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Les acteurs de la chaîne logistique mondiale et les transporteurs routiers, rôle, interactions et
interdépendance
Conclure un colloque est toujours un exercice périlleux, au-delà de la fatigue du public, il est difficile
de citer tous les orateurs, en particulier aujourd’hui, du fait du nombre et de la grande richesse des
interventions qui se sont succédées. Aussi, je n’en citerai aucun mais vous les reconnaîtrez aisément
au fil de mes propos.
Tout au long de cette journée nous avons parlé de l’imbrication des relations entre les intermédiaires
et les transporteurs, donnant ainsi naissance à un droit « archipélagique », en ce que les acteurs sont
distincts mais forment cependant un tout, la chaîne logistique où le transport tient un rôle clé.
Face à cette figure originale et complexe, ce symposium nous a enseigné ou rappelé quelques vérités
(I) nous a laissé voir les difficultés qui entourent encore les relations dans la chaîne logistique (II) et a
permis quelques propositions (III).
I – Les certitudes
Certaines sont d’ordres économiques. Ainsi, il nous a été montré pourquoi, sauf le cas de prestations
relativement simples et répétitives, le « chargeur » a intérêt à confier l’organisation de la prestation, en
particulier lorsque la chaîne est constituée de plusieurs segments successifs impliquant plusieurs
prestations, matérielles ou administratives qu’il faut coordonner. L’intermédiation apparaît alors
comme un moyen de reporter sur l’intermédiaire les coûts de transactions qu’impliquerait le choix de
multiples cocontractants, et donc de réduire ses coûts à l’établissement d’un contrat unique. Sachant
que le montant de la commission qu’il doit payer en contre partie est inférieur aux coûts de transaction
qu’il supporterait s’il ne confiait pas le choix des opérateurs intervenant dans la chaîne de transport.
D’autres sont d’ordre pratique en ce que les clients sont de plus en plus exigeants, que le travail est
de plus en plus difficile malgré la dématérialisation et la facilitation des échanges.
Il est tout aussi évident que, à la différence du contrat de transport qui est bien identifié juridiquement
et connaît une réglementation spécifique tant au niveau national qu’international, d’autres prestations
comme l’organisation globale du déplacement, le transbordement de la marchandise d’un mode à un
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autre, le passage de frontière qui nécessite l’accomplissement de tâches particulières, ou encore la
manutention de la marchandise ou son stockage ne le sont pas. De plus, pour accomplir ces
différentes opérations, les acteurs économiques, nombreux, sont dénommés différemment suivant les
usages et les pays et soumis également à des régimes juridiques différents. C’est sans doute là une
des difficultés à laquelle on se heurte lorsqu’il s’agit de définir juridiquement les intermédiaires de
transport, parfois appelés commissionnaire, courtier, transitaire, agent etc… dont le régime juridique
dépend le plus souvent de l’étendue de la mission qui lui a été confiée.
De prime abord, on pourrait être donc saisi d’un vertige, en particulier après avoir entendu les
différentes présentations de ce matin sur le régime des intermédiaires. Mais à y regarder de plus près
et au-delà des termes utilisés, on peut néanmoins constater qu’une summa divisio s’opère entre les
intermédiaires qui garantissent la bonne fin du transport, comme le commissionnaire français, et qui
parfois ont une responsabilité identique à celle du transporteur comme le transitaire américain ou
bélarus, et ceux qui ne la garantissent pas comme le courtier américain, le transitaire français, le
spéditeur allemand si le prix payé comprend distinctement celui de la commission et des autres
prestations, sachant que la responsabilité de cette seconde catégorie d’intermédiaires ne peut naître
en principe que du mauvais choix des transporteurs.
Si le juriste ressent toujours un certain malaise face un droit apparemment éclaté, les principaux
problèmes, me semble-t’il, ne résident pas là.
II – Les incertitudes
La difficulté de l’analyse des liens qui se tissent entre les donneurs
d’ordres/intermédiaires/transporteurs/destinataires tient moins à l’existence d’un droit apparemment
mosaïque que dans le fait que souvent les opérateurs n’ont pas clairement défini leurs fonctions. Il
n’est pas rare qu’aucun contrat écrit n’ait été établi entre eux. Par ailleurs, il se peut qu’un même
opérateur soit pour une même opération globale tour à tour, transporteur, organisateur et/ou
transitaire et qu’enfin certains intermédiaires sous la même désignation peuvent agir soit comme
principal ou soit comme simple agent. De là résultent des incertitudes, les juges étant parfois eux-
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mêmes dans la confusion, et donc une insécurité juridique toujours gênante pour le développement
économique du marché mondial.
De ne pas savoir au préalable et en particulier à défaut de contrat écrit quel sera le régime de
responsabilité de l’intermédiaire est gênant tout aussi bien pour le client de ce dernier qui sera plus
ou moins protégé en cas de dommage à la marchandise ou de retard à la livraison, que pour le
transporteur qui traite avec cet intermédiaire. Il est donc important pour les transporteurs, de savoir à
qui ils ont à faire, de connaître le statut juridique et le régime de responsabilité des intermédiaires afin
de ne pas s’exposer eux-mêmes à des responsabilités étendues ou même de devoir supporter
l’entièreté de la réparation. Ces mêmes informations sont également importantes afin de savoir à qui
ils peuvent adresser leur demande de paiement ou encore de connaître le responsable en cas de
dommage subi par leur véhicule. Il est également nécessaire que des relations de confiance
s’établissent entre eux, en particulier parce que c’est souvent l’intermédiaire qui va transmettre les
ordres du client et lui transmettre les documents utiles à l’exécution du transport, et l’on sait que
l’absence ou la mauvaise transcription des instructions peut être à l’origine des dommages.
Autant de problèmes qui se résolvent différemment selon que l’intermédiaire fait totalement écran
avec le donneur d’ordre d’origine ou pas.
La question a également été soulevée de la qualification et de la responsabilité juridique des bourses
de fret. S’agit-il d’un contrat d’une location de support, d’une vente de prestation, d’un mandat ou tout
simplement de la mise à disposition d’un logiciel pour déposer et consulter les offres/demandes en
transport ? Par ailleurs, l’analyse des Conditions Générales de Vente de certaines bourses de fret
montre qu’a minima il est stipulé que la bourse ne répond pas des dommages causés par les
utilisateurs entre eux, alors que d’autres posent quelques règles relatives aux documents que doit
fournir le transporteur (permis de transport, licence et/ou inscription au registre depuis au moins 3
mois ainsi qu’une adresse mail valide). Quant au client, il garantit notamment que son offre n’est pas
fictive et signale toutes informations utiles concernant la nature de la marchandise. Mais si aucune
vérification des informations n’est effectuée en aval et si le transporteur ment, son client en supportera
seul les conséquences puisque les Conditions Générales de Vente contiennent des clauses
exonératoires de responsabilité. Un commissionnaire français vient d’en faire les frais alors qu’il avait
eu recours à un substitué choisi sur une bourse de fret (dont les documents produits étaient des faux)
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et que la marchandise a été dérobée. La cour d’appel d’Aix-en-Provence (12 septembre 2013)1 a
retenu l’entière responsabilité du commissionnaire puisque la bourse de fret, n’étant pas un organisme
officiel, le contrôle qu’elle pouvait opérer ne dispensait pas l’opérateur de procéder à des vérifications.
L’IRU s’est d’ailleurs alarmée de ce phénomène et a édicté une liste de conseils pour les
transporteurs qui les utilisent.
Face à ces différents questionnements, source d’insécurité juridique, que peut-on faire ?
III – Les solutions
On a pu s’interroger sur la nécessité d’une harmonisation au niveau européen, mais pour l’instant rien
n’a été concrètement proposé2. On peut également relever que dans le passé une tentative
d’harmonisation internationale a bien été entreprise au sein d’Unidroit aboutissant en 1967 à
l’adoption d’un projet de Convention. Mais, en raison de l’hostilité des associations professionnelles
de commissionnaires et de transitaires et aussi compte tenu des travaux alors en cours de préparation
des règles uniformes pour le transport multimodal qui ne manqueraient pas d’influer sur le statut du
transitaire, le projet ne fut jamais soumis à une conférence diplomatique.
Notons cependant que si des problèmes de loi applicable surviennent en la matière, la Convention de
La Haye du 14 mars 1978, entrée en vigueur le 1er mai 1992, et relative aux contrats d'intermédiaires
et à la représentation a vocation à s'appliquer. En effet, elle détermine la loi applicable aux relations à
caractère international se formant lorsqu'une personne, l'intermédiaire, a le pouvoir d'agir, agit, ou
prétend agir avec un tiers pour le compte d'une autre personne, le représenté. Elle s'applique que
l'intermédiaire agisse en son propre nom ou au nom du représenté et que son activité soit habituelle
ou occasionnelle.
Le salut n’étant pour l’heure ni dans la réglementation européenne ni dans une Convention
internationale, ne serait-il pas, dans les associations ou organisations professionnelles ?
Ainsi, la Fédération Internationales des Associations de Transitaires et Assimilés propose des
documents contractuels de facilitation du transport multimodal et de la chaîne logistique.
1 BTL 2013, n° 3474, obs. M. Tilche.
2 La commission a travaillé sur les conditions d’amélioration du transport intermodal de marchandises en Europe et en
particulier sur le nouveau métier de « freight integrator ».
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Aux pays-Bas, l’association EVO lance une initiative permettant de mettre autour d’une même table,
les transporteurs, les chargeurs et les agents afin de réfléchir à un modèle de contrat type
aménageant leurs relations.
Enfin, la Commission des affaires juridiques de l’IRU a également travaillé en ce sens, la référence
aux Conditions Générales de l’IRU pour le transport international de marchandises et pour les
prestations logistiques peut ainsi aider les transporteurs à se prémunir des risques liés à la disparité
des régimes juridiques des intermédiaires.
Je suis convaincue que l’amélioration des relations passe par un effort de formation et d’information,
en cela l’édition de modèles de contrats et de leurs guides d’utilisation est une bonne chose et même
une nécessité.
Il me reste à remercier chaleureusement tous les orateurs qui ont contribué à faire de cette journée
une rencontre passionnante et la diversité des points de vue naturellement bienvenue pour la richesse
des débats, s’inscrit tout particulièrement bien dans la devise de l’IRU, il nous faut travailler ensemble
pour un futur meilleur.
Isabelle Bon-Garcin
Professeure – Université de Lyon Présidente de la commission des affaires juridiques de l’IRU Directrice du Master Droit des transports et de la logistique (Lyon2)