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114 Logés à la même enseigne ? - N° 1264 - Novembre-décembre 2006 La formation d’un entreprenariat d’origine étrangère marque l’apparition d’un champ d’étude nouveau dans les sciences sociales, comparable à l’  eth-  nic business (1) que l’on qualifie aujourd’hui d’  ethnic entrepreneurship (2)  . Il a permis d’attirer l’attention sur ces groupes d’entrepreneurs encore peu considérés. Épicier maghrébin ou restaurant chinois  , döner kebab turc ou restaurant indien, la présence visible des entrepreneurs ayant pignon sur rue, localisés dans des espaces urbains marqués par une forte présence étrangère, en vient à nous faire oublier la grande dispersion, numérique- ment supérieure, des activités commerciales et artisanales. L ’artisanat, au sens large, a une place équivalente en terme de nombre d’établissements. Les entrepreneurs immigrés ont investi de nombreux secteurs de l’arti- sana t, notamment le bâti ment (construct ion, élec trici té, plomberie , peinture…), mais également la confection, les transports, etc. Comme le soulignent Sophie Body-Gendrot et Emmanuel Ma Mung, “les activités  non commerciales, moins visibles, tiennent elles aussi une place essen- L’entreprenariat ethnique en France Depui s le milieu des années quatre-vi ngt, les sciences sociales se sont penchées sur les activi tés indépe ndantes exerc ées par les migrants et ont mis en évidence une série de facteurs explicat ifs. Si les interdictions statutaires ont été maintenues après la Libération, limitant la présence des étrangers sur le marché du travail, force est de constater qu’une classe d’entrepreneurs d’origine étrangère (artisans, commerçants ou chef d’entreprise) s’est affirmée depuis plus de deux décennies. Leur nombre a considérablement augmenté, compensant en partie la baisse importante et constante des entrepreneurs français.       R       E       P        É       R       A       G       E par Bernard Dinh, doctorant en géographie à MIGRINTER (Migrations internationales, espaces et sociétés) UMR 6588, CNRS - université de Poitiers 1)- Précisons qu’en France, où nationalité et citoyenneté sont étroitement liées, les migrants sont d’emblée placés en marge de la citoyenneté et ne peuvent accéder aux privilèges civiques, contrairement à ce qui se passe en Grande-Bretagne où les ethnics minorities, en gra nde par tie con cer née par l’a ppr och e de l’  ethnic business , son t aus si des suj ets britanniques, British subjects, et de ce fait ont la pleine jouissance des droits de citoyenneté (droits de vote, possibilités de travailler dans les services publics…). En dépit de ces différences, les termes “minorités ethniques” et “ethnicité” empruntés aux études anglo- saxonnes dans le domaine de l’anthropologie urbaine ont permis de rendre compte de la prése nce durable, voire définitive , de groupes migrants en France. Cf. Coste s L., 1994, “La dimension ‘ethnique’ : une explication du comportement économique des migrants”, Revue  française de sociologie , 35 (2), avril-juin 1994. 2)- L ’expr essi on entr epre nariat ethn ique dési gne ici les entr epri ses comm erci ales et artisanale s qui “utilisent et s’appuient sur des réseaux de solidarité ethnique notamment sur le plan du financement, de l’approvisionnement, du recrutement du personnel et parfois  même de l’achalandage, lorsqu’elles sont orientées vers leur communauté d’origine” . Cf. Ma Mung E., 1992, “Dispositif économique et ressources spatiales : éléments d’une économie de diaspora”, Revue Européenne des Migrations Internationales , vol 8 n° 3, p. 177.

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114 Logés à la même enseigne ? - N° 1264 - Novembre-décembre 2006

La formation d’un entreprenariat d’origine étrangère marque l’apparitiond’un champ d’étude nouveau dans les sciences sociales, comparable à l’ eth- nic business(1) que l’on qualifie aujourd’hui d’ ethnic entrepreneurship(2) .Il a permis d’attirer l’attention sur ces groupes d’entrepreneurs encore peuconsidérés. Épicier maghrébin ou restaurant chinois , döner kebab turc ourestaurant indien, la présence visible des entrepreneurs ayant pignon surrue, localisés dans des espaces urbains marqués par une forte présenceétrangère, en vient à nous faire oublier la grande dispersion, numérique-ment supérieure, des activités commerciales et artisanales. L’artisanat, ausens large, a une place équivalente en terme de nombre d’établissements.Les entrepreneurs immigrés ont investi de nombreux secteurs de l’arti-sanat, notamment le bâtiment (construction, électricité, plomberie,peinture…), mais également la confection, les transports, etc. Comme lesoulignent Sophie Body-Gendrot et Emmanuel Ma Mung, “les activités non commerciales, moins visibles, tiennent elles aussi une place essen-

L’entreprenariat ethniqueen France

Depuis le milieu des années quatre-vingt, les sciences sociales se sont penchées sur les activités

indépendantes exercées par les migrants et ont mis en évidence une série de facteurs explicatifs.

Si les interdictions statutaires ont été maintenues après la Libération, limitant

la présence des étrangers sur le marché du travail, force est de constater qu’une classe

d’entrepreneurs d’origine étrangère (artisans, commerçants ou chef d’entreprise) s’est affirmée

depuis plus de deux décennies. Leur nombre a considérablement augmenté, compensant

en partie la baisse importante et constante des entrepreneurs français.

     R     E     P     É     R

     A     G     E

par Bernard Dinh,doctorant en géographieà MIGRINTER(Migrations internationales,espaces et sociétés)UMR 6588, CNRS -université de Poitiers

1)- Précisons qu’en France, où nationalité et citoyenneté sont étroitement liées, les migrantssont d’emblée placés en marge de la citoyenneté et ne peuvent accéder aux privilègesciviques, contrairement à ce qui se passe en Grande-Bretagne où les ethnics minorities, engrande partie concernée par l’approche de l’  ethnic business, sont aussi des sujetsbritanniques, British subjects, et de ce fait ont la pleine jouissance des droits de citoyenneté(droits de vote, possibilités de travailler dans les services publics…). En dépit de cesdifférences, les termes “minorités ethniques” et “ethnicité” empruntés aux études anglo-saxonnes dans le domaine de l’anthropologie urbaine ont permis de rendre compte de laprésence durable, voire définitive, de groupes migrants en France. Cf. Costes L., 1994, “Ladimension ‘ethnique’ : une explication du comportement économique des migrants”, Revue française de sociologie, 35 (2), avril-juin 1994.

2)- L’expression entreprenariat ethnique désigne ici les entreprises commerciales et

artisanales qui “utilisent et s’appuient sur des réseaux de solidarité ethnique notamment surle plan du financement, de l’approvisionnement, du recrutement du personnel et parfois même de l’achalandage, lorsqu’elles sont orientées vers leur communauté d’origine”. Cf. MaMung E., 1992, “Dispositif économique et ressources spatiales : éléments d’une économie dediaspora”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol 8 n° 3, p. 177.

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tielle voire plus importante en termes de nombre d’entreprises”(3). Parailleurs, si la création d’entreprise s’inscrit dans un processus de territo-rialisation ethnique des activités, “elle peut également le faire dans une grande dispersion géographique où les réseaux interviennent aussi ou bien disparaîtront totalement au profit d’une démarche strictement individuelle”(4).Pourtant, les activités indépendantes exercées par les migrants, long-temps reléguées en périphérie des migrations internationales comme unphénomène marginal, n’ont suscité, en France, que peu d’intérêt scienti-fique jusqu’au milieu des années quatre-vingt(5). Un état de la recherchesur la création d’entreprise d’origine étrangère nous amène à un doubleconstat : rareté des travaux français en comparaison avec la productionbibliographique britannique et nord-américaine(6), éparpillement desrecherches disponibles(7).Or, depuis plus de vingt ans, le nombre des entrepreneurs étrangers aconsidérablement augmenté, compensant en bonne partie la diminutionimportante et constante des entrepreneurs français de naissance(8) . Parailleurs, quid des créations d’entreprise de la seconde génération issue del’immigration ?

 Le cadre législatif 

L’entreprenariat ethnique est pourtant un phénomène ancien. Le recense-ment de 1911 dénombre 121 000 entrepreneurs de nationalité étrangère(contre 107 100 en 1999). Dans le même temps, le pourcentage des tra- vailleurs indépendants dans la population active étrangère était trois foisplus élevé qu’aujourd’hui : 20,4 % en 1911 contre 6,7 % en 1999 (INSEE,recensement 1999).

3)- S. Body-Gendrot, E. Ma Mung, 1992, (Numéro spécial) “Entrepreneurs entre deux mondes,les créations d’entreprises par les étrangers : France, Europe, Amérique du Nord”, in Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 8, n° 1, pp. 5-7.

4)- Ibid.5)- Au sujet des commerçants, cf. : Salem G., 1981 ; Boubakri H., 1985 ; Dahan J., 1985 ; GuillonM. et Ma Mung E., 1986 ; Raulin A., 1986 et 1988 : Joseph I., 1987 ; Kerrou M., 1987 ; Costes L.,1988 ; Aït Ouaziz R., 1989, Ma Mung E. et Simon G., 1990… et des artisans, cf. : Wisniewski J.,1982 ; Moulier-Boutang Y., Garson J.-P., SilbermanR., 1986 : Morokvasic M., 1987 ; Pallida S., 1987 ;

 Auvolat M. et BenattigR.,1988 ; GarsonJ.-P. et Mouhoud E. M.,1989 ; Montagné-Villette S.,1990…

6)- Un des travaux pionniers est celui d’Ivan Light, Ethnic enterprise in America, publié en1972, qui fit date dans la recherche scientifique aux États-Unis.

7)- Cf. Dinh B., 2005, L’entreprenariat ethnique en France et dans le monde anglo-saxon : bilan des connaissances, inventaire bibliographique commentée, rapport de recherche pour le Fasild(Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations), 130 p.La dernière étude de synthèse sur le sujet date de 1994, “L’entreprenariat ethnique en France”d’Emmanuel Ma Mung, Sociologie du travail, n° 2, pp. 185-209.

8)- Il s’agit de personnes qui exercent une activité en tant qu’artisans, commerçants ou chef d’entreprise de dix salariés ou plus que l’on désigne sous le sigle ACE. Catégories de l’Insee,ils constituent la partie la plus importante des non-salariés. Voir Tableau 1.

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Depuis l’entre-deux-guerres(9), les politiques menées en direction des étran-gers ont reflété la volonté de contrôler et d’instrumentaliser la présence desétrangers sur le marché du travail, avec, selon les périodes, la volonté de lafavoriser, de la sélectionner ou, comme c’est le cas depuis trente ans, de lalimiter voire de la réduire. Depuis la Libération, la plupart des discrimina-tions légales ont été maintenues. À l’heure actuelle, plus de 6 millions depostes titulaires sont encore réservés aux nationaux dans les trois fonctionspubliques (de l’État, territoriale et hospitalière), dans “l’administrationpublique”, dans les entreprises sous statut générant des services publics etles établissements publics industriels. Une cinquantaine de professions faitl’objet de restrictions explicites liées à la nationalité, soit 615 000 emplois, ouà la détention de diplômes français, soit 625 000 emplois(10).Si le cadre législatif a ralenti considérablement la présence des étrangersdans les activités entrepreneuriales depuis près d’un siècle, force est deconstater que, depuis trois décennies, une classe d’entrepreneurs étrangerss’est affirmée. Initialement recrutés par les industries en mal de main-d’œuvre, durant les trente glorieuses, et durement affectés par la crise éco-nomique et industrielle des années soixante-dix (11), au point de jouer un rôlenon négligeable d’amortisseur de la crise(12), les immigrés se sont tournés,dans des proportions importantes, vers l’entreprenariat. La seule mesurepouvant être interprétée comme un encouragement à la création d’entrepriseétrangère est la loi du 17 juillet 1984 qui modifie radicalement le régime destitres de séjours. Elle a dispensé de la carte de commerçant les étrangers titu-laires d’une carte de résident et permis également l’accès d’un grand nombred’immigrés à un nouveau statut juridique, autorisant l’exercice d’une activitéindépendante. Cette libéralisation peut s’expliquer par une volonté politiquede l’époque de réduire le chômage dans la population étrangère, sans êtreexplicitement inscrite dans les textes officiels de la loi(13).

9)- Entre 1932 et 1935, dix propositions de loi ou de résolution, ayant pour objet la défense descommerçants et artisans sont déposées, auxquelles fut ajoutée en 1938, une onzièmeproposition. Une loi comparable à celle du 10 août 1932 permettant de contingenter lesimmigrés par type de commerce ou par région fut régulièrement réclamée. Cf. Schor R., 1985,

 L’opinion française et les étrangers, 1919-1939. Paris, Publications de la Sorbonne, 761 p.Cf. Les travaux de Claire Zalc, 2002, Immigrants et indépendants. Parcours et contraintes. Les petits entrepreneurs étrangers du département de la Seine (1919-1939). Thèse de doctoratd’histoire, université de Paris X-nanterre.

10)- Groupement d’Intérêt Public/Groupe d’Étude et de Lutte contre les discriminations,Gip/GELD, 2005.

11)- Au total, en quinze ans, de 1975 à 1990, 40 % des postes de travail occupés par les étrangersdans l’industrie ont été supprimés, ce qui équivaut à la disparition de plus d’un demi-million de salariés (Marie Claude-Valentin, 1992, “Les étrangers non-salariés en France symbole de lamutation économique des années quatre-vingt”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 8, n° 1, p. 28).

12)- Marchand O., 1991, “Autant d’actifs étrangers en 1990 qu’en 1980”, Économie et Statistique, n° 242, avril.

13)- Ma Mung E., Lacroix T., 2003, The narrow path, in Kloosterman R., Rath J. (eds), Immigrant entrepreneurs : venturing abroad in the age of globalization, Berg, Oxford, p. 175.Nous avons repris la suggestion émise par les auteurs.

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118 Logés à la même enseigne ? - N° 1264 - Novembre-décembre 2006

 En augmentation depuis plus de vingt ans

Entre 1982 et 1990, une baisse de près de 55 000 entrepreneurs français de naissance est largement confirmée, la décennie suivante, par la dispa-rition de plus de 178 000 entreprises. Au final, cela signifie une diminutionde 233 000 entrepreneurs français de naissance entre 1982 et 1999(14).Cette baisse a été en partie compensée par une augmentation du nombredes entrepreneurs français par acquisition (+ 7 300 entre 1982 et 1990,+ 5 500 entre 1990 et 1999) et surtout de nationalité étrangère (+ 35 800entre 1982 et 1999, + 8 700 entre 1990 et 1999)(15) (voir tableau 1). Entre1999 et 2002(16), il faut ajouter plus de 6 000 entrepreneurs étrangers. Au final, entre 1982 et 1999, il y a eu une hausse de près de 19 % pour les natu-ralisés et de plus de 71 % pour les étrangers. En additionnant ces deux caté-gories, on obtient en 1999, un total de plus de 188 000 entrepreneurs d’origineétrangère, soit 11,3 % de l’ensemble des ACE (10,3 % de la population activetotale), contre 9,5 % en1990(9,7 % dela population active totale). Il est impor-tant de combiner ces deux groupes pour restituer l’évolution réelle des entre-preneurs d’origine étrangère. Les entrepreneurs français par acquisition sontsocialement perçus, par leur clientèle, comme immigrés et associés à leurgroupe d’origine ethnique, surtout lorsqu’ils sontphénotypiquement marqués.Ils continuent bien souvent après leur naturalisation d’entretenir des rela-tions avec leur groupe d’origine sur le plan géographique et économique. Aujourd’hui, si la part des entrepreneurs étrangers dans la population activeétrangère est de 6,7 % contre 6,1 % en 1990, celle des Français par acquisitiondans sa population active respective connaît une diminution, 7,1 % contre9,1 % en 1990 (voir tableau 2). Un des facteurs explicatifs concernant cettebaisse peut être lié au ralentissement du nombre des naturalisations, qui,avant 1984 (obtention obligatoire d’une carte professionnelle), était unmoyen de contourner la législation et souvent un pas nécessaire vers l’acti- vité entrepreneuriale. En combinant étrangers et français par acquisition,la part de cette catégorie dans la population active correspondante est de6,9 % aujourd’hui, soit un pourcentage à peu près équivalent à ce qu’il étaiten 1990 avec 7,1 %(17). La part de la catégorie des ACE français de naissancepoursuit une phase descendante dans la population active correspondanteavec seulement 6,2 % aujourd’hui contre 7,2 % en 1990.C’est parmi les étrangers que l’augmentation demeure constante. Désormais,la population active étrangère ou d’origine étrangère pour la catégorie desentrepreneurs(18) est supérieure à celle de la population active française denaissance.Il estpossible de distinguer quatregroupes d’étrangers installésdans lesacti- vités indépendantes : ceux arrivés dans les années cinquante et soixante au

titre de l’immigration de travail tels que les Italiens, les Espagnols et les Algériens, ceux des années soixante et soixante-dix comme les Portugais etlesTunisiens,ceux desannéesquatre-vingtet quatre-vingt-dix, lesMarocains,la population du Sud-Est asiatique et les Turcs et, dans les années quatre-

14)- Pour indication,entre 1999 et 2002, la baissedes ACE f  rançais de naissance se confirmeavec la disparitionde 186 400 entreprises(Enquêtes sur l’emploi,mars 2002, INSEE).

15)- En 1975, 49 600entreprises étrangères sontrecensées. Il s’agit encoredes P.I.C, “Patronsde l’Industrie

et du Commerce”, avantla refonte des catégoriesde l’Insee et la nouvelleappellation ACE.Les P.I.C ne regroupent pasque les commerçantsmais également les artisanset les aides familiaux.La méthode de calcul estrelativement comparableà celle des ACE.Pour la période 1975-1982,cf. Ma Mung E.,Simon G., Les commerçants

 maghrébins et asiatiques en France : agglomération parisienne et villes de l’Est,Masson, Paris, 1990, p. 15.

16)- Enquêtes sur l’emploi,mars 2002, Insee.

18)- Cette tendance ne doitpas faire illusion. Les actifsétrangers demeurent enmajorité ouvriers, 46,1 % en1999 (55,2 % en 1990), mais28,5 % seulement des actifsfrançais par acquisition(31,7 % en 1990) contre25,2 % des actifs français denaissance (27,1 % en 1990).Mettre l’accent sur la

diversification sociale de lapopulation étrangère ne doitpas faire perdre de vue queses traits fondamentaux changent lentement.

17)- L’apparente diminutionest en fait liéeà l’augmentation des actifsétrangers.

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Repérage - N° 1264 - Novembre-décembre 2006 119

 vingt-dix, les Africains et les Indo-Pakistanais. Cette distinction permet d’ob-server trois phases dans l’histoire entrepreneuriale d’un groupe immigré :unephase d’installation et de développement durant laquelle le nombre d’en-trepreneurs du groupe est en forte progression, une phase de consolidationdurant laquelle les effectifs devenus importants progressent faiblement etune phase de déclin où les effectifs diminuent ; les groupes se situant à desphases différentes en fonction de leur ancienneté sur le territoire(19). C’est lecas pour les Espagnols (- 6 % en 1990, - 28 % en 1999 chez les artisans) et sur-tout les Italiens qui représentaient en 1982, plus du tiers des artisans étran-gers (11 026 sur 31 160) ne comptent plus en 1990 que pour 16,5 % et aujour-d’hui pour 9,5 % de l’ensemble des artisans étrangers. Faible proportion demigrants en provenance de ces pays, vieillissement de ces groupes apparais-sent comme lesprincipaux facteurs explicatifs.Ces évolutions entraînent unenouvelle conception du migrant, longtemps représenté comme une victimeou, à bien des égards, comme incapable d’entreprendre(20).

Tableau 2 : Pourcentage d’ACE dans différentes populations actives totales

Françaispar acquisition

Françaisde naissance Étrangers

4,32

4,02

0,81

9,15

3,34

3,16

0,72

7,22

3,15

2,52

0,41

6,08

Artisans

Commerçants

Chefs d’entreprise

10 salariés ou +

Total

Françaispar acquisition

Françaisde naissance Étrangers

3,16

3,38

0,57

7,1

2,83

2,68

0,67

6,2

3,24

3,02

0,48

6,7

Artisans

CommerçantsChefs d’entreprise

10 salariés ou +

Total

Sources : INSEE, recensement 1999

Sources : INSEE, Résultats, démographie société, n° 21, novembre 1992

19)- Ma Mung E., Dinh B., 2007 (à paraître), The New Landscape of Immigrant Entrepreneurshipin France”, in Léo P. Dana, (ed.), The Edward Elgar Handbook on Research about Ethnic Minority Entrepreneurs, Cheltenham, England ; Vermont, USA : Edward Elgar.

20)- Le colloque intitulé, “Le Migrant comme acteur économique”, organisé à Lyon le 17 et 18décembre 1987, à l’initiative de l’atelier “cultures urbaines”, est à ce titre tout à fait novateur.Il reposait sur un double objectif : sortir d’une approche de l’immigration comme main-

d’œuvre, inscrite dans un rapport de force capital/travail à l’échelle d’une économie nationaleet répondre à la question des ressources anthropologiques et culturelles d’une minoritéd’entrepreneurs et de commerçants. Cf. “Commerces et commerçants étrangers dans la ville”,1990, in Dossier des séminaires Techniques, Territoires et Sociétés, n° 13, rassemblant unepartie des textes du colloque sous la direction de I. Joseph.

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120 Logés à la même enseigne ? - N° 1264 - Novembre-décembre 2006

 Les apports théoriques

Le phénomène de l’entreprenariat ethnique a été tout d’abord observé aux États-Unis, puis en Grande-Bretagne et enfin dans le reste de l’Europe duNord. Depuis la fin des années quatre-vingt, l’expansion migratoire maro-caine, subsaharienne et asiatique a transformé l’histoire sociale de l’Es-pagne et de l’Italie, de nations d’émigration en nations d’immigration, révé-lant l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs d’origine étrangère. Aux États-Unis, l’antériorité du phénomène a permis de préciser sonactualité et son importance : forte visibilité dans de nombreuses grandes villes américaines, statuts non salariés parmi les populations étrangèressupérieurs à ceux des natifs, travail indépendant comme mode importantd’insertion des migrants sur le marché du travail.Une des interprétations nord-américaines, aujourd’hui considérée par denombreux chercheurs comme une avancée importante dans une meilleurecompréhension théorique de l’entreprenariat étranger, est le modèle théo-rique interactif  “interactive model” proposé en 1990 par Roger Waldinger,Howard Aldrich et Robin Ward(21). Il est construit à partir de deux dimensions :la structure d’opportunité  et les caractéristiques communautaires des migrants. La première série de facteurs concerne la structure économique etl’environnement sociopolitique : conditions du marché, politiques publiques,favorables ou défavorables à l’accès des migrants à l’entreprenariat, à leurinsertion dans une activité ou une niche économique, aux possibilités d’accèsà la propriété et au marché général. La seconde se rapporte aux ressourcesethniques et aux réseaux sociaux dont disposent les entrepreneurs et qui serévèlent des atouts sur le marché du travail. En même temps, leur capacité àréagir aux conditions qui leur sont faites dans la société d’accueil transformece qui a initialement été un handicap en un avantage.En France, dans la même perspective, les chercheurs ont mis en évidenceune série de facteurs explicatifs : externes d’une part, mettant en relief leschangements en cours dans la société d’accueil et sur lesquels les popula-tions immigrées ont eu peu de prise ; Internes, d’autre part, révélant ladimension “ethnique” dans le comportement économique des migrants.Ces évolutions marquent de plus en plus fortement les paysages urbainssous la forme de concentrations commerciales, donnant naissance à desquartiers ethniques ou à des dispersions de commerces de proximité dansles quartiers résidentiels(22). Cet entreprenariat se présente ainsi sousdeux, voire trois formes :– celle d’unités isolées proposant leurs produits aux populations autoch-tones, commerces devenant de véritables services de proximité qui amé-liorent ainsi le confort, donc le standing, de ces lieux de résidence ;

– celle de regroupements de commerces distribuant des produits et desservices spécifiques à des populations immigrées et participant de cettemanière à leur reproduction comme entité culturellement distincte. Cetteseconde forme ayant donné naissance à une troisième :

21)- Waldinger R., Aldrich H., Ward R., 1990 (eds), Ethnic entrepreneurs : immigrant business in industrial societies,Newbury Park, California :Sage Publications, 226 p.

22)- Pour les quartierset entrepreneurs asiatiquesà Paris, cf. : Guillon M.,Taboada Leonetti I., 1986 ;Guillon M. et Ma Mung E.,1986 ; Ma Mung E. etSimon G., 1990 ; Raulin A.,1988 et 2000 ; Live Y.-S.,1989 et 1992 ; Hassoun J.-P.,1992 et 1993 ; Pairault T.,1995 ; Ma Mung E., 1996…Pour le quartier de la Goutted’Or, cf. Toubon J.-C. etMessamah K. 1990…Pour le quartier de Belleville,cf. Simon P., 1994 et 1995.Pour le quartier indien du

 XXe arrondissement de Paris,cf. Vuddamalay V., 1989,Jones G., 2003.Pour Noisiel et Lognes(Banlieue Est de Paris),cf. Brunel E., 1992.

Pour la place du Pont à Lyon,cf. Battegay A., 2003, pourMarseille, cf. Dahan J., 1985 ;Péraldi M., 1995 ; Tarrius A.,1987, 1992, 1995, 1996…

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23)- Cf. Ma Mung E., Dinh B.,2007 (à paraître), ibid.

24)- Auvolat M., Benattig R.,1988, “Les artisansétrangers en France”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 4, n° 3, pp. 37-54.

25)- Cf. Garson J.-P.et Mouhoud EL M., 1989,“Sous traitanceet désalarisation formellede la main d’oeuvre

dans le BTP”, in La note de l’IRES, n° 19, p. 36-47.

26)- Dans le dernierrecensement (1999),les Portugais constituentle premier groupedes artisans étrangers avecprès de 30 % des effectifs(15 413 sur 51 556).

27)- Pour les commercesdu Sentier cf. Green N.

et al., 1987 ; Jollès G.et Bounine J., 1989 ;Montagné-Villette S., 1990 ;Lazzarato M., Moulier-Boutang Y. et Negri A., 1993 ;Green N. , 1998…

Repérage - N° 1264 - Novembre-décembre 2006 121

– celle de l’exotisme, d’établissements proposant aux curieux des marchan-dises inhabituelles dont l’usage et la consommation participent à leur recon-naissance, en tant que produits prisés par des individus distingués (23).

 Les artisans, “désalarisation” de la main-d’œuvre

et sous-traitanceDans le BTP, principal secteur d’installation en France des artisans étran-gers (deux tiers d’entre eux s’y installent)(24), la principale explication dupassage des anciens salariés immigrés à l’activité indépendante est l’ex-tension de la sous-traitance de grandes entreprises vers de plus petites.Les premières tendent à inciter leurs propres salariés à acquérir le statutd’artisan tout en continuant à leur fournir l’ensemble du matériel et desmarchés. Ce qui leur permet, d’une part, d’extérioriser la gestion de lamain-d’œuvre, par conséquent, d’en économiser les coûts, d’autre part,d’éviter les travaux spécialisés, tâches à faible valeur ajoutée, ou les inves-tissements en matériels notamment sur le marché du second-œuvre. Dansle contexte de crise, chaque intervenant, à chaque étape, cherche résolu-ment à minimiser les risques et à maximiser ses gains. L’extension de lasous-traitance constitue alors l’instrument principal de ce que certainsauteurs ont appelé la “désalarisation formelle de la main-d’œuvre”(25).Ceci expliquerait la très forte augmentation du nombre d’artisans portu-gais depuis plus de vingt ans(26), puisque ceux-ci sont le plus souvent dansle secteur du bâtiment et travaux publics.Dans la confection, secteur artisanal traditionnellement investi par lesmigrants, le développement de la sous-traitance, donne lieu également àd’importantes créations d’entreprise selon des modalités qui sont tout àfait différentes. Mais il ne s’agit pas là pour autant d’une désalarisationformelle, l’artisan étant rarement incité par son ancien employeur à s’éta-blir, bien que souvent il ait été lui-même salarié de la confection. Il s’agitd’une adaptation à l’organisation particulière de la production dont lemeilleur exemple est le “système Sentier”(27). D’un côté, les fabricants,appelés donneurs d’ordre, sont des entreprises à fonction essentiellementcréative et commerciale ayant pignon sur rue. Ils sous-traitent la part dela chaîne de production sur laquelle ils peuvent exercer la pression maxi-mum : la couture. De l’autre, les ateliers de confection, preneurs d’ordre,partenaires indispensables de ce système de sous-traitance, réalisent lamarchandise. Dans ce cas, il existe un mouvement d’externalisation descoûts permettant aux fabricants d’éviter l’embauche d’un personnelouvrier, la location d’un local de fabrication et l’achat de matériel. Dans lecadre d’une forte segmentation des activités, ces derniers bénéficient

d’une niche économique qui les protège mais la concurrence entre lespetites entreprises est féroce. Compte tenu des conditions financièresimposées par les fabricants, les sous-traitants tendent à réduire au maxi-mum leurs coûts de production, en accentuant le plus souvent la précarité

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122 Logés à la même enseigne ? - N° 1264 - Novembre-décembre 2006

28)- Depuis la dernièreguerre, la part desentreprises d’habillementen France est passéede 25 à 41 %, 27 % en 1988.De la même manière, la partdes entreprisesdu IIe arrondissement passede 10,1 % des entreprisesparisiennes en 1956 à 20,3 %en 1988 (S. Montagné-

 Villette, 1990 : 25).Cependant, rien dansla nomenclature actuelledes Assedic ou du ministèrede l’Industrie ne permetde distinguer un fabricantd’un entrepreneur etles annuaires professionnelsle font sur la déclaration

de l’intéressé.

29)- E. Ma Mung, 1994,p. 195.

30)- Poinard M., 1992,“La recherche

sur l’immigration pour qui ?pour quoi ?”, in Migrants-formation, n° 90,septembre, p. 18.

de leurs emplois et de leurs conditions de travail. La crise de l’emploi metà disposition des artisans, lesquels recrutent en grande majorité leursemployés dans leur groupe d’origine, un réservoir de main-d’œuvre souventen situation irrégulière, par ailleurs sans cesse renouvelé par l’arrivée denouveaux migrants. Ceci expliquerait une partie de l’augmentation dunombre d’artisans turcs et asiatiques dans le secteur de la confection.

Une stratégie de mobilité sociale

Ce secteur de la confection, qui, selon toute vraisemblance, a été le secondsecteur artisanal(28) ayant employé le plus de travailleurs étrangers, a per-mis à un bon nombre d’entre eux de se constituer un capital et de semettre à leur compte. Si les ouvriers peuvent déplorer la faiblesse du taux horaire, les salariés l’imputent rarement au patron, mais plutôt aux don-neurs d’ordre. Ils sont d’autant moins enclins à s’en plaindre que la plu-part, ayant aussi l’ambition de devenir leur propre patron, en ont intégréles contraintes. Selon François Brun, chercheur au Centre d’études del’emploi, “la logique de la migration est plus une logique de pionnier ou  d’entrepreneur qu’une logique de salarié. L’employé demande à son patron de lui fournir assez de travail pour lui permettre de rembourser une dette éventuelle, de subvenir à ses besoins et, à terme, de se constituer un capital afin d’être lui-même un jour son propre patron.” C’est pour-quoi, les faillites nombreuses et la modestie des résultats ne doivent pasfaire oublier que la démarche entrepreneuriale “s’inscrit du point de vue des acteurs dans une stratégie de mobilité sociale dont le projet migra-toire est l’origine, et la création d’entreprise, une modalité”(29) . Comme lesouligne Michel Poinard, spécialiste des migrants portugais qui consti-tuent le premier groupe national parmi les artisans étrangers : “Si, actuel-lement, la sortie du salariat se multiplie chez les immigrés, ce n’est pas seulement parce que la crise multiplie la pire précarité de ‘l’ouvrier à son compte’, mais aussi parce que la logique migratoire adhère sponta- nément au credo de l’idéologie libérale.”(30)

Si dans le cas des artisans, les mutations industrielles ont eu pour consé-quence une segmentation des activités et une multiplication de petitesentreprises organiquement liées à de plus grandes, pour les commerçants,elles ont engendré une situation de vacance structurelle dans laquelle lesétrangers se sont insérés.L’apparition de supermarchés puis d’hypermarchés dans les annéessoixante-dix a laissé vacants les petits commerces de proximité desgrandes agglomérations urbaines. Le vieillissement de la population com-merçante française, qui tenait traditionnellement les petits commerces

urbains, a été un facteur décisif dans la reprise des établissements par lesétrangers. Emmanuel Ma Mung et Michelle Guillon notent, en 1986, quel’enquête réalisée dans l’agglomération parisienne sur les commerçantsétrangers “a révélé que la plupart des Français vendeurs de leurs fonds

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31)- Emmanuel Ma Munget Michelle Guillon, 1986,“Les commerçants étrangers

dans l’agglomérationparisienne”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 2 n° 3,pp. 122-123.

32)- Cf. Simon P., Société partagée, Relations interethniques et interclasses dans un quartier en rénovation :

 Belleville, Paris 20 e,thèse en sciences socialesde troisième cycle, EHESS,Paris, 1994 ; Cf. l’articledu même auteur surBelleville dans les Cahiers Internationaux de Sociologie, 1995, vol. 98,pp. 161-190.

33)- Raulin A., 1988,La petite Asie de Paris :Espaces marchands

et concentrations urbainesminoritaires, Cahiers Internationaux de Sociologie, vol. LXXXV,pp. 227-228

Repérage - N° 1264 - Novembre-décembre 2006 123

 avaient tous dépassé, au moment de la cession, la cinquantaine et sou- vent la soixantaine. Il s’agissait donc d’une population commerçante relativement âgée et qui n’a pas retrouvé repreneur par les Français auxquels ils auraient, si on en croit leurs déclarations, préféré vendre  plutôt qu’à des ‘étrangers’”(31) . Le retrait progressif des commerçantsautochtones au profit de petits entrepreneurs d’origine étrangère s’est faitsur la base d’un foncier commercial existant ou inexploité. À Paris, parexemple, les acquisitions de fonds de commerce par les étrangers étaient,en 1991, cinq fois supérieures à celles réalisées par des Français.

 Les commerçants : opportunités économiqueset urbaines

D’autres facteurs externes ont largement accompagné les mutations ducommerce urbain, et contribué à favoriser l’insertion des étrangers dansl’activité commerciale : évolution des modes de consommation, augmenta-tion de la demande en produits exotiques, principalement en alimentationet en restauration. Ainsi, la multiplication de la petite restauration, en toutgenre et de toutes origines, dans les quartiers où les activités de serviceset de petites industries sont bien implantées, constitue un des processusde ce développement (restaurant italien, maghrébin, africain, chinois, japonais, turc, indien, tibétain, kurde, etc.). Il existe désormais une largepalette de “cuisine du monde”. Ces établissements s’adressent à des clien-tèles diversifiées sous la forme de restaurants type plat du jour, de cuisine“à emporter”, de vendeurs de sandwichs ( döner kebab /sandwich grec,etc.). L’autre phénomène de cette évolution est la consommation accruede plats préparés, liée à la réduction du temps consacré à la cuisine,laquelle a suscité l’accroissement de traiteurs de toute sorte.Parallèlement, la modernisation du tissu urbain à la fin des années soixantea provoqué la disparition de toute une culture ouvrière urbaine et de sonenvironnement commercial spécifique (cafés, commerces, liens entre popu-lations marchande et chalande). Elle a engendré un processus de recompo-sition du petit commerce de façon parallèle mais non confondue avec ladynamique suscitée par le développement des grandes surfaces. C’est le casdans le XIIIe notamment pour le quartier chinois du “triangle de Choisy” oule XXe arrondissement dans le quartier de Belleville qui connaît une réno- vation urbaine plus tardive(32). Comme le souligne Anne Raulin, “l’urbanisa-tion joue un rôle actif, et plus direct, brutal, dans la restructuration del’appareil du commerce de détail, que l’implantation et le développement des grandes surfaces. Cela n’équivaut pas à minimiser ce dernier phéno- mène et, plus généralement, l’influence de la concurrence, mais attire l’at-

tention sur le fait qu’il n’est ni exclusif, ni le seul important”(33)

. La faibledensité commerciale ainsi que l’absence de compétition autochtone pourl’acquisition de locaux dans ces secteurs urbains ont contribué à laisser la voie libre au commerce ethnique de diverses origines.

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 Les ressources communautaires

Si la loi du 17 juillet 1984 dispensant les étrangers titulaires d’une carte derésident d’être en possession d’une carte de commerçant a eu pour consé-quence une hausse des immatriculations au registre de la Chambre ducommerce(34), des conditions favorables préexistaient souvent aux pro- jets économiques. Ainsi aux facteurs externes s’ajoutent d’autres facteurs,internes, propres aux groupes et aux entrepreneurs étrangers :– la longue tradition migratoire et commerçante dans les pays d’origine de lagrande majorité des commerçants étrangers installés sur notre sol : Jerbiens,

Soussis et Ghomrassende TunisiesontenFrance majoritairement dans le com-merce alimentaire et la restauration,Fassis et Rifains du Maroc dans le bazaret le commerce, Mozabites et Kabylesd’Algérie dans les hôtels-cafés-restau-rants(35), Chinois du Zéjiang et d’Asie duSud-Est (Cambodge, Laos, Vietnam) dansla restauration, le commerce alimentaire,le commerce de gros (alimentation, maro-

quinerie, prêt-à-porter enfant et aujourd’hui prêt-à-porter féminin) ;– la forte capacité d’autofinancement communautaire sur la base de sys-tèmes de crédit internes différents selon les groupes considérés (prêt de lafamille, des proches et des compatriotes). C’est le principe de l’associationentre plusieurs membres de la famille et du clan qui domine dans le com-merce maghrébin, le recours au système du “hui” que l’on désigne couram-ment par le terme de tontine(36) chez les commerçants asiatiques ;– le recrutement de la main-d’œuvre sur la base de liens familiaux, cla-niques, régionaux, confessionnels ;– le rôle de la confiance dans le choix des relations économiques. La réus-site entrepreneuriale de certaines minorités serait le résultat d’une capa-cité à s’entraider en s’appuyant naturellement sur les membres du mêmegroupe : financement initial, acquisition et vente d’un fonds de commerce,

Le savoir-faire essentiel,

“celui qui détermine de plus en plus 

nettement les réussites commerciales […],c’est le savoir-circuler et le savoir faire circuler,

c’est l’affirmation du nomade sur le sédentaire…” 

Alain Tarrius

34)- En 1985, La Gazette du Palais (n° 184-185, 3-4 juillet 1985) note “À Paris un sondage concernant les commerçants personnes physiques, sur les premiers mois de l’année, fait apparaître une augmentation d’environ 60 % des commerçants [étrangers] inscrits”. Citépar Ma Mung E., 1994.

35)- En 1999, les Maghrébins continuent d’être le premier groupe commerçant étranger avec35,5 % des effectifs grâce à l’augmentation des Marocains (+ 22.1 %) pendant que les Algérienset les Tunisiens subissent une perte respective de 14,9 % et de 4,7 %. Néanmoins, les Algériensrestent le groupe commerçant étranger le plus important (18.3 % du total) suivis des Marocains(11,9 %) et surtout des Portugais (8,6 %), traditionnellement artisans dont l’irruption sur la

scène commerciale depuis 1990 (+ 277 %) est confirmée aujourd’hui par une augmentation de47 % de ses effectifs.

36)- Concernant le fonctionnement de la tontine et de ses modalités, cf. Ma Mung E. etSimon G., 1990 ; Pairault T., 1990 et 1995 ; Hassoun J.-P., 1993…

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recrutement du personnel, choix d’un employeur, choix d’un associé (37).Si les ressources communautaires aident les individus à réaliser un projetsocio-économique comme le lancement d’un commerce ou d’une entre-prise, elles participent également à la consolidation des liens sociaux, àl’autonomisation du groupe et jouent un rôle dans la structuration desnormes et des valeurs.Les facteurs politiques et économiques, combinés avec des facteurs eth-niques et socioculturels, permettent d’expliquer en grande partie les straté-gies des entreprises ethniques. Cependant, la situation concernant lesgroupes plus récemment installés, turc, kurde, indien, indo-mauricien, pakis-tanais, africain, etc., reste mal connue en raison d’un manque de travaux.

 Les problématiques de recherche en France

Dans un contexte de mondialisation de l’économie (circulation accrue deséchanges financiers, des biens et des services), de mondialisation du sys-tème migratoire européen (mise en place de la libre circulation au sein del’Union européenne), de développement des migrations internationales(mouvements circulatoires, de va-et-vient(38) entre les pays d’accueil etd’origine, accroissement des diasporas et des réseaux communautaires,rôle de la mobilité dans la stratégie des acteurs), les modes d’organisationdes groupes et des milieux communautaires d’origine étrangère se sonttransformés, les mobilités, accentuées. L’accélération de ces processus afavorisé la création d’espaces transnationaux dans lesquels le rôle desentrepreneurs migrants est central. À la fin des années quatre-vingt, les travaux initiés par Alain Tarrius, àMarseille, ont donné lieu à la production la plus féconde. Deux types derecherche ont mis en évidence le phénomène des entrepreneurs migrantset diasporiques transnationaux dans une perspective dynamique à l’en-contre des approches en termes d’insertion ou d’intégration : d’une part,sur le plan quantitatif, les travaux de Stéphane de Tapia sur le rôle deséchanges, des transports et des communications dans la circulation et leschamps migratoires de la diaspora turque en Europe, d’autre part, sur leplan qualitatif, les travaux d’Alain Tarrius, de Michel Péraldi, de MirjanaMorokvasic, d’Emmanuel Ma Mung, etc., sur les conséquences des échanges

37)- Dans son ouvrage, L’étranger sous terre : commerçants et vendeurs à la sauvette du métro parisien, 1994, Laurence Costes a remis en question cette thèse en s’appuyant sur les activitésde vente dans le métro, légales ou informelles, pratiquées par des Chinois, Indo-Pakistanais ouMaghrébins. Ces commerçants du métro ne s’appuient pas seulement sur un réseaucommunautaire, mais utilisent des ressources plus larges fournies par les autres commerçantsqui, comme eux, endurent des conditions précaires d’activité. Les frontières communautairess’effaceraient donc au profit de convergences d’intérêts momentanés. Voir également les

travaux de Ma Mung sur le rôle de la confiance dans le choix des partenaires économiques.

38)- Dans cette notion de “ va-et-vient”, Michel Poinard (1981) pose la question de la capacitédes émigrés d’être à la fois acteurs de l’aménagement de leur espace et maîtres de leur propreterritorialité.

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transnationaux du point de vue des modes d’organisation des entrepreneursmigrants, des liens et réseaux sociaux dans l’entreprise et des formes du rap-port marchand. La question des dispositifs économiques des communautéstransnationales(39) et les nouvelles formes de productions spatiales et iden-titaires des entrepreneurs migrants apparaissent au premier plan.On peut distinguer deux types d’économies parfois complémentaires : uneéconomie de diaspora et une économie circulatoire. La première s’énoncepar les relations qui s’établissent entre les entreprises tenues par lesmembres d’un même groupe dispersé dans plusieurs pays.

 Économie de diaspora et économie circulatoire

La sédentarisation des populations immigrées s’est paradoxalementaccompagnée de la construction de ces réseaux plus ou moins denses selonles groupes, allant jusqu’à la formation de véritables économies de diaspo-ras. Elles constituent des ressources pour ses membres, supports à de nou- veaux rapports sociaux. Ainsi en est-il de la diaspora chinoise qui s’appuiesur des réseaux économiques permettant la circulation de produits, de ser- vices et de capitaux, mais aussi de réseaux migratoires favorisant la circu-lation des personnes.La seconde se caractérise par les activités entreprenariales qui se réalisentdans le cadre de la “circulation migratoire”(40). Elle se traduit par les déplace-ments accrus des personnes entre lieux d’origine et d’arrivée (multiplicationdes va-et-vient, des retours temporaires à l’occasion de congés ou d’événe-ments locaux ou familiaux) et une augmentation desflux matériels (biens,ser- vices, remises) et idéels (normes, valeurs, représentations) induits par lesmigrations. Les liens avec les pays d’origine ne se sont pas affaiblis, tout aucontraire. Ils donnent naissance à une économie originale centrée sur laMéditerranée et principalement fondée sur le commerce de marchandisesentre les pays d’origine et d’installation. Celle-ci contribue à engendrer, àgrande échelle, des mouvements humains et financiers structurant un champmigratoire. L’ensemble de ces relations privilégiées alimente une véritableéconomie d’échange, entre les diverspôles d’origine et de départet permet deréaliser un volume important de transactions et d’investissement. Le dévelop-pement de la circulation migratoire qui s’est renforcé durant la dernièredécennie affecte les migrations internationales. Alain Tarrius en proposant lanotion de territoires circulatoires, introduit dans la perspective d’une anthro-pologie du mouvement, la figure de l’acteur migrant, créateur et producteur

39)- Portes A., 1999, “La mondialisation par le bas, l’émergence des communautéstransnationales”, Actes de la recherche en sciences sociales, septembre, n° 129.

40)- La prise en compte de la circulation migratoire s’inscrit dans une problématique où lesnotions de filières, de chaîne migratoire, de “champ migratoire” trouvent une efficacité dans larecherche pour décrire les nouveaux phénomènes de mobilité. Pour Gildas Simon, ce conceptdiffère de celui de migration. Il fait référence à la mobilité physique des hommes avec leuritinéraire, leur moyen de transport et leur pratique effective et affective de l’espace parcouru.

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de liens sociaux entre lieu d’origine et lieux traversés. Pour l’auteur, cettenotion constate la socialisation d’espaces supports à des pratiques de mobi-lité (41). Ses recherches menées, depuis la fin des années quatre-vingt, sur l’es-pace économique de Maghrébins à Marseille, dans le quartier de Belzunce, etsur son incessante transformation, révèlent l’existence d’un dispositif com-mercial qui constitue l’un des principaux lieux d’approvisionnement pour lescommunautés maghrébines et africaines, vivant de part et d’autre de laMéditerranée. Une des particularités de ce dispositif commercial tient au faitque les circulations sont assurées par les commerçants eux-mêmes ou par lescohortes de “fourmis” et colporteurs maghrébins et noirs africains. L’usage dela mobilité comme ressource est un aspect primordial des stratégies écono-miques déployées par ces nouveaux entrepreneurs nomades. Le savoir-faireessentiel, “celui qui détermine de plus en plus nettement les réussites com- merciales […] c’est le savoir-circuler et le savoir faire circuler, c’est l’affir- mation du nomade sur le sédentaire…”(42). Leur espace est celui du mouve-ment qui suggère d’envisager la ville non pas comme lieu des sédentarités,mais comme point de convergence des mobilités.

 Nouvelles interrogations

Un glissement paradigmatique de la notion d’intégration vers la notion demobilité a permis de s’ouvrir à de nouvelles approches, à de nouveaux ter-rains et d’observer de nouvelles formes de socialisation. Cependant, si la pro-blématique des politiques d’intégration peut s’avérer d’une pertinence mar-ginale au regard de la stratégie de mobilité de ces nouveaux acteurs, reste àsavoir comment l’entreprenariat constitue pour la seconde génération d’ori-gine étrangère(43), diplômée ou non, un moyen de contournement des situa-tions de chômage et une réponse à la discrimination ou à la déqualificationprofessionnelle dont elle peut être victime sur le marché du travail(44).

41)- Tarrius A., 2001, “ Au-delà des États-nations : des sociétés de migrants”, Revue Européenne des migrations Internationales, vol. 17, n° 2, p. 45

42)- Cf. Tarrius A., 1995, “Naissance d’une colonie : un comptoir commercial à Marseille”, Revue Européenne des migrations Internationales, vol 11, n° 1, p 39.

43)- Le recensement de 1999 dénombre 22 000 ACE nés en France, soit 1,3 % de l’ensemble des ACE et 1,2 % de la population active totale, contre 18 630 pour celui de 1990 (1 % de l’ensemble des ACE et 1.2 % de la population active totale). L’augmentation de plus de 3 300 unités atteste doncd’une tendance positive. Ces premiers résultats entrent dans le cadre des modificationsimportantes de la présence des “nés en France” que l’on enregistre dans l’ensemble des catégoriessocioprofessionnelles.La mobilisation des ressources linguistiques, communautaires et l’utilisationdes réseaux transnationaux semblent permettre une expansion des activités économiques vers denouveaux secteurs (vente de matériel informatique, Hi-Fi, vidéo pour les Français d’origineasiatique, transport à l’international pour les Français d’origine maghrébine mais aussi sociétés degardiennage, salons de coiffure, boucheries hallal, télé-boutiques, etc.). Cf. Dinh B., 2005.

44)- Cf. Madaoui M., 2003, Entreprises et entrepreneurs issus de l ’immigration maghrébine. De la stigmatisation à la promotion sociale. Rapport pour le Fasild, 163 p.Cf. Santelli E., 2004, les trajectoires socioprofessionnelles d’une cohorte de jeunes adultes Français d’origine maghrébine : du quartier à l’entrée dans la vie adulte, rapport pour leFasild et la DPM.

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En effet, ce bilan est aussi celui d’une génération. Les jeunes d’origine étran-gère créent-ils des entreprises ? Difficile de répondre quand il n’existeaucune étude sur le sujet. Les éléments statistiques donnent quelques pistesmais portent essentiellement sur la position des descendants d’immigrés surle marché du travail(45). Pour certains jeunes, il s’agit de mettre à profit uneéconomie de diaspora déjà en œuvre grâce aux réseaux transnationaux déjàinitiés par leurs parents et par le groupe et aux ressources communautaireset linguistiques dont ils disposent. Mais pour d’autres, issus d’immigrationsplus anciennes, les créations d’entreprise semblent le résultat d’une grandedifficulté à s’insérer sur le marché du travail et se révèlent souvent d’unegrande fragilité. Aussi, comment selon les nationalités d’origine se structureun nouvel entreprenariat ? Dans quels secteurs d’activité les trouve-t-on ?Par ailleurs, doit-on réfléchir sur l’impact d’un nouveau phénomène : le déve-loppement du marché ethnique de la diversité et celui de l’exotisme ? : celadans les contextes urbains, adaptés aux situations locales et à la demande desconsommateurs. Partout dans le monde, on assiste à des processus de fabri-cation de l’exotisme : musique, produits et cuisine du monde, performance etévénement artistiques ethniques(danse, chant, arts visuels…), tourisme etc. Ainsi la vente de produits étrangers, la manière dont les grandes surfaces etgrands magasins français adoptent les fêtes ethniques dans leur calendriercommercial, le Nouvel An chinois par exemple, traduisent l’évolution versune consommation de masse proposant des styles spécifiques. Ces évolutionsse traduiront-ils par de nouvelles formes d’entrepenariat ethnique avec pré-sence non seulement des entrepreneurs d’origine étrangère mais égalementdes entrepreneurs natifs du pays ?Parallèlement, la manière dont les commerces ethniques se mettent enscène, se théâtralisent pour mieux s’adapter à la clientèle locale, embour-geoisement des façades, occidentalisation des architectures intérieures, estle signe d’une forme d’intégration. S’ouvrir à une clientèle plus large quecelle du marché intracommunautaire constitue aujourd’hui une des clés dela réussite entrepreneuriale.En quoi, les jeunes issus de l’immigration ont-ils leur place dans ce marchéde la diversité ? Comment peuvent-ils valoriser leurs ressources linguis-tiques et culturelles, faire le pont entre un héritage transgénérationnel sou- vent conflictuel et la société d’adoption ?

45)- Cf. les enquêtes de l’Insee : emploi, Histoires de vie, Histoire familiale, enquête Génération98 du CEREQ et la dernière enquête FQP de l’Insee. Cf. les travaux de D. Meurs, A. Pailhé etP. Simon (2005), “Mobilité intergénérationnelle et persistance des inégalités”, proposant unesynthèse des résultats obtenus sur l’accès et la position des immigrés et de leurs descendantssur le marché du travail. Deux enquêtes sont prévues en 2007-2008, réalisées en collaborationavec l’Insee (C. Borrel et E. Algava, responsables) et l’Ined (C. Beauchemin et P. Simon,responsables), l’une nationale, “Trajectoires et Origines” (TeO), l’autre européenne, TIES(l’enquête française porte sur les secondes générations d’origine turque et marocaine résidant

dans les agglomérations parisienne et strasbourgeoise). Si la première vise à chercher dansquelle mesure l’origine est en soi un facteur d’inégalités ou simplement de spécificité dansl’accès aux différentes ressources de la vie sociale, la seconde s’intéresse aux modalitésd’intégration structurelle des descendants d’immigrés, en insistant sur les trajectoiresscolaires et professionnelles.