs et nous. Dans aucun de mes voyages il

n’y a eu de faux trucs pour faire plaisir au touriste, jamais. Par exemple, les Dogons ne

sortent jamais les masques pour rien. Donc si des touristes en ont vu c’était des faux. En

tout cas, nous on n’en a pas vu et personne ne s’est moqué de nous. De toute façon si un

soir ils m’avaient amené des masques Dogons, je n’y aurai pas cru ! Moi j’ai fait des

voyages authentiques. J’ai pas besoin d’avoir des faux trucs et des fausses danseuses du

ventre comme on voit au Maghreb, etc. ça ne m’intéresse pas. Si c’est pour voir ce qu’ils

veulent te montrer ça m’intéresse pas, moi je veux voir leur vraie vie. » Nous noterons

cependant ici que B a participé lors de sa première soirée de son voyage au Burkina Faso

à une soirée musicale « Balafon et djembé ». Cette première soirée est signalée dans la

présentation du voyage dans le catalogue, et B confirme bien qu’elle y a participé. Ce

passage fait également référence à la catégorie de rencontre numéro 2 de Chabloz

« représenter », qui apparaît comme la catégorie de rencontre la plus inauthentique.

Alors que la notion d’authenticité semble très importante pour elle, au vu de ce que B

nous raconte, il semblerait qu’elle parle d’une authenticité chaude pour reprendre les

termes de Selwyn92 « hot authenticity ». Cette définition se réfère à celle de MacCannell

que nous avons évoquée plus haut, où la principale motivation des touristes est la

91 Voir supra partie 2, chapitre 2, 2.2 L’aventure humaine : la rencontre de l’autre.

92 SELWYN T, The Tourist Image. Myths and Myth Making in Tourism, Chichester, John Wiley & Sons Ltd,

1996

Page 80: Le voyage aventure

80

recherche de relations sociales harmonieuses et solidaires que la vie moderne et

postmoderne aurait anéanties. Selwyn parle également d’une authenticité froide « cool

authenticity » qui est mise en scène « stage authenticity », en lien cette fois avec la

qualité de la connaissance associée à l’expérience touristique et alimentée par les

musées, les guides ou même les anthropologues. On offre ainsi à B cette double

authenticité qu’elle recherche.

Ce second voyage en individuel dans le pays Dogon apparaît surtout comme une

vérification de l’authenticité de ces voyages. La dernière phrase de notre interlocutrice

prend tout son sens : pourquoi avoir recours à un TO si l’on ne veut pas voir « ce qu’ils

veulent nous montrer » ? Le principe même du voyage organisé se retrouve démonté une

fois de plus par un discours qui peut sembler contradictoire, alors qu’il ne l’est pas

puisque B est persuadée voir « leur vraie vie » et non pas la vie que le TO veut lui

montrer. Le discours du TO fondé sur l’authenticité et la rencontre humaine est très bien

intégré par notre interlocutrice. B s’approprie tellement ce discours de « vrai voyage »

qu’elle-même n’a plus l’impression d’avoir eu recours à un TO.

Notre interlocutrice dit avoir fait des « vrais » voyages, à la recherche de l’authenticité,

mais si l’on se réfère aux propos que tient Sylvie Brunel, B au cours de ses voyages et

notamment dans le pays Dogon est aussi victime d’une exotisation, qui a pour but « la

consommation touristique de masse des peuples autochtones, auparavant qualifiés de

primitifs et désormais dits natives, caricature leur culture en la figeant dans des rituels

facticement recréés, alors que toute culture est par essence évolutive et mobile ». Même

s’il n’était pas question de masques Dogons, on a montré d’autres aspects de la culture

dogon à B, les cases à palabres, les greniers etc. Finalement le TO réussirait-il à mettre en

scène un prétendu paradis perdu qui n’est que l’exacte matérialisation des fantasmes du

touriste ? B serait alors volontairement aveugle et complice ? Il semblerait que la relation

tour opérateur/touriste soit finalement refondée sur un principe plus égalitaire où le

touriste participerait lui-même à la mise en scène de ce discours.

Page 81: Le voyage aventure

81

CHAPITRE 2 : LES LIMITES DE CE TYPE DE TOURISME

Notre sujet, à bien des égards, a ses limites. Notre étude, elle-même possède ses propres

limites d’interprétation au niveau de la méthodologie choisie, du fait que nous ayons le

point de vue d’une seule touriste. Au-delà de notre propre méthodologie d’enquête, le

sujet du voyage aventure est assez limité, tout d’abord car, selon Hoemer, « le voyage

aventure n’aura jamais d’autre développement qu’élitiste car leur clientèle se recrute

dans les couches aisées de la population93 ». Mais aussi, nous pouvons nous interroger

sur la limite qui sépare le voyage aventure de l’humanitaire, puis sur la limite de la

durabilité de ce tourisme et pour finir des risques liés au voyage aventure notamment au

niveau de la perte d’authenticité et de la banalisation des lieux.

2.1 Limite floue entre le voyage aventure et l’humanitaire : de

l’impression de faire partie d’une ONG en donnant des crayons dans

un village.

L’usage veut que l’on considère avec mépris le touriste et que l’on admire l’humanitaire,

et le TO l’a bien compris. Il insiste donc dans son discours, nous l’avons vu, sur le fait

d’être un bon touriste, sur l’association d’un projet de développement, etc. Tout ce

discours amène le touriste à penser qu’il joue à l’humanitaire.

Comme il y a des lieux touristiques « à la mode », il y a des lieux humanitaires où il faut

être, qui se déterminent selon la médiation d’une crise. Selon Sylvie Brunel94, on trouve

des villes comme Khartoum, Bagdad, Kaboul qu’on peut qualifier « d’humanitaire-land ».

On y trouve des quartiers d’ONG avec de belles villas, des bars fréquentés seulement par

des expatriés, etc. Quand la communauté internationale cesse de financer l’aide

d’urgence, les ONG repartent. Leur désertion entraîne alors une dépression économique.

Sauf si les touristes prennent le relais. Par exemple, les touristes sont très vite revenus en

93 HOERNER J-M, Géopolitique du tourisme, Armand Colin, 2008

94 BRUNEL S, La Planète disneylandisée, Sciences Humaines Editions, 2006

Page 82: Le voyage aventure

82

Thaïlande ou au Sri Lanka après le tsunami de 2004. Les touristes y côtoient alors les

humanitaires restés sur place pour la reconstruction. Dès lors, l’image que donne le

touriste est mal vue. Il est là pour exploiter la population locale alors que les humanitaires

eux sont là pour les sauver. Comme l’affirme Sylvie Brunel « il est bien connu que le

touriste est censé ne rien savoir de la réalité locale95 », même si celui-ci aime tout

particulièrement se documenter avant d’entreprendre un voyage à l’aide de guides

touristiques…

Ainsi, les territoires du tourisme et de l’humanitaire se superposent souvent, même si

l’intention affichée varie. Mais les conséquences du tourisme sur l’économie locale sont

bien plus importantes. D’autant plus que, comme le signale l’auteur, parfois, en repartant

les touristes créent des organisations humanitaires, « parce que la pauvreté qu’ils ont

vue, leur donne envie de s’impliquer ». Tandis que « les bons samaritains de l’humanitaire

» s’octroient au cours de leurs missions des pauses touristiques « jugées indispensables

en raison de la dureté de leur travail ». Ils se retrouvent alors en groupe à effectuer des

activités touristiques. Il y a donc une marge très fine qui sépare le non-touriste du

touriste. Cette marge dépend ainsi des circonstances, des opportunités et des lieux. L’art

du déplacement consiste désormais à « se comporter comme un touriste sans accepter

son identité de touriste ». « C’est ainsi que l’on fait croire au touriste qu’il est un

aventurier, explorant un territoire proscrit ou secourant charitablement des populations

oubliées. » D’un côté, nous avons des ONG qui proposent aux vacanciers de faire de

l’humanitaire, et de l’autre nous avons des tours opérateurs qui se spécialisent en

tourisme dit « équitable » ou « solidaire ». Dès lors, on ne distingue plus où s’arrête

l’humanitaire et où commence le tourisme. La plupart d’entre nous veulent se comporter

en citoyens responsables et voyager «intelligent». Le discours du TO montrant la pauvreté

dans les premières pages de leur brochure tel que nous avons pu le voir auparavant a

bien l’effet attendu. De plus, nous pouvons noter qu’on a souvent une confusion entre

l’aide au développement et l’humanitaire, qui est très entretenue par le tourisme. Si l’on

revient à notre touriste interviewée, on se rend compte qu’on est exactement dans ce cas

de voyage très proche de l’aide au développement et qui, pour les touristes, fait

référence à l’humanitaire. Revenons sur le fait que B est médecin et qu’au cours de ses

95 Ibid.

Page 83: Le voyage aventure

83

voyages en petit groupe, les touristes sont finalement 24h/24h ensemble et partagent

leur intimité. « On fait notre toilette au bord du puits ensemble et pour parler

franchement quand on va se cacher derrière un buisson pour aller aux toilettes on n’est

jamais bien loin des autres », le groupe finit par être proche et a le temps, durant les

marches, de discuter. Ainsi à chaque voyage le groupe et les guides ont su que B était

médecin. B raconte ainsi une anecdote sur son voyage en Mauritanie : « il a fallu à peu

près vongt-quatre heures pour que tout le désert sache que j’étais médecin ! Et le

lendemain on est arrivé dans un village où le fils du chef du village avait une épine dans le

pied. J’ai donc enlevé l’écharde du petit devant le chef du village qui observait.

Heureusement pour moi et pour le groupe tout s’est bien passé ! Et tout le village savait

que la caravane de Point Afrique possédait un médecin. Je n’étais pas partie pour ça donc

je n’avais rien pour faire une consultation, mais on a organisé une mini consultation, où

lorsque les gens avaient quelque chose de grave je leur expliquais que ça nécessitait

d’aller à l’hôpital (oui ils ne se déplacent pas pour rien il leur faut plusieurs jours de

marche), sinon je les rassurais. J’ai même fait une consultation gynécologique dans la

tente où on préparait la cuisine ! Eh oui c’est l’aventure ! » Suite à ce récit de voyage des

plus intéressant, j’ai demandé à mon interlocutrice si elle n’avait jamais pensé faire de

l’humanitaire car la situation décrite y ressemble beaucoup :

« Tu n’as jamais pensé faire de l’humanitaire ?

- Ah si si si ! surtout dans le domaine dans lequel je bosse (rappelons que notre

interlocutrice est spécialiste du Sida). Mais seule avec deux gamins c’est pas compatible.

- Et maintenant qu’ils sont grands ?

- Depuis je ne soigne plus, même si j’y ai repensé c’est compliqué… Après c’est quelque

chose où on n’est pas ou peu payé donc c’est bien quand on est jeune mais moi je ne me

vois pas trop quitter mon travail. Après moi je fais de la prévention ici et ça ne marcherait

pas pareil là bas. En Afrique il y a beaucoup de gens qui font du soin depuis l’accès aux

traitements antirétroviraux mais ça ce n’est plus mon boulot. Mais j’ai donné mon avis

d’expert à la commission Sida de MSF (Médecins Sans Frontière). Donc je participais à ma

manière. Puis on m’a proposé une expertise au Malawi mais je ne me suis pas sentie

capable de savoir seule si c’était bien ou pas ce qu’ils faisaient et je ne pense pas avoir

assez de regard pour les aider à mieux faire. J’ai voulu y aller en binôme mais ça n’a pas

Page 84: Le voyage aventure

84

été possible. Puis quelqu’un d’autre a repris cette commission et les experts rattachés ont

changé et donc je n’y suis plus. » L’humanitaire apparaît comme le grand regret de la vie

professionnelle de notre touriste. Finalement est-ce qu’à travers ces voyages et

notamment des moments comme celui qui s’est passé en Mauritanie, ce n’est pas sa

façon à elle de faire ce qu’elle pense être de l’humanitaire et qui ressemble d’ailleurs plus

à une sorte d’aide au développement ? Il semble que le voyage aventure responsable

représente pour B une transposition d’un rêve qui n’est jamais devenu une réalité. Grâce

au voyage, les touristes accèderaient peu à peu à leurs rêves qu’ils ne peuvent atteindre

dans la vie quotidienne. Ce serait donc également ce que recherche cette touriste en

ayant recours à ce type de voyage. On est alors dans un tourisme qui « flirte » sans cesse

avec l’humanitaire, et qui souvent, franchit cette limite sans s’en rendre compte. Pour

l’équipe MIT96, ce tourisme révèlerait le besoin de certains de nos contemporains de

donner une justification à leurs pratiques touristiques, manière d’exprimer comme le dit

Bruckner97, « le sanglot de l’homme blanc ».

2.2 Le tourisme durable, un « vocable-mythe » ?

Dans la bouche des opérateurs touristiques, comme nous avons pu le voir, l’expression

« tourisme durable » s’est imposée au cours des dix dernières années comme un

« vocable-mythe98 » auquel il convient de se référer tant pour commercialiser un produit,

promotionner une destination, que pour planifier le développement touristique aux

différentes échelles spatiales ou bien en analyser ses effets. Un pareil succès ne doit rien

au hasard. Marquée du coin de la mode, l’expression s’apparente à bien des égards à une

auberge espagnole, dans laquelle chacun amène ce dont il a besoin : les finalités du

tourisme durable, comme les moyens mis en œuvre pour les atteindre sont très variés,

96 MIT, Tourismes 3, op. cit.

97 BRUCKNER P, Le sanglot de l’homme blanc, Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Le Seuil, 1998

98 Cazes G. (1998), « Tourisme et développement : du modèle intégré au modèle soutenable » in Michel

F(éd), Tourismes, touristes, sociétés, Paris, L’Harmattan, p97-105

Page 85: Le voyage aventure

85

voire franchement contradictoires d’un acteur à l’autre. Il convient ici de se poser la

question suivante : le voyage aventure est-il vraiment durable ?

Nous avons vu au début de ce mémoire, l’évolution des systèmes touristiques99. Cette

évolution s’accompagne de la diffusion des lieux touristiques. En effet, avec la

mondialisation on voit apparaître de plus en plus de lieux touristiques. Ceci pourrait

apparaître comme une solution aux problèmes de surconcentration du tourisme de

masse. Mais l’un des avantages du tourisme de masse est que « le touriste de masse » est

par définition assez docile et ne s’écarte pas des sentiers battus. On peut donc le

contrôler facilement. Connaissant bien son comportement et son profil, on peut agir plus

efficacement pour lutter contre ses nuisances. Alors que le voyageur aventurier, lui est

plus volatil, et du fait qu’il ait notamment payé le prix fort, il se permet beaucoup de

pratiques. On amène donc plusieurs petits groupes dans des endroits très éloignés. La

question est en fait de savoir ce qui est le plus acceptable en terme de durabilité : avoir

quelques lieux majeurs du tourisme de masse très abîmés, ou bien moult lieux d’un

tourisme d’aventure un peu abîmés ?

Le tourisme durable peut se concevoir selon deux directions distinctes. D’une part, d’un

point de vue humaniste, il s’agit de lutter contre les effets néfastes du tourisme sur les

milieux réceptifs, au plan social, économique ou environnemental. C’est ce point de vue

qu’essaient de montrer les TO dans leur discours que nous avons étudiés. Il apparaîtrait

donc comme un tourisme alternatif. Mais, selon Lanfant et Graburn100 le tourisme

alternatif n’existerait pas, il semble qu’il n’y ait pas d’alternative au tourisme mais

seulement des façons responsables de le pratiquer. D’autre part, d’un point de vue

pragmatique, il s’agit de ménager les ressources touristiques pour ne pas tuer « la poule

aux œufs d’or ». Comme le suggèrent Hall et Lew,101 le tourisme durable n’est dans ce

sens qu’une « nouvelle étiquette sur de vieilles bouteilles » car tout entrepreneur

touristique a intérêt à ce que les bases de son activité ne soient pas dégradées. On tient

alors à protéger cette nature car on veut que le tourisme perdure, car il est source de

99 Voir supra, partie 1 chapitre 1, 1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques.

100 LANFANT M.F. & GRABURN N.H. “International tourism reconsidered : the principle of the alternative”,

in SMITH V. & EADINGTON W. Tourism alternatives, Wiley, 1992

101 HALL C.M & LEW A.A. Sustainable tourism. A geographical perspective, Longman, 1998

Page 86: Le voyage aventure

86

retombées économiques importantes. Cependant, il faut faire attention à la manière de

« protéger » un lieu. En effet, si protéger le tourisme c’est mettre un lieu touristique hors

de portée des visiteurs, « sous cloche », cela revient à le tuer touristiquement. Ce qui

apparaît alors contradictoire. Pour reprendre les termes de Jean-Michel Dewailly102 :

« Ces contradictions freudiennes se trouvent par définition au cœur de la nature et des

activités humaines. Mais, elles trouvent leur source dans la dialectique hégélienne selon

laquelle toute réalité contient en elle les germes de sa destruction, ce qui la conduit

nécessairement à déboucher sur une nouvelle réalité, une nouvelle solution. » Il s’agit

donc de protéger les lieux touristiques avec circonspection. Le tourisme durable pourrait

s’avérer une nécessité économique. Il nous faut définir cette notion de durabilité pour

mieux comprendre pourquoi elle-même représente une limite. La durabilité s’analyse en

termes de ressources, que les économistes appellent « capital ». Ce capital peut être soit

naturel (végétaux, ressources naturelles …) soit construit capital physique des

infrastructures, capital humain des compétences et des qualifications …). Sylvie Brunel103

différencie deux types de durabilité : une durabilité forte et une durabilité faible. La

durabilité forte signifie que le capital naturel doit absolument être maintenu en état. Elle

donne donc priorité à l’environnement. Ces partisans estiment que les activités humaines

doivent être limitées pour préserver la planète. La durabilité faible signifie que « la

somme du capital naturel et du capital construit doit être maintenue constante, c'est-à-

dire que l’on peut substituer du capital construit à du capital naturel ». La durabilité

faible, elle, donne priorité à l’humanité et montre une grande confiance envers le progrès

et les techniques. « Le progrès remet en question la notion d’irréversibilité des

destructions et des dégradations portées à l’environnement ». En effet, un fleuve pollué

peut être dépollué, les algues du milieu marin abîmées par les navires, peuvent être

réintroduites etc. L’Homme a aujourd’hui un pouvoir immense. Il est capable de

réintroduire des espèces animales, reconstruire des milieux naturels menacés… « L’être

humain doit donc primer sur toute autre préoccupation. » De par sa définition, un

écosystème a besoin d’évoluer en permanence pour subsister. Dès lors, la notion de 102 DEWAILLY Jean-Michel « Tourisme, éco-tourisme, cybertourisme. Vers un espace touristique virtuel », in

MICHEL F Tourismes, touristes et sociétés, Paris L’Harmattan, 1998

103

BRUNEL S, Le Développement durable, PUF, 2009

Page 87: Le voyage aventure

87

conservation chère aux écologistes ne peut s’appliquer en tant que telle dans une

durabilité faible. Cette dernière vision relative au développement durable est celle qui est

associée au voyage aventure durable par un TO. L’environnement ne serait alors que le

produit des activités humaines. Il n’existe pas sur terre de milieux naturels qui n’aient pas

été anthropisés. La nature ne serait donc qu’une construction sociale, qui dépend des

lieux, des époques et des priorités que se donnent les sociétés. La nature n’est donc pas

« naturelle » et n’existe qu’aux yeux de l’Homme qui lui donne cette importance. Ainsi, le

tourisme durable sous toutes ses formes de contemplation ou protection de la nature est

également une construction de notre société qui se préoccupe actuellement de ses

problèmes. Il semblerait alors que le tourisme durable soit avant tout un tourisme créé

par la société et pour la société, en réponse aux attentes d’une certaine époque.

2.3 Les risques du voyage aventure

2.3.1 La perte d’authenticité

On pourrait également se demander ce que ce type de tourisme laisse comme empreinte

dans des lieux aussi éloignés géographiquement, culturellement, socialement, etc. que

des lieux plus habituels ? Le groupe de touristes qui voyage dans le pays Dogon a

forcément un impact sur cette civilisation qui a un fonctionnement qui lui est propre.

L’équipe de chercheurs MIT s’est penchée sur cette question. « On nous culpabilise quand

nous ne restons pas chez nous. On nous somme aujourd’hui de ne plus fréquenter le

« Sud » pour ne pas modifier les « traditions indigènes » »104. Pour eux, « ce discours sur

la « virginité » permet de légitimer des politiques de mise en réserve des espaces, où les

paysages et les populations sont censés être maintenus quasi intacts, c’est-à-dire figés

dans leur développement, muséifiés afin de préserver leur “authenticité” »105. Mais, les

cultures sont des constructions humaines, qui par nature sont amenées à évoluer. On ne

pourrait s’arrêter à des cultures dites « traditionnelles ». Or il y a un « fétichisme

104 MIT, Tourismes 1, op. cit.

105 Ibid.

Page 88: Le voyage aventure

88

contemporain pour les cultures traditionnelles. »106. Pour l’équipe MIT, « les processus

d’acculturation sont donc permanents et n’engendrent pas une uniformisation culturelle,

car des phénomènes d’appropriation interviennent et produisent en permanence la

différence. »107. Nous serons plus mitigés quant à ces propos. Bien évidemment le

tourisme quel qu’il soit va laisser une empreinte. Mais cette empreinte pourrait être

négative selon la façon dont le tourisme est orchestré dans ce lieu. Le voyage aventure,

qui fait l’objet de notre étude, semble au vu de notre analyse apparaître comme une des

formes de tourisme qui laisserait une empreinte négative minimale dans des lieux très

éloignés, où un autre type de tourisme, plus massif, laisserait une empreinte bien plus

forte.

2.3.2 Le risque de banalisation des lieux

Par ailleurs, le touriste serait un prédateur qui, une fois qu’il a épuisé un lieu, l’abandonne

aussitôt pour se trouver une autre « proie ». Ainsi Aisner affirme : « En analogie avec ce

que nous avons pour l’alpinisme, nous pouvons dire ici que tout paysage “vierge” et

exotique deviendra banal, une fois qu’il sera exploré ; d’où la surenchère exotique de la

course, toujours plus lointaine et effrénée, pour atteindre de nouveaux sommets intacts

pour imaginer de nouvelles destinations et attractions touristiques108. » Les voyages

aventures dans des lieux reculés finissent-ils par être banals ? Et ces lieux, très peu

industrialisés dont, finalement, le tourisme finit par devenir la plus forte retombée

économique, vont-ils être laissés pour compte ? S’il devient trop commun d’effectuer des

voyages aventures dans le pays Dogon, les touristes aventuriers iront-ils s’y précipiter ?

Que deviendront alors ces lieux, qui sont pour ainsi dire, dépendants de ce type de

tourisme ? On voit aujourd’hui apparaître cette situation de lieux délaissés, mais pour

d’autres raisons. Depuis l’hiver 2010-2011, on a vu évoluer une situation des plus

contraignantes dans le Sahel, notamment en Mauritanie, au Mali et au Niger. Les TO que

nous avons étudiés ont été contraints d’arrêter tous leurs voyages aventures dans cette

106 Ibid.

107 Ibid.

108 AISNER P & PLÜSS C, La ruée vers le soleil. Le tourisme à destination du Tiers-Monde, L’Harmattan, 1983

Page 89: Le voyage aventure

89

zone. Cela signifie que de nombreuses équipes locales qui avaient basé leur revenus

depuis plusieurs années sur le tourisme d’aventure se voient abandonnées. Point Afrique

a totalement arrêté son activité de voyagiste, et a mis en place une association : Point

Afrique Solidarité. Non seulement il a été important de transformer leur activité afin

qu’elle puisse perdurer, mais aussi et surtout il est important de ne pas laisser tomber les

équipes locales. Point Afrique s’est rendu compte de l’impact qu’avait leur tourisme dans

ces régions : « Il a été établi que le tourisme dans ces régions enclavées était un des

principaux moyens de lutte contre la pauvreté. Exemple : Une étude du PNUD de 2002

sur le taux de prévalence de la pauvreté dans l'Adrar mauritanien indique que ce taux est

tombé de 57 % en 1996, à 24 % en 2002, soit une diminution de moitié et souligne que le

tourisme a contribué pour une grande part à la régression de la pauvreté dans cette

région 109 ». L’objectif de cette association est de « contribuer à la lutte contre la

paupérisation et l’embrigadement djihadiste en cours dans ces régions saharo-sahélienne

désertées par les touristes français :

- Viser l’autosuffisance par des formations à l’agroécologie avec Pierre Rabhi,

- Financer des microcrédits (notamment pour les femmes) pour créer des projets

individuels ou communautaires (jardins, irrigation, entrepôts villageois, etc.), - Parrainer

la scolarisation des enfants de nos partenaires locaux,

- Faire travailler les artisans et artistes en achetant et en revendant leurs créations sur

Internet et dans nos locaux de Paris.

Les bénéficiaires des actions proposées sont : nos chameliers, piroguiers, âniers,

cuisiniers, chauffeurs, guides ainsi que les communautés villageoises périphériques qui

profitaient indirectement des retombées touristiques. » Il paraît important de montrer ici

la manière de réagir aux événements actuels d’un de ces TO qui se dit « solidaire ». A ce

jour, Point Afrique semble être le seul TO à avoir mis en place une démarche solidaire

suite aux événements de ces derniers mois, alors que tous semblaient s’axer sur une

démarche solidaire, équitable, durable. Nous ajouterons pour terminer, comme l’a

montré l’exemple de l’association Point Afrique Solidarité, que la limite du voyage

109 http://www.point-afrique.com/solidarite/pourquoi.html

Page 90: Le voyage aventure

90

aventure, s’intègre aussi dans le fait que le tourisme, d’une manière générale, est

totalement dépendant du contexte extérieur.

Page 91: Le voyage aventure

91

Conclusion

A travers ce mémoire nous nous sommes interrogés sur l’organisation du système du

voyage aventure. Nous avons ainsi appréhendé ce phénomène dans sa globalité autour

d’une première partie. Nous avons retracé l’évolution du tourisme afin de comprendre

pourquoi et dans quelle optique nous étions amenés à traiter d’un « tourisme

autrement », qui se développe en réponse à un refus du tourisme de masse. Nous avons

ensuite tenté de comprendre les notions de voyage et d’aventure. Ainsi nous avons vu

que cette pratique s’adresse à des voyageurs, qui, singulièrement, sont des touristes,

mais ne doivent pas le savoir. Les voyageurs, eux, ne « bronzent pas idiots » comme leurs

confrères les touristes, mais ont « soif d’aventure ». Ils explorent alors des contrées

reculées dont le nom fait toujours son effet lorsqu’ils racontent leurs voyages en

Ouzbékistan ou au Burkina Faso au cours de dîners entre amis, qui eux, bien sûr, sont de

simples touristes. Après avoir étudié ce qui se cachait derrière cette expression « voyage

aventure », nous nous sommes intéressés à l’une de ces deux principales composantes :

le tour opérateur. Nous avons donc compris que le TO avait une stratégie de marketing-

communication qui se fondait d’une part sur la vente d’un voyage responsable, solidaire,

durable, équitable. Même si ces termes ne sont jamais définis et que le touriste ne

connait pas réellement la différence entre toutes ces notions, il comprendra qu’il s’agit

d’un « bon » voyage. La deuxième facette de la stratégie du TO réside dans la vente d’une

aventure encadrée. Cet oxymore est très important puisque le TO joue sur l’aventure,

qu’elle se fasse en pirogue ou en dromadaire, mais il doit garder son rôle rassurant

d’encadreur. Nous avons également compris que l’aventure n’était finalement pas celle

d’Indiana Jones ou de Robinson Crusoe, mais plutôt une aventure humaine, autour de la

rencontre des populations locales, qui se révèle être parfois faussée. Pour finir nous nous

sommes intéressés à la seconde grande composante du système, à savoir, les touristes,

que nous nommons bien volontiers, les voyageurs. Nous avons essayé de comprendre

quel était leur rôle dans ce système où ils se trouvent finalement au centre. En nous

appuyant sur l’interview d’une voyageuse nous avons pu voir quelles étaient ses

motivations et ce qu’un touriste pouvait rechercher en ayant recours à ce genre de

Page 92: Le voyage aventure

92

pratiques. Nous nous sommes ensuite questionnés sur comment les touristes

interprètent et s’approprient le discours du TO. Enfin, nous avons énoncé les limites de

notre sujet. Nous avons notamment parlé de la limite floue qu’entretenait le voyage

aventure avec l’humanitaire, puis de la limite de la durabilité de ce type de tourisme, et,

pour finir, des risques que peut engendrer le voyage aventure, au niveau de la perte

d’authenticité et de la banalisation des lieux. C’est ainsi que nous avons pu comprendre le

système du voyage aventure.

Le TO réussirait-il à mettre en scène un prétendu paradis perdu qui n’est que l’exacte

matérialisation des fantasmes du touriste ? Il serait bien évidemment trop réducteur de

répondre à cette question que nous nous sommes posés par une simple affirmation ou

infirmation. Il ne s’agit pas pour nous de voir une relation d’opposition entre un TO qui

aurait le pouvoir de manipuler un touriste naïf. La relation qu’il y a entre les deux

principales composantes de ce système se révèle finalement complexe et beaucoup plus

fine. Le pronom personnel sujet « nous », souvent utilisé par les TO prend ici tout son

sens. Chaque composante va se nourrir de l’autre pour exister. Cette structure sagittale

initialement évoquée avec un TO qui serait gouvernant, agissant sur des touristes qui

seraient gouvernés est finalement assez limitatrice. On ne peut raisonner en termes de

relations simplistes et mécanistes. La cybernétique de ce système est plus compliquée.

On se trouve dans un système ouvert, c’est-à-dire avec des relations extérieures. Il nous

faut donc inclure d’autres composantes qui viennent se greffer au système initial comme

les populations locales visitées, les territoires du voyage, etc.

Pour aller plus loin dans l’analyse de ce système, il nous faudrait approfondir la

méthodologie utilisée, qui, telle qu’elle est, possède ses propres limites d’interprétation,

notamment du fait que nous prenions en compte le point de vue d’une seule touriste. Il

faudrait donc d’une part interviewer plusieurs groupes de touristes de différents TO, mais

également mettre en place des enquêtes quantitatives qui nous permettraient de

généraliser sur un profil type du voyageur aventurier. Pour finir, participer en tant que

chercheur observateur à des voyages aventures permettrait d’analyser le comportement

du touriste lorsqu’il est sur place, ce qui complèterait le récit de voyage et sa part de

subjectivité.

Page 93: Le voyage aventure

93

Le but de ce mémoire n’est pas d’établir une quelconque « vérité » sur le voyage

aventure, ni même d’énoncer ma propre définition du voyage-aventure, mais plutôt de se

poser les bonnes questions afin de comprendre comment fonctionne ce système

géographique qu’est le voyage aventure.

In fine, on peut se poser la question de la téléologie de ce système. En systémique on

appelle téléologie, la « science, recherche ou mystique des buts de l’action, conscients ou

non, des finalités des phénomènes et des intentions110. » Au niveau du voyage aventure,

le système rechercherait-il plutôt une stabilité qu’un changement ? Sa finalité

s’affirmerait ainsi sur l’équilibre de ses composantes, où TO et touristes à la fois y

trouveraient leur compte. Ou bien, s’agirait il d’évoluer vers de nouveaux objectifs ? Le

système du voyage aventure aurait-il pour vocation de se transformer et de s’insérer dans

un plus grand système que serait le « tourisme éthique » ?

110

BRUNET R, FERRAS R, H THERY, Les mots de la géographie, La Documentation Française, 2006

Page 94: Le voyage aventure

94

Schéma récapitulatif du système du voyage-aventure

Page 95: Le voyage aventure

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ALLIBERT TREKKING, Le monde à pied 2011

ATALANTE, Guide du trek 2011

CHEMINS DE SABLE, Brochure 2010-2011

NOMADE AVENTURE, Automne hiver 2010-2011

POINT AFRIQUE, Hiver printemps 2010-2011

TERRES D’AVENTURE, circuits accompagnés, Automne hiver 2010/2011

VOYAGEURS DU MONDE, Voyageurs en Afrique, 2011

Page 99: Le voyage aventure

99

Annexes

Annexe A : Tableau le « tourisme d’aventure » une certaine pratique du monde ……...100

Annexe B : Première page du catalogue Chemins de Sable…………………………………………..101

Annexe C : Démarche responsable Chemins de Sable page 1 et page 2 ………………….……102

Annexe D : Démarche responsable Nomade Aventure page 1 et page 2 ………………………104

Annexe E : Démarche responsable Allibert Trekking page 1 et page 2 ………………………….106

Annexe F : Démarche responsable Atalante page 1 et page 2 …….………………………………..108

Annexe G : Charte éthique du voyageur ……………………………………………………………………….110

Annexe H : Voyage « Djenné, le fleuve, les Dogons » …………………………………………………. 118

Annexe I : Voyage « Rando en pays Sénoufo » ……………………………………………………………..119

Annexe J : Voyage « La Tanouchertoise » ……………………………………………………………….……120

Page 100: Le voyage aventure

100

Annexe A : Tableau le « tourisme d’aventure » une certaine pratique du Monde

Source : Tourismes 1, Lieux communs MIT

Page 101: Le voyage aventure

101

Annexe B : première page du catalogue Chemins de Sable

Source : brochure Chemins de sable, 2010-2011

Page 102: Le voyage aventure

102

Annexe C : Démarche responsable Chemins de sable page 1 et 2

Source : brochure Chemins de sable, 2010-2011

Page 103: Le voyage aventure

103

Page 104: Le voyage aventure

104

Annexe D : démarche responsable Nomade Aventure page 1 et 2

Source : brochure Nomade Aventure Automne-Hiver 2010-2011

Page 105: Le voyage aventure

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Page 106: Le voyage aventure

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Annexe E : démarche responsable Allibert trekking page 1et 2

Source : brochure Allibert trekking Le monde à pied 2011

Allibert trekking page 2

Page 107: Le voyage aventure

107

Page 108: Le voyage aventure

108

Annexe F : démarche responsable Atalante page 1et 2

Source : guide du trek Atalante 2011

Atalante page 2

Page 109: Le voyage aventure

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Page 110: Le voyage aventure

110

Annexe G : Charte éthique du voyageur

Source : Association ATR (Agir pour un Tourisme Responsable)

Page 111: Le voyage aventure

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Page 112: Le voyage aventure

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Page 113: Le voyage aventure

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Annexe H : voyage « Djenné, le fleuve, les Dogons »

Source : catalogue Nomade Aventure 2011

Page 119: Le voyage aventure

119

Annexe I : voyage « Rando en pays Sénoufo »

Source : catalogue Nomade Aventure 2011

Page 120: Le voyage aventure

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Annexe J : voyage « La Tanouchertoise »

Source : catalogue Point Afrique 2011

Page 121: Le voyage aventure

121

Table des matières

SOMMAIRE 4

INTRODUCTION 6

PARTIE 1 : LE VOYAGE AVENTURE, PRECIS DE DEFINITION 11

CHAPITRE 1 : VERS UN TOURISME AUTREMENT 12

1.1 Les fonctions du loisir et du tourisme 12 1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques 13 1.3 Le rejet du tourisme de masse et l’apparition de nouvelles tendances 17

CHAPITRE 2 : LEXICOLOGIE 19

2.1 Voyageur versus touriste 20 2.2 D’aventures en aventures : une balade nommée trekking 22 2.3 Les lieux de prédilection des voyages aventures 27

PARTIE 2 : MISE EN PLACE D’UNE STRATEGIE AUTOUR DE LA RESPONSABILITE ET DE

L’AVENTURE PAR LE TOUR OPERATEUR 31

CHAPITRE 1 : DE L’ART DE VENDRE UN « BON » ET « VRAI » VOYAGE RESPONSABLE 32

1.1 Analyse du discours responsable des tours opérateurs expliqué dans leur brochure 33 1.1.1 Le cas de Chemins de Sable 33

1.1.2 Le cas de Nomade Aventure 36

1.1.3 Le cas d’Allibert trekking 38

1.1.4 Le cas d’Atalante 41

1.2 Une stratégie de communication 42 1.3 L’importance d’associer un projet solidaire au voyage 46

CHAPITRE 2 : ENCADRER UNE AVENTURE 48

2.1 Le discours du tour opérateur : entre aventure et encadrement 48 2.1.1 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « Djenné, le fleuve, les Dogons », catalogue

Nomade Aventure, hiver 2010-2011 48

2.1.2 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « Rando en pays Sénoufo », catalogue

Nomade Aventure, hiver 2010-2011 50

2.1.3 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « La Tanouchertoise », catalogue Point

Afrique, hiver printemps 2010-2011 51

2.2 L’aventure humaine : la rencontre de l’autre 53

PARTIE 3 : LES VOYAGEURS AVENTURIERS 62

Page 122: Le voyage aventure

122

CHAPITRE 1 LES MOTIVATIONS DES TOURISTES : ANALYSE DU DESIR ET DE LA PERCEPTION D’UN VOYAGE

AVENTURE A TRAVERS LE RECIT DE VOYAGE D’UNE TOURISTE 64

1.1 Portrait d’une voyageuse en quête d’authenticité et d’elle-même 64 1.2 L’appropriation du discours du tour opérateur 73

1.2.1 L’effet aventure 73

1.2.2 L’importance d’un voyage responsable 75

1.3 L’interprétation du discours du tour opérateur 76 1.3.1 Des aventuriers seuls au monde 77

1.3.2 L’authenticité confirmée 78

CHAPITRE 2 : LES LIMITES DE CE TYPE DE TOURISME 81

2.1 Limite floue entre le voyage aventure et l’humanitaire : de l’impression de faire partie d’une ONG en donnant des crayons dans un village. 81 2.2 Le tourisme durable, un « vocable-mythe » ? 84 2.3 Les risques du voyage aventure 87

2.3.1 La perte d’authenticité 87

2.3.2 Le risque de banalisation des lieux 88

CONCLUSION 91

BIBLIOGRAPHIE 95

ANNEXES 99

TABLE DES MATIERES 121

RESUME 123

Page 123: Le voyage aventure

123

Résumé

Mots clés : Voyage, aventure, tour opérateur, responsabilité , touristes, voyageurs

Le voyage aventure est une pratique touristique de niche qui se développe depuis plusieurs

années en opposition au tourisme de masse. Cette pratique fait référence à un forfait

touristique où l’on associe généralement un déplacement qui renvoie à la mobilité dite

douce, à savoir souvent la marche, mais aussi, le canoë, le vélo, le dromadaire,

l’équitation, la pirogue etc. On y associe également la découverte « active » d’une région.

Le voyage aventure s’adresse à des voyageurs initiés, qui se distinguent de simples

touristes par leurs pratiques. Ce type de tourisme est organisé par des Tour Opérateurs qui

se disent « responsables », « solidaires », « équitables » et qui communiquent beaucoup

sur leurs démarches. L’aventure se trouve également au centre de leur stratégie de vente.

Les voyageurs sont très sensibles à ces discours qu’ils interprètent à leur manière. Ce

mémoire traite donc de la complexité de l’organisation du voyage aventure comme un

système qui aurait pour composantes majeures les tours opérateurs et les touristes.

Key words : travel, adventure, tour operator, responsibility, tourists, travelers

Adventure travelling is a tourism practice niche that has been significantly growing over

the past few years in opposition to mass tourism. This practice consists in a tour package

in which locomotion is that of soft mobility: walking in most cases but also canoe, cycling,

horseback, dromedary ridding, dugout etc... “Active” discovery of a region is also often on

the menu. Adventure travelling is aimed at experienced travelers, who are marked out

tourists by their practices. This type of tourism is organized by so called “responsible” and

“fair” Tour Operators which communicate a lot about their “sustainable” approaches. Not

to mention adventure is also at the core of their selling strategies. Travellers are very

receptive to these speeches, and interpret them in their own way. This master's thesis is

about the complexity of the organization of adventure travelling as a system which has for

main components tour operators and tourists.