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No 1.
Les Dossiers du GREE
Série 1. Colloques et conférences
» Colloque international conjoint GREE/AFEC
Montréal, du 9 au 11 mai 2012
Éduquer et former au vivre ensemble
dans l’espace francophone et ailleurs
www.gree.uqam.ca
Direction Nancy Bouchard Révision des textes Sofi Abdela Édition électronique Maxime Plante Crédit couverture Rania Aoun Les Dossiers du GREE Groupe de recherche sur l’éducation éthique et l’éthique en éducation Université du Québec à Montréal Pavillon Thérèse-Casgrain, 3e étage (local W-3220) 455, boul. René-Lévesque Est Montréal, Québec, CANADA H2L 4Y2 Téléphone: (514) 987-3000 #7682 Courriel: [email protected] Page Web: www.gree.uqam.ca
Dépôt à la Bibliothèque nationale du Québec ISBN 978-2-9813121-1-2 ISSN 1929-0918
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 1
Série 1. COLLOQUES ET CONFÉRENCES
Éduquer et former au vivre ensemble dans l’espace
francophone et ailleurs. Analyse de conceptions
théoriques, de politiques et de pratiques éducatives.
Colloque international conjoint GREE/AFEC
Montréal, du 9 au 11 mai 2012
Sous la direction de Nancy Bouchard
Avec la collaboration de Maxime Plante et Sofi Abdela
No 1.
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TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS ............................................................................................................... 8
PRÉSENTATION DE LA THÉMATIQUE DU COLLOQUE ....................................... 10
Nancy Bouchard et José-Luis Wolfs
‒ PREMIERE PARTIE ‒
LES CONFÉRENCES-PLÉNIÈRES ET TABLES RONDES ..................17
I.1 L'ÉDUCATION ÉTHIQUE ET AU VIVRE-ENSEMBLE: POLITIQUES ET
PROGRAMMES DE RÉGIONS DE LA FRANCOPHONIE – BELGIQUE,
FRANCE, QUÉBEC ............................................................................................ 18
Nancy Bouchard, Claude Gendron, Jean-Claude Desruisseaux et Marie-
France Daniel
I.2 LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES, LE VIVRE ENSEMBLE ET
L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE ................................................................................... 24
Jean-René Milot et Raymonde Venditti
I.3 TABLE RONDE ‒ ÉDUCATION AU VIVRE ENSEMBLE EN AFRIQUE :
LEÇONS DU PASSÉ, PRÉOCCUPATIONS CONTEMPORAINES ET
PERSPECTIVES.................................................................................................. 28
Afsata Paré-Kaboré. responsable
I.3.1 L'ÉDUCATION TRADITIONNELLE ET LA VIE COMMUNAUTAIRE :
REPÈRES ET LEÇONS D’EXPÉRIENCES ...................................................... 29
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 3
Afsata Paré-Kaboré
I.3.2 LANGUE FRANÇAISE VS LANGUES NATIONALES : COMPÉTITION
LINGUISTIQUE ET IMPLICATIONS SUR LE « VIVRE ENSEMBLE » AU
BÉNIN.................................................................................................................. 32
Astrid Flénon et Abdel Rahamane Baba-Moussa
I.3.3 QUESTIONS ÉDUCATIVES, CULTURE TECHNOLOGIQUE ET
DÉVELOPPEMENT DURABLE ........................................................................ 36
Raharinirina Rabaovololona
I.4 TABLE RONDE ‒ ÉDUCATION A LA CITOYENNETÉ ET FORMATION
AU VIVRE ENSEMBLE ..................................................................................... 38
Eric Mutabazi, responsable
I.4.1 LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉDUCATION DANS LES CONFLITS
INTERETHNIQUES AU RWANDA .................................................................. 39
Eric Mutabazi
I.4.2 BÂTIR L’HARMONIE SOCIALE À TRAVERS L’ÉDUCATION MORALE
DANS UN CONTEXTE DE POST-CONFLIT : LE CAS DU BURUNDI ........ 43
Herménégilde Rwantabagu
I.4.3 LES CITOYENS FONT-ILS L’HISTOIRE DANS LES MANUELS
D’HISTOIRE AU QUÉBEC? .............................................................................. 47
David Lefrançois, Marc-André Éthier et Stéphanie Demers
I.4.4 D’UNE PÉDAGOGIE DE LA CITOYENNETÉ À UNE SOCIALISATION
DÉMOCRATIQUE DANS LES PRATIQUES FREINET ................................. 49
Segolène Le Mouillour
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‒ DEUXIÈME PARTIE ‒
LES COMMUNICATIONS ....................................................................54
II.1 ESSAI SUR LE VIVRE ENSEMBLE : LE CARRÉ ÉDUCATIF...................... 55
Bertrand Bergier
II.2 POLITIQUE(S) DE L’ALTÉRITÉ : L’ÉDUCATION PEUT-ELLE
ENSEIGNER À VIVRE ENSEMBLE?............................................................... 56
Maxime Plante
II.3 ÉDUCATION POUR LA DIVERSITÉ ; UNE PERSPECTIVE CRITIQUE ET
ÉTHIQUE DU VIVRE ENSEMBLE .................................................................. 59
Hugo Rangel
II.4 NOTIONS RELATIVES AU VIVRE ENSEMBLE DANS LES CURRICULA
DE L’ÉDUCATION PRIMAIRE : CAS DE LA CÔTE D’IVOIRE POST-CRISE
.............................................................................................................................. 60
Kanndanan Insiata Ouattara
II.5 L’ÉDUCATION AU VIVRE ENSEMBLE DANS LES CONTENUS
D’ENSEIGNEMENT : UNE ANALYSE COMPARÉE DES MANUELS DE
LECTURE FRANÇAISE EN USAGE AU COLLÈGE ...................................... 64
Pierre Marie Njiale et André Emtcheu
II.6 L’ÉDUCATION AU VIVRE-ENSEMBLE : DES REPRESENTATIONS
D’ENSEIGNANTS ET DE PARENTS A L’ÉGARD DE L’ÉDUCATION AU
VIVRE ENSEMBLE AU QUÉBEC ET AU NOUVEAU- BRUNSWICK ........ 67
Rakia Laroui
II.7 VERTU DE PASSIVITÉ ET ÊTRE-ENSEMBLE .............................................. 70
Hubert Vincent
II.8 PENSER L’ALTÉRITÉ ET LA CITOYENNETÉ POUR DÉFINIR LE VIVRE-
ENSEMBLE : UN DÉFI POUR L’ÉDUCATION .............................................. 71
Christian Alain Djoko Kamgain
II.9 LAÏCITÉ ET LE PORT DES SYMBOLES RELIGIEUX A L'ÉCOLE : UNE
ANALYSE PRAGMATIQUE ............................................................................. 73
Bruce Maxwell, David Waddington, Kevin McDonough, Marina Schwimmer
et André-Anne Cormier
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II.10 QUELLE PLACE POUR LE NATIONALISME À L’ÉCOLE? ........................ 75
Andrée-Anne Cormier et Kevin McDonough
II.11 DIFFÉRENTS MAIS UNIS PAR L'ÉCOLE ....................................................... 76
Blandine Ayabla
II.12 LA PARTICIPATION CITOYENNE DES JEUNES EN ALGÉRIE ................. 77
Abla Rouag et Hamoudi Rouag
II.13 LES DIFFÉRENTES SIGNIFICATIONS DU VIVRE ENSEMBLE DANS LE
PROGRAMME QUÉBÉCOIS D’ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE .... 78
Mireille Estivalèzes
II.14 IDENTITÉ, ÉTHIQUE DE LA RECONNAISSANCE ET VIVRE-ENSEMBLE :
APPORT DU PROGRAMME D’ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE ..... 80
Chantal Bertrand
II.15 LE TRAITEMENT DU JUDAÏSME EN ÉTHIQUE ET CULTURE
RELIGIEUSE : POUR UN MEILLEUR VIVRE ENSEMBLE ENTRE LA
COMMUNAUTÉ JUIVE DU QUÉBEC ET LES AUTRES QUÉBÉCOIS ....... 82
Sivane Hirsch
II.16 LE TRAITEMENT DE L’ISLAM ET DES MUSULMANS DANS LES
MANUELS D’ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE AU QUÉBEC : UN
PLUS POUR LE VIVRE-ENSEMBLE? ............................................................. 84
Amina Triki-Yamani
II.17 RÉFLEXIONS SUR LES HABILETÉS ESSENTIELLES À LA DÉMOCRATIE
ET SUR L’APPORT DU PROGRAMME DE PHILOSOPHIE POUR ENFANTS
DANS L’ÉDUCATION AU VIVRE ENSEMBLE ............................................. 85
Anne-Marie Duclos et Nathalie Fletcher
II.18 SOUTENIR L'APPROFONDISSEMENT D’UN DISCOURS ÉCRIT
COLLECTIF ASYNCHRONE PAR L'ÉCHAFAUDAGE DE PRATIQUES
CRITIQUES ÉPISTÉMOLOGIQUES ................................................................ 87
Vincent Gagnon, Stéphane Allaire et Mathieu Gagnon
II.19 L’APPRENTISSAGE DU VIVRE ENSEMBLE EN COMMUNAUTÉ DE
RECHERCHE PHILOSOPHIQUE AU SECONDAIRE : QUELLES
COMPLÉMENTARITÉS ENTRE COGNITION ET MÉTACOGNITION
DISTRIBUÉES? .................................................................................................. 88
Mathieu Gagnon
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II.20 POURQUOI LES ENFANTS DES RUES SONT-ILS INSUPPORTABLES ? . 89
Jean-Émile Charlier
II.21 ÉDUQUER AU VIVRE ENSEMBLE : ET LES INVISIBLES ? ....................... 90
Marc Derycke
II.22 L’ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE FACE À L’INJONCTION DU « VIVRE
ENSEMBLE » : PRATIQUES ÉDUCATIVES ET ENJEUX
INSTITUTIONNELS DANS UN FOYER POUR JEUNES FEMMES EN
« DIFFICULTÉ SOCIALE » ............................................................................... 91
Wassim El Golli
II.23 DES PRATIQUES ÉDUCATIVES QUI ÉDUQUENT ET QUI FORMENT AU
« VIVRE-ENSEMBLE » À L'ÉCOLE ET À LA GARDE SCOLAIRE ............. 92
Karine Soucy
II.24 VIVRE ENSEMBLE AU STADE DE LA PRIME ENFANCE ......................... 93
Cécile Albert
II.25 LES RITUALISATIONS DANS L'ÉDUCATION AU SAVOIR-VIVRE-
ENSEMBLE ......................................................................................................... 95
Denis Jeffrey
II.26 LA SANCTION À L’ÉCOLE UNE RECHERCHE-ACTION SUR LA LOI ET
LE VIVRE ENSEMBLE...................................................................................... 96
Luca Paltrinieri et Christian Ollivier
II.27 SCIENCE ET RELIGION À L’ÉCOLE SÉNÉGALAISE ET RWANDAISE :
ÉTUDE ETHNOGRAPHIQUE COMPARÉE DES PRATIQUES
ENSEIGNANTES POUR FAIRE « VIVRE-ENSEMBLE » DEUX DISCOURS
DE VÉRITÉ ......................................................................................................... 98
Sarah Croché
II.28 CONCEPTIONS DU VIVRE-ENSEMBLE ET DÉLIMITATION DES
REGISTRES SCIENTIFIQUES ET RELIGIEUX À L'ÉCOLE ......................... 99
José-Luis Wolfs
II.29 LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE DE MADAKA ....................................... 104
Yasmine Charara
II.30 FORMES EDUCATIONNELLES PLURIELLES : DES MONDES À PART ?
L'EXEMPLE PAR L'OFFRE SCOLAIRE QUADRUPLE À DJIBOUTI ........ 108
Rachel Solomon Tsehaye
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II.31 AGIR POUR VIVRE ENSEMBLE : BALISES POUR L’ÉDUCATION À LA
CITOYENNETÉ DANS LA FORMATION EN TRAVAIL SOCIAL ............. 110
Jean-François René, Samuel Saint-Denis-Lisée et Marie-Ève Carpentier
II.32 CONDITIONS ET EFFETS DU « PENSER ENSEMBLE LA FORMATION »
DES ÉDUCATEURS AU MAROC : UNE APORIE ENTRE SPÉCIFICITÉS
LOCALES ET MODÈLES INTERNATIONAUX ........................................... 111
Gérard Figari,Jalila El Baraka, Hamadi Akrim et Hassan Aanzoul
II.33 ÉDUQUER AU VIVRE-ENSEMBLE : ANALYSE COMPARÉE DE DEUX
ACTIONS EN ÉDUCATION À LA SANTÉ À L’ÉCOLE PRIMAIRE EN
FRANCE ET AU QUÉBEC .............................................................................. 120
Caroline Bizzoni-Prévieux et Corinne Mérini
II.34 L'ÉDUCATION À LA MALADIE : PRISE EN CHARGE ET ACCEPTATION
CHEZ LES PERSONNES VIVANT AVEC LE VIH/SIDA EN MILIEU RURAL
AFRICAIN ......................................................................................................... 123
Pierre Boris N'NDE TAKUKAM
II.35 L’ÉDUCATION HOLISTIQUE DE L’ENFANT DANS LES ÉCOLES
STEINER : UN VECTEUR DU VIVRE-ENSEMBLE? ................................... 125
Stéphanie Tremblay
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REMERCIEMENTS
En mai 2012, le colloque international conjoint GREE/AFEC réunissait à Montréal une
soixantaine de chercheurs en provenance de quatorze pays pour une présentation de leurs
travaux de recherche et réflexions critiques sur la thématique de l’éducation et la
formation au vivre ensemble.
La diversité des ancrages théoriques et angles d’approche ainsi que des contextes
analysés et des pratiques éducatives, et la grande diversité des origines ethnoculturelles
des chercheurs eux-mêmes, ont fait de ce colloque un lieu de rencontres et d’échanges
des plus enrichissants. Par la présente publication, nous souhaitons faire connaître à un
plus large public l’ensemble des travaux présentés lors dudit colloque ainsi que leurs
auteurs.
Je tiens à remercier tous les chercheurs africains, européens et québécois de nous
avoir partagé leurs lectures, réflexions et résultats de recherche sur la thématique de
l’éducation au vivre ensemble. Vos contributions à propos des ancrages théoriques liées
aux conceptions du vivre ensemble et de l’éducation au vivre ensemble, des politiques et
pratiques éducatives relatives au vivre ensemble et de l’influence des contextes
sociopolitiques et culturels dans lesquels se posent les questions liées aux conceptions du
vivre ensemble et à la diversité, sauront certes inspirer tous ceux et celles que cette
thématique intéresse.
Tous les résumés des communications ont été soumis à un double processus
d’évaluation, en l’occurrence, celui du comité scientifique du GREE et celui du comité
scientifique de l’AFEC. Je veux remercier tous ceux et celles qui ont apporté leur
concours à l’un ou l’autre comité.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 9
Je veux aussi adresser mes plus vifs remerciements à toutes les personnes qui ont
contribué de près à l’organisation et la tenue du colloque. En particulier, je tiens à
remercier José Luis-Wolfs, coresponsable du colloque, ainsi que Sofi Abdela, Eve
Comandé, Marie-France Daniel, Jenny Desrochers, Jean-Claude Desruisseaux, Claude
Gendron, Félix Lamarche, Maxime Plante, Denyse Therrien et Raymonde Venditti.
J’exprime toute ma reconnaissance à Sofi Abdela et Maxime Plante pour leur
précieuse collaboration dans la préparation de la présente publication.
Je remercie enfin le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada,
l’Université du Québec, le Bureau des Amériques de l’Agence universitaire de la
Francophonie, l’Université du Québec à Montréal et l’Université du Québec à Trois-
Rivières de leur précieux soutien financier.
Nancy Bouchard, directrice du GREE
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PRÉSENTATION DE LA THÉMATIQUE DU COLLOQUE
ÉDUQUER ET FORMER AU VIVRE ENSEMBLE DANS L’ESPACE
FRANCOPHONE ET AILLEURS. ANALYSE DE CONCEPTIONS
THÉORIQUES, DE POLITIQUES ET DE PRATIQUES ÉDUCATIVES1
Nancy Bouchard, professeure et directrice du GREE
Université du Québec à Montréal
José-Luis Wolfs, professeur et représentant de l’AFEC
Université Libre de Bruxelles
Résumé
Organisé conjointement par le Groupe de recherche sur l’éducation éthique et l’éthique
en éducation (GREE) et l’Association francophone d’éducation comparée (AFEC), ce
colloque a pour but de dégager des éléments porteurs pour penser les fondements et
visées, analyser les contextes, les orientations et les pratiques et développer des outils
pour éduquer au « vivre ensemble ». À partir d’ancrages théoriques spécifiques, de
travaux de recherches empiriques et d’analyses comparatives, nous visons à apporter de
nouveaux éléments de réflexion et résultats de recherche sur l’éducation et en éducation
à propos de cet enjeu éthique et social que représente la coexistence dans nos sociétés
contemporaines et qu’on nomme le vivre ensemble.
Si la coexistence a toujours représenté un enjeu de taille de la condition humaine, cet
enjeu se pose avec encore plus d’acuité dans nos sociétés contemporaines puisque celles-
ci ont désormais à composer avec diverses figures affirmées de l’Autre ; que celles-ci
relèvent, par exemple, de la nationalité, de la religion, de l’orientation sexuelle, de la
classe sociale ou du genre.
Dans une société d’ancien régime, les disparités et les contrastes pouvaient aussi
être très prononcés entre catégories sociales, culturelles, liées au genre, etc., mais chacun
vivait selon les usages et les normes correspondant à son statut, à son genre, à sa
« caste » etc., avec toutes les inégalités qui y étaient liées. En particulier, en matière de
1
Nous tenons à remercier les membres du GREE et de l’AFEC de leurs suggestions en vue de la rédaction
finale de ce texte, en l’occurrence : Abdel Rahamane Baba Moussa, Alain Carry, Marie-France Daniel,
Jean-Claude Desruisseaux, Henri Folliet, Claude Gendron, Régis Malet, Bruce Maxwell et Afsata Paré-
Kaboré.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 11
citoyenneté, nous sommes passés, comme l’énonce S. Hasquenoph (2000), d’une
conception « élitiste », dont étaient exclus, dans le cas de la Grèce antique, les esclaves,
les femmes, les étrangers (métèques)… à une conception où la citoyenneté est considérée
‒ en principe ‒ comme un droit pour tous.
Dans des sociétés démocratiques et pluralistes basées sur les principes de liberté,
d’égalité, de respect de l’autre et de sa dignité, les questions liées à la coexistence et à la
diversité se posent avec beaucoup plus de complexité et de sensibilité. Une réflexion
approfondie ‒ plutôt que basée sur l’autorité, les préjugés ou la tradition ‒ apparaîtra de
plus en plus nécessaire pour définir les fondements et les modalités du vivre ensemble.
Émergeront ainsi, aux 17e et 18
e siècles, les théories du « contrat social » (ex. Locke,
Rousseau), la notion de séparation des pouvoirs (Montesquieu), les Droits de l’Homme,
etc. Deux grands modèles, en particulier, vont progressivement se développer : l’un à
référence plutôt « universaliste », l’autre à référence plutôt « communautariste ». C’est
autour de ces repères conceptuels que semblent se structurer globalement aujourd’hui
nos différentes conceptions du vivre ensemble.
Les types de préoccupations et de questions que suscite ce thème sont bien
évidemment différentes selon les pays et les contextes, y compris au sein même de
l’espace francophone.
En Europe et en Amérique du Nord, nous observons aujourd’hui, tant aux plans
politique qu’éducatif, deux tendances fortes : l’existence de nombreux débats, réflexions
et propositions portant sur ce thème du vivre ensemble et, singulièrement, le fait que
ceux-ci tendent à se concentrer en particulier sur la diversité culturelle et religieuse issue
de l’immigration au sein des États-Nation.
Ainsi dans son Livre blanc sur le dialogue interculturel (2008), le Conseil de
l’Europe soutient que ce dialogue constitue la clé pour vivre ensemble dans l’égale
dignité puisqu’il servirait « d’une part, à prévenir les clivages ethniques, religieux,
linguistiques et culturels … [et], d’autre part, à avancer ensemble et reconnaître nos
différentes identités de manière constructive et démocratique, sur la base de valeurs
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 12
universelles partagées » (ibid.). C’est dans cette même foulée que, devant la résurgence
de l'intolérance et de la discrimination (T. Jagland, 2010) ‒ en particulier à l'endroit des
Roms et des immigrés ‒, le Conseil mandatait un groupe de travail dont le rapport « fait
le point sur la gravité des risques, en identifie les sources et formule une série de
propositions pour vivre ensemble dans des sociétés européennes ouvertes » (Fisher et al.,
avril 2011) et visant à conjuguer diversité et liberté. Au Québec, en réponse à « la crise
des accommodements », le rapport de la Commission Bouchard-Taylor (2008) ‒
Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences
culturelles mise en place par le Gouvernement ‒ souligne l’importance des « règles et
normes du vivre-ensemble », d’un « apprentissage du vivre-ensemble qui favorise la
compréhension et le respect mutuels » et du « du mode de gestion du vivre-ensemble à
établir fondé sur un idéal général d’harmonisation interculturelle » (ibid.).
En éducation, nous remarquons ces mêmes tendances en réponse à cet enjeu.
Soulignons à titre d’exemple les nombreuses publications du Conseil de l’Europe sur
l’éducation interculturelle, l’enseignement de la diversité socioculturelle, le dialogue
interculturel, etc., qui on une influence ‒ plus ou moins forte selon les pays concernés ‒
sur les orientations des politiques éducatives et les programmes scolaires. Mentionnons
également à titre d’exemple le nouveau cours d’Éthique et culture religieuse, obligatoire
pour tous les élèves du Québec, qui vise à contribuer « à promouvoir un meilleur vivre-
ensemble et à favoriser la construction d’une véritable culture publique commune »
(Gouvernement du Québec, 2008).
Dans d’autres régions du monde, l’accès même à la démocratie reste un combat
qui est loin d’être gagné. Comme ce fût le cas en 1989 avec la chute du mur de Berlin, le
« printemps arabe » de 2011 ‒ qui a pris son essor en Tunisie ‒ suscite des espoirs
importants, mais aussi de nombreuses questions quant aux conceptions du vivre
ensemble qui vont se dessiner.
En Afrique, deux phénomènes importants méritent d’être considérés. D’une part,
des régimes autoritaires installés après les indépendances ont été remplacés, dans les
années 1990, à la suite de « Conférences nationales souveraines » (Bénin, Togo, Congo,
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 13
etc.), par des gouvernements démocratiques. D’autre part, des oppositions politiques sur
fond d’appartenance ethnique ont ressurgi. Le concept d’« ivoirité » qui est à l’origine de
la longue crise qu’a connue la Côte d’Ivoire et les guerres civiles sur fond
d’ethnocentrisme que l’on a pu observer dans certains pays comme le Rwanda, le
Burundi, la RDC, etc., en sont des illustrations. Pour pallier ces difficultés relatives au
vivre ensemble, l’établissement de gouvernements dits « d’union nationale », l’utilisation
de notions comme « équilibre régional » pour la répartition des ressources ou du pouvoir
ou la mise en place de « commissions dialogue et réconciliation » pour recréer le lien
social disloqué par les conflits armés et autres génocides, sont autant de mesures mises
en œuvre pour restaurer le vivre ensemble ou un meilleur rapport à l’altérité.
Les situations post-conflictuelles appellent également à un pari sur l’éducation ‒ à
la fois à long terme, mais aussi à mener dans l’urgence ‒ afin de restaurer le vivre
ensemble. Ainsi, le Rapport mondial de suivi sur l’EPT de l’UNESCO – intitulé « La
crise cachée : les conflits armés et l’éducation » en a fait une préoccupation importante.
L’un des messages clés de ce rapport est que « l’éducation peut être une force de
prévention de conflits, de reconstruction des pays après les conflits et de consolidation de
la paix. Lorsque cessent les combats, l’éducation peut jouer un rôle essentiel pour
restaurer la normalité, redonner confiance en l’État et consolider la paix (…). La
construction de sociétés plus pacifiques, tolérantes et inclusives passe, entre autres, par
l’amélioration des programmes scolaires et le choix des langues d’enseignement »
(UNESCO, 2011, p. 246). Ces questions concernent aussi bien entendu d’autres régions
du monde.
Des institutions internationales, comme l’UNESCO ou l’UNICEF, se sont
également exprimées sur ces questions. Ainsi, en 1996 avec le rapport Delors,
l’UNESCO prenait position en faveur d’une éducation s’organisant autour
d’apprentissages fondamentaux ne se résumant pas seulement à apprendre à connaître et
à faire, mais aussi à vivre ensemble et à être. De fait, le rapport soulignait que ces deux
derniers apprentissages nécessitaient plus d’attention afin que l’éducation apparaisse
comme une expérience non seulement sur le plan cognitif et de la pratique mais aussi
plus sur le plan du sujet en tant que personne et membre de la société. Apprendre à vivre
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 14
ensemble, à vivre avec les autres, est considéré dans ce rapport comme « un des enjeux
majeurs de l’éducation aujourd’hui » (ibid.). Deux voies complémentaires sont
identifiées : la découverte progressive de l’autre et l’engagement dans des projets
communs. La connaissance de soi, la découverte de l’autre, l’empathie, l’esprit critique,
la confrontation par le dialogue et l’échange d’arguments et la coopération sont cités
comme étant des moyens d’apprendre à vivre ensemble. Cet apprentissage est aussi
étroitement lié à celui « d’apprendre à être » où la reconnaissance de la richesse et de la
complexité de la diversité des personnalités permet aussi la connaissance de soi et une
construction sociale interactive. Mentionnons également le programme « Apprendre à
vivre ensemble », programme interculturel et interreligieux pour l’enseignement de
l’éthique, développé en collaboration et sous l’égide de l’UNESCO et l’UNICEF par la
fondation Arigatou (2008).
En synthèse, comme mentionne le philosophe Duhamel (2010), les multiples
usages de l’expression vivre-ensemble renvoient à un paradigme politique spécifique,
« celui de la confiance, de l’ethos démocratique et de la reconstruction du demos ». Aux
forces centrifuges de l’individualisme et du communautarisme, il oppose « une tendance
centripète : l’expression vivre-ensemble pose l’exigence de ne pas vivre séparés,
fragmentés, ou encore de mal vivre ensemble, dans le conflit et l’exclusion ». La
question du vivre-ensemble sera celle de l’intégration, du rapport à l’altérité, de
l’interdépendance des individus, citoyens et groupes sociaux concernant leurs manières
d’agir et de la qualité pacifique de cette interdépendance et les ajustements concertés
qu’elle requiert.
Ajoutons également qu’une éducation au vivre ensemble ne pourra pas non plus
faire l’économie d’une réflexion approfondie sur la notion de « conflit » comme
catégorie constitutive. Les multiples rhétoriques sur l’éducation au vivre ensemble
laissent trop souvent l’impression que les obstacles à un vivre ensemble résultent avant
tout d’un déficit d’éducation, le véritable vivre ensemble ne pouvant être pensé que
comme harmonieux. L’éducation au vivre ensemble ne peut reposer ni sur la négation du
conflit comme réalité des rapports sociaux, ni sur une vision naïvement nietzschéenne
qui ferait de l’expérience du conflit l’épreuve éducative salvatrice. Elle doit plutôt viser à
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 15
comprendre cette réalité, ses causes et ses effets, à analyser les voies et moyens de les
surmonter ou de les gérer.
L’éducation au vivre ensemble ne peut non plus se limiter à l’apprentissage du
respect inconditionnel de « l’Autre », de la tolérance inconditionnelle de l’ « Autre »,
etc., sans que soit posée la question de notre relation objective à cet « Autre », ou, pour
être clair, sans poser la question de la résistance à l’oppression, droit pourtant reconnu
par la déclaration universelle des droits de l’homme en tant que droit imprescriptible à
lutter pour la reconnaissance de sa propre dignité. Sinon l’éducation au vivre ensemble
risque de n’être qu’une éducation à la soumission. La place faite dans l’éducation à la
résistance à l’oppression, sous toutes ses formes, constitue un critère d’analyse décisif
dans une étude des conceptions, politiques et pratiques de l’éducation au vivre ensemble.
Par le présent colloque, nous souhaitons apporter de nouveaux éléments de
réflexion et résultats de recherche sur l’éducation et en éducation à propos de cet enjeu
éthique et social que représente la coexistence dans nos sociétés contemporaines et qu’on
nomme le vivre ensemble. À partir d’ancrages théoriques spécifiques, de travaux de
recherches empiriques et d’analyses comparatives, ce colloque ‒ organisé conjointement
par le Groupe de recherche sur l’éducation éthique et l’éthique en éducation (GREE) et
l’Association francophone d’éducation comparée (AFEC) ‒ a pour buts de dégager des
éléments porteurs pour penser les fondements et visées, analyser les contextes, les
orientations et les pratiques et développer des outils pour éduquer au vivre ensemble.2
Le colloque vise à traiter de la question de l’éducation et la formation au vivre
ensemble, tant aux plans théorique et philosophique que par des analyses sociopolitiques,
historiques et pédagogiques.
2 Soulignons qu’en préparation à ce colloque international conjoint, le GREE a tenu en 2011 un premier
colloque sur cette même thématique « Penser l’éducation au "vivre ensemble" ». Les vidéos des
présentations faites à cette occasion sont en ligne sur < http://www.gree.uqam.ca/activites/72-iiisupemesup-
colloque-du-gree.html >.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 16
Bibliographie
Bouchard, G. et Taylor, C. (2008). Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Rapport
final, Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux
différences culturelles, Québec, Gouvernement du Québec.
Conseil de l’Europe (2008). Livre blanc sur le dialogue interculturel. « Vivre ensemble
dans l’égale dignité », Strasbourg, Conseil de l’Europe.
Duhamel, A. (2010). « Le "vivre ensemble" : la citoyenneté et le politique entre conflit et
confiance », dans F. Justras, L’éducation à la citoyenneté. Enjeux socioéducatifs et
pédagogiques, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 111-151.
Fondation Arigatou (en collaboration avec et sous l'égide de l’UNESCO et l’UNICEF)
(2008). Apprendre à vivre ensemble. Un programme interculturel et interreligieux
pour l’enseignement de l’éthique, Genève, Fondation Arigatou.
Hasquenoph, S. (2000). Initiation à la citoyenneté de l'Antiquité à nos jours, Paris,
Ellipses.
Locke, J. (1690/1984). Traités du gouvernement civil, Paris, Flammarion.
Montesquieu, C. (1748/1995). L'Esprit des lois, Paris, Éditions Gallimard.
Rousseau, J.-J. (1762/1963). Du Contrat social ou Principe du droit politique, Paris,
Union Générale d’Éditions.
UNESCO (2011). La crise cachée : les conflits armés et l’éducation. Rapport mondial de
suivi sur l’EPT, Paris, UNESCO.
UNESCO (1996). L’éducation : un trésor est caché dedans, Paris, Odile Jacob/UNESCO.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 17
— PREMIÈRE PARTIE —
LES CONFÉRENCES-PLÉNIÈRES ET
TABLES RONDES
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 18
I.1 L'ÉDUCATION ÉTHIQUE ET AU VIVRE-ENSEMBLE: POLITIQUES ET
PROGRAMMES DE RÉGIONS DE LA FRANCOPHONIE – BELGIQUE,
FRANCE, QUÉBEC
Nancy Bouchard, professeure
Université du Québec à Montréal
Claude Gendron, professeure
Université du Québec à Trois-Rivières
Jean-Claude Desruisseaux, professeur
Université du Québec en Outaouais
Marie-France Daniel, professeure
Université de Montréal
Nombre d'organismes internationaux assumant un rôle de leadership pour l'éducation ont
affirmé ces dernières années qu'il devenait essentiel de développer à l'école une culture
démocratique conçue à la jonction de la diversité et de l'unité. Ainsi, tant l'OIF (2005,
2009), que l'UNESCO (1996, 2007, 2011) ou le Conseil de l'Europe (2008, 2010) ont tour
à tour invité les acteurs du milieu scolaire à éduquer au vivre-ensemble dans un horizon
structuré par l'apprentissage du respect de la diversité et par l'appropriation de normes
communes telles les droits de l'homme et de l'enfant. Vivre ensemble dans la diversité :
qu’en est-il de cette orientation politique et éducative dans les programmes
d’enseignement officiels ? Cette question centrale a retenu notre attention dans le cadre
d’un projet de recherche que nous menons au GREE et qui vise à modéliser les formes
d'éducation éthique de programmes scolaires disciplinaires dans certains pays de la
Francophonie du nord.
Le défi du « Vivre ensemble dans la diversité » participant de l’apprentissage
d’une « éthique du bien vivre » et cette éthique pouvant prendre une variété de formes ‒
voire même, se révéler absente ‒ nous avons choisi de traiter notre question de recherche
: 1/ sous l’angle de l’éducation éthique au sens très large du terme ; 2/ à partir des
programmes les plus directement concernés par cette orientation éducative afin de faire
émerger la multiplicité des formes pouvant se présenter. C’est donc en dégageant les
formes d’éducation éthique présentes dans des programmes que nous avons choisi
d’examiner ce qu’il en est de cette orientation politique et éducative dans les programmes
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 19
officiels. Ce faisant, nous avons voulu prendre une distance par rapport à l’une ou l’autre
manière de concevoir l’éducation au vivre-ensemble dans la diversité et par rapport à
cette orientation politique pour laisser émerger la possibilité d’une éducation éthique qui
n’aurait pas cette préoccupation.
Une analyse inductive des données a permis de faire émerger les composantes
d'un modèle de formes d'éducation éthique à partir de l’analyse de programmes de la
Belgique, de la France et du Québec (volet 1). Les trois composantes principales ont été
nommées : formation personnelle (FP), éducation à l’autre (EA), éducation à la société
(ES) et le maillage entre ces dernières a donné lieu aux composantes suivantes : FP/EA,
FP/ES, EA/ES, FP/EA/ES. Ce modèle a ensuite été utilisé en tant que grille d'analyse de
programmes disciplinaires francophones se rapportant le plus directement à une forme
d’éducation éthique (volet 2).
Il a émergé de l’analyse des orientations majeures des programmes du primaire et
du secondaire du « Cours de morale » de la Belgique, de ceux d’« Instruction civique et
morale » et d’« Histoire, Géographie et éducation civique » de la France et de celui d’
« Éthique et culture religieuse » du Québec :
1. que l’éducation au vivre-ensemble du programme d’enseignement fondamental
(niveau primaire) de Belgique peut être décrite comme une forme d’éducation
du caractère revêtu d’un cadre aux accents deweyens. Par ailleurs, l’absence
d’éléments dans les composantes EA (éducation à l’autre) et ES (éducation à la
société) traduit ce qui a été délaissé dans ce programme à titre
d’opérationalisation possible du vivre-ensemble. Au secondaire, les différents
maillages du modèle (FP/EA, FP/ES, EA/ES, FP/EA/ES) et la composante ES
à travers la compétence transversale de la citoyenneté démocratique font état
de l’éducation au vivre-ensemble: s’ouvrir à la différence, découvrir, accepter
et s’enrichir des différences ; reconnaître en chacun la personne humaine ;
s’ouvrir à l’interculturel avec l’apprentissage nécessaire de plusieurs langues
mais aussi tout ce qui relève des cultures, comme les rapports au monde social
et/ou au monde des personnes, la communication interculturelle, les mariages
interculturels ; coopérer et être solidaire… Notons que la politique de gestion
de la diversité culturelle à la base du programme n’est ni une éducation
multiculturelle, ni une éducation à la diversité, ni une éducation interculturelle
comme Meunier (2007) les définit, elle s’inspire en partie des trois approches.
2. que les programmes français, mobilisant fortement la composante ES, sont
orientés vers une instruction civique et morale avec un accent sur les valeurs
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 20
reliées à l’autorité, le respect du maître et des connaissances. On peut donc dire
que les programmes de France visent à fortifier le lien social – et donc,
rencontrent le vivre-ensemble – à travers leur fonction de transmission de la
culture publique.
3. que le programme québécois est orienté vers une éducation au vivre-ensemble
articulant les trois composantes FP, EA, ES. À l’examen des finalités et
compétences du programme, nous avons par ailleurs noté que la FP se limite à
l’éthique et au dialogue, que l’EA se limite à la différence sur le plan religieux
et que l’ES met en valeur les droits individuels et la culture religieuse.
L’analyse fait également ressortir que l’éducation au vivre ensemble (Duhamel,
2010) prend la forme d’une motivation et une volonté à désirer et vouloir vivre
ensemble au niveau de la FP, d’une matrice de sens, d’un cadre normatif dans
l’ES, et d’un idéal, d’un projet de société dans le maillage central FP/EA/ES.
Communications présentées par Nancy Bouchard (cadre général de la recherche), Claude
Gendron (Belgique, enseignement fondamental, programme de morale), Jean-Claude
Desruisseaux (Belgique, enseignement secondaire, programme de morale), Marie-France
Daniel (France, programmes d’instruction civique et morale et d’histoire, géographie et
d’éducation civique) et Nancy Bouchard (Québec, programmes d’éthique et culture
religieuse).
Bibliographie sélective
Alleman-Ghionda, C. (2002). La pluralité, dimension sous-estimée mais constitutive du
curriculum de l'éducation générale. p. 163-180, dans P.R. Dasen, C. Perregaux
(eds.), Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l'éducation?
Bruxelles, De Boeck Université.
Bouchard, N. et M. Gagnon (dir.) (2012). L’Éthique et culture religieuse en question.
Réflexions critiques et prospectives, Québec, Presses de l’Université du Québec.
Bouchard, N. et M.-F. Daniel (dir.) (2010). Penser le dialogue en éducation éthique,
Québec, Presses de l’Université du Québec.
Bouchard, N. (2007). « La notion de compétence en éducation au Québec : une notion à
"libérer" pour le développement de la compétence éthique du sujet/élève », The
Journal of Educational thought/Revue de la Pensée Éducative, vol. 41, no 1,
Spring 2007, p. 27-42.
Bouchard, N. (2006). Éthique et culture religieuse à l’école, Sainte-Foy (Québec),
Presses de l’Université du Québec.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 21
Conseil de l’Europe (2011). Vivre ensemble. Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe
du XXIe siècle, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe.
Daniel, M.-F. (2012). « To Introduce Critical Thinking and Dialogue in Preschool », dans
C. Butler (dir.), Child Rights. The Movement, International Law, and Opposition,
West Lafayette (Indiana), Purdue University Press, p. 73-95.
Daniel, M.-F. & Gagnon, M. (2011). « Responsible Thinking: An Essential Component
of Dialogical Critical Thinking: Exploratory Study With Pupils Aged 4 to 16
Years », dans Aera 11_proceeding_441782, Colloque annuel de l’American
Educational Research Association.
Daniel, M.-F. (2010). « Dialogue critique, pensée critique dialogique et éducation
éthique », dans N. Bouchard et M.-F. Daniel (dir.), Penser le dialogue en
éducation éthique, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 25-41.
De Groof, J. (2006). « La liberté de choix en ce qui concerne l’enseignement d’une
religion ou de la morale non confessionnelle en Belgique – Perspectives
historiques de la relation Église-État », dans J.L. Martìnez Lòpez-Muñiz et al.
(dir.), Religious Education in Public Schools : Study of Comparative Law,
Dordrecht, Springer, p. 29-70.
Desruisseaux, J.-C. (2010). « Inclusion de la diversité culturelle dans un modèle
multifactoriel de la représentation d’une bonne école chez les étudiants-maîtres
québécois ». Revue de l’Université de Moncton, vol. 41, n° 1, p. 171-210.
http://www.erudit.org/revue/rum/2010/v41/n1/
Desruisseaux, J.C (2010). « La participation, l’effort dialogique et l’éthique comme
conditions gagnantes dans les situations culturelles à l’école », dans N. Bouchard
et M.-F. Daniel (dir.), Penser le dialogue en éducation éthique, Québec, PUQ, p.
117-132.
Duhamel, A. (2010). « Le "vivre ensemble" : la citoyenneté et le politique entre conflit et
confiance », dans F. Justras, L’éducation à la citoyenneté. Enjeux socioéducatifs et
pédagogiques, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 111-151.
Dewey, J. (2011). La formation des valeurs, Paris, La Découverte.
Dewey, J. (1980). Theory of Moral Life, New York, Irvington Publishers.
Ferry, J.-M. (2002). Valeurs et normes. La question de l’éthique, Bruxelles, Éditions de
l’Université de Bruxelles.
Gendron, C. (2012). « Le dialogue sur les questions existentielles », dans N. Bouchard et
M. Gagnon (dir.) L’Éthique et culture religieuse en question. Réflexions critiques
et prospectives, Québec, Presses de l’Université du Québec, p.47-62.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 22
Giroux, G. (2006). « Les besoins auxquels obéit la demande d’éthique dans la société »,
dans M.-P. Desaulniers et F. Jutras (dir.), L’éthique professionnelle en
enseignement. Fondements et pratiques, Québec, Presses de l’Université du
Québec, p. 75-93.
Habermas, J. (1986). Morale et communication, Paris, Flammarion.
Lacroix, A. (2010). « Éduquer à la citoyenneté et contribuer à la formation du jugement
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et pédagogiques, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 89-109.
Marceau, E. (2010). « L’éducation à la citoyenneté à l’école. Une réponse de l’école au
problème du vivre-ensemble », dans F. Jutras (dir.), L’éducation à la citoyenneté.
Enjeux socioéducatifs et pédagogiques, Québec, Presses de l’Université du
Québec, p. 77-88.
Meunier, O. (2007). Approches interculturelles. Étude comparative internationale. Lyon,
Institut National de recherche Pédagogique.
Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport (2008). Éthique et culture religieuse.
Secondaire, Québec, Gouvernement du Québec. (voir en ligne sur
<www.mels.gouv.qc.ca>)
Ministère de l’Éducation nationale (2008). Instruction civique et morale (à
l’élémentaire). France.
Ministère de l’Éducation nationale (2009). Histoire, géographie et éducation civique (au
collège). France.
Ministère de la Communauté française (2005). Enseignement fondamental. Programme
de morale pour les trois cycles (2e édition, 512/14), Belgique.
Ministère de la Communauté française (2002). Programme d’étude du cours de morale.
Enseignement secondaire de plein exercice. 181/2002/240, Belgique.
OIF (2010). Pour la démocratie et les droits de l’Homme: Promotion de la culture
démocratique par l’éducation citoyenne, Programmation 2010-2013, Paris, OIF.
Ricoeur, P. (2004). Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Éditions Stock.
Taylor, C. (1992). Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin.
UNESCO. Apprendre à vivre ensemble … [Dossier en ligne sur]
<http://www.unesco.org/new/fr/education/themes/leading-the-international-
agenda/education-for-sustainable-development/education-for-sustainable-
development/five-pillars-of-learning/learning-to-live-together/> (2012.06.07).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 23
Notices biographiques
Nancy Bouchard est professeure titulaire à l’Université du Québec à Montréal et
directrice du GREE. Spécialisée en éducation morale, elle s’intéresse à l’éthique
communicationnelle en éducation par des approches en philosophie morale et politique,
en psychologie morale et en éducation morale/éthique. Elle poursuit en outre des travaux
de recherche sur les modèles d’éducation éthique dans les politiques et programmes
éducatifs de la Francophonie.
Marie-France Daniel, Ph.D. en philosophie de l’éducation, est professeure titulaire à
l’Université de Montréal. Membre de l’exécutif du GREE, ses recherches sont centrées
sur l’approche de la philosophie pour enfants et ses incidences sur le processus
d’apprentissage du dialoguer chez les élèves du préscolaire et du primaire ainsi que sur le
processus d’apprentissage d’une pensée critique chez ces mêmes élèves.
Jean-Claude Desruisseaux, Ph.D. en psychologie sociale, est professeur à l’Université du
Québec en Outaouais. Membre de l’exécutif du GREE, il s’intéresse à l’apprentissage et à
l’enseignement auprès de clientèles multiculturelles, l’éducation interculturelle et les
valeurs, la psychologie des contacts culturels. Ses communications et publications
scientifiques traitent de l’éducation interculturelle et des valeurs.
Claude Gendron, Ph.D. en philosophie de l’éducation, est professeure à l’Université du
Québec à Trois-Rivières. Membre de l’exécutif du GREE, ses travaux se concentrent sur
l’approche de l’éthique du care (ou sollicitude). Elle est l’auteure du volume Éduquer au
dialogue : l’approche de la sollicitude et a contribué à plusieurs ouvrages collectifs.
Parmi les plus récents, citons : L’Éthique et culture religieuse en question, paru en 2012.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 24
I.2 LES ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES, LE VIVRE ENSEMBLE
ET L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE
Jean-René Milot, professeur
Université du Québec à Montréal
Raymonde Venditti, doctorante en sciences des religions
Université du Québec à Montréal
L’accommodement raisonnable est un dispositif créé par les tribunaux canadiens pour
favoriser un vivre ensemble inclusif en évitant que certaines catégories de personnes
soient privées de leur droit à l’égalité et aux libertés garanties par les chartes. Toutefois,
en matière de liberté religieuse, les accommodements, perçus par plusieurs comme un
privilège accordé aux immigrants, sont devenus un sujet d’affrontement, une pierre
d’achoppement pour le vivre ensemble. Craignant pour la paix sociale, le Gouvernement
du Québec a créé la Commission Bouchard-Taylor qui a produit un rapport (2008). La
Commission s’est appuyée sur différentes contributions, dont le Rapport Fleury (2007)
portant sur les pratiques d’accommodements dans le réseau scolaire. Le Rapport
Bouchard-Taylor a recentré le débat sur les valeurs citoyennes communes qui sous-
tendent les accommodements en soulignant que le droit ne pouvait régler à lui seul les
rapports entre citoyens. Dans cette optique, les accommodements sont les derniers
recours là où les ajustements concertés ont échoué. C’est là miser beaucoup sur une
éthique consensuelle qui ne va pas de soi, qui suppose une éducation aux valeurs et aux
normes de la vie collective.
Notre communication a pour objectif de montrer pourquoi et comment
l’accommodement raisonnable peut favoriser ou défavoriser le vivre ensemble à l’école.
Selon le Rapport Fleury, la majorité des demandes d’accommodement à l’école sont liées
à la diversité religieuse. Contrairement à ce qu’on a tendance à croire, ce ne sont pas les
immigrants qui sont les principaux demandeurs d’accommodement mais bien plutôt des
parents chrétiens et témoins de Jéhovah. Quand il s’agit de déterminer s’il faut acquiescer
ou non à ces demandes, des positions divergentes se cristallisent autour de quatre
principaux enjeux que certains estiment servis et d’autres desservis par
l’accommodement : la mission de socialisation de l’école, le droit à l’égalité
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 25
particulièrement entre hommes et femmes, la laïcité, la capacité de fonctionnement de
l’école. Pour aller au-delà de ces divergences et favoriser une prise de décision éclairée,
le Rapport Bouchard-Taylor propose des balises limitatives, des repères éthiques et des
considérations incitatives.
Les balises limitatives en milieu scolaire consistent en trois critères pour
déterminer si une demande est recevable : elle ne doit pas porter atteinte à d’autres droits
de l’élève ou aux droits d’autres élèves, ni aller à l’encontre de la Loi sur l’instruction
publique et des règlements qui en découlent, ni poser de contrainte excessive à l’école en
matière de fonctionnement et de budget. Quant aux repères éthiques, il s’agit
essentiellement de l’ouverture à l’autre et de la réciprocité, deux valeurs qui sont
intimement liées au respect mutuel, à la capacité d’écoute et à la volonté de s’en remettre
à la discussion pour dénouer l’impasse. Ces facteurs maximisent les chances d’en arriver
à une solution négociée mutuellement satisfaisante plutôt que de faire appel à la voie
judiciaire qui fait un gagnant et un perdant. Pour ce qui est des considérations incitatives,
elles se situent dans le cadre d’une réflexion sur les objectifs collectifs tels que
l’intégration des minorités, la socialisation de l’élève et sa capacité de comprendre la
différence.
En bref, pour que l’accommodement raisonnable contribue au vivre ensemble à
l’école, il faut privilégier la voie citoyenne plutôt que la voie judiciaire ; se donner des
balises et des repères éthiques pour traiter les demandes de façon équitable ; développer
une approche contextuelle, délibérative et réflexive ; prioriser le dialogue et le respect
mutuel dans le traitement des demandes. Enfin, comme tout cela ne va pas de soi, il faut
accorder priorité à l’information, à la formation et au perfectionnement des intervenants.
Bibliographie sélective
Bosset, P. (2007). « Les limites de l’accommodement : le droit a-t-il tout dit? », dans
Éthique publique, vol 9, no1. [en ligne sur]
<http://www.cdpdj.qc.ca/publications/Documents/accommodements_limites_droit.
pdf>
Bouchard, G. et C. Tayor (2008). Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation. Rapport
de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 26
différences culturelles, publication officielle du Gouvernement du Québec, 307 p.
[en ligne sur] <http://www.scribd.com/doc/3053017/rapport-de-la-commission-
BouchardTaylor-version-integrale>
Comité sur les affaires religieuses (2003). Rites et symboles religieux à l’école. Défis
éducatifs de la diversité. Avis au ministre de l’Éducation, ministère de l’Éducation,
129 p. [en ligne sur]
<http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/publications/publications/BSM/Aff_religieu
ses/Avis_RitesSymbolesReligieuxEcole_f.pdf>
Fleury, B. (2007). Une école québécoise inclusive : dialogue, valeurs et repères
communs. Rapport présenté à madame Michelle Courchesne, ministre de
l’Éducation, du Loisir et du Sport, Québec, ministère de l’Éducation, du Loisir et
du Sport, 124 p. [en ligne sur
<http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/accommodement/pdf/RapportAccRaisonna
ble.pdf>]
Milot, J.-R. (2009). « Le paradoxe de la liberté de religion : produire des effets
discriminatoires pour un groupe en voulant protéger un individu contre la
discrimination », dans M. Labelle et F. W. Remiggi (dir.), Inégalités, racisme et
discriminations : regards critiques et considérations empiriques, Montréal,
Université du Québec à Montréal, Les Cahiers de la CRIEC, no. 33, p. 29-37. [en
ligne sur] <http://www.criec.uqam.ca/Page/Document/cahier/033.pdf>
Milot, J.-R. et R. Venditti (2012). « ‘C’est au Québec que j’ai découvert le vrai islam’ »,
dans L. Rousseau (dir.), Le Québec après Bouchard-Taylor. Les identités
religieuses de l'immigration, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 241-
293.
Venditti, R. (2011). « L’éducation au vivre-ensemble et le Rapport Bouchard-Taylor », 3e
Colloque annuel du GREE, Penser l’éducation au vivre ensemble, Montréal, mai.
[en ligne sur] <http://www.gree.uqam.ca/activites/72-iiisupemesup-colloque-du-
gree.html#troisa>
Notices biographiques
Jean-René Milot est professeur associé à l’UQAM. Titulaire d’un doctorat en études
islamiques et d’une maîtrise en droit, il est chercheur régulier et membre du comité
scientifique à la Chaire de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté. Son
domaine d’expertise : l’Islam, les droits de la personne et les accommodements
raisonnables. Il a publié des ouvrages sur l’islam, l’islam et les droits de la personne,
notamment sur l’égalité hommes-femmes. Il agit à titre de consultant et personne-
ressource auprès de divers organismes et a participé à une recherche sur la recomposition
identitaire d’immigrants musulmans à Montréal.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 27
Raymonde Venditti est doctorante à l’UQAM. Titulaire d’une maîtrise en droit et d’une
autre en théologie ainsi que d’un baccalauréat en pédagogie, elle est adjointe de recherche
pour le GREE et également chargée d’encadrement à la TÉLUQ. Sa recherche de
doctorat porte sur la relation entre religion et intégration des immigrantes et immigrants
dans le Rapport Bouchard-Taylor. Ses principaux centres d’intérêt : l’implantation du
programme d’éthique et culture religieuse, les droits de la personne et les questions
d’intégration des élèves en difficulté dans le milieu scolaire et des immigrants dans la
société québécoise.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 28
I.3 TABLE RONDE. ÉDUCATION AU VIVRE ENSEMBLE EN AFRIQUE :
LEÇONS DU PASSÉ, PRÉOCCUPATIONS CONTEMPORAINES ET
PERSPECTIVES
Afsata Paré-Kaboré, responsable
Présidente du RAFEC
Les relations établies dans la définition et la mise en place des politiques éducatives des
pays de l’espace francophone entre Education, Culture et Développement sont à analyser
au regard des résultats mitigés obtenus. A l’évidence, nous sommes en face d’une
impasse anthropologique et éthique à l’antipode de toute aspiration au « vivre
ensemble ». L’inquiétude soulevée par l’ampleur de la crise de valeurs actuelle trouve sa
pertinence dans la nécessaire transitivité qu’appelle la mise en relation binaire
généralement établie dans de nombreuses recherches et études existantes respectivement
entre « éducation et culture », « éducation et développement », « culture et
développement ». Toutefois, au-delà de ce constat, il s’agit de poser ce triptyque comme
base de toute réflexion portant sur les modalités susceptibles de favoriser le passage
d’une subjectivité intellectualiste à une éthique de la responsabilité (Lévinas) dans le
temps et dans l’espace : quelle éducation, selon quels enjeux culturels et pour quel
développement dans l’espace francophone?
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 29
I.3.1 L'ÉDUCATION TRADITIONNELLE ET LA VIE COMMUNAUTAIRE :
REPÈRES ET LEÇONS D’EXPÉRIENCES
Afsata Paré-Kaboré, professeure
Université de Koudougou, Burkina Faso
Beaucoup de chercheurs, tant occidentaux qu'africains, ont identifié le mode de vie et
d'éducation des Africains (au sud du Sahara notamment) comme davantage centré sur la
dimension sociale que psychologique de l'individu (Mama, 2001 ; Ngakoutou, 2004 ;
Bray, Clarke, Peter, Stephens, 1986 ; etc.). C’est dire que l’identité individuelle de
l’Africain est sa référence à son groupe d’appartenance. Le vivre ensemble semble donc
être une donnée indissociable de la perception qu’a l’individu de son individualité, celle-
ci apparaissant alors comme un non-sens.
Au plan éducatif, les modalités traditionnelles d'éducation tendent, plus qu'en
Occident, à la résolution des besoins et aspirations de la communauté dans son ensemble
avec un accent porté davantage sur les "buts normatifs et expressifs" (Bray et al. 1986 :
110). Le souci est donc de garantir la cohésion sociale en s’assurant que chacun se
satisfasse de la place qui est la sienne dans la société. L'éducation en Afrique est toutefois
en mutation sinon même en crise comme le souligne E. D. Assy (2003 : 452) traitant du
cas de la Côte d'Ivoire. Etant donné l'éclatement familial1, l'autorité parentale est mise à
mal et ce, en raison de l'école et de l'environnement socio-culturel en général. Il s'agit ici
du cas de la Côte d'Ivoire mais cette situation est-elle si singulière en Afrique ? Il semble
bien que non si l’on se réfère à un certain nombre de chercheurs qui insistent sur la crise
sociale et la crise de l’éducation en Afrique (Ki-Zerbo, 1990 ; Bwalwel, 1998 ;
Ngakoutou, 2004 ; Nguidjol, 2007 ; etc.).
À travers une revue de la littérature sur la question, et en adoptant une approche
comparative entre la situation de mutation socioculturelle d'aujourd'hui et celle d'hier en
Afrique, cette communication a pour objectif d'identifier des pistes de réflexion et
d'actions à même de consolider les efforts d'aménagement de l'éducation pour
promouvoir la paix et la solidarité dans le monde. S’inspirer des modes d’éducation et
1 L'éclatement familial est conçu par l'auteur tant dans son sens physique (séparation dans le temps et dans
l'espace) que dans son sens psychologique d'indifférence, d'impuissance, etc. (p. 452)
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 30
d’organisation sociale ne signifie pas qu’il faille s’y cantonner car ces modes avaient
aussi leurs limites qu’il convient de dépasser.
Bibliographie sélective
Assy, E. D. « Dynamique socio-économique et crise familiale et éducative en Côte
d'Ivoire de 1960 à 1990 », International Revue of Education, vol. 49, p. 343-462.
Bray, M., P.B. Clarke et D. Stephens, (1986). Education and Society in Africa, British
Library cataloging in Publication Data, 191 p.
Mama, A. (2001). « Challenging Subjects : Gender and Power in African Contexts »,
African Sociological Review, vol. 5, n° 2, p. 63-73.
Mungala, A. S. (1982). « L’éducation traditionnelle en Afrique et ses valeurs
fondamentales », Ethiopiques, n° 29, février.
Ngakoutou, T. (2004). L'éducation africaine demain : continuité ou rupture ? Paris -
Budapest - Torino, L'Harmattan.
Paré-Kaboré, A. (2007). Guide pratique pour le recrutement paritaire entre filles et
garçons, femmes et hommes dans l’éducation formelle et non formelle, Afrique de
l’Ouest et du Centre. Commandité et édité par le CIEFFA avec la contribution
financière de l’UNESCO et de l’UA. En co-auteur. 74 pages.
Paré-Kaboré, A. (2007). « Éducation islamique entre non formel et formel : insertion
pédagogique et sociale dans le contexte burkinabè ». Education comparée, vol. 62,
n° 2, p. 215-230.
Paré-Kaboré, A. (2007). « La problématique des programmes de motivation scolaire et de
soutien aux filles au Burkina Faso ». Annales de l’Université de Ouagadougou,
série A, vol. 5, juin.
Paré-Kaboré, A. (2007). « Le ministère de la promotion de la femme : 10 ans d’actions en
faveur de l’éducation et de la formation des femmes et des filles au Burkina
Faso ». CIFRAF infos, n° 6.
Paré-Kaboré, A. (2006). « Intégrer l’espace et le temps pour faire de l’école un lieu de
médiation culturelle et un facteur de développement socio-économique ».
Publication électronique des actes du colloque international de l’AFEC L’école
lieu de tensions et de médiations : quels effets sur les pratiques scolaires ?, p. 536-
547.
Paré-Kaboré, A. (2002). Guide pédagogique Les droits de l’enfant à l’école. Commandité
et édité par Plan Burkina et le Bureau régional de Plan en Afrique de l’Ouest. En
co-auteur. 137 pages.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 31
Notice biographique
Afsata Paré-Kaboré est professeure à l’Université de Koudougou. Elle a pour domaines
d’intérêt l’éducation comparée, la psychopédagogie et les fondements de l’éducation. Elle
dirige notamment le Laboratoire LAPAME de l’Université de Koudougou. Elle préside le
Réseau africain francophone d’éducation comparée (Rafec) depuis janvier 2011.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 32
I.3.2 LANGUE FRANÇAISE VS LANGUES NATIONALES : COMPÉTITION
LINGUISTIQUE ET IMPLICATIONS SUR LE « VIVRE ENSEMBLE » AU
BÉNIN
Astrid Flénon, doctorante
Université de Montréal
Abdel Rahamane Baba-Moussa, professeur
Université d’Abomey Calavi, Bénin
Dans le contexte plurilinguistique local où le français demeure cependant une langue de
référence qui “ouvre les voies”, l’alphabétisation est un apprentissage qui recouvre
plusieurs enjeux dont celui du choix de la langue d’apprentissage. Une enquête a été
menée auprès des maîtres artisans, dont le groupe socioprofessionnel constitue une cible
particulière des activités d’alphabétisation du fait de leur faible niveau de scolarisation,
afin d’évaluer leur fréquence d’engagement dans les activités d’alphabétisation et la place
des langues nationales dans leur choix de langue d’alphabétisation.
Rappelons que le contexte des ateliers d’apprentissage du secteur artisanal est
caractérisé doublement par l’activité de production artisanale concomitamment avec celle
de la formation des jeunes apprentis à la pratique des métiers artisanaux. Dans ces
ateliers, la langue de communication est rarement le français, les ateliers d’apprentissage
étant des dispositifs totalement intégrés dans la culture locale tant dans les modes d’accès
des apprentis que dans le type de relation qu’entretiennent les apprentis et leurs
« patrons » (Baba-Moussa, 2003). Les langues nationales y servent donc à la transmission
du savoir manuel essentiellement par le biais de l’observation et de l’imitation mais il
arrive parfois que cela exige de l’apprenti la mémorisation et/ou la consignation
d’informations par écrit. Par ailleurs, une bonne gestion de l’entreprise artisanale
nécessite parfois la mise en jeu de compétences fondamentales en écriture, lecture et
calcul. Ainsi, Akpaka et Gaba (1992) montraient-ils que les patrons ayant acquis un
certain niveau d’instruction géraient mieux leurs ateliers que les autres. Or, il s’avère que
l’existence de maîtres artisans ayant un niveau scolaire acceptable est un fait récent.
L’enquête de Flénon et Baba-Moussa (2011) montre que les patrons sont
généralement moins scolarisés que leurs apprentis qui sont de plus en plus nombreux à
avoir choisi l’artisanat par vocation. Peu scolarisés, ces patrons ne bénéficient donc pas
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 33
durablement des acquis scolaires sur la gestion de leurs ateliers quand leur fréquentation
de l’école n’a pas atteint un niveau suffisant. Au fil du temps, l’absence d’utilisation
régulière des acquis scolaires entraine leur perte chez cette catégorie de la population
(Resen, 2008). Suite à leur formation professionnelle manuelle et face à la nécessité
d’utiliser des savoirs d’ordre intellectuel dans leur pratique professionnelle, certains
artisans se tournent vers l’alphabétisation comme alternative pour acquérir dans une
langue qu’ils maîtrisent (leur langue maternelle ou une des langues nationales), les
connaissances qui leur font défaut.
L’analyse du choix des langues d’alphabétisation chez les maîtres artisans rend
compte, d’une part, des relations existant entre la langue française et les langues
nationales en termes de valeurs et, d’autre part, du poids du rapport au savoir (en
l’occurrence celui de l’existence ou non d’une « culture » de l’apprentissage intellectuel
chez les maîtres artisans) dans leur degré d’engagement dans l’alphabétisation.
Les investigations faites révèlent que, de façon générale, les maîtres-artisans
s’engagent peu dans des activités d’alphabétisation : ils sont 73% à n’avoir jamais
entrepris une activité d’alphabétisation. Parmi ceux qui l’on fait (27% d’entre eux), ils
choisissent plus fréquemment l’alphabétisation en langue française en plus d’une langue
nationale (12% des cas). Environ 10% d’entre eux ont choisi uniquement
l’alphabétisation en langue française, tandis qu’ils sont plus rares (seulement 4%) à
choisir de s’alphabétiser uniquement en langues nationales. Les maîtres artisans sont
donc prioritairement attirés par la langue française perçue comme une langue
d’opportunité par l’ouverture sur le monde moderne qu’elle permet. Ils se retrouvent
également dans la nécessité de maîtriser les compétences basiques de lecture, écriture et
calcul dans la langue nationale avec laquelle ils communiquent tous les jours : ce qui
explique la propension de certains à une double alphabétisation. En ce sens, on pourrait
voir dans cette double alphabétisation à l’âge adulte le moyen par lequel les maîtres
artisans affermissent les conditions du « vivre ensemble » par le désir de briser la barrière
linguistique qui crée deux mondes dans la sphère sociale béninoise : celui de ceux qui ont
accès à la langue française (qui peuvent la lire, l’écrire et la parler) et celui de ceux qui
n’y ont pas accès (et qui représentent pourtant la grande majorité : selon le troisième
recensement général de la population et de l’habitat, près de 70% des adultes sont
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 34
analphabètes au Bénin – RGPH, 2003). Ainsi, d’un côté, l’alphabétisation en langue
nationale les rapprocherait de leurs compatriotes non scolarisés (et analphabètes) qui
constituent majoritairement la clientèle avec laquelle ils doivent habituellement
communiquer. De l’autre côté, tout contact avec les services publics nécessite la maîtrise
du français demeurée la seule langue officielle et la seule langue de travail de
l’administration.
En définitive, l’analyse des conditions de ces choix linguistiques opérés dans le
cadre de l’alphabétisation en langue nationale montre qu’au-delà du choix de la langue,
c’est en réalité dans un processus plus large d’intégration culturelle que sont engagés les
artisans qui décident à l’âge adulte de réapprendre à lire et à écrire. Ce processus
d’intégration culturelle, intimement lié à leurs représentations du monde, impose la
nécessité d’une interculturalité entre la culture (française) véhiculée par la langue
française dominante et les cultures locales transmises par le biais des langues nationales.
Comme l’écrit Loicq (2008), le « rapport personnel et social au monde, et donc à
l’altérité, [n’] existe [que] dans des schémas signifiants que sont les représentations ».
La modélisation des relations existant entre langue française et langues nationales
dans les choix de langue d’alphabétisation chez les artisans révèle deux constats majeurs.
D’abord, l’existence de relations positives entre le français et les langues nationales prises
séparément puisqu’un artisan choisit plus facilement d’apprendre la langue française en
plus d’une langue nationale qu’il ne choisit d’apprendre une autre langue nationale.
Ensuite, l’existence d’une relation moins positive, d’une part, entre les langues nationales
et, d’autre, part entre le français et les langues nationales prises dans leur globalité (ce qui
explique les difficultés à mettre en œuvre le projet d’introduire les langues nationales
dans le système scolaire). Tout ceci n’est pas sans implication sur le « vivre ensemble »
au Bénin de façon générale, au-delà de l’illustration qui est ici faite au niveau des
artisans. En effet, l’enjeu linguistique est l’un des défis majeurs du vivre ensemble,
notamment dans toute société multiculturelle. Il l’est aussi bien au niveau individuel,
qu’au niveau politique et au niveau de l’équilibre social. Avec plus de 50 langues
nationales et le français comme langue officielle, la richesse linguistique du Bénin n’est
pas sans cacher de probables tensions de divers ordres qui constituent un vaste champ
d’investigation pour les sciences sociales et en particulier pour l’éducation comparée.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 35
Bibliographie sélective
Akpaka, O. et L. Gaba (1992). L’apprentissage professionnel en milieu informel urbain
au Bénin, Direction de la Coopération Suisse au Développement et de l’Aide
Humanitaire, BIT, DA, 110 p.
Aide et Action (2002). Etude sur les déterminants et entraves à l’éducation dans la sous-
préfecture de Zé, Bénin, 42 p.
Baba-Moussa, A.R. (2012). « L’Alphabétisation et l’éducation des adultes dans les
politiques nationales de l’éducation au Bénin depuis 1960. Les enjeux d’une
articulation entre éducation formelle et non formelle », Revue africaine
francophone d’Education comparée, n° 1 (sous presse).
Baba-Moussa, A.R. (2011). « L’alphabétisation et l’éducation en langues nationales au
Bénin », Edumag, n° 5, juillet-septembre, p. 23-24.
Flénon, A., A. R. Baba-Moussa (2011). « Les déterminants de l’orientation vers
l’apprentissage d’un métier dans les ateliers du secteur d’éducation non formelle
en milieu urbain au Bénin. Cas des ateliers de la ville de Cotonou », Langage et
devenir, n° 17, décembre, p. 39-58.
Resen (2008). Le Système Éducatif Béninois : Analyse sectorielle pour une politique
éducative plus équilibrée et plus efficace, Document de travail de la Banque
Mondiale n° 165, 234 p.
Loicq, M. (2008). « L’éducation aux médias pour mieux vivre ensemble. Les médias au
cœur du projet d’éducation à la citoyenneté », Perraton, C., et al. (dir.) Comment
vivre ensemble ? La rencontre des subjectivités dans l’espace public : Actes de
colloque, UQAM, 20-21 octobre 2007 [En ligne sur] <http://www.gerse.uqam.ca>
Touraine, A. (1997). Pourrons-nous vivre ensemble ? Egaux et différents, Paris, Fayard,
395p.
Notices biographiques
Abdel R. Baba-Moussa est Directeur de Cabinet du Ministre Chargé de la Microfinance,
de l'Emploi de Jeunes et des Femmes (Cotonou-Bénin) et président de l'AFEC
(Association francophone d’éducation comparée). Il est par ailleurs professeur à
l’Université d'Abomey-Calavi au Bénin.
Astrid Flénon est titulaire d'une maîtrise en sociologie. Ses travaux ont porté
particulièrement sur la sociologie de l'éducation et l'éducation non formelle en Afrique.
Elle s'intéresse également aux transformations familiales et à l'expression des nouvelles
formes de jeunesse. Elle est actuellement doctorante en démographie à l'Université de
Montréal.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 36
I.3.3 QUESTIONS ÉDUCATIVES, CULTURE TECHNOLOGIQUE ET
DÉVELOPPEMENT DURABLE
Raharinirina Rabaovololona, professeure
Université d’Antananarivo, Madagascar
La diversité et la pluralité des cultures spécifient l’Afrique et les îles indianocéaniques ;
elles façonnent l’identité de leur population. Un enfant africain devrait vivre ce
patrimoine culturel local, dont contes et comptines ; cependant, avec le contexte actuel
des nouveaux médias, la mondialisation de la culture tend à insécuriser cet écosystème
dès la prime enfance, notamment avec les productions multimédias conçues
essentiellement de l’étranger mais exploitées dans le préscolaire local. L’éducation
interculturelle est alors complexe face au risque que représentent ces technologies pour
les traditions orales encore extérieures à ce réseau. Ainsi, l’espace francophone devrait
faire vivre cette pluralité à travers le dialogue des savoirs locaux avec ceux d’ailleurs et
vice versa, la diversité de ce patrimoine devrait enrichir l’espace francophone commun
pour promouvoir un développement durable lié aux enjeux de l’éducation de la prime
enfance sur l’environnement floristique et de la faune local.
Actuellement, le système éducatif ne favorise guère ce double aspect du « vivre
ensemble », consistant en une conjugaison du patrimoine local avec celui du monde dans
l’éducation médiatique des enfants de Madagascar. Sans une nouvelle perspective
pédagogique, mangas et bandes dessinées constitueraient des problèmes pour l’éducateur
malgache qui a pour devoir de valoriser autant le patrimoine physique local, l’identitaire
immatériel que leur durabilité. Il faudrait, d’une part, aller vers une perspective
d’éducation écologique misant sur les langues nationales et le français comme langue de
culture commune, et, d’autre part, réfléchir ensemble sur les modalités de partage
éducatif via les médias émergents, plus appropriés au contexte collaboratif entre le local
et le global.
Notre communication, après une étude comparée entre l’environnement culturel
effectif des enfants malgaches et celui des supports numériques popularisés en
scolarisation débutante, tentera de réfléchir sur les stratégies éducatives durables pour
conforter la pluralité identitaire, tout en accédant à la culture de l’Autre par l’usage
d’outils communs : la technologie et la langue française.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 37
Bibliographie sélective
Caillé, A., M. Humbert, S. Latouche et P. Viveret (2011). De la convivialité, dialogues
sur la société conviviale à venir, Paris, La découverte, 191p.
Chardenet, P. (2009). « Les pieds dans les racines », Le français à l’université, 14e année,
n° 2, Paris, Presses de la FNSP.
De Rosnay, J. (1994). Education, Ecologie et Approche Systémique. Congrès de
l'AGIEM, La Rochelle, 4 juin.
Delors, J. (1996). L'Education : un trésor est caché dedans, Paris, Odile Jacob et
Unesco.
Demaizière, F. (2005). Quelles compétences et quels modes de formation pour les
formateurs? En ligne sur <http://didatic.net/article.php3?id_article=64>
Launey, M. et L. Puren (2010). « Josiane Hamers à la rencontre du plurilinguisme
guyanais », Synergies Monde, n° 7, p. 79-96. En ligne sur < http://ressources-
cla.univ-fcomte.fr/gerflint/Monde7/launey.pdf >
Morin, E. (2000). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, du Seuil, p.
11-12. En ligne sur < http://www.pedagopsy.eu/page7320.htm >
Perrenoud, P. (2005). L’école face à la diversité des cultures : la pédagogie différenciée
entre exigence d’égalité et droit à la différence. En ligne sur
< http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2005/2005_1
6.html >
Raharinirina Rabaovololona, L. (2008). « De l’insécurité linguistique à l’insécurité de
l’espace public ou les enjeux d’une déconstruction linguistique pour le
développement de Madagascar », Actes du colloque. Les mots du développement :
genèse, usages et trajectoires, Université Dauphine-Université Sorbonne nouvelle,
Paris.
Raharinirina Rabaovololona, L., B. S. Ralalaoherivony (2007). « Quel statut pour le
malgache ? », Actes du colloque. Plurilinguisme à Madagascar, dans l’Océan
Indien et au-delà. Quand les perspectives se rencontrent. Situation plurielle.
Description et analyse de la situation. Edition en cours.
Randriamiadanarivo (1977). Isa ny amontana, Antananarivo, Salohy, 52 p.
Notice biographique
Raharinirina Rabaovololona est professeure à l’Université d’Antananarivo à Madagascar.
Elle agit notamment comme chef du département Interdisciplinaire et de Formation
Professionnelle de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de cette même Université.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 38
I.4 ÉDUCATION À LA CITOYENNETÉ ET FORMATION AU VIVRE
ENSEMBLE
Eric Mutabazi, responsable
Les deux derniers siècles ont été marqués par tant de crises morale, humanitaire, sociale,
mais surtout sociopolitique. Nous pouvons dire avec consternation qu’une réalité tragique
s’est toujours imposée à l’être humain : celle des antagonismes de races manifestés par
les conflits sanglants. Ces événements tragiques sont la conséquence d’un manque de
reconnaissance, de respect mutuel, de coopération et de l’acceptation de l’autre dans la
gestion politique. Ainsi, l’homme est habité, consciemment ou non, par la peur, la
méfiance et l’exclusion de l’autre différent. D’après ce constat, nous pensons que la
restauration de la citoyenneté qui est, comme le montre Schnapper (1994), le
dépassement de toutes nos appartenances sociales, peut remédier à tous ces maux et
contribue « au vivre ensemble » au sein des différentes nations. Nous estimons que la
réflexion sur l'éducation à la citoyenneté trouve sa place dans les problématiques
sociopolitiques du monde contemporain en proie au machinisme et aux conflits de tous
genres. Lors de ce symposium, les participants montreront, selon les différentes études,
en quoi l’éducation à la citoyenneté peut être une voie royale vers la formation au « vivre
ensemble », surtout dans les pays pluriethniques (multiculturels).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 39
I.4.1 LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉDUCATION DANS LES CONFLITS
INTERETHNIQUES AU RWANDA
Eric Mutabazi, maître de conférences
Université Catholique de l’Ouest
Depuis les années 1950, le Rwanda a connu les guerres, les massacres dont le point
culminant fut le génocide commis contre les Tutsi en 1994. Ces horribles événements ont
mis en doute le principe de la citoyenneté et de la « communauté des citoyens »1 au
Rwanda. Après le génocide, plusieurs recherches ont été réalisés pour déterminer les
causes de ces conflits sanglants et de l’échec du vivre ensemble entre les Rwandais.
Certains chercheurs et penseurs affirment que cet échec est lié aux facteurs économique,
politique et historique.
En effet, la démographie du Rwanda était estimée à 7,8 millions d’habitants2 en
2000. Le taux d’accroissement naturel était à 2,8% et le taux de fécondité à 6,5%. C’est la
densité qui atteignait des sommets explosifs, dit Erny (2001). Plus de 90% de cette
population est rurale. Cette dernière est dispersée sur des collines. Le taux de revenu
intérieur par tête était aussi un des plus bas du monde (Erny, 2001 : 12). Ces données
poussent certains chercheurs à penser que la pauvreté est l’un des éléments qui ont
conduit le Rwanda aux déchirements interethniques, parce qu’ils n’arrivaient pas à
partager les biens du pays.
Cependant, plusieurs personnes et chercheurs montrent que la véritable cause qui
a conduit le pays à ces horribles événements est liée aux facteurs historiques et politiques
fondés sur les idéologies de divisions ethniques. En effet, ces chercheurs affirment que
les programmes politiques rwandais véhiculaient des idéologies qui favorisaient
l’appartenance ethnique au détriment de la communauté de citoyens et de l’identité
nationale. Ces idéologies auraient aussi envahi le domaine historique, l’interprétation des
événements passés, la gestion politique du pays, l'éducation du peuple et l'enseignement.
C'est pour cela qu’après le génocide, les autorités rwandaises ont décidé de suspendre
certains contenus de l’éducation lors d'une conférence nationale qui a eu lieu en avril
1 Schnapper (1994) définit la communauté des citoyens comme le dépassement de toutes nos
appartenances sociales. 2 Selon la même Enquête démographique et de santé, menée en 2000 par l’Office National de la
Population.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 40
1995, à Kigali, intitulée « La politique et la planification de l’éducation au Rwanda ».
Elles expliquent que « l’éducation n’a pas su prévenir ni éviter la guerre, les massacres et
le génocide dans notre pays. Il n’y a donc pas de doute que les contenus de l’éducation,
les programmes scolaires et le matériel didactique, doivent être révisés » MINIPRISEC &
MINESUPRES3 (1995 : 44).
En effet, le rapport de cette conférence montre que certains manuels scolaires
comme ceux d'histoire s'efforçaient de justifier une politique discriminatoire en mettant
en place un système de propagande et d’incitation à la haine ethnique et régionale et en
exploitant savamment l’ignorance de la population (MINIPRISEC & MINESUPRES,
1995 : 16). Ce rapport montre que le contenu de l’éducation en général et celui des
manuels scolaires de l'histoire du Rwanda en particulier ont bel et bien joué un rôle dans
la haine, les conflits et les rivalités ethniques qui ont conduit le Rwanda à la guerre, aux
massacres et au génocide des Tutsi de 1994. Une telle assertion restait à prouver car les
études scientifiques n’avaient pas confirmé cette hypothèse.
Lors de notre recherche de doctorat (Mutabazi, 2010), nous avons analysé le
contenu des ouvrages de l’historiographie du Rwanda et des manuels scolaires de
l’histoire. Les résultats nous révèlent que leur contenu véhiculait les idéologies favorisant
les appartenances ethniques au détriment de la réalisation d’une communauté des
citoyens et de l’identité nationale. Autrement dit, aussi bien le contenu de
l’historiographie que celui des manuels scolaires n’intègrent pas tous les Rwandais et
tous les élèves à la conscience nationale. Ils ne présentent pas l’histoire nationale comme
la construction de la nation, mais comme le triomphe de certains groupes ethniques sur
les autres.
Après nos recherches doctorales, la question qui revenait était de savoir si c’est
seulement le contenu des ouvrages de l’historiographie rwandaise et des manuels
scolaires qui ont contribué aux divisions interethniques. C’est ce qui nous a poussé à
étudier le rôle de l’éducation en général dans les conflits rwandais ; d’où d’ailleurs notre
question « en quoi l'éducation aurait-elle contribué à l’échec du vivre ensemble au
Rwanda ? » Pour répondre à cette question, nous ouvrirons cette présente contribution, en 3MINEPRISEC : Ministère de l’Enseignement Primaire et Secondaire ; MINESUPRES : Ministère de
l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Culture.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 41
repartant des résultats de notre étude sur le contenu de l’histoire du Rwanda et de son
enseignement. Ensuite, nous présenterons des résultats d’analyse d’autres ouvrages sur
l’éducation ainsi que les résultats de nos enquêtes sur le terrain concernant d’autres
facteurs de l’éducation qui auraient contribué aux événements horribles qu’a connus le
Rwanda. Les résultats de l’analyse de ces études permettront de souligner en quoi
l’éducation aurait une part de responsabilité dans les conflits inter-rwandais. Enfin, nous
proposerons quelques repères pour une éducation contribuant à atténuer les conflits, à la
paix, à l’unité et à un mieux « vivre ensemble ».
Bibliographie sélective
Heremens, R. (1973). Introduction à l’histoire du Rwanda. Bruxelles, Éditions de Boeck,
Kigali, Éditions rwandaises.
Kagame, A. (1975). Un abrégé de l’histoire du Rwanda de 1853 à 1972, Butare :
Editions Universitaires du Rwanda.
Maquet, J.J. (1954). Le système des relations sociales dans le Rwanda ancien, Tervuren,
Annales du Musée royal du Congo belge.
Mutabazi, E. (2010). Histoire savante, histoire enseignée dans une nation multiethnique
et conflictuelle. Le cas du Rwanda. Thèse de Doctorat inédite, Université de
Nantes, octobre.
Mutabazi, E. Des enjeux des nouvelles valeurs dans l’enseignement de l’histoire du
Rwanda après le génocide En ligne sur < https://plone2.unige.ch/aref2010/symposiums-longs/coordinateurs-en-
h/nouvelles-demandes-sociales-et-valeurs-portees-par-
l2019ecole/Les%20enjeux%20des%20nouvelles%20valeurs.pdf > (2012.07.19)
Mutabazi, E. Suppression des manuels scolaires de l’histoire au Rwanda : erreur ou
cohérence? En ligne sur
< http://www.montpellier.iufm.fr/internet/site/recherche/img_recherche/cedrhe/jep
g/jepg_id_17.pdf > (2012.07.20)
Mutabazi, E. En quoi l’enseignement de l’histoire a-t-il contribué à la souffrance à
l’école au Rwanda ? En ligne sur < www.cirp.uqam.ca/documents%20pdf/collectifs/11_MutabaziE.pdf >
(2012.07.20)
Mutabazi, E. (à paraître). « Dans quelles conditions éviter les traumatismes dans
l’enseignement de l’histoire du Rwanda après le génocide ? », Enseigner
Autrement, Paris.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 42
Mutabazi, E. (à paraître). Enseignement de l’histoire conflictuelle du Rwanda, Paris,
L’Harmattan.
Reyntjens, F. (1985). Pouvoir et droit au Rwanda. Droit public et évolution politique,
1916-1973, Tervuren, Annales du Musée royal de l’Afrique centrale.
Schnapper, D. (1994). La communauté des citoyens, sur l’idée moderne de la nation,
Paris, Gallimard.
Notice biographique
Eric Mutabazi est docteur en sciences de l'éducation. Postdoctorant, il est chargé de cours
à l'Université Catholique de l'Ouest à Angers en France. Il y enseigne l’éducation et la
citoyenneté, la méthodologie de la recherche, l’histoire des idées pédagogiques, la
sociologie de l’éducation et les séminaires de recherches.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 43
I.4.2 BÂTIR L’HARMONIE SOCIALE À TRAVERS L’ÉDUCATION
MORALE DANS UN CONTEXTE DE POST-CONFLIT : LE CAS DU
BURUNDI
Herménégilde Rwantabagu, professeur
Université du Burundi
La paix et la cohésion sociale observées dans la société traditionnelle avaient pour
fondement un système éducatif qui amenait les jeunes à intégrer les valeurs et normes
sociales dans leur vécu journalier.
Le contenu de l’éducation coutumière émanait des exigences de la société et des
réalités du milieu ambiant. Dans une perspective socio-centrique, l’essentiel de
l’éducation consistait à amener les jeunes à se conformer à et à intérioriser les lois, les
normes et les coutumes de la société. Celles-ci comportaient un ensemble d’interdits et
d’obligations à éviter ou à accomplir, respectivement. Au stade de l’adolescence, on
apprenait aux jeunes gens à maîtriser leurs impulsions surtout en ce qui concerne les
rapports entre les sexes, qui étaient régis par des règles strictes, renforcées de sanctions
très sévères.
A ce propos, L. Ntawurishira fait remarquer que les valeurs transmises par
l’éducation traditionnelle étaient celles considérées comme étant utiles au maintien de la
vie et de celle de la famille. C’était ensuite « celles jugées utiles à la cohésion sociale et
aux bonnes relations entre les membres de la communauté ».
A l’instar de l’ « Arêté » ou vertu, cultivée avec soin chez les jeunes grecs,
l’éducation coutumière Burundaise visait essentiellement la conscience intégrée :
« Umutima », facteur primordial de l’Humanité « Ubuntu ». Cette dernière n’était pas
conçue comme un attribut figé et acquis, mais « un nœud de relations » comme le dira M.
Kayoya. Elle devait se manifester dans la vie quotidienne à travers des actes de
patriotisme, la conformité à la loi, les recours à la justice, le respect de la vie et des droits
d’autrui, la solidarité et le partage, la protection des faibles et l’assistance aux déshérités.
C’est dans cette perspective que L.S. Senghor a fait observer qu’ « en Afrique
Noire, la moralité signifie sagesse active. Ce n’est pas un Catéchisme qu’on récite, mais
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 44
un mode de vie qui se réalise dans et par la société et, avant tout à l’intérieur de chaque
personne ».
Au niveau culturel, les changements induits par l’expérience coloniale ont
provoqué la domination des systèmes de valeurs indigènes par ceux importés de
l’extérieur. Cette situation a contribué à la déstabilisation de l’édifice éthique de la
société burundaise, qui garantissait naguère la paix et l’harmonie entre individus et entre
les communautés. Ainsi, comme L. Kagabo l’a souligné, on a assisté à un renversement
des valeurs morales par lequel les valeurs constructives comme l’honnêteté, la solidarité,
le respect des droits de l’homme et de la vie ont cédé la place aux tendances dépravantes
comme l’injustice, l’égocentrisme, l’exclusion et la violence, érigées en mode de vie
surtout chez les jeunes.
Au cours des dernières décennies, l’histoire du Burundi a été marquée par une
fracture identitaire de grande envergure. Les recherches menées récemment au pays ont
révélé que les violences fratricides ont pour explication, entre autres, la forte
dépréciation des valeurs humaines, chez lez jeunes en particulier. Face à cette
détérioration du paysage axiologique, l’Etat a adopté, en 2005, un programme
d’Education aux Valeurs Humaines à l’école. La présente communication se propose
d’analyser les résultats d’une enquête, menée en 2011 auprès d’une centaine
d’adolescentes et d’adolescents tirés de quelques établissements scolaires du milieu rural
et urbain. Ladite enquête avait pour but de connaître l’impact sur la vision et le vécu,
chez les jeunes Burundais, du programme d’Education aux Valeurs. Ledit programme
porte sur l’acquisition et la pratique des valeurs porteuses d’harmonie sociale telles que la
justice, la tolérance, la solidarité et le respect des droits de l’homme et de la vie, valeurs
qui se résument dans le concept global d’ « Ubuntu » ou « Humanité ».
L’analyse des résultats de l’enquête a permis de dégager les constatations
résumées ci-après :
1. Concernant la pertinence du programme, les jeunes, toutes catégories
confondues, en ont une perception positive. Un effectif de 82.5% des
répondants disent que le programme est venu à point nommé pour « donner
un sens à leur vie », ou pour « leur montrer le chemin à suivre ». A ce propos,
les jeunes enquêtés sont d’avis que « l’école ne devrait pas se limiter à être un
lieu d’emmagasinage de connaissances théoriques, mais un lieu
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 45
d’humanisation du comportement ». Les jeunes interrogés sont conscients de
et apprécient la signification actuelle des valeurs traditionnelles porteuses
d’harmonie sociale comme le respect strict des lois, la sauvegarde de
l’environnement, la conciliation et la résolution pacifique des conflits. Les
filles, un peu plus que les garçons, apprécient l’éthique de la sexualité
responsable et le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine,
comme valeurs apprises à l’école.
2. En ce qui concerne la méthodologie utilisée, la majorité des enquêtés (85%)
apprécient l’approche interactive pratiquée en classe où les jeunes ont
l’occasion de s’exprimer et d’échanger librement avec l’enseignant et les
pairs. Ils apprécient à 90% les tentatives faites pour faire participer les parents
dans le renforcement, en famille, des acquis scolaires. Un effectif de 92.5%
sont satisfaits des initiatives faites pour visiter les malades et les déshérités.
Les filles, plus que les garçons, sont sensibles à de telles initiatives.
3. Pour le vécu et la mise en pratique des valeurs apprises, les jeunes enquêtés
ont affirmé à 81% que leurs attitudes et leurs actes en ont été affectés. Ainsi,
84.5% des enquêtés croient que les problèmes scolaires peuvent être résolus à
travers le dialogue et non par des grèves et des actes violents ; 80,7%
affirment que la méfiance qu’ils éprouvaient envers les membres du groupe
ethnique différent s’est estompée. A ce propos, contrairement à ce qu’une
enquête réalisée en 1996 auprès des jeunes de 16-22 ans avait révélé, les
jeunes enquêtés en 2011 disent être disposés à partager une chambre
d’internat avec un camarade d’ethnie différente.
4. Pour les contraintes éprouvées dans l’appropriation et la mise en pratique des
valeurs apprises, 84% des enquêtés ont cité le temps limité pour l’exposé par
l’enseignant et les échanges, le fait que beaucoup d’élèves sont externes
(75%) et n’ont pas l’occasion d’échanger et d’interagir avec les camarades de
classe. La moitié des enquêtés ont évoqué le fait que certains enseignants
n’attachent pas d’importance à ce cours.
5. Certains enquêtés (22%) ont mentionné le fait que certains parents, durement
affectés par les situations vécues, se refusent à toute idée de réconciliation et
de tolérance et auraient tendance à contrecarrer le message transmis par
l’école.
Le programme d’éducation morale initié par l’Eglise Catholique et approuvé par
tous les partenaires avant son adoption a été apprécié comme opportun et bénéfique par
les parents, les enseignants et les jeunes bénéficiaires. L’approche interactive,
participative et centrée sur le vécu dans son milieu prédispose les jeunes à
l’intériorisation et à la mise en pratique des valeurs apprises.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 46
Une évaluation de grande envergure du programme d’éducation aux valeurs, au
niveau national, s’impose en vue de discerner et de combler certaines failles en le rendant
plus efficace et plus significatif. En effet, au Burundi comme ailleurs en Afrique,
l’éducation morale qui s’inspire des valeurs traditionnelles et des réalités actuelles offre
la possibilité de générer une société plus paisible et plus respectueuse de la dignité de la
personne humaine.
Bibliographie sélective
Bureau National de l’Enseignement Catholique (BNEC) (2005). Programme d’éducation
aux valeurs, Bujumbura, Presses Lavigerie.
Cummings, et al. (eds) (2001). Value Education for Dynamic Societies ; Individualism or
Colllectivism, Hong Kong, CERC.
Erny, P. (1972). L’Enfant et son milieu en Afrique Noire, Paris, Payot.
Kagabo, L. (1994). « L’État des mœurs sociales au Burundi », Au Cœur de l’Afrique,
vol. 57, n° 1.
Ntahombaye, P. et H. Rwantabagu (1996). Perception des valeurs traditionnelles chez les
Jeunes Burundais de 18-22 ans, Bujumbura, Unesco.
Ntawurishira, L. (1990). « La détérioration des valeurs et son impact sur l’éducation et
l’évolution des mœurs », Au Cœur de l’Afrique, vol. 57, n° 1.
Rwantabagu, H. (2011). « Moral Education in a Post-Conflict Context: the Case of
Burundi », Journal of Moral Education, vol. 39, n° 3, Septembre.
Rwantabagu, H. (2003). « Education morale et harmonie sociale. Perspectives
traditionnelles et défis actuels », Actes du Séminaire sur la promotion d’une
culture de paix au Burundi, Bujumbura, Université du Burundi.
Rwantabagu, H. (1995). « The Family and Moral Education in a Changing World: The
Case of Burundi », Actes de la Conférence internationale sur l’education morale,
Kashiwa-Shi, Institute of Moralogy (Japon).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 47
I.4.3 LES CITOYENS FONT-ILS L’HISTOIRE DANS LES MANUELS
D’HISTOIRE AU QUÉBEC?
David Lefrançois, professeur
Université du Québec en Outaouais
Marc-André Éthier, professeur
Université de Montréal
Stéphanie Demers, professeure
Université du Québec en Outaouais
Cette communication vise à analyser le contenu des manuels de l’élève en Histoire et
éducation à la citoyenneté au secondaire à propos des modes d’engagement et de la
participation citoyenne. Entre 2006 et 2010, 13 ensembles didactiques d’histoire publiés
en français et quatre en anglais – totalisant 9922 pages – ont été achetés par les écoles
québécoises. (1) Quel poids les manuels de l’élève accordent-ils au rôle que jouent les
agents pour façonner le changement dans l’histoire ou y résister ? (2) Quels types de
citoyens promeuvent-ils ? Notre grille de lecture s’inspire (1) des catégories actantielles
provenant de la sémiotique (Greimas, 1983) et (2) de la typologie des citoyens de
Westheimer et Kahne (2004) et des conceptions « édifiante » ou « critique » de la
citoyenneté polarisées au Québec dans les débats sur l’enseignement de l’histoire. Nous
n’examinons ici qu’un des 12 chapitres du programme au 1er cycle du secondaire (La
démocratie : Athènes). La nature de l’objet d’étude appelle une méthode qualitative de
collecte et d’analyse de données qui privilégie une analyse de contenu. En effet, la
recherche tend vers une analyse du message et de ses déterminants sociaux. Les résultats
provisoires indiquent que plusieurs auteurs de manuels promeuvent une démocratie
représentative plutôt que participative et imputent la venue de la démocratie à l’action de
grands individus plutôt qu’à celle des citoyens eux-mêmes.
Bibliographie sélective
Ethier, M.-A., D. Lefrançois, F. Dupuis-Déri et S. Demers (2012). « New Textbooks and
the 21st Century History Programs for Middle and High Schools: An Analysis of
History Textbooks from Québec. Case Study: A Chapter about Fifth Century B.C.
Athens », International Journal of Historical Learning Teaching and Research,
vol. 11, n° 1. Texte accepté.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 48
Lefrançois, D., M.-A. Ethier et S. Demers (2011). « Jalons pour une analyse des visées de
formation socioidentitaire en enseignement de l’histoire », Enseigner et apprendre
l’histoire : manuels, enseignants et élèves, sous la direction de M.-A. Éthier, D.
Lefrançois et J.-F. Cardin, Québec, PUL, p. 59-94.
Lefrançois, D. et M.-A. Éthier (2011). « Pour un renouvellement de l’analyse des
contenus et des usages des manuels d’histoire au secondaire », Traces. Revue de la
Société des professeurs d’histoire du Québec, vol. 49, n° 1, p. 30-37.
Notices biographiques
David Lefrançois est professeur au Département des sciences de l'éducation à
l’Université du Québec en Outaouais. Il est aussi chercheur au sein du Groupe de
recherche sur l'éducation à la citoyenneté et l'enseignement de l'histoire (GRECEH). Ses
intérêts de recherche portent sur le développement de la pensée historique au primaire et
au secondaire, sur l’analyse de contenu d’ensembles didactiques (histoire et éducation à
la citoyenneté) et sur la pratique dialogique en classe d'univers social.
Marc-André Éthier est professeur titulaire au département de didactique de la Faculté des
sciences de l’éducation, à l’Université de Montréal. Son domaine d’expertise est
l’éducation à la citoyenneté, la conscience citoyenne des jeunes et l’usage de l’histoire.
Stéphanie Demers complète présentement un doctorat en sciences de l’éducation à
l’Université du Québec à Montréal en plus d’être professeure à l’Université du Québec en
Outaouais. Son projet doctoral porte sur les relations entre les dimensions
épistémologique et téléologique des pratiques des enseignants d’Histoire et éducation à la
citoyenneté du deuxième cycle du secondaire en Outaouais et les finalités du programme
de formation dans ce domaine.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 49
I.4.4 D’UNE PÉDAGOGIE DE LA CITOYENNETÉ À UNE SOCIALISATION
DÉMOCRATIQUE DANS LES PRATIQUES FREINET
Segolène Le Mouillour, maître de conférences
Université catholique de l’Ouest, Angers
Aujourd’hui, présentée comme l’un des objectifs prioritaires de l’Education Nationale, la
socialisation de l’enfant à l’école a, dans un premier temps, davantage été décrite et mise
en valeur par les partisans dits de l’école moderne tel que Célestin Freinet. Pédagogue
engagé, Freinet a cherché à « révolutionner » le statut de l’enfant par des positions
pédagogique, sociologique, psychologique et philosophique. En effet, il a développé un
projet de socialisation de l’enfant à travers une pédagogie du travail, de la liberté, de
l’expression, de l’autonomie. À travers ce projet, c’est tout un esprit Freinet qui a évolué,
imprégné par une représentation de l’individu et de la société. Freinet réinvestit alors les
pensées des précurseurs de la pédagogie moderne, à savoir comprendre et prendre en
compte la nature de l’enfant, qui est première, pour développer une éducation naturelle
qui accomplisse dans le même temps la dimension sociale de l’homme. Freinet, par ses
principes qu’il nommera dans un « code pédagogique », souhaite offrir aux éducateurs de
« demain » des pistes d’action et des orientations sur les attitudes à adopter dans la
relation à l’enfant en situation éducative. Ces attitudes constituent des invariants
pédagogiques. Ces derniers vont en effet donner aux éducateurs des orientations sur le
respect de la nature de l’enfant mais également des conseils pour suivre le développement
naturel de l’enfant au fil des âges. Il s’agit alors de rendre une pratique pédagogique
socialisante au regard du développement naturel de l’enfant.
Ce pédagogue a développé une éducation et une politique du travail à l’école. De
nos jours, les partisans de cette pédagogie s’accordent généralement à dire que la
combinaison de l’effort collectif avec l’effort individuel et solitaire est indispensable.
Selon Freinet, l’école semble hypnotisée par le souci d’apprendre alors qu’il ne s’agit que
d’un aspect de la technique de la vie. Suivant ce dernier, tout passe par l’expérience de la
vie, par l’action, par le travail. Il souligne également l’importance de développer une
éducation populaire, laïque et démocratique. Il y a ici une véritable interdépendance entre
la politique et la pédagogie. L’éducateur devient un prolétarien qui va, par sa pratique et
sa pensée pédagogique, développer le concept d’école prolétarienne. Il s’agit de
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 50
développer des apprentissages personnalisés socialisés pour que la construction des
personnalités se fasse pour le mieux. Telle est l’ambition de Freinet.
Aujourd’hui, les praticiens de la pédagogie de Freinet reprennent l’idée de mettre
en place un contexte scolaire social et coopératif dans lequel ils accorderont une
importance égale à l’individualisation des apprentissages et aux enseignements
personnalisés. L’enfant est socialisé par les apprentissages. Tout l’effort éducatif vise à
s’adapter à chaque sensibilité individuelle.
L’école traverse depuis plusieurs années une situation préoccupante, on a assisté à
une avalanche jusque-là ininterrompue de contestations, de remises en question, de
réformes. L’évolution scientifique et technologique a transformé le milieu social et
culturel de l’homme. À note avis, l’ère du formalisme a évolué. L’enseignement
élémentaire ne doit pas viser à former de bons auxiliaires du pouvoir ni encore à
dispenser un savoir pré-élaboré. Sa mission doit essentiellement viser l’épanouissement
de la personnalité de l’enfant en favorisant le développement optimal de toutes ses
aptitudes et de ses facultés créatrices. Sur le plan pédagogique, on ne parle plus
simplement d’enseignement mais plutôt d’enseignement-apprentissage ou
d’apprentissage simplement. Tout ceci commande un changement fondamental des
conceptions, méthodes et procédés. Il s’agit alors d’aider l’enfant à acquérir sa propre
formation. Être capable d’apprendre, d’apprendre à apprendre, voilà l’objectif à la fois
méthodique et transdisciplinaire de la pédagogie défendue par les praticiens de cette
pédagogie.
L’école de Freinet est chargée de préparer l’enfant à devenir un citoyen, c’est-à-
dire lui permettre de développer un sens des responsabilités à l’égard du groupe, de la
collectivité et des biens communs, de développer le goût d’innover et la capacité
d’entreprendre, alors, pour tout cela, l’école ne peut être seule devant cette tâche. Non
seulement il y a un apprentissage de la démocratie, mais aussi une gestion plus ou moins
démocratique des apprentissages. Dans sa pensée pédagogique Freinet inclut une
dimension politique inhérente à cette dernière. Il développe l’école du peuple, celle qui
fait vivre des méthodes nouvelles et développe le primat de la formation.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 51
Pour Freinet, l’éducation à la citoyenneté vise à former un citoyen capable non
seulement de s’intégrer à la société existante mais aussi de la transformer. La citoyenneté
est synonyme de libération démocratique et de militantisme. L’école du peuple s’oppose
à l’éducation scolastique et elle met en avant un retour à la primauté de la Nature.
Les praticiens1 de la pédagogie de Freinet aujourd’hui soutiennent toujours l’idée
que la finalité de l’éducation demeure la formation d’un homme capable de tenir sa place
de citoyen où que ce soit : c’est-à-dire de transférer ou transposer les qualités acquises au
sein des divers groupes composant l’institution scolaire dans les collectivités auxquelles il
sera amené à participer une fois adulte. En cela, Freinet considère également que le
groupe est fondamental dans le développement d’un homme capable.
Accueillir quotidiennement et faire grandir des paroles qui s’énoncent et énoncent
l’être dans une démarche globale de communication et de coopération, tel est le choix
pédagogique des praticiens Freinet encore aujourd’hui. L’expression joue un rôle
prépondérant dans la pratique dont la finalité peut être qualifiée de « sociale
démocratique ». Dans le contexte individualiste actuel, où explosent les incivilités et où
les consensus sont toujours à renégocier, l’école républicaine se doit de faire du débat une
base de l’éducation à la citoyenneté, tel que l’avait pensé Freinet. Savoir débattre est une
compétence fondamentale de l’éducation civique, une façon pour les élèves de faire
l’expérience, en classe et dans l’école, d’une parole publique et responsable. La
citoyenneté, nous semble-t-il, se construit par la pratique, dès l’école maternelle. Par
exemple, avec la classe coopérative les enfants deviennent des partenaires actifs, associés
à toutes les décisions qui les concernent, et se référant à un certain nombre de valeurs
comme l’écoute, le respect de l’autre, le partage, l’entraide, la solidarité, la responsabilité,
l’autonomie, la coopération, favorise cette construction. La réalisation de projets
coopératifs qui donnent du sens aux apprentissages et à l’école favorise les interactions et
donc l’acquisition des compétences2.
Pouvoir vivre ensemble suppose entre autres le consentement à des règles qui
régissent les rapports entre les membres d’une collectivité donnée. Le lien social
1 « Participer, Coopérer, Connaître », Revue Le Nouvel Éducateur, N°208, ICEM, juin 2012.
2 LE GAL, Jean, Le maître qui apprenait aux enfants à grandir - Un parcours en pédagogie Freinet vers
l'autogestion, co-édition avec les éditions libertaires, ICEM, Pratiques et Recherches, 2007.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 52
commence à se disloquer quand les normes ne sont plus l’objet d’assentiment et ne sont
plus acceptées (ou acceptables). Le rôle social de l’école est alors déterminant dans
l’apprentissage des règles et des normes requises pour vivre en société. Dans leur
dimension sociale, les règles peuvent être entendues comme un moyen de réguler les
rapports entre les membres d’une collectivité. Une société, démocratique ou pas, se donne
des règles qui délimitent la frontière du licite ou de l’illicite. Le concept de citoyenneté a
évolué au fil des discussions, tant dans ses dimensions politique, juridique, culturelle que
sociale et cette évolution s’inscrit dans des contextes sociaux et nationaux différents. Le
regain d’intérêt pour la citoyenneté s’inscrit dans un contexte où les sociétés occidentales
ont connu des changements majeurs multiformes, aussi bien dans le champ de l’économie
que celui de la politique, de l’explosion des savoirs que de l’émergence de nouvelles
valeurs. Mais quel citoyen aspire-t-on à former ?
Les praticiens de la pédagogie de Freinet sont généralement d’avis que le sens de
l’éducation réside dans l’acte même de construction du vivre ensemble3. Toute sanction
devrait alors chercher à témoigner clairement de son projet d’inscrire l’enfant sanctionné
dans le processus de construction du vivre ensemble et favoriser son retour rapide dans le
groupe. Il est nécessaire cependant d’interroger les pratiques pédagogiques par les
invariants pédagogiques et de faire entrer le droit dans le fonctionnement des institutions
éducatives. L’ensemble des règles constitue alors le droit dans une société démocratique.
On aboutit ainsi au paradoxe que l’autonomie, la citoyenneté, ne peut s’atteindre que par
l’hétéronomie, la soumission à l’autorité de l’adulte éducateur, tandis qu’inversement une
expérience trop précoce de l’autonomie, d’une citoyenneté enfantine, conduit à
l’hétéronomie, au conditionnement, à la manipulation et la mise sous influence.
Finalement, qu’il s’agisse d’une éducation de la raison et des fonctions
intellectuelles ou d’une éducation de la conscience morale, si le droit à l’éducation
implique que celle-ci vise au plein épanouissement de la personnalité humaine et au
renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il importe
de comprendre qu’un tel idéal ne saurait être atteint par n’importe quelle pédagogie.
L’autonomie de la personne et la réciprocité qu’évoque ce respect des droits et des
3 LE MENAHEZE, François (coord.) Coopérer pour apprendre, Collection Pratiques et Recherches,
Edition ICEM, 2005.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 53
libertés d’autrui ne peuvent se développer dans une atmosphère d’autorité et de contrainte
intellectuelles et morales. Elles réclament au contraire, pour leur formation même,
l’expérience vécue et la liberté de recherche, en dehors desquelles l’acquisition de toute
valeur humaine ne demeure selon nous qu’illusion. Citoyenneté, éducation civique,
violence… si la question du rapport à la loi irrigue aujourd’hui celle de la nécessité de
socialisation, le spectre de l’autorité imposée et l’appel à un retour au respect et aux
valeurs éloignent de l’école actuelle le gouvernement démocratique de l’école que prônait
l’école nouvelle. L’éducation morale se fait par l’expérience et la pratique graduelle du
sens critique par, notamment, le système de la république scolaire. À défaut de mise en
place de républiques scolaires, l’éducation nouvelle donne une représentation effective
aux élèves. N’étant plus l’affaire des seuls adultes, l’exercice tournant du pouvoir et des
responsabilités articule les liens entre tous les membres de la communauté éducative.
Bibliographie sélective
Freinet, C., (1994). Les œuvres pédagogiques, Paris, Editions établies par Madeleine
Freinet, Seuil, 2 tomes.
Freinet, C., (1975). Les techniques Freinet de l’école moderne, Paris, 7e éd., Collection
Bourrelier, Editions Armand Colin.
Freinet, C., (1960). L’éducation morale et civique, Cannes, BEMP, Editions de l’Ecole
Moderne Française.
Freinet, C., (1946). La coopération à l’école, Cannes, BEMP, n° 22, Editions de l’Ecole
Moderne Française.
Notice biographique
Segolène Le Mouillour est maître de conférences en Sciences de l'éducation et
responsable de l’équipe de recherche PESSOA (Pédagogies, Socialisation et
Apprentissages) au sein de l’UCO. Elle est également responsable de la Licence Sciences
de l’éducation en Formation Initiale et a été formatrice dans un Centre de Formation
Pédagogique pendant 10 années (2000-2010).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 54
— DEUXIÈME PARTIE —
LES COMMUNICATIONS
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 55
II.1 ESSAI SUR LE VIVRE ENSEMBLE : LE CARRÉ ÉDUCATIF
Bertrand Bergier, professeur
Université catholique de l’Ouest
La question, posée parfois avec insistance, sonne comme un aveu, celui d’une socialité
qui ne va pas (plus) de soi, et nécessite un travail : - pour trouver des régulations qui,
d’une part, résistent à l’ego grandiose, au repli sur soi, au déclin des solidarités, et d’autre
part, risquent l’inattendu de l’individuation comprise comme manifestation de la
singularité de l’individu ; - pour corriger des crispations entre générations, entre milieux
d’appartenance, entre cultures tout en veillant à ce que la reconnaissance des
particularités n’enferme pas les individus dans leur particularisme ; - pour susciter auprès
des uns et des autres, enfants et adultes, des comportements par lesquels chacun se fait
lui-même bâtisseur d’une socialité où il est à la fois délié et relié. Le « comment vivre
ensemble ? » met en tension et interroge continûment les rapports entre quatre pôles
(l’individu, le collectif, le conflit et l’autorité) dessinant en quelque sorte un carré. Nous
montrerons que le « vivre ensemble » est fragilisé lorsqu’un des pôles du quadrilatère est
mis à la place du mort, lorsque le « socius » analysé fonctionne sur le principe du quart
« exclu de l’intérieur ». Nous questionnerons les incidences éducatives d’une prise en
compte de ce carré et de ses paradoxes.
Bibliographie sélective
Barel, Y., (2008). Le paradoxe et le système, Grenoble, PUG.
Barthes, R., (2002). Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques
espaces quotidiens : notes de cours et de séminaires au collège de France : 1976-
1977, Paris, Seuil, IMEC – DL.
Notice biographique
Docteur en sociologie, Bertrand Bergier est professeur à l’UCO (Université catholique de
l’Ouest à Angers) ainsi que professeur associé à l’Université de Sherbrooke. Il est
directeur de recherche à l’Université de Nantes et directeur de l’Institut des Sciences de
l'éducation et de la communication d'Angers (ISCEA).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 56
II.2 POLITIQUE(S) DE L’ALTÉRITÉ : L’ÉDUCATION PEUT-ELLE
ENSEIGNER À VIVRE ENSEMBLE?
Maxime Plante, doctorant en sémiologie
Université du Québec à Montréal
Le besoin d’éduquer au vivre ensemble témoigne du caractère problématique de celui-ci.
Comme si pour suppléer au manque d’harmonisation il fallait absolument passer par la
prothèse de l’éducation. Pourquoi le vivre ensemble est-il problématique sinon parce
qu’il sous-entend qu’il nous faut à tout prix coexister, soi et l’autre, c’est-à-dire vivre
ensemble dans la différence. Le respect d’une telle injonction grâce au support de
l’éducation est-il possible? Deux écueils à éviter tracent la voie à emprunter.
Si l’on voit bien que la dimension juridico-politique ne suffit plus à assurer un lien
social vigoureux, c’est sans doute en raison de son caractère plus dissuasif qu’éducatif.
L’esprit communautaire aspire bien à pallier ce manque en proposant une vision
associative du vivre ensemble où l’individu est appelé à dépasser les différences qui le
séparent des autres. Comme cette disposition n’est pas innée et qu’elle doit être suscitée,
l’éducation trouve une place primordiale dans l’ordre politique. Une telle éducation
sauvegarde-t-elle la différence qu’elle prétend enseigner et promouvoir? Il est permis
d’en douter.
D’une part parce qu’un premier type de programmes éducatifs tels que l’éducation
à la citoyenneté démocratique repose principalement sur l’intériorisation de normes et
principes favorisant le vivre ensemble, sous la forme d’un ethos ou d’un habitus. Le
problème que cela suppose est de limiter l’ouverture à la différence à sa seule expression
raisonnable tout en la bannissant dans ses manifestations plus radicales et non encore
acceptées. Il n’y aurait alors pas éducation à la différence, mais éducation à certaines
différences thématisées comme telles et donc insérées dans le cadre normatif rassurant de
la société.
D’autre part, on pourrait penser que les programmes éducatifs à forte composante
éthique, dialogique ou réflexive échappent à cet écueil. Cette assertion ne résiste toutefois
pas à l’analyse puisque tant les finalités que les moyens pédagogiques de ces programmes
sont analogues à une herméneutique. Si celle-ci permet à l’élève de prendre conscience
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 57
de la détermination historique des différences, de relativiser sa position et ainsi de
comprendre la différence comme un résultat pragmatique, elle avoue une faille essentielle
en devant convoquer la notion de dialogue pour ne pas être assimilée à un historicisme.
L’herméneutique doit en effet concéder que la compréhension ne s’actualise seulement
que comme l’application de nos propres préjugés, horizons d’attente et conceptions. Il
n’y a compréhension que lorsque je peux appliquer (l’autre, la différence) à ma situation.
Une telle application ne fait-elle pas de la compréhension l’expression d’une réduction de
l’altérité de l’Autre, celui-ci ne venant à être compris qu’en étant subordonné aux
catégories conceptuelles qui sont les nôtres?
À tracer ainsi le domaine de ce premier écueil, on pourrait croire que la condition
du vivre ensemble serait une ouverture radicale, voire un abandon ou une abdication face
à l’autre. Une éthique hyperbolique exige-t-elle vraiment une telle ouverture radicale? Si
elle possède quelque chose de cette foi en l’autre, elle est aussi attentive à la possibilité de
la violence éthique. Le respect de l’autre trouve sa limite dans l’interpellation du tiers, cet
autre de l’autre. Lequel passe avant l’autre lorsque la situation exige de choisir? Le vivre
ensemble est le domaine dans lequel des apories éthiques sont sommées de s’incarner
dans des décisions, des choix et des actions politiques. Le respect infini de la différence,
dans la réserve qu’il s’impose, ne peut se donner aucun motif pour agir et poser un
jugement. De même, une gestion strictement politique de la différence est trop prompte à
la juger en fonction de critères qui la discrédite d’avance. Dans un cas, l’ouverture à la
différence est paralysante, dans l’autre, la politique est stérilisante. Vivre ensemble dans
la différence exigera donc de négocier dans une infinie patience et une attention tendue le
passage entre éthique et politique.
Bibliographie sélective
Arendt, H. (1995). Qu’est-ce que la politique? Paris, Éditions du Seuil, 216 p.
Derrida, J. (1997). Adieu à Emmanuel Lévinas, Paris, Galilée, 210 p.
Gadamer, H.-G. (1996). Vérité et méthode, Paris, Seuil, 533 p.
Gadamer, H.-G. (1982). Herméneutique et tradition philosophique, Paris, Aubier-
Montaigne, 295 p.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 58
Gadamer, H.-G. (1982). L’art de comprendre, Paris, Aubier-Montaigne, tome 2, 378 p.
Grondin, J. (1993). L’horizon herméneutique de la pensée contemporaine, Paris, Vrin,
288 p.
Levinas, E. (1974). Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, M. Nijhoff,
233 p.
Levinas, E. (1971). Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, M. Nijhoff, 284 p.
Notice biographique
Maxime Plante est titulaire d’une maîtrise en science politique. Il est doctorant en
sémiologie à l’UQAM. Son projet doctoral porte sur la dimension éthique de la lecture. Il
s’intéresse également à l’herméneutique.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 59
II.3 ÉDUCATION POUR LA DIVERSITÉ : UNE PERSPECTIVE CRITIQUE
ET ÉTHIQUE DU VIVRE ENSEMBLE
Hugo Rangel, professionnel de recherche
On propose une réflexion sur le concept de vivre ensemble, la nature éthique qu’il
comporte et les conséquences sur les politiques et sur la diversité qui en découlent. Dans
un premier temps, on analyse des sources conceptuelles du vivre ensemble. On montre
que ce concept est ancré dans un parcours historique en Occident (et non une simple
expression de rectitude politique comme le prétendent certains). On expose ainsi que le
concept, comme toute approche de la pluralité ethnoculturelle, exige une dimension
éthique. Dans un deuxième temps, on examine ainsi les discours s’opposant aux
politiques du vivre ensemble, notamment dans le milieu éducatif, dans le contexte
québécois et international. D’une part, on remet en question ce discours et ses dérives
intolérantes et même xénophobes. D’autre part, on souligne certaines ambigüités du
concept de vivre ensemble qu’il faut éclaircir. Dans ce sens on soutient qu’une approche
critique est essentielle. Dans un troisième temps, on propose des éléments conceptuels à
considérer afin de bâtir des politiques publiques (principalement éducatives) cohérentes
avec le contexte d’une société démocratique diverse.
Notice biographique
Hugo Rangel détient un doctorat en éducation comparée à l’Université de Montréal. Il
réalise des études sur de diversité, l’identité et la citoyenneté. Il a conduit des recherches
internationales sur les pratiques éducatives et culturelles en prison. Il travaille aussi sur
les politiques éducatives et a récemment publié un livre sur la démocratie.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 60
II.4 NOTIONS RELATIVES AU VIVRE ENSEMBLE DANS LES
CURRICULA DE L’ÉDUCATION PRIMAIRE : CAS DE LA CÔTE
D’IVOIRE POST-CRISE
Kanndanan Insiata Ouattara, enseignante-chercheure
École normale supérieure d’Abidjan
L’un des grands défis auxquels le monde actuel et particulièrement les pays africains sont
confrontés est la recherche de la paix pour un développement durable. C’est pourquoi
l’UNESCO s’est fixé entre autres missions, le développement d’une culture de la paix à
travers le monde. Toutefois, force est de constater que les conflits armés existent un peu
partout dans le monde. La Côte d’Ivoire n’a pas échappé à cette situation après quarante
ans de stabilité. Elle a connu deux conflits armés : l’un en 2002 et l’autre en 2010. Ces
conflits ont permis aux autorités politiques de réaliser que la paix n’était pas un acquis
définitif.
Dans la recherche de solution pour la restauration et la préservation durable d’une
cohésion sociale, les autorités ont jugé nécessaire de commencer l’éducation à la paix dès
l’éducation de base. Cela s’est traduit par la prise en compte d’un programme d’éducation
à la paix et à la tolérance (PEPT). En effet, après le conflit armé de 2002, le Ministère de
l’Education nationale a initié ce programme à caractère éducatif, mais il n’avait pas de
contenu spécifique consigné dans les manuels. Ce n’est qu’en 2010 que les nouveaux
manuels ont intégré le PEPT.
Aussi, cette communication vise-t-elle à identifier les notions relatives au vivre
ensemble dans les curricula d’une part et à analyser la perception du programme par les
enseignants et apprenants d’autre part. Pour atteindre ces objectifs, nous avons procédé à
l’analyse de contenu des manuels scolaires des différentes disciplines enseignées et à des
entretiens individuels et de groupe.
Les résultats obtenus font ressortir que cinq (5) thèmes à savoir : la tolérance et la
non violence ; le traitement des conflits ; l’intégration nationale ; les droits de l’enfant et
le droit international humanitaire véhiculent des notions du vivre ensemble. Ce sont entre
autres la solidarité, le respect de la vie, l’intégration nationale, la discipline, la tolérance,
les alliances interethniques, le droit international. Les résultats ont montré également que
ces notions sont enseignées par trois (3) disciplines (le français, éducation civique et
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 61
Morale, l’histoire et géographie). Enfin, l’analyse de contenu des réponses des entretiens
ont permis de savoir que les enseignants et les apprenants perçoivent positivement ce
programme qui participe à l’acquisition de valeurs nécessaires à la formation sociale et
personnelle des individus.
Bibliographie sélective
Adje Koffi, A. P., et al. (2006). Initiation à la vie pratique, cours moyen 2ème
année,
Editions PUCI.
Adou, K., D. Doumbia et A. Gopfert (2005). Manuel d’éducation scolaire à la
citoyenneté et à la culture de la paix. Les Editions du Cerap, Abidjan.
Audigier, F. (2000). Concepts de base et compétences-clés pour l’éducation à la
citoyenneté démocratique, projet Education à la citoyenneté démocratique, Conseil
de l’Europe, DGIV/EUD/CIT, 2000.
Bisson-Vaivre, C., C. Begley et R. Bartlett (2009). Education à la citoyenneté et aux
comportements responsables en Angleterre, en Ecosse, en France, Etude
comparative
Bourdieu, P. (1977). Cultural Reproduction and Social Reproduction. In I., Karabel, &
A.H., Halsey, (eds.), Power and Ideology in Education. New York: Oxford
Review Press.
Choppin, A. (1992). Les manuels scolaires : histoire et actualité, Paris, Hachette
Education.
Dedy, S. et G. Tape (1995). Famille et éducation en Côte d’Ivoire, Abidjan, Editions des
lagunes.
Doumbia, D. (2007). L’éducation scolaire à la citoyenneté et à la culture de la paix en
Côte d’Ivoire, Thèse de Doctorat unique, Chaire UNESCO pour la culture de la
paix, Université de Cocody Abidjan
Koffi Kouakou, K.J., et al. (2009). Français CM1, MEN-RCI, Frat Mat Editions, Michel
Lafon éducation.
Legardez, A. et L. Simmoneaux (2006). L’Ecole à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les
questions vives, Paris, Editions ESF.
Mane, B., et al. (2008). Histoire et géographie CE2, Editions NEI, Direction de la
pédagogie et de la formation continue.
Mane, B., et al. (2010), Histoire et Géographie CM1, MEN-RCI, Edition Nathan.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 62
Ouattara, K.I. (2011). Filles et femmes des filières et carrières scientifiques en Côte
d’Ivoire. Thèse d’État, École normale supérieure d’Abidjan.
Ouattara, K.I. (2011). La prise en compte du genre dans les établissements de
l’enseignement supérieur en Côte d’ivoire : cas de l’école Normale Supérieure
(dans le cadre de l’obtention certificat en genre et éducation avec l’Institut des
Hautes Etudes de Développement de Genève).
Ouattara, K.I. (2011) La pratique enseignante dans la section industrielle : cas du lycée
Technique d’Abidjan, communication prononcée à l’occasion de la 3ème
édition des
journées de la recherche en éducation de Côte d’Ivoire.
Ouattara, K.I. (2010). « Déterminants du projet professionnel des filles de terminale C :
cas des filles du Lycée Classique d’Abidjan et du Lycée M H.Fêtai de
Bingerville », AEDI/ ROCARE, n° 2.
Ouattara, K.I. et F. N’Dede. (À paraître). Le genre dans l’éducation en Côte d’Ivoire de
1997 à 2006, dans la revue AEDI du ROCARE.
Ouattara, K.I., A. Ali et F. N’Dede. (À paraître). « Les difficultés liées à la Formation Par
Compétence dans les écoles primaires en Côte d’Ivoire », dans la revue AEDI du
ROCARE.
Ourega Gnangbo, S., et al. (2010). Education civique et morale, Frat Mat Editions,
Michel Lafon éducation.
Readon Betty, A. (2003). L’éducation pour une culture de la paix : la prise en charge du
genre, Paris, UNESCO.
Schnapper, D. (2007). « La société a besoin d’un idéal commun », Alternatives
internationales, décembre, p. 56-57.
Simonneaux, L., (2007). Implication des recherches en didactique dans la formation des
enseignants, Ecole nationale de formation agronomique, Toulouse Communication
dans le cadre du Symposium du Réseau REF, Université de Sherbrooke, En ligne
sur < http://www3.educ.usherbrooke.ca/recherches/creas/Doc-accueil/REF-
CREAS-STEF-Total.pdf >
UNESCO ED-94. (1994). La tolérance, porte ouverte sur la paix. Manuel éducatif à
l’usage des communautés et des écoles.
Yeo Kananin, J.P., et al. (2008). Français CE2, Editions Eburnie.
Yofoua, G. J., et al. (1998). Histoire et Géographie CE2, Editions NEI.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 63
Notice biographique
Insiata Ouattara est docteure d’Etat en sciences de l’éducation option sociologie de
l’éducation. Elle est également chercheuse du Réseau Ouest et Centre Africain de
Recherche en Education (ROCARE) et postdoctorante à l’École normale supérieure
d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Ses domaines d'expertise sont la sociologie de l’éducation, la
conception, l’élaboration et la réalisation de projets de recherches en éducation ainsi que
l’élaboration et l’analyse de projets de recherches tenant compte du genre.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 64
II.5 L’EDUCATION AU VIVRE ENSEMBLE DANS LES CONTENUS
D’ENSEIGNEMENT : UNE ANALYSE COMPARÉE DES MANUELS DE
LECTURE FRANÇAISE EN USAGE AU COLLEGE
Pierre Marie Njiale, professeur
Université de Yaoundé I
André Emtcheu, professeur
Université de Yaoundé I
La présente communication a pour objet la problématique du lien entre le vivre ensemble
et l’éducation. Elle veut apporter une contribution au débat sur les fondements et les
implications de l’éducation interculturelle en interrogeant la manière dont l’école
camerounaise envisage la préparation des élèves au vivre ensemble.
De par son histoire, sa diversité ethnique et linguistique, la société camerounaise
est par essence multiculturelle. A partir de cette situation, il va de soi que l’éducation
interculturelle et au vivre ensemble interpelle les législateurs scolaires et les pédagogues.
Eduquer à l’interculturel et au vivre ensemble se construit et se transmet de façon
implicite ou explicite. Pour parvenir à cette fin, les systèmes éducatifs disposent de
plusieurs moyens, et les programmes scolaires en sont un. L’organisation des
programmes se prête, du reste, par sa grande diversité, à toutes les combinaisons
possibles. L’enseignement dans l’ensemble a une visée éducative évidente et va de pair
avec l’édification citoyenne, morale et religieuse des élèves.
La recherche menée par nous a jeté son dévolu sur l’analyse des manuels scolaires
qui, en Afrique, sont d’une importance capitale dans la formation. Par les différents
savoirs qu’ils véhiculent, ceux-ci sont des vecteurs potentiels d’une vision de tolérance,
de compréhension, de respect de l’autre dans ses différences, et d’acceptation entre les
groupes sociaux. Comme les manuels scolaires ne sont point neutres, il nous a semblé
intéressant de développer une lecture qualitative à l’impact des faits et croyances qu’ils
diffusent. Les études ayant trait à l’analyse des manuels scolaires au Cameroun sont peu
nombreuses. Celles qui existent (Kom et al., 2005 ; Burgeilles et Cromer, 2006) ont
surtout mis l’accent sur les aspects relatifs aux rôles sociaux selon le genre et aux
représentations du masculin/féminin. Par contre, les travaux portant sur la place du vivre
ensemble dans les manuels scolaires sont inexistants. Dans le prolongement de ces
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 65
études, la recherche qui fait l’objet de la présente communication a tenté, à partir d’une
analyse centrée sur les manuels de lecture française en usage au collège, d’explorer les
énoncés, les modèles et les schémas que laissent apparaître les textes proposés ainsi que
leurs effets sur la façon dont les élèves peuvent appréhender le vivre ensemble. De façon
spécifique, nous avons voulu répondre aux questions suivantes : 1) Comment l’école au
Cameroun envisage-t-elle l’éducation au vivre ensemble ? 2) Quelles représentations du
vivre ensemble sont véhiculées par les manuels de lecture française au collège ?
Le corpus à la base de nos investigations est tiré d’une collection (les champions)
de quatre manuels de lecture française en usage respectivement dans les classes de 6e, 5
e,
4e et 3
e. Le français constitue ici, depuis le primaire, l’instrument de travail et de
communication ; il apparaît de par son statut, comme l’élément clé, le facteur essentiel de
l’entreprise de scolarisation, c’est par la lecture que l’élève s’ouvre à soi et au monde.
Dans ce contexte, le livre de lecture représente une mine d’interrogations inappréciable.
La méthode utilisée est l’analyse du contenu des manuels à partir d’une grille de
catégories thématiques. La comparaison entre les contenus permet d’évaluer l’évolution
des représentations du vivre ensemble et de l’importance qu’on y accorde.
Lors de cette communication, on discutera d’abord de la sémantique et de la
problématique générale du vivre ensemble ; on abordera ensuite les nombreuses questions
relatives aux politiques scolaires et pratiques éducatives du vivre ensemble à l’école au
Cameroun.
Enfin, on rendra compte des données et résultats de l’analyse du contenu des
manuels de lecture française avec pour corrélatif un questionnement sur les
représentations, les symboliques et réalités du vivre ensemble. Les enseignements tirés
des résultats de l’étude sont riches d’implications en matière d’intégration de l’éducation
interculturelle dans les programmes scolaires.
Bibliographie sélective
Abdallah-Pretceille, M. (2005). L’éducation interculturelle, Paris, PUF.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 66
Carpentier, C. et R.E. Henai (2011). Vivre ensemble et éducation dans les sociétés
multiculturelles, Paris, L’Harmattan.
Njiale, P.M. (2010). « Eduquer pour la compréhension et le dialogue interculturel, les
savoirs enseignés à l’école primaire dans un pays multiethnique et multiculturel »,
Revue éducation comparée.
Notice biographique
Pierre Marie Njiale est diplômé des Universités Paris V (France) et Laval (Québec). Il
enseigne à l’Université de Yaoundé I et dans de nombreuses Institutions Universitaires
camerounaises. Docteur en Psychologie de l’éducation, en Sciences de l’éducation et
qualifié en psychométrie, il mène des recherches sur l’application et la compréhension
des tests psychologiques en contexte africain. Affilié à l’Association Francophone
d’Education Comparée (AFEC), il est également membre du Réseau Africain
d’Education Comparée (RAFEC).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 67
II.6 L’ÉDUCATION AU VIVRE-ENSEMBLE : DES REPRÉSENTATIONS
D’ENSEIGNANTS ET DE PARENTS À L’ÉGARD DE L’ÉDUCATION
AU VIVRE ENSEMBLE AU QUÉBEC ET AU NOUVEAU-BRUNSWICK
Rakia Laroui, Ph.D. Professeure en sciences de l’éducation
Université du Québec à Rimouski
Le milieu de l’éducation se voit de plus en plus sollicité pour préparer les jeunes à la
société qui sera la leur. Dans un contexte de mutations sociales, culturelles et
économiques, d’importants défis s’imposent aux éducateurs quant à la gestion du vivre-
vivre ensemble dans des sociétés multiculturelles et plurielles. Depuis 2000, le
programme de l’école au Québec introduit l’éducation au vivre-ensemble ; comme cette
éducation est partagée par les enseignants et les parents, on se questionne sur la
signification accordée à cette éducation par les enseignants et les parents. Comment les
parents transmettent des habitudes et des valeurs à leurs enfants et comment les
représentations des enseignants influencent leurs pratiques pédagogiques de l’éducation
au vivre-ensemble ?
Partant d’un cadre conceptuel exploitant la théorie des représentations sociales
(Moscovici, 2003 ; Garnier, 2000 ; Jodelet, 2003), on considère que le contexte
sociodémographique exerce une influence sur les représentations que se font les
enseignants et les parents de l’éducation au vivre-ensemble. Notre recherche se donnait
comme objectifs d’identifier, d’analyser et de comparer les représentations d’enseignants
et de parents résidents à Rimouski (Québec) et à Moncton (Nouveau-Brunswick) de ce
qu’est l’éducation au vivre-ensemble. La recherche utilise un cadre conceptuel de
l’analyse des représentations sociales (Jodelet, 1999 ; Moliner, 2000) et du vivre-
ensemble (Martineau, 2005 ; Beauchemin, 2004). De type qualitatif, la collecte des
données s’est effectuée auprès d’un échantillon de volontaires de vingt enseignants et de
dix sept parents dans les deux milieux. L’outil méthodologique utilisé fut l’entrevue
semi-dirigée et les verbatims ont été exploités grâce aux méthodes d’analyse des discours
(Sabourin, 2009). Les résultats montrent l’attachement des participants à des valeurs
communes, ils témoignent toutefois des différences liées aux politiques interculturelles,
privilégiées au Québec, et des options du multiculturalisme promues au Nouveau-
Brunswick. Les discours des participants dénotent un décalage entre les représentations
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 68
des enseignants et celles des parents. Le rôle de l’école est d’instruire et celui de la
famille est d’éduquer. Les points convergents portaient sur l’importance de l’éducation au
respect au sein de la famille et à l’école. Il s’agit d’éduquer au respect de la différence
intergénérationnelle, interculturelle, interpersonnelle, intergenre.
Bibliographie sélective
Beauchemin, J. (2004). La société des identités. Éthique et politique dans le monde
contemporain, Montréal, Athéna Éditions.
Jodelet, D. (1999). « Représentations sociales : un domaine en expansion », D. Jodelet
(dir.), Les représentations sociales, Paris, Presses universitaires de France, 6e
édition, p. 47-48.
Laroui, R. (2011). « La place du social dans le récit francophone féminin », Dire le social
dans le roman francophone contemporain, Études réunies par J. Bisanwa et
Kavwahierehi, Paris, Éditions Honoré Champion, p. 149-157.
Laroui, R. (2011). « Regards sur les savoirs disciplinaires dans la formation des
enseignants du primaire au Québec », Repères, n° 44, p. 75- 93.
Laroui, R. (2011). « Lecture collaborative de la littérature et approche culturelle au
secondaire », Revue Caractères, numéro spécial, Actes de la 17ème
conférence
européenne sur la lecture, Mons, août 2011.
Laroui, R. (2011). « Des représentations de l’éducation face à la diversité culturelle »,
Actes du congrès de l’Association pour la recherche interculturelle, ARIC, tenu à
Sherbrooke en juin 2011.
Laroui, R. (2010). « Romans de jeunesse et éducation au vivre-ensemble en enseignement
au secondaire », Actes du colloque scientifique international sur les genres
littéraires en littérature pour la jeunesse, Montréal, UQAM, 28-29 octobre 2010.
Martineau, S. (2005). «L’éducation interculturelle : problématique, fondements et
principes d’action », D. Simard et M. Mellouki (dir.), L’enseignement : profession
intellectuelle, Saint-Nicolas, Presses de l’Université Laval, p. 207-236.
Moliner, P. (2000). « Étudier pour quoi faire ? », C. Garnier et M.-L. Rouquette (dir.),
Représentations sociales et éducation, Montréal, Éditions Nouvelles, p. 79-92.
Moscovici, P. (2003). « Des représentations collectives aux représentations sociales », D.
Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Paris, Presses universitaires de France,
p. 79-103.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 69
Sabourin, P. (2009). « L’analyse de contenu », B. Gauthier (dir.), Recherche sociale : de
la problématique à la collecte des données, Sainte Foy, Presses de l’Université du
Québec, 5e édition, p.357-386.
Notice biographique
Rakia Laroui a un doctorat en sciences de l'éducation de l'Université Laval, Canada. Elle
a une maîtrise en sociolinguistique de l'Université de Sherbrooke. Elle enseigne à
l'Université du Québec à Rimouski en sciences de l'éducation depuis 2002. Elle est
responsable des cours en didactique du français et en communication interculturelle ainsi
que du séminaire de méthodologie de recherche pour les programmes de la maîtrise et du
doctorat en éducation ainsi que du cours de pédagogie interculturelle. Ses projets de
recherche portent sur l'enseignement, l’apprentissage et la socialisation ainsi que sur
l'approche culturelle de l'enseignement. Elle travaille sur l'impact des représentations
socioculturelles des enseignants sur leurs pratiques didactiques.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 70
II.7 VERTU DE PASSIVITÉ ET ÊTRE-ENSEMBLE
Hubert Vincent, professeur
Université de Rouen
Cette proposition prend sa source dans une lecture particulière de la Théorie de la justice
de Rawls et plus précisément dans les § 70-72 qui traitent du développement moral des
individus. On peut lire ces § selon la règle d’une progression linéaire. Mais il est aussi
légitime de comprendre le terme de cet enchaînement comme devant contenir les stades
antérieurs. Ainsi, si le premier stade traite de la question de la confiance et des conditions
de sa construction, si le deuxième traite de notre rapport aux normes selon une
thématique de leur excès par rapport aux individus, le troisième, qui traite des principes,
contient les deux premiers. En ce sens, l’être-ensemble intègre trois niveaux : celui de la
confiance, celui de nos rapports aux règles selon ce motif de l’écart, celui de l’usage des
principes. Les deux premiers moments ne peuvent ni ne doivent être dépassés dans le
niveau plus actif du citoyen s’efforçant de juger selon les principes. Je dirai ainsi qu’il y a
un moment de vertu passive qui rend possible l’être-ensemble, et que ce moment est tout
à fait central. Mon propos est dès lors le suivant : après avoir reconnu la force de
systématicité de ces analyses, je voudrais me pencher sur cette vertu de passivité. Quels
sont ses traits majeurs? Comment peut-on penser son éducation? En quoi est-elle décisive
tant dans les rapports aux autorités que dans les rapports aux égaux? Comment s’articule-
t-elle à la possibilité de juger selon les principes et de décider en commun?
Notice biographique
Hubert Vincent est professeur à l’Université de Rouen (France) en Sciences de
l’éducation. Ancien élève de l’École normale supérieure (1980-85) (Ulm) et agrégé de
philosophie (1984) ; docteur en philosophie et sciences de l’éducation (1994). Il obtient
son habilitation à diriger des recherches en 2002. Professeur depuis 2003 à l’IUFM de
Nord-Pas de Calais, puis à l’Université de Rouen depuis septembre 2011. Ses activités
d’enseignement sont : professeur de philosophie en Lycée, puis en École normale et
IUFM, à l’IEP de Paris, pour finir à l’Université de Rouen.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 71
II.8 PENSER L’ALTÉRITÉ ET LA CITOYENNETÉ POUR DÉFINIR LE
VIVRE-ENSEMBLE : UN DÉFI POUR L’ÉDUCATION
Christian Alain Djoko Kamgain, doctorant en anthropologie
Université Laval
La société planétaire remodelée par la mondialisation fait émerger un contexte
polymorphe qui provoque une compression sans précédent de l’espace et du temps et un
accroissement phénoménal des contacts entre les humains. Sur cette planète de plus en
plus mondialisée, on peut vraisemblablement s’attendre à voir la problématique de la
gestion de l’altérité et plus spécifiquement du vivre ensemble se poser avec acuité.
S’il est vrai que la question de l’altérité est aussi vieille que la présence d’Adam et
Eve sur terre et que de tout temps, le monde a abrité des cultures différentes, force est
cependant de constater que notre époque semble indiquer la proximité même, en fait
quotidienne, de la coexistence des hommes et femmes de divers horizons. Ainsi, le
processus de mondialisation en cours nourrit et rend compte de l’inévitable coprésence
des moments et de la nécessaire partageabilité de l’espace entre différentes ipséités
collectives.
En Afrique, cette partageabilité de l’espace entre différentes ipséités, entre
familiarités non familières1 ne se vit manifestement pas sans heurts. Toutefois, lorsqu’on
soumet à la réflexion les entraves au vivre-ensemble telles qu’elles survivent aux
différentes rencontres et cohabitations que les nécessités de l’histoire ont imposées aux
diverses communautés africaines, on s’aperçoit que leurs causes sont beaucoup moins le
fait de l’imposante hétérogénéité ethnique et culturelle que la conséquence du déficit de
l’offre éducative.
Dans ce contexte donc, la question qui nous intéresse prioritairement concerne les
conditions de pensabilité et de plausibilité d'une communauté sociale authentique dans
laquelle les individus se reconnaissent mutuellement et souhaitent vivre ensemble en
dépit de leurs différences. En clair, la présente réflexion se donne pour ambition
1 Nous parlons ici en termes de familiarités non familières, parce que « ce qui est reconnu est un autre
groupement constitué autour d’un ensemble de familiarités qu’on reconnaît aussi comme familières du
point de vue de son propre ensemble de familiarités », in Réal Fillion, La dynamique multiculturelle et les
fins de l’histoire, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, Coll : « Philosophica », 2009, p. 87.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 72
d’élucider les conditions de formation en Afrique, non pas d’une simple coexistence de
type monadique, mais d’une réelle cohésion sociale, d’un Nous politique, d’un vivre-
ensemble qui résulterait de la prise en compte et du respect des aspirations légitimes et
singulières du Même et de l’Autre.
Ainsi, les questions de fond sont : comment est-ce que les communautés
passionnées, libres et irréductiblement singulières peuvent se soustraire de l’empire de la
tragédie éthique c’est-à-dire de la confrontation permanente ? Pour l’exprimer
positivement, comment est-ce qu’en dépit de la conflictualité des rapports intersubjectifs,
les communautés africaines peuvent parvenir au vivre-ensemble?
À la suite de ce questionnement éminemment complexe, nous entendons défendre
l’idée selon laquelle il appartient à l’éducation de prendre en charge le cadre et de
définition de l’altérité et d’apprentissage à la citoyenneté. Car de la qualité de cette prise
en charge dépend la possibilité ou non d’un vivre-ensemble authentique et viable.
Bibliographie sélective
André Duhamel A. et F. Jutras (dir.) (2005). Enseigner et éduquer à la citoyenneté,
Québec, PUL.
Allemann-Ghionda, C. (dir.) (1999). Éducation et diversité socio-culturelle, Paris,
L’Harmattan.
Fillion, R. (2009). La dynamique multiculturelle et les fins de l’histoire, Ottawa, Presses
de l’Université d’Ottawa.
Gagnon, F., M. McAndrew et M. Page (dir.) (1996). Pluralisme, citoyenneté et éducation,
Montréal/Paris, L’Harmattan.
Notice biographique
Christian Alain Djoko Kamgain est doctorant en philosophie à l’Université Laval et
titulaire d’un master en droits de l’homme et action humanitaire (2009) et d’un Master
Erasmus Mundus « philosophie allemande et française dans l’espace européen » (2011).
Il est par ailleurs auteur de plusieurs articles sur les questions juridico-éthiques liées aux
droits de la personne, à l'action humanitaire, à l'État de droit en Afrique, à la justice
intergénérationnelle et au posthumanisme.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 73
II.9 LAÏCITÉ ET LE PORT DES SYMBOLES RELIGIEUX À L'ÉCOLE : UNE
ANALYSE PRAGMATIQUE
Bruce Maxwell, professeur
Université du Québec à Trois-Rivières
David Waddington, professeur d’université,
Université Concordia
Kevin McDonough, professeur
Université McGill
Marina Schwimmer, étudiante au doctorat
Université de Montréal,
Andrée-Anne Cormier, étudiante au doctorat
Université de Montréal
Cette présentation examine la question du port de symboles religieux (par les élèves
autant que par le personnel scolaire) dans les écoles publiques. Au Québec, le débat sur
les accommodements raisonnables oscille habituellement entre les tenants d’une laïcité
« stricte » et ceux d’une laïcité « ouverte ». Les premiers souhaitent voir tout symbole
religieux éliminé de la sphère publique au nom du respect de la neutralité de l’État. Les
seconds soutiennent plutôt que l’acceptation des symboles religieux dans l’espace public
n’enfreint pas nécessairement cette neutralité et permet au contraire de mieux prendre en
compte les droits et libertés individuels des citoyens.
Nous défendons une approche « pragmatique » de la question du port des
symboles religieux à l’école qui se distingue des deux positions antécédentes. Notre
approche consiste en une analyse de la question du port des symboles religieux à l’école
de la perspective du modèle « interculturaliste » d’intégration et d’éducation à la
citoyenneté. Nous soutenons que les politiques à l’égard du port des symboles religieux à
l’école devraient prendre en compte une panoplie de facteurs contextuels relatifs au
milieu scolaire immédiat, notamment la confiance des parents à l’égard de la neutralité de
l’institution scolaire que fréquente leur(s) enfant(s), l’inclusion et l’ouverture de
l’environnement scolaire, et le rôle que ce type de politique peut jouer dans l’éducation
civique et la socialisation des élèves concernés.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 74
Notice biographique
Bruce Maxwell, philosophe de l'éducation et spécialiste du développement et de
l'éducation éthique, est professeur régulier au département d'éducation à l'Université du
Québec à Trois-Rivières. Ses travaux récents abordent le développement empathique
chez les professionnels, la définition du domaine moral dans le modèle social-
intuitioniste de Haidt, et l'apport des neurosciences affectives à l'éthique parentale. Il
enseigne l'éthique professionnelle, les approches en éducation éthique de même que le
volet « éthique » du cours Didactique de l'éthique et culture religieuse.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 75
II.10 QUELLE PLACE POUR LE NATIONALISME À L’ÉCOLE?
Andrée-Anne Cormier, étudiante au doctorat
Université de Montréal
Kevin McDonough, professeur
Université McGill
Plusieurs penseurs libéraux (Brighouse, 2003 ; Hand, 2011) ont récemment soulevé de
sérieux doutes quant à la légitimité d’un programme d’éducation qui chercherait à
inculquer aux jeunes des valeurs nationalistes, c’est-à-dire qui viserait à développer leurs
sentiments d’appartenance et d’attachement à la nation. Cette présentation propose
d’aborder la problématique du nationalisme à l’école d’un autre point de vue. La question
que nous nous posons est celle de savoir si une place quelconque devrait être accordée au
nationalisme dans les programmes d’éducation commune des sociétés libérales
démocratiques (et multinationales) modernes ; une place qui ne prenne pas
nécessairement la forme d’une éducation nationaliste, au sens évoqué. Devrait-on parler
du nationalisme à l’école, comment et pourquoi ? Nous défendons la thèse selon laquelle
le nationalisme devrait être désigné et expliqué aux jeunes comme phénomène historique,
politique et social. Nous soutenons en effet que l’éducation au nationalisme ainsi
comprise a une importante valeur instrumentale du point de vue de l’éducation à la
citoyenneté, notamment pour une société nationale minoritaire comme le Québec.
Notice biographique
Andrée-Anne Cormier est étudiante de doctorat et chargée de cours en philosophie à
l’Université de Montréal, ainsi que récipiendaire de la bourse Vanier. Ses principaux
intérêts de recherche sont : les théories de la justice contemporaines, l’éducation à la
citoyenneté et la place de la religion dans la sphère publique.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 76
II.11 DIFFÉRENTS MAIS UNIS PAR L'ÉCOLE
Blandine Ayabla, chercheure
Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en Education (ROCARE)
La lutte pour le pouvoir d'État en Côte d’Ivoire a pris un caractère ethnique, religieux et
régional. Sur le plan régional, on observe l'apposition entre le sud et le nord et au niveau
religieux, la méfiance entre musulmans (nordistes) et chrétiens (sudistes). Tout ceci a
alimenté le duel Gbagbo-Alassane et le sentiment d'exclusion, de rejet, de haine et
d'incompréhension. Désormais, le vécu des Ivoiriens est dominé par des discours
humoristiques qui rejoignent cette caricature tribaliste et régionaliste en attribuant les
dénominations telles que "everywhere you go", "russes" ou "israéliens" aux Dyoula
(proches d'Alassane) ; "western union" aux ressortissants de l'ouest (proches de Gbagbo) .
L'existence de certains principes sociologiques tels que les réseaux sociaux, le mariage
interethnique/interreligieux, la parenté à plaisanterie n'ont pu empêcher l'éclatement de la
guerre. L'école, seul passeport du "vivre ensemble", lieu de rencontre du sud et du nord,
du chrétien et du musulman, du pro-Gbagbo et du pro-Alassane, est perçue comme le
substrat de la reconstruction de la cohésion sociale. Cette communication vise à montrer
les "opportunités silencieuses" qu'offre l'école au peuple ivoirien dans son désir d'être
unifié.
Notice biographique
Chercheure au Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en Éducation (ROCARE),
son domaine d’expertise en éducation est la réalisation de projet et les études de terrain en
tant que Chercheur Principal, Assistante de recherche, chercheur ou enquêteur (depuis
2008). Elle est docteur en éducation de l’Institut des Sciences Anthropologique de
Développement (ISAD). Elle a effectué sa soutenance le 11/02/2011.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 77
II.12 LA PARTICIPATION CITOYENNE DES JEUNES EN ALGÉRIE
Abla Rouag, professeure
Université Mentouri Constantine
Hamoudi Rouag, professeur
Université Mentouri Constantine
La participation, telle que prévue par les textes de loi en Algérie, peut être considérée
comme un véritable exercice à la citoyenneté. Cependant, le jeune ne peut réellement
jouir de son droit à la participation que si l’ensemble des personnes concernées par l’acte
éducatif sont réellement sensibilisées à cette question. Une enquête réalisée pour le
compte de l’UNICEF sous la forme de focus groups avec des jeunes de 12 à 21 ans a
montré que l’exercice du droit à la participation des adolescents, dans la réalité
quotidienne, reste encore très timide, même dans les domaines qui le concernent
directement. Notre contribution consiste
1. en la présentation des résultats de cette enquête:
a. l'expression de la participation dans les espaces de vie essentiels des jeunes
(la famille, l'école et le groupe de pairs),
b. les disparités qui apparaissent dans l'expression de la participation (en
fonction de l'âge, du sexe, de la région)
2. en une analyse de ces résultats en fonction des spécificités culturelles de
l'éducation dans la société algérienne.
Notice biographique
Abla Rouag est professeure de psychologie, Directrice du Laboratoire de recherche
"Analyse des processus sociaux et Institutionnels" et l’auteure de "France/Algérie, Ville
et marginalité chez les jeunes" aux éditions L'Harmattan (Paris, 2008) et de "Les effets de
la violence : du stress au trauma" aux éditions Média Plus (Constantine, 2011). Elle est
par ailleurs consultante internationale auprès de l'UNICEF.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 78
II.13 LES DIFFÉRENTES SIGNIFICATIONS DU VIVRE ENSEMBLE DANS
LE PROGRAMME QUÉBÉCOIS D’ÉTHIQUE ET CULTURE
RELIGIEUSE
Mireille Estivalèzes, professeure
Université de Montréal
Le projet d’éducation au « vivre ensemble » est certes mobilisé dans le discours politique
et éducatif mais, au-delà de l’effet parfois incantatoire et politiquement correct qu’on lui
donne, que recouvre-t-il exactement ? Le Québec constitue un cas particulièrement
intéressant à analyser avec l’implantation en 2008 d’un enseignement d’éthique et culture
religieuse, dont les finalités sont la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien
commun, présentées comme contribuant « à promouvoir un meilleur vivre-ensemble et à
favoriser la construction d’une véritable culture publique commune » au sein d’une
société pluraliste. La poursuite du bien commun y est conçue comme devant s’organiser
autour de projets encourageant le vivre-ensemble. Des trois compétences que vise à
développer le programme, deux d’entre elles cherchent à favoriser le vivre-ensemble : le
volet éthique qui examine les aspects normatifs (valeurs et normes privilégiées par les
membres d’une société) et pratiques (effets des actions possibles sur soi et sur les autres)
et la partie consacrée à la pratique du dialogue, car c’est aussi dans la réalité de la classe
que se vivent la recherche et la pratique d’un meilleur vivre-ensemble par les élèves.
Nous tenterons, à partir d’exemples tirés du programme ÉCR, d’établir une typologie des
différentes significations du concept du « vivre-ensemble » en tant que visée de
philosophie politique, obligation morale, enjeu de société, mode de gestion de la
diversité, etc.
Bibliographie sélective
Duhamel, A. (2010). « Le vivre-ensemble. La citoyenneté et le politique entre conflit et
confiance », Jutras, F. (ed.), L’éducation à la citoyenneté. Enjeux socioéducatifs et
pédagogiques, Québec, Presses de l’Université du Québec.
Estivalèzes, M. et S. Lefebvre (dir.) (2012). Le programme d’éthique et culture
religieuse. L’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec, Presses
de l’Université Laval.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 79
Estivalèzes, M. (2012). « Enseigner les religions à l'école : de la croyance au savoir, un
passage à comprendre », M.Estivalèzes et S. Lefebvre (dirs), Le programme
d’éthique et culture religieuse. L’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le
nous, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 1-33.
Estivalèzes, M. (sous presse) “The Teaching of Ethics and Religious Culture Program in
Québec: a Political Project ?” Jödicke, A. (éd.), Religious Education Politics,
Würzburg, Ergon, “ Religion in der Gesellschaft”.
Leroux, G. (2007). Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme,
Montréal, Fides.
Milot, M. (2005). « Tolérance, réciprocité et civisme : les exigences des sociétés
pluralistes », Ouellet, F., Quelle formation pour l’éducation à la religion ?
Québec, Presses de l’Université Laval.
Notice biographique
Mireille Estivalèzes est professeure adjointe à l’Université de Montréal. Ses recherches
portent sur l’enseignement des religions à l’école (France, Québec, Grande-Bretagne,
Europe), l’éducation, la religion et la citoyenneté, la laïcisation du système scolaire, la
gestion scolaire de la diversité religieuse, la didactique de l’éthique et de la culture
religieuse (primaire et secondaire) ainsi que la formation initiale et continue des
enseignants à la culture religieuse.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 80
II.14 IDENTITÉ, ÉTHIQUE DE LA RECONNAISSANCE ET VIVRE-
ENSEMBLE : APPORT DU PROGRAMME D’ÉTHIQUE ET CULTURE
RELIGIEUSE
Chantal Bertrand, doctorante
Université de Sherbrooke
Selon Charles Taylor (1992), les diverses identités qui coexistent dans une société
démocratique doivent être reconnues. Pour parvenir à un vouloir vivre-ensemble, il
importe ainsi que l’identité de chacun et de chacune soit reconnue avec ses différences.
Pour fonctionner, une société doit également être porteuse de repères fondamentaux pour
unir les individus qui la composent dans une identité collective forte. Le défi des sociétés
pluralistes est de construire de tels repères. Or, l’école a un rôle à jouer en ce sens et
l’examen du programme d’études d’éthique et culture religieuse (ECR) peut fournir des
indicateurs sur ce plan. En effet, les cours d’enseignement moral et ceux d’enseignement
moral et religieux confessionnel catholique et protestant ont été remplacés par un
programme commun d’ECR. D’une part, l’enseignement de la morale fait place à celui de
l’apprentissage de la réflexion éthique, et d’autre part, la visée confessionnelle fait place à
l’enseignement culturel des religions. Les finalités de cette nouvelle discipline
s’inscrivent explicitement dans une perspective d’amélioration du vivre-ensemble : la
reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. L’analyse présentée porte sur
la contribution de l’ECR à la structuration de l’identité des élèves, son orientation par
rapport à la logique de la reconnaissance des identités et son apport potentiel au maintien
et à la construction de repères pour soutenir une identité collective forte et inclusive.
Bibliographie sélective
Bouchard, N. et M.-F. Daniel (dir.) (2010). Penser le dialogue en éducation, Québec,
Presses de l’Université du Québec.
Larouche, J.-M. (2008). La religion dans les limites de la Cité, Paris, Liber.
Robert, M. et J. Tondreau (1997). L’école québécoise : débats, enjeux et pratiques
sociales, Montréal, CEC.
Taylor, C. (1994). Multiculturalisme –Différence et démocratie, Paris, Flammarion.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 81
Notice biographique
Chantal Bertrand est doctorante à l’Université de Sherbrooke et titutlaire d’un
Baccalauréat en enseignement d’éthique et culture religieuse (ECR) au secondaire. Elle
possède également une maîtrise en science des religions avec une concentration en études
féministes. Ses recherches doctorales portent sur la contribution d’ECR à la structuration
de l’identité des élèves. Elle est par ailleurs chargée de cours à l’UQAM et à l’UQTR
(formation des maîtres au primaire, au secondaire et en adaptation scolaire) ainsi que co-
auteure de la collection Agora (matériel scolaire pour le secondaire).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 82
II.15 LE TRAITEMENT DU JUDAÏSME EN ÉTHIQUE ET CULTURE
RELIGIEUSE : POUR UN MEILLEUR VIVRE ENSEMBLE ENTRE LA
COMMUNAUTÉ JUIVE DU QUÉBEC ET LES AUTRES QUÉBÉCOIS
Sivane Hirsch, postdoctorante
Université de Montréal
Pour diverses raisons historiques (Weinfeld, 2001 ; Anctil, 2010), la communauté juive
demeure souvent méconnue des autres Québécois (Jedwab, 2008 et 2009). Cette
ignorance, parfois marquée de préjugés, a été particulièrement manifeste lors de la crise
des accommodements raisonnables (Mc Andrew, 2011), et s’est révélée à d’autres
occasions, par exemple lors des débats entourant les écoles juives. Dans le cadre d’un
projet de recherche de large envergure sur le rôle de l’éducation dans les relations entre la
communauté juive et les autres Québécois, nous étudions entre autres la représentation de
la communauté juive dans le matériel didactique québécois. Dans cette communication, je
présenterai plus spécifiquement le traitement que font les manuels scolaires d’Éthique et
culture religieuse du judaïsme en tant que religion, culture et tradition du Québec. Je
discuterai ensuite l’image de la communauté juive du Québec, historique et actuelle, qui
s’en dégage. Afin de mieux comprendre les particularités de cette communauté et de son
histoire au Québec et de mieux saisir les forces et faiblesses de son traitement dans le
programme d’ÉCR, je conclurai ma présentation conjointement avec Amina Triki
Yamani, qui procède à l’analyse du traitement de l’islam dans les mêmes manuels. Cette
comparaison montrera les points fort et les faiblesses des manuels en ce qui a trait à une
contribution à un meilleur vivre ensemble et nous permettra d’insister sur l’intégration
des minorités religieuses dans le paysage québécois contemporain.
Bibliographie sélective
Anctil, P. (2010). Trajectoires juives au Québec, Québec, PUL.
Jedwab, J. (éd.) (2009). "Mesuring Holocaust Knowledge amongst Canadians",
Association d'études canadiennes. Montréal.
Jedwab, J. (2008). "Attitudes Towards Jews and Muslims: Comparing Canada with the
United States and Europe", Association for Canadian Studies / Association
d'études canadiennes.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 83
Mc Andrew, M. (2011). "La controverse sur l’accommodement raisonnable au Québec :
atout ou obstacle au rapprochement interculturel ?", L’époque du St. Louis : se
rappeler le passé, aller de l’avant. Publié par le Groupe de travail national sur
l’éducation, la mémoire et l’étude de l’Holocauste. A. Goldschlager et R. Klein,
Toronto, Groupe de travail national sur l’éducation, la mémoire et l’étude de
l’Holocauste. En ligne sur < http://www.stlouis2009conference.ca >.
Weinfeld, M. (2001). Like everyone else, but different: the paradoxical success of
Canadian Jews, Toronto, McClelland & Stewart.
Notice biographique
Sivane Hirsch est chercheure postdoctorale à la Chaire de recherche du Canada sur
l’Éducation et les rapports ethniques à l’Université de Montréal. Elle travaille au sein
d’une équipe multidisciplinaire sur le rôle de l’éducation dans les relations entre la
communauté juive et les autres Québécois. En plus de coordonner l’ensemble du
programme, elle travaille sur le traitement curriculaire du judaïsme et de la communauté
juive du Québec et sur l’enseignement de l’Holocauste.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 84
II.16 LE TRAITEMENT DE L’ISLAM ET DES MUSULMANS DANS LES
MANUELS D’ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE AU QUÉBEC : UN
PLUS POUR LE VIVRE-ENSEMBLE?
Amina Triki-Yamani, professionnelle de recherche
Université de Montréal
Alors que l’actualité internationale propulse le monde musulman au premier plan des
préoccupations médiatiques et politiques depuis 2001, au Québec, les musulmans, de plus
en plus nombreux, font l’objet de discrimination et sont souvent accusés d’être à l’origine
d’un nombre élevé de demandes d’accommodements en matière religieuse, notamment à
l’école publique. Dans une recherche récente « Le traitement de l’islam et des musulmans
dans les manuels scolaires québécois de langue française » (Oueslati, Mc Andrew et
Helly, 2010), malgré plusieurs améliorations constatées sur les plans qualitatif et
quantitatif, certains biais ethnocentriques, stéréotypes et erreurs factuelles persistent,
notamment dans les nouveaux manuels d’histoire. Pour compléter cette recherche et en
comparaison avec celle réalisée par Sivane Hirsch sur le judaïsme, nous menons une
enquête sur le traitement de ces enjeux dans les manuels d’Éthique et culture religieuse.
Notre objectif vise à étudier les représentations véhiculées par le contenu des manuels en
analysant une centaine d’extraits réservés à l’islam et à la communauté musulmane. Pour
la première fois, des manuels proposent un matériel riche consacré aux religions
minoritaires, dont le judaïsme et l’islam. Les savoirs formels de ce nouveau programme
parviendront-ils à changer l’image de l’islam et des musulmans? Contribueront-ils à
promouvoir un meilleur vivre ensemble et un dialogue interculturel harmonieux?
Notice biographique
Docteure en sciences de l'Éducation (Paris X-Nanterre), Amina Triki-Yamani a réalisé un
post-doctorat au sein de la Chaire de recherche du Canada sur l’Éducation et les rapports
ethniques, à l’Université de Montréal. Lors de sa recherche postdoctorale, elle a travaillé
sur les perceptions d’enseignants d’histoire et de cégépiens montréalais musulmans quant
au traitement de l’islam, du monde musulman et des musulmans. Un rapport et deux
articles découlent de cette recherche.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 85
II.17 RÉFLEXIONS SUR LES HABILETÉS ESSENTIELLES À LA
DÉMOCRATIE ET SUR L’APPORT DU PROGRAMME DE
PHILOSOPHIE POUR ENFANTS DANS L’ÉDUCATION AU VIVRE
ENSEMBLE
Anne-Marie Duclos, doctorante en sciences de l’éducation
Université de Montréal
Nathalie Fletcher, enseignante
Collège John Abbott
Un des objectifs du programme de Philosophie pour enfants de Matthew Lipman (PPE)
est de développer les pensées critique et créative par le dialogue et la réflexion. Cette
approche se veut une occasion de développer des habiletés intellectuelles dans une
perspective démocratique du mieux vivre ensemble (Daniel, 1992). En effet, l’acte de la
communauté de recherche qui est le cœur de l’expérience lipmanienne, est
indéniablement de nature sociale (Sharp, 1990). À cette étape, les enfants, guidés, assistés
et stimulés par leurs pairs apprennent non seulement à dialoguer et à réfléchir ensemble,
mais aussi à poursuivre un but commun (Sasseville, 1999). Les participants sont donc
activement engagés avec les autres dans un processus de construction de sens. À cet effet,
Nussbaum (2010) considère le programme de Lipman comme étant le modèle idéal pour
promouvoir l’éducation à la sagesse (education for wisdom) – une approche qui
développe trois habiletés démocratiques essentielles : le raisonnement critique, la
citoyenneté mondiale et l’imagination sympathique (sympathetic imagination). Cette
éducation à la sagesse encourage les jeunes à surpasser les frontières de leurs perspectives
courantes afin d'atteindre une sensibilité intellectuelle qui leur permet de participer
comme membre empathique, critique et actif d’une communauté égalitaire (Ibid). Les
habiletés, attitudes et valeurs prônées par le programme de Lipman semblent nécessaires
pour le développement du vivre ensemble.
Bibliographie sélective
Daniel, M.-F. (2005). Pour l'apprentissage d'une pensée critique au primaire, Sainte-
Foy, Québec, Presses de l'Université du Québec.
Duclos, A.-M. (2010). « La Philosophie pour enfants : un outil pour mieux comprendre
les émotions », Revue du Préscolaire, vol. 49, n° 1, p. 6-10.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 86
Duclos, A.-M. (2010). Le programme de Philosophie pour enfants en contexte
scolaire comme outil de compréhension des émotions chez les enfants de 5 ans.
Maîtrise en Éducation, UQAM. En ligne sur
< http://www.archipel.uqam.ca/2648/1/M11261.pdf >
Lipman, M. (1995). À l'école de la pensée, Bruxelles, De Boeck Université.
Sasseville, M. (1999). La pratique de la philosophie avec les enfants, Sainte-Foy,
Québec, Presses de l'Université Laval.
Notice biographique
Anne-Marie Duclos est doctorante à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur
les fondements de l’éducation. Son projet doctoral porte sur la construction de sens des
enseignants du primaire face à l’implantation du programme « Éthique et culture
religieuse ».
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 87
II.18 SOUTENIR L'APPROFONDISSEMENT D’UN DISCOURS ÉCRIT
COLLECTIF ASYNCHRONE PAR L'ÉCHAFAUDAGE DE PRATIQUES
CRITIQUES ÉPISTÉMOLOGIQUES
Vincent Gagnon, étudiant à la maîtrise
Université du Québec à Chicoutimi
Stéphane Allaire, professeur
Université du Québec à Chicoutimi
Mathieu Gagnon, professeur
Université du Québec à Chicoutimi
Avec la dissémination des technologies de l’information et de la communication et l'accès
à une information abondante, l’école a un rôle à accomplir pour amener les élèves à
collaborer et à mobiliser une pensée critique, et ce, dans différents domaines (Gagnon,
2008 ; UNESCO, 1995 ; Ennis, 1989). Cette communication vise à présenter les résultats
d’une recherche collaborative (Desgagné, 1997) dans le cadre de laquelle le discours écrit
collectif asynchrone entre des élèves d’une classe au secondaire a été étudié. Partant de
l’expérience de la classe en matière de mobilisation de la pensée critique selon le modèle
pédagogique de communauté de recherche philosophique (Lipman, 2003), nous avons
identifié avec l’enseignante des composantes d’une pensée critique qui étaient moins
présentes dans le discours. Ces composantes furent ensuite intégrées à un forum de
discussion électronique sous forme d’échafaudages rigides (Turcotte, 2008). Nous avons
documenté comment la présence de ces échafaudages liés à la mobilisation d’une pensée
critique (Ennis, 1993 ; McPeck, 1981 ; Paul, 1990 ; Lipman, 2003 ; Siegel, 1988) a
influencé l’approfondissement du discours. Ce dernier a été analysé à partir d’une échelle
de niveaux d’approfondissement inspirée d’Hakkarainen (2003). Nous présenterons les
résultats des analyses en ce qui concerne le niveau d’approfondissement des fils de
discussion selon que les échafaudages aient été utilisés ou non par les participants au
discours.
Notice biographique
Bachelier en éducation préscolaire et enseignement primaire, Vincent Gagnon est depuis
2008 étudiant à la maîtrise en éducation. Il complète présentement un mémoire portant
sur l'incidence de l'insertion d'échafaudages de pratiques critiques sur
l'approfondissement d'un discours écrit collectif asynchrone.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 88
II.19 L’APPRENTISSAGE DU VIVRE ENSEMBLE EN COMMUNAUTÉ DE
RECHERCHE PHILOSOPHIQUE AU SECONDAIRE : QUELLES
COMPLÉMENTARITÉS ENTRE COGNITION ET MÉTACOGNITION
DISTRIBUÉES?
Mathieu Gagnon, professeur
Université du Québec à Chicoutimi
Les travaux de recherche en lien avec la pratique du dialogue philosophique sont de plus
en plus nombreux. Notre équipe s’est penchée, notamment, sur les apprentissages que
disent effectuer des élèves du secondaire pratiquant la philosophie sur une base régulière.
Une centaine d’élèves ayant entre une et cinq années de pratique philosophique ont été
invités à répondre à deux questions ouvertes, l’une touchant les apprentissages au sens
large (« Selon vous, faites-vous des apprentissages en CRP? Si oui, lesquels? Si non,
pourquoi? ») (Gagnon, Couture et Yergeau, 2011), l’autre se rapportant plus directement
à la question du vivre ensemble (« Selon vous, est-ce que la philosophie a des impacts sur
vos relations avec les autres? Lesquels? Expliquez pourquoi. ») (Gagnon, 2011). Une
analyse qualitative des données par processus de catégorisation émergente a conduit à
relever que les réponses fournies à la première question se rapportent plus spécifiquement
à des éléments touchant le développement de métaconnaissances (définir, dégager des
conséquences, etc.), alors que celles découlant de la seconde font plus particulièrement
référence à une série de dispositions sociales (ouverture d’esprit, écoute, etc.). Par
ailleurs, une analyse croisée tend à indiquer que ces types d’apprentissages ne
fonctionnent pas en vases clos, mais s’alimentent réciproquement.
Notice biographique
Mathieu Gagnon est professeur au Département des sciences de l'éducation à l'Université
du Québec à Chicoutimi. Ses principaux travaux de recherche portent sur la transversalité
de la pensée critique et des rapports aux savoirs des élèves, de même que sur la pratique
du dialogue philosophique en communauté de recherche. Il est présentement responsable
de trois projets de recherche subventionnés, dont un sur la mobilisation de la pensée
critique et les rapports aux savoirs d'élèves du secondaire à l'intérieur de différentes
matières scolaires (CRSH).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 89
II.20 POURQUOI LES ENFANTS DES RUES SONT-ILS INSUPPORTABLES ?
Jean-Émile Charlier, professeur
Université catholique de Louvain
La proposition de communication s'appuie sur un travail de terrain effectué en 2011 au
Rwanda avec une collègue rwandaise. Elle porte non sur les conditions de vie et la
carrière des enfants des rues rwandais, mais sur les représentations que se font de leurs
vies et de leurs motivations des adultes impliqués de près ou de loin dans les politiques
visant à les encadrer (responsables d'ONG, directeurs d'école, enseignants, policiers,
éducateurs). La communication veut montrer que la compassion manifestée à l'égard des
enfants des rues par les ONG internationales et de nombreux observateurs occidentaux ne
leur est pas spontanément accordée par les populations locales qui ont plutôt tendance à
les considérer comme des nuisances qu'il faut faire disparaître. Qui plus est, les
représentations les plus unanimement partagées par cette population ne font pas des
conditions de vie des enfants des rues un problème, et sûrement pas un problème
prioritaire. Plus encore, le discours de la modernisation à marche forcée postule
implicitement que tous les individus n'arriveront pas tenir le rythme et qu'il y aura donc
des dégâts humains, regrettables, mais inévitables. Le discours de modernisation, adossé
à des valeurs universelles, porte en d'autres termes la justification de l'exclusion des
moins bien équipés pour la compétition.
Notice biographique
Jean-Émile Charlier est professeur ordinaire et vice-doyen de la faculté des sciences
économiques, politiques, sociales et de la communication de l'Université catholique de
Louvain. Ses publications portent sur l'internationalisation des références des politiques
de l'éducation et sur l'effet du processus de Bologne sur les universités africaines.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 90
II.21 ÉDUQUER AU VIVRE ENSEMBLE : ET LES INVISIBLES ?
Marc Derycke, professeur
Université Jean Monnet, St-Étienne
Je proposerai un cas clinique afin d’en développer les implications théoriques ; ce cas est
représentatif de l’approche éducative de M.B., « auxiliaire maternelle » illettrée.
Constatant une dégradation domestique dont deux fillettes confiées sont, d’évidence,
coupables (elles nient), M.B. les prend au mot. L’une d’elles avouera, plus tard…
Éduquer au vivre ensemble (VE) pose une série de questions : 1. « vivre » : est-ce
coexister ? sinon, selon quel partage, de quoi, comment, avec qui ? 2. L’autre est posé
comme alter ego, projection socialement située, double identitaire, la « différence »
surgissant comme décalage positif, héroïsée, ou négatif, stigmatisée. Comment penser
alors une altérité échappant aux présupposés identitaires, sinon par un artefact ? Lequel ?
Je m’intéresserai à deux altérités peu visibles car dépourvues de « différence » qui
s’exhibe : 1° l’enfant dans sa part d’étrangeté trop souvent déniée par l’emprise
éducative, 2° l’adulte qui cache son illettrisme. 3. Le « vivre ensemble » est-il possible
sans liberté ? Quelle en est, sinon, la place pour des individus sous tutelle : l’enfant, voire
l’illettré ? L’artefact qui éduque au VE s’inspire de la leçon de Jacotot (J. Rancière,
1987) : la supposition de l’égalité des intelligences, l’apprentissage passant par la
vérification de l’égalité dans un dispositif critique où le « maître », « ignorant », fait fi de
son savoir, et où « faire est tout ».
Notice biographique
Marc Derycke est professeur à l’Université Jean Monnet de St-Étienne. À l’origine
sémioticien, puis socio-ethno-linguiste et finalement formé à la philosophie. Depuis 1989,
il est responsable de projets européens concernant la scolarisation et le suivi pédagogique
des enfants du voyage, puis la réflexivité à l'épreuve des publics socialement aux marges
et des savoirs ignorés des procédures académiques.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 91
II.22 L’ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE FACE À L’INJONCTION DU
« VIVRE ENSEMBLE » : PRATIQUES ÉDUCATIVES ET ENJEUX
INSTITUTIONNELS DANS UN FOYER POUR JEUNES FEMMES EN
« DIFFICULTÉ SOCIALE »
Wassim El Golli, doctorant
École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
À partir d'une recherche participative dans une Maison Éducative à Caractère Social
(MECS) et dans le cadre d'une thèse de sociologie à l'EHESS, il s'agira de comprendre
comment se met en place l’injonction à la citoyenneté au sein d’une institution à vocation
sociale. Cet établissement est un foyer spécialisé dans la prise en charge de jeunes
femmes de 15 à 21 ans placées par voie juridique ou administrative et situé dans la région
parisienne. Il sera question de comprendre cette notion d’injonction à la citoyenneté
lorsqu'il s'agit d'accompagner des jeunes femmes ethnicisées dans le contexte actuel de
l'intervention sociale et d'en saisir les implications morales et éthiques sur les pratiques
éducatives. Cette intervention sera construite autour de deux parties : la première
cherchera à décrire les pratiques quotidiennes du « vivre ensemble » à travers l’injonction
à la citoyenneté en institution semi-fermée avec des jeunes femmes aux parcours
migratoires différents. La deuxième partie cherchera à comprendre les implications
morales et éthiques de cette injonction. Ainsi, il sera question tout d'abord de différencier
les implications morales des implications éthiques, et d'en décrire les différents
agencements. Ensuite, nous verrons comment nous pouvons les catégoriser et les inscrire
dans le contexte actuel du travail éducatif.
Notice biographique
Wassim El Golli est doctorant à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux
Sociaux (IRIS) de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Ses
domaines d'expertise sont : la sociologie, l’ethnologie et l’éthique éducative. Il a publié
en 2010 Pas de démocratie sans une politique du care et pas de care sans une
démocratie : pour un déplacement des frontières morales dans la Revue française de
science politique, 60, p. 599-603. et en 2011 Ethnicité et sexuation ordinaire dans un
foyer pour jeunes femmes en difficultés sociales dans la Revue hommes et migrations.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 92
II.23 DES PRATIQUES ÉDUCATIVES QUI ÉDUQUENT ET QUI FORMENT
AU « VIVRE-ENSEMBLE » À L'ÉCOLE ET À LA GARDE SCOLAIRE
Karine Soucy, enseignante
Commission scolaire de Kamouraska-Rivière-du-Loup
Cette communication a pour but de présenter deux pratiques éducatives qui contribuent
véritablement à un meilleur « vivre ensemble ». Tout d’abord, la communauté de
recherche philosophique : à partir d’une lecture commune, les enfants font ressortir les
thèmes qu’ils jugent importants et débutent une recherche à caractère philosophique, qui
prend la forme d’une délibération. Guidés par un animateur bien préparé qui participe lui
aussi à la recherche, les enfants sont appelés à construire leur pensée sur un sujet choisi,
partager leurs idées, écouter celles des autres, examiner les idées avancées, les remettre
en question et peut-être même modifier leur opinion initiale.
Dans un deuxième temps, il sera question des « ateliers Périscope », vécus au
service de garde scolaire. Mis sur pied dans le but d’améliorer la qualité de vie au service
de garde, il s’agit d’ateliers de discussions et de réflexions sur les comportements
observés et vécus durant la semaine. Ensemble, les élèves qui ont adopté des
comportements dits « non-souhaitables » examinent en profondeur le contexte, les causes
et les conséquences des gestes posés. Ces participants sont accompagnés et aidés par des
« élèves-guides » qui réfléchissent avec eux, et soutenus par un animateur qui alimente la
discussion et guide les enfants dans la recherche de moyens très concrets pour mieux
vivre ensemble au service de garde de l’école.
Notice biographique
Karine Soucy est enseignante au primaire, consultante et formatrice en éducation. Elle
détient un baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire (UQAM,
2003). Elle a aussi effectué un microprogramme en philosophie pour enfants (Université
Laval, 2007) et un microprogramme de deuxième cycle en prévention de la violence,
résilience et philosophie pour les enfants (Université Laval, 2009). Elle a participé à deux
sessions européennes de formation en pratique de la philosophie en communauté de
recherche (Belgique, 2006-2007).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 93
II.24 VIVRE ENSEMBLE AU STADE DE LA PRIME ENFANCE
Cécile Albert, professeure
Université catholique de l’Ouest
L’apprentissage de la vie en collectivité commence dès la petite enfance, à la crèche puis
à l’école maternelle. Cela ne va pas de soi, car l’enfant doit apprendre à vivre avec les
autres, à considérer leurs désirs. Les recherches sur la « théorie de l’esprit » montrent
que les jeunes enfants perçoivent relativement tôt que l’autre peut avoir des sentiments.
Seulement, viennent cohabiter des intérêts fortement égocentriques et une conscience
d’existence d’autrui. C’est, par exemple, l’âge des bagarres pour un même jeu.
A partir de nos recherches récentes sur les interactions de genre à 2 ans ½, en
situation de jeux mixtes, nous avons observé qu’il existe des rapports de forces entre les
garçons et les filles qui ne sont pas sans conséquence sur l’émergence de comportements
d’inhibition ou d’agression. Pourtant, selon les professionnels, cette question du genre est
absente de la réflexion éducative car, à cet âge, on souhaite prendre l’enfant dans sa
globalité, sans stigmatisation a priori. Le critère du genre ne sert pas à « penser
l’éducation. ».
Notre communication visera à montrer que la question du vivre ensemble, de la
formation de l’être social, se pose dès le premier âge. Nous porterons plus singulièrement
notre réflexion sur la question du vivre ensemble à la crèche dans le cadre des différences
de genre. Le genre est une donnée à prendre en compte dans la réflexion éducative pour
l’apprentissage du vivre ensemble dans les instances éducative de la première enfance.
Bibliographie sélective
Albert, C. (2012). Expressions et interactions de genre au stade de la petite enfance : une
position asymétrique, Actes du colloque GEM, Presses Universitaires de Grenoble,
2012.
Albert, C. (2012). « La socialisation sexuée au stade de la prime enfance : des rapports de
forces ? », Les cahiers du CERFEE, n° 32, Montpellier, France. A paraître.
Cresson, G. (2010). « Indicible mais omniprésent : le genre dans les lieux d'accueil de la
petite enfance », dans S. Cromer, S. Dauphin et D. Naudier, Les objets de
l'enfance, Paris, L'Harmattan, p.16-33.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 94
Cresson, G. (2007). « La vie quotidienne dans les crèches », dans N. Coulon et G.
Cresson, La petite enfance. Entre familles et crèches, entre sexe et genre, Paris,
L'Harmattan, p. 44-75.
Fontaine, A.-M. (2008). Observer en équipe dans les lieux d'accueil de la petite enfance :
Développer l'observation-projet, Toulouse, Eres.
Golay, D. (2007). « Le jeu libre en crèche : une expression des rapports sociaux de sexe? », dans N. Coulon et G. Cresson, La petite enfance. Entre familles et
crèches, entre sexe et genre, Paris, L'Harmattan, p. 25-41.
Le Maner, G. (2001). « Adhésion aux rôles sexués à 24 mois ». Revue internationale de
Psychologie sociale, vol. 2, 57-92.
Rouyer, V. (2007). La construction de l'identité sexuée, Paris, Armand Colin.
Thery, I. (2010). « Le genre : identité des personnes ou modalité des relations
sociales ? ». Revue française de pédagogie, n° 171, p. 103-117.
Notice biographique
Cécile Albert est maître de conférences à l’Université Catholique de l'Ouest. Psychologue
et diplômée d’un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université Lumière-Lyon II,
elle est chercheure en psychologie du développement et en éducation.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 95
II.25 LES RITUALISATIONS DANS L'ÉDUCATION AU SAVOIR-VIVRE-
ENSEMBLE
Denis Jeffrey, professeur
Université Laval
Nous nous intéressons aux ritualisations dans l'éducation au savoir-vivre-ensemble. Dans
son mandat de socialisation et de formation à l'éthique et à la culture religieuse, l'école
doit nécessairement préparer les élèves à assumer sous un mode critique les valeurs,
normes, règles et lois qui balisent la vie sociale. Or, des recherches de pointe montrent
(Debarbieux, Janosz) que le milieu scolaire n'est pas à l'abri de violences, principalement
entre élèves. Les attitudes de discrimination, d'humiliation et d'insulte sont fréquentes.
L'éducation au vivre ensemble doit prendre en compte cette réalité scolaire et travailler
avec les élèves des attitudes et des valeurs essentielles au vivre ensemble : ouverture à
autrui, acceptation des différences, attitudes de respect et de confiance mutuels, etc. Nous
proposons de montrer que les ritualisations scolaires peuvent contribuer à cette éducation.
Nous nous inspirons principalement des travaux de Gebauer et Wulf sur le mimétisme et
la performativité dans les ritualisations. Pour eux, les comportements peuvent être plus ou
moins ritualisés selon les circonstances et les besoins de la situation. L'accent sur la
performance corporelle dans l'accomplissement d'une ritualisation ouvre des perspectives
nouvelles pour comprendre, par exemple, comment les enseignantes amènent les élèves à
contrôler leurs expressions corporelles, à intérioriser les normes scolaires, à faire preuve
de retenue, etc.
Notice biographique
Denis Jeffrey est professeur titulaire à l’Université Laval, spécialisé en éthique et
enseignement. Il a notamment publié aux Presses de l’Université Laval les ouvrages : La
morale dans la classe, Enseignants dans la violence, La sociologie compréhensive,
Identité en errance et Chemins vers l'âge d'homme.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 96
II.26 LA SANCTION À L’ÉCOLE UNE RECHERCHE-ACTION SUR LA LOI
ET LE VIVRE ENSEMBLE
Luca Paltrinieri, chercheur-accompagnateur du CIRPP
École normale supérieure de Paris
Christian Ollivier, responsable de l’ingénierie pédagogique de TECOMAH
École de l’environnement et du cadre de vie1
Trop de sanctions ! C’est le constat qui avait été établi par ce responsable des formations
pré-bac pendant l’année scolaire 2010/2011. Résultat : une surcharge croissante de tâches
administratives, au détriment d’autres, et au final, peu d’effets sur le comportement des
élèves, la sanction annulant la sanction. Comment dès lors trouver un système de
discipline qui « tienne la route » ? Comment construire une sanction qui soit réellement
éducative ? C’est à ces interrogations que deux enseignantes et leur responsable
pédagogique ont voulu répondre avec l’aide du laboratoire de recherche, le CIRPP, en
expérimentant des espaces de partage où élèves et enseignants réfléchiraient à la finalité
de la sanction. L'expérience n’a pas pris d'emblée, les jeunes refusant un dispositif dans
lequel ils ne se reconnaissaient pas. Ce sujet « hautement » sensible, de la question de la
sanction engendrait pour certains enseignants un sentiment mêlé de victimisation et de
culpabilité, d’autres considéraient que le problème devait être du ressort de chacun et ne
pas faire l’objet d’une réflexion collective. Le dispositif alors imaginé s’est focalisé sur
un seul objet : l’écriture, par les étudiants eux-mêmes, d’un projet de loi sur l’usage des
téléphones portables dans les classes destiné à compléter le règlement intérieur de l’école.
Le déroulement du projet
La mise en place largement débattue d’un dispositif de recherche-action à trois variables,
a permis l’implication et la coopération de tous les acteurs concernés :
1 La communication a été présentée par le chercheur-accompagnateur du CIRPP (Centre d’Innovation et de
Recherche en Pédagogie de Paris): Luca Paltrinieri (Ecole normale supérieure de Paris) et par Christian
Ollivier (responsable de l’ingénierie pédagogique de TECOMAH établissement d’enseignement de la
CCIP1). Elle présente les référents théoriques des chercheurs et explicite le dispositif mis en place pour
susciter une discussion entre les élèves et leurs enseignants. L’hypothèse de recherche formulée était que
les problèmes d’indiscipline pouvaient se régler par une augmentation de la puissance d’agir des jeunes et
des enseignants vis-à-vis du règlement existant et de sa transformation. La mise en place d’un groupe de
réflexion, le chercheur collectif, comprenant le chercheur, un vidéaste du CIRPP et des acteurs de l’école,
pourrait être considérée comme la principale innovation pédagogique de cette recherche-action.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 97
1. l’institutionnalisation des cercles de discussion : espace de parole où les
élèves pouvaient nommer ce qui se passe autour d’eux, lieu de rencontre entre
professeurs et élèves.
2. la mise en place d’un chercheur collectif dont tous les membres devaient
prendre une véritable posture de recherche. Composé de représentants
d’élèves, du chercheur-accompagnateur, des professeures et du responsable
pédagogique, sa finalité affichée était de travailler à penser le dispositif dans
ses forces, ses limites, ses allants de soi, ses impensés et ses implicites pour
ensuite proposer des pistes concrètes d’amélioration et de renouvellement des
approches et des pratiques.
3. le tournage d’un film sur l’expérience rendant compte de la vision du
vidéaste. Les rushs avant montage allaient alimenter notamment la réflexion
des deux instances : cercles de discussion et chercheur collectif.
Cette recherche aura permis d’interroger :
la posture du chercheur-accompagnateur et celui du « mini chercheur
collectif » dans un dispositif de recherche-action (participation/observation du
dispositif ; implication/distanciation…)
les effets de cette action sur le dispositif : transformation de la question apparente (Comment aller vers une sanction éducative ?) et de la question de
fond (Comment construire un système de vie de classe, un « vivre ensemble »
qui dépasse la sanction ?).
Bibliographie sélective
France, B. (2009). Sanctions et discipline à l’école, Paris, La découverte, 6e édition.
Paltrinieri, L. (2012). La sanction éducative. Une recherche-action, Paris, Pétra.
Prairat, E. (2001). Sanction et socialisation idées résultats et problèmes, Paris, Puf, 2001.
Prairat, E. (1997). La sanction : petites méditations à l’usage des éducateurs, Paris,
L’Harmattan, 1997.
Notice biographique
Luca Paltrinieri est chargé de recherche et formation au CIRPP - Centre d'Innovation et
de Recherche Pédagogique de Paris. Il est également chargé de cours en Sciences de
l'Education à l'Université Paris 8. Philosophe de formation (il enseigne par ailleurs la
philosophie à l'École normale supérieure de la rue d’Ulm), il a travaillé sur les principes
d'une philosophie politique de l'éducation à partir non pas d'une grille théorique mais
d'une série de recherches-actions menées dans les écoles de la Chambre de Commerce de
Paris.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 98
II.27 SCIENCE ET RELIGION À L’ÉCOLE SÉNÉGALAISE ET
RWANDAISE : ÉTUDE ETHNOGRAPHIQUE COMPARÉE DES
PRATIQUES ENSEIGNANTES POUR FAIRE « VIVRE-ENSEMBLE »
DEUX DISCOURS DE VÉRITÉ
Sarah Croché, postdoctorante
Université catholique de Louvain
À partir d’études de terrain menées en 2010 et 2011 au Sénégal et au Rwanda, cette
communication propose une analyse comparative des formes de « vivre ensemble »
perceptibles à l’école secondaire sénégalaise et rwandaise. Elle veut étudier la manière
dont les enseignants sénégalais et rwandais œuvrent, au sein de leurs classes, pour
concilier les discours de la science dite ‘occidentale’ et de la religion, qui sont en
concurrence sur certaines questions. Au Sénégal et au Rwanda, le discours de la science
« occidentale » n’est pas celui qui s’impose dans la société ou il est fortement
concurrencé par les discours et savoirs issus de la religion.
Cette communication se propose donc d’étudier les pratiques enseignantes qui
visent à former au « vivre ensemble » dans chacun des pays sous analyse. L’objectif est :
1) de voir et comprendre comment les enseignants expliquent concrètement aux élèves
que des discours de vérité opposés et des croyances diverses coexistent dans la société, 2)
d’analyser la façon dont les enseignants et les élèves comprennent et respectent les
différents discours de vérité, à travers la confrontation et le dialogue à l’école.
Notice bibliographique
Sarah Croché est chargée de recherches du F.R.S.-FNRS (Fonds National de la
Recherche Scientifique) à l'Université catholique de Louvain. Elle développe des
recherches sur deux thématiques: 1) Dans le prolongement de sa thèse de doctorat, elle
analyse la manière dont les politiques d'enseignement supérieur évoluent en Europe et en
Afrique. 2) Sa recherche postdoctorale porte sur la concurrence des discours de vérité (de
la science et de la religion) à l'école au Sénégal, au Rwanda et en Belgique.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 99
II.28 CONCEPTIONS DU VIVRE-ENSEMBLE ET DÉLIMITATION DES
REGISTRES SCIENTIFIQUES ET RELIGIEUX À L'ÉCOLE
José-Luis Wolfs, professeur
Université libre de Bruxelles
1. Contexte
Le rejet total ou partiel de la théorie de l'évolution, de la part de certains élèves, au nom
de leurs croyances religieuses, a fait l'objet de nombreuses recherches aux États-Unis (ex:
Martin Hanssen, 2008 ; Anderson, 2005) et dans une moindre mesure, dans d'autres pays,
par exemple en Tunisie (Aroua, 2003) ou en Belgique (Perbal, 2006). Ce problème, qui
touche aux représentations des élèves à propos de la science ainsi qu'à leurs convictions
personnelles en matière religieuse, concerne aussi la conception du vivre-ensemble au
sein de la société et de l'école ; puisque les questions sous-jacentes sont celles de
l'expression et de la délimitation des registres scientifique et religieux, en particulier dans
une société démocratique et pluraliste. Le Conseil de l'Europe a d'ailleurs estimé
nécessaire, à ce sujet, de publier en 2007 une mise en garde intitulée Dangers du
créationnisme dans l'éducation. Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés – de
manière plus large, et non pas uniquement en référence au cas de l’enseignement de la
théorie de l’évolution – à la manière dont les élèves distinguent et situent, l’un par
rapport à l’autre, registre scientifique et registre religieux.
2. Objectifs et méthodologie
L’objectif de la recherche est globalement de mieux comprendre la manière dont les
élèves terminant l'enseignement secondaire supérieur (12e année de scolarité) situent
l'une par rapport à l'autre science et croyance religieuse. Pour tenter de répondre à cette
question, différents types de positionnements théoriquement possibles entre science et
convictions en matière de religion ont été définis. Ensuite, ce modèle a été
opérationnalisé sous la forme d’un questionnaire, validé par une analyse factorielle, et
administré à un échantillon de 638 élèves terminant l’enseignement secondaire supérieur
en Belgique francophone.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 100
3. Modèle d’analyse
En référence en particulier à G. Minois (1990), H. Rasi (2003), D. Lambert
(1999), nous avons construit un modèle (Wolfs et al., 2008a) visant à prendre
en compte différents positionnements théoriquement possibles entre sciences et
croyances religieuses. Ce modèle définit schématiquement six conceptions
contrastées, conçues sous la forme d’idéaux-types. Une même personne peut
éventuellement adhérer, à des degrés divers, à plusieurs de ces conceptions,
selon la nature des problèmes soulevés. Les conceptions prises en compte par
ce modèle sont les suivantes :
1. Le rejet total ou partiel de contenus scientifiques au nom de conceptions de
type « fidéiste » (primauté de la foi sur la raison), s’appuyant par exemple sur
une interprétation littérale des Ecritures.
2. Le concordisme dit « classique ». Le concordisme repose globalement sur le
postulat selon lequel le « livre de la Parole » (la Bible ou le Coran) et le
« livre de la Nature » que s’efforcent de déchiffrer les sciences, ne sauraient
se contredire, puisque leur auteur est le même (Dieu). La tentation peut dès
lors être grande, c’est ce que nous appelons le concordisme sous sa forme
« classique » (Wolfs, 2008a), de vouloir lire le « livre de la Nature » en
fonction des catégories conceptuelles du « livre de la Parole », dans le but
particulier de chercher à « confirmer » par la science ce que les Ecritures
auraient révélé.
3. Le concordisme dit « inversé » : celui-ci vise à établir des concordances entre
sciences et religions, en partant non pas des Ecritures ou d’une tradition
révélée, mais d’une démarche qu’il présente comme « scientifique ». Il s’agit
en quelque sorte de vouloir trouver Dieu à travers la « science », quitte à créer
une pseudo-science pour tenter d’y parvenir. C’est le cas en particulier
aujourd’hui des tenants du « dessein intelligent ».
4. Le principe d’autonomie de la démarche scientifique à l’égard des croyances
religieuses. Cette conception est le fruit d’une conquête de plusieurs siècles
de la part de savants tant croyants que non croyants. Elle repose sur le
postulat de travail suivant : dans la démarche scientifique, la nature
s’explique par la nature (et non par le livre de la Parole). On quitte dès lors le
domaine de la science, chaque fois que l’on invoque des facteurs surnaturels.
Plus précisément encore, la science vise à construire des représentations du
monde, en veillant à respecter certaines règles méthodologiques spécifiques :
« réfutabilité » (au sens de Popper), principe de parcimonie dans la démarche
explicative (principe déjà formulé par G. D’Occam au 14e s), non finalisme
(la science s’intéresse aux causes « efficientes », non aux causes « ultimes »),
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 101
etc. Par conséquent, les questions qui touchent à l’existence ou à la non
existence de Dieu ne font pas partie du champ de la science, par choix
méthodologique.
5. La recherche d’une forme de complémentarité entre sciences et religions,
sous des formes autres que concordistes, basée sur la reconnaissance de la
différence de nature fondamentale entre les deux registres et un respect clair
de l’autonomie de la science. Cette idée a déjà été énoncée par Galilée :
« Nous n’avons pas à chercher dans l’Ecriture un enseignement proprement
dit de l’astronomie (…) et l’intention du Saint-Esprit est de nous enseigner
comment l’on doit aller au ciel et non comment va le ciel… ». Cette
conception s’appuie aussi sur la distinction introduite par Kant entre le
registre de la raison « pure » et celui de la raison « pratique » ou, comme
l’exprime Feltz (2008), entre le registre de la « connaissance » et celui de la
« signification ».
6. La critique rationaliste, au nom de la science, de conceptions religieuses.
Cette posture se fonde notamment sur le principe selon lequel la démarche
scientifique s’est construite par ruptures et dépassements successifs par
rapport à un premier niveau d’explication mythologique ou religieux
développé par l’être humain face à l’univers (cf. en particulier les trois états
de l’humanité définis par A. Comte). Les religions, ou certaines de leurs
formes particulières d’expression (passées ou actuelles), tendent à être
perçues comme frein ou obstacle au développement de la science, voire à
l’émancipation de l’humanité.
Ces conceptions peuvent être situées sur un axe bipolaire, de la manière suivante :
Rejet de la
science, au
nom de
conceptions
fidéistes
Concordisme
classique
Concordisme
inversé
Complémentarité
basée sur une
reconnaissance
de l’autonomie
de la science
Autonomie Critiques
rationalistes,
au nom de la
science, de
conceptions
religieuses
Tendent à ne pas reconnaître la spécificité du
registre explicatif scientifique et son
autonomie par rapport aux croyances
religieuses.
Reconnaissent – en principe – la spécificité du
registre explicatif scientifique et son autonomie
par rapport aux croyances religieuses.
Recherche d’une forme de complémentarité -
selon des perspectives très différentes - entre
registre explicatif scientifique et croyances de
type religieux.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 102
4. Pistes de réflexion sur le plan pédagogique et didactique
Afin d’amener les élèves à mieux différencier les registres scientifiques et religieux et
éviter ainsi toute forme de confusion ou amalgame, il nous paraît indispensable
d’accompagner l’enseignement des sciences d’une réflexion épistémologique explicite
portant sur la nature et les limites de la pensée scientifique, en insistant en particulier sur
les choix méthodologiques suivants : la volonté d’expliquer la nature par la nature, la
réfutabilité, la parcimonie, la recherche des causes efficientes plutôt que des causes
ultimes (non finalisme), etc. Pour comprendre la nature de la science, il importe
également de s’intéresser à la manière dont la science s’est construite. Quelques éléments
essentiels de l’histoire des sciences sont donc indispensables dans la formation. Ceux-ci
permettent également de souligner et de valoriser, auprès des élèves, l’apport de
différentes cultures au développement de la science. A titre d’exemple, une exposition
itinérante, organisée en Communauté française de Belgique, sur le thème des « sciences
arabes au Moyen Âge » a permis récemment à des centaines de classes de prendre
conscience du la richesse de cet apport et de renforcer les liens d’estime et de respect
entre cultures différentes.
Enfin, dans une société démocratique, pluraliste et ouverte sur le monde, quelques
repères essentiels sur les différents registres de convictions devraient aussi faire partie de
la « culture générale » et d’une éducation à la citoyenneté. Le Livre blanc sur le dialogue
interculturel publié par le Conseil de l’Europe en 2008 insiste d’ailleurs sur ce point.
L’introduction d’un cours de « Philosophie et histoire comparée et culturelle des
religions » nous paraîtrait, en ce sens, fort souhaitable (Wolfs, 2010). Celle-ci
supposerait, dans le cas de la Belgique, une évolution de la conception de la
« neutralité », dans un sens plus « ouvert » et « actif ».
Bibliographie sélective
Anderson, R. (2005). « Preparing Teachers to Help Students Adress Evolution », Paper
presented at the Annual Convention of the Association of Science Teacher
Education, Colorado Springs, C.O.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 103
Aroua, S. (2003). « Débat et argumentation autour de la diversité du vivant chez des
élèves de terminale en sciences expérimentales ». Revue de la Faculté des
Sciences de Bizerte, n° 2, p.128-138.
Feltz, B. (2008). « Théories de l’évolution ? Religions et modernités ». Education
comparée / nouvelle série, 2008, n° 1, p.33-45.
Lambert, D. (1999). Sciences et théologie – Les figures d’un dialogue, Namur, Presses
universitaires de Namur.
Martin-Hansse, L.M. (2008). « First-Year College Students’ Conflict with Religion and
Science ». Science & Education, n° 17, p. 317-357.
Minois, G. (1990). L’Eglise et la science, Paris, Fayard.
Perbal, L., C. Suzanne et J.L. Slachmuylder (2006). « Evaluation de l’opinion des
étudiants de l’enseignement secondaire et supérieur de Bruxelles vis-à-vis des
concepts d’évolution (humaine) ». Anthropo, n° 12, p.1-26.
Wolfs, J.L., et al. (2008a). « Les différentes conceptions des rapports entre sciences et
religions / laïcité, en particulier dans le champ éducatif – Essai de modélisation ».
Education comparée / nouvelle série, 2008, n°1, p.15-32.
Wolfs, J.L. (2010). « La conception belge de la neutralité au regard des tendances
émergentes en Europe : éléments de comparaison », dans B. Decharneux et J.L.
Wolfs, (éds), Neutre et engagé - Gestion de la diversité culturelle et des
convictions au sein de l’enseignement public belge francophone, Bruxelles,
E.M.E.
Notice biographique
José-Luis Wolfs est professeur à l’Université libre de Bruxelles, auteur de plusieurs
publications sur les conceptions épistémologiques des acteurs éducatifs et sur les
conceptions laïques et religieuses en éducation. Il est rédacteur en chef adjoint de la revue
Éducation comparée nouvelle série et ancien président de l'association des chercheurs
belges francophones en éducation (ABC_Educ).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 104
II.29 LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE DE MADAKA
Yasmine Charara, étudiante au doctorat en sciences de l’éducation
Université de Montréal
Basés sur l’hypothèse qu’une gouvernance scolaire plus inclusive peut contribuer à
l’accroissement du taux de scolarité et à la qualité de l’éducation (Lugaz, 2008 ; Samba
Mamadou, 2008 ; Kendall, 2007 ; Uemera, 1999), plusieurs projets de développement
scolaire se mettent en place à travers le monde. Ces projets sont souvent soutenus par la
coopération internationale. On fait le pari que ce type de gouvernance entraîne une plus
grande pertinence socioculturelle au projet scolaire et, donc, une participation plus
soutenue de la part de la population locale.
C’est à ce type de projet qu’en 2008, au Cameroun, je fus invitée à participer à
titre de conseillère en développement scolaire (VSO, 2006). Je me rendis à l’extrême
nord du Cameroun dans l’arrondissement de Bogo. Dans cette région, le taux de scolarité
brut est évalué à environ 40% (VSO, 2008). Je devais, en me basant sur la définition
légale de la communauté éducative ‒ « L’ensemble des personnes physiques et morales
qui encourent au fonctionnement, au développement et au rayonnement d’un
établissement scolaire » (Article 32, Loi d’orientation de l’éducation du Cameroun,
République du Cameroun, 1998) ‒ élargir la gouvernance scolaire, i.e. encourager et
accroître la participation des membres de la communauté locale, notamment en travaillant
de concert avec les Conseils d’école et Associations de parents d’élèves. À travers ce
projet de développement scolaire, mon équipe rencontra plusieurs défis. Un de ces défis,
sûrement le plus important, était que les membres de la communauté locale ne se
présentaient pas aux rencontres organisées pour former, réformer ou renforcer les
instances de gouvernance scolaire. Cette situation fut d’abord attribuée à la pauvreté de la
région, non pas à tort, puisqu’il est vrai qu’en partie celle-ci a un impact sur le taux de
scolarisation et de participation au projet scolaire, mais en discutant avec les habitants de
la région, plusieurs autres facteurs semblaient pouvoir expliquer la situation.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 105
Pour mieux comprendre cette situation, une étude de cas au sujet d’une
communauté éducative, celle d’une école de la région, l’école du village de Madaka (un
village de l’arrondissement de Bogo), a été entreprise. Nos objectifs :
1. Caractériser le contexte historico-socioculturel de Madaka et de l’école
primaire de Madaka.
2. Cerner et caractériser la « communauté éducative » de l’école primaire de
Madaka.
3. Identifier des pistes d’optimisation de cette communauté éducative, dans une
perspective d’amélioration de l’éducation des enfants de Madaka.
Toutefois, à la lumière des résultats obtenus et de notre cadre théorique1, nous
avons réalisé que la communauté éducative de l’école de Madaka n’existe pas. La
communauté éducative du village de Madaka, elle, existe et elle n’est pas unique. Elle ne
gravite pas uniquement autour d’un établissement scolaire et d’un projet scolaire. Elle est
en fait composée de trois sous-communautés. Celles-ci sont structurées autour de trois
projets différents. Elles couvent des objectifs d’apprentissage différents, sont constituées
d’acteurs spécifiques et présentent, aux yeux des habitants de la région, des particularités.
Globalement, la première est structurée autour du projet scolaire. La seconde est
structurée autour du projet d’éducation traditionnelle. La dernière autour du projet
d’éducation religieuse, celui-ci est majoritairement concrétisé à travers les écoles
coraniques.
Essentiellement, cette description de la communauté éducative de Madaka
entraîne une distinction importante entre le projet éducatif, qui est plus global et vécu au
niveau communautaire, et le projet scolaire. En effet, selon notre analyse, contrairement à
ce qu’annonce la Loi d’orientation de l’éducation du Cameroun (République du
Cameroun, 1998), le projet éducatif de la communauté éducative de Madaka est plus
large que son projet scolaire.
Nous avons également observé que les discussions sur des enjeux éducatifs plus
larges que ceux propres à chacune des trois sous-communautés identifiées, i.e. entre
1 Notre cadre théorique, présenté dans notre mémoire de maîtrise (Charara, 2011), a été bâti à partir d’une
large revue de la littérature. Cependant, soulignons particulièrement la thèse d’Orellana (2002) qui, entre
autres, résume bien la littérature au sujet de la communauté éducative (malgré que cette dernière ait pour
intérêt principal un concept apparenté : la communauté d’apprentissage).
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 106
celles-ci, ne sont pas coutume. À Madaka, on parle peu d’enjeux éducatifs communs. Les
relations et discussions entre les trois différents groupes sont rares et plusieurs
participants ont même rapporté des tensions entre ces groupes. Ainsi, basé sur notre cadre
théorique, i.e. sachant que la communauté éducative est tissée à partir de ce genre de
discussions, de dialogue, on peut qualifier la communauté éducative de Madaka de
fragile.
Finalement, pour surmonter ces tensions et renforcer la communauté éducative,
plusieurs participants ont suggéré que les acteurs des différents groupes s’engagent,
ensemble, dans un dialogue au niveau communautaire, qu’ils échangent sur les objectifs
d’apprentissages, les stratégies et les enjeux de différents groupes, afin de spécifier
chacun des trois projets éducatifs et d’en clarifier l’utilité. Ceci permettra au projet
scolaire d’augmenter sa pertinence socioculturelle.
En bref, ce projet de recherche, nous a permis de formuler l’hypothèse que pour
réellement élargir la gouvernance d’une école (l’objectif du projet de développement
scolaire auquel je participais), il serait nécessaire d’inclure les protagonistes des
différentes initiatives éducatives de la région et non uniquement ceux issus du projet
scolaire. Pour ce faire, le concept de communauté éducative sur lequel se basent les
différents projets de développement scolaire financés doit être redéfini.
À Madaka, à travers notre recherche, qui adoptait une approche collaborative, ce
concept a été redéfini en le mettant en relation avec le contexte socioculturel de la région
et les représentations des membres de la communauté locale au sujet de l’éducation. Suite
à cet exercice, aujourd’hui, à Madaka, c’est une nouvelle forme de gouvernance que l’on
propose. On propose de réfléchir le projet scolaire de façon plus holistique, i.e. en
relation avec les autres projets éducatifs.
Quels seront les effets de ce nouveau type de gouvernance ? Aura-t-il un impact
sur les résultats escomptés, c’est-à-dire une augmentation du taux de scolarité et/ou de la
qualité de l’éducation ? C’est ce à quoi un second projet de recherche, que nous
ébauchons brièvement en conclusion de cette communication, pourra répondre.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 107
Bibliographie sélective
Charara, Y. (2011). La communauté éducative de Madaka, Mémoire de maîtrise,
Université du Québec à Montréal.
Kendall, N. (2007). « Parental and Community Participation in Improving Educational
Quality in Africa: Current Practices and Future Possibilities ». International
Review of Education, vol. 53, p. 701-708.
Lugaz, C. (2008). « Participation des communautés et accès à l’éducation des groupes
défavorisés », Les orientations de la planification de l’éducation. Symposium en
l’honneur du travail accompli par Françoise Caillods (Paris, 3-4 juillet 2008),
UNESCO, IIPE.
Orellana, I. (2002). La communauté d’apprentissage en éducation relative à
l’environnement : signification, dynamique, enjeux, Thèse de doctorat, Université
du Québec à Montréal.
République du Cameroun (1998). Loi n°98/004 du 14 avril 1998. Loi d’orientation de
l’éducation du Cameroun, Yaoundé.
Samba Mamadou, O. (2008). « La dynamique partenariale pour une gouvernance locale
en éducation », Biennale de l’éducation en Afrique (Maputo, Mozambique, 5-9
mai 2008), COFEMEN.
Uemera, M. (1999). “Community Participation in Education : What do we know ?”,
Effective Schools and Teachers and the Knowledge Management System, Banque
mondiale.
Voluntary services organizations (VSO) (2008). Plan de développement scolaire
participatif de l’école primaire publique de Madaka, 2008-2009, Bogo
(Cameroun).
Voluntary services organizations (VSO) (2006). Cameroon. Programme Area Plan.
Education 2007-2012, Yaoundé.
Notice biographique
Yasmine Charara est doctorante à l’Université de Montréal. Elle a contribué à une
recherche-formation intitulée Mieux vivre-ensemble. Elle poursuit sa formation en
complétant un certificat en éducation relative à l’environnement où elle co-publie
différents itinéraires de quartiers pédagogiques s’adressant aux enseignants du primaire,
en vue de les soutenir dans leurs enseignements. Elle développe ensuite une expérience
importante en coopération internationale. Ses différentes expériences en Afrique centrale
et de l’Ouest (région d’origine de son père) portaient principalement sur l’éducation
communautaire et la gouvernance scolaire participative au niveau primaire.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 108
II.30 FORMES ÉDUCATIONNELLES PLURIELLES : DES MONDES À
PART ? L'EXEMPLE PAR L'OFFRE SCOLAIRE QUADRUPLE À
DJIBOUTI
Rachel Solomon Tsehaye, attachée d’enseignement et de recherche
Laboratoire IREDU - Université de Bourgogne
À l'heure où le « vivre ensemble » se réalise au travers d'une meilleure connaissance des
formes empruntées par l'altérité, cette communication se propose d'aborder l'offre scolaire
quadruple en place à Djibouti. Dans ce pays de la Corne de l’Afrique, coexistent deux
grands modèles éducatifs : un modèle éducatif de type universaliste (école catholique,
école publique affiliée au fait colonial) visant la réussite économique inspirée
historiquement par les réalités du monde occidental et un modèle éducatif de type
communautaire (école coranique, madrasa) visant la cohésion sociale et culturelle par les
traditions orientales musulmanes. Après avoir interrogé l’importance de ces modèles
culturels dans le choix de scolarisation des familles, nous essaierons de comprendre dans
quelles mesures ils supposent ou non différentes expressions du « vivre ensemble ». Au-
delà des résultats qui révèlent une offre scolaire hiérarchisée et une oscillation des
investissements des acteurs entre action et injonction, sont interrogés les enjeux d'une
pluralité de formes éducatives dans une cité urbaine africaine où le « vivre ensemble » est
segmenté géographiquement par la « ville blanche » et la « ville noire », elle-même
fragmentée entre quartiers afar et somali. L'enjeu est de s'assurer que la pluralité de l'offre
scolaire ne rime pas avec discrimination territoriale, sociale, économique et culturelle des
publics présumés et, finalement, avec leur homogénéisation à l'intérieur des segments.
Bibliographie sélective
Cisse, S. (1992). L’enseignement islamique en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan.
Erny, P. (1991). Ethnologie de l’éducation, Paris, L’Harmattan.
Piguet, F. (1998). Des nomades entre la ville et les sables, la sédentarisation dans la
corne de l’Afrique, Paris, Karthala & IUED.
Solomon Tsehaye, R. (à paraître). « Choix d’écoles à Djibouti : une liberté sous
contrainte ? ». Cahiers d’Etudes Africaines, EHESS, Paris.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 109
Than Khoi, L. (1986). « L’enseignement en Afrique et le modèle européen », dans C.
Coquery-Vidrovitch et A. Forest (dirs), Décolonisations et nouvelles dépendances.
Modèles et contre-modèles idéologiques et culturels dans le Tiers Monde, Presses
Universitaires de Lille, p. 229-243.
Vieille-Grosjean, H. et R. Solomon Tsehaye (2012). « Contextes scolaires africains, de
l'influence française à l'autodétermination ? L'exemple djiboutien, tchadien et
burkinabé ». Education Comparée, juin, n° 7.
Vieille-Grosjean, H. et R. Solomon Tsehaye (à paraître). “The children's instruction in
Sub-Saharian Africa: The exemple of Burkina Faso, Chad and Djibouti”.
Anthropologicas, Université de Recife, Brésil.
Notice biographique
Rachel Solomon Tsehaye enseigne la sociologie et l'anthropologie à l'IUFM de Dijon.
Rattachée au laboratoire IREDU, elle s'intéresse à la diversité des formes de l'éducation
dans différents contextes (africain et européen) et aux enjeux de leurs interactions
(compétition et choix de scolarisation). En immersion prolongée, elle appréhende les
phénomènes d'abandon de l'école et d'échec scolaire et sonde les représentations et les
motivations du choix du métier d'enseignant.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 110
II.31 AGIR POUR VIVRE ENSEMBLE : BALISES POUR L’ÉDUCATION À
LA CITOYENNETÉ DANS LA FORMATION EN TRAVAIL SOCIAL
Jean-François René, professeur
Université du Québec à Montréal
Marie-Ève Carpentier, Claude Castonguay, Marie-Andrée Leblanc, Marjolaine
Lord, Melissa Roussel, Samuel Saint-Denis-Lisée, étudiant(e)s à la maîtrise
Université du Québec à Montréal
Cette communication interroge la place qu'occupe la question du vivre-ensemble dans la
formation des étudiants en travail social. Elle a été développée dans le cadre d'un cours de
maîtrise portant sur « l’organisation communautaire et l’action citoyenne » (automne
2011). Elle prend appui sur deux constats : 1. Depuis un certain nombre d’années, des
logiques de gestion instrumentalisent la pratique du travail social. L’intervention est
dominée par l’offre d’un panier de services individuels, témoignant d’une
psychologisation des problèmes sociaux et d’une marginalisation des perspectives
collectives d’analyse et d’action. 2. Ce faisant, s’accentue sur l’enseignement et la
formation, une demande pour l’acquisition de compétences techniques utiles au marché
du travail. Comment alors penser autrement ? De notre réflexion émergent des balises en
regard du vivre-ensemble dans la formation des futurs travailleurs sociaux :
reconnaissance de la personne en tant que sujet, citoyen et acteur social ; accès à plus de
justice et la lutte aux inégalités ; respect de la diversité des narrations et des cultures ;
création d’espaces publics qui mettent en lumière les divers points de vue sans nier les
rapports sociaux inégalitaires et les conflits existants ; parité de participation et
réciprocité dans l’exercice de la délibération démocratique. L’ensemble de ces balises
vise à renforcer l’apprentissage de la pensée critique, de la réflexivité, de la capacité de
débattre et d’agir ensemble.
Notice biographique
Jean-François René est professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à
Montréal. Docteur en sociologie, diplômé en travail social, il se préoccupe depuis
plusieurs années des questions touchant à la pauvreté et à l’exclusion des jeunes et des
familles. Ses travaux récents portent sur les pratiques et les méthodologies de recherches
qui facilitent l’affiliation et la participation citoyenne.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 111
II.32 CONDITIONS ET EFFETS DU « PENSER ENSEMBLE LA
FORMATION » DES ÉDUCATEURS AU MAROC : UNE APORIE
ENTRE SPÉCIFICITÉS LOCALES ET MODÈLES INTERNATIONAUX
Gérard Figari1, professeur
Université de Grenoble
Jalila El Baraka,
Institut français de Casablanca
Hamadi Akrim,
Université Hassan 2
Hassan Aanzoul
Institut français de Casablanca
1. Le contexte : dans le cadre de la réforme du système éducatif marocain
une coopération institutionnelle et universitaire : coopération maroco-
française entre une équipe interuniversitaire (Univ. de
Casablanca/Université de Grenoble), une région éducative (Académie
Régionale d’Education et de Formation du Grand Casablanca) et un
institut d’ambassade (Institut français de Casablanca)
une commande : concevoir, sur des bases scientifiques et en tenant compte, à la fois, du contexte national et des aspirations à affronter la
compétition mondiale, un dispositif expérimental de formation de
formateurs à un nouveau corps de métier (les éducateurs/trices du
préscolaire)
une problématique : comment décrire et prescrire un métier d’enseignant qui réponde à l’aporie suivante : tenir compte d’une histoire et
d’aspirations identitaires locales en intégrant une ambition de modernité et
d’universalité ?
2. L’étude préalable
On a procédé, au préalable, au recueil et à l’analyse des données décrivant et prescrivant
les éléments constitutifs du futur métier.
Une orientation scientifique : repérer les éléments pouvant contribuer à construire un profil de compétences attendu, à partir duquel il serait
possible de justifier une réponse par la formation.
1 Représentants de l’équipe de recherche dont la liste figure en bibliographie.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 112
Une méthodologie : recueil et traitement d’informations issues de trois corpus :
a. enquête par entretiens sur les représentations, les traditions, et les
pratiques de terrain, concernant le métier d’ « éducateur du
préscolaire », auprès d’une population représentative des publics
concernés par le métier (parents, enseignants du primaire, inspecteurs,
éducateurs déjà en exercice, partenaires extérieurs à l’école) ;
b. analyse de contenu des documents prescriptifs (textes de loi, plan
d’urgence, orientations officielles) et descriptifs d’expériences
antérieures ayant trait au métier ;
c. évaluation des méthodes et supports pédagogiques déjà proposés par les
éditeurs, circulant dans les écoles et dédiés à la petite enfance.
Une première série de résultats : configuration de caractéristiques d’un
profil professionnel, sous forme de compétences attendues par la société
marocaine locale (région du Grand Casablanca), profil qui peut se résumer
ainsi : « un acteur…assumant la mission fondamentale de préparer les
enfants en âge préscolaire à s’intégrer dans l’ensemble du système scolaire
marocain moderne (quelle que soit leur situation géographique,
économique et sociale), soucieux d’assurer, par son comportement, le développement des valeurs et de l’éthique, dans une continuité entre la
famille, l’école et le monde ».
3. La conception et l’expérimentation d’un programme de formation
L’étude préalable avait pour objectif de fonder les choix de programmation d’une action
expérimentale de formation de formateurs au métier d’éducateur de préscolaire.
Un choix préalable majeur : il importait de choisir entre une procédure d’importation de modèles internationaux de l’école pour la petite enfance
et une procédure de conception d’un dispositif spécifique, adapté au
contexte et aux aspirations des acteurs locaux (nationaux et régionaux). Ce
choix constitue, en réalité, une aporie (à la fois insoluble et
incontournable) : préparer un dispositif de formation à la fois situé et
internationalement lisible.
Un projet de coopération internationale : comme indiqué supra et
conformément aux orientations du projet, la confrontation entre local,
national et international faisait partie intégrante du défi à relever.
Une orientation scientifique : on a recouru à une méthodologie issue des sciences sociales (à vocation universelle), consistant à traiter la question de
la formation (des enseignants) d’un point de vue de didactique
professionnelle (cf. travaux de Pastré, Mayen & Vergnaud, 2006,
notamment), déduisant les programmes didactiques de l’analyse des
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 113
situations professionnelles. Cette approche englobe la prise en compte de
la notion de compétence, décrite par les courants d’ergonomie, d’analyse
du travail et de psychologie cognitive (cf., par exemple, Vergnaud, 2006) ;
enfin, elle opérationnalise la fonction des référentiels (cf . travaux de
Figari, 2006, sur la « référentialisation ») et s’inscrit dans une perspective
de développement curriculaire (AFIRSE, Lisbonne, 2012).
Des modèles pédagogiques privilégiés : l’alternance, le projet, le portfolio, l’apprentissage collaboratif (autant de modèles développés, aujourd’hui, au
plan international) ont été conjointement opérationnalisés.
L’élaboration de référentiels : de métier, de compétences, de formation,
d’évaluation. Cette partie de l’étude constitue une dimension originale du
travail consistant à instrumenter le passage des apports de l’enquête à la
programmation de la formation, via la formulation de systèmes de
références alimentés par l’étude des besoins et des compétences attendues.
Chercheurs et experts sont alors sollicités pour la formulation des tâches et
compétences attendues puis des objectifs et contenus de formation
subséquents, constituant l’architecture du programme soumis à
expérimentation. Le référentiel devait alors respecter la double consigne :
répondre aux aspirations locales et aux nécessités universelles de
participation à la modernité.
L’expérimentation du programme : organisation d’une session de
formation de formateurs (oct./déc. 2011) suivant le programme ainsi
élaboré, sous observation et évaluation. Les résultats sont présentés dans le
rapport final de l’opération (Casablanca, IFC, oct. 2011)
Une pratique multiforme de l’évaluation : continue, située, formative, autogérée, partagée.
4. La dimension « vivre ensemble », paradigme porteur de l’expérience
Il s’agit, en effet, d’un « paradigme », c’est-à-dire d’une manière de penser partagée par
des acteurs pluriels et différenciés mais réunis par une valeur commune dont chaque
participant est garant. On peut en conceptualiser le modèle directeur autour du préfixe
« co » précédant les différentes fonctions présentées infra.
De manière générale, l’opération a consisté en une « coexpérience » que l’on peut
décliner selon deux dimensions : une dimension synchronique et une dimension
diachronique.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 114
4.1 Sur le plan synchronique : une déclinaison de fonctions coassumées par
les partenaires
Ces fonctions sont repérables dans la typologie suivante : coconception,
cogestion, coorganisation, coévaluation, covalorisation dans un but de démultiplication
d’un modèle de formation.
Regardons cette typologie dans le détail. Elle distribue les fonctions selon les
catégories de partenaires que sont l’équipe universitaire marocaine, l’équipe universitaire
française, l’administration régionale marocaine et l’administration diplomatique française
(ambassade de France). Tous ces partenaires se sont engagés à concevoir, organiser,
encadrer et démultiplier une formation de formateurs au nouveau métier d’éducateur de
préscolaire au Maroc. On remarque que les fonctions concernées sont assumées tantôt
conjointement, tantôt de manière complémentaire, mais qu’elles sont régulées au niveau
d’un dispositif central, appelé « groupe de pilotage » qui joue le rôle de fil directeur de
l’ensemble du projet, de gardien d’un modèle général, que nous avons appelé
« paradigme ». Il s’agit du paradigme du « penser ensemble une façon de former des
enseignants de la petite enfance ouverte au local mais en harmonie avec le monde », dans
un pays, le Maroc, déjà sensibilisé au multilinguisme interne et à l’accueil de multiples
civilisations. Dans ce contexte, la perspective ouverte par le projet présenté ici comportait
donc, d’emblée, certaines chances de réussite. Il importait de disposer d’un modèle
adapté, d’une méthodologie scientifique reconnaissable, d’institutions porteuses, au sein
d’une équipe opérationnelle mixte, intéressée par l’expérience.
Voir en annexe (p. 119) un tableau représentant, de manière synoptique, la
typologie déclinant les fonctions constitutives de l’expérience de Casablanca.
4.2 Sur le plan diachronique : les phases, méthodes et référentiels
Ce n’est pas le lieu, ici, de décrire la méthodologie, ses instruments et ses protocoles car
ils ne relèvent pas du sujet proprement dit : ce sont des emprunts aux méthodes des
sciences sociales. On en retiendra seulement les procédures ayant contribué à la
« coconstruction » : les phases-clés de l’opération, les méthodes visant l’efficacité des
procédures de recherche collective internationale, les référentiels partagés.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 115
Les phases clés de l’opération : une étude préalable effectuée par une équipe universitaire mixte pour déterminer un profil de compétences
attendu par la « société éducative » marocaine locale pour les éducateurs ;
la mise au point d’une méthodologie de recherche et d’une méthodologie
didactique et d’ingénierie de formation ; une élaboration de référentiels
partagés ; une expérimentation de terrain.
Le dispositif méthodologique : entièrement conçu autour de la nécessité de
coexpérimentation. En effet, les « modèles pédagogiques » choisis
(alternance, observation de terrain préalable à l’élaboration didactique,
conception de séquences pédagogiques, évaluation intégrée,
développement des compétences) devaient pouvoir être partagés par les
expérimentateurs (chercheurs, intervenants, participants à la session de
formation de formateurs) et démultipliables par la suite.
Les référentiels : outils déjà évoqués, ils ont fait l’objet de séminaires d’écriture se fondant sur les apports de l’étude préalable et les
compétences des experts.
5. Les résultats
5.1 Un curriculum validé et amélioré par l’expérimentation
L’évaluation de l’opération a comporté la passation de plusieurs procédures visant la
mesure des effets de la session sur le parcours des participants, l’appréciation des
interventions de spécialistes, l’observation des projets d’intervention sur le terrain
didactique, la perception des apports et de la qualité de la formation. L’intérêt de cet
ensemble de démarches réside essentiellement, en ce qui concerne le paradigme du
« former et éduquer ensemble », dans l’intégration des processus d’évaluation au
pilotage, au suivi et à la reproduction des schémas de l’expérience. Les acteurs
coévaluent avec des outils adaptés à la conception d’un dispositif de formation de
formateurs comme il serait souhaitable que soient évaluées les activités de formation des
futurs éducateurs ainsi que les projets éducatifs qui s’ensuivront.
5.2 L’hypothétique résolution de l’aporie de départ : conception d’une
formation, entre spécificité culturelle et recherche d’universalité
Les apports : processus de cogestion du projet mené à son terme,
copublication des rapports et des programmes de formation, mise en place
d’opérations de démultiplication, dans un contexte de consensus des
partenaires.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 116
Les limites :
- Persistance des difficultés linguistiques (entre langues locales, entre
langue nationale et langue étrangère), nécessitant un appui important en
matière de traduction et de diffusion ;
- Persistance du conflit entre science et culture au sujet de la prise en
compte des savoirs universels en matière de psychologie et de
sociologie de la petite enfance versus le poids des traditions et des
héritages de l’histoire ;
- Fragilité des résultats issus d’une expérience unique (réunion de
partenaires complémentaires, compétents et motivés), située (Région du
Grand Casablanca) : démultiplication sujette aux variations des
politiques menées par les institutions impliquées.
Les leçons :
- Utilité et impasse de l’aporie : l’aporie inhérente au projet initial « local
versus universel » a joué un rôle moteur dans le fonctionnement de
l’opération sans avoir fait la preuve de sa résolution ;
- Les retombées d’une expérimentation du « penser ensemble la
formation » sont mesurables ; une « culture commune » de la petite
enfance et de la formation par compétences des éducateurs peut se
construire et se développer à travers une telle opération ;
- Le fonctionnement d’une équipe universitaire mixte est envisageable,
efficace et producteur d’avancées dans les deux composantes ;
- La participation des pouvoirs institutionnels (en tant que
commanditaires) est déterminante dans le déroulement et les résultats
de l’opération ;
- La concrétisation du « vivre ensemble » demande une conceptualisation
initiale formalisée, une méthodologie et des dispositifs maîtrisés. Elle
n’est jamais « évidente », rarement « aboutie » et demande une
régulation permanente.
En conclusion
Nous avons voulu contribuer à cette revue de questions sur les fondements, les pratiques
et les outils du « vivre ensemble » mise en scène par le colloque GREE/AFEC dans le
cadre du congrès de l’ACFAS à Montréal (mai 2012), en présentant les apports d’une
expérience de recherche/formation centrée sur la mise en place d’un nouveau métier
d’enseignement au Maroc, dans le cadre d’une opération de longue durée (deux ans) co-
encadrée par des équipes marocaines et françaises. Ce qui ressort de cette expérience peut
se résumer à travers l’émergence de deux modèles confluents :
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 117
- un modèle d’analyse d’une situation faisant l’objet d’un projet de
collaboration maroco-française qui fait ressortir une aporie entre une
dimension de développement d’une identité locale ancrée dans des traditions
et des cultures spécifiques et une propension à la modernité et à la
participation aux enjeux internationaux et universels. Ce modèle a permis de
comprendre et d’accepter les contradictions, les conflits de priorité
caractérisant tel ou tel élément d’un programme de formation. Mais il a
permis, a contrario, de valoriser les convergences intellectuelles et morales
rassemblant deux cultures autour de la définition de l’éducation de la petite
enfance.
- un modèle d’ingénierie de la recherche et de la formation organisant un
schéma organisateur de la cogestion d’un projet associant la dimension
scientifique, l’ingénierie et l’évaluation de programmes autour de
l’élaboration de référentiels partagés de la compétence des éducateurs du
préscolaire.
Cette modélisation, testée par l’expérimentation présentée ici, ne demande qu’à
être confrontée à des contextes voisins de la formation des enseignants en général.
Bibliographie sélective
AFIRSE (2012). « Revisiter les études curriculaires », XIXème colloque de l’Université
de Lisbonne.
Akrim , H., G. Figari, L. Mottier Lopez, M. Talbi (2011). « La place de l’évaluation dans
la réforme du système éducatif marocain : questions pour la recherche ». Questions
Vives, vol. 13, n° 4.
Coll. (2010, 2011). Rapports sur l’étude préparatoire et la formation expérimentale de
formateurs d’éducateurs du préscolaire au Maroc. Livret 1, Livret 2, Livret de la
formation, Rapport final. Institut français de Casablanca.
Figari, G. (2012). « Les compétences des éducateurs de préscolaire : comment les
définir ? comment les utiliser en formation ? », Intervention à la table ronde
Compétences et objectifs de l’apprentissage dans l’éducation préscolaire, XIXème
Colloque international de l’AFIRSE Portugal, Université de Lisbonne, 3 février.
Figari, G., L. Mottier Lopez (2006). Recherche sur l’évaluation en éducation, Paris,
L’Harmattan.
Figari, G. et C. Tourmen (2006). « La référentialisation : une façon de modéliser
l’évaluation de programme ». Mesure et évaluation en Education, vol. 29, n° 3,
p. 5-25.
Pastré, P., P. Mayen et G. Vergnaud (2006). « La didactique professionnelle ». Revue
française de pédagogie, n° 154.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 118
Vergnaud, G. (2006). « Développement cognitif et évaluation des compétences », dans G.
Figari et L. Mottier Lopez, Recherche sur l’évaluation en éducation, Paris,
L’Harmattan.
Notice biographique
Gérard Figari est directeur de recherche au Laboratoire des Sciences de l’Education
(LSE) de l’Université des sciences sociales à Grenoble. Il est également professeur invité
aux universités de Lisbonne, Braga et Casablanca ainsi que chargé de mission de
coopération éducative auprès de l’Ambassade de France au Maroc (Institut français de
Casablanca).
1 La liste complète des participants au groupe de projet est la suivante :
Sous la direction scientifique conjointe de Mohammed Talbi et Gérard Figari :
Hamadi Akrim, Said Lotfi, Jalila Ghalloudi, Malika Irachen, Wafaa Zoubaidi,
Mohammed Talbi, Université Mohammedia de Casablanca (ORDIPU)
Gérard Figari, Université de Grenoble
Eve Leleu-Galland, Académie de Paris
Jalila El Baraka, Hassan Aanzoul, Institut français de Casablanca
Promoteurs du projet :
Khadija Benchouikh (directrice), Youssef. Khiat, Mohamed Rassy, AREF de
Casablanca
Patrice Armengau (directeur), Marc Auvray, Stéphane Davenet, Guy Gimbert, Institut
français de Casablanca (Ambassade de France)
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 119
Annexe
Coconception Cogestion Coorganisat. Coévaluation Covalorisation
Démultiplicati
on du « former
ensemble »
Équipe
universitaire
marocaine
-définition de
la pertinence et
de la faisabilité
-collecte de la
documentation
officielle
-participation
au groupe de
pilotage
-recherche
d’experts
-calendrier et
modalités de
l’enquête
-choix des
opérateurs
-organisation
des réunions
-intervention
d’experts en
évaluation
-participation
à l’évaluation
interne du
projet
-corédaction
des rapports
coprésentation
des travaux
dans les
séminaires,
colloques
-coconception
de modules de
formation de
formateurs
Équipe
universitaire
française
-émission
d’hypothèses
-contribution à
la
méthodologie
-collecte de
«comparatifs »
-participation
au groupe de
pilotage
-recherche
d’experts
-calendrier et
modalités de
l’enquête
-protocoles des
opérateurs
-organisation
des réunions
-intervention
d’experts en
évaluation
-participation
à l’évaluation
interne du
projet
-corédaction
des rapports
coprésentation
des travaux
dans les
séminaires,
colloques
-coconception
de modules de
formation de
formateurs
Administra-
tion
régionale
marocaine
-formulation
des
orientations
-cahier des
charges
-participation
au groupe de
pilotage
-validation des
choix
-fourniture de
supports
-contrôle et
validation des
programmes et
des productions
-organisation
des réunions
-discussion
des résultats
et
opérationnali-
sation
-supports
d’organisation
des séminaires,
colloques
-diffusion
publique
-création d’un
groupe de
formateurs /
démultiplica-
tion
-organisation
de sessions de
formation
Ambassade
de France
(Institut
français)
-proposition de
contribution à
une
« formation de
formateurs »
-participation
au groupe de
pilotage
-fourniture de
moyens
programmation
des sessions de
l’équipe
française
-organisation
des réunions,
séminaires,
colloques.
-évaluation
interne et
externe
-supports
d’organisation
des séminaires,
colloques
-diffusion
publique
-ouverture
pour
participation à
un suivi
Ensemble :
groupe de
pilotage
-projet
commun
-décisions
consensuelles
-organisation
et
programmation
concertées
-rapports
intermédiaires
-rapport final
(communs)
-supervision
commune de la
politique de
valorisation
-accord sur le
modèle de
démultiplica-
tion
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 120
II.33 ÉDUQUER AU VIVRE-ENSEMBLE : ANALYSE COMPARÉE DE DEUX
ACTIONS EN ÉDUCATION À LA SANTÉ À L’ÉCOLE PRIMAIRE EN FRANCE
ET AU QUÉBEC
Caroline Bizzoni-Prévieux, professeure
Université du Québec à Trois-Rivières
Corinne Mérini, enseignante-chercheure
Université Blaise Pascal
En France comme au Québec, les enseignants du primaire sont confrontés à de nouvelles
activités scolaires que sont les éducations à la citoyenneté, à la santé, au développement
durable, à la sexualité, etc. Les activités scolaires étant organisées à partir des disciplines
scolaires telles que définies par Chervel (1993), la mise en œuvre de ces éducations à …
(Lebeaume, 2008) constitue, pour la plupart des enseignants, « une chose de plus à
faire », et trouvent difficilement leur place même si elles sont inscrites dans le
curriculum. Pour une prise en compte globale et systémique, la responsabilité de
l’éducation au « vivre-ensemble » n’incombe pas aux seuls enseignants, à la seule école,
mais doit pouvoir s’appuyer sur une chaîne de volontés publiques (politique, associative,
réseaux, etc.) et professionnelles (personnels scolaires enseignants et non enseignants,
personnels de la santé, familles, etc.)
Pour illustrer ces propos, cette communication tentera de décrire, interpréter et
comprendre cette éducation « au vivre-ensemble » à partir de l’analyse qualitative de
deux projets réalisés en France et au Québec dans deux écoles primaires.
Dans un premier temps, pour analyser l’action collective présente dans ces deux
projets, le cadre d’analyse du partenariat de Mérini (1999, 2006) a été utilisé. Pour
l’auteur, la notion de partenariat prend appui sur une action négociée visant la résolution
d’un problème ou d’une problématique reconnue comme commune et sur des modes de
fonctionnement en réseau. Les réseaux d’ouverture et de collaboration (ROC) sont des
structures au sein desquelles les compétences et les champs d’action s’agencent de
manière à répondre au projet commun de résolution de problèmes. Trois types de ROC
sont définis selon la forme de l’interaction entre les acteurs et selon l’enjeu, la forme
d’ouverture et la durée des actions. Dans un second temps, les projets ont été qualifiés à
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 121
travers le cadre d’analyse de l’éducation à la santé à l’école selon la nature du rapport
travaillé à soi, aux autres, au milieu, au passé et à l’avenir (Mérini, 2009).
Les premiers résultats démontrent que l’éducation au vivre-ensemble est travaillée
de façon similaire en France et au Québec, c'est-à-dire en partenariat mettant en relation
différentes visées contribuant à développer une diversité de rapports au monde. Les
écoles abordent le vivre-ensemble à travers des projets qui touchent à la fois le rapport au
milieu environnemental (projet d’un parc-école au Québec et un voyage-découverte en
France), et le rapport aux autres grâce au travail collectif entre élèves, entre les élèves et
la communauté élargie (parents, territorialité).
Aussi, on remarque que les deux projets sont développés dans des structures ayant
la forme d’un réseau complexe s’étalant sur une, voire plusieurs années, demandant
l’expertise de différents partenaires comme le jardinier de la ville, les enseignants pour
les leçons de botanique, les animateurs spécialisés, etc. et les ressources mobilisées, dans
les deux contextes, sont essentiellement l’école, l’association des parents et la
territorialité.
En conclusion, l’éducation au vivre-ensemble n’est pas le seul fait de l’école, mais
de toute une communauté. Aussi, si l’on souhaite que les acteurs de l’école se mobilisent
autour de ces éducations à …, il apparaît important de consolider la formation initiale de
tous les enseignants, peu importe leur ordre d’enseignant. Deux initiatives au Québec,
une au primaire CAP-Santé et une autre au secondaire, C2IDÉES, ont permis à de futurs
enseignants du primaire, de l’adaptation scolaire, de l’éducation physique et à la santé et
de l’enseignement de l’anglais langue seconde de développer des compétences
professionnelles à travailler l’éducation à la santé au sens large et le partenariat.
Bibliographie sélective
Bizzoni-Prévieux, C. (2012). Partenariat en éducation à la santé à l’école au Québec et
en France : une analyse comparée des actions en éducation à la santé dans les
écoles primaires, Éditions Universitaires Européennes.
Bizzoni-Prévieux, C. (2011). Les partenariats en éducation à la santé à l’école primaire :
analyse comparée entre le Québec et la France, Thèse de doctorat inédite.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 122
Université du Québec à Montréal/Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II,
France.
Bizzoni-Prévieux, C., C. Mérini, J. Otis, D. Jourdan et J. Grenier (2011). « Les
partenariats en éducation à la santé au primaire : analyse comparée ». Les
nouveaux cahiers de la Recherche en Éducation, vol 14, n° 2, p. 85-104.
Bizzoni-Prévieux, C., Mérini, C., Otis, J., Grenier, J. et Jourdan, D. (2011). « L’éducation
à la santé à l’école primaire : approche comparative des pratiques au Québec et en
France ». Revue des sciences de l’éducation, vol. 36, n° 3, p. 695-716.
Bizzoni-Prévieux, C. et Mérini, C. (2009). « The question of the partnership in
education », dans P. Masson et M. Pilo (dirs), Partnership in education:
Theoretical Approach and case studies, p. 13-20 ; 34-42.
Chervel, A. (1993). « Sur la notion de discipline scolaire ». Cahiers Charles-V, n° 16,
décembre, numéro spécial, Paris, Université Paris-VII.
Lebeaume, J. (2008). « Les éducations à… », Actes du 2ème colloque national Éducation
Santé Prévention, Conférence plénière invitée du 19 mars, Paris, Réseau des
IUFM en éducation à la santé et prévention des conduites addictives.
Mérini, C., P. Victor et D. Jourdan (2009). Analyse des dynamiques collectives de travail
des écoles impliquées dans le dispositif “Apprendre à mieux vivre ensemble à
l’école”, Clermont-Ferrand, IUFM d’Auvergne – IA du Puy-de-Dôme.
Mérini, C. (2007). L’éducation à la santé en milieu scolaire en France, Communication
présentée au 1er congrès de la chaire en éducation à la santé du Canada, Montréal.
Mérini, C. (2006). Le partenariat en formation : de la modélisation à une application.
Paris, L’Harmattan, 2e édition.
Notice biographique
Caroline Bizzoni-Prévieux est professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle
détient un doctorat en éducation en cotutelle entre la France et le Québec. Sa thèse a porté
sur les partenariats en éducation à la santé à l'école primaire, une analyse comparée entre
la France et le Québec.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 123
II.34 L'ÉDUCATION À LA MALADIE : PRISE EN CHARGE ET
ACCEPTATION CHEZ LES PERSONNES VIVANT AVEC LE VIH/SIDA
EN MILIEU RURAL AFRICAIN
Pierre Boris N'Nde Takukam, doctorant en anthropologie
Université Laval
Le Sida est parfois une source de violence pour les individus infectés pas le VIH. Il
construit autour d’eux un univers social de violences et de contreviolences qui ont une
influence sur leur suivi et sur les rapports qu’ils entretiennent avec leur entourage. La
considération sociale de la pathologie – étant donné qu'elle diffère et évolue en fonction
des repères symboliques des groupes sociaux – tient compte de l'incurabilité scientifique
et donne une forte impulsion à la catégorisation, à la stigmatisation, bref enrichit le
processus de violence et de contre-violence que vivent les personnes infectées. L’idée
d’une maladie incurable nourrit le tabou et fait des personnes infectées une catégorie à
part. L’isolement créé très souvent par le groupe tire son sens des traits liés
intrinsèquement à la maladie et à des attributs construits, purement sociaux. Il devient
urgent, dès lors, de ré-apprendre à vivre et à exister dans un tel état. Une rééducation des
mœurs et mentalités s’avèrent nécessaire. L’objet de notre réflexion concerne la
dynamique des relations que les personnes infectées par le VIH entretiennent avec leur
entourage. A partir d’une ethnographie participante – basée sur les récits de vie, les
expériences quotidiennes, les interactions individuelles… – réalisée en zone rurale, nous
voulons dans ce développement montrer les cadres de rupture de l’harmonie ou du lien
social et familial que peut créer la pathologie du Sida, pour ensuite réfléchir sur les
conditions de possibilité d’une réadaptation au vivre-ensemble ainsi que le rôle de
certaines organisations dans cette « éducation à la maladie ».
Bibliographie sélective
Abéga, S.C. (2007). Les violences sexuelles et l’Etat au Cameroun, Paris, Karthala.
De Haro, S. (2003). Le Sida en Afrique, Toulouse, Editions Milan.
Melini, L., A. Godenzi et J. De Puy (2004). Le sida ne se dit pas. Analyse des formes de
secret autour du Sida, Paris, L’Harmattan.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 124
Lacroix, A., J.-P. Assal (2003). L’Éducation thérapeutique des patients. Nouvelles
approches de la maladie chronique, Paris, Maloine.
N’Nde Takukam, P. B. (2012). « Sida et prise en charge en contexte rural : l’influence
des mutuelles de santé dans l’accès aux soins chez les personnes vivant avec le
VIH ». Les cahiers du CIERA, n° 8, p. 29-59.
N’Nde Takukam, P. B. (2008). « Mesure des effets de la prise en charge des personnes
vivant avec le Vih/Sida par les Mutuelles de santé / sida », Agence de Coopération
Allemande GIZ, Rapport de recherche.
Notice biographique
Pierre Boris N’NDE Takukam est doctorant en anthropologie à l’Université Laval. Il est
titulaire d’un Master en socio-anthropologie et management des projets et d’une Licence
en sciences sociales de l’Université Catholique. Intéressé par des questions de
l’anthropologie urbaine, des migrations, de sécurité et de santé, il est chargé de cours au
département d’anthropologie de l’Université Laval. Ses travaux portent sur la sécurité des
villes, l’informalité, l’ethnicité et les mutuelles de santé et de Sida.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 125
II.35 L’ÉDUCATION HOLISTIQUE DE L’ENFANT DANS LES ÉCOLES
STEINER : UN VECTEUR DU VIVRE-ENSEMBLE?
Stéphanie Tremblay, doctorante en sciences de l’éducation
Université de Montréal
Issues du vaste mouvement de l’« Éducation Nouvelle », les écoles Rudolph Steiner
(fondées sur la pédagogie Waldorf), nées dans l’Allemagne révolutionnaire (1918-1919),
font depuis leur fondation l’objet d’un succès croissant, malgré les différentes
controverses qu’elles suscitent (Ulrich, 1994). Souvent confondues avec d’autres écoles
du même mouvement, dont celles de Montessori, elles s’en distinguent pourtant par leurs
fondements et leur architecture anthroposophiques : « Rudolph Steiner fonde son art de
l’éducation sur une connaissance complète de l’être humain, non seulement de l’homme
terrestre, mais aussi de ses éléments cachés : l’âme et l’esprit » (Steiner, 1919). En ce
sens, nous analyserons davantage l’école Steiner comme une institution scolaire liée à un
projet éducatif minoritaire, d’orientation spirituelle (anthroposophique). Grâce à une
étude ethnographique menée au sein d’une telle école dans la région de Montréal (2011),
nous tenterons de mettre en lumière, en puisant à l’outil analytique de la « forme
scolaire » (Vincent, Lahire et Thin, 1994), comment, à travers sa vision du monde
particulière, l’école Steiner cherche à transmettre un ensemble de valeurs civiques
« universelles » (Roy, 2008) fondées sur un profond respect de la nature et de tous les
êtres vivants (Carlgren, 1992 ; Steiner, 1985, 1987).
Bibliographie sélective
Carlgren, F. (2003). Éduquer vers la liberté. La pédagogie de Ruloph Steiner, Paris, Les
trois Arches.
Roy, O. (2008). La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris, Seuil.
Steiner, R. (1919). La nature humaine la connaissance de l’homme, fondement de
l’éducation : quatorze conférences prononcées à Stuttgart du 21 août au 5
septembre 1919 à l’occasion de la fondation de l’Ecole Waldorf-Astoria, Paris,
Triades.
Tremblay, S. (2012). « Frontières ethniques, citoyenneté et écoles religieuses séparées :
une cartographie des enjeux théoriques ». Social compass, vol. 59, n° 1, p. 69-83.
Les Dossiers du GREE, Série 1, No 1 Page 126
Tremblay, S. (2011). « La négociation des frontières ethniques dans l’espace scolaire : un
regard québécois ». Revue européenne des migrations internationales (REMI),
vol. 27, n° 2, p. 117-138.
Ulrich, H. (1994). « Rudolph Steiner (1861-1925) ». Perspectives : revue trimestrielle
d’éducation comparée, vol. 24, n° 3-4.
Notice biographique
Stéphanie Tremblay possède une maîtrise en sociologie et a déjà enseigné le cours
d’Éthique et culture religieuse dans une école secondaire de Montréal. Après avoir publié
le livre École et religions : genèse du pari québécois (Fides, 2011), elle a amorcé un
doctorat en sciences de l’éducation et sa thèse porte sur les effets de la dimension
religieuse ou spirituelle dans le projet éducatif d’écoles privées de groupes ou de courants
minoritaires au Québec (juives, musulmanes, Steiner).